II. DEUX ANS APRÈS LA GÉNÉRALISATION DU DISPOSITIF : QUEL BILAN EN TIRER ?
A. UNE MISE EN oeUVRE PARCELLAIRE, LOIN DU SATISFECIT PRÉSIDENTIEL
1. « 90 % des enfants de primaire réalisent les 30 minutes d'activité physique par jour » ?
À l'occasion de l'inauguration du centre aquatique olympique en avril dernier, le Président de la République a salué la réussite de la généralisation des 30 minutes d'activité physique : « On a maintenant 90 % de nos enfants en primaire qui ont cette demi-heure de sport qu'on a mise en place. Les 30 minutes, comme vous le savez, qui sont si importantes »5(*).
Or, l'analyse par les rapporteurs de l'enquête réalisée auprès des directeurs d'école du primaire et publiée en janvier 2024 offre des résultats beaucoup plus contrastés : tout d'abord, seuls 60,7 % des directeurs d'école ont répondu au questionnaire. Comme le reconnaissent les services du ministère de l'éducation nationale, « il existe beaucoup de flous sur l'application de cette mesure dans les 40 % des écoles n'ayant pas répondu ».
Une deuxième précision vient minorer davantage encore le pourcentage de participation des élèves : cette annonce de neuf écoles sur dix participant à ce dispositif comptabilise de la même manière les écoles, quel que soit le nombre de classes engagées. Or, 12 % des directeurs d'école qui mettent en oeuvre l'APQ précisent que celle-ci concerne moins de la moitié des classes.
Loin des chiffres présentés par le Président de la République, les rapporteurs constatent que seules 42 % des écoles primaires mettent en oeuvre de manière certaine l'APQ pour plus de la moitié de leurs élèves.
2. Un kit sportif par école ?
Volet important de la communication ministérielle, toutes les écoles doivent recevoir un kit sportif visant à faciliter la mise en oeuvre de l'APQ. À l'automne 2023, les services du ministère de l'éducation nationale prévoyaient une distribution du kit à chaque école « d'ici la fin d'année civile 2023 »6(*).
Les rapporteurs constatent un retard important et un déploiement inégal de la mesure dans les territoires. L'objectif présenté aux rapporteurs lors des auditions était la livraison des kits à l'ensemble des écoles avant la fin de l'année scolaire 2024, soit un retard de six mois par rapport au délai initialement prévu. Or, ce nouveau calendrier n'a pas non plus été respecté. Dans l'Essonne, fin mai, seules 62 % des écoles ont été livrées, la direction départementale des services académiques de l'éducation nationale espérant un taux de couverture de 90 % d'ici la fin juin 2024. Or, les rapporteurs ont constaté que ce nouveau délai n'avait pas été respecté sur l'ensemble du territoire en raison des difficultés d'acheminement entre le lieu de stockage des kits au niveau académique ou de la circonscription et chaque école, mais aussi en raison de leur nombre insuffisant.
Surtout, contrairement aux affirmations, l'ensemble des écoles ne pourront pas bénéficier du kit sportif : d'une part, alors que l'APQ concerne les élèves du primaire7(*) - ce qui inclut les élèves de maternelle - le ministère de l'éducation nationale a indiqué aux rapporteurs que seules les écoles élémentaires sont concernées par la distribution du kit. Le ministère justifie ce rétrécissement de périmètre par le fait que les 30 minutes d'APQ ont vocation à n'intervenir que les jours sans EPS. Pour la direction générale de l'enseignement scolaire (Dgesco), le développement de la motricité est l'un des apprentissages fondamentaux qui doit être pratiqué chaque jour en maternelle : le programme des 30 minutes d'APQ ne s'applique donc pas d'où la non-livraison de kits. Les rapporteurs regrettent cette interprétation administrative8(*) qui vient priver de nombreuses écoles maternelles de ces petits matériels sportifs facilement utilisables. Elle s'inscrit à rebours de la position de Paris 2024 lors de la première phase : les écoles maternelles volontaires recevaient ce kit.
Par ailleurs, selon les informations transmises aux rapporteurs, des kits pourraient manquer dans certains territoires. Ainsi, environ 10 % des écoles élémentaires des académies de Versailles et Créteil pourraient ne pas en bénéficier.
Enfin, les rapporteurs alertent sur la situation des regroupements pédagogiques intercommunaux (RPI). Si d'un point de vue juridique, ils ne forment qu'une seule école, les sites d'un même RPI sont éloignés les uns des autres. La livraison d'un seul kit pour l'ensemble du RPI diminue la portée du dispositif.
L'utilité des kits : des points de vue divergents selon les enseignants
Les rapporteurs ont entendu des avis divergents sur l'utilité des kits. Si certains enseignants saluent leur contenu qui a permis de compléter utilement les matériels dont ils disposaient auparavant, d'autres ont indiqué qu'ils faisaient doublon avec celui mis à disposition par la commune. À ce sujet, la FSU-SNUipp a indiqué qu'elle aurait préféré le versement d'un montant forfaitaire à chaque école permettant aux équipes pédagogiques de choisir le matériel afin de tenir compte de celui existant, des spécificités et des projets de l'école.
Certaines écoles disposant d'un grand nombre de classes regrettent de n'avoir pu disposer que d'un seul kit pour l'ensemble des élèves.
Enfin, l'un des enseignants a souligné l'usure relativement rapide d'un matériel utilisé très régulièrement posant la question de l'avenir de ce dispositif en l'absence du renouvellement du kit dans quelques années.
