N° 776

SÉNAT

2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 25 septembre 2024

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires sociales (1) sur la financiarisation
de l'
offre de soins,

Par Mme Corinne IMBERT, MM. Bernard JOMIER
et Olivier HENNO,

Sénatrice et Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Mouiller, président ; Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale ; Mme Pascale Gruny, M. Jean Sol, Mme Annie Le Houerou, MM. Bernard Jomier, Olivier Henno, Xavier Iacovelli, Mmes Cathy Apourceau-Poly, Véronique Guillotin, M. Daniel Chasseing, Mme Raymonde Poncet Monge, vice-présidents ; Mmes Viviane Malet, Annick Petrus, Corinne Imbert, Corinne Féret, Jocelyne Guidez, secrétaires ; Mmes Marie-Do Aeschlimann, Christine Bonfanti-Dossat, Corinne Bourcier, Céline Brulin, M. Laurent Burgoa, Mmes Marion Canalès, Maryse Carrère, Catherine Conconne, Patricia Demas, Chantal Deseyne, Brigitte Devésa, M. Jean-Luc Fichet, Mme Frédérique Gerbaud, M. Khalifé Khalifé, Mmes Florence Lassarade, Marie-Claude Lermytte, Monique Lubin, Brigitte Micouleau, M. Alain Milon, Mmes Laurence Muller-Bronn, Solanges Nadille, Anne-Marie Nédélec, Guylène Pantel, M. François Patriat, Mmes Émilienne Poumirol, Frédérique Puissat, Marie-Pierre Richer, Anne-Sophie Romagny, Laurence Rossignol, Silvana Silvani, Nadia Sollogoub, Anne Souyris, MM. Dominique Théophile, Jean-Marie Vanlerenberghe.

L'ESSENTIEL

___________

Récemment entrée dans le débat public, la financiarisation de l'offre de soins demeure mal appréhendée et insuffisamment régulée par les autorités sanitaires, malgré les transformations de l'offre qu'elle induit.

Au terme de neuf mois de travaux, la commission des affaires sociales formule 18 propositions visant à mieux maîtriser le phénomène, à limiter ses conséquences indésirables et à protéger l'indépendance des professionnels de santé.

I. LE RETARD DES POUVOIRS PUBLICS FACE À UN PHÉNOMÈNE EN PROGRESSION

A. UNE FINANCIARISATION QUI PROGRESSE

1. L'hospitalisation privée et la biologie médicale : des secteurs concentrés et financiarisés

La financiarisation du secteur hospitalier privé lucratif, qui se manifeste par l'intervention de fonds d'investissement dans le capital des groupes, connaît une progression rapide depuis les années 2000 et appuie le processus de concentration des cliniques privées.

Pas moins de 40 % du secteur en France est aujourd'hui détenu par quatre groupes (Ramsay Santé, Elsan, Vivalto et Amalviva). Le développement de ces groupes repose sur leur capacité à réaliser des investissements massifs et des opérations d'intégration, permettant une croissance externe très dynamique.

La biologie médicale privée constitue, de son côté, le secteur le plus financiarisé en ambulatoire. Six grands groupes de laboratoires concentraient, en 2021, 62 % des sites de biologie médicale sur le territoire national.

L'évolution du cadre législatif a favorisé la concentration et la financiarisation du secteur, permettant à des biologistes n'exerçant pas directement au sein de la société de détenir plus de la moitié de son capital. La loi de 2013 portant réforme de la biologie médicale, qui visait à maîtriser ce phénomène, n'a pas supprimé cette faculté pour les sociétés créées antérieurement à son entrée en vigueur.

2. La financiarisation récente de nouveaux secteurs de l'offre de soins

Le secteur de l'imagerie enregistre une dynamique très active de financiarisation, porté par un mouvement de concentration dans un secteur historiquement fragmenté. Ce processus pose la question de la transmission du patrimoine professionnel et fragilise le modèle des indépendants.

Outre les dérives marchandes qui ont accompagné le développement des centres dentaires et ophtalmologiques, l'intérêt des investisseurs se porte depuis peu sur les centres de soins primaires. Malgré un modèle économique fragile, des acteurs spécialisés émergent sur ce segment, tel Ipso Santé, tandis que les grands groupes d'hospitalisation (comme Ramsay Santé) y voient un moyen de recruter de nouvelles files actives de patients depuis la médecine de ville.

Enfin, un phénomène de financiarisation est observé dans le secteur officinal, pourtant protégé par un cadre juridique réservant la propriété des officines aux pharmaciens diplômés. Certains pharmaciens recourent à des fonds d'investissement, parfois sous la forme d'obligations convertibles en actions, qui leur imposent en retour des obligations relatives à la gestion de l'officine ou à son activité, susceptibles de réduire leur indépendance professionnelle.

Le fonds « Unipharma II »

La mission a pu consulter la plaquette de présentation du fonds Unipharma II, spécialisé dans les pharmacies de taille significative présentant un « fort potentiel de croissance non exploité du fait d'une approche commerciale peu structurée ». Celui-ci promet un « couple rendement-risque attractif », fondé notamment sur une évolution du mix produit, un développement de la parapharmacie et une « meilleure discipline de gestion. »

B. DES DÉTERMINANTS CONNUS

1. L'offre de soins : un investissement rentable et sûr

L'offre de soins représente un investissement rentable. Dans le secteur de l'imagerie, qui exige des investissements technologiques conséquents et réguliers, les valorisations des groupes peuvent atteindre 13 à 15 fois l'excédent brut d'exploitation. Dans le champ de la biologie médicale, le taux de rentabilité a atteint 23 % en 2021 et la valorisation des groupes sur le marché a conduit la Cnam à évoquer un risque de « bulle spéculative ». L'hospitalisation privée présente quant à elle des indicateurs plus contrastés, en dégradation ces dernières années.

Rentabilité moyenne de différents secteurs (EBE / CA) en 2019

Source : commission des affaires sociales du Sénat, d'après des données de la Cnam

Les restructurations, par la recherche d'un effet « taille critique » et la concentration des plateaux techniques, permettent aux sociétés de réaliser des économies d'échelle et de mieux résister aux baisses tarifaires, qu'absorbent plus difficilement les opérateurs indépendants.

L'offre de soins représente, de plus, un investissement sûr, du fait de l'accroissement continu de la demande en soins et du haut niveau de socialisation de la dépense. Investir dans la santé répond, ainsi, à une logique de diversification des portefeuilles des acteurs financiers.

2. Un processus favorisé par le cadre de régulation

Les assouplissements successifs du cadre juridique ont favorisé la financiarisation en permettant à des investisseurs n'exerçant pas au sein des sociétés d'exercice libéral (SEL) d'entrer au capital. La réglementation autorise, ainsi, l'ouverture du capital des SEL de médecins et de sages-femmes à toute personne physique ou morale, exerçant ou non dans la société, dans la limite de 25 %.

Part minimale détenue
par les professionnels

Part maximale détenue
par des tiers non professionnels

 
 

La régulation des dépenses a également pu constituer un facteur propice au développement de la financiarisation, dans un contexte de déficit récurrent de la branche maladie. Dans la biologie médicale, des protocoles d'accord successifs ont permis, par une régulation couplée des prix et des volumes, de contenir la croissance annuelle des dépenses à 0,9 % entre 2014 et 2021. Cette régulation, permise par les gains de productivité réalisés par les groupes de laboratoires, favorise en retour une poursuite de la concentration du secteur en fragilisant les structures indépendantes.

Les exigences de qualité des soins et les procédures visant à contrôler leur bonne application peuvent également constituer des facteurs de financiarisation. L'obligation d'accréditation mise en place par l'ordonnance « Ballereau » de 2010, qui s'est avérée coûteuse pour les laboratoires, a ainsi constitué une incitation puissante à leur regroupement.

Enfin, les aspirations des professionnels de santé à des modalités de travail collectives et à un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée ont pu constituer un facteur favorable au développement de structures financiarisées, en encourageant le regroupement des professionnels ou en les déchargeant de tâches administratives et de gestion.

C. DES EFFETS SUR LE SYSTÈME DE SANTÉ MAL ÉVALUÉS ET PEU MAÎTRISÉS

1. Des effets équivoques sur la régulation des dépenses de santé et la structuration de l'offre de soins dans les territoires

La financiarisation soutient l'accélération du processus de concentration de l'offre de soins. Il en résulte des situations d'oligopoles régionaux ou de quasi-monopoles, que l'Autorité de la concurrence a été amenée à souligner en pointant à plusieurs reprises un risque de réduction de la diversité de l'offre dans certains territoires.

Par ailleurs, elle fait craindre un amoindrissement du pouvoir de négociation des régulateurs - assurance maladie et ARS - face à des groupes puissants. Ainsi, les négociations du dernier protocole d'accord fixant le cadre d'évolution des tarifs pour 2024-2026 pour la biologie médicale ont été perturbées par un positionnement ambigu des syndicats, soumis à la pression des groupes pour que la profession s'oppose aux baisses de tarifs envisagées par l'assurance maladie.

Pour la Cnam, « la financiarisation entraîne nécessairement une modification de la structure de l'offre de soins, de sa représentation et donc de l'efficacité des outils de dialogue et de régulation. »

La financiarisation conduit donc à s'interroger sur la capacité des autorités de tutelle à contrôler le développement d'une offre financiarisée dans le respect des critères d'accessibilité, de qualité et de pertinence des soins, et à récupérer une partie des gains de productivité générés. Ses effets sur la régulation des dépenses de santé demeurent toutefois insuffisamment objectivés.

2. Un risque sérieux pour l'indépendance des professionnels de santé

L'indépendance professionnelle constitue un principe déontologique applicable à l'ensemble des professionnels de santé dotés d'un ordre. Elle doit conduire ces derniers à déterminer, en conscience, leurs actes professionnels dans le seul l'intérêt du patient.

L'exercice au sein de sociétés des professionnels de santé ne doit pas avoir pour conséquence de priver ces derniers de leur indépendance professionnelle. Afin que le respect de cet interdit puisse être contrôlé, les statuts de la société comme les conventions relatives à son fonctionnement, doivent être communiqués aux ordres professionnels concernés.

Malgré ces protections, les ordres ont souligné leurs inquiétudes quant au respect du principe d'indépendance dans certaines SEL, liées à la complexité des montages juridiques observés. L'influence des acteurs financiers au sein de la société peut, en effet, se trouver augmentée par :

- des actions de préférence distinguant le pourcentage de capital détenu, les droits de vote et les droits financiers attachés ;

- des clauses statutaires ou extra-statutaires, rendant incontournable la voix des investisseurs financiers dans la prise de décisions stratégiques.

Exemples de clauses renforçant l'influence des acteurs financiers dans les SEL

« Le Président est désigné, renouvelé ou remplacé par décision des associés (...), sur proposition des titulaires d'actions ordinaires », les actions ordinaires étant détenues intégralement par le tiers investisseur.

« Les décisions collectives sont adoptées à la majorité des quatre cinquièmes (4/5e) des voix des associés présents ou représentés... », empêchant les associés exerçants de contrôler la société.

II. ADAPTER LES OUTILS DE RÉGULATION ÉCONOMIQUE ET TERRITORIALE DE L'OFFRE DE SOINS

A. ASSURER UNE JUSTE RÉPARTITION DE L'OFFRE DANS LES TERRITOIRES

1. Garantir l'accessibilité de l'offre

Les rapporteurs jugent nécessaire de construire une régulation de l'offre adaptée au risque de financiarisation, en concertation avec les professionnels de santé et les collectivités territoriales.

Les professionnels de santé peuvent être force de proposition pour définir les conditions d'un système plus équilibré. L'inscription dans le cadre conventionnel d'un dispositif de conventionnement sélectif visant les chirurgiens-dentistes, pour lutter contre le développement des centres dentaires dans les coeurs de ville, en est une illustration.

En outre, les rapporteurs soulignent la nécessité, pour construire des équilibres territoriaux pérennes, de renforcer la régulation de l'offre par les ARS en s'appuyant sur les autorisations d'activités de soins et d'équipements matériels lourds. Cela suppose d'ajuster les critères décisionnels justifiant leur délivrance aux opérateurs et de décliner la notion de territorialité de l'offre sous forme d'engagements opposables aux acteurs.

Propositions :

• Renforcer le dialogue entre les ARS et les élus locaux concernés, notamment les maires, et lutter contre l'implantation d'une offre non pertinente au regard des besoins de santé.

• Mobiliser les autorisations d'activités de soins et d'équipements matériels lourds, levier à la disposition des ARS, pour assurer un meilleur équilibre territorial de l'offre.

2. Veiller à la pertinence de l'offre

De nombreux acteurs, dont la Cnam, soulignent que la financiarisation s'accompagne d'un risque d'aggravation des biais de sélection d'activités. Ces biais, induits par la régulation tarifaire, conduisent les acteurs du secteur lucratif à se positionner préférentiellement sur certains segments de l'offre, en établissement et en ville. La révision régulière des échelles tarifaires doit permettre de lutter contre ces distorsions.

Dans le champ de la biologie médicale, l'optimisation de la chaîne d'analyse avec l'abandon progressif des sites analytiques de proximité au profit de sites pré-analytiques, semble avoir engendré une détérioration de la qualité du service rendu au patient (ex : horaires d'ouverture des laboratoires, délais de rendu des analyses...).

Enfin, les rapporteurs considèrent qu'il existe un risque non négligeable de détournement de l'objet non lucratif des centres de soins primaires polyvalents. Ils relèvent que plusieurs facteurs invitent à anticiper les évolutions d'un secteur qui connaît des prémices de financiarisation, justifiant un droit de regard de l'ARS sur les conditions de leur développement.

Propositions :

• Augmenter le nombre de sites de biologie médicale analytiques de proximité et définir par arrêté une liste minimale d'examens à réaliser sur chaque site de biologie médicale.

• Sur le modèle des centres dentaires et ophtalmologiques, conditionner l'ouverture des centres de soins primaires à un agrément.

B. FAIRE DE LA RÉGULATION ÉCONOMIQUE DU SYSTÈME DE SANTÉ UN OUTIL DE MAÎTRISE DE LA FINANCIARISATION

1. Améliorer l'outil conventionnel et le modèle de financement hospitalier

Baisses de tarifs dans la biologie médicale entre 2014 et 2021

 

S'il apparaît légitime que le régulateur tienne compte, dans la fixation des tarifs applicables, des gains de productivité et des taux de marge observés chez les grands opérateurs financiarisés, il demeure toutefois indispensable qu'il veille à préserver des conditions économiques favorables à la survie des structures indépendantes. C'est pourquoi les rapporteurs souhaitent faire figurer la protection de l'indépendance des professionnels parmi les objectifs légaux des conventions professionnelles.

Dans le secteur hospitalier comme en ambulatoire, une meilleure valorisation de la qualité et de la pertinence des soins devrait également permettre d'orienter l'activité des structures, financiarisées ou non, vers les priorités de santé publique en rémunérant plus équitablement les professionnels.

Propositions :

• Renforcer la rémunération sur des critères de qualité et de pertinence dans les tarifs hospitaliers et dans les conventions professionnelles. Soutenir, en ville, l'émergence de modèles alternatifs de financement, favorisant les innovations organisationnelles.

• Veiller à ce que les tarifs conventionnels négociés permettent la viabilité financière des structures indépendantes et faire figurer dans les objectifs légaux des conventions professionnelles celui de la protection de l'indépendance des professionnels de santé.

2. Renforcer les capacités de contrôle et de suivi de l'activité des centres de santé

Les moyens de contrôle sur l'activité des centres de santé ont, depuis 2018, été progressivement renforcés. La loi « Khattabi » de 2023 a, notamment, rétabli l'obligation d'agrément des centres dentaires, ophtalmologiques et orthoptiques et prévu que les professionnels exerçant dans des centres devaient pouvoir être identifiés par un numéro personnel.

Le contrôle exercé sur l'activité des centres semble, corollairement, gagner en efficacité mais demeure perfectible. En 2023, l'assurance maladie indique avoir détecté et évité 58 millions d'euros de fraudes réalisées par les centres de santé, contre près de 7 millions d'euros en 2022. Entre 2021 et 2023, 200 centres de santé ont été contrôlés, qui ne représentent toutefois qu'environ 8 % des près de 2 500 centres recensés.

Campagne de contrôle des centres de santé par la Cnam (2021-2023)

Nombre de centres contrôlés

 

Nombre de centres déconventionnés

 

Proposition : Renforcer la politique de contrôle de l'activité des centres de santé et sécuriser le dispositif de facturation des actes par les centres de santé à l'assurance maladie en identifiant individuellement les prescripteurs, conformément à la loi.

III. GARANTIR L'INDÉPENDANCE DES PROFESSIONNELS DE SANTÉ

A. MIEUX ENCADRER LE CAPITAL ET LA GOUVERNANCE DES SOCIÉTÉS

1. Assurer l'effectivité des règles existantes

L'encadrement des conditions de détention du capital et des droits de vote d'une SEL est nécessaire à la protection de l'indépendance des professionnels de santé.

Les mécanismes de contournements, puisés dans le droit des sociétés, sont pourtant nombreux et largement mis à profit par les acteurs financiers : règles de majorité qualifiées pour contrôler la prise de décision, recours au système d'actions de préférence, etc.

Les rapporteurs appellent donc de leurs voeux une évolution du cadre législatif pour mieux maîtriser l'influence des acteurs financiers non professionnels au sein des SEL. Ils plaident également pour qu'une réflexion portant sur un encadrement plus strict des détournements du système des actions de préférence soit conduite. De telles dispositions prolongeraient utilement l'ordonnance du 8 février 2023, entrée en vigueur le 1er septembre 2024.

Propositions :

• Compléter les dispositions législatives et réglementaires encadrant la détention des droits sociaux et des droits de vote au sein des SEL, pour mieux protéger le pouvoir décisionnel des professionnels de santé.

• Mettre fin aux détournements du système des actions de préférence appliqué aux SEL des professions de santé.

2. Encadrer plus strictement l'intervention des acteurs financiers

Les rapporteurs constatent que la financiarisation comporte un risque de volatilité des capitaux et fait peser sur les offreurs de soins la menace d'un retrait des investisseurs.

Le recours à des capitaux extérieurs pour concourir au financement du système de santé doit s'inscrire dans un cadre qui présente des garanties de durabilité et/ou de réinvestissement. Un encadrement législatif plus strict permettrait en outre d'éviter les phénomènes de bulle spéculative qui peuvent se manifester sur des marchés à forte croissance. L'objectif n'est donc pas de décourager les investissements mais de les inscrire dans un cadre régulé et déontologique.

Proposition : Empêcher les investissements purement spéculatifs et prévenir le retrait non anticipé de capitaux, par exemple en fixant une durée minimale d'investissement dans le capital des SEL.

B. ARMER LES PROFESSIONNELS DE SANTÉ

1. Mieux former les étudiants à la diversité de leurs modes d'exercice

Modes d'exercice
des nouveaux inscrits

 

En 2018, seuls 12 % des nouveaux inscrits à l'Ordre des médecins choisissaient de s'installer en libéral contre 62 % s'orientant vers le salariat. Cette évolution témoigne d'un changement dans les aspirations de la nouvelle génération.

Les rapporteurs ont néanmoins été sensibilisés à deux constats : d'une part, le salariat et l'exercice libéral font l'objet de représentations qui, confrontées à l'épreuve des faits, ne sont pas toujours vérifiées ; d'autre part, les études de médecine, centrées sur la clinique, ne préparent pas les jeunes professionnels à la réalité de leurs conditions d'exercice. La revitalisation de l'exercice libéral indépendant exige, en conséquence, de former les étudiants et jeunes médecins à la gestion d'une structure de type SEL.

Source : enquête Cnom 2019 sur les déterminants à l'installation.

Proposition : Former les étudiants et les jeunes professionnels de santé à la gestion des structures de soins.

2. Soutenir la consolidation d'une offre diversifiée et indépendante

L'ampleur de la financiarisation se révèle très inégale selon les secteurs, de même que la capacité des acteurs non financiarisés à y résister. Dans ce contexte, les rapporteurs insistent sur la nécessité de consolider une offre indépendante, attachée à la proximité entre la gouvernance des structures de santé et leur territoire d'implantation. Ils relèvent notamment :

- que le modèle des cliniques indépendantes, loin d'être isolé, résiste à la financiarisation et défend une gouvernance locale, ancrée dans les territoires ;

- enfin, que le relatif succès des structures d'exercice coordonné (MSP, CPTS) confirme l'opportunité de positionner les acteurs du territoire en responsabilité pour organiser l'accès aux soins primaires.

Au-delà, compte tenu des difficultés rencontrées par les jeunes professionnels pour financer leur installation ou leur activité, les rapporteurs jugent nécessaire de favoriser l'émergence de modes de financement respectueux de l'indépendance des professionnels et complémentaires du financement bancaire lorsque celui-ci ne répond pas à l'ensemble des besoins.

Propositions :

• Favoriser la constitution d'apports bancaires et l'accès à des modes de financement respectueux de l'indépendance professionnelle.

• Soutenir les professionnels de santé et les acteurs locaux, notamment les collectivités territoriales, dans la consolidation d'une offre de soins indépendante et diversifiée.

C. RENFORCER LE CONTRÔLE DU PRINCIPE D'INDÉPENDANCE

1. Donner toute sa portée au principe d'indépendance professionnelle

Consacré par les codes de déontologie des professions de santé, le principe d'indépendance conserve toutefois une portée incertaine rendant malaisée sa protection par les ordres. S'inspirant de jurisprudences récentes du Conseil d'État visant la profession vétérinaire, les rapporteurs jugent souhaitable de préciser dans le droit que le principe d'indépendance fait obstacle, notamment, à toute clause statutaire ou extra-statutaire ayant pour effet de priver les professionnels exerçants d'un contrôle effectif sur une société d'exercice.

Afin de favoriser une plus grande sécurité juridique, la portée concrète du principe d'indépendance sur la gouvernance et le fonctionnement des SEL pourrait être définie dans une doctrine d'emploi, établie après concertation avec l'ensemble des acteurs concernés sous la coordination du ministère chargé de la santé.

Propositions :

 Renforcer le contrôle ordinal et juridictionnel, en consacrant dans la loi la notion de « contrôle effectif » sur les sociétés des professionnels y exerçant. Préciser la portée du principe d'indépendance sur les conditions de gouvernance des structures de soins.

• Établir, avec les ordres, les sociétés et les syndicats de professionnels de santé, une doctrine claire concernant les modalités de fonctionnement des SEL pour s'assurer que les professionnels exerçants disposent du contrôle effectif des sociétés d'exercice.

2. Renforcer le contrôle ordinal et juridictionnel du principe d'indépendance

Afin de permettre un contrôle effectif du respect du principe d'indépendance, la liste des documents devant être transmis aux ordres par les SEL doit être complétée et adaptée aux montages constatés. Les rapporteurs jugent également souhaitable d'interdire toute clause contractuelle soumettant la transmission de documents à une autorisation préalable de la société ou de l'investisseur minoritaire.

Surtout, les rapporteurs constatent qu'il est difficile aux ordres professionnels, et plus encore à chacun de leurs conseils départementaux, de développer un niveau d'expertise suffisant pour prétendre analyser l'ensemble des pièces transmises et des montages sous-jacents. Ils proposent, en conséquence, la constitution de cellules d'appui au niveau régional, croisant les expertises ministérielles et appuyant les ordres dans leur travail de contrôle.

Propositions :

• Adapter le périmètre des documents devant être transmis aux ordres, à l'issue d'une concertation. Interdire toute clause soumettant la transmission de documents contractuels aux ordres professionnels à l'accord préalable de l'investisseur.

• Constituer des cellules régionales d'appui aux ordres professionnels pour l'examen des statuts des SEL, croisant les compétences des DRFIP, des Dreets et des ARS.

Réunie le mercredi 25 septembre 2024, sous la présidence de M. Philippe Mouiller, la commission des affaires sociales a adopté, à l'unanimité, le rapport et les recommandations présentés par Mme Corinne Imbert, MM. Olivier Henno et Bernard Jomier, rapporteurs, et en a autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information.

LISTE DES PRINCIPALES PROPOSITIONS

___________

ADAPTER LA RÉGULATION ÉCONOMIQUE DE L'OFFRE DE SOINS POUR MAINTENIR UN SYSTÈME ÉQUITABLE

Proposition n° 1

Favoriser la constitution d'apports bancaires et l'accès à des modes de financement respectueux de l'indépendance professionnelle, sur le modèle des services offerts par la Caisse d'assurance vieillesse des pharmaciens, les syndicats représentatifs des pharmaciens d'officine ou les grossistes-répartiteurs.

Proposition n° 2

Renforcer la rémunération sur des critères de qualité et de pertinence dans les tarifs hospitaliers et dans les conventions professionnelles. Soutenir, en ville, l'émergence de modèles alternatifs de financement, favorisant les innovations organisationnelles et le travail en équipe.

Proposition n° 4

Veiller à ce que les tarifs conventionnels négociés permettent la viabilité financière des structures indépendantes et faire figurer dans les objectifs légaux des conventions professionnelles celui de la protection de l'indépendance des professionnels de santé.

Proposition n° 3

Renforcer la politique de contrôle de l'activité des centres de santé. Sécuriser le dispositif de facturation des actes par les centres de santé à l'assurance maladie, en identifiant individuellement les prescripteurs conformément à la loi.

   

MAÎTRISER LES CONSÉQUENCES DE LA FINANCIARISATION SUR L'ORGANISATION TERRITORIALE DE L'OFFRE DE SOINS

Proposition n° 5

Renforcer le dialogue entre les agences régionales de santé (ARS) et les élus locaux concernés, notamment les maires, et lutter contre l'implantation d'une offre non pertinente au regard des besoins de santé.

Proposition n° 6

Mobiliser les autorisations d'activités de soins et d'équipements matériels lourds, levier à la disposition des ARS, pour assurer un meilleur équilibre territorial de l'offre.

Dans le secteur de la biologie médicale, assurer une application effective des règles de territorialité de l'offre.

Proposition n° 7

Réviser régulièrement les tarifs hospitaliers et conventionnels pour lutter contre les effets de sélection engendrant des déséquilibres de l'offre de soins.

Proposition n° 8

Augmenter le nombre de sites de biologie médicale analytiques de proximité et définir par arrêté une liste minimale d'examens à réaliser sur chaque site de biologie médicale.

Proposition n° 9

Sur le modèle des centres dentaires et ophtalmologiques, conditionner l'ouverture des centres de soins primaires à un agrément.

GARANTIR L'INDÉPENDANCE DES PROFESSIONNELS DE SANTÉ ET PROTÉGER LEURS CONDITIONS D'EXERCICE

Proposition n° 10

Compléter les dispositions législatives et réglementaires encadrant la détention des droits sociaux et des droits de vote au sein des sociétés d'exercice libéral (SEL), pour mieux protéger le pouvoir décisionnel des professionnels de santé.

Proposition n° 11

Mettre fin aux détournements du système des actions de préférence appliqué aux SEL des professions de santé.

Proposition n° 12

Empêcher les investissements purement spéculatifs et prévenir le retrait non anticipé de capitaux, par exemple en fixant une durée minimale d'investissement dans le capital des SEL.

Proposition n° 13

Former les étudiants et les jeunes professionnels de santé à la gestion des structures de soins.

Proposition n° 14

Soutenir les professionnels de santé et les acteurs locaux, notamment les collectivités territoriales, dans la consolidation d'une offre de soins indépendante et diversifiée.

Proposition n° 15

Renforcer le contrôle ordinal et juridictionnel, en consacrant dans la loi la notion de « contrôle effectif » sur les sociétés des professionnels y exerçant.

Proposition n° 16

Établir, avec les ordres professionnels, les sociétés et les syndicats de professionnels de santé, une doctrine claire concernant les modalités de fonctionnement à respecter pour s'assurer que les professionnels exerçants disposent du contrôle effectif des sociétés d'exercice.

Proposition n° 17

Adapter le périmètre des documents devant être transmis aux ordres, à l'issue d'une concertation avec les ordres, les sociétés et les syndicats de professionnels de santé concernés.

Interdire toute clause soumettant la transmission de documents contractuels aux ordres professionnels à l'accord préalable de l'investisseur.

Proposition n° 18

Constituer des cellules régionales d'appui aux ordres professionnels pour l'examen des statuts des sociétés d'exercice, croisant les compétences des directions générales des finances publiques (DRFiP), des directions régionales de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (Dreets) et des ARS.

LISTE DES SIGLES

___________

A

 

ARS

Agence régionale de santé

APBM

Association pour le Progrès de la Biologie Médicale

B

 

Baiia

Bénéfice avant intérêts, impôts et amortissements

Bpifrance

Banque publique d'investissement

C

 

CDOM

Conseil départemental de l'ordre des médecins

CJUE

Cour de justice de l'Union européenne

Cnam

Caisse nationale d'assurance maladie

Cnom

Conseil national de l'ordre des médecins

Corail

Collectif pour une radiologie libre et indépendante

CPOM

Contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens

CPTS

Communauté professionnelle territoriale de santé

CSBM

Consommation de soins et de biens médicaux

CSP

Code de la santé publique

CSS

Complémentaire santé solidaire

D

 

DCSi

Dépense courant de santé au sens international

DGE

Direction générale des entreprises

DGOS

Direction générale de l'offre de soins

Drees

Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques

E

 

EBE

Excédent brut d'exploitation

Ebitda

Earnings before interest, taxes, depreciation, and amortization

ECBU

Examen cytobactériologique des urines

F

 

FHP

Fédération de l'hospitalisation privée

FNMR

Fédération nationale des médecins radiologues

G

 

GHT

Groupement hospitalier de territoire

GIE

Groupement d'intérêt économique

H

 

HPST (loi)

Hôpital, patients, santé, territoires

L

 

LBI

Les biologistes indépendants (syndicat)

LBM

Laboratoire de biologie médicale

LBO

Leverage buy-out

LFSS

Loi de financement de la sécurité sociale

M

 

MCO 

Médecine chirurgie obstétrique

MSP

Maison de santé pluriprofessionnelle

MVZ

Medizinische Versorgungszentren (centres de santé allemands)

O

 

OCDE

Organisation de coopération et de développement économiques

Ondam

Objectif national de dépenses d'assurance maladie

P

 

PIB

Produit intérieur brut

PRS

Projet régional de santé

R

 

Radian

Réseau pour une approche durable et indépendante de l'activité nucléaire

S

 

SAS

Société par actions simplifiée

SARL

Société à responsabilité limitée

SEL

Société d'exercice libéral

SFDR

Sustainable Finance Disclosure Regulation

SPFPL

Société de participations financières des professionnels libéraux

T

 

T2A

Tarification à l'activité

U

 

UE

Union européenne

UNIR

Union nationale des internes et jeunes radiologues

URPS

Union régionale des professionnels de santé

INTRODUCTION : LA FINANCIARISATION DE L'OFFRE DE SOINS, UN ENJEU NOUVEAU DANS LE DÉBAT PUBLIC

La financiarisation du système de santé est devenue un objet de débat public et un sujet d'attention des décideurs politiques. L'accélération des opérations de consolidation financière et capitalistique dans lesquelles sont engagés les opérateurs du soin est en effet porteuse d'enjeux multiples et complexes pour le système de santé, dont les autorités publiques commencent seulement à s'emparer.

Souvent associée à la marchandisation de la santé et à la privatisation du secteur, la financiarisation se distingue pourtant de chacune de ces notions. Elle désigne un processus par lequel des acteurs privés capables d'investir de manière significative, qui ne sont pas directement professionnels de santé, entrent dans le secteur des soins avec comme finalité première de rémunérer l'investissement consenti1(*).

Dans un contexte budgétaire contraint où le poids de la dépense de santé ne cesse d'augmenter, la financiarisation peut apparaître comme une réponse nouvelle aux besoins d'investissement et de financement du système de santé. Pour les investisseurs, le secteur de l'offre de soins représente un marché à la fois rentable et sûr, en raison de la croissance continue de la demande de soins et d'un financement largement garanti par la puissance publique. La financiarisation ne s'inscrit pas uniquement dans un horizon temporel de court ou moyen terme, la diversification des stratégies d'investissement pouvant conduire à poursuivre y compris des objectifs de long terme.

La financiarisation caractérise une transformation profonde du modèle d'organisation de l'offre de soins, d'un capitalisme dit « professionnel » dans lequel les professionnels de santé conservent la maîtrise des moyens de production et de l'évolution des cabinets et des cliniques, vers un capitalisme financiarisé où les investisseurs extérieurs prennent le contrôle financier et stratégique des sociétés. La financiarisation caractérise ainsi un transfert progressif de la propriété des moyens de production du soin à des acteurs financiers non professionnels qui acquièrent une influence grandissante dans la gouvernance des structures de soins. Elle s'appuie par ailleurs sur un mouvement de concentration de l'offre, particulièrement avancé dans le secteur de l'hospitalisation privée à but lucratif mais aussi, de manière plus récente, dans celui de la biologie médicale de ville.

Mesurée à l'aune des investissements financiers réalisés ces dernières années, la progression du phénomène est une réalité indéniable. L'accélération des opérations de fusions et acquisitions impliquant les acteurs du capital investissement dans le secteur des prestations de soins, en France et en Europe, est sensible depuis le début des années 20002(*). En France, entre 2014 et 2023, la santé est le troisième secteur ciblé par les acteurs du capital-investissement - toutes activités confondues3(*) - avec 18 % des montants investis pour un montant total cumulé d'environ 30 milliards d'euros, derrière l'industrie (26 % des montants investis) et le secteur des biens et services de consommation (22 %). Si l'offre de soins ne représente qu'à peine un cinquième du montant des investissement dans le secteur de la santé contre près des deux tiers (60 %) dans les sous-secteurs du matériel médical, des produits pharmaceutiques et des biotechnologies, segments d'activités plus rémunérateurs, la dynamique constatée témoigne de l'intérêt croissant des investisseurs.

D'abord concentrée sur les cliniques privées et les établissements médico-sociaux, la financiarisation s'étend désormais, en ville, à de nouveaux champs de l'offre et renforce son emprise dans des secteurs qui présentent des perspectives de rentabilité élevée. Le poids des investissements dans les laboratoires de biologie médicale s'est ainsi nettement renforcé à compter de 2018 ainsi que, plus récemment, dans les cabinets spécialisés et notamment, les cabinets d'imagerie et les centres de soins dentaires.

Le thème de la financiarisation de l'offre de soins tend à véhiculer des représentations idéologiques et des a priori souvent péjoratifs. Le terme, empreint d'une connotation négative dans le débat public, est contesté par des groupes financiarisés qui lui préfèrent d'autres formules : investissements financiers nécessaires au soutien de l'offre, consolidation financière, etc. La pénétration du secteur de la santé par des logiques financières s'accompagne d'un vocabulaire technique et de dispositifs juridiques et financiers relevant du droit des sociétés, auxquels les professionnels de santé et les autorités de régulation du champ sanitaire sont peu accoutumés.

Complexe et protéiforme, la financiarisation demeure mal appréhendée et suscite des craintes d'autant plus fortes que le phénomène semble échapper à toute supervision et à tout contrôle. Le risque d'une ingérence non régulée d'intérêts financiers déconnectés des enjeux de santé publique a par exemple conduit le conseil national de l'ordre des médecins (Cnom) à prendre une position forte appelant à l'arrêt total du processus de financiarisation4(*). Plus largement, des voix s'élèvent dans la sphère médiatique pour dénoncer un risque de « socialisation des risques » et de « privatisation des profits »5(*).

Tout en soulignant les risques qu'elle induit, l'assurance maladie constate que la financiarisation peut « parfois servir ou accélérer l'atteinte d'objectifs des politiques publiques, lorsque celles-ci nécessitent des investissements ou des restructurations importantes, à travers l'apport de capital privé dans le système de santé. Dans ce cas, qui n'est pas nécessairement le plus fréquent, si l'objectif final des acteurs financiers demeure la rémunération du capital investi, il peut être aligné de manière temporaire ou durable avec ces objectifs des politiques publiques et constituer un levier pour ces dernières. »6(*)

L'objectif à valeur constitutionnelle de protection de la santé publique comme le haut niveau de socialisation des dépenses justifient que la santé demeure un secteur commercial protégé, soumis à un encadrement de ses tarifs et à une régulation spécifique de ses activités. Or la financiarisation induit aujourd'hui des transformations profondes du paysage de l'offre de soins que les autorités sanitaires ne semblent pas en capacité de réguler. Elle modifie les rapports qu'entretiennent les acteurs, notamment dans le dialogue conventionnel avec l'assurance maladie, de même que les conditions de réalisation du soin pour les usagers. Elle conduit à s'interroger sur les modalités de régulation des dépenses de santé et la capacité à maîtriser la configuration de l'offre dans les territoires au regard des objectifs d'accès aux soins, de qualité et de pertinence des soins. La financiarisation vient ainsi percuter le principe d'indépendance des professionnels et l'équilibre de la gouvernance du système de santé.

Compte tenu de ces enjeux, la présente mission s'est attachée à dresser le bilan d'un phénomène qui s'étend et se renforce, mais revêt des formes hétérogènes selon les secteurs de l'offre concernée. Elle a examiné la diversité des déterminants qui contribuent à soutenir le phénomène de financiarisation, émanant tant des acteurs financiers que des régulateurs et des professionnels de santé. Enfin, elle s'est efforcée d'en objectiver les conséquences sur le coût et l'organisation des soins d'une part, sur les conditions d'exercice et de prise en charge des patients d'autre part.

Sur la base de ce diagnostic, eu égard aux risques avérés que comporte une financiarisation non maîtrisée pour les conditions d'exercice des professionnels de santé, l'organisation et la qualité des soins, les rapporteurs de la mission ont formulé 18 recommandations visant à la fois à réguler la financiarisation des structures de soins et à limiter ses conséquences indésirables. Ils jugent nécessaire la définition d'un cadre permettant de garantir la primauté des objectifs de santé publique sur les enjeux financiers.

PREMIÈRE PARTIE : UN PHÉNOMÈNE EN PROGRESSION MAIS ENCORE MAL APPRÉHENDÉ

I. UNE FINANCIARISATION CROISSANTE ALIMENTÉE PAR DES DÉTERMINANTS PUISSANTS

A. UN PHÉNOMÈNE PROTÉIFORME QUI S'ÉTEND À PLUSIEURS SECTEURS DE L'OFFRE DE SOINS

1. La financiarisation accomplie du secteur privé hospitalier et de la biologie médicale
a) Le secteur privé hospitalier : une financiarisation ancienne

· Dans le champ sanitaire, le secteur de l'hospitalisation privée à but lucratif a été l'un des premiers concernés par la financiarisation.

Si l'on constate une pénétration du marché des établissements privés de santé et médico-sociaux7(*) par des capitaux financiers dès les années 1990, la financiarisation du secteur hospitalier privé en France se développe véritablement au cours des années 2000. Elle se manifeste par l'intervention de fonds d'investissement dans le capital des groupes et par la réalisation d'opérations de fusions-acquisitions servant des stratégies de croissance externe. Ce nouveau modèle de financement a progressivement imprégné le secteur en parallèle du processus de concentration des cliniques au sein de grands groupes privés, modifiant profondément le paysage de l'offre sanitaire privée8(*).

Quatre groupes concentrent aujourd'hui une part prépondérante du marché français de l'hospitalisation privée à but lucratif. Ramsay Santé, Elsan, Vivalto et Amalviva détiennent ainsi pas moins de 40 % de l'offre du secteur9(*), qui représente lui-même 25 % du capacitaire des établissements de santé10(*).

· La construction du groupe Ramsay Santé illustre ce mouvement au travers d'une succession d'opérations d'acquisitions.

Dès 1997, la Compagnie générale de santé qui compte alors 98 établissements en France est vendue par la Générale des eaux au fonds d'investissement britannique Cinven spécialisé dans le rachat de sociétés. En parallèle, l'alliance de deux investisseurs partenaires, Ramsay Health Care et le Crédit Agricole, conduit en 2010 à l'émergence du groupe Ramsay Santé qui s'impose dès 2014 comme le leader de l'hospitalisation privée en France grâce au rachat de la Générale de santé. Quatre ans plus tard, il devient le premier opérateur du secteur en Europe grâce au rachat du groupe Capio, présent sur le territoire français depuis 2006 et dans plusieurs pays européens11(*).

Suivant une logique d'implantation territoriale favorisant la concentration géographique des établissements et la structuration de filières de soins complètes, Ramsay Santé abandonne progressivement certains pans d'activité tels que les laboratoires de biologie médicale ou les services à domicile pour se recentrer dans le champ de l'hospitalisation en médecine, chirurgie et obstétrique (MCO), en soins médicaux et de réadaptation, en imagerie et en santé mentale.

Aujourd'hui, le groupe entend poursuivre son développement en investissant dans les centres de santé, identifiés comme de nouveaux relais de croissance en amont de l'hospitalisation. À l'instar d'autres grands groupes d'hospitalisation à but lucratif comme Vivalto, Ramsay Santé suit également une stratégie d'internationalisation en étant présent dans cinq pays - France, Italie, Suède, Norvège, Danemark. En France, il est principalement implanté en Île-de-France, dans la région lilloise, autour des métropoles de Lyon, Marseille, Toulouse et dans les Pyrénées-Atlantiques.

· Ramsay Santé, Elsan, Vivalto et Amalviva comptent parmi leurs principaux actionnaires des fonds d'investissement privés. Mais loin de constituer un bloc monolithique, ils affichent des modèles économiques et des structures actionnariales différents.

Cartes des implantations en Europe des établissements
de Ramsay Santé (à gauche) et Vivalto (à droite)

 
 

Établissements de santé de Ramsay Santé : 125 en France, 97 en Suède, 13 en Norvège, 6 au Danemark12(*).

Établissements de santé de Vivalto : 53 en France, 15 au Portugal, 12 en Espagne, 14 en Slovaquie, 3 en Tchéquie et 3 en Suisse13(*).

Sources : Ramsay Santé et Vivalto

Alors que Ramsay Santé dépend de deux grands investisseurs (cf. supra), le groupe Vivalto, qui rassemble 100 établissements en Europe dont 53 en France, revendique un modèle qui constituerait une « troisième voie » caractérisée par un actionnariat élargi aux médecins et aux salariés. Un tiers des praticiens en exercice sont en effet actionnaires du groupe, aux côtés de Vivalto Partners, société de gestion créée en 2021 par le fondateur du groupe, qui se positionne comme actionnaire majoritaire. La société dispose, avec un panel d'autres investisseurs (MACSF, Crédit Mutuel-Arkéa Capital, BNP Paribas Développement, le Crédit Agricole, Mubadala Capital, Bpifrance, IK Partners et Hayfin), de 68 % des parts du groupe14(*).

Comme son homologue Ramsay Santé, Vivalto se développe à l'international, à compter de 2022, par l'acquisition de structures de santé en Suisse, au Portugal, en Espagne, en Slovaquie et en Tchéquie. Le développement de son implantation européenne lui a permis de doubler le montant de son chiffre d'affaires.

Présentation du groupe Ramsay Santé

C'est en 2010 que naît Ramsay Santé en France, suite au rachat de huit cliniques privées par le groupe australien Ramsay Health Care, en partenariat avec le Crédit Agricole. La fusion en 2015 de Ramsay Santé avec la Générale de Santé, groupe créé par la Compagnie générale des eaux en 1987 et leader de l'hospitalisation privée en France au moment du rachat, aboutit à la création de Ramsay Générale de Santé. Pour mener à bien cette opération, Ramsay Health Care s'associe une nouvelle fois au Crédit Agricole (filiale Predica), rachetant plus de 83 % du capital de la Générale de santé, le reste étant acquis par son partenaire Predica.

Avec le rachat en 2018 du groupe Capio, implanté notamment en Suède, Ramsay Générale de Santé devient aussi le premier acteur de l'hospitalisation privée en Europe et acquiert le nom de Ramsay Santé.

Aujourd'hui, l'actionnariat de Ramsay Santé est composé de deux investisseurs principaux : le groupe Ramsay Health Care, qui possède 52,79 % du capital, et Prédica, filiale assurance du groupe Crédit Agricole, qui en détient 39,82 %. Les actions Ramsay Générale de Santé sont cotées en bourse depuis 200115(*).

Signe de l'intérêt toujours vif des acteurs du capital-investissement pour le secteur sanitaire, en 2022, le fonds d'investissement américain KKR est entré en discussion avec Ramsay Santé et Ramsay Health Care pour un projet de rachat du groupe australien. Malgré le dépôt d'une offre indicative de 14 milliards d'euros, le projet n'aboutira pas en raison du retrait de l'offre16(*).

La financiarisation du marché de l'hospitalisation privée à but lucratif est régulièrement décrite comme globalement achevée. Pourtant, les mouvements observés ces dernières années témoignent d'une accélération des opérations de rachat et de fusions-acquisitions, notamment par effet de levier (ou « leverage buy-out », LBO), qui indiquent une poursuite de la concentration de l'offre soutenue par la financiarisation.

Le cas du groupe Elsan, qui a connu en quelques années un développement fulgurant, démontre que la structure de ce marché demeure évolutive. Né en 2015 du rachat de Vitalia par le fonds CVC Capital Partners fusionné avec Vedici, Elsan a étendu ses activités en procédant à d'importantes acquisitions successives d'établissements hospitaliers. Grâce au rachat en 2017 de MédiPôle Partenaires, troisième groupe privé de cliniques en France, il devient le deuxième groupe d'hospitalisation privée à but lucratif en France. Il acquiert ensuite Hexagone Santé Méditerranée en 2020 puis C2S en 2021, groupe de 17 établissements comptant 2 300 lits, racheté au fonds Eurazeo pour 400 millions d'euros17(*). Ce développement accéléré s'appuie sur une pluralité d'investisseurs financiers, en particulier KKR, entré au capital d'Elsan en décembre 2020, mais aussi Tethys Invest, CVC Capital Partners, Ardian, Merieux Equity Partners, CNP Assurances et  Axa18(*).

· En définitive, la réussite de ces groupes repose à la fois sur leur capacité à réaliser des investissements massifs qui autorisent une croissance externe très dynamique, et sur un processus d'intégration à des entités plus larges, qui permet de dégager des économies d'échelles en mutualisant les coûts - mise en commun des services supports, massification des achats, etc19(*). Ces stratégies conduisent, in fine, à restructurer l'offre de soins sur un territoire pour créer des filières de soins complètes en favorisant les regroupements.

L'examen des acquisitions du groupe Elsan
par l'Autorité de la concurrence

Les prises de contrôle successives d'Hexagone Santé Méditerranée en 2020 puis du groupe C2S en 2021 par Elsan ont été examinées par l'Autorité de la concurrence (décisions n° 20-DCC-38 et n° 21-DCC-86) au titre du contrôle des opérations de concentration sur un marché.

S'agissant du rachat d'Hexagone Santé Méditerranée, l'Autorité de la concurrence a relevé que l'opération faisait peser plusieurs risques sur la structuration de l'offre de soins locale, notamment celui d'un appauvrissement potentiel en cas de transferts d'activités entre sites ainsi que d'une dépendance des praticiens libéraux à l'égard d'Elsan pour la mise à disposition d'infrastructures nécessaires à la réalisation de leurs activités. Sur la base de ces observations, l'Autorité de la concurrence a pris acte du dépôt par le groupe Elsan d'une série d'engagements de nature à prévenir la réalisation de ces risques et à sécuriser l'opération. Estimant que « la proposition d'engagements d'Elsan, constituée d'un engagement structurel renforcé par plusieurs engagements comportementaux, permet en l'espèce de répondre efficacement aux différents problèmes de concurrence identifiés », elle a autorisé l'opération sous réserve de ces engagements20(*).

Des engagements de ce type n'ont rien d'exceptionnel et sont même régulièrement formulés par les acteurs pour pouvoir finaliser de telles opérations21(*). Déjà, dans une précédente décision, l'Autorité de la concurrence avait subordonné l'autorisation de rachat du groupe MédiPôles Partenaires par Elsan à une pluralité d'engagements de la part de l'acquéreur, considérant que cette opération était susceptible de réduire la liberté de choix des patients et la qualité de l'offre de soins disponible sur certains territoires22(*).

En revanche, la prise de contrôle du groupe C2S par Elsan n'a pas été considérée comme une opération susceptible de porter atteinte à la concurrence ; elle a donc été autorisée sans réserve par l'Autorité de la concurrence.

b) La biologie médicale : une concentration de l'offre autour de quelques groupes financiarisés

· En ville, la biologie médicale constitue sans doute le secteur le plus nettement financiarisé. Cette spécialité, accessible aux étudiants en médecine comme aux étudiants en pharmacie23(*), apparaît essentielle au diagnostic et au suivi des patients. Environ 70 % des décisions médicales seraient, ainsi, prises à partir des résultats d'examens de biologie médicale24(*).

Un examen de biologie médicale se déroule en trois phases : pré-analytique (prélèvement, transport et conservation de l'échantillon, recueil de données cliniques), analytique (obtention d'un résultat d'analyse) et post-analytique (validation, interprétation et communication du résultat)25(*). Il doit être réalisé par un biologiste médical ou, pour certaines phases, sous sa responsabilité26(*), sur le fondement d'une prescription27(*) ou, sans prise en charge, à la demande du patient.

Les examens de biologie médicale sont réalisés dans un laboratoire de biologie médicale (LBM), qui peut lui-même être implanté sur un ou plusieurs sites28(*).

Principales règles encadrant l'organisation et l'implantation des LBM

1. L'exploitation et l'organisation des LBM

Un LBM privé ne peut être exploité qu'en nom propre, ou sous la forme d'un organisme à but non lucratif, d'une société civile professionnelle (SCP), d'une société d'exercice libéral (SEL) ou d'une société coopérative29(*). Lorsqu'au moins un médecin ou un pharmacien biologiste détient une fraction du capital social de la société, cette dernière doit être inscrite au tableau de l'ordre de la profession concernée30(*).

Un LBM est dirigé par un biologiste médical, dénommé biologiste-responsable31(*). Lorsque celui-ci est inclus dans un établissement de santé, sous forme d'un pôle d'activité ou d'un pôle hospitalo-universitaire, le biologiste-responsable est le chef de ce pôle32(*). Lorsqu'il s'agit d'un LBM privé à but lucratif, le biologiste-responsable est le représentant légal du laboratoire33(*).

Le biologiste-responsable ne peut exercer cette fonction que dans un seul LBM34(*).

Lorsque des décisions prises par la personne physique ou morale qui exploite le LBM lui paraissent de nature à mettre en cause la santé des patients et la santé publique ou les règles applicables au fonctionnement des LBM, le biologiste-responsable en informe le directeur général de l'ARS35(*).

La loi rend obligatoire, par ailleurs, la présence d'un biologiste sur chaque site. Celui-ci doit être identifiable à tout moment, en mesure de répondre aux besoins du site et, le cas échéant, d'intervenir dans des délais compatibles avec les impératifs de sécurité des patients. Pour assurer le respect de cette obligation, le LBM doit comporter un nombre de biologistes au moins égal au nombre de sites qu'il a créés36(*).

2. L'implantation des LBM

L'ouverture d'un LBM est subordonnée au dépôt préalable d'une déclaration auprès de l'ARS, au plus tard huit mois avant la date prévisionnelle d'ouverture37(*). Celle-ci comprend, notamment, le volume prévisionnel d'activité pour les trois premières années de fonctionnement ainsi que, le cas échéant, un exemplaire des statuts de la société et toute convention relative à son fonctionnement ou aux rapports entre associés38(*).

Le directeur général de l'ARS peut s'opposer à l'ouverture du LBM ou d'un site lorsqu'elle aurait pour effet de porter, dans la zone, l'offre d'examens de biologie médicale à un niveau supérieur de 25 % à celui des besoins de la population définis par le schéma régional de santé39(*).

Il peut, par ailleurs, s'opposer à une opération d'acquisition, de rachat d'actifs ou de fusion, pour des motifs tenant au risque d'atteinte à la continuité de l'offre de biologie médicale, lorsque cette opération conduirait à ce que, dans la zone, la part réalisée par le laboratoire dépasse le seuil de 25 % du total des examens de biologie médicale réalisés40(*).

Le prélèvement d'un échantillon biologique, enfin, doit être réalisé dans une zone déterminée par l'agence régionale de santé (ARS), sauf dérogation pour des motifs de santé publique41(*).

· La financiarisation de la biologie médicale se manifeste par la très forte concentration du secteur autour de quelques grands groupes financiarisés.

Selon la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam), le nombre de structures juridiques a drastiquement diminué dans le secteur : alors que la France en comptait 2 625 à la fin de l'année 2009, elles n'étaient plus que 377 à la fin de l'année 2021. Cette même année, les six plus grands groupes de biologie privés (Biogroup-LCD, Cerballiance, Inovie, Synlab, Eurofins et Unilabs) concentraient à eux seuls 62 % des sites de biologie médicale recensés sur le territoire national42(*).

Parts respectives des six grands groupes de biologie médicale
dans les sites de biologie en France en 2021

(en pourcentage)

Source : Commission des affaires sociales du Sénat, d'après des données de la Caisse nationale d'assurance maladie

La Cnam relève que ce mouvement de concentration est observé dans d'autres pays européens. Les cinq plus grandes structures détiendraient, ainsi, environ 45 % des parts de marché en Allemagne et 75 % au Portugal.

La construction des grands groupes de biologie privés : l'exemple d'Eurofins

Créé en 1987 à Nantes, Eurofins est un groupe de laboratoires français, devenu leader mondial en matière d'analyses agroalimentaires, pharmaceutiques, environnementales et de biologie médicale.

Valorisée plus de 12 milliards d'euros au début de l'année 2023, l'entreprise a été introduite en bourse en 1997 et a intégré le CAC 40 en 2021.

Initialement centrée sur la commercialisation d'une méthode permettant d'analyser le vin et de détecter la chaptalisation, rachetée au CNRS, l'entreprise s'est progressivement développée dans les autres secteurs d'analyse qu'elle occupe aujourd'hui.

Dans le domaine de la biologie médicale, le groupe compte aujourd'hui 276 laboratoires, comprenant 284 sites de prélèvement et 37 sites d'analyse, ainsi que 321 biologistes. Ces données le situent à la cinquième place des groupes de laboratoires français.

Les laboratoires du groupe sont exploités sous la forme de SEL, dont 50 % du capital au moins appartient à des biologistes43(*).

· En France, la place des six grands groupes de biologie médicale précités dans l'offre varie, toutefois, sensiblement d'une région à l'autre. Ainsi, leurs parts cumulées dans le total des sites s'établissent à 82 % en Occitanie, quand elles demeurent inférieures à 30 % en Corse44(*).

Part des six grands groupes dans les sites de biologie médicale en 2021 par région

(en pourcentage)

Source : Commission des affaires sociales du Sénat, d'après des données de la Caisse nationale d'assurance maladie

· Les règles entourant la propriété et l'exploitation des LBM n'ont pas permis de maîtriser ce mouvement de financiarisation.

La loi de 2013 portant réforme de la biologie médicale45(*) a entendu maîtriser la financiarisation du secteur en prévoyant que plus de la moitié du capital social et des droits de vote d'une SEL de biologistes médicaux devait être détenue, directement ou par l'intermédiaire d'une société, par des biologistes médicaux en exercice au sein de la société. Toutefois, elle a autorisé les sociétés créées antérieurement à sa promulgation à conserver la faculté de bénéficier d'une dérogation, portée par la loi de 1990 relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales modifiée46(*), autorisant la détention de plus de la moitié du capital par des personnes de la même profession, n'exerçant pas nécessairement au sein de la société.

Dans un avis de 2019 relatif à la biologie médicale privée, l'Autorité de la concurrence a observé que ce cadre juridique évolutif et l'application de la dérogation prévue avaient « entraîné un fonctionnement asymétrique du secteur, qui est aujourd'hui partagé entre quelques grands acteurs, qui ont bénéficié d'un ancien régime dérogatoire favorisant leur croissance externe, et des centaines de petits laboratoires limités aujourd'hui dans leurs capacités de développement, faute d'avoir pu bénéficier de la souplesse temporairement prévue pour se restructurer. »47(*) La Cnam relève que « Cette asymétrie est renforcée par le fait que les SEL dérogatoires ont la possibilité d'absorber les SEL non dérogatoires par des opérations de fusion-acquisition. »48(*)

Des décisions récentes de l'Autorité de la concurrence donnent à voir les difficultés soulevées par de telles opérations de concentration.

La prise de contrôle du groupe Laborizon par Biogroup en 2020

Biogroup, contrôlant un réseau de plus de 550 sites de biologie médicale, a entrepris en 2020 une acquisition du groupe Laborizon, présent dans le secteur de la biologie médicale à travers 105 laboratoires situés dans les régions Bretagne, Centre-Val de Loire, Pays-de-la-Loire et Île-de-France.

Cette opération consistait en l'acquisition de 40 % du capital et des droits de vote et de 70 % des droits financiers des sept SELAS composant Laborizon, le reste des droits étant détenus par les biologistes exerçants. L'Autorité de la concurrence a observé, toutefois, que du fait des statuts des SELAS, cette opération fournissait à Biogroup la faculté de « bloquer [seul] les décisions stratégiques des SELAS », aucun autre associé n'étant dans ce cas.

L'Autorité de la concurrence a autorisé cette opération, sous réserve d'un engagement de Biogroup à céder trois sites d'analyses médicales dans le département de la Vendée, au sein duquel l'opération conduisait à une concentration excessive du marché et était susceptible, en conséquence, de porter atteinte à la concurrence49(*).

2. Des phénomènes de financiarisation touchant de nouveaux secteurs de l'offre de soins
a) Les centres de santé : une dynamique spécifique de financiarisation

· Les centres de santé ont connu une croissance extrêmement dynamique ces dernières années.

On en dénombre près de 3 000 en 2023, contre 2 121 en 2020 soit une augmentation de + 36,7 % en trois ans. 43 % d'entre eux sont des centres dentaires et environ 30 % des centres de santé polyvalents. Plus de la moitié de ces centres est gérée par un acteur privé associatif, près d'un tiers par des mutuelles ou des caisses d'assurance maladie et un peu plus de 10 % par des établissements de santé50(*).

Nombre de centres de santé, par catégorie, adhérant à l'accord national
conclu avec l'assurance maladie

Source : Commission des affaires sociales du Sénat, d'après des données de l'assurance maladie.

Plus précisément, une multiplication du nombre de centres dentaires et ophtalmologiques est observée après la loi dite « HPST » du 21 juillet 200951(*), qui a supprimé l'obligation d'agrément préalable à la création de tout centre de santé.

Les activités dentaires et ophtalmologiques, qui requièrent des plateaux techniques importants nécessitant de procéder à des investissements coûteux, se prêtent particulièrement au recours à des capitaux extérieurs et donc, à la financiarisation. Le développement du groupe Point Vision, devenu premier réseau national de centres ophtalmologiques grâce à l'accroissement rapide de son réseau, est emblématique de ce mouvement. Créé en 2011, il comptait 27 centres en 2018, et désormais 5652(*). En 2021, la cession de ses parts par le fonds Abénex entré au capital du groupe en 2014 à Ares Management Corporation, nouvel actionnaire majoritaire, a donné lieu à une concurrence des investisseurs. Disputées entre plusieurs grands groupes dont Ramsay Santé, Elsan et Adagia Partners, les enchères auraient frôlé les 250 millions d'euros. En 2021, BPI France entre également au capital du groupe grâce à une prise de participation minoritaire53(*).

· Les dérives marchandes qui ont accompagné le développement des centres dentaires et ophtalmologiques suscitent désormais une vigilance des acteurs, si ce n'est une suspicion, quant à l'intérêt des investisseurs financiers pour ces nouveaux prestataires de soins.

La loi prévoit en effet que « les bénéfices issus de l'exploitation d'un centre de santé ne peuvent pas être distribués » et que ces bénéfices « sont mis en réserve ou réinvestis au profit du centre de santé concerné ou d'un ou plusieurs autres centres de santé ou d'une autre structure à but non lucratif »54(*). En d'autres termes, ces centres ne peuvent avoir un objet lucratif.

Les dérives commerciales des centres dentaires et ophtalmologiques, conséquence d'un déficit de régulation du secteur

Les centres dentaires et ophtalmologiques ont récemment attiré l'attention des pouvoirs publics en raison de la mise à jour de dérives économiques et financières et de multiples scandales de prise en charge dont les patients ont été les premières victimes. Plutôt qu'une conséquence directe de la financiarisation, ces situations traduisent d'abord un excès de marchandisation, c'est-à-dire une logique commerciale exclusivement motivée par la recherche de bénéfices. Il apparaît toutefois nécessaire de comprendre les ressorts d'un phénomène symptomatique d'un défaut de régulation ayant conduit à une recherche de rentabilité effrénée par des acteurs peu scrupuleux, que la financiarisation peut contribuer à alimenter.

De nombreux centres dentaires et ophtalmologiques ont ainsi prospéré avec l'appui de business models bien structurés.

D'une part, certains centres ont concentré leur activité sur des actes rémunérateurs à la pertinence contestable. Le Syndicat national des ophtalmologistes de France (SNOF) souligne, ainsi, que des centres de santé ont pu « [abuser] du cumul d'actes ophtalmologiques et orthoptiques. »55(*) Selon lui, en 2021, « 73 % des séances d'examen comprenaient une facturation d'actes orthoptiques en centre de santé contre 11 % en cabinet libéral d'ophtalmologie. »56(*)

D'autre part, la surfacturation de prestations supports (loyers, location de matériels, services juridiques et financiers...) aux centres associatifs par des sociétés commerciales a permis de contourner le caractère non lucratif de ces centres et d'engranger frauduleusement des bénéfices, redistribués aux sociétés commerciales et à des investisseurs financiers.

Ce système très lucratif a su tirer profit d'une fragilité du modèle de facturation des centres de santé, qui ne permet toujours pas de tracer les actes réalisés à l'échelle des professionnels de santé au sein des centres. La facturation étant réalisée sous le seul numéro Finess de l'établissement, l'incapacité de l'assurance maladie à suivre l'activité de ces professionnels sur chacun de leur lieu d'exercice ne facilite pas la détection des fraudes et a contribué au développement de pratiques de facturation non conformes (doubles facturations, facturation d'actes fictifs ou d'actes médicalement redondants dont le cumul est interdit à la nomenclature...)57(*). Dans un contexte de pénurie médicale, la méconnaissance des professionnels exerçant dans les centres, tant par l'assurance maladie que par les ARS, a également favorisé le recrutement de praticiens étrangers non autorisés à exercer en France, par défaut d'équivalence de diplômes, portant gravement atteinte à la sécurité des soins.

Face à cette situation, l'adoption de la loi « Khattabi » du 19 mai 2023 visant à améliorer l'encadrement des centres de santé a rétabli une procédure d'agrément pour les centres dentaires et ophtalmologiques ou orthoptiques et prévu un encadrement de leur fonctionnement visant à prévenir les dérives de gestion ; elle a également consolidé les sanctions applicables en cas de pratiques non conformes.

· Le secteur des soins primaires généralistes constitue certainement le segment le plus récent dans lequel opère la financiarisation.

L'émergence de nouveaux acteurs spécialisés agissant dans ce secteur, tel Ipso Santé, autant que les rachats de centres par de grands groupes hospitaliers à but lucratif, sont des témoignages visibles de l'intérêt des investisseurs pour ces filières.

Né en 2015, Ipso Santé est un réseau de cabinets médicaux qui se propose de transformer la médecine de proximité en accompagnant l'évolution des métiers du soin primaire. Ipso Santé compte actuellement cinq cabinets. Depuis l'ouverture de son premier cabinet à Paris, le groupe affiche une croissance annuelle moyenne de 30 %, hors période covid. Le réseau entend poursuivre son développement et étoffer son maillage grâce à l'ouverture prochaine de nouveaux sites à Versailles, Rennes et Marseille. Son chiffre d'affaires devrait atteindre 10 millions d'euros en 202458(*).

· L'intérêt des investisseurs financiers pour la filière des soins primaires n'a pourtant a priori rien d'évident.

Les soins primaires n'exigent pas d'investissement technologique conséquent et se prêtent moins aux logiques de concentration des plateaux techniques pour réaliser des économies d'échelle. La Cnam relève ainsi qu'ils « présentent sans doute moins de potentiel d'optimisation financière »59(*). De plus, la faible valorisation des activités de soins primaires ne permet pas d'assurer la rentabilité de ces centres. La Mutualité Française, très investie dans le secteur et détentrice de 50 centres de santé polyvalents et de 34 centres infirmiers, souligne que le modèle économique des centres de soins généralistes ne peut pas être équilibré sauf à s'inscrire dans des dispositifs expérimentaux de financements ad hoc60(*). La DGOS confirme d'ailleurs que 66 % des centres de santé affichaient un résultat net négatif en 202261(*).

Si les enjeux technologiques y apparaissent moins prégnants, sans négliger pour autant la dimension stratégique des investissements dans la télémédecine et l'intelligence artificielle, les réseaux de soins primaires obéissent à des logiques de croissance similaires à celles observées dans d'autres secteurs. La rentabilisation des investissements consentis nécessite d'atteindre une taille critique minimale. Ipso Santé indique par exemple dimensionner ses cabinets à six ou sept salles de consultation au moins et confirme l'importance d'une croissance externe pour investir dans des projets ambitieux et innovants, notamment en recherche et développement.

· En réalité, ces centres parviennent à se développer au renfort d'expérimentations permettant de nouvelles modalités de tarification.

Autorisés dans le cadre de l'article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 201862(*), ces dispositifs prennent en compte des critères de parcours et de qualité des soins. C'est dans ce cadre que le réseau Ipso Santé et le groupe Ramsay ont ouvert ces dernières années plusieurs centres de santé, appuyant leur développement sur des financements à la capitation ou forfaitaires.

Depuis décembre 2021, Ramsay Santé a ainsi ouvert dix centres de santé dans quatre régions. L'ouverture de trois nouveaux centres est prévue au cours du second semestre 2024 (en Île-de-France et en Auvergne-Rhône-Alpes)63(*). Symbole de ce nouvel axe de développement, le groupe s'est porté candidat en 2022 au rachat des six centres de santé franciliens64(*) de la Croix-Rouge, avant de retirer son offre après plus de six mois de négociations exclusives. En grande difficulté financière et sans autre repreneur, la Croix-Rouge a finalement annoncé la fermeture de ces centres en juin 2023, dans une région qualifiée de premier désert médical de France65(*).

· Les centres de santé constituent pour les groupes du MCO des postes avancés permettant de recruter de nouvelles files actives de patients en amont de l'hospitalisation, qui alimentent en aval des filières de soins plus rémunératrices.

Cette stratégie d'investissement dans la filière des soins primaires permet en effet de capter et d'orienter une nouvelle patientèle depuis la médecine de ville vers des activités d'hospitalisation plus complexes et ainsi, de bâtir des parcours patients complets. La progression de la financiarisation dans le secteur des soins primaires n'est d'ailleurs pas propre à la France, elle s'observe dans de nombreux pays d'Europe : en Allemagne, aux Pays-Bas, en Suède, en Finlande, au Portugal mais aussi en Espagne. Dans son dernier rapport « Charges et Produits » pour 2025, la Cnam documente la situation de la financiarisation des soins primaires dans quelques pays. À propos de la Finlande, elle évoque « une forte concentration du secteur des soins primaires depuis le début des années 2000 au profit d'investisseurs privés, notamment par le biais de stratégies d'achats en série », dites stratégies « roll-up », et indique qu'en 2022, les trois principaux groupes d'offreurs de soins réalisaient plus de 70 % des soins produits sur ce marché66(*).

b) La financiarisation par la dette : l'exemple des pharmacies d'officine

Les pharmacies d'officine désignent l'ensemble des établissements affectés, d'une part, à la dispensation au détail des médicaments et produits de santé ainsi qu'à l'exécution de préparations magistrales ou officinales et, d'autre part, au conseil pharmaceutique ainsi qu'à l'ensemble des missions des officines listées par le code de la santé publique67(*). Celles-ci ont été progressivement enrichies ces dernières années pour inclure, désormais, la prescription et l'administration de certains vaccins comme la délivrance, sans ordonnance, de certains médicaments après réalisation d'un test68(*).

Plusieurs règles encadrent l'activité des pharmacies d'officine et empêchent, en conséquence, une financiarisation ou une concentration excessive du secteur.

· D'abord, l'exploitation d'une officine ne peut être le fait que d'un pharmacien justifiant d'une expérience d'au moins six mois en tant que pharmacien adjoint ou remplaçant, ou ayant effectué son stage de fin d'études dans une officine69(*). Elle est incompatible avec l'exercice d'une autre profession, notamment d'une autre profession de santé, même si l'intéressé est pourvu des diplômes correspondants70(*). Le pharmacien titulaire doit exercer personnellement sa profession et, en toutes circonstances, les médicaments doivent être préparés par un pharmacien ou sous la surveillance directe d'un pharmacien71(*).

Tout pharmacien ou toute société se proposant d'exploiter une officine doit en faire la déclaration auprès du conseil de l'ordre des pharmaciens territorialement compétent. Celui-ci est également informé de toute cessation d'exploitation, de tout transfert ou regroupement et de tout changement affectant la propriété de l'officine72(*). Par ailleurs, une copie de toute convention relative à la propriété d'une officine doit être déposée au conseil régional de l'ordre et au siège de l'ARS. Sont considérées comme nulles :

- toute convention relative à la propriété qui n'aurait pas été constatée par écrit ;

- toute stipulation destinée à établir que la propriété ou la copropriété d'une officine appartient à une personne non diplômée73(*).

Les pharmaciens sont autorisés à constituer entre eux une société en nom collectif ou une société à responsabilité limitée en vue de l'exploitation d'une officine : le pharmacien ou la société doivent, alors, être propriétaires de l'officine dont ils sont titulaires. Toutefois, un pharmacien ou une société ne peut être propriétaire ou copropriétaire que d'une seule officine74(*).

Tout pharmacien associé dans une société exploitant une officine et qui y exerce son activité doit détenir directement une fraction du capital social et des droits de vote qui y sont attachés75(*). Le pharmacien adjoint exerçant à titre exclusif son activité dans une officine exploitée par une SEL peut détenir jusqu'à 10 % du capital de cette société76(*).

De tels encadrements de la propriété et de l'exploitation des pharmacies d'officine sont permis par le droit européen. La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), saisie de plusieurs questions préjudicielles, a par exemple jugé que celui-ci ne faisait pas obstacle à « une réglementation nationale qui empêche des personnes n'ayant pas la qualité de pharmaciens de détenir et d'exploiter des pharmacies », dans l'objectif de garantir l'indépendance professionnelle et la protection de la santé publique77(*).

· Par ailleurs, les opérations de restructuration sont également encadrées par le code de la santé publique, dans l'objectif de maintenir la qualité et la pertinence du maillage officinal.

Toute opération de transfert, de regroupement ou de création doit, ainsi, respecter des seuils dits « géo-démographiques » fondés sur la population communale : l'ouverture incidente d'une nouvelle officine ne peut être autorisée que dans les communes d'au moins 2 500 habitants puis par tranche supplémentaire de 4 500 habitants78(*). Elle doit par ailleurs permettre une desserte en médicaments optimale et ne pas compromettre l'approvisionnement de la population résidente79(*). Les autorisations de création, de regroupement et de transfert sont octroyées par le directeur général de l'ARS80(*).

Cet encadrement a permis le maintien d'un maillage officinal fin du territoire national, qui comprenait au 1er janvier 2023 encore plus de 20 000 pharmacies, dont 35 % demeuraient situées dans des communes de moins de 5 000 habitants. Le secteur demeure donc largement caractérisé par son atomisation.

Nombre de pharmacies d'officine par catégorie de communes
(en nombre d'habitants) au 1er janvier 2023

< 2 000

2 000 à 5 000

5 000 à 30 000

30 000 à 50 000

50 000 à 100 000

100 000 à 200 000

> 200 000

Source : Commission des affaires sociales du Sénat, d'après des données du Cnop

· L'activité des pharmaciens est, enfin, également encadrée par le code de la santé publique.

Les pharmaciens ne peuvent faire dans leur officine le commerce de marchandises autres que celles figurant sur une liste arrêtée par le ministre chargé de la santé, sur proposition du Conseil national de l'ordre81(*). Est également interdite toute convention d'après laquelle un pharmacien assurerait à un prescripteur un bénéfice d'une nature quelconque sur la vente des produits de santé prescrits82(*).

Le commerce en ligne de médicaments est, par ailleurs, strictement réglementé. Il n'est possible qu'à partir du site internet d'une pharmacie d'officine disposant d'une licence83(*), après déclaration au directeur général de l'ARS et au conseil compétent de l'ordre84(*). Il ne peut, surtout, concerner que des médicaments non soumis à prescription médicale obligatoire85(*).

L'avis de l'Autorité de la concurrence précité invitait à assouplir les conditions du commerce en ligne, afin de permettre, notamment, aux pharmacies d'officine de « regrouper leur offre de médicaments en ligne au sein d'un site commun », pour favoriser l'émergence d'« opérateurs nationaux [capables] de développer leur activité sur l'ensemble du territoire français et, par conséquent, d'atteindre une taille suffisante pour être concurrentiels au niveau européen. »86(*) Craignant une « captation progressive de tout un pan de l'activité pharmaceutique par les officines les plus importantes », la commission spéciale du Sénat avait toutefois supprimé du projet de loi d'accélération et de simplification de l'action publique (ASAP) de 2020 les dispositions proposées en ce sens par le Gouvernement87(*).

· Toutefois, bien que la propriété des pharmacies d'officine soit réservée aux diplômés et leur activité strictement encadrée, des craintes relatives à un mouvement de financiarisation du secteur ont été formulées lors des auditions. Le Conseil national de l'ordre des pharmaciens (Cnop) et les syndicats représentatifs des pharmaciens d'officine ont, en effet, souligné l'existence d'un risque de perte d'indépendance professionnelle des pharmaciens par l'endettement.

Certains pharmaciens auraient ainsi recours, afin de garantir leur apport et de limiter les risques financiers afférents à l'acquisition d'une officine, au soutien de fonds d'investissement leur demandant des contreparties susceptibles d'affecter leur indépendance professionnelle.

Dans l'attente d'une évolution réglementaire les autorisant à devenir actionnaires, certains de ces fonds émettent par ailleurs des obligations convertibles en actions, permettant, selon le ministère de la santé, de se prépositionner au capital88(*).

D'après le Cnop, les fonds d'investissement peuvent ainsi menacer de sanctions financières importantes, telles que le remboursement anticipé des obligations, les pharmaciens qui :

- ne respecteraient pas le « business plan » établi lors de l'emprunt ou décideraient, contre l'avis du fonds, de développer une nouvelle activité au sein de l'officine ou d'y embaucher du personnel supplémentaire ;

- laisseraient entrer au capital un nouvel associé ;

- ne respecteraient pas l'engagement pris de recourir à un fournisseur déterminé ;

- n'atteindraient pas les objectifs fixés initialement en matière, par exemple, de rendement financier ou d'horaires d'ouverture de la pharmacie.

Afin de contrôler le respect de ces engagements, certains fonds demanderaient, par ailleurs, un accès privilégié aux systèmes d'information ou aux documents comptables de la pharmacie d'officine89(*).

De la même manière, la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) relève que « Généralement, les fonds d'investissement incluent leur proposition de financement dans le cadre d'une solution globale de services », susceptible de séduire les jeunes pharmaciens et « comprenant des prestations d'expertise-comptable, de conseil juridique, de formation, une politique de référencement pour les achats de l'officine ». Il dénonce une « pression économique importante » pour certains pharmaciens, « qui a des effets néfastes sur leur politique d'achat, leur stratégie de développement et, par voie de conséquence, sur leur indépendance professionnelle90(*). »

Cette pression serait d'autant plus forte que, d'après l'Union de syndicats de pharmaciens d'officine (USPO), le « business plan » établi lors de l'acquisition de l'officine est, le plus souvent et en pratique, « inatteignable91(*). »

Un exemple d'offre aux investisseurs : le fonds « Unipharma II »
de la société 123 Investment Managers

La société de gestion 123 Investment Managers propose ainsi à ses investisseurs un fonds visant à accompagner la transition et la modernisation de pharmacies de taille significative, présentant un « fort potentiel de croissance non exploité du fait d'une approche commerciale peu structurée ».

Le fonds promet, pour cela, l'implémentation d'une stratégie commerciale destinée à améliorer les performances financières de la pharmacie d'officine par :

- l'élargissement de l'offre de produits et de services, impliquant notamment un fort développement de la parapharmacie ;

- une évolution du mix produit, consistant à augmenter la quote-part des produits les plus margés dans le chiffre d'affaires total de l'officine ;

- une maîtrise des coûts fixes fondée sur une meilleure discipline de gestion.

Le fonds vise un investissement de 70 à 100 millions d'euros et promet un « couple rendement-risque attractif », fondé sur des « fondamentaux solides » : le vieillissement de la population, l'essor des prises en charge à domicile et l'attention croissante à la santé étant présentés comme autant de leviers de croissance du secteur officinal92(*).

c) La diversité des modèles : le cas de l'imagerie médicale

· Le marché français de l'imagerie médicale, qui enregistre 3 milliards d'euros de recettes annuelles93(*), est un secteur dans lequel la financiarisation progresse de façon sensible depuis quelques années. À l'heure actuelle, 20 % à 30 % du secteur serait financiarisé94(*).

Parce qu'il demeure très fragmenté, il est propice aux logiques de concentration de l'offre soutenues par l'intervention d'acteurs financiers attirés par un risque limité en raison d'une solvabilité presque certaine. Des déterminants similaires à ceux agissant dans d'autres secteurs favorisent par ailleurs la financiarisation rapide du secteur de l'imagerie :

- des départs en retraite de praticiens détenteurs de cabinets indépendants à la recherche de repreneurs ;

- un besoin d'investissement technologique important et régulier dans un secteur innovant ;

- un retard global d'équipement en imagerie lourde qui nécessite de déployer davantage de scanners et d'IRM sur le territoire ;

- une croissance d'activité continue portée par le vieillissement démographique, la chronicisation des pathologies et le développement des examens de dépistage liés aux enjeux de prévention, qui alimentent des perspectives de rentabilité sérieuses.

· Dans un contexte de démographie médicale sous tension95(*), se pose avec acuité la question de la transmission du patrimoine professionnel et de la succession des praticiens, courtisés par des groupes concurrents capables d'investir des sommes considérables pour racheter des cabinets jusqu'à trois ou quatre fois leur valeur.

La tendance à la concentration et à la financiarisation de l'offre que connaît actuellement l'imagerie médicale engendre un affaiblissement du modèle traditionnel de capitalisme professionnel qui caractérise le secteur.

La tendance au regroupement des radiologues est, d'abord, la traduction d'un changement du mode d'exercice des praticiens. La caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) relève qu'environ 90 % des médecins radiologues exercent leur métier au sein de structures comptant en moyenne 12,8 salariés96(*). La politique d'octroi des autorisations d'équipements matériels lourds (IRM, scanners) a contribué à cette évolution en concentrant les plateaux techniques, de même que la surspécialisation de l'imagerie médicale pousse à l'alliance des compétences des radiologues pour couvrir le spectre le plus large des pathologies à prendre en charge. Par ailleurs, le recours croissant des radiologues à la télémédecine et à l'intelligence artificielle favorise les regroupements par la mutualisation des investissements alors qu'en parallèle, les praticiens sont confrontés à une augmentation pénalisante des coûts liés à l'installation.

Ce bref panorama esquisse les lignes d'un changement d'un modèle, d'un capitalisme professionnel traditionnel, dans lequel les praticiens sont détenteurs de leur outil de travail et directement responsables de la stratégie de court, moyen et long terme de la structure, à un capitalisme financiarisé qui introduit une modification des équilibres dans la gouvernance des structures et dans le pilotage stratégique des groupes par l'apport de capitaux extérieurs issus de tiers non professionnels97(*). Le contentieux opposant la société Impapôle au Conseil départemental de l'ordre des médecins (CDOM) du Rhône98(*) (cf. infra) a mis en lumière les enjeux d'indépendance professionnelle des radiologues attachés à ces évolutions, suite à l'adossement de la société au fonds d'investissement EURAZEO à l'été 202299(*).

