C. DES CAUSES IDENTIFIÉES DE FAÇON PARTIELLE
Les causes de la dégradation de la santé périnatale en France, et singulièrement dans certains territoires évoqués ci-dessus, restent difficiles à appréhender dans leur globalité.
Certains facteurs de risque sont connus : âge plus tardif de la grossesse, mauvais état de santé général, obésité et précarité en particulier. Au-delà des facteurs de risque individuels, des facteurs environnementaux peuvent également jouer.
D'autres hypothèses peuvent être formulées quant à l'organisation du système de santé sans que des études nationales globales ne permettent d'analyser finement l'effet que peuvent avoir l'organisation de l'offre de soins et les caractéristiques d'une maternité sur le risque de mortalité ou de complications chez la mère et l'enfant.
1. Des mères en moins bonne santé, plus précaires et plus âgées
a) Une plus grande prévalence de profils de risques élevés et de grossesses pathologiques parmi les parturientes
D'après les données du rapport de surveillance périnatale38(*) conduit par Santé publique France, plusieurs éléments concernant l'évolution du profil des parturientes pourraient expliquer cette dégradation des indicateurs parmi lesquels l'augmentation de l'âge de la mère ou encore l'évolution de l'obésité.
L'âge des mères au moment de l'accouchement est en augmentation constante depuis 1995 en France. La part des mères de 35 ans et plus a doublé en trente ans, passant de 12,4 % en 1995 à 24,6 % en 2021. Or, lors de leur audition, les membres de l'équipe EPOPé ont indiqué qu'à partir de cet âge, le risque d'apparition de certaines pathologies comme le diabète gestationnel était accru mais également que les risques de complication au cours de l'accouchement - saignements, infections, embolies pulmonaires - étaient en augmentation. Toutefois, la part des mères de 35 ans et plus en France reste bien inférieur à ceux rencontrés dans plusieurs pays, notamment du sud de l'Europe. Selon la dernière édition du rapport Euro-Peristat, ce taux était en 2019 de 40 % en Espagne, 39,4 % en Irlande, 34,4 % en Italie et 33,2 % au Portugal39(*).
Suivant la courbe constatée en population générale, entre 2003 et 2016, la prévalence des femmes en situation de surpoids ou d'obésité avant la grossesse a fortement augmenté passant de 22,8 % en 2003 à 31,8 % en 2016. La part des mères en situation d'obésité avant la grossesse a doublé en trente ans, passant de 7,4 % en 2003 à 14,4 % en 202140(*). L'obésité et le surpoids sont des facteurs aggravants de risque pour la mère mais également pour l'enfant. Dans sa réponse au questionnaire transmis par la rapporteure, Santé publique France indique que la prévalence du diabète gestationnel a ainsi été multipliée par deux entre 2010 (6,7 %) et 2019 (13,6 %). Or le diabète gestationnel est associé à une augmentation des risques aussi bien chez la mère (césarienne, éclampsie...) que chez le nouveau-né (prématurité, détresse respiratoire...). On relève des disparités territoriales en la matière : les taux d'obésité morbide sont élevés dans les Hauts-de-France (1,3 % en 2019), et bien plus faibles en Paca et en Corse (0,5 et 0,4 % respectivement en 2019). Dans les Drom, on retrouve des taux élevés pour la Martinique (3,7 % en 2019) et plus faibles en Guyane (0,6 % en 2019).
On constate également une permanence de comportements à risque chez la femme enceinte, même si la situation s'améliore récemment. Ainsi, en 2021, 12,2 % des femmes ont fumé au moins une cigarette par jour au troisième trimestre de la grossesse (contre 16,3 % en 2016) tandis que 1,1 % des femmes déclarent qu'il leur est arrivé de consommer du cannabis au cours de celui-ci (contre 2,1 % en 2016)41(*). Toutefois, comme pour les déclarations relatives à la consommation d'alcool, ces chiffres doivent faire l'objet de certaines précautions car ces comportements à risque sont souvent largement sous-déclarés.
