N° 736

SÉNAT

SESSION DE DROIT EN APPLICATION DE L'ARTICLE 12 DE LA CONSTITUTION

Rapport remis à M. le Président du Sénat le 18 juillet 2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 18 juillet 2024

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission d'enquête (1)
sur la
paupérisation des copropriétés immobilières,

Présidente
Mme Amel GACQUERRE,

Rapporteure
Mme Marianne MARGATÉ,

Sénatrices

Tome II - Comptes rendus

(1) Cette commission est composée de : Mme Amel Gacquerre, présidente ; Mme Marianne Margaté, rapporteure ; M. Laurent Burgoa, Mme Marie Mercier, MM. Stéphane Sautarel, Hussein Bourgi, Mme Audrey Linkenheld, MM. Guislain Cambier, Bernard Buis, Cédric Chevalier, Mme Antoinette Guhl, M. Ahmed Laouedj, vice-présidents ; MM. Rémi Cardon, Stéphane Demilly, Mmes Sabine Drexler, Muriel Jourda, Sylviane Noël, Frédérique Puissat, M. David Ros.

COMPTES RENDUS DES AUDITIONS
DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE

Réunion constitutive

(Mercredi 14 février 2024)

Mme Marie Mercier, présidente d'âge. - En ma qualité de présidente d'âge, il me revient d'ouvrir la première réunion de la commission d'enquête sur la paupérisation des copropriétés immobilières.

Je vous rappelle que cette commission d'enquête a été créée sur l'initiative du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky (CRCE-K), en application du droit de tirage reconnu aux groupes politiques par l'article 6 bis du Règlement du Sénat. Il en a formulé la demande lors de la Conférence des présidents du 24 janvier 2024.

Les dix-neuf membres de la commission ont été nommés, sur proposition des groupes politiques, lors de la séance publique du 1er février dernier.

Je vous rappelle que, en application du deuxième alinéa de l'article 6 bis du Règlement du Sénat, le groupe à l'origine de la création de la commission a demandé à exercer la fonction de rapporteur et que cette demande est de droit.

Nous devons tout d'abord procéder à la désignation du président de la commission d'enquête.

Pour les fonctions de président, j'ai reçu la candidature de notre collègue Mme Amel Gacquerre, du groupe Union Centriste.

La commission d'enquête procède à la désignation de sa présidente, Mme Amel Gacquerre.

- Présidence de Mme Amel Gacquerre, présidente -

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Je vous remercie de m'avoir confié la présidence de cette commission d'enquête qui me permettra de prolonger le travail que j'effectue comme rapporteure du projet de loi relatif à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé et des grandes opérations d'aménagement qui vient d'être adopté et modifié par la commission des affaires économiques.

Avant d'entrer dans le vif du sujet, permettez-moi de vous rappeler brièvement les règles spécifiques qui s'appliquent au fonctionnement des commissions d'enquête.

Nous sommes tout d'abord tenus à un délai impératif de six mois pour rendre nos travaux. La prise d'effet de la création de la commission d'enquête étant fixée au jour de nomination de ses membres, c'est-à-dire le 1er février, elle prendra fin par la publication de son rapport et au plus tard le 31 juillet.

Nous disposons de pouvoirs de contrôle renforcés, tel que celui d'auditionner toute personne dont nous souhaiterions recueillir le témoignage ou d'obtenir la communication de tout document que nous jugerions utile.

Les auditions seront publiques, sauf si nous devions en décider autrement. Toutes les personnes appelées à témoigner le feront sous serment.

En revanche, tous les travaux non publics de la commission d'enquête, autres que les auditions publiques et la composition du Bureau, sont soumis à la règle du secret pour une durée maximale de vingt-cinq ans. J'appelle donc chacun d'entre nous à la plus grande discrétion sur ceux de nos travaux qui ne seront pas rendus publics.

Pour mémoire, je me dois de vous indiquer que le non-respect du secret est puni des peines prévues à l'article 226-13 du code pénal, soit d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. En outre, l'article 100 du Règlement du Sénat prévoit que « tout membre d'une commission d'enquête qui ne respectera pas les dispositions du paragraphe IV de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relatives aux travaux non publics d'une commission d'enquête pourra être exclu de la commission par décision du Sénat prise sans débat sur le rapport de la commission après avoir entendu l'intéressé » et que cette exclusion « entraînera pour le sénateur qui est l'objet d'une telle décision l'incapacité de faire partie, pour la durée de son mandat, de toute commission d'enquête ».

Nous poursuivons la constitution du Bureau de la commission d'enquête.

Nous procédons, dans un premier temps, à la désignation du rapporteur.

J'ai reçu la candidature de Mme Marianne Margaté, du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky.

La commission d'enquête procède à la désignation de sa rapporteure, Mme Marianne Margaté.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Je vous félicite, chère collègue, nous aurons l'honneur de vous avoir comme rapporteure de cette commission d'enquête et de travailler ensemble au bon aboutissement de nos investigations.

Nous procédons, dans un second temps, à la désignation des vice-présidents.

Compte tenu des désignations de la présidente et de la rapporteure qui viennent d'avoir lieu, la répartition des postes de vice-présidents est la suivante : pour le groupe Les Républicains, trois vice-présidents ; pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, deux vice-présidents ; pour les autres groupes, un vice-président.

Pour les fonctions de vice-président, j'ai reçu les candidatures suivantes : pour le groupe Les Républicains, Mme Marie Mercier, M. Laurent Burgoa et M. Stéphane Sautarel ; pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, Mme Audrey Linkenheld et M. Hussein Bourgi ; pour le groupe Union Centriste, M. Guislain Cambier ; pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, M. Bernard Buis ; pour le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires, Mme Antoinette Guhl ; pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, M. Ahmed Laouedj ; pour le groupe Les Indépendants - République et Territoires, M. Cédric Chevalier.

La commission d'enquête procède à la désignation des autres membres de son Bureau : Mme Marie Mercier, M. Laurent Burgoa, M. Stéphane Sautarel, Mme Audrey Linkenheld, M. Hussein Bourgi, M. Guislain Cambier, M. Bernard Buis, Mme Antoinette Guhl, M. Ahmed Laouedj et M. Cédric Chevalier, vice-présidents.

Mme Marianne Margaté, rapporteure. - Notre groupe a demandé la constitution de cette commission d'enquête, car le phénomène des copropriétés paupérisées et en difficulté est massif et, semble-t-il, croissant.

Il y a en France environ 750 000 copropriétés. Quelque 200 000 d'entre elles ne sont pas immatriculées, vraisemblablement parmi les plus petites et les moins bien gérées. En effet, l'Agence nationale de l'habitat (Anah) identifie environ 115 000 copropriétés en difficulté, dont les trois quarts sont des petites copropriétés.

Toutefois, nous ne savons pas exactement combien il y a de copropriétés en France, et il nous faudra caractériser l'objet de notre étude. En outre, il existe plusieurs définitions de la copropriété en difficulté de sorte que leur nombre, selon le critère considéré, pourrait varier de 2 500 à 250 000. Ce point est d'ailleurs essentiel puisque les syndics ont des obligations liées à des seuils d'impayés que tous jugent mal positionnés sans être pour autant d'accord sur la solution à adopter.

Par ailleurs, si l'on considère le problème sous l'angle du logement indigne, le récent rapport de Mathieu Hanotin et Michèle Lutz indique qu'il y aurait en métropole 400 000 logements indignes, dont la moitié est occupée par leur propriétaire.

Enfin, autre preuve que le phénomène est à la fois massif et diffus, et parfois silencieux et invisible, dans la consultation en ligne des élus locaux réalisée par la commission des affaires économiques sur la plateforme dédiée du Sénat, pour préparer l'examen du projet de loi sur l'habitat dégradé, 58 % des maires indiquent avoir au moins une copropriété en difficulté sur leur territoire et, pour deux tiers d'entre eux, il s'agit d'une question importante ou très importante.

Trois questions se posent pour traiter le sujet : quelles sont les origines de la paupérisation des copropriétés ? Comment mieux détecter pour mieux prévenir ? Comment mieux redresser les copropriétés en difficulté ou dégradées ?

Pour y répondre, je souhaite que nous nous concentrions particulièrement sur les petites copropriétés qui sont souvent moins bien prises en compte que les grands ensembles, ainsi que sur les villes petites et moyennes qui ne disposent pas des équipes techniques et de l'ingénierie nécessaire pour traiter les difficultés. Ce choix me semble d'autant plus pertinent que nous traversons une grave crise du logement.

Concernant tout d'abord les origines de la paupérisation, il sera nécessaire de caractériser les copropriétés en difficulté et d'en dresser une typologie, car aucune définition consensuelle n'existe et des chiffres contradictoires circulent. Il faudra aussi évaluer la dynamique du phénomène qui est a priori en croissance. Nous devrons identifier les causes de long terme et de court terme : la taille des copropriétés, le vieillissement des bâtiments, la paupérisation des propriétaires occupants ou bailleurs, l'éventuelle corrélation entre la présence de propriétaires-bailleurs et la paupérisation de la copropriété, l'éventuelle corrélation entre une gestion bénévole ou professionnelle d'un syndic et la dégradation de la copropriété, le vieillissement de la population, l'impact de la vente HLM, le développement des marchands de sommeil, ainsi que les limites de la loi de 1965 en termes de prise de décision, de financement, de compétence des acteurs.

Concernant ensuite la détection et la prévention de la fragilisation des copropriétés, il s'agira de préciser les critères et les seuils de déclenchement ; d'évaluer les différents outils existants, notamment le registre national d'immatriculation des copropriétés que l'Anah souhaite pouvoir utiliser à cet effet, ainsi que la police de la salubrité et de la sécurité qui devrait permettre aux communes et à l'État d'intervenir plus tôt et de suivre certains immeubles ; d'identifier les raisons qui rendent inopérants certains dispositifs de prévention existants comme le placement sous mandat ad hoc d'une copropriété qui n'est presque pas utilisé ; d'examiner le rôle et les moyens des acteurs de cette prévention, qu'il s'agisse des occupants, propriétaires ou locataires, des syndics, des collectivités territoriales ou des services de l'État ; de recueillir les propositions des acteurs pour rendre active cette phase du processus et d'identifier les pratiques vertueuses ; de réfléchir à des formations pour les syndics bénévoles et d'encadrer davantage les syndics professionnels qui, pour certains, ne remplissent pas leur rôle, afin d'assurer une meilleure prise en compte des responsabilités de chacun.

Enfin, je voudrais que nous abordions la question du redressement des copropriétés. Nous pourrons ainsi mieux cerner les outils existants, qui fonctionnent plus comme une mosaïque que selon une chaîne efficace, évaluer les moyens financiers et proposer des améliorations. Il s'agira aussi d'identifier les différents acteurs et opérateurs, notamment dans le cadre du plan Initiative Copropriétés (PIC), avec le même objectif. Nous pourrons préciser les points de blocage et proposer des solutions opérationnelles pour simplifier, accélérer et trouver des ressources. Il conviendra de réfléchir à une nouvelle organisation territoriale de l'action entre préfets, départements, établissement public de coopération intercommunale (EPCI) et communes. Nous proposerons des dispositifs d'accompagnement financier et opérationnel adaptés aux différentes tailles de copropriétés et à leur niveau de paupérisation, de manière à pouvoir résoudre les difficultés. Enfin, nous pourrons définir des contreparties aux moyens publics engagés pour la rénovation des copropriétés privées.

En pratique, nos travaux s'articuleront autour d'une dizaine d'auditions qui auront lieu le lundi ou le mardi après-midi et qui permettront d'entendre les principaux responsables et acteurs concernés. Nous réaliserons aussi quelques déplacements.

En outre, nous allons demander une étude de législation comparée pour mieux comprendre ce qui se fait chez nos principaux partenaires européens, en particulier en Belgique où un système efficace de prêt collectif aux copropriétés est en place.

Enfin, je précise que les auditions commenceront le mardi 12 mars à partir de 16 h 00.

M. Laurent Burgoa. - En ce qui concerne les déplacements, je vous suggère la ville de Nîmes, où une politique est déjà engagée sur les copropriétés, notamment dans le quartier Pissevin qui en compte 50 %.

Mme Sabine Drexler. - Nous pourrions aussi aller à Mulhouse. Le maire de la ville et son premier adjoint Alain Couchot seront de bons interlocuteurs.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Nous avons eu l'occasion de les entendre, dans le cadre de la commission des affaires économiques et lors de l'examen du projet de loi sur les copropriétés dégradées. Il faudra faire des choix et veiller à alterner les visites, en nous rendant non seulement sur de grands sites de copropriétés, mais aussi dans des centres-bourgs et dans des petites communes, voire dans des communes rurales.

Mme Audrey Linkenheld- La démarche que vous nous proposez est tout à fait intéressante. Je suis élue du Nord, à Lille, où j'ai exercé pendant quelques années les fonctions d'adjointe au logement. J'ai également été députée avant d'être sénatrice et, à ce titre, j'ai été rapporteure sur la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (Alur).

Il sera très intéressant de nous concentrer sur les petites copropriétés. Il en existe aussi à Lille. Nous pourrions entendre les acteurs concernés en audition sans forcément nous y déplacer. La ville dispose d'un service communal d'hygiène et de santé, qui a vingt à trente ans d'expérience, et compte quinze inspecteurs de salubrité.

Enfin, lors de votre propos introductif, vous avez justement mentionné les problèmes qui se posent dans des copropriétés pauvres verticales. Mais d'autres problèmes concernent des organisations plus horizontales, qui ne sont pas nécessairement juridiquement des copropriétés. Plusieurs propriétaires individuels paupérisés s'y retrouvent, à l'intérieur de quartiers. D'autres outils juridiques sont alors concernés. Il serait intéressant, alors qu'il est question de paupérisation, d'étudier ces questions.

M. David Ros. - Parmi les visites que nous pourrions effectuer, la ville de Grigny est emblématique des grandes copropriétés. Nous pourrions imaginer coupler un déplacement dans cette ville avec de plus petites copropriétés d'Île-de-France, par exemple en Seine-et-Marne.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Nous vous remercions de vos propositions. Nous vous donnons rendez-vous le 12 mars prochain, au plus tard, pour le début de nos auditions. N'hésitez pas à nous faire parvenir des contributions écrites.

Audition de M. Olivier Klein, ancien ministre délégué chargé de la ville
et du logement

(Lundi 11 mars 2024)

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Nous entamons aujourd'hui notre cycle d'auditions en entendant M. Olivier Klein, maire de Clichy-sous-Bois et ancien ministre délégué chargé de la ville et du logement qui, depuis le 1er septembre dernier, est en outre délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT.

Vous avez été ministre de juillet 2022 à juillet 2023. À ce titre, vous avez été chargé du plan Initiative copropriétés (PIC), piloté par l'Agence nationale de l'habitat (Anah) depuis 2018, et du dispositif MaPrimeRénov' Copropriété.

Vous avez lancé deux missions qui intéressent directement notre commission d'enquête : la première, donnée à M. Mathieu Hanotin, maire de Saint-Denis, et à Mme Michèle Lutz, maire de Mulhouse, relative aux outils d'habitat et d'urbanisme à créer ou améliorer pour renforcer la lutte contre l'habitat indigne ; la seconde, confiée à M. Kosta Kastrinidis, directeur des prêts de la Banque des territoires, sur le financement de la rénovation des copropriétés en difficulté.

Pouvez-vous nous indiquer les raisons qui vous ont poussé à lancer ces missions ? Parmi les constats et recommandations qui en résultent, lesquels retenez-vous spécifiquement ? Je pense, par exemple, à la nouvelle procédure d'expropriation issue du rapport Hanotin-Lutz, ainsi qu'au prêt global et collectif, inspiré de l'exemple belge et préfiguré par la Banque des territoires.

Ces recommandations ont été pour partie reprises dans le projet de loi relatif à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé et des grandes opérations d'aménagement, texte adopté par l'Assemblée nationale le 23 janvier et par le Sénat le 28 février dernier, dont je suis la rapporteure. Dans l'attente de la réunion de la commission mixte paritaire (CMP), nous souhaitons recueillir votre point de vue sur ce projet de loi : dans leur version actuelle, ses dispositions répondent-elles aux préoccupations que vous aviez exprimées ? Nous avons notamment essayé de mieux garantir l'engagement du secteur bancaire, mais nous avons regretté que le nouveau dispositif ne soit pas financé, comme le prévoyait le rapport de la Banque des territoires.

En parallèle, un certain nombre d'interrogations subsistent, qu'il s'agisse de la définition des missions du syndic collectif ou de son financement. Nous avons donc proposé de créer un vivier de syndics reconnus pour leur expérience et leur connaissance de ces sujets. De manière générale, nous avons souhaité renforcer la capacité d'action des maires, en particulier au titre des petites copropriétés.

Vous êtes aussi un élu local très expérimenté. D'abord comme premier adjoint puis, depuis 2011, comme maire, vous avez été confronté à des situations de copropriétés en difficulté. Vous avez retrouvé vos fonctions de maire après votre départ du gouvernement.

Votre expérience et vos propositions seront utiles aux membres de notre commission. Selon vous, quels sont les « signaux faibles » permettant de détecter les difficultés d'une copropriété ? Comment, dans la mesure du possible, anticiper la dégradation de la situation avant que des mesures de grande ampleur ne deviennent nécessaire ? Concrètement, comment les procédures de redressement sont-elles mises en oeuvre, notamment dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) ? Identifiez-vous des pistes d'amélioration, qu'elles relèvent de l'action et de l'engagement des acteurs locaux ou du soutien apporté par l'État, son administration et ses agences ? En outre, comment assurer le relogement des personnes concernées lors des grandes opérations ?

Avant de vous céder la parole pour un propos introductif d'une quinzaine de minutes, qui vous permettra de répondre à ces premières questions, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.

Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amende.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Olivier Klein prête serment.

M. Olivier Klein, ancien ministre délégué chargé de la ville et du logement. - Je tiens à préciser à titre liminaire, au risque de vous surprendre, que je parlerai non seulement des copropriétés, mais aussi du logement en général. En effet, je fais partie de ceux qui pensent que le parcours résidentiel est un élément extrêmement important. En ce sens, la dégradation et la paupérisation des copropriétés ne sont pas sans lien avec l'état de l'hébergement, de l'acquisition et du logement social.

Je vous remercie de m'avoir proposé de m'exprimer devant votre commission d'enquête, non seulement en qualité d'ancien ministre, mais comme maire de Clichy-sous-Bois. Ce sont là mes fonctions de coeur, et j'ajoute que je possède une expérience personnelle du sujet.

Mes parents ont acheté sur plan en 1966 dans la copropriété du Chêne Pointu, à Clichy-sous-Bois. J'y ai habité de ma naissance à mon entrée à l'université, soit pendant une petite vingtaine d'années. Comme d'autres, en quittant Paris intramuros, mes parents avaient laissé un logement qui n'était pas en très bon état, avec les toilettes sur le palier, en pensant, non sans raison, trouver les aménités d'une résidence neuve et d'une ville nouvelle.

À Clichy-sous-Bois comme à Montfermeil, l'essentiel de ces constructions de la fin des années 1960 ont été faites en copropriété. À l'inverse, dans la première couronne, on a généralement opté pour le logement social. Si mes parents vous racontaient eux-mêmes leur histoire, ils vous diraient que le promoteur de l'époque leur avait promis à la fois l'arrivée d'une autoroute, qui n'est jamais venue - c'est la Francilienne, qui est passée une dizaine de kilomètres plus loin -, et celle d'un métro qui, si tout va bien, sera inauguré à Clichy-sous-Bois en 2026, soixante ans après la promesse du promoteur...

Très vite, ces copropriétés se sont trouvées dans une situation fragile du fait de leur taille. Le Chêne Pointu, ce sont deux copropriétés, l'une de 800 logements, l'autre de 700 logements. Il est déjà compliqué d'obtenir le quorum dans une assemblée générale de quarante ou cinquante membres, imaginez ce qu'il en est dans de tels ensembles, où les espaces extérieurs sont très vastes et qui, dès le choc énergétique des années 1970, se sont révélés être des passoires thermiques. Les copropriétaires, qui étaient essentiellement des familles modestes, ont très vite eu des difficultés à rembourser leur emprunt bancaire tout en payant les charges de copropriété. Mes parents, comme d'autres, ont dû vendre leur bien. À Clichy, on a observé bon nombre de parcours résidentiels inversés, et c'est encore le cas, malheureusement. Ainsi, lors des opérations de requalification des copropriétés dégradées (Orcod), on propose souvent aux propriétaires dont on achète le logement de devenir locataires du parc social.

À cet égard, Clichy-sous-Bois n'est pas une ville complètement « normale ». Même si nous avons beaucoup travaillé, elle reste l'une des villes les plus pauvres de l'Hexagone ; et, au cours de mes différentes fonctions - j'ai notamment été président de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) pendant près de cinq ans -, j'ai pu mesurer combien il était important de réfléchir à la question de l'habitat et du logement dans sa globalité.

Vous l'avez rappelé, le 1er septembre dernier, après une année passée au gouvernement, année exaltante, mais pas toujours facile, marquée par la crise du logement, j'ai rejoint la délégation interministérielle chargée de la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah).

Le fil directeur de mon engagement, c'est de faire reculer la grande pauvreté et son cortège de souffrances. J'ajoute que la vie politique a à la fois un début et une fin. Ma vraie mission, mon métier - et j'y tiens -, c'est d'être professeur : enseigner, en essayant de le faire le mieux possible.

Parmi les questions de logement figure l'hébergement d'urgence. Ce n'est bien sûr pas le sujet de votre commission d'enquête, mais je souhaite y revenir un instant. Dans la période que nous traversons, nous devons y être extrêmement attentifs.

Le manque d'hébergement d'urgence nourrit l'habitat insalubre. Il nourrit les marchands de sommeil, vers lesquels bon nombre de personnes finissent par se tourner : elles n'ont pas d'autre choix, si elles ne veulent pas dormir dans la rue ou dans une voiture. Elles sont victimes des marchands de sommeil qui achètent des appartements dans certaines copropriétés ainsi que des logements totalement insalubres.

Nous avons beaucoup progressé dans la lutte contre les marchands de sommeil ; mais, au plus fort de la crise, on pouvait acheter un appartement au Chêne Pointu entre 7 000 et 10 000 euros - je n'oublie pas de zéro -, souvent à la barre du tribunal. Il faut avant tout bien réfléchir à ce qu'est l'habitat insalubre ; je reviendrai, à ce propos, sur le travail de M. Hanotin et de Mme Lutz.

Un marchand de sommeil achète, dans une copropriété, un appartement de trois pièces aux alentours de 10 000 euros, puis il le loue « à la découpe », sans permis de louer ni permis de diviser. Il peut louer la pièce principale environ 700 euros, et les deux chambres 400 euros chacune ; la cuisine, les sanitaires et les salles d'eau sont partagés. Ce phénomène a souvent accéléré la dégradation des copropriétés fragiles ; il est, de même, un des facteurs d'extrême paupérisation de l'habitat ancien de centre-ville, habitat parfois insalubre. La ville de Saint-Denis en est un exemple criant. Je pense notamment à la rue de la République : on y trouve de petites copropriétés où les marchands de sommeil peuvent gagner beaucoup d'argent en exploitant la misère.

Le logement social est, de même, un véritable enjeu. Si les plus fragiles finissent par arriver dans des copropriétés, c'est aussi parce que l'offre de logement social est insuffisante, et ce dans sa pluralité, du prêt locatif aidé d'intégration (PLAI) au prêt locatif social (PLS). Il est extrêmement important de préserver le parc existant et de construire toujours plus de logement social, sinon les copropriétés deviennent de fait du logement social, voire très, très social ; c'est une des raisons de la paupérisation que connaissent certaines d'entre elles.