En autorisant l'entrée de nouveaux capitaux sur le marché, la financiarisation facilite la réalisation d'investissements lourds et structurants pour l'avenir - par exemple, l'acquisition d'outils d'intelligence artificielle permettant d'optimiser le temps médical - pour lesquels les banques se montreraient plus frileuses dans l'octroi de prêts, selon des représentants de la profession. Elle rend accessible de nouveaux leviers de financement aux acteurs qui s'engagent dans un processus de regroupement et représente une opportunité de consolidation du modèle économique des cabinets. À l'inverse, elle fragilise le modèle économique des cabinets indépendants, confrontés à l'impossibilité de procéder à des investissements conséquents ou à des économies d'échelle par la mutualisation de ressources au sein de groupes plus larges.

· Comme dans d'autres secteurs toutefois, le modèle de développement de ces groupes n'est pas homogène, comme en atteste la diversité des structures actionnariales des groupes.

Certains, comme Vidi, soulignent leur volonté de s'appuyer sur un actionnariat médical au service d'une financiarisation responsable, connectée aux enjeux de santé publique et préservant l'indépendance des cabinets adhérents. Cette tendance s'apparente à une forme de réaction des acteurs qui, ayant constaté l'évolution subie par le secteur de la biologie médicale, s'organisent pour proposer un modèle de développement différent, dont le but affiché est de tirer parti de la financiarisation tout en en maîtrisant les conséquences.

Présentation des principaux groupes d'imagerie privés financiarisés

France Imageries Territoire

Fort de 54 centres d'imagerie médicale en France, France Imagerie Territoires s'est imposé comme l'un des réseaux d'imagerie les plus importants en France. Le groupe s'est doté d'un opérateur de télé radiologie, Télédiag, qui accompagne 150 hôpitaux confrontés à la charge de la permanence des soins et à la pénurie de médecins radiologues.

400 radiologues rassemblés au sein d'une holding représentent 90 % de l'actionnariat du réseau. Environ 12 % de l'actionnariat est par ailleurs détenu par le Crédit Agricole100(*).

Grâce à sa gouvernance médicalisée, France Imageries Territoires se présente comme un modèle équilibré à long terme face au risque d'une financiarisation excessive de la radiologie privée.

ImDev 

ImDev est un groupe créé en 2019, constitué de 120 centres dont une quarantaine en Île-de-France et de 200 radiologues. En 2024, deux fonds d'investissement français, Bpifrance et Capza, prennent une participation à hauteur de 16 % du capital. Le reste de l'actionnariat est partagé entre une pluralité d'investisseurs individuels, dont une vingtaine de médecins exerçant au sein du groupe. Le groupe affiche sa volonté de poursuivre sa croissance externe par des opérations d'acquisition de nouvelles structures d'imagerie.

En 2023, le chiffre d'affaires consolidé atteint 100 millions d'euros, pour une marge d'Ebitda101(*) supérieure à 30 %. Imdev affiche l'ambition de quadrupler en taille dans les cinq prochaines années102(*).

Simago

Simago est l'un des acteurs majeurs de l'imagerie médicale en France. Comptant 260 médecins radiologues et 83 sites d'exercice, son capital est détenu à 50 %par des médecins radiologues exerçant au sein du groupe, à 30 % par des non-radiologues participant à la direction de Simago et à 20 % par le fonds Ardian, devenu actionnaire du groupe en 2022. La présence du fonds d'investissement Ardian au capital a permis de soutenir les opérations de croissance externe menées par le groupe. Implanté en Île-de-France, en région Centre, en Bourgogne et dans le Sud-Ouest, Simago a acquis à l'été 2023 un nouveau réseau de cabinets installés dans les régions de Tours et La Rochelle, étendant ainsi son emprise sur le maillage territorial103(*).

Vidi

Le groupe naît en 2017 du rapprochement de 14 centres d'imagerie indépendants. Il compte aujourd'hui 70 groupes affiliés pour 375 cabinets et 1 100 radiologues. La création de la société Vidi Capital en 2022 a pour objet de promouvoir un actionnariat médical du groupe, garant de l'indépendance des praticiens. 300 radiologues ont contribué à la première levée de fonds à l'été 2022. Le groupe, qui dispose en 2024 d'un chiffre d'affaires de 100 millions d'euros, vise un objectif de croissance à 500 millions d'euros en 2028104(*).

Vidi défend un modèle correspondant à une voie intermédiaire entre des cabinets indépendants et isolés et des groupes hyper-financiarisés.

Résonance Imagerie

Ce groupe créé en 2021 connaît une croissance rapide. Il exploite 27 IRM et 21 scanners sur 38 sites d'imagerie médicale à Paris, en Île-de-France et en région Centre-Val-de-Loire. En juillet 2022, une levée de capitaux auprès des fonds Andera MidCap, Ardian et Five Arrows Debt Partners lui a permis d'acquérir de nouvelles structures et de poursuivre le développement de ses activités.

Enfin, le développement depuis quelques années des plateaux d'imagerie médicale mutualisés (PIMM)105(*) peut conduire à une pénétration des capitaux financiers jusque dans les hôpitaux publics. Constitués sous forme de groupements de coopération sanitaire (GCS), les PIMM ont vocation à faciliter le regroupement de moyens du secteur public et du secteur privé pour organiser des plateaux techniques de taille critique. Les modalités de leur gouvernance, définies dans les conventions constitutives des GCS, déterminent le poids respectif de chaque partenaire. Si ce nouveau modèle apparaît comme un outil de consolidation de l'offre de proximité et de recours au bénéfice des patients, il n'est pas toujours exempt de risques lorsqu'il conduit à conférer aux acteurs privés, parfois financiarisés, « un droit de veto » sur les projets hospitaliers106(*).

B. DES DÉTERMINANTS PUISSANTS À L'oeUVRE

1. Les déterminants liés aux acteurs financiers
a) Un secteur qui présente des perspectives de rentabilité solides

· La dynamique de financiarisation repose sur une convergence des intérêts financiers des investisseurs d'une part, et des professionnels de l'offre de soins d'autre part.

La création de valeur étant consubstantielle à l'activité des opérateurs financiers, leur investissement dans l'offre de soins poursuit un objectif prioritaire de rentabilité, qui peut être pondéré par une recherche de sécurisation des placements (cfinfra). Le soutien au financement d'entreprises innovantes ou en croissance est donc au service de cet objectif prioritaire. Comme tout opérateur économique, l'investisseur vise une valorisation de son apport initial. En cela, son comportement ne diffère pas fondamentalement de celui d'une banque, qui consent à prêter de l'argent contre une rémunération du prêt par les taux d'intérêt qu'elle fixe.

Les offreurs de soins privés sont quant à eux guidés par un projet entrepreneurial de développement de leurs activités médicales ou médicotechniques, exigeant des investissements cycliques liés aux enjeux technologiques du secteur. La consolidation du positionnement stratégique des offreurs de soins sur leur marché garantit la pérennité de leur modèle économique et la soutenabilité de leurs activités. Elle détermine leur capacité à investir et à poursuivre leur développement.

L'objectif de maximisation de la rentabilité de leurs investissements par les acteurs financiers rejoint donc la stratégie de consolidation économique des groupes.

· La recherche de rentabilité s'appuie sur des leviers multiples, largement mobilisés par l'ensemble des acteurs de l'offre de soins, qu'ils soient publics ou privés.

Celle-ci passe notamment par la recherche d'un effet « taille » qui permet aux offreurs de soins de résister à la politique de compression tarifaire par l'optimisation de leurs moyens, la massification de leurs activités et la réalisation d'économies d'échelle sur l'utilisation de ressources rares ou coûteuses (plateaux techniques, ressources humaines). L'atteinte d'une dimension critique permet aussi aux groupes d'industrialiser et de mettre en commun la gestion de diverses fonctions, en particulier les fonctions administratives et logistiques. De plus, la performance économique des groupes s'appuie sur un pilotage renforcé de l'activité par les durées moyennes de séjour et les taux d'occupation, le ciblage des activités exercées et la sélection des implantations de l'offre dans des territoires jugés suffisamment rentables.

· Des taux de rentabilité très attractifs sont aujourd'hui enregistrés dans le secteur de l'imagerie où les valorisations des groupes peuvent atteindre 13 à 15 fois l'excédent brut d'exploitation107(*).

Selon Simago, les groupes d'imagerie peuvent afficher une marge sur résultat net de l'ordre de 10 %108(*). Pour le groupe ImDev, elle a dépassé les 30 % en 2023 (cf. encadré supra sur les principaux groupes d'imagerie financiarisés). Quant au groupe Vidi, il se fixe pour objectif de quintupler son chiffre d'affaires au cours des quatre prochaines années.

Ces chiffres conduisent les investisseurs à une concurrence d'autant plus forte que le marché de l'imagerie en coupe est régulé par la puissance publique via la délivrance d'un nombre limitatif d'autorisations d'équipements matériels lourds (IRM et scanners). Sur chaque territoire, le projet régional de santé (PRS) définit en effet un seuil maximal d'autorisations, qui correspond à un volume restrictif d'implantations et qui détermine la capacité de croissance externe des offreurs de soins par la conquête de nouvelles parts de marché109(*).

· Dans le champ de la biologie médicale, l'épisode de la crise covid a nettement accéléré la profitabilité du marché.

Si la crise a mis à l'épreuve le système de santé dans son ensemble, elle a aussi constitué un levier de rentabilité inattendu pour les réseaux de laboratoire dont le chiffre d'affaires est passé de 5,1 milliards d'euros en 2019 à 9,4 milliards d'euros en 2021, soit une hausse de 85 %110(*). L'activité de dépistage massif de la covid-19 par la réalisation de tests-PCR entièrement pris en charge par la sécurité sociale a, avec une ampleur inédite, dopé le chiffre d'affaires des groupes de biologie médicale et creusé le déficit de l'assurance maladie qui atteignait 26,1 milliards d'euros en 2021.

La rentabilité du secteur, qui oscillait entre 17 % et 19 % de 2016 à 2019, a atteint 23 % en 2020 (cf. infra). En comparaison, seules les activités immobilières et les télécommunications bénéficiaient d'une rentabilité (excédent brut d'exploitation / chiffres d'affaires) supérieure en 2019, loin devant l'industrie automobile (2 %), la construction aéronautique et spatiale (6 %) ou la fabrication de produits informatiques, électroniques ou optiques (6 %)111(*).

Source : Cnam, rapport Charges et Produits 2023 (Diane)

Les investisseurs financiers et les groupes ont profité de cette situation en procédant à de nouvelles levées de capitaux et en poursuivant leur croissance externe. À l'été 2020, Biogroup a ainsi absorbé le réseau Laborizon (47 sites) implanté dans le grand ouest, dans lequel BPI France disposait d'une participation minoritaire, puis le réseau belge CMA-Medina (8 laboratoires et 25 sites de prélèvement). En 2021, Biogroup parvient à lever la somme inédite de 2,8 milliards d'euros et acquiert en suivant le réseau Oriade Noviale GLBM, basé en Auvergne-Rhône-Alpes, fort de 55 laboratoires. L'emballement du marché a conduit la Cnam à évoquer dans son rapport « Charges et produits » pour 2024 le risque de formation d'une « bulle spéculative »112(*) dans le secteur de la biologie, « les valeurs d'achat des groupes [...] ayant atteint des niveaux qui semblent décorrélés de leurs performances financières »113(*). Après cette phase de croissance exceptionnelle, hors nouvelles baisses tarifaires, les représentants de la profession estiment que le résultat d'exploitation des LBM devrait avoisiner les 5 % en 2026114(*).

· Le marché de l'hospitalisation privée à but lucratif présente des indicateurs moins spectaculaires et plus contrastés, mais la Drees établit un panorama plutôt avantageux de la situation financière des cliniques jusqu'en 2020115(*).

En 2020, les recettes des cliniques augmentent de 5,4 % par rapport à 2019, pour atteindre 17,6 milliards d'euros. Le résultat net du secteur rapporté aux recettes retrouve un niveau historiquement haut, de l'ordre de 3 % en 2020, de même que le bénéfice qui atteint 4,6 % des recettes116(*), soit + 1,2 % par rapport à 2019. Dans le détail, certaines activités présentent un résultat bien supérieur à la moyenne, celui des cliniques spécialisées en psychiatrie oscillant entre 5 % et 8 % de 2006 à 2020 et entre 3,5 % et 6,5 % pour les cliniques de SSR.

Évolution du résultat net rapporté aux recettes
des cliniques privées à but lucratif de 2006 à 2020

Source : Les Dossiers de la Drees n° 100, La situation économique et financière des établissements de santé en 2020, juillet 2022

La situation des cliniques à but lucratif, comme celle des hôpitaux publics, s'est néanmoins dégradée suite à la crise sanitaire de la covid-19, malgré la reprise d'activité, en raison d'une inflation particulièrement élevée portée par la hausse des prix de l'énergie et non intégralement compensée. Selon la Drees, une clinique sur quatre était en situation de déficit en 2022117(*). Lors de l'annonce par le Gouvernement de la dernière revalorisation tarifaire en mars 2024118(*), le président de la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP), Lamine Gharbi, alertait sur la situation du secteur, évoquant un taux de 40 % de cliniques en déficit à fin 2023 et probablement de 50 % à fin 2024119(*).

b) L'offre de soins : un investissement sûr

· La réglementation du marché de l'offre de soins, bien qu'elle restreigne la liberté de ses acteurs, constitue un gage de prévisibilité et donc de sécurité pour les investisseurs financiers.

La santé constitue un secteur marchand particulier : soumis à l'application du droit de la concurrence en raison de la nature économique de ses activités, il est strictement réglementé compte tenu de son objet, du principe constitutionnel de protection de la santé publique et de son haut niveau de financement par la dépense publique.

Conséquence de la forte socialisation des dépenses de santé impliquant une politique de maîtrise budgétaire, les prix des prestations de soins sont fixés par la puissance publique (tarifs hospitaliers) ou par la voie d'une négociation entre les syndicats représentatifs des professions de santé et l'assurance maladie (tarifs conventionnels). Également régulées, les autorisations d'activités sont délivrées par les ARS.

· Parmi les spécificités du secteur, la plus exorbitante tient certainement au caractère intrinsèquement solvable de l'activité de soin dispensée par les opérateurs du marché, qu'ils soient publics, privés lucratifs ou non lucratifs.

En effet, près de 80 % de la consommation de soins et de biens médicaux (CSBM, cf. infra) est financée par l'assurance maladie et plus de 90 % des recettes des établissements de santé120(*). Cette solvabilité se voit renforcée par un encaissement presque immédiat des recettes de l'assurance maladie grâce à des procédures qui garantissent aux acteurs des délais de paiement très courts.

Évolution du financement de la CSBM de 2010 à 2022

Source : Drees, Les dépenses de santé en 2022 - Résultats des comptes de la santé - Édition 2023 (p.13).

· De plus, la croissance continue de la demande de soins offre des perspectives de développement sécurisantes, à l'abri de tout repli d'activité.

La prévisibilité globale de la croissance de la demande de soins, appréhendée par pathologie, donne lieu de la part des acteurs à des stratégies d'optimisation de leur positionnement sur le marché, par la sélection des activités exercées et par la structuration de filières de soins complètes à l'échelle d'un territoire, permettant de capter des patientèles et de les fidéliser sur toute la chaîne du soin, du premier recours jusqu'aux prises en charge plus complexes et spécialisées en aval.

Source : Drees, Les dépenses de santé en 2022 - Résultats des comptes de la santé - Édition 2023 (p.10).

· L'évolution de la CSBM et au-delà, de la dépense courante de santé, permet d'appréhender la dynamique de long terme du secteur de la santé.

La dépense courante en santé a fortement crû sous l'effet de la crise sanitaire (+ 3,4 % en 2020 et + 9,9 % en 2021), mais elle retrouve un rythme de croissance normal en 2022 (+ 2 %), conforme à son taux d'évolution moyen entre 2013 et 2019 (+ 1,9 %), tandis que la croissance de la CSBM s'établit à + 3,9 %. Les soins hospitaliers demeurent le principal facteur d'augmentation de la CSBM. Le graphique ci-dessus démontre que par la conjonction des effets prix et volume, la croissance en valeur de la CSBM demeure remarquablement stable, entre 1,8 % et 2,2 % de 2011 à 2019, presque exclusivement portée par la hausse de la demande de soins (croissance en volume). Compte tenu de l'impact du vieillissement démographique sur les dépenses de santé, une inversion de tendance n'est pas à l'ordre du jour des prochaines décennies.

La CSBM : un indicateur-clé de l'évolution des dépenses de santé

La consommation de soins et de biens médicaux regroupe les principales dépenses liées aux soins courants - soins hospitaliers, soins de ville, médicaments, autres biens médicaux et transports sanitaires -, à l'exclusion des dépenses de prévention, des soins de longue durée et des dépenses de gouvernance. Principale composante de la dépense courante de santé au sens international (DCSi), elle s'élève à 235,8 milliards d'euros en 2022, soit 8,9 % du PIB et représente un montant moyen de 3 475 euros par habitant.

« En 2022, la part de la CSBM financée par les administrations publiques reste stable par rapport à 2021, autour de 80 %, à un niveau supérieur à celui d'avant crise. La part des organismes complémentaires (mutuelles, sociétés d'assurance et institutions de prévoyance) est quasi stable en 2022 à 12,6 % ; elle demeure inférieure de 0,7 point à son niveau de 2019. Depuis la réforme du 100 % santé mise en place en 2019, la part de la CSBM financée par les ménages a diminué, passant de 7,6 % à 7,2 %. La participation directe des ménages aux dépenses de santé s'établit ainsi à 17 milliards d'euros en 2022, soit un reste à charge de 250 euros en moyenne par habitant ».

Source : Insee, France, portrait social, édition 2023, p. 196.

· Pour les acteurs du capital-investissement qui placent le risque au coeur de leurs stratégies, la stabilité de ces évolutions est un déterminant essentiel de la gestion de leur portefeuille.

Dans le secteur de la santé, certains investissements peuvent présenter des risques non négligeables, tandis que d'autres apparaissent relativement sécurisés, avec des perspectives de croissance limitées mais garanties. Les investissements orientés vers l'innovation et l'amorçage d'activités nouvelles relèvent par exemple de la catégorie des investissements risqués, de même que les opérations de type LBO qui supposent un taux d'endettement élevé.

D'autres opérations visent plutôt à consolider le développement d'activités disposant déjà d'un ancrage solide puis à les pérenniser, selon leur degré de maturité.

Certains acteurs avancent enfin l'intérêt de la « théorie du coffre-fort », selon laquelle les acteurs consentent à payer l'absence de risque pour leurs placements : le fait de réaliser un placement sûr peut présenter un coût, et un investisseur peut consentir à payer à un taux faible un risque nul pour garantir un placement contre tout risque.

Plus largement, les investissements dans le secteur de la santé répondent à une logique de diversification des portefeuilles d'activités. Les statistiques démontrent en effet que la plupart des acteurs du capital-investissement dans la santé (tous segments confondus) se positionnent dans une diversité de secteurs et ne sont pas mono-stratégiques. France Invest, association professionnelle représentative des acteurs du capital-investissement relève que « la plupart des gestionnaires investissent via des fonds multisectoriels », mais aussi que « le secteur de la santé offre encore plus, à l'intérieur du secteur, des opportunités de diversification »121(*).

· Enfin, les acteurs financiers appréhendent la gestion du risque au travers de l'horizon temporel de leur stratégie d'investissement.

Les acteurs du capital-investissement investissent le plus souvent sur des durées de 5 à 7 ans, soit du court au moyen terme, pour soutenir et accompagner des projets de développement d'entreprises ou de transformation122(*).

Dans le secteur de l'offre de soins, les cycles d'investissement peuvent être plus longs - on peut parler d'investisseurs patients -, même si les opérations de recomposition du capital des groupes dans les nouveaux secteurs sujets à la financiarisation s'accélèrent ces dernières années, et que l'analyse souffre d'un recul trop faible pour pouvoir être consolidée.

Le positionnement d'acteurs institutionnels publics tels que la Caisse des dépôts et consignations, ou d'investisseurs administrés par l'État comme la BPI123(*), permet par ailleurs de sécuriser des investissements de long terme et de rassurer les autres investisseurs potentiels concernant la solidité d'un projet ou la pérennité d'une activité.

Glossaire de la financiarisation

Le capital-investissement (ou « private equity ») se définit comme la prise de participations minoritaire ou majoritaire dans des sociétés non cotées en bourse. Il peut intervenir à différentes étapes de la vie d'une entreprise (création, développement, cession) et vise la réalisation de plus-values dans un délai généralement compris entre 4 et 7 ans.

France Invest rappelle que le capital-investissement « est une classe d'actif relativement jeune, qui a fait son apparition en France dans les années 1980 » et qui a pour objet d'« investir dans des sociétés non cotées, sur un horizon moyen-long terme, dans un projet de développement des entreprises accompagnées, avec une gouvernance souvent active. »124(*)

Un fonds d'investissement est un fonds de placement, public ou privé, qui investit du capital pour soutenir des projets. Il peut poursuivre plusieurs objectifs : soit des placements financiers sécurisés et à faible risque, soit des placements associés à des taux de rentabilité élevés mais également plus risqués. Les hedge founds sont des fonds dits spéculatifs présentant des risques financiers importants.

Un fonds de pension est un organisme financier gérant des retraites par capitalisation, intervenant en conséquence sur les marchés financiers afin de constituer un portefeuille de titres permettant d'assurer le versement ultérieur d'une  pension aux cotisants.

Une holding est une société financière dont l'activité consiste à gérer des titres de propriété (notamment des actions ou des parts de SARL) qu'elle possède dans d'autres sociétés. Ce mode d'action lui permet de prendre le contrôle de sociétés dans lesquelles elle détient des participations. Elle agit alors comme tête de groupe en concentrant les décisions stratégiques qui s'appliquent à ses filiales.

Une opération de « LBO » ou rachat par « effet de levier » est l'un des mécanismes utilisés dans le secteur de la santé pour obtenir des financements. Il est fondé sur une opération financière consistant pour l'investisseur/acquéreur à créer préalablement une holding qui servira à financer un rachat d'entreprise par de l'endettement. La dette de la holding est ensuite remboursée grâce aux remontées de dividendes provenant de la société cible et bénéficiant du régime de l'intégration fiscale mère-fille. L'intérêt de ce type de montage est de maximiser la rentabilité des capitaux investis en engageant le moins de fonds propres possibles.

L'Ebitda, pour « earnings before interest, taxes, depreciation, and amortization », est un indicateur économique américain qui permet de mesurer le niveau de rentabilité du processus d'exploitation d'une entreprise. Il est traduit en français par la notion de bénéfice avant intérêts, impôts et amortissements (Baiia) et peut être globalement assimilé à l'excédent brut d'exploitation (EBE).

2. Les déterminants liés aux régulateurs et aux professionnels de santé
a) Une évolution du cadre législatif favorable à l'entrée d'acteurs non professionnels au capital des sociétés

Les évolutions successives du cadre législatif ont favorisé l'entrée d'acteurs non professionnels au capital des SEL, tout en fixant des garde-fous visant à préserver l'indépendance des professionnels de santé dans leur exercice. Or, ainsi que le relève le cabinet d'avocats Axipiter, « le principal facteur juridique ayant favorisé le développement de la financiarisation de l'offre de soin est la liberté laissée aux non-exerçants de pouvoir entrer au capital des sociétés »125(*).

· Depuis la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990126(*), les professionnels de santé libéraux peuvent créer des sociétés d'exercice libéral (SEL), soit des sociétés commerciales adaptées aux spécificités de l'exercice libéral, dont le capital est ouvert aux tiers non professionnels.

Au moins 50 % du capital social et des droits de vote de la SEL sont détenus, directement ou par l'intermédiaire d'une société tierce dont les membres exercent leur profession au sein de la SEL, par des professionnels en exercice au sein de la société127(*).

Le reste du capital social peut être détenu par des personnes physiques ou morales exerçant la ou les professions constituant l'objet social de la société, ou par toute personne physique ou morale légalement établie dans un État de l'Union Européenne qui exerce une activité correspondant à l'objet social de la société.

Ces dispositions de la loi du 31 décembre 1990 ont été reprises aux article 46 et 47 de l'ordonnance n° 2023-77 du 8 février 2023 (cf. infra). L'article 46 dispose que « plus de la moitié du capital social et des droits de vote est détenue, soit directement, soit par l'intermédiaire d'une société de participations financières de professions libérales, par des professionnels exerçant au sein de la société. », tandis que l'article 47 énumère la liste des personnes physiques et morales autorisées à détenir le complément du capital social et des droits de vote.

En parallèle, la loi du 31 décembre 1990 autorise l'ouverture du capital des SEL ayant pour objet l'exercice d'une profession de santé à toute personne physique ou morale dans la limite du quart du capital social. En application de cette loi, l'article R. 4113-12 du code de la santé publique a permis l'ouverture du capital des SEL de médecins et de sage-femmes dans la limite de 25 % à toute personne physique ou morale, y compris donc aux professionnels non exerçants et aux sociétés autres que des SPFPL.

Enfin, la loi du 31 décembre 1990 a posé les premières règles prudentielles visant à encadrer et à sécuriser le fonctionnement des SEL, en prévoyant leur agrément préalable par les ordres128(*), l'encadrement du nombre de participations des professionnels de santé dans les SEL et le fait de conférer au moins la moitié des droits de vote et du capital social aux professionnels exerçant. Une fois par an, la SEL doit également adresser à l'ordre professionnel dont elle relève un état de la composition de son capital social.

· La loi Murcef du 11 décembre 2001129(*) est venue enrichir le cadre d'exercice des professions libérales en créant la société de participations financières pour les professions libérales (SPFPL). La SPFPL, constituée comme une holding, autorise la prise de participations des professionnels de santé dans une ou plusieurs SEL. Elle constitue ainsi un outil de gestion capitalistique permettant de diversifier les prises de participation au sein d'une pluralité de structures ainsi que les actions d'une même SEL. La SPFPL présente un régime fiscal attractif, ce qui en fait un outil apprécié des professionnels de santé.

Cette loi a également introduit dans la loi précitée du 31 décembre 1990 la possibilité, pour des SPFPL ou des personnes physiques et morales exerçant la profession de santé correspondant à l'objet social de la SEL sans exercer nécessairement au sein de ladite société, de détenir plus de la majorité du capital social des SEL130(*). En revanche, la majorité des droits de vote doit toujours être détenue par des professionnels exerçant dans la société. En augmentant les possibilités de participation au capital social d'acteurs autres que les professionnels exerçants, la loi a entériné une dissociation des règles de détention du capital social et des règles de détention des droits de vote au sein des SEL. Cette évolution a conduit à accroître l'influence des investisseurs financiers sur le processus décisionnel jusqu'à leur permettre de disposer du contrôle de la SEL grâce au recours à des mécanismes juridiques divers (cf. infra).

· La loi n° 2005-882 du 2 août 2005131(*) a cherché à maîtriser cette ouverture du capital des SEL, en prévoyant que des décrets en Conseil d'État peuvent :

- interdire la détention de plus de la moitié du capital social par des professionnels n'exerçant pas dans la société, si celle-ci est de nature à porter atteinte à l'exercice de la profession concernée, au respect de l'indépendance de ses membres ou de ses règles déontologiques propres. Ainsi, le décret n° 2013-466 du 4 juin 2013 a mis fin à cette ouverture pour les officines de pharmacie132(*) ;

- limiter le nombre de SEL constituées pour l'exercice d'une même profession dans lesquelles une personne physique ou morale exerçant cette profession ou une SPFPL peut détenir des participations directes ou indirectes, selon les nécessités propres à chaque profession.

La loi n° 2011-331 du 28 mars 2011133(*) prévoit que la majorité du capital social de la SEL ne peut être détenue par une SPFPL qu'à la condition que la majorité du capital et des droits de vote de cette SPFPL soit détenue par des professionnels exerçant la même profession que celle constituant l'objet social de la SEL.

· La loi n° 2013-442 du 30 mai 2013 portant réforme de la biologie médicale a mis fin à l'ouverture du capital aux professionnels extérieurs à la société dans le seul secteur de la biologie médicale134(*). Cette suppression n'a toutefois pas eu d'effet rétroactif dès lors qu'une clause du grand-père subsiste pour les sociétés créées antérieurement à son entrée en vigueur.

· À l'inverse, les règles ont été à nouveau assouplies en 2013, quand a été abrogé l'article R. 6212-81 du code de la santé publique qui interdisait la détention par une même personne de plus de deux SEL de biologistes, afin de se mettre en conformité avec un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 16 décembre 2010 (Affaire C-89/09) selon lequel l'article précité, en limitant le nombre de sociétés pouvant être détenues, constituait une restriction non justifiée à la liberté d'établissement en France de laboratoires établis dans d'autres États membres.

· Enfin, l'ordonnance n° 2023-77 du 8 février 2023135(*) clarifie les dispositions de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 en regroupant les différents textes applicables et en améliorant la cohérence et la lisibilité de l'ensemble des dispositions. Elle vise également à réaffirmer la protection de l'indépendance des professions libérales, notamment en améliorant la transparence du fonctionnement des structures vis-à-vis des ordres professionnels. L'ordonnance renforce ainsi le dispositif de remontée d'informations auquel les sociétés sont soumises annuellement, qui s'étendra désormais aux modalités relatives à la gouvernance de la société, au-delà de la seule composition du capital. Par ailleurs, le mécanisme sanctionnant le non-respect des conditions de composition du capital en société d'exercice est étendu aux SPFPL et aux sociétés pluriprofessionnelles d'exercice. L'ordonnance doit entrer en vigueur le 1er septembre 2024.

b) Une nouvelle source de financement et d'économies dans un contexte financier contraint

La financiarisation constitue, à la fois, une source de financement des structures de soins et d'économies d'échelle, par les restructurations qu'elle suscite, susceptible d'intéresser le régulateur dans un contexte financier contraint.

· Certains secteurs de l'offre de soins sont, en effet, caractérisés par des besoins d'investissements conséquents que l'assurance maladie ne parvient que partiellement à couvrir.

La situation financière de la branche, marquée depuis quinze ans par des déficits récurrents, et les efforts induits de maîtrise des dépenses de santé interrogent, d'abord, sur la capacité de l'assurance maladie à financer de tels besoins.

Équilibre financier de la branche maladie (2012-2023)

Source : Commission des affaires sociales du Sénat, d'après des données de la commission des comptes de la sécurité sociale

La Cnam classe ainsi, parmi les principaux facteurs de financiarisation qu'elle identifie, « l'importance du besoin en capital du secteur concerné, notamment en matière d'investissements ». Elle observe, par exemple, que ce besoin est particulièrement important dans le secteur de l'imagerie médicale : « Le secteur se caractérise par un besoin d'investissements importants et réguliers, lié à l'innovation technologique et aux cycles de vie des machines, et à des innovations susceptibles de conduire à des restructurations non négligeables. Il s'agit de conditions très favorables à la financiarisation. »136(*)

Les modalités de financement des activités de soins ne sont, par ailleurs, pas toujours adaptées à de tels investissements. La Cour des comptes observait ainsi, en 2016, une relative déconnexion entre les forfaits techniques versés par l'assurance maladie et le coût d'investissement et d'exploitation associé des équipements d'imagerie : « Si les forfaits techniques ont vu leur montant se réduire au cours des dix dernières années, la baisse a été très variable selon les modalités, et ne s'est pas appuyée sur une analyse des progrès réels de productivité ni de l'optimisation des charges des exploitants. »137(*)

Interrogée par les rapporteurs, la fédération nationale des médecins radiologues (FNMR) a mis en avant que les radiologues libéraux figurent parmi les médecins « qui ont un des coûts de la pratique les plus élevés en raison des investissements technologiques, de la valeur toujours croissante du matériel qu'il faut renouveler au moins tous les 5 à 7 ans (...), auquel s'ajoutent un coût de SAV devenu incontournable pour assurer la qualité et des investissements nouveaux en intelligence artificielle et télémédecine. »

· Au-delà du financement des investissements nécessaires, la financiarisation peut également constituer une source d'économies importante pour l'assurance maladie, par les restructurations et les gains d'efficience qu'elle permet. La biologie médicale fournit, dans ce domaine, un exemple éclairant.

L'Autorité de la concurrence observait ainsi, dans son avis précité de 2019 sur le secteur, que l'assurance maladie avait mis en place une politique volontariste de maîtrise des dépenses :

- entre 2006 et 2013, l'assurance maladie a diminué significativement les cotations de nombreux actes de biologie médicale en vue de réaliser des économies ;

- entre 2014 et 2019, sous l'effet des protocoles triennaux conclus entre l'assurance maladie et la profession, une régulation couplée des prix et des volumes a été mise en place afin de contenir la croissance des dépenses avec un objectif de 0,25 % entre 2014 et 2019, de 0,4 % en 2020, de 0,5 % en 2021 et de 0,6 % en 022.

Du fait de cette régulation et selon l'assurance maladie, sur la période 2014-2021, les dépenses entrant dans le champ du protocole ont crû annuellement, en moyenne, de 0,9 %, pour une progression spontanée des dépenses d'environ 3,5 %.

Décomposition du taux de croissance des dépenses de biologie remboursées
par le régime général dans le champ des protocoles triennaux

Source : Caisse nationale d'assurance maladie, rapport « Charges et produits » pour 2023

Ces modalités de maîtrise des dépenses, permises par les gains d'efficience réalisés par les groupes de laboratoires, sont susceptibles de favoriser en retour une poursuite de la concentration et de la financiarisation du secteur en fragilisant les structures indépendantes. Constatant leur efficacité, l'Autorité de la concurrence concluait ainsi, dans son avis de 2019 : « Au final, cette volonté de réduction des dépenses publiques, dans un contexte plutôt favorable à l'augmentation des volumes, pourrait se traduire par une baisse des marges unitaires et ainsi renforcer les incitations des acteurs à se concentrer pour augmenter leurs volumes propres. »138(*) Rien n'indique, toutefois, que de telles stratégies tiennent correctement compte des enjeux de pertinence des soins et de répartition territoriale. Le protocole triennal conclu pour la période 2024-2026 prévoit, à nouveau, une progression des dépenses de 0,4 % par an en moyenne139(*).

c) Une recherche de qualité encouragée par la puissance publique

Les exigences de qualité des soins et les procédures visant à contrôler leur bonne application, mises en place par les pouvoirs publics, peuvent également contribuer à la financiarisation d'un secteur de l'offre de soins. Réciproquement, la restructuration d'un secteur a pu pour ce motif être recherchée par les pouvoirs publics. Le secteur de la biologie médicale constitue, là encore, un exemple pertinent.

· Mise en place par l'ordonnance dite « Ballereau » de 2010, l'obligation d'accréditation des LBM a ainsi constitué une étape importante du mouvement de concentration du secteur.

Dans un rapport de 2006, l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) soulignait la qualité hétérogène des examens de biologie médicale et les lacunes des contrôles mis en place. Elle dénombrait « entre 200 et 500 laboratoires [ayant] un fonctionnement à risque » et entre 1 300 et 1 500 laboratoires, « souvent petits et dirigés par un seul biologiste », qui n'étaient « pas en mesure de remplir les conditions de qualité ». L'Igas observait : « L'évolution de la démographie devrait permettre de résoudre ce problème dans les 5 à 8 ans à venir, en les obligeant à se rapprocher d'un autre LBM ou en les conduisant à fermer, si leur directeur atteint l'âge de la retraite. »140(*)

Pour améliorer la qualité des examens, l'ordonnance « Ballereau » de janvier 2010141(*) a interdit aux laboratoires de réaliser un examen de biologie médicale sans accréditation142(*). Délivrée par le comité français d'accréditation (Cofrac), l'accréditation est destinée à attester qu'ils satisfont aux critères définis par les normes harmonisées en vigueur. Elle peut être suspendue ou retirée dès lors que le LBM ne les respecte plus143(*).

Les laboratoires sont, par ailleurs, tenus de faire procéder au contrôle de la qualité des résultats des examens de biologie médicale qu'ils réalisent par des organismes d'évaluation externe de la qualité144(*).

· Ces exigences de qualité et ces contrôles renforcés sont susceptibles de favoriser la concentration du secteur, de plus grandes entités permettant d'absorber plus facilement le coût induit par ces procédures ou de faire plus facilement la preuve du respect des critères imposés.

À cet égard, l'Autorité de la concurrence indique, dans son avis de 2019, que le coût de l'accréditation demeure difficilement mesurable mais, selon les acteurs du secteur l'accréditation, comprend :

- des coûts récurrents supplémentaires importants, correspondant au recrutement de personnels dédiés à la qualité ou à la maintenance accrue des automates ;

- des coûts non récurrents, tels que les investissements nécessaires dans l'acquisition de nouvelles technologies ou de nouveaux automates.

Elle conclut : « Les laboratoires ont pu, ainsi, mutualiser leurs moyens techniques et humains et regrouper les analyses effectuées auparavant par une multitude de petits laboratoires indépendants sur un même plateau technique moderne et satisfaisant aux conditions de l'accréditation, les autres sites de ce nouvel ensemble se concentrant sur les deux autres phases de l'examen de biologie ou étant supprimés. »145(*)

La Cnam partage cette analyse et observe que « Les contraintes et les coûts liés à cette politique ont constitué un incitatif massif au regroupement des LBM. Se sont ainsi constitués des groupes de LBM en cascade, avec la prise de part d'une SEL dans une autre SEL, qui elle-même prenait des parts dans une autre SEL et ainsi de suite. »146(*)

Auditionné par la commission des affaires sociales, le président de la commission nationale de biologie médicale du Cnom a dénoncé ces surcoûts induits par l'accréditation : « Le Cofrac est l'instance de référence en matière d'accréditation en France. C'est un organisme semi-public quasi industriel auquel on donne un vernis médical, dont le système est très normé, coûteux et sclérosant. Il y a quelques années, un surcoût résultant de l'accréditation de 3 à 4 % sur le chiffre d'affaires des laboratoires, à mon sens non justifié, avait été estimé. Une alternative beaucoup moins coûteuse aurait été de s'appuyer sur la Haute Autorité de santé et les normes ISO 9001, comme recommandé à l'époque par le Cnom. »147(*)

d) Une réponse aux aspirations des professionnels de santé

Enfin, la concentration des structures d'offre de soins, qui accompagne le mouvement de financiarisation dans certains secteurs, semble répondre pour partie aux aspirations renouvelées des professionnels de santé.

· Les nouvelles générations de professionnels semblent privilégier, d'abord, des modalités de travail collectives.

Cette évolution est particulièrement documentée chez les médecins généralistes. La Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) des ministères sociaux observait ainsi, au début de l'année 2022, que 69 % des médecins généralistes libéraux ayant au moins quatre ans d'ancienneté déclaraient exercer en groupe, contre 54 % à la fin de l'année 2010 et 61 % au début de l'année 2019. Cette tendance est particulièrement marquée chez les plus jeunes : 87 % des médecins généralistes âgés de moins de 50 ans en 2022 sont dans ce cas, contre 75 % des 50-59 ans et 53 % des 60 ans ou plus148(*).

L'augmentation du nombre de structures d'exercice coordonné - maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) et centres de santé - constitue un autre indicateur pertinent de l'aspiration croissante des professionnels du premier recours à travailler en groupe.

Nombre de structures d'exercice coordonné (2017-2022)

Source : Commission des affaires sociales du Sénat, d'après des données du ministère de la santé et de la prévention

· Les conditions de travail offertes par les structures concentrées ou financiarisées sont également susceptibles de séduire les professionnels soucieux de ménager un équilibre satisfaisant entre leur vie professionnelle et leur vie privée, ou de maîtriser les charges attachées à la gestion d'une structure de soins.

La possibilité de travailler aisément à distance, d'abord, apparaît attractive. La Cnam observe ainsi qu'en matière d'imagerie médicale, « Le développement des plateformes de téléradiologie (comme France Imageries Territoires) semble offrir un cadre et des conditions de travail attractifs pour les jeunes médecins. »149(*) La FNMR, auditionnée par les rapporteurs, met en avant que « Les nouvelles générations de radiologues souhaitent un meilleur équilibre entre leur vie professionnelle et leur vie privée » et ne sont pas suffisamment formées à la gestion de groupes de radiologie libérale150(*).

Plusieurs organisations auditionnées mettent, par ailleurs, en avant les services offerts par les structures financiarisées en matière d'organisation et de gestion. Le Conseil national de l'ordre des médecins (Cnom) a, ainsi, souligné que « Les sociétés d'investissement permettent de transformer les conditions d'exercice et répondent aux attentes de certains jeunes professionnels qui sont de travailler à temps partiel, sans avoir à supporter les charges de gestion et d'administration de leurs cabinets. »151(*)

· Enfin, les acteurs financiers sont susceptibles de répondre aux aspirations immédiates des professionnels partant à la retraite, en offrant un prix supérieur pour le rachat de leur structure de soins.

La Cnam observe ainsi que « Les prix extrêmement élevés proposés aux médecins seniors pour les rachats par les groupes intégrés, prohibitifs pour les jeunes radiologues n'ayant pas les moyens de s'aligner, rendent ces offres particulièrement difficiles à refuser. »152(*) L'Académie de médecine, en 2022, soulignait également le risque attaché aux « propositions massives d'acquisition par des investisseurs » de structures d'imagerie, appuyées sur des « offres financières attractives »153(*).

II. DES CONSÉQUENCES ENCORE MAL APPRÉHENDÉES SUR LE SYSTÈME DE SANTÉ

A. LES CONSÉQUENCES DE LA FINANCIARISATION SUR LE COÛT ET L'ORGANISATION DES SOINS

1. Le coût incertain de la financiarisation
a) La rémunération des acteurs financiers : une boîte noire pour les pouvoirs publics

La progression d'un capitalisme financiarisé face à un capitalisme professionnel traditionnel dans le secteur de l'offre de soins engendre des bouleversements structurels dans la gouvernance des entités. Elle fait peser sur l'évolution de l'offre le poids de mécanismes nouveaux - rôle des marchés financiers dans la valorisation des actifs des entreprises, accélération de la concentration des opérateurs à l'appui d'opérations de LBO successives, etc. -, étrangers au secteur jusqu'à il y a trois décennies.

· Les modalités d'intervention des acteurs financiers dans l'offre de soins sont protéiformes.

Elles peuvent consister en des mécanismes de marché classiques, en particulier des prises de participations de fonds d'investissement français ou étrangers au sein de sociétés (des sociétés par actions simplifiées - ou SAS - pour les groupes d'hospitalisation privée, des SPFPL pour les cabinets médicaux et les laboratoires de biologie médicale), éventuellement en ayant recours à un montage qualifié de « LBO », c'est-à-dire une opération d'endettement via une société-mère ou holding. Ces prises de participations vont permettre d'exercer un contrôle sur les sociétés concernées. L'investissement initial peut être rémunéré par la réalisation d'une plus-value au moment de la revente de leurs participations par les investisseurs, dans un horizon variable selon la nature de l'investissement, et/ou par le versement de dividendes à la holding.

L'influence des acteurs financiers dans la gouvernance des structures de soins peut aussi s'exercer par le biais de structures commerciales de prestations de services divers (mise à disposition de locaux, matériels, personnels, services juridiques, etc.), contre lesquels les opérateurs de soin versent une rémunération à la société de fourniture. Constituées sous forme de SAS ou de GIE, ces structures ne sont pas soumises aux règles relatives à la détention du capital qui s'imposent aux SEL. Ce modèle a notamment essaimé dans le secteur de l'imagerie et des centres de santé.

L'existence de sociétés foncières propriétaires louant l'immobilier aux cliniques et aux centres de santé relève du même principe et se développe à la faveur d'un mouvement d'externalisation des murs auquel se prêtent de grands groupes tels que Ramsay Santé ou Elsan, qui cherchent ainsi à se désendetter et à dégager de nouvelles ressources pour poursuivre leur croissance. Dans ce secteur, Icade Santé fait figure de leader. On retrouve le même modèle dans d'autres pays, comme l'illustre le cas de l'Irlande, où le processus de financiarisation des centres de soins primaires repose « sur le rachat d'actifs immobiliers destinés à être loués à des centres de soins primaires et des cliniques privées au moyen de baux locatifs de long-terme (20 à 25 ans), dans lesquels l'État se porte garant du risque de défaut de paiement du locataire. »154(*)

Enfin, l'endettement des structures de soin peut également permettre aux acteurs financiers d'exercer une influence sur leur gouvernance et leur fonctionnement. Dans le secteur officinal, le recours à des fonds d'investissement sous forme d'obligations convertibles en actions s'accompagne ainsi, parfois, de contreparties relatives à la gestion de l'officine susceptibles d'affecter l'indépendance des pharmaciens155(*).

· Quant au processus de création de valeur nécessaire à la rémunération des acteurs financiers, il relève essentiellement de deux mécanismes.

D'une part, il repose sur la croissance des résultats, c'est-à-dire la croissance du chiffre d'affaires qui résulte de restructurations internes ou d'un développement externe de l'entreprise. D'autre part, il dépend de l'évolution des valeurs financières d'acquisition du capital entre l'entrée et la sortie des fonds d'investissements sur le marché, qui traduit le positionnement stratégique des entreprises. À titre d'illustration, lorsqu'en 2021, l'actionnaire majoritaire d'Amalviva Santé, Antin Infrastructures Partners, revend ses parts au fonds Wren House Infrastructure, il valorise ses parts au triple de leur valeur d'acquisition en 2017, pour un montant de près de 1,5 milliard d'euros156(*).

Les levées de fonds auxquelles procèdent les groupes d'imagerie et de biologie attestent de l'indéniable rentabilité du secteur et des plus-values qu'engrangent des investisseurs puissants. Tous les secteurs de l'offre ne présentent néanmoins pas le même degré de maturité pour les investisseurs financiers. Le secteur des soins primaires ne connaît ainsi pas de dynamique de croissance comparable, mais il voit progressivement se constituer des réseaux de cabinets. Le processus de transformation des pratiques de soin dans lequel il est engagé, à l'appui du rôle croissant de la télémédecine et de l'intelligence artificielle, permet d'envisager des gains d'efficience susceptibles d'attirer de nouveaux investisseurs.

· En outre, l'utilisation faite de la valeur dégagée par les acteurs financiers ayant investi dans l'offre de soins, perçue comme opaque, suscite des questionnements que la mission a souhaité explorer.

En particulier, la crainte que des bénéfices réalisés en France par les groupes financiarisés ne soient réinvestis à l'étranger pour alimenter des fonds de pension ou d'autres activités lucratives sans rapport avec l'offre de soins française est régulièrement avancée.

Le fait de verser des dividendes à des actionnaires qui contribuent à financer les activités d'un groupe et escomptent à ce titre un bénéfice net n'a a priori rien de choquant, à ceci près que le secteur de la santé français présente une spécificité majeure : son financement par les cotisations sociales des contribuables. Ce qui relève donc d'un mécanisme de marché classique dans n'importe quel secteur marchand s'apparenterait en l'espèce à une privatisation de ressources publiques transformées en profits.

L'ampleur de ce mécanisme n'a toutefois pu être précisément documenté par la mission, en l'absence de données financières accessibles et de l'opacité des mouvements issus du versement de dividendes ou des plus-values réalisées dans le secteur.

Ainsi que le relève la Cnam, « Une première étape importante consisterait à consolider les résultats financiers des sociétés de capital-investissement ayant des participations dans des entreprises du secteur des soins de santé, et à améliorer la transparence sur la gouvernance des producteurs de soins. »157(*) À l'exception des entreprises cotées en bourse soumises à des obligations déclaratives158(*), les informations financières ne font en effet pas l'objet d'une publicité de la part des groupes.

Les pouvoirs publics ne peuvent donc approcher les niveaux de rentabilité auxquels émargent les entreprises dans le secteur de l'offre de soins que de façon imparfaite et approximative.

· À rebours des valorisations spectaculaires dont jouissent les cabinets d'imagerie et les laboratoires, les acteurs de l'hospitalisation privée à but lucratif, par la voix de la FHP, alertent au contraire sur un risque de « dé-financiarisation » qui guetterait leur secteur159(*).

Dénonçant une politique budgétaire trop restrictive ayant conduit à paupériser les cliniques, la FHP agite la crainte d'un retrait des investisseurs en l'absence de redressement des perspectives économiques du secteur et de visibilité à moyen terme sur l'Ondam et les tarifs hospitaliers. Une rentabilité jugée durablement insuffisante par les investisseurs se traduirait par une perte de capitaux essentiels à la viabilité économique des structures qui contribuent à la solvabilisation du secteur et à l'investissement en santé.

Dans ce contexte, Ramsay Santé, Elsan et Vivalto rappellent que leurs actionnaires ne perçoivent aucun dividende depuis une dizaine d'années160(*). L'absence de versement de dividendes n'est toutefois pas significative d'une faible rentabilité des activités développées, dès lors que la cession de parts du capital social ou d'actions à une valeur supérieure à celle de leur acquisition initiale permet de réaliser des plus-values substantielles.

Régime juridique et gestion du capital social des sociétés anonymes

La société anonyme (SA)161(*) est une forme juridique à laquelle recourent les grandes entreprises dont le capital social est divisé en actions. Lorsqu'elles sont cotées en bourse, comme c'est le cas de Ramsay Santé, elles doivent compter au moins sept actionnaires, qui sont des personnes physiques ou morales.

Répartition du capital social et des droits de vote
de Ramsay Générale de Santé (au 30/09/2023)

Source : Document d'enregistrement universel 2023, Ramsay Santé

Un conseil d'administration ou, plus rarement, un directoire et un conseil de surveillance, détermine(nt) les orientations stratégiques de la société et veille(nt) à leur mise en oeuvre.

Un président désigné parmi les membres du conseil d'administration préside les assemblées d'actionnaires et un directeur général, nommé par le conseil d'administration ou par son président, assure la gestion courante de la société.

L'assemblée générale a notamment compétence pour nommer et révoquer les administrateurs et membres du conseil de surveillance, approuver les comptes sociaux, décider de la répartition des bénéfices et de la modification des statuts.

Si en principe, la cession d'actions en SA est libre, les statuts peuvent comporter des clauses spécifiques pour restreindre les possibilités de cessions telles que les clauses d'agrément (elles permettent de soumettre les cessions d'actions à l'accord des actionnaires, à l'unanimité ou la majorité d'entre eux) ou les clauses de préemption (elles offrent un droit de priorité pour racheter les actions qu'un autre actionnaire envisage de céder).

b) L'impact non objectivé de la financiarisation sur les dépenses de santé et le rôle central des autorités de régulation

· L'impact de la financiarisation sur la maîtrise des dépenses est évidemment une question centrale pour les pouvoirs publics. Pour l'appréhender, il convient d'examiner la dynamique des dépenses de santé dans un temps long.

La France est aujourd'hui l'un des pays de l'OCDE qui consacre le plus de richesse à la dépense courante de santé au sens international. Celle-ci représente 11,9 % de son PIB en 2022 (et 11,2 % en 2019, avant la crise sanitaire)162(*).

Depuis 1950, la part de la CSBM dans le PIB a été multiplié par 3,5, passant de 2,5 % à 8,9 % du PIB en 2022163(*). La croissance des dépenses de santé connaît un fort ralentissement à compter de la fin des années 1980 sous l'effet de diverses mesures, notamment du plan Seguin. Depuis 1997, la loi de financement de la sécurité sociale fixe annuellement le cadre de leur évolution, pour tenter de contenir leur progression164(*).

La maîtrise médicalisée des dépenses de santé repose sur une politique de régulation prix-volume qui conduit à déterminer l'évolution des tarifs hospitaliers en lien avec la demande prévisionnelle de soins, tandis que l'évolution des tarifs conventionnels dépend d'une négociation tous les cinq ans entre les représentants des professions de santé libérales et la Caisse nationale d'assurance maladie. Pour réduire les dépenses de santé inutiles et redondantes sans porter atteinte à la qualité des soins, la maîtrise médicalisée des dépenses intègre le concept de pertinence des soins.

· Dans ce contexte, l'appréciation de l'impact de la financiarisation sur les dépenses de santé relève de deux interrogations :

- la financiarisation a-t-elle pour effet d'engendrer une augmentation des dépenses de santé liée à la recherche de rentabilité des activités dans lesquelles les acteurs financiers investissent, ou favorise-t-elle la maîtrise de la dépense en contribuant à l'efficience du secteur ?

la financiarisation modifie-t-elle les conditions du dialogue conventionnel entre les opérateurs de soins privés et l'assurance maladie et conduit-elle à affaiblir la position du régulateur dans ce cadre ?

· Si l'impact de la recherche de rentabilité par des acteurs financiarisés sur les dépenses de santé est une question récurrente, il faut pourtant admettre la difficulté fondamentale à distinguer les effets susceptibles de découler de la financiarisation de ceux engendrés par la privatisation de l'offre de soins, la santé constituant une activité marchande sujette aux logiques commerciales.

Pour éviter des amalgames inopportuns, on rappellera à titre liminaire que la coexistence d'une offre plurielle - publique, privée à but lucratif et privée à but non lucratif - vise un optimum de fonctionnement du point de vue de la dépense et de la qualité du service de santé.

Ce modèle n'interdit pas néanmoins les pratiques déviantes ou frauduleuses. La médiatisation d'affaires dans lesquelles il a été porté gravement atteinte à la sécurité des soins pour des motifs de rentabilité financière a rendu suspectes les intentions de certains opérateurs, dès lors qu'elles impliquaient des structures appartenant à des groupes privés, financiarisés ou non.

Si ces affaires - qui se sont multipliées dans des secteurs à forte croissance ou à rentabilité élevée - ont révélé l'existence de pratiques commerciales illicites et de détournements de nomenclatures, elles ne sont pas en tant que telles une conséquence de la financiarisation. En revanche, la financiarisation semble pouvoir les favoriser en exerçant une pression à la rentabilité. Dans son rapport « Charges et produits » pour 2025, la Cnam illustre ce risque en citant un travail conduit « par l'autorité de la concurrence finlandaise [qui] révèle une augmentation des prix de l'ordre de 10 % à 20 % au sein de cabinets médicaux consécutivement à leur rachat par le groupe Mehiläinen, alors qu'une stabilité des prix est observée à l'extérieur du groupe »165(*). Néanmoins, aucune étude ne permet encore de documenter ce lien entre croissance des dépenses de santé et financiarisation en France.

Auditionné par la commission des affaires sociales du Sénat en mars 2024, le directeur général de la Cnam, Thomas Fatôme, pointait en outre « le risque de voir des choix d'investissements et d'organisation déconnectés des besoins de santé publique »166(*), sur le modèle des centres de santé dentaires ou ophtalmologiques ayant fleuri dans les grandes agglomérations.

C'est donc l'influence de la financiarisation sur l'évolution du secteur marchand du soin et sur les conditions d'intervention des acteurs privés lucratifs qui est questionnée.

· Ces situations interrogent la capacité des autorités de tutelle - ARS et assurance maladie - à réguler et à contrôler le développement d'une offre financiarisée dans le respect des critères de qualité et de pertinence des soins.

S'agissant de l'évolution des rapports entretenus entre l'assurance maladie et les groupes privés dans le cadre de la négociation des tarifs, il est certain que la concentration de l'offre conduit à une modification de la représentation des acteurs et des rapports de force. Le risque identifié est celui d'un amoindrissement de la capacité de négociation des autorités de tutelle face à la constitution de groupes puissants, prépondérants dans l'offre et détenteurs de quasi-monopoles locaux.

Le directeur général de la Cnam a indiqué que les négociations du dernier protocole d'accord fixant le cadre d'évolution des tarifs pour 2024-2026 avec les syndicats de biologistes avaient été perturbées par un positionnement ambigu des syndicats de biologistes, soumis à la pression des groupes pour que la profession s'oppose aux baisses de tarifs envisagées par l'assurance maladie. Le protocole signé en juillet 2023 a finalement permis d'entériner une progression fortement contrainte des dépenses, de + 0,4 % par an entre 2024 et 2026167(*) ; une nouvelle baisse tarifaire est par ailleurs intervenue en janvier 2024 pour respecter le cadre du protocole, compte tenu des volumes de dépenses de biologie en fin d'année 2023 et des perspectives pour 2024. Thomas Fatôme relate ainsi : « Nous n'avons ainsi pas cédé un euro lors des négociations tarifaires de l'automne 2022 et de janvier 2023. J'ai abordé ces négociations avec un objectif de 250 millions d'euros d'économies à réaliser, dont 180 millions d'euros sur la biologie et 70 millions d'euros sur le covid-19, objectifs qui ont été scrupuleusement respectés alors que nos interlocuteurs affirmaient que ces économies entraîneraient la disparition de la biologie médicale française. »168(*)

· L'équilibre du système repose précisément sur la capacité du régulateur à intervenir pour récupérer une partie des gains générés par les groupes et contribuer à la maîtrise de l'Ondam.

Il existe un risque sérieux que cet équilibre ne soit fragilisé par la consolidation d'un marché concentré par quelques groupes financiarisés, faisant craindre une perte d'efficacité des outils de régulation médico-économique dont disposent les pouvoirs publics. Si ce risque apparaît jusqu'à présent maîtrisé, il exige une vigilance renforcée et continue pour éviter une captation de valeur au détriment des contribuables français, principaux financeurs de l'assurance maladie.

2. Une modification visible de la structuration de l'offre
a) La financiarisation : un accélérateur de la concentration de l'offre

· La financiarisation se nourrit de la dynamique de concentration de l'offre de soins au sein de grands groupes qui, par des opérations de rapprochement capitalistique, assure une consolidation du modèle économique des structures. Si l'interaction des deux phénomènes ne fait pas de doute, il reste difficile d'apprécier dans quelle mesure la financiarisation des acteurs de l'offre de soins contribue à accélérer la concentration de l'offre et vice versa.

Dans le champ de la biologie, ce lien de causalité a été souligné sans ambiguïté par les députés Jean-Louis Touraine et Arnaud Robinet dans un rapport de l'Assemblée nationale de 2016169(*). Selon eux, le regroupement de l'offre de biologie médicale répond notamment « à la mise en place de stratégies financières de grands groupes. [...] Pour financer l'extension de leur réseau, mettre en place leur accréditation, juguler les coûts d'exploitation et la baisse tarifaire, les groupes ont des besoins en trésorerie importants. L'appel à des partenaires financiers afin d'opérer des opérations de regroupements est aujourd'hui une réalité qu'il serait vain de dissimuler. »

Dans le champ hospitalier, les dynamiques de mutualisation et de regroupement s'observent au niveau régional et national depuis 20 ans. Sur 1 114 établissements à but lucratif recensés en 2004, 400 étaient détenus par des groupes, dont deux groupes agrégeant plus de 50 structures. En 2020, 800 établissements sur un nombre total de 975 appartenaient à 80 groupes, dont 5 groupes comptant chacun plus de 50 établissements170(*).

Ces regroupements ont une traduction géographique très concrète : la création d'oligopoles régionaux ou de quasi-monopoles à l'échelle de certains territoires. Ces situations résultent de stratégies de développement par les groupes d'une offre intégrée, par filière ou pathologie, à l'échelle locale ou régionale. On observe ainsi une rationalisation des implantations qui tient compte des caractéristiques de l'environnement territorial - dynamique démographique, densité médicale, offre déjà plus ou moins implantée, etc. - et qui vise à optimiser les ressources et opportunités de ce territoire. Selon Laura Allès, auteure de travaux sur la financiarisation des cliniques à but lucratif, « la croissance et les restructurations sont en partie impulsées par les acteurs financiers dans une logique spéculative visant une meilleure valorisation des parts détenues par ces acteurs. »171(*) La concentration favorise ainsi la financiarisation, qui alimente en retour le processus de concentration, avec l'objectif d'améliorer la valorisation financière des groupes, dans une perspective de réinvestissement ou de revente.

· Dans l'ensemble des secteurs de l'offre de soins, le regroupement répond à plusieurs contraintes et impératifs :

- la recherche d'économies d'échelle dans un contexte de baisse tarifaire qui pousse à la performance des organisations et à la mutualisation des investissements structurels lourds, indispensables à la modernisation et à la transformation de l'offre ;

- l'organisation d'activités de taille critique pour atteindre des seuils d'activité réglementaires ;

- la rareté des ressources - notamment la main d'oeuvre médicale -qui impose une optimisation des moyens ;

- la nécessité de disposer d'une assiette économique solide et de professionnaliser la gestion des structures ;

- la capacité à répondre aux enjeux de qualité des soins et de certification ou d'accréditation des structures.

Promues par les uns, critiquées par les autres, ces stratégies d'efficience ont été encouragées par les pouvoirs publics, au travers de la politique de maîtrise médicalisée des dépenses de santé d'une part, et par un pilotage de l'offre par les autorisations au niveau régional favorisant le regroupement des plateaux techniques et la constitution de masses critiques d'activités d'autre part.

· L'Autorité de la concurrence, qui analyse l'évolution du positionnement des opérateurs sur le marché de l'offre de soins, prête une attention particulière au risque de réduction de la diversité de l'offre172(*) sur les territoires.

L'Autorité intervient en effet pour contrôler les opérations de concentration, c'est-à-dire les fusions, les prises de contrôle ou créations d'entreprises, pour lutter contre toute entente anticoncurrentielle et contre les abus de position dominante. Depuis 2019, elle a rendu 51 décisions au titre du contrôle des concentrations dans le secteur de la santé173(*) - concernant aussi bien des cliniques que des laboratoires de biologie médicale, des groupes d'imagerie et des réseaux officinaux. Ce volume témoigne de l'accélération des opérations d'acquisitions et de fusions ces dernières années.

Le risque de moindre diversité de l'offre est particulièrement prégnant dans le champ de la biologie et a été relevé à plusieurs reprises par l'Autorité de la concurrence concernant des opérations menées par le réseau de laboratoires Biogroup. En 2020, l'acquisition par Biogroup de Dyomedea-Neolab, réseau comptant alors 43 sites dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, comportait un risque sérieux d'atteinte à la concurrence dans le département du Rhône dès lors que « le renforcement de la position de la nouvelle entité sur le marché considéré [n'était] pas compensé par une offre alternative crédible et suffisante de la part des opérateurs concurrents »174(*). L'Autorité a formulé les mêmes observations en 2021, à l'occasion de la prise de contrôle d'Oriade-Noviale par Biogroup175(*).

Ces opérations de concentration conduisent ponctuellement l'Autorité de la concurrence à conditionner l'autorisation d'une opération à des engagements des parties (cfsupra sur le rachat d'Hexagone Santé Méditerranée par Elsan).

· L'accélération de la concentration de l'offre de soin présente également un double risque du point de vue, d'une part, de l'adéquation de l'implantation de l'offre aux besoins de la population et, d'autre part, de l'impératif de continuité des soins.

L'ordonnance Ballereau du 13 janvier 2010 a renforcé la mission de régulation de l'offre de biologie médicale incombant aux ARS, en leur confiant la mission de contrôler l'implantation des LBM176(*) et de veiller à préserver la diversité de l'offre177(*). Cette même ordonnance a également fixé des règles visant à limiter la financiarisation de la biologie médicale178(*).

Ces dispositions n'ont pourtant pas produit les effets escomptés, tant en raison du manque d'expertise dont pâtissent les ARS sur ces sujets qui ne relèvent pas de leur coeur de compétence, que de la carence du pouvoir réglementaire dans la publication des décrets d'application de l'ordonnance179(*). Les ARS n'ont donc pas été en capacité de réguler les transformations de l'offre de biologie médicale à l'oeuvre dans leurs territoires.

· En accélérant le processus de recomposition géographique de l'offre, la financiarisation peut aiguiser la tension dans laquelle cohabitent les enjeux d'efficience, d'accessibilité, de qualité et de sécurité de l'offre.

L'impact de cette recomposition sur les conditions d'accès aux soins des patients et la qualité du service rendu demeure néanmoins difficile à évaluer et n'est pas univoque.

Les acteurs de l'offre privée financiarisée ne manquent pas de souligner que le regroupement permet précisément d'entretenir une offre peu ou pas rentable, à l'instar du président du groupe exécutif Elsan, Sébastien Proto, qui indique que « le fait d'être un groupe permet de faire jouer des complémentarités et de maintenir l'accès aux soins dans des territoires qui sont généralement des déserts médicaux »180(*). La capacité à dégager des bénéfices sur certaines activités serait donc garante du maintien d'activités dans tous les territoires. De même, l'organisation de filières de soins complètes permet de suivre le patient à toutes les étapes de son parcours, même si tous les segments de l'offre ne sont pas rentables.

Au surplus, on relèvera que le regroupement n'est pas une tendance propre au secteur privé, la loi HPST ayant fait de la coopération des établissements de santé publics et privés un instrument-clé de l'organisation territoriale de l'offre de soins. La réforme des groupements hospitaliers de territoire (GHT), portée par la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, a poursuivi le même objectif, en obligeant les établissements publics de santé à se rassembler et à coopérer autour d'un projet médical partagé181(*).

b) Des effets ambigus mais tangibles sur les conditions d'accès aux soins

· La crainte d'une dégradation de l'accessibilité géographique de l'offre de soins imputable à la financiarisation est régulièrement formulée.

En soutenant le mouvement de concentration de l'offre, la financiarisation contribue à la désertification de territoires ruraux à faible densité et peu dynamiques et donc, aggrave les disparités d'accès aux soins.

Les structures ne peuvent être rentables qu'à la condition d'atteindre une taille critique d'activité, ce qui suppose l'existence d'une densité suffisante de patientèle (condition de la demande) et de praticiens (condition de l'offre) sur un même territoire. Investir dans des territoires très isolés, sans possibilité d'adossement à un hôpital public ni de coopération avec des entités partenaires, solides et complémentaires, ne correspond pas à un choix économiquement soutenable. Dès lors que la pérennité des structures privées dépend de leur équilibre économique, on ne peut s'étonner que ces acteurs ne persévèrent pas dans des activités structurellement non soutenables. La fermeture de sites non rentables permet alors rationaliser les coûts d'exploitation.

De ce point de vue, la contrainte tarifaire peut constituer un terreau favorable à la financiarisation. En fragilisant en priorité les structures indépendantes - cabinets, laboratoires ou établissements - de dimension plus modeste, elle encourage en effet la concentration de l'offre plutôt que le maintien d'un maillage de proximité par des acteurs indépendants des groupes. Le président de la FHP reconnaissait également le poids de la contrainte tarifaire sur ses adhérents, tandis qu'il regrettait la réduction des marges des cliniques : « Nos marges restent de l'ordre de 1 % à 2 %. Tous les économistes le disent : pour pouvoir investir, produire des bâtiments de qualité, innover... il faudrait au moins se situer à 3 %. Notre capacité d'investissement n'a cessé de diminuer, et nous arrivons au bout du bout. Cela va encore provoquer un mouvement de concentration, ce qui n'est pas souhaitable. »182(*)

Toutefois, le lien de causalité entre la financiarisation et une éventuelle détérioration de l'accès aux soins n'est aujourd'hui pas suffisamment documenté par des études statistiques et universitaires pour être objectivement démontré.

· La couverture territoriale de l'offre de biologie médicale n'a pas connu de dégradation depuis quinze ans, malgré la financiarisation du secteur.

Dans le champ de la biologie, les statistiques établissent que le maillage territorial des laboratoires de biologie médicale (LBM) est demeuré globalement stable entre 2009 et 2021 : la densité de LBM s'établissait à 6,3 LBM pour 100 000 habitants en 2009 contre 6,1 pour 100 000 habitants en 2021183(*) ; quant au nombre de LBM, il est passé de 4 080 en 2009 à 4 160 en 2021, soit une variation à la hausse de moins de 2 %184(*). Enfin, 81 % de la population réside à moins de 7 km d'un site de biologie médicale.

Outre une couverture géographique satisfaisante, il faut souligner, au rang des réussites du secteur, l'investissement massif et sans délai des grands groupes de biologie médicale lors de la crise sanitaire de la covid-19, qui s'est révélé décisif dans la capacité du système de santé à gérer la crise. Le déploiement en urgence sur l'ensemble du territoire d'un dispositif de prélèvement, de test et de séquençage doit être salué.

· Pour autant, une détérioration de l'accessibilité de l'offre de biologie peut s'observer selon d'autres modalités.

En effet, les leviers de productivité traditionnels mobilisés depuis 2010 par les laboratoires commencent à s'essouffler : augmentation des volumes d'analyses par l'industrialisation des process, rationalisation des ressources par la segmentation des sites de prélèvement et d'analyse, massification des volumes d'achat de réactifs et consommables, mutualisation des plateaux techniques... Les perspectives de rendement qui en résultent s'amenuisent désormais. 

Dans ce contexte, la recherche de nouveaux leviers de rentabilité n'est pas toujours dénuée d'impact sur la qualité du service et l'accès aux soins. Elle peut notamment conduire à des fermetures de sites peu rentables et à des restrictions des horaires d'ouverture (ex : multiplication des fermetures de laboratoires les après-midis de semaine et le samedi matin185(*)), ou à une optimisation excessive de certains examens de routine, conduisant à un allongement déraisonnable des délais de rendu de certaines analyses urgentes (ex : dosage de l'hormone HCG pour détecter une grossesse, ou examen cytobactériologique des urines - ECBU). Enfin, la concentration de l'offre de biologie médicale par quelques grands groupes peut poser des difficultés d'accès aux soins en cas de dysfonctionnement touchant un laboratoire concentrant la réalisation des analyses biologiques pour un nombre de sites conséquent.

· Dans le champ de l'obstétrique, la régression sensible de l'offre privée, en particulier de l'offre financiarisée des grands groupes d'hospitalisation à but lucratif, témoigne du retrait progressif des acteurs d'une activité trop peu rentable.

Ce point a fait l'objet d'un examen attentif de la Cour des comptes qui a eu l'occasion de relever, dans un rapport publié à l'été 2023 sur les logiques de complémentarité et de concurrence entre établissements de santé publics et privés186(*). S'appuyant sur les données de la Drees, la Cour observe, toutes activités confondues, une implantation très inégale du secteur privé lucratif dans les territoires, avec une concentration marquée dans les grandes agglomérations, sur le pourtour méditerranéen et en Île-de-France.

Elle souligne également une assez nette répartition des typologies d'activités et de la nature des actes entre le secteur public et le secteur privé lucratif. Concernant l'obstétrique, les fermetures successives de maternités privées ont conduit ces 20 dernières années au doublement du nombre de départements en étant dépourvus. Le groupe Ramsay, qui compte 24 maternités en 2024, en a fermé 6 depuis cinq ans. Les dirigeants des trois principaux groupes d'hospitalisation privée à but lucratif souhaitent toutefois battre en brèche l'hypothèse selon laquelle des interruptions d'activités ou des fermetures de sites répondraient à des motifs de stricte rentabilité. À ce propos, le directeur d'Elsan a ainsi indiqué : « Si notre motivation était d'abord économique, ce que j'entends souvent, nous aurions fermé de nombreuses maternités. En effet, les deux-tiers de nos 25 maternités sont en déficit. »187(*)

Cette dégradation de la diversité de l'offre sur les territoires, qui n'est pas sans impact sur l'accessibilité géographique, résulterait donc, avant toute considération économique, d'impératifs de sécurité des soins et de la crise démographique des gynécologues-obstétriciens. La fermeture d'une maternité privée a, dans tous les cas, pour conséquence immédiate de faire peser l'exigence d'accès à une offre obstétricale sur le seul secteur public.

· Face à cette situation très contrastée qui voit des départements totalement désertés par les groupes d'hospitalisation privée et d'autres marqués par une offre privée lucrative quasi-monopolistique, les moyens à la disposition des ARS pour jouer leur rôle de régulateur de l'offre apparaissent limités.

Alors que les ARS sont largement spectatrices des recompositions induites par la consolidation nationale de l'offre et la financiarisation, l'assise régionale de certains groupes privés les positionne comme des acteurs déterminants de l'accès à l'offre, ainsi que le constate la DGOS : « Au regard de la faible densité médicale dans certaines parties du territoire national, au regard de l'importance prise par des groupes au niveau local dans l'offre de soins, de la diffusion de stratégies de développement intégré au niveau régional sur l'ensemble de l'offre de soins (soins primaires, hospitalisation privée), un retrait d'un acteur du soin au niveau local pourrait avoir des conséquences fortes pour l'accès aux soins. »188(*)

B. LES CONSÉQUENCES SUR LES CONDITIONS D'EXERCICE DES PROFESSIONNELS DE SANTÉ ET DE PRISE EN CHARGE DES PATIENTS

1. Un risque avéré de perte d'indépendance des professionnels
a) La gouvernance de structures de soins financiarisées et le principe déontologique d'indépendance
(1) Le principe déontologique d'indépendance

· Le principe d'indépendance professionnelle est protégé par les codes de déontologie de nombreuses professions de santé.

Ainsi, le code de déontologie médicale dispose que « Le médecine ne peut aliéner son indépendance professionnelle sous quelque forme que ce soit »189(*). Le code de déontologie pharmaceutique dispose, non moins solennellement, que les pharmaciens, « qu'ils soient titulaires, gérants, assistants ou remplaçants (...), ne doivent, en aucun cas, conclure de convention tendant à l'aliénation, même partielle, de leur indépendance technique dans l'exercice de leur profession. »190(*) De la même manière, les codes de déontologie des chirurgiens-dentistes191(*), des sages-femmes192(*), des masseurs-kinésithérapeutes193(*), des pédicures-podologues194(*), et des infirmiers195(*) prévoient tous que les professionnels ne peuvent aliéner leur indépendance professionnelle « sous quelque forme que ce soit. »

Les commentaires du code de déontologie médicale, ainsi, précisent que l'« indépendance est acquise quand chacun [des] actes professionnels [du médecin] est déterminé seulement par le jugement de sa conscience et les références à ses connaissances scientifiques, avec, comme seul objectif, l'intérêt du patient. »196(*)

Le code de la santé publique prévoit l'application de ces dispositions aux biologistes médicaux. Il dispose, ainsi, que chaque LBM est dirigé par un biologiste médical, dénommé biologiste-responsable, bénéficiant des règles d'indépendance professionnelle reconnues au médecin ou au pharmacien dans le code de déontologie applicable. Le biologiste-responsable doit exercer la direction du laboratoire dans le respect de ces règles197(*).

· Le code de déontologie médicale fait plusieurs applications de ce principe.

Un médecin, d'abord, ne peut exercer une autre activité que si un tel cumul est compatible avec l'indépendance et la dignité professionnelles198(*). Les médecins sont, par ailleurs, tenus de respecter l'indépendance professionnelle des autres professionnels de santé et le libre choix du patient199(*).

L'exercice habituel de la médecine au sein d'une entreprise, d'une collectivité ou d'une institution de droit privé doit, dans tous les cas, faire l'objet d'un contrat écrit communiqué au conseil départemental de l'ordre. Le médecin ne peut accepter un tel contrat lorsque celui-ci comporte une clause portant atteinte à son indépendance professionnelle ou à la qualité des soins200(*). Le médecin doit toujours agir, en priorité, dans l'intérêt de la santé publique et dans l'intérêt des personnes et de leur sécurité dans les entreprises ou collectivités au sein desquelles il exerce201(*).

L'exercice conjoint de la médecine est également encadré. Toute association ou société entre médecins en vue de l'exercice de la profession doit, également, faire l'objet d'un contrat écrit respectant l'indépendance professionnelle de chacun d'entre eux202(*). Par ailleurs, le code de déontologie dispose que, dans les cabinets regroupant plusieurs praticiens, l'exercice de la médecine doit rester personnel et chaque praticien doit garder son indépendance professionnelle203(*).

Enfin, le code de déontologie médicale encadre le salariat. Ainsi, un médecin salarié ne peut, en aucun cas, accepter une rémunération fondée sur des normes de productivité, de rendement horaire ou toute autre disposition qui auraient pour conséquence une limitation ou un abandon de son indépendance ou une atteinte à la qualité des soins204(*).

· Le rôle des ordres dans le contrôle du respect du principe d'indépendance est, enfin, directement protégé par la loi.

Celle-ci prévoit que les pharmaciens exerçant en société doivent communiquer au conseil de l'ordre dont ils relèvent, outre les statuts de cette société et leurs avenants, les conventions et avenants relatifs à son fonctionnement, ou aux rapports entre associés et, lorsqu'ils existent, entre associés et intervenants concourant au financement de l'officine ou du LBM. Les dispositions contractuelles incompatibles avec les règles de la profession ou susceptibles de priver les cocontractants de leur indépendance professionnelle les rendent passibles des sanctions disciplinaires205(*).

De la même manière, le code de la santé publique fait obligation aux médecins, chirurgiens-dentistes et sages-femmes en exercice qui demandent leur inscription au tableau de communiquer au conseil de l'ordre dont ils relèvent les contrats et avenants ayant, notamment, pour objet l'exercice de leur profession, ainsi que les statuts, avenants et conventions relatifs, le cas échéant, au fonctionnement de la société ou aux rapports entre associés206(*). Le conseil de l'ordre peut refuser d'inscrire au tableau des candidats qui ont contracté des engagements incompatibles avec les règles de la profession ou susceptibles de priver le praticien de l'indépendance professionnelle nécessaire207(*).

(2) La gouvernance des structures de soins financiarisées

· Lors de leurs auditions, les ordres professionnels ont fait état d'inquiétudes importantes sur le respect du principe d'indépendance professionnel par certaines sociétés au sein desquelles des acteurs privés, non professionnels de santé, sont entrés en capital.

Selon le Cnom, « il a été constaté progressivement que, dans les actes juridiques transmis (statuts notamment) par les sociétés nécessitant d'importants investissements techniques (laboratoires de biologie, centres d'imagerie...), un nouveau mode de gouvernance s'est développé, empruntant un schéma commun aux sociétés marchandes, et échappant ainsi au professionnel exerçant. »208(*)

Logiquement, le Cnop souligne les mêmes difficultés : « Nous constatons de plus en plus dans le cadre de restructurations des laboratoires de biologie médicale que les associés professionnels extérieurs, [du fait de] montages financiers, contrôlent ces sociétés. Les conditions de travail sont également affectées par les exigences financières. »209(*)

· Les ordres décrivent plusieurs modalités d'intervention et d'influence des acteurs financiers.

Ces derniers peuvent, d'abord, utiliser des actions dites « de préférence », permettant de distinguer le pourcentage de capital détenu, les droits de vote et les droits financiers conférés à leurs propriétaires. Ces actions permettent aux associés non professionnels de détenir la majorité, voire l'essentiel, des droits financiers tout en ne détenant qu'une minorité du capital social et des droits de vote, en application des dispositions légales et réglementaires encadrant la propriété des SEL.

Certaines clauses statutaires et certains pactes d'associés prévoient, par ailleurs, l'établissement d'un comité stratégique à la main de l'investisseur privé, un droit de préemption en cas de cession, ou des modalités de prise de décision telles qu'elles privent les associés exerçants de leur pouvoir décision.

Extraits de clauses ayant conduit l'ordre des médecins à s'interroger
sur le respect du principe d'indépendance professionnelle
210(*)

« Le Président est désigné, renouvelé ou remplacé par décision des associés (...), sur proposition des titulaires d'actions ordinaires », les actions ordinaires étant détenues intégralement par le tiers investisseur.

« Il est institué un comité stratégique composé de trois membres », dont un désigné par les associés professionnels exerçants en leur sein après accord des associés non exerçants, et deux désignés par les associés non exerçants, assurant une majorité à ces derniers. Les statuts peuvent prévoir, dans ce cadre, que les décisions stratégiques ne pourront être prises sans l'autorisation préalable du comité.

« Les décisions collectives sont adoptées à la majorité des quatre cinquièmes (4/5èmes) des voix des associés présents ou représentés... », empêchant les associés exerçant de contrôler la société.

« Nonobstant toute autre stipulation contraire, chaque année, un dividende représentant 100 % du bénéfice distribuable, après prélèvements nécessaires à la constitution des réserves obligatoires, sera distribué aux associés (...), sauf décision contraire du ou des Associé(s) Non-Exerçant(s) », empêchant les associés exerçants de décider d'une mise en réserve des bénéfices.

