LISTE DES RECOMMANDATIONS
1. Améliorer la lisibilité des documents budgétaires sur le suivi de la trajectoire d'effectifs et le respect de la LPM.
2. Donner à l'état-major les moyens d'un pilotage stratégique de la fonction RH : donner au nouveau « sous-chef chargé de la stratégie RH » des moyens d'analyse sociologique, d'évaluation, de prospective et de conduite du changement, au plus près de la stratégie militaire.
3. Respecter le calendrier de la refonte des grilles indiciaires des militaires et évaluer rapidement les effets de la NPRM.
4. Rendre le processus de recrutement plus efficace : renforcer les moyens du service de santé des armées, créer un portail unique d'information et de candidature.
5. Faire de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles une priorité. Appliquer les recommandations du rapport des inspecteurs de juin 2024 ; décentrer la cellule Thémis du ministère, voire la fondre dans un organe à statut ad hoc.
6. Réduire au strict nécessaire opérationnel les obligations de mobilité géographique, et offrir aux familles un service complet de conciergerie et d'aide aux démarches en faisant rapidement monter en gamme les services ATLAS.
7. Se doter d'une stratégie et investir davantage dans la formation initiale en interne. Étudier l'opportunité de la création de nouvelles classes ou écoles militaires, éventuellement interarmées, en les répartissant mieux sur le territoire.
8. Se donner les moyens de rendre l'armée visible partout sur le territoire national, dans le cadre des redéploiements ou de la politique de formation initiale.
9. Banaliser la présence militaire dans la société en normalisant le port de l'uniforme dans l'espace public, en encourageant l'expression publique des officiers sur les questions stratégiques, en soutenant la recherche sur ces questions.
10. Réinventer le parcours de citoyenneté et réinterroger les modalités du SNU. Rénover profondément la journée défense citoyenneté, sans s'interdire de la faire contribuer au recrutement.
11. Soutenir le développement des réserves opérationnelle et citoyenne. En sanctuarisant les moyens budgétaires de la réserve opérationnelle, et en développant la réserve citoyenne.
12. Démocratiser la décision d'emploi de l'outil militaire, afin de conserver aux armées un soutien populaire à leur action. Renforcer le rôle du Parlement dans la définition des priorités stratégiques, et son contrôle sur l'envoi de troupes à l'étranger.
EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 16 octobre 2024, sous la présidence de M. Cédric Perrin, président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport d'information de Mmes Vivette Lopez et Marie-Arlette Carlotti, rapporteurs sur le recrutement et la fidélisation dans les armées.
M. Pascal Allizard, président. - Nous examinons maintenant le rapport de nos collègues Vivette Lopez et Marie-Arlette Carlotti sur l'attractivité des forces armées.
Mme Vivette Lopez, rapporteur. - Compte tenu des effectifs dévoilés à l'automne dernier, le bureau de la commission a décidé en début d'année de creuser la question de l'attractivité des forces armées. Nous avons fait le choix d'aborder cette question complexe en nous focalisant sur les métiers militaires, et en abordant le problème le plus largement possible, tout en acceptant à l'avance de ne pouvoir examiner avec la même profondeur tous ses déterminants.
La question de l'attractivité des armées soulève d'abord un problème de trajectoire budgétaire et de gestion administrative.
Le problème de trajectoire provient de ce que, depuis trois ans, les armées ne parviennent pas à respecter le schéma d'emplois fixé en loi de finances. L'année 2023 a été particulièrement difficile, avec un écart de plus de 8 000 équivalents temps plein (ETP) par rapport à l'objectif de recrutement. Il semblerait que la tendance en 2024 se soit redressée, mais rappelez-vous que le schéma d'emplois prévu en loi de finances était déjà moins ambitieux que ce que prévoyait la loi de programmation militaire (LPM) pour sa première année d'exécution.