Par ailleurs, certaines pathologies préexistantes à la grossesse comme l'endométriose ou le syndrome des ovaires polykystiques sont en évolution en population générale. Concernant l'endométriose, une étude de Santé publique France publiée en 2022 indiquait qu'entre 2011 et 2017, le risque d'endométriose prise en charge à l'hôpital a augmenté de 10,4 % chez les femmes de 25 à 49 ans42(*). Ces pathologies ont un impact sur la grossesse, son suivi et l'accouchement et peuvent engendrer des complications, ce qui implique d'accorder une attention spécifique à leur dépistage, leur suivi et leur prise en charge au cours de la grossesse.
b) L'augmentation de la précarité et des difficultés socio-économiques : un facteur déterminant de la dégradation des indicateurs
Les décès maternels sont marqués par de fortes inégalités sociodémographiques. Le risque de décès est plus élevé pour :
Source : 7e rapport de l'enquête nationale confidentielle sur les morts maternelles (ENCMM) 2016-2018
La grossesse est une période au cours de laquelle de nombreuses vulnérabilités peuvent apparaître ou se renforcer. Une étude anglaise publiée en 2019 et portant sur l'augmentation de la mortalité infantile dans le pays entre 2010 et 201743(*) estimait qu'un tiers de l'augmentation de la mortalité infantile en Angleterre entre 2014 et 2017 pouvait être attribuée à l'augmentation de la pauvreté infantile, souvent liée à celle de la mère. La question de l'isolement des mères et de la précarité sociale est un facteur déterminant dans la qualité des indicateurs.
En Île-de-France, la plus forte prévalence de femmes enceintes ou en suites de couche n'ayant pas d'hébergement fait partie des facteurs explicatifs d'indicateurs de santé plus défavorables. En 2016, une maternité sur six déclarait accueillir au moins une fois par mois des femmes sans hébergement à la sortie de la maternité44(*) et la part des femmes déclarant vivre dans un foyer d'accueil ou à l'hôtel a augmenté, passant de 0,8 % en 2016 à 1,5 % en 202145(*).
Enfin, selon l'enquête nationale périnatale de 2021, la part des femmes de nationalité étrangère accouchant en France métropolitaine a légèrement augmenté entre 2016 et 2021, passant de 14,1 % à 15,8 %. Selon cette même étude, le risque de décès est multiplié par deux pour les femmes migrantes par rapport aux femmes nées en France. Parallèlement, le taux d'accouchement des femmes étrangères en situation irrégulière, avec une facturation à l'AME, a également augmenté en France, passant de 1,6 % en 2010 à 2,4 % en 2019.
À ces difficultés, souvent cumulatives, peuvent s'ajouter des situations de violences conjugales. La grossesse constitue une période de risque accru de l'apparition ou de l'aggravation de ces violences. Selon les résultats de l'enquête nationale périnatale 2021, 6 % des femmes déclarent avoir été victime de violences psychologiques un an avant, pendant ou après la grossesse et 1,3 % avoir subi des violences physiques46(*).
La précarité est, en outre, plus souvent associée à un suivi incomplet, voire à l'absence de suivi de la grossesse. Un rapport de l'Insee47(*) souligne le fait que les inégalités sociales de santé apparaissent avant la naissance du fait de différences de suivi prénatal et de comportements à risque pour l'enfant à naître. L'enquête nationale périnatale de 2016 montrait un risque 5 fois plus élevé de prématurité en l'absence de suivi et un risque multiplié par 3 de naissances de nouveau-nés pesant moins de 2 500 g48(*). Dans les populations en difficultés, les taux de naissance prématurée (8,5 %) et d'enfants de poids de naissance inférieur à 2 500 g (9,5 %) sont en effet significativement augmentés49(*).
Comme précédemment évoqué, ces difficultés dans le suivi sont particulièrement fortes en outre-mer. Selon Jean-Mathieu Defour, directeur du centre hospitalier de Mayotte, « l'absence de suivi fait que l'on souffre de morbidité pour des pathologies parfaitement traitées en métropole comme le diabète gestationnel ou l'hypertension et qui deviennent très lourdes à suivre [à Mayotte]. Les équipes subissent une surcharge de travail avec une multiplication des accouchements difficiles qui augmentent, par ricochet, la mortalité périnatale à la fois de la mère et de l'enfant. »50(*)
Toutefois, la plupart de ces constats quant à l'évolution du profil des parturientes et à la prise en charge croissante de bébés de plus en plus prématurés51(*) sont largement partagés au sein des autres pays de l'OCDE. De nombreuses personnes entendues par la mission d'information ont pu confirmer que ces éléments ne constituaient pas, en tant que tels, une « spécificité française ». Ainsi, l'augmentation de la mortalité néonatale observée en France depuis 2012 reste, selon Santé publique France, « scientifiquement inexpliquée »52(*).