Il faut protéger le logement social, que certains continuent pourtant d'agiter comme un épouvantail. Il faut protéger cette grande loi de la République qu'est la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU), au lieu de la fragiliser. On se souvient de l'appel de l'abbé Pierre. Comme lui, j'insiste aujourd'hui, il est urgent d'héberger les plus fragiles pour lutter contre les ghettos et contre la paupérisation de toutes les formes d'habitat.

J'en viens à présent à l'habitat indigne et aux copropriétés dégradées.

Les cas de figure sont multiples. Il y a bien sûr les grandes copropriétés, dont j'ai déjà un peu parlé. Les Bosquets à Montfermeil, le quartier Pissevin à Nîmes ou encore Le Chêne Pointu à Clichy-sous-Bois sont de grandes copropriétés dégradées ; on en trouve d'autres exemples à Grigny ou à Mantes-la-Jolie. Mais l'habitat insalubre de centre-ville est lui aussi une réserve de grande pauvreté et, à ce titre, nous devons également nous donner les moyens d'agir. C'est un enjeu extrêmement important et parfois même vital. Permettez-moi de rappeler quelques-uns des drames que nous avons connus : les effondrements qui se sont produits à Marseille, notamment rue d'Aubagne, et l'incendie survenu dans une copropriété dégradée de Vaulx-en-Velin en décembre 2022. Il y a quelques jours encore, avec des immeubles qui, heureusement, avaient pu être évacués à temps, on a vu que l'habitat ancien de centre-ville pouvait être lui aussi marqué par une extrême pauvreté.

La France dénombre 114 000 copropriétés identifiées comme fragiles ou dégradées, représentant 1,5 million de logements ; 19 % de ces logements sont dans une situation particulièrement préoccupante et nécessitent, à court ou moyen terme, une intervention de la puissance publique. De plus - la Fondation Abbé-Pierre le rappelle dans son rapport -, 400 000 logements, occupés par environ 1 million de personnes, sont potentiellement indignes.

Le rapport entre propriétaires occupants et propriétaires bailleurs est un bon indicateur de la fragilisation d'une copropriété. Les diverses formes de dettes aux fournisseurs peuvent aussi, évidemment, révéler une telle fragilité.

La mise en oeuvre des différents dispositifs d'amélioration des performances énergétiques des immeubles va probablement creuser encore l'écart entre les copropriétés qui vont bien et celles qui vont moins bien, où les travaux seront difficiles à mettre en oeuvre. C'était précisément l'un des volets de la mission confiée à la Caisse des dépôts et consignations (CDC) : voir comment préfinancer l'intervention des copropriétés.

Nous le savons tous, quand une assemblée générale est convoquée, il faut premièrement réunir le quorum et deuxièmement faire voter les travaux. À cette fin, il faut que le reste à charge soit acceptable pour les copropriétaires qui, dans ces immeubles, n'ont souvent que de faibles moyens. Il faut également que les travaux soient menés à un rythme suffisamment rapide. Voilà pourquoi il fallait, et il faut encore, à mon sens, inventer avec le secteur bancaire des modes de préfinancement évitant d'avoir à atteindre certains seuils pour entreprendre les travaux. L'ouverture du chantier a, d'une certaine manière, une vertu pédagogique : plus les travaux pourront commencer vite, plus les copropriétaires auront envie de participer à l'effort financier.

Évidemment, bon nombre de copropriétés fragiles et dégradées se trouvent dans des quartiers prioritaires de la politique de la ville. Elles font l'objet, sinon d'Orcod d'intérêt national, du moins de plans de sauvegarde menés dans le cadre de programmes de l'Anru ou en parallèle de ces derniers. À ce titre également, il faut inventer des dispositifs à même d'assurer une synergie entre les différents outils.

J'ai déjà un peu parlé de la lutte contre les marchands de sommeil qui est, elle aussi, source de difficultés. Quelques condamnations médiatiques ont été prononcées, mais les procédures sont longues et peu nombreuses, car les marchands de sommeil sont très agiles. Je les ai vus à l'oeuvre à Clichy-sous-Bois : quand un dossier avance, ils revendent les biens visés entre eux en passant par des sociétés civiles immobilières (SCI), ce qui les dispense de déclaration d'intention d'aliéner (DIA). Les procédures doivent dès lors repartir du début.

Il faut utiliser tous les moyens dont on dispose, en passant par les caisses d'allocations familiales (CAF) ou encore par le groupe interministériel de recherche (GIR) pour repérer ces marchands de sommeil et les frapper au portefeuille - c'est ce qu'ils ont de plus précieux. Il s'agit là d'une recommandation du rapport Hanotin-Lutz : il faut les empêcher de continuer leur sale besogne en revendant sans cesse les logements.

De même, il faut faire évoluer les déclarations d'utilité publique (DUP), notamment les DUP dites loi Vivien, afin que les marchands de sommeil ne puissent plus gagner d'argent. Un même marchand de sommeil possède parfois tout un immeuble ; c'est la direction nationale d'interventions domaniales (DNID) qui définit le prix de l'immeuble et, pour préempter, on est parfois obligé de surenchérir, donc de lui donner de l'argent. De même, il faut une cause d'intérêt public pour déclencher la DUP : construire a posteriori une nouvelle copropriété de meilleure qualité n'est pas donc possible. Les collectivités territoriales se trouvent ainsi placées dans des situations financières difficiles.

Vient ensuite la question du temps, elle aussi déterminante. C'est l'objet des deux missions que j'ai pu engager. Quel que soit le degré de fragilité d'une copropriété et le dispositif dont elle relève - programme opérationnel de prévention et d'accompagnement des copropriétés (Popac), opération programmée d'amélioration de l'habitat (Opah), plan de sauvegarde ou Orcod -, le temps du redressement est long. Il est long pour des raisons financières. Il est long pour des raisons juridiques. Il est long pour des raisons techniques.

Tout ce qui permet de gagner du temps va dans l'intérêt des habitants, copropriétaires comme locataires : c'est le sens du projet de loi en cours d'examen. On améliore, ce faisant, leur qualité de vie et leur sécurité, car c'est bien de cela qu'il s'agit. Quand les ascenseurs tombent en panne, certaines personnes ne peuvent plus descendre de chez elles pendant des mois. Quand des colonnes sèches sont cassées, les pompiers ne peuvent plus brancher leurs pompes à incendie. Tous ces problèmes contribuent à accentuer les risques que subissent les habitants.

Il faut en général cinq à dix ans pour redresser une copropriété fragile. Il en faut très probablement presque vingt pour redresser une copropriété en Orcod ou placée sous un statut comparable, compte tenu de la taille de l'ensemble considéré, du temps de l'acquisition foncière et du temps du relogement - on retrouve ici la question du logement social, que j'ai posée précédemment. On observe ce phénomène aujourd'hui à Clichy-sous-Bois et sans doute aussi à Grigny : les plans de relogement tels qu'ils ont été établis accusent deux ans de retard, faute de logements sociaux en nombre suffisant à l'échelle des territoires considérés. Le relogement devient une véritable difficulté.

Pour d'autres copropriétés, moins fragiles, s'ajoute l'enjeu de la rénovation énergétique. Même si l'on modifie les règles du diagnostic de performance énergétique (DPE), un certain nombre d'urgences resteront à traiter. Bien souvent, on n'améliorera le DPE des appartements qu'en lançant des réhabilitations massives, à l'échelle des immeubles eux-mêmes.

Le PIC est en cours de déploiement. Le projet de loi découlant du rapport Hanotin-Lutz a été défendu devant les deux assemblées par mon successeur et par Christophe Béchu : les choses avancent sur ces sujets extrêmement complexes, avec parfois des soubresauts inattendus.

À Clichy-sous-Bois, pour mettre en oeuvre l'Orcod d'intérêt national et procéder à l'achat des logements, l'établissement public foncier (EPF) a demandé une exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) sur les biens qu'il acquiert. Cette disposition, qui est prévue par la loi, n'est pas sans conséquence financière pour notre ville : elle ampute de 900 000 euros le budget de 2024 et, à l'échelle du projet, représente plusieurs millions d'euros de recettes communales en moins.

Il va falloir que nous regardions cette question avec l'État. Les habitants sont toujours là, mais occupent en quelque sorte un logement social de fait. La collectivité n'a pas moins de dépenses ; en revanche, elle aura beaucoup moins de recettes en 2024, puis dans les années à venir. Même si l'on travaille beaucoup, même si l'on connaît bien ces sujets, on est parfois rattrapé par ses propres bonnes idées et par ses propres difficultés.

Enfin, la question de la démocratie au sein de la copropriété est bel et bien déterminante ; parmi les signaux faibles ou forts de paupérisation d'une copropriété, de ses difficultés, il y a évidemment sa capacité de faire vivre un conseil syndical.

À cet égard, la responsabilité des syndics est extrêmement importante. On dispose d'un certain nombre de labellisations - je pense notamment aux syndics de redressement - qui, à mon sens, restent insuffisantes. On avait évoqué la création de syndics publics chargés de redresser les copropriétés : c'est l'un des dossiers qui restent sur la table.

Quant à l'administration judiciaire, elle n'est que très rarement la bonne réponse aux problèmes d'une copropriété. Dans l'esprit des copropriétaires, les administrateurs judiciaires s'apparentent à des entreprises censées permettre le redressement. Globalement, ces administrateurs essayent de faire le maximum, mais ils agissent dans un cadre qui n'est pas adapté, parfois en exerçant les fonctions du conseil syndical et les attributions de l'assemblée générale, mais avec des compétences réduites.

Quoi qu'il en soit, l'administration judiciaire telle qu'on la connaît ne me semble pas être le bon outil de redressement ; mais, en l'occurrence, les règles qui s'appliquent sont celles de la propriété privée et, pour l'instant, elles n'ont pas été réformées. Il ne me semble pas que le projet de loi en cours d'examen les modifie de manière substantielle.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Merci pour ces premiers éléments de réponse.

Vous avez évoqué la notion de temps, essentielle. Qu'en est-il de l'intervention en amont ? Comment peut-on intervenir avant que la situation ne se dégrade et qu'il faille employer des moyens d'ampleur ? Quels sont les signes indiquant que l'on doit et que l'on peut intervenir, et quand ? Avons-nous les outils pour le faire ?

M. Olivier Klein. - J'ai essayé d'y répondre. Il s'agit d'une propriété privée, protégée par la loi. Les comptes permettent de savoir dans quel état est la copropriété, notamment le niveau de la dette des copropriétaires à la copropriété et le niveau de dette de la copropriété à ses fournisseurs. Il faut être capable de les analyser. Mais en dehors des collectivités territoriales, qui peut le faire ? Par ailleurs toutes les villes n'ont pas les moyens de le faire. Dans ma ville de Clichy-sous-Bois, j'avais créé un service Habitat privé. L'établissement public territorial (EPT) a récupéré cette compétence, et je lui ai transféré une partie de mes équipes. Cela demande des relations quasi quotidiennes avec les copropriétés fragiles.

Le rapport entre le nombre de propriétaires occupants et de propriétaires bailleurs est un bon indicateur : pour faire vivre une copropriété, il faut une démocratie et des assemblées générales. L'implication des propriétaires occupants est plus grande que celle des propriétaires bailleurs : cela donne des leçons pour l'avenir.

Les indicateurs de paupérisation sont multiples. L'essentiel est de travailler en permanence avec l'Anah non seulement pour lancer des études de Popa ou pour une Opah, mais surtout pour que ces études permettent de lancer des opérations de redressement de la copropriété. Plus ces opérations de redressement sont réalisées en amont, plus elles sont efficaces. Cela nécessite une implication de la part des collectivités, implication qui peut varier en fonction des territoires. Le Fonds de solidarité pour le logement (FSL) s'applique parfois en copropriété, cela dépend des choix et des moyens des départements.

Mme Valérie Mancret-Taylor, directrice générale de l'Anah, que vous allez auditionner, vous dira quels sont ses critères objectifs de paupérisation et de fragilisation d'une copropriété. Nous avons parfois quelques petites différences d'appréciation.

À titre d'exemple, à Clichy, je souhaiterais basculer une petite copropriété en plan de sauvegarde, mais les indicateurs sont « encore un peu trop bons ». Or on perd du temps à chaque fois qu'on refuse la bascule. Je ne veux pas un plan de sauvegarde pour lui-même. Mais le niveau de subventions de l'Anah, en plan de sauvegarde, est suffisant pour que le reste à charge soit acceptable par les copropriétaires fragiles, alors qu'en Opah, le niveau de subvention est inférieur. Il faut agir. Le temps, c'est de l'argent dans une copropriété. Plus vite on lance un plan de sauvegarde, plus vite on est efficace.

La scission des copropriétés est souvent un processus très long. Il faudrait accélérer la scission de certaines copropriétés. Lorsqu'on demande une scission, il faut pouvoir comptabiliser les différentes charges de copropriété à l'immeuble, ce que ne sont pas en mesure de faire toutes les grandes copropriétés des années 1960.

Certaines voiries ou certains espaces extérieurs appartiennent également à la copropriété. À Clichy, vous pouvez voir des rues avec plein de trous. Ces rues appartenant à la copropriété, je ne peux pas, en tant que maire, les rénover, malgré mon envie. Dans le cadre des Orcod d'intérêt national, on va scinder la copropriété et la ville va reprendre ces espaces extérieurs pour les entretenir, mais cela prend du temps. Il faudrait autoriser une scission plus rapide, afin d'être plus efficace. Cela fait partie, je crois, des recommandations de la mission Hanotin-Lutz.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Je le confirme.

Mme Marianne Margaté, rapporteure. - Merci d'avoir replacé dans son contexte la paupérisation des copropriétés. La crise du logement alimente chaque maillon et aggrave la situation. Vous avez souligné les divergences d'intérêts entre les propriétaires occupants et les propriétaires bailleurs, divergences qui vont s'exacerber avec les situations de copropriétés en difficulté et l'arrivée de marchands de sommeil.

Vous avez cité le chiffre de 114 000 copropriétés ; il s'agit des copropriétés en difficulté, puisqu'il y a 700 000 copropriétés en France...

M. Olivier Klein. - Tout à fait.

Mme Marianne Margaté, rapporteure. - ... dont les trois quarts sont de petites copropriétés. Nous voulons mettre en lumière les petites copropriétés, phénomène diffus, silencieux, dans lequel le mal-logement s'exacerbe. En général, on met surtout l'accent sur les grands ensembles, qui font face à des enjeux très lourds. Mais ces petites copropriétés sont une réalité locale, que les maires connaissent mal, et dans lesquelles le mal-logement prospère. Qu'en pensez-vous ?

Je souhaite aussi vous interroger sur le rôle des syndics. Le syndic d'intérêt collectif a été débattu lors de l'examen du projet de loi. Dans sa déclaration, le Premier ministre a également annoncé vouloir déverrouiller certaines professions comme les syndics. Je ne sais ce que sous-entend cette proposition : est-ce une simplification ? Comment le comprenez-vous ? Les syndics sont un élément crucial au sein des copropriétés.

Vous avez montré, au travers de votre investissement dans votre commune, l'importance de l'organisation territoriale. Les maires, en première ligne, comme d'habitude, doivent engager des investissements financiers et en personnel importants. Dans des villes petites ou moyennes, le maire a-t-il la capacité d'assumer cette mission ? Les maires sont très inquiets de la dégradation des copropriétés de leur commune, mais s'estiment assez peu dotés en moyens financiers, en ingénierie ou en personnel formé. Les outils sont-ils adaptés pour les accompagner dans cette prise en charge publique des copropriétés ?

M. Olivier Klein. - Pour nombre de vos questions, vous avez les mêmes réponses que moi.

Vous avez raison, au-delà des grandes copropriétés, de petites copropriétés sont souvent invisibles, en fond de cour, avec des populations vieillissantes, extrêmement fragiles, et dans lesquelles les travaux ont pris beaucoup de retard. Aucune collectivité, même les villes riches, n'est à l'abri de cette fragilisation de copropriétés au sein de son patrimoine.

Nous avons un déficit de moyens de repérage et de moyens des collectivités locales. Dans cet habitat privé, l'intervention publique est toujours compliquée - à Clichy, l'établissement public foncier d'Île-de-France (Epfif) achète massivement, mais cela reste une copropriété tant qu'il y a deux copropriétaires différents. On reste alors sous le régime de la copropriété, avec ses difficultés ; cela requiert des votes, des assemblées générales, des appels de charges. Des complexités viennent se rajouter comme le système de chauffage, parfois en panne, pourvu qu'on soit dans un réseau de chauffage urbain qu'on n'est pas capable d'individualiser...

Les compétences transférées entre les communes et les intercommunalités ne simplifient pas forcément la responsabilité des uns et des autres sur ces sujets. La compétence Habitat peut être prise soit par la métropole, soit par l'intercommunalité. En général, elle n'est pas restée une compétence communale, et cela oblige à intervenir différemment.

Pour les grandes copropriétés, les Orcod d'intérêt national et les autres interventions type Orcod d'intérêt métropolitain ou autres sont financées évidemment par l'impôt et par la taxe spéciale d'équipement (TSE). Le projet de loi permet de déplafonner la TSE mais n'autorise pas les EPF régionaux à augmenter le prélèvement de la TSE, car cela relève du projet de loi de finances. Pour l'Île-de-France, 5 euros de part de TSE peuvent être utilisés pour les Orcod déjà existantes, mais je ne suis pas sûr que ces sommes soient suffisantes sur le long terme pour prendre en compte les difficultés des grandes copropriétés et intervenir suffisamment rapidement.

Je n'ai pas de solution miracle sur les syndics, sur la manière dont ils s'impliquent ou non. Qu'est-ce qui rend un syndic compétent et conduit une copropriété à le choisir lors d'une assemblée générale, avant qu'elle réalise que cela ne va pas si bien que cela ? Je crois à une professionnalisation et à un syndic d'intérêt collectif pour avoir de la continuité.

De la même manière, il est extrêmement important d'accompagner les conseils syndicaux. À Clichy, les copropriétés allant le mieux - ou le moins mal - ont été gérées au fil du temps par des syndics bénévoles, assurant tout à la fois la fonction de conseil syndical et de syndic. Cela suppose des personnes compétentes ayant envie de s'investir, et qui tiennent un rôle un peu ingrat au sein de la copropriété pour rappeler qu'il faut payer ses charges. Je dispose de quelques exemples montrant que cela peut être une bonne formule.

Mme Antoinette Guhl. - Vous avez déclaré que le logement est la bombe sociale à venir. Qu'entendez-vous par cela ? Cela concerne-t-il l'état du logement, l'état du logement social ou l'état des copropriétés ou de l'habitat en France ?

M. Olivier Klein. - J'avais dit que la chaîne du logement est une chaîne extrêmement difficile. Si l'on ne désclérose pas le parcours résidentiel, il y a un risque d'impatience et d'explosion sociale. Pour que le logement fonctionne, il faut que tous les échelons fonctionnent, de l'hébergement d'urgence à la plus belle copropriété.

Or plusieurs maillons sont largement crispés : on ne produit plus assez de logements sociaux et la production de logements en accession est limitée. Vous connaissez la règle, que je crois fausse : « maire bâtisseur, maire battu » ; quand on approche de la période électorale, on construit très peu. Avec la crise du covid, la production de logements n'a pas repris après la dernière période électorale, puis il y a eu les crises internationales inflationnistes, la montée des taux d'intérêt, qui ont provoqué l'interruption de nombreux programmes. Nous observons une explosion du nombre de demandeurs de logements sociaux, liée au fait qu'on ne quitte plus son appartement.

Clichy comptait 3 700 demandeurs de logements sociaux avant la modification de l'attribution des logements en flux : une bonne année, trente logements se libéraient sur le contingent de la mairie. Au rythme actuel, si je fermais mon service logement, il faudrait cent ans pour loger tous les demandeurs.

L'essentiel de mes demandes de rendez-vous concerne le logement. Si ce n'est pas l'objet principal, j'ai toujours, à un moment du rendez-vous, une demande de logement pour la personne ou l'un de ses enfants. Dans certains appartements, trois générations cohabitent ; ce n'est pas acceptable. Il y a un risque de crise, d'explosion, dû à cette absence de logement, notamment dans les métropoles les plus denses. On peut m'expliquer qu'il y a autant de logements vacants que de demandeurs, mais une partie des vacances sont situées dans des zones où l'emploi n'est pas suffisamment présent pour répondre aux besoins.

Mme Muriel Jourda. - Lorsque vous énumérez les causes de difficulté de logement, vous n'y incluez pas le zéro artificialisation nette (ZAN), l'exigence de DPE dans des logements souvent loin d'être indignes, la complexification des règles d'urbanisme avec de nombreux recours ne permettant pas de disposer de règles d'urbanisme à jour ?

M. Olivier Klein. - Se réfugier derrière le ZAN, qui est un objectif, est souvent une mauvaise excuse - je suis désolé de le dire ainsi. Certes, le ZAN peut rendre les choses plus compliquées. Mais parfois, dans les dents creuses, on fait le choix de construire une petite copropriété en oubliant ses obligations de production de logement social ou en oubliant d'en faire plus parce qu'on est dans une période de rattrapage... Je crois qu'il y a encore moyen de construire du logement.

Certes, le DPE apporte des complexités, mais actuellement quasiment aucun logement n'est interdit de location en raison de son DPE. Christophe Béchu et Guillaume Kasbarian ont déclaré qu'ils allaient modifier les règles des DPE pour les petits logements car, effectivement, il y a une question à régler. Lorsqu'une copropriété s'engage ou vote des travaux, on doit pouvoir continuer à utiliser un certain nombre de logements, même si leur étiquette énergétique est insuffisante. On peut dire à un copropriétaire que son appartement est classé F, mais si la copropriété n'a pas voté les travaux, il suffit d'être orienté au nord avec un mode de chauffage qui ne convient pas, pour se retrouver avec la mauvaise étiquette, dont on n'a pas seulement la responsabilité. La copropriété est aussi responsable.

Vivre dans un appartement classé F ou G, soit une passoire thermique, avec des problèmes d'humidité, de moisissures et avec des enfants dans une situation d'extrême fragilité pose problème. Le propriétaire encaisse des loyers et a, comme tout propriétaire, des obligations. Il faut agir sur tous les sujets, et notamment sur la fiscalité des locations à destination touristique, pour qu'elle ne soit pas plus attractive que d'autres logements. Le Gouvernement le fera, je le sais, avec la sagesse des parlementaires.

M. Stéphane Demilly. - Vous venez d'esquisser la réponse à ma question. Le nombre de procédures en justice pour impayés de charges de copropriété est passé de 22 000 à 29 000 entre 2007 et 2020. Parmi toutes les mesures que vous avez évoquées, quelle mesure-choc, prioritaire, auriez-vous prise si vous étiez toujours en responsabilité sur ce secteur ?

M. Olivier Klein. - Il n'y a pas de mesure-choc. Il faut essayer de prendre toutes ces mesures en même temps, faire que les indicateurs permettent le déclenchement de la puissance publique dans sa globalité, simplifier la démocratie dans la copropriété : il n'est pas possible que les propriétaires bailleurs bloquent, à travers des mandats, les travaux nécessaires. Il faut travailler sur la majorité simple et la majorité qualifiée, en fonction de l'urgence des travaux. Les majorités en copropriété ne relèvent pas du ministre du logement, mais du garde des Sceaux.

Il faut accélérer le préfinancement. Nous avons besoin que la copropriété soit solvable, via des prêts aux copropriétaires ou un prêt à la copropriété. Je suis plutôt favorable au prêt à la copropriété, pour accélérer et simplifier la mise en oeuvre. À elle ensuite de récupérer dans les charges l'avance qu'elle a faite.