3. Un dispositif pour construire une « nation sportive » ?
La présentation du dispositif faite par le Président de la République interroge : « la mise en place de 30 minutes d'activité sportive pour tous les élèves de primaire »9(*) vise selon lui à « construire une nation sportive encore plus forte qu'aujourd'hui, à l'école, dans les clubs, avec l'ensemble des associations et dans le sport professionnel et gagner le maximum de médailles » et « d'inscrire pleinement le sport à l'école »10(*).
Le changement sémantique d'activités « physiques » à « sportives » et la présentation du dispositif comme un moyen « d'inscrire pleinement le sport à l'école » mélangeant pêle-mêle les clubs sportifs, le sport professionnel ainsi que les performances sportives ont semé le trouble sur son objectif. Cette confusion s'est accentuée en septembre 2023 lorsqu'a été évoqué l'objectif de passer « à terme à une heure par jour pour construire une nation sportive ».
Activités physiques et activités sportives ne sont pas synonymes. La première notion vise une dépense d'énergie, des exercices facilement réalisables sans infrastructures, matériels ou tenues particuliers. C'est d'ailleurs ce que souligne la note de service de 2022 qui précise que les 30 minutes d'APQ ne nécessitent pas de tenues sportives et peuvent se faire dans les locaux scolaires, y compris les salles de classe. Il s'agit de « bouger » de manière ludique, dans un objectif de santé, de bien-être et de développement des capacités motrices des élèves.
L'activité sportive s'inscrit dans le cadre de disciplines régies par des règles précises. Si elle constitue une activité physique, l'inverse n'est pas vrai.
Enfin, l'EPS est une discipline d'enseignement obligatoire avec des apprentissages à maîtriser et un horaire dédié.
Alors que l'aspect sportif domine dans la communication présidentielle sur ce dispositif, les rapporteurs soulignent que celui-ci est avant tout un moyen de lutter contre la sédentarité : le contenu du cahier des charges de l'AMI en 2020 en témoigne : « Cette initiative s'inscrit dans le cadre de la démarche École promotrice de santé qui fédère toute action éducative et tout projet pédagogique de promotion de la santé dans le projet d'école ».
Les rapporteurs tiennent à le souligner avec force : ce dispositif n'a pas vocation à construire une « nation sportive », mais une « nation en bonne santé »11(*).
4. Un projet copiloté par le ministère de l'éducation nationale et le ministère des sports ?
Les auditions menées par les rapporteurs ont souligné la coordination complexe entre le ministère de l'éducation nationale, le ministère des sports et Paris 2024. Le ministère des sports a ainsi fait part de ses difficultés à mettre sur le site de ressources de l'éducation nationale, « eduscol », les fiches et vidéos d'activités physiques qu'il a réalisées : un délai de six mois à un an a été nécessaire pour surmonter les réticences du ministère de l'éducation nationale.
Quant à l'évaluation du dispositif, alors que la note de service du 27 juillet 2022 prévoit un suivi et une évaluation de la mesure « assurés conjointement par le ministère de l'Éducation nationale et de la Jeunesse (direction générale de l'enseignement scolaire) et le ministère des Sports et des Jeux olympiques et paralympiques (direction des sports) », ce dernier n'a pas été associé à la première enquête dont les résultats ont été publiés début 2023. Ses représentants regrettent notamment qu'aucune question ne porte sur la participation de clubs sportifs ou sur la nature de l'activité proposée.
Le rôle du ministère des sports est ainsi principalement relégué à celui de principal financeur des kits12(*) - et encore avec une tentation constatée par les rapporteurs de la part du ministère de l'éducation nationale de minorer cette réalité en s'en attribuant le co-financement.
Lors de son audition, Marie Barsacq, directrice exécutive en charge du programme « héritage » de Paris 2024 a souligné pour sa part qu'« il n'est pas facile de discuter avec la direction générale de l'enseignement scolaire » et regrette au moment où « celle-ci prend le relai, l'absence d'énergie. Nous réunissions les référents 30 minutes APQ, proposions des outils. Aujourd'hui, il y a trop de territoires sur lesquels les 30 minutes APQ sont subies, car les enseignants ne sont pas accompagnés ».
* 5 Conférence de presse de M. Emmanuel Macron, Président de la République, sur les Jeux olympiques 2024, à Saint-Denis le 4 avril 2024. https://www.vie-publique.fr/discours/293766-emmanuel-macron-04042024-jeux-olympiques-2024
* 6 Réponse au questionnaire budgétaire.
* 7 Cf. notamment note de service du 27 juillet 2024 sur la généralisation des 30 minutes d'activité physique quotidienne à l'école primaire.
* 8 Les écoles maternelles semblent désormais exclues de ce dispositif puisque tant le ministère de l'éducation nationale que Paris 2024 évoquent le chiffre de 36 000 écoles concernées, soit les seules écoles accueillant des classes élémentaires.
* 9 Propos tenus par le Président de la République lors de son déplacement à Marseille en juin 2022.
* 10 Interview du Président de la République du 23 juin 2023.
* 11 À titre d'exemple, l'académie de Versailles identifie 6 objectifs de l'APQ dans le cadre de sa présentation du dispositif : dépasser les dépenses énergétiques du métabolisme au repos, mettre en place des habitudes de santé pour qu'elles s'installent durablement, associer l'activité physique au plaisir afin de générer un impact plus étendu sur la santé à long terme, développer un savoir bouger ludique, favoriser le bien-être des élèves, favoriser les compétences psychosociales (autonomie, engagement, persévérance, confiance de soi).
* 12 La répartition pour le financement des kits est la suivante : 2 millions d'euros pour Paris 2024, 3 millions d'euros pour l'agence nationale du sport et 3,23 millions d'euros pour le ministère des sports.