2. Une fragmentation des bases de données qui rend difficile l'analyse des effets induits par l'organisation du système de santé et les pratique des professionnels
Lors de leur audition, les chercheurs de l'équipe EPOPé de l'Inserm ainsi que les représentants de Santé publique France ont exposé les difficultés auxquelles ils font face pour réaliser des enquêtes de surveillance périnatale, en raison de la fragmentation des bases de données disponibles.
En effet, trois grandes catégories de sources de données relatives à la périnatalité existent en France.
Tout d'abord, les bases de données fonctionnant « en routine » sur l'ensemble du territoire :
- les bulletins de naissance et de décès de l'état civil, transmis à l'Insee, mais qui ne contiennent pas d'information médicale pour les premiers et peu d'informations contextuelles pour les seconds ;
- le système national des données de santé (SNDS) qui compile les informations du Programme de médicalisation des systèmes d'informations (PMSI), les consommations de soins de ville issues des informations de l'Assurance maladie (Sniiram - système national d'information inter régimes de l'Assurance maladie) et les données statistiques relatives aux causes de décès (BCMD) gérées par le CépiDc de l'Inserm ;
- les certificats de santé de l'enfant du 8e jour. Toutefois, Santé publique France tout comme l'Assurance maladie ont indiqué, lors de leurs auditions par la mission, qu'en raison du caractère très inégal de la qualité des informations présentes dans ces certificats, leur exploitation au niveau national n'était plus réalisée aujourd'hui.
Selon Jennifer Zeitlin, directrice de recherche à l'Inserm, ces bases de données « n'ont pas été établies pour faire de la recherche sur la santé périnatale ; elles n'ont donc pas été conçues pour être reliées : d'où un système d'information français très fragmenté et sous-utilisé »53(*). Plusieurs cas concrets ont pu être présentés devant la mission d'information lors de ses travaux.
Ainsi, les certificats de décès néonataux centralisés par le CépiDC ne sont pas correctement reliés aux bulletins de naissance centralisés par l'Insee, alors même que ces derniers comportent certains éléments sur les caractéristiques de la naissance.
Un autre exemple évoqué devant la mission concerne les statistiques de mortinatalité (enfants nés sans vie) et celles de mortalité néonatale (enfants nés vivants puis décédés). Les premières sont issues aujourd'hui du PMSI quand les secondes proviennent des données de l'Insee. La coexistence sans chaînage entre ces deux bases aboutit, selon la Drees, à ce qu'environ 100 à 150 enfants par an soient à la fois enregistrés dans les chiffres de la mortinatalité et dans ceux de la mortalité néonatale (soit 5 à 8 % des décès néonatals également comptés comme mort-nés)54(*).
Enfin, l'appariement entre les données de consommation des soins de santé et celles des certificats de décès gérés par le CépiDC est incomplet. Ainsi 69 % des décès infantiles ne sont pas appariés avec les autres données du SNDS, alors que ce taux n'est que de 10 % environ pour le reste de la population55(*), limitant fortement la possibilité de reconstituer le parcours de soins de la mère avant le décès de l'enfant.
Lors de son audition devant la mission d'information, Marguerite Cazeneuve, directrice déléguée à la gestion et à l'organisation des soins de la Caisse nationale de l'assurance maladie, a, elle aussi, fait état de difficultés d'exploitation des données : « D'une manière générale, [l'Assurance maladie ne dispose] pas de données cliniques, mais uniquement de données médico-administratives remplies par les professionnels de santé. Si nous pouvons identifier le motif d'une hospitalisation et les médicaments consommés, en revanche nous ignorons la taille et le poids du patient, ainsi que sa consommation éventuelle de tabac »56(*).