En conséquence, la trajectoire fixée par la LPM se révèle déjà difficile à respecter. Et pour cause : les effectifs du ministère baissent au lieu d'augmenter, comme nous le déplorions déjà à l'automne dernier.
Il en découle une première difficulté d'ordre budgétaire. L'article 7 de la LPM disposait, vous vous en souvenez, que les crédits non consommés pour le recrutement peuvent l'être pour renforcer la fidélisation des agents. En 2023, ils l'ont été. La Cour des comptes s'inquiète à présent de la capacité future du ministère à rattraper la trajectoire des effectifs, car ils deviennent plus onéreux. Or le respect de la trajectoire conditionne à son tour le respect, par les armées, de leurs contrats opérationnels.
Nous touchons là aux limites de l'exercice d'une loi de programmation, par temps calme, en période de ressources limitées. Il se pourrait que l'enveloppe qui finance concurremment la hausse d'effectifs et l'amélioration de leurs conditions matérielles soit trop étroite. En dépit de l'état catastrophique des finances publiques, cette situation pourrait appeler un réexamen des priorités dans un contexte géopolitique tendu. Plus accessoirement, l'information du Parlement n'est pas toujours très claire sur cet aspect de l'exécution de la LPM et nous appelons à progresser dans ce domaine.
D'une manière générale, les flux sortants excèdent les flux entrants. Le volume des départs spontanés a atteint le plus haut niveau depuis 2017. Le taux d'attrition, c'est-à-dire le taux de départ en cours de période probatoire, est orienté à la hausse depuis 2020. Les non-renouvellements de contrat à l'initiative du militaire ont également augmenté de 70 % depuis 2018. Les causes ne sont pas totalement élucidées, et les efforts de la direction des ressources humaines du ministère pour systématiser les recueils de motivation et harmoniser les remontées statistiques sont toujours en cours.
En conséquence, l'ancienneté moyenne des militaires au moment de leur départ de l'institution n'a cessé de baisser depuis dix ans pour atteindre, en 2023, 25,3 ans pour les officiers, 18,4 ans pour les sous-officiers, et 4,3 ans pour les militaires du rang.
Plus anecdotique peut-être, le nombre de désertions, c'est-à-dire l'infraction consistant à se soustraire à ses obligations, se maintient sur une espèce de plateau depuis 2017, à environ 1 500 cas par an. C'est un indicateur, sans doute imparfait, mais non négligeable, d'une certaine inadéquation de l'offre des armées et de l'attente des jeunes recrues.
C'est l'armée de terre qui contribue le plus au déficit. Le taux de départ y a progressivement augmenté depuis 2015, et le recrutement est devenu plus difficile en 2023. Pas tellement au niveau des officiers, car la sélectivité reste forte à l'entrée en école, mais davantage en ce qui concerne les sous-officiers et, surtout, les militaires du rang, qui ont contribué au déficit à hauteur de 2 000 ETP en 2023.
Dans l'armée de l'air et de l'espace et la marine, le problème réside moins dans le recrutement que dans la difficulté à retenir les départs. Le caractère plus spécialisé de nombreux profils les rend plus facilement employables, et dans de meilleures conditions, dans le secteur privé.
Soit dit en passant, la situation de l'armée française n'est pas isolée. L'armée britannique a poursuivi sa rétraction engagée volontairement il y a plusieurs années, en dépit de la volonté d'inverser la tendance, surtout depuis la guerre en Ukraine. L'armée allemande a également fondu de 1 500 personnes en 2023, malgré les efforts en sens contraire. Les États-Unis disposent à présent de leur plus petite armée depuis 80 ans.
Alors, pourquoi ? Il faut d'abord reconnaître que la gestion du personnel militaire est un exercice d'une grande complexité. Balard recrute près de 30 000 personnes chaque année. La concurrence du secteur privé, et donc la situation du marché du travail, pèse lourd dans le rapport de forces entre candidats et employeurs. La taille des cohortes annuelles peut faire varier les viviers de recrutement ; la population des 17-30 ans a atteint un creux en 2020, mais le mini-babyboom du début des années 2000 produira des effets inverses à compter de l'an prochain.