Il faut mener tout cela en même temps, dans un climat dans lequel on produit plus. Sinon, les habitants continueront, de guerre lasse, de prendre le seul logement qui leur permette d'avoir un toit sur la tête, sans parler des phénomènes de squat ou de marchands de sommeil, qui, à force d'être chassés des copropriétés, achètent de nombreux logements. Nous le voyons de plus en plus. David Ros pourra en témoigner. Dans nos zones pavillonnaires, des pavillons un peu anciens sont achetés par des marchands de sommeil, et nous n'avons pas de raison de les préempter. Quelques mois après, si le propriétaire est honnête, il demandera un permis de diviser puis un permis de louer, mais c'est l'exception. Nous commençons à voir une paupérisation dans ces zones. C'est un autre sujet, mais pour moi tous les sujets sont liés, et nous devrons les traiter durant les prochaines années.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Je vous rejoins sur le problème d'achat des pavillons par les marchands de sommeil. Dans les Hauts-de-France, nous avons pléthore de maisons de ville divisées d'une manière qui n'est pas forcément confortable ni favorable aux locataires.

M. David Ros. - Y a-t-il un décalage, et si oui dans quelles proportions, entre le nombre d'habitants officiels dans la copropriété et la réalité ? Cela a des impacts sur les conditions de vie des personnes qui s'y trouvent et sur la dotation globale de fonctionnement (DGF) des communes.

M. Olivier Klein. - On sent l'ancien maire ! Je ne dispose pas de ces chiffres. À Clichy, environ 400 enfants sont hébergés, soit l'équivalent d'une école. Ces enfants ne sont pas comptés dans ma DGF, mais mangent à la cantine, au tarif le plus bas, et ont un coût. Malgré son interdiction, la colocation en logement social existe. Elle est surveillée par les bailleurs, mais le phénomène est encore plus grand dans les copropriétés.

Les copropriétés fragiles dégradées et l'habitat indigne ont des conséquences pour ceux qui y vivent, mais aussi évidemment parce que cela paupérise la ville et fragilise son image. On arrive à des phénomènes de bidonvilles, horizontaux ou verticaux, cela dépend de la forme de la copropriété. Vos administrateurs pourraient peut-être trouver des chiffres plus à jour...

Mme Marianne Margaté, rapporteure. - Est-ce que la mobilisation des organismes de foncier solidaire (OFS), via le bail réel solidaire, est une bonne façon d'intervenir sur les copropriétés dégradées ou paupérisées ?

M. Olivier Klein. - Je pense que plusieurs outils sont nécessaires. Il peut s'agir de mobiliser les EPF, qu'ils prennent ou non la forme d'OFS, ou les dispositifs d'acquisition-amélioration des bailleurs sociaux. En effet, parfois, on arrive à un moment où la copropriété, devenue obsolète, ne peut pas être sauvée. Selon moi, il est dans l'intérêt de ceux qui y habitent - surtout s'il s'agit de propriétaires bailleurs - de trouver un bailleur social capable d'acheter un immeuble afin de le réhabiliter, de sorte que des logements sociaux soient, de fait, transformés en de véritables logements sociaux.

Cela étant dit, l'OFS et le BRS, comme les autres outils d'accession sociale à la propriété, sont de bons outils, mais ils ne régleront pas l'ensemble des problèmes. Selon moi, le BRS est davantage utile pour produire des logements neufs, mais je peux me tromper. D'ailleurs, je ne sais pas s'il existe des exemples d'OFS qui se seraient portés acquéreur d'un immeuble en copropriété fragile. En revanche, des OFS produisent des logements neufs, permettant ainsi à des personnes modestes d'accéder à la propriété ; la ville de Lille a été précurseur sur cette question.

Je le répète, je crois au parcours résidentiel. Il faut bien expliquer qu'on peut être heureux en étant propriétaire d'un logement sans être propriétaire du terrain où il a été construit, que ce n'est pas mettre les gens en danger !

Faute d'exemples, je ne peux pas vous en dire plus sur ce point. En revanche, pour l'avoir déjà vu faire, je crois davantage à l'acquisition-amélioration par un bailleur social.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Que pensez-vous des évolutions envisagées pour le dispositif MaPrimeRénov' Copropriétés ?

M. Olivier Klein. - Pour nombre d'entre elles, les copropriétés, surtout celles des années 1970 et 1980, ont besoin de faire l'objet d'une rénovation majeure. Il est important d'inventer les dispositifs qui permettront d'adapter les versements de MaPrimeRénov' Copropriétés à la situation financière de chaque copropriété. Pour les copropriétaires, le reste à charge doit être le moins élevé possible tandis que le retour sur investissement doit, lui, être le plus élevé possible.

Il est important que Mon Accompagnateur Rénov' explique aux copropriétaires les effets du dispositif sur leurs charges de copropriété et sur leur qualité de vie. On le sait, il aide à financer des travaux d'isolation thermique par l'extérieur (ITE) ou de réhabilitation, qui permettent de régler des problèmes de pont thermique, d'humidité, ou encore de moisissures à l'intérieur du logement. Avant les assemblées générales, les copropriétaires doivent avoir une idée du montant de la baisse de charges entraînée par le recours à MaPrimeRénov' Copropriétés, ainsi qu'une idée du coût des travaux. Je le répète, le reste à charge doit être le plus bas possible, ce qui incitera les copropriétés à voter le recours à ce dispositif.

Selon moi, les travaux monogeste et la rénovation globale ne s'appliquent pas aux copropriétés. Elles doivent se préoccuper de travaux massifs, les autres mesures n'ayant pas d'effets suffisants sur l'étiquette énergétique et sur la capacité à réaliser des économies d'énergie. Les travaux monogeste s'appliquent davantage dans le cas de l'habitat individuel.

Il faut accompagner les copropriétés, mais c'est extrêmement compliqué, car elles diffèrent d'une situation à l'autre. Par exemple, on ne peut pas faire des travaux d'isolation extérieure dans une copropriété d'un immeuble en pierre de taille, encore moins dans celle d'un immeuble haussmannien. Dans chaque copropriété, les sujets de rénovations énergétiques diffèrent, tout comme les possibilités d'utiliser MaPrimeRénov' Copropriétés.

En revanche, on peut faire des travaux d'isolation des murs intérieurs sous réserve de ne pas trop réduire la surface habitable du logement. Il faut intervenir sur les systèmes de chauffage ou de production d'eau chaude, afin de réussir le mieux possible la rénovation thermique.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Quelle est votre vision, en tant qu'élu local très expérimenté, de la question du relogement ? Je pense à la simplification des constructions temporaires, que nous avons adoptée récemment dans le projet de loi relatif à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé et des grandes opérations d'aménagement. Jusqu'alors empêchés, les élus ont désormais les moyens, grâce à cette disposition, de lancer de grandes opérations de rénovation.

Par ailleurs, j'aimerais vous demander si ce sont aujourd'hui les bons acteurs qui, permettent la détection et le redressement des copropriétés fragiles ? Si tel n'est pas le cas, quelle organisation territoriale faudrait-il envisager pour qu'elle soit optimale ?

M. Olivier Klein. - S'agissant du relogement, il est important de mobiliser les bailleurs. À Clichy-sous-Bois, les bailleurs ont signé avec la mairie une charte de relogement. Participer au relogement leur confère un droit à construire aussi bien des logements sociaux que des logements en accession.

Les bailleurs participent à la politique du relogement. Nous avons modifié le règlement général de l'Anru pour accorder une prime plus importante aux bailleurs qui accompagnent le relogement. Le loyer du logement proposé peut être inférieur au prix du mètre carré moyen proposé par un bailleur. La compensation versée par les bailleurs aux personnes relogées est importante.

Il faut utiliser tous les moyens à notre disposition. Parfois, il peut s'agir d'opérations à tiroirs, et ce n'est pas toujours très agréable. Par exemple, lors d'une opération de rénovation de grandes copropriétés, l'un des occupants peut souhaiter vendre son appartement. Ainsi, l'appartement peut être gardé au cours de l'opération, même s'il sera démoli, afin d'être utilisé un certain temps pour le relogement, ce qui permet de libérer les occupants d'un autre immeuble qui sera lui aussi démoli, selon le calendrier de démolition. Cela étant dit, les personnes relogées préfèrent éviter de devoir effectuer deux déménagements.

Dans nombre d'autres cas, c'est la piste de l'hébergement provisoire qui est privilégiée. Nous ne l'avons pas expérimentée à Clichy-sous-Bois, où nous préférons utiliser des appartements libérés dans le cadre d'une opération de rénovation plutôt que d'envisager la pose de containers ou la construction d'autres habitats modulables. La construction modulaire a quelques avantages pour les hébergements d'urgence, mais également pour les logements transitoires de personnes en situation de relogement.

Je suis favorable à la mutualisation des moyens à l'échelle des intercommunalités. Certaines questions - c'est le cas de l'habitat - sont si complexes qu'elles ne peuvent pas se résoudre à l'échelle communale. C'est pour cela qu'il faut un plan local d'urbanisme intercommunal (PLUi). Jusqu'à présent un maire qui ne respectait pas son programme local de l'habitat (PLH) n'avait pas beaucoup de comptes à rendre.

À plus petite échelle, les capacités d'action sont plus grandes, notamment dans les zones denses. Or nos populations sont attachées à leur territoire, aux solidarités locales, à leurs voisins, à l'école de leur enfant, etc. Aussi, il faut faire des propositions de relogement dans des périmètres élargis, lesquels doivent toutefois correspondre aux souhaits des gens devant être relogés, d'où l'efficacité de la logique intercommunale pour équilibrer cette situation.

Par ailleurs, l'identification des copropriétés fragiles peut être bien appréhendée dans une logique territoriale, de préférence intercommunale, car celle de la métropole est un peu grande, et parce que les moyens des communes sont parfois faibles.

À Clichy-sous-Bois, pour lutter contre les marchands de sommeil, je dispose d'une équipe d'inspecteurs de salubrité dont le nombre est disproportionné par rapport à la taille du territoire, mais elle a tout de même les moyens de saisir l'agence régionale de santé (ARS) ou le préfet et d'établir, par les agents assermentés, des procès-verbaux. L'inspection d'hygiène et de la santé relève des pouvoirs de police administrative du maire. Pour les maires, cela représente un effort financier important. Aussi la mutualisation de la compétence politique locale de l'habitat à l'échelle des intercommunalités pourrait être utile.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - En filigrane, on comprend de votre retour d'expérience que du volontarisme politique des élus communaux ou intercommunaux dépendent les moyens qui seront consacrés à cette question et les résultats.

M. Olivier Klein. - Absolument !

Mme Muriel Jourda. - La question des marchands de sommeil n'est pas sans lien avec la saisie et la confiscation des avoirs criminels ainsi qu'avec la possibilité de saisir les biens dont les marchands de sommeil sont propriétaires, dans le cadre des poursuites engagées contre eux.

Par exemple, l'année dernière, a été remis à l'association Habitat et Humanisme un immeuble détenu par les marchands de sommeil, lequel a été réhabilité pour améliorer la qualité des logements de ceux qui y vivaient. Dans ce cas précis, les communes n'ont pas à financer la réhabilitation.

Aussi, il faut réussir à engager des poursuites contre les marchands de sommeil. C'est une bonne politique que d'appréhender les biens détenus par des délinquants afin de les réaffecter dans du logement social.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Dans le projet de loi que nous venons d'adopter au Sénat, nous avons proposé une disposition permettant aux communes de disposer des biens confisqués par l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC) afin qu'elles en fassent de véritables logements.

M. Olivier Klein. - Je partage pleinement cette initiative. Il faut communiquer sur ces dispositifs pour faire cesser le sentiment d'impunité des marchands de sommeil ; cela ne doit plus exister !

Dans ma commune, un marchand de sommeil possédait trente-cinq logements ! Il a été condamné par la justice.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Les biens ont-ils été confisqués par l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC) ?

M. Olivier Klein- Non, à l'époque les biens ont été directement acquis par la puissance publique.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Je vous remercie de votre disponibilité et des précieux éléments que vous nous avez apportés. Vous avez bien montré que la question des copropriétés est l'une des causes de la crise du logement, laquelle est multifactorielle. Je dirais également que la paupérisation des copropriétés est le symptôme de la fragilisation des copropriétaires.

M. Olivier Klein- Les membres de votre commission d'enquête sont les bienvenus à Clichy-sous-Bois, où je vous accueillerai avec grand plaisir !

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Je rappelle que nos travaux aboutiront à la publication d'un rapport, qui sera disponible avant le 31 juillet 2024.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de Mme Valérie Mancret-Taylor, directrice générale
de l'Agence nationale de l'habitat (Anah)

(Lundi 11 mars 2024)

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Madame la directrice générale, madame la rapporteure, mes chers collègues, nous avons souhaité entendre dès le début de notre cycle d'auditions Madame Valérie Mancret-Taylor, directrice générale de l'Agence nationale de l'habitat (Anah).

Madame la directrice générale, vous venez d'être renouvelée dans ces fonctions, que vous occupez depuis 2018. Vous êtes donc particulièrement bien placée pour nous parler du Plan initiative copropriété (PIC) lancé peu après votre arrivée et piloté par l'Anah. Nous avons plusieurs questions à ce sujet. Quel est l'état de mise en oeuvre de ce plan ? Quels outils nouveaux a-t-il mis en place pour la prévention des copropriétés ? Peut-on commencer à en dresser un bilan, notamment pour le redressement des copropriétés fragiles ?

L'Agence gère aussi le dispositif MaPrimeRénov', et tout particulièrement MaPrimeRénov' Copropriétés qui nous intéresse plus particulièrement dans le cadre de cette commission d'enquête. J'aurai une question d'actualité à ce sujet : à la suite de l'annonce de l'annulation de 1 milliard d'euros de crédits sur MaPrimeRénov' par le décret du 21 février dernier, pourriez-vous nous dire quel sera l'impact sur le financement du volet « copropriétés » en 2024 ? Les ministres de Bercy ne sont pas très explicites, renvoyant aux ministres le soin de définir sur quelles lignes budgétaires précises les coupes doivent être réalisées : faut-il considérer que l'ambition de ce dispositif est revue à la baisse alors que les besoins n'ont jamais été aussi élevés ?

D'une manière générale, sur environ 750 000 copropriétés en France, votre agence estime que 200 000 ne sont pas immatriculées et que 115 000 seraient en difficulté. Ce chiffre particulièrement important est l'un des points de départ de cette commission d'enquête, avec les travaux récents de Matthieu Hanotin, maire de Saint-Denis, et Michèle Lutz, maire de Mulhouse, qui ont dénombré 400 000 logements indignes en métropole, dont la moitié sont occupés par leur propriétaire.

Être propriétaire d'un logement, en effet, cela ne veut pas dire qu'on a les moyens de faire les travaux ni, dans le contexte d'un marché de l'immobilier grippé, de changer de logement. Les conséquences sanitaires et sociales sont graves et nous avons l'intention d'analyser les origines de ce phénomène et de le quantifier. Vos observations seront importantes afin de nous éclairer à ce sujet.

S'agissant du redressement des copropriétés en difficulté, nous chercherons notamment la manière d'appuyer les communes qui ne disposent pas toujours de services spécialisés : les agences de l'État jouent à cet égard un rôle indispensable et vous évoquerez certainement comment vous coopérez avec les collectivités.

Je suis par ailleurs rapporteure du projet de loi relatif à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé. Alors que ce texte a été adopté par l'Assemblée nationale le 23 janvier et par le Sénat le 28 février, et avant qu'il poursuive et achève son parcours, nous serons intéressés par votre point de vue sur ce texte et sur les dispositions qu'il contient après l'examen en première lecture.

Avant de vous laisser la parole pour un propos introductif d'environ quinze minutes qui vous permettra de répondre en même temps à ces premières questions, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.

Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du Code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.

Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».

Madame Mancret-Taylor lève la main droite et dit « Je le jure ».

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Madame, je vous remercie, vous avez maintenant la parole.

Mme Valérie Mancret-Taylor. - Merci, Madame la présidente.

Bonjour Mesdames et Messieurs,

Je suis ravie d'être de nouveau en audition sur des sujets qui deviennent de plus en plus prégnants dans les politiques d'aménagement du territoire, de l'urbanisme et de l'habitat de notre pays. L'intervention sur l'existant est une question majeure au coeur du rôle de l'Anah que j'ai le plaisir de diriger depuis quelques années.

L'Agence remplit en effet quatre grandes missions : la rénovation énergétique, l'habitat indigne, les copropriétés et la perte d'autonomie dans le logement. Les collectivités territoriales traitent ensuite ces sujets dans le cadre des politiques locales de l'habitat.

L'habitat privé représente environ 80 % du parc de toute collectivité territoriale, quelle que soit sa taille. Par ailleurs, la structure du parc immobilier de notre pays évolue au fil des ans depuis la moitié du vingtième siècle. Les propriétés individuelles se sont transformées en copropriétés. Aujourd'hui, plus d'un ménage sur quatre vit en copropriété. Par conséquent, il fallait pouvoir intervenir sur les copropriétés de façon plus homogène et massive.

À cet égard, la loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR) a marqué un changement, en créant notamment le registre national d'immatriculation des copropriétés que l'Anah tient pour le compte de l'État. Comme vous l'avez indiqué, environ 200 000 copropriétés sur plus de 700 000 ne sont pas immatriculées. Elles sont souvent administrées par des syndics bénévoles qui ne voient pas l'intérêt d'entrer dans la procédure tant qu'ils n'engagent pas de travaux rendant l'enregistrement obligatoire. Cependant, la rénovation énergétique devient prégnante et ils s'inscrivent progressivement dans la démarche. J'y reviendrai.

Enfin, parmi les copropriétés immatriculées dans le registre, près de 150 000 sont en difficulté. Des interventions sont nécessaires pour leur permettre de sortir des difficultés et de s'engager dans des démarches de travaux.

Pour entrer davantage dans le détail, il convient de signaler que la copropriété peut concentrer plusieurs problématiques très contemporaines, comme la transition énergétique, la transition démographique et la lutte contre l'habitat indigne. À cet égard, la copropriété peut être qualifiée de « mini-démocratie », où des ménages de toutes sortes cohabitent autour d'un bien commun. La difficulté consiste à les amener à un diagnostic partagé de l'état de leurs parties communes, puis à une prise de décision permettant de maintenir leur bien immobilier en bon état, voire de réaliser, par exemple, des travaux de rénovation énergétique.

En effet, une copropriété peut rapidement entrer dans une spirale de dégradation qui conduit une copropriété « saine » à devenir « fragile » puis « dégradée ». Dans une copropriété saine, les assemblées générales se passent bien et les comptes sont certifiés chaque année. Dans les copropriétés fragiles, les comptes peuvent ne pas être votés depuis plus de deux ans ou révèlent de premiers signes d'endettement. Les copropriétés dégradées sont fortement endettées depuis plusieurs années et leurs parties communes présentent des détériorations et des fragilités extrêmement avancées. L'Anah met ainsi à disposition des territoires des dispositifs permettant aux copropriétés de conserver un bon niveau sur le plan immobilier.

Ces démarches passent par une évolution de l'ensemble des professionnels qui interviennent autour des copropriétés. Pendant très longtemps, une bonne gestion et un petit programme de travaux permettaient aux copropriétés saines d'entretenir leur patrimoine. Aujourd'hui, la rénovation énergétique s'inscrit dans une dynamique du projet qui dépasse le seul entretien.

Un véritable diagnostic de la situation de l'immeuble doit conduire à une prescription complète. Au-delà du diagnostic énergétique, il doit prendre en compte les caractéristiques techniques liées à la date de construction, l'implantation dans l'environnement urbain, la proximité des diverses sources d'énergie, etc. Dès lors, la prescription de travaux est fondamentale, avant mise en concurrence des entreprises. Enfin, l'assemblée générale peut voter les travaux en toute sérénité, dès lors qu'elle connaît leur montant et les aides financières nationales et locales auxquelles elle peut prétendre.

Par conséquent, l'accompagnement des copropriétés vit un changement de métier. Il implique une formation des syndics qui sont les maîtres d'ouvrage, mais aussi des architectes puisque leur action en copropriété relève bien d'une spécialisation. Les entreprises sont également concernées, car elles interviennent en milieu occupé. À cet égard, le parc privé monte beaucoup plus lentement en compétences que les bailleurs sociaux. Le niveau de professionnalisation y demeure inférieur.

Comme vous l'avez rappelé, le Plan initiative copropriétés (PIC) a été initié par le Gouvernement en 2018, à la demande de Monsieur Julien Denormandie, alors ministre du Logement. Ce plan comporte trois volets qui traitent les différentes catégories. Il est adossé à une méthode, à des moyens et à des résultats. Il s'appuie sur un travail avec les collectivités territoriales qui sont au contact des copropriétés et des copropriétaires.

La méthode s'articule autour de trois axes : transformer, redresser et prévenir.

La transformation vise des copropriétés en état de dégradation fortement avancée, que j'ai qualifiées précédemment de « dégradées ». Leur bâti est en très mauvais état et la situation de leur gestion est caractérisée par des arriérés de charges et un endettement extrêmement importants. La question sensible est alors celle de leur maintien, total ou partiel, dans un statut privé.

Si la réponse est positive, un redressement peut s'engager. Un travail est alors mené avec tous les acteurs concernés pour remettre la copropriété dans un système de gestion sain. Une fois celui-ci obtenu, des travaux et des améliorations peuvent s'envisager. Ce processus s'avère extrêmement long, car la dégradation du bâti impose souvent de financer des travaux d'urgence, notamment dans les marchés tendus, comme en Île-de-France. Des copropriétés de plusieurs centaines d'occupants peuvent s'y trouver confrontées à des risques électriques. En pareil cas, nous devons financer des travaux d'urgence pour maintenir la sécurité des habitants pendant toutes les étapes que j'ai évoquées.

Dans certains cas, il peut être décidé de ne pas conserver sous statut privé tout ou partie de la copropriété. Il faut alors envisager de reloger la totalité ou une partie des habitants et de démolir tout ou partie des immeubles ou des ensembles concernés. Parfois, les bâtiments ne sont pas démolis, mais la copropriété est transformée en parc social. En tout état de cause, ces transformations en profondeur impliqueront un relogement. Les impacts sur les propriétaires occupants et les propriétaires bailleurs s'avèrent donc significatifs.

Nous travaillons beaucoup avec l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) sur cet axe de transformation du PIC. En effet, l'Anah traite plutôt les travaux d'urgence et les transformations maintenant le parc privé. En revanche, le basculement massif vers une démolition, partielle ou totale, puis une reconstruction ou une transformation en parc social, relève des missions de l'ANRU. Par conséquent, nous travaillons de concert vis-à-vis des territoires et des décisions de financement relatives à ces copropriétés.

Le deuxième axe est celui du redressement. Il s'applique aux copropriétés fragiles ou en voie de fragilisation. Nous agissons d'abord pour leur permettre de retrouver une gestion saine, pour qu'elles puissent ensuite engager une démarche de travaux. Ces démarches demeurent longues, mais elles le sont moins que dans le cas précédent.

La prévention constitue le troisième axe. Elle consiste à observer les copropriétés à partir du registre national, mais surtout en lien avec les territoires. La démarche cherche à s'assurer que des copropriétés ne présentent pas de signes de fragilité, notamment lorsqu'elles ne votent pas de travaux. Elle repose sur une observation assez précise du terrain.

Le registre présente donc l'intérêt de mieux connaître le parc et de partager cette connaissance avec les territoires, y compris en matière de prévention dans les copropriétés saines. Les politiques publiques locales peuvent ainsi entreprendre notamment une démarche de rénovation énergétique, afin de consommer moins d'énergie et d'émettre moins de gaz à effet de serre.

