B. LES EFFORTS EN MATIÈRE D'ÉVALUATION DE NOS CONTRIBUTIONS INTERNATIONALES DOIVENT ÊTRE PROLONGÉS, EN ASSOCIANT DAVANTAGE LE PARLEMENT
L'enquête de la Cour des comptes souligne un renforcement des capacités et des travaux d'évaluation des contributions internationales au sein des ministères. Ces évaluations sont généralement menées par des prestataires externes sollicités par la direction générale de la mondialisation et la direction générale du Trésor. Toutefois, la Cour note dans son rapport que les travaux d'évaluation se concentrent sur les « grosses » contributions, à l'image de la contribution de la France à l'International Finance Facility for Immunisation13(*) ou de celle au Fonds vert pour le climat14(*). Or les « petites » contributions participent de la sédimentation des contributions internationales françaises. Il s'agit en particulier des contributions aux petits et moyens fonds et organisations internationales.
Les capacités d'audit et de suivi de la redevabilité de nos contributions ont également été consolidées au sein du MEAE et du MEFSIN. Si cette évolution, conforme aux recommandations du rapport de Vincent Delahaye et Rémi Féraud, paraît positive aux rapporteurs, ils remarquent une dispersion des moyens entre les différentes administrations. Coexistent ainsi au sein du seul Quai d'Orsay une « cellule redevabilité » au sein de la direction des Nations unies, des organisations internationales, des droits de l'homme et de la francophonie (dite NUOI), un pôle des affaires financières au sein du Centre de crise et de soutien et un poste dédié au sein de la direction générale de la mondialisation aux contributions portées par l'aide alimentaire programmée.
En outre, les outils de suivi de la performance de nos contributions internationales paraissent, a minima, perfectibles. D'une part, certains indicateurs sont, selon la Cour, peu pertinents au regard d'« une capacité de pilotage effective et directe » de la part des administrations. Il s'agit en particulier d'indicateurs essentiellement descriptifs, à l'instar de celui relatif à la capacité des organisations internationales de « mener avec succès des projets compatibles avec la réalisation de leurs objectifs de développement » au sein du programme 110. D'autre part, la Cour relève que certaines questions communes aux trois grands programmes budgétaires comprenant des versements multilatéraux (105, 110 et 209) ne sont pas traitées uniformément. Il en va ainsi de la problématique des frais de gestion des organisations et fonds multilatéraux dont les modalités de calcul comme les cibles varient selon le programme. Dans le même esprit, des questions transversales aux trois grands programmes contribuant aux versements multilatéraux sont abordées dans les indicateurs d'un seul de ces programmes.
Recommandation n° 4 : Réviser les indicateurs de performance des programmes 105, 110 et 209 pour, d'une part, harmoniser ceux relatifs aux frais de gestion et, d'autre part, étendre les indicateurs de performance transversaux aux trois programmes budgétaires (Ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE), direction générale du Trésor).
En matière d'évaluation, la principale question en suspens demeure le rôle de la commission d'évaluation de l'aide publique au développement. Prévue par l'article 12 de la loi n° 2021-1031 du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, cette commission visait à mener « des évaluations portant sur l'efficience, l'efficacité et l'impact des stratégies, des projets et des programmes d'aide publique au développement financés ou cofinancés par la France » et à contribuer à la redevabilité de notre politique de développement. Pourtant, cette commission, qui devait initialement être rattachée à la Cour des comptes, n'a pas encore été installée, en dépit de la publication d'un décret précisant son fonctionnement15(*).
Pour remédier à un retard tenant essentiellement à la composition de la commission et à la désignation de son président, la loi n° 2024-309 du 5 avril 202416(*), issue d'une proposition de loi déposée par le président de la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale, Jean-Louis Bourlanges, a décidé le rattachement de la commission au ministère chargé des affaires étrangères. La loi du 5 avril 2024 précise également, dans son article unique, les compétences de la commission d'évaluation, dont la mission est de contrôler « la pertinence des projets et programmes d'aide publique au développement au regard des ambitions et des objectifs prévus par la loi » et d'en examiner « les résultats pour apprécier leur efficacité, tant sur le plan financier que vis-à-vis des priorités de la politique extérieure et de coopération ainsi que des intérêts à l'étranger de la France ».
Le rattachement de la commission d'évaluation à la Cour des comptes soulevait des interrogations depuis l'adoption de la loi de programmation du 4 août 2021. Dans son avis sur le projet de loi de programmation, le rapporteur de la commission des finances, Jean-Claude Requier, avait ainsi souligné les limites de ce choix en indiquant notamment la dépendance de cette structure vis-à-vis de « l'expertise des ministères de tutelle et de l'AFD, et donc de l'exécutif, pour conduire ses travaux d'évaluation »17(*).
Pour autant, l'installation prochaine de la commission devra répondre à des incertitudes persistantes sur son fonctionnement et ses méthodes de travail. En l'état actuel du droit, il n'est pas précisé de quelle manière la commission d'évaluation pourra s'appuyer sur les équipes dédiées à l'évaluation au sein du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, de la direction générale du Trésor et de l'Agence française de développement.
En tout état de cause, la présence de parlementaires dans cette commission constitue une garantie d'indépendance de cette instance par rapport à l'exécutif. L'installation de cette commission est d'autant plus attendue par le Parlement que le V de l'article 12 de la loi de programmation du 4 août 2021 prévoit que le président de l'Assemblée nationale ou du Sénat peuvent saisir la commission de demandes d'évaluation.
En matière d'APD, les rapporteurs estiment, dans un contexte budgétaire contraint, qu'il appartient à la France de concentrer ses efforts en matière de contributions multilatérales et, partant, d'arbitrer sur les thématiques à investir. Au-delà d'un simple effet de communication, il importe de s'interroger, sur chaque contribution, si elle participe des trois logiques d'influence, d'aide au développement et de préservation des biens publics mondiaux. Le ministère de l'Europe et des affaires étrangères a indiqué envisager de procéder à une « évaluation externe globale » des contributions internationales. Pour les rapporteurs spéciaux, cette évaluation devra, d'une part, excéder le champ des versements relevant du seul MEAE, et, d'autre part, être organisée sous la forme d'une « revue de dépenses » indiquant quelles contributions ne sont plus pertinentes dans un contexte budgétaire contraint.
Recommandation n° 5 : Réaliser, sous la forme d'une revue de dépenses, une évaluation de l'ensemble de nos contributions internationales afin de déterminer celles dont le renouvellement ne serait pas pertinent (Ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE), direction générale du Trésor).
* 13 Ernst & Young, Évaluation de la contribution française à l'IFFIm (International Finance Facility for Immunisation), évaluation réalisée pour le ministère de l'Europe et des affaires étrangères et la direction générale du Trésor, août 2021.
* 14 Technopolis, Évaluation de la participation de la France au fonds vert pour le climat (FVC) et de la place du FVC au sein de l'architecture multilatérale climat et environnement, évaluation réalisée pour la direction générale du Trésor, janvier 2023.
* 15 Décret n° 2022-787 du 6 mai 2022 relatif aux modalités de fonctionnement de la commission d'évaluation de l'aide publique au développement.
* 16 Loi n° 2024-309 du 5 avril 2024 relative à la mise en place et au fonctionnement de la commission d'évaluation de l'aide publique au développement instituée par la loi n° 2021-1031 du 4 août 2021.
* 17 Avis n° 529 fait par Jean-Claude Requier au nom de la commission des finances sur le projet de loi de programmation, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, déposé le 13 avril 2021.