L'image des armées ne semble pas en cause. La France est le pays européen où elle a le plus progressé ces quinze dernières années : plus de 80 % des Français la regardent positivement, et les attentats de 2015 ont consolidé cette perception partagée.
L'état de santé et le niveau éducatif des jeunes Français ne sont pas encore des variables déterminantes, mais elles restent à surveiller car la sédentarité, l'addiction aux écrans, le surpoids et l'obésité progressent, et les tests PISA n'invitent pas à l'optimisme.
La variable sociologique la plus fondamentale semble être l'écart entre la vie militaire et la vie professionnelle du monde civil. Le fossé semble se creuser assez vite, surtout depuis la pandémie de covid. Alors que les employeurs privés se soucient d'accorder plus de flexibilité, des facilités de travail à distance et des coins détente dans les open-space, les armées semblent, ne serait-ce que par effet de contraste, ne pouvoir proposer qu'une vie de contraintes.
La contrainte est bien sûr inhérente à la vie militaire mais ce qui les rend plus exorbitantes, c'est d'abord que les aspirations individuelles changent. Les études empiriques montrent que les jeunes accordent une importance croissante à la conciliation entre vie professionnelle et vie privée. Ensuite, les conjoints sont beaucoup plus nombreux qu'avant à travailler - plus des trois quarts, contre la moitié il y a 30 ans -, ce qui rend les sujétions moins supportables.
Enfin car les compensations de ces sujétions n'ont sans doute pas été assez rapidement modernisées pour tenir compte de ces transformations.
Commençons par le plus évident : la rémunération. Même si ce n'est pas le moteur principal de l'engagement dans l'armée, c'est bien sûr un facteur déterminant de recrutement et de fidélisation. Or, nous l'avons déjà évoqué à l'automne dernier, les grilles indiciaires se sont tassées, ce qui désincite à la progression, et l'écart avec le reste de la fonction publique n'est pas à l'avantage de l'armée. Ajoutons que les comparaisons internationales ne sont pas favorables à l'armée française, ce qui n'est pas digne de la place que la France revendique en Europe et dans l'Otan.
Sur le plan indemnitaire, la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM) a été déployée, avec satisfaction semble-t-il, sans que tous ses effets aient pu être encore précisément mesurés. Le plan « Fidélisation 360 », présenté par le ministre en mars dernier, promet en outre la prise en compte d'une part de l'indemnitaire dans le calcul de la pension. C'est peu dire que la disposition promise par le Gouvernement, initialement par voie d'amendement dans le projet de loi de finances (PLF) 2025, sera attendue...
Sur le plan indiciaire, le Gouvernement a tenu les promesses de la LPM en mettant à jour les grilles des militaires du rang et des sous-officiers subalternes en 2023. Celle des sous-officiers supérieurs doit l'être avant la fin de l'année. D'après nos informations, la publication du décret, envisagée au 1er octobre, a été repoussé au mois de décembre, pour une mise en paiement l'an prochain... Quant au projet de grille des officiers, attendu avant fin 2025, il n'a, semble-t-il, pas encore été présenté comme il se doit au guichet unique Bercy-Fonction publique.
Nous voulons attirer l'attention sur ces aspects : il ne faudrait pas que les difficultés budgétaires du moment conduisent le Gouvernement à prendre des libertés avec le calendrier de la LPM. L'ensemble du personnel attend cette juste remise à niveau avec impatience, et un ajournement des nouvelles grilles, ou une refonte a minima, aurait de très lourdes conséquences sur le moral des militaires, donc sur leur fidélisation.
À titre de comparaison, observons que les objectifs de recrutement dans l'armée polonaise, très ambitieux, sont servis par un effort qui, outre la multiplication des primes, consiste à rien moins qu'à doubler la rémunération de base des militaires en début de carrière... Mais il est vrai que la Pologne consacre près de 4,5 % de son PIB à sa défense.