Le cabinet d'avocats Winston & Strawn, auditionné par les rapporteurs, souligne qu'il n'existe aujourd'hui « aucune disposition légale ou réglementaire qui limiterait la liberté des associés dans la composition d'un comité ayant pour seul pouvoir d'autoriser les décisions stratégiques, et nullement médicales, relatives à une SEL de médecins sous forme de société par actions simplifiée, de même qu'il n'existe aucune disposition légale ou réglementaire qui régirait le nombre de membres d'un tel comité par rapport au nombre de ses associés. » De la même manière, le cabinet ne considère pas « que la création d'actions de préférence soit un contournement de la règle imposant que des tiers non professionnels ne puissent détenir plus de 25 % du capital social dans la mesure où chaque associé dispose librement de son patrimoine. » 211(*)

Enfin, dans le cas du secteur officinal, l'ordre décrit des contreparties demandées au pharmacien par les fonds d'investissement, en échange de leurs apports financiers, susceptibles de « s'immiscer dans la gestion de la pharmacie, portant de ce fait atteinte à leur indépendance professionnelle. »212(*)

On ne peut que constater que la complexité des montages juridiques et financiers issus du droit des sociétés commerciales et faisant intervenir des contrats en cascade n'apparaît que peu adaptée aux enjeux de régulation du secteur. Elle ne favorise certainement pas la lisibilité de la gouvernance des SEL. Ainsi que le souligne le cabinet d'avocats Axipiter, « la recherche des avantages inhérents à l'optimisation fiscale et à l'investissement contribue à complexifier toujours davantage les montages capitalistiques, si bien qu'il est difficile de déterminer, en bien des cas, qui possède le contrôle effectif de la société d'exercice libéral. »213(*)

b) Le rapport ambivalent des professionnels de santé aux structures financiarisées : entre attractivité et désintérêt

Les professionnels de santé semblent avoir un rapport ambivalent aux structures de soins financiarisées.

· Celles-ci sont, d'une part, susceptibles de se révéler attractives, particulièrement pour les nouvelles générations de professionnels de santé.

Privilégiant une organisation collective du travail, déchargeant les professionnels de tâches de gestion et d'encadrement chronophages, facilitant, parfois, le travail à distance ou à temps partiel, les structures de soins financiarisées répondent aux aspirations des jeunes professionnels pour une meilleure conciliation de leur vie professionnelle et de leur vie privée.

L'attractivité de l'exercice salarié apparaît, ainsi, particulièrement clair chez les jeunes chirurgiens-dentistes qui privilégient fréquemment les centres de santé. Le Conseil national de l'ordre, auditionné, estime ainsi que « L'attrait du salariat se retrouve principalement chez les primo-inscrits : en 2022, près de 50 % des primo-inscrits à un tableau de l'ordre en France exerçait en qualité de salarié. » L'ordre explique ce choix par plusieurs facteurs d'attractivité :

- les charges administratives et contraintes de gestion importantes caractérisant l'exercice en libéral ;

- les charges salariales importantes, rendant difficile l'embauche d'assistants dentaires en libéral ;

- pour les praticiens venant d'autres pays de l'Union européenne, nombreux dans la profession, la difficulté de prendre connaissance de la réglementation encadrant en France l'exercice de la profession ;

- la recherche d'un meilleur équilibre entre vies privée et professionnelle, dans une période marquée par des difficultés démographiques ;

- la facilité avec laquelle il est possible de changer de lieu d'exercice214(*).

Plus généralement, les professionnels de santé mettent en avant les coûts conséquents d'une installation en libéral, et leur effet désincitatif sur les jeunes professionnels démarrant leur activité professionnelle.

· À l'inverse, certaines structures financiarisées, dans lesquelles les professionnels de santé disposent d'un pouvoir de décision affaibli, semblent souffrir d'un manque d'attractivité chez les professionnels de santé, particulièrement les plus jeunes.

La chute de la biologie médicale dans les choix de spécialité réalisés par les étudiants de médecine offre, en la matière, un exemple spectaculaire de perte d'attractivité d'un secteur désormais largement financiarisé. Alors que la spécialité était choisie par les étudiants les mieux classés jusqu'au milieu des années 2000, elle a progressivement souffert, ces vingt dernières années, d'une désaffection marquée l'ayant conduite, en 2021, à figurer au 43e rang sur 44 spécialités offertes aux étudiants de médecine.

L'Académie de médecine relève, par ailleurs, dans un rapport de 2022, qu'environ 15 % des postes offerts à l'internat ne sont, chaque année depuis 2018, pas pourvus. Selon elle, ce manque d'attractivité est dû à la profonde restructuration qu'a connue le secteur : « L'ensemble des regroupements et la financiarisation à outrance conduisent à de gigantesques structures qui ne laissent que peu de place aux biologistes médicaux. Dans la majorité des cas, il est offert aux jeunes biologistes un travail dont l'intérêt est de plus en plus réduit. L'indépendance de leur exercice professionnel dans de telles structures est théorique, et leur poids dans les décisions est pratiquement nul. »

L'Académie met, par ailleurs, en avant les difficultés liées au statut de travailleur non salarié (TNS), fréquent chez les jeunes biologistes intégrant un groupe. Elle met en avant son « extrême précarité car, en l'absence de CDI et de CDD, le code du travail ne s'applique pas. » Pour autant, la taille des groupes et leur structure capitalistique ne donne aucune marge de décision à ces jeunes professionnels au sein des laboratoires215(*).

Le Cnom souligne, de la même manière, que ces jeunes professionnels sont placés dans « la pire des situations », n'ayant « ni les avantages du salariat ni la possibilité de participer à la prise de décisions malgré le statut d'associé ».

Les auditions des syndicats d'étudiants et d'internes ont confirmé le scepticisme de nombreux jeunes professionnels vis-à-vis des structures financiarisées. Le président de l'Union nationale des internes et jeunes radiologues (UNIR) a ainsi souligné que les jeunes radiologues « excluent pour la plupart de leur champ de travail les réseaux financiarisés. »216(*)

2. Les effets mal connus de la financiarisation sur la qualité des soins
a) La financiarisation perçue comme un levier de modernisation de l'offre de soins

Si ses effets sur la qualité des soins sont difficiles à appréhender, la financiarisation constitue toutefois sans ambiguïté un levier puissant de transformation de l'offre.

· Par la consolidation du marché qu'elle induit, d'abord, la financiarisation contribue à faire émerger des acteurs susceptibles d'investir dans la modernisation et la réorganisation des installations de soins.

L'Autorité de la concurrence juge, à cet égard, que la consolidation du marché ne conduit pas toujours à une réduction du degré de concurrence observé : « Sur de nombreux marchés de la santé, les progrès techniques impliquent des investissements massifs et réguliers qui ne pourraient pas être réalisés sans appui financier extérieur aux professions de santé. La financiarisation peut alors constituer un levier de financement de l'innovation et générer, de ce fait, des effets pro-concurrentiels. »217(*)

L'existence de marges d'efficience, d'économies d'échelle, de modernisation ou de restructuration est d'ailleurs classée par la Cnam parmi les principaux facteurs identifiés de financiarisation218(*). Le cabinet Winston & Strawn, auditionné, a également souligné l'intérêt de l'entrée d'acteurs financiers et du phénomène de consolidation qui s'ensuit, en indiquant que ceux-ci permettent « le développement d'une offre de soins plus performante face à une demande accrue ».

· Le secteur de la biologie médicale fournit l'illustration d'une telle capacité de transformation. La financiarisation y a largement contribué à la réorganisation du secteur et à la réalisation d'économies d'échelle, partiellement captées par l'assurance maladie grâce à l'efficacité de la régulation des prix et des volumes mise en place. Selon l'Autorité de la concurrence, la réglementation du secteur a conduit à « maintenir le caractère libéral de la profession de biologiste - en garantissant l'indépendance professionnelle sur tous les aspects médicaux de l'activité - tout en permettant une organisation économique plus “industrielle“ de l'“outil de travail“ que constitue le laboratoire. »219(*)

Les représentants des principaux groupes de biologie médicale mettent également en avant les investissements consentis dans les examens innovants, et l'effet de l'automatisation de certaines activités sur l'efficacité des laboratoires. Lors de leur audition par la commission, M. Gibault, directeur général de Synlab, a ainsi soutenu que « la présence de partenaires financiers permet des investissements importants au service des patients, comme les investissements dans de nouveaux tests, des solutions de cybersécurité, des équipements et des technologies de pointe que l'État ou la puissance publique ne peuvent financer. La consolidation des laboratoires était inévitable au vu des changements majeurs que la biologie médicale a connus sur le plan technique, démographique, économique et de la qualité. »

La réorganisation et la modernisation de l'offre de biologie privée aurait, d'après les groupes auditionnés, favorisé leur implication lors de l'épidémie de covid-19. La crise sanitaire est ainsi citée par M. Le Meur, président de l'Association pour le progrès de la biologie médicale auditionné par la commission, en exemple de réussite : « Grâce à cette consolidation réussie et voulue par l'État, nous nous sommes totalement impliqués lors de la crise du covid-19. Nous avons pu tester tous les Français comme demandé par le Ministre de la santé Monsieur Véran. Nous avons pu nous impliquer en continu pour réaliser les tests PCR, alimenter le système d'information national de dépistage populationnel (SI-DEP) et procéder au séquençage, parce qu'il y avait quatre plateformes de génétique et de séquençage. Nous nous sommes impliqués totalement et sans cette consolidation, sans les investissements que nous avons pu faire avec nos associés et nos professionnels, nous n'aurions pas pu nous impliquer de cette façon sur le covid-19. »

Il soutient qu'il faut, pour l'avenir, « poursuivre cet investissement sur l'oncogénétique, l'endométriose et tous les actes innovants qui seront accessibles à l'ensemble des patients sur le territoire. »

b) Des risques identifiés de sélection des actes et de la patientèle

Cet optimisme à l'égard des effets attendus de la financiarisation sur la qualité des soins proposés n'est toutefois pas unanimement partagé : de nombreux acteurs soulignent, à l'inverse, les risques inhérents à l'entrée d'acteurs financiers pour la qualité, la diversité des soins et, en conséquence, la liberté de choix des patients.

· L'Académie de médecine, ainsi, regrette que, sous l'effet de la concentration du secteur et des activités d'analyse, « la majorité des LBM [soient] devenus de simples centres de prélèvement, sans exécution du moindre examen de biologie médicale, envoyant ceux-ci à des plateaux techniques parfois très éloignés. La conséquence pour le patient est que le service offert s'est considérablement dégradé et que la prestation apportée est de moins en moins médicale, du fait de la quasi-absence de biologistes sur ces sites. »220(*) Le Cnom partage ce point de vue et observe que, dans le secteur de la biologie médicale, « La proximité patient-médecin tend à se réduire et les patients en font quotidiennement le constat »221(*).

Des expériences étrangères tendent à étayer ces craintes. Ainsi, le Cnop souligne que plusieurs pays européens sont revenus sur l'ouverture du capital des officines après en avoir constaté les effets néfastes. En Hongrie, celle-ci aurait conduit à des pratiques promotionnelles encourageant la surconsommation de médicaments, à une baisse sensible de la pénétration des médicaments génériques et à une réduction de la gamme de médicaments immédiatement disponibles dans les pharmacies d'officine, révélées dans un rapport public de 2014222(*).

Enfin, l'intérêt d'une réorganisation de l'offre de soins tendant à en accroître l'efficience apparaît très inégal selon les secteurs.

Concernant les pharmacies d'officine, la FSPF souligne que l'intérêt apparaît limité, les pharmaciens offrant un service de proximité difficilement « industrialisable » : « À la différence de la biologie médicale, il n'y a pas d'industrialisation possible du service en pharmacie d'officine permettant de dégager des économies d'échelle. En effet, les conditions fixées par la réglementation à la dispensation des médicaments imposent la présence, au sein des officines, de professionnels de santé formés (pharmaciens et préparateurs en pharmacie) seuls habilités à dispenser les médicaments. Sauf à rompre avec la pratique du face-à-face avec le patient en digitalisant la relation client ou à développer de façon significative des activités économiques, en principe accessoires, de type parapharmacie, les marges d'économies apparaissent donc réduites. »

· Au-delà, des risques de sélection, concentrant l'activité des structures financiarisées sur les actes les plus rentables, sont identifiés.

Ce risque est mis en avant par le Cnom, qui craint « une sélection des patients pris en charge en fonction de la rentabilité »223(*). Le conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes, de la même manière, observe que des « organismes peu scrupuleux » ont pu s'introduire « dans la brèche des soins non pris en charge, ou peu pris en charge par l'assurance maladie (implantologie, prothèses dentaires, odontologie de l'adulte...) », rémunérateurs224(*).

À cet égard, la Fédération des syndicats dentaires libéraux indique également avoir constaté que la plupart des centres dentaires associatifs, dirigés par des non professionnels de santé, « se sont implantés dans des métropoles déjà surdotées en chirurgiens-dentistes et ont privilégié les actes à forte rémunération (implantologie, orthodontie et prothèses) au détriment des soins conservateurs de premier recours. »225(*)

Dans un communiqué de juin 2022, l'Académie nationale de médecine a souligné le risque que font peser sur le secteur de la radiologie les montages et contrats dépossédant les professionnels de la maîtrise de la gouvernance et de la gestion des sociétés. Elle indique que « Ces contrats, à multiples étages sur le fond et la forme, induisent une dérèglementation professionnelle avec des risques avérés de perte d'autonomie décisionnelle, et d'orientation de l'activité vers des examens rentables, simples et modélisés aux dépens de l'urgence. »226(*)

Dans le champ officinal, des pratiques de concentration de l'activité sur les produits les plus rémunérateurs pour l'officine ont également été observées. Le fonds d'investissement 123 Investment managers, qui offre aux titulaires de pharmacie des solutions de financement sous forme d'obligations convertibles en actions, demande ainsi aux pharmacies, en contrepartie, d'augmenter la part des produits les plus rémunérateurs dans leur offre, tels que les produits de parapharmacie, dans l'objectif d'augmenter leur marge commerciale227(*).

Enfin, ce phénomène est particulièrement documenté dans le secteur hospitalier privé. La Cour des comptes observait ainsi, dans un rapport de 2023, qu'en médecine, chirurgie et obstétrique, le secteur privé lucratif accueillait 77 % des affections de la bouche et de la pose de prothèses dentaires et 71 % des endoscopies digestives diagnostiques228(*). Ces activités programmées, dont la durée est relativement stable, s'avèrent également particulièrement rémunératrices pour les praticiens, à l'inverse d'activités cliniques telles que la pédiatrie ou la psychiatrie.

Ces craintes font écho à celles qui, dans le secteur médicosocial, ont visé la financiarisation de la prise en charge des personnes âgées. Au sujet des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), le rapport des sénateurs Bernard Bonne et Michelle Meunier soulignait ainsi, en 2022, qu'« on ne peut valoriser un groupe à plus de quinze fois son bénéfice avant intérêts, impôts et amortissements sans exiger de lui une rentabilité exceptionnelle à très court terme, et par conséquent menacer à plus ou moins brève échéance la qualité de la prise en charge dispensée aux résidents des établissements. »229(*)

· Si ces craintes ont fréquemment été formulées lors des auditions conduites par les rapporteurs, elles demeurent pour l'heure insuffisamment documentées.

La direction générale de l'offre de soins (DGOS) observe ainsi qu'il serait « nécessaire de disposer d'études économétriques et d'analyses en population générale, au-delà des cas individuels qui parcourent l'actualité, pour adopter une conclusion définitive » au sujet de l'effet de la financiarisation sur la qualité des soins.

La direction souligne que des travaux sont en cours au sein du ministère de la santé230(*).

Partageant ce constat, la Cnam a proposé, dans son rapport dit « Charges et produits » pour 2024, la création d'un Observatoire de la financiarisation devant permettre de suivre les opérations financières dans le secteur de la santé, d'analyser leurs conséquences et d'identifier les dérives spéculatives, puis de faire des recommandations pour mieux réguler l'intervention d'acteurs financiers dans les différents secteurs de l'offre de soins. Elle propose également la création d'une Mission permanente de contrôle interministérielle, renforçant la capacité de l'État à faire respecter le cadre juridique s'appliquant aux sociétés de l'offre de soins.

Les rapporteurs partagent pleinement le constat d'une insuffisante information des décideurs sur l'état et les conséquences de la financiarisation de l'offre de soins. Ils observent que plus d'un an après cette recommandation et malgré l'effort récent du ministère de la santé pour affecter certains services à l'étude de la financiarisation, l'Observatoire n'a toujours pas été créé.

L'évolution de l'offre de biologie médicale depuis le début des années 2010 démontre pourtant la difficulté, pour le régulateur, à maîtriser un mouvement de financiarisation parvenu à un stade avancé. C'est pourquoi les rapporteurs appellent le Gouvernement à créer sans attendre un tel outil au niveau interministériel, indispensable à la construction d'un diagnostic partagé et à une régulation efficace de la financiarisation.

DEUXIÈME PARTIE : MIEUX MAÎTRISER LE PHÉNOMÈNE DE FINANCIARISATION ET SES EFFETS

I. RENFORCER LES OUTILS DE RÉGULATION ÉCONOMIQUE ET TERRITORIALE DE L'OFFRE DE SOINS

A. ADAPTER LES MODALITÉS DE RÉGULATION ÉCONOMIQUE

1. Garantir le financement des structures indépendantes
a) Faciliter l'accès à des modes de financement préservant l'indépendance des structures

· Les besoins de financement rencontrés par les professionnels de santé libéraux, notamment lors de leur première installation, constituent l'un des principaux facteurs de financiarisation de l'offre de soins.

Ceux-ci ont, en particulier, été soulignés lors des auditions par les organisations représentatives des pharmaciens d'officine, la financiarisation prenant le plus souvent, dans ce secteur, la forme d'un endettement auprès de fonds d'investissements susceptibles d'influencer, en contrepartie, l'organisation et l'activité de la pharmacie. Ainsi la FSPF a-t-elle souligné que le recours aux fonds d'investissement, souvent sous forme d'obligations convertibles en actions, avait fréquemment pour objectif de « constituer un apport pour l'obtention d'un prêt bancaire », nécessaire à l'acquisition et à l'équipement de l'officine231(*).

S'agissant de la biologie médicale, le Cnom a souligné, lors de son audition, les difficultés croissantes des praticiens pour acquérir un laboratoire, du fait de la concentration du secteur et de l'augmentation spectaculaire de la valeur des structures : « Il y a 15 ans, les laboratoires, encore cantonnés à une échelle locale ou infrarégionale, n'avaient aucune difficulté à trouver des financements auprès des établissements bancaires. Les investissements se chiffraient alors en centaines de milliers d'euros. Les groupes s'étant considérablement agrandis, ces montants, qui représentent désormais plusieurs dizaines de millions d'euros, ne sont plus à la portée des biologistes. »232(*)

Le secteur de l'imagerie médicale est également marqué par des coûts importants d'équipement, qui constituent autant de barrières à l'entrée de nouveaux professionnels qui souhaiteraient démarrer une activité indépendante233(*).

Des besoins de financement importants à l'installation ou en cours de carrière touchent également d'autres professions de santé, moins souvent citées parmi les secteurs susceptibles de subir un phénomène de financiarisation.

Le Conseil national de l'ordre a ainsi souligné, en audition, que si la profession de masseur-kinésithérapeute n'était pas encore « identifiée comme une cible d'investissement », les besoins en capital pouvaient toutefois « être importants pour équiper un plateau technique » et constituer « une porte d'entrée pour ces acteurs privés non directement professionnels de santé, motivés par l'appât de retours sur investissements significatifs. » Il a souligné que des pratiques consistant à louer des plateaux techniques, voire des cabinets clés en main se développaient dans la profession, et suscitaient des interrogations relatives à l'indépendance des kinésithérapeutes234(*).

Le Conseil national de l'ordre des pédicures-podologues (CNOPD) a également souligné que le plateau médical constituait « un investissement important (en moyenne 50 000 €) pour un jeune professionnel qui souhaite s'installer en libéral et pourrait être tenté de recourir à un fonds d'investissement si ces pratiques venaient à se généraliser en France. »

En définitive, la financiarisation apparaît toucher prioritairement les secteurs dans lesquels les coûts liés à l'installation des professionnels et l'équipement des cabinets ou plateaux techniques est le plus élevé - biologie, imagerie, ophtalmologie, etc. Les secteurs tels que les soins primaires, caractérisés par un coût d'équipement moins élevé et une offre de soins atomisée, demeurent pour le moment relativement épargnés.

· Dans ce contexte, le mode de financement des investissements nécessaires à la pratique des professionnels de santé libéraux constitue un enjeu important, susceptible d'affecter l'attractivité des professions comme leurs conditions d'exercice.

Le système bancaire continue de figurer parmi les principales voies de financement, et a été décrit par certaines personnes auditionnées comme capable d'accompagner les professionnels de santé dans leur installation. Le  président de la commission de biologie médicale du Cnom a ainsi souligné, en audition : « Quant aux coûts des investissements, ce n'est pas un sujet. Aujourd'hui, les banquiers de quartier ont la capacité de lever un million d'euros pour un laboratoire s'il le faut. »235(*)

De nombreux acteurs bancaires apparaissent, ainsi, proposer des offres spécifiques destinées à couvrir les besoins d'investissement des professions libérales de santé, leur permettant de s'installer ou de moderniser leur cabinet.

À l'inverse, d'autres professionnels de santé soulignent les difficultés rencontrées dans le recours à un emprunt bancaire pour certains investissements - par exemple, dans le domaine de l'intelligence artificielle en imagerie - ou dans la constitution d'un apport, nécessaire aux jeunes professionnels pour obtenir un prêt. L'intervention des fonds d'investissement dans le financement de certaines pharmacies d'officine apparaît fondée sur ces difficultés236(*).

Aussi des offres complémentaires de financement se sont-elles développées, susceptibles de couvrir le besoin d'apport personnel du professionnel pour recourir à un prêt bancaire ou de compléter ce dernier.

L'émission d'obligations permet, ainsi, le financement de certaines structures sans permettre l'entrée d'acteurs financiers au capital de la société. Si certaines dérives ont été constatées, par exemple par l'émission dans le secteur officinal d'obligations convertibles en actions, de nouveaux acteurs proposent toutefois des solutions de financement destinées à mieux protéger l'indépendance des pharmaciens dans la gestion de leurs officines.

La Caisse d'assurance vieillesse des pharmaciens (CAVP) propose, ainsi, par des fonds nommés « Interpharmaciens » dotés par elle, des solutions de co-financement destinées à répondre aux difficultés rencontrées à l'installation par des pharmaciens qui ne sont pas en mesure de réunir seuls le montant de l'apport nécessaire au recours à un prêt bancaire. Les montants prêtés peuvent s'élever de 100 000 à 500 000 euros, remboursables sous 15 ans. Cette solution de financement se veut respectueuse de l'indépendance professionnelle des officinaux : aucune contrepartie d'adhésion ou d'affiliation n'est demandée. Le service comprend, en revanche, un accompagnement à l'installation - études de la viabilité du projet, de la structuration financière ou juridique de l'officine - pour les professionnels qui le souhaiteraient. Il est accessible, également, aux pharmaciens et médecins biologistes237(*).

Certains syndicats de la profession ont également cherché à offrir des solutions de financement répondant aux besoins d'apport lors des primo-installations. La FSPF et l'Union nationale des pharmacies de France (UNPF) ont, ainsi, créé la plateforme de financement participatif Pharmequity destinée à mettre en relation des pharmaciens repreneurs d'officines, en recherche de fonds propres, et des pharmaciens épargnants souhaitant accéder à des opportunités d'investissement. Cet investissement « en actions » permet l'entrée des pharmaciens investisseurs au capital des officines financées, mais se veut respectueux de l'indépendance des professionnels : les investisseurs ne sont pas autorisés à intervenir dans la gestion quotidienne de l'officine et ne doivent pas exercer dans la même région238(*). Initialement réservée aux primo-installations, la plateforme est ouverte, depuis 2021, à tout titulaire d'officine porteur de projets de développement ou de restructuration239(*).

Certains grossistes-répartiteurs ou groupements d'officine proposent également aux pharmaciens souhaitant investir de les y aider. Le grossiste-répartiteur OCP propose, ainsi, de se porter caution pour les pharmaciens dans le cadre d'un prêt permettant de financer l'apport personnel nécessaire à un projet d'installation240(*) ou de développement241(*). Là encore, l'entreprise promet de ne jamais intervenir dans la gestion de l'officine et de préserver l'indépendance professionnelle du pharmacien.

Lors de son audition par la commission, le Cnop a ainsi souligné que ces « financements vertueux ou éthiques assurés par la profession elle-même » permettaient « de développer [les officines] tout en donnant la priorité à la santé publique et aux patients » et étaient susceptibles d'avoir un effet bénéfique sur « l'attractivité des professions ». Appuyant la constitution d'un apport personnel, elles facilitent l'installation des jeunes professionnels et favorisent le recours à un prêt bancaire, tout en préservant l'indépendance de ces derniers dans la gestion de leur officine. Les rapporteurs jugent souhaitables que ces modèles professionnels soient favorisés et étendus, dans la mesure du possible, à d'autres professions de santé susceptibles de rencontrer des difficultés de financement.

Proposition n° 1 : Favoriser la constitution d'apports bancaires et l'accès à des modes de financement respectueux de l'indépendance professionnelle, sur le modèle des services offerts par la Caisse d'assurance vieillesse des pharmaciens, les syndicats représentatifs des pharmaciens d'officine ou les grossistes-répartiteurs.

b) Mieux rémunérer la qualité et la pertinence des soins

Au sein des établissements de santé comme en ville, la qualité et la pertinence des soins apparaissent insuffisamment valorisées. La rémunération à l'activité ou à l'acte y demeure prépondérante, mais permet peu d'orienter l'activité des structures vers les priorités de santé publique ou de les inciter à améliorer la qualité des soins.

· Dans le secteur hospitalier, la tarification à l'activité (T2A), fondée sur l'application d'un tarif à chaque séjour effectué par un patient dans un établissement sur le fondement de groupes homogènes de séjours (GHS) et de groupes homogènes de malades (GHM), demeure pour l'heure largement majoritaire.

La Cour des comptes observait, dans un rapport de 2023 consacré à ce modèle de financement, la part inégale prise par la T2A dans le financement des activités de médecine, chirurgie et obstétrique (MCO) selon le statut de l'établissement. La T2A, comprenant la tarification des séjours, celle des activités spécifiques - actes et consultations externes, forfaits correspondant à l'activité de médecine d'urgence -, le remboursement des médicaments et dispositifs médicaux en sus, apparaît en effet presque hégémonique au sein des établissements privés lucratifs. Bien qu'inférieure, elle demeure majoritaire dans les autres établissements242(*).

Répartition des produits versés par l'assurance maladie
pour les activités de MCO par statut d'établissement en 2019

Source : Commission des affaires sociales du Sénat, d'après des données de la Cour des comptes

Or les limites de la T2A sont désormais bien documentées. La commission d'enquête sénatoriale relative à la situation de l'hôpital observait ainsi, en 2022, que la T2A avait pu conduire à « une course à l'activité visant à maintenir leur niveau de recettes dans un contexte de baisse des tarifs. Augmentation qui, appréciée globalement, conduisait le Gouvernement à baisser les tarifs l'année suivante. »243(*)

Elle appelait, en conséquence, à revoir le modèle de financement pour retenir un mix autour de « trois piliers activité / population / qualité ». Elle soulignait qu'une meilleure valorisation de la qualité était nécessaire, et largement demandée par le secteur mais alertait : « les indicateurs retenus et leur évaluation doivent être suffisamment nombreux, mais aussi facilement vérifiables et correspondre à des enjeux identifiés. »244(*) Un tel modèle de financement apparaît souhaitable, dans un secteur financiarisé, pour inciter les structures à mieux veiller à la qualité des prises en charge et valoriser les établissements les plus vertueux en la matière.

Pour répondre à ce besoin et après plusieurs années d'expérimentation, un dispositif d'incitation financière à l'amélioration de la qualité (Ifaq) a été mis en place et progressivement renforcé245(*). Celui-ci rémunère les établissements selon le niveau de qualité atteint et leur progression, mesurés sur la base d'indicateurs visant :

- la qualité des prises en charge perçue par les patients ;

- la qualité des prises en charge cliniques ;

- la qualité de la coordination des prises en charge ;

- le niveau de certification obtenu par l'établissement.

La loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2024246(*) prévoit l'entrée en vigueur progressive, à compter de 2025, d'un nouveau modèle de financement, fondé sur trois compartiments : le financement à l'activité, des dotations sur objectifs de santé publique - incluant les actuelles Ifaq, aux côtés de nouveaux objectifs - et des dotations relatives à des missions spécifiques. Si une meilleure valorisation de la qualité et des objectifs de santé publique est affichée, les modalités précises de mise en oeuvre de cette réforme demeurent toutefois, à ce stade, largement inconnues.

· En ambulatoire, la rémunération à l'acte des professionnels présente des limites analogues.

Elle ne permet que très imparfaitement, d'abord, de rémunérer la qualité et la pertinence des soins réalisés. D'autres limites sont fréquemment évoquées : l'insuffisante adaptation des tarifs aux innovations médicales comme aux gains de productivité réalisés pour certains actes ; la complexité excessive des nomenclatures ; enfin, un effet inflationniste, la tarification à l'acte incitant les professionnels de santé à augmenter leur volume d'activité247(*).

Auditionnée, la DGOS souligne également que « le financement à l'acte correspond de moins en moins à la réalité de l'exercice des médecins traitants : il incite peu à la prévention, à la délégation des tâches, à la coopération interprofessionnelle et limite la capacité à innover dans les modalités de prise en charge. Il en résulte pour les médecins un sentiment de faible capacité à agir et évoluer, source d'insatisfaction au travail, d'épuisement et ainsi un manque d'attractivité du métier. »248(*)

· C'est pourquoi les partenaires conventionnels ont, ces dernières années, progressivement développé d'autres modalités de rémunération des professionnels libéraux et des centres de santé. Celles-ci demeurent toutefois accessoires : la rémunération à l'acte représentait encore, en 2020, plus de 75 % de la rémunération des médecins généralistes libéraux249(*).

Instituée par la convention médicale de 2011 et inspirée d'expériences étrangères, la rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP) a progressivement été renforcée jusqu'en 2023. Elle visait, principalement les médecins généralistes et, plus accessoirement, les pédiatres, cardiologues, gastro-entérologues et endocrinologues. Son montant dépendait du degré de satisfaction d'indicateurs par le professionnel de santé, chacun permettant d'accumuler des points auxquels une valeur monétaire est attribuée. Pour les médecins généralistes, les indicateurs étaient répartis en trois thèmes (suivi des pathologies chroniques, prévention et efficience) et permettaient d'orienter les comportements des professionnels comme de rémunérer la qualité des prestations.

La Cnam souligne, dans son rapport « Charges et produits » pour 2025, le succès de ce mode de rémunération. Presque 64 000 médecins ont reçu une ROSP en 2023, pour un montant total de 266 millions d'euros. Chez les médecins généralistes bénéficiaires, le montant moyen reçu à ce titre a dépassé, la même année, 5 000 euros. Surtout, le degré de satisfaction de la grande majorité des indicateurs a progressé avec le temps250(*).

La convention médicale conclue en 2024251(*) prévoit de substituer à la ROSP une majoration prévention appliquée au forfait médecin traitant, fondée sur 15 indicateurs portant sur des actions de prévention. En rémunérant le professionnel pour chaque indicateur validé sur chaque patient concerné, elle vise selon la Cnam à « clarifier les incitations perçues par les médecins dans le cadre des objectifs de santé publique. »252(*)

Dans le champ des centres de santé, une rémunération forfaitaire prévue par l'accord national conclu avec l'assurance maladie vient également compléter la rémunération reçue sur le fondement des nomenclatures applicables aux professionnels libéraux. Celle-ci est conditionnée au respect d'indicateurs et prérequis relatifs à l'accessibilité du centre, à la coordination ou aux systèmes d'information. D'après la Cnam, 2 241 centres de santé bénéficiaires ont perçu, en 2023, 42 645 euros en moyenne à ce titre253(*).

· Hors du champ conventionnel, des expérimentations dites « de l'article 51 »254(*) permettent également la mise en place de modalités de rémunération complémentaires ou alternatives, susceptibles d'améliorer les organisations professionnelles, la qualité des soins ou l'attractivité des métiers.

Lancée en 2020 et portée par le groupement d'intérêt économique IPSO en Île-de-France, l'expérimentation « médecin traitant renforcé » vise ainsi, par un paiement au forfait par catégorie de patients, à renforcer le rôle des médecins traitants dans la coordination du parcours de soins et à les inciter à prendre en charge des patients complexes. Le médecin traitant s'engage, notamment, à réaliser un bilan préventif identifiant les facteurs de risques, réévalués annuellement, et à tenir à jour le dossier médical du patient255(*). Selon la DGOS, « depuis le début de l'expérimentation, 13 médecins généralistes se sont installés, dont 11 primo-installations, ainsi que quatre sages-femmes et trois infirmières en pratique avancée (IPA). »256(*) Un rapport d'évaluation final est attendu pour le mois de novembre 2024.

D'autres expérimentations visent également la mise en place d'une rémunération forfaitaire collective des professionnels de santé en ville, pouvant être librement répartie et utilisée en fonction de la situation du patient. Il en va ainsi, par exemple des expérimentations PEPS 2 en MSP257(*) et en centres de santé258(*), soutenues par le ministère, ou de l'expérimentation Primordial259(*) portée par le groupe Ramsay.

En ville comme à l'hôpital, les rapporteurs jugent souhaitable de favoriser ainsi l'émergence de modèles de financement ou de rémunération tenant mieux compte de la qualité et de la pertinence des soins. Ceux-ci permettent de maîtriser les risques associés à la financiarisation de certaines structures, et de valoriser plus équitablement l'activité des professionnels.

En ambulatoire, ces nouveaux modèles de rémunération apparaissent séduire de jeunes professionnels, soucieux de valoriser un exercice collectif et interprofessionnel. Ils favorisent les innovations organisationnelles et sont susceptibles, dans certains secteurs et notamment dans les soins primaires, de constituer autant de contre-modèles aux structures financiarisées.

Proposition n° 2 : Renforcer la rémunération sur des critères de qualité et de pertinence dans les tarifs hospitaliers et dans les conventions professionnelles. Soutenir, en ville, l'émergence de modèles alternatifs de financement, favorisant les innovations organisationnelles et le travail en équipe.

2. Adapter les outils de suivi et de régulation des dépenses à un environnement financiarisé
a) Améliorer les capacités de contrôle et de suivi des régulateurs

En matière de fraude à l'assurance maladie, les centres de santé dentaires et ophtalmologiques ou orthoptiques ont concentré, ces dernières années, l'attention du législateur et du régulateur.

· Les moyens de contrôle sur l'activité des centres de santé ont, ainsi, été considérablement renforcés ces dernières années.

L'ordonnance du 22 janvier 2018, publiée à la suite du scandale Dentexia, a ainsi :

- précisé le principe d'une ouverture à tous les patients des centres de santé et de réalisation, à titre principal, de prestations remboursables260(*) ;

- interdit la distribution des bénéfices issus de l'exploitation d'un centre : ceux-ci doivent être mis en réserve ou réinvestis261(*).

La LFSS pour 2022 a, par la suite, rendu obligatoire le conventionnement des centres pour que leurs actes soient pris en charge par l'assurance maladie262(*) et permis au directeur général de l'ARS de prononcer, à l'encontre d'un centre non conforme, une amende administrative263(*).

L'avenant n° 4 à l'accord national des centres de santé, signé en avril 2022, a par ailleurs instauré un dispositif de régulation du conventionnement et créé une procédure de déconventionnement accéléré en cas de constat d'actes fictifs.

Enfin et surtout, la loi de mai 2023 visant à améliorer l'encadrement des centres de santé264(*) a :

- rétabli un agrément préalable du directeur général de l'ARS obligatoire pour les activités dentaires, ophtalmologiques ou orthoptiques des centres de santé265(*) ;

- interdit le cumul d'une fonction dirigeante dans une structure gestionnaire de centre de santé en cas de lien d'intérêts avec des entreprises lui délivrant des prestations rémunérées266(*) ;

- interdit les publicités incitant à recourir à des actes ou prestations délivrés par le centre267(*) ;

- créé un comité médical ou dentaire, responsable de la politique d'amélioration continue de la qualité, de la pertinence et de la sécurité des soins268(*) ;

- rendu obligatoire la transmission annuelle, à l'ARS, des comptes certifiés des centres de santé269(*) ;

- fait obligation au directeur général de l'ARS d'informer les instances ordinales compétentes de tout manquement compromettant la qualité ou la sécurité des soins270(*) ;

- prévu que les professionnels exerçant dans un centre de santé doivent pouvoir être identifiés par un numéro personnel, distinct du numéro identifiant le centre271(*).

Ce dernier point est important, dans la mesure où il doit permettre à la Cnam d'avoir une connaissance précise des prescriptions réalisées par les professionnels salariés, comme elle a une connaissance précise sur les prescriptions des professionnels libéraux.

· Depuis, le contrôle exercé par les régulateurs sur l'activité des centres de santé apparaît avoir gagné en efficacité mais demeure perfectible.

La Cnam indique ainsi qu'entre 2021 et 2023, 200 centres de santé ont été contrôlés. Parmi eux, 21 ont été déconventionnés à la suite de constats d'activités frauduleuses graves au regard de la réglementation. Sur l'année 2023, l'assurance maladie aurait ainsi détecté et évité 58 millions d'euros de fraudes réalisées par les centres de santé, contre près de 7 millions d'euros en 2022272(*).

L'exemple du déconventionnement des centres de santé Alliance Vision en août 2023

La Cnam a annoncé, à l'été 2023, déconventionner pour cinq ans 13 centres de santé Alliance Vision situés, pour trois d'entre eux, à Paris et, pour le reste, dans d'autres villes de l'hexagone (Amiens, Nancy, Antibes, Saint-Etienne, etc.). Le total du préjudice causé par les pratiques frauduleuses reprochées à ces centres s'élèverait, d'après les informations publiées par la presse, à 21 millions d'euros.

D'après la Cnam, auditionnée par les rapporteurs, les motifs de ce déconventionnement étaient les suivants : pratiques de facturation non conformes, avec notamment des doubles facturations, des actes fictifs, des fausses revoyures ou encore la facturation d'actes médicalement redondants dont le cumul est interdit à la nomenclature273(*).

Toutefois, l'efficacité et le champ de ces contrôles connaissent plusieurs limites.

D'abord, le décret d'application de la loi de mai 2023 a été pris tardivement et ne couvre que partiellement le périmètre des actes réglementaires attendus. Publié en juin 2024274(*), il ne vise pas, ainsi, les dispositions de la loi prévoyant l'identification des professionnels par un numéro personnel. De surcroît, la commission des affaires sociales du Sénat avait observé, lors de l'examen de la proposition de loi, une « absence d'interopérabilité des systèmes d'information [qui] ne permet pas actuellement à la Cnam d'identifier un praticien salarié d'un centre de santé à l'origine d'un acte... »275(*). Lors des auditions, plusieurs syndicats représentant les chirurgiens-dentistes ont indiqué aux rapporteurs que l'assurance maladie n'était toujours pas en mesure d'identifier avec précision chacun des professionnels des centres de santé à l'origine d'un acte ou d'une prescription prise en charge. Le ministère de la santé, interrogé sur ce point, indique que « des développements des systèmes d'information sont en cours » et devraient permettre une identification individuelle des prescripteurs en centres de santé au début de l'année 2025276(*).

Par ailleurs, les moyens de contrôle des régulateurs demeurent limités. Les 200 centres contrôlés sur les trois dernières années par la Cnam ne représentent, ainsi, qu'environ 8 % des près de 2 500 centres de santé recensés. À cet égard, la commission des affaires sociales, saisie de la proposition de loi visant à améliorer l'encadrement des centres de santé, avait déjà observé dans son rapport que « Les moyens de contrôle des ARS sont d'un maniement difficile : elles peuvent certes prononcer la suspension ou la fermeture d'un centre après une procédure en cas de manquement, au terme d'une procédure contradictoire, mais les moyens humains restent limités... »277(*). La Mutualité Française, qui rassemble 572 centres de santé répartis sur 93 départements et concentre, de ce fait, 20 % de l'offre en nombre de centres, appelle également à « poursuivre les contrôles sur site pour sanctionner les surfacturations et systématisations de pratiques rentables. »278(*)

Enfin, bien que renforcée, la réglementation encadrant l'activité des centres de santé apparaît encore insuffisante à certains acteurs. La fédération nationale des centres de santé (FNCS) préconise, ainsi, d'aller « au-delà de la loi en responsabilisant tous les professionnels de santé exerçant dans les centres et pas seulement les dentistes et les ophtalmologues mais aussi en augmentant très fortement les capacités de contrôle des autorités sanitaires ». Elle préconise une modification de la loi actuelle afin d'« abroger la disposition autorisant les établissements privés lucratifs à créer et gérer des centres de santé. »279(*)

Compte tenu des résultats observés et des scandales sanitaires dont la presse s'est fait l'écho, les rapporteurs jugent indispensables une publication rapide des dispositions réglementaires demeurant attendues, une amélioration des systèmes d'information de l'assurance maladie permettant l'identification des professionnels et un renforcement des moyens de contrôle de l'activité des centres de santé.

Proposition n° 3 : Renforcer la politique de contrôle de l'activité des centres de santé. Sécuriser le dispositif de facturation des actes par les centres de santé à l'assurance maladie en identifiant individuellement les prescripteurs, conformément à la loi.

b) Adapter l'outil conventionnel et veiller au partage des gains de productivité

· La financiarisation d'un secteur de l'offre de soins, en ville, constituant et suscitant une évolution structurelle de l'organisation des soins, elle conduit à s'interroger sur le maintien de la pertinence des outils de régulation économique classiques.

Le système conventionnel, fondé sur la négociation entre l'assurance maladie et les syndicats représentatifs des professions de santé des tarifs applicables280(*), a été mis en place pour concilier l'exercice libéral et atomisé des professions de santé et un haut niveau de socialisation du risque.

À cet égard, la Cnam relève que « la financiarisation entraîne nécessairement une modification de la structure de l'offre de soins, de sa représentation et donc de l'efficacité des outils de dialogue et de régulation. »281(*)

Le secteur de la biologie médicale étant celui qui, en ville, apparaît le plus nettement financiarisé, il fournit une illustration pertinente des difficultés auxquelles peut être confronté le régulateur.

Le directeur général de la Cnam, auditionné par la commission, a ainsi indiqué avoir rencontré « de très sérieuses difficultés lors [des] négociations avec les biologistes » de la fin de l'année 2022, dans la mesure où les interlocuteurs de l'assurance maladie, dans un contexte de forts gains de productivité ayant marqué le secteur, ne souhaitaient pas « s'inscrire dans une logique de partage, au motif que leurs actionnaires étaient entrés à un niveau de valorisation très élevé et n'entendaient donc pas dégrader leurs perspectives de rentabilité. D'où notre question : jusqu'où la régulation peut-elle fonctionner si nos interlocuteurs nous opposent une contrainte de valorisation ? »

Le conflit avec les biologistes du début de l'année 2023 : une illustration des difficultés à réguler les dépenses dans un secteur financiarisé ?

Dans son rapport dit « Charges et produits » pour l'année 2023, publié en juillet 2022, la Cnam observait une très forte croissance du chiffre d'affaires du secteur de la biologie à la faveur de la crise sanitaire et un taux de rentabilité élevé, s'établissant en 2020 à 23 %.

Évolution du chiffre d'affaires de la biologie entre 2013 et 2021

Source : Cnam, rapport « Charges et produits » pour 2023

Par ailleurs, la Cnam observait que la part des dépenses de biologie entrant dans le champ de la régulation portée par les protocoles triennaux conclus avec la profession avait drastiquement diminué avec la crise sanitaire : les protocoles ne couvraient, en effet, que les actes « courants », sans inclure les actes de dépistage de la covid-19. Ainsi, en 2021, 50 % seulement des 7,7 milliards d'euros de remboursement consacrés à la biologie médicale étaient couverts par la régulation liée au protocole, contre 99 % avant la pandémie. La Cnam appelait donc à « définir un nouveau pacte financier avec le secteur »282(*).

En conséquence, la LFSS pour 2023 embarquait une mesure, largement contestée par les biologistes, prévoyant qu'à défaut d'accord signé avant le 1er février 2023 entre l'assurance maladie et les directeurs de laboratoires permettant de générer une économie d'au moins 250 millions d'euros dès 2023, une baisse des tarifs des actes de biologie non liés à la crise sanitaire serait fixée par arrêté ministériel permettant d'atteindre cet objectif283(*).

Un vaste mouvement de fermeture des laboratoires, soutenu par les grands groupes financiarisés, marqua les négociations du début de l'année 2023, jusqu'à ce qu'un accord soit trouvé permettant les 250 millions d'euros d'économies attendues. Un nouveau protocole triennal, couvrant les années 2024 à 2026, fut par ailleurs signé le 27 juillet 2023284(*).

En réponse à une interrogation des rapporteurs, la Cnam indique qu'« au cours des négociations sur le dernier protocole tarifaire signé avec la profession, [elle] a pu mesurer la pression très forte qu'exerçaient les groupes de biologie auprès des syndicats pour leur intimer de s'opposer à ces baisses de tarifs. » Elle relève néanmoins que, malgré ces difficultés, les négociations ont pu aboutir conformément aux objectifs de l'assurance maladie.

Surtout, la Cnam considère que l'outil conventionnel demeure pertinent, le système de santé ambulatoire reposant encore pour une très large part sur des professions libérales dont seuls les syndicats représentatifs peuvent légitimement porter les positions et défendre les intérêts. Elle juge en revanche indispensable d'être en mesure d'apprécier, comme elle l'a fait pour la biologie, le niveau de rentabilité d'un secteur et d'en tirer les conséquences en matière de révision des tarifs : « Si la financiarisation induit des gains d'efficience, et que cela se traduit par des niveaux de rentabilité élevés, il semble souhaitable, pour ne pas dire indispensable, que le régulateur public puisse récupérer une partie de ces gains d'efficience. »285(*)

· À cet égard, il faut observer que la régulation économique d'un secteur par la fixation de tarifs et honoraires apparaît délicate lorsque ce secteur, à l'issue d'un mouvement de concentration et de financiarisation, se trouve divisé entre, d'une part, des structures indépendantes de taille modérée et, d'autre part, des grands groupes concentrant une part significative de l'offre. A fortiori lorsque cette régulation a vocation à promouvoir une modération tarifaire justifiée par les gains d'efficience observés chez les grands groupes financiarisés, que les structures indépendantes ne seraient pas en capacité de générer.

De ce point de vue, le secteur de la biologie, où s'exerce une régulation particulièrement efficace des dépenses assise sur les protocoles triennaux conclus avec la profession, constitue encore un exemple probant.

Auditionné par les rapporteurs, le réseau Les Biologistes indépendants (LBI) a ainsi dressé un tableau inquiétant de l'état économique du secteur. Celui-ci souligne que l'application de baisses tarifaires, justifiées par les gains d'efficience réalisés par les grands groupes, pourrait avoir pour effet d'évincer du secteur les structures indépendantes, ne disposant pas des mêmes marges organisationnelles et insusceptibles, donc, de réaliser les mêmes économies d'échelle.

Le réseau affirme ainsi que « la poursuite de la politique du rabot économique mise en place par la Cnam au travers d'accords triennaux limitant de façon drastique la progression de l'enveloppe de biologie est un vrai danger pour la biologie médicale car elle va conduire à davantage de concentration et l'on va s'enfoncer dans une spirale destructrice : plus de concentration = moins de concurrence = moins de service aux patients. »286(*)

Cette régulation apparaît d'autant plus délicate que la taille des sites de biologie médicale et, en conséquence, leur degré de vulnérabilité financière varient grandement d'un territoire à l'autre. Une étude de 2023 du cabinet de conseil Roland Berger soulignait ainsi l'existence de départements concentrant « une part élevée de petits sites, plus vulnérables financièrement », caractérisés par un risque renforcé de « baisse de l'accès au service pour la population. »

Répartition des sites de biologie médicale
en fonction de leur chiffre d'affaires

Source : Commission des affaires sociales du Sénat, d'après des données de Roland Berger (2023)

S'il apparaît légitime que le régulateur tienne compte, dans la négociation des tarifs applicables, des gains de productivité et des taux de marge observés chez certains acteurs importants, les rapporteurs jugent toutefois indispensable de prendre en compte également la situation des structures indépendantes et le risque que ferait peser leur disparition sur l'offre de soins dans certains territoires.

Plus largement, ils jugent nécessaire que, dans le cadre de l'exercice conventionnel, l'assurance maladie et les syndicats représentatifs des professionnels de santé veillent à créer des conditions économiques favorables au maintien de l'indépendance des professionnels de santé. Cet objectif pourrait légitimement figurer dans la loi, aux côtés des autres objectifs assignés aux négociations conventionnelles.

Proposition n° 4 : Veiller à ce que les tarifs conventionnels négociés permettent la viabilité financière des structures indépendantes et faire figurer dans les objectifs légaux des conventions professionnelles celui de la protection de l'indépendance des professionnels de santé.

B. MAÎTRISER LES CONSÉQUENCES DE LA FINANCIARISATION SUR L'OFFRE DE SOINS DANS LES TERRITOIRES

1. Garantir l'accessibilité de l'offre
a) Construire une régulation de l'offre adaptée au risque de financiarisation, en concertation avec les professionnels de santé et les collectivités territoriales

Dans un contexte où la financiarisation tend à accentuer la déformation de l'offre en favorisant l'implantation des activités dans des zones déjà denses et dynamiques, une action visant à orienter l'installation des professionnels de santé peut apparaître comme un moyen de rééquilibrer ces implantations.

· La question de la régulation de l'installation des professionnels de santé, présentée comme un palliatif aux inégalités d'accès aux soins, est récurrente dans le débat public.

Il faut pourtant prendre garde à ce que le souci d'une gestion optimisée des ressources humaines n'aboutisse pas simplement à une pénurie mieux partagée entre tous, qui ne peut constituer un horizon satisfaisant ou acceptable, ni à une planification excessivement contraignante construite contre les professionnels.

L'examen à l'automne 2023 de la proposition de loi du député Frédéric Valletoux sur l'accès aux soins287(*) a constitué une nouvelle occasion de nourrir les débats à ce sujet, qui cristallise les oppositions et crispe ceux qui seraient les premiers concernés par une telle mesure : les professionnels de santé. L'enjeu porte en réalité non seulement sur la liberté d'installation des professionnels libéraux, mais aussi sur les choix d'installation des professionnels salariés.

Le mode d'exercice des professionnels de santé connaît en effet un changement de logiciel depuis plusieurs années, qui plébiscite le regroupement. En ville, le développement de l'exercice coordonné correspond désormais aux aspirations de la majorité des jeunes professionnels de santé. En établissement de santé, les contraintes de la continuité et de la permanence des soins conduisent les professionnels à privilégier des services accueillant des équipes plus étoffées, c'est-à-dire des établissements de recours, afin de lisser la charge du travail de nuit et de week-end.

La situation sinistrée de la démographie médicale, qui ne devrait pas connaître de redressement avant 2030, encourage également la concentration de l'offre. Si les projections permettent d'envisager une augmentation des effectifs médicaux à compter de 2027, la densité médicale standardisée ne retrouvera en France son niveau de 2021 qu'aux alentours de 2032288(*). La difficulté à constituer des équipes de taille critique ou suffisante pour constituer des lignes de garde et faire fonctionner des activités en continu, comme en chirurgie ou en imagerie, pousse à la rationalisation des ressources humaines rares pour rendre un service dans des conditions de qualité et de sécurité optimisées.

En parallèle, la progression des déserts médicaux sur une grande partie du territoire français témoigne d'une accentuation des inégalités d'accès aux soins, alors même que des centres dentaires et ophtalmologiques fleurissent dans des zones urbaines relativement bien dotées. La coexistence de ces réalités contradictoires ne manque pas d'interroger sur les insuffisances d'un système qui échoue toujours à assurer une répartition territoriale équilibrée des professionnels de santé, et donc de l'offre.

· Les professionnels de santé peuvent être force de proposition pour définir les conditions d'un système plus équilibré.

Les syndicats représentatifs des chirurgiens-dentistes libéraux (la Fédération des syndicats dentaires libéraux et Les Chirurgiens-dentistes de France) se sont emparés de la question de la régulation de l'installation dans le cadre de la dernière convention nationale pour la période 2023-2028, signée le 21 juillet 2023 avec l'assurance maladie.

En y inscrivant un dispositif de conventionnement sélectif pour l'installation de nouveaux praticiens dans certaines zones dites « non prioritaires », les représentants de la profession souhaitent éviter le développement d'implantations peu pertinentes, en particulier la multiplication de centres dentaires dans le centre-ville des grandes agglomérations. Précisément, le dispositif consiste à n'autoriser l'installation d'un praticien qu'à la condition du départ d'un autre chirurgien-dentiste dans les territoires identifiés comme bénéficiant d'un niveau élevé d'offre de soins bucco-dentaires.

Ce système, régulièrement débattu au Parlement, doit permettre d'éviter que des territoires considérés comme suffisamment dotés n'enregistrent de nouvelles installations au détriment de territoires déficitaires. L'entrée en vigueur de ce dispositif est prévue à compter du 1er janvier 2025289(*), sous réserve d'une application conjointe aux cabinets libéraux et aux centres dentaires. Ce type de régulation, déjà en vigueur pour les infirmiers290(*), les kinésithérapeutes291(*) et les sages-femmes292(*), concernera pour la première fois les chirurgiens-dentistes.

Il faut pourtant relever que cette mesure ne peut constituer qu'un levier très limité. Celle-ci n'a en effet vocation à s'appliquer que sur une portion congrue du territoire, les zones jugées surdotées ne couvrant en réalité que 5 % de la population. Seule une centaine de villes seraient concernées. En outre, de l'aveu même du directeur général de la Cnam, le dispositif n'apparaît pas transposable aux médecins en raison de la démographie relativement « plus dynamique » des chirurgiens-dentistes qui justifierait « un traitement différencié »293(*). Le conventionnement sélectif prévu pour les chirurgiens-dentistes ne saurait constituer un mode d'emploi généralisable quand 85 % du territoire national relève d'une zone sous-dotée.

· Un autre exemple témoigne de la mobilisation des professions de santé pour lutter contre le développement d'une offre prioritairement guidée par une recherche de rentabilité. Dans le cadre de la dernière convention signée entre l'Uncam et les représentants des médecins libéraux, la révision du système de majoration des consultations aux horaires de la permanence des soins ambulatoire a ainsi précisément pour but d'empêcher les pratiques abusives des centres de soins non programmés constatées ces dernières années. Les rapporteurs considèrent que l'intérêt de ces dispositifs réside plus largement dans la capacité des professionnels de santé à proposer des dispositifs de régulation de l'offre et à inscrire leurs initiatives dans le cadre conventionnel. Le cadre conventionnel devrait ainsi constituer un espace de réflexion pour réguler les conséquences de la financiarisation sur la répartition territoriale de l'offre de soins.

Extrait de la convention nationale signée entre les chirurgiens-dentistes libéraux et l'assurance maladie pour la période 2023-2028294(*)

Article 35 - Dispositif de gestion partagée des installations et de régulation du conventionnement au sein des zones « non-prioritaires »

La gestion partagée des installations et régulation du conventionnement s'applique uniquement dans les zones « non prioritaires ».

À l'exception des dérogations prévues à l'article 35.5, le conventionnement ne peut être accordé à un chirurgien-dentiste libéral dans une zone « non prioritaire » qu'au bénéfice d'un chirurgien-dentiste libéral désigné comme assurant la succession du professionnel cessant définitivement son activité dans la zone.

Le chirurgien-dentiste, mettant fin à son activité en zone « non prioritaire » dispose d'un délai d'un an maximum à compter de la cessation de son activité pour désigner son successeur. Passé ce délai, le conventionnement devenu disponible est attribué par la commission paritaire départementale [CPD] [...] à un chirurgien-dentiste qui en fait la demande [...].

La cessation d'activité (principale ou secondaire) d'un chirurgien-dentiste ne peut ouvrir droit à transmission de conventionnement dans la zone « non prioritaire » que si l'activité du cédant représentait un seuil minimum de deux jours d'activité par semaine au titre de l'année précédant cette cessation d'activité. [...]

Cet article entrera en vigueur au plus tôt au 1er janvier 2025 et sous réserve d'une transposition concomitante aux centres de santé dentaire dans le cadre de l'accord national des centres de santé après information de la CPN. Dès lors, le dispositif ne s'appliquera pour les chirurgiens-dentistes libéraux que lorsqu'il s'appliquera pour les centres de santé concernés.

· Au-delà d'un encadrement coercitif de l'installation qui serait contreproductif, la lutte contre le creusement des inégalités d'accès aux soins doit s'inscrire dans le cadre plus global d'une politique d'aménagement équilibré du territoire.

La financiarisation de l'offre se manifeste en priorité sur des territoires qui présentent des caractéristiques de nature à garantir un modèle économique équilibré, parmi lesquelles figure l'existence d'un vivier suffisant de professionnels de santé. L'installation des professionnels de santé contraint en effet la possibilité de développer des structures de soins, d'ouvrir des centres de santé et des cabinets d'imagerie, de développer les activités d'un établissement de santé...

C'est donc la capacité à ancrer durablement les professionnels de santé en tout point du territoire qui doit être recherchée pour lutter efficacement contre les déserts médicaux et résister à la désertification de l'offre. Or les professionnels de santé, comme tous les Français, sont désireux de s'installer dans des territoires où ils bénéficieront d'un accès aux services publics, à l'éducation et à des équipements culturels et sportifs, de mobilités fluides et de perspectives de développement économique295(*). Piloter l'offre de soins dans les territoires relève donc aussi d'une politique volontariste d'aménagement des territoires.

À cette fin, le renforcement du dialogue entre les ARS et les collectivités territoriales apparaît comme une nécessité. Le pilotage de l'offre de soins par les ARS induit en effet des conséquences fortes pour l'aménagement des territoires. Or la multiplicité des instances de coordination, à l'image des conférences régionales de la santé et de l'autonomie et des conseils territoriaux de santé, n'a pas suffi à répondre aux attentes exprimées par les élus. Ce constat a guidé certains des travaux préparatoires296(*) à la loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, à décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale. Une association plus étroite des collectivités territoriales à l'action des services déconcentrés de l'État est donc prioritaire pour la territorialisation des politiques de santé.

Proposition n° 5 : Renforcer le dialogue entre les ARS et les élus locaux concernés, notamment les maires, et lutter contre l'implantation d'une offre non pertinente au regard des besoins de santé.

b) Renforcer la régulation de l'offre par les ARS pour assurer des équilibres territoriaux pérennes

· À l'échelle des territoires, la financiarisation est une réalité difficilement lisible pour les ARS qui peinent à saisir certains des enjeux et des conséquences qui lui sont associés, tant par manque d'information que par défaut d'expertise.

Confrontées aux réalités de la recomposition de l'offre sur les territoires, les ARS ne disposent pas des informations relatives aux structures capitalistiques des groupes et aux opérations de rachat. Une meilleure prise en compte de ces enjeux dans le pilotage territorial de l'offre supposerait donc d'appuyer leur capacité d'analyse des évolutions en cours.

Les initiatives de certaines ARS témoignent, toutefois, d'une volonté de mieux appréhender les évolutions qui impactent non seulement la structuration de l'offre, mais aussi le dialogue local qu'elles entretiennent avec les offreurs de soins, dont le pouvoir de négociation s'accroît au gré de la concentration de l'offre.

En région Nouvelle-Aquitaine, le rapprochement de l'ARS et du Conseil départemental de l'ordre des médecins (CDOM)297(*) a permis de nouer un dialogue autour de ces questions298(*) et de partager entre autorités de régulation et de contrôle les informations relatives à la modification des règles de gouvernance, ou à la structure capitalistique d'une société ou d'un groupe implanté dans une région. La connaissance de ces évolutions par l'ARS à l'occasion de l'examen de dossiers de demandes de nouvelles autorisations d'activités représente un élément d'appréciation complémentaire pour le pilotage de l'offre.

Cet exemple atteste du besoin des acteurs, en l'espèce l'ARS et le CDOM, de partager les informations dont ils disposent pour être en capacité d'apprécier la situation de l'offre et ses perspectives d'évolution au sein d'un territoire. Le renforcement des capacités d'analyse et de contrôle des ARS passe non seulement par un appui de leur expertise grâce à la création d'un observatoire de la financiarisation qui serait constitué au niveau national, mais aussi par une concertation régulière avec les instances ordinales, à raison de leur rôle de contrôle de la déontologie des professionnels de santé qui les rend destinataires d'informations essentielles relatives à l'évolution des structures d'exercice.

· L'action des ARS, nécessairement focalisée sur les conséquences négatives pouvant découler du processus de financiarisation sur l'offre, devrait davantage s'appuyer sur la politique d'octroi des autorisations.

La mission de régulation de l'offre qui incombe aux ARS vise à mettre en adéquation l'offre avec les besoins de la population conformément au schéma régional de santé, en garantissant son accessibilité et en veillant à l'optimisation des ressources disponibles. L'attribution d'un nombre limitatif d'autorisations d'activités et de soins constitue un outil essentiel du pilotage de l'offre territoriale puisqu'elle confère une maîtrise de l'implantation des activités soumises à autorisation299(*). Les ARS peuvent développer une politique d'autorisation plus ou moins volontariste en incitant aux coopérations entre le secteur public et le secteur privé, en favorisant les regroupements d'activités pour constituer des ensembles de taille critique, répondre aux fragilités de la démographie médicale ainsi qu'aux enjeux de continuité et de permanence des soins.

Dans ce contexte, les autorisations d'activités peuvent constituer un levier pour prévenir les déséquilibres territoriaux engendrés ou accentués par une offre financiarisée, à condition d'ajuster les critères justifiant leur délivrance à certains opérateurs et de suivre les conditions de leur exécution. Dans la pratique, la notion de territorialité de l'offre demeure insuffisamment déclinée sous forme d'engagements opposables aux acteurs, alors que les critères de dépenses et de seuils d'activité sont au coeur du régime des autorisations d'activité. L'article L. 6122-5 du code de la santé publique subordonne en effet la délivrance des autorisations d'activités au respect d'engagements portant, d'une part, sur les dépenses à la charge de l'assurance maladie ou au volume d'activité et, d'autre part, à la réalisation d'une évaluation prenant en compte des référentiels de pertinence et de seuils pour certaines activités.

L'article L. 6122-7 du code de la santé publique prévoit par ailleurs qu'une autorisation « peut être assortie de conditions particulières imposées dans l'intérêt de la santé publique et de l'organisation de la permanence des soins ». L'octroi et le renouvellement des autorisations d'activités de soins et d'équipements matériels lourds pourraient être conditionnés au respect de tels engagements, sur la base de critères établis par les ARS. Ces dernières s'appuieraient par exemple sur des critères définissant le périmètre territorial que l'opérateur s'engagerait à couvrir pour garantir la prise en charge de patients résidant dans des zones isolées ou éloignées du soin, et précisant les dispositifs mis en oeuvre à cette fin.

De même, les contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (CPOM)300(*) signés entre les ARS et les établissements de santé pourraient constituer un levier d'action intéressant pour contribuer à corriger certains déséquilibres territoriaux de l'offre.

· Dans le champ de la biologie médicale, les ARS ont globalement échoué à réguler l'offre et à mettre en oeuvre les règles de territorialité prévues par l'ordonnance Ballereau de 2010.

Cet échec est en partie imputable à l'absence prolongée de textes d'application. Mais en supprimant l'existence d'un nombre maximal de sites par LBM301(*), l'ordonnance Ballereau a par elle-même contribué à complexifier la régulation de l'offre de biologie médicale et l'application des règles de territorialité. Le rapport de 2016 évaluant la mise en oeuvre de la réforme de la biologie médicale portée par la loi du 30 mai 2013 relevait déjà : « L'absence de limitation du nombre de sites conjuguée aux dérogations légales a conduit à une forte croissance de LBM multisites, « implantés sur de très grandes superficies » en particulier en Île-de-France. Le regroupement se traduit en effet par la mise en place de sites pré et post-analytiques en lien avec le plateau technique en charge de l'examen analytique », occasionnant un allongement de la durée d'acheminement des échantillons biologiques, jusqu'à deux heures dans certaines zones rurales. Cette situation engendre le « risque que le LBM ne puisse pas répondre à une situation d'urgence clinique ou organisationnelle »302(*). 

L'ordonnance Ballerau de 2010 : des règles pour encadrer
l'implantation territoriale des LBM demeurées inopérantes

Selon l'article L. 6222-2 du code de la santé publique, le directeur général d'une ARS peut s'opposer à l'ouverture d'un nouveau laboratoire de biologie médicale ou d'un nouveau site si cette ouverture a pour effet de porter le total de l'offre de biologie médicale à un niveau supérieur à 25 % aux besoins de la population tels que fixés par le schéma régional de santé.

Selon l'article L. 6222-3, pour des motifs tenant au risque d'atteinte à la continuité de l'offre de biologie médicale, le directeur général d'une ARS peut s'opposer à une acquisition ou à une fusion de LBM si elle conduit à ce que le nouvel opérateur réalise plus de 25 % du total des examens de biologie médicale sur le territoire de santé.

L'article L. 6223-4 interdit l'acquisition de sociétés exploitant un LBM si elle a pour effet de permettre à une entité de contrôler plus de 33 % de l'offre de biologie médicale sur un territoire de santé.

L'ambition portée par ces dispositions s'est rapidement révélée caduque, faute de publication des décrets d'application dans des délais raisonnables303(*). La recomposition de l'offre de soins de biologie médicale dans les années qui ont suivi la publication de l'ordonnance Ballereau s'est donc faite en dépit de ces dispositions.

Dans le cadre de la présente mission, une ARS a par ailleurs fait état de créations de sites de LBM en proximité immédiate d'autres sites concurrents plus anciens, dans l'optique supposée de récupérer de nouveaux échantillons biologiques pour alimenter un plateau technique éloigné304(*). Déconnectées des besoins des patients, ces créations ne répondent qu'à une volonté des LBM d'accroître leurs parts de marché.

La réorganisation de l'offre de biologie médicale a profité de l'assouplissement des conditions de développement de l'activité des LBM alors qu'en parallèle, l'encadrement dont ils devaient faire l'objet au titre des règles de territorialité de l'offre n'a pu être mis en oeuvre ni effectivement contrôlé. Pour contrer les effets délétères liés à ces processus organisationnels optimisés, les députés Jean-Louis Touraine et Arnaud Robinet, auteurs du rapport précité de 2016, recommandaient que des critères de distance et de temps de transport de ces échantillons soient pris en compte dans la délimitation des zones donnant lieu à l'application des règles de territorialité de l'offre de biologie médicale305(*).

· Plusieurs acteurs ont exprimé aux rapporteurs leur regret quant au défaut d'application des règles de territorialité de l'offre, qui visaient pourtant à prévenir la constitution de groupes dominant l'offre locale. En définitive, l'amplification du double mouvement de concentration et de financiarisation de l'offre devrait conduire les ARS à jouer un rôle plus actif pour construire des équilibres territoriaux pérennes en intégrant les dynamiques d'un environnement qui leur échappe encore largement.

Cette ambition suppose :

- d'une part, de les mettre en capacité de se saisir des enjeux associés à la financiarisation et à ses conséquences sur la recomposition de l'offre à l'échelle régionale ;

- d'autre part, de définir des outils d'analyse et des critères décisionnels pour piloter plus efficacement l'offre de soins dans une optique tant d'accessibilité que de qualité de l'offre.

Proposition n° 6 : Mobiliser les autorisations d'activités de soins et d'équipements matériels lourds, levier à la disposition des ARS, pour assurer un meilleur équilibre territorial de l'offre.

Dans le secteur de la biologie médicale, assurer une application effective des règles de territorialité de l'offre.

2. Veiller à la pertinence de l'offre
a) Lutter contre les effets de sélection de l'offre

· De même qu'elle accélère la dynamique de concentration des structures, la financiarisation interagit avec les stratégies de positionnement préférentiel des acteurs sur certains segments de l'offre.

Plus précisément, dès lors que les acteurs financiers analysent la rentabilité de leurs placements et choisissent d'investir dans les activités qui présentent les garanties de profitabilité les plus élevées, elle apparaît comme un facteur susceptible d'accentuer le phénomène de sélection des activités. L'orientation des choix des investisseurs vers les segments de l'offre les plus rentables induit mécaniquement un risque de distorsion de l'offre au profit - ou à l'inverse, au détriment - de certains secteurs par rapport à d'autres.

· Au préalable, on relèvera que la pluralité de l'offre qui caractérise le système de santé français n'est pas exempte de déséquilibres.

Tout d'abord, cette offre est inégalement répartie entre les trois secteurs, le système hospitalier français reposant majoritairement sur le secteur public et très largement sur les secteurs public et privé non lucratif. Le secteur privé lucratif réalise environ un tiers de l'activité hospitalière pour un quart des capacités en nombre de lits et places. Ensuite, le système produit des biais de répartition qui se traduisent par des portefeuilles d'activités sensiblement différents entre les trois secteurs. La Cour des comptes a documenté cet effet de sélection dans un récent rapport publié à l'été 2023306(*).

L'inégale répartition des activités entre les trois secteurs est consubstantielle à un système reposant sur des établissements soumis à des contraintes non homogènes en raison de leur nature juridique respective : la pérennité d'un hôpital public dans le paysage de l'offre de soins n'est ainsi pas questionnée, sa solvabilité étant garantie par sa qualité d'établissement public de santé ; la position des établissements de santé privés est en revanche plus fragile, une clinique pouvant se trouver en situation de cessation de paiement et de liquidation judiciaire. Ce partage implicite d'activités doit toutefois s'inscrire dans une logique de complémentarité et d'équilibre.

La valorisation différenciée des activités issue de la tarification à l'activité (T2A) dans le champ du MCO repose sur l'incitation des acteurs à la performance : plus les moyens employés pour réaliser une activité sont optimisés, plus la marge nette que peut dégager un opérateur augmente. Le caractère plus ou moins rémunérateur des actes résulte de choix politiques qui visent à soutenir ou au contraire à contenir le développement de certaines activités. Les échelles tarifaires publique et privée conduisent les acteurs à se positionner de façon plus ou moins marquée sur certains segments d'activités. Ainsi, le développement des activités de chirurgie ambulatoire au détriment de l'hospitalisation complète s'est fait à l'appui d'une politique tarifaire incitative à partir de 2009, dont les établissements de santé privés à but lucratif ont grandement su tirer parti307(*).

Certaines activités sont aujourd'hui clairement dominées par le secteur privé lucratif, comme le documente la Cour des comptes308(*). En Île-de-France, 54 % des autorisations d'IRM sont détenues par le secteur privé lucratif (contre 24 % par le secteur privé non lucratif et 22 % par le secteur public), de même que 46 % des autorisations de scanners (contre 23 % par le secteur privé non lucratif et 31 % par le secteur public)309(*).

· La T2A induit donc des biais dans les stratégies de développement des acteurs et peut même abriter des rentes de situation qu'exploitent les opérateurs : tel est le cas, par exemple, en matière de dialyse médicale. Ces comportements qui visent un optimum économique, voire une rentabilité de l'activité, ne sont pas une conséquence de la financiarisation de l'offre de soins. Toutefois, le risque perçu et partagé par de nombreux acteurs, tient à une aggravation de ces biais de sélection d'activités de la part des offreurs de soins du secteur privé lucratif.

Le cas de la dialyse médicale : une rente de situation non régulée

L'activité de dialyse médicale constitue un exemple des rentes de situation que peut occasionner l'absence de révision du tarif de certains actes dans le système de la tarification à l'activité (T2A). Dans son rapport public annuel de 2020, la Cour des comptes relevait la rentabilité « anormalement élevée » de l'activité de dialyse aux dépens de l'assurance maladie310(*).

L'excessive valorisation de l'activité de dialyse par la T2A s'est accompagnée de dérives que l'association Renaloo s'emploie à recenser, dans une course au profit négligeant les intérêts du patient. Ces situations mettent en exergue les conséquences pouvant résulter d'un déficit de régulation économique des activités de soins par les pouvoirs publics.

Parmi les pratiques abusives observées figurent l'anticipation de l'entrée des patients dans les protocoles de dialyse, la facturation de consultations à l'occasion de chaque séance ou encore, un défaut d'orientation vers la greffe, qui demeure, malgré la persistance de nombreuses difficultés d'accès, le traitement de suppléance le plus adapté et le moins coûteux pour l'insuffisance rénale chronique. Des économies réalisées sur la qualité des prises en charge ont également été recensées, telles que le défaut d'entretien des locaux et de nettoyage des machines, des consommables inadaptés et en nombre insuffisant, l'absence de collations pour les patients311(*)...

La Cour des comptes notait un étonnant différentiel de rentabilité au profit du secteur privé lucratif par rapport à la moyenne d'ensemble : selon elle, les structures privées à but lucratif réalisant une activité de dialyse présentaient un résultat d'exploitation oscillant entre 15 % et 18 % de leur chiffre d'affaires sur la période 2010-2016, contre un taux proche de 5 % pour l'ensemble des structures. Or le secteur privé lucratif concentre 35 % de l'activité de dialyse. Les groupes Ramsay et Elsan figurent parmi les principaux acteurs concernés.

Pour limiter ces biais et favoriser la qualité des soins, un encadrement de la profitabilité des activités de dialyse par une révision des modalités de financement et de cotation des actes apparaît nécessaire.

La Cour des comptes analyse ces logiques de répartition de l'offre résultant « d'une stratégie de spécialisation des gestionnaires d'établissements privés mais, aussi, des autorisations d'activités délivrées par les autorités publiques qui réservent très largement aux établissements publics la gestion des Samu, des Smur, des services d'urgence et de réanimation. »312(*)

Les mêmes biais peuvent s'observer concernant l'offre de soins ambulatoire, la volonté de maximiser les gains par rapport au coût de production du soin conduisant à la fois à des effets de sélection et à une pertinence parfois discutable de certains actes. Bien qu'insuffisamment objectivés de façon systématique, plusieurs syndicats alertent sur des retards de prise en charge en raison d'une offre orientée par la recherche d'une plus grande rentabilité (retards dans la réalisation des mammographies de dépistage ou de certains examens biologiques urgents), ou l'abandon de segments d'activités au profit d'une concentration sur les actes les plus rémunérateurs (cas de l'implantologie)313(*). La DSS évoque un risque de « modification de la structure de l'offre de soins, le développement de mécanismes de sélection adverse au détriment des patients les plus fragiles, une diminution de la qualité des soins ou une hausse de leur prix »314(*). La Cnam et l'Académie nationale de médecine, entre autres autorités, ont à diverses reprises relayé les mêmes inquiétudes. Fort de ce constat, un rééquilibrage de l'offre devrait s'appuyer sur une révision régulière des échelles de tarification pour revaloriser des activités progressivement délaissées par le secteur privé lucratif (cf. supra le cas de l'obstétrique) et pour éliminer les rentes de situation.

Proposition n° 7 : Réviser régulièrement les tarifs hospitaliers et conventionnels pour lutter contre les effets de sélection engendrant des déséquilibres de l'offre de soins.

· Dans le secteur de la biologie médicale, la rationalisation des moyens et l'optimisation organisationnelle de la chaîne analytique semblent s'être traduits par une détérioration de la qualité du service rendu au patient.

Malgré la préservation d'un maillage territorial performant, l'abandon progressif des sites analytiques de proximité au profit d'une multiplication des sites pré-analytiques de prélèvement a conduit à dégrader les délais de rendu d'analyses simples mais urgentes. La restriction observée des horaires d'ouverture s'est également traduite par une moindre accessibilité de l'offre.

Face à cette situation, un rééquipement de certains sites de proximité pourrait être envisagé, ainsi que le préconise le syndicat Les Biologistes Médicaux315(*), sur la base d'une analyse des besoins du territoire menée par les ARS, en s'appuyant sur la définition d'une liste d'examens obligatoires à réaliser sur chaque site de LBM. L'encadrement, par ce biais, de l'organisation de la chaîne analytique permettrait d'éviter une dégradation de la qualité des soins et de garantir des délais de restitution des examens compatibles avec les besoins des patients.

Proposition n° 8 : Augmenter le nombre de sites de biologie médicale analytiques de proximité et définir par arrêté une liste minimale d'examens à réaliser sur chaque site de biologie médicale.

b) Rendre obligatoire l'agrément préalable des centres de soins primaires

· La loi Khattabi n° 2023-378 du 19 mai 2023 relative à l'encadrement des centres de santé a défini un cadre de régulation pour prévenir et décourager les pratiques déviantes et faciliter la détection des fraudes.

Depuis, les autorités de contrôle se sont saisies de la problématique et l'assurance maladie a ces derniers mois nettement renforcé ses contrôles. Les cas de déconventionnements par la Cnam se sont ainsi multipliés : plus de 58 millions d'euros de préjudice financier liés aux fraudes des centres de santé ont été identifiés en 2023 et dix nouveaux centres ont fait l'objet d'un déconventionnement en avril 2024, pour un préjudice estimé à 2,9 millions d'euros316(*). La publication en juin 2024 d'un décret317(*) précisant les conditions d'application de la loi « Khattabi », notamment la procédure d'agrément des centres dentaires et ophtalmologiques ou orthoptiques et le barème des amendes administratives applicables, devrait permettre dans les prochains mois de renforcer les contrôles sur l'ouverture de nouveaux centres.

· Les centres de soins primaires polyvalents demeurent jusqu'à présent épargnés par ces pratiques mais y sont néanmoins exposés.

S'ils peinent aujourd'hui encore à trouver leur équilibre financier, l'expérimentation de dispositifs novateurs pourrait permettre de définir un modèle de fonctionnement soutenable à long terme. La Cnam, dans son rapport « Charges et produits » pour 2025, constatant la fragilité de ce modèle économique, suggère justement de le faire évoluer en tenant compte des premiers résultats des expérimentations dites de l'article 51, des caractéristiques de la patientèle et des organisations spécifiques mises en oeuvre telles que la délégation de tâches318(*). Dans ce contexte, le risque de détournement de l'objet non lucratif de ces centres par l'exploitation illégale de bénéfices n'est pas totalement illusoire.

Comme pour les centres dentaires et ophtalmologiques, la captation de valeur peut se matérialiser par l'existence de sociétés commerciales gravitant autour des centres, pour assurer un rôle de prestation de services allant de la location du bâti à des expertises supports, et susceptibles de faire l'objet de facturations déconnectées des coûts réellement supportés par la structure. Ce risque doit être anticipé pour éviter que des sociétés marchandes guidées par des objectifs strictement financiers ne s'approprient les financements de l'assurance maladie.

En outre, le potentiel d'économies non négligeable que représente le recours croissant à l'intelligence artificielle pour organiser le parcours du patient et établir un diagnostic devrait éveiller l'intérêt des investisseurs. Ces facteurs invitent à anticiper et suivre avec vigilance les évolutions d'un secteur qui connaît des prémices de financiarisation et qui n'est pas à l'abri du développement de nouvelles pratiques d'optimisation, avec des impacts potentiels sur la qualité des soins.

Dans les centres exerçant une activité médicale, le ministère de la santé a par exemple relevé une progression très importante de l'activité de téléconsultation, principalement concentrée dans quelques structures. 20 % des centres de santé recensés réalisaient des actes de téléconsultation en 2023, mais 88 % de ces téléconsultations ont été facturées par seulement 11 centres de santé, celles-ci représentant alors jusqu'à 99 % de la totalité de leur activité clinique319(*). Ces atypies dans l'activité de certains centres pourraient être révélatrices de nouvelles dérives.