Une deuxième catégorie de données concerne les registres et les enquêtes en continu sur tout ou partie du territoire :
- l'enquête nationale confidentielle sur les morts maternelles (ENCMM) ;
- l'observatoire des morts inattendues du nourrisson (OMIN) créé en 2015 par le Centre hospitalier universitaire de Nantes en collaboration avec l'association nationale des centres référents de la mort inattendue du nourrisson ;
- sept registres des anomalies congénitales57(*) ;
- deux registres du handicap de l'enfant58(*).
Enfin, il existe des enquêtes ponctuelles et des cohortes :
- l'enquête nationale périnatale (ENP), parue pour la première fois en 1995, est réalisée à intervalles réguliers (5-6 ans) sous la direction de l'équipe de recherche en épidémiologie obstétricale périnatale et pédiatrique de l'Inserm (EPOPé) ;
- des enquêtes permettent de suivre des cohortes comme Epifane (suivi des mères et des enfants jusqu'à 1 an), Elfe (suivi d'enfants de la naissance à 18 ans), Epipage (suivi des enfants prématurés) ou encore Epimoms (sur la morbidité maternelle sévère).
Cependant, ces enquêtes sont extrêmement consommatrices de ressources humaines et financières, et difficilement renouvelables à intervalles réguliers au regard de la complexité des données étudiées.59(*)
La fragmentation des sources de données
nécessaires
à la surveillance de la santé
périnatale en France
Bases de données en routine |
Enquêtes en continu |
Enquêtes ponctuelles |
État civil (Insee) Bulletins de naissance et de décès |
ENCMM Enquête nationale confidentielle sur les morts maternelles (recueil de données exhaustifs sur tout le territoire) |
Enquête nationale périnatale (ENP) Surveillance de la santé périnatale (mères, enfants et pratiques médicales) |
Système national des données de santé - PMSI (données hospitalières) - Sniiram (soins de ville-Assurance maladie) - Certificats de décès (CépiDC - Inserm) |
OMIN Observatoire des morts inattendues du nourrisson (recueil de données exhaustif sur tout le territoire) |
EPIFANE Alimentation de l'enfant, la santé des mères et de l'enfant pendant sa première année de vie |
Certificats de santé de l'enfant du 8e jours Ces certificats ne font plus l'objet d'une exploitation nationale au regard du caractère très inégal de la qualité des informations saisies |
Registre des anomalies congénitales (7 registres sur le territoire) |
EPIPAGE Étude nationale pour le suivi des enfants prématurés |
Registre des handicaps de l'enfant (2 registres sur le territoire) |
ELFE Suivi d'enfant de la naissance jusqu'à l'âge adulte - impact des facteurs environnementaux et conditions de vie sur le développement des enfants |
|
EPIMOMS Étude de la morbidité maternelle sévère, conduite dans 9 réseaux de périnatalité |
||
EPICE Étude, au niveau européen, sur les naissances prématurées vivantes et sans vie |
Source : Mission d'information sur la santé périnatale d'après les éléments communiqués par Santé publique France
In fine, la France ne souffre pas tant d'un manque de données - elle est, par exemple, avec le Royaume-Uni, le seul pays d'Europe à disposer d'une enquête sur les morts maternelles aussi complète que l'ENCMM - que de difficultés d'exploitation scientifique de celles-ci. Cette fragmentation des bases de données empêche de réaliser une surveillance exhaustive et rend particulièrement complexe toute analyse fine des indicateurs de santé périnatale et de leurs déterminants.
D'autres pays disposent d'outils de supervision plus complets et surtout consolidés. Par exemple, la Suède a mis en place, depuis les années 1970 un registre médical national des naissances contenant la quasi-totalité des données sur l'ensemble des accouchements survenus dans le pays. Au Royaume-Uni, les données relatives aux enfants nés sans vie, aux décès néonatals et aux morts maternelles sont obligatoirement collectées dans un même programme scientifique centralisé aux fins de réalisation d'une enquête épidémiologique nationale (MMBRACE-UK).
Par ailleurs, cette fragmentation rend parfois difficiles les comparaisons internationales. Dans le cadre de l'enquête Euro-Peristat, les données fournies au niveau national proviennent du PMSI. Cependant, cette source n'inclut pas tous les indicateurs principaux demandés par l'Euro-Peristat, notamment la mortalité néonatale et la mortalité infantile, qui sont recueillies par l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). La France figure ainsi parmi les 8 pays sur 28 qui ne répondent pas au protocole de recueil des données exigé dans le cadre de cette étude internationale concernant la mortalité néonatale.
