B. UN OUTIL VISANT PRINCIPALEMENT À APAISER LE CLIMAT SOCIAL DANS UN CONTEXTE MARQUÉ PAR LE FORT POUVOIR DE NUISANCE DES CONTRÔLEURS AÉRIENS
1. Acheter la paix sociale par peur des grèves du contrôle aérien
Dès son origine, la vocation première de la pratique des protocoles sociaux a été de favoriser la « paix sociale » au sein de la DGAC. Dans un contexte caractérisé par un pouvoir de négociation très affirmé des syndicats, ces accords ont ainsi pour fonction d'encadrer et de canaliser les revendications des personnels pour éviter au maximum que n'éclatent des conflits sociaux et des grèves particulièrement coûteuses pour l'écosystème aérien (voir infra).
Depuis qu'il se consacre aux sujets aériens, le rapporteur a eu maintes fois l'occasion de constater à quel point l'État peut se retrouver tétanisé par le pouvoir de nuisance des contrôleurs aériens. Cette situation donne aux organisations syndicales représentatives des personnels de la DGAC une force de négociation tout à fait particulière au sein de l'administration française.
Citant la DGAFP, la Cour des comptes soulignait à ce titre en 20214(*) que les contrôleurs aériens « disposent d'un pouvoir de négociation sans égal dans la mesure où le coût d'une journée de grève du contrôle aérien pour le BACEA est tel qu'il conduit à relativiser le coût des mesures catégorielles » généreuses octroyées de façon systématique dans les protocoles successifs.
Cette vocation initiale pacificatrice des protocoles sociaux de la DGAC reste très prégnante dans l'imaginaire et les représentations de l'ensemble des acteurs de l'institution. La direction de la DGAC comme les syndicats entendus par le rapporteur au cours de sa mission de contrôle lui ont ainsi rapporté que la période de transition entre la fin du dernier protocole, en 2020, et la conclusion du nouveau en avril dernier5(*), a été marquée par une recrudescence des tensions sociales au sein de l'institution. Les uns comme les autres en attribuent en partie la cause à l'absence de protocole.
En réponse au questionnaire du rapporteur, la DGAC soulignait ainsi, s'agissant de la période 2020-2023 : « les conflits sociaux ont été souvent le fait de mouvements « fonction publique » liés à la réforme des retraites, à la loi de transformation de la fonction publique ou encore aux sujets climatiques, mais l'absence de perspective immédiate d'un nouveau protocole a également exacerbé les tensions sociales concernant des sujets internes à la DGAC ».
Inversement, la DGAC a insisté auprès du rapporteur sur la diminution des mouvements sociaux ayant pour objet des sujets internes constatée selon elle au cours de la période d'application du dernier protocole (2016-2019).
De son côté, la DGAFP voit plutôt d'un bon oeil la pratique des protocoles sociaux de la DGAC dans la mesure où, selon son analyse, ils participent effectivement à encadrer les revendications des personnels et à canaliser les conflits sociaux.
2. Les gains de productivité : un objectif affiché mais trop longtemps délaissé
Un autre objectif poursuivi par les protocoles sociaux, de façon très secondaire cependant au moins jusqu'au dixième protocole, est de promouvoir la mise en oeuvre de mesures visant à accroître la productivité de la DGAC et, tout particulièrement, la performance des services du contrôle de la navigation aérienne, opéré par la direction des services de la navigation aérienne (DSNA).
La poursuite de cet objectif aurait dû faire des protocoles des outils conçus dans une logique de « donnant-donnant », les nouveaux avantages catégoriels étant négociés en contrepartie de mesures destinées à améliorer la productivité de la DGAC et de la DSNA. Ainsi, comme la DGAC l'a souligné dans ses réponses au rapporteur, la pratique des protocoles devrait permettre en théorie de « concilier la continuité d'une activité très sensible au conflit social et une recherche permanente de meilleure performance et de modernisation ». Selon elle, dans l'idéal, cet outil devrait ainsi servir à « construire une stratégie sociale pluriannuelle » afin de « permettre la mise en oeuvre dans la durée d'améliorations de grande ampleur », c'est-à-dire « des réorganisations de services, et/ou d'organisation du travail ambitieuses de façon la plus apaisée possible ».
Pourtant, comme décrit infra, force est de constater que les précédents protocoles n'ont pas respecté ce principe de « donnant-donnant » et qu'ils se sont essentiellement traduits par l'octroi quasi unilatéral de nouveaux avantages catégoriels aux personnels de la DGAC. Ce constat est d'ailleurs partagé par nombre d'acteurs concernés.
Aucune véritable réforme structurelle d'ampleur visant à promouvoir la productivité de l'institution n'a jamais été portée par un protocole et il aura fallu attendre le dixième (le protocole 2016-2019) pour voir apparaître de premiers dispositifs réellement destinés à améliorer la performance du contrôle aérien à travers des expérimentations optionnelles d'optimisation de l'organisation du travail (voir infra).
Ce constat avait notamment fait dire au rapporteur, à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2023 que « la logique initiale de « gagnant - gagnant » a été largement dévoyée et le résultat effectif a bien plus des airs de « gagnant - perdant » au détriment de la performance du contrôle aérien et in fine, de la compétitivité du transport aérien qui finance les services de la navigation aérienne »6(*).
* 4 Dans son rapport précité consacré à la politique des ressources humaines de la DGAC.
* 5 Une période de transition inhabituelle qui s'explique par la négociation laborieuse du nouveau protocole décrite infra.
* 6 Rapport général n° 115 (2022-2023) de M. Vincent CAPO-CANELLAS, fait au nom de la commission des finances, novembre 2022.