La Cnam évoque également le risque de voir se développer des modèles d'offre sans médecin et mentionne à titre d'exemple la télé-ophtalmologie assistée d'une intelligence artificielle, pour faire prospérer une offre sans même avoir besoin de disposer de ressources médicales sur un territoire320(*).

Ces évolutions contribuent à transformer la pratique du soin et influencent la répartition de la ressource médicale sur le territoire. Loin d'être anecdotiques, elles traduisent une recherche d'optimisation qui n'est pas condamnable si elle répond aux enjeux de qualité et d'accessibilité des soins. Elles justifient, dans tous les cas, un droit de regard de l'ARS sur les conditions de leur développement.

· La mise en oeuvre d'une procédure d'agrément pour l'ensemble des centres de soins primaires constituerait un garde-fou utile, sur le modèle de la loi « Khattabi » pour les centres dentaires et ophtalmologiques.

La loi n° 2023-378 du 19 mai 2023 permet désormais aux ARS d'examiner le projet de santé du centre, les déclarations des liens d'intérêts des membres de l'instance dirigeante et les contrats liant l'organisme gestionnaire à des sociétés tierces321(*).

Sans brider l'ouverture de nouveaux centres et tout en soutenant leur développement, la condition d'un agrément préalable à l'ouverture permettrait aux ARS de disposer d'une meilleure connaissance de l'offre sur leurs territoires de compétence - au cours de la mission, les rapporteurs ont constaté que les ARS ne disposaient pas de cartographie de l'ensemble de l'offre régionale - et d'en assurer le suivi régulier, à condition qu'elles bénéficient de moyens suffisants pour ce faire.

En Allemagne, dans le cadre d'une résolution datée du 16 juin 2023322(*), le Bundesrat a sollicité la création d'un registre spécifique aux centres de santé de proximité allemands, qui connaissent une dynamique de financiarisation comparable.

Le développement de nouveaux modèles de prise en charge dans les centres de soins primaires polyvalents doit être soutenu. C'est le sens des expérimentations en cours qui feront prochainement l'objet d'une évaluation. Comme pour les centres dentaires et ophtalmologiques et pour les sociétés de téléconsultations (cf. infra), il apparaît toutefois utile de mieux encadrer l'activité de ces centres. En conditionnant leur ouverture à la délivrance d'un agrément, l'objectif est donc de fixer un ensemble de garanties pour prévenir toute dérive dans le développement d'activité de ces sociétés.

Les sociétés de téléconsultations :
un secteur sous la surveillance du ministère de la santé

Les sociétés de téléconsultation ont prospéré en profitant d'un vide législatif et réglementaire avant que la LFSS pour 2023 ne fixe un cadre à leur développement.

Une enquête conduite en 2022 à l'initiative de l'URPS Île-de-France confirmait notamment que ces sociétés « déploient des techniques publicitaires incitatives à la téléconsultation [...] avec pour conséquence de détourner le patient du parcours de soins habituel »323(*).

Le secteur de la médecine digitale a connu d'importantes levées de fonds ces dernières années. Des opérateurs tels que Qare, Feeli, Medadom, Livi, Tessan, profitent de cette dynamique en ayant recours à des capitaux financiers. Qare a par exemple opéré une levée de fonds de 20 millions d'euros en 2019 auprès d'Axa, devenu le principal actionnaire de l'entreprise324(*).

Face au développement de ces opérateurs qui transforment la pratique du soin et influencent l'évolution de l'offre, la LFSS pour 2023 a encadré les conditions dans lesquelles les consultations réalisées par les médecins salariés de ces sociétés font l'objet d'une prise en charge par l'assurance maladie325(*). En particulier, la société doit avoir été agréée par les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale326(*).

La délivrance d'un agrément permet aux autorités régulatrices (ARS, assurance maladie) de s'assurer que le projet de développement de la société respecte les fondamentaux de qualité et de sécurité des soins. Son réexamen périodique oblige le régulateur à suivre l'activité de la structure et contribue donc à la supervision globale de l'offre. L'agrément permet aussi de contrôler l'absence de liens d'intérêts entre ces sociétés et des industries pharmaceutiques ou des laboratoires par exemple.

Proposition n° 9 : Sur le modèle des centres dentaires et ophtalmologiques, conditionner l'ouverture des centres de soins primaires à un agrément.

II. GARANTIR L'INDÉPENDANCE DES PROFESSIONNELS DE SANTÉ ET PROTÉGER LEURS CONDITIONS D'EXERCICE

A. PROTÉGER L'INDÉPENDANCE DES PROFESSIONNELS DE SANTÉ

1. Maîtriser la place des acteurs financiers dans le capital et la gouvernance des sociétés
a) Assurer l'effectivité des règles existantes

· En encadrant les règles de détention du capital social et des droits de vote d'une SEL, le législateur a souhaité garantir le principe d'indépendance des professionnels de santé qui concourt à l'objectif à valeur constitutionnelle de protection de la santé publique. Depuis la création des SEL par la loi du 31 décembre 1990, des assouplissements successifs sont intervenus pour faciliter le développement des activités des professionnels de santé, comme le principe d'ouverture du capital à des tiers non professionnels à hauteur de 25 %327(*) ou l'ouverture de la majorité du capital à des professionnels extérieurs à la société ou à des SPFPL328(*).

· Bien que respectées dans les statuts des SEL, ces dispositions n'ont pourtant pas permis d'éviter que des investisseurs financiers puissent se trouver en position d'exercer un contrôle effectif des sociétés.

Les règles de détention du capital social et des droits de vote font l'objet depuis plusieurs années de contournements que ni le législateur, ni le Gouvernement, ni les instances ordinales ou le juge ne sont parvenus à endiguer. Ces contournements s'appuient sur le recours à diverses techniques juridiques, issues du droit des sociétés et souvent combinées, par les investisseurs financiers : définition de règles de majorité qualifiées pour contrôler la prise de décision dans les instances voire instauration d'un comité ad hoc, recours au système d'actions de préférence pour conférer à leurs titulaires des prérogatives différentes de celles attachées aux actions simples, notamment des avantages dans la redistribution des bénéfices, insertion de clauses contractuelles dans les pactes d'associés telles que des conventions de vote ou des promesses unilatérales de vente par le professionnel exerçant.

En privant d'effet les garanties prévues par les dispositions législatives, ces mécanismes visent à octroyer aux investisseurs le contrôle de la société et permettent d'opérer une distinction entre les droits sociaux qu'ils détiennent - limités à 25 % par la loi - et les droits financiers qu'ils obtiennent et qui peuvent atteindre 99 % (cfinfra, cas de la société Imapole).

· L'échec du cadre législatif actuel à réguler ces situations conduit les professionnels de santé à des divergences d'appréciation sur les évolutions souhaitables.

Face au risque de dépossession des professions de santé de leur indépendance et de perte de contrôle de leurs prérogatives, le Cnom a appelé à la suppression de la possibilité pour un tiers non professionnel de rentrer au capital d'une SEL de médecins, et à ce que toute personne n'exerçant pas directement ou indirectement au sein d'une SEL médicale ne puisse plus détenir la majorité de son capital social329(*). La possibilité ouverte à toute personne physique ou morale de détenir des parts du capital social des SEL dans la limite de 25 %, inscrite dans la loi et confirmée par l'article R.4113-12 du code de la santé publique pour les SEL de médecins et de sages-femmes, favorise en effet l'entrée d'acteurs financiers au sein des sociétés et la perte d'influence des professionnels de santé. Sur cette question, le cabinet d'avocats Axipiter relève que la simple suppression de cette possibilité par décret pourrait « suffire à empêcher que des holdings autres que des SPFPL prennent des participations dans les sociétés d'exercice de médecins ou de sages-femmes », rappelant qu' « à la différence des holdings de droit commun, les SPFPL doivent en effet être contrôlées par les professionnels exerçants et sont soumises au contrôle direct des ordres professionnels ».

La majorité des acteurs auditionnés par les rapporteurs - ordres professionnels et syndicats représentatifs des professionnels de santé -, sans remettre en cause la présence d'acteurs privés financiers au capital des sociétés, soulignent la nécessité que ce cadre juridique soit effectivement appliqué et non détourné.

· L'Autorité de la concurrence recommandait quant à elle un assouplissement des règles de détention du capital des pharmacies et des laboratoires.

En particulier, dans un avis du 4 avril 2019330(*) relatif aux secteurs de la distribution du médicament en ville et de la biologie médicale privée, elle préconisait d'ouvrir totalement aux investisseurs non-biologistes la participation au capital des LBM, ou à défaut, de relever le plafond de participation de 25 %, ainsi que d'ouvrir le capital des officines de pharmacie à des investisseurs extérieurs minoritaires ou majoritaires. Cet avis, adopté au terme d'une instruction approfondie de plusieurs mois, reposait sur les constats suivants :

- le marché de la biologie médicale est dans une situation de déséquilibre causée par la coexistence de grands acteurs bénéficiant d'un régime dérogatoire abrogé depuis 2013 favorisant leur croissance externe et de petits laboratoires soumis à un régime plus contraignant ;

- les règles de détention du capital des officines pharmaceutiques demeurent particulièrement restrictives, limitant la capacité des officines à accéder à des sources de financement extérieures et entravant le développement de leurs activités.

L'Autorité de la concurrence soulignait dans le même avis la nécessité de « maintenir, voire [de] renforcer les règles assurant une stricte indépendance professionnelle du biologiste (maintien de la majorité des droits de vote aux biologistes ; maintien de l'interdiction de fixer des objectifs commerciaux aux biologistes). »

· Dans la continuité de l'ordonnance du 8 février 2023, une nouvelle évolution du cadre législatif apparaît nécessaire pour contenir l'influence des acteurs financiers non professionnels au sein des SEL, sans modifier néanmoins l'équilibre général des règles de gouvernance.

L'ordonnance du 8 février 2023, qui a réaffirmé le principe d'indépendance des professionnels de santé, n'a pas modifié les règles d'encadrement des droits sociaux et des droits de vote331(*).

Le principe d'une limitation à 25 % des droits sociaux des partenaires extérieurs n'est ainsi pas remis en cause par la majorité des syndicats et ordres professionnels. Une restriction de la participation des investisseurs tiers en-deçà de 25 % des droits sociaux paraît d'ailleurs présenter un risque important de déstabilisation de l'offre telle qu'elle s'est bâtie depuis plus de deux décennies. Les professionnels de santé plébiscitent globalement le modèle actuel, qui leur permet de s'organiser de façon souple et de profiter d'avantages fiscaux332(*).

On relèvera néanmoins que le droit de l'Union européenne ne s'oppose pas a priori à l'édiction de nouvelles règles plus restrictives, dès lors qu'elles apparaitraient nécessaires et proportionnées à l'objectif poursuivi, en l'espèce, l'indépendance des professions de santé et la protection de la santé publique (cf. encadré infra). Les États membres disposent en effet d'une marge d'appréciation pour déterminer les règles les mieux à même de garantir l'objectif de protection de la santé publique, même si elles portent atteinte à la liberté d'établissement dans le marché intérieur prévue à l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'UE.

Droit de l'Union européenne et restrictions
à l'ouverture du capital social des SEL

Dans un arrêt du 16 décembre 2010, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a eu l'occasion de rappeler qu'il revient aux États membres de déterminer les modalités par lesquelles ils entendent assurer le respect du principe de protection de la santé publique, auquel concourt celui de l'indépendance des professions de santé :

« compte tenu de la faculté reconnue aux États membres de déterminer le niveau auquel ils entendent assurer la protection de la santé publique, il y a lieu d'admettre que ces derniers peuvent exiger que les analyses de biologie médicale soient exécutées par des biologistes jouissant d'une indépendance professionnelle réelle. Ils peuvent également prendre des mesures susceptibles d'éliminer ou de réduire un risque d'atteinte à cette indépendance dès lors qu'une telle atteinte serait de nature à affecter la santé publique et la qualité des services médicaux »333(*).

La CJUE a ainsi confirmé que les États membres étaient fondés à fixer des règles restreignant la participation d'investisseurs non professionnels dans les sociétés d'exercice des professionnels de santé.

Elle a également considéré que « le choix opéré par la République française de limiter à 25 % les parts sociales et les droits de vote pouvant être détenus par des non-biologistes au sein des Selarl exploitant des laboratoires d'analyses de biologie médicale résulte notamment du fait que les décisions les plus importantes adoptées au sein de telles sociétés requièrent un vote à la majorité des associés représentant au moins les trois quarts des parts sociales. Une détention du capital et des droits de vote par des non-biologistes est ainsi possible uniquement dans la mesure où ces derniers ne peuvent peser sur lesdites décisions. Par conséquent, les dispositions faisant l'objet du premier grief apparaissent également proportionnées à l'objectif poursuivi, étant donné que, tout en assurant que les biologistes conservent leur indépendance dans l'exercice de leur pouvoir de décision, elles permettent une certaine ouverture des Selarl exploitant des laboratoires d'analyses de biologie médicale aux capitaux extérieurs dans la limite de 25 % du capital social de celles-ci. »

Par ailleurs, à l'occasion de deux questions préjudicielles334(*), la CJUE avait déjà jugé qu'au titre des restrictions à la liberté d'établissement que les États membres sont fondés à déterminer au regard de l'objectif de protection de la santé publique, le fait de réserver la détention des officines pharmaceutiques aux seuls pharmaciens était conforme au droit de l'UE.

· Pour éviter les détournements constatés, la consolidation de l'édifice législatif actuel pourrait s'appuyer sur une définition plus précise de la place des investisseurs tiers et des prérogatives qui leur reviennent.

D'une part, la loi devrait réaffirmer qu'aucun acte - notamment les pactes d'associés - ne peut avoir pour objet ou pour effet de contourner les règles de détention prévues aux articles 5 et 6 de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif et réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières des professions libérales.

D'autre part, elle pourrait préciser qu'aucune personne, physique ou morale, ne relevant pas des catégories définies aux articles précités, ne peut bénéficier de droits financiers ou décisionnels au-delà de la portion du capital qu'elle détient, notamment par l'utilisation d'un système d'actions de préférence. Un tel système permet par exemple aux investisseurs minoritaires de s'octroyer des droits de veto ou de constituer une minorité de blocage dans la prise de décision, et de s'assurer une part prépondérante des bénéfices financiers.

Proposition n° 10 : Compléter les dispositions législatives et réglementaires encadrant la détention des droits sociaux et des droits de vote au sein des SEL, pour mieux protéger le pouvoir décisionnel des professionnels de santé.

· Si la loi prévoit aujourd'hui que les droits attachés aux actions de préférence ne peuvent faire obstacle ni à l'application des règles de répartition du capital et des droits de vote ni aux règles de gouvernance ayant pour objet de protéger l'indépendance des professionnels de santé335(*), les dérives constatées dans l'usage de cet outil soulèvent néanmoins la question de l'opportunité de son maintien en l'état actuel. Certains acteurs ont par exemple évoqué la possibilité de réserver les actions de préférence aux personnes exerçant la profession constituant l'objet social de la société. Les rapporteurs plaident pour qu'une réflexion portant sur un encadrement plus strict des détournements du système des actions de préférence soit conduite.

De telles dispositions prolongeraient utilement les travaux préparatoires à l'ordonnance du 8 février 2023, qui avaient permis d'initier des échanges techniques entre les professionnels de santé et la direction générale des entreprises (DGE) sur les contournements de la loi et les moyens de les endiguer.

Proposition n° 11 : Mettre fin aux détournements du système des actions de préférence appliqué aux SEL des professions de santé.

b) Encadrer plus strictement l'intervention des acteurs financiers

· Par nature, la financiarisation comporte un risque de volatilité des capitaux, éventuellement du fait d'investissements spéculatifs. La menace d'un retrait brutal ou progressif des investisseurs, en cas d'évènement de marché défavorable ou de dégradation de la conjoncture économique, pèse donc sur le financement des offreurs de soins.

La représentation d'une financiarisation servant uniquement des objectifs de rentabilité à court ou moyen terme est loin de saisir la diversité des modèles dans lesquels elle se manifeste. Comme évoqué précédemment, les investisseurs utilisent plusieurs stratégies au service d'un objectif unique, maximiser l'investissement initial. Ils peuvent pour cela recourir à des investissements de long terme sécurisés, pourvu que la réalisation à terme d'une plus-value substantielle corresponde à une prévision réaliste.

Néanmoins, l'accélération des recompositions capitalistiques, le recours à des LBO générant des niveaux d'endettement importants et les opérations de rachat de cabinets à des prix excédant très largement leur valeur réelle, sont autant de facteurs qui génèrent une incertitude sur les évolutions du marché des offreurs de soins et notamment, sur son degré de stabilité.

À cet égard, les conséquences de la révélation de l'affaire Orpéa336(*) illustrent les risques qu'un endettement excessif peut faire peser sur la viabilité financière d'un groupe. À la suite de ce scandale, Orpea a dû, dans le cadre d'un plan de refondation, procéder à un apurement de son endettement « non sécurisé », correspondant à une dette spéculative du groupe. L'entrée majoritaire au capital de la Caisse des dépôts et consignations, aux côtés de la Maif, de la CNP Assurances et de la MASCF, a permis de consolider la situation du groupe.

· Si l'on admet l'opportunité que représente le recours à des capitaux extérieurs pour concourir au financement du système de santé, ce financement doit s'inscrire dans un cadre qui présente des garanties de durabilité et/ou de réinvestissement.

La définition de règles encadrant l'investissement des acteurs financiers non professionnels pour sécuriser le marché de l'offre de soins apparaît d'autant plus nécessaire que l'une de ses principales caractéristiques réside dans la forte socialisation de son financement par le biais des prélèvements obligatoires. Pour éviter des comportements de marché susceptibles de générer une instabilité préjudiciable à l'organisation de l'offre à court ou moyen terme, une réflexion sur une réglementation spécifique entourant l'investissement dans les SEL et les SPFPL apparaît opportune.

Une telle réglementation pourrait notamment prévoir des clauses fixant une durée minimale d'investissement ou de détention des parts au capital des SEL, pour interdire les investissements purement spéculatifs sur des durées de court terme et prévenir le retrait non anticipé de capitaux.

De telles mesures ne pouvaient trouver leur place dans l'ordonnance du 8 février 2023, le champ habilitant le Gouvernement à légiférer ayant été circonscrit par la loi337(*). La Cnam, le ministère de la santé et la DGE ont néanmoins toutes convenu de la nécessité de réfléchir à un meilleur encadrement de la gouvernance des SEL et des SPFPL. La DGOS, auditionnée par les rapporteurs, a indiqué souhaiter réfléchir à l'instauration d'une durée minimale de détention des parts au capital des SEL et au renforcement des règles encadrant le recours aux actions de préférence338(*).

Pour déterminer les conditions de leur faisabilité, les propositions évoquées devraient faire l'objet de travaux techniques et juridiques plus approfondis avec le ministère de l'économie et des finances.

· Un encadrement législatif plus strict permettrait aussi d'éviter les phénomènes de bulle spéculative qui peuvent se manifester sur des marchés à forte croissance.

Le risque est particulièrement prégnant s'agissant de la biologie médicale, les valeurs de marché des laboratoires ayant connu une brusque progression à la faveur de la crise de la covid. Le secteur de l'imagerie médicale, où les offres de rachat de cabinets par des groupes atteignent des valeurs très supérieures à leur valeur réelle, enregistre la même tendance. Les valorisations peuvent y atteindre 13 à 15 fois l'excédent brut d'exploitation, et 10 à 12 fois pour les laboratoires de biologie médicale339(*). Le double mouvement de consolidation et de financiarisation que connaît actuellement l'imagerie médicale en est encore à sa phase initiale, mais la croissance spectaculaire du secteur pourrait connaître un ralentissement d'ici quelques années, dans une phase de tassement de la consolidation. Même si la demande en soins n'est pas appelée à faiblir, les perspectives de rentabilité du secteur seront donc amenées à décroître à moyen terme.

Pour un secteur comme celui des soins primaires dont l'équilibre économique demeure fragile et où la financiarisation est à peine initiée, un encadrement des investissements permettrait de protéger l'offre de tout retournement de marché - par exemple, si celui-ci demeure durablement trop peu rentable - et donc, d'une éventuelle déstabilisation de l'offre et de son financement.

En définitive, le but n'est pas de décourager l'investissement mais de fixer un cadre déontologique aux pratiques des investisseurs, de même que l'exercice des professions de santé libérales obéit à une déontologie spécifique. La santé étant un secteur économique réglementé, l'investissement en santé doit être régulé et s'inscrire dans un cadre éthique, clair et transparent. Le recours à des capitaux extérieurs pour financer le système de santé ne doit pas s'accompagner d'une perte de contrôle de la part des autorités de régulation de l'offre.

· Enfin, le fonctionnement des sociétés commerciales qui interagissent avec les SEL n'ayant d'autre objet qu'une captation de valeur au détriment des structures de soins mériterait un examen attentif. À cet égard, la Cnam évoque même l'hypothèse d'une extension à ces sociétés de certaines règles régissant l'organisation des SEL, dès lors qu'elles ne sont pas soumises aux dispositions de l'ordonnance du 8 février 2023340(*).

· Des réflexions similaires sont partagées dans d'autres pays européens confrontés à une financiarisation rapide de certains secteurs de l'offre.

En Allemagne, l'annonce fin 2022 par le ministre fédéral de la santé allemand, Karl Lauterbach, d'une loi interdisant les acquisitions de centres de santé de proximité (les Medizinische Versorgungszentren ou MVZ) par des sociétés de capital-investissement pourrait permettre d'endiguer un processus qui a échappé à tout contrôle341(*). Malgré une volonté politique appuyée par une résolution du Bundesrat le 16 juin 2023 demandant une réglementation plus stricte des MVZ, aucun projet de texte n'a à ce jour été présenté par le gouvernement allemand.

En Suède, la loi sur les investissements directs étrangers, en vigueur depuis le 1er décembre 2023342(*), a prévu des obligations de notification et d'autorisation pour les investissements réalisés dans certains secteurs critiques correspondant selon la loi à « des activités dignes de protection ». Si la liste limitative des activités concernées n'inclut pas les services de santé, les travaux législatifs préparatoires ont clairement mentionné les soins de santé comme étant susceptibles d'en relever.

· Enfin, au niveau européen, le règlement européen (UE) 2019/2088 dit Sustainable Finance Disclosure Regulation (SFDR) en vigueur depuis le 10 mars 2021 a introduit les notions d'investissement durable ou responsable, mais elles revêtent une dimension encore largement cosmétique. En particulier, les produits financiers ayant pour objectif l'investissement durable, mentionnés à l'article 9 du règlement précité, doivent obéir à des exigences de transparence particulières portant sur la publication d'informations relatives à la durabilité des placements, sans que le règlement ne précise toutefois la liste des informations attendues.

Proposition n° 11 : Empêcher les investissements purement spéculatifs et prévenir le retrait non anticipé de capitaux, par exemple en fixant une durée minimale d'investissement dans le capital des SEL.

2. Donner aux professionnels de santé les moyens de maîtriser la gouvernance
a) Préparer les étudiants à la diversité des modes d'exercice de leur profession

· La relative dévitalisation du modèle de l'exercice libéral et indépendant traduit une évolution des attentes des praticiens.

L'exercice libéral souffre depuis quelques années d'un défaut d'attractivité parmi les jeunes professionnels. En 2018, une étude réalisée par le Cnom sur les déterminants à l'installation démontrait que si 75 % des jeunes praticiens aspiraient à s'installer en libéral, ils n'étaient que 12 % des nouveaux inscrits à l'Ordre des médecins à choisir effectivement ce mode d'exercice, contre 62 % qui s'orientaient vers le salariat343(*).

Cette évolution peut être reliée à l'émergence de nouveaux modèles et au développement des structures d'exercice coordonné, tels que les centres de santé dans lesquels les professionnels de santé sont salariés344(*), mais elle témoigne plus largement d'un changement dans les aspirations de la nouvelle génération qui valorise l'équilibre entre la vie privée et la vie professionnelle. Le salariat est en effet souvent associé à des conditions d'exercice sécurisantes : horaires de travail encadrés, salaire fixe, décharge des tâches non strictement médicales mais néanmoins chronophages (gestion administrative, financière et comptable, etc.).

Ce dernier argument est particulièrement mis en avant par les groupes comme Ipso Santé pour recruter des jeunes professionnels, qui s'y montrent plutôt sensibles, ainsi que le caractère innovant des organisations qu'ils proposent de transformer ou la possibilité de participer à des projets d'innovation et de recherche. L'exercice dans ces groupes peut faciliter l'entrée dans la carrière des praticiens, alors que les coûts de l'installation en libéral augmentent, notamment du fait des charges immobilières. Enfin, leur modèle séduit par l'exercice pluriprofessionnel et interdisciplinaire sur lequel il repose, qui favorise la mise en commun des compétences.

À l'inverse, les contraintes administratives de gestion d'un cabinet libéral, l'aversion au risque financier et la complexification de l'environnement réglementaire peuvent décourager l'installation en libéral des jeunes praticiens qui préfèreront s'orienter vers un cadre jugé plus sécurisant345(*).

· Le salariat et l'exercice libéral font l'objet de représentations qui, confrontées à l'épreuve des faits, ne se trouvent pas toujours vérifiées.

L'étude du cas d'Ipso Santé, à travers les témoignages de professionnels rencontrés par la mission, en est révélateur. Certains professionnels ayant choisi d'y travailler à la fin de leurs études, principalement pour les motifs évoqués précédemment, ont à cette occasion pris conscience des contraintes réelles que pouvait recouvrir ce modèle346(*).

Outre qu'il repose sur un investissement des professionnels dans la gestion du fonctionnement de la structure, ce qui suppose d'y consacrer un temps non négligeable - jusqu'à plusieurs demi-journées par semaine - et réduit d'autant le temps clinique, les professionnels peuvent être confrontés à des désaccords sur les choix d'investissement ou les projets menés, sans prise directe sur le sens des orientations décidées.

La structure juridique et financière du groupe échappe aux praticiens qui exercent en leur sein. Ceux-ci méconnaissent les conditions de son fonctionnement, qu'il s'agisse des modalités de la prise de décision au niveau du groupe ou des relations avec les actionnaires. Surtout, le modèle de rémunération, qui fixe une rétrocession au praticien de l'ordre de 40 % de ses honoraires - le reste servant à compenser les charges du cabinet et à financer les projets du groupe - est jugé peu avantageux par rapport à la rémunération perçue en libéral, y compris après déduction des charges du cabinet. Enfin, l'obligation de participer aux horaires décalés - 7 h 30 - 22 h 30 en semaine et 9 h - 19 h le samedi - peut engendrer une relative pénibilité. Finalement, l'exercice au sein d'un grand groupe ne procure pas nécessairement tous les avantages attendus.

L'ensemble de ces contraintes conduit certains professionnels à revoir leur choix initial et à s'orienter vers un exercice libéral dans des structures « à taille humaine ». La redécouverte de ce mode d'exercice, isolé ou collectif, s'accompagne aussi de l'abandon de certaines représentations excessives sur la non-maîtrise ou l'amplitude des horaires de travail, la charge administrative que représente la gestion d'un cabinet ou l'instabilité de la rémunération. Quoi qu'il en soit, la variété des modèles doit être mieux connue et les jeunes professionnels davantage informés sur la réalité des conditions associée à chaque exercice, afin de les accompagner dans leur choix en fonction de leurs priorités et aspirations.

· Les études de médecine, centrées sur la clinique, ne préparent pas les jeunes professionnels à la réalité de leurs conditions d'exercice.

La présentation des différentes options entre lesquelles les praticiens devront se déterminer à la fin de leurs études est relativement éclipsée du cadre universitaire alors qu'elle est déterminante pour la définition de leur projet professionnel, la structuration des parcours et pour l'organisation de l'offre de soins. L'exercice de remplacements dès l'internat est souvent mis à profit par les étudiants, sur la base du volontariat, pour s'imprégner des conditions de l'exercice libéral avant de fixer le choix de leur installation.

Alors que certains groupes privés entrent assez tôt au contact des étudiants dans les universités pour faire valoir des propositions de recrutement attrayantes, l'organisation des études médicales ne favorise pas la connaissance des différentes modalités d'exercice.

Outre le développement des stages ambulatoires au cours des études qui doit être poursuivi pour l'ensemble des spécialités médicales et qui exige d'augmenter le nombre de maîtres de stages universitaires, la revitalisation de l'exercice libéral indépendant exige de former les étudiants et jeunes médecins à la gestion d'une structure de type SEL, qui nécessite notamment l'acquisition de compétences spécifiques en matière de gestion administrative, financière et fiscale.

La gestion d'un cabinet revêt par ailleurs une dimension entrepreneuriale à laquelle les jeunes praticiens sont peu familiarisés, qui requiert aussi de dénouer des appréhensions relatives au risque économique inhérent à l'installation. L'union nationale des internes et des jeunes radiologues (UNIR) admet ainsi que la « crainte de la charge administrative » associée à la gestion d'un cabinet peut constituer un frein à l'installation et considère que « pour lever cet obstacle, il est nécessaire de former l'ensemble des internes à ces modes d'organisation durant l'internat »347(*). Ainsi, selon le Syndicat national des ophtalmologistes de France (SNOF), « la formation académique des jeunes médecins à l'entreprise éthique et déontologique de leur spécialité est indispensable pour les préparer à l'exercice libéral »348(*). Les ordres professionnels et les unions régionales des professionnels de santé (URPS) ont un rôle à jouer pour faciliter l'accès à une information structurée et guider les praticiens dans leur installation.

Proposition n° 13 : Former les étudiants et les jeunes professionnels de santé à la gestion des structures de soins.

b) Soutenir la consolidation d'une offre diversifiée et indépendante

· Sous l'effet des déterminants puissants évoqués en première partie, la financiarisation peut happer une part substantielle de l'offre de soins d'un secteur. La biologie en est un exemple éclatant. Elle tend alors à réduire la diversité des modèles d'organisation de l'offre et à fragiliser les acteurs indépendants, soumis aux politiques de baisses tarifaires et à la concurrence d'activités de grands groupes installés sur un même territoire (cf. supra).

Ce phénomène demeure très inégal selon les secteurs, de même que la capacité des acteurs non financiarisés à y résister. Dans le champ de l'hospitalisation, la structuration des cliniques indépendantes en réseaux (cfinfra) a contribué à la consolidation de leur modèle. À l'inverse, la dynamique financière du marché de l'imagerie médicale et la petite taille des cabinets ne les prédisposent que peu à résister au mouvement de financiarisation.

· La recomposition de l'offre sanitaire dépasse très largement la financiarisation. Elle s'inscrit même, pour une partie, en réaction à celle-ci.

L'évolution du secteur de la biologie et notamment, les conséquences de l'organisation de l'offre sur la profession de biologiste - démédicalisation du métier, perte du contact avec le patient, perte d'indépendance349(*) - ont suscité une prise de conscience de la part des professionnels de santé qui souhaitent défendre leur indépendance. Plusieurs professions se sont exprimées en ce sens, notamment les radiologues et les chirurgiens-dentistes.

On observe ainsi l'émergence de nouveaux modèles d'organisation de l'offre tandis que d'autres, plus traditionnels, se maintiennent. Ces modèles qui privilégient la proximité entre la gouvernance des structures de santé et leur territoire d'implantation s'attachent en général à préserver la liberté d'action et de choix des praticiens, c'est-à-dire leur indépendance. La proximité permet en effet de mieux assurer un alignement de la stratégie poursuivie par l'entreprise ou le groupe avec les objectifs des praticiens qui exercent en leur sein.

Dans l'ensemble des secteurs de l'offre, des initiatives témoignent de ce que les professionnels de santé ont non seulement une responsabilité à assumer dans les évolutions en cours, mais aussi un rôle actif à jouer pour orienter l'avenir.

· Dans un contexte de financiarisation croissante de l'imagerie médicale, des collectifs de professionnels se structurent et s'organisent pour défendre la diversité des modèles d'exercice.

Le Collectif pour une radiologie libre et indépendante (Corail), créé en début d'année 2023 par le président de l'UNIR, illustre la mobilisation des jeunes médecins et leur préoccupation quant au risque de perte d'indépendance des radiologues.

Constitué sous forme d'association ouverte aux radiologues et étudiants en imagerie, le collectif entend informer les praticiens sur l'environnement qui régit leurs conditions d'exercice et porter la voix d'une profession qui revendique son indépendance vis-à-vis des groupes financiarisés350(*). Pour Paul-Gydéon Ritvo, l'un des fondateurs du collectif, il est essentiel « de ne pas se lancer au hasard et de bien comprendre ce qu'impliquent les différents modèles qui s'offrent [aux radiologues] : travailler au sein d'un réseau d'imagerie indépendant, contrôlé par les médecins qui y exercent, ou au sein d'un groupe piloté par des financiers »351(*).

Preuve que la réflexion essaime, la création en février 2024 du Réseau pour une approche durable et indépendante de l'activité nucléaire (Radian) par quatre internes de médecine nucléaire s'est inspiré du précédent de Corail. Le Réseau affiche comme objectifs d'informer les futurs médecins sur la financiarisation à l'oeuvre dans leur secteur, ses conséquences sur l'évolution des structures et les conditions d'exercice des professionnels, ainsi que de présenter d'autres modèles d'organisation et de travail.

Dans le champ de la biologie, Les Biologistes Indépendants (LBI) se sont également organisés sous forme de réseau depuis 2016 pour constituer le premier groupement de biologistes libéraux en France, devant les principaux groupes financiarisés.

· Dans un registre différent, la structuration d'un modèle capitalistique reposant quasi-exclusivement sur un actionnariat médical poursuit la même ambition d'une organisation garante de l'indépendance des praticiens, grâce à la propriété de l'outil de travail et à la détention des autorisations d'activités.

L'enjeu du mouvement qui se dessine réside en effet dans la capacité à imaginer des organisations dans lesquelles les praticiens puissent rester maîtres de l'évolution de leur structure grâce à un actionnariat confié aux praticiens exerçant dans la structure ou le réseau. Le groupe Vidi défend un tel modèle, bâti par et pour les professionnels exerçants, sans interférence d'un actionnaire financier extérieur. À ce jour, 99,8 % de l'actionnariat de Vidi Capital est détenu par 330 actionnaires, radiologues en exercice au sein des centres membres du réseau Vidi ; les 0,2 % restant sont détenus par la directrice générale de Vidi Capital352(*). Afin de réserver l'actionnariat aux praticiens en exercice au sein du groupe, les statuts prévoient que tout radiologue quittant le groupe doit céder sa part à la holding.

· Dans le champ de l'hospitalisation, le modèle des cliniques indépendantes, loin d'être isolé, résiste à la financiarisation et défend une gouvernance locale, ancrée dans les territoires.

Demeurées à l'écart de la financiarisation, les cliniques indépendantes n'échappent pas toutefois à la dynamique de regroupement nécessaire à la viabilité économique de leur modèle, au maintien de plateaux techniques de qualité et à l'atteinte de seuils d'activité.

Le réseau national de cliniques indépendantes Santé Cité, qui réunit 120 cliniques du champ MCO, permet à ses adhérents de s'inscrire dans une dynamique de coopération et de construire des réponses communes à des besoins partagés, par exemple en matière de recherche clinique ou de marchés publics. Coopérative à mission créée en 2012, Santé Cité a érigé l'indépendance en condition d'adhésion. Celle-ci est considérée comme effective si 50 % au moins du capital social de la clinique est détenu par une ou plusieurs personnes physiques françaises.

Santé Cité valorise comme substrat de son identité un ancrage territorial fort et de long terme, à rebours d'une financiarisation synonyme de distanciation entre la gouvernance des structures d'une part et l'exercice d'une mission de proximité au sein des territoires d'autre part. La coopérative indique ainsi qu'« être indépendant signifie être actionnaire et entrepreneur sur le lieu où on vit. Les dirigeants des établissements de santé privés indépendants sont physiquement présents dans leurs établissements, aux prises avec les enjeux opérationnels du quotidien »353(*). Elle défend « une troisième voie, entre un exercice de groupe national centralisé et l'exercice indépendant trop souvent isolé »354(*). Ses adhérents peuvent eux-mêmes être structurés sous forme de groupes locaux ou régionaux, à l'image de Clinavenir ou du groupe Saint-Gatien355(*). Un dimensionnement territorial plus large permet en effet à ces acteurs de s'inscrire dans le cadre de performance fixé par la régulation tarifaire et des autorisations d'activités, par la mutualisation des ressources et des coûts d'investissement que le regroupement autorise.

Alors que certains des dirigeants de ces établissements ont indiqué avoir été destinataires de propositions de rachat de la part de grands groupes financiarisés, la stabilisation de l'actionnariat et la transmission de ces structures constituent une étape sensible de leur évolution et une préoccupation réelle des dirigeants et des praticiens.

· Enfin, le Gouvernement et les collectivités territoriales soutiennent depuis plusieurs années l'implantation de structures d'exercice coordonné telles que les maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP).

Créées par la loi de financement de la sécurité sociale du 19 décembre 2007356(*), les MSP se sont installées dans le paysage de l'offre de soins ambulatoire et de l'exercice collectif des professionnels libéraux. 2 501 MSP étaient dénombrées au 31 décembre 2023357(*). Confrontées à la désertification médicale, les collectivités locales se mobilisent depuis des années pour soutenir les projets de MSP, en mettant à la disposition des professionnels de santé des locaux publics contre le versement de loyers à des prix négociés.

Le succès des MSP ne va cependant pas sans rencontrer quelques résistances pratiques, liées d'abord au coût initial de l'investissement immobilier et mobilier, mais aussi à l'enjeu de coordination des acteurs et à la fragilité du modèle économique des structures aiguisée par l'augmentation du coût des charges de fonctionnement.

À l'appui d'une enveloppe supplémentaire de 50 millions d'euros, le Gouvernement lançait à l'été 2023 le plan « 4 000 maisons de santé », se fixant un objectif quantitatif ambitieux à atteindre d'ici 2027. De même, avec les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), les pouvoirs publics encouragent le développement d'organisations territoriales centrées sur les professionnels de santé.

Visant à structurer l'offre de soins et les parcours patients sur un territoire de proximité, les CPTS enregistrent une dynamique très positive358(*). La constitution des CPTS repose sur l'initiative de professionnels de santé libéraux indépendants359(*) et sur une gouvernance locale. L'intérêt manifesté par les professionnels pour ces structures confirme l'opportunité de positionner les acteurs du territoire en responsabilité pour organiser l'accès aux soins primaires.

Proposition n° 14 : Soutenir les professionnels de santé et les acteurs locaux, notamment les collectivités territoriales, dans la consolidation d'une offre indépendante et diversifiée.

B. AMÉLIORER LES CAPACITÉS DE CONTRÔLE DES ORDRES PROFESSIONNELS

1. Donner toute sa portée au principe d'indépendance des professionnels de santé
a) Consacrer la notion de « contrôle effectif » dégagée par la jurisprudence

Si le principe d'indépendance des professionnels de santé est consacré par l'ensemble des codes de déontologie applicables aux professions à ordre360(*), le contenu précis de ce principe demeure incertain et sa protection par les ordres, en conséquence, malaisée.

Quatre décisions du Conseil d'État du 10 juillet 2023 visant la profession vétérinaire ont, toutefois, permis d'en préciser la portée dans le champ de la santé animale. Celles-ci pourraient s'avérer transposables à certaines professions de santé.

· Le Conseil d'État a, d'abord, précisé les conséquences du principe d'indépendance sur la propriété et le contrôle des sociétés d'exercice.

Comme pour les professions de santé, des dispositions générales protègent l'indépendance professionnelle des vétérinaires. L'ordre des vétérinaires est chargé de veiller au respect de ce principe. Il est habilité, pour cela, à exercer un contrôle des modalités de fonctionnement, de financement et d'organisation des sociétés d'exercice361(*). Le code de déontologie vétérinaire prévoit, par ailleurs, que les vétérinaires ne peuvent aliéner leur indépendance, sous quelque forme que ce soit362(*).

Par ailleurs, des règles spécifiques encadrent l'exercice en commun de la profession dans le cadre de sociétés d'exercice, proches de celles qui régissent les sociétés de professionnels de santé :

- l'exercice en commun de la profession de vétérinaire sous forme de société ne peut être entrepris qu'après inscription de ladite société au tableau de l'ordre ;

- dans ces sociétés, plus de la moitié du capital social et des droits de vote doit être détenue, directement ou par l'intermédiaire de sociétés inscrites auprès de l'ordre, par des personnes exerçant légalement la profession de vétérinaire en exercice au sein de la société (dites « associés exerçants ») ;

- les gérants, le président de la société par actions simplifiée, le président du conseil d'administration ou les membres du directoire doivent être des personnes exerçant légalement la profession de vétérinaire363(*).

Dans ses décisions, d'une part, Nordvet et Saint-Roch364(*), et, d'autre part, Oncovet365(*), le Conseil d'État a jugé que l'ordre était fondé à refuser d'inscrire au tableau une société lorsque ses statuts ou, le cas échéant, des accords passés entre les associés ou des engagements contractés par la société avec des tiers, sont susceptibles de priver les vétérinaires d'un contrôle effectif sur la société et, en conséquence, de les conduire à méconnaître les règles de la profession, notamment en portant atteinte à leur indépendance professionnelle.

Tel est le cas lorsque les statuts de la société et les éventuels pactes d'associés, alors même qu'ils prévoient formellement que les vétérinaires associés disposent de la majorité du capital et des droits de vote, comportent des stipulations privant d'effets les garanties prévues par le code rural et de la pêche maritime.

Les stipulations jugées problématiques par le Conseil d'Etat
dans les jurisprudences Nordvet et Saint-Roch et Oncovet

1. La décision Nordvet et Saint-Roch

En l'espèce, la société Nordvet était détenue à hauteur de 50,01 % par cinq associés vétérinaires et de 44,99 % par la société Anicura AB, de droit suédois. Elle détenait, elle-même, 99,95 % de la société Saint-Roch. Le Conseil d'État a jugé que privaient les vétérinaires d'un contrôle effectif sur la société les stipulations d'un pacte d'actionnaires prévoyant :

- que les actionnaires votaient favorablement à toute proposition d'affectation de sommes distribuables, dans le cas où le montant des investissements réalisés au cours de l'exercice écoulé serait au moins égal à 1,5 % du chiffre d'affaires ;

- que l'assemblée générale ne pouvait délibérer valablement en l'absence de représentants de la société Anicura AB ;

- que le conseil d'administration était composé de trois membres nommés par l'assemblée générale, dont deux doivent être proposés par les titulaires des actions A (Anicura AB) et un par les titulaires des actions B (les vétérinaires) ;

- que le conseil d'administration était compétent pour prendre des décisions structurantes, notamment sur le choix des investissements et la création ou la suppression d'un poste de vétérinaire.

2. La décision Oncovet

En l'espèce, bien que les vétérinaires associés disposaient d'une majorité du capital social et des droits de vote (50,2 %) face à la société IVC Evidensia France (49,8 %), le Conseil d'État a jugé qu'un pacte d'actionnaires privait les vétérinaires d'un contrôle effectif de la société, notamment en ce qu'il prévoyait :

- que les décisions de l'assemblée générale ne pouvaient être prises qu'à la majorité qualifiée des deux tiers, voire à l'unanimité, rendant incontournable l'accord d'IVC Evidensia France ;

- que la société était dotée d'un comité de surveillance composé de trois membres (un membre nommé par IVG Evidensia France, un nommé à la majorité des vétérinaires exerçants, un nommé par décision conjointe), nommant et révoquant le président à la majorité simple et devant autoriser de nombreuses décisions du président.

· Dans deux autres décisions du même jour Univertis366(*) et Mon Véto367(*), le Conseil d'État a, par ailleurs, précisé la notion d'exercice d'un vétérinaire au sein d'une société.

Le code de déontologie vétérinaire dispose que « L'exercice de l'art vétérinaire est personnel »368(*). Par ailleurs, le code rural et de la pêche maritime :

- interdit à un vétérinaire de faire gérer de façon permanente un domicile professionnel d'exercice par un confrère ou d'y faire assurer un service de clientèle369(*) ;

- prévoit que tout vétérinaire inscrit à l'ordre et en exercice a au moins un domicile professionnel d'exercice, et peut en avoir plusieurs370(*).

Faisant application de ces dispositions, le Conseil d'Etat a jugé, dans ces deux affaires :

- que l'ordre des vétérinaires est fondé à prononcer la radiation d'une société au motif que les vétérinaires détenant indirectement plus de la moitié de son capital social n'exercent pas en son sein ;

- que, si les dispositions du code rural et de la pêche maritime ne fixent aucune limite expresse du nombre de domiciles professionnels d'exercice (DPE) que peut déclarer une SEL, elles ne sauraient permettre aux associés de déléguer de façon permanente la gestion d'un DPE à un vétérinaire salarié ou collaborateur libéral et, qu'en conséquence, une SEL doit justifier qu'au moins un de ses associés exerce, au minimum à temps partiel, dans chacun de ses DPE.

Selon les conclusions du rapporteur public, dans la seconde affaire et à la date de la décision de la chambre nationale de discipline de l'ordre des vétérinaires attaquée, la société comprenait 22 domiciles d'exercice professionnel et plusieurs centaines de salariés371(*).

· Parce que les dispositions régissant les sociétés d'exercice des professions de santé et des vétérinaires sont proches, ces jurisprudences apparaissent, partiellement au moins, transposables aux secteurs de l'offre de soins marqués par un mouvement de financiarisation.

Les ordres professionnels commencent, d'ailleurs, à faire application de la notion de contrôle effectif dégagée, pour les vétérinaires, par la jurisprudence. Ainsi le Conseil départemental du Rhône de l'ordre des médecins a-t-il pu, par deux décisions du 7 novembre 2023 et du 23 juillet 2024, décider de radier du tableau la société d'imagerie médicale Imapôle pour ce motif372(*). Si cette seconde décision a été suspendue par une ordonnance récente du juge des référés du Conseil d'État, l'absence de contrôle effectif n'étant pas suffisamment établie en l'espèce, la question de la transposition aux professions de la santé humaine de cette notion jurisprudentielle demeure ouverte et l'affaire doit encore être jugée au fond.

La situation de la société Imapole

D'après les ordonnances du juge des référés du Conseil d'État373(*), la société Imapole, constituée en avril 2011 sous la forme d'une SEL à responsabilité limitée (SELARL), regroupait exclusivement des médecins radiologues exerçant dans la société.

Ses associés ont décidé, en novembre 2020, de transformer la société en société d'exercice libéral par actions simplifiée (SELAS) et ont agréé, en décembre 2020, la société par actions simplifiée Imasauv, devenue ImaOne, comme nouvel associé.

Le conseil départemental de l'ordre des médecins a estimé, suite à des modifications des statuts successives, qu'il résultait désormais des stipulations contractuelles transmises que les médecins associés exerçant dans la société avaient perdu le contrôle effectif de la société. En conséquence, par une décision du 7 novembre 2023 suspendue puis par une nouvelle décision du 23 juillet 2024, le conseil départemental a décidé de radier la société du tableau de l'ordre. Il se fonde notamment sur :

- le fait que les statuts prévoient notamment que la société Imaone perçoit 99,9 % du résultat distribuable ;

- les compétences du conseil stratégique de la société les droits attachés aux différentes catégories d'actions.

Par une ordonnance du 12 septembre 2024, le juge des référés du Conseil d'État a suspendu cette seconde décision, considérant notamment :

- que les stipulations statutaires et extrastatutaires de la société Imapole, en matière de quorum ou de distribution des dividendes, n'étaient pas de nature à constituer une méconnaissance des règles d'exercice de la profession ni à priver les médecins d'un contrôle effectif ;

- que les témoignages relatifs à l'exercice de la gouvernance au sein de la société et à l'activité médicale qui y est déployée ne sont pas de nature à remettre en cause le caractère effectif du contrôle de la société par les médecins associés.

· La notion de contrôle effectif permet, en conséquence, de renforcer le contrôle ordinal et juridictionnel sur les documents statutaires et extra-statutaires établissant les conditions de gouvernance des sociétés. Elle permet d'expliciter la finalité des dispositions relatives à la détention du capital et des droits de vote dans les sociétés d'exercice.

Le cabinet d'avocats Axipiter, auditionné par les rapporteurs, a ainsi souligné qu'une référence légale à la notion de contrôle « aurait sensiblement amélioré le travail de vérification que doivent opérer les conseils départementaux des ordres professionnels en leur permettant expressément de recourir à un faisceau d'indices pour déterminer si les associés exerçants ont ou non le contrôle effectif de leur société. »374(*) Il cite, à titre d'exemple, la définition donnée par le code du commerce du contrôle exercé sur une société.

Article L. 233-3 du code de commerce

I.- Toute personne, physique ou morale, est considérée, pour l'application des sections 2 et 4 du présent chapitre, comme en contrôlant une autre :

1° Lorsqu'elle détient directement ou indirectement une fraction du capital lui conférant la majorité des droits de vote dans les assemblées générales de cette société ;

2° Lorsqu'elle dispose seule de la majorité des droits de vote dans cette société en vertu d'un accord conclu avec d'autres associés ou actionnaires et qui n'est pas contraire à l'intérêt de la société ;

3° Lorsqu'elle détermine en fait, par les droits de vote dont elle dispose, les décisions dans les assemblées générales de cette société ;

4° Lorsqu'elle est associée ou actionnaire de cette société et dispose du pouvoir de nommer ou de révoquer la majorité des membres des organes d'administration, de direction ou de surveillance de cette société.

II.- Elle est présumée exercer ce contrôle lorsqu'elle dispose directement ou indirectement, d'une fraction des droits de vote supérieure à 40 % et qu'aucun autre associé ou actionnaire ne détient directement ou indirectement une fraction supérieure à la sienne. (...)

Les rapporteurs jugent souhaitable une telle évolution du droit des sociétés d'exercice. Les dispositions législatives encadrant la propriété et le fonctionnement de ces sociétés pourraient, à cet effet, être modifiées pour y consacrer explicitement la notion de contrôle effectif par les professionnels de santé exerçant au sein de la société.

Proposition n° 15 : Renforcer le contrôle ordinal et juridictionnel, en consacrant dans la loi la notion de « contrôle effectif » sur les sociétés des professionnels y exerçant. Préciser la portée du principe d'indépendance sur les conditions de gouvernance des structures de soins.

b) Préciser la portée du principe d'indépendance sur les conditions de gouvernance des structures de soins

· Suite à la publication des quatre décisions du Conseil d'État du 10 juillet 2023, le ministère de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire a mis en place, en octobre 2023, une procédure de conciliation entre l'ordre des vétérinaires, les groupes de sociétés d'exercice concernés et le Syndicat national des vétérinaires d'exercice libéral, pour tirer les conséquences des décisions et faciliter la mise en conformité des sociétés.

Une doctrine d'emploi, validée par les différentes parties, a pu être établie, pour :

- d'une part, garantir la possibilité aux vétérinaires associés d'exercer un contrôle effectif sur leurs sociétés ;

- d'autre part, encadrer l'exercice effectif de la profession de ces vétérinaires dans chaque domicile professionnel d'exercice.

· Sur la gouvernance et le contrôle effectif des sociétés, la doctrine recommande notamment d'éviter :

- les stipulations par lesquelles les vétérinaires s'engagent à voter favorablement à toute décision d'affectation de sommes distribuables ;

- les stipulations par lesquelles les vétérinaires s'engagent par avance à voter dans le sens de décisions validées par l'investisseur minoritaire ;

- les stipulations permettant à l'investisseur de bloquer les décisions importantes telles que la nomination, le renouvellement ou la révocation du président, le budget, le recrutement des cadres dirigeants, etc. ;

- les stipulations fixant un quorum nécessaire, pour la convocation d'une assemblée générale ordinaire, supérieur à 50 % de l'ensemble des associés ;

- les engagements à ne pas invoquer une contrariété des règles de fonctionnement de la société aux règles déontologiques de la profession ;

- les engagements des associés à nommer, sur simple demande de l'investisseur, tout vétérinaire désigné par lui en qualité d'associé.

Par ailleurs, la doctrine établie recommande aux associés :

- de limiter le champ des décisions pour lesquelles l'accord de l'investisseur est nécessaire à celles ayant une incidence significative sur la protection de ses droits financiers : opérations de croissance externe ou ayant un effet important sur le capital ou l'endettement de la société, modification volontaire des principes et méthodes comptables et fiscaux, etc. ;

- de limiter les options d'achat, au bénéfice de l'investisseur, pour racheter les actions d'un vétérinaire associé au cas d'une interdiction d'exercice d'une durée d'au moins six mois ;

- dans les cas où une société aurait établi un comité ou un conseil de surveillance ou une commission consultative, de réserver au moins la moitié des sièges à des vétérinaires associés en exercice dans la société et ayant personnellement présenté leur candidature à l'assemblée générale, et de permettre à l'assemblée générale de se prononcer en passant outre l'absence d'autorisation par cet organe ;

- de faire des gérants, c'est-à-dire le président de la SAS ou le président du conseil d'administration, vétérinaires exerçants, les garants de l'indépendance des vétérinaires en exercice au sein de la société ;

- aux associés vétérinaires de veiller à contrôler eux-mêmes effectivement leur société, en se concertant préalablement aux assemblées générales dans l'objectif de définir, le cas échéant, des positions communes, ou à prendre l'initiative de propositions telles que la rédaction d'un règlement intérieur organisant les conditions d'exercice du contrôle effectif et de leur indépendance professionnelle ;

- aux groupes et vétérinaires de produire à l'ordre complètement, en toute transparence et sans occultations, les documents statutaires et extrastatutaires.

· Sur l'exercice dans chaque domicile professionnel d'exercice (DPE), la doctrine précise :

- que l'exercice effectif d'un vétérinaire associé au sein d'un DPE comprend une contribution effective au service de clientèle ainsi que, le cas échéant, à la coordination de décisions relevant de l'exercice professionnel vétérinaire ;

- que s'il n'existe pas d'exigence précise en matière de quotité de capital détenue par cet associé, cet exercice implique, pour qu'il soit effectif, que l'associé concerné puisse faire valoir effectivement ses vues auprès des organes de gouvernance de la société ;

- que le règlement intérieur peut utilement préciser la mission attendue de l'associé exerçant au moins à temps partiel dans un DPE ;

- que dans chaque DPE, le ou les associés exerçant au moins à temps partiel devraient être en charge de coordonner l'application des dispositions relatives à l'exercice professionnel vétérinaire, et constituer les interlocuteurs de l'ordre ;

- qu'une durée d'exercice minimale à temps partiel devrait atteindre trois demi-journées par semaine de préence dans le DPE sans discontinuité notable ;

- que l'ordre, enfin, pourrait tenir compte, dans son contrôle, de la distance entre les DPE, du nombre de DPE rattachés à la société au regard du nombre d'associés vétérinaires en exercice et de la matérialité du service de clientèle assuré par l'associé.

· L'établissement d'une telle doctrine apparaît souhaitable dans les secteurs de l'offre de soins concernés par des enjeux de financiarisation.

Auditionné par les rapporteurs, le cabinet Winston & Strawn, qui indique assister « de très nombreux professionnels de santé et partenaires financiers » dans des opérations de consolidation, a souligné l'intérêt d'une telle explicitation des règles encadrant la propriété et le fonctionnement des sociétés d'exercice.

Selon lui, l'établissement d'une doctrine fournirait aux acteurs « des lignes directrices précieuses pour réguler les relations entre professionnels de santé et investisseurs, favorisant ainsi une meilleure gouvernance et une plus grande intégrité dans le secteur de la santé humaine. » A cet égard, le cabinet souligne également que « la question de l'indépendance est intrinsèquement la même, qu'il s'agisse d'un professionnel de santé humaine ou d'un professionnel de santé animale. »

La définition d'une doctrine d'emploi, qui pourrait suivre immédiatement le renforcement recommandé des dispositions encadrant les sociétés d'exercice, apparaît souhaitable aux rapporteurs. Ceux-ci estiment que les professions de santé concernées pourraient s'inspirer de la méthodologie suivie dans le champ de la santé animale, en visant une participation conjointe, sous la coordination du ministère chargé de la santé, des ordres concernés, des sociétés et des acteurs syndicaux au travail d'élaboration, afin de tenir compte des contraintes et enjeux des différents acteurs en présence et de faire des doctrines un document largement partagé.

Proposition n° 16 : Établir, avec les ordres professionnels, les sociétés et les syndicats de professionnels de santé, une doctrine claire concernant les modalités de fonctionnement des SEL pour s'assurer que les professionnels exerçants disposent du contrôle effectif des sociétés d'exercice.

2. Créer les conditions d'un contrôle ordinal renforcé
a) S'assurer de la pertinence des documents transmis

· Pour permettre la mise en oeuvre de leurs missions de contrôle, les ordres sont destinataires de nombreux documents ayant vocation à établir que les professionnels et sociétés d'exercice respectent les principes déontologiques applicables.

Pour les professions médicales375(*), le code de la santé publique fait ainsi obligation :

- aux professionnels en exercice ou demandant leur inscription au tableau de l'ordre, de transmettre au conseil départemental de l'ordre les contrats et avenants ayant pour objet l'exercice de leur profession ainsi que, s'ils n'en sont pas propriétaires, les contrats ou avenants leur assurant l'usage de leur matériel et du local376(*) ;

- aux professionnels exerçant en société, de communiquer les statuts de cette société, leurs avenants, les conventions et avenants relatifs à leur fonctionnement ou aux rapports entre associés377(*) ;

- aux professionnels exerçant en commun de rédiger un contrat écrit respectant l'indépendance professionnelle de chacun, lequel doit être communiqué au conseil départemental de l'ordre378(*).

De la même manière, les pharmaciens exerçant en société doivent communiquer au conseil de l'ordre les statuts de cette société et leurs avenants, les conventions et avenants relatifs à son fonctionnement ou aux rapports entre associés et, lorsqu'ils existent, entre associés et intervenants concourant au financement de l'officine ou du LBM. Ces documents doivent être communiqués dans le mois suivant la conclusion de la convention ou de l'avenant et sont susceptibles de déclencher des sanctions disciplinaires, lorsqu'ils apparaissent incompatibles avec les règles de la profession ou susceptibles de priver les cocontractants de leur indépendance professionnelle379(*).

Par ailleurs, les sociétés exploitant un LBM privé sont inscrites au tableau de l'ordre des médecins et/ou des pharmaciens, lorsqu'au moins un médecin ou pharmacien biologiste détient une fraction du capital social. Le représentant légal du laboratoire est tenu au respect des obligations de communication applicables aux médecins et/ou aux pharmaciens, sous les mêmes conditions380(*).

Enfin, les dispositions législatives relatives à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales réglementées, récemment renforcées par une ordonnance de février 2023381(*), prévoient désormais la transmission à l'ordre, une fois par an, d'un état de la composition du capital social des SEL382(*) et des SPFPL383(*).

· Plusieurs personnes auditionnées ont, toutefois, appelé à compléter ces dispositions pour élargir ou préciser le périmètre des documents devant être transmis aux ordres professionnels.

Ainsi, dans le secteur officinal et afin de maîtriser les risques associés au recours aux fonds d'investissement par les pharmaciens souhaitant souscrire un prêt, la FSPF recommande « une modification législative subordonnant la mise en oeuvre de ces montages financiers à un avis conforme de l'Ordre national des pharmaciens, avec obligation pour les pharmaciens d'officine de communiquer les contrats d'émission d'obligations à l'institution ordinale, pour un contrôle préalable. »384(*)

De la même manière, le Cnop relève que les documents dont la transmission est demandée par les dispositions législatives et réglementaires en vigueur ne sont pas toujours adaptés aux montages observés. Ainsi, « bien que plusieurs pièces soient transmises à l'Ordre au moment de l'inscription d'une SEL (...), les pièces figurant au dossier de demande d'inscription ne permettent pas toujours d'identifier un risque d'atteinte à l'indépendance. D'autres documents (tels que le protocole d'accord global précisant le plan global de financement de l'acquisition d'une officine de pharmacie et les différents documents rédigés en vue de cette acquisition) pourraient être éclairants mais ne figurent pas parmi les éléments dont la transmission à l'Ordre est obligatoire en vue de l'inscription. »385(*)

· Enfin, la doctrine élaborée en 2023, par le ministère de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, l'ordre des vétérinaires, les groupes de sociétés d'exercice et les représentants syndicaux de la profession propose de proscrire toute clause soumettant la communication de statuts, de pactes d'associés ou de contrats à l'ordre à une autorisation préalable de la société ou de l'investisseur minoritaire, le contrôle déontologique de l'ordre sur ces documents constituant une obligation légale.

Les rapporteurs jugent une telle précaution nécessaire, afin de ne pas entraver le contrôle des ordres et de permettre la pleine application du principe de responsabilité déontologique des professionnels de santé impliqués.

Proposition n° 17 : Adapter le périmètre des documents devant être transmis aux ordres, à l'issue d'une concertation avec les ordres, les sociétés et les syndicats de professionnels de santé concernés.

Interdire toute clause soumettant la transmission de documents contractuels aux ordres professionnels à l'accord préalable de l'investisseur.

b) Appuyer les ordres dans leur mission de contrôle

· Si les ordres disposent de moyens de contrôle déontologique importants, la question de leur capacité à analyser les documents transmis, du fait de leur nombre comme de leur complexité, a fréquemment été évoquée lors des auditions.

La Cnam souligne ainsi que « la loi de 1990, complétée par l'ordonnance de février 2023, donne des moyens concrets d'action aux professionnels de santé pour garder la main, avec l'appui des Ordres, qui doivent se saisir pleinement de ces outils juridiques visant à protéger l'indépendance professionnelle. »386(*)

Pour autant, il n'est pas évident que les ordres professionnels disposent des moyens nécessaires à l'analyse des documents transmis.

Le Cnop a, ansi, souligné que « l'examen pour vérifier l'indépendance professionnelle peut s'avérer délicat à réaliser en raison de montages financiers parfois complexes. »387(*) De la même manière, le Conseil national de l'ordre des pédicures-podologues (CNOPP) juge qu'« il faudrait également disposer d'une expertise de haut niveau pour permettre de contrôler et réguler les montages juridiques complexes et éviter que les dérives des monopoles ou groupes pour les laboratoires ne s'étendent à d'autres domaines de la santé. »388(*)

Le Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes (CNOCD) a souligné que ce contrôle devait parfois conduire à analyser la réglementation encadrant des structures étrangères et leur fonctionnement : « Les conseils de l'ordre se retrouvent confrontés à des liasses de documents, dont ils ne comprennent pas toujours le sens. Le manque de moyen de contrôle se fait ressentir : il faut en effet connaitre, outre la réglementation française sur la création et le fonctionnement des sociétés françaises, mais également la réglementation en matière de société de chacun des pays membres de l'UE, afin de vérifier la conformité de ces sociétés européennes avec la réglementation française concernant leur intégration à nos sociétés. »389(*)

Le Cnom semble confronté aux mêmes difficultés. Auditionné par la commission des affaires sociales, le président de la commission nationale de biologie médicale de l'ordre des médecins a, ainsi, souligné l'ampleur de la tâche : « Les dossiers sont à chaque fois tellement denses qu'ils nécessitent qu'on y alloue tous nos moyens. Si une cinquantaine de dossiers nous arrive en même temps, nous nous retrouvons dans l'incapacité technique de pouvoir les analyser en profondeur. »390(*)

Le cabinet d'avocats Axipiter, auditionné par les rapporteurs, relève les mêmes limites du contrôle ordinal, et souligne le « déséquilibre manifeste entre les moyens qui peuvent être mobilisés par les groupes financiers, pour s'attacher notamment les services de conseils ou d'avocats d'affaires spécialisés, et les ressources limitées des ordres professionnels... »391(*).

· À cet égard, il faut observer que les procédures de contrôle actuelles apparaissent particulièrement « décentralisées ». Il appartient ainsi, le plus souvent, aux conseils ordinaux départementaux de chacune des professions de santé concernées de réaliser une première vérification du respect, par la société d'exercice, du principe d'indépendance des professionnels de santé.

Or les rapporteurs font leurs les mots de la Cnam, lorsqu'elle observe que la financiarisation constitue un phénomène particulièrement complexe et protéiforme, appelé à se développer ces prochaines années dans de nouveaux secteurs : « Difficile à mesurer de manière fine, complexe à réguler, aux conséquences incertaines, la financiarisation est un enjeu que notre système de santé est en définitive assez peu préparé à relever, en dépit d'efforts certains et d'une prise de conscience récente. Au-delà des postures sur le bien-fondé ou la moralité de ce phénomène, il est assez clair qu'il risque de prendre une ampleur croissante dans les années à venir et de toucher d'autres champs que ceux classiquement concernés. »392(*)

Dans ce contexte, il n'apparaît ni possible, ni souhaitable, de demander à l'ensemble des ordres de professionnels de santé ou, plus encore, à tous les conseils départementaux de développer un niveau d'expertise suffisant pour prétendre analyser l'ensemble des pièces transmises et des montages qu'elles révèlent.

Si les ordres demeurent parfaitement légitimes et, en réalité, incontournables dans leur rôle de contrôle du respect des principes déontologiques, parmi lesquels figure l'indépendance des professionnels, les pouvoirs publics doivent en revanche les aider à réaliser ce contrôle lorsque, confrontés à des situations ou des montages complexes, ils peinent à analyser leurs conséquences sur les conditions d'exercice des professionnels ou de fonctionnement des structures.

C'est pourquoi les rapporteurs jugent indispensable la création de cellules d'appui régionales et interministérielles, destinées à soutenir les ordres dans l'analyse des situations les plus complexes.

Proposition n° 18 : Constituer des cellules régionales d'appui aux ordres professionnels pour l'examen des statuts des sociétés d'exercice, croisant les compétences des DRFIP, des Dreets et des ARS.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

___________

I. COMPTES RENDUS DES AUDITIONS EN RÉUNION PLÉNIÈRE

Audition de MM. Jean Canarelli, président de la commission nationale de biologie médicale et Christophe Tafani, président de la commission des relations avec les associations de patients et d'usagers
du Conseil national de l'ordre des médecins et Mme Carine Wolf-Thal, présidente du Conseil national de l'ordre des pharmaciens

(Mercredi 3 avril 2024)

M. Philippe Mouiller, président. - Nous avons le plaisir d'accueillir des représentants du conseil national de l'ordre des médecins (Cnom) et du conseil national de l'ordre des pharmaciens (Cnop) sur le thème de la financiarisation de l'offre de soins dans le domaine de la biologie médicale.

Le Cnom est représenté par M. Jean Canarelli, président de la commission nationale de la biologie médicale et par M. Christophe Tafani, président de la commission des relations avec les associations de patients et d'usagers. M. Francisco Journet, directeur des affaires juridiques du Cnom, les accompagne.

Le Cnop est représenté par sa présidente Mme Carine Wolf-Thal et par M. Philippe Piet, président du conseil central de la section G, représentant les pharmaciens biologistes médicaux.

Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo, elle est retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.

Dans le cadre des auditions par la commission des acteurs de l'ensemble de la filière de la biologie médicale, nous entendrons la semaine prochaine des représentants des principaux groupes privés actifs dans ce domaine, ainsi que la caisse nationale de l'assurance maladie.

La biologie médicale est généralement considérée comme le secteur de la médecine de ville le plus concerné à ce jour par le phénomène de financiarisation de l'offre de soins.

Ainsi, six grands groupes contrôlent plus de 60  % de l'offre de biologie médicale.

Or, les ordres que vous représentez, Mesdames et Messieurs, sont chargés du contrôle déontologique de la profession, ce qui inclut le contrôle de l'indépendance des professionnels.

Vous allez nous préciser dans votre propos liminaire comment vous appréhendez ce mouvement et, le cas échant, la façon dont vous entendez contribuer à sa régulation.

Les rapporteurs Corinne Imbert, Olivier Henno et Bernard Jomier, ainsi que les membres de la commission vous interrogeront par la suite.

Je vous cède à présent la parole.

Jean Canarelli, président de la commission nationale de biologie médicale du Cnom. - Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les sénateurs et sénatrices, je vous remercie de nous accueillir pour la deuxième fois au Sénat.

Je commencerai par vous préciser les différentes fonctions que j'occupe afin que vous ayez une vision claire quant à mes éventuels liens d'intérêt.

Je suis médecin biologiste au sein d'un groupe indépendant de laboratoires et PDG d'une clinique indépendante que nous avons reprise avec plusieurs collègues praticiens alors qu'elle se trouvait au bord du dépôt de bilan.

Je connais donc les difficultés auxquelles sont confrontés les établissements de santé.

Je suis également vice-président de la conférence régionale de la santé et de l'autonomie (CRSA) de la Corse et président du conseil d'administration du GRADeS Corse, un groupement d'intérêt public qui représente plusieurs organismes (hôpitaux, cliniques, unions régionales des professionnels de santé, URPS).

Mes différentes fonctions m'amènent à interagir avec de nombreux usagers et acteurs du secteur de la santé.

En préambule de cette audition, je serai très direct et très clair.

Le Cnom s'est positionné dans sa session plénière en faveur de la suppression pour des tiers non professionnels de la possibilité d'avoir des participations dans une société d'exercice libéral.

Nous nous sommes également positionnés pour l'interdiction pour les personnes physiques ou morales n'exerçant pas dans la société d'exercice libéral d'en détenir directement ou indirectement plus de la moitié du capital social.

Nous plaçons nos exigences déontologiques au plus haut niveau possible.

Ce système a selon nous entraîné une dégradation importante des conditions d'exercice des biologistes. Surtout, il menace l'avenir de l'ensemble des structures libérales, et potentiellement de la santé publique.

Les situations ne sont pas les mêmes selon les activités concernées. Les établissements de santé sont comparables à des entreprises commerciales nécessitant des investissements lourds avec une gestion très complexe. Leur mode de fonctionnement s'apparente à celui des hôpitaux et diffère de celui des sociétés d'exercice libéral.

Les laboratoires ont été les premiers acteurs de la financiarisation dans le monde de la santé. Aujourd'hui, entre 60  % et 70  % se situent dans le champ des grands groupes de laboratoires.

Il y a une vingtaine d'années, le laboratoire dans lequel j'exerce aurait été considéré comme un groupe alors qu'aujourd'hui, il s'agit d'une structure détenue par des professionnels en exercice.

Les autres spécialités font aussi l'objet de nombreuses convoitises. De nombreux acteurs tentent notamment de développer des groupes ou des chaînes en radiologie, en ophtalmologie, dans le premier recours ou dans d'autres spécialités.

La situation du secteur de la biologie n'est qu'un exemple de ce qui peut se produire ailleurs.

On assiste en effet à une dérive aux causes multiples.

Alors que la loi de 1975 régissant l'organisation des laboratoires était devenue largement obsolète, la réforme de l'organisation de la biologie médicale initiée en 2008 par la ministre de la santé Roselyne Bachelot partait sur des bases tout à fait saines et claires.

La lettre de cadrage comprenait quatre notions phares : la médicalisation, l'efficience, « l'eurocompatibilité » et « la qualité prouvée ».

Malgré toutes ces bonnes intentions, le Cnom avait à l'époque prévenu que nous courions au désastre.

Le résultat de cette réforme reste en effet très discutable.

Les bénéfices obtenus dans le secteur de la biologie médicale, qui subit depuis des années des coups de rabot, n'ont pas permis de réaliser des économies pour la sécurité sociale.

Le Cofrac est l'instance de référence en matière d'accréditation en France. C'est un organisme semi-public quasi industriel auquel on donne un vernis médical, dont le système est très normé, coûteux et sclérosant. Il y a quelques années, un surcoût résultant de l'accréditation de 3 à 4  % sur le chiffre d'affaires des laboratoires, à mon sens non justifié, avait été estimé.

Une alternative beaucoup moins coûteuse aurait été de s'appuyer sur la Haute Autorité de santé et les normes ISO 9001, comme recommandé à l'époque par le Cnom.

Face au flou ayant conduit aux regroupements anarchiques, le secteur avait besoin de règles prudentielles. Mais si celles-ci ont été écrites, elles restent difficilement applicables.

Le Cnop avait ainsi été condamné par la Commission européenne à cinq millions d'euros d'amende pour s'être immiscé, en tentant de les réguler, dans la vie des entreprises.

Les ordres étaient devenus relativement frileux à l'idée d'intervenir, craignant d'être sanctionnés sans être réellement soutenus par l'État.

Nous sommes depuis toujours en attente de compléments d'information pour savoir quelle doit être la conduite à tenir.

En 2017, un projet de circulaire des ARS et des ministères définissant les rôles des ordres nous a été transmis. Nous attendons toujours avec impatience la publication de ce document qui nous aurait permis de nous référer à une base solide.

Afin d'empêcher la création d'oligopoles régionaux, on a prôné la création de structures nationales qui ont aujourd'hui pris la main sur des régions.

Nous avions malheureusement anticipé cette situation qui est la conséquence de regroupements anarchiques non contrôlés et de l'idée, qui s'est imposée, qu'il n'était pas possible de revenir en arrière malgré la réglementation. Par ailleurs, ceux qui avaient travaillé dans une quasi-illégalité ont pu continuer à acquérir des laboratoires. En revanche, les nouveaux entrants, les petits groupes comme le mien, n'ont pas eu ce droit.

Selon la loi, les non-professionnels ne peuvent acquérir que jusqu'à 25  %, sauf cas particulier, du capital. Cependant, des montages très particuliers ont été élaborés pour permettre à ces structures de détenir réellement le contrôle et les revenus des sociétés. Avec des actions de droits différents, il devient ainsi possible de percevoir 99  % des dividendes avec 1  % des actions.

Le droit prévoit que les biologistes détiennent 50  % du capital des sociétés. Or la plupart du temps, par le biais d'une cascade de textes, de protocoles et de pactes d'associés plus ou moins secrets, des accords sont fixés pour limiter leurs prérogatives en matière de gouvernance. Les biologistes se voient confier la présidence et un comité de direction est créé, lequel dispose du pouvoir de décision. On se retrouve donc avec un homme de paille à la tête de ces structures.

Le Cnom demande donc une garantie sur l'indépendance professionnelle afin que le choix médical ne soit pas impacté par des contraintes économiques supérieures.

Plusieurs acteurs de la filière de la biologie médicale (ordres, académies, syndicats, etc.) ont ainsi établi un document listant une vingtaine de missions à confier aux biologistes.

Ce document devra être assorti de règles prudentielles.

Un nombre suffisant de biologistes - 1,2-1,3 en moyenne par site - devrait également être assuré.

Des commissions réglementaires ou législatives de biologistes pourraient aussi être mises en place au sein des grandes structures, afin que ces derniers puissent disposer d'un droit de regard sur les choix médicaux et techniques sans être possesseurs du capital.

Cette réforme a donc créé de toutes pièces le besoin de recourir à des acteurs financiers dans les laboratoires, en mélangeant financement et financiarisation.

Il y a 15 ans, les laboratoires, encore cantonnés à une échelle locale ou infrarégionale, n'avaient aucune difficulté à trouver des financements auprès des établissements bancaires. Les investissements se chiffraient alors en centaines de milliers d'euros. Les groupes s'étant considérablement agrandis, ces montants, qui représentent désormais plusieurs dizaines de millions d'euros, ne sont plus à la portée des biologistes.

Ces investissements tiennent plus aux politiques de rachats successifs qu'aux investissements opérationnels dans les laboratoires dont les bénéfices alimentent des fonds qui se trouvent très souvent à l'étranger.

La réforme nous a également fait perdre en efficience et en qualité. Le coût logistique généré par l'allongement des distances et une administration alourdie vient contrebalancer les bénéfices du regroupement des analyses. Par ailleurs, les délais pour le rendu des résultats sont devenus plus longs. Focalisés sur la gestion de la qualité et l'organisation de plus en plus complexe des laboratoires, les biologistes ont également moins de temps à accorder aux patients.

En parallèle, on constate un désintérêt croissant des jeunes internes en médecine et pharmacie pour la biologie.

L'avenir d'autres spécialités médicales suscite également des inquiétudes. Des bouleversements similaires menacent aujourd'hui la radiologie, l'anatomo-cytopathologie ou encore l'ophtalmologie.

Christophe Tafani, président de la commission des relations avec les associations de patients et d'usagers du Cnom. - Merci Monsieur le Président, Mesdames les Sénatrices, Messieurs les Sénateurs. Je suis ici en tant que conseiller national du Cnom, mais également en tant que radiologue. Le groupe dans lequel j'exerce a été financiarisé il y a un peu moins d'un an, ce qui me permet d'avoir une vision pratico-pratique de l'évolution des laboratoires ces dernières années.

D'un point de vue juridique, les contrats sont devenus extrêmement complexes.

La financiarisation n'a pas que des impacts financiers, mais engendre également des problèmes de santé publique. Dans ma ville, un autre groupe, financiarisé depuis plus longtemps que le nôtre, ne réalise par exemple plus de biopsies de seins et d'échographies de thyroïdes.

Carine Wolf-THAL, présidente du conseil national de l'ordre des pharmaciens. - Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, je vous remercie de vous pencher sur ce sujet majeur qui engage la santé publique. En tant qu'élus territoriaux, mais aussi législateurs, vous serez probablement intéressés par les impacts de cette réforme non seulement sur les patients et l'accès aux soins, mais aussi sur le financement.

Je partage tout ce qui vient d'être dit, notamment par M. Christophe Tafani. Le problème n'est pas tant le financement que l'accès aux soins qui figure parmi les premières préoccupations des Français.

L'ordre des pharmaciens comme les autres ordres professionnels est en effet en charge de contrôler l'indépendance des professionnels de santé.

Cette question est capitale. Il faut pouvoir garantir que les choix des professionnels de santé sont opérés La rément au bénéfice des patients et de la santé publique et non en fonction de la rentabilité financière au profit d'investisseurs souvent extérieurs.

Le dernier rapport « Charges et Produits » de la caisse nationale d'assurance maladie a déjà alerté quant aux risques d'augmentation des coûts de reste à charge.

De nombreux sites, qu'il s'agisse de laboratoires de biologie médicale, et potentiellement à l'avenir d'officines de pharmacie, risquent de disparaître.

La préoccupation des pouvoirs publics quant au financement du système de santé est compréhensible. Néanmoins, d'autres solutions existent et méritent d'être creusées.

Des financements vertueux ou éthiques assurés par la profession elle-même permettraient de développer ces sociétés tout en donnant la priorité à la santé publique et aux patients.

Ces changements se répercutent sur l'attractivité des professions. Nous avons aujourd'hui de grandes difficultés, tous métiers confondus, à attirer les jeunes vers les professions de la santé.

Concernant la pharmacie, ce mode d'exercice n'intéresse pas les jeunes qui aspirent à travailler en tant que libéraux, au plus près des patients.

Philippe Piet, président de la biologie médicale au sein de l'ordre des pharmaciens. - Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les Sénateurs, ce sujet est extrêmement grave, car il touche directement nos citoyens.

Alors que la biologie apporte un réel complément dans le traitement de nos patients, la dégradation de l'offre de soins risque de leur porter préjudice.

Le problème ne se réduit pas à l'introduction de la financiarisation dans le secteur de la santé.

Une mauvaise gestion et un manque d'anticipation sont également en cause. Nous avons aujourd'hui besoin de mesures prudentielles d'exercice et de définir les besoins de santé publique en termes de biologie.

Je ne reviendrai pas sur les nombreux dysfonctionnements soulevés dus à la gouvernance des sociétés.

La question est la suivante : comment avancer sur ce sujet tout en sauvegardant le service médical ?

Certes les intentions derrière cette réforme n'étaient pas mauvaises au départ. Mais la manière dont elle a été mise en oeuvre est problématique.

Tout d'abord, on a confié au Cofrac, une structure à la culture industrielle, la responsabilité de gérer des entités médicales. Il faut revoir la gouvernance de la maîtrise de la qualité au sein du Cofrac.

De plus, il n'était sans doute pas indispensable de financiariser l'offre de soins. Pour dégager des investissements, il aurait fallu avoir recours à des regroupements intelligents de professionnels plutôt qu'à des rapprochements non maîtrisés.