Cependant, en dépit des difficultés de croisement des données, des chercheurs parviennent à identifier des corrélations, voire des causalités entre certains événements indésirables graves dans le domaine de la santé périnatale, d'une part, et les caractéristiques de l'établissement ayant pris en charge la parturiente, d'autre part.
Ainsi, des chercheurs de l'Inserm ont analysé, à partir des données de l'ENCMM et des données Épimoms, les liens entre les hémorragies et les caractéristiques de la maternité d'accouchement après prise en compte des caractéristiques individuelles, estimant que l'hémorragie est un événement peu dépendant du niveau de risque initial propre à chaque femme et que la survenue de formes graves, voire létales, dépend donc essentiellement de la qualité de la prise en charge. Les différentes études montrent que le risque de mortalité maternelle par hémorragie est 2,4 fois plus élevé et celui de « near-miss » par hémorragie 2,3 fois plus élevé dans les maternités où un anesthésiste-réanimateur n'est pas présent 24h/24 par rapport à celles où tel est le cas. Elles font également état d'un « surrisque » de prise en charge inadéquate dans les maternités de type 1.
De même, l'analyse de 269 EIGS qui ont concerné des parturientes entre mars 2017 et décembre 2021 indique que la moitié des EIGS auraient pu être évités et sont liés à une inadéquation dans la prise en charge. Parmi les principales causes d'EIGS figure en première position le défaut ou le retard de prise en charge qui peut, dans le cadre d'un accouchement, correspondre à une césarienne trop tardive par exemple.
Répartition des EIGS selon leurs
principales causes
entre mars 2017 et
décembre 2021
Source : Haute Autorité de santé, réponse au questionnaire transmis par la rapporteure
L'Inserm, la Drees ou encore Santé publique France travaillent actuellement à l'amélioration des algorithmes qui servent à coder les données au sein du SNDS et ainsi permettre un meilleur chaînage entre les bases de données, notamment celles du CépiDC sur les causes de décès, et ainsi améliorer l'identification et le suivi des parcours mère-enfant. L'objectif est d'atteindre un taux de chaînage des causes de décès proche de 100 % contre un peu plus de 80 % aujourd'hui.
En outre, face au manque d'appariements avec les dossiers patients en ville, l'Assurance maladie met en oeuvre des développements pour équiper le logiciel des professionnels de santé d'un filtre d'anonymisation permettant de saisir des données cliniques qui pourront par la suite être récupérées, sans pour autant pouvoir identifier les personnes concernées.
Recommandation n° 2 : Créer un registre national des naissances et de la mortalité néonatale et soutenir l'appariement de l'ensemble des bases de données donnant accès à des informations détaillées sur la mère et sur l'enfant pendant la grossesse, l'accouchement et la période néonatale. |
Toutefois, ces évolutions ne seront pleinement efficaces que si les données sont saisies de façon exhaustive et standardisée. Dès lors, il semble important de renforcer les exigences d'évaluation et de sensibilisation des professionnels de santé à ces problématiques.
3. Une véritable culture de l'évaluation à faire émerger pour fiabiliser les données recueillies et analysées
a) Un processus de certification des établissements de santé ne prenant que peu en compte les activités liées à la maternité et la périnatalité
Au cours de ses travaux, la mission d'information a pu constater également que l'évaluation de la qualité des soins et les processus de certification souffraient de plusieurs faiblesses.
La Haute Autorité de santé (HAS) est en charge de la certification des établissements de santé. Elle procède pour cela à une certification des établissements dans leur ensemble et non spécialité par spécialité. Si la maternité est bien un secteur intégré dans le processus de certification, seuls deux indicateurs concernent spécifiquement les activités liées à la maternité : le premier critère porte sur l'établissement par les équipes soignantes d'un projet de naissance avec les futurs parents ; le second est relatif à la maîtrise des risques liés à l'hémorragie du post-partum. Bien que les autres critères de certification s'appliquent également aux services d'obstétrique, la présence de seulement deux critères spécifiques à la périnatalité interroge.