Le PIC est un dispositif à la carte. Il a reposé dès le début, en effet, sur deux postulats. Le premier a consisté à assurer avec les collectivités une observation des copropriétés et à identifier celles sur lesquelles la collectivité travaillerait. Le second a comporté un panel d'outils d'aide à la gestion de la copropriété, à la gestion urbaine de proximité et aux travaux. Ces aides permettent à la copropriété d'engager des travaux sur la base d'un plan de financement qui sécurise le parcours.

Nous avons ainsi cherché à présenter une offre d'outils en nouant des partenariats qui permettent à la collectivité de s'engager dans une stratégie d'intervention. Tous ces outils ne sont pas utilisés en intégralité pour chaque copropriété, mais ils peuvent être mixés selon le diagnostic porté : décision d'une opération de requalification des copropriétés dégradées (ORCOD) d'intérêt national, simple opération programmée d'amélioration de l'habitat (OPAH) - copropriété dégradée, plan de sauvegarde... Ces différents outils permettent de graduer l'intervention de l'Agence et de la collectivité. En effet, les aides de l'Anah doivent être complétées par la collectivité territoriale de façon à baisser au maximum le reste à charge du ménage, en matière de gestion comme de travaux.

L'Anah pilote donc le PIC, en lien avec le ministère du logement et plusieurs partenaires : l'ANRU sur l'axe de la transformation ; CDC Habitat, filiale logement social de la Caisse des dépôts et consignations, qui acquiert des biens dans les copropriétés, parfois à titre majoritaire ; Procivis, qui consent des prêts à des taux très peu élevés (0 % ou 1 %) ; Action Logement qui intervient dans des conditions similaires à celles de CDC Habitat...

Les montants prévus s'élevaient à 2 milliards d'euros sur dix ans, de 2018 à fin 2027, pour l'Anah et à 480 millions d'euros pour l'ANRU. Les autres partenaires ne s'étaient pas engagés formellement sur des montants financiers, mais l'objectif consistait à traiter 684 copropriétés en difficulté, soit 56 000 logements, et à transformer 128 copropriétés, soit 24 000 logements.

À date, le bilan se révèle plutôt positif. Le dispositif est monté progressivement en puissance, compte tenu du temps nécessaire à une collectivité pour s'engager dans une stratégie puis pour mobiliser une copropriété qui vient ensuite solliciter les aides de l'Agence.

J'achève ici ce propos introductif. Je pourrai communiquer des éléments plus précis et chiffrés en fonction de vos questions.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Merci pour ces premiers éléments.

Je souhaiterais revenir sur le PIC. Vous avez évoqué ses objectifs et commencé à aborder son bilan, mais quels sont les grands enseignements aujourd'hui ? En dehors de ce plan, quelles règles pouvons-nous poser en matière d'intervention sur ces copropriétés ?

J'aimerais aussi revenir sur plusieurs questions. Quelles projections établir concernant l'impact sur le volet copropriétés de MaPrimeRénov' de l'annulation d'un milliard d'euros de crédits ? Par ailleurs, est-il possible d'aller plus loin dans la collaboration avec les collectivités, qui constituent aujourd'hui l'acteur majeur dans l'identification des copropriétés fragiles ?

Enfin, quel est votre point de vue sur le projet de loi relatif à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé et des grandes opérations d'aménagement ? Vous paraît-il intéressant ? Sur quels points pourrions-nous aller plus loin ?

Mme Valérie Mancret-Taylor. - Je répondrai d'abord à la question d'actualité relative à la réduction budgétaire qui impacte MaPrimeRénov' et donc le budget de l'Anah à hauteur d'un milliard d'euros en 2024. Cette baisse sera sans impact sur les territoires. Nous en saurons plus à l'issue du Conseil d'administration de l'Agence du 13 mars 2024.

Le budget initial voté en décembre dernier est très ambitieux. Il s'élève à 6,3 milliards d'euros, dont 3,7 milliards d'euros d'aides à la pierre dont l'attribution peut être déléguée aux collectivités territoriales. Celles-ci augmentent de 130 % par rapport au budget de 2023. En décembre dernier, le Conseil d'administration a choisi de conserver en réserve 800 millions d'euros sur ces 3,7 milliards d'euros. Ces fonds concernent notamment les copropriétés, le traitement de l'habitat indigne, mais aussi des aides plus simples à traiter. Cette mise en réserve est destinée à observer lors du premier semestre 2024 le comportement des territoires face aux augmentations très importantes des crédits qui leur seraient délégués.

La mise en réserve correspond à une pratique habituelle de l'Agence, dont le budget se trouve généralement en tension sur le parc privé. Chaque année, lors du Conseil d'administration de décembre, nous mettons donc systématiquement en réserve des crédits qui sont ensuite délégués en fonction des demandes de territoires pour des situations d'urgence (séisme, inondations...). La pratique permet aussi d'ajuster des redéploiements lors du deuxième semestre au bénéfice de territoires plus dynamiques que d'autres, qui peuvent ainsi bénéficier de crédits complémentaires.

Dès lors, ni les crédits délégués dans les territoires ni les volumes budgétés ne devraient être révisés. La question sera discutée ce 13 mars en Conseil d'administration, puis confirmée aux territoires à l'issue d'un Conseil d'administration supplémentaire. Celui-ci se tiendra dans le courant du deuxième trimestre et adoptera un budget rectificatif. La situation devrait être plutôt sereine, compte tenu des mesures de gestion anticipées dès décembre dernier.

Concernant le bilan du PIC, je partagerai avec vous quelques éléments quantitatifs et qualitatifs. Aujourd'hui, 577 759 copropriétés sont immatriculées dans le registre sur un total évalué à 679 000. Les copropriétés fragiles sont de l'ordre de 150 000.

L'Anah a financé 1 686 copropriétés depuis le lancement du Plan et traité 565 635 logements. Sur ce total, 226 copropriétés ont déjà été traitées en rénovation énergétique et 788 au titre de la lutte contre l'habitat indigne. 1 146 copropriétés ont déjà été financées dans le cadre du dispositif MaPrimeRénov' Copropriété, pour un gain énergétique moyen mesuré de 47,2 %. Les chiffres peuvent être déclinés en nombre de logements.

Le budget annuel de l'Anah pour l'intervention en copropriétés est passé de 50 millions d'euros en 2017 à 323,1 millions d'euros en 2022. Pour 2023, la consolidation définitive est en cours. Nous pourrons vous communiquer les chiffres par écrit.

Sur le plan qualitatif, nous pouvons nous montrer très satisfaits. Plusieurs élus nous ont même indiqué que le PIC avait changé leur approche. En effet, nous n'agissons plus uniquement en observation. Au travers du Plan, l'action s'articule autour des trois axes évoqués précédemment : la prévention, le redressement et la transformation. Nous apportons des outils par le biais des aides à la gestion, à l'accompagnement et aux travaux. Ces aides permettent aux collectivités de réellement s'engager dans des stratégies fermes sur plusieurs années et d'accompagner les copropriétés en matière de redressement, de transformation et de prise de décision. Même pour celles qui sont saines, certaines collectivités nous disent avoir pu engager des démarches d'information sur les aides existantes, permettant ainsi de vraies prises de décisions en matière de travaux.

Ainsi, le Plan répond à l'ensemble des enjeux. Il permet aux collectivités, notamment aux 17 qui sont en suivi national, de disposer de stratégies efficaces pour le redressement des copropriétés. Elles nous le font savoir, tout d'abord dans le comité de pilotage du PIC, qui réunit chaque année autour du ministre du Logement les partenaires évoqués précédemment, et les 17 territoires en suivi national. Ceux-ci y expriment à la fois leur satisfaction et leurs attentes.

Depuis deux ou trois ans, les collectivités ont ainsi fortement insisté sur le besoin d'outils coercitifs plus efficaces à l'échelle des copropriétés. À cet égard, le projet de loi se révèle intéressant. Il en va de même pour ses avancées en matière de prêts collectifs. Ces deux attentes étaient formulées systématiquement lors du comité de pilotage, mais aussi lors de nos rencontres avec les préfets et les services déconcentrés. En effet, nous nous déplaçons à leur demande ou de notre propre initiative dans le cadre d'observations sur le terrain.

Mme Marianne Margaté, rapporteure. - Merci pour ces éléments très riches.

Je voudrais d'abord revenir sur le repérage et le registre. En préparant cette commission d'enquête, nous avons constaté la difficulté à obtenir des chiffres fiables, consolidés et partagés. Vous avez émis l'hypothèse que les copropriétés non immatriculées étaient dotées de syndics bénévoles. Existe-t-il d'autres types de copropriétés non immatriculées ? Cette absence d'immatriculation est-elle un indicateur de fragilité ? Par ailleurs, certaines remarques ont été exprimées à l'égard du registre. Rassemble-t-il l'ensemble des éléments utiles, notamment sur les questions de paupérisation des copropriétés et des copropriétaires, y compris les phénomènes de suroccupation ?

La prévention est cruciale pour éviter des actions plus lourdes de redressement. J'ai donc été étonnée de constater, à la lecture d'un document de la région Île-de-France, que seules neuf veilles observatoires y étaient mises en place. Ce chiffre me semble extrêmement faible. J'aurai donc plusieurs questions à cet égard. Ce dispositif se développe-t-il ? Rencontre-t-il des limites ? Comment des outils tels que le Programme opérationnel de prévention et d'accompagnement des copropriétés (POPAC) fonctionnent-ils aujourd'hui ? Sont-ils pertinents en termes de prévention ou demandent-ils à être modifiés ?

Concernant le PIC, vous mentionniez un objectif de 684 copropriétés. Je mets ce chiffre en regard des 115 000 qui sont en difficulté. L'intervention dans le cadre du PIC présente l'intérêt de mettre en oeuvre des dispositifs en cohérence et en coordination avec le territoire. Cependant, au vu du développement des copropriétés fragiles ou en difficulté, comment le Plan se déploiera-t-il pour être à la hauteur des défis d'aujourd'hui et de demain, en matière notamment de rénovation énergétique ? Est-il bien calibré en termes de moyens financiers et humains ? De plus, est-il actualisé régulièrement et si oui, de quelle manière ?

Par ailleurs, comment les maires sont-ils sensibilisés pour s'intéresser à la question avant que ne se manifestent des dégradations de bâti extrêmement lourdes ? Comment sont-ils accompagnés ? En effet, les petites copropriétés qui font tout particulièrement l'objet de notre commission représentent un phénomène diffus et souvent peu connu des maires.

Enfin, pourriez-vous confirmer que les petites copropriétés représentent les trois quarts des 150 000 copropriétés fragiles que vous indiquiez ? Si oui, les outils dont dispose l'Anah sont-ils calibrés en conséquence ? Ces petites copropriétés demandent en effet une attention et une méthode particulières.

Mme Valérie Mancret-Taylor. - Je commencerai par les questions relatives au repérage. Tout d'abord, le volume global des copropriétés que j'ai indiqué - un peu plus de 700 000 - repose sur des données d'études, issues notamment du Fichier des logements à la commune (FILOCOM). Nous ne sommes pas complètement sûrs qu'ils soient corrects. Cependant, nous pensons qu'ils sont proches de la réalité.

Depuis la création du registre en 2017, nous avons vu s'immatriculer progressivement les plus grosses copropriétés. Nous estimons donc que l'écart provient soit de copropriétés qui n'en sont pas, soit de copropriétés dotées de syndics bénévoles. Nous ne disposons pas d'éléments permettant de déterminer si ces copropriétés non immatriculées sont fragiles ou en cours de fragilisation, voire de dégradation. D'où les campagnes que nous menons au niveau national ou auprès des syndics, des agences immobilières et surtout des collectivités pour qu'elles relaient le message selon lequel l'enregistrement favorise leur identification.

En effet, le registre est en libre accès pour les usagers, les syndics et les collectivités territoriales. Il permet d'identifier les copropriétés sur le territoire et donne à la puissance publique une information sur la paupérisation, mesurée à partir du niveau d'endettement, puisque les informations remplies par les syndics sont relatives à la gestion. En revanche, nous ne disposons pas d'informations sur l'axe de la paupérisation sociale. Pour cette raison, la procédure d'attribution des aides de l'Anah prévoit des enquêtes sociales sur le terrain afin de déterminer l'état et l'occupation du bâti.

En matière de prévention, l'Anah dispose de deux outils, le VOC (Veille et observation des copropriétés) et le POPAC.

Je ne suis pas en mesure de vous indiquer aujourd'hui combien de VOC sont présents en Île-de-France, ni même sur le territoire français. Nous regarderons. En tout état de cause, cet outil de veille extrêmement intéressant est cofinancé par les collectivités. Il leur permet d'observer, à l'aide du registre, comment les copropriétés évoluent sur leur territoire.

Le POPAC est un dispositif de prévention. Les équipes mises en place se rendent auprès des copropriétaires pour les sensibiliser aux risques de fragilisation ou de dégradation, mais aussi pour faire réfléchir les copropriétés saines à des travaux de rénovation énergétique ou d'adaptation à la perte d'autonomie. Les évolutions relatives aux POPAC seront présentées lors du Conseil d'administration du 13 mars. Elles portent sur la possibilité de mobiliser des aides aux travaux dès le POPAC.

Les volumes fixés dans le PIC correspondaient à un objectif concernant les copropriétés confrontées aux plus grandes difficultés, conformément aux informations remontées par les services déconcentrés de l'État. Ces objectifs ne nous ont pas empêchés d'en traiter plus, en l'occurrence 1 686 pour un objectif de 684, et d'élargir notre intervention à d'autres zones géographiques que celles initialement identifiées.

Le Plan évolue en permanence et nous nous adaptons. Ainsi, les 17 sites du suivi national étaient moins nombreux à l'origine. Une ville comme Sarcelles a par exemple demandé à intégrer le dispositif. D'autres communes y réfléchissent aussi et pourront le rejoindre. Les aides évoluent également par le biais d'expérimentations territorialisées. Ainsi, les plus petites copropriétés - moins de vingt lots - qui le demanderaient pourraient bénéficier dans certaines conditions du dispositif MaPrimeRénov' Copropriété sans atteindre l'objectif national de gain énergétique de 35 %.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Merci. Je reviens sur vos propos qualifiant la copropriété de « mini-démocratie ». À ce sujet, quelle est votre vision sur les règles de vote ? Vous semblent-elles encore adaptées au phénomène de paupérisation des copropriétés ?

Par ailleurs, les élus et les collectivités évoquent assez régulièrement le relogement comme un frein dans les projets de rénovation des copropriétés. Le vivez-vous comme tel ? Surtout, jugez-vous suffisantes les solutions que vous expérimentez dans le cadre du PIC ? Un autre modèle permettrait-il de pallier ces difficultés ?

Mme Valérie Mancret-Taylor. - Concernant les majorités de vote fixées par la loi du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, la question est toujours très compliquée. Sans être spécialiste de cette loi, il me semble que certaines avancées permettent une prise de décision en assemblée générale dans les limites de la Constitution en matière de droit de la propriété. Cependant, chaque modification de la loi se révèle très difficile, si bien que les avancées ont été progressives. En tout état de cause, il me semble qu'elles se trouveront confrontées à un moment ou à un autre au droit de propriété.

Pour cette raison, je n'ai pas évoqué précédemment cet axe législatif. J'ai plutôt souligné les évolutions de métier et les changements d'approche. Je ne souhaiterais pas que mon propos soit considéré comme angélique, mais je pense que la société évolue vers une prise de conscience sur la transition écologique et le besoin de rénovation énergétique du bâti. Certaines collectivités territoriales - plutôt des métropoles - ont mis en place des dispositifs d'information vers les copropriétaires. Certains élus locaux organisent des réunions publiques où ils expliquent ce que nous évoquons ensemble aujourd'hui, mais aussi les dispositifs qu'ils ont mis en place pour accompagner les syndics dans des prises de décisions. Ils sont conscients que le processus durera au minimum un an et demi, voire plusieurs années, avant que la décision ne soit prise.

Pour le dire encore autrement, une dynamique de projet doit s'instaurer au sein des copropriétés. Certaines demeureront rétives, mais d'autres s'engageront. Les métropoles auxquelles je pense reçoivent aujourd'hui de très nombreux appels téléphoniques à la suite de leurs actions (réunions publiques, dispositifs de financement des travaux, actions d'accompagnement des syndics et des architectes de copropriétés, etc.). Le vote des travaux peut d'ailleurs s'étaler dans le temps.

J'emploie à dessein le terme de dynamique de projet, caractérisé par un diagnostic, une estimation du coût, un examen des aides publiques, qui peuvent être abondées, voire un calendrier de travaux étalé sur plusieurs années et la possibilité de capter un prêt, individuel ou demain collectif, pour financer le reste à charge. Ainsi la démarche évolue. Il convient d'espérer qu'elle se propage dans davantage de territoires.

Le relogement représente clairement un frein. Pour cette raison, j'évoquais précédemment les travaux d'urgence que nous finançons en cas de risque réel pour la sécurité des habitants. Certaines questions ont pu être posées à l'Anah sur le bienfondé de ces financements, parfois très élevés. De fait, les travaux de mise en sécurité interviennent en général dans des territoires où les marchés immobiliers sont très tendus et où la capacité de relogement en urgence est impossible. Par ailleurs, le financement de ces travaux d'urgence permet à des habitants très vulnérables socialement et économiquement de rester plus longtemps dans leur logement. L'objectif à terme demeure le redressement de la copropriété afin qu'elle puisse voter des travaux de confortation et de rénovation énergétique.

Si vous me le permettez, j'évoquerai un troisième point : le financement des arriérés de charges. Comme aujourd'hui, le projet de loi prévoit que les fonds publics destinés à la gestion, à l'animation ou au financement de travaux ne peuvent être captés pour éponger des dettes. Cependant, dans l'arsenal législatif et réglementaire existant, aucun dispositif ne permet de financer les arriérés de charge.

Les moyens mis en oeuvre permettent une renégociation du calendrier de la dette, par exemple avec les grands fournisseurs de fluides énergétiques, mais parfois cela ne suffit pas. Les dispositifs départementaux existants sont calibrés pour les locataires du parc social. Très peu s'adressent aux propriétaires occupants des copropriétés. Cela reste une vraie difficulté.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Je vous poserai encore deux questions avant de repasser la parole à Marianne Margaté.

Les très petites copropriétés constituent l'un des sujets que nous souhaitons développer. Pourriez-vous aller plus loin les concernant ? En matière d'information et de formation, quelles actions pourrions-nous ou pourriez-vous mener, au-delà des campagnes existantes et de la multiplication de guichets au sein des territoires ?

Par ailleurs, comment l'Anah pourrait-elle aller plus loin dans l'accompagnement des collectivités ? En effet, les territoires qui avancent aujourd'hui sont volontaristes, ils engagent des actions et des budgets. D'autres ne s'engagent pas, souvent par manque d'information. Vous le savez, puisque la montée en puissance du PIC est passée par l'information et le développement des outils.

Mme Valérie Mancret-Taylor. - Concernant les petites copropriétés, je me suis effectivement plutôt attachée à présenter l'évolution des aides de l'Anah, votée très récemment par le Conseil d'administration.

Sur le volet information, France Rénov', le service public de la rénovation de l'habitat, institué par la loi Climat et résilience du 22 août 2021, monte en compétences sur la transition démographique, notamment la perte d'autonomie, et sur la copropriété.

De fait, la copropriété est un sujet très complexe : loi de 1965, puis loi du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs, gestion de la copropriété au sens strict... Notre objectif n'est pas de transformer les espaces-conseil France Rénov' en spécialistes de la copropriété, mais de leur permettre de mieux orienter les ménages copropriétaires vers les interlocuteurs adéquats.

Ces interlocuteurs sont tout d'abord les Agences départementales d'information sur le logement (ADIL) qui détiennent dans leur quasi-totalité une très bonne connaissance de la copropriété. À cet égard, il est nécessaire de mettre en réseau les différents guichets existant sur le territoire, sans nécessairement créer partout un guichet unique de type « maison de l'habitat ».

Le deuxième interlocuteur est la collectivité, lorsqu'elle a décidé de mettre en place une OPAH, que celle-ci soit uniquement consacrée à la copropriété ou qu'elle comporte un volet dédié. Dans ce cadre, les opérateurs retenus par appel d'offres pour constituer l'équipe de suivi-animation sont généralement des spécialistes qui nouent une bonne relation avec l'espace-conseil France Rénov'.

De la sorte, le service public France Rénov' sera en mesure de répondre à n'importe quel administré du territoire, qu'il soit en maison individuelle, en copropriété, etc.

Pour les collectivités, le traitement est proche, mais l'angle un peu différent. La copropriété est un sujet complexe. Les services déconcentrés de l'État recherchent le regroupement des spécialistes de la copropriété afin d'agir au niveau intercommunal. En effet, le niveau communal ne parvient pas à rassembler un nombre suffisant d'experts.

Ainsi, dans le cadre d'OPAH complexes financées à 50 % par l'Anah, nous recommandons de créer une équipe permettant à une intercommunalité de prendre la compétence pour traiter de la copropriété et de l'habitat indigne. En matière d'habitat indigne, le besoin de regrouper les compétences est en effet particulièrement prégnant. Ces compétences sont rares ; on les trouve au sein des bureaux d'études, des services déconcentrés de l'État, de l'Anah...

Enfin, il faut former davantage. Il existe une filière complète autour de l'habitat privé, individuel et collectif. Elle couvre aussi bien les travaux que les prestations intellectuelles au sein des collectivités territoriales, des bureaux d'étude et des espaces-conseils France Rénov'. Il est indispensable de créer aussi des filières pour monter en compétences en matière de transition écologique. France Stratégies estime les besoins sur cette filière entre 250 et 300 000. L'Anah n'est pas compétente pour valider ces chiffres, mais les besoins de professionnels sont en tout état de cause très importants sur l'ensemble du territoire national.

Mme Marianne Margaté. - La complexité de la copropriété s'aiguise. Elle touche à la propriété privée, mais l'intervention publique se développe à tous les niveaux, de l'information et de la prévention jusqu'au redressement et au recyclage. Il est d'ailleurs demandé aux élus d'être de plus en plus présents.

Je ne sais pas si beaucoup d'intercommunalités se sont saisies de cet objet dans leur plan local de l'habitat, mais je pense que cela reste l'apanage des métropoles et des communes obligées d'affronter le sujet, comme Sarcelles.

De plus, la complexité s'accroît du fait de la coexistence entre propriétaires bailleurs et propriétaires occupants. Ces derniers ne partagent pas nécessairement les mêmes intérêts que les propriétaires bailleurs et peuvent aussi se paupériser. En outre, les nouveaux copropriétaires n'ont pas toujours estimé le poids des charges et des rénovations à venir. Mesurez-vous à cet égard une tension particulière ?

Par ailleurs, comment abordez-vous la question des marchands de sommeil qui s'implantent notamment dans les copropriétés les plus fragiles ?

Mme Valérie Mancret-Taylor. - Je crois que l'intervention publique sur les copropriétés, en particulier les plus fragiles, est très proche d'une politique de solidarité. La légitimité de l'action publique sur le parc privé est due au fait qu'il loge beaucoup de ménages vulnérables. Pour cette raison, l'Anah ne traitait à l'origine que les copropriétés les plus fragiles et les plus dégradées. La transition écologique l'a conduite à élargir son champ à des copropriétés saines. Cependant, son objectif initial consistait à permettre aux ménages très vulnérables qui n'étaient pas entrés dans le logement social d'améliorer leur logement et parfois de redresser la gestion de leur patrimoine.