Il convient de rappeler que seules les sociétés d'exercice sont inscrites aux ordres et non les chaînes et les grands groupes.

Redonner et garantir une certaine forme d'indépendance dans le secteur de la biologie médicale est essentiel.

Les causes structurelles et les conséquences sur le terrain de cette situation doivent être mises en lumière, et des mesures prudentielles instaurées afin d'éviter de reproduire les erreurs du passé.

Mme Corinne Imbert, rapporteure. - Merci, Monsieur le président, Madame la présidente, Messieurs, pour vos propos introductifs qui nous interpellent tous. Merci également de vous être déplacés à nouveau au Sénat devant la commission pour évoquer cette question de la financiarisation de l'offre de soins.

Les six plus grands groupes de biologie privée concentrent 62  % des sites de biologie médicale. Selon une étude de 2023, 80  % de la population résiderait à moins de sept kilomètres d'un laboratoire de biologie médicale privé. Ce maillage vous paraît-il globalement satisfaisant ? Partagez-vous les conclusions de cette étude ?

En quoi la financiarisation contribuerait-elle à garantir un maillage de proximité des laboratoires de biologie médicale ?

Quel regard portez-vous sur l'évolution de l'offre de biologie médicale au vu de l'assouplissement progressif du cadre législatif et réglementaire ?

L'ordonnance du 8 février 2023 qui vise à protéger les activités des professions libérales d'investisseurs non professionnels devrait-elle permettre de mieux réguler le secteur ?

Vous avez également souligné qu'aujourd'hui, la biologie, en médecine comme en pharmacie, est une spécialité moins choisie, ce qui nous a été confirmé lors de l'audition réalisée la veille avec des internes.

La démographie des biologistes, qu'ils soient médecins ou pharmaciens, permettrait-elle d'atteindre le ratio de 1,2-1,3 biologiste par site évoqué par M. Canarelli ?

M. Philippe Mouiller, président. - Je vous propose de répondre directement avant de passer la parole aux autres rapporteurs.

Jean Canarelli. - La France compte aujourd'hui 10 000 biologistes disposant d'un haut niveau de formation et de compétences. C'est une particularité de notre pays dans ce domaine dont il faut pouvoir tirer parti.

On recense également près de 400 sociétés d'exercice libéral et près de 4 000 sites, auxquels il faut ajouter les hôpitaux publics.

Nous ne sommes donc pas très loin du ratio de 1,2-1,3 biologiste par laboratoire.

En revanche, nous nous trouvons actuellement dans une spirale descendante liée au manque d'attractivité de la profession. La situation risque de n'être plus tenable dans cinq ou dix ans. Il est donc important que des décisions soient prises dès aujourd'hui pour faire évoluer ce métier dans le bon sens, en faisant preuve, bien entendu, de souplesse selon les secteurs.

Philippe Piet. - Le biologiste a les moyens d'apporter une solution aux problèmes de santé publique rencontrés au niveau du territoire.

Les laboratoires demeurent une plaque tournante pour l'orientation des patients, avec des résultats obtenus en direct, des éléments cliniques et la possibilité de gérer les patients. Il y a beaucoup d'éléments à gérer, en particulier dans le contexte d'une pénurie de médecins.

Le nombre de laboratoires n'a pas diminué, il a même augmenté depuis dix ans. Il convient donc de se demander si les sites de laboratoires sont répartis de manière efficace sur le territoire, s'il y a des redondances. Une optimisation des ressources devrait permettre de compenser le problème de la démographie.

J'ai également insisté pendant des années auprès de l'ONDPS (observatoire national de la démographie des professions de santé) afin que le nombre d'internes en pharmacie augmente pour la biologie. Le métier de biologiste a perdu sa dimension médicale, ce qui explique sa désaffection chez les jeunes. Afin de gagner en rentabilité, la profession s'est industrialisée, au détriment de la relation avec les patients. Une forme de désillusion vis-à-vis de cette spécialité s'est donc installée chez les biologistes médecins et même chez les pharmaciens.

Tout un ensemble d'éléments doit donc être pris en considération pour pouvoir apporter une réponse complète aux enjeux dans ce secteur.

La présence de biologistes sur les sites de laboratoire est indispensable pour éviter de basculer dans une gestion qui serait purement administrative. Elle garantit la proximité avec les patients et permet de distiller une culture médicale auprès des équipes.

Il convient pour ce faire de mettre en place des mesures de régulation, prudentielles et d'exercice.

M. Olivier Henno. - Merci Monsieur le président, merci Mesdames et Messieurs pour vos interventions.

Mme Corinne Imbert a abordé les conséquences de la financiarisation de l'offre de soins, je m'interrogerai pour ma part plutôt sur les causes du problème et la régulation.

Les ordres ayant une mission de régulation, avez-vous la capacité à analyser les montages juridiques et les contrats ?

L'arrivée des financiers est-elle liée à un besoin de financement ou à un taux de rentabilité très attractif ?

Quelle relation entretenez-vous avec les ARS ? Quelle articulation pourrait-il y avoir à ce niveau pour travailler à cette régulation ?

Jean Canarelli. - Vous pointez effectivement le coeur du problème. La financiarisation n'est pas un gros mot et peut être intéressante pour un certain nombre de structures, y compris, pourquoi pas, dans la biologie.

Le problème est que ce changement a transformé le secteur en une espèce de « jungle » en ouvrant des pans entiers de la filière à des juristes particulièrement avisés dans le champ du droit des sociétés.

Certaines structures disposent de dizaines d'avocats qui savent contourner les règles.

Par exemple, dans certains pays européens, les professionnels sont des sociétés, ce qui leur permet de venir, suivant nos textes, exercer dans nos laboratoires. Ces sociétés deviennent alors un professionnel exerçant. Sinon, elles sont considérées comme un associé professionnel non exerçant.

Les textes d'aujourd'hui n'empêchent pas ce genre de manipulations juridiques et la béance qui a existé en matière de textes pendant plusieurs années a favorisé tout cela.

Certes, le contrôle des contrats fait partie des prérogatives des ordres.

Certains montages s'apparentent à un millefeuille de contrats et de pactes cachés illisibles.

La fameuse circulaire qui nous avait été soumise pour avis en 2017 permettait de clarifier le rôle des ARS et des ordres en particulier en précisant les prérogatives des uns et des autres.

Faute de clarification, les ARS et les ordres se sont donc retrouvés durant cette période très critique sans savoir comment se positionner.

Je rappelle que le Cnop a été condamné par la Commission européenne à payer cinq millions d'euros d'amende pour ingérence dans les sociétés. Cette sanction a été très dure.

Les dossiers sont à chaque fois tellement denses qu'ils nécessitent qu'on y alloue tous nos moyens. Si une cinquantaine de dossiers nous arrive en même temps, nous nous retrouvons dans l'incapacité technique de pouvoir les analyser en profondeur.

Il faut donc légiférer pour demander aux sociétés de nous fournir l'ensemble des pièces et de garantir que rien d'autre n'est susceptible d'entraver les dispositions mentionnées dans les éléments apportés.

Philippe Piet. - Quelques évolutions ont eu lieu ces derniers temps sur la valeur des documents des sociétés.

Un effort a été fait à ce niveau, ce qui a changé beaucoup de choses.

Par ailleurs, il est important que les professionnels puissent garder la main sur certaines décisions qui ne relèvent pas du domaine médical à proprement parler, mais qui contribuent également au bon fonctionnement des laboratoires (niveau de salaire des employés, matériel informatique, organisation des locaux, etc.).

Les ordres devraient également pouvoir se prononcer sur le mode de management des structures afin de garantir l'indépendance et le respect des patients. Ils ont besoin de plus de latitude afin de pouvoir émettre un avis sans être accusés d'outrepasser leurs prérogatives.

Je n'utiliserais pas le terme de « régulation » pour définir le rôle des ordres. Nous remplissons nos missions suivant le cadre fixé par la loi, sachant que nous sommes la dernière strate de la puissance publique.

Certaines réalités doivent également être prises en compte pour améliorer notre capacité de gestion.

Les dossiers qui nous arrivent sont de plus en plus complexes. Il est parfois difficile de juger si telle ou telle disposition porte réellement atteinte à l'indépendance et jusqu'à quel niveau.

Carine Wolf-Thal. - Je souhaiterais compléter cette intervention en portant à votre connaissance un exemple observé chez les vétérinaires. Dans ce secteur, des sociétés ont été radiées malgré le respect par ces structures d'exercice libéral de l'ensemble des droits et statuts.

Le Conseil d'État a en effet considéré que le professionnel était privé d'exercer ses droits de contrôle effectif.

Christophe Tafani. - L'entrée de financiers au capital delaboratoires de biologie s'accompagne en général d'une baisse des salaires.

Par ailleurs, si les financiers et les cardiologues ont chacun leur « enveloppe », celle du financier n'est jamais négociable.

Certes, ceux-ci ne s'opposeront pas à une demande d'augmentation de salaire du personnel. Ils laisseront en revanche le cardiologue en supporter le coût en ouvrant par exemple durant le week-end où en réalisant plus rapidement certains examens.

Voilà comment, de façon très insidieuse, les professionnels sont amenés à modifier dangereusement leurs pratiques.

Il y a là un problème de santé publique majeur.

M. Bernard Jomier. - Pourriez-vous nous expliquer précisément en quoi la financiarisation impacte la santé publique ? Des actes utiles ou nécessaires pour notre population ne sont-ils pas effectués du fait de cette financiarisation ? Assiste-t-on à un non-respect des référentiels de bonnes pratiques professionnelles et des arbres décisionnels ? La logique financière l'emporte-t-elle parfois sur celle de la santé ?

On justifie souvent la financiarisation par la nécessité d'investir dans nos systèmes de santé. Des capitaux extérieurs seraient donc les bienvenus pour financer des innovations technologiques, la modernisation et le développement de l'offre de soins. Vous affirmez que le résultat financier pour la nation est très discutable. Pour quelle raison ?

Enfin, les organisations de jeunes soignants ont un discours au fond assez commun. Ils affirment ne pas être suffisamment préparés à de nombreuses questions d'ordre organisationnel au moment de débuter un exercice professionnel. Qu'est-ce qui ne fonctionne pas dans la formation des jeunes soignants ?

Jean Canarelli. - Les jeunes soignants sont formés à l'université et au CHU. Il s'agit il est vrai d'un milieu fermé à l'intérieur duquel ils développent un panel de compétences en biologie.

En plus de la formation universitaire ou hospitalière, des stages de longue durée au sein de laboratoires leur permettraient de s'initier à la gestion de ces structures et d'acquérir quelques connaissances en matière notamment de comptabilité, de logistique ou encore de management.

S'agissant des résultats de la financiarisation, la qualité a représenté un premier surcoût que le Cofrac avait estimé à 3-4  %.

Des solutions moins coûteuses existaient pourtant. Les laboratoires étaient déjà soumis au guide de bonne exécution des analyses. On aurait pu y ajouter un suivi transversal par des organismes indépendants, une certification ISO 9001, comme c'est le cas dans beaucoup d'entreprises, ainsi qu'une validation de l'ensemble par la Haute Autorité de santé.

Cette approche plus « médicale » aurait permis davantage de souplesse et d'efficacité.

Un second surcoût est lié aux regroupements trop importants de structures.

Ces rapprochements ont du sens lorsque dix sites se partagent dans un rayon de 5,6 kilomètres un même automate d'analyses médicales. Ils permettent alors à la nation de faire des économies et de baisser en contrepartie les tarifs.

Transporter des tubes à plus d'une centaine de kilomètres nécessite en revanche des frais et une logistique supplémentaires. Par un effet ciseaux, les gains obtenus par cette mutualisation et le coût généré par l'éloignement finissent donc par se croiser, ce qui se traduit par une perte de rentabilité.

Philippe Piet. - Il convient de rappeler que la loi sur les SEL a étendu le territoire de santé à cinq puis dix sites, soit, comme l'a dit Jean Canarelli, soit une échelle bien trop importante. Ces groupements n'ont plus aucun sens sur le plan de la prise en charge biologique.

Si la financiarisation n'est, en elle-même, pas négative, c'est l'absence de mesures permettant de la réguler qui pose problème.

Par ailleurs, selon une étude réalisée par l'ordre des pharmaciens, 95  % de la population se trouve à moins d'une demi-heure d'un site de laboratoire ce qui montre que la couverture demeure assez satisfaisante.

Un frein supplémentaire provient des agences régionales de santé (ARS) qui ne s'engagent pas dans la prise en compte du soin dans les territoires. Le Projet régional de santé pour la biologie doit être ambitieux. Sans doute y aurait-il quelque chose à faire du côté du ministère pour distiller aux ARS des bonnes pratiques et rendre pertinente l'offre de soins à l'échelle du « vrai » territoire de santé, celui où le patient a accès à des professionnels de premier recours (infirmières, spécialistes médicaux, etc.).

M. Khalifé Khalifé. - Merci beaucoup pour toutes ces interventions. Médecin hospitalier pendant plus de 40 ans, je n'ai rien contre la médecine libérale telle que nous l'avons connue et que vous l'avez décrite et je m'oppose pleinement à sa financiarisation.

Je m'interroge néanmoins sur le rôle régulateur du Cnom et du Cnop. Monsieur Piet, qu'entreprenez-vous depuis des années face à ce phénomène que vous dénoncez et que nous dénonçons tous ?

Monsieur Tafani, vous faites partie d'un groupe de radiologie qui, si j'ai bien compris, a été « financiarisé » et vous dénoncez en même temps ce phénomène. Je suis donc perplexe.

Comme tous les élus locaux et nationaux aujourd'hui, et également en tant qu'ancien médecin, je suis interpellé par cette dérive de la médecine. J'ai l'impression que les doyens de médecine, mais aussi, pardonnez-moi, les ordres, considèrent que le problème de la démographie médicale et des territoires n'est pas le leur. Qui donc est responsable dans ce pays ?

Vous dites qu'il faut un biologiste par laboratoire, or je n'en vois pas beaucoup en ville dans les sites sur lesquels je me rends.

À mon sens, la qualité ne peut que pâtir de la financiarisation. À titre d'exemple, je n'ai pas vu une échographie ne pas se terminer par un scanner ou une IRM. Il est inconcevable de proposer à un interne de gagner 15 000 euros par mois à condition de multiplier les examens. Où va-t-on ? Où va cet argent ?

M. Alain Milon. - Vous avez surtout évoqué la biologie et l'imagerie médicale. Peut-être le contact humain est-il moins important dans ces métiers que dans d'autres professions médicales.

Je dois reconnaître que votre intervention m'a un peu déçu. En tant qu'ancien médecin, je considère qu'il est primordial de connaître le patient dans sa personne et son environnement avant de pouvoir diagnostiquer ou prescrire un traitement.

Vos métiers, l'imagerie et la biologie, évoluent d'une manière dangereuse à mes yeux.

Est-ce pour vous une inquiétude d'être probablement un jour supplanté par l'intelligence artificielle (IA) ?

Mme Céline Brulin. - Plusieurs intervenants sont revenus sur le coût élevé des matériels et des outils de travail nécessaires au fonctionnement des laboratoires, ce qui conduit aujourd'hui à un regroupement des structures en vue de mutualiser les dépenses.

Quel est aujourd'hui le niveau de financement nécessaire pour garantir le fonctionnement d'un laboratoire digne de ce nom ? Ces investissements restent-ils à la portée des structures d'exercice libéral ?

La financiarisation s'invite-t-elle dans ce domaine parce que les coûts sont trop importants ? Faut-il réfléchir à d'autres modèles économiques, notamment ceux faisant appel à la puissance publique ?

Jean Canarelli. - Je vais tenter de répondre brièvement à ces questions qui nécessiteraient toutes de longs développements.

Le rôle de l'ordre est de garantir le respect des textes, de la réglementation et de la loi.

Nous attendons désespérément depuis des années des évolutions réglementaires et législatives qui nous donnent les moyens d'agir.

Quelques petites évolutions favorables ont eu lieu. Nous commençons ainsi tout juste à ne pas inscrire certaines sociétés d'exercice libéral parce qu'elles ne correspondent pas à ce qu'on attend aujourd'hui de l'exercice libéral.

L'ordre n'a pas les moyens techniques d'aller chercher des éléments où il risque de se retrouver face à une kyrielle d'avocats.

Donnez-nous les moyens de recevoir directement l'ensemble des éléments pour agir. Nous avons besoin de savoir que les pactes qui existent derrière les dossiers que nous recevons n'ont aucune valeur et ne risquent pas de détruire la structure.

Monsieur le Sénateur, vous m'avez demandé de parler de la financiarisation. Si vous m'aviez demandé d'aborder les missions des biologistes, j'aurais pu y revenir très longuement aussi. Beaucoup d'éléments très intéressants à ce sujet ont été compilés par la profession ainsi que les autres spécialités.

J'ai abordé la question très brièvement, mais le danger est réel. Nous avons évoqué la biologie, mais la radiologie et l'anatomopathologie seront également bientôt concernées par ces dérives. Des centres de santé sous des formes de plus en plus atypiques voient le jour. À ce rythme, le territoire français ne comptera plus que des groupes ou des start-up.

Je fais partie de ceux qui pensent que l'IA a un rôle important et positif à jouer dans l'apprentissage, l'accompagnement et le diagnostic. Si l'IA devait surpasser les biologistes, en termes de compétence, cette profession n'aurait alors aucune raison de se maintenir. Cependant, j'ai aussi la faiblesse de croire que le contact avec le patient reste primordial et nous pouvons le développer davantage.

Il est donc important d'asseoir pleinement la mission des biologistes.

La réforme n'est pas allée assez loin dans l'objectif de médicalisation de la profession. Elle s'est limitée à donner la possibilité au biologiste de modifier une ordonnance, en conformité avec les textes existants et avec l'accord du médecin.

Il aurait fallu lui donner davantage de latitude. Par exemple, sur un pré-diagnostic médical clinique, les biologistes devraient pouvoir lancer une recherche syndromique avec une suspicion d'anémie ou une recherche d'étiologie sur une fièvre au long cours.

Quant aux coûts des investissements, ce n'est pas un sujet. Aujourd'hui, les banquiers de quartier ont la capacité de lever un million d'euros pour un laboratoire s'il le faut. Les financements importants servent à faire du LBO, pas à investir dans un laboratoire.

Carine Wolf-Thal. - Nous disposons en effet d'outils, comme l'ordonnance du 8 février 2023, pour nous aider à mieux contrôler l'indépendance des professionnels de santé.

Nous restons néanmoins vigilants quant aux décrets d'application à venir.

Par ailleurs, certains éléments qui induisent une perte d'indépendance du professionnel nous échappent, comme la création d'actions de préférence ou de comités.

Je vous rejoins absolument sur la nécessité d'être au plus proche du patient et de revenir à une relation humaine. Je considère pour ma part que l'IA doit être au service de l'humain, et non l'inverse, et permettre justement de renforcer ce contact.

Dans notre officine, l'IA nous permet par exemple de gagner du temps au niveau des analyses afin de nous rendre plus disponibles pour les patients, la prévention et l'accompagnement.

Philippe Piet. - J'ai bien entendu votre remarque. Pour revenir à la préoccupation de votre collègue ancien hospitalier, je vous renverrai à la difficulté de l'équilibre de la gouvernance à l'hôpital avec les praticiens. Il s'agit en effet d'un problème complexe.

Concernant l'IA, j'estime comme mon collègue Jean Canarelli que si un jour le métier de biologiste n'était plus utile, il ne servirait à rien de conserver cette profession. C'est une question de dignité.

Mais à mon sens, l'IA reste un outil et certainement pas un supplétif et c'est ainsi que nous devons l'appréhender. Toute la difficulté consiste à trouver le bon équilibre.

L'Europe a d'ailleurs émis une recommandation très intéressante à ce sujet dont nous devrions nous inspirer.

Il est également important de comprendre que le patient évolue dans une offre de soins avec des compétences diverses. Le rôle du biologiste consiste notamment à l'orienter selon sa pathologie et les éléments de biologie vers le praticien le plus pertinent. Cette compréhension de la problématique clinique du patient et ce dialogue clinico-biologique sont essentiels.

Enfin, je ne suis pas certain que le financement extérieur soit indispensable dans le secteur de la biologie médicale. La décision de maintenir ou pas cet apport relèvera de votre compétence.

En revanche, la coopération publique-privée est essentielle. Ces partenariats, qui peuvent prendre beaucoup de formes, devraient être sérieusement envisagés pour permettre des économies en termes de ressources humaines et techniques.

S'agissant de la formation, j'estime qu'il est du devoir de chaque génération de se préoccuper de la suivante. La grandeur d'une société se mesure en partie à sa capacité à préparer la suite. Or, je constate que, d'une manière générale, nous ne prenons pas suffisamment soin des générations futures.

Je considère pour ma part que la formation doit être d'abord scientifique et médicale. Les biologistes qui exercent sont en capacité de former les jeunes sur cette expertise et cette qualité de prise en charge médicale du patient.

Je pense par ailleurs que ces jeunes, qui ont suivi de longues études, sont capables de se donner les moyens d'appréhender le volet gestion dans les laboratoires. Je les respecte d'autant plus que j'ai des exigences à leur égard.

Enfin, les missions des biologistes devraient être étendues à la modification des traitements antibiotiques, anticoagulants, etc. Il existe un réel manque à ce niveau qui me conduit à insister lourdement sur ce sujet.

Mme Corinne Bourcier. - Pourquoi le métier de biologiste n'intéresse-t-il plus les jeunes ?

Philippe Piet. - Les jeunes constatent que le métier tend à se démédicaliser, et sont déstabilisés par la dynamique d'industrialisation qui est à l'oeuvre.

Des questions liées à la formation peuvent aussi expliquer ce désintérêt. J'ai parfois des doutes sur la volonté des aînés de s'approprier tous ces questionnements.

En revanche chez les pharmaciens, l'ensemble des postes est toujours largement choisi, certes avec un peu moins d'attrait qu'avant.

Certes, les pharmaciens sont moins attachés à la médicalisation que les médecins biologistes. Cependant, certains souffrent tout de même de l'absence d'exercice médical dans leur métier.

Jean Canarelli. - Il est vrai que cette désaffection est très marquée chez les médecins, avec des postes qui ne sont pas pourvus.

Elle se retrouve toutefois aussi chez les pharmaciens. Alors que la biologie figurait en tête des choix, cette spécialité tend progressivement à descendre dans le classement des choix.

Le métier a beaucoup évolué, sans aller dans le sens de la médicalisation. Cet objectif était pourtant l'un des quatre points mis en avant par la ministre de la santé Roselyne Bachelot dans la réforme de la biologie médicale.

Alors que la réforme était censée encourager la polyvalence, la profession s'est rigidifiée et sclérosée davantage.

Cantonnés à des silos au sein de leur métier, les biologistes se retrouvent à faire des prises de sang ou valider à la chaîne des analyses.

Ce métier a donc beaucoup changé. Les missions que j'évoquais au début de mon intervention sont peut-être les fondements d'un renouveau qui rendront à cette profession son attractivité.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition des représentants des biologistes médicaux : MM. Alain Le Meur, président de l'Association pour le progrès de la biologie médicale,
Sébastien Gibault, directeur général de Synlab
et Laurent Escudié, directeur général de Cerballiance

(Mercredi 10 avril 2024)

M. Philippe Mouiller, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons ce matin nos auditions plénières relatives à la financiarisation de l'offre de soins, et plus particulièrement de la biologie médicale. Après avoir entendu les ordres des médecins et des pharmaciens la semaine dernière et avant de recevoir la Caisse nationale de l'assurance maladie, nous accueillons des représentants de quelques-uns des principaux groupes impliqués dans le regroupement des laboratoires de biologie médicale : M. Alain Le Meur, Président de l'Association pour le progrès de la biologie médicale, qui fédère les principaux réseaux de laboratoires ; M. Sébastien Gibault, Directeur général de Synlab ; et M. Laurent Escudié, Directeur général de Cerballiance.

Je vous indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo. Elle est retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.

Messieurs, la biologie médicale est généralement considérée comme étant le secteur de la médecine de ville le plus concerné à ce jour par le phénomène de financiarisation de l'offre de soins. Les groupes réunis au sein de l'Association pour le progrès de la biologie médicale contrôlent ainsi plus de 60  % de l'offre de biologie médicale.

Vous savez sans doute que ce mouvement suscite des inquiétudes de plusieurs ordres, qu'il s'agisse du maillage territorial des laboratoires, de l'indépendance des professionnels de santé ou des finances de l'assurance maladie.

Vous pourriez donc nous préciser, dans un propos liminaire, la façon dont vos groupes (ou votre alliance) se sont structurés, pour nous préciser si, selon vous, ce mouvement est à présent achevé pour ce qui concerne la biologie médicale et apporter une première réponse aux préoccupations que j'ai évoquées.

Les membres de la commission vous interrogeront par la suite, à commencer par les trois rapporteurs de notre mission d'information, Corinne Imbert, Olivier Henno et Bernard Jomier.

Monsieur Le Meur, vous avez la parole.

M. Alain Le Meur, président de l'Association pour le progrès de la biologie médicale. - Bonjour, je suis le docteur Alain Le Meur, je suis pharmacien biologiste. J'exerce depuis plus de 30 ans en Île-de-France. Je suis le Président de l'Association pour le progrès de la biologie médicale, qui regroupe cinq réseaux nationaux de laboratoires de biologie médicale.

M. Sébastien Gibault, directeur général de Synlab. - Bonjour, je suis le directeur général de la filiale française de Synlab.

M. Laurent Escudié, directeur général de Cerballiance. - Bonjour à tous. Je suis biologiste médical et directeur général du réseau Cerballiance.

M. Alain Le Meur. - La biologie médicale représente 70  % des diagnostics. Elle accueille 500 000 patients par jour et représente plus de 50 000 collaborateurs en emploi direct. 95  % des résultats sont rendus en moins d'une demi-journée. Vous savez que nous avons connu une consolidation très importante depuis plus de dix ans, réussie et voulue par l'État.

En 2008, un rapport de Monsieur Ballereau a montré que le secteur était assez atomisé, avec des insuffisances de qualité et une organisation peu efficiente. Suite à cela, en 2010, il y a eu l'ordonnance Bachelot et en mai 2013, cette ordonnance a été ratifiée. Trois conséquences majeures de cette ordonnance sont à signaler.

Tout d'abord, a été instaurée une accréditation obligatoire pour 100  % des actes que nous réalisons. C'est quelque chose d'unique en Europe. Aucune profession de santé n'a cette obligation. Cette dernière permet de garantir la sécurité des patients. Nous sommes très impliqués sur la continuation de cette accréditation obligatoire à 100  %.

La deuxième conséquence majeure est la mutualisation des moyens, humains et matériels, avec la création de plateaux techniques très performants, très sécurisés. En même temps, il a été possible de pérenniser l'ancrage territorial, puisque nous dénombrons environ 4 000 sites de laboratoires en France, qui contribuent aux soins de premier recours, au désengorgement des hôpitaux et des urgences et à la permanence des soins. Pour nous, la proximité avec les patients est quelque chose de très important.

Le troisième fait majeur est d'ordre économique. Nous avons fait faire 3 milliards d'euros d'économies cumulées depuis 2016 à la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam).

Nous avons été exemplaires. Grâce à cette consolidation réussie et voulue par l'État, nous nous sommes totalement impliqués lors de la crise du covid-19. Nous avons pu tester tous les Français comme demandé par le Ministre de la santé Monsieur Véran. Nous avons pu nous impliquer en continu pour réaliser les tests PCR, alimenter le système d'information national de dépistage populationnel (SI-DEP) et procéder au séquençage, parce qu'il y avait quatre plateformes de génétique et de séquençage. Nous nous sommes impliqués totalement et sans cette consolidation, sans les investissements que nous avons pu faire avec nos associés et nos professionnels, nous n'aurions pas pu nous impliquer de cette façon sur le covid-19. Désormais et à l'avenir, il faut poursuivre cet investissement sur l'oncogénétique, l'endométriose et tous les actes innovants qui seront accessibles à l'ensemble des patients sur le territoire. C'est quelque chose pour nous qui est très important. Nous sommes devenus, en plus de dix ans, des acteurs compétitifs. On s'exporte en Europe, en Allemagne, en Afrique du Nord, un peu partout. Nous réalisons nous-mêmes, en France, sur nos plateaux techniques, tous les examens de biologie médicale. Nous n'envoyons pas nos tubes à l'étranger. Je crois que c'est important de le souligner en tant qu'entrepreneur.

Nous parlerons tout à l'heure de la gouvernance. Je crois que sur ce sujet, nous devons être totalement exemplaires. La gouvernance doit être équilibrée, juste, fluide, également transparente, parce que la transparence permet la confiance, la confiance entre les professionnels, les associés non professionnels, mais aussi l'État, l'ARS et les ordres. Nous devons être exemplaires sur la gouvernance.

M. Sébastien Gibault. - Je vous remercie pour votre invitation dans le cadre de cette mission d'information qui nous donne l'occasion de vous présenter notre vision des enjeux du secteur de la biologie médicale, à travers notamment les questions de son organisation, de sa gouvernance au service et dans l'intérêt des patients. La biologie médicale est, comme vous le verrez, une profession très contrôlée et les laboratoires d'analyses médicales qui représentent près de 50 000 emplois en France sont une solution de santé de proximité pour beaucoup de Français dans l'ensemble des territoires. J'espère que nos échanges seront de nature à éclairer et enrichir vos travaux. Nous serons bien sûr à votre disposition pour répondre ensuite à toutes vos questions et pour toute précision ultérieure.

Je vous propose de commencer mon propos par une brève présentation de l'historique du fonctionnement du Groupe Synlab, puis d'évoquer ensuite la place et le soutien des partenaires financiers. Nous privilégions ce terme à celui de « financiarisation ». Je conclurai ensuite par un point sur le cadre de la réglementation actuelle, ce qu'il garantit et ce sur quoi il pourrait être intéressant pour le législateur de réfléchir en vue d'éventuelles améliorations. Synlab est un groupe conçu par et pour les biologistes. Il est le fruit du rapprochement en 2018 entre le groupe français Labco, fondé le 5 juin 2003 par un groupe de biologistes, et le groupe allemand Synlab. L'objectif de Labco reste intact aujourd'hui avec Synlab : être constitué en réseau pour permettre d'améliorer la qualité des soins dans une démarche d'excellence médicale et de service ; se doter des moyens d'accompagner les défis liés à l'innovation et au progrès technologique, par exemple pour les diagnostics génétiques ; répondre à la croissance des besoins en analyse médicale de plus en plus pointus.

En effet, deux principaux facteurs ont poussé à cette consolidation : le besoin en investissement pour automatiser les laboratoires, avec le pouvoir de négociation suffisant pour faire face aux géants de l'industrie pharmaceutique et diagnostique ; les coûts conséquents de la qualité harmonisée des diagnostics avec l'obligation réglementaire de l'accréditation à 100  % via le Cofrac, seule garantie de la qualité des résultats pour tous les patients en France, quel que soit le laboratoire ou le territoire. C'est en résumé le cadre de l'ordonnance du 13 janvier 2010 relatif à la biologie médicale.

Synlab France représente l'un des cinq principaux réseaux français de laboratoires d'analyses. Le réseau s'appuie sur 380 centres de prélèvements de proximité sur l'ensemble des territoires, 400 biologistes, médecins ou pharmaciens, encadrant 4 000 collaborateurs et 40 plateaux techniques. Certains de nos laboratoires sont situés au sein de structures hospitalières et rendent leurs diagnostics 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Cette organisation en réseau permet de proposer l'ensemble des analyses médicales traditionnelles, ainsi que celles de génétique, de diagnostic de cancer, de l'aide médicale à la procréation ou de la toxicologie médico-légale.

Synlab France est constitué de plusieurs sociétés d'exercice libéral (SEL), présentes dans la plupart des régions françaises. Ces SEL sont dirigées et contrôlées par des biologistes qui y exercent. Toutes ces SEL ont créé un groupement d'intérêt économique (GIE) visant à centraliser les services support du réseau, comme l'informatique, la comptabilité, le support juridique, le service de paye et soutenir les actions et le développement des laboratoires au niveau national. Ce GIE est dirigé sur le plan opérationnel par un comité de direction constitué des biologistes, directeurs des régions, du réseau et des directeurs fonctionnels du groupement. Sur le plan local, la gouvernance de chaque SEL permet d'assurer conformément à la loi une indépendance médicale totale des biologistes qui gèrent en toute autonomie le fonctionnement quotidien de leurs laboratoires, tout en pouvant s'appuyer, lorsqu'ils le souhaitent, sur le réseau pour les assister en matière d'achat, d'informatique ou d'investissement.

J'insiste tout particulièrement sur ce point. Cette indépendance, à l'instar de l'ensemble des règles prévues par la loi, est soumise à un contrôle intense, régulier et multiple, en particulier de la part des ordres et des agences régionales de santé réparties sur le territoire. Ce contrôle strict s'exerce également sur le plan de la qualité des diagnostics via les accréditations du Cofac, et la mise en oeuvre des recommandations de la HAS. Ainsi, toutes les SEL du réseau Synlab sont régies par des statuts, des pactes d'associés et une structure capitalistique ayant été revus et validés à la fois par l'ordre des médecins et l'ordre des pharmaciens, au terme d'un dialogue constructif, assurant la parfaite indépendance médicale et professionnelle des biologistes.

Comme le démontre l'exemple de Synlab, le soutien d'un partenaire financier n'est à notre sens pas un problème pour la biologie médicale en France, mais a, au contraire, toujours été une nécessité comme pour d'autres secteurs innovants de la santé, et ce pour plusieurs raisons. La présence de partenaires financiers permet des investissements importants au service des patients, comme les investissements dans de nouveaux tests, des solutions de cybersécurité, des équipements et des technologies de pointe que l'État ou la puissance publique ne peuvent financer. La consolidation des laboratoires était inévitable au vu des changements majeurs que la biologie médicale a connus sur le plan technique, démographique, économique et de la qualité.

La profession est en effet passée, en peu de temps, d'une pratique quasi-artisanale à une profession technologique, nécessitant des équipements lourds, de pointe, permettant de développer de nouveaux tests et de révolutionner les délais et la qualité des analyses pour les patients et les prescripteurs. Ces changements profonds ont accéléré le regroupement des laboratoires, afin de pouvoir investir collectivement dans ces technologies de pointe. L'innovation est pesée dans les négociations face aux industriels du secteur de la santé. Ce changement rapide et profond a donc dû être, comme dans tous les autres secteurs d'activité français, et en particulier les secteurs innovants, financé par le secteur privé pour faire face aux défis du progrès technique et de l'augmentation des besoins du diagnostic.

Or la biologie médicale a été confrontée à un large désinvestissement des banques dans l'accompagnement des acteurs et s'est donc tournée vers le capital-investissement pour se financer, puisqu'il constituait et constitue toujours le seul acteur capable de couvrir les besoins en investissements qu'a connus et que connaît la biologie.

Cet accompagnement a été particulièrement bénéfique pour la profession et les patients, puisqu'il a permis d'accroître le nombre de sites de prélèvement permettant d'étendre le maillage de proximité et de développer la présence médicale en zone blanche, d'investir en continu dans la qualité et l'innovation technologique et médicale, afin d'assurer le rendu d'analyses de plus en plus complexes, spécifiques et personnalisées, de gérer de gros volumes d'analyses 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, avec des délais de rendu de résultat toujours plus rapides, d'améliorer constamment les services apportés aux patients, notamment avec la digitalisation et d'assurer la réactivité face aux crises comme celle du covid-19, durant laquelle les groupes de biologie médicale ont démontré une agilité sans précédent, à la demande de l'État, pour faire face aux besoins de diagnostic présentés par l'épidémie.

Au-delà des avantages évidents qui sont à mettre au crédit de l consolidation du secteur à la faveur de son financement par des investisseurs institutionnels, il est légitime de se poser la question de sa compatibilité avec les impératifs essentiels que sont l'indépendance des biologistes et l'intérêt supérieur du patient. La réalité quotidienne de notre groupe depuis maintenant vingt ans démontre que la réglementation actuelle est en vérité globalement satisfaisante pour l'exercice de la biologie médicale, lorsqu'elle a pu trouver un point d'équilibre entre les besoins des biologistes et des patients et les besoins de financement.

Comme je l'ai dit, la très forte réglementation en termes de gouvernance et de qualité à laquelle la biologie médicale est soumise constitue d'ores et déjà un outil puissant, assurant l'accompagnement des laboratoires par des partenaires de financement, qui ne peut se faire au détriment de l'indépendance des biologistes et de l'intérêt des patients. Ce point est essentiel.

L'évolution de la réglementation ces quinze dernières années a ainsi permis d'aboutir, à travers notamment des échanges quotidiens avec les ordres et les ARS, sur le contenu de la documentation des SEL, à un équilibre fin en termes de principes de gouvernance permettant de concilier de la façon la plus intelligente et pragmatique possible, d'un côté la maîtrise de la pérennité de leurs investissements par les partenaires de financement, qui sont en réalité moins lourds que les sûretés et engagements auxquels un laboratoire serait soumis dans le cadre d'un financement bancaire, d'un autre côté la garantie de l'indépendance professionnelle et médicale des biologistes, qui ont totalement gardé la maîtrise de leur organisation, de leurs partenariats locaux avec les autres acteurs de santé, de leurs achats, même lorsque leur groupe a négocié des tarifs préférentiels avec certains fournisseurs. La consolidation a en outre permis de conquérir de nouvelles libertés pour les biologistes, telle que la possibilité de prendre leur indépendance vis-à-vis de fournisseurs extrêmement puissants qui, jusqu'alors, imposaient leurs conditions à la profession.

Ainsi, loin de vouloir remettre en cause une réglementation qui a précisément mis plusieurs années à trouver son point d'équilibre et qui comporte aujourd'hui tous les outils nécessaires à la préservation des intérêts des biologistes, des patients et de la collectivité, il nous semblerait en revanche utile de proposer de réfléchir aux freins qui nous empêchent d'améliorer encore le service rendu aux patients.

Je livre au législateur notamment trois exemples pour conclure :

- réfléchir à une refonte de la limitation d'implantation d'un laboratoire multisite à trois territoires de santé, qui permettrait dans des zones rurales de densifier le maillage territorial et de renforcer la proximité avec le patient ;

- réfléchir à un relèvement du plafond de sous-traitance de 15  % qui n'est plus adapté aux réalités de la biologie, puisqu'elle empêche la création de pôles d'excellence spécialisés, et qui se révèle désavantageuse pour les plus petits laboratoires alors que les fournisseurs d'automates refusent aujourd'hui de fournir des chaînes de diagnostic inférieures à des tailles critiques de plus en plus importantes ;

- étudier la faisabilité de partenariats publics-privés pour les plateaux techniques des laboratoires. En effet, nous partageons les mêmes compétences et équipements avec nos confrères du public ; unir nos moyens pourrait être une piste pour faire face aux grands défis du diagnostic pour demain.

Je vous remercie pour votre écoute et serais heureux de répondre à vos questions.

M. Laurent Escudié. - Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les sénatrices et sénateurs, merci de vous saisir de ce sujet dont je tiens à préciser l'importance de pour ma profession, la biologie médicale, et plus largement pour l'ensemble de notre système de soins. Merci également pour votre invitation. Beaucoup de personnes se sont déjà exprimées. Je suis heureux à mon tour de pouvoir le faire en tant qu'acteur de santé et également représentant de mes confrères de Cerba. Derrière ma voix, c'est l'ensemble de nos équipes qui vivent cette évolution de l'intérieur depuis des années. J'espère que mes propos pourront vous éclairer.

En préambule, quelques mots pour me présenter. Je suis biologiste médical depuis 2007. J'ai choisi un exercice libéral et j'ai pu connaître l'ancien modèle consistant à exercer dans des petites structures de société d'exercice libéral, juste avant la loi et l'ordonnance de 2013, et la profonde transformation de notre profession souhaitée par les pouvoirs publics. Ce début de consolidation nous a amenés à nous rapprocher de nos confrères sur des projets locaux pour faire grandir nos laboratoires, des projets régionaux puis nationaux, pour créer des réseaux. Devenant moi-même acteur de cette transformation, par la création de plateaux techniques et l'intégration de nouveaux laboratoires dans notre réseau, j'ai exercé beaucoup des métiers que l'on propose à nos biologistes dans nos organisations.

J'ai gardé toujours une attention particulière à la relation patient et également à l'attractivité de notre profession en restant à l'écoute de nos jeunes confrères. J'ai l'honneur aujourd'hui d'occuper le poste de directeur général de Cerballiance, notre réseau de laboratoires de biologie médicale, qui est composé de 700 sites de proximité en métropole et en outre-mer, 80 plateaux techniques dont la moitié est ouverte en 24/24, 7 jours sur 7, pour répondre aux besoins de nos cliniques et de nos hôpitaux publics, et enfin une dizaine de centres d'assistance médicale à la procréation.

Au total, ce sont plus de 100 000 patients par jour que nous prenons en charge. La spécificité de notre projet, que l'on retrouve d'ailleurs dans notre nom, est que nous nous sommes fédérés autour du laboratoire Cerba, un laboratoire de spécialités qui est bien connu de nos prescripteurs médicaux, qui a été créé il y a une cinquantaine d'années par un biologiste français à côté de Paris.

En tant que leader de biologie spécialisée, nous réalisons plus de 2 500 analyses de pointe dans une quarantaine de disciplines très spécialisées, comme la toxicologie, la pharmacologie, l'infectieux pour les agents pathogènes de classe 3, l'oncologie et évidemment, la génétique. Ces demandes d'analyses spécialisées proviennent de nos confrères des laboratoires privés, mais elles proviennent également de 200 établissements publics dont 27 centres hospitaliers universitaires (CHU).

Ce projet est porté avant tout par nos biologistes, qui sont les principaux décisionnaires de nos organisations. Depuis une quinzaine d'années, nous nous faisons effectivement accompagner par des partenaires économiques externes qui ont changé successivement et qui nous ont permis d'investir pour nous développer et nous réorganiser. Pour être totalement transparent, l'actionnariat aujourd'hui de Cerba est composé de 700 associés internes, majoritairement des biologistes médicaux libéraux comme moi - je précise que nous proposons ce type d'association à l'ensemble des jeunes biologistes qui nous rejoignent - et également d'actionnaires non professionnels - BPI France, PSP et Equity.

Je souhaite à présent vous expliquer en quoi nous contribuons au système de santé et surtout, en quoi cette transformation a d'abord été faite au bénéfice du patient sur trois points importants : l'accès aux soins, la qualité de la prise en charge médicale et enfin, l'innovation.

D'abord sur l'accès aux soins, nous n'avons eu de cesse, ces dernières années d'améliorer notre maillage de proximité avec des centaines de projets de rénovation, de déplacement et plus récemment, la possibilité de réaliser des créations grâce à l'accréditation à 100  %. J'ai d'ailleurs quelques exemples qui vont parler à nos rapporteurs, en Charente-Maritime avec les projets de Mireuil et Villeneuve-les-Salines, dans les Hauts-de-France avec les projets de Libercourt et de Laleu, qui étaient des localités dans lesquelles aucune offre de biologie n'existait. Nous sommes venus nous y installer. Ce maillage nécessite également d'importants investissements en matériels de pointe pour nos plateaux techniques, de mettre en production nos automates, d'en assurer le renouvellement tous les cinq à sept ans et ceci également pour des laboratoires d'urgence pour nos établissements de soins, qui nous permettent de participer à la permanence de soins.

Le deuxième point, c'est l'amélioration de la qualité de la prise en charge. Je vous parlais de l'accréditation obligatoire qui a d'abord été considérée plutôt comme une contrainte, il faut l'avouer, et qui nous a demandé beaucoup d'investissements humains et d'énergie. Elle nous a poussés à harmoniser notre pratique médicale. Elle nous a poussés également à standardiser nos processus, à mettre en place des indicateurs pour mieux nous évaluer. Cet effort a indéniablement amélioré la qualité globale de notre prestation et surtout fait que ce niveau de qualité soit le même que vous soyez à Paris, dans les Pyrénées ou à la Réunion.

Nos systèmes informatiques ont également été un important outil de progrès. Il a été nécessaire d'investir dans de nouvelles solutions pour augmenter le niveau de sécurité de nos infrastructures, pour mieux protéger nos données de santé, mais aussi pour apporter davantage de services digitaux à nos patients, infirmiers et collaborateurs, médecins, prescripteurs et établissements de soins, toujours dans un but de faciliter la prise en charge.

La transformation de nos métiers nous a également permis de nous améliorer. Je vais rapidement vous l'expliquer. Elle a une vertu sur le niveau de nos compétences. En professionnalisant nos fonctions support administratives, comme les ressources humaines, l'informatique et les achats, nous avons pu redonner du temps médical au biologiste et le recentraliser sur son coeur du métier : la relation médicale au patient, la supervision analytique et également le dialogue clinico-biologique avec le prescripteur. Cela nous a permis également, comme l'ont fait les CHU bien avant nous, de spécialiser nos biologistes afin d'augmenter leur niveau d'expertise, ce qui nécessite un important accompagnement en termes de formation, pour maintenir et consolider leurs compétences.

Notre organisation en réseau a pris un nouveau sens quand nous avons pu créer des communautés médicales pour chaque expertise (hématologie, microbiologie, assistance médicale à la procréation). Chaque expert de région peut discuter avec ses homologues. Cette transversalité est devenue une réelle force dans notre organisation. C'est également un enjeu d'attractivité. Il y a une attente chez les jeunes confrères sur cet aspect, qui consiste à mieux valoriser notre rôle et nos compétences. C'est ce qui nous permettra demain, j'en suis convaincu, de continuer à assurer de nouvelles missions. C'est ce que nous souhaitons, notamment dans le champ de la prévention.

Le troisième point est l'innovation. Nous la portons à travers de nombreux projets médicaux qui nécessitent d'investir sans garantie de réussite, de prendre le risque parfois de travailler à perte pendant des années. Le meilleur exemple que je puisse vous donner est celui du DPNI, le diagnostic prénatal non invasif, qui permet de dépister les trisomies grâce à l'ADN foetal qui est dans le sang maternel. Nous avons été les premiers à développer la technique en 2013, avec tout ce que cela signifie en termes d'investissement, de compétences, alors que la prise en charge dans la nomenclature n'a eu lieu que six années après. Je peux également citer l'exemple du dépistage du chikungunya lors de la crise sanitaire à la Réunion, plus récemment l'exemple du dépistage de l'exposition à la chlordécone en Martinique, ou encore le séquençage de l'exome pour des maladies rares qui sont en errance diagnostique.

Nous avons une plateforme de séquençage pouvant traiter jusqu'à 450 000 tests par an. Cerba est d'ailleurs laboratoire de référence pour de nombreux tests liés à des pathologies rares. Il réalise aussi d'autres missions de service public comme le dépistage national organisé du cancer colorectal pour le compte de la CNAM et de l'Institut national du cancer.

L'association de notre laboratoire de spécialités et de notre laboratoire de biologie médicale en région nous permet d'être contributifs en termes de veille épidémiologique sur l'ensemble des territoires. Le projet RELAB en est un parfait exemple. Le partenariat avec les Hospices Civils de Lyon nous a permis de créer un projet de surveillance des infections virales respiratoires comme la grippe, le VRS et le covid-19. Nous souhaitons jouer un rôle de sentinelle en partenariat avec nos autorités publiques.

Pour accompagner toutes ces responsabilités et préparer l'avenir, nous avons fait le choix d'investir dans la construction et l'équipement de pointe de notre nouveau laboratoire spécialisé, qui déménage cette année à Frépillon, dans le Val-d'Oise, pour devenir le plus grand laboratoire de biologie médicale d'Europe, afin de maintenir notre expertise médicale, notre excellence sur l'innovation technologique et participer au rayonnement de la France à l'international.

Quelques chiffres, si vous me permettez, pour illustrer mes propos. Chaque année, nous investissons 4 millions d'euros dans la formation de nos collaborateurs et biologistes, et 10 millions d'euros dans notre parc d'automates. Chaque année, 20 millions d'euros sont investis pour les systèmes informatiques. Cette année, notre projet de laboratoire spécialisé à Frépillon va nous coûter 100 millions d'euros. Tous ces investissements cumulés sur les trois dernières années représentent plus de 400 millions d'euros d'investissement global.

Tous ces efforts de réorganisation et d'investissement se sont faits dans un cadre réglementaire qui a été défini spécifiquement pour notre profession, contrôlé par nos ordres et les ARS. La régulation est stricte. Cela, il faut le rappeler, dans un contexte de recherche de productivité suite à de nombreuses baisses de nomenclature depuis 2011 permettant d'engendrer une économie annuelle pour le budget de la sécurité sociale d'environ 1 milliard d'euros en 2023.

Pour conclure, les équipes de Cerba que je représente sont avant tout des acteurs de santé passionnés par leur travail, des biologistes qui sont présents à tous les échelons de la gouvernance, aidés par des partenaires économiques externes qui nous permettent d'investir, de porter nos projets, de progresser sur l'accessibilité de nos laboratoires, sur la prise en charge médicale, sur l'expertise des biologistes et sur l'innovation. Nous visons toujours l'intérêt du patient et l'atteinte d'objectifs de politiques de santé publique.

M. Philippe Mouiller. - Merci beaucoup pour vos présentations. Je cède la parole à nos rapporteurs.

Mme Corinne Imbert. - Merci Monsieur le Président, merci Messieurs pour vos présentations. Tout d'abord quelques éléments de contexte. L'accélération de la financiarisation de l'offre de soins s'accompagne de l'expression par les acteurs d'un besoin de régulation du secteur avec des inquiétudes portant sur la perte de l'indépendance des professionnels de santé. L'ordonnance du 8 février 2023, dont les textes réglementaires d'application restent attendus, vise justement à protéger les professions libérales d'investisseurs non professionnels.

Par ailleurs, des décisions importantes du Conseil d'État ont été rendues à l'été 2023. Elles concernent certes les vétérinaires, mais les juristes s'accordent à dire que leurs conclusions pourraient aussi valoir pour les professions médicales.

Ces décisions soulignent les risques associés à certaines stipulations contractuelles, privant de tout contrôle effectif les professionnels exerçant dans certaines sociétés privées, et rappellent l'exigence du respect de l'indépendance des professionnels dans ces sociétés d'exercice. Entendez-vous les difficultés et les critiques exprimées à l'égard de l'opacité de la structuration financière des groupes ? Rejoignez-vous le constat de l'absence de règles prudentielles pour réguler le secteur à ce jour, et quelles règles vous sembleraient pertinentes en la matière ? Quel regard portez-vous sur cette demande de régulation exprimée par l'ensemble des acteurs, notamment des professionnels de santé et des instances ordinales ?

Je vous remercie, Monsieur le directeur général de Cerballiance, d'avoir cité vos associés non professionnels. Est-ce que ce sont les seuls trois associés, ou est-ce qu'il en existe d'autres ? Monsieur le directeur général de Synlab, pourriez-vous nous donner les noms des associés non professionnels qui investissent également dans votre société ?

Dans vos réseaux et dans votre manière aujourd'hui d'exercer la biologie médicale, certaines analyses sont-elles traitées de façon moins prioritaire que d'autres ? Je pense par exemple à un frottis : je constate que les délais d'obtention du résultat sont parfois longs pour les femmes concernées. Cette question remonte du terrain.

Enfin, dans vos réseaux, parce que ce sont des phrases que l'on entend souvent en politique, comment qualifieriez-vous la gestion : « qui paie décide » ou « qui décide paie » ? Je vous remercie.

M. Philippe Mouiller. - Je vous laisse répondre.

M. Alain Le Meur. - Nous devons être exemplaires en matière de gouvernance. Cette dernière doit être juste et équilibrée. La transparence favorise la confiance avec les professionnels, les associés, les ARS, les ordres et l'État. Pour nous, ce point est très important. Vous avez fait allusion à l'ordonnance du 8 février 2023. Celle-ci a été conçue pour simplifier et harmoniser les différents textes entre les professions libérales et également de faciliter le développement et le financement des structures des professions libérales.

Des règles et des garde-fous existent. Monsieur Gibault a parlé des 15  % de transmissions. Nous sommes limités à trois territoires de santé limitrophes. Nous ne pouvons pas dépasser 25  % d'activité dans une région. Au niveau réglementaire, la majorité des droits de vote appartient aux biologistes exerçants. In fine, le maître-mot est la transparence.

M. Sébastien Gibault. - L'indépendance des biologistes est clé. Le réseau a été fondé par des biologistes qui n'ont jamais laissé la gouvernance leur échapper. De nombreux outils existent aujourd'hui pour garantir cette indépendance. Tout a été construit sous contrôle des ordres et des ARS.

Concernant l'actionnariat, Synlab France est une filiale du groupe Synlab qui est basé en Allemagne.

Pour ce qui concerne les actes, je ne vois pas du tout à ce stade de dégradation ou de sélection faite par les biologistes dans les délais de rendu et dans les analyses. Un patient qui se présente dans nos laboratoires est pris en charge de la même manière et on ne connaît pas à l'avance la prescription médicale avec laquelle le patient va arriver. Sur les rendus de résultats, nous cherchons à les faire le plus rapidement possible. En ce qui concerne le réseau Synlab, il n'y a aucune volonté de ralentir les rendus de résultats, et il ne faut pas oublier les prescripteurs qui seraient particulièrement mécontents de constater un allongement des délais de rendu. Il peut apparaître parfois des retards, en raison des maladies et des absences. Le recrutement, visant à avoir des professionnels de la santé compétents et disponibles, est un élément clé pour nous.

M. Laurent Escudié. - L'un des facteurs de succès de cette transformation est la régulation. Les règles sont très strictes en termes d'indépendance du biologiste. Les droits de vote, dans nos structures, doivent appartenir en majorité ou en totalité aux biologistes. Les mandataires sociaux de nos structures sont également des biologistes. Ils conservent la gestion de leur budget, de leur équipement, de leurs équipes, ce qui permet un exercice médical indépendant. Par ailleurs, il ne faut pas sous-estimer le rôle de l'accréditation obligatoire dans ce mouvement de régulation. Elle nous a forcés à faire tous ces changements dans un esprit d'amélioration continue, d'indicateur et d'auto-évaluation, ce qui nous permet aujourd'hui de savoir qu'en termes de satisfaction patient, nous nous sommes constamment améliorés.

La question sur les actes est particulièrement pertinente pour nous puisque, comme vous l'avez compris, nous récupérons de nombreuses analyses d'autres laboratoires. En termes d'analyses de spécialité, il peut arriver que nous soyons sur des rentabilités faibles voire nulle, mais cela ne nous empêche pas de les faire. Telle est notre responsabilité. Je ne verrais pas un biologiste refuser de faire une analyse spécialisée parce qu'elle n'est pas rentable.

Qui décide ? Cette question est importante. Nous avons des partenaires économiques, certes, mais ils ne sont pas dans nos comités de direction. Cela ne veut pas dire que nous ne nous fixons pas de contraintes économiques, mais nos partenaires financiers ne sont pas les acteurs qui prennent les décisions. Ils ne gèrent pas nos laboratoires. Ils ont un rôle de contrôle légitime de leur investissement.

Enfin, nous avons uniquement trois partenaires économiques dans le capital de Cerba.

M. Olivier Henno. - Merci Monsieur le Président. Merci Messieurs. À vous écouter, on a un peu le sentiment d'entendre Pangloss, « Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles ». Un secteur éclaté qui opère un mouvement de concentration bénéficie dans un premier temps des effets de la mutualisation, d'une capacité d'investissement accrue et d'une amélioration du service. Ensuite, quand la concentration a bien avancé, une forme d'essoufflement est observée. A ce moment survient le risque des monopoles privés, et avec lui l'application de mesures d'économies diverses. Est-ce qu'à un moment donné, cela ne peut pas avoir des conséquences sur la qualité du service et la qualité des soins ?

Ma question est la suivante : quels sont vos taux de rentabilité et quels sont vos objectifs de rentabilité ? Est-ce que cela n'entraîne pas un développement du salariat dans la profession ?

M. Alain Le Meur. - Notre profession est très réglementée. L'accréditation permet de garantir la sécurité des patients. Notre gouvernance est basée sur la transparence. Nous nous appuyons sur un alignement des associés professionnels et des associés non-professionnels sur les missions de santé publique que sont le maillage territorial, la prévention, l'innovation et l'interprofessionnalité. L'activité est sécurisée au maximum et très réglementée. Dans ce contexte, les différentes craintes, dont celle de la baisse de qualité, sont infondées.

M. Sébastien Gibault. - Nous ne connaissons pas d'essoufflement. La dynamique est portée par l'innovation et l'évolution du catalogue des analyses éligibles au remboursement et les éventuelles baisses tarifaires. En fonction de l'évolution technologique et des publications médicales, nous repensons constamment notre façon de travailler. Le secteur de la biologie médicale est en constante évolution.

Concernant la rentabilité, cette dernière est très variable selon les secteurs. Certaines structures ne sont pas rentables aujourd'hui en raison de la hausse des coûts logistiques (essence, énergie, etc).

M. Laurent Escudié. - Conserver le statut libéral est important pour que le biologiste reste indépendant et reste le dirigeant des laboratoires. L'indépendance du salarié existe, mais est moins forte.

Concernant les objectifs financiers et la rentabilité, la moitié des gains est reversée aux biologistes. L'autre moitié est consacrée aux achats médicaux, aux réactifs, aux charges externes, au paiement des taxes, aux frais bancaires et aux investissements sur nos sites de proximité, nos plateaux techniques et nos projets d'innovation.

M. Bernard Jomier. - Merci Monsieur le Président. D'abord, je voudrais vous remercier tous les trois d'avoir accepté de répondre à nos questions. Comme Olivier Henno, je suis un peu interrogatif. D'abord, vous avez assez peu répondu aux questions précises de mes deux collègues rapporteurs sur la rentabilité. On a juste compris qu'il y avait des structures qui n'étaient pas rentables, mais on imagine que s'il y a des sociétés qui investissent, l'exposé sur la rentabilité ne se résume pas à cet élément.

Vous nous décrivez une gouvernance juste, équilibrée et transparente, des décisions qui sont aux mains des professionnels de santé, donc pharmaciens ou biologistes médicaux. Une telle spécialité devrait être plébiscitée par les étudiants, mais tel n'est pas le cas. Depuis quelques années, 15  % des postes sont vacants et les autres organisations entendues dans le cadre de cette mission d'information nous décrivent toutes un panorama qui n'est pas du tout celui que vous décrivez.

Les autres organisations nous disent que la financiarisation a entraîné une perte du pouvoir décisionnel et d'autres conséquences. Vous prétendez le contraire ; comment expliquez-vous alors cette perte d'attractivité de la spécialité, particulièrement nette depuis ces dernières années ?

Je reviens sur la question de la rentabilité et sur le phénomène de financiarisation. Merci au directeur de Cerballiance de nous avoir cité des partenaires extérieurs. Je vous invite, Monsieur le directeur général de Synlab, à en faire de même et à répondre à la question de ma collègue Corinne Imbert.

Les académies pointent l'entrée dans le capital de sociétés d'investissement par le contournement de la législation. Est-ce qu'une part de vos bénéfices vient abonder le résultat de sociétés d'investissement extérieures aux professions de santé ?

M. Alain Le Meur. - Le sujet de l'attractivité m'est cher. En pharmacie, tous les postes d'internes en biologie médicale sont pris. La situation est différente pour les médecins, car pour eux, la médicalisation du geste et de la consultation est très importante. Nous avons donc besoin de médicaliser notre profession. Cette dernière est en proximité du patient, à travers le prélèvement, puis à travers le rendu du résultat. Les médecins biologistes et les pharmaciens biologistes ne viennent pas en raison d'un manque de médicalisation. Nous devons donc nous ouvrir à la consultation, à la télé-expertise, à la téléconsultation, à la vaccination et à plus de dépistage. Nos jeunes biologistes doivent pouvoir réaliser davantage d'actes médicaux. Nous avons perdu 600 biologistes en cinq ans. Nous avons besoin de nouvelles missions et l'avons demandé à Aurélien Rousseau, alors ministre de la santé, lors des assises de la biologie médicale.

M. Sébastien Gibault. - L'attractivité est un point clé pour notre profession, comme pour toutes les professions de santé.

Concernant la détention capitalistique, Synlab France est une filiale du groupe Synlab basé en Allemagne. Ce dernier est détenu majoritairement par un fonds, Cinven.

M. Bernard Jomier. - Est-ce qu'une part de bénéfices est reversée à la société d'investissement ?

M. Sébastien Gibault. - Je vous invite à poser la question au niveau du groupe.

M. Bernard Jomier. - Vous ne souhaitez donc pas répondre.

M. Sébastien Gibault. - La consolidation s'opère au niveau du siège social en Allemagne.

M. Laurent Escudié. - La discipline de la biologie médicale reste attractive, mais il faut être très vigilant. Il y a neuf ans environ, nous avons donc initié un travail de pédagogie et d'explication auprès des étudiants et des internes. Nous avons pointé les aspects positifs de la transformation, tels que la spécialisation et les communautés médicales. Effectuer davantage de missions médicales permettrait de valoriser le métier et de le rendre attractif. Nous avons notamment envie de jouer un rôle plus important en matière de prévention en santé publique. Nous avons des propositions à vous soumettre, notamment sur les scores prédictifs.

Notre organisation est très réglementée. Le moindre changement est soumis à l'accord préalable des ordres, de l'ARS et du Cofrac. Ce dernier joue un rôle majeur en matière de qualité.

Enfin, Cerba ne verse aucun dividende à ses partenaires économiques externes.

Mme Brigitte Micouleau. - Concernant l'innovation, pouvez-vous citer un test existant non pris en charge à ce jour ? Par ailleurs, pouvez-vous préciser quel est le gain de temps médical pour les biologistes ?

Mme Jocelyne Guidez. - Comment placez-vous la prévention et le dépistage précoce au coeur de vos activités ? Comment peut-on amener les Français à se faire dépister davantage ?

M. Khalifé Khalifé. - Nous restons sur notre faim par rapport à nos questions. Nous vous interrogeons sur la financiarisation, et vous nous répondez sur la qualité et l'innovation. Dans vos structures de gouvernance, quel est le nombre de sociétés et quel est leur type (SEL, SELARL, SCI, etc.) ? Existe-t-il des frais de structure ? Ne nous faites pas croire que vos financeurs sont l'Abbé Pierre. Ils attendent un retour sur investissement, qui n'est pas forcément dans l'intérêt de la profession. Vous rappelez votre indépendance, mais demain, les jeunes médecins ne se verront-ils pas imposer d'être salariés de la structure ? Je regrette que des représentants du ministère des finances ne soient pas présents aujourd'hui.

M. Alain Le Meur. - Nous avons un livret blanc, qui a été réalisé avec quatre syndicats et l'ensemble des réseaux de France. Ce livre blanc évoque notamment le maillage géographique, l'interdigitalisation, l'interprofessionnalité et la prévention. Concernant l'attractivité, il faut nous ouvrir aux téléconsultations, aux télé-expertises et à la vaccination. Nous sommes déjà très impliqués dans la prévention par exemple des tests HIV sans ordonnance, et proposons des consultations de prévention.

M. Sébastien Gibault. - Nous proposons de nombreux tests et analyses aux patients qui ne sont pas remboursés par l'assurance maladie. De nombreux tests innovants sont disponibles, tel que le dépistage des troubles de la bipolarité, qui est proposé depuis la semaine dernière. Dans d'autres laboratoires que Synlab, un dépistage des troubles liés à l'endométriose a été introduit.

Concernant les aspects structurels de notre réseau, je vous propose de céder la place à Madame Gouich, qui va pouvoir vous répondre.

M. Jalila Gouich, secrétaire générale de Synlab France. - Bonjour, je suis Jalila Gouich, secrétaire générale et directrice juridique de Synlab France. Je suis avocate de formation et j'ai rejoint le monde de la biologie médicale en 2010, à l'époque où il existait simplement Labco, qui était le premier réseau consolidateur de la biologie médicale.

Vous posez la question des impacts de la financiarisation sur la biologie médicale.

Depuis 2007, de nombreuses évolutions légales sont intervenues, notamment à travers des ordonnances, mais également à travers la jurisprudence. Ainsi, la jurisprudence a imposé au législateur de durcir la législation soit au profit du biologiste, soit au profit des détenteurs autre que les biologistes au sein du capital des SEL, ou tout simplement de clarifier les zones de non-droit.

Labco a été l'un des premiers à initier une action au niveau européen pour comprendre les règles concurrentielles régissant l'exercice de la profession de biologiste médical en France. Tous les réseaux se sont construits d'abord avec une intégration des groupements d'intérêts des financiers qui ont estimé que des profits étaient possibles dans le secteur de la santé en France, car ce pays est un pays réglementé. En effet, qui dit réglementé, dit nomenclaturé, avec des prix imposés par le législateur. Il faut reconnaître que le travail a été très bien rémunéré par rapport aux autres pays. Aujourd'hui, les actes de biologie sont réglés entre le biologiste et l'État : le patient arrive avec sa carte de tiers payant, un luxe que peu de pays peuvent avoir. Aujourd'hui, les patients bénéficient d'un système de santé exceptionnel, même si des progrès restent possibles.

Le financier s'est rapidement heurté aux nombreuses lois françaises, qui ont le mérite de protéger le patient et l'exercice des professions libérales. Par rapport aux autres pays européens, le biologiste français a la chance de pouvoir être très bien traité par le législateur et bien protégé.

Aujourd'hui, vous ne pouvez pas attenter à l'indépendance du biologiste. Les biologistes sont les responsables légaux de nos SEL, sont exclusivement les membres du comité de direction. L'investisseur extérieur ne peut détenir que 25  % maximum du capital d'une SEL et a très peu de pouvoirs, ou en tout cas uniquement les pouvoirs que le biologiste souhaite lui donner.

Les financiers sont venus à la demande des biologistes, parce que ces derniers cherchaient des investissements. Les biologistes peuvent fixer toutes les limites qu'ils souhaitent. Pour autant, il est exact que surviennent parfois des conflits et des mésententes. Les remontées d'argent ne peuvent s'opérer qu'avec l'aval des biologistes et conformément aux dispositions inscrites dans le pacte qui a été transmis aux ordres. Tout investisseur ou tout actionnaire extérieur doit respecter la loi et la respecte.

M. Philippe Mouiller. - Merci pour ces précisions.

M. Laurent Escudié. - Nous ne versons pas de dividende à nos partenaires externes. Ceux-ci se rémunèrent en débouclant leurs investissements avec une plus-value.

Concernant la structuration juridique, Cerba repose sur plus de 35 sociétés d'exercice libéral s'appuyant sur des mandataires sociaux biologistes. Les droits de vote sont détenus en majorité ou en totalité par les biologistes.

Aujourd'hui, la réglementation ne permet pas de proposer du salariat à nos biologistes. Pour garantir l'attractivité, il faut leur proposer de devenir associé.

Nous avons gagné du temps médical. La consolidation nous a permis de rééquilibrer nos activités en faveur du médical. Auparavant, nous devions faire preuve de polyvalence (gestion des plannings, résolution des problèmes informatiques, gestion des achats, négociations avec les fournisseurs, etc.).

La prévention est un enjeu majeur pour l'avenir de la profession. À titre d'illustration, le suivi de la maladie rénale chronique est désormais proposé à nos patients. En outre, le cardio-score 2 associe biologie et information clinique ; il permet d'évaluer le risque cardiovasculaire des patients.

Enfin, concernant l'innovation, nous considérons qu'il est nécessaire d'accélérer le rythme d'intégration des actes innovants dans la nomenclature. Je peux notamment citer l'exemple de l'oncogénétique et du séquençage de tumeurs, notamment sur le poumon et les ovaires.

Mme Céline Brulin. - Je reviens sur le sujet du manque d'attractivité. Vous fondez vos explications sur la place des biologistes dans la gouvernance et sur le fait que la réglementation impose la présence d'au moins un biologiste sur chaque site. Certains interlocuteurs auditionnés par la commission pensaient même qu'il fallait passer à plus d'un biologiste par site.

Cette pénurie de biologistes ne présentera-t-elle pas un impact sur la gouvernance et sur la présence des biologistes sur les sites ?

Par ailleurs, vous avez beaucoup évoqué les contrôles des ARS. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur ces contrôles ?

Mme Chantal Deseyne. - Comment envisagez-vous l'entrée au capital d'un jeune biologiste alors que de plus en plus d'investisseurs extérieurs aux professions médicales entrent au capital avec une préoccupation de rentabilité ? Est-ce que des fonds de pension étrangers entrent au capital de vos structures, comme on peut le voir dans d'autres secteurs médicaux ? Est-ce que, pour vous, cela ne pose pas une question de déontologie ?

Mme Élisabeth Doineau. - Le maillage territorial est très important pour nous, sénatrices et sénateurs, et pour les patients. Une offre de qualité est aussi incontournable. J'insiste également sur l'innovation. Le regroupement a facilité les investissements. Il faut donc trouver un équilibre. La concentration favorise l'arrivée d'investisseurs recherchant un gain. Les informations doivent pouvoir être apportées de manière transparente à nos concitoyens.

Je vous ai entendus parler d'économies pour l'État. Je suis rapporteur du budget de la sécurité sociale. Êtes-vous encore capables de permettre de nouvelles économies ? Je rappelle que durant la crise sanitaire, les laboratoires ont bénéficié d'énormes subsides. Aujourd'hui, nous devons veiller à la dépense publique.

M. Alain Le Meur. - Il est très difficile de passer à 1,2 ou 1,3 biologiste par site, car nous peinons à trouver des biologistes médicaux. Depuis 2016, nous avons perdu 600 biologistes médicaux. La pénurie de biologistes médicaux n'affecte pas la gouvernance, puisque cette dernière relève des mandataires sociaux.

Concernant les contrôles des ARS, nous avons fait des propositions de cartographie pour la permanence des soins. Il faut saluer les partenariats qui ont été tissés avec les ARS.

De nombreux réseaux nationaux impliquent les jeunes biologistes dans le capital, soit dans les holdings nationales, soit au niveau régional. Dans certains groupes, la représentation capitalistique des biologistes médicaux peut aller de 10 à 20  %, ce qui est considérable.

Concernant le maillage territorial, 80  % des laboratoires sont à moins de 7 kilomètres et certains prélèvements sont réalisés au-delà de 7 kilomètres.

En cumulé, une économie de 3 milliards d'euros a été réalisée depuis 2016. La période actuelle est toutefois marquée par la fin du covid-19 et par une forte inflation des charges et des salaires. La consolidation est terminée. Il est donc excessivement compliqué de trouver de nouvelles économies.

M. Sébastien Gibault. - L'un des enjeux, pour nos structures, est de susciter l'intérêt des jeunes biologistes, avec des spécialités de biologie, un suivi opérationnel et médical, des interactions avec les patients, etc. De nombreuses pistes sont à explorer. Auparavant, un biologiste devait être capable de tout faire dans sa structure, y compris des tâches non médicales.

Aucun financier ne détient le capital des structures françaises. Dans une activité de biologie médicale, le laboratoire ne possède pas forcément les locaux. Concernant Synlab, l'essentiel des bâtiments appartient aux biologistes, qui se sont, pour certains, regroupés dans des SCI.

Les marges de manoeuvre pour trouver des économies dans notre secteur sont discutées chaque année entre la CNAM et les représentants des biologistes. Les sociétés savantes émettent des recommandations. Enfin, j'insiste sur l'importance fondamentale de la prévention, qui évite des coûts futurs.

M. Laurent Escudié. - Concernant l'attractivité, il importe de proposer de vraies associations et d'intéresser les biologistes aux projets économiques. Cerba applique cette logique.

S'agissant du nombre de biologistes médicaux par site, la démographie médicale ne permet pas une augmentation. Accroître la contrainte accentuerait les tensions sur le marché du travail entre le public et le privé. De plus, certains laboratoires pourraient fermer. Je n'y suis donc pas favorable.

Il n'existe pas de marge d'économie. Nous sommes à la fin du processus de consolidation. De plus, nous sommes dans un contexte économique défavorable, qui suit une crise sanitaire qui nous a fortement déstabilisés. Enfin, nous avons besoin de parler du projet médical, plutôt que d'économies.

M. Philippe Mouiller. - Je vous remercie pour votre présence et pour vos réponses.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de M. Thomas Fatôme, directeur général
de la Caisse nationale de l'assurance maladie

(Mercredi 10 avril 2024)

M. Philippe Mouiller, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons nos auditions plénières relatives à la financiarisation de l'offre de soins, en recevant le directeur général de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam), M. Thomas Fatôme.

Je vous indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo. Elle est retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.

Monsieur le directeur général, la commission a focalisé ses travaux en plénière sur le secteur de la biologie médicale, généralement considéré comme le secteur de la médecine de ville le plus concerné à ce jour par le phénomène de financiarisation de l'offre de soins. Les grands groupes, dont nous venons de recevoir des représentants, contrôlent ainsi plus de 60  % de l'offre de biologie médicale.

Nous sommes évidemment très intéressés par le regard que la Cnam porte sur ce phénomène de financiarisation, notamment sur ses éventuelles conséquences financières pour la sécurité sociale. Vous pourriez d'ailleurs centrer votre propos liminaire sur ce sujet - en l'élargissant, si vous le jugez nécessaire, à d'autres secteurs que la seule biologie médicale.

M. Thomas Fatôme, directeur général de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam). - Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de me donner l'occasion de revenir sur le constat que nous avons dressé dans notre rapport « Charges et produits » et sur les propositions que nous avons pu faire sur ce sujet de la financiarisation.

En préambule, il me semble essentiel de définir la financiarisation du point de vue de l'assurance maladie, en commençant par rappeler ce qu'elle n'est pas. Le système de santé français dispose de deux atouts : il est d'une part largement solvabilisé par l'assurance maladie, mais aussi par les complémentaires santé ; il repose d'autre part sur des acteurs de soins publics et des acteurs privés, qu'ils soient à but lucratif ou à but non lucratif. Cette coexistence constitue une force en ce qu'elle est synonyme d'approches complémentaires et d'une forme de compétition.

Nous avons clairement besoin de capitaux publics comme de capitaux privés. Selon moi, contrecarrer la financiarisation ne peut donc pas consister à rejeter les acteurs et financeurs privés, car le système tire sa force de cette diversité. Cette force provient aussi, d'ailleurs, de la diversité des pratiques et des organisations, le salariat coexistant avec l'exercice en libéral. Comme vous le savez, une large partie de l'accès aux soins de premier recours est prise en charge par des professions libérales et des travailleurs indépendants : chaque jour, les médecins généralistes accueillent 1 million de patients, et les spécialistes une proportion similaire. S'ils sont tous solvabilisés par l'assurance maladie, ces acteurs agissent dans un cadre qui n'est pas public.

Ce rappel étant effectué, la financiarisation équivaut selon moi aux processus par lesquels des acteurs privés - qui ne sont pas des professionnels de santé - prennent le contrôle de structures de soins dans une logique de retour sur investissement de court terme. L'émergence de ce phénomène est liée à plusieurs facteurs, dont un besoin de financement et de capitaux ; l'existence de marges et de niveaux de rémunération pouvant intéresser des acteurs financiers ; la prévisibilité des revenus, qui, dans le cadre d'un système de financement largement public, laisse entrevoir des perspectives financières pluriannuelles stables ; enfin, la possibilité de procéder à des restructurations, de réaliser des gains de productivité et donc d'obtenir à court terme des rendements en augmentation.

Le secteur de la biologie a connu la convergence de ces différents éléments, des interstices de la législation ayant permis à des acteurs privés non professionnels de santé de prendre progressivement le contrôle. De plus, si le cadre global a incité à accroître la qualité - ce qui est un élément positif -, il a dans le même temps élevé le niveau de contraintes et donc rehaussé le besoin en investissements. S'y sont ajoutées des possibilités de concentration des plateaux techniques de biologie, qui ont ouvert des perspectives de diminution des coûts et de rentabilité accrue.

Ces différents facteurs ont abouti à un double phénomène de concentration du secteur, avec une très forte baisse du nombre d'acteurs, des rachats successifs et l'arrivée, au cours de la décennie 2010 - avant la crise du covid-19 -, de fonds d'investissement et d'acteurs privés se situant dans une logique de court terme. Cette évolution s'est traduite par l'utilisation du mécanisme de LBO (Leveraged Buy-Out), par lequel un acteur s'endette pour acheter une entreprise avec la perspective de la revendre rapidement, avec un niveau de rentabilité élevée qui lui permet de rembourser sa dette et d'empocher la différence. Certains laboratoires ont été visés par quatre à cinq opérations de ce type, ce phénomène ayant été accentué par la crise du covid-19.

Nous avons été amenés à tirer la sonnette d'alarme dans notre rapport « Charges et produits » à ce sujet, car nous avons eu le sentiment que ce phénomène de concentration et de prise de contrôle par des acteurs recherchant des rendements financiers à court terme pouvait avoir des conséquences négatives dans différents domaines.

Le premier et le plus évident d'entre eux a trait à la régulation et au partage des gains de productivité, pour le dire un peu crûment. Dès lors que ces gains sont réalisés dans le système de santé, il semble en effet assez logique qu'ils puissent être partagés entre le financeur et l'opérateur. Or nous avons rencontré de très sérieuses difficultés lors de nos négociations avec les biologistes, puisque nous avons eu la preuve que nos interlocuteurs ne souhaitaient pas s'inscrire dans une telle logique de partage, au motif que leurs actionnaires étaient entrés à un niveau de valorisation très élevée et n'entendaient donc pas dégrader leurs perspectives de rentabilité. D'où notre question : jusqu'où la régulation peut-elle fonctionner si nos interlocuteurs nous opposent une contrainte de valorisation ?

Un deuxième domaine suscitant l'inquiétude concerne le maillage territorial et le risque que les choix d'investissements et d'organisation pourraient ne pas être décidés principalement en fonction de critères liés à la santé. Dans la pratique, nous n'avons pas observé, à ce stade, de dégradation du maillage territorial résultant de cette financiarisation de la biologie. Nous observons même, à l'inverse des arguments avancés par les grandes entreprises de biologie, une augmentation du nombre de sites de prélèvements, avec probablement une concurrence effrénée entre groupes visant à aller chercher les dernières parts de marché d'acteurs indépendants, afin de poursuivre leur expansion. Pour autant, le risque de voir des choix d'investissements et d'organisation déconnectés des besoins de santé publique de nos concitoyens demeure.

Tous ces éléments ne nous ont pas empêchés d'agir et de mettre en oeuvre le mandat de négociation que les ministres nous ont confié dans le cadre de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) voté par le Parlement. Nous n'avons ainsi pas cédé un euro lors des négociations tarifaires de l'automne 2022 et de janvier 2023. J'ai abordé ces négociations avec un objectif de 250 millions d'euros d'économies à réaliser, dont 180 millions d'euros sur la biologie et 70 millions d'euros sur le covid-19, objectifs qui ont été scrupuleusement respectés alors que nos interlocuteurs affirmaient que ces économies entraîneraient la disparition de la biologie médicale française.

Ces mêmes biologistes ont fini par donner leur accord, les ministres et l'assurance maladie ayant été fermes dans la négociation. Le protocole pluriannuel prévoyait un quasi-gel des dépenses de biologie, avec une progression annuelle de l'ordre de 0,4  %. Une nouvelle baisse tarifaire est intervenue en janvier 2024 puisque les volumes de dépenses de biologie de fin d'année 2023 et les perspectives pour 2024 nous ont amenés à penser que le niveau tarifaire ne permettrait pas de respecter le protocole. Après des négociations à nouveau difficiles, la mise en oeuvre de cette nouvelle baisse de tarifs est intervenue en début d'année, et nous suivons de très près les dépenses de biologie afin de nous assurer du plein respect du protocole.

J'ajoute que ledit protocole permet une régulation importante des dépenses, tout en garantissant l'équilibre du secteur de la biologie et le maintien du maillage territorial. Il prévoit en outre des enveloppes dédiées à l'innovation, de manière à ne pas figer totalement le cadre et à permettre d'intégrer des examens en provenance du secteur hospitalier. Les modes de régulation doivent en effet réserver une place à l'arrivée de nouveaux actes qui peuvent être très utiles pour la prise en charge des patients.