Alors que l'intégration de la maîtrise des risques liés à l'hémorragie du post-partum à la démarche de certification des établissements a contribué à l'adoption de mesures concrètes et au développement de bonnes pratiques de nature à diminuer les hémorragies et leurs conséquences, intégrer d'autres indicateurs concernant spécifiquement l'obstétrique à cette démarche serait de nature à renforcer l'attention portée à l'amélioration de la prise en charge de la santé périnatale.
Par ailleurs, le logiciel de certification des établissements de santé ne permettant pas aujourd'hui d'extraire les données pour chaque critère, les résultats des établissements de santé sur les deux critères mentionnés plus haut n'ont pas pu être fournis à la mission d'information par la Haute Autorité de santé. Ainsi la HAS n'a pu fournir que les résultats de certification pour les établissements disposant d'une maternité par rapport aux résultats de certification des établissements ne disposant pas de maternité.
Il apparaît alors que les établissements de santé avec activité de maternité semblent être plus fréquemment certifiés sous conditions que les autres. Toutefois, ces informations ne permettent pas d'identifier si la maternité est la raison de la certification avec conditions ou, beaucoup plus rarement, du refus de certification de l'établissement. Ces éléments révèlent un vrai manque dans le processus de contrôle de l'activité des établissements.
Recommandation n° 3 : Développer de nouveaux critères de certification spécifiques aux activités de maternité. |
b) Un suivi des événements indésirables graves associés aux soins perfectible
Au-delà de la certification des établissements, c'est l'ensemble du processus de déclaration et d'évaluation des événements indésirables graves associés aux soins (EIGS) qui doit être amélioré.
Les établissements de santé sont tenus de les déclarer60(*) aux agences régionales de santé (ARS) et complètent un formulaire permettant d'analyser l'événement en question61(*). Après anonymisation, les ARS les transmettent à la HAS. Sur cette base, la HAS établit un rapport annuel d'analyse portant notamment sur la gynécologie-obstétrique.
Cependant, l'absence d'individualisation des EIGS par établissement ne permet pas d'en tirer des enseignements au niveau national. Il revient à chaque ARS de mobiliser les dispositifs spécifiques régionaux en périnatalité (DSRP - anciennement réseau de santé en périnatalité) pour améliorer l'identification des causes et la définition de mesures correctrices. Lors de son audition par la rapporteure, la direction générale de l'offre de soins a exprimé sa volonté de généraliser ces pratiques sur l'ensemble des régions mais un véritable pilotage national fait défaut, ce qui ne permet pas de disposer d'un panorama et d'un outil de supervision exhaustif.
Au-delà des problématiques liées à l'anonymisation des EIGS qui empêchent notamment d'identifier précisément les établissements concernés, plusieurs intervenants ont fait part d'une faible culture de l'évaluation qui conduit à une sous-déclaration de ce type d'événements ou à une déclaration de mauvaise qualité. Ainsi, dans le rapport 2022 sur les événements indésirables graves associés aux soins, la HAS précise que plus de 50 % des déclarations présentaient une qualité insuffisante, rendant leur exploitation difficile62(*). Dans sa réponse écrite au questionnaire transmis par la rapporteure, la HAS indique ainsi que « la base de données EIGS n'étant pas exhaustive en raison d'une sous-déclaration importante malgré l'obligation de déclaration, les données quantitatives ne présentent pas de valeur épidémiologique ou statistique généralisable à l'ensemble de la population ou à des soins pour caractériser un secteur d'activité ».
Dans ce contexte, la seule levée de l'anonymat sur les EIGS ne pourrait être une solution car elle pourrait entraîner une augmentation de la sous-déclaration par les établissements de santé. Lors de son déplacement dans le Morbihan au sein du groupement hospitalier Brocéliande-Atlantique, la mission a pu constater que la mise en place de nouvelles procédures concernant la déclaration des événements indésirables peut s'avérer compliquée et mal comprise par les équipes sur place. Ces dernières peuvent en effet y voir une remise en cause de la qualité de leur travail plutôt qu'un outil d'amélioration des processus et des prises en charge.
La déclaration de l'événement indésirable doit pouvoir être assimilée par le personnel non pas comme une finalité en soi, ou un acte qui entraînerait automatiquement une sanction, mais bien comme une étape d'un dispositif global de diminution des risques. Dans ce cadre, la déclaration des événements indésirables sans conséquence grave en raison de l'action des équipes, ou « near misses » selon le terme anglais utilisé, doit être encouragée.