Outre la rémunération, il est quelques questions matérielles qui concentrent l'irritation des militaires - dont le moral est bon par ailleurs : l'hébergement et la gestion des mobilités.
Les questions d'hébergement et de logement ont fait l'objet de plusieurs rapports d'évaluation récents. En dépit du plan famille, les programmes de construction restent insuffisants par rapport aux besoins, surtout en zone tendue, et l'état du parc est parfois très dégradé. Des solutions d'externalisation pourraient être explorées pour remettre tout cela à niveau, à l'instar de ce que prévoyait le plan « ambition logement » de 2022.
L'accompagnement des familles est par ailleurs perfectible. Les espaces ATLAS réunissent aujourd'hui en un lieu unique tous les interlocuteurs utiles de la défense, et des partenariats noués avec les autres administrations permettent d'y adjoindre de nombreux autres services. C'est l'interlocuteur idéal, mais leurs moyens, d'après nos échanges avec les représentants des militaires, sont encore beaucoup trop faibles.
La mobilité est peut-être le facteur le plus important, puisqu'il surdétermine les contraintes d'hébergement. C'est un sujet complexe, car la mobilité découle de ce que les armées doivent être disponibles partout, tout le temps ; et elle présente par ailleurs des avantages : la rotation des postes garantit la progression des carrières.
Mais c'est aussi l'une des sujétions qui affecte le plus directement la vie quotidienne du militaire et de sa famille, l'accès à la propriété, l'éducation des enfants, la prise en charge médicale, les aspirations du conjoint. Une étude récente d'une mutuelle de militaires a relevé que les conjoints de la population sondée, majoritairement des femmes, et bien que pour moitié diplômées d'un bac+2 à bac+5, déclarait à 63 % un statut d'ouvrière, employée ou technicienne. L'acceptation d'une forme de déqualification imposée par la mobilité du conjoint ne peut aller sans tensions.
Or la fréquence des mutations ne s'est pas réduite ces dernières années. Les colonels en service au 31 décembre 2022 ont connu, en moyenne, entre huit et dix mutations avec changement de résidence en moins de trente ans de carrière. Le Haut comité d'évaluation de la condition militaire (HCECM) estimait en 2022 que des ajustements à la pratique restaient possibles : l'âge n'est pas assez pris en compte, non plus que l'ancienneté ; l'affectation privilégiée au plus près de la zone géographique souhaitée n'est pas encore la règle... Nous le suivons ainsi lorsqu'il préconise de recourir davantage au télétravail dans les fonctions qui s'y prêtent, et de réduire la mobilité géographique au strict nécessaire opérationnel. C'est également ce que préconisent les associations des femmes de militaires, comme Women Forces.
Avant de passer la parole à notre collègue Marie-Arlette Carlotti, je voudrais rappeler que le ministre, M. Sébastien Lecornu, nous a quelque peu rassurées sur certains points hier soir. Attendons de voir...
Mme Marie-Arlette Carlotti, rapporteure. - Le recrutement pourrait sans doute gagner en efficacité. La procédure est trop longue. Elle dure en tout de quatre à six mois. Le principal goulot d'étranglement se situe au niveau de l'aptitude médicale et la réforme prévue du service de santé des armées (SSA) n'empêche pas d'imaginer un système plus ambitieux de réserve citoyenne pour absorber les flux.
La promotion de la mixité est un autre chantier d'importance pour les armées. Beaucoup a été fait en la matière, mais les discriminations et les violences peuvent rester un frein à l'engagement, et notamment à celui des femmes. Le rapport remis au ministre en juin dernier par le collège des inspecteurs généraux des armées évoque la cellule Thémis, mise en place pour recevoir les plaintes. Nous estimons qu'elle serait beaucoup plus efficace si elle était externalisée. Il s'agirait de s'inspirer du modèle allemand, dans lequel la parole nous semble plus libérée de ce point de vue.