Nous ne disposons pas d'un état des lieux des intercommunalités. Toutefois, le parc privé est de mieux en mieux connu grâce au registre et aux politiques publiques des collectivités. En effet, de plus en plus de collectivités mènent une action conséquente sur le parc privé. Je préciserai les chiffres, mais nous avons aujourd'hui 1 100 OPAH sur l'ensemble du territoire national contre environ 700 en 2017.

Selon les informations remontées du terrain, les votes des propriétaires bailleurs traduisaient jusqu'à la loi Climat et résilience une certaine réticence à engager des investissements dans le patrimoine. Ils tendent désormais à appuyer des décisions de rénovation plus rapides. Ces premières remontées proviennent d'équipes de suivi-animation dans les territoires et des syndics, mais nous ne disposons pas de chiffres.

À l'égard des marchands de sommeil, l'action n'est qu'incitative. La coercition n'est applicable qu'en matière d'habitat indigne et, demain, dans certaines situations d'expropriation dans les copropriétés. Nous ne pouvons empêcher quelqu'un d'acheter un logement, d'autant plus que nous ne connaissons pas a priori les intentions de l'acquéreur quant à l'utilisation de son bien. En revanche, lorsque nous commençons à intervenir sur une copropriété, nous pouvons mettre en oeuvre tous les leviers de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ELAN) et surtout exclure du bénéfice des aides publiques un propriétaire identifié comme marchand de sommeil.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Quel lien établissez-vous entre la structure de gestion et la situation des copropriétés ? Peut-on considérer que les copropriétés fragilisées sont majoritairement gérées par des Associations syndicales libres (ASL) ou des syndics bénévoles ?

Par ailleurs, les ASL font-elles l'objet d'un suivi par l'Anah ? Serait-il pertinent de les immatriculer au registre national ? La même question se pose pour les Unions de syndicats.

Mme Valérie Mancret-Taylor. - Je ne sais pas répondre à la première question. Spontanément, je n'établirais pas de lien, mais je préfère examiner le sujet avec des spécialistes au sein de l'Agence. Nous reviendrons vers vous par écrit.

La question des ASL est bien identifiée au sein de l'Anah. Nous avons été sollicités par de nombreux territoires. Aujourd'hui, les ASL ne bénéficient pas des aides de l'Agence. Nous réfléchissons à une évolution de notre réglementation en faveur notamment de ces structures.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Nous avons épuisé avec vous une partie significative du sujet. Nous vous remercions encore pour votre disponibilité et la précision de vos réponses. Pour votre information, nos travaux donneront lieu à la publication d'un rapport avant le 31 juillet 2024.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de M. David Rodrigues, juriste à l'association nationale
de défense des consommateurs Consommation, logement et cadre
de vie (CLCV), Mme Jocelyne Herbinski, secrétaire confédérale
de la Confédération nationale du logement (CNL) et M. Stéphane Pavlovic, directeur de la Confédération générale du logement (CGL)

(Mardi 12 mars 2024)

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Madame, Messieurs, mes chers collègues, nous reprenons aujourd'hui les travaux de notre commission d'enquête sur la paupérisation des copropriétés.

Avec Madame Marianne Margaté, qui en est la rapporteure, nous sommes heureuses d'accueillir Monsieur Stéphane Pavlovic, directeur de la Confédération générale du logement, Madame Jocelyne Herbinski, secrétaire confédérale de la Confédération nationale pour le logement, et enfin Monsieur David Rodrigues, qui représente l'association nationale de la défense des consommateurs et usagers « Consommation, logement et cadre de vie », la CLCV.

Comme vous le savez, il existe environ 700 000 copropriétés en France. De nombreux concitoyens sont donc concernés et un certain nombre potentiellement touché par des phénomènes de paupérisation et de dégradation. Ainsi, 17 % des copropriétés immatriculées au registre national de la copropriété (RNIC) seraient fragiles ou en difficulté.

La paupérisation d'une copropriété a des effets très concrets pour les habitants : la dégradation de la qualité de vie, l'installation de marchands de sommeil, l'insalubrité et l'atteinte aux normes d'hygiène, et dans les cas les plus graves, des atteintes à la sécurité des habitants. Face à ces menaces, des dispositifs ont été mis en place pour mieux protéger les habitants et je rappelle qu'un certain nombre d'entre eux a été amélioré très récemment, notamment lors de l'examen par le Sénat du projet de loi sur l'habitat dégradé, dont je suis la rapporteure.

Aux côtés des pouvoirs publics, les associations de consommateurs sont souvent les porte-voix des habitants pour faire valoir leurs droits, voire des lanceurs d'alerte.

Dans ce cadre, j'aimerais en premier lieu vous interroger sur les différentes dynamiques qui conduisent à la paupérisation des copropriétés. Existe-t-il par exemple, selon vous, des angles morts dans la détection de ces copropriétés en fragilité ? Les outils de prévention sont-ils selon vous adaptés ?

Concernant les syndics, qui sont des acteurs centraux, quelles pistes d'amélioration pourriez-vous suggérer ? Y a-t-il de bonnes pratiques que vous voudriez mettre en avant ?

Par ailleurs, pensez-vous que la « boîte à outils » aujourd'hui à disposition des pouvoirs publics est assez complète ? Des améliorations peuvent-elles être apportées ?

Enfin, nous serions intéressés de savoir comment, à votre avis, mieux aider et accompagner les habitants.

Avant de vous laisser la parole pour un propos introductif d'environ dix minutes chacun, qui vous permettra de répondre en même temps à ces premières questions, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.

Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du Code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.

Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».

David Rodrigues, Jocelyne Herbinski et Stéphane Pavlovic lèvent la main droite et disent « Je le jure » chacun à son tour.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Je vous remercie.

Madame Herbinski, nous vous donnons la parole.

Mme Jocelyne Herbinski. - Merci beaucoup de nous recevoir.

La Confédération nationale du logement souhaite faire part de plusieurs réflexions.

Le projet de la loi a apporté plusieurs réponses avec lesquelles nous sommes en adéquation. Toutefois, certains points, comme la question des marchands de sommeil, nous semblent en recul par rapport à la proposition initiale. Je développerai les points par ordre de priorité.

Tout d'abord, nous constatons souvent que les petites copropriétés ne disposent pas de syndic. Même lorsqu'existent des syndics bénévoles, les décisions se prennent parfois en fonction du copropriétaire le plus intéressé par son propre bien, sans que cela soit nécessairement partagé par les autres. Cela concerne notamment les petites copropriétés de centre-bourg ou de centre-ville. Bien des copropriétaires ne savent pas ce que signifie la copropriété. Leur approche est alors individuelle. Lorsque l'habitat y est un peu fragile en termes d'entretien régulier, à l'intérieur du logement comme dans les parties communes, les choix sont opérés en fonction des moyens financiers des occupants. Les marchands de sommeil peuvent aussi s'y implanter, par exemple sous forme de colocations tournantes, pour loger notamment des employés saisonniers ou non déclarés.

Les petites copropriétés ne sont pas seules à se trouver fragilisées ou dégradées, puisque de très grosses copropriétés font également l'objet des attentions de la puissance publique et se voient allouer des moyens.

En tout état de cause, nous constatons que les situations de fragilité sont aussi liées aux capacités financières des propriétaires occupants. Certains se trouvent en difficulté, alors qu'ils ne l'étaient pas auparavant, en raison de l'augmentation du coût de l'énergie. À cet égard, nous observons un manque d'accompagnement des syndics, surtout après la crise Covid. Les retards dans la tenue des assemblées générales ont parfois généré des délais dans la régularisation des charges, privant les occupants d'une connaissance d'augmentations significatives affectant certains postes. Cette situation perdure aussi en raison du renouvellement de contrats dont les coûts ont explosé. Ces augmentations successives viennent s'ajouter aux remboursements d'emprunts. Par conséquent, la situation est difficile pour les intéressés qui ne savent pas auprès de qui obtenir un accompagnement financier.

De plus, le manque de lisibilité des aides aggrave les difficultés. Certains publics ne connaissent pas tous leurs droits à en bénéficier. Nous devons parfois intervenir, car il est compliqué d'identifier les interlocuteurs adéquats en l'absence de prise en charge globale. À cet égard, nous souhaiterions un pôle public auquel pourrait s'adresser tout habitant, qu'il soit locataire ou propriétaire occupant, dès lors qu'il rencontre des difficultés à assumer la charge de son logement.

Par ailleurs, nous jugeons intéressante la proposition d'un prêt global et collectif. Cependant, nous avons compris que ce prêt serait accordé, quels que soient les revenus des copropriétaires. Nous alertons sur notre souhait de bien voir la cible concernée en bénéficier.

Le syndic d'intérêt collectif nous paraît également utile. Les bailleurs sociaux vendent aussi du locatif social et dans certaines copropriétés, les accédants ne connaissent ni le rôle du syndic ni le pouvoir décisionnaire de l'assemblée générale. Lors de la constitution de telles copropriétés, nous souhaitions donc que leurs occupants, locataires et accédants, puissent encore bénéficier des contrats qui avaient été négociés par les bailleurs sociaux. Le syndic d'intérêt collectif pourrait s'inscrire dans cette démarche.

Nous souhaitons aussi aller vers des prêts à taux zéro en matière de réhabilitation. Ils devraient cibler en priorité les logements non décents.

La prévention nous apparaît prioritaire.

Nous demandons l'abrogation de ce que nous appelons la « troisième ligne de quittance », c'est-à-dire la contribution forfaitaire réclamée aux locataires pendant quinze ans. Ces coûts sont élevés, surtout dans le contexte actuel affectant les tarifs de l'énergie.

Par ailleurs, le permis de louer représente pour nous un élément essentiel.

Nous souhaitons aussi la réquisition de logements vacants dans le cadre du relogement. Environ 2,5 millions de logements sont concernés. Certains d'entre eux ne sont pas loués depuis des décennies. Or ils permettraient d'assurer des relogements à proximité et de répondre à des situations d'urgence.

En matière de signalements, l'instauration d'un lieu centralisé de coordination entre tous les services nous semble une bonne solution. En effet, certaines situations s'aggravent faute de partage d'informations.

Enfin, il nous semblerait intéressant de renforcer les espaces de coordination et de concertation entre tous les occupants d'un immeuble. Certains logements appartiennent à des investisseurs - Pinel, notamment - dont les locataires n'ont pas toujours les coordonnées, les agences de location faisant écran. À cet égard, des malfaçons peuvent se produire dans de l'ancien comme dans du neuf. Il conviendrait donc de ne pas cibler uniquement l'ancien. De plus, la loi ne prévoit aucune possibilité de participation des locataires aux assemblées générales en cas d'Associations syndicales libres (ASL). Or la possibilité de discuter avec tous les résidents de sujets comme les espaces verts ou les garages constituerait une avancée.

M. David Rodrigues. - Merci pour votre invitation. Votre commission d'enquête témoigne d'un intérêt pour la copropriété qui est généralement un angle mort, souvent traité par voie d'amendements. Le dernier texte d'importance était la loi ALUR qui prévoyait d'intervenir sur le sujet. La loi ELAN l'a fait, mais de façon annexe, avec une ordonnance qui a modernisé le dispositif, mais qui de l'avis général manquait un peu d'ambition.

En parallèle, le projet de loi contient des mesures intéressantes sur la responsabilisation des syndics et le défaut d'interpellation du mandataire ad hoc, l'expropriation lorsque les arrêtés de mise en sécurité n'ont pas été levés passé un certain délai ou la participation du maire. Ces points impliquent l'autorité locale quant à l'intérêt qu'elle peut porter à la prévention des copropriétés en difficulté.

Je trouve toutefois regrettable que ce projet de loi soit examiné en procédure accélérée. Compte tenu de l'importance du sujet, deux lectures m'auraient paru justifiées. L'examen aurait même pu intervenir plus tardivement pour prendre en compte l'avancée de vos travaux.

Par ailleurs, interviennent les travaux du Plan urbanisme construction architecture (PUCA) qui ont une approche sociologique de la copropriété et de la prévention des difficultés. Or cet aspect sociologique constitue peut-être un angle mort. En effet, nous partons d'un axiome selon lequel le copropriétaire s'intéresse à la gestion de sa copropriété. C'est faux, car certains s'en désintéressent, ne sont pas initiés à la problématique ou n'y habitent pas. Le calendrier sur la performance énergétique rendra cependant les propriétaires bailleurs plus moteurs sur la réalisation de travaux, alors qu'ils freinaient auparavant.

Il est vrai que la situation des occupants en tant que tels n'est pas prise en compte. Or nous constatons que les copropriétés se trouvent en difficulté, car les problèmes financiers de leurs occupants s'accroissent, en raison de mutations sociologiques dans le quartier ou de manque d'anticipation de travaux.

De fait, nous avions proposé dans les petites copropriétés, qui peuvent être les plus fragiles, un élargissement du syndic bénévole aux ascendants ou aux descendants, voire au conjoint, comme au conseil syndical. Or nous nous heurtons à un blocage sur ce point. Il ne faut pas oublier que toutes les réglementations créées s'appliquent à l'ensemble des copropriétés. Nous manquons d'outils. Un bailleur pourrait mandater son locataire au conseil syndical avec l'adoubement de l'assemblée générale. Le droit de propriété ne constitue pas un obstacle puisque le bailleur est le propriétaire et l'assemblée générale souveraine. Le problème réside surtout chez les syndics qui souhaitent le moins d'interlocuteurs possible. C'est ainsi que les conseils de résidents ne peuvent se mettre en place dans les copropriétés Pinel, alors que les conseils syndicaux sont très peu nombreux.

Nous sommes donc confrontés à des angles morts, car il n'existe pas d'outils permettant de gérer efficacement une copropriété, soit parce que personne n'est sur place à même de s'y intéresser, soit parce que ceux qui le pourraient n'ont pas le droit de le faire.

La problématique de la copropriété renvoie à l'information préalable sur ce que signifie le fait d'être copropriétaire. La loi ALUR prévoyait la publication d'un arrêté créant une notice d'information annexée à l'acte de vente. Elle avait pour vocation de sensibiliser les futurs acquéreurs sur le passage à la copropriété. Nous assurons d'ailleurs ce travail avec les autres associations, notamment dans le cadre des accessions sociales à la propriété chez les bailleurs sociaux. De fait, une sensibilisation est nécessaire, car beaucoup d'acquéreurs ne sont pas informés. En l'occurrence, elle se fait en application de la loi, mais elle peut passer par le financement de projets de ce type avec la Fondation Abbé Pierre, la Fondation de France ou Soliha. Ces actions relèvent de la prévention des difficultés dans les copropriétés.

Concernant l'adaptation des outils de prévention, la question peut porter sur leur nature même ou sur leur utilisation. De fait, ils sont nombreux. Ainsi le mandataire ad hoc est peu utilisé. Certains professionnels manifestent une certaine réticence. Pourtant, des exemples montrent que les syndics ne sont pas toujours diligents quant au recouvrement des impayés. Sur le sujet, la problématique est celle de la bonne utilisation des signaux d'alerte.

Je ne dispose pas d'études sur le sujet, mais il me semble difficile de savoir par le biais du Registre d'immatriculation si la part des copropriétés en difficulté se trouve surreprésentée lorsqu'il y a un syndic bénévole ou non professionnel. J'ignore si des statistiques sont établies à cet égard. Au demeurant, se pose la question de la raison du passage de ces copropriétés en autogestion : l'autogestion est-elle choisie ou subie ? Dans le premier cas, la gestion peut très bien se passer, dans le second la situation peut s'avérer plus difficile. En tout état de cause, certains propriétaires ne savent même pas qu'ils sont en copropriété. Le cas type est celui de la maison, lorsqu'elle est divisée en deux logements.

La notion de syndic d'intérêt collectif me paraît très intéressante, sachant qu'un décret doit encore en préciser les compétences et les spécificités. Cependant, je peux imaginer que la FNAIM considérera que tous les syndics sont d'intérêt collectif et pourraient postuler à la fonction. Intellectuellement, le concept est très intéressant, mais je ne vois pas comment il se concrétisera dans les faits. Je m'interroge sur ce qui rendra ce nouveau syndic plus apte qu'un autre à traiter les copropriétés en difficulté. Cette aptitude pourrait reposer sur la spécialisation volontaire de petits cabinets, illustration d'une appétence particulière à la discussion avec tous les résidents. Cela exclurait d'office les grands cabinets où le turn-over est important. Par conséquent, je demeure aussi intéressé qu'attentiste.

Enfin, il convient de ne pas alourdir les charges des copropriétés. À cet égard, je me félicite de la réintroduction par le Sénat du plafonnement des frais de recouvrement qu'avait supprimé la loi ALUR.

En l'état actuel, les copropriétaires se trouvent captifs d'une disposition non négociée en assemblée générale. Certains se voient imposer des frais de recouvrement supérieurs au montant de leur impayé. De plus, les syndics ne sont pas incités à recouvrer efficacement les dettes. Des outils juridiques et amiables, tel le déclenchement d'un échéancier, permettent de recouvrer rapidement les impayés. Cependant, dans le système actuel, les syndics ont tout intérêt à laisser mûrir la situation, car leur système de rémunération est fondé sur les prestations exceptionnelles qu'ils facturent. La situation nuit à la prévention des difficultés et des dettes dans la copropriété.

M. Stéphane Pavlovic. - Je me joins à mes collègues pour vous remercier de cette invitation.

Au sein de la Confédération générale du logement, notre angle d'approche des copropriétés en difficulté se fonde sur les difficultés des usagers du logement. Le propos de cet exposé vise à vous faire comprendre que le copropriétaire, l'usager du logement, doit être au centre de tout. Le copropriétaire doit être remis au centre des dispositifs de traitement des copropriétés en difficulté.

L'autre idée-force, réaffirmée lors de chaque modification législative, consiste à s'assurer que les dispositifs créés sont faciles à mettre en oeuvre. De même, il convient de s'assurer de l'efficacité de ceux qui existent déjà. Les dispositifs de lutte contre la paupérisation sont nombreux. Pourtant, de nouveaux outils sont recherchés. L'exemple de l'éradication des marchands de sommeil en témoigne. Les dispositifs existants ne sont pas mis en oeuvre, faute de moyens financiers et humains. Le projet de texte en cours d'examen renforce les sanctions pénales contre les marchands de sommeil, mais seront-elles vraiment efficaces ? Je me demande si cette question est posée et si l'on dispose d'un recul sur le sujet.

Pour replacer l'usager au centre des dispositifs, nous nous attachons à l'objectif. Nous militons pour traiter les difficultés en amont afin de préserver les intérêts des copropriétaires. Or la prévention est assez absente des corpus législatifs envisagés. En revanche, des solutions ultimes sont prévues pour traiter les difficultés.

Nous reconnaissons qu'il n'est pas facile de mettre en oeuvre des dispositifs de prévention, mais certains mécanismes d'alerte en amont pourraient s'envisager, comme des dispositifs de dettes individuelles. Il en existe aujourd'hui à l'échelle de la copropriété, mais non à celle des individus. Des opérateurs pourraient aussi être sensibilisés à intervenir bien en amont dans les copropriétés. Les signaux d'alerte sont bien connus. Il s'agit des impayés et de l'état du bâti.

Le copropriétaire doit aussi être placé au centre en matière de traitement des difficultés. Nous estimons nécessaire un traitement social plus poussé lors du suivi des copropriétés en difficulté. Il importe d'éviter la solution ultime qui consiste à confier la copropriété à un opérateur chargé de rétablir tant bien que mal la situation en faisant partir les copropriétaires en situation d'impayés.

La question des coûts n'a pas été évoquée, mais elle constitue pour nous un prérequis. Lorsqu'une copropriété est en difficulté, différents acteurs interviennent pour la remettre à flot. Ce coût doit être envisagé. Il en va de même pour les coûts des logements et de l'entretien. Une politique publique efficace nécessite un spectre beaucoup plus large et une réflexion sur les différents coûts, pour ne pas réserver la copropriété à ceux qui ont le plus d'argent. Puisque l'on veut une France de propriétaires, il faut donner les moyens à ceux qui ont un pouvoir d'achat moins élevé de faire face et d'être en copropriété.

Je conclurai sous forme d'ouverture : existe-t-il une spécificité de la paupérisation en copropriété ? Certes, les modalités de gestion d'un immeuble en copropriété sont particulières, mais des points communs se retrouvent avec d'autres situations de paupérisation dans les résidences. Par conséquent, il nous semble que la paupérisation devrait s'envisager de façon plus globale, avec davantage d'envergure et de poids.

Très concrètement, même si cela peut choquer, nous traitons parfois des situations d'usagers dans des immeubles HLM en difficulté. Bien entendu, les impayés n'y génèrent pas la dégradation du bâti comme en copropriété, mais la dégradation du bâti y entraîne des situations de paupérisation. Nous observons cette situation dans le secteur HLM, même avec des bailleurs sociaux qui ont pignon sur rue. En matière de dégradation du bâti, les points communs sont alors nombreux avec les copropriétés. Par conséquent, il convient peut-être d'envisager l'éradication de la paupérisation de façon plus globale.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Un grand merci pour ces premiers éléments de réponse. Avant de donner la parole à Marianne Margaté, j'aimerais revenir sur quatre points qui mériteraient un approfondissement.

Le premier concerne l'intervention en amont, sur laquelle nous sommes tous d'accord. L'un d'entre vous a évoqué un traitement en amont des « difficultés à venir dans les copropriétés », et non des « copropriétés en difficulté ». À quelles difficultés faites-vous référence, vous qui représentez les consommateurs ? Comment les traitez-vous aujourd'hui ? Disposez-vous de moyens de détection ? Si oui, quels sont-ils ? Sinon, lesquels faudrait-il développer ?

En deuxième lieu, le cadre législatif existant, à savoir la loi de 1965, vous paraît-il toujours adapté dans le contexte de paupérisation et de diversité des occupants ? Une différenciation des règles selon les types de copropriétés est-elle envisageable ?

Par ailleurs, disposez-vous de statistiques permettant d'y voir plus clair sur la façon dont vous traitez le sujet ?

Enfin, vous avez abordé à plusieurs reprises la nécessaire information des occupants, propriétaires et locataires. Nous le savons, mais comment et par qui aller plus loin ? Disposez-vous d'exemples de réussite ?

M. David Rodrigues. - Nous intervenons en amont sur plusieurs axes, à commencer par la sensibilisation au fonctionnement de la copropriété. J'ai en tête une formation dans une copropriété en difficulté, à laquelle certains locataires ont même assisté. Nous organisons des formations à tous les stades, à destination des primo-accédants, comme des copropriétaires déjà bien établis. Nous avons aussi élaboré un fascicule avec la Chambre des notaires du Grand Paris qui est remis à leurs clients. Son but est précisément d'expliquer le fonctionnement d'une copropriété.

L'intervention passe également par la gestion, c'est-à-dire par la mise en place d'un syndic non professionnel et d'un conseil syndical. Surtout, nous essayons de sensibiliser les copropriétaires, notamment à la gestion prévisionnelle concernant les travaux importants.

Pendant longtemps, les copropriétés fonctionnaient avec des « provisions spéciales » facultatives. Désormais, un Fonds travaux est obligatoire, mais son taux de 5 % est trop bas, tout particulièrement pour les petites copropriétés. Or son objectif est précisément d'anticiper les travaux et donc d'éviter de mettre les copropriétaires en difficulté. En effet, les impayés sont souvent dus à un défaut d'anticipation.

Pour cette raison, nous demandions d'élever le taux du Fonds travaux à 20 voire 30 %, notamment pour les petites copropriétés telles que définies par la loi de 1965. Le caractère non remboursable du Fonds travaux, considéré comme un amortissement du bien, est cohérent, mais il représente un obstacle. De fait, les copropriétaires ne dépassent pas 5 % et utilisent le Fonds pour de petits travaux. J'ai bien compris que le système ne serait pas modifié. Je sensibilise donc plutôt sur les « avances pour insuffisance de trésorerie », autorisées par le décret de 1967 et remboursables. Cependant, cela représente plus de travail pour le syndic qui doit gérer d'une part le Fonds travaux, d'autre part ces avances.