En conclusion, nous avions formulé deux propositions dans le cadre de notre rapport « Charges et produits », dont j'admets bien volontiers qu'elles relèvent davantage de la méthode que du fond, en rappelant cependant que l'assurance maladie n'a pas vocation à fixer le cadre d'intervention des effecteurs de soins, et qu'elle n'est pas spécialisée en droit des sociétés. Nous avons néanmoins partagé ce signal d'alerte, qui pourrait concerner à l'avenir d'autres secteurs tels que la radiologie, l'« anapath » et, de façon un peu différente, la pharmacie. D'ores et déjà, certaines tendances nous laissent à penser que nous risquons d'être confrontés à des difficultés dans les années à venir si nous n'agissons pas dès à présent.

Nous proposions donc la création d'un observatoire permettant de suivre ce phénomène de financiarisation, car nous manquons de données sur le sujet. Il faudrait à cet effet réunir les différents acteurs, qu'il s'agisse des ministères, des agences régionales de santé (ARS), des ordres professionnels ou de l'assurance maladie. Nous suggérions également de mettre au service de cet observatoire une mission de contrôle interministérielle, qui pourrait permettre d'objectiver des montages financiers parfois complexes.

Je termine mon propos en abordant le lien entre la financiarisation et la fraude, qui renvoie aux centres de santé, sujet que j'ai déjà abordé à plusieurs reprises devant votre commission. Nous voyons bien que le cadre juridique actuel, en vertu duquel les centres de santé doivent être pilotés par des organismes non lucratifs, est très largement contourné par des montages financiers ou immobiliers, des prestations de services ou encore par des contrats entre les associations gérant lesdits centres et d'autres acteurs, y compris financiers, contrats qui confient de fait l'exercice du pouvoir de direction à ces derniers.

Il s'agit d'un phénomène distinct de celui qui est à l'oeuvre dans la biologie, avec des schémas d'optimisation et de fraude à l'assurance maladie dont les montants sont significatifs : nos résultats en termes de lutte contre la fraude dans les centres de santé ont nettement augmenté pour atteindre 57 millions d'euros en 2023. Je peux d'ores et déjà affirmer que ces chiffres vont continuer à augmenter et que de nouveaux déconventionnements de centres de santé interviendront dans les prochaines semaines. En dépit d'un cadre législatif qui s'est nettement étoffé grâce à l'action du Parlement, les activités frauduleuses se sont développées.

J'insiste enfin sur le secteur des cliniques privées, placé sous les feux de l'actualité. Très présent dans le système de santé, il représente plus de la moitié de la chirurgie dans notre pays, tout en étant détenu de longue date par des acteurs privés. Prenons garde à ne pas mélanger ou amalgamer les acteurs et à bien cerner, secteur par secteur, les conditions de financement, d'organisation et de rentabilité.

M. Bernard Jomier, rapporteur. - Vous avez rappelé à bon escient que cette mission d'information n'est pas consacrée à la répartition ou à l'opposition entre le public et le privé. Cette financiarisation traduit peut-être le dépassement d'un capitalisme professionnel - ancien et qui revêtait une forme un peu artisanale - et le passage à une phase industrielle, plus éloignée des professionnels et des territoires. En tout état de cause, la financiarisation correspond bien à l'intervention d'acteurs extérieurs qui viennent investir dans une logique de rentabilité et de retour sur investissement plutôt rapide. Ces acteurs ne recherchent d'ailleurs pas nécessairement un taux de rentabilité très élevé, mais surtout le fait d'avoir affaire à un payeur très solide, comme la crise du covid-19 l'a démontré.

Vous avez pointé une série de problèmes posés par cette financiarisation et la nécessité de renforcer des outils de régulation manifestement insuffisants. S'agissant de votre proposition de créer un observatoire, il est certainement toujours utile de mieux comprendre les mécanismes et de recueillir davantage de données, mais ne faut-il pas aller plus loin et envisager, si ce n'est la mise en place d'une autorité de régulation, une intervention ? Par ailleurs, vous avez soulevé un enjeu important en évoquant une approche interministérielle : une cohérence entre les différentes autorités concernées par cette financiarisation serait la bienvenue.

Ma deuxième question porte sur les centres dentaires, la convention que vous avez signée avec les chirurgiens-dentistes prévoyant des dispositions qui entravent le développement de centres financiarisés. Estimez-vous que le phénomène observé ces dernières années est en passe d'être enrayé, ou d'autres outils de régulation sont-ils nécessaires ?

M. Thomas Fatôme. - Le Gouvernement est intervenu en matière de régulation, notamment via l'ordonnance du 8 février 2023 qui a apporté des éléments complémentaires quant à la transparence demandée au niveau de l'évolution de la composition du capital des différentes sociétés, des pactes d'actionnaires et des modalités d'organisation du pouvoir dans les différents organismes de direction et de contrôle. Je crois que ce texte permettra d'avancer, le système de régulation étant insuffisamment au fait des évolutions qui peuvent affecter l'actionnariat et la direction des différentes organisations, dans le cadre de montages souvent extrêmement complexes. Cependant, il faudra peut-être envisager d'aller encore plus loin que ce texte.

Pour ce qui est des centres de santé, il existe un hiatus trop marqué entre un cadre législatif qui confie leur gestion à des acteurs à but non lucratif et les pratiques observées. Une fois encore, le droit des sociétés ne relève pas directement de notre champ de compétences et nous ne sommes pas en mesure d'empêcher des montages entre associations et sociétés privées qui contredisent cette obligation.

Je pense qu'il faut revoir un cadre législatif manifestement détourné, même si je ne peux pas vous proposer des mesures opérationnelles allant dans ce sens dans l'immédiat. La création d'un observatoire permettrait a minima de bâtir une vision commune aux sphères de la santé, de la justice et de l'économie, afin d'essayer d'identifier les failles du dispositif et de proposer un certain nombre de pistes.

Concernant les centres de soins dentaires, les quatre fédérations de centres de santé ont signé un accord équivalent à celui qui a été signé avec les chirurgiens libéraux sur la régulation démographique. Dans les zones non prioritaires, c'est-à-dire dans lesquelles il existe une densité de dentistes importante, il faudra, à compter de l'année prochaine, un départ pour une arrivée, disposition qui s'appliquera aux libéraux comme aux centres de santé. Nous avons souhaité, par ce biais, freiner l'installation de centres de santé dans des zones qui ne sont absolument pas prioritaires : il suffit de se promener dans la capitale pour constater que lesdits centres sont malheureusement nombreux. Soyons cependant prudents et modestes dans la mesure où ce zonage ne concerne qu'une portion limitée du territoire et, de mémoire, 10  % des dentistes.

Plus globalement, je regrette que notre investissement dans la lutte contre la fraude ne mette pas un terme aux activités frauduleuses, malgré le fort engagement de la police et de la justice à nos côtés pour les contrer.

M. Olivier Henno, rapporteur. - Merci pour vos propos sur ce sujet, assez grave, de la financiarisation. Les représentants des biologistes médicaux que nous avons auditionnés avant vous m'ont rappelé les propos de mon professeur de classe préparatoire, qui disait qu'il n'y avait rien de mieux pour comprendre la financiarisation que de lire L'Argent d'Émile Zola et César Birotteau d'Honoré de Balzac.

Nous nous situons bien dans cette logique : un secteur à l'origine éclaté s'est concentré au cours d'une première phase marquée par des investissements et une amélioration de la qualité du service comme des soins ; elle a ensuite cédé la place à une deuxième phase, bien plus redoutable, marquée par une surconcentration que les pouvoirs publics peinent à maîtriser. Compte tenu des fondamentaux qui sont les nôtres, à savoir la liberté d'installation, la liberté de prescription et le libre choix du médecin qui exigent une forte régulation, avez-vous le sentiment que nous nous nous battons à armes égales avec ces grands groupes, disposant de ressources considérables ?

Connaissez-vous, par ailleurs, le gain qu'a pu entraîner cette financiarisation sur le coût des actes ? En outre, la régulation me semble limitée en ce qu'elle n'empêche pas la multiplication des actes : j'ai pu le vérifier en accompagnant mon fils qui, s'étant blessé au football au poignet ou au genou, a subi de multiples radiographies et autres actes dans la clinique concernée.

M. Thomas Fatôme. - Nous avons intérêt à disposer d'un mécanisme qui permet des gains d'efficience au bénéfice du système de santé. Les investissements ayant permis de réaliser un million de tests se sont révélés utiles au moment de la crise du covid-19. En revanche, un blocage a émergé dès lors qu'il s'est agi de tirer les conséquences d'une rentabilité très élevée - dès avant le covid-19 - et de partager les gains de productivité, la financiarisation faisant obstacle à cette logique.

C'est tout le sens de mon alerte : les fonds d'investissement peuvent rechercher des chiffres d'affaires qui seront multipliés non pas par trois ou quatre, mais par dix ou vingt, soit des niveaux qui n'existent pas en temps normal dans le cadre de fusions-acquisitions. Dès lors que cet argument de la rentabilité de court terme est opposé pour refuser toute diminution des tarifs, le système est en danger.

La question relative à la multiplication et à l'utilité des actes est éminemment délicate : nous l'abordons par le biais de nos travaux consacrés à la qualité et à la pertinence des soins et dans le cadre d'un dialogue avec les professionnels et prescripteurs, afin de nous assurer de la pertinence des examens prescrits. Nous savons, par exemple, que de nombreuses prescriptions de vitamine D sont inutiles, mais ce problème concerne la prescription en amont, et non la financiarisation.

Mme Corinne Imbert, rapporteure. - Merci d'avoir clairement posé les termes du débat. Le phénomène de financiarisation et de concentration n'a pas dégradé, à ce stade, le maillage territorial. Pour autant, ce risque n'est-il pas devant nous dans un contexte économiquement défavorable du point de vue des groupes ?

Par ailleurs, avez-vous observé de leur part des pratiques contestables telles qu'une sélection des actes ou des activités les plus rentables ?

Enfin, vous avez évoqué le protocole d'accord avec le secteur de la biologie. Regrettez-vous le niveau de tarification appliqué aux actes de dépistage et aux tests durant la crise du covid-19 ? Envisagez-vous d'ores et déjà un nouveau prélèvement sur le secteur de la biologie pour le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) ?

M. Thomas Fatôme. - Le diagnostic que nous avons posé ne permet pas d'établir une corrélation entre la diminution du nombre d'acteurs et une dégradation du maillage territorial jusqu'en 2022 : la tendance est même inverse, sans toutefois être certain que les créations de sites se fassent dans les endroits les plus pertinents.

Mon inquiétude, compte tenu de nos récentes expériences de négociations, renvoie à un scénario dans lequel les groupes décideraient d'abandonner une politique pour l'instant plutôt expansionniste : sur quels outils pourrions-nous alors nous appuyer pour faire face à ce risque ? De nouveau, un observatoire pourrait apporter un début de réponse s'il se penche, de manière active, sur les manquements du cadre législatif et réglementaire.

La question de savoir si nous nous battons à armes égales, compte tenu des ressources et de la maîtrise des textes réglementaires dont disposent les acteurs concernés, est effectivement posée, les ARS n'ayant sans doute pas les moyens nécessaires au contrôle et au suivi de ces groupes.

Pour en revenir à la qualité et à la pertinence des actes, nous avons eu des remontées - émanant, de manière intéressante, de groupes de biologistes, et non des syndicats de biologistes avec lesquels je négocie - quant à leur crainte de ne pas pouvoir continuer à pratiquer certains types d'examens, pour cause de rentabilité insuffisante.

Quant aux tarifs pratiqués pendant la crise du covid-19, je n'ai aucun regret : élevés au début, ils ont permis d'inciter les laboratoires à investir, avant de diminuer très fortement, au point d'être quasiment divisés par deux. Nous avons recherché un difficile équilibre entre un cadre favorable à l'investissement et la nécessité de maîtriser les tarifs, et je crois que nous avons fait le nécessaire.

Je ne crois pas du tout à une réduction de voilure qui serait justifiée par la situation économique des laboratoires, ou que ceux-ci auraient besoin de réduire leurs coûts en raison des contraintes que nous faisons peser sur les groupes. Nous examinerons leurs résultats de 2023 au cours de l'été ; je ne pense que nous verrons un tel phénomène.

Prévoyons-nous des mesures dans le PLFSS pour 2025 ? Ma réponse, comme vous l'imaginez, sera prudente. En revanche, je peux mentionner à ce stade le protocole que nous avons signé : quand, à la fin de l'année 2023, nous avons remarqué que les perspectives pour 2024 étaient plus dynamiques que prévu, nous avons indiqué aux laboratoires biologiques que les tarifs allaient être baissés, ce qui a été fait dès janvier. Si les volumes restent dynamiques en 2024, malgré nos efforts pour maîtriser les dépenses médicales, nous proposerons de nouvelles baisses de tarifs, et nous ferons de même en 2025. Bien sûr, cela dépendra aussi des équations complexes de l'Ondam, que vous connaissez bien. Il est encore trop tôt pour en parler, mais nous nous sommes engagés à respecter le protocole, ce qui pourrait entraîner des mesures tarifaires supplémentaires.

Mme Jocelyne Guidez. - Comment voyez-vous le rôle de l'intelligence artificielle (IA) et de l'innovation numérique dans le système de santé de demain ?

Mme Émilienne Poumirol. - Que pensez-vous de la financiarisation des groupes de radiologie ? On le sait, les radiologues cherchent à avoir le rôle principal dans la gouvernance, mais les financiers usent tous de la même tactique : ils approchent les radiologues proches de la retraite pour leur proposer, si j'ose dire, un pactole ; ils mettent en place un cadre si complexe, incluant la gestion des ressources humaines et juridiques, que le médecin, au moment de partir à la retraite, accepte de vendre, car cela améliore considérablement sa situation financière. En outre, les investissements en radiologie sont, on le sait, très coûteux.

L'État ou les caisses primaires d'assurance maladie (CPAM) ont-ils les moyens juridiques pour empêcher ces financiers de contrôler les sociétés d'exercice libéral (SEL) ?

On pourrait ainsi éviter le risque de surutilisation des examens coûteux, comme les actes d'imagerie par résonance magnétique (IRM), sans réelle pertinence médicale. Vous avez souligné l'importance de la prescription, mais dans certains cas, comme les petits accidents sportifs, c'est le radiologue qui prescrit, pas le médecin généraliste. Donc, existe-t-il vraiment un moyen juridique pour empêcher les financiers de décider de la gouvernance ?

M. Thomas Fatôme. - En radiologie, des applications fondées sur l'IA sont de plus en plus utilisées ; elles aident le radiologue à réaliser ses diagnostics. Nous examinerons, dans notre prochain rapport annuel, si le cadre actuel permet le remboursement de l'utilisation de ces nouvelles technologies.

M. Artus de Cormis, directeur de cabinet de la directrice déléguée à la gestion et à l'organisation des soins (DDGOS). - L'IA renferme la promesse d'augmenter la qualité et l'efficacité du système de santé. Toutefois, si son usage est détourné, elle peut accentuer ou aggraver certaines dérives financières. Il est donc important qu'elle reste au service des médecins. Soyons vigilants sur ce point : les médecins doivent rester maîtres, en continuant à réaliser les diagnostics, même s'ils peuvent être utilement appuyés par l'IA.

L'ordonnance du 8 février 2023 ne change pas les règles du jeu ; en revanche, elle augmente le nombre de garde-fous, notamment en matière de transparence. Pour aller plus loin, il faudrait modifier la loi de 1990, en ajoutant des mesures tendant à contrôler les investisseurs tiers pour limiter le rôle qu'ils peuvent jouer dans la gouvernance.

Dans le cadre actuel, les pactes d'actionnaires, les actions préférentielles, les obligations convertibles et autres mécanismes financiers permettent de contourner les règles, si bien que, aujourd'hui, les acteurs financiers détiennent les droits financiers et contrôlent les sociétés d'exercice libéral.

L'ordre des médecins du département du Rhône est récemment intervenu dans le cas d'une société de radiologie, car les actionnaires avaient, selon lui, détourné les règles et l'esprit de la règle de détention du capital. Pour le moment, le Conseil d'État s'est uniquement prononcé sur la procédure ; il doit encore juger au fond. Ce cas pourrait faire jurisprudence, car il s'agit du premier contentieux où un ordre intervient après avoir estimé que les médecins n'étaient plus les propriétaires de leur outil de travail.

L'ordonnance offre donc déjà un cadre d'actions.

M. Bernard Jomier, rapporteur. - Il manque les textes réglementaires...

M. Artus de Cormis. - Les textes réglementaires ne sont pas nécessaires pour que l'ordonnance s'applique.

M. Philippe Mouiller, président. - Je vous remercie, monsieur le directeur général, pour vos réponses.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition commune de représentants
des grands groupes d'hospitalisation privée

(Mercredi 5 juin 2024)

M. Jean Sol, vice-président de la Commission des affaires sociales. - Nous poursuivons nos travaux par une audition commune de représentants de grands groupes d'hospitalisation privée dans le cadre de la mission d'information sur la financiarisation de l'offre de soins. Nous accueillons ainsi :

- Monsieur Pascal Roché, Directeur Général du Groupe Ramsay Santé ;

- Monsieur Sébastien Proto, Président exécutif du Groupe Elsan ;

- Monsieur Daniel Cahier, Président fondateur du Groupe Vivalto Santé.

Je vous remercie d'avoir accepté notre invitation et de l'éclairage que vous pourrez nous apporter.

Il est précieux car la présence de grands groupes privés est ancienne dans le secteur de l'hospitalisation privée, la part du privé à but lucratif, représentant environ 30  % de l'ensemble de l'offre hospitalière en France.

De plus, vos groupes sont susceptibles de participer à la restructuration en cours dans d'autres professions, notamment au travers de la reprise de cabinets. Votre vision pourra donc porter, le cas échéant, au-delà du seul segment des établissements de santé privés.

Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo. Elle est retransmise en direct sur le site du Sénat et sera disponible en vidéo à la demande.

Je vous laisse la parole pour un propos introductif, puis les membres de la commission vous interrogeront, en commençant par les rapporteurs de la mission d'information, Corinne Imbert, Olivier Henno et Bernard Jomier.

M. Pascal Roché, directeur général du groupe Ramsay Santé. - Ramsay Santé est un groupe d'hospitalisation privée et de centres de soins. Nous sommes présents dans cinq pays en Europe. Je le dirige depuis douze ans.

En France, Ramsay Santé est une entreprise à mission. Son comité de mission est présidé par Monsieur Martin Vial. Nous avons 133 établissements de soins, en médecine, chirurgie, obstétrique (MCO), en soins médicaux et de réadaptation (SMR) et en santé mentale. Nous prenons en charge environ 4 millions de patients chaque année.

En termes de chirurgie, nous opérons un Français sur neuf dans un peu plus de 900 salles d'opération. Nous accueillons tous les patients, pour toutes les pathologies. Nous sommes par exemple le premier offreur de soins en Seine-Saint-Denis, avec sept établissements, qui sont tous en déficit.

Notre groupe est coté pour 1  % de son capital. Par conséquent, nos comptes sont publics, certifiés, soumis à l'Autorité des marchés financiers (AMF).

Plus de 10  % des patients que nous prenons en charge relèvent de la protection universelle maladie (Puma). En Seine-Saint-Denis ou à Trappes le ratio est de 17 ou de 18  %.

Nous réalisons beaucoup d'actes lourds. Nous disposons de 224 autorisations en cancérologie et nous sommes le premier acteur en cardiologie interventionnelle lourde.

Pendant le covid, nous avons joué un rôle complémentaire avec le secteur public à la demande du Gouvernement.

En Île-de-France, nous sommes passés en 3 semaines de 225 lits de réanimation à près de 600 lits. Nous avons ainsi pu prendre en charge en réanimation 18  % des patients covid de la région. En France, nous avons pris en charge près de 20 000 patients en réanimation. Le Premier ministre Jean Castex est d'ailleurs venu dans un de nos établissements pour remercier notre groupe et, à travers notre groupe, l'hospitalisation privée pour son implication dans la gestion de la crise covid.

Être un groupe nous a permis de prendre des décisions fortes. Par exemple, le 2 avril 2020, soit 3 semaines après le démarrage du covid, nous avons pris la décision de transférer quasiment l'intégralité de nos stocks de curares, de propofol et de respirateurs de nos hôpitaux en régions, par exemple de Biarritz ou de Bayonne, où le covid était encore très faible, vers nos établissements en Île-de-France. Des centaines d'infirmières et d'aides-soignantes sont également venues renforcer nos équipes en Île-de-France et en région Rhône-Alpes.

Nous avons des centaines d'accords avec l'hospitalisation publique, que ce soit l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) ou les Hospices civils de Lyon (HCL), puisque notre groupe est essentiellement présent dans les grandes villes.

Nous avons deux actionnaires à long terme depuis plus de dix ans, Ramsay Health Care, groupe australien d'hospitalisation privée comme premier actionnaire, et le Crédit Agricole. Ces deux actionnaires ont depuis 10 ans investi 2,5 milliards d'euros dans des salles hybrides, des robots, etc. et ne se sont pas versés un seul euro de dividende.

M. Sébastien Proto, président exécutif du groupe Elsan. - Le groupe Elsan réalise 10  % du total des séjours d'hospitalisation publics et privés en France, avec des dominantes fortes, notamment la cancérologie. Nous sommes le deuxième acteur du cancer en France, derrière les centres de lutte contre le cancer. Un patient sur huit est opéré du cancer dans l'un de nos établissements.

Le groupe est présent sur tous les segments, en particulier sur la médecine, la chirurgie, l'obstétrique, les soins de suite et de réadaptation, la dialyse, la chimiothérapie et l'hospitalisation à domicile. Nous sommes un acteur de territoire, avec 3 établissements en Île-de-France et plus de 200 dans les territoires. C'est un élément très structurant, caractéristique du groupe.

Nous sommes un groupe de santé privé auquel on accole le terme « lucratif », mais nous sommes d'abord un acteur de santé dans les territoires. Notre échange nous permettra de montrer l'apport des groupes de santé privés en complément des acteurs indépendants. Un groupe, compte tenu de son assise, de son nombre d'établissements permet, à rebours des idées reçues, de maintenir l'offre dans les territoires. À la fin de l'année 2023, 40  % de nos établissements étaient en perte. En Bretagne, la plupart de nos établissements sont en perte, en Seine-Saint-Denis, notre établissement qui joue un rôle majeur d'appui à l'hôpital public, enregistre des pertes très importantes.

Cependant, nous sommes en capacité de maintenir ces établissements alors qu'ils sont en perte et que le nombre d'établissements en perte augmente parce que nous sommes un groupe. La profonde dégradation économique du secteur de l'hospitalisation privée est inquiétante. Si nos établissements en perte étaient des acteurs indépendants, ils auraient fermé depuis de nombreuses années. Le fait d'être un groupe permet de faire jouer des complémentarités et de maintenir l'accès aux soins dans des territoires qui sont généralement des déserts médicaux, avec des densités professionnelles de santé plus faibles que la moyenne nationale et, dans certains cas, nous sommes le seul offreur de soins, en particulier vis-à-vis des populations âgées. Le groupe a donc la capacité de protéger et maintenir l'offre de soins.

Un groupe, c'est aussi une capacité d'investissement plus forte qu'il faut protéger. Le groupe Elsan investit chaque année 170 millions d'euros pour ses équipements médicaux et pour l'innovation. Pour un groupe qui n'est présent que dans les territoires, cela signifie apporter l'innovation et l'excellence médicale dans ces territoires. Par exemple, dans le domaine de la chirurgie, nous disposons de robots qui sont indispensables aujourd'hui pour attirer les professionnels de santé et suivre l'évolution de la technologie.

Les groupes permettent aussi d'accélérer la transformation du système hospitalier. Le secteur hospitalier privé a massivement basculé dans l'ambulatoire, avec un taux d'ambulatoire supérieur de 25 points de pourcentage à celui de l'hôpital public. C'est le résultat d'un effort de transformation et d'investissement. Les groupes ont guidé cette transformation.

Enfin, au-delà du débat sur la notion de financiarisation, que je ne partage pas pour l'hospitalisation privée, quelques enjeux me semblent importants. Je suis très préoccupé par la fragilisation croissante du secteur de l'hospitalisation privée. C'est un élément de contexte grave, il est structurel et inquiétant. Certaines activités sont particulièrement affaiblies, comme la maternité, les urgences, les services de soins critiques et même les activités de médecine pour des raisons de financement. Le cadre de régulation reste problématique et nous espérons que la mise en place d'un cadre pluriannuel sera de nature à protéger l'offre de soins dans les territoires. Enfin, il y a un enjeu majeur en termes de coopération entre le secteur public et le secteur privé. Dans bien des cas, elle est indispensable pour garantir le maintien des activités, d'un côté ou de l'autre, dans les territoires.

M. Daniel Caille, président fondateur du groupe Vivalto Santé. - Je suis dans ce métier depuis 35 ans. J'ai recréé le groupe Vivalto Santé il y a une quinzaine d'années, à partir de la Bretagne. Nous sommes un groupe essentiellement provincial, avec quelques établissements dans les Yvelines. Je l'ai créé avec des médecins actionnaires et avec d'autres investisseurs. Je pratique donc depuis 15 ans la recherche du bon investisseur.

Je ne vais pas vous raconter l'évolution du secteur parce que cela nous emmènerait un peu loin, mais l'évolution est irrémédiable, avec un transfert de génération, avec des investissements, considérables à réaliser dans nos établissements, comme l'ont très bien dit M. Roché et M. Proto. Ces investissements représentent 5 à 6  % de notre chiffre d'affaires. Notre métier c'est d'investir ; le résultat est une variable qui permet d'investir. S'il n'y a pas de résultat, nous ne pouvons pas investir.

Vivalto Santé est un acteur européen, le sixième ou septième. Le groupe est plus petit que Ramsay ou qu'Elsan de l'ordre de 40  %, avec 52 établissements en France et une centaine au Portugal, en Espagne, en Suisse, en Tchéquie et en Slovaquie, ce qui représente à peu près 20 000 personnes. Ce groupe a grandi parce qu'il crée du sens et de la valeur, à la fois médicale et économique. Le capital est réparti entre 1 000 médecins actionnaires sur un total de 3 000 en exercice, qui sont devenus investisseurs.

Nos établissements ne sont pas du tout régulés comme des sociétés d'exercice libéral (SEL). Nous ne sommes pas dans le monde de la radiologie ou de la biologie. Ce sont des sociétés par actions simplifiées (SAS) confrontées au problème de la transmission au moment du départ des médecins fondateurs. Les nouveaux médecins veulent bien investir leur épargne mais ils ne sont pas capables de prendre la suite. Le groupe a été créé pour se substituer aux médecins fondateurs.

Vivalto Santé a toujours considéré qu'il fallait marcher sur deux pieds avec l'hôpital public. Nous sommes donc préoccupés par le sort de l'hôpital public et nous aimerions que celui-ci le soit autant par le nôtre.

Ce que disait M. Proto est tout à fait vrai : sur les territoires, face à des problématiques concrètes de prise en charge, il n'y a pas de tension entre l'hôpital public et l'hôpital privé. Il peut y avoir des tensions de compétition avec les CHU, il peut y avoir une compétition marginale de parts de marché dans les grandes villes, mais dans les déserts médicaux, nous sommes beaucoup plus dans la complémentarité que dans la concurrence.

Mon actionnariat est composé de banques, BNP Paribas, Crédit Agricole et Arkea, d'un assureur, la MACSF, et la Bpifrance. 85  % du capital non-médecin est détenu par des acteurs français.

Nous sommes devenus il y a 4 ans la première entreprise à mission. L'un des garde-fous du système est de mettre des valeurs, du sens et du contrôle là où c'est nécessaire, de dire à quoi nous servons, c'est-à-dire à accompagner et à soigner nos patients tout au long de leur parcours de soins et de vie. Tout cela est bien distinct du rôle de l'actionnaire. Le président du comité de mission a un rôle important à jouer dans l'expression de la satisfaction de notre mission, qui se décline dans quatre secteurs : le patient, le médecin, les salariés et l'environnement.

Notre système se caractérise par ce grand garde-fou de l'entreprise à mission, qui est extrêmement contraignant dans les objectifs chiffrés, et par une gouvernance partagée, avec cinq administrateurs sur onze qui sont médecins. Toutes les décisions stratégiques sont prises par le corps médical qui est rémunéré en honoraires. C'est un poids considérable de surveillance de la qualité de l'outil puisque c'est elle qui leur permet de travailler.

Le développement européen était nécessaire parce que le risque financier en France est devenu énorme, avec une visibilité très faible. Nousdevons bien sûr rendre des comptes sur l'utilisation des deniers publics mais nous devons aussi rester attractifs pour les investisseurs qui nous accompagnent dans notre développement. L'absence de visibilité, la situation assez dramatique de nos comptes - 40  % de nos cliniques sont en déficit - fait qu'aujourd'hui l'attractivité du secteur est extrêmement faible. Ce n'est pas inquiétant à très court terme, mais c'est inquiétant à moyen terme. Sans critères de visibilité et de programmation pluriannuelle, sans critères de stabilité au-delà de l'arbitrage de Bercy qui tombe chaque année, nous aurons une énorme difficulté à continuer et le processus de restructuration du secteur s'arrêtera. C'est un vrai cri ! Aujourd'hui, je suis incapable de réaliser une sortie de mes investisseurs et d'en trouver de nouveaux. La stabilité, ce sont les médecins et moi, mais cela n'a qu'un temps, la loi de l'argent est toujours plus forte.

L'attractivité, la visibilité, la capacité à rentrer dans un schéma durable de partenariat public-privé, la nécessité de moderniser l'hôpital public, de faire de la marche en avant économique et non pas simplement de la protestation budgétaire de fin de mois, ce sont nos équations. L'équation de Bercy est contrainte et elle le sera malheureusement de plus en plus.

Mme Corinne Imbert, rapporteur. - Je vous remercie Messieurs pour vos propos introductifs.

Dans son dernier rapport, l'assurance maladie indique que « si l'objectif final des acteurs financiers demeure la rémunération du capital investi, cet objectif peut être aligné de manière temporaire ou durable avec les objectifs des politiques publiques et donc constituer un levier de transformation de l'offre de soins ».

En parallèle, la Cour des comptes a pointé dans un rapport de l'été 2023 sur les logiques de complémentarité et de concurrence entre les établissements de santé publics et privés une implantation très inégale du secteur privé lucratif dans les territoires, avec une concentration marquée dans des grandes agglomérations, sur le pourtour méditerranéen et en Île-de-France. J'ai bien entendu combien vous avez insisté sur les territoires, mais quand on regarde la carte de France, on a quand même une concentration sur ces régions. Dans ce contexte, peut-on vraiment dire que vos groupes contribuent à favoriser l'accès aux soins des patients ?

Par ailleurs, la nette répartition des activités et des actes entre le secteur public et le secteur privé lucratif, qui est également relevée par la Cour des comptes, s'est-elle accentuée sous l'effet de la financiarisation ? La situation des maternités est un exemple assez éclairant, avec un doublement ces 20 dernières années du nombre de départements sans aucune maternité privée.

Plus largement, quelle est votre politique de rachat, de concentration, de choix ou d'abandon de certaines activités et votre politique en termes de ressources humaines ? Quand vous choisissez d'arrêter une activité, discutez-vous avec l'hôpital public du territoire des effets de cette décision sur le territoire ? Je pense par exemple à la fermeture d'une maternité réalisant plus de 1 000 accouchements et à ses conséquences en termes de surcharge pour l'hôpital public.

M. Pascal Roché. - En France, plus de 90  % de notre activité est payée par l'État. C'est une chance et une responsabilité. En ce moment, c'est une difficulté puisque l'ensemble du groupe est déficitaire. Nous devons être des gestionnaires responsables des deniers publics avec, en moyenne, une qualité des soins meilleure qu'à l'hôpital public. Comme vous le savez, pour le même patient, la même pathologie, nous sommes en moyenne payés à peu près 25  % de moins que l'hôpital public. Par ailleurs, les frais de personnel représentent à peu près 50  % de nos coûts. Pour la même infirmière, nous payons 10 points de charges sociales en plus. Cela crée des contraintes très fortes. Nous sommes donc de facto gestionnaires responsables des deniers publics et la Haute Autorité de Santé montre, qu'en moyenne, l'hospitalisation privée offre une meilleure qualité de soins. Nous ne sommes pas parfaits, il peut arriver ce que nous appelons pudiquement des événements indésirables graves.

Vous interrogez notre présence sur les territoires dans certaines activités. Comme l'a souligné Sébastien Proto, nous sommes avant tout payés par l'État. Nous sommes aujourd'hui structurellement sous-financés au regard de l'inflation, de l'Objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM), etc. Paradoxalement, plus nous traitons des pathologies lourdes, plus nous sommes en déficit.

Notre groupe est le premier acteur privé avec près de 9 000 médecins libéraux en France en cardiologie interventionnelle, en cancérologie, etc. Nous avons le premier centre de neurochirurgie en France avec l'hôpital Clairval à Marseille qui réalise plus de 12 000 interventions par an. Depuis 12 ans que je dirige ce groupe, malgré les difficultés, bien que nous soyons déficitaires, nous n'avons pas rendu une seule autorisation de cancérologie. Nous considérions que c'était notre rôle et nous assumions jusqu'à maintenant d'avoir 35  % ou 37  % de cliniques en déficit. Cependant, comme l'a bien exprimé Sébastien Proto, la situation est en train de changer. En 12 ans, nous n'avons mis un terme qu'à un partenariat public-privé à Giens car nous ne parvenions plus à recruter des anesthésistes pour notre bloc obstétrical ouvert en permanence. Nous avons discuté avec le centre hospitalier régional (CHR) d'Orléans pour transférer les activités, les salariés, etc. Le chiffre d'affaires, qui était d'environ 9 millions d'euros, est monté le lendemain à 13 millions d'euros, puisque, pour le même patient, la même pathologie, le public est mieux payé.

Nous n'avons jamais rendu d'activité. En Île-de-France, notre nombre de patients bénéficiaires de la Puma augmente structurellement, depuis 7 ans. Nous sommes le seul hôpital à Trappes, où nous enregistrons 55 000 passages aux urgences. Nos 7 hôpitaux en Seine-Saint-Denis font plus d'activité que l'AP-HP à Avicenne et sont structurellement déficitaires.

Dans les années 60, plus d'un bébé sur deux naissait en France dans une maternité privée. Aujourd'hui, ce chiffre est tombé à 18  %. Dans 39 départements, il n'y a plus de maternité privée. Ramsay dispose de 24 maternités dans lesquelles naissent 29 000 bébés. Nous en avions 30 il y a 5 ans. Sur le plan médical, en dessous de 550 naissances par an, en termes de présence de gynécologues obstétriciens, de sages-femmes, etc., nous considérons que nous mettons en risque les parturientes. Pour ces 6 maternités, notamment à Valence ou à Vert Galant en Seine-Saint-Denis, nous avons discuté avec l'hôpital public et avec le soutien de l'agence régionale de santé (ARS), nous lui avons transféré notre activité.

Compte tenu du décret périnatalité de 1998 qui fixe les conditions techniques de fonctionnement de ces activités, je pense que dans 20 ans, moins d'un bébé sur 10 naîtra dans le privé. C'est dommage pour notre pays car, comme l'a très bien exprimé M. Proto, les deux systèmes sont complémentaires en termes d'agilité et de flexibilité. Ce décret a classé les maternités en niveaux 1, 2 ou 3. Il y a 68 maternités de niveau 3, dans les CHU et les CHR. La Cour des comptes dit de manière régulière que près de deux tiers des bébés qui naissent en maternité de niveau 3 auraient pu naître dans une maternité de niveau 1 ou 2. Les acteurs privés n'ont pas accès au niveau 3 même s'ils disposent de services de néonatologie et font de la recherche clinique. Dans un monde d'anxiété, de plus en plus de couples veulent aller vers ces maternités de niveau 3.

M. Sébastien Proto. - Le groupe Elsan est vraiment un acteur de territoires. Nous sommes présents dans des villes de taille moyenne, voire dans des petites villes. Notre dernière grosse acquisition, le groupe C2S en Bourgogne-Franche-Comté, nous a permis de nous renforcer dans cette région avec des établissements dans des petites villes ou des villes de taille moyenne. Nous resterons un acteur des territoires. Nous ne sommes pas implantés à Paris sur les activités de MCO ou de soins de suite et de réadaptation et notre présence à Lyon et à Marseille est très limitée. Nos établissements sont à Dol, Lons-le-Saunier, Limoges, Albi, Perpignan, à Céret, etc.

Quels sont les critères pour fermer une activité et nous désengager ? Le groupe dispose de 25 maternités et d'une trentaine de services d'urgence. Quand devons prendre une décision sur une activité, c'est parce que le fondement sanitaire n'est plus respecté, ce ne sont jamais des fermetures sèches. Dans l'un de nos établissements à Avignon, nous avons une maternité dans laquelle il nous reste trois gynécologues obstétriciens. Avant 2010, elle réalisait 1 800 accouchements par an. Elle en fait désormais 900. Les femmes accouchent à un âge en moyenne plus élevé, vont plutôt dans des maternités de niveau 2B ou 3, ce qu'on peut comprendre. Or, les maternités de l'hospitalisation privée sont majoritairement de niveau 1 et quelquefois de niveau 2. Nous sommes donc beaucoup plus impactés par la baisse des naissances que l'hospitalisation publique.

Nous sommes également confrontés à la pénurie de gynécologues obstétriciens qui frappe l'ensemble du territoire, en particulier les villes de taille moyenne et les petites villes. Nos trois gynécologues obstétriciens doivent assurer le même nombre de gardes que s'ils étaient six. Il est évident que cette situation leur pose un problème. Par ailleurs, pour payer l'assurance dont le coût peut aller jusqu'à 40 000 euros par an, il faut qu'ils fassent plus de 100 accouchements par an. Ce contexte conduit inéluctablement à vider nos maternités de leurs dernières forces, les gynécologues obstétriciens et les pédiatres.

Si notre motivation était d'abord économique, ce que j'entends souvent, nous aurions fermé de nombreuses maternités. En effet, les deux-tiers de nos 25 maternités sont en déficit. Quand c'était nécessaire, dans un nombre de cas extraordinairement limité, nous avons discuté, sous l'égide de l'ARS, avec le centre hospitalier pour mettre en place des regroupements. Ce sera le cas à Avignon, après des mois de discussions. À aucun moment il n'y a eu de fermeture sèche, nous ne vidons pas un territoire de son offre en matière de périnatalité. Le même raisonnement vaut concernant les services d'urgence, quand nous avons l'obligation de fermer des urgences la nuit, parce que nous n'avons plus de médecins urgentistes en nombre suffisant pour assurer les gardes. Mais ce ne sont pas des raisonnements économiques, quel que soit l'actionnariat.

Le groupe Elsan a beaucoup d'actionnaires, français et étrangers, le premier actionnaire est KKR, qui détient 40  % du capital, CVC est le deuxième, puis nous avons Thétys, qui un actionnaire de très long terme dans la santé, AXA, la famille Mérieux, le fonds d'investissement Ardian et CNP Assurances. Le groupe Caisse des Dépôts est donc actionnaire d'Elsan, comme de Ramsay Santé et de Vivalto Santé. Il a accès, comme l'ensemble des actionnaires, aux décisions que nous prenons.

Vous nous interrogez sur notre politique en termes de concentration, de rachat ou d'abandon d'activité. Notre groupe s'est développé sur le postulat d'avoir, sur chaque territoire sur lequel nous sommes implantés, une offre large et cohérente. Nous voulons être présents de la fonction de diagnostic, d'imagerie, à l'acte de médecine, de chirurgie, d'obstétrique, jusqu'au retour à domicile en passant par les soins de suite.

Les conditions économiques du secteur se sont tellement dégradées que les opérations de croissance externe ne se font plus, ou alors de manière marginale. Le groupe Clariane vient de céder son activité d'hospitalisation à domicile. Elsan est le premier acteur du marché de l'hospitalisation privée à domicile, et donc le premier acteur de soins palliatifs en hospitalisation à domicile. L'hospitalisation à domicile de Clariane a été rachetée non pas un acteur privé lucratif, mais par une fondation, un acteur non lucratif, qui, paradoxalement, a les moyens de réaliser cette opération.

M. Daniel Caille. - Rappelez-vous que tout ce qui n'est pas autorisé est interdit dans le monde de la santé, sur la totalité de nos activités. La concentration est liée aux besoins des grandes métropoles qui ne pouvaient pas être comblés par les structures publiques. L'assurance maladie, qui avait la main sur le secteur libéral et privé, a autorisé ces créations. Les établissements ont été créés par des entrepreneurs médecins. La concentration est le résultat des besoins identifiés, ce n'est pas une volonté des acteurs.

Le désastre que nous vivons sur les maternités a été programmé depuis très longtemps. Le secteur public a bénéficié de moyens d'investissements considérables pour rénover ses maternités et obtenir les autorisations 2A, 2B et 3. Nous n'en avons pas bénéficié, la compétition est inégale. Sur nos 10 maternités, seules 6 devraient survivre. Pour les 4 autres, nous discutons avec les ARS qui sont bien informées de la situation. La concentration des maternités s'opère par la volonté des ARS de rationaliser l'offre de soins au regard de la baisse de la démographie médicale.

M. Olivier Henno, rapporteur. - La financiarisation n'est pas le diable à nos yeux. Nous essayons de comprendre ce qui est bousculé par ce phénomène et si la qualité des soins est affectée. Notre système de santé repose depuis longtemps sur la combinaison de la médecine publique et de la médecine libérale.

Est-ce que la financiarisation et son développement bousculent la pratique libérale traditionnelle, qui repose sur la responsabilité personnelle, sur l'autonomie notamment dans l'organisation des charges de travail ? Quel regard portez-vous sur le communiqué du Conseil de l'Ordre des médecins qui appelle à stopper le processus de financiarisation en interdisant de manière rétroactive la participation de tiers non professionnels dans les sociétés d'exercice libéral (SEL) médicales ?

Ma deuxième question s'adresse au groupe Ramsay. Vous avez été en négociation pour la reprise de six centres de santé de la Croix-Rouge mais le projet n'a pas abouti. Comment vous voyez votre développement dans les soins primaires ?

Enfin, nous sommes confrontés à une obligation de régulation. Notre pays dépense 12  % de son PIB pour la santé, alors que les autres en dépensent 10  %. Or, la satisfaction des usagers est modérée, leur regard est plus critique. Un déficit de 17 milliards d'euros est envisagé d'ici 2027, nous ne pouvons pas continuer dans cette voie au regard de nos responsabilités pour les générations à venir. Quel regard portez-vous sur la nécessaire et indispensable régulation de notre système de santé ?

M. Bernard Jomier, rapporteur. - Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation, le quatrième grand groupe d'hospitalisation qui avait été convié l'a déclinée.

Notre sujet est bien la financiarisation et non les rôles respectifs du secteur public et du secteur privé. Le fonds KKR est arrivé au capital d'Elsan en 2020 dans le cadre d'un LBO de 3,3 milliards d'euros. KKR est devenu l'actionnaire de référence avec 42  % du capital, en s'engageant pour une durée de 5 à 6 ans, ce qui est cohérent avec les pratiques du secteur. KKR a remplacé un autre fonds, CVC Partners, afin d'accroître les investissements du groupe. Fin 2020, Elsan a racheté le groupe C2S, implanté en Rhône-Alpes et en Bourgogne-Franche-Comté pour 400 millions d'euros. À l'époque, l'investissement dans les nouvelles technologies a été mis en avant, mais une grande part des fonds injectés par KKR a été utilisée pour racheter d'autres cliniques.

En avril 2022, le même fonds KKR a déclenché, pour 15 milliards de dollars, une OPA sur 100  % du capital de Ramsay Health Care qui détient 53  % du capital de Ramsay Santé. Il y a eu de nombreuses réactions et la presse a souligné que l'Autorité de la concurrence pourrait s'opposer à l'opération. Au mois d'août 2022, KKR a retiré son offre. Si l'opération avait abouti, KKR aurait été l'actionnaire de référence d'Elsan et aurait détenu la totalité de Ramsay Santé.

Ce capitalisme financier, cette financiarisation, présentent-ils un risque de constitution a minima d'oligopoles, voire de monopoles dans le domaine de la santé ?

Certains de vos groupes communiquent de façon régulière sur leur chiffre d'affaires, il faut saluer cette transparence. Celui de Ramsay a augmenté de plus de 9  % en 2023. En revanche, nous ne connaissons pas l'évolution de vos bénéfices nets, nous ne connaissons pas la part des bénéfices réinvestis dans le secteur de la santé en France ni la part qui sert à rémunérer les actionnaires ou qui est réinvestie à l'étranger. Or, c'est un enjeu crucial parce que, comme vous l'avez rappelé, 90  % des recettes de vos établissements proviennent de l'assurance maladie, c'est-à-dire de prélèvements obligatoires sur les Français. Ces prélèvements obligatoires sont-ils transformés en pensions de retraite pour les citoyens américains ou australiens ? Je vous vois hocher négativement de la tête mais lors des auditions précédentes, tous les acteurs qui s'intéressent à la financiarisation, notamment les économistes de la santé, ont répondu oui à cette question, sans être capables de dire si c'était un phénomène marginal ou plus important, puisqu'il n'est pas possible de trouver ces informations. Il n'est pas normal de ne pas pouvoir y accéder alors qu'il s'agit d'argent provenant des prélèvements obligatoires des Français. La question se pose donc aussi pour les élus.

Je vous remercie de nous indiquer quelle est la part des bénéfices réinvestis en France dans le secteur de la santé.

M. Pascal Roché. - Ramsay Santé étant coté en bourse, nous publions un document d'enregistrement universel (DEU) de 334 pages, qui est soumis à l'Autorité des marchés financiers (AMF). Nos comptes sont certifiés par les cabinets Deloitte et EY. L'an dernier, notre bénéfice s'est élevé à 49 millions d'euros pour un chiffre d'affaires de 4,9 milliards, soit moins de 1  % de résultat net, ce qui est très faible. Nos investissements sont décrits dans les états financiers qui figurent dans le DEU. Nous avons investi 243 millions d'euros dont 217 millions en France. Je vous confirme que depuis 10 ans il n'y a eu aucun versement de dividendes aux actionnaires. À fin décembre, notre perte dans les cinq pays d'Europe dans lesquels nous sommes présents était de 17 millions d'euros. Malgré cela, avec le support de notre conseil d'administration et de notre administratrice référente Anne-Marie Coudert, nous avons continué à investir plus de 200 millions d'euros, notamment dans nos 900 salles d'opération en France et dans des robots. Nous venons d'investir 5 millions d'euros au sud de Paris, dans l'hôpital Jacques Cartier, qui est le premier hôpital d'Europe d'IRM-Coeur, et le neuvième hôpital dans le monde en pose de TAVI (Transcatheter Aortic Valve Implantation), avec 53 cardiologues qui accueillent des praticiens en formation complémentaire du monde entier.

KKR n'a pas déclenché d'OPA sur Ramsay Health Care. Le fonds a envoyé une offre non engageante et au bout de six mois, les deux acteurs ont mis fin aux discussions. Si elles avaient abouti, KKR ne serait pas devenu le seul propriétaire de Ramsay Santé, puisque le Crédit Agricole est un actionnaire très important de notre groupe.

Sur les soins primaires, nous avons une stratégie. Je serai encore la semaine prochaine en Suède. Tout n'est pas parfait dans le système suédois, mais dans nos 130 centres de soins primaires, nous prenons en charge un million de Suédois, dans des lieux qui emploient 25 professionnels payés à la capitation. Nos médecins en Suède voient en moyenne 12 à 14 patients par jour contre 25 à 27 en France en médecine générale de ville. En 20 ans, les 21 régions suédoises qui correspondent à 21 systèmes de santé, qu'elles soient dirigées par des socio-démocrates ou des conservateurs, ont basculé sur ce système de financement. Aucun système n'est parfait mais j'y crois profondément. En 2020, avec Madame Buzyn, dans le cadre des expérimentations dites de l'article 51, nous avons obtenu l'autorisation d'ouvrir en France cinq centres de soins payés à la capitation, avec de la prévention et sept indicateurs de santé publique.

Nous avions effectivement été contactés il y a 3 ans par le directeur général de la Croix-Rouge qui avait six centres de santé en grande difficulté dont cinq dans des villes dans lesquelles nous sommes présents, notamment Antony et Boulogne-Billancourt. Nous avons étudié la reprise de ces centres. Certaines personnes s'étaient émues qu'une entreprise privée à but lucratif puisse se développer dans les centres de soins primaires de la Croix-Rouge. Nous nous étions engagés à rester secteur 1, à prendre en charge tous les patients, etc. Malgré le soutien de l'ARS, nous nous étions finalement retirés. Ces centres ont aujourd'hui fermé, ce qui pose de gros problèmes aux villes concernées.

M. Sébastien Proto. - Toutes les questions qui ont été posées sont liées. La thématique de la financiarisation me gêne beaucoup. Je la trouve insuffisamment précise. Même le directeur général de la Caisse nationale d'assurance maladie fait désormais des distinctions dans cette thématique et dans son champ d'application.

La financiarisation, prenons une acception simple, c'est le fait d'avoir des investisseurs privés. Je ne crois pas que ce soit un problème d'avoir des investisseurs privés à partir du moment où ils exercent leur activité dans un cadre régulé, ce qui est le cas pour l'hospitalisation, avec un système d'autorisation, des contrôles réguliers de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), des chambres régionales des comptes, une certification de la Haute Autorité de santé, etc. Ce cadre s'impose à tous les acteurs, quel que soit l'investisseur.

Par ailleurs, les groupes qui ont des investisseurs privés ont aussi parmi leurs actionnaires la Caisse des dépôts (Vivalto, Almaviva, Elsan) ou des actionnaires à l'engagement incontestable comme le Crédit Agricole chez Ramsay. Toutes les décisions qui pourraient être « cachées » seraient connues de l'État par l'intermédiaire du groupe Caisse des dépôts.

Ces actionnaires, quelle que soit leur nationalité, n'ont pas d'influence sur l'exercice des praticiens. Nous ne sommes pas dans le schéma des sociétés d'exercice libéral (SEL). Les praticiens qui travaillent dans nos établissements ont des contrats d'exercice libéral de la médecine. Ils déterminent eux-mêmes leur activité et la manière de la faire. Nous discutons avec eux des redevances qu'ils payent pour l'accès aux plateaux techniques.

La nationalité de l'investisseur est-elle un problème, puisque les questions se polarisent sur KKR, qui est un investisseur anglo-saxon ? Je rappelle que nos activités ne sont pas délocalisables. On ne peut pas délocaliser une clinique ni les professionnels qui y travaillent. L'accès aux données de santé est protégé, réglementé, quelle que soit la nationalité de l'investisseur. Il est impossible de prendre des données de santé des patients et de les envoyer aux États-Unis. La nationalité est une question qui se pose très différemment pour des activités stratégiques dans le domaine de la santé délocalisables, par exemple dans la production pharmaceutique.

Enfin, vous m'interrogez sur la transparence du groupe Elsan. Notre groupe réalise un chiffre d'affaires de 3,1 milliards d'euros. Il a progressé, mais moins que le nombre d'établissements en perte. Nous essayons d'expliquer au ministère de la santé qu'il est dans l'intérêt du patient que l'hospitalisation privée ait une activité forte. Nous invitons à chaque fois nos interlocuteurs à apprécier les conséquences sanitaires pour les Français si l'hospitalisation privée fonctionnait comme l'hospitalisation publique. Je vous invite à regarder nos chiffres en matière de diagnostic du cancer, de chirurgie complexe, de traitement de la dette covid, qui n'aurait pas baissé si nous avions eu la même activité que le public, mais qui serait passée de 3,5 millions de séjours de retard à 4 millions.

En 2023, le résultat net du groupe Elsan était négatif. S'il avait été positif, cela n'aurait rien changé. Aucun dividende n'a été versé aux actionnaires au cours des dernières années. KKR ne touche pas de dividendes ! S'il en touchait, le groupe Caisse des Dépôts en toucherait également et je pense qu'il le dirait. Aucune somme ne quitte la France pour aller financer soit la santé soit des retraités à l'étranger.

Enfin, il y a une grande différence, souvent méconnue, entre les fonds d'investissement et les fonds de pension. Ils ne fonctionnent pas de la même manière.

M. Daniel Caille. - Nos cliniques sont des SAS, elles ont des autorisations et sont séparées de l'activité des médecins. Le problème posé est celui de la répartition des responsabilités au sein d'une SEL entre les investisseurs, qui sont à la fois les médecins libéraux, souvent des radiologues, après avoir été historiquement les biologistes, et les investisseurs financiers. Le Conseil de l'Ordre a été extrêmement vigilant à ce sujet, qui mobilise des montages compliqués. Le Conseil de l'Ordre dispose d'énormément de moyens pour apprécier la bonne répartition des responsabilités et du libre arbitre des médecins.

Pour les cliniques, le sujet porte sur l'outil de travail, nous avons l'obligation de mettre des moyens à disposition de nos praticiens pour qu'ils exercent. Nous n'avons aucune responsabilité sur l'acte médical lui-même, puisque le médecin est totalement responsable.

Le Conseil de l'Ordre regarde si nous subventionnons nos médecins ou si nous faisons trop payer les prestations de service que nous leur rendons. La zone d'interface est donc celle-ci.

L'appréciation de la concurrence s'exprime par la voix de l'Autorité de la concurrence, au niveau territorial et en prenant en compte l'offre publique et l'offre privée. Les jurisprudences ont été bien écrites. La concurrence concerne la concentration sur un territoire d'acteurs privés. Pour l'instant, il n'y a pas encore de jurisprudence sur le caractère monopolistique du secteur public. L'Autorité de la concurrence a dit qu'elle s'y intéresserait. À chaque fois que le seuil de 50 millions d'euros est dépassé, nous sommes obligés de soumettre les dossiers à l'Autorité de la concurrence. Dans le cadre des GHT, alors que le public essaie d'exercer une emprise quasiment monopolistique sur le territoire, notre problème est d'arriver à survivre. Il y a donc une concentration des établissements sur une zone géographique pour coordonner les médecins libéraux et organiser les filières, avec le consentement des ARS. Nous sommes bien loin de phénomènes de concentration des acteurs du secteur privé, mais il faut conserver la concentration géographique pour se renforcer. Le secteur public, pour des raisons de concentration de moyens, est obligé d'y procéder et mène cette concentration géographique.

Nous communiquons régulièrement nos résultats auprès de nos tutelles. Nous investissons chaque année entre 5 et 6  % de notre chiffre d'affaires mais nos résultats n'ont jamais représenté 5 ou 6  % de ce chiffre d'affaires. Quand nous gagnons de l'argent, c'est de l'ordre de 1,5 ou 2  %. Aujourd'hui, nous sommes déficitaires. Nous investissons parce que nous cherchons à nous développer. Notre pari, c'est que le développement va nous permettre de compenser nos coûts, puisque nous sommes payés à l'activité. Il faut investir dans les outils de travail pour franchir le point d'équilibre. Notre métier est donc un métier d'investissement. Nous attirons les médecins parce que nous leur donnons des outils de travail de qualité. Nous sommes donc condamnés à investir.

À un moment de ma vie, j'ai créé un autre groupe au sein de la Générale des Eaux. Quand on m'a annoncé en 1997 qu'il serait vendu, j'ai fait le tour de tous les investisseurs de France : fonds, assurances, Caisse des dépôts, etc. Déjà à cette époque, ils craignaient le manque de visibilité dans le secteur de la santé, y compris les investisseurs publics. J'ai réclamé des cadres pluriannuels, des cadres de stabilité, pour une meilleure lisibilité. L'Ondam étant approuvé par le Parlement, les moyens sont contraints. Son évolution est liée à la productivité du secteur public et du secteur privé. Notre sort est aujourd'hui dépendant de la capacité de l'hôpital public à améliorer sa productivité. C'est de cette manière que nous ferons des économies sur l'ensemble de la dépense sociale. Ne vous trompez pas ! Nous mourrons peut-être mais il restera à poursuivre l'évolution du secteur public. Nous avions engagé il y a quelques années des démarches pour transformer les hôpitaux publics en fondations, en établissements de santé privés d'intérêt collectif (ESPIC), pour mettre la dimension économique sur le devant de la scène. Cela a été enterré par tous les ministres. Le problème des excès de comportements de la finance n'est pas le sujet d'aujourd'hui.

En revanche, la répartition du pouvoir entre les médecins et les investisseurs est un sujet de contrat d'exercice. Ce n'est pas un sujet du même ordre que les sociétés d'exercice libérales dans lesquelles il y a des répartitions d'actions qui sont sujettes à beaucoup plus d'interprétations fines que les nôtres.

M. Daniel Chasseing. - Je vous remercie de nous avoir présenté vos groupes. Je suis élu de la Corrèze. Les établissements en Haute-Vienne et en Corrèze fonctionnent bien, à la satisfaction des patients et des professionnels privés, notamment des médecins généralistes, qu'ils ont une place importante et complémentaire des CHU ou des CHR.

Vous nous aviez écrit concernant les problèmes des salariés du privé, notamment les primes de nuit et de dimanche des professionnels du privé par rapport au public. J'avais interrogé le ministre qui m'avait indiqué qu'il était totalement prêt à revoir la situation. Où en est cette question ?

Vous nous avez indiqué que des investissements très importants étaient nécessaires pour faire évoluer les techniques et les locaux, et que vous investissez 200 millions d'euros alors que votre résultat est de 40 millions. Vous considérez également que le prix de la journée est trop faible. De son côté, le ministre ne connaît pas vos résultats.

Les tarifs des hôpitaux publics seront augmentés de 4  %, mais la population qu'ils accueillent souffre souvent de maladies chroniques qui nécessitent une prise en charge importante. Je sais que les hôpitaux sont eux aussi en difficulté et en déficit.

Malgré les déficits, vous avez la possibilité de poursuivre votre action, avec l'accord de vos actionnaires. Qu'attendez-vous de l'État pour que les établissements privés, qui sont complémentaires des hôpitaux et qui prennent une place maintenant très importante, poursuivent leur activité à la satisfaction des médecins et des patients ?

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Je vous remercie de vous être prêtés à cet exercice qui nous permet de vous poser un certain nombre de questions et de vous entendre sur votre écosystème. Avec l'ancienne présidente de notre commission, Catherine Deroche, et quelques-uns de mes collègues, nous avions eu l'occasion de visiter la clinique Saint Göran à Stockholm, et nous avons pu constater sa complémentarité avec l'hôpital public Karolinska.

La complémentarité est essentielle, le système de santé marche sur deux jambes, nous avons besoin de vous comme nous avons besoin de l'hôpital public. Les conditions ne sont pas les mêmes, vous partez avec un petit handicap sur le plan financier.

Pourquoi sommes-nous en France toujours suspicieux par rapport à l'investissement des groupes ? Pourtant, quand un établissement privé s'installe ou est repris par le privé, les patients sont plutôt satisfaits. Les habitants de mon territoire sont heureux d'avoir un hôpital et une polyclinique et de pouvoir, dans certaines spécialités, aller à la polyclinique plutôt qu'à l'hôpital.

Par ailleurs, quelles sont les raisons de l'insatisfaction dans notre système de santé ? Que faut-il changer ? Qu'avez-vous observé à l'étranger ?

Mme Nadia Sollogoub. - Je vous remercie pour votre présence. En tant qu'élus des territoires, notre seule préoccupation est l'accès aux soins des habitants. C'est notre seul cap.

L'outil de pilotage de l'hospitalisation dans les territoires ne marche que sur une seule jambe. En effet, les GHT font comme si le privé n'existait pas. Faut-il remettre cette question sur la table ? Ce serait en plus un lieu de dialogue entre vous. Si le privé et le public ne se parlent que par élus interposés, il est peu compliqué d'avancer. Faut-il remettre dans les territoires de vrais outils de concertation ?

Vous avez bien dit que vous n'étiez pas en concurrence dans l'activité mais complémentaires. En revanche, vous êtes en concurrence pour le recrutement des médecins, des infirmiers, et des aides-soignants. Le sujet a été un peu abordé lors des douloureuses négociations dont nous sortons péniblement. Les conditions de travail et de salaire de vos collaborateurs sont-elles une priorité pour vous ?

Mme Céline Brulin. - Je ne doute évidemment pas de l'altruisme de tous nos interlocuteurs, en particulier à titre individuel, mais en entendant qu'il n'y avait que des résultats nets négatifs, beaucoup de déficits, aucun dividende, nous sommes un certain nombre à nous interroger sur l'objectif de votre activité. Nous comprenons que les investisseurs attendent un retour sur leurs investissements. Je m'interroge d'autant plus que vous continuez à acquérir des centres de santé, y compris en redressement judiciaire, donc dans une situation économique compliquée. Quel est le but de ces opérations si cette activité ne rapporte rien ?

Je trouve également que vous faites de la politique. Vous avez une vision de l'organisation sociale, de l'organisation des soins. Vous dites assez clairement que vous comptez peser sur les décisions et les orientations, sur la vision de notre pays en matière de santé. Vous dites par exemple qu'il faut moderniser l'hôpital. Bien sûr, sous cette forme, nous sommes tous d'accord. Vous dites également que ce que vous considérez être aujourd'hui un monopole public est à réinterroger. Quelle est votre légitimité pour peser et influer sur l'organisation de notre société ?

M. Daniel Caille. - Regardez la réalité en face, au moins une fois dans votre vie !

Mme Céline Brulin. - Il est plutôt sain que nous n'ayons pas le même point de vue mais ne dites à personne que nous ne regardons pas la réalité en face, nous y sommes confrontés au quotidien dans notre mandat d'élu.

M. Pascal Roché. - Tout n'est pas parfait dans les systèmes de santé étrangers. Depuis 5 ans, je vais tous les mois en Suède, en Norvège et au Danemark, et Mme Doineau évoquait l'hôpital de Saint Göran. À travers cet exemple, j'aimerais vous donner un sentiment personnel. Nous gérons Saint Göran depuis 25 ans à la suite de trois appels d'offres, en partenariat avec le Karolinska qui est le grand hôpital universitaire de Suède. Le contrat de gestion arrive à échéance en 2026 et nous venons de candidater pour continuer à gérer cet hôpital.

Lorsque la région de Stockholm lance un nouvel appel d'offres pour l'hôpital Saint Göran, elle donne une visibilité sur 8 ans, plus 4 ans éventuellement. Nous disposons donc d'au moins 8 ans de visibilité sur le tarif auquel nous serons payés. C'est absolument majeur dans un métier d'investissements lourds. L'hôpital emploie 1 000 collaborateurs, enregistre 100 000 passages par an aux urgences et il est très renommé dans la prise en charge des cancers du sein et de la prostate. Par ailleurs, 5  % de la rémunération sont assis sur la qualité. Enfin, il y a une transparence absolue pour les 10 millions de citoyens suédois qui peuvent consulter les données de notre hôpital ou des autres hôpitaux publics très renommés à Stockholm comme le Karolinska, Danderyd ou Södersjukhuset. Par exemple, nous gérons 3 000 patients diabétiques de type 1. Nous avons un engagement pour que 97  % d'entre eux bénéficient chaque année de 4 contrôles d'hémoglobine glyquée. Pour 98  % d'entre eux, nous devons faire un contrôle du pied diabétique tous les 2 ans, etc.

Pour la France, je suis convaincu que dans les 254 milliards d'euros de L'Ondam, 2 ou 3 évolutions seraient nécessaires pour nous permettre de mieux exercer notre métier.

La première est la pluriannualité. Nous avons besoin d'une visibilité tarifaire indexée sur l'inflation. Je sais que la Fédération des hôpitaux publics, la FHF, y croit profondément elle aussi.

Le deuxième sujet concerne le nombre de lits. Il y a en France 400 000 lits d'hôpitaux, le même nombre qu'il y a 10 ans. Or, le nombre de séjours de plus d'une nuit en MCO a baissé depuis 10 ans en raison du développement de l'ambulatoire, de retours à domicile plus précoces, de la mise en place de plateaux de kinésithérapie en ville, etc. Nous sommes tous sortis du covid en constatant que nous étions passés près de la catastrophe sur les lits de réanimation. Nous sommes rentrés le 12 mars 2020 dans le covid avec exactement 5 051 lits de réanimation. Sous la houlette du ministre, nous sommes montés à 7 200. Je crois qu'aucun Français n'est décédé comme dans d'autres pays, dans un couloir parce qu'il n'y avait pas de lit. Beaucoup de personnes sont convaincues que nous manquons de lits d'hôpitaux. En réalité, le taux d'occupation en moyenne des 400 000 lits est de 72  % à 73  %.

Je pense qu'il y a une problématique de restructuration de l'offre hospitalière. Dans les autres pays, cette restructuration de l'offre s'est faite dans la transparence, sur la base d'objectifs de santé publique. En tant qu'hospitalier, je regrette que la rémunération hospitalière ne soit pas plus liée à la qualité. L'incitation financière à la qualité (IFAQ) ne représente que 700 millions d'euros sur les 105,6 milliards d'euros de budget hospitalier en 2024. Sur ces 700 millions d'euros, la moitié est liée à l'activité. Seule 0,3  % de la rémunération hospitalière est assise sur la qualité. Cela n'aide pas les Français à avoir une transparence sur les indicateurs et à choisir leur hôpital, cela ne nous pousse pas à créer de l'émulation. Je crois profondément à un système beaucoup plus basé sur des objectifs de santé publique. Depuis 2000, sur les 22 indicateurs clés de l'OMS, nos résultats ont baissé. Notre pays est très en retard sur la rémunération à la qualité et sur la transparence.

M. Sébastien Proto. - Je conçois que vous ne compreniez pas pourquoi des investisseurs privés s'intéressent à une activité qui ne dégage pas de bénéfices. Nous ne développons pas une vision politique. En revanche, nous avons une vision profondément sanitaire et de santé publique. Depuis le XIXe siècle, le système de santé français est structuré sur deux jambes, le public et le privé. Nous nous inscrivons dans cette histoire qui est fondamentalement bonne pour les patients, tant qu'il y a à la fois de la complémentarité et un peu de concurrence et que le système est tiré vers le haut. Je pense que la présence du privé, lucratif ou non lucratif, et du public, tire le système vers le haut.

S'il y a un secteur privé de la santé, il faut des investisseurs et il faut qu'ils gagnent de l'argent. Ils n'en gagnent pas par les dividendes mais au moment où ils sortent du capital, par la réalisation d'une plus-value. J'observe une forme de paradoxe. Si nous dégagions des bénéfices, nous devrions les justifier et justifier leur affectation. Vous êtes donc plutôt rassurés que nos établissements soient déficitaires mais je ne le suis pas. Le directeur général de la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam), Thomas Fatôme, parle beaucoup de financiarisation de la santé mais pour l'hospitalisation privée, mon inquiétude, c'est la définanciarisation. Les investisseurs privés sont partis. Les actionnaires actuels ne peuvent donc pas réaliser de plus-value, ni maintenant, ni demain. Le cadre de régulation est devenu tellement mauvais, au détriment du public comme du privé, à rebours de l'objectif d'attirer des investisseurs étrangers en France mis en avant lors du dernier sommet de Choose France. Plus personne ne veut aujourd'hui investir dans le secteur de l'hospitalisation privée.

Vous dites, Madame la sénatrice Brulin, que vous ne comprenez pas parce que nous continuons à réaliser des acquisitions. Mais ce n'est plus le cas, ou alors marginalement. Cependant, c'est un autre paradoxe, quand un établissement est en liquidation judiciaire - généralement un acteur indépendant -, l'ARS nous invite à le reprendre au regard des enjeux sanitaires sur le territoire. Le coeur du sujet est l'offre dans les territoires, et la capacité à la maintenir.

Nous sommes confrontés à des injonctions paradoxales. On nous demande de ne pas faire de profit mais d'investir, de conserver des activités en perte, de ne pas fermer de maternité mais de veiller à ce qu'elles ne passent pas sous le seuil de 500 accouchements par an, etc. Nous ne gérons pas de la politique, mais des paradoxes. Nous essayons de le faire, chacun avec nos convictions, de la meilleure manière possible.

Nous avons parlé de la financiarisation sous l'angle des sociétés d'exercice libéral. Une ordonnance a été publiée en août 2023 mais elle est insuffisante. Elle autorise l'arrivée d'acteurs purement financiers au capital des sociétés d'exercice libéral des praticiens, c'est-à-dire de non-exerçants dans des structures de professionnels-exerçants. Nous n'avons eu de cesse de dire que l'ordonnance n'était pas suffisamment protectrice. Nous avons eu ce débat lors du PLFSS 2024, nous l'avons indiqué à la Cnam, nous l'avons indiqué à l'Assemblée nationale. Depuis, le Conseil national de l'Ordre des médecins a dit qu'elle n'était pas suffisante, qu'elle n'empêchait pas des détournements, les actions de préférence, les droits de vote double, en bref, tous les mécanismes qui permettent à des tiers non-exerçants de prendre de fait le contrôle de l'activité des professionnels de santé. C'est ça la financiarisation !

M. Daniel Caille. - Je suis un entrepreneur, je regrette mes termes très directs mais le fond est juste. Nous vivons au quotidien avec l'hôpital public. Vivalto assure 60  % des urgences de l'agglomération de Rennes. Quand le CHU n'assure plus ses missions, nous en subissons les conséquences, et quand j'ai des difficultés, le CHU en a aussi. Nous dialoguons au quotidien, nous travaillons ensemble. À Nantes, nous assurons 40  % des urgences, notre rôle est considérable. Nous sommes venus combler des vides dans l'offre. C'est cette solidarité que j'ai toujours exprimée.

L'Europe est plus innovante que la France. Je gère des hôpitaux publics à Valence en Espagne avec un paiement au forfait par habitant. Nous sommes très contrôlés, nous avons des objectifs de qualité, de résultat. Gérer au forfait permet de voir la dépense de santé d'une manière différente du paiement à l'activité. On regarde quel est le juste soin au bon moment, nous sommes très attentifs à la prévention et à la pertinence, thèmes sur lesquels nous ne progressons pas en France. Il serait pourtant important de parler de la pertinence de la radiologie, de l'analyse biologique, de la cotation de l'acte médical, etc. Je regrette l'immobilisme de la santé en France.

J'ai voulu refaire appel à mes investisseurs pour développer notre activité. Ils ont refusé car ils considèrent qu'il n'est pas opportun de se développer en France aujourd'hui.

Notre valorisation est une valorisation de fonds de commerce. Quand on fait plus de chiffre d'affaires, la valeur d'un fonds de commerce augmente. C'est pour cette raison que nous avons grandi, malgré les difficultés économiques. Le modèle est fragile et ne tient que s'il y a des acheteurs. Aujourd'hui, nous sommes à l'arrêt. À un moment se posera la question de la solvabilisation du secteur.

J'ai toujours appelé de mes voeux la création d'un organisme parapublic, rassemblant des investisseurs français de long terme, capables de s'engager sur la durée, mais aujourd'hui ils sont frileux. Il ne faut donc pas nous reprocher d'être allés chercher des investisseurs qui l'étaient un peu moins. À part la Caisse des Dépôts et la Bpifrance, tous mes investisseurs ont refusé de s'engager davantage. Je me suis tourné vers mes banques historiques et vers la MACSF qui était intéressée.

J'en appelle aux investisseurs institutionnels de long terme pour solvabiliser un secteur qui ne l'est plus.

Mme Laurence Muller-Bronn. - Je reviens d'une mission avec notre président et quelques-unes de mes collègues. Nous sommes allés en Allemagne et au Danemark pour comprendre leur système hospitalier. L'Allemagne est à la veille d'une grande réforme hospitalière. Elle dispose de 1 950 hôpitaux et dépense énormément d'argent, encore plus que la France, pour le soin de ses citoyens. Face à l'absence de résultats, la réforme prévoit de ne conserver que 900 hôpitaux. Au Danemark, la réforme est derrière eux, mais ils sont à la veille de décisions très importantes sur leur système hospitalier.

Quel regard portez-vous sur ces réformes dans des pays qui ne sont pas dans l'immobilisme. Sont-elles bonnes pour les patients ?

Le médecin généraliste revient au coeur du système de santé mais en France nous avons un souci avec nos médecins généralistes.

M. Pascal Roché. - Je ne suis pas familier de l'Allemagne mais je serais ravi d'être auditionné à nouveau.

En Norvège, au Danemark ou en Suède, nous sommes payés à la capitation, avec un système de délégation d'État.

Nous suivons un million de Suédois dans nos centres de soins primaires et le médecin généraliste joue un rôle majeur. Par ailleurs, nous disposons d'outils digitaux de continuité des soins pendant la nuit. C'est la force d'un groupe présent dans de nombreux pays. Nous cherchons à les développer en France. La grande différence, c'est que 92  % des patients qui viennent dans les centres de soins primaires en Suède comme au Danemark sont préqualifiés. Par exemple, quand un patient diabétique de type 1 a rendez-vous pour un contrôle, il est reçu par une infirmière diplômée en diabétologie. Si les résultats ne sont pas bons, si l'hémoglobine glyquée a dérivé, le patient verra le médecin généraliste.

En Suède, les médecins généralistes, qui sont moins nombreux par habitant qu'en France, comme les infirmières, se concentrent sur les cas les plus complexes. Nos centres de soin regroupent 25 personnes et assurent la continuité de soins, y compris la nuit. C'est un changement de paradigme par rapport au système que nous connaissons en France.

Je serais ravi d'en parler plus en détail une autre fois.

M. Jean Sol, vice-président de la commission des affaires sociales. - Je vous remercie pour votre disponibilité.

II. EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 25 septembre 2024, sous la présidence de M. Philippe Mouiller, président, la commission examine le rapport d'information de Mme Corinne Imbert et MM. Olivier Henno et Bernard Jomier sur la financiarisation de l'offre de soins.

M. Philippe Mouiller, président. - J'attire, tout d'abord, votre attention sur le contexte de travail particulier qui s'annonce. En effet, nos prochaines réunions seront consacrées principalement à l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), or les données qui lui sont afférentes nous seront communiquées très tardivement. Outre le travail important de nos rapporteurs, nous réaliserons également des auditions pendant un temps relativement court. Par conséquent, le rythme de travail sera soutenu.

Nous reprenons nos travaux avec la présentation de deux rapports très attendus par de nombreux professionnels et médias. Celle-ci aurait dû intervenir avant la fin de la session, mais nous avions choisi de la reporter à la rentrée pour des raisons d'opportunité politique. Cela permettait également de rendre notre action plus lisible au travers des conférences de presse prévues cet après-midi.

Nous allons entendre, en premier lieu, la communication de Corinne Imbert, d'Olivier Henno et de Bernard Jomier, à l'issue des travaux de la mission d'information qu'ils ont conduite sur la financiarisation de l'offre de soins.

Les travaux de nos collègues s'inscrivent dans le programme de contrôle de la commission pour la session 2023-2024. Notre commission avait procédé à quatre auditions plénières dans ce cadre. Nous avions reçu, le 3 avril, les conseils nationaux de l'ordre des médecins et de l'ordre des pharmaciens, le 10 avril, des représentants de grands groupes de biologie médicale ainsi que le directeur général de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) et, le 5 juin, des représentants de grands groupes d'hospitalisation privée.

M. Bernard Jomier, rapporteur. - Notre sujet - la financiarisation de la santé et, plus spécifiquement, la financiarisation de l'offre de soins - est entré récemment dans le débat public. La presse y consacre désormais régulièrement des articles et des tribunes, mais les pouvoirs publics tardent à s'emparer de cette question pourtant structurante pour notre système de santé.

Les réalités que recouvre la financiarisation de l'offre de soins ne sont pas toujours bien comprises, parce que les termes, quelque peu nébuleux, ne sont pas toujours explicités. Commençons donc par définir la notion de financiarisation : celle-ci désigne un processus par lequel des acteurs privés, qui disposent d'une capacité d'investissement significative et qui ne sont pas des professionnels de santé, entrent dans le secteur de l'offre de soins avec pour objectif prioritaire de rémunérer le capital investi.

Parce que la financiarisation de l'offre de soins touche aux conditions essentielles de régulation de notre système de santé, c'est-à-dire à l'organisation de l'offre dans nos territoires, à la qualité des soins, à la maîtrise des dépenses de santé, à l'accès aux soins et, enfin, à l'indépendance des professionnels de santé, la commission des affaires sociales a décidé de se saisir de ce sujet.

Nous nous sommes souvent heurtés, au cours de nos travaux, à des difficultés pour obtenir des données consolidées, aussi bien de la part des autorités sanitaires que d'acteurs professionnels ou académiques. Et pour cause : à ce jour, peu d'études ont été conduites sur les effets de ce phénomène, qui demeurent largement méconnus et mal maîtrisés. Or le sujet est susceptible d'opposer des points de vue divergents, de cristalliser des intérêts contradictoires et de véhiculer des présupposés idéologiques.

C'est pourquoi nous avons souhaité rencontrer, dans le cadre cette mission, nombre d'interlocuteurs susceptibles de nous aider à objectiver le phénomène. Ainsi avons-nous auditionné près de soixante organisations et une centaine de personnes. La diversité des acteurs entendus nous a permis non seulement de recueillir des données importantes, mais aussi de nous imprégner de la complexité des enjeux et de la technicité de la matière.

Au terme de nos travaux, nous établissons un diagnostic, secteur par secteur, en identifiant les déterminants de la financiarisation et en tentant d'objectiver les risques qu'elle induit. Ces derniers portent, d'une part, sur les conditions de la régulation économique et de l'organisation territoriale de l'offre de soins ainsi que, d'autre part, sur l'indépendance et les conditions d'exercice des professionnels de santé. Pour y répondre, le rapport que nous vous présentons formule dix-huit propositions visant à mieux maîtriser le mouvement de financiarisation des structures de soin et à limiter ses effets indésirables. Il s'agit de réaffirmer la primauté des enjeux de santé publique sur les intérêts financiers.

Mme Corinne Imbert, rapporteure. - Commençons par le diagnostic. Quelques chiffres suffisent à illustrer l'ampleur d'un phénomène qui progresse : six groupes concentrent plus de 60 % des sites de biologie médicale en France ; pas moins de 40 % de l'hospitalisation privée lucrative qui représente, elle-même, un quart du capacitaire des établissements de santé, est détenue par quatre grands groupes. Ces dernières années, le nombre des opérations de rachat et de fusions-acquisitions révèle une accélération de la concentration de certains secteurs, soutenue par l'intervention de fonds d'investissement dans le capital des groupes. Cette dynamique n'est pas sans incidence sur la structuration des marchés du soin : l'Autorité de la concurrence a rendu cinquante et une décisions au titre du contrôle des concentrations dans le secteur de la santé depuis 2019.

La maturité du processus de financiarisation est néanmoins inégale selon les domaines. Aujourd'hui, le marché de l'imagerie, où la valorisation financière des groupes peut atteindre jusqu'à quinze fois l'excédent brut d'exploitation, suscite l'intérêt des investisseurs. La dynamique de financiarisation y est récente, mais près de 30 % des structures seraient déjà concernées. Quant aux laboratoires de biologie médicale, ils ont bénéficié d'une rentabilité de 23 % en 2020, en raison de l'épidémie de covid, soit un taux près de quatre fois supérieur à celui du secteur de la construction aéronautique et spatiale.

Malgré des règles interdisant l'ouverture de leur capital à des tiers non professionnels, les pharmacies d'officine sont également concernées. Elles connaissent, toutefois, une forme de financiarisation spécifique au travers de l'émission d'obligations, voire d'obligations convertibles en actions, auprès de fonds d'investissement, qui aident ainsi les professionnels de santé à constituer un apport bancaire pour financer leur installation ou leur activité. Ces fonds conditionnent leur soutien au respect de certaines règles relatives à la gestion et à l'activité de l'officine, qui sont susceptibles de fragiliser l'indépendance des professionnels.