Les armées ont, encore, fait des efforts en matière de formation pour organiser des cursus précoces, grâce auxquels les militaires restent en moyenne sept ans de plus que les autres dans l'armée. Cette politique suit, forcément avec retard, le rythme de déflation ou de reflation des effectifs, ce qui repose la question du modèle d'armée que la France veut se donner. L'école des mousses ou l'école militaire préparatoire technique sont, à cet égard, des recréations d'établissements qui ont fermé dans les années 1980.
Enfin, la stratégie RH des armées pourrait être plus précisément pilotée. Comme elle est dépendante de la stratégie militaire elle-même, le rattachement très récent à l'état-major des armées d'un sous-chef chargé de la stratégie RH est opportun. Nous préconisons toutefois de lui donner suffisamment de compétences administratives, statistiques, d'études sociologiques, pour affiner la connaissance des viviers, des tendances des jeunes générations, d'évaluations des politiques menées et de conduite du changement.
En fait, le recrutement dans les armées suit une tendance commune à un grand nombre de métiers de la sphère publique. Le nombre de candidats pour un poste offert est passé de seize à six ces trente dernières années, et les flux de sorties grossissent depuis dix ans. C'est particulièrement le cas dans les métiers de la sphère régalienne, notamment la police et la gendarmerie qui, en outre, concurrencent directement l'armée pour le recrutement. Partout, les viviers s'assèchent et la sélectivité se dégrade, ce qui témoigne d'une forme de crise de l'État d'une certaine ampleur.
Il nous faut refaire de l'armée un acteur moteur de la vie collective et augmenter la surface de contact entre le monde militaire et le monde civil suppose de rendre les militaires à la fois plus audibles et plus visibles. Plus visibles car trente départements sont dépourvus d'implantations de l'armée de terre, ce qui fait que les jeunes Français peuvent ne jamais croiser de militaires de leur vie.
Le HCECM a déjà fait d'autres propositions visant à réintroduire le soldat dans la vie collective. Y contribuerait par exemple la banalisation du port de l'uniforme dans l'espace public, sur les trajets domicile-travail par exemple - il avait été interdit par le commandement depuis l'émergence du risque terroriste.
Dans le même ordre d'idées, il est sans doute regrettable que l'espace public compte si peu de figures militaires qui puissent être sources d'inspiration.
L'expression publique des officiers sur des questions stratégiques pourrait également être encouragée.
L'enseignement supérieur, quant à lui, est le grand absent des politiques de lien armée-Nation. À l'heure où 60 % d'une classe d'âge est inscrit dans l'enseignement supérieur, où l'on change de métier plus souvent et où l'armée peut être une expérience parmi d'autres, les formations initiales militaires et civiles devraient être davantage décloisonnées et facilitées qu'elles ne le sont aujourd'hui.
Pour abaisser les barrières entre le monde militaire et le monde civil, nous appelons à rénover le parcours d'engagement citoyen en consolidant l'enseignement de défense à l'école, en transformant la journée défense et citoyenneté, qui devrait servir à nourrir une connaissance plus fine de la population et des compétences utiles en cas de risque pour la défense du territoire sans s'interdire d'assumer plus franchement une perspective de recrutement, soit dans la réserve, soit dans l'armée d'active elle-même.
Redonner une forme de centralité à cette journée défense et citoyenneté impliquerait de sceller le sort du service national universel (SNU). Dans un rapport récent, la Cour des comptes a pointé son échec à atteindre les nombreux objectifs qu'il s'était fixé, et accessoirement son coût exorbitant, estimé à terme entre 3,5 et 5 milliards d'euros si la généralisation devait avoir lieu.
Pour compenser un peu les difficultés de recrutement, et pour resserrer les liens entre l'armée et la Nation, il faut rendre plus efficaces les dispositifs de mobilisation de la société. Notre rapport examine en détail les différentes options existantes en Europe, et notamment le modèle de « défense totale » de type suédois.