Nous disposons donc d'outils d'anticipation, mais ils ne sont pas suffisamment adaptés pour les copropriétaires.

Concernant le cadre législatif, le principe d'unicité de la réglementation a déjà connu quelques entorses, comme le contrat type pour les copropriétés commerciales, puis le régime spécifique des petites copropriétés. Certains aménagements faciliteraient la gestion. Ainsi, les résidences services disposent d'organes exclusifs, comme les conseils de résidents. Pourquoi ne pas permettre aux copropriétés d'introduire de tels conseils sur décision de l'assemblée générale ? Pour autant, cela ne signifie pas qu'il faille sortir de la loi de 1965 ou y introduire n'importe quelle disposition.

Enfin, nous ne disposons pas de données statistiques et nous n'avons pas accès au Registre d'immatriculation.

M. Stéphane Pavlovic. - Nous n'estimons pas nécessaire de modifier le cadre législatif. Nous ne pensons pas que le mode de gouvernance ou le mode de gestion des copropriétés sont à l'origine des difficultés. Nous observons surtout des problèmes financiers et d'entretien, ou liés à la construction de l'immeuble, sans que l'on puisse dire lesquels entraînent les autres. Une construction mal faite peut générer des problèmes d'entretien et des coûts de travaux qui font basculer la copropriété. À l'inverse, les difficultés financières de nombreux copropriétaires entraîneront une absence de travaux et une dégradation du bâti. Des mécanismes permettent déjà de sortir du statut de la copropriété.

Selon nous, le problème est lié à des causes profondes. Par conséquent, nous considérons que le traitement des copropriétés en difficulté doit nécessairement passer par le traitement des copropriétaires en difficulté. Il importe de solvabiliser les copropriétaires d'une manière ou d'une autre et d'identifier rapidement des solutions extérieures.

Pour nous, l'accompagnement des copropriétaires le plus en amont possible représente une solution qui n'a pas vraiment été creusée et qui pourrait être efficace. Elle permettrait de rester dans le statut de la copropriété tout en traitant les causes. Un organisme pourrait accompagner des copropriétaires dans la recherche de solutions de financement ou dans un relogement si nécessaire. Une intervention sur le lot du copropriétaire ou une substitution avec maintien dans le logement seraient aussi concevables. Beaucoup de solutions peuvent s'envisager, à condition d'assurer un suivi très en amont.

Pour faire le lien avec le syndic d'intérêt collectif, nous nous interrogeons nous aussi sur le contenu de sa fonction par rapport aux syndics traditionnels. Cela dit, la question des intérêts est primordiale en copropriété. En effet, plusieurs intérêts s'y confrontent : ceux des copropriétaires entre eux, ceux du syndicat de copropriété vis-à-vis du syndic ou des copropriétaires individuels. Dans ces conditions, l'instauration d'un conciliateur à vocation sociale apparaît positive. Reste toutefois à en définir les contours.

Enfin, malheureusement, nous ne disposons pas non plus de statistiques.

Mme Jocelyne Herbinski. - Notre approche place aussi la priorité sur la formation des accédants à la propriété, surtout à l'égard des primo-accédants. Le besoin en est exprimé, mais il est difficile de savoir auprès de qui se renseigner en cas d'approche collective. Les horaires constituent aussi un obstacle, car les intéressés travaillent en journée. Nous ne disposons pas non plus de local pour créer de la mixité entre les statuts ou réunir les copropriétaires. Dès lors, les réunions se tiennent dans le hall et chez l'un des copropriétaires. L'exercice est d'autant plus difficile pour nous que les personnes concernées ne sont pas prêtes à se déplacer trop loin, surtout en soirée, pour se former ou s'investir. Or la copropriété n'existe qu'avec une dimension collective.

Concernant le cadre législatif, il me semble que la vente de logements sociaux crée des disparités en matière d'accession à la propriété. En effet, la vente de HLM est sécurisée pendant cinq ans, au lieu de quinze dans le cadre de l'accession sociale à la propriété. Or nous constatons que les accédants sont parfois en difficulté dès les premières années. Il est donc nécessaire de porter dès l'origine une attention particulière. Il convient aussi de comprendre l'esprit des accédants qui ne souhaitent pas être jugés dès le départ comme étant en difficulté, d'où l'importance d'une démarche d'alerte.

J'évoquerais aussi la place du règlement de copropriété. Nous nous apercevons que l'appropriation de ses conditions est parfois inexistante.

De plus, nous constatons localement une multiplication des outils au fur et à mesure de l'évolution de la copropriété : logements sociaux, copropriété, espaces gérés par la collectivité locale, création des ASL, qui s'ajoutent au syndic. Cette complexification n'est souvent pas anticipée. Elle constitue un frein à l'intérêt pour la copropriété. Elle oblige aussi à communiquer davantage d'informations et se révèle source de litiges.

Nous ne disposons pas non plus de données chiffrées.

La formation constitue bien une clé de réussite. Nous accompagnons les nouveaux propriétaires dans l'appropriation du règlement de copropriété. Celui-ci a été souvent conçu avant leur arrivée et ses modifications sont coûteuses. Il serait souhaitable d'associer les copropriétaires à l'élaboration de ce règlement.

Mme Marianne Margaté, rapporteure. - Merci pour cet échange très riche qui part de la vie réelle des habitants des copropriétés.

Je peux mesurer l'action que vous menez sur le terrain au plus près des habitants de ces copropriétés. Il me semble que certains subissent de plus en plus leur situation. La copropriété constitue une alchimie complexe qui peut vite s'enrayer. Le sentiment d'être coincé dans une copropriété n'aide pas à s'y investir. Je pense que la crise du logement aggravera ce cycle négatif, sur lequel nous devons porter toute notre attention.

Compte tenu du temps encore disponible, je ne poserai que quelques questions rapides.

Vous avez parlé de sensibilisation, d'information et de formation. Je souhaiterais savoir comment vous percevez le rôle de l'Agence nationale et des Agences départementales pour l'information sur le logement (ANIL et ADIL) dans le cadre de cet accompagnement.

Par ailleurs, êtes-vous en attente d'un partenariat plus étroit avec les communes ou les intercommunalités qui ont compétence en matière d'habitat ? Estimez-vous que l'échelon local ou territorial doive être mobilisé ?

M. David Rodrigues. - L'ANIL et les ADIL apparaissent incontournables. Elles sont la clé de voûte, notamment par rapport à l'ANAH. Elles disposent également d'un savoir-faire et sont des organismes d'État.

Les communes montrent aussi une volonté de s'impliquer dans la prévention des copropriétés en difficulté et dans l'accompagnement des copropriétaires. Nous parvenons à mettre en place des partenariats au niveau local sur des actions de formation et de sensibilisation, par exemple auprès de copropriétés situées dans les quartiers prioritaires de la ville. À mon sens, il convient de mobiliser cet échelon. Les élus connaissent mieux que personne les quartiers à prioriser.

Nous menons également des partenariats avec les bailleurs sociaux qui mettent en place des opérations de vente de leurs logements. Ils se rapprochent des associations telles que les nôtres pour former et informer les locataires sur des problématiques qu'ils n'auront plus nécessairement à gérer par la suite.

Mme Jocelyne Herbinski. - Les partenariats locaux sont malheureusement très hétérogènes. Il conviendrait de disposer de lieux bien identifiés, mais assez ouverts, y compris pour les associations que nous sommes. Il importe que la démarche soit partagée. Or nous agissons souvent sur un segment.

Nous siégeons au sein du conseil d'administration des ANIL et ADIL. Comme les collectivités locales, elles recherchent parfois les moyens nécessaires. Nous intervenons alors, mais sans contrepartie. Nous répondons à des sollicitations émanant des occupants des copropriétés, alors que la démarche pourrait être plus partenariale. Cela représente souvent un manque.

M. Stéphane Pavlovic. - Je me demande s'il ne faut pas initier une réflexion plus poussée. Votre commission d'enquête montre que les pouvoirs publics au niveau national envisagent de traiter le sujet. Par conséquent, un regard national est nécessaire. Cependant, les copropriétés sont situées dans les communes. Par conséquent, des acteurs locaux sont nécessaires. Il me semble que cette articulation entre un pilotage national et des acteurs locaux est toujours en cours.

Comme l'a indiqué David Rodrigues, des actions sont menées localement pour le traitement des copropriétés en difficulté. Les associations, les bailleurs sociaux et les grandes communes recherchent conjointement des solutions aux difficultés de telle ou telle copropriété.

En s'appuyant sur ces expériences, il conviendrait d'élaborer tout un système. En effet, il faut agir à tous les niveaux, à l'échelon national et local comme dans les copropriétés, soit en créant un nouveau réseau d'acteurs dédiés, soit en s'appuyant sur des acteurs existants. Les besoins devront être définis échelon par échelon : information des ADIL et des associations dans les copropriétés, syndics d'intérêt collectif, peut-être moyens institutionnalisés au niveau communal...

Tout reste à construire, en agissant bien à tous les échelons. Pour nous, un pilotage national et une harmonisation des pratiques locales sont nécessaires à un traitement efficace des difficultés. Elles nous paraissent indispensables à une appropriation, au-delà des seules solutions pragmatiques.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Je passe la parole à Antoinette Guhl puis à Hussein Bourgi.

Mme Antoinette Guhl. - Merci pour vos témoignages très intéressants.

Pour aller très vite, je poserai deux questions.

Tout d'abord, que pensez-vous de la profession de syndic ? Présente-t-elle des abus que nous pourrions réguler ? Dans ce cas, quelles solutions préconiseriez-vous ?

En second lieu, vous évoquiez la faiblesse du Fonds travaux. Serait-il envisageable de prévoir un fonds au moment de l'acte d'achat, une quote-part qui serait affectée dès l'achat et alimenterait le Fonds travaux ?

M. Hussein Bourgi. - Merci pour vos interventions particulièrement instructives et riches.

Cependant, vos propos sur les bailleurs sociaux me laissent perplexe. Dans mon département de l'Hérault, ils sont quasiment tous exemplaires. En revanche, nous rencontrons beaucoup de difficultés avec les marchands de sommeil. Or j'ai l'impression que vous avez tous trois davantage axé vos propos sur les bailleurs sociaux que sur les marchands de sommeil.

L'exemple de « Font del Rey » témoigne des difficultés que nous rencontrons à l'égard de ces marchands de sommeil. Dans cette copropriété très dégradée de Montpellier, le propriétaire de 90 % des appartements était aussi syndic et mandataire de gestion. Aujourd'hui, la mairie de Montpellier assume un double préjudice, puisqu'elle rachète les logements et doit reloger 103 familles chez les bailleurs sociaux, au détriment d'autres demandeurs.

Par conséquent, je vous suggère de ne pas trop critiquer les bailleurs sociaux. Ils agissent comme ils peuvent.

M. David Rodrigues. - Je ne pense pas avoir critiqué les bailleurs sociaux. Je les ai cités à plusieurs reprises dans le cadre des opérations de vente et de l'information des locataires candidats à l'accession. Dans les copropriétés mixtes, les relations sont d'ailleurs plus faciles lorsque les fonctions de syndic sont assurées par des bailleurs sociaux.

Concernant les abus des syndics, la réglementation a heureusement beaucoup changé grâce au contrat type. Aujourd'hui, il s'agit plutôt d'anomalies de facturation indues (location de salle, départs anticipés...). Notre principale observation porte sur le caractère élevé des frais de recouvrement. Pour le reste, les problèmes sont plutôt liés à la bonne application des résolutions, aux retards dans la réalisation des travaux, au respect des délais de convocation... La question est donc celle de l'application de la loi, mais aussi des règles de responsabilité du syndic.

Il est aujourd'hui difficile d'engager sa responsabilité, car il lui faudrait s'assigner lui-même. Le président du conseil syndical peut heureusement agir au nom de la copropriété, mais j'estime dommage que l'assemblée générale ne puisse pas désigner une autre personne que le conseil syndical. En l'état, les copropriétaires qui agissent eux-mêmes doivent avancer les frais. Le conseil syndical constitue certes un contre-pouvoir vis-à-vis du syndic, mais il serait souhaitable d'établir aussi un contre-pouvoir des copropriétaires vis-à-vis du conseil syndical lui-même.

Enfin, nous attendons la mise en place de la commission de discipline des professionnels de l'immobilier, instituée par la loi ALUR en 2014 et complètement modifiée en 2018 par la loi ELAN. La CLCV ne veut pas de la commission « loi ELAN », dont la seule décision consisterait à transmettre, ou non, des dossiers à la DGCCRF. À titre de comparaison, les syndics sont la seule profession non ordinale à disposer d'un code de déontologie et d'une commission de sanction où sont représentées les associations de propriétaires et de consommateurs.

Nous demandons donc la mise en place de la commission de discipline avec un pouvoir de contrôle et de sanction (avertissement, blâme, interdiction temporaire et interdiction définitive d'exercice). En l'état actuel, les litiges liés à la discrimination ne relèveraient pas de cette commission telle qu'elle existe sur le papier.

M. Stéphane Pavlovic. - Je ne pense pas non plus avoir distribué de bons ou de mauvais points aux bailleurs sociaux. En revanche, nous constatons que les copropriétés ne présentent pas de spécificités particulières dans le phénomène de paupérisation. Je ne connais pas la situation de Montpellier, mais nous observons dans le secteur HLM des immeubles insalubres et voués à la démolition. Mes propos voulaient signaler que les phénomènes de paupérisation présentent peut-être des points communs et pourraient se traiter de façon générale. Ensuite, si des modèles fonctionnent dans certaines circonscriptions, ils pourraient se dupliquer ailleurs pour qu'il n'y ait plus de paupérisation dans le secteur HLM.

L'abondement du Fonds travaux au moment de la vente me semble présenter un risque d'iniquité. Alors que les contributions aux charges sont calculées en fonction des quotes-parts dans les lots, le dispositif créerait une distorsion par rapport à ceux qui n'ont pas acheté. L'idée de trouver des financements me paraît bonne, mais spontanément il me semble très difficile d'intégrer cette disposition-là dans la loi de 1965. Cependant, cela n'engage que moi.

Enfin, concernant les syndics, nous luttons encore beaucoup contre le montant élevé des prestations et des frais. À cet égard, notre association juge disproportionné le montant des frais d'état daté et de recouvrement. Des efforts pourraient être accomplis, particulièrement dans les copropriétés en difficulté.

Mme Jocelyne Herbinski. - Je ne reviens pas sur les propos de mes collègues sur les abus, puisque nous les observons aussi. Je ferai part d'une inquiétude face à la concentration des syndics, les syndics nationaux absorbant les locaux. À titre d'exemple, le maire de ma ville s'est étonné de l'absence de prise en compte des spécificités locales et des questions de prévention. La mise en place d'un conseil de discipline nous paraît toujours saine, dans un souci de sécurisation professionnelle et déontologique.

La proposition relative au Fonds travaux permettrait un affichage et une dotation. Ce serait peut-être plus facile que d'assurer un versement tous les mois. Une provision dès l'achat permettrait de définir le coût futur. La question est à donc examiner.

Notre position sur les marchands de sommeil est forte. Nous regrettons que certaines sanctions prévues dans le projet de loi aient été allégées par rapport à la proposition du Sénat.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - La situation n'est pas figée. Une commission mixte paritaire se réunira le 14 mars.

Mme Jocelyne Herbinski. - Le sujet est en effet important. Des dispositifs doivent permettre de réquisitionner les biens.

Enfin, il conviendrait de stopper certaines ponctions sur les organismes du logement social, confrontés à des difficultés de trésorerie et de fonds de roulement. Les contributions qui leur sont demandées dans le cadre des copropriétés dégradées ne sont pas neutres.

M. David Rodrigues. - Si le Fonds travaux est rattaché à la personne, l'acquéreur versera au « pot commun », mais cela se traduira par un décaissement pour le vendeur. L'opération sera donc blanche pour la copropriété, avec cependant une prise de conscience pour l'acquéreur. Elle pourrait alors susciter une volonté de porter le Fonds travaux au-delà de 5 % et de le réserver à des travaux importants. À défaut, il conviendrait de créer un fonds supplémentaire, calculé par exemple sur les deux derniers appels de fonds acquittés par le vendeur.

Par ailleurs, le Conseil national de la consommation avait prévu en 2007, je crois, de se pencher sur la concentration des syndics. Cela n'a pas été suivi d'effet. Cependant, il ne serait pas inintéressant d'étudier la question au niveau de l'État. Les cabinets grossissent, mais peut-être de nouveaux petits cabinets se créent-ils en parallèle.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Je conclurai en vous remerciant pour la richesse de vos contributions. Nos travaux donneront lieu à la publication d'un rapport avant le 31 juillet 2024.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de M. Manuel Domergue, directeur des études
de la Fondation Abbé Pierre, Mme Juliette Laganier, directrice générale
de la Fédération Soliha, et Mme Estelle Baron, directrice du pôle
Conduite de projets de territoires pour Soliha Grand Paris

(Mardi 12 mars 2024)

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Nous continuons cet après-midi les travaux de notre commission d'enquête sur la paupérisation des copropriétés et nous sommes heureux d'accueillir M. Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation Abbé Pierre, Mme Juliette Laganier, directrice générale de la fédération Soliha, et Mme Estelle Baron, directrice du pôle Conduite de projets de territoires pour Soliha Grand Paris.

Votre présence à cette audition s'explique par l'engagement que vous portez contre le mal-logement et en faveur des plus précaires. Il existe des liens entre l'habitat indigne, la précarité et la paupérisation des copropriétés, même s'il s'agit d'une configuration spécifique. Nous savons qu'il y a en France environ 400 000 logements indignes, qui sont pour moitié occupés par leur propriétaire. De même, 115 000 copropriétés sont sans doute fragilisées, même si l'on peut penser que, parmi les 200 000 environ qui ne sont pas immatriculées, un nombre non négligeable est sans doute mal suivi.

L'habitat dégradé a des effets très concrets pour les habitants et leur qualité de vie. Il favorise l'installation de marchands de sommeil, l'insalubrité, le non-respect des normes d'hygiène et, dans les cas les plus graves, des atteintes à la sécurité des habitants, ce qu'a bien montré le film Les promesses de Thomas Kruithof, sorti en 2021.

Face à ces phénomènes, les pouvoirs publics se sont dotés de moyens pour agir et un certain nombre d'entre eux ont été améliorés très récemment lors de l'examen par le Sénat du projet de loi relatif à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé et des grandes opérations d'aménagement, dont je suis la rapporteure. La paupérisation, la fragilisation et la dégradation sont des phénomènes progressifs et j'aimerais vous entendre sur ces processus et les angles morts ou même les défaillances dans la détection, l'identification et la prévention de ces trajectoires.

Les outils existants sont-ils adaptés et suffisants ? De même, dans la lutte contre l'habitat indigne, la « boîte à outils » à disposition des pouvoirs publics est-elle complète ou des améliorations peuvent-elles être apportées ? Qu'en est-il, à votre connaissance, des dispositifs de redressement des copropriétés ?

Concernant la protection des occupants, les procédures d'expulsion et les solutions de relogement apportées en particulier aux plus précaires sont-elles adaptées aux situations de détresse auxquelles certains sont confrontés ?

Enfin, le rôle des associations n'a peut-être pas été assez abordé au cours de nos débats sur le projet de loi. Jugez-vous l'articulation entre les pouvoirs publics et les associations dont vous faites partie efficace ? Des points concrets pourraient-ils être améliorés pour faciliter l'accès à l'information et l'accompagnement des victimes, notamment le soutien qui peut leur être apporté contre les marchands de sommeil et pour aller en justice ?

Cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.

Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je précise également qu'il vous appartient, le cas échéant, d'indiquer vos éventuels liens d'intérêts ou conflits d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.

Je vous invite à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Manuel Domergue, Mme Juliette Laganier et Mme Estelle Baron prêtent serment.

Mme Juliette Laganier, directrice générale de la Fédération Soliha. - Notre réseau est constitué de 124 associations, réparties sur l'ensemble du territoire métropolitain et outre-mer. Nous oeuvrons au quotidien pour permettre à chacun de disposer d'un logement abordable, économique en énergie et adapté. Les 3 665 salariés engagés dans notre réseau accompagnent environ 2 500 ménages par an.

Nos actions se traduisent au travers de différentes formules d'intervention. Nos structures produisent du logement très social, de la gestion locative sociale, de la gestion de structures collectives comme les pensions de famille, des centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), de l'habitat inclusif pour les seniors ou encore de l'accompagnement social. Nous accompagnons également des collectivités locales dans la définition et la mise en place de programmes de rénovation de l'habitat, des particuliers dans leurs projets de rénovation et d'adaptation de leur logement et, enfin, des copropriétés, qu'elles soient saines ou dégradées.

À ce titre, plus de 1 000 copropriétés, soit 60 000 habitants, ont été accompagnées l'année dernière par les associations de notre mouvement. Nous intervenons sur des territoires très urbanisés ou plus ruraux. Nous oeuvrons selon des modalités variées, dans le cadre de la prévention, de la veille et de l'observation, mais aussi des programmes opérationnels de prévention et d'accompagnement des copropriétés (Popac) et de l'accompagnement à la réalisation de travaux, tant sur des copropriétés saines pour la rénovation énergétique que sur des copropriétés fragiles - qui ont entre 8 % et 12 % d'impayés. Nous proposons également un accompagnement au redressement ou à la lutte contre l'habitat indigne dans le cadre de copropriétés dégradées en centre ancien, en mobilisant des outils incitatifs et coercitifs au sein de copropriétés en difficulté.

Selon les associations que nous représentons, trois à cinq années sont nécessaires en moyenne pour accompagner une copropriété. La force de notre réseau est de mobiliser des équipes pluridisciplinaires, qui proposent à la fois un accompagnement technique, spécialisé sur les copropriétés, voire sur la lutte contre l'habitat indigne, mais aussi un soutien financier et juridique à l'analyse de la gestion et au redressement des copropriétés, et social.

Je veux insister sur trois points.

Premièrement, il faut sortir de l'idée reçue selon laquelle une copropriété est en difficulté, parce que ses occupants sont pauvres. Une copropriété en difficulté est une copropriété qui n'est pas en état de fonctionner et qui, dans la mesure où les ménages solvables ont la possibilité de la quitter, devient une solution de repli ou un piège pour des ménages propriétaires occupants ou locataires pauvres. La paupérisation de la copropriété est une conséquence des dysfonctionnements et non la cause. Preuve en est que dans les quartiers de la politique de la ville, certaines copropriétés accueillent des ménages modestes et sont très bien gérées. Mais au fur et à mesure de l'aggravation des dysfonctionnements - mauvaise maîtrise ou augmentation des charges -, les ménages les plus solvables préfèrent vendre et sont remplacés par des ménages sans autre solution de repli : il peut s'agir soit de copropriétaires pauvres qui ne peuvent revendre leur bien parce qu'il est trop dévalorisé et qui ne peuvent le quitter, soit de locataires à faibles ressources financières qui n'arrivent pas à accéder à du logement social. En effet, les ménages qui ne remplissent pas les barèmes de solvabilité des bailleurs sociaux ou qui restent longtemps sur liste d'attente finissent par trouver refuge dans un parc social privé dégradé, notamment dans des copropriétés.

Deuxièmement, les cadres législatifs et réglementaires actuels, notamment ceux apportés par la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU) et la loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (Alur), sont globalement adaptés aux enjeux, même si leur mise en oeuvre n'est peut-être pas suffisante ou qu'ils sont insuffisamment coordonnés.