Le rôle des ARS dans la communication auprès des établissements afin de clarifier les objectifs, le sens et les modalités du dispositif de déclaration de ces événements ainsi que dans l'accompagnement de sa mise en oeuvre, est primordiale. La prise en compte par les ARS des remontées de terrains réalisées par les dispositifs spécifiques régionaux de périnatalité (DSRP), notamment lors des revues de morbi-mortalité qui permettent d'analyser les EIGS, est tout aussi essentiel. Ces réunions sont indispensables au maintien des connaissances et à l'entretien d'une pratique performante de la prise en charge des parturientes. La possibilité de rendre obligatoire l'organisation de ces réunions pourrait être étudiée.
Par ailleurs, afin de mettre en place une véritable supervision des EIGS au niveau national et une comparaison scientifique sur tout le territoire, il pourrait être nécessaire de définir, au niveau national, un « tronc commun » précis d'EIGS en périnatalité devant faire l'objet d'une déclaration. Cela permettrait d'harmoniser les pratiques entre établissements concernant la caractérisation de l'EIGS. Comme a pu le souligner le collège national des gynécologues-obstétriciens français, une hystérectomie d'hémostase63(*) peut, par exemple, être déclarée comme un EIG, alors même que cela est parfois « le seul moyen d'éviter le décès dans une situation obstétricale complexe dans laquelle il n'y a ni erreur ni retard à la prise en charge »64(*).
c) Une saisie trop inégale des certificats de santé qui rend difficile toute exploitation au niveau national
Il apparaît tout aussi essentiel à la bonne connaissance et à l'amélioration de notre système de santé périnatale de sensibiliser les professionnels de santé à l'importance qui doit être accordée à la qualité de la saisie des informations. La question des certificats de santé dans les premiers jours du nourrisson est, à ce titre, prioritaire.
Les certificats de santé du 8e jour (CS8) ont été conçus à des fins de surveillance de la santé périnatale à l'échelle des départements et des services de protection maternelle et infantile (PMI). Ils permettent notamment de connaître le lieu précis de l'accouchement lorsque celui-ci ne se fait pas à l'hôpital (accouchement à domicile, maison de naissance...). Aujourd'hui ces données ne sont plus compilées à l'échelle nationale et ne font l'objet d'aucune centralisation en raison de leur qualité et de leur exhaustivité qui apparaissent très variables sur tout le territoire. Certains conseils départementaux ne transmettent même plus ces éléments à la Drees. Lors de son audition par la mission d'information, Marguerite Cazeneuve, directrice déléguée à la gestion et à l'organisation des soins de la Cnam, a indiqué que les PMI ne recevaient que 40 % de ces certificats de la part des médecins et qu'il s'agissait là « d'un problème majeur en matière de suivi des données »65(*). Dans sa réponse au questionnaire transmis par la rapporteure, la plateforme « Avenir de la PMI » indique également que les médecins et sages-femmes sont « insuffisamment sensibilisés à l'importance de ces données de santé », d'autant plus que, comme pour les EIGS évoqués plus haut, ils ne reçoivent « aucun retour de celles-ci ». Il est alors primordial que « ces données soit retranscrites aux médecins par un retour d'analyses systématiques ».
La qualité des données présentes dans les certificats de décès néonatals transmis au CépiDC entraîne également des difficultés pour la consolidation au niveau national de ces informations, alors même que les données relatives aux causes des décès contenues dans ce registre sont indispensables à la mise en place d'une réelle supervision du système de santé.
La mise en place d'un véritable registre des naissances souhaité par la mission d'information passe également par une évolution des mentalités et ne pourra être réellement efficace que si les données qu'il contient sont de qualité. Un tel travail implique un dialogue avec les professionnels de santé qui remplissent les certificats et les chercheurs qui les exploitent, ainsi que la mise en place de protocoles stricts pour la saisie et le codage des données.
Il s'agit de valoriser un cercle vertueux pour les professionnels, la bonne saisie de leurs données améliorant la recherche et in fine la connaissance et l'évaluation du système de santé, et donc leurs pratiques.
* 38 Rapport de surveillance de la santé périnatale en France 2010-2019, Santé publique France, mai 2024.