Enfin, après les scandales sanitaires qui ont tristement mis en lumière les pratiques frauduleuses et abusives de nombreux centres de santé dentaires et ophtalmologiques, les centres de soins primaires polyvalents semblent constituer une cible nouvelle pour les investisseurs financiers.

Cette progression des investissements dans le secteur de l'offre de soins depuis le début des années 2000 témoigne de l'intérêt des acteurs du capital investissement pour un marché qui présente des caractéristiques de nature à rassurer les investisseurs.

L'offre de soins constitue, en effet, un investissement à la fois rentable et sûr. Tout d'abord, sa rentabilité tient aux possibilités de restructuration du secteur, notamment par la recherche d'un effet « taille critique » et la concentration des plateaux techniques. Ensuite, son caractère sécurisant résulte, d'une part, de l'accroissement continu de la demande de soins, lié au vieillissement démographique et, d'autre part, du haut niveau de socialisation de la dépense de santé. Enfin, l'investissement dans le soin est également un moyen pour les acteurs financiers de diversifier leurs portefeuilles d'actifs.

Sciemment ou non, le cadre de régulation a lui-même favorisé la financiarisation de l'offre de soins. Tout d'abord, la loi a autorisé, dès le début des années 1990, l'entrée d'acteurs non professionnels au capital des sociétés d'exercice libéral (SEL) des professions de santé, à l'exception notable de la pharmacie. Ensuite, dans un contexte financier marqué par un déficit récurrent de la branche maladie, l'entrée de capitaux financiers sur le marché de l'offre de soins représente indéniablement une source de financement supplémentaire qui contribue à moderniser les infrastructures de santé.

Par ailleurs, certaines politiques visant à améliorer la qualité des soins ont pu contribuer au processus de financiarisation : il en va ainsi de l'accréditation obligatoire des laboratoires de biologie médicale, prévue par l'ordonnance n° 2010-49 du 13 janvier 2010 relative à la biologie médicale, dite « Ballereau », dont le coût et les contraintes sont mieux supportés par des structures de grande taille susceptibles de standardiser leur activité. Enfin, les acteurs financiers ont su s'engouffrer dans la brèche de la démographie médicale en saisissant l'opportunité de rachats massifs de cabinets : en proposant aux praticiens partant à la retraite de reprendre leurs structures à un prix pouvant atteindre trois ou quatre fois leur valeur réelle, les investisseurs ont progressivement fait basculer certains secteurs d'un modèle de capitalisme professionnel à celui du capitalisme financiarisé.

S'il est possible de mesurer l'avancée du phénomène de financiarisation de l'offre de soins et d'en comprendre les déterminants, l'évaluation de ses effets sur les dépenses de santé, sur l'accès aux soins et sur la qualité des soins est, en revanche, plus complexe.

Pour ce qui concerne les dépenses, deux questions se posent. Tout d'abord, la financiarisation conduit-elle à une augmentation des dépenses de santé, qui serait liée à une pression sur la rentabilité, ou permet-elle de les contenir en contribuant à la recherche de gains d'efficience ? Nos travaux ne nous permettent pas, aujourd'hui, de répondre à cette question. Nous pouvons uniquement nous fier à des faisceaux d'indices, qui démontrent d'ailleurs des effets équivoques, car il n'existe aucune analyse dont nous puissions tirer des conclusions certaines.

Ensuite, la financiarisation a-t-elle pour effet de modifier les conditions du dialogue conventionnel et, par conséquent, de la régulation tarifaire ? À cette question, nous pouvons assurément répondre de façon affirmative. La Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam), elle-même, a pointé du doigt le positionnement biaisé des syndicats de biologistes, soumis à la pression des groupes financiarisés lors des dernières négociations conventionnelles. Cette situation doit évidemment nous conduire à nous interroger sur l'efficacité de nos outils de régulation, afin de conserver la maîtrise du pilotage de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) et de garantir une offre respectueuse de critères de qualité et de pertinence des soins.

En ce qui concerne l'organisation territoriale de l'offre de soins, la financiarisation accentue la concentration des structures, qui conduit à des situations d'oligopoles locaux ou de quasi-monopoles. Il en résulte une moindre diversité de l'offre locale, ce qui peut modifier les conditions du dialogue entre les offreurs de soins et les agences régionales de santé (ARS) ou rendre les patients captifs d'un groupe. À propos de l'accès aux soins, on observe pourtant des effets contrastés : par exemple, dans le champ de la biologie médicale, la couverture territoriale est restée stable ces quinze dernières années malgré la très forte concentration du secteur ; en revanche, l'optimisation de la chaîne analytique au travers de la diminution du nombre de sites d'analyse au profit des sites de prélèvement n'est pas neutre pour ce qui concerne la prestation offerte au patient : allongement des délais de rendu, absence de biologiste sur site...

La financiarisation de l'offre de soins fait également peser un risque important sur l'indépendance des professionnels de santé. Ce principe déontologique fondamental garantit que les professionnels déterminent, en conscience, les actes de soin à réaliser dans le seul intérêt des patients, compte tenu de leurs connaissances scientifiques.

La loi protège ce principe en encadrant la propriété du capital social comme les droits de vote dans les sociétés d'exercice. Elle prévoit également que les sociétés sont inscrites au tableau de l'ordre concerné et que leurs statuts comme leurs conventions doivent être transmis à l'ordre. Malgré ces garde-fous, les ordres professionnels, que nous avons tous auditionnés, ont relayé de vives inquiétudes quant au respect du principe d'indépendance.

Dans certaines sociétés, l'influence des acteurs financiers non professionnels se trouve, en effet, augmentée par le jeu d'actions de préférence, qui permettent de distinguer la part de capital détenu des droits de vote ou des droits financiers associés, ou par des clauses rendant, par exemple, incontournable la voix des investisseurs financiers dans la prise de décisions stratégiques en dépit de leur position minoritaire au capital. La complexité des montages juridiques employés, qui confine parfois à l'opacité, camoufle ainsi la dépossession, subie par les professionnels de santé, des prérogatives qui leur sont normalement garanties par la loi.

De la même manière, dans le secteur officinal, l'ordre des pharmaciens observe que certains fonds d'investissement contraignent les professionnels à revoir leur offre, souvent pour augmenter la part de la parapharmacie, à sélectionner un fournisseur ou une solution logicielle déterminés.

M. Olivier Henno, rapporteur. - Les risques associés à la financiarisation sont donc nombreux. Si l'apport de capitaux extérieurs concourt au financement de notre système de santé, une financiarisation non maîtrisée de l'offre de soins peut menacer des équilibres essentiels situés au coeur de la régulation de l'offre. Au terme de nos travaux, il nous semble non seulement possible, mais aussi nécessaire, de contrôler les conséquences potentiellement néfastes de la financiarisation sur la structuration de l'offre et d'agir avant d'observer une progression trop importante de ces effets indésirables. Pour cela, nous formulons neuf recommandations, qui consistent, d'une part, à adapter les modalités de la régulation économique de l'offre de soins et, d'autre part, à renforcer les conditions de sa régulation territoriale.

Pour ce qui concerne la régulation économique, trois évolutions nous semblent indispensables pour faire face aux défis que nous avons décrits.

Tout d'abord, nous croyons utile de faciliter l'accès des professionnels de santé aux modes de financement préservant l'indépendance des structures de soins. Les professionnels auditionnés ont souligné la difficulté, pour ne pas dire l'obstacle, que représente l'investissement requis pour leur installation ou pour le maintien de leur activité. Certains d'entre eux peinent à réunir l'apport nécessaire à la souscription d'un emprunt bancaire. Dans le secteur officinal, la Caisse d'assurance vieillesse des pharmaciens (CAVP), les syndicats professionnels et certains grossistes-répartiteurs cherchent à répondre à ce besoin en proposant des solutions de financement complémentaires, respectueuses de l'indépendance des professionnels. Elles constituent autant de solutions de substitution aux fonds d'investissement, plus intrusifs. Nous pensons que ce type d'initiatives doit être encouragé et, lorsque cela est possible, étendu.

Ensuite, il nous semble indispensable de revoir les outils de régulation des dépenses de santé pour les adapter au contexte de financiarisation. Le directeur général de la Cnam a présenté devant notre commission les difficultés rencontrées lors des dernières négociations avec les syndicats de biologistes. À ce sujet, il nous paraît tout à fait légitime que le régulateur tienne compte, pour la fixation des tarifs applicables, des gains de productivité et des taux de marge observés chez les grands opérateurs du secteur. Toutefois, il doit également veiller, lors de cet exercice, à assurer la viabilité des structures indépendantes. C'est pourquoi il semble souhaitable de faire figurer la protection de l'indépendance des professionnels de santé parmi les objectifs légaux des conventions négociées avec l'assurance maladie.

En ambulatoire comme dans le secteur hospitalier, une meilleure valorisation de la qualité et de la pertinence des soins dans le financement des structures nous semble également fondamentale. En 2022, la commission d'enquête sénatoriale sur la situation de l'hôpital et le système de santé en France appelait déjà cette évolution de ses voeux. Elle semble d'autant plus nécessaire dans le contexte actuel, qu'elle permettra d'orienter l'activité des structures financiarisées vers les priorités de santé publique et de mieux maîtriser certains risques associés à la financiarisation.

Enfin, il nous semble indispensable de renforcer les capacités de contrôle et de suivi de l'assurance maladie sur l'activité des centres de santé. Celles-ci ont déjà été considérablement améliorées ces dernières années. La loi n° 2023-378 du 19 mai 2023 visant à améliorer l'encadrement des centres de santé, dite « loi Khattabi », a par exemple rétabli l'obligation d'agrément préalable des centres dentaires et ophtalmologiques et prévu l'identification des professionnels exerçant dans les centres de santé par un numéro individuel. Les contrôles ont, par ailleurs, été renforcés : entre 2021 et 2023, l'assurance maladie a ainsi contrôlé 200 centres de santé et décidé d'en déconventionner 21, ce qui est toutefois peu au regard des quelque 2 500 centres de santé recensés. En outre, l'identification individuelle des prescripteurs, cruciale pour les contrôles, n'est toujours pas effective. En conséquence, nous proposons de lever les derniers obstacles à son entrée en vigueur et de renforcer les moyens de contrôle à la disposition de l'assurance maladie.

En ce qui concerne l'organisation territoriale de l'offre de soins, la financiarisation contribue assez clairement à accélérer le processus de concentration dans les différents secteurs. Cet effet de concentration engendre une déformation de l'offre dans les territoires, en favorisant l'implantation d'activités dans des zones déjà denses et dynamiques ou, au contraire, l'abandon d'activités trop peu rentables. Face à ce constat, nous formulons plusieurs propositions qui visent à construire une régulation adaptée au contexte de financiarisation.

En premier lieu, il nous semble nécessaire de construire cette régulation en concertation avec les professionnels de santé et les collectivités territoriales. La territorialisation des politiques de santé exige, en effet, un dialogue plus étroit et plus systématique avec les élus locaux, notamment les maires. Les professionnels de santé peuvent également être force de proposition : certaines initiatives inscrites dans les conventions nationales pluriannuelles signées avec l'assurance maladie doivent inspirer d'autres propositions. Je pense, par exemple, à l'encadrement des majorations des consultations aux heures de la permanence des soins ambulatoires (PDSA), afin de limiter les pratiques abusives des centres de soins non programmés. Je pense aussi au conventionnement sélectif des chirurgiens-dentistes, très circonscrit, qui vise précisément à empêcher la multiplication des centres dentaires à chaque coin de rue dans les grandes agglomérations. Le cadre conventionnel doit être un espace de réflexion pour faire émerger des outils de régulation nouveaux et pour prévenir le développement d'une offre principalement fondée sur des critères de rentabilité.

La maîtrise de la recomposition de notre offre de soins doit également passer, en second lieu, par une action plus volontariste des ARS, qui disposent d'un levier sous-utilisé : les autorisations d'activités de soins et d'équipements matériels lourds. À notre sens, leur délivrance pourrait s'accompagner d'engagements opposables aux acteurs, portant par exemple sur la couverture territoriale de zones isolées et sur la prise en charge de patients éloignés du soin.

Dans le secteur de la biologie médicale, les règles de territorialité de l'offre, qui doivent permettre de réguler les implantations des laboratoires, sont demeurées lettre morte. Il est donc urgent de doter les ARS d'outils d'analyse et de critères décisionnels plus efficaces pour renforcer le pilotage de cette offre.

Afin de garantir des conditions de réalisation et de restitution des examens qualitatives, il nous apparaît également nécessaire d'augmenter le nombre de sites de biologie médicale analytiques de proximité et de définir, par arrêté, une liste minimale d'examens à réaliser sur chaque site. L'ensemble de ces propositions doit contribuer à une répartition territoriale adéquate de l'offre de soins.

Outre l'enjeu d'accessibilité, la question de la pertinence de l'offre de soins nous conduit à recommander plusieurs évolutions. D'une part, afin de limiter les biais de sélection occasionnés par la régulation tarifaire des actes, il paraît nécessaire de réviser régulièrement les tarifs hospitaliers et conventionnels qui engendrent des déséquilibres de l'offre. D'autre part, alors que le secteur des soins primaires polyvalents connaît un début de financiarisation et que des dynamiques comparables sont observées dans d'autres pays européens, nous anticipons un risque non négligeable de détournement de l'objet non lucratif de ces centres, qui justifie un droit de regard des ARS sur les conditions de leur développement.

Par conséquent, nous proposons que l'ouverture de ces centres de soins primaires soit conditionnée à un agrément, comme c'est déjà le cas pour les centres dentaires et ophtalmologiques depuis la loi Khattabi de mai 2023.

M. Bernard Jomier, rapporteur. - Enfin, l'indépendance des professionnels de santé constitue un enjeu majeur de la financiarisation, peut-être le plus sensible, car il touche à un principe cardinal de notre système de santé. Le Conseil constitutionnel reconnaît d'ailleurs cette indépendance comme une condition nécessaire au respect de l'objectif de protection de la santé publique.

Clairement énoncée en droit, formellement respectée dans les statuts des SEL, cette indépendance n'en est pas moins mise à mal par le recours à diverses techniques juridiques issues du droit des sociétés, qui visent à contourner un principe jugé sans doute encombrant ou désuet. Grâce au système des actions de préférence, les investisseurs financiers peuvent se réserver jusqu'à 99 % des droits financiers, alors que la loi ne les autorise à détenir, en tant qu'actionnaires non professionnels, que 25 % au maximum du capital des sociétés. D'autres outils sont utilisés et inscrits dans des clauses statutaires ou extra-statutaires, qui ont pour effet, comme indiqué précédemment, de retirer aux professionnels de santé le pouvoir décisionnel qui leur est, au moins en théorie, réservé.

La loi échoue donc, manifestement, à protéger l'indépendance des professionnels de santé. Dans ce contexte, le Conseil national de l'ordre des médecins (Cnom), auditionné par notre commission, a appelé le législateur à interdire l'entrée des acteurs financiers au capital des SEL. La quasi-totalité des acteurs rencontrés au cours de notre travail a souligné la nécessité de donner toute sa portée à la loi en encadrant plus strictement l'intervention des acteurs financiers, sans pour autant remettre en cause la participation d'investisseurs tiers au capital des SEL.

Sur ce point, nous formulons deux recommandations fondamentales. Tout d'abord, il s'agit de compléter les dispositions législatives et réglementaires encadrant la détention des droits sociaux et des droits de vote au sein des SEL, pour mieux protéger le pouvoir décisionnel des professionnels de santé et pour mettre fin aux détournements du système des actions de préférence appliqué aux SEL des professions de santé.

Ensuite, la financiarisation s'accompagne d'une volatilité des capitaux susceptible de déstabiliser l'offre de soins. Rappelons que la Cnam, elle-même, évoque une « bulle spéculative » sur le marché de la biologie médicale. En conséquence, il nous apparaît nécessaire d'envisager un encadrement plus strict des investissements financiers dans le secteur de l'offre de soins. Le financement des activités de soins doit répondre à des critères de durabilité. C'est pourquoi nous recommandons d'empêcher les investissements purement spéculatifs et de prévenir le retrait non anticipé de capitaux, par exemple en fixant une durée minimale d'investissement dans le capital des SEL.

Protéger l'indépendance des professionnels de santé, c'est aussi les mettre en capacité de résister à la dynamique de financiarisation. Deux actions nous paraissent pouvoir y contribuer. Il s'agit, d'une part, de préparer les étudiants à la diversité de leurs modes d'exercice, en les formant à la gestion des structures de soins au cours de leurs études. Pour reprendre une formule du Syndicat national des ophtalmologistes de France (Snof), « la formation académique des jeunes médecins à l'entreprise éthique et déontologique de leur spécialité est indispensable pour les préparer à l'exercice libéral ». Il s'agit, d'autre part, de soutenir les professionnels de santé et les acteurs locaux, notamment les collectivités territoriales, dans la consolidation d'une offre de soins indépendante et diversifiée. Plusieurs des acteurs que nous avons auditionnés ont exprimé leur attachement à une gouvernance locale des structures, ancrée dans les territoires, qui garantit une proximité de la prise de décision avec les professionnels exerçant au sein de ces structures. Les cliniques indépendantes revendiquent ce modèle de gouvernance et des collectifs de professionnels veulent le promouvoir. Nous y souscrivons pleinement.

Enfin, nous faisons quatre recommandations pour améliorer le niveau d'effectivité et de contrôle du principe d'indépendance professionnelle.

Parce que sa portée demeure incertaine, la protection du principe d'indépendance par les ordres professionnels est aujourd'hui difficile. En nous inspirant de jurisprudences récentes du Conseil d'État qui visent la profession vétérinaire, nous proposons de préciser dans le droit que ce principe d'indépendance fait obstacle à toute clause contractuelle, statutaire ou extra-statutaire, qui priverait les professionnels exerçants d'un contrôle effectif sur une société d'exercice. Comme pour la profession vétérinaire et afin de favoriser une plus grande sécurité juridique, la portée concrète de cette nouvelle notion pourrait être définie dans une doctrine d'emploi, établie après concertation avec les ordres professionnels, les sociétés d'exercice et les syndicats, sous la coordination du ministère chargé de la santé. De telles avancées rendraient le droit plus protecteur pour les professionnels de santé et faciliteraient son application par les ordres et au sein des sociétés d'exercice.

Il est également indispensable de donner les moyens d'exercer efficacement leur contrôle aux ordres professionnels. Cela passe, tout d'abord, par une révision de la liste des documents devant leur être transmise. Pour chaque profession, celle-ci doit être complétée et adaptée aux montages observés ces dernières années. Ensuite, toute clause contractuelle soumettant la transmission d'un tel document à l'accord préalable de la société ou de l'investisseur minoritaire devrait être interdite. Enfin, parce qu'il n'est pas raisonnable de demander à chaque ordre professionnel, et, encore moins, à chaque conseil départemental de ces ordres, de disposer du niveau d'expertise nécessaire à l'analyse de certains montages très complexes, nous proposons la constitution de cellules régionales d'appui, croisant les compétences des directions régionales des finances publiques (DRFiP), des directions régionales de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (Dreets) et des ARS pour appuyer les ordres professionnels dans leur contrôle.

Le rapport que nous vous présentons est la première étape d'un long travail qui reste à accomplir. Il s'agit du premier rapport institutionnel portant sur cette question, publié dans notre pays. Les autorités sanitaires nous semblent accuser un retard important face à un phénomène qui se développe depuis longtemps, sans véritable surveillance ni régulation efficace.

Nous ne vous proposons pas d'exclure du système de santé les acteurs financiers qui y ont investi. En revanche, nous souhaitons que cette intervention soit mieux mesurée et mieux maîtrisée afin qu'elle ne remette pas en cause les principes les plus fondamentaux de notre système de santé.

Mme Émilienne Poumirol. - Ce sujet, qui nous inquiète depuis quelque temps déjà, prend de l'ampleur : après le secteur de la biologie, celui de la radiologie est aussi concerné, deux domaines qui nécessitent des investissements importants. À l'occasion de la tentative de rachat de centres de soins primaires par un acteur privé financiarisé, centres jusque-là détenus par la Croix-Rouge française (CRF), nous avions déjà interrogé le ministre des solidarités et de la santé de l'époque, Olivier Véran, sur le risque qui pèse sur ces centres.

Je souscris à l'ensemble des propositions des rapporteurs qui vont toutes dans le bon sens. Aujourd'hui, aucun contrôle réel n'existe, notamment en raison de la complexité des montages financiers que vous avez soulignée. Votre proposition relative à la formation des jeunes est très intéressante. En effet, ceux qui terminent leurs études ne connaissent pas le monde de la finance - ce domaine très éloigné de la médecine, de la pharmacie et de la biologie les dépasse avec raison -, ils sont démunis face à ces fonds d'investissement extrêmement complexes et se laissent souvent convaincre d'y recourir, car cela leur permet de s'installer rapidement. Vous avez évoqué la rentabilité du système de santé. Comme nous l'avons déjà constaté au travers du scandale Orpea et, aujourd'hui, des crèches, les investisseurs sont attirés par le secteur médico-social.

Je poserai juste une question d'ordre juridique. Une avocate spécialiste du droit de la santé m'indiquait qu'il était possible de bloquer le droit de vote des investisseurs dans les SEL - cela me semble faire partie de vos propositions. Est-ce réellement faisable ? Au regard de l'indépendance des professionnels de santé, si les investisseurs financiers ne disposaient pas de droit de vote en matière de choix de santé dans les centres de soins, ce serait déjà un énorme pas en avant.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale - Plusieurs propositions nous aideront probablement, lors de l'examen du PLFSS, à réduire les inégalités de santé et à retrouver un certain équilibre.

Les problèmes que nous rencontrons et qui sont relayés par les médias viennent de la faiblesse de notre service public. Le privé s'est engouffré dans la brèche, mais en y important ses dérives. À mon sens, il faut un équilibre et une forme de complémentarité entre le public et le privé ; ce n'est pas l'un contre l'autre. Or la faiblesse du service public amplifie les difficultés liées à la financiarisation et la survie de certains services ou professions est en jeu. Il faut donc renforcer les moyens du service public ou, à tout le moins, accompagner le service public bien plus que ce n'est le cas actuellement.

Pour ce qui concerne les professions, il faut débattre de ces questions avec leurs représentants pour que cela fonctionne ; ils doivent être les premiers ambassadeurs du changement.

Au sujet de l'ARS, dans les départements, il existe des schémas départementaux d'analyse et de couverture des risques (Sdacr) et des services départementaux d'incendie et de secours (Sdis) qui évaluent les risques et les besoins pour y répondre. Nous devrions nous en inspirer pour ce qui concerne l'accès aux soins et les professions de santé : un tel schéma permettrait, chaque année, d'évaluer la situation et de l'améliorer en se fondant sur les données des ARS.

M. Alain Milon. - Je remercie les rapporteurs du travail important qu'ils ont réalisé, mais qui, pour ma part, ne me satisfait pas pleinement. J'ai été quelque peu rassuré par l'affirmation de Bernard Jomier qui a présenté ce travail comme une première étape. Il faut aller plus loin, à tout prix, protéger le système de santé du capital et défendre l'indépendance totale des professionnels de santé, ce qui n'est pas le cas pour l'instant. Dans le système actuel, les professionnels sont de plus en plus prisonniers du capital.

J'évoquerai une expérience personnelle. Voilà trois ans, en juillet, Florence Lassarade et moi-même avons reçu le patronat suédois au Sénat. Or les propos du président de l'équivalent suédois du Mouvement des entreprises de France (Medef) m'ont beaucoup surpris. Il m'a expliqué que des fonds de pension suédois participaient au capital d'entreprises qui achetaient des cliniques et des centres de santé en France. Aussi était-il surpris que l'assurance maladie française contribue ainsi au financement des retraites des Suédois. Ce type de situation doit cesser rapidement, afin que ce soit les Françaises et les Français qui bénéficient du système.

La dépense de santé en France représente chaque année environ 300 milliards d'euros. C'est donc un marché considérable qui intéresse les détenteurs de capitaux. Je me réjouis de cette première étape, mais nous devons continuer ce travail pour faire en sorte que les professionnels de santé ne soient pas dépendants de ce système.

Dans mon département, une clinique ferme : elle appartenait à un seul médecin, qui part à la retraite et sa famille ne lui succède pas. Un groupe avait été consulté, mais il a refusé d'acheter l'établissement après avoir examiné sa situation. Entre-temps, l'hôpital a proposé aux professionnels de santé qui exerçaient dans cette clinique de venir travailler en libéral, en mettant à leur disposition des salles d'opération, mais ceux-ci ont refusé. Le groupe qui avait refusé de reprendre la clinique a embauché ces praticiens dans une autre clinique située à 50 kilomètres. Cela montre bien ce à quoi peut mener la logique de financiarisation.

Pour ce qui concerne la biologie, je rappelle que la loi n° 2013-442 du 30 mai 2013 portant réforme de la biologie médicale est issue d'une directive européenne mise en place par Roselyne Bachelot et qu'elle a ensuite été défendue par la ministre de l'époque, Marisol Touraine. À l'époque, Bernard Jomier et moi-même avions souligné qu'un danger énorme existait : l'installation du capital risquait de permettre celle des centrales d'achats, comme dans le secteur du commerce. Or ces dernières ont progressivement liquidé tous les petits commerces de nos villes et tous nos agriculteurs. Ne faisons pas de même pour la santé !

Mme Raymonde Poncet Monge. - Je retiens de votre mission qu'il s'agit de muscler les mécanismes de régulation dans le contexte de la financiarisation.

Vous proposez de doter les ARS et les professionnels de santé d'un certain niveau d'expertise. Or je suis très pessimiste. Pour avoir travaillé sur la façon dont des profits sont tirés des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), la régulation a toujours un temps de retard sur l'expertise des grands groupes et les moyens dont disposent ces derniers. Vous avez indiqué : « La loi échoue. » J'ai envie de dire : « La régulation échouera. » Elle est nécessaire, mais nous avons toujours un temps de retard.

Un point aveugle, qui ne faisait pas l'objet de votre rapport, a trait aux modes de financement des centres de santé publics et à leurs difficultés à atteindre l'équilibre, qui sont un cheval de Troie pour le secteur privé lucratif. Il convient de s'interroger sur ces points. C'est la même chose pour les crèches : certes, ce secteur compte un groupe malhonnête, mais comment l'ensemble des acteurs privés y réalisent-ils des profits ? Ils y parviennent grâce à la prestation de service unique (PSU) et aux modes de financement qui s'y prêtent. Ces mécanismes qui nuisent à l'équilibre des crèches démultiplient, en quelque sorte, les effets délétères du secteur privé lucratif. S'interroger sur « comment » être rentable dans ces secteurs d'activité a trait à l'accès aux soins et à l'aménagement du territoire.

Vos recommandations sont importantes. Mais, à mon sens, la part des opérateurs financiers doit diminuer dans ce secteur, comme dans les Ehpad et les crèches.

Mme Frédérique Gerbaud. - Je remercie nos collègues pour ce travail qui doit être poursuivi - je souscris à l'avis d'Alain Milon.

Je voudrais faire part d'une expérience personnelle qui a trait à l'accès aux soins, à la financiarisation et aux dérives des grands groupes privés, qui mettent en danger l'indépendance des praticiens, en les enfermant souvent dans des contrats mirobolants qui les empêchent de participer à des formes de permanences des soins.

Dans mon département de l'Indre, qui est un exemple de petit territoire, où il ne reste qu'un hôpital public et une clinique appartenant à un grand groupe, la clinique historiquement installée va progressivement fermer, car elle est peu lucrative. Le groupe ne lui a pas accordé les moyens nécessaires pour répondre aux besoins en termes d'accès aux soins. La clinique interdit aux praticiens de rejoindre l'hôpital public, en les enfermant dans des contrats mirobolants, ce qui est une contrainte financière lamentable dans un territoire sous-doté. Les praticiens sont transférés dans un département voisin, alors que ce type d'établissement sollicite une subvention publique auprès des ARS, sans échange et sans évidemment de retours.

À mon sens, le rôle des ARS n'est pas de subventionner les déficits que les groupes privés ont eux-mêmes engendrés. C'est le premier problème que nous devrions régler. Dans les territoires sous-dotés, des obligations ne pourraient-elles pas être pointées par les ARS, qui accordent les accréditations, souvent avec un regard bienveillant, à des établissements obsolètes qui n'offrent pas de conditions de sécurité suffisantes aux praticiens ni un accès aux soins satisfaisant ? Ce sujet est pénalisant pour les populations.

Dans le cas d'une coopération public-privé, qui semble actuellement la meilleure des solutions, pourquoi l'hôpital public doit-il assurer la mission de permanence des soins, alors que les praticiens d'une clinique non seulement refusent d'y participer, mais conservent la part la plus lucrative de l'activité ?

Il existe une dérive, qui doit être mieux contrôlée. Des contraintes doivent être posées et le législateur doit renforcer les contrôles des autorisations d'exercice, du financement des établissements, dès lors que ceux-ci répondent à une permanence des soins ou à l'accès aux soins, notamment dans les territoires sous-dotés.

Mme Pascale Gruny. - Ce rapport est extrêmement intéressant. À mon sens, tout est une question d'équilibre.

À la fin de leurs études, la question du financement de l'installation se pose pour nombre de professionnels de santé. Or les banques ne les accompagnent pas tous de la même façon. Les jeunes pharmaciens souhaitant racheter une officine, notamment, sont moins soutenus qu'à une époque, car l'activité apparaît plus risquée.

Que faire face à cette situation, sachant que celui qui prend les risques financiers a le pouvoir ? Il n'a échappé à personne que la sécurité sociale n'est pas en bonne santé, ce qui ouvre grand les portes aux investisseurs financiers. Il est évident que le risque s'est accru avec le renchérissement du coût du matériel médical, porté par l'innovation. Mais la santé n'est pas un marché comme les autres !

J'insiste enfin sur une nécessité : la formation des praticiens à la gestion. En effet, nombre de professionnels de santé se font avoir par des charlatans qui leur proposent des solutions de financement en apparence avantageuses, mais qui se révèlent être des pièges à plus ou moins long terme.

Mme Céline Brulin. - Les inquiétudes montent de toute part. La financiarisation a déjà fait des dégâts considérables. L'offre de soins suscite depuis longtemps des appétits financiers, mais on constate une accélération de cette tendance ces derniers temps. Ces appétits prospèrent en réalité sur la faiblesse du secteur public.

Les hôpitaux publics sont en grande souffrance également parce que les établissements privés ne font pas toujours du bon travail, les premiers étant obligés de repasser derrière les seconds pour réparer les dégâts.

Je rejoins Alain Milon sur sa comparaison de la situation avec celle des agriculteurs et je me réjouis de constater que des libéraux prennent conscience de l'intérêt de protéger certains secteurs vitaux des dogmes du libéralisme économique. Cependant, dans le même temps, nous assistons à une offensive idéologique terrible des lobbyistes de tout poil qui en rebute plus d'un parmi les professionnels de santé, dans le secteur public comme dans le secteur privé. Dans le contexte de crise démographique du secteur, c'est un vrai problème. J'ose espérer, mon cher collègue, que nous nous retrouverons sur des propositions communes lors de la discussion du prochain PLFSS.

M. Philippe Mouiller, président. - Les laboratoires d'analyses sont actuellement en grève pour protester contre la baisse de cotation d'un certain nombre d'actes, ce qui ne peut que profiter à la concentration et à l'accélération de la financiarisation.

M. Bernard Jomier, rapporteur. - Je vais mettre les pieds dans le plat : l'objet de notre rapport n'est pas du tout l'équilibre public-privé. Notre système a toujours reposé sur ces deux piliers et il n'est absolument pas question de remettre cet équilibre en cause.

Nous sommes partis d'un constat largement partagé : le capitalisme financier est en train de tuer un certain capitalisme professionnel.

Les professionnels de santé sont vent debout, car ils ont bien compris qu'il s'agissait d'une lutte à mort. En aucun cas il ne s'agit d'un clivage droite-gauche.

La finance est très agile pour s'immiscer partout. Des dispositifs de contrôle du droit de vote des actionnaires existent pourtant dans la loi de 1990, mais ils ont été contournés grâce au système des actions de préférence, qui ont permis de transformer 1 % des actions en 99 % des droits financiers.

La puissance publique est restée les bras ballants. Pourquoi ? Parce qu'elle y a un intérêt, ce phénomène entraînant la baisse du coût unitaire des actes. Malheureusement, elle n'a vu que les actes allaient se multiplier sans tenir compte de la pertinence des soins. Au début, la sécurité sociale s'est réjouie de pouvoir discuter avec six grands groupes, mais la lune de miel s'est transformée en gueule de bois.

Nos recommandations visent non pas à éliminer la participation des groupes financiers - c'est impossible ! -, mais à stopper l'interventionnisme croissant des acteurs financiers dans le secteur ambulatoire.

Ne sombrons pas dans le pessimisme : nous avons des alliés dans ce combat, à commencer par les professionnels de santé, notamment les jeunes.

M. Olivier Henno, rapporteur. - Ces structures financières jouent dans les espaces et profitent des besoins accrus en capitaux pour un certain nombre d'activités médicales. Malheureusement, le secteur public n'est plus en mesure de répondre de façon satisfaisante aux besoins en soins.

Nous identifions deux autres facteurs d'accélération de la financiarisation : l'intérêt individuel du vendeur, qui va vers le plus offrant, et l'attrait des jeunes praticiens pour le salariat.

Cette logique de la financiarisation, de la dérégulation et de la concentration est à l'oeuvre dans toute l'économie. Les marxistes appellent cela la concentration du capital.

La solution est non pas de revenir en arrière, mais d'utiliser toutes les armes dont dispose la puissance publique, notamment l'édiction de normes. Soyons plus efficaces dans la régulation.

Mme Corinne Imbert, rapporteure. - La financiarisation n'est pas la privatisation. Ce phénomène est à l'oeuvre depuis 30 ans et nous devons essayer de renverser le cours des choses.

Ne soyons pas naïfs néanmoins : le président de la Fédération nationale de la mutualité française (FNMF) a lui-même reconnu que leurs centres de santé étaient dans l'incapacité d'atteindre l'équilibre financier.

Je ferai un focus sur la pharmacie, secteur que je connais bien. À une époque, les non-professionnels n'avaient pas le droit d'entrer au capital d'une officine. Néanmoins, les banques ont de moins en moins joué le jeu, ce qui a conduit à un problème d'offre sur le territoire. La création des SEL n'a pas permis de stopper l'engrenage.

Il faut sensibiliser les jeunes professionnels de santé pour qu'ils ne deviennent pas les proies de groupes financiers. Il est facile de tomber dans le piège si l'on n'est pas averti.

Le sujet à venir, ce sont les maisons de santé pluriprofessionnelles. Plus on encouragera la concentration, plus on fera le vide autour de soi et plus le ticket d'entrée sera élevé. Il faudra alors recourir aux financiers, comme pour les cliniques voilà quelques années.

Il faut aussi savoir que certains professionnels, notamment radiologues, travaillent à distance sans se déplacer, ce qui n'est pas sans incidence sur les conditions de travail des autres professionnels de santé.

Les recommandations sont adoptées.

La commission adopte, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorise la publication.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
ET DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES

Auditions

· Académie nationale de médecine

Pr Christian Boitard, secrétaire perpétuel

Pr Jean-Louis Guéant, membre

Pr Gérard Morvan, membre

· Académie nationale de Pharmacie

Jean-Louis Beaudeux, doyen de la Faculté de Pharmacie de Paris, Université Paris Cité et président honoraire de l'Académie nationale de Pharmacie

Martial Fraysse, docteur en pharmacie, pharmacien d'officine et membre titulaire de l'Académie nationale de Pharmacie

· Ordre national des masseurs-kinésithérapeutes

Roger Philippe-Gachet, conseiller national

Pierre Degonde, conseiller

· Ordre national des pédicures-podologues

Éric Prou, président

· Ordre national des infirmiers

Patrick Chamboredon, président

· Ordre national des médecins

Dr François Arnault, président

Dr Elisabeth Gormand, conseillère nationale

Francisco Jornet, directeur des services juridiques

Dr Jean Canarelli, conseiller national, président de la Commission Jeunes Médecins et président de la Commission nationale de biologie médicale de l'Ordre national des médecins

· Ordre des sages femmes

Marie-Cécile Moulinier, vice-présidente

David Meyer, chef de cabinet

· Ordre des pharmaciens

Carine Wolf-Thal, présidente

Caroline Lhopiteau, directrice générale

Philippe Piet, président de la section G

· Ordre des chirurgiens-dentistes

Dr Philippe Pommarede, président

Sylvie Germany, directrice des affaires juridiques et institutionnelles

· Yann Bourgueil, auteur de l'étude de la chaire santé de Sciences Po

· Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf)

Jérémy Darenne, président

· InterSyndicale nationale des internes (ISNI)

Guillaume Bailly, président

Xavier Balmelle, secrétaire général

Paul-Gydeon Ritvo, président du syndicat des jeunes radiologues de France

· InterSyndicale Nationale Autonome Repre'sentative des Internes de Me'decine Ge'ne'rale (INSAR-IMG)

Florie Sullerot, présidente

· Association nationale des étudiants en pharmacie de France (ANEPF)

Lysa Da Silva, présidente

Nicolas Savic, porte-parole

· Union Nationale des Etudiants en Chirurgie Dentaire (UNECD)

Sadock Kidiri Rebou-Kossi, président

Liz-Marie Praud, porte-parole en charge des affaires de santé

· Fédération Nationale des Étudiant·e·s en Sciences Infirmières (FNESI)

Pauline Bourdin, présidente

Marie Richetin, vice-présidente en charge des perspectives professionnelles

· Fédération Française des Médecins Généralistes (MG France)

Dr Agnès Giannotti, présidente

Bijane Oroudji, vice-président

· Syndicat des Médecins Libéraux (SML)

Dr Sophie Bauer, présidente

· Union Française pour une Médecine Libre (UFML-S)

Dr Rachida Inaoui, rhumatologue

Dr Alexandra Rubini, radiologue

· Confédération des Syndicats Médicaux Français (CSMF)

Dr Philippe Arramon Tucoo, radiologue et cadre de la CSMF

· Fédération des Médecins de France (FMF)

Dr Bernard Huynh, vice-président

Dr Bassam Al Nasser, secrétaire général

· Union Syndicale Avenir Spé - Le Bloc

Dr Jérôme Chetritt, président de l'IHP Group, anatomo-cyto-pathologiste

· Fédération Nationale des Médecins Radiologues (FNMR)

Jean-Philippe Masson, président

· Chirurgiens-dentistes de France (CDF)

Dr Pierre-Olivier Donnat, président

Dr Marc Sabek, 1er vice-président

Charlotte Teyssier d'Orfeuil, déléguée générale

· Fédération des Syndicats Dentaires Libéraux (FSDL)

Dr Patrick Solera, président

· Union dentaire (UD)

Dr Franck Mouminoux, président

Dr Bruno Levollant, vice-président

· Les Biologistes indépendants (LBI)

Michel Pax, directeur général

Charles Pax, administrateur

· Syndicat des biologistes (SDBIO)

Dr François Blanchecotte, président

Paul-Henri Job, conseiller juridique à la présidence

· Les Biologistes Médicaux (BIOMED)

Lionel Barrand, président

· Ipso Santé

Dr Marie Benque, associée

Benjamin Mousnier-Lompré, associé

· Fédération des Syndicats Pharmaceutiques de France (FSPF)

Philippe Besset, président

Pierre Fernandez, directeur général

· Union des Syndicats de Pharmaciens d'Officine (USPO)

Pierre-Olivier Variot, président

Marie-Josée Augé-Caumon, conseiller

Guillaume Racle, conseiller économie

Patrick Raimond, membre du CA

· France Imageries Territoires

Xavier Lemoine, PDG du réseau

Dr Olivier Allice, président de la communauté radiologique du réseau 

· ImDev

Frédérick Breittmayer, président

Alexandre Azouaou, directeur général

· Simago

Charles-Henry Beglin, cofondateur du réseau Simago

Dr Marc Legeais, président de la SELAS IRSA (groupe d'imagerie de La Rochelle ayant rejoint le réseau Simago)

· Vidi

Dr Laurent Verzaux, directeur général

Amélie Libessart, directrice générale de Vidi Capital et directrice générale opérationnelle de Vidi

· Fédération de l'Hospitalisation Privée (FHP)

Christine Schibler, déléguée générale

Béatrice Noëllec, directrice des relations institutionnelles et de la veille sociétale

· Fédération des Établissements Hospitaliers et d'Aide à la Personne (FEHAP)

Arnaud Joan-Grange, directeur de l'offre de soins et des parcours de vie

· Fédération Hospitalière de France (FHF)

Cécile Chevance, responsable du pôle Offres

Aurélien Sourdille, responsable adjoint du pôle Offres

· Fédération nationale des centres de santé (FNCS)

Dr Marie Pénicaud, secrétaire générale

Dr Julie Chastang, référente professionnels

· Syndicat National des Ophtalmologistes de France (SNOF)

Dr Vincent Dedes, président

Dr Thierry Bour, ancien président du SNOF et membre du bureau

· Cabinet Axipiter

Amaury Nardone, avocat associé

Alexandre de Robien, juriste

Loïc Poupot, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation - cabinet MPVR

· Cabinet Winston & Strawn

Gilles Bigot, avocat au barreau de Paris, co-gérant de la SELARL Winston & Strawn, co responsable du département droit de la santé

Julie Vern Cesano Gouffrant, avocate au barreau de Paris et co-responsable du département droit de la santé

· Clinavenir

Vincent Lacombe, président de la Clinique Saint Exupéry (Toulouse)

Loïc Lagarde, directeur de la Clinique Pasteur (Toulouse)

· SantéCité

Stéphan de Butler d'Ormond, président de SantéCité et président du Groupe Santé Victor Pauchet (Pauchet Santé)

Pascale Prost, directrice générale du Groupe Hospitalier privé Ambroise Paré-Hartmann-Chérest et membre du Comité de direction de SantéCité

· Saint-Gatien

Laurent Faucheux, directeur financier groupe et membre du directoire

· Renaloo

Bruno Lamothe, responsable du plaidoyer

· Nicolas Da Silva, maître de conférences en économie au centre d'économie de l'Université Paris 13

· Lauras Allès, doctorante au CEPN, Université Paris 13

· Direction générale des entreprises (DGE)

Guillaume Decorzent, sous-directeur des services marchands

Noemia-Angela Jacques, cheffe de projets professions libérales et réglementées

· Président du Conseil de la Caisse nationale de l'assurance maladie

Fabrice Gombert, président de la Cnam et de l'Uncam

Gilles Bonnefond, président de la Commission Prospective, Analyse Stratégique, Affaires Européennes et Internationales

· Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam)

Artus de Cormis, directeur de Cabinet de la directrice déléguée à la Gestion et à l'Organisation des Soins

Veronika Levendof, directrice adjointe de la direction de la Médiation et Mission prévention des conflits d'intérêts

· Direction générale de l'offre de soins (DGOS)

Mickael Benzaqui, sous-directeur de l'accès aux soins et du premier recours

· Médecin ayant travaillé au sein d'Ipso Santé

· Mutualité Française

Eric Chenut, président

Yannick Lucas, directeur des affaires publiques

Laure-Marie Issanchou, directrice Santé

· ARS Île-de-France

Sophie Martinon, directrice générale adjointe

Arnaud Corvaisier, directeur de l'offre de soins

· ARS Auvergne-Rhône-Alpes

Igor Busschaert, directeur général adjoint

Cécile Behagel, directrice par interim de l'offre de soins

· ARS Nouvelle-Aquitaine

Benoît Elleboode, directeur général

· ARS Centre-Val de Loire

Clara de Bort, directrice générale

Contributions écrites

· Médecin ayant travaillé au sein d'Ipso Santé

· France Invest

· Autorité de la concurrence

TABLEAU DE MISE EN oeUVRE
ET DE SUIVI DES PROPOSITIONS

_______

Recommandations

Acteurs concernés

Support

1

Favoriser la constitution d'apports bancaires et l'accès à des modes de financement respectueux de l'indépendance professionnelle, sur le modèle des services offerts par la Caisse d'assurance vieillesse des pharmaciens, les syndicats représentatifs des pharmaciens d'officine ou les grossistes-répartiteurs.

Gouvernement, syndicats représentatifs, professionnels de santé

Conventions avec des acteurs financiers, notamment bancaires

2

Renforcer la rémunération sur des critères de qualité et de pertinence dans les tarifs hospitaliers et dans les conventions professionnelles. Soutenir, en ville, l'émergence de modèles alternatifs de financement, favorisant les innovations organisationnelles et le travail en équipe.

Gouvernement, assurance maladie

Actes réglementaires et conventions professionnelles

3

Renforcer la politique de contrôle de l'activité des centres de santé. Sécuriser le dispositif de facturation des actes par les centres de santé à l'assurance maladie en identifiant individuellement les prescripteurs, conformément à la loi.

Gouvernement, assurance maladie

Actes réglementaires, mesure administrative

4

Veiller à ce que les tarifs conventionnels négociés permettent la viabilité financière des structures indépendantes et faire figurer dans les objectifs légaux des conventions professionnelles celui de la protection de l'indépendance des professionnels de santé.

Parlement, assurance maladie

Texte législatif

Conventions professionnelles

5

Renforcer le dialogue entre les ARS et les élus locaux concernés, notamment les maires, et lutter contre l'implantation d'une offre non pertinente au regard des besoins de santé.

Gouvernement, ARS, collectivités territoriales

Acte réglementaire, mesure administrative

6

Mobiliser les autorisations d'activités de soins et d'équipements matériels lourds, levier à la disposition des ARS, pour assurer un meilleur équilibre territorial de l'offre.

Dans le secteur de la biologie médicale, assurer une application effective des règles de territorialité de l'offre.

Gouvernement, ARS

Acte réglementaire, mesure administrative

7

Réviser régulièrement les tarifs hospitaliers et conventionnels pour lutter contre les effets de sélection engendrant des déséquilibres de l'offre de soins.

Gouvernement, assurance maladie

Acte réglementaire, conventions professionnelles

8

Augmenter le nombre de sites de biologie médicale analytiques de proximité et définir par arrêté une liste minimale d'examens à réaliser sur chaque site de biologie médicale.

Gouvernement

Acte réglementaire

9

Sur le modèle des centres dentaires et ophtalmologiques, conditionner l'ouverture des centres de soins primaires à un agrément.

Parlement, Gouvernement

Texte législatif, acte réglementaire

10

Compléter les dispositions législatives et réglementaires encadrant la détention des droits sociaux et des droits de vote au sein des SEL, pour mieux protéger le pouvoir décisionnel des professionnels de santé.

Parlement, Gouvernement

Texte législatif, acte réglementaire

11

Mettre fin aux détournements du système des actions de préférence appliqué aux SEL des professions de santé.

Parlement, Gouvernement

Texte législatif, acte réglementaire

12

Empêcher les investissements purement spéculatifs et prévenir le retrait non anticipé de capitaux, par exemple en fixant une durée minimale d'investissement dans le capital des SEL.

Parlement, Gouvernement

Texte législatif, acte réglementaire

13

Former les étudiants et les jeunes professionnels de santé à la gestion des structures de soins.

Gouvernement

Acte réglementaire

14

Soutenir les professionnels de santé et les acteurs locaux, notamment les collectivités territoriales, dans la consolidation d'une offre de soins indépendante et diversifiée.

Gouvernement, assurance maladie

Acte réglementaire, accords et conventions

15

Renforcer le contrôle ordinal et juridictionnel, en consacrant dans la loi la notion de « contrôle effectif » sur les sociétés des professionnels y exerçant.

Parlement, Gouvernement

Texte législatif

16

Établir, avec les ordres professionnels, les sociétés et les syndicats de professionnels de santé, une doctrine claire concernant les modalités de fonctionnement à respecter pour s'assurer que les professionnels exerçants disposent du contrôle effectif des sociétés d'exercice.

Gouvernement

Mesure administrative

17

Adapter le périmètre des documents devant être transmis aux ordres, à l'issue d'une concertation avec les ordres, les sociétés et les syndicats de professionnels de santé concernés.

Interdire toute clause soumettant la transmission de documents contractuels aux ordres professionnels à l'accord préalable de l'investisseur.

Parlement, Gouvernement

Texte législatif, acte réglementaire

18

Constituer des cellules régionales d'appui aux ordres professionnels pour l'examen des statuts des sociétés d'exercice, croisant les compétences des DRFIP, des Dreets et des ARS.

Gouvernement

Acte réglementaire

ANNEXES

_______

ANNEXE 1 - LISTE DES DÉCISIONS RENDUES PAR L'AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE CONCERNANT LES CONCENTRATIONS D'ENTREPRISES DANS LE SECTEUR DE LA SANTÉ ENTRE 2019 ET 2024

ANNEXE 2 - ÉTUDE DE LÉGISLATION COMPARÉE SUR LA FINANCIARISATION DE L'OFFRE DE SOINS EN ALLEMAGNE ET EN SUÈDE

1. En Allemagne, un phénomène de financiarisation croissant, concentré sur les centres de soins ambulatoires (MVZ)

• Le phénomène de financiarisation du système de santé est apparu dans les années 2000 et s'est accéléré depuis 2015. Il se concentre sur les centres de soins ambulatoires (MVZ), créés par la loi de 2004 sur la modernisation de l'assurance maladie obligatoire. En règle générale, les investisseurs financiers étrangers au secteur de la santé acquièrent un hôpital, ce qui leur donne une compétence juridique pour acheter ou fonder des MVZ et créer de grands groupes de cabinets médicaux. Les secteurs de la biologie, de la radiologie, de l'odontologie et de l'ophtalmologie sont particulièrement concernés et, plus récemment, celui de la médecine générale.

• Le cadre juridique des MVZ a été modifié à plusieurs reprises afin de protéger l'intégrité des médecins de toute influence étrangère et d'empêcher la création de monopoles : le cercle des personnes et entités autorisées à fonder un MVZ a été restreint (médecins, hôpitaux, services de dialyse, organismes d'utilité publique conventionnés et communes) ainsi que les formes juridiques autorisées, la notion de direction médicale a été précisée et, dans le secteur dentaire, des quotas maximaux de soins ont été introduits.

• Plusieurs propositions d'encadrement plus strict des MVZ ont été présentées, notamment par le Bundesrat dans une résolution du 16 juin 2023. En matière de transparence, une obligation d'affichage sur les plaques des cabinets et la création d'un registre spécifique précisant les structures de détention en aval sont régulièrement évoquées. Concernant les conditions de création et d'exercice des MVZ, l'obligation d'un lien géographique et professionnel entre l'hôpital fondateur et le MVZ et l'introduction de quotas maximaux de soins pour les nouveaux MVZ sont aussi mentionnées. À ce jour, dans un contexte de tensions sur l'offre de soins, le gouvernement fédéral n'a pas donné suite à ces propositions.

a) Rappels concernant le système de santé allemand

En Allemagne, la gouvernance du système de santé est complexe et décentralisée, répartie entre le niveau fédéral, les Länder, et des organismes corporatistes autorégulés, composés de représentants des caisses d'assurance maladie, des médecins et des hôpitaux.

Si le cadre général du système de santé est défini au niveau fédéral, les Länder disposent, en application de l'article 74 de la Loi fondamentale393(*), d'un pouvoir législatif concurrent dans le domaine sanitaire. Ils sont responsables de la mise en oeuvre des dispositifs établis au niveau fédéral, planifient, financent les soins hospitaliers et coordonnent les services de santé publique municipaux. Ils supervisent également les caisses régionales d'assurance maladie et les ordres professionnels de santé, notamment des médecins, dentistes, pharmaciens et psychothérapeutes394(*). Une Conférence des ministres de la santé395(*) (Gesundheitsministerkonferenz) assure la coordination des législations régionales en matière de santé.

L'offre de soins médicaux demeure assez largement cloisonnée entre, d'une part, les soins stationnaires principalement dispensés dans les hôpitaux et, d'autre part, les soins ambulatoires fournis par la médecine de ville396(*).

Il existe différentes formes d'organisation des soins médicaux ambulatoires :

- la forme d'organisation la plus courante est le cabinet individuel (Einzelpraxis) qui représentait 78 % des quelque 105 000 cabinets et centres de soins ambulatoires existants en 2021397(*). Ces cabinets sont généralement des entreprises individuelles offrant une grande autonomie organisationnelle. Le médecin peut partager les locaux et équipements avec d'autres médecins, et être secondé par des assistants médicaux ou des infirmiers, tout en restant économiquement indépendant. Malgré une tendance à la baisse, 54 % des médecins généralistes exerçaient en cabinet individuel en 2021 (59 % en 2010)398(*) ;

- la deuxième forme d'organisation la plus répandue est la communauté d'exercice professionnel (Berufsausübungs-Gemeinschaft). Il s'agit d'une association de deux ou plusieurs médecins conventionnés formant une unité économique et organisationnelle. Les locaux, les installations, les appareils et le personnel, ainsi que la gestion et le traitement des patients sont mis en commun par l'ensemble du personnel médical399(*). En 2021, cette forme représentait environ 18 % des cabinets et centres de soins de ville400(*) ;

- enfin, les centres de soins ambulatoires (Medizinische Versorgungszentren - MVZ) sont des centres de santé regroupant des médecins spécialistes ainsi que des assistants médicaux, des infirmiers et des secrétaires médicaux. Prenant souvent la forme de sociétés à responsabilité limitée (Gesellschaft mit beschränkter Haftung, GmbH) ou de sociétés de personnes (Gesellschaft bürgerlichen Rechts, GbR), les MVZ permettent aux praticiens d'exercer en tant que médecins conventionnés libéraux ou en tant que salariés401(*). Ces entités sont comparables aux maisons de santé pluridisciplinaires et aux centres de santé médicaux français402(*). Il s'agit d'une forme d'exercice de plus en plus répandue : en 2022, l'Allemagne comptait 4 574 MVZ, contre 1 654 en 2010 (soit respectivement 4 % et 1,6 % de l'ensemble des cabinets et centres de soins en ville)403(*).

Les cabinets individuels, les communautés d'exercice professionnel et les MVZ sont soumis aux plans de besoins régionaux (Bedarfsplan), établis par les associations de médecins conventionnés. Ces instruments de régulation de l'offre de soins permettent d'équilibrer la répartition des médecins sur le territoire de chaque Land404(*).

Historique et principales caractéristiques des MVZ allemands

Les MVZ sont issus des anciennes Polikliniks de l'ex-Allemagne de l'Est. Alors qu'ils couvraient la quasi-totalité de la prise en charge de ville, leur nombre a progressivement chuté après 1989, à la suite de la réunification. Toutefois, un noyau dur de Polikliniks a subsisté et a suggéré, dans le cadre de la réforme de la sécurité sociale dite « Schröder » de 2003, de renouveler et de promouvoir ce mode d'exercice405(*).

La structure juridique des MVZ a été introduite par la loi sur la modernisation de l'assurance maladie obligatoire406(*), adoptée en novembre 2003 et entrée en vigueur en janvier 2004.

Selon l'article 95 du livre V du code social (SGB V), les principes suivants s'appliquent aux MVZ :

- les MVZ doivent être dirigés par un médecin. Le directeur médical doit lui-même travailler dans le MVZ en tant que médecin salarié ou médecin libéral conventionné. Si différents groupes de professions médicales travaillent ensemble dans un MVZ (par exemple des médecins et des psychothérapeutes), le MVZ peut également être géré en coopération ;

- des médecins libéraux conventionnés et/ou des médecins salariés peuvent travailler dans un MVZ. Tous les praticiens au sein d'un MVZ ne doivent pas nécessairement avoir le même statut407(*).

L'obligation des MVZ d'avoir des médecins d'au moins deux spécialités différentes a été supprimée en 2015.

Création d'un MVZ

Un MVZ peut être fondé par un médecin conventionné, un hôpital, un prestataire de services de dialyse non médicaux, un organisme d'utilité publique qui participe aux soins médicaux conventionnels sur la base d'une autorisation ou d'une habilitation ou par une commune.

Autorisation d'un MVZ

Pour qu'un MVZ puisse participer aux soins médicaux conventionnés, il doit détenir une autorisation. La commission d'admission de l'association de médecins conventionnés (Kassenärztliche Vereinigung - KV) statue sur la demande. Les conditions d'autorisation d'un MVZ sont notamment : la création par une personne ou entité autorisée à l'article 95 du livre V du code social, le choix d'une forme juridique adéquate, la présence d'au moins deux médecins conventionnés dans la structure et la gestion par un médecin (ou une gestion coopérative)408(*).

b) État des lieux du phénomène de financiarisation en santé
(1) Constats généraux

En Allemagne, le phénomène de financiarisation du secteur de la santé est apparu dès le début des années 2000, initialement dans le secteur des maisons de retraite médicalisées409(*). Il s'est accéléré à partir de 2015410(*) avec l'augmentation du nombre de rachats de cabinets médicaux et de centres de soins par des sociétés de capital-investissement (de 12 en 2015 à 140 en 2021, selon un chercheur indépendant)411(*).

Aujourd'hui, le débat sur la financiarisation du système de santé se focalise sur les MVZ dans le secteur ambulatoire. Initialement concentrée sur la biologie, la radiologie, l'odontologie et l'ophtalmologie, d'autres secteurs moins lucratifs comme la médecine générale sont désormais concernés par la financiarisation412(*).

De nombreux médias et journaux allemands relatent comment des MVZ sont utilisés comme véhicules par des investisseurs financiers privés pour intervenir dans le secteur des soins conventionnés413(*). Dans un premier temps, l'investisseur acquiert un hôpital, ce qui lui donne la compétence juridique pour acheter ou fonder un MVZ, puis il procède au rachat de cabinets médicaux. Les cabinets médicaux acquis et les postes de médecins correspondants sont alors attribués au MVZ en tant que filiales. Il en résulte un grand groupe de cabinets médicaux, potentiellement illimité en termes de nombre de cabinets et d'implantation géographique, qui peut ensuite être revendu par l'investisseur414(*). C'est notamment le schéma suivi par les sociétés de capital-investissement appliquant une stratégie dite « buy and build »415(*). Un phénomène de concentration de l'offre de soins de ville est souvent associé à la financiarisation des MVZ416(*).

L'intervention croissante de sociétés de capital-investissement dans le secteur de la santé fait l'objet d'importantes controverses dans le débat public ainsi que dans la littérature spécialisée et parmi les professionnels de santé. D'une part, certains craignent que les investisseurs privés fassent passer le profit économique avant la pérennité de l'entreprise rachetée, les intérêts des salariés ou encore la santé des patients et, d'autre part, certains soulignent que les investissements privés sont indispensables pour combler les lacunes en matière d'offre de soins et améliorer leur efficience417(*).

Au-delà des exemples cités dans la presse et les médias, le ministère fédéral de la santé souligne le manque de données disponibles et d'informations sur la structure de détention des MVZ418(*). À la demande des autorités sanitaires des Länder, celui-ci a néanmoins remis en septembre 2022 un rapport d'expertise sur les MVZ détenus par des investisseurs n'appartenant pas au secteur médical419(*), dont on peut retenir les points suivants :

- hors chirurgie dentaire, la part des postes de médecins dans les MVZ gérés par des investisseurs par rapport au nombre total de postes de médecins de ville au niveau fédéral était estimée entre 1,4 % et 2 % en 2020420(*). Au demeurant, un grand nombre de MVZ gérés par des investisseurs appartient au secteur particulier de la biologie421(*) ;

- dans la plupart des cas, les expertises disponibles nient l'existence de liens négatifs démontrables entre l'origine de la propriété et la qualité des soins dans les MVZ gérés par des investisseurs422(*) ;

- le statut des médecins salariés des MVZ s'est fortement rapproché de celui des médecins conventionnés. Les médecins salariés sont en général membres des associations de médecins conventionnés et soumis à leur pouvoir disciplinaire. Sur le plan médico-technique, les médecins salariés remplissent la même fonction que les médecins conventionnés423(*).

(2) L'exemple de la financiarisation des centres de soins ambulatoires (MVZ) dentaires

L'odontologie est l'un des secteurs où les phénomènes de financiarisation et de concentration se sont amplifiés depuis 2015, avec l'émergence de trois grandes chaînes de cabinets dentaires détenues par des investisseurs (par l'intermédiaire d'un hôpital) : Acura qui possède 96 MVZ détenus par la société de capital-investissement de Bahreïn Investcorp ; les chaînes Colosseum et Dentconnect détenues par la société suisse Jacobs Holding, qui disposent de 79 MVZ au total et la chaîne Zahneins, appartenant à la société française PAI Partners, qui dispose de 77 MVZ424(*).

En 2020, on dénombrait 793 MVZ dentaires portées par des professionnels de santé ou des structures publiques et 207 MVZ appartenant à des investisseurs financiers425(*). La part des MVZ dentaires exploités par des investisseurs était estimée à 0,5 % de l'ensemble des cabinets dentaires426(*).

La participation des investisseurs étrangers au secteur de la santé dans le secteur dentaire se poursuit à un rythme dynamique. Au 31 décembre 2023, l'association fédérale des dentistes conventionnés (Kassenzahnärtzliche Bundesvereinigung, KZBZ) recensait 468 MVZ dentaires appartenant à des investisseurs, soit environ 30 % de l'ensemble des MVZ dentaires427(*). Près de 60 % des MVZ dentaires des investisseurs se situent dans les Länder de Bavière, du Bade-Wurtemberg et de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, qui possèdent une population importante et une économie dynamique. En revanche, très peu de MVZ dentaires appartenant à des investisseurs sont implantés dans des Länder d'Allemagne de l'Est (seulement 14 sur 468)428(*).

Selon la KZBZ, les MVZ dentaires portés par des investisseurs tiers ne permettent pas d'améliorer la prise en charge au niveau régional et ne contribuent pas à la coopération pluridisciplinaire429(*). Aucun des hôpitaux de rattachement de ces MVZ ne possède de services en lien avec la chirurgie dentaire. L'association considère également que la concentration qui accompagne le phénomène de financiarisation comporte un risque de lacunes régionales dans l'offre de soin, en cas de faillite ou de fermetures de certaines chaînes, comme cela a pu être observé en Espagne (iDental en 2018) et en France (Dentexia en 2016)430(*).

En ce qui concerne les prestations et honoraires pratiqués, une étude réalisée par l'institut de recherche IGES (Institut für Gesundheits- und Sozialforschung) en Bavière montre que les MVZ gérés par des investisseurs facturent des volumes de prestations plus importants pour un même cas et réalisent plus souvent de nouvelles prothèses dentaires431(*). Les MVZ dentaires gérés par des investisseurs privés ne représentent toutefois pas un danger significatif pour la qualité et la sécurité des soins, selon le ministère fédéral de la santé432(*).

c) L'introduction de mesures d'encadrement des centres de soins ambulatoires (MVZ)

Le cadre juridique des MVZ (cf. encadré supra) a été modifié à plusieurs reprises depuis 2004 afin de protéger l'intégrité des médecins contre toute influence étrangère, d'empêcher une prise de position anticoncurrentielle de certains acteurs et de garantir l'offre de soins sur tout le territoire.

En particulier, en 2012, la loi sur l'amélioration des structures de soins dans l'assurance maladie obligatoire433(*) a :

limité le cercle des personnes et entités autorisées à fonder un MVZ à certains prestataires de santé conventionnés (médecins, hôpitaux, services de dialyse) et aux organismes d'utilité publique (qui participent aux soins sur la base d'une autorisation ou d'une convention). L'exposé des motifs de la loi justifiait l'introduction de cette nouvelle règle par le fait que les MVZ étaient de plus en plus souvent fondés par des investisseurs n'ayant aucun lien professionnel avec les soins médicaux, mais qui poursuivent uniquement des intérêts financiers434(*). Comme expliqué précédemment, cette règle a toutefois été détournée par l'utilisation des hôpitaux comme vecteurs pour fonder des MVZ ;

restreint les formes juridiques autorisées aux sociétés de personnes (Gesellschaft bürgerlichen Rechts - GbR), aux coopératives enregistrées (eingetragene Genossenschaft - e.G.) et aux sociétés à responsabilité limitée (Gesellschaft mit beschränkter Haftung - GmbH). En revanche, les MVZ ne peuvent plus prendre la forme d'une société en nom collectif (Offene Handelsgesellschaft - OHG), d'une société en commandite (Kommanditgesellschaft - KG), d'une société anonyme (Aktiengesellschaft - AG) ou d'une société en commandite par actions (Kommanditgesellschaft auf Aktien - KGaA) ;

défini la notion de « direction médicale » du MV afin de s'assurer que celle-ci est assurée par un médecin salarié ou conventionné en activité et exclure les personnes extérieures au corps médical. L'objectif était de garantir que les décisions médicales soient prises indépendamment de toute considération étrangère435(*).

La loi du 11 mai 2019 pour des rendez-vous plus rapides et de meilleurs soins (TSVG)436(*) avait également pour objectif de limiter l'influence des investisseurs financiers externes sur les soins fournis par les MVZ. Pour ce faire, elle a :

- limité la possibilité de création de MVZ par des prestataires de dialyse non médicaux en précisant que cette catégorie d'acteurs peut uniquement créer des MVZ en lien avec leur activité ;

- introduit des quotas maximaux de soins fournis par les MVZ dentaires appartenant à des hôpitaux. Ces limites varient selon chaque zone de planification des soins (Planungsbereich). L'objectif était d'éviter que certains hôpitaux n'acquièrent une position dominante sur le marché des soins dentaires.

Parallèlement, plusieurs assouplissements ou mesures facilitant le développement des MVZ ont été introduits. Ainsi, en 2015437(*), l'exigence de pluridisciplinarité de l'équipe médicale a été supprimée. Depuis cette date, il est donc possible de créer des MVZ avec des médecins issus d'une seule spécialité, par exemple des MVZ purement dentaires. Par ailleurs, la faculté de créer des MVZ a été ouverte aux communes en 2015438(*) et aux réseaux de cabinets médicaux reconnus par les associations de médecins conventionnés (définis à l'article 87 b paragraphe 2 du livre V du code social) en 2019439(*).

Le ministère fédéral de la santé relève que le rapport d'experts mandaté en 2020 pour évaluer le cadre juridique des MVZ440(*) a critiqué les restrictions déjà en vigueur. Selon ce rapport, les risques éventuels pour la qualité des soins doivent être évités grâce à des mesures ciblées, au niveau de l'organisation interne des MVZ, et non par des restrictions du champ des propriétaires de MVZ. Il critique également les quotas maximaux de soins dans le secteur dentaire en ce qu'ils ne permettent pas d'atteindre les objectifs poursuivis par le législateur, à savoir l'ouverture des marchés et la diversité des prestataires, la protection de la santé, la rentabilité et la couverture de l'ensemble du territoire441(*).

d) Les propositions de réforme des centres de soins ambulatoires (MVZ)

Depuis plusieurs années, les associations de médecins et dentistes conventionnés442(*), ainsi que la chambre fédérale des médecins (Bundesärtzekammer)443(*), demandent une réglementation plus stricte des conditions de création et d'exercice des MVZ. L'association fédérale des exploitants de MVZ (Bundesverband der Betreiber medizinischer Versorgungszentren, BBMV) souligne quant à elle que la réglementation des MVZ est soumise à des limites constitutionnelles (cf. encadré infra), comme le principe d'égalité et la liberté d'exercice professionnel, et que des règles trop restrictives à l'égard des MVZ entraîneraient une détérioration de l'offre de soins444(*). La fédération des caisses publiques d'assurance maladie (GKV Spitzenverband) soutient l'introduction de règles plus claires et plus transparentes mais aussi plus uniformes entre les différents prestataires de soins ambulatoires (cabinets individuels, communautés d'exercice professionnel et MVZ)445(*).

Le ministre fédéral de la santé, Karl Lauterbach, s'est prononcé à plusieurs reprises en faveur de mesures de restriction des MVZ afin de limiter le phénomène de financiarisation. Fin 2022, il a déclaré vouloir mettre « un frein à l'achat de cabinets médicaux par des investisseurs avides de profits absolus » et annoncé un projet de loi au premier trimestre 2023446(*). Malgré les pistes avancées par le ministère fédéral de la santé dans le rapport d'experts remis aux Länder en septembre 2022 et la résolution du Bundesrat du 16 juin 2023, aucune nouvelle mesure d'encadrement des MVZ n'a été présentée à ce jour par le gouvernement fédéral. Ainsi, le projet de loi sur le renforcement des soins de santé au niveau local (Gesetz zur Stärkung der Gesundheitsversorgung in der Kommune)447(*), déposé devant le Bundestag le 2 mai 2024, entend faciliter la création des MVZ par les communes mais ne contient pas de mesure relative à la financiarisation de ces structures.

En l'absence de consensus politique sur les contours d'une réforme des MVZ, les mesures proposées à ce jour, d'une part, par le ministère fédéral de la santé au niveau technique et, d'autre part, par le Bundesrat sont présentées ci-dessous.

(1) Les pistes de réforme du rapport d'experts du ministère fédéral de la santé

Le rapport d'experts sur les MVZ gérés par des investisseurs financiers, remis par le ministère fédéral de la santé aux autorités sanitaires des Länder fin 2022 présente plusieurs mesures d'encadrement des MVZ et en écarte d'autres. Il estime que la participation d'investisseurs financiers ne présente un danger pour la sécurité de l'offre de soins que dans quelques cas « sporadiques », notamment dans le secteur de la chirurgie dentaire448(*). Dans la plupart des autres cas, les études disponibles n'établissent pas de liens de causalité négatifs entre la présence d'investisseurs financiers et la qualité des soins prodigués449(*).

Sur la base de ces constats, le rapport avance les pistes d'évolution suivantes :

introduire des mesures de restriction supplémentaires en matière de soins dentaires. Il est d'abord proposé de renforcer la réglementation des quotas maximaux de soins applicable aux MVZ dentaires appartenant à des hôpitaux. Les quotas actuels (fixés à 10 %) se réfèrent uniquement à l'hôpital individuel et n'empêchent donc pas un investisseur d'augmenter l'offre de soin de ses MVZ dentaires en acquérant plusieurs hôpitaux. Il est également suggéré d'introduire l'obligation d'un lien géographique et professionnel entre l'hôpital fondateur et les MVZ dentaires de sorte que les MVZ se trouvent dans la même zone de planification que celle de l'hôpital fondateur et que ce dernier participe effectivement aux soins dentaires dans le cadre de la planification hospitalière. Enfin, il est proposé d'introduire un « examen d'aptitude » pour les MVZ dentaires qui consiste à apprécier si un MVZ est orienté vers le rendement (au moyen d'indices tels que le transfert des bénéfices réalisés à des tiers, l'existence d'objectifs de rendement excessifs ou la formation de chaînes de cabinets)450(*) ;

préciser les dispositions législatives relatives à la direction médicale du MVZ. Il s'agirait notamment de prévoir un volume d'activité minimal afin de garantir que le directeur médical ne se contente pas de diriger formellement le MVZ, mais qu'il le fasse effectivement et de préciser que la liberté d'instruction médicale ne s'applique pas au seul directeur médical et qu'il lui incombe de protéger les autres médecins du MVZ de toute influence. Des recommandations pourraient aussi être adoptées par l'association fédérale des médecins conventionnés et la fédération des caisses d'assurance maladie afin de garantir que les accords contractuels entre le directeur médical et la société de gestion du MVZ ne contiennent pas d'incitations financières pour le directeur médical, susceptibles de porter atteinte à son indépendance médicale. L'idée d'une protection particulière du directeur médical contre la révocation et le licenciement est également mentionnée ;

renforcer la transparence des MVZ. Premièrement, il est proposé d'introduire une obligation d'affichage pour les MVZ afin d'améliorer l'information des patients. Chaque MVZ devrait indiquer sur une plaque le nom et la forme juridique de la structure, le siège et le représentant légal du responsable direct (ie. médecin conventionné ou hôpital) et l'identité du directeur médical. Deuxièmement, en vue de recenser les structures porteuses de MVZ, les MVZ autorisés devraient obligatoirement être inscrits dans les registres médicaux existants et dans le registre des prestataires de services prévu à l'article 293, paragraphe 4, du livre V du code social. Les registres devraient contenir des informations sur l'identité et le type d'organisme responsable, la forme juridique et la direction médicale des MVZ. Troisièmement, le rapport mentionne la proposition de création d'un registre distinct pour les MVZ dentaires, comportant des informations complètes sur la structure de propriété et l'actionnariat. Il indique toutefois qu'un tel registre, comportant toutes les structures de propriété en aval, serait « intrusif » et qu'il existe des doutes quant à sa compatibilité avec le droit constitutionnel et sa faisabilité en termes de charge administrative451(*).

Par ailleurs, le rapport exclut catégoriquement l'introduction de nouvelles restrictions en matière de création de MVZ (autres que les MVZ dentaires), en particulier l'exigence d'un lien géographique et professionnel entre le MVZ et l'hôpital fondateur. Selon ce rapport, « la situation juridique actuelle offre déjà un niveau de protection élevé contre d'éventuelles atteintes à l'intégrité médicale, notamment grâce aux dispositions de protection relevant du droit professionnel et disciplinaire ainsi qu'à la fonction de protection du directeur médical contre une influence étrangère et aux instruments d'assurance qualité existants. Ainsi, non seulement le médecin ou le dentiste travaillant dans le centre de soins est protégé contre toute influence étrangère mais les associations de médecins et de dentistes ont également la possibilité de procéder à un contrôle intensif de la qualité par des sondages individuels et, dans certains cas, par des enquêtes complètes dans les centres de soins médicaux »452(*). En outre, une telle restriction applicable aux seuls hôpitaux et non à l'ensemble des fondateurs de MVZ est jugée discriminatoire et tendrait à favoriser les grands groupes hospitaliers disposant de nombreux sites.

(2) La résolution du Bundesrat en faveur d'une loi d'encadrement des MVZ

Le 16 juin 2023, le Bundesrat a adopté, à l'initiative des Länder de Bavière, de Rhénanie-Palatinat, du Schleswig-Holstein et de Hambourg, une résolution dans laquelle il demande au gouvernement fédéral de réglementer plus strictement les MVZ453(*). À la date de rédaction de la présente étude, le gouvernement fédéral n'avait pas donné suite à cette résolution.

Dans l'exposé des motifs, le Bundesrat évoque la croissance rapide du nombre de MVZ soutenus par des investisseurs financiers, le risque de concentration excessive et la menace que cela représente pour une prise en charge globale sur l'ensemble du territoire. « Les investisseurs ont tendance à déplacer les capacités de soins vers des zones urbaines lucratives et à se concentrer davantage sur des prestations facilement modulables et génératrices de chiffre d'affaires, avec pour conséquence possible que l'ensemble de l'éventail des traitements ne soit plus représenté »454(*).

Pour contrer ces tendances, le Bundesrat demande au gouvernement fédéral de mettre en oeuvre neuf mesures, généralement plus restrictives que celles envisagées par le ministère de la santé dans le rapport précité, et plus proches des revendications des associations de médecins et dentistes conventionnés.

En matière de transparence, la résolution du Bundesrat demande l'introduction d'une obligation d'identification pour les promoteurs et les exploitants de MVZ sur la plaque du cabinet (y compris l'identification de la forme juridique du centre) ainsi que la création d'un registre spécifique aux MVZ, dans lequel les structures de propriété en aval devraient être publiées, et d'une obligation d'inscription dans le registre comme condition d'autorisation pour les MVZ.

Concernant les conditions de création des MVZ, le Bundesrat propose une limitation géographique en vertu de laquelle les hôpitaux ne pourraient à l'avenir créer un MVZ que dans un rayon de 50 kilomètres autour de leur siège (avec des exceptions pour les zones où l'offre de soins est réduite). Cette mesure tendrait à remettre au premier plan l'objectif initial des MVZ, à savoir une meilleure imbrication entre les soins ambulatoires et les soins hospitaliers455(*).

L'introduction de quotas de soins maximaux pour tous les nouveaux MVZ créés par des organismes tiers est également proposée, mais à un niveau plus élevé que ceux applicables aux MVZ dentaires. Ainsi, dans une zone de planification, un MVZ ne pourrait avoir une part d'approvisionnement en soins supérieure à 25 % pour les médecins généralistes et 50 % pour les spécialistes. L'objectif de ces quotas de soins est d'empêcher le processus de concentration et les tendances à la constitution de monopoles, mais aussi de créer un parallélisme avec les MVZ dentaires. Des exceptions seraient possibles pour les zones sous-dotées en médecins456(*).

Enfin, la résolution contient des propositions visant à protéger l'indépendance de l'exercice de la profession médicale dans les MVZ, similaires à celles du ministère fédéral de la santé (protection particulière contre la révocation et le licenciement de la direction médicale, directives sur le volume minimal d'activité du directeur médical). En outre, la résolution demande que le code social soit modifié afin de prévoir la possibilité de prononcer des mesures disciplinaires contre les MVZ et non pas uniquement contre les médecins conventionnés y exerçant457(*).

Le cadre constitutionnel et européen de limitation de l'exercice des MVZ

En Allemagne, les mesures restrictives au niveau de l'accès au marché ou de l'entreprise constituent régulièrement des atteintes à la liberté professionnelle, protégée au titre des droits fondamentaux (article 12, paragraphe 1 de la Loi fondamentale). De telles interventions sont admises si elles poursuivent un objectif légitime et sont appropriées et nécessaires pour atteindre cet objectif.

Le législateur poursuit un but légitime lorsqu'il vise à éviter une influence étrangère à l'activité de traitement médical dans les centres de soins. En revanche, il n'y a pas d'objectif légitime lorsque des réglementations restrictives servent uniquement, en apparence, à protéger la santé et ont en fait pour but de protéger certains prestataires de soins contre une concurrence indésirable. La protection contre la concurrence pour elle-même ne constitue pas un objectif légal reconnu par la Loi fondamentale.

Pour évaluer le caractère approprié et nécessaire, le législateur dispose d'une marge d'appréciation et de pronostic. Il doit cependant établir des « prévisions de danger » sur la base de risques identifiables et réalistes. Le simple fait d'évoquer des risques, notamment par des représentants d'intérêts, ne remplit pas cette condition.

En outre, le législateur est tenu d'adapter de manière conforme à la Loi fondamentale un pronostic de danger antérieur et les restrictions prises sur cette base, dans la mesure où cela est nécessaire en raison d'une modification des conditions réelles ou d'un changement des connaissances. Enfin, le législateur ne peut pas, en raison du principe constitutionnel d'égalité (article 3, alinéa 1 de la Loi fondamentale), traiter un groupe de destinataires de la norme de manière sensiblement différente par rapport à un autre groupe, bien qu'il n'existe pas entre les deux groupes de différences d'une nature et d'une importance telles qu'elles justifient la différence de traitement458(*).

Par ailleurs, des restrictions de création des MVZ trop importantes peuvent potentiellement porter atteinte à la liberté d'établissement protégée par les articles 49 et 54 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), si elles ne sont pas justifiées par des raisons impérieuses d'intérêt général.

Sources : ministère fédéral de la santé et BBMV

2. En Suède, une financiarisation liée à l'ouverture à la concurrence des soins primaires

Le système de santé suédois, largement décentralisé aux régions et aux municipalités, reposait historiquement quasiment exclusivement sur des prestataires de soin publics. La réforme dite du « libre choix » de 2010 marque une étape importante dans l'émergence d'une offre de soins privée : elle a ouvert à la concurrence le secteur des soins primaires et permis aux patients de choisir librement leur prestataire, qu'il soit privé ou public, à condition qu'il ait conclu un contrat avec la région et, pour les centres de soins primaires, de s'être préalablement inscrit.

Le phénomène de financiarisation est apparu de façon concomitante avec la privatisation des années 2010. Ces deux phénomènes concernent principalement le secteur des soins primaires : en 2021, 45 % des quelque 1 200 centres de soins primaires appartenaient au secteur privé et il est estimé qu'un tiers des centres de soins à but lucratif était détenu par des sociétés de capital-investissement.

L'essor des prestataires de soins privés soutenus par des sociétés de capital-investissement est tantôt controversé (en termes d'équité et de qualité des soins), tantôt considéré comme ayant des effets positifs, notamment sur le développement de la télémédecine et en termes d'efficacité des services fournis. Cependant, les études disponibles ne permettent pas de tirer de conclusions fermes sur l'impact global de l'actionnariat privé sur l'offre de soins primaires en Suède.