Pour l'heure, nos dispositifs de réserve doivent relever l'ambitieux défi du recrutement dans les proportions prévues par la LPM, c'est-à-dire un doublement d'ici 2030. Les objectifs sont en train d'être atteints, mais les dernières marches seront plus hautes. Il faudra alors se doter de moyens budgétaires à la hauteur des besoins et faire preuve de volonté politique.
Ces dernières années, les réservistes ont souvent été traités comme des variables d'ajustement, avec des conséquences très regrettables sur le recrutement ou l'activité. Il faudra par conséquent simplifier les parcours de recrutement et préciser le régime d'emploi des réservistes, la nature de leurs sujétions et leurs compensations, afin que les armées puissent réellement compter sur eux le jour venu. La réserve citoyenne doit être considérée comme un maillon essentiel d'un système de défense plus global.
Enfin, il faut démocratiser la décision militaire. La participation du Parlement à la détermination des priorités stratégiques est un point fondamental. Je rappelle que la revue nationale stratégique 2022 avait été établie sans que notre avis soit sollicité, de même que la décision d'engagement des troupes à l'extérieur. Ces considérations sont bien moins éloignées que l'on pourrait le penser de la question de l'attractivité des armées. Comme vous le savez, notre commission avait déjà proposé d'accroître le contrôle parlementaire en la matière, tandis que le Président Larcher a mis en place, en début d'année, un groupe de travail sur le sujet, sur lequel, je crois, il faudra revenir.
Je vous remercie.
M. Mickaël Vallet. - Au sein de la question de l'attractivité, on retrouve évidemment celle des conditions d'exercice.
Sauf erreur de ma part, une dette dite « grise » d'environ quatre milliards d'euros sur les bâtiments à rénover avait été évaluée au moment de l'examen de la LPM. Dans les endroits où les bases sont anciennes et n'ont jamais bénéficié d'une rénovation correcte - je pense, pour ce qui concerne mon département, à l'École de formation des sous-officiers de l'armée de l'air et de l'espace (EFSOAAE) à Rochefort-sur-Mer -, quand on met en parallèle l'état des bâtiments et celui des finances publiques, on ne voit pas de quelle façon il sera possible de préserver ces équipements absolument indispensables et qui participent de la présence de l'armée sur l'ensemble du territoire national. Les travaux représenteraient plusieurs centaines de millions d'euros.
Mme Marie-Arlette Carlotti, rapporteure. - Cette question a fait l'objet d'un rapport pour avis de notre part sur le programme 212 il y a trois ans. Nous avions entendu à cette occasion des choses très précises de la part de la gendarmerie, qui se trouve elle aussi dans la situation que vous venez de décrire, et de façon plus grave encore.
Nous n'avons pas travaillé spécifiquement sur la question du bâti dans le cadre du rapport que nous vous présentons aujourd'hui, mais il serait effectivement utile de refaire un point sur ce sujet. De véritables avancées ont été accomplies ces dernières années, tant en matière d'hébergement en caserne que de logement.
M. Pascal Allizard, président. - Nous avons tout de même eu des échos d'une cessation de paiement par l'État des loyers de la gendarmerie aux collectivités territoriales...
M. Philippe Paul. - J'ai fait mon service militaire à la base de Rochefort-sur-Mer. Quand j'y suis retourné trente ans après, j'ai été effrayé de voir l'état de la base, qui était la plus belle de France. Sa rénovation coûterait en effet plusieurs centaines de millions d'euros.
Pour ce qui est de la gendarmerie, nous nous retrouvons quasiment dans la même situation qu'au temps du général Lizurey, qui ne pouvait pas payer les loyers à la fin de l'année. On parle de 200 millions d'euros de crédits à trouver, mais le montant réel doit être plus proche des 300 millions. Ces sommes ne seront pas forcément prises sur l'exercice en cours, mais sur le suivant.