Il faut d'abord améliorer la prévention, dans l'esprit de la loi Alur, sur les enjeux de l'achat en copropriété et prolonger la réflexion sur le droit d'usage en valorisant les travaux déjà réalisés afin de préparer le financement des travaux à venir. Par ailleurs, nous constatons un manque de coordination et de suivi opérationnel entre les acteurs qui interviennent autour de la copropriété. Nous serions favorables à la mise en place de dispositifs tels que les pôles départementaux de lutte contre l'habitat indigne (PDLHI) à l'échelle des territoires, idéalement des départements.

Troisièmement, il est important de ne pas considérer la question de la copropriété de manière isolée, car elle est étroitement liée à la production et à la mise à disposition de l'offre de logements sociaux, notamment pour les ménages qui connaissent le plus de difficultés financières.

M. Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation Abbé Pierre. - Cette audition a lieu dans une actualité parlementaire chargée. Elle suit également la publication du 29e rapport sur l'état du mal-logement en France de la Fondation Abbé Pierre, présenté le 1er février dernier, qui abordait notamment l'habitat indigne et la question des copropriétés.

Ce rapport donne la parole aux personnes qui sont victimes de ce type d'habitat et qui sont piégées dans ces copropriétés, qu'il s'agisse de propriétaires occupants ou de locataires, et ambitionne d'identifier les failles dans la mise en oeuvre de leurs droits, malgré un arsenal législatif fourni.

Au-delà des cas les plus emblématiques - je pense notamment à Clichy-sous-Bois ou aux quartiers du nord de Marseille -, des milliers de petites et moyennes copropriétés sont concernées. Il importe de prévenir leur dégradation avant qu'une action coercitive, particulièrement longue, difficile et coûteuse pour les pouvoirs publics, soit nécessaire.

Un paradoxe s'observe entre la montée du niveau de confort moyen des logements en France et la persistance d'habitats indignes dans des copropriétés - qui sont souvent difficiles à identifier, même si le registre des copropriétés devrait nous apporter une clarté bienvenue. Néanmoins, les actions entreprises semblent insuffisantes pour résorber le flux de dégradation des copropriétés.

Ce flux est de plusieurs ordres. Il est d'abord géographique. Depuis une vingtaine d'années, la mairie de Paris a réussi à résorber en partie l'habitat indigne avec des plans de rachats massifs et d'identification de 2 000 immeubles dégradés. Or la demande de logements est telle que ce flux s'est reporté en première, puis en deuxième couronne, à mesure du déploiement des dispositifs. L'éloignement des copropriétés dégradées des centres-villes les rend en outre plus difficiles à repérer.

S'y ajoutent des facteurs sociaux de dégradation : l'habitat indigne, notamment en copropriété, est la rencontre entre une dégradation d'un bâti et des parcours de ménages en difficulté. Or, le modèle du marchand de sommeil consiste précisément à attirer des personnes à faibles revenus et à faible recours aux droits pour trouver des locataires sans avoir à régler les charges ni à entretenir ou rénover le bâti.

Ces flux s'inscrivent dans une crise du logement et un contexte de précarisation de certains publics. La précarité administrative, en particulier, qui touche 700 000 à 800 000 personnes, fait de ceux-ci des proies faciles pour les marchands de sommeil. Il serait illusoire de croire qu'une simple action sur le bâti suffirait à endiguer ces causes structurelles, qui font de l'habitat indigne dans les copropriétés non pas un stock à résorber une fois pour toutes, mais un flux. Or ce flux risque de s'aggraver, puisque le nombre de personnes en situation de pauvreté a augmenté de 500 000 en 2022 et que la pénurie de logements, notamment sociaux, se poursuit.

Ce sont parfois des quartiers entiers qui se dégradent. Certes, les pouvoirs publics ont appréhendé cette déperdition de certains centres-villes et des plans ont été instaurés depuis une dizaine d'années, mais ils sont souvent insuffisants. En outre, des phénomènes de plus long terme, comme le changement climatique, fragilisent le bâti et appellent à une action plus volontariste encore. Je pense notamment aux vagues de chaleur, aux retraits-gonflements des sols argileux ou aux inondations.

Notre rapport a montré que certains professionnels ne jouaient pas leur rôle, notamment parce qu'ils étaient parfois insuffisamment contrôlés, formés ou scrupuleux, à toutes les étapes de la gestion immobilière - depuis les promoteurs jusqu'aux bailleurs privés, en passant par les syndics, les notaires ou les artisans. Certaines copropriétés quasiment neuves se dégradent ainsi très rapidement. Nous l'avons par exemple observé à Bayonne, où dans une résidence livrée en 2019, l'excès d'humidité a provoqué dès les mois suivants moisissures, dégradation des meubles et troubles respiratoires. Or les promoteurs multiplient ce type de construction à bas prix, sans offrir de solutions aux problèmes rencontrés par les habitants.

Plus que des améliorations législatives, c'est surtout l'ingénierie qui manque aux collectivités locales pour venir à bout de ces troubles. L'accompagnement des ménages, qu'ils soient propriétaires occupants ou locataires, doit aussi être renforcé. La Fondation Abbé Pierre finance certaines associations qui oeuvrent pour l'accompagnement aux droits liés à l'habitat.

Cet accompagnement, souvent coûteux, relève à la fois du rôle des collectivités et des associations - qui ont l'avantage sur les premières d'apparaître comme un tiers de confiance plus indépendant. Ainsi, l'association des Locaux-Moteurs, dans le Maine-et-Loire, va au-devant des personnes pour lutter contre le non-recours aux droits. Face à des rapports de force souvent inégaux avec les propriétaires, la Fondation Abbé Pierre accompagne également des ménages locataires, y compris au contentieux contre l'État ou des propriétaires bailleurs. Or ces dispositifs ne doivent pas reposer uniquement sur les financements propres du monde associatif. Ils devraient être déployés par les collectivités avec le soutien de l'État.

Des associations accompagnent également les locataires victimes de marchands de sommeil - qui ne répondent pas toujours au portrait caricatural que l'on s'en fait, mais qui sont parfois des bailleurs indélicats ou en difficulté -, comme l'association lyonnaise pour l'insertion par le logement (Alpil) ou l'association méditerranéenne pour l'insertion sociale par le logement (Ampil) à Marseille, qui ont réussi à faire reculer l'habitat indigne dans ces villes.

De plus, les collectivités locales sont souvent bien démunies pour faire appliquer la loi. Les services d'hygiène sont peu financés : dans certaines villes, le montant des dotations de l'État n'a pas été revalorisé depuis cinquante ans ! Ce service repose ainsi largement sur les ressources et sur le volontarisme des collectivités, avec des inégalités très fortes : si Saint-Denis triple le montant de la dotation de l'État pour son service d'hygiène, certaines villes, plus petites, n'en ont pas les moyens ou bien leurs élus locaux n'en font pas une priorité.

Un renforcement financier est donc nécessaire, incluant du personnel sur le terrain pour faire des visites à domicile afin d'accompagner les ménages, ce qui peut avoir des répercussions législatives. À ce titre nous avons fait passer un amendement, qui ne nous satisfait pas entièrement, à l'article 55 de la loi pour contrôler l'immigration, afin d'améliorer l'intégration qui prévoit que les personnes en situation irrégulière puissent recevoir un titre de séjour quand elles portent plainte contre leur marchand de sommeil. Néanmoins, cette régularisation s'arrête à la fin de la procédure. Nous préférerions qu'une carte de séjour de dix ans leur soit délivrée, comme c'est le cas pour les victimes de la traite, car la précarité administrative est une arme toute trouvée pour les marchands de sommeil.

Nous proposons également de créer une agence nationale des travaux d'office. Les dispositifs coercitifs, qui permettent par exemple d'enjoindre des travaux d'office ou de prendre des arrêtés de traitement d'insalubrité, sont très peu utilisés par les collectivités locales, parfois par prudence ou par peur de lancer des procédures contentieuses face à des propriétaires qui sont aussi des électeurs ou des personnalités locales mieux formées que les services locaux. Une agence nationale, au sein de l'Agence nationale de l'habitat (Anah), permettrait de mieux outiller les collectivités qui voudraient procéder à des travaux d'office, mais qui n'osent pas le faire.

C'est avant tout sur le terrain que nous constatons des manques importants. Notre enquête met en avant la faiblesse des services sur l'habitat indigne dans des territoires entiers, notamment ruraux et semi-ruraux, où un seul secrétaire de mairie est chargé de quatre ou cinq communes. Or les copropriétés dégradées sont invisibles faute de dispositif pour les traiter.

Nous sommes aussi sensibles à la place des locataires dans la gouvernance des copropriétés. Ils devraient être mieux associés aux assemblées générales des copropriétés, sans remettre en cause le droit de propriété, car ils détiennent une expertise d'usage.

Nous nous inquiétons également de la naissance de nouvelles copropriétés dégradées à moyen terme, dans les cas de vente de logements sociaux et de création de résidences mixtes. Nous craignons que, dans des quartiers souvent un peu dégradés, les occupants de logements sociaux à bas revenus, devenus propriétaires, voient leur situation se détériorer d'ici dix ou vingt ans, et les immeubles HLM qui avaient pu être rénovés correctement ne pourraient plus être entretenus, parce qu'ils sont devenus des copropriétés. Par ailleurs, des résidences qui ont été financées via les dispositifs de défiscalisation Robien ou Scellier par exemple, sont déjà en difficulté, car leurs propriétaires habitent souvent loin et ne s'impliquent pas dans la vie de la copropriété.

Nous avons donc plusieurs facteurs d'inquiétude, même si l'on peut se féliciter du plan Initiative Copropriétés, des opérations de requalification des copropriétés dégradées d'intérêt national (Orcod-IN) et de la prise de conscience, depuis une quinzaine d'années, des pouvoirs publics, tant de gauche que de droite, de l'enjeu que représentent les copropriétés dégradées.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Vous soulignez à raison que les cas de copropriétés dégradées les plus emblématiques sont ceux dont on parle le plus. Néanmoins, il importe à notre commission d'évoquer les petites copropriétés, dans les villes petites et moyennes comme dans les plus grandes. Je pense notamment à la ville de Lille, qui compte des rues entières de petites copropriétés.

Observez-vous des différences entre les phénomènes qui touchent les petites et les grandes copropriétés ? Les outils à disposition des petites copropriétés sont-ils suffisants ?

Enfin, vous avez évoqué une durée moyenne d'accompagnement de trois à cinq années. Quelles sont les conditions de la réussite de cet accompagnement ?

Mme Estelle Baron, directrice du pôle Conduite de projets de territoires pour Soliha Grand Paris. - L'économie d'échelle n'est pas du tout la même pour une petite copropriété que pour une grande. Dans une grosse copropriété, les travaux de rénovation ont un très fort impact à l'échelle de l'immeuble, mais l'investissement par logement est moindre, tandis que l'effort financier est bien plus important dans les petites copropriétés. Ces petites copropriétés se situent en outre souvent dans des centres anciens : la technicité et les matériaux souvent biosourcés employés pour leur rénovation sont bien plus coûteux que ceux utilisés pour les grands ensembles des années 1950 ou 1970, et le potentiel de rénovation ne donne pas lieu à un gain économique très important en matière de maîtrise des consommations. Il est souvent difficile à ces copropriétés d'atteindre les fameux 35 % de gains énergétiques nécessaires à l'obtention d'un financement au titre de la rénovation énergétique.

Les politiques publiques ont bien pris en compte l'enjeu de la rénovation énergétique, puisque, pour la première fois, toute copropriété peut être aidée à ce titre. Cependant, on ne sait pas faire de la rénovation énergétique sur un habitat dégradé. Il est nécessaire d'accompagner le retard à l'entretien avant d'améliorer les performances énergétiques de l'immeuble. Les petites propriétés cumulent ainsi un retard d'entretien et un faible potentiel de rénovation énergétique. Les outils financiers ne sont pas suffisants pour répondre aux enjeux.

Se pose également la question des intervenants à mobiliser sur ces copropriétés : il est souvent difficile ou très coûteux de trouver un syndic professionnel, compétent et disponible pour une copropriété de cinq logements seulement. C'est ce que nous apprend le registre d'immatriculation des copropriétés : beaucoup de copropriétés ne sont pas gérées ou mal gérées, elles le sont parfois de façon bénévole. Nous manquons donc d'indicateurs pour connaître leur situation.

Ensuite, il faut trouver les professionnels pour réaliser des travaux. Dans les territoires « détendus », il est compliqué de faire venir un professionnel pour un ravalement de façade sur une copropriété qui ne compte que cinq à dix logements.

Dans les secteurs détendus, enfin, la copropriété n'est pas le parcours résidentiel souhaité ou idéal des habitants, qui recherchent avant tout des pavillons. Pour certains d'entre eux, la copropriété est un habitat de relégation. Même si elle peut représenter une occasion de se rapprocher d'un centre urbain, elle n'offre souvent pas les conditions de confort attendues. Ainsi, la difficulté d'accès aux aides, le poids réel des travaux, le retard d'entretien et les spécificités des centres anciens se cumulent.

Enfin, les petits espaces sont souvent occupés par des ménages de plus petite taille et parfois plus modestes qui peinent davantage à supporter l'effort d'entretien attendu.

M. Manuel Domergue. - Malgré cet effet d'échelle, les petites copropriétés présentent certains avantages. Leur gouvernance peut être plus flexible, si on la compare à celle de très grandes copropriétés, comme Grigny 2, qui comptait 5 000 logements : les assemblées générales avaient lieu dans un stade !

Pour autant, certaines actions, moins spectaculaires que les opérations de rénovation de grande ampleur, comme l'animation de la gouvernance des copropriétés, peuvent faire l'objet d'un accompagnement bénévole par le tissu associatif.

Plusieurs expérimentations se sont révélées efficaces de ce point de vue. Dans l'Orne et dans d'autres départements où les copropriétés sont souvent de taille restreinte, les agences départementales d'information sur le logement (Adil) organisent des équipes mobiles qui se rendent auprès des copropriétaires pour leur présenter les dispositifs auxquels ils ont accès et les modalités de gouvernance. La Fondation Abbé Pierre a mis en oeuvre ce type d'actions avec plusieurs associations : il est donc positif que les Adil, articulées autour de l'Agence nationale pour l'information sur le logement (Anil), reproduisent ce modèle. C'est un espoir d'agir à temps, avant que la situation se dégrade. En matière de prévention, la connaissance des fonds de travaux prévus par la loi Alur, souvent peu respectés, permettrait de dégager des budgets bien en amont avant la dégradation des logements.

S'agissant de la rénovation énergétique, les obligations de rénover les logements locatifs considérés comme des passoires à différentes échéances, entre 2025 et 2028, qui s'appliquent dans des copropriétés uniquement pour les propriétaires bailleurs et non pour les propriétaires occupants, sont source d'incohérence. Ces opérations se gèrent en effet à l'échelle de la copropriété. Conformément aux recommandations de la Convention citoyenne pour le climat, nous serions favorables à ce que ces obligations portent sur l'immeuble entier et non simplement sur les propriétaires bailleurs, en instaurant, bien entendu, des échéances raisonnables. Au moment du ravalement de façade, qui fait partie des travaux obligatoires, il serait ainsi possible d'embarquer des opérations de rénovation énergétique au lieu d'attendre la dégradation du logement.

Les forfaits de l'Anah pour les copropriétés dans le cadre de MaPrimeRénov' ont été augmentés. Néanmoins, dans certains cas, ces aides sont insuffisantes pour les ménages modestes et le reste à charge est important. La Fondation Abbé Pierre cherche parfois des financeurs pour aider ces ménages. Or, lorsque certains propriétaires occupants n'ont pas les moyens de financer les travaux, c'est toute la copropriété qui est bloquée.

Les aides pour la rénovation énergétique des logements individuels de l'Anah ont également été rehaussées. Or certains ménages intermédiaires bénéficient de plus d'aides de l'Anah pour faire de la rénovation énergétique dans des maisons que des ménages modestes dans des copropriétés. Un rééquilibrage semble nécessaire. Les nouveaux barèmes devront être réévalués, car l'augmentation des coûts des travaux de rénovation pourrait avoir rendu cette revalorisation insuffisante - d'autant que ces opérations sont parfois couplées avec des travaux de sortie d'insalubrité ou d'indignité ou d'adaptation aux vagues de chaleur, au handicap ou à la perte d'autonomie. Tout cela peut aboutir à des montants de travaux inaccessibles pour les ménages modestes.

Mme Estelle Baron. - En effet, les financements à hauteur de 25 % du coût des travaux de MaPrimeRénov' sont destinés aux opérations de rénovation énergétique : ils ne prennent pas en compte l'ensemble des travaux d'entretien global, ce qui fait peser un reste à charge important sur les ménages. Dans le cas d'une réfection de toiture, seule l'isolation relève de la rénovation énergétique. Le reste des travaux, pourtant nécessaires, n'est pas intégré.

Il existe donc une distinction entre le financement des interventions sur l'habitat dégradé, qui fait l'objet d'un dispositif programmé, et les travaux de rénovation énergétique. Nous ne le déplorons pas forcément : l'accompagnement des pouvoirs publics est aussi utile quand on travaille sur l'habitat dégradé. Néanmoins, l'ensemble des copropriétés concernées ne peut être traité par ce seul dispositif, au vu de l'ampleur de la dégradation. Il faut donc s'interroger sur les moyens à disposition des copropriétés dégradées, notamment des plus petites, puisque les travaux et l'ingénierie d'accompagnement leur sont finalement plus coûteux.

Pour en revenir aux petites copropriétés, il faut aussi prendre en compte leur configuration. Certaines comprennent des commerces en pied d'immeuble, qui sont de gros porteurs de tantièmes de charges en copropriété. Ils pèsent très fortement dans le poids des décisions en assemble générale pour le financement des travaux, sans en tirer le même bénéfice en matière de maîtrise des consommations.

Par ailleurs, sur certains territoires, si la copropriété ne compte pas une majorité de propriétaires en résidence principale, celle-ci sort du champ d'intervention de l'Anah. Or, lorsqu'une majorité de tantièmes est détenue par des commerces ou qu'une partie des logements reste vacante, les propriétaires occupants sont peu nombreux et peinent à réaliser des travaux collectifs. Ils manquent d'outils pour réaliser des travaux privatifs : la solution technique vient du collectif, mais le collectif n'entre pas dans les critères d'aide et d'accompagnement actuels.

Mme Marianne Margaté, rapporteure. - La dégradation des copropriétés passe parfois sous le radar de certaines communes. Votre travail de terrain très précis peut donc être une source d'inspiration pour déployer plus largement les dispositifs que vous proposez. Nous faisons en effet face à un phénomène dont nous avons pris conscience depuis plusieurs années, mais qui sera amené à s'amplifier et dont nous mesurons encore mal les effets.

Le plan Initiative Copropriétés est à mi-parcours. Quel bilan en tirez-vous ?

Dans quelle mesure les problèmes de gouvernance contribuent-ils à la paupérisation des copropriétés ? Comment votre intervention permet-elle d'y répondre ?

Mme Estelle Baron. - Le plan Initiative Copropriétés fait partie des dispositifs programmés. Dès lors qu'une situation a été portée à la connaissance des collectivités, celles-ci ont pu enclencher un dispositif d'intervention pour accompagner le redressement de la copropriété. Ces dispositifs commencent à prendre toute leur ampleur, puisqu'il ne s'agit pas de traiter uniquement l'intervention sous un prisme technique ou social, mais de travailler au redressement du fonctionnement de la copropriété et de sa situation financière.

Ce sont des outils que nous maîtrisons depuis longtemps. Le plan Initiative Copropriétés en a valorisé certains, notamment l'aide à la gestion, qui permet de demander aux syndics d'accroître leur effort de gestion sur une copropriété qui en a besoin, tout en apportant une subvention publique pour éviter un surcoût pour la propriété.

Les difficultés à travailler avec les professionnels, qui ne sont pas toujours à la hauteur des enjeux d'intervention, ont été évoquées. Néanmoins, on ne peut actuellement venir en aide à une copropriété sans le concours du syndic et des habitants. Le syndic est un maillon essentiel au redressement de la copropriété : valoriser son rôle et renforcer sa capacité à investir dans une gestion de qualité contribue à enclencher un redressement intéressant et pérenne de la copropriété.

Cette aide à la gestion permet la valorisation de ce métier difficile et indispensable au redressement des copropriétés. Elle permet aux syndics de déployer des outils, des qualifications et des certifications de métier afin d'opérer dans un cadre beaucoup plus sécurisé, parfois pour répondre à un manque d'offre de services sur un territoire, sur certains secteurs ou pour certaines copropriétés. Nous ne disposons pas encore de ces outils-là. Certaines initiatives sont mises en oeuvre. Le syndic d'intérêt général a été évoqué dans le projet de loi relatif à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé et des grandes opérations d'aménagement : nous verrons ce qui en résultera.

Soyons attentifs à deux aspects. D'abord, le syndic est un métier qui ne s'improvise pas. Il répond à des enjeux complexes et est un maillon essentiel au fonctionnement de la copropriété, même s'il n'est pas toujours valorisé vis-à-vis des copropriétaires. Il nécessite des compétences techniques diverses dans des domaines variés, comme la comptabilité, les assurances, le gardiennage d'immeuble, la rénovation des ascenseurs, l'utilisation de certains logiciels, etc. Ainsi, certains syndics et collectivités ont cherché à mettre en place des référentiels de qualité, afin de définir des standards un peu plus contraignants que ceux proposés par les syndics de droit commun.

Ensuite, le plan Initiatives Copropriétés a amené les copropriétés à traiter d'autres thématiques, comme la gestion urbaine et sociale de proximité (Gusp). En effet, la copropriété fait se chevaucher l'échelle individuelle du logement et l'échelle collective de l'immeuble, ce qui soulève la question de l'animation. Celle-ci se pose différemment en fonction de la taille de la copropriété : si l'animation est souvent facilitée au sein des petites copropriétés, des tensions peuvent toutefois apparaître ; à l'inverse, dans les très grandes copropriétés, il peut être difficile d'impliquer suffisamment les copropriétaires pour qu'ils acceptent, par exemple, de voter des travaux dans un autre bâtiment que celui où ils habitent.

Ainsi, la réflexion est lancée, mais les outils et les financements restent faibles au regard de ce que les bailleurs sociaux peuvent mobiliser pour le parc social. Il est important de sensibiliser et d'accompagner les propriétaires à bien penser le collectif, en lien avec l'ensemble des habitants, y compris les locataires. En effet, on ne peut pas pérenniser une action publique si tous les occupants ne s'approprient pas un projet de rénovation dans sa dimension complète et que des actes de vandalisme sont commis dès la réalisation des premières opérations.

Le plan Initiative Copropriétés a dessiné de premières pistes de réflexion sur la gestion urbaine de proximité, en permettant le financement d'expertises ou de réflexions sur les questions de régulation juridique et judiciaire, notamment sur les scissions, qui pourraient contribuer à redonner aux copropriétés une dimension et une organisation plus facile à appréhender pour les copropriétaires, notamment au terme de leur accompagnement.

S'agissant de la durée de l'accompagnement, les dispositifs s'étendent sur trois à cinq ans, mais l'accompagnement prend bien plus de temps. Un an et demi est souvent nécessaire pour rencontrer les acteurs de la copropriété, faire un état des lieux, comprendre la dynamique de la copropriété et proposer un accompagnement qui répond aux besoins, aux contraintes et injonctions des pouvoirs publics et aux enjeux de redressement que nous aurons diagnostiqués. Ensuite, sept à huit années sont nécessaires pour aller au bout de la réalisation de travaux dans un ensemble immobilier sain : c'est l'enseignement des dispositifs sur la rénovation énergétique en copropriété.