Il n'existe pas de réglementation spécifique concernant l'intervention d'investisseurs financiers dans le secteur de la santé en Suède. Cependant, la loi de 2023 sur les investissements directs étrangers, qui prévoit des obligations de notification et d'autorisation pour les investissements dans des secteurs jugés critiques, s'applique potentiellement aux entreprises suédoises du secteur de la santé.

a) Le cadre général : l'organisation et la gouvernance du système de santé

Le système de santé suédois est décentralisé et organisé en trois niveaux : national, régional et local459(*).

Au niveau national, le ministère de la santé et des affaires sociales, avec le soutien de nombreuses agences460(*), est responsable de la politique générale de santé et de la supervision du système.

Les 21 régions (autrefois dénommées comtés), dont le rôle central a été reconnu par la loi de 1982 sur les services de santé, sont responsables du financement, de l'achat et de la fourniture des soins de santé primaires, spécialisés et psychiatriques461(*). Les régions collaborent au sein de six grandes zones géographiques appelées « régions de soins de santé collaboratifs », qui disposent chacune d'au moins un hôpital universitaire. En 2023, on dénombrait également 59 hôpitaux régionaux réservés aux urgences, un grand nombre de cliniques spécialisées, environ 1 200 centres de soins primaires et 4 430 cliniques dentaires462(*).

Au niveau local, les 290 municipalités sont en charge des soins aux personnes handicapées, des services de réadaptation, des soins à domicile, des soins aux personnes âgées et des soins de santé scolaire. Elles gèrent environ 25 % des dépenses de santé463(*).

Vue d'ensemble du système de santé suédois

Parliament (Riksdag)

National government

Ministry of Health and Social Affairs

6 collaborative health care regions

290 municipalities

Government agencies: NBHW, IVO, SBU, PHA, MPA,

TLV, FORTE, EHA, MFD, MFoF, AHCSA, HSAN, SIA

21 regions

7 university hospitals

Providers of health care and care to elderly and people with

functional impairments (ordinary and special housing)

59 regional emergency hospitals

1 450 pharmacies

Specialized medical clinics

1 100 -1 200 CSPs

4 430 Dental clinics

Source : Janlöv Nils et al., Sweden - Healthcare system review, European Observatory on Health and Policies (vol. 25, no. 4) , 2023, p. 19.

En raison du fort degré de décentralisation et de la tradition d'autonomie locale suédoise, il existe des disparités géographiques dans la manière dont les soins de santé sont organisés et fournis464(*). Ces inégalités ont entraîné, depuis la fin des années 1990, un mouvement de concentration et de recentralisation à l'échelle régionale, notamment à travers des fusions d'hôpitaux et la création de centres régionaux de traitement du cancer ou d'autres soins hautement spécialisés. Cette politique de recentralisation vise à maintenir la qualité des soins en concentrant les procédures peu courantes dans des centres spécialisés. Parallèlement, les régions se sont engagées à renforcer les services de santé de proximité en développant les centres de soins primaires et à améliorer l'accès aux services de santé numériques à distance465(*).

En dépit de ces efforts, une recentralisation du système de santé au niveau national est actuellement à l'étude afin d'améliorer l'efficacité et l'équité du système de santé et de réduire les délais d'attente pour les patients. Une commission spéciale a été nommée à cet effet par le gouvernement de centre-droit (dans le cadre de l'accord de Tidö) et devrait rendre ses conclusions en juin 2025466(*).

Le système de santé suédois est principalement financé par l'impôt et offre une couverture santé universelle étendue, avec des tickets modérateurs relativement faibles pour les patients467(*). L'assurance santé privée est peu développée, même si elle progresse depuis 15 ans468(*).

L'assurance santé privée469(*)

En 2018, près de 660 000 Suédois possédaient une assurance santé privée (privat sjukvårdsförsäkring), soit environ une personne sur sept parmi les employés âgés de 16 à 64 ans. Bien que l'assurance santé privée devienne plus courante, elle ne représentait encore que 0,6 % de l'ensemble des dépenses de santé en 2019. En Suède, l'assurance santé privée peut être souscrite individuellement ou en tant que police de groupe, souvent par l'intermédiaire de l'employeur ou d'un syndicat. En 2018, environ 90 % des polices étaient des polices de groupe, dont environ deux tiers étaient souscrits par les employeurs. L'assurance santé privée est plus répandue dans les régions métropolitaines et dans les secteurs de la construction et des services financiers. Pour souscrire à une assurance santé, certaines conditions sont imposées par l'assureur, comme une déclaration de santé ou un examen médical, ou, dans le cas des assurances payées par l'employeur, la capacité de travailler à plein temps.

L'assurance santé privée couvre des mesures préventives, des soins spécialisés planifiés et de la rééducation, mais pas les soins d'urgence. Les services de santé proposés complètent principalement ceux du système de santé public, avec des garanties d'accès plus rapide aux soins. Les compagnies d'assurance collaborent avec des prestataires de soins privés, qui peuvent également avoir des accords parallèles avec plusieurs compagnies d'assurance et plusieurs régions. Ces accords parallèles et la possibilité que les prestataires privés privilégient les patients ayant une assurance santé privée ont suscité un débat sur le respect du principe de priorité en fonction des besoins.

Depuis juillet 2018, l'assurance santé privée payée par l'employeur est un avantage imposable pour les employés. Le gouvernement précédent a également lancé une enquête indépendante pour réglementer le marché privé de l'assurance santé et empêcher les prestataires privés de prioriser les patients ayant une assurance santé privée.

b) Une ouverture plus large à la concurrence depuis la réforme de 2010 sur la liberté de choix en matière de soins primaires

En Suède, l'offre de soins, que ce soit dans le domaine hospitalier ou celui des soins primaires, repose traditionnellement sur des établissements publics gérés par les régions ou les municipalités. En 2020, 83 % de la production de soins (en termes de dépenses) était assurée par des prestataires publics470(*).

La loi de 2008 sur le système de choix dans le secteur public471(*), obligatoire depuis janvier 2010 dans le secteur de la santé, a marqué une césure importante en ouvrant à la concurrence les soins de santé gérés par les régions et les municipalités. Cette réforme instaure, d'une part, la liberté d'établissement pour tous les prestataires de santé publics et privés remplissant les exigences fixées par les régions ou municipalités et, d'autre part, consacre la liberté des patients de choisir librement leur prestataire de soins primaires, qu'il soit public ou privé, à condition que ce dernier ait conclu un contrat avec la région472(*). Parallèlement aux soins fournis par des établissements publics, les régions peuvent conclure des marchés publics avec des prestataires privés pour la fourniture de soins de santé, financés par la puissance publique.

Les exigences fixées par les régions pour autoriser un prestataire à s'installer concernent généralement les compétences cliniques, les heures d'ouverture, l'accessibilité et le respect de certaines lignes directrices. De plus, les prestataires de santé doivent avoir passé un contrat avec la région pour obtenir des remboursements de l'assurance maladie publique. Si le prestataire de santé privé n'est pas sous contrat, le patient doit payer la totalité des traitements et soins reçus473(*).

Les soins primaires474(*)

En Suède, les soins primaires revêtent une importance de premier plan. Ils sont principalement financés et gérés par les régions, qui supervisent les centres de soins primaires (CSP), les centres d'urgence communautaires et les soins de santé maternelle. Les municipalités financent quant à elles les soins de santé pour les patients qui bénéficient de services sociaux, les soins de santé à domicile (par exemple pour les personnes âgées) et les soins de suite après une hospitalisation.

Les quelque 1 200 CSP sur le territoire suédois fournissent généralement des services de médecine générale, de réadaptation, de soutien psychosocial et d'urgence au niveau local. L'offre de services spécifiques comme les soins pédiatriques, les soins podologiques, la santé maternelle et les centres pour jeunes varie d'une région à l'autre, certains les intégrant aux services de base, tandis que d'autres les proposent en option.

Le rôle de filtre des soins primaires varie également selon les régions, permettant aux patients de consulter des spécialistes ambulatoires, localement ou dans une autre région. Les consultations en soins primaires sont assurées par divers professionnels de la santé, incluant médecins, infirmières, physiothérapeutes et psychologues. En complément des CSP traditionnels, les consultations numériques en soins primaires ont connu une expansion rapide, en particulier pendant la pandémie de covid-19 (de 20 000 téléconsultations en 2016 à 2,3 millions en 2020).

Depuis la réforme de 2010, le système suédois se caractérise par le libre choix des patients entre prestataire de soins public et privé et une liberté d'établissement permettant aux prestataires de s'installer dans différentes régions. Les régions définissent les responsabilités des CSP, les modes de paiement (ie. paiement à l'acte, paiement par capitation, paiement à la performance) et les niveaux de rémunération, offrant ainsi une compensation aux prestataires qui respectent les critères régionaux, selon des modalités très hétérogènes.

Par ailleurs, depuis 2022, le choix des prestataires est régulé au niveau national, obligeant les patients à s'inscrire préalablement auprès d'un CSP (public ou privé) ayant contractualisé avec la région. Ils ont la possibilité de changer de prestataire deux fois par an au maximum.

La loi sur le patient de 2015475(*) a amplifié la liberté de choix des patients en leur permettant de choisir un prestataire de soins primaires ou un prestataire de soins spécialisés ambulatoires dans tout le pays, quelle que soit leur région d'origine.

Cette liberté de choix du prestataire sans restriction géographique a eu des conséquences inattendues, notamment en favorisant l'émergence de nouveaux prestataires de santé numérique à travers le pays. Ces prestataires spécialisés dans les soins en ligne offrent leurs services à l'échelle nationale (par exemple les sociétés Capio AB, Nordic Healthcare, Praktikertjänst et Kry International), suscitant un débat sur l'augmentation des dépenses de santé et la nécessité d'adopter une approche davantage fondée sur les besoins.

L'ouverture à la concurrence et le libre choix des prestataires de santé permis par la réforme de 2010 ont entraîné une hausse du nombre de prestataires de santé privés et de leur part dans les dépenses de santé, en particulier dans le secteur des soins primaires (cf. encadré infra).

c) L'essor de l'offre de soins privée et le phénomène de financiarisation

La diversité des acteurs privés

En Suède, les services de santé privés comprennent à la fois des établissements à but non lucratif et des établissements à but lucratif :

- le secteur privé non lucratif se compose principalement de fondations ou de structures de type associatif. Ces organisations réinvestissent les excédents financiers dans l'amélioration des services et des infrastructures ; d'autres structures de santé fonctionnent comme des coopératives ou des associations, où les membres peuvent participer à la gestion et aux décisions. Ces établissements visent souvent à offrir des soins de qualité à des prix accessibles. Ceux-ci ont toujours été moins nombreux comparé au secteur à but lucratif. Selon l'OCDE, la croissance rapide du marché suédois des soins de santé au cours des vingt-cinq dernières années n'aurait pas été possible avec les seules entreprises à but non lucratif, qui ne souhaitent généralement pas ou n'ont pas la possibilité de se développer à la même échelle476(*). Le secteur à but non lucratif est moins étendu en Suède comparé aux pays voisins comme le Danemark, la Norvège et la Finlande477(*) ;

- le secteur privé à but lucratif se compose principalement d'établissements sous forme de filiales de grands groupes liés au capital-investissement. Ils peuvent offrir des soins de haute qualité, des temps d'attente réduits et des services supplémentaires, souvent à des coûts plus élevés ; ces établissements se concentrent souvent sur des prestations spécialisées, comme les soins dentaires, la chirurgie esthétique, et les soins de bien-être, qui peuvent ne pas être entièrement couverts par l'assurance publique. Les formes de sociétés privées de prestation de santé sont assez diverses : chaînes nationales, coopératives, groupes régionaux et centres indépendants478(*).

Les statistiques sur les structures juridiques des prestataires de soins primaires ne sont pas disponibles au niveau national, mais les données des régions de Stockholm et de Skåne indiquent que les principaux acteurs privés en soins primaires sont des entreprises ou des coopératives opérant à l'échelle nationale479(*).

Malgré la couverture universelle et de haute qualité de l'assurance santé publique en Suède, un certain nombre de Suédois optent également pour une assurance santé privée (cf. encadré supra). La motivation principale de recours à une assurance privée est de raccourcir le délai d'attente pour les consultations avec des spécialistes et pour certains traitements. Celui-ci est sensiblement plus court dans le secteur privé, notamment pour des consultations non urgentes ou des interventions électives. L'assurance privée donne généralement accès à un plus grand choix de prestataires de soins de santé, y compris des cliniques et des hôpitaux privés. En outre, ces établissements offrent souvent plus de flexibilité pour la prise de rendez-vous. Certaines assurances privées couvrent des services qui ne sont pas inclus ou qui sont limités dans l'assurance publique, tels que la physiothérapie, l'ostéopathie, la psychologie ou des traitements de bien-être spécifiques.

En Suède, le débat sur l'intervention de fonds de capital-investissement dans les établissements de santé privés existe également. Il suscite des controverses similaires à celles observées dans d'autres pays européens.

Deux enjeux principaux animent ces controverses :

· D'une part, la question de l'émergence d'un système de soins à deux vitesses, parallèlement à une possible dégradation de la qualité des soins au profit de la rentabilité.

Le marché de la santé privé en Suède a vu une augmentation significative des investissements privés et des fonds de capital-investissement. Des entreprises comme Aleris, une grande société de soins de santé privée en Scandinavie, illustrent cette tendance480(*). Les investissements privés visent souvent à améliorer l'efficacité et à réduire les temps d'attente, mais ils soulèvent également des préoccupations concernant la qualité des soins et l'équité d'accès.

La réforme de 2010 a renforcé la concurrence entre les prestataires agréés pour l'obtention de financements publics, entrainant une croissance rapide des prestataires privés. Des inquiétudes ont été exprimées quant au fait que les prestataires motivés par le profit sélectionneraient des patients présentant des risques moindres.

Le débat sur la participation des sociétés de capital-investissement dans le secteur de la santé est ainsi apparu dès les années 2010, après l'entrée en vigueur de la réforme sur le libre choix. Du côté des partisans des investissements privés, on estime généralement que ces derniers apportent des innovations et améliorent l'efficacité des services grâce à des pratiques de gestion modernes. Ils soutiennent que la participation de ces sociétés augmente la diversité et les options pour les utilisateurs des services, favorisant ainsi la compétition et l'amélioration continue. En revanche, les opposants soulignent que les bénéfices générés par ces sociétés sont souvent transférés à des actionnaires privés, parfois vers des paradis fiscaux, au lieu d'être réinvestis dans l'amélioration des services publics, tout en dénonçant une dérive dans l'utilisation des fonds publics. En outre, il est reproché à ces sociétés de trouver des moyens de minimiser leurs impôts, augmentant ainsi le coût pour les contribuables. La priorité donnée aux profits peut également conduire à des coupes budgétaires dans des domaines essentiels comme le personnel et la qualité des services481(*).

La question de la qualité des services fournis par les sociétés de capital-investissement a également été soulevée en 2013. Des incidents de mauvaise gestion et de négligence dans les soins aux personnes âgées étaient mis en lumière. Sur la question de la profitabilité du marché de la santé, les opposants soulignaient également que les sociétés de capital-investissement auraient souvent une perspective de court terme, cherchant à maximiser les profits rapidement avant de vendre, ce qui peut nuire à la durabilité des services. Les défenseurs soulignent en revanche que les entreprises privées peuvent être plus flexibles et réactives aux besoins changeants des utilisateurs, apportant des améliorations continues aux services offerts482(*).

De même, la régulation des sociétés de capital-investissement dans les secteurs de la santé et des soins était jugée insuffisante, avec des appels à des contrôles plus stricts pour garantir la qualité et l'éthique des pratiques. Les critiques proposent de renforcer les règles pour s'assurer que les entreprises respectent des normes de qualité élevées et s'engagent sur le long terme dans ces secteurs. Toutefois, un encadrement juridique souple avait été privilégié en 2010 afin de ne pas étouffer l'innovation et la diversité des prestataires483(*).

Une étude universitaire de 2021484(*) a cherché s'il existait une corrélation entre de meilleurs résultats financiers, une meilleure qualité des soins et une meilleure disponibilité des services par rapport au système public. L'étude s'est basée sur les données de deux principaux fournisseurs du secteur des soins secondaires, appartenant à des fonds de capital-investissement : Capio AB et Aleris. Cette étude montre qu'il n'y a pas nécessairement de corrélation négative entre la performance financière et la qualité des soins, contredisant ainsi les critiques de certains responsables publics, selon lesquelles des marges bénéficiaires plus élevées se feraient au détriment de la qualité des soins. Les fournisseurs appartenant à des fonds de capital-investissement n'obtiendraient pas nécessairement des scores plus bas en matière de qualité et de disponibilité des soins, malgré la pression financière élevée.

Dans une étude publiée en octobre 2023485(*), l'Association européenne de santé publique (Eupha) a analysé les marchés publics conclus entre les régions et les prestataires de soins privés, tout en examinant les stratégies employées par les collectivités compétentes afin d'éviter la sélection des patients selon le risque. Selon cette étude, en 2020 :

- plus de 270 nouveaux centres de soins primaires privés avaient été créés, la plupart d'entre eux étant à but lucratif ;

- 40 % des quelque 1 200 centres de soins primaires étaient privés ;

- environ un tiers des centres de soins privés à but lucratif étaient détenus par des sociétés de capital-investissement en 2018.

L'étude montre que les collectivités se sont appuyées principalement sur trois stratégies pour éviter la sélection des patients selon le risque : l'ajustement des remboursements financiers en fonction de l'état de santé et/ou du statut socio-économique des patients inscrits sur la liste, la conception de systèmes d'inscription des patients et les exigences réglementaires concernant l'étendue et le contenu des services qui doivent être offerts par tous les prestataires. Si certaines collectivités étaient plus enclines que d'autres à adopter des stratégies d'ajustement des risques au début de la réforme, ces différences se sont atténuées avec le temps. L'étude conclut enfin que, faute de recherche systématique, aucune conclusion ferme ne peut être tirée sur l'impact global de l'actionnariat privé sur l'offre de soins primaires en Suède486(*).

L'offre de soins de la société Aleris

Aleris est une entreprise privée de soins de santé qui opère en Suède, en Norvège et au Danemark. Elle est l'un des leaders sur le marché de l'offre de soins de santé en Scandinavie. Depuis 2019, la société appartient à la société Triton, un fonds d'investissement qui compte une centaine d'actionnaires, dont des fonds de pension, des fonds souverains, des compagnies d'assurance et des fondations487(*).

Depuis 2020, Aleris s'est développé en rachetant d'autres prestataires. À l'issue de ces rachats, Aleris en Suède enregistrait un chiffre d'affaires de 694 millions de couronnes suédoises en 2023 (environ 61 millions d'euros) et employait près de 4 000 personnes488(*).

Aleris gère une centaine de centres de santé et cliniques en Suède, en Norvège et au Danemark, qui couvrent une offre de services très large (soins primaires, télémédecine, nombreuses spécialités, bilans de santé, urgences, orthopédie, chirurgie plastique, psychiatrie...)489(*).

· D'autre part, la protection de la fourniture de soins de santé contre des investissements étrangers susceptibles de menacer la sécurité nationale.

Le gouvernement suédois et les autorités de régulation ont récemment renforcé les mesures de surveillance pour s'assurer que les investissements étrangers ne compromettent pas les intérêts nationaux. Cela inclut des obligations de notification et d'autorisation pour les investissements dans des secteurs jugés critiques. La mise en oeuvre de cette législation vise à protéger les infrastructures et les services essentiels contre des influences étrangères potentiellement nuisibles. Ainsi, en septembre 2023, le Parlement suédois a adopté la loi n° 2023:560 sur l'examen des investissements directs étrangers490(*), entrée en vigueur le 1er décembre 2023.

Le texte a pour objet « d'empêcher les investissements étrangers directs dans des activités suédoises dignes de protection qui peuvent avoir un effet préjudiciable sur la sécurité de la Suède ou sur l'ordre public ou la sécurité publique en Suède » (article 1er).

Aux termes de l'article 2, « la loi s'applique aux investissements dans des activités dignes de protection qui sont menées par une société à responsabilité limitée, une société européenne ou une société de personnes, ou par une association économique ou une fondation ayant son siège social en Suède ». L'objectif, qui dépasse très largement le secteur de la santé, est de mieux contrôler et surveiller les investissements d'origine étrangère afin de protéger les intérêts nationaux.

Bien que la liste des activités concernées soit limitée à ces sept catégories491(*), la formulation est très large et, dans la pratique, les règles devraient couvrir un large éventail d'entreprises, y compris des activités dans des secteurs liés aux soins de santé492(*). En effet, les travaux préparatoires du texte indiquent que « les investissements dans des entreprises suédoises qui remplissent des fonctions sociétales particulièrement importantes, tels que (...) les soins de santé (...) peuvent présenter des risques pour la sécurité de la Suède ou pour l'ordre public ou la sécurité publique493(*) ».

Statistiques sur les services fournis par les établissements de santé privés494(*)

Selon les chiffres de la Fédération des prestataires de soins de santé privés (Vårdföretagarna) :

- en 2018, les prestataires privés de fourniture de soins, tous statuts confondus, employaient 184 000 personnes. Dans les centres de soins primaires, 40 % des salariés travaillaient pour un établissement privé.

- en 2021, pour l'ensemble des services de santé (primaire, spécialisé...), 39 % des consultations dans les services de soins ambulatoires sont effectuées auprès de prestataires de soins de santé privés, comptabilisant 18 millions de patients ; pour les soins primaires, le ratio est de 50 %.

Dans les premières années ayant suivi la réforme sur le libre choix, le nombre global de centres de santé (publics et privés) a augmenté de près de 20 %, tandis que la part des centres de santé gérés par le secteur privé a augmenté de 80 %. Le nombre de centres de santé s'est stabilisé dans les dernières années.

La proportion de centres de soins primaires gérés par le secteur privé varie sensiblement d'une région à l'autre : c'est à Stockholm que la proportion de centres de soins primaires privés est la plus élevée (69 %), alors que dans certaines régions plus reculées elle ne dépasse pas 15 %. En 2021, 530 centres de soins primaires du pays étaient gérés par le secteur privé, soit 45 %.

Plus de 400 000 patients supplémentaires ont choisi de s'inscrire dans des centres de santé privés de 2016 à 2022, soit une augmentation de 11 %, tandis que les centres de soins primaires publics ont connu une stagnation, voire une diminution du nombre de patients.

Nombre de visites de patients
à des prestataires de soins de santé privés 2011-2021


* 1 Cette définition est similaire à celle retenue par l'assurance maladie et dans Y.Bourgueil, D.Benamouzig, chaire santé de Sciences Po, « La financiarisation dans le secteur de la santé : tendances, enjeux et perspectives », juillet 2023.

* 2 Angeli F, Maarse H., Mergers and acquisitions in Western European health care: exploring the role of financial services organizations. Health Policy. 2012 May ; 105(2-3):265-72.

* 3 Dans les statistiques de France Invest, la santé comprend les sous-secteurs suivants : fabrication de matériel médical, production de produits pharmaceutiques, officines pharmaceutiques, centres de soins et d'analyses (dont laboratoires), cabinets spécialisés (radiologie, odontologie, ophtalmologie, vétérinaire, etc...), cliniques privées, maisons de retraite, services à la personne, services dédiés (centres de recherche-développement, tests cliniques), biotechnologies, investissements dans la medtech.

* 4 Conseil national de l'ordre des médecins, « Le Cnom demande que des mesures soient prises rapidement pour stopper le processus de financiarisation », communiqué de presse, avril 2024.

* 5 F.Bourdillon, A.Grimaldi et M.Naiditch, « La financiarisation du système de soins n'est pas inéluctable », Le Monde, 8 janvier 2024.

* 6 Cnam, Améliorer la qualité du système de santé et maîtriser les dépenses. Propositions de l'assurance Maladie pour 2024, juillet 2023, pp. 197-206.

* 7 Parmi les principaux groupes financiarisés du secteur médico-social figurent Korian, Orpéa, LNA, DomusVi, Colisée.

* 8 Laura Allès, « Les transformations du capitalisme hospitalier français - Un secteur aux mains de la finance de marché », Économie et institutions [En ligne], 30-31, 2022.

* 9 Sur la base des informations diffusées par Ramsay Santé, Elsan, Vivalto et Amalviva et des données de la Drees, qui comptabilise 980 établissements de santé privés à but lucratif au 31 décembre 2022.

* 10 Drees, Les établissements de santé en 2022, édition 2024, p. 25. Les établissements de santé du secteur privé à but lucratif comptabilisent 24,5 % du nombre de lits d'hospitalisation et 29,3 % du nombre de places.

* 11 Les informations relatives à l'historique du groupe Ramsay Santé sont issues du document d'enregistrement universel 2023 de Ramsay Santé, des travaux de Laura Allès, doctorante en économie, sur les transformations du capitalisme hospitalier français (cf. supra) et de divers articles de presse.

* 12 Réponses écrites de Ramsay Santé au questionnaire transmis par les rapporteurs. Les chiffres-clés de Ramsay Santé pour 2023 indiquent toutefois 163 établissements de santé, dont 34 cliniques de santé mentale, 19 de soins médicaux et de réadaptation et 30 centres d'imagerie médicale.

* 13 Données en ligne sur le site internet du groupe Vivalto.

* 14 Vivalto Santé, L'essentiel 2024, et « Vivalto Partners, accompagné d'un consortium d'actionnaires minoritaires, annonce l'acquisition de Vivalto Santé, 3e groupe de cliniques et hôpitaux privés en France », communiqué de presse, 30 novembre 2021.

* 15 Données en ligne sur le site internet du groupe Ramsay Santé.

* 16 M.Chauvot, « Le rachat par KKR du géant australien des cliniques Ramsay dans l'impasse », Les Échos, 13 septembre 2022.

* 17 « Elsan rachète C2S à Eurazeo Patrimoine », Les Échos, 4 janvier 2021.

* 18 Elsan, Déclaration de performance extra-financière 2020, et K.Lentschner, « Le secteur des cliniques privées se consolide », Le Figaro, 21 décembre 2020.

* 19 Laura Allès, ibid.

* 20 Décision n° 20-DCC-38 du 2 juin 2021, Autorité de la concurrence.

* 21 Cf. Annexe 1 : Liste des décisions rendues par l'Autorité de la concurrence concernant les concentrations d'entreprises dans le secteur de la santé entre 2019 et 2024.

* 22 Décision n° 17-DCC-95 du 23 juin 2017, Autorité de la concurrence.

* 23 Article L. 6213-1 du code de la santé publique.

* 24 Cnop, Tous pharmaciens. La revue trimestrielle de l'Ordre des pharmaciens, juillet 2021, p. 21.

* 25 Article L. 6211-2 du code de la santé publique.

* 26 Article L. 6211-7 du code de la santé publique.

* 27 Article L. 6211-8 du code de la santé publique. La loi autorise, toutefois, le biologiste médical à réaliser des examens supplémentaires qu'il juge nécessaires ou à ne pas réaliser tous les examens figurant sur la prescription, sauf avis contraire du prescripteur porté sur l'ordonnance.

* 28 Article L. 6212-1 du code de la santé publique.

* 29 Article L. 6223-1 du code de la santé publique.

* 30 Article L. 6223-3 du code de la santé publique.

* 31 Article L. 6213-7 du code de la santé publique.

* 32 Article L. 6213-8 du code de la santé publique.

* 33 Article L. 6213-9 du code de la santé publique.

* 34 Article L. 6213-10 du code de la santé publique.

* 35 Article L. 6213-11 du code de la santé publique.

* 36 Article L. 6222-6 du code de la santé publique.

* 37 Article L. 6221-1 du code de la santé publique.

* 38 Articles D. 6222-6 et R. 6223-3 du code de la santé publique.

* 39 Article L. 6222-2 du code de la santé publique.

* 40 Article L. 6222-3 du code de la santé publique.

* 41 Article L. 6211-16 du code de la santé publique.

* 42 Cnam, Améliorer la qualité du système de santé et maîtriser les dépenses. Propositions de l'assurance maladie pour 2023, juillet 2022, p. 196.

* 43 Réponses écrites d'Eurofins au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 44 Ibid., p. 197.

* 45 Article 10 de la loi n° 2013-442 du 30 mai 2013 portant réforme de la biologie médicale.

* 46 2° de l'article 6 de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales.

* 47 Autorité de la concurrence, Avis n° 19-A-08 du 4 avril 2019 relatif aux secteurs de la distribution du médicament en ville et de la biologie médicale privée.

* 48 Cnam, Améliorer la qualité du système de santé et maîtriser les dépenses. Propositions de l'assurance maladie pour 2024, juillet 2023, p. 201.

* 49 Autorité de la concurrence, décision 20-DCC-90 du 17 juillet 2020 relative à la prise de contrôle exclusif du groupe Laborizon par le groupe Biogroup.

* 50 Pour l'ensemble des données citées dans ce paragraphe, voir : E. Saderne, Institut Jean-François Rey et Caisse des dépôts-Banque des territoires, Dynamique de création des centres de santé sur le territoire français entre 2017 et 2021, novembre 2021.

* 51 Loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires.

* 52 Données en ligne sur le site internet de Point Vision.

* 53 « Ares et Bpifrance succèdent à Abénex chez Point Vision », Les Échos, 13 octobre 2021.

* 54 Article L. 6323-1-4 du code de la santé publique.

* 55 Retour écrit du SNOF transmis aux rapporteurs.

* 56 Ces données ne permettent pas de distinguer les cabinets libéraux détenus exclusivement par des associés professionnels de ceux dont le capital est au moins partiellement détenu par des fonds d'investissement, ni les centres de santé selon leur statut respectif.

* 57 Dans ses réponses écrites au questionnaire transmis par les rapporteurs, la direction de la sécurité sociale (DSS) reconnaît ainsi qu'« il n'est pas encore possible d'identifier individuellement le professionnel de santé prescripteur au sein d'un centre de santé » et que « des développements des systèmes d'information sont en cours à cet effet et devraient le permettre début 2025. »

* 58 Réponses écrites d'Ipso Santé au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 59 Réponses écrites de la Cnam au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 60 Réponses écrites de la Mutualité Française au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 61 Réponses écrites de la DGOS au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 62 L'article 51 de la LFSS pour 2018 prévoit la possibilité d'expérimenter, à titre dérogatoire et pour une durée qui ne peut excéder cinq ans, des dispositifs visant soit à favoriser l'émergence d'organisations innovantes dans les secteurs sanitaire et médico-social concourant à l'amélioration de la prise en charge et du parcours des patients, de l'efficience du système de santé et de l'accès aux soins, soit à améliorer la pertinence de la prise en charge par l'assurance maladie des médicaments ou des produits et prestations associées mentionnés à l'article L. 165-1 du code de la santé publique et la qualité des prescriptions.

* 63 Informations en ligne sur le site internet du groupe Ramsay Santé.

* 64 Deux centres se situent à Paris, les autres à Boulogne-Billancourt, Antony, Meudon et Villeneuve-la-Garenne.

* 65 O. Détroyat, « Ramsay renonce à acheter six centres de santé à la Croix-Rouge », Le Figaro, 6 mai 2022.

* 66 Cnam, Améliorer la qualité du système de santé et maîtriser les dépenses. Propositions de l'assurance maladie pour 2025, juillet 2024, p.250.

* 67 Article L. 5125-1 du code de la santé publique.

* 68 Article L. 5125-1-1 A du code de la santé publique.

* 69 Article L. 5125-8 du code de la santé publique.

* 70 Article L. 5125-2 du code de la santé publique.

* 71 Article L. 5125-15 du code de la santé publique.

* 72 Article L. 5125-9 du code de la santé publique.

* 73 Article L. 5125-14 du code de la santé publique.

* 74 Article L. 5125-11 du code de la santé publique.

* 75 Article L. 5125-12 du code de la santé publique.

* 76 Article L. 5125-13 du code de la santé publique.

* 77 CJUE, 19 mai 2009, affaires jointes C-171/07 et C-172/07.

* 78 Article L. 5125-4 du code de la santé publique.

* 79 Articles L. 5125-3 et L. 5125-3-2 du code de la santé publique.

* 80 Article L. 5125-3 du code de la santé publique.

* 81 Article L. 5125-24 du code de la santé publique.

* 82 Article L. 5125-28 du code de la santé publique.

* 83 Article L. 5125-33 du code de la santé publique.

* 84 Article L. 5125-36 du code de la santé publique.

* 85 Article L. 5125-34 du code de la santé publique.

* 86 Autorité de la concurrence, avis n° 19-A-08 du 4 avril 2019 précité.

* 87 Rapport n° 358 (2019-2020) de Mme Patricia Morhet-Richaud, fait au nom de la commission spéciale, déposé le 26 février 2020.

* 88 Réponses écrites de la direction générale de l'offre de soins au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 89 Réponses écrites du Cnop au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 90 Réponses écrites de la FSPF au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 91 Réponses écrites de l'USPO au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 92 Plaquette de présentation du fonds de dette sectoriel « Unipharma II » de la société de gestion 123 Investment Managers, transmise à la mission.

* 93 Selon les données de l'assurance maladie, les honoraires des radiologues conventionnés en secteurs 1 et 2 représentaient 2,968 milliards d'euros en 2022 (fiche synthétique « zoom sur les radiologues libéraux en 2022 », mise à jour le 26 mars 2024).

* 94 Réponses écrites des groupes ImDev et Vidi aux questionnaires transmis par les rapporteurs. Le groupe ImDev estime que 60 % à 70 % des radiologues libéraux exerceront au sein d'un groupe financiarisé d'ici à 2023.

* 95 Selon les données de l'assurance maladie, parmi les 5 454 radiologues conventionnés libéraux au 31 décembre 2022, 37 % sont âgés d'au moins 60 ans et 51,5 % d'au moins 55 ans (fiche synthétique « zoom sur les radiologues libéraux en 2022 », mise à jour le 26 mars 2024).

* 96 Cnam, Rapport « Charges et produits pour 2024 », p. 202.

* 97 Y.Bourgueil, D.Benamouzig, chaire santé de Sciences Po, « La financiarisation dans le secteur de la santé : tendances, enjeux et perspectives », juillet 2023, p. 23.

* 98 Conseil d'Etat, juge des référés, 04/01/2024, 490099.

* 99 Eurazeo est un groupe d'investissement international gérant, au 30 juin 2024, 35,4 milliards d'euros d'actifs diversifiés et disposant d'une expertise dans le private equity, la dette privée et les actifs immobiliers et infrastructures.

* 100 Réponses écrites de France Imageries Territoires au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 101 L'indicateur mentionné est l'EBITDA pour « Earnings Before Interest, Taxes, Depreciation and Amortization », équivalent américain de l'excédent brut d'exploitation (EBE). L'Ebitda mesure la rentabilité du cycle d'exploitation par la soustraction des charges d'exploitation aux recettes d'exploitation.

* 102 Réponses écrites du groupe ImDev au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 103 Réponses écrites de Simago au questionnaire transmis par les rapporteurs et données en ligne sur le site internet de Simago.

* 104 Réponses écrites du groupe Vidi au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 105 Article L. 6122-15 du code de la santé publique.

* 106 E.Marnette, « Seine-Saint-Denis : la participation d'un groupe privé à la radiologie des hôpitaux attise les critiques », Le Parisien, 17 mars 2023.

* 107  « La radiologie passée au scanner », Les Échos capital finance, 27 novembre 2023.

* 108 Réponses écrites de Simago au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 109 Article L. 6122-2 du code de la santé publique.

* 110 Cnam, Améliorer la qualité du système de santé et maîtriser les dépenses, Propositions de l'assurance maladie pour 2023, juillet 2022, p.196.

* 111 Ibid., p.202-203.

* 112 Cnam, Améliorer la qualité du système de santé et maîtriser les dépenses. Propositions de l'assurance maladie pour 2024, op. cit., p. 201

* 113 Réponses écrites de la Cnam au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 114 Étude du secteur des laboratoires de biologie médicale libérale français, commandée par l'APBM (Association pour le Progrès de la Biologie Médicale) et LBI (Les Biologistes Indépendants), juin 2023.

* 115 Les Dossiers de la Drees n° 100, La situation économique et financière des établissements de santé en 2020, juillet 2022.

* 116 Le niveau de bénéfice le plus élevé, qui s'est établi à 4,7 %, a été relevé en 2014.

* 117 Drees, Les établissements de santé en 2022, édition 2024.

* 118 Le ministère de la santé a annoncé une revalorisation des tarifs correspondant à une hausse de + 4,3 % pour le secteur privé lucratif et de + 0,3 % pour les secteurs public et privé à but non lucratif.

* 119 C. Stromboni, « Crise de l'hôpital : « 40 % de nos cliniques se retrouvent en déficit en 2023, c'est du jamais-vu », Le Monde, 19 février 2024 et N. Guarinos, « Sans mesure d'urgence, la moitié des hôpitaux privés seront déficitaires l'an prochain », Le Point, 21 septembre 2023.

* 120 Selon les données de la Drees reprises par la Cour des comptes, le financement de la consommation de soins hospitaliers par l'assurance maladie s'élève à 93,2 % en 2021, le reste étant supporté par les organismes complémentaires, les usagers et l'État (Cour des comptes, La tarification à l'activité, Observations définitives, juillet 2023, p. 10).

* 121 Réponses écrites de France Invest au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 122 France Invest, Rendre le capital-investissement accessible, Guide pratique et propositions, septembre 2022.

* 123 Décret n° 2015-1498 du 18 novembre 2015 portant statuts de l'établissement public Bpifrance et définissant les modalités particulières du contrôle de l'État.

* 124 Ibid.

* 125 Réponses écrites du cabinet d'avocats Axipiter au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 126 Loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales.

* 127 Article 5 de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990. Dans sa version initiale, l'article 5 disposait : « Plus de la moitié du capital social et des droits de vote doit être détenue, directement ou par l'intermédiaire de la société mentionnée au 4° ci-dessous, par des professionnels en exercice au sein de la société. » Le 4° du même article désigne, dans cette même version : « Une société constituée dans les conditions prévues à l'article 220 quater A du code général des impôts si les membres de cette société exercent leur profession au sein de la société d'exercice libéral ».

* 128 Article 3 de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990, repris aux articles 42 et 44 de l'ordonnance du 8 février 2023.

* 129 Loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001 portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier.

* 130 Article 5-1 de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 : « Art. 5-1. - Par dérogation au premier alinéa de l'article 5, plus de la moitié du capital social des sociétés d'exercice libéral peut aussi être détenue par des personnes physiques ou morales exerçant la profession constituant l'objet social ou par des sociétés de participations financières de professions libérales régies par le titre IV de la présente loi. [...] ».

Ces dispositions ont été reprises à l'article 69 de l'ordonnance n° 2023-77 du 8 février 2023 relative à l'exercice en société des professions libérales réglementées.

* 131 Loi n°2005-882 du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises.

* 132 Article R. 5125-18-1 du code de santé publique.

* 133 Loi n° 2011-331 du 28 mars 2011 de modernisation des professions judiciaires ou juridiques et certaines professions réglementées. Le 2° de l'article 32 indique : « La majorité du capital social de la société d'exercice libéral ne peut être détenue par une société de participations financières régie par l'article 31-2 qu'à la condition que la majorité du capital et des droits de vote de la société de participations financières soit détenue par des professionnels exerçant la même profession que celle constituant l'objet social de la société d'exercice libéral. »

* 134 II de l'article 10 de la loi, dont les dispositions ont été codifiées à l'article L. 6223-8 du code de la santé publique.

* 135 Ordonnance n° 2023-77 du 8 février 2023 relative à l'exercice en société des professions libérales réglementées.

* 136 Cnam, Améliorer la qualité du système de santé et maîtriser les dépenses. Propositions de l'assurance maladie pour 2024, op. cit., pp. 197 et 202.

* 137 Cour des comptes, L'imagerie médicale. Communication à la commission des affaires sociales du Sénat, avril 2016, p. 84.

* 138 Autorité de la concurrence, Avis n° 19-A-08 du 4 avril 2019 précité.

* 139 Cnam, Améliorer la qualité du système de santé et maîtriser les dépenses. Propositions de l'assurance maladie pour 2023, op. cit., p. 206.

* 140 Igas, La biologie médicale libérale en France : bilan et perspectives, avril 2006, p. 4.

* 141 Ordonnance n° 2010-49 du 13 janvier 2010 relative à la biologie médicale.

* 142 Article L. 6221-1 du code de la santé publique.

* 143 Article L. 6221-2 du code de la santé publique.

* 144 Article L. 6221-9 du code de la santé publique.

* 145 Autorité de la concurrence, avis n° 19-A-08 du 4 avril 2019 précité.

* 146 Cnam, Améliorer la qualité du système de santé et maîtriser les dépenses. Propositions de l'assurance maladie pour 2023, op. cit., pp. 200-201.

* 147 Audition de MM. Jean Canarelli, président de la commission nationale de biologie médicale, Christophe Tafani, président de la commission des relations avec les associations de patients et d'usagers du Conseil national de l'ordre des médecins, et Mme Carine Wolf-Thal, présidente du Conseil national de l'ordre des pharmaciens, le 3 avril 2024.

* 148 Drees, « Quatre médecins généralistes sur dix exercent dans un cabinet pluriprofessionnel en 2022 », octobre 2022.

* 149 Cnam, Améliorer la qualité du système de santé et maîtriser les dépenses. Propositions de l'assurance maladie pour 2024, op. cit., p. 203.

* 150 Réponses écrites de la FNMR au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 151 Réponses écrites du Cnom au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 152 Cnam, Améliorer la qualité du système de santé et maîtriser les dépenses. Propositions de l'assurance maladie pour 2024, op. cit., p. 203.

* 153 Académie de médecine, communiqué « Radiologie, la financiarisation de tous les dangers : prévenir les risques pour les radiologues et les patients », 27 juin 2022.

* 154 Cnam, Rapport « Charges et produits » pour 2025, p. 251.

* 155 Voir supra.

* 156 M. Mariotte, Cfnews, « Chez Almaviva, un fonds infra peut en cacher un autre », 19 juillet 2021 (version mise à jour le 2 décembre 2023).

* 157 Cnam, Rapport « Charges et produits » pour 2025, p. 251.

* 158 Directive 2004/109/CE du Parlement européen et du Conseil du 15 décembre 2004 sur l'harmonisation des obligations de transparence concernant l'information sur les émetteurs dont les valeurs mobilières sont admises à la négociation sur un marché réglementé et modifiant la directive 2001/34/CE.

* 159 Réponses écrites de la FHP au questionnaire transmis par les rapporteurs, qui indique que « le risque principal n'est [...] pas la financiarisation mais le retrait du capital privé et des investisseurs du secteur hospitalier ».

* 160 Audition de M. Pascal Roché, directeur général du groupe Ramsay Santé, M. Sébastien Proto, directeur exécutif du groupe Elsan et M. Daniel Caille, président fondateur du groupe Vivalto Santé, par la commission des affaires sociales du Sénat dans le cadre de mission d'information sur la financiarisation du système de santé, 5 juin 2024.

* 161 Articles L. 225-1 à L. 225-270 du code du commerce.

* 162 Drees, Les dépenses de santé en 2022 - Résultats des comptes de la santé, édition 2023, septembre 2023.

* 163 Drees, Les dépenses de santé depuis 1950, Études et Résultats, n° 1017, juillet 2017.

* 164 Loi organique n° 96-646 du 22 juillet 1996 relative aux lois de financement de la sécurité sociale.

* 165 Cnam, Rapport Charges et produits pour 2025, juillet 2024, p. 250.

* 166 Audition de Thomas Fatôme, directeur général de la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam), par la commission des affaires sociales du Sénat dans le cadre de mission d'information sur la financiarisation du système de santé, 10 avril 2024.

* 167 Cnam, Rapport « Charges et produits » pour 2025, p. 252.

* 168 Audition par la commission des affaires sociales du Sénat dans le cadre de mission d'information sur la financiarisation du système de santé, 10 avril 2024.

* 169 Assemblée nationale, commission des affaires sociales, J.L. Touraine et A. Robinet, rapport d'information sur la mise en application de la loi n° 2013-442 du 30 mai 2013 portant réforme de la biologie médicale, 26 janvier 2016.

* 170 Réponses écrites de Laura Allès, doctorante en économie, au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 171 Ibid.

* 172 Cf. supra : Autorité de la concurrence, décision 20-DCC-38 du 28 février 2020 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Hexagone Santé Méditerranée et de la SCI Bonnefon-Carnot par le groupe Elsan.

* 173 Toutes ces décisions ont conduit à autoriser les opérations soumises à l'examen de l'Autorité de la concurrence, le cas échéant sous réserve d'engagements des parties. La liste de ces décisions est présentée en annexe.

* 174 Autorité de la concurrence, communiqué de presse, décision 20-DCC-92 du 23 juillet 2020 relative à la prise de contrôle exclusif du groupe Dyomedea-Neolab par le groupe Biogroup.

* 175 Autorité de la concurrence, décision n° 21-DCC-131 du 29 juillet 2021 relative à la prise de contrôle d'Oriade-Noviale par Biogroup.

* 176 Article L. 6222-2 du code de la santé publique.

* 177 Article L. 6222-3 du code de la santé publique.

* 178 Article L. 6223-4 du code de la santé publique.

* 179 Assemblée nationale, commission des affaires sociales, J.L. Touraine et A. Robinet, rapport d'information sur la mise en application de la loi n° 2013-442 du 30 mai 2013 portant réforme de la biologie médicale, 26 janvier 2016.

* 180 Audition de M. Pascal Roché, directeur général du groupe Ramsay Santé, M. Sébastien Proto, directeur exécutif du groupe Elsan et M. Daniel Caille, président fondateur du groupe Vivalto Santé, par la commission des affaires sociales du Sénat dans le cadre de mission d'information sur la financiarisation du système de santé, 5 juin 2024.

* 181 Dans l'édition 2022 de son étude annuelle sur la situation des établissements de santé, la Drees note également que le nombre d'entités géographiques, sous l'effet des recompositions territoriales, a diminué de 5,1 % entre 2013 et 2020 dans le secteur hospitalier public et de 4,6 % sur la même période dans le secteur hospitalier privé à but lucratif.

* 182 C. Stromboni, « Crise de l'hôpital : « 40 % de nos cliniques se retrouvent en déficit en 2023, c'est du jamais-vu », Le Monde, 19 février 2024.

* 183 Réponses écrites de la Cnam au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 184 Roland Berger, Étude du secteur des laboratoires de biologie médicale libérale français, rapport final, 29 juin 2023.

* 185 Une enquête conduite en avril 2024 par l'ARS Île-de-France révèle qu'en région, sur 752 sites ouverts au public, seuls 51 fonctionnent effectivement jusqu'à 19 heures et que plusieurs n'effectuent plus de prélèvement l'après-midi.

* 186 Cour des comptes, Les établissements de santé publics et privés, entre concurrence et complémentarité, rapport public thématique, octobre 2023.

* 187 Audition commune des représentants des grands groupes d'hospitalisation privée sur la financiarisation de l'offre de soins, commission des affaires sociales du Sénat, 5 juin 2024.

* 188 Réponse de la DGOS au questionnaire des rapporteurs.

* 189 Article R. 4127-5 du code de la santé publique.

* 190 Article R. 5015-19 du code de la santé publique.

* 191 Article R. 4127-209 du code de la santé publique.

* 192 Article R. 4127-307 du code de la santé publique.

* 193 Article R. 4321-56 du code de la santé publique.

* 194 Article R. 4322-34 du code de la santé publique.

* 195 Article R. 4312-6 du code de la santé publique.

* 196 Commentaires de l'article 5 du code de déontologie médicale, juin 2022.

* 197 Article L. 6213-7 du code de la santé publique.

* 198 Article R. 4127-26 du code de la santé publique.

* 199 Article R. 4127-68 du code de la santé publique.

* 200 Article R. 4127-83 du code de la santé publique.

* 201 Article R. 4127-95 du code de la santé publique.

* 202 Article R. 4127-91 du code de la santé publique.

* 203 Article R. 4127-93 du code de la santé publique.

* 204 Article R. 4127-97 du code de la santé publique.

* 205 Article L. 4221-19 du code de la santé publique.

* 206 Article L. 4113-9 du code de la santé publique.

* 207 Article L. 4113-11 du code de la santé publique.

* 208 Réponses écrites du Cnom au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 209 Réponses écrites du Cnop au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 210 Réponses écrites du Cnom au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 211 Réponses écrites du cabinet Winston & Strawn au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 212 Réponses écrites du Cnop au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 213 Réponses écrites du cabinet d'avocats Axipiter au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 214 Réponses écrites du CNOCD au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 215 Académies nationales de médecine et de pharmacie, La biologie médicale en France : évolutions et enjeux, octobre 2022.

* 216 Réponses écrites d'UNIR au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 217 Réponses écrites de l'Autorité de la concurrence au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 218 Cnam, Améliorer la qualité du système de santé et maîtriser les dépenses. Propositions de l'assurance maladie pour 2024, op. cit., p. 197.

* 219 Autorité de la concurrence, avis n° 19-A-08 du 4 avril 2019 précité.

* 220 Académies nationales de médecine et de pharmacie, La biologie médicale en France : évolutions et enjeux, octobre 2022.

* 221 Réponses écrites du Cnom au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 222 Réponses écrites du Cnop au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 223 Réponses écrites du Cnom au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 224 Réponses écrites du CNOCD au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 225 Réponses écrites de la FSDL au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 226 Académie nationale de médecine, « Radiologie : la financiarisation de tous les dangers : prévenir les risques pour les radiologues et les patients », 27 juin 2022.

* 227 Voir supra les développements consacrés aux craintes de financiarisation dans le secteur officinal.

* 228 Cour des comptes, Les établissements de santé publics et privés, entre concurrence et complémentarité, octobre 2023, p. 26.

* 229 Rapport d'information n° 771 (2021-2022) de M. Bernard Bonne et Mme Michelle Meunier, fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 12 juillet 2022, p. 97.

* 230 Réponses écrites de la direction générale de l'offre de soins au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 231 Réponses écrites de la FSPF au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 232 Réponses écrites du Cnom au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 233 Voir supra, la FNMR évoquant l'« un des coûts de la pratique les plus élevés en raison des investissements technologiques, de la valeur toujours croissante du matériel qu'il faut renouveler au moins tous les 5 à 7 ans (...), auquel s'ajoutent un coût de SAV devenu incontournable... ».

* 234 Réponses écrites du CNOMK au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 235 Audition de MM. Jean Canarelli, président de la commission nationale de biologie médicale, Christophe Tafani, président de la commission des relations avec les associations de patients et d'usagers du Conseil national de l'ordre des médecins, et Mme Carine Wolf-Thal, présidente du Conseil national de l'ordre des pharmaciens par la commission des affaires sociales, le 3 avril 2024.

* 236 Voir supra les développements consacrés au financement par la dette et à l'exemple des pharmacies d'officine.

* 237 Ces informations sont disponibles en ligne, à la date du 24 juillet 2024, sur le site internet dédié : https://www.interpharmaciens.fr/.

* 238 Communiqué de l'UNPF « Une profession qui bouge avec Pharmequity », 26 mai 2021.

* 239 Le Quotidien du pharmacien, « Pharmequity ouvert à tous », 1er juin 2021.

* 240 Service « OCP Initio » : https://www.ocp.fr/financement/initio/.

* 241 Service « OCP Extensio » : https://www.ocp.fr/financement/extensio/.

* 242 Cour des comptes, La tarification à l'activité, p. 50.

* 243 Rapport « Hôpital : sortir des urgences » n° 587 (2021-2022) de Mme Catherine Deroche, tome I, déposé le 29 mars 2022, pp. 73.

* 244 Ibid., pp. 179 et 184.

* 245 Le dispositif a atteint 700 millions d'euros en 2022 et étendu, la même année, aux établissements de psychiatrie.

* 246 Article 49 de la loi n° 2023-1250 du 26 décembre 2023 de financement de la sécurité sociale pour 2024.

* 247 Voir par exemple, à ce sujet, Cour des comptes, « L'avenir de l'assurance maladie. Assurer l'efficience des dépenses, responsabiliser les acteurs », novembre 2017.

* 248 Réponses écrites de la DGOS au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 249 Cnam, Améliorer la qualité du système de santé et maîtriser les dépenses. Propositions de l'assurance maladie pour 2022, juillet 2021.

* 250 Cnam, Améliorer la qualité du système de santé et maîtriser les dépenses. Propositions de l'assurance maladie pour 2024, juillet 2023, pp. 239 et 240.

* 251 Arrêté du 20 juin 2024 portant approbation de la convention nationale organisant les rapports entre les médecins libéraux et l'assurance maladie.

* 252 Cnam, Améliorer la qualité du système de santé et maîtriser les dépenses. Propositions de l'assurance maladie pour 2024, juillet 2023, p. 241.

* 253 Ibid., p. 200.

* 254 L'article 51 de la LFSS pour 2018 a créé un nouveau cadre juridique destiné à favoriser la mise en oeuvre d'expérimentations en santé, codifié à l'article L. 162-31-1 du code de la sécurité sociale.

* 255 Voir notamment la fiche descriptive de l'expérimentation disponible sur le site internet de l'ARS d'Île-de-France : https://www.iledefrance.ars.sante.fr/media/108582/download?inline.

* 256 Réponses écrites de la DGOS au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 257 Arrêté du 28 juin 2024 relatif à l'expérimentation nationale d'un paiement en équipe de professionnels de santé en ville en maisons de santé pluriprofessionnelles 2 (PEPS 2 MSP).

* 258 Arrêté du 28 juin 2024 relatif à l'expérimentation nationale d'un paiement en équipe de professionnels de santé en ville en centres de santé (PEPS 2 CDS).

* 259 Arrêté du 31 août 2023 modifiant l'arrêté du 21 octobre 2020 relatif à l'expérimentation Primordial.

* 260 Article L. 6323-1 du code de la santé publique.

* 261 Article L. 6323-1-4 du code de la santé publique.

* 262 Article L. 162-32-4 du code de la sécurité sociale.

* 263 Article L. 6323-1-12 du code de la santé publique.

* 264 Loi n° 2023-378 du 19 mai 2023 visant à améliorer l'encadrement des centres de santé.

* 265 Article L. 6323-1-11 du code de la santé publique.

* 266 Article L. 6323-1-3 du code de la santé publique.

* 267 Article L. 6323-1-9 du code de la santé publique.

* 268 Article L. 6323-1-5 du code de la santé publique.

* 269 Article L. 6323-1-4 du code de la santé publique.

* 270 Article L. 6323-1-12 du code de la santé publique.

* 271 Article L. 162-34-1 du code de la sécurité sociale.

* 272 Cnam, « Lutte contre les fraudes à l'assurance maladie en 2023 : des résultats records », 28 mars 2024.

* 273 Réponses écrites de la Cnam au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 274 Décret n° 2024-568 du 20 juin 2024 visant à améliorer l'encadrement des centres de santé.

* 275 Rapport n° 323 (2022-2023) de M. Jean Sol, déposé le 8 février 2023, p. 27.

* 276 Réponses écrites de la DSS au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 277 Rapport n° 323 (2022-2023) de M. Jean Sol, déposé le 8 février 2023, p. 7.

* 278 Réponses écrites de la Mutualité Française au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 279 Réponses écrites de la FNCS au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 280 Le champ des conventions professionnelles s'est depuis étendu bien au-delà de ce périmètre initial, pour comprendre désormais un ensemble de règles touchant à l'organisation du système de santé, à l'accès aux soins ou aux conditions d'exercice des professionnels de santé.

* 281 Réponses écrites de la Cnam au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 282 Cnam, Améliorer la qualité du système de santé et maîtriser les dépenses. Propositions de l'assurance maladie pour 2023, juillet 2022, p. 218.

* 283 Article 51 de la loi n° 2022-1616 du 23 décembre 2022 de financement de la sécurité sociale pour 2023.

* 284 Cnam, « Signature d'un nouveau protocole d'accord fixant le cadre d'évolution des tarifs pour 2024 à 2026 », 28 juillet 2023.

* 285 Réponses écrites de la Cnam au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 286 Réponses écrites de LBO au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 287  Loi n° 2023-1268 du 27 décembre 2023 visant à améliorer l'accès aux soins par l'engagement territorial des professionnels.

* 288 Anguis, M., Bergeat, M., Pisarik, J. Vergier, N., Chaput, H. (2021, mars), Quelle démographie récente et à venir pour les professions médicales et pharmaceutique ? Constat et projections démographiques., Drees, Les Dossiers de la Drees 76.

* 289 Le texte prévoit une entrée en vigueur le 1er janvier 2025 « au plus tôt ».

* 290 Voir notamment l'arrêté du 17 octobre 2008 portant approbation de l'avenant n° 1 à la convention nationale des infirmières et infirmiers libéraux et l'arrêté du 25 novembre 2011 portant approbation de l'avenant n° 3 à la convention nationale des infirmières et infirmiers libéraux.

* 291 Voir notamment l'avis du 6 novembre 2017 relatif à l'avenant n° 5 à la convention nationale des masseurs-kinésithérapeutes et l'arrêté du 27 juin 2019 portant approbation de l'avenant n° 6 à la convention nationale des masseurs-kinésithérapeutes.

* 292 Voir notamment l'arrêté du 12 mars 2012 portant approbation de l'avenant n° 1 à la convention nationale des sages-femmes libérales.

* 293 C.Stromboni, « Déserts médicaux : vers une régulation de l'installation pour les chirurgiens-dentistes », Le Monde, 21 juillet 2023.

* 294 Arrêté du 23 août 2023 portant approbation de la convention nationale organisant les rapports entre les chirurgiens-dentistes libéraux et l'assurance maladie.

* 295 Cnom, Enquête sur l'installation des jeunes médecins, avril 2019.

* 296 Étude d'impact du projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, 22 juin 2021, p.295 : « Le dialogue effectif avec les élus s'effectue souvent en marge d'instances que certains peuvent juger complexe ou trop dense. Il est donc nécessaire de redonner du sens à la présence des élus au sein des instances ».

* 297 Les ordres professionnels compétents sont destinataires, une fois par an, d'un état de la composition du capital social des sociétés d'exercice libéral et des droits de vote afférents, ainsi que d'une version à jour de ses statuts (article 44 de l'ordonnance n° 2023-77 du 8 février 2023).

* 298 Audition de l'ARS Nouvelle Aquitaine par les rapporteurs.

* 299 Les 24 activités de soins et équipements matériels lourds soumises à autorisation sont définies aux articles R. 6122-25 et R. 6122-26 du code de la santé publique. Parmi ces 24 activités, 14 ont été réformées au 1er juin 2023.

* 300 Articles L. 6114-1 à L. 6114-5 du code de la santé publique.

* 301 L'ordonnance Ballereau a supprimé la règle selon laquelle les SEL ne pouvaient exploiter que cinq LBM au maximum ainsi que celle limitant un LBM à un seul site géographique. Le nombre de sites par LBM n'est plus limité.

* 302 Assemblée nationale, commission des affaires sociales, J.L. Touraine et A. Robinet, rapport d'information sur la mise en application de la loi n° 2013-442 du 30 mai 2013 portant réforme de la biologie médicale, 26 janvier 2016, p. 44-45.

* 303 Décret n° 2016-46 du 26 janvier 2016 relatif à la biologie médicale et décret n° 2016-839 du 24 juin 2016 relatif aux conditions et modalités d'exercice des biologistes médicaux et portant création de la Commission nationale de biologie médicale.

* 304 Réponses écrites de l'ARS Nouvelle Aquitaine au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 305 Ibid., p. 45.

* 306 Cour des comptes, Les établissements de santé publics et privés, entre concurrence et complémentarité, rapport public thématique, octobre 2023.

* 307 À compter de 2009, la mise en place progressive d'un tarif unique de groupes homogènes de malades (GHM), que la prise en charge soit réalisée en ambulatoire ou en hospitalisation complète, a constitué un levier d'incitation au développement de la chirurgie ambulatoire, le coût réel supporté par l'établissement étant inférieur en ambulatoire.

* 308 Ibid.

* 309 Réponses écrites de l'ARS Île-de-France au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 310 Cour des comptes, « L'insuffisance rénale chronique terminale : une prise en charge à réformer au bénéfice des patients », Rapport public annue  2020, février 2020.

* 311 Réponses écrites de l'association Renaloo au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 312 Ibid., p. 37.

* 313 Voir supra. les développements consacrés aux risques identifiés de sélection des actes et des patientèles.

* 314 Réponses écrites de la DSS au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 315 Réponses écrites du syndicat les BIOMED au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 316 Cnam, communiqué de presse, « Lutte contre les fraudes : l'assurance maladie annonce le nouveau déconventionnement de 10 centres de santé dentaires d'un même réseau », 23 avril 2024.

* 317 Décret n° 2024-568 du 20 juin 2024 visant à améliorer l'encadrement des centres de santé.

* 318 Cnam, Rapport « Charges et produits » pour 2025, p. 201.

* 319 Réponses écrites de la DGOS au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 320 Réponses écrites de la Cnam au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 321 Instruction n° DGOS/PF3/2023/124 du 28 juillet 2023 relative à l'application de la loi n° 2023-378 du 19 mai 2023 visant à améliorer l'encadrement des centres de santé.

* 322 Cf. annexe 2.

* 323 URPS médecins libéraux Île-de-France, Étude relative aux plateformes de téléconsultation, novembre 2022.

* 324 « Télémédecine : la start-up Qare lève 20 millions d'euros », Les échos entrepreneurs, 11 avril 2019.

* 325 Article 53 de la loi n° 2022-1616 du 23 décembre 2022 de financement de la sécurité sociale pour 2023.

* 326 Décret n° 2024-164 du 29 février 2024 relatif aux sociétés de téléconsultation.

* 327 Décret n° 92-739 du 29 juillet 1992 relatif à l'exercice en commun de la profession de sage-femme et décret n° 94-680 du 3 août 1994 relatif à l'exercice en commun de la profession de médecin sous forme de société d'exercice libéral, puis article R. 4113-12 du code de la santé publique.

* 328 Loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001 portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier.

* 329 Cnom, « Le Cnom demande que des mesures soient prises rapidement pour stopper le processus de financiarisation », communiqué de presse, 10 avril 2024.

* 330 Autorité de la concurrence, avis n° 19-A-08 du 4 avril 2019 relatif aux secteurs de la distribution du médicament en ville et de la biologie médicale privée.

* 331 Articles 46 à 55 de l'ordonnance n° 2023-77 du 8 février 2023 relative à l'exercice en société des professions libérales réglementées.

* 332 Les SPFPL jouissent d'une capacité d'endettement supérieure à celle des personnes physiques en raison de la déductibilité des intérêts dont elles bénéficient en cas d'emprunt.

* 333 CJUE, affaire C-89/09, Commission européenne contre République française, 16 décembre 2010.

* 334 CJUE, affaires C-171/07 et C-172/07, conclusions de l'avocat général Yves Bot, 16 décembre 2008.

* 335 Article 50 de l'ordonnance n° 2023-77 du 8 février 2023 relative à l'exercice en sociétés des professions libérales réglementées (précédemment, article 9 de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990).

* 336 Victor Castanet, Les fossoyeurs, Révélations sur le système qui maltraite nos aînés, 2022.

* 337 Article 7 de la loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l'activité professionnelle indépendante.

* 338 Réponses écrites de la DGOS au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 339  « La radiologie passée au scanner », Les échos capital finance, 27 novembre 2023 ; « Biologie médicale : la consolidation aux « forceps » Les échos capital finance, 7 février 2020.

* 340 Réponses écrites de la Cnam au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 341 Cnam, Rapport au ministère chargé de la sécurité sociale et au Parlement sur l'évolution des charges et des produits de l'assurance maladie au titre de 2024 - Propositions de l'assurance maladie pour 2024, juillet 2023.

* 342 Cf. annexe 2.

* 343 Cnom, Enquête sur l'installation des jeunes médecins, avril 2019.

* 344 Article L. 6323-1-5 du code de la santé publique.

* 345 Réponses écrites des syndicats étudiants aux questionnaires transmis par les rapporteurs.

* 346 Audition et réponses écrites de médecins ayant exercé au sein d'Ipso Santé aux questionnaires transmis par les rapporteurs.

* 347 Réponses écrites de l'UNIR au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 348 Réponses écrites du SNOF au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 349 Académies nationales de médecine et de pharmacie, La biologie médicale en France : évolutions et enjeux, octobre 2022.

* 350 Pour la présentation du collectif, se référer à leur site internet : https://corail-radiologie.fr/

* 351 « L'offensive de fonds d'investissement sur la médecine de ville : laboratoires, radiologie... », Le Monde, 21 avril 2024.

* 352 Réponses écrites du groupe Vidi au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 353 Réponses écrites de Santé Cité au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 354 Site internet de Santé Cité : santecite.fr/santecite/

* 355 Le groupe Clinavenir compte 11 établissements de santé privés à but lucratif implantés en Haute-Garonne et dans le Tarn-et-Garonne. Le groupe Saint-Gatien en compte 20, répartis dans 11 départements.

* 356 Article 44 de la loi n° 2007-1786 du 19 décembre 2007 de financement de la sécurité sociale pour 2008.

* 357 ATIH/DGOS, extraction au 31/01/2024.

* 358 75 % de la population française était couverte par une CPTS en 2023.

* 359 Selon l'article L. 1434-12 du CSP, « des professionnels de santé peuvent décider de se constituer en communauté professionnelle territoriale de santé ».

* 360 Médecins, chirurgiens-dentistes, sages-femmes, pharmaciens, masseurs-kinésithérapeutes, pédicures-podologues, infirmiers.

* 361 Article L. 242-1 du code rural et de la pêche maritime.

* 362 Article R. 242-33 du code rural et de la pêche maritime.

* 363 Article L. 241-17 du code rural et de la pêche maritime

* 364 Conseil d'État, 4e et 1ère chambres réunies, n° 442911, Nordvet et Saint-Roch, 10 juillet 2023.

* 365 Conseil d'État, 4e et 1ère chambres réunies, n° 452448, Oncovet, 10 juillet 2023.

* 366 Conseil d'État, 4e et 1ère chambres réunies, n° 455961, Univetis, 10 juillet 2023.

* 367 Conseil d'État, 4e et 1ère chambre réunies, n° 448133, Mon Véto, 10 juillet 2023.

* 368 Article R. 242-33 du code rural et de la pêche maritime.

* 369 Article R. 242-66 du code rural et de la pêche maritime.

* 370 Article R. 242-53 du code rural et de la pêche maritime.

* 371 Conclusions de M. Jean-François de Montgolfier sur les affaires n° 448133 et n° 455961, prononcées le 10 mai 2023.

* 372 La décision du 7 novembre 2023 a été suspendue par le juge des référés du Conseil d'État pour des raisons de procédure : elle a été prise sans que la société ait été invitée à présenter, au préalable, des explications orales devant le conseil départemental de l'ordre. Voir Juge des référés du Conseil d'État, n° 490099, Conseil départemental du Rhône de l'ordre des médecins c/Imapole, 4 janvier 2024.

* 373 Juge des référés du Conseil d'Etat, n° 490099 et n° 497156, Conseil départemental du Rhône de l'ordre des médecins c/Imapôle, 4 janvier 2024 et 12 septembre 2024.

* 374 Réponses écrites du cabinet d'avocats Axipiter au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 375 Médecins, chirurgiens-dentistes, sages-femmes.

* 376 Article L. 4113-9 du code de la santé publique.

* 377 Article L. 4113-9 du code de la santé publique.

* 378 Articles R. 4127-91, R. 4127-279 et R. 4127-345 du code de la santé publique.

* 379 Article L. 4221-19 du code de la santé publique.

* 380 Article L. 6223-3 du code de la santé publique.

* 381 Ordonnance n° 2023-77 du 8 février 2023 relative à l'exercice en société des professions libérales réglementées.

* 382 Article 3 de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales.

* 383 Article 31-1 de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 précitée.

* 384 Réponses écrites de la FSPF au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 385 Réponses écrites du Cnop au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 386 Réponses écrites de la Cnam au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 387 Réponses écrites du Cnop au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 388 Réponses écrites du CNOPP au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 389 Réponses écrites du CNOCD au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 390 Audition de MM. Jean Canarelli, président de la commission nationale de biologie médicale, Christophe Tafani, président de la commission des relations avec les associations de patients et d'usagers du Conseil national de l'ordre des médecins, et Mme Carine Wolf-Thal, présidente du Conseil national de l'ordre des pharmaciens, le 3 avril 2024.

* 391 Réponses écrites du cabinet d'avocats Axipiter au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 392 Cnam, Améliorer la qualité du système de santé et maîtriser les dépenses. Propositions de l'assurance maladie pour 2024, op. cit., pp. 206.

* 393  Grundgesetz für die Bundesrepublik Deutschland, article 74.

* 394  https://www.bundesgesundheitsministerium.de/themen/gesundheitswesen/staatliche-ordnung/bundeslaender

* 395  https://www.gmkonline.de/Die-GMK.html

* 396 Katharina Schöneberg et Katrin Vitols, Workingpaper Forschungsförderung Branchenanalyse Medizinische Versorgungszentren, Nummer 288, Mai 2023, Hans Böckler Stiftung, p. 15.

* 397 Deutscher Bundestag, Antwort der Bundesregierung auf die kleine Anfrage der Fraktion der CDU/CSU, Auswirkungen investorengetragener Medizinischer Versorgungszentren auf das Gesundheitssystem in Deutschland, Drucksache 205166, 2023. Anlage, p. 3.

* 398 Sarah Minery et Zeynep Or, Comparaison des dépenses de santé en France et en Allemagne, Irdes, Rapport, n° 590, 2023, p. 16.

* 399 Katharina Schöneberg et Katrin Vitols, op. cit., p. 15.

* 400 Sarah Minery et Zeynep Or, op. cit., p. 16.

* 401  https://www.kbv.de/html/mvz.php

* 402 Claire Imbaud et François Langevin, Chapitre 32, L'organisation des Medizinische Versorgungszentren (MVZ) allemands, dans : François Langevin éd., Architecture et ingénierie à l'hôpital. Le défi de l'avenir, 2018, pp. 241-250.

* 403  https://gesundheitsdaten.kbv.de/cms/html/17021.php

* 404  https://www.kbv.de/html/bedarfsplanung.php

* 405 Claire Imbaud et François Langevin, op. cit., p. 242.

* 406  Gesetz zur Modernisierung der gesetzlichen Krankenversicherung, (GKV-Modernisierungsgesetz - GMG).

* 407  https://www.kbv.de/html/mvz.php

* 408 Ibid.

* 409 Rainer Bobsin, Private Equity im Bereich der Gesundheits- und Pflegeeinrichtigungen in Deutschland : Grundlagen, Entwicklungen und Kontroversen, 2021.

* 410 Il s'agit en effet de la date à laquelle la possibilité de créer des MVZ d'une même spécialité a été supprimée.

* 411 Rainer Bobsin, Arztpraxen und Medizinische Versorgungszentren: Private-Equity-Gesellschaften forcieren Konzentrations-,Internationalisierungs- und Digitalisierungsprozesse, avril 2022.

* 412 Aurora Li, Uwe Zöllner et Michael Peters, Profite vor Patientenwohl. Private-Equity-Beteiligungen an Artzpraxen in Deutschland, Finanzwende, mai 2023, p. 20.

* 413 Voir par exemple : https://www.tagesschau.de/investigativ/panorama/investorengefuehrte-arztpraxen-101.html, https://www.zeit.de/2023/03/geld-operationen-ambulant-arztpraxen-umsatz, https://www.sueddeutsche.de/projekte/artikel/politik/arztpraxis-investoren-lauterbach-gesundheitssystem-patient-e230593/?reduced=true,

https://www.zdf.de/nachrichten-sendungen/heute-sendungen/arztpraxen-finanzinvestoren-versorgung-rendite-patienten-video-100.html.

* 414 Aurora Li, Uwe Zöllner et Michael Peters, op. cit., p. 13.

* 415 Ibid.

* 416 Katharina Schöneberg et Katrin Vitols, op. cit., p. 40.

* 417 Ibid.

* 418 Deutscher Bundestag, Drucksache 205166, op. cit.

* 419 Bericht des Bundesministeriums für Gesundheit an die Arbeitsgemeinschaft der Obersten Landesgesundheitsbehörden - Gutachten zu medizinischen Versorgungszentren (MVZ) mit Investorenbeteiligung, 2022. Ce rapport a été publié en annexe de la réponse du Gouvernement fédéral à une question écrite parlementaire du groupe politique CDU/CSU en 2023 (Deutscher Bundestag, Drucksache 205166). Il se fonde sur les douze études sur les MVZ publiées par des instituts de recherche et des universitaires entre 2020 et 2022.

* 420 Bericht des Bundesministeriums für Gesundheit, op. cit., p. 3.

* 421 Ibid.

* 422 Ibid., p. 11.

* 423 Ibid.

* 424 Kassenzahnärtzliche Bundesvereinigung (KZBZ), Fremdinvestoren in der vertragszahnärztlichen Versorgung, 2024, p. 21.

* 425 Bericht des Bundesministeriums für Gesundheit, op. cit., p. 2.

* 426 Ibid., p. 2.

* 427 KZBZ, op. cit., p. 6.

* 428 Ibid.

* 429 Ibid., p. 5.

* 430 Ibid.

* 431 Bericht des Bundesministeriums für Gesundheit, op. cit., p. 9.

* 432 Ibid., p. 10.

* 433  Gesetz zur Verbesserung der Versorgungsstrukturen in der gesetzlichen Krankenversicherung, GKV-Versorgungsstrukturgesetz - GKV-VStG, 22. Dezember 2011.

* 434 Katharina Schöneberg et Katrin Vitols, op. cit., p. 25.

* 435 Ibid., p. 26.

* 436  Gesetz für schnellere Termine und bessere Versorgung (Terminservice- und Versorgungsgesetz - TSVG), 6. Mai 2019.

* 437 Gesetz zur Stärkung der Versorgung in der gesetzlichen Krankenversicherung (GKV-VSG).

* 438 Ibid.

* 439 Gesetz für schnellere Termine und bessere Versorgung.

* 440 Andreas Ladurner, Ute Walter et Beate Jochimse Stand und Weiterentwicklung der gesetzlichen Regelungen zu medizinischen Versorgungszentren, 2020.

* 441 Bericht des Bundesministeriums für Gesundheit, op. cit., p. 13.

* 442 Voir notamment : https://www.kzbv.de/versorgungsfremden-investoren-den-riegel.1816.de.html# et https://www.kzbv.de/zahnmedizinische-versorgungszentren.1280.de.html

* 443 Voir notamment : https://www.bundesaerztekammer.de/presse/aktuelles/detail/mvz-regulierung-rechtlich-moeglich-und-dringend-geboten

* 444  https://www.bbmv.de/2023/03/30/mvz-regulierung-kassen-und-landesgesundheitsminister-gehen-unterschiedliche-wege/

* 445  https://www.gkv-spitzenverband.de/gkv_spitzenverband/presse/pressemitteilungen_und_statements/pressemitteilung_1595456.jsp

* 446  https://www.tagesschau.de/inland/innenpolitik/gesetz-gegen-aufkauf-arztpraxen-101.html

* 447  https://www.bundesgesundheitsministerium.de/service/gesetze-und-verordnungen/detail/gvsg.html

* 448 Bericht des Bundesministeriums für Gesundheit, op. cit., p. 9.

* 449 Ibid., p. 10.

* 450 Ibid., p. 16-17.

* 451 Ibid., p. 21-22.

* 452 Ibid., p. 19.

* 453 Bundesrat, Entschließung des Bundesrates Schaffung eines MVZ-Regulierungsgesetzes, 16 juin 2023, Drucksache 211/23.

* 454 Ibid.

* 455 Ibid.

* 456 Ibid.

* 457 Ibid.

* 458 Bericht des Bundesministeriums für Gesundheit, op. cit., p. 12.

* 459 Janlöv Nils et al., Sweden - Healthcare system review, European Observatory on Health and Policies (vol. 25, no. 4) , 2023, p. 10.

* 460 Dont en particulier le Conseil national de la santé et du bien-être (Socialstyrelsen), qui est l'agence centrale du gouvernement pour les services de santé et sociaux.

* 461 OECD, European Observatory on Health and Policies, State of Health in the EU, Sweden Country Health Profile 2023, p. 9.

* 462 Janlöv Nils et al., op. cit., p. 25.

* 463 Ibid.

* 464 Ibid., p. 18.

* 465 Ibid., p. 25.

* 466  https://www.euractiv.com/section/health-consumers/news/sweden-explores-increased-state-control-over-healthcare/

* 467 Janlöv Nils et al., op. cit., p. 51.

* 468 OECD, European Observatory on Health and Policies, State of Health in the EU, op. cit., p. 10.

* 469 Janlöv Nils et al., op. cit., p. 79.

* 470 Ibid., p. 18.

* 471 Lag om valfrihetssystem 2008:962

* 472 Janlöv Nils et al., op. cit., p. 45.

* 473 Ibid., p. 74

* 474 Janlöv Nils et al., op. cit., p. 111 et suiv.

* 475  Patientlag (2014:821)

* 476 OCDE, Groupe de travail n° 2 sur la concurrence et la réglementation, Concevoir des marchés de soins de santé financés par des fonds publics - Note de la Suède, novembre 2018, p. 4.

* 477 Janlöv Nils et al., op. cit., p. 114.

* 478 Ibid.

* 479 Ibid.

* 480 Voir infra.

* 481 Riksdag, compte rendu intégral des débats, débat du 23 janvier 2013 sur le capital-investissement dans l'éducation, la santé et l'aide sociale, Prot. 2013/14:59, pp 16 et suiv.

* 482 Ibid.

* 483 Ibid.

* 484 Christoffer Lindbom et Noah Jost, Private equity ownership in the Swedish secondary healthcare sector and its impact on financial performance, availability and quality of care, Lund University, School of Economics and Management, 2021.

* 485 European Public Health Association, Private equity investment in Sweden's primary care sector and regulatory responses to avoid risk selection, in European Journal of Public Health, Volume 33, Issue Supplement_2, octobre 2023.

* 486 Ibid.

* 487  https://www.aleris.se/bolagsstyrning

* 488  https://www.bolagsfakta.se/5567431951-Aleris_Narsjukvard_AB B

* 489  https://www.aleris.se/om-aleris/

* 490  Lag (2023:560) om granskning av utländska direktinvesteringar

* 491 L'article 3 de la loi définit ainsi les « activités dignes de protection » : 1. les activités importantes pour la société ; 2. les activités sensibles sur le plan de la sécurité (...) ; 3. la prospection, l'extraction, l'enrichissement ou la vente de matières premières critiques ou de métaux ou minéraux d'importance stratégique pour l'approvisionnement de la Suède ; 4. le traitement à grande échelle de données personnelles sensibles ou de données de localisation dans ou par le biais d'un produit ou d'un service ; 5. la fabrication ou le développement, la recherche ou la fourniture de matériel de guerre (...) ou la fourniture d'une assistance technique liée à ce matériel de guerre ; 6. la fabrication ou le développement, la recherche ou la fourniture de biens à double usage ou la fourniture d'une assistance technique liée à ces biens ; et 7. la recherche ou la fourniture de produits ou de technologies dans le domaine des technologies émergentes ou d'autres technologies à valeur stratégique, ou les activités ayant la capacité de fabriquer ou de développer de tels produits ou de développer de telles technologies.

* 492  https://www.whitecase.com/insight-our-thinking/foreign-direct-investment-reviews-2024-sweden

* 493  https://www.regeringen.se/contentassets/ab453b2fde624fe9ae9caed6cddd5956/ett-granskningssystem-for-utlandska-direktinvesteringar-till-skydd-for-svenska-sakerhetsintressen.pdf (p. 25)

* 494 Vårdföretagarna, Privat Vårdfakta 2022, Fakta och statistik om den privat drivna vård- och omsorgsbranschen.

Partager cette page