On évalue à 300 millions d'euros le montant nécessaire chaque année à la rénovation des bâtiments, qu'il s'agisse de l'entretien de l'existant ou de la construction de bâtiments neufs, et au renouvellement de 3 750 véhicules légers.
Or, l'an dernier, alors que le contexte budgétaire n'était pas si contraint qu'il l'est aujourd'hui, seuls 100 millions d'euros ont été investis dans l'immobilier et seulement 500 véhicules renouvelés - il semble d'ailleurs que les livraisons soient bien inférieures à cette quantité.
Certains départements ont pris le relais pour le paiement des loyers des casernes de gendarmerie et n'ont pas été remboursés. Pour le Finistère, le « trou » s'élèverait à 42 millions d'euros. Il y a donc en effet de quoi s'inquiéter.
M. Jérôme Darras. - L'une des solutions est effectivement de faire construire des bâtiments par les collectivités territoriales ou par les organismes HLM et, ensuite, de facturer un loyer.
Or l'interruption du paiement des loyers au mois d'octobre, compte tenu des difficultés financières de la gendarmerie, est un très mauvais signal envoyé aux collectivités et aux bailleurs sociaux, qui y regarderont désormais à deux fois avant de se lancer dans ce type d'opération.
M. Philippe Paul. - À ce propos, bien que 239 nouvelles brigades aient été créées l'an dernier, les seules brigades « en dur » - hors brigades mobiles - sont celles qui ont été installées dans des locaux fournis par les collectivités territoriales. Si ces dernières n'investissent pas, toutes les opérations sont mises en sommeil du côté de la gendarmerie.
Mme Marie-Arlette Carlotti, rapporteure. - Comme je vous l'ai indiqué, nous n'avons pas spécifiquement approfondi la question cette année, bien qu'il s'agisse d'un élément très important pour l'attractivité des armées. Nous avons cependant établi un état des lieux en novembre 2021.
Avec mon co-rapporteur pour avis du programme 212, nous ferons cette année un nouveau point sur cette question dans le cadre de l'examen du budget 2025.
M. Roger Karoutchi. - Je dois vous avouer être quelque peu sceptique. Il y a deux ans, j'avais réalisé, pour la commission des finances, un rapport sur les ambassades et les consulats français à l'étranger et je m'étais aperçu, à cette occasion, que la situation était la même : tous les bâtiments étaient à refaire et nous n'avions pas de moyens budgétaires à y consacrer. On nous avait promis un plan de rétablissement sur cinq ou dix ans, et la situation n'a pas bougé d'un iota depuis - je dirais même qu'elle a empiré.
Dans ce pays surendetté, on ne veut pas se demander ce que sont les priorités, ni ce qu'est la place de la France au niveau international ou au niveau de sa défense. D'année en année, on repousse les choix et, in fine, on n'en fait pas. Dans mon département, certaines casernes de gendarmerie sont hors d'état, mais chacun se renvoie la balle.
Des priorités doivent donc être définies et il revient peut-être au Parlement de le faire, car les gouvernements ne le font pas et ne le feront pas.
D'autre part, je n'ai pas tout à fait compris la proposition formulée par nos rapporteurs sur le SNU. C'est un dispositif que j'ai suivi avec attention et je suis d'accord pour dire qu'il est coûteux et ne fonctionne pas bien. Pour autant, je ne suis pas favorable à sa suppression, car l'idée originelle en est bonne. Beaucoup de jeunes n'ont pas forcément acquis, par la famille ou l'éducation, les valeurs citoyennes. Le projet de les faire participer à un système leur permettant de s'intégrer davantage à la République ne me paraît pas devoir être écarté d'un revers de la main.