* 39 Rapport Euro-Peristat 2022, maternal age at delivery in Europe, 2015-2019, p. 86.
* 40 Cinelli H, Lelong N, Le Ray C et ENP2021 Study group. Rapport de l'Enquête Nationale Périnatale 2021 en France métropolitaine : Les naissances, le suivi à 2 mois et les établissements - Situation et évolution depuis 2016. Inserm, octobre 2022.
* 41 Cinelli H, Lelong N, Le Ray C et ENP2021 Study group. Rapport de l'enquête nationale périnatale 2021 en France métropolitaine : Les naissances, le suivi à 2 mois et les établissements - Situation et évolution depuis 2016. Inserm, octobre 2022.
* 42 Moal J., Goria S., Chesneau J., Fauconnier A., Kvaskoff M., De Crouy-Chanel P., Kahn.V., Daraï E., Canis M. Peyronnet A. Épidémiologie de l'endométriose prise en charge à l'hôpital en France : étude de 2011 à 2017. Saint-Maurice : Santé publique France, 2022.
* 43 Taylor-Robinson D, Lai ETC, Wickham S, et al. Assessing the impact of rising child poverty on the unprecedented rise in infant mortality in England, 2000-2017: time trend analysis.
* 44 Enquête nationale périnatale - rapport 2016 - Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) : Équipe de recherche en épidémiologie obstétricale, périnatale et pédiatrique (EPOPé).
* 45 Cinelli H, Lelong N, Le Ray C et ENP2021 Study group. Rapport de l'enquête nationale périnatale 2021 en France métropolitaine : Les naissances, le suivi à 2 mois et les établissements - Situation et évolution depuis 2016. Inserm, octobre 2022.
* 46 Ibid.
* 47 Mathilde Gaini, Nathalie Guignon, Muriel Moisy, Annick Vilain (Drees) ; Stéphane Legleye (Insee, Inserm) ; Stanislas Spilka (OFDT), Les inégalités sociales de santé apparaissent avant la naissance et se creusent durant l'enfance, 2020.
* 48 Fanny Tcheundjo Kanyep Delafoy, Vécu de la grossesse chez les femmes sans domicile fixe, Médecine humaine et pathologie, 2022.
* 49 Réponse de la Société française de néonatologie au questionnaire transmis par la rapporteure.
* 50 Table ronde sur la situation à Mayotte - 6 mai 2024.
* 51 Voir chapitre I.A .2 du présent rapport.
* 52 Compte rendu de l'audition de Santé publique France par la mission d'information - 18 mars 2024.
* 53 Compte rendu de l'audition par la mission d'information des membres de l'équipe EPOPé, 3 avril 2024.
* 54 Stabilité de la mortalité périnatale entre 2014 et 2019, Études et Résultats, Drees, n° 1199, juillet 2021.
* 55 Santé publique France, réponse au questionnaire écrit transmis par la rapporteure.
* 56 Compte rendu de l'audition par la mission d'information de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam), 10 avril 2024.
* 57 Antilles (Martinique, Guadeloupe), Auvergne (Allier, Cantal, Haute-Loire, Puy-de-Dôme), Rhône Alpes (Ain, Rhône, Isère, Loire), Bretagne (Ille-et-Vilaine, Côtes d'Armor, Finistère et Morbihan), Paris, La Réunion, Nouvelle-Aquitaine.
* 58 Haute-Garonne et Isère.
* 59 L'étude Epimoms s'appuie par exemple sur des données de 2013. https://cress-umr1153.fr/fr/project/epidemiologie-de-la-morbidite-maternelle-severe-epimoms/.
* 60 Article L. 331-8-1 du code de l'action sociale et des familles.
* 61 Décret n° 2016-1606 du 25 novembre 2016 relatif à la déclaration des événements indésirables graves associés à des soins et aux structures régionales d'appui à la qualité des soins et à la sécurité des patients.
* 62 HAS, Rapport annuel sur les événements indésirables graves de 2022, novembre 2023.
* 63 Une hystérectomie dite d'hémostase peut être imposée en cas d'hémorragie non contrôlée par exemple.
* 64 Réponse écrite du CNGOF au questionnaire transmis par la rapporteure.
* 65 Compte rendu de l'audition par la mission d'information de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam), 10 avril 2024.