N° 56

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 21 octobre 2024

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur les 50 ans de saisine parlementaire du Conseil constitutionnel,

Par MM. Christophe-André FRASSA, Philippe BAS, Mmes Cécile CUKIERMAN
et Muriel JOURDA,

Sénateurs et Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet (2), président ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Marc-Philippe Daubresse, Jérôme Durain, Thani Mohamed Soilihi, Mme Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Mme Nathalie Delattre, vice-présidents ; Mmes Agnès Canayer, Muriel Jourda, M. André Reichardt, Mme Isabelle Florennes, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Philippe Bas, Mme Nadine Bellurot, MM. Olivier Bitz, François Bonhomme, Hussein Bourgi, Ian Brossat, Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, Françoise Gatel, Laurence Harribey, Lauriane Josende, MM. Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, Hervé Marseille, Michel Masset, Mmes Marie Mercier, Corinne Narassiguin, M. Paul Toussaint Parigi, Mme Olivia Richard, MM. Teva Rohfritsch, Pierre-Alain Roiron, Mmes Elsa Schalck, Patricia Schillinger, M. Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel.

(2) M. François-Noël Buffet a été nommé membre du Gouvernement le 21 septembre 2024.

PROPOS INTRODUCTIFS

I. OUVERTURE

Gérard Larcher

Président du Sénat

Chers collègues,

Je vous accueille ce matin pour célébrer les cinquante ans de la révolution constitutionnelle du 29 octobre 1974. Je remercie François-Noël Buffet d'avoir initié ce projet, malgré son absence due à d'autres engagements.

Il y a un an, dans mon projet adressé aux sénateurs, je plaidais pour une meilleure intégration du monde universitaire aux travaux parlementaires. Je suis convaincu que cela contribuerait à restaurer la confiance de nos concitoyens envers le Parlement. Je me réjouis donc de réunir aujourd'hui des professeurs, des collègues, un ancien membre du Conseil constitutionnel et de jeunes étudiants pour commémorer ces cinquante années de saisine parlementaire.

Le Général de Gaulle disait qu'une constitution est un esprit, un texte et une pratique. Concernant la saisine parlementaire, Valéry Giscard d'Estaing y voyait un signal de changement après son élection en mai 1974. En 2004, il expliquait vouloir limiter les abus de pouvoir de la majorité et apaiser les relations entre majorité et opposition.

Le projet de loi initial déposé par le gouvernement à l'Assemblée nationale en septembre 1974 prévoyait non seulement la saisine parlementaire, mais aussi l'autosaisine du Conseil constitutionnel. Cette dernière fut supprimée dès la première lecture à l'Assemblée nationale, les députés craignant l'avènement d'un gouvernement des juges. Ce scepticisme avait déjà conduit Michel Debré à abandonner l'idée de saisine parlementaire en 1958, malgré son acceptation par le Comité consultatif constitutionnel.

Finalement, le Parlement adopta la saisine parlementaire, ouverte à soixante députés et soixante sénateurs. Cette réforme fut accueillie avec tiédeur, les parlementaires de l'opposition refusant de l'adopter, car le mode de composition du Conseil constitutionnel restait inchangé. André Chandernagor, député de la Creuse, la qualifia d'inopportune, dérisoire et inadéquate devant le Congrès du Parlement.

Cette situation me rappelle la révision constitutionnelle de 2008, qui a considérablement étendu les droits du Parlement, notamment ceux des groupes d'opposition et minoritaires. Dans notre institution, nous avons toujours été attentifs aux droits d'opposition et minoritaires. La commission des lois pourrait d'ailleurs analyser les effets de la révision de 2008 sur ce point.

Dans la pratique, et selon les mots du Général de Gaulle, la saisine parlementaire a considérablement modifié le fonctionnement de nos institutions, confortant le Conseil constitutionnel dans son rôle de gardien des droits et libertés, au-delà de sa fonction initiale de régulateur du parlementarisme.

La saisine parlementaire a également impacté le travail parlementaire. La possibilité de saisine a incité les rapporteurs et auteurs d'amendements à prévenir les risques d'inconstitutionnalité, favorisant une forme d'autorégulation. Les groupes politiques ont dû adapter leur stratégie, utilisant la saisine comme un outil politique, tout en veillant à ne pas en abuser.

Notre réunion aujourd'hui vise à réexaminer la pratique de la saisine à la lumière de l'histoire et du droit. Ce sujet, à l'intersection de la loi et de la Constitution, de l'opposition et de la majorité, du vote et du contrôle de la loi, soulève trois questions fondamentales pour notre démocratie.

Premièrement, le rapport de la loi à la Constitution. La France, pays légicentriste, doit concilier l'expression de la volonté générale avec les garanties de l'État de droit, ce qui peut créer des tensions. L'enjeu est de savoir comment préserver des marges de manoeuvre politiques dans le cadre de l'État de droit.

Deuxièmement, la place de l'opposition dans notre régime, particulièrement depuis l'instauration du quinquennat, et l'avènement d'un fait majoritaire. Une démocratie est un exécutif appuyé sur la nation et contrôlé par une opposition parlementaire. Dans un paysage politique fragmenté, il est crucial de positionner l'opposition parlementaire au coeur du jeu démocratique et de l'équilibre des pouvoirs.

Troisièmement, la garantie effective des droits fondamentaux dans notre système juridique. Il faut examiner l'articulation entre le contrôle a priori, le contrôle a posteriori, la saisine parlementaire et les questions prioritaires de constitutionnalité pour assurer la meilleure protection des droits et libertés fondamentaux.

Je vous souhaite la bienvenue au Sénat pour cette journée d'échanges. Nous célébrons notre histoire constitutionnelle tout en réfléchissant à son avenir, dans un esprit que le poète Aragon qualifierait de « poésie constitutionnelle ».

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