Mme Vivette Lopez, rapporteur. - Nous proposons surtout de réinventer le parcours de citoyenneté, ce qui impliquera de rénover profondément la journée défense et citoyenneté et donc d'interroger le SNU, qui coûte de plus en plus cher. Souvent, au terme de la JDC, les jeunes qui y ont participé ne savent même pas à quoi cela leur a servi. Il paraît donc nécessaire de la consolider, sans s'interdire de la faire contribuer au recrutement.
M. Alain Cazabonne. - Je partage tout à fait ce que vient de dire Roger Karoutchi sur le SNU. J'ai eu l'occasion de suivre plusieurs stages en Gironde et de constater que le système fonctionnait bien. S'il est trop coûteux, il faut bien entendu trouver une autre formule pour maintenir le même esprit.
Concernant les casernes de gendarmerie, dix communes étaient candidates pour en accueillir une en Gironde et, à l'heure du choix, les villes qui avaient assuré pouvoir prendre en charge la construction des bâtiments ont été préférées.
Mme Hélène Conway-Mouret. - C'est le rôle de l'Éducation nationale que d'assurer la mixité sociale. S'il faut créer un instrument pour que les jeunes se rencontrent et passent du temps ensemble, c'est qu'il y a un problème fondamental.
Il me paraît donc nécessaire de remonter à l'origine de ce manque de mixité plutôt que d'empiler les instruments. Certains dispositifs existants pourraient être améliorés si l'argent qui est aujourd'hui dévolu au SNU était redistribué, par exemple sur la réserve ou la journée défense et citoyenneté.
À l'étranger, beaucoup d'ambassades refusent d'ailleurs d'organiser les journées défense et citoyenneté en raison notamment du coût que cela représente.
Par ailleurs, pour répondre à Roger Karoutchi, nous vendons depuis des années nos bâtiments à l'étranger pour pouvoir réinvestir le bénéfice réalisé dans la rénovation de ceux que nous conservons. Au passage, Bercy réalise une ponction sur le produit des ventes, si bien que nous n'avons jamais eu assez d'argent pour renouveler l'ensemble du parc immobilier.
D'ailleurs, ces opérations ont un coût exorbitant, puisque, quand nous vendons, nous louons plutôt que d'être logés chez nous. En cas de boom immobilier, on se retrouve avec des coûts de location bien supérieurs à ce qu'aurait représenté une rénovation des bâtiments.
M. Rachid Temal. - Il est inacceptable de tomber dans un système dans lequel il revient aux collectivités de construire des casernes de gendarmerie pour qu'ensuite le Gouvernement leur reproche de trop dépenser. La sécurité ne saurait être garantie que là où il y a de l'argent. Nous devons sortir de cette schizophrénie : on ne peut pas entendre dire constamment, au sein même de notre commission, qu'il faut réduire l'État et, en même temps, qu'il faut dégager des moyens supplémentaires.
M. Roger Karoutchi. - Personne ici ne souhaite réduire les moyens consacrés au régalien !
M. Rachid Temal. - Dans ce cas, il faut dire où vous voulez trouver des économies. Que ce ne soit pas sur le régalien, je suis d'accord ; mais ça ne peut pas être non plus sur les dépenses sociales. Être une grande puissance - si nous le sommes encore - implique de consacrer des moyens à la défense et à la diplomatie. Il faut donc assumer que tout cela a un coût ou cesser de se gargariser sur la présence de la France dans le monde.
Mme Marie-Arlette Carlotti, rapporteure. - J'aimerais certes que nous économisions cinq milliards d'euros sur le SNU, mais je souhaite que ce rapport fasse consensus, car il s'agit d'abord, ici, de la défense nationale et de nos troupes.
Nous avons écrit que « redonner une forme de centralité à la journée de défense et citoyenneté impliquerait certainement de sceller le sort du SNU ». Je constate que nous ne sommes pas tous d'accord avec cette formulation. Je vous propose donc de remplacer les mots : « sceller le sort » par les mots : « réinterroger le dispositif ».
Les recommandations sont adoptées.
La mission d'information adopte, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorise la publication.