Or, dans les copropriétés en difficulté, avant d'aboutir à un projet de rénovation technique, il faut réguler l'organisation financière et le fonctionnement. Cela nous demande souvent des temps d'accompagnement assez longs. Or les dispositifs publics ne permettent pas de construire ce temps long : ils nous amènent à travailler par tranches d'accompagnement et à remettre en question la poursuite de l'accompagnement. Il serait utile de revoir le calibrage de la durée du dispositif, en y réfléchissant dès l'étude pré-opérationnelle : nous éviterions ainsi de nous enfermer dans un carcan préalable limitant l'accompagnement à trois à cinq ans - même si le plan intercommunal de sauvegarde (PICS) a permis la prolongation des plans de sauvegarde de deux ans, ce qui est déjà une souplesse bienvenue pour notre accompagnement opérationnel au quotidien. Néanmoins, cela reste parfois insuffisant.

Mme Antoinette Guhl. - Vous avez évoqué les critères de qualité sur les services des syndics. Quelles collectivités ont travaillé sur cette question ?

S'agissant de la sociologie des ménages, je relève une certaine contradiction dans vos propos. Existe-t-il des statistiques sociologiques sur les ménages qui se retrouvent en habitat dégradé ? À quel moment les ménages plus aisés quittent-ils ces copropriétés ?

Mme Juliette Laganier. - Le risque de la paupérisation, c'est que des ménages se retrouvent captifs au sein de ces copropriétés. Néanmoins, il existe des copropriétés dans lesquelles les ménages ont des ressources financières faibles, sans pour autant qu'elles dysfonctionnent.

Mme Estelle Baron. - Ce qui fait la différence entre une copropriété d'occupation modeste qui fonctionne bien et une copropriété en difficulté, c'est la façon dont le dysfonctionnement de la copropriété va peser de plus en plus lourdement sur les ménages qui y vivent. Or les difficultés de ceux-ci s'accroissent lorsqu'ils deviennent captifs, puisque la valeur immobilière de leur bien diminue et qu'ils ne peuvent plus basculer vers un autre parcours résidentiel.

Dans une copropriété en difficulté, les parties communes sont très faiblement entretenues, mais les charges sont très élevées. Ce paradoxe s'explique par une dérive des charges. C'est un mécanisme insidieux. Un retard d'entretien rend l'entretien plus coûteux : en effet, lorsque les impayés s'accumulent, il est de plus en plus difficile d'avoir la trésorerie nécessaire à l'entretien de la copropriété. Les bons professionnels qui intervenaient de façon régulière répondent moins facilement aux demandes ou majorent leurs devis, puisqu'ils savent qu'ils seront payés avec du retard. En découle un surcoût pour le même niveau d'entretien.

Ce surcoût met en difficulté certains copropriétaires qui arrivaient tout juste à payer les charges d'entretien habituelles, et les impayés entraînent un défaut de trésorerie. Or si le syndic ne le traite pas rapidement, il sera contraint d'appeler davantage de charges pour obtenir le montant initialement souhaité : on entre dans une surenchère, le syndic appelant plus de charges pour faire un entretien de plus en plus médiocre. Ainsi, le coût des charges augmente, tandis que l'entretien des parties communes diminue. Or cette baisse du niveau d'entretien rendra plus coûteux les travaux dans ces parties communes lorsqu'ils seront nécessaires. L'entretien est pensé au cas par cas au lieu d'être correctement anticipé, sans réelle vision patrimoniale.

C'est finalement la double peine pour les personnes les plus modestes. Un rapport récent de l'association Action Tank Entreprise et Pauvreté aborde ce mécanisme de surcoût pour les ménages les plus modestes qui vivent dans les logements les plus consommateurs d'énergie et les plus éloignés des centres, qui ont le plus de frais ou encore les voitures les plus consommatrices. Il en est de même ici : le logement perd sa valeur vénale, les coûts d'entretien augmentent et la qualité de l'entretien est insuffisante.

C'est ainsi que l'on en arrive à des charges de 800 à 900 euros pour un ascenseur qui ne fonctionne pas et pour du ménage qui n'est pas fait. L'absence de service rendu peut pousser les copropriétaires, qui étaient jusque-là de bons payeurs, à entrer dans une logique de grève des charges : c'est le point de non-retour.

C'est donc un cercle vicieux qui s'autoalimente. Les copropriétaires se retrouvent captifs, tout en se trouvant, dans certains cas, dans un état de surendettement personnel important. Ils en viennent parfois à vendre leur appartement soit à perte, soit en restant endettés après la vente, la valeur de l'appartement ne couvrant pas complètement l'emprunt et les éventuelles dettes qu'ils ont pu contracter auprès de la banque, des impôts ou du syndic.

Le dysfonctionnement de l'immeuble fait supporter à des propriétaires déjà modestes une situation qu'ils ne seront pas en mesure de résorber sans l'aide d'intervenants compétents et spécifiquement formés à la maîtrise des charges, au recouvrement des impayés et au redressement technique de l'immeuble. Il peut s'agir des professionnels en place, du syndic ou des pouvoirs publics, qui peuvent octroyer des financements exceptionnels et dérogatoires au droit commun pour relancer le fonctionnement de la copropriété. Mais pour cela, il faut comprendre que l'on est dans une logique de flux et pas de stock.

Le plan Initiative Copropriétés a apporté des solutions intéressantes. Les Orcod-IN sont de puissants outils d'intervention, grâce à la taxe spéciale d'équipement qui permet l'acquisition foncière de certains lots. L'achat de logements aux propriétaires qui ne sont plus en capacité d'assumer leur statut met un terme à l'aggravation de leur endettement, et nous les relogeons ensuite dans le parc social.

La question de l'acquisition des logements à perte pour la puissance publique est donc importante. Cependant, nous ignorons comment faire du portage dans les copropriétés dites en difficulté. Dans les zones détendues ou dans le cas d'appartements à très faible valeur vénale, le coût du rachat du logement et des travaux dépasse celui de sa vente à terme. En effet, dans certaines copropriétés, la quote-part des travaux est supérieure à la valeur de l'appartement ! Certains appartements sont valorisés à 20 000 euros, alors que des quotes-parts de 30 000 euros sont nécessaires à la rénovation de l'immeuble dans son ensemble. Les structures capables de faire du portage foncier et d'attendre que les travaux soient réalisés et que l'immeuble soit redressé techniquement et financièrement pour le remettre sur le marché sont rares. Ces outils nous manquent, en dehors des dispositifs d'intérêt national et des zones tendues.

Par ailleurs, ce portage et cette maîtrise foncière ne sont possibles qu'à condition de reloger les ménages. Or il est très difficile de proposer des solutions de relogement, que ce soit pour les propriétaires-occupants en grande difficulté ou pour des locataires qui sont souvent sans droit ni titre de séjour, alors qu'ils sont la proie des marchands de sommeil. Sans la possibilité de régulariser, même temporairement, la situation des occupants, les bailleurs sociaux ne se portent pas facilement acquéreurs d'un logement géré par un marchand de sommeil avec des occupants sans droit ni titre. Il faut donc régulariser la situation des occupants avant de pouvoir mobiliser le portage. Cela suppose une ingénierie d'accompagnement et des coûts pour mobiliser les acteurs sociaux et le potentiel du parc social, ce qui n'est pas accessible à l'ensemble des territoires.

M. Manuel Domergue. - Il ne me semble pas que nos propos étaient contradictoires. Nous parlons ici des occupants, et pas seulement des propriétaires bailleurs, qui ne sont pas toujours les plus modestes dans les copropriétés dégradées.

Mme Baron a très justement décrit cette spirale qui commence avec de premiers impayés de charges pour donner lieu à un phénomène de passagers clandestins, où certains ont l'impression de payer pour les autres et s'arrêtent de payer. Le registre d'immatriculation des copropriétés révèle depuis deux ou trois ans une montée en flèche des impayés de charges dans les copropriétés. C'est une alerte importante qui doit nous permettre d'anticiper la future dégradation de copropriétés, liée à la crise économique et sociale, au covid, à l'inflation ou encore à la hausse des prix de l'énergie. À ce titre, le chèque énergie n'a pas été revalorisé depuis les chèques exceptionnels de 2022. C'est l'un des facteurs explicatifs de la montée des impayés. Il faudrait donc solvabiliser davantage les occupants de ces copropriétés, qu'ils soient locataires ou propriétaires occupants modestes, notamment pour qu'ils puissent payer leurs charges.

Par ailleurs, en matière de reste à charge, les aides sont très inégales en fonction des collectivités. Elles sont plus importantes dans les territoires du plan Initiatives Copropriétés. Des territoires volontaristes ou plus riches proposent aux copropriétés des aides avantageuses, notamment sur la rénovation énergétique. À Paris, un reste à charge zéro est annoncé pour les plus modestes. Néanmoins, ce n'est pas le cas dans la grande majorité des villes. Si des dispositifs publics ne remédient pas à ces inégalités de traitement, c'est l'assurance d'une dégradation du fonctionnement des copropriétés.

Les aides personnelles au logement (APL) pour l'accession et l'allocation logement pour les prêts travaux à destination des ménages modestes leur permettaient de payer leurs travaux ou leurs charges de remboursement d'emprunt quand ils accédaient à la propriété. Or nous nous sommes privés de ces outils pour quelques économies budgétaires, qui se paient ensuite par des dégradations de la situation des ménages, mais aussi des copropriétés.

Nous avons constaté une montée en puissance du plan Initiative Copropriétés. La hausse des travaux de rénovation énergétique dans les copropriétés depuis deux ans fait partie des rares indicateurs positifs sur l'immobilier. C'est l'une des conséquences de cette priorisation : il faut désormais l'accompagner sur le long terme.

Cependant, la première évaluation par la Cour des comptes du plan Initiative Copropriétés révélait des difficultés à suivre quantitativement ses progrès en raison notamment de doubles comptes : il est donc possible que cette montée en puissance ne soit pas aussi impressionnante que les chiffres le laissent croire.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Je vous remercie pour vos riches contributions.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de MM. Hugues Périnet-Marquet, professeur émérite en droit privé à l'université Panthéon-Assas, et Jean-Marc Roux,
maître de conférences à l'université d'Aix-Marseille (en téléconférence)

(Mardi 19 mars 2024)

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Nous reprenons les travaux de notre commission d'enquête en recevant MM. Hugues Périnet-Marquet et Jean-Marc Roux.

Monsieur Périnet-Marquet, vous êtes professeur émérite à l'Université Panthéon-Assas en droit de l'immobilier, de la construction et de l'urbanisme et êtes l'auteur de plusieurs ouvrages consacrés à ces sujets. Vous présidez par ailleurs le Conseil national de la transaction et de la gestion immobilière (CNTGI), organe représentatif de la profession immobilière, ainsi que l'association française du droit de la construction et de l'immobilier. Entre 2015 et 2019, vous avez également dirigé le groupe de travail sur la réforme du droit de la copropriété de la chambre nationale des experts en copropriété.

Monsieur Jean-Marc Roux, vous êtes pour votre part docteur en droit, maître de conférences au sein de l'université d'Aix-Marseille, et avez contribué à la rédaction du code de la copropriété commenté. Vous dirigez l'Institut de formation et de recherche sur l'évaluation immobilière d'Aix-en-Provence et êtes à la tête des collections Edilaix.

Nous nous réjouissons de pouvoir vous entendre aujourd'hui dans le cadre de cette audition commune, afin que vous puissiez nous faire bénéficier de votre expertise et de votre connaissance du droit des copropriétés, qui permettront d'éclairer et d'affiner les travaux de notre commission d'enquête.

En particulier, votre audition doit nous permettre de mieux appréhender le cadre juridique complexe s'appliquant aux copropriétés dégradées, cadre qui, je le rappelle, sera de nouveau mis à jour par le projet de loi relatif à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé et des grandes opérations d'aménagement, dont je suis la rapporteure et qui sera, je l'espère, définitivement adopté la semaine prochaine.

Monsieur Périnet-Marquet, en votre qualité de président du groupe de recherche sur la copropriété (Grecco), vous avez mené une réflexion approfondie sur la loi du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété et des immeubles bâtis. Selon vous, dans quelle mesure ce texte est-il aujourd'hui encore adapté pour faire face aux dynamiques que nous observons s'agissant de la paupérisation des copropriétés ?

Monsieur Roux, vous êtes également l'auteur d'un ouvrage intitulé Prévenir et redresser les copropriétés en difficulté, tout à fait à propos compte tenu du périmètre de notre commission d'enquête. Puis-je vous demander quelles mesures pourraient, selon vous, venir renforcer les outils de détection, de prévention et de traitement face à la dégradation de la situation des copropriétés ?

Je m'interroge également sur la capacité de nos outils juridiques actuels à prendre en compte la pluralité de réalités que recoupe le terme « copropriété dégradée ». Comme le soulignait Marianne Margaté la semaine passée, une part grandissante des copropriétés dégradées sont aujourd'hui des petites structures : le droit actuel accompagne-t-il suffisamment ces copropriétaires ?

Enfin, vous avez l'un et l'autre souligné à maintes reprises, dans le cadre de vos travaux, le phénomène de complexification du droit de la copropriété, notamment en raison des nombreuses réformes et textes additionnels depuis 1965. Est-il selon vous possible de le simplifier, afin de le rendre plus accessible pour toutes les parties prenantes, sans perdre en pertinence et en efficacité ?

Permettez-moi d'ajouter que notre commission d'enquête a décidé de lancer une consultation sur la plateforme participative du Sénat pour permettre à tous nos concitoyens qui le souhaitent de contribuer à nos travaux. Un questionnaire est en ligne depuis hier. Il est possible d'y répondre en se connectant au site internet du Sénat dans le volet « consultation citoyenne ».

Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions et pour un propos introductif, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet et sur les réseaux sociaux du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.

Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité ; à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Hugues Périnet-Marquet et M. Jean-Marc Roux prêtent successivement serment.

M. Hugues Périnet-Marquet, professeur émérite en droit privé à l'université Panthéon-Assas. - En préalable, je précise que je m'exprime ici en mon nom personnel et non en tant que président du CNTGI, au sein duquel les opinions sont variées.

Vous avez évoqué la problématique de la définition d'une « copropriété dégradée », qui renvoie directement à la complexité de la réglementation. Dès l'exposé des motifs, le projet de loi mentionne ainsi des « copropriétés en difficulté », tandis que des copropriétés ou des ensembles immobiliers « indignes » peuvent aussi être évoqués dans le débat, ce qui génère de la confusion. J'en veux pour preuve un e-mail envoyé par le ministère de l'économie et des finances consacré à Ma Prime Logement Décent qui la présente comme une nouvelle aide proposée par l'Agence nationale de l'habitat (Anah) destinée à lutter contre « l'habitat indigne » et à remettre en état un « logement très dégradé ».

Je pense donc qu'il faut clarifier le vocabulaire employé, en partant du principe que le terme de « dégradation » renvoie à un bien et que celui de « difficulté » renvoie à une personne morale. Par conséquent, il vaudrait mieux parler de « copropriétés en difficulté » générant des immeubles qui se dégradent et de « copropriété dégradée » au sens des biens qui la composent.

Toujours au sujet de la définition, la question de l'adéquation des seuils existants peut être posée, mais je note que le projet de loi élargira considérablement la notion de « copropriétés en difficulté », en y intégrant les copropriétés sans syndic et les copropriétés qui n'ont pas statué sur leurs comptes depuis deux ans. Il sera donc utile, dans un premier temps, d'attendre les premiers effets de cette nouvelle législation, avant d'envisager d'autres réformes ultérieures.

J'en viens à l'origine du phénomène des copropriétés en difficulté, dont les causes me semblent davantage économiques que juridiques. Le redressement d'une copropriété est en effet bien plus ardu dès lors que les copropriétaires sont eux-mêmes en difficulté économique, puisqu'il faudra se pencher sur chaque cas, alors que les problèmes de gouvernance peuvent être résolus par la modification de certaines règles, sans obstacle majeur.

Cette racine économique du problème tient au fait que des acquéreurs assez fragiles ont été par le passé incités à l'achat, en considérant que la propriété était la clé du bonheur immobilier. Ces acquéreurs ont suivi ces recommandations, sans se rendre compte qu'ils se trouvaient à la limite de leurs capacités et sans avoir conscience des implications d'un achat en copropriété. De surcroît, ils ont souvent acquis des biens situés dans des immeubles peu chers, dont la qualité technique était loin d'être parfaite.

Il en résulte une sorte de double peine : les acquéreurs les plus fragiles occupant les immeubles les plus fragiles, le redressement des copropriétés en difficulté ainsi créées sera d'autant plus ardu qu'il faudra à la fois redresser les finances des copropriétaires et réaliser des travaux plus lourds que dans un immeuble haussmannien à Paris, par exemple. Les statistiques de l'Anah au 31 décembre 2023 permettent d'ailleurs de constater que les copropriétés les plus endettées se concentrent en Seine-Saint-Denis, dans le Val-d'Oise et dans le Val-de-Marne.

Plusieurs conséquences peuvent être tirées de cet état de fait. Tout d'abord, je suis intimement persuadé que le droit ne saurait être l'unique solution, il n'est peut-être même pas la solution principale. Le problème étant essentiellement d'origine économique, aucune modification législative n'apportera des changements significatifs.

Une copropriété en difficulté renvoie, en outre, à une inadéquation entre les revenus des propriétaires et leurs charges. Je souhaite attirer votre attention sur un élément qui me préoccupe beaucoup, à savoir l'existence d'une « bombe sociale » ou d'un « mur de la dette », dans la mesure où ces copropriétés dégradées vont devoir, comme tous les immeubles, être mises aux normes écologiques. Or le coût des travaux nécessaires est très élevé, à hauteur de 30 000 euros, voire de 40 000 euros par logement. Pour des copropriétaires précaires, déjà en peine de payer leurs charges, un tel effort n'est pas envisageable. Si le projet de loi que vous voterez prochainement prévoit la possibilité d'un prêt sur dix ans, ce dernier sera également synonyme d'un alourdissement des charges financières, et je crains que tout le travail de redressement en cours ne se heurte à cette perspective de la mise aux normes.

Le Gouvernement l'a compris, même s'il est pris entre le marteau et l'enclume : il doit en effet concilier la poursuite de la transition écologique et la nécessaire prise en compte de l'aspect social de la situation. Des annonces ont d'ores et déjà été faites sur les logements de moins de 40 m2, abaissant les exigences en matière de mise aux normes, tandis que la ministre de la culture, Rachida Dati, a évoqué la perspective d'un autre régime pour les immeubles anciens.

S'agissant des marchands de sommeil, souvent mis en cause dans le débat, je doute qu'ils jouent un rôle prépondérant dans l'apparition de copropriétés dégradées. Je les vois plutôt comme des vautours qui repèrent leurs proies, c'est-à-dire des copropriétés déjà dégradées. Bien sûr, leur arrivée dans celles-ci n'arrange en rien la situation. Les marchands de sommeil sont rares dans les copropriétés qui se portent bien, celles-ci étant plutôt la cible des marchands de tourisme.

J'en viens au syndic, considéré à juste titre comme l'homme-orchestre de la copropriété et qui devient aisément le bouc émissaire en cas de difficultés. Les statistiques de l'Anah mentionnent un élément surprenant, à savoir que 213 000 copropriétés, sur un total de 577 000, sont dépourvues de syndic. Et, parmi les 57 000 copropriétés comprenant de 50 à 200 lots, 12 000 copropriétés ne disposent pas d'un syndic. Si l'on entend faire reposer la politique d'éradication des copropriétés en difficulté sur les syndics, encore faut-il s'assurer qu'ils soient présents partout.

L'un des nouveaux critères de la copropriété en difficulté repose justement sur cette absence de syndic. Compte tenu des chiffres que j'ai cités précédemment, cette évolution gonflera considérablement le nombre de copropriétés en difficulté, sans que cela soit synonyme d'un appauvrissement soudain d'une masse de copropriétaires.

Par ailleurs, on attend du syndic qu'il assume des missions toujours plus nombreuses, mouvement qui se confirme avec le projet de loi que vous portez et qui m'interroge. Cet ajout de nouvelles tâches est-il cohérent avec les projets de déréglementation des syndics que semble envisager le ministère de l'économie et des finances ? Peut-on projeter de multiplier les tâches incombant au syndic - on peut penser qu'il devra être toujours plus compétent - tout en déréglementant la profession ?

J'espère d'ailleurs que cette déréglementation permettra de conserver une garantie financière, dont la disparition pourrait s'avérer dramatique. J'en parle en connaissance de cause : trois mois après la faillite de mon syndic, nous nous sommes aperçus que la prime d'assurance de l'immeuble n'avait pas été réglée. Le problème a pu être résolu grâce à une cotisation des membres du conseil syndical qui se sont ensuite fait rembourser, mais cette issue a été possible car il ne s'agissait pas d'une copropriété en difficulté. Dans le cas contraire, la situation créée par ce défaut de paiement de la prime aurait été très dangereuse.

Concernant les difficultés prêtées aux règles actuelles de décision à la majorité, qui bloqueraient des décisions importantes pour la copropriété, je ne suis pas persuadé par cet angle d'attaque. D'une part, je rappelle que la situation des copropriétés en difficulté ne découle pas essentiellement de problèmes de gouvernance ; d'autre part, les modifications législatives successives intervenues depuis 1965 n'ont cessé d'abaisser le seuil des majorités, jusqu'à arriver à la situation actuelle, où des décisions importantes peuvent être prises à la majorité simple des présents.

Aussi, je ne vois pas comment nous pourrions aller plus loin dans ce domaine. Cette perspective pourrait même être dangereuse si l'on considère le fait que l'absentéisme dans les réunions de copropriété est compris en moyenne entre 30 % et 40 %. Par conséquent, le minimum d'un tiers des voix fixé par le législateur pour soumettre une décision correspond environ à la moitié des présents. Imaginons le cas de figure dans lequel les minoritaires - en fait majoritaires en nombre - ne voteraient pas, ou voteraient contre des décisions qu'ils désapprouvent en raison de leur incapacité à assumer les dépenses correspondantes : ils se retrouveraient ainsi dans l'obligation de contribuer, alors qu'ils n'en ont pas les moyens. Prenons donc garde à éviter des formes de dictatures de minorités implicites, même si je ne plaide pas pour autant en faveur d'un rehaussement des seuils de majorité.

En conclusion, je porte un regard plutôt positif sur le projet de loi que vous portez, qui contient plusieurs mesures nécessaires, dont le prêt collectif, à condition bien sûr que les banques jouent le jeu. Je suis également tout à fait favorable à la possibilité de prolonger l'expropriation des parties communes et à la possibilité d'acquérir les parties communes, même si cette disposition pourrait aboutir à des copropriétés étranges, avec des lots ne comprenant plus que des parties privatives. En outre, faciliter l'expropriation à plusieurs égards est une bonne chose, car il s'agit souvent - malheureusement - de la seule solution.

Plusieurs aspects m'interrogent néanmoins, à commencer par la complexification du droit, à laquelle je suis très sensible en tant que juriste. Qui trop embrasse mal étreint, et je ne peux que constater une fuite en avant irréversible vers une accumulation normative. Je me suis amusé à compter le nombre d'articles contenus dans les textes en vigueur régissant les copropriétés en difficulté : il en existe environ une quarantaine, et le projet de loi actuel en comporte autant, alors qu'il était à l'origine question d'un texte relativement modeste.

L'efficacité du dispositif sera-t-elle pour autant démultipliée dans la même proportion ? Prenons garde à ne pas réduire l'efficacité législative en voulant trop bien faire, certaines dispositions semblant redondantes : l'article L. 480-1 du code de l'urbanisme, qui permet au maire de demander la démolition en dehors de toute action civile ou pénale, est ainsi intégré au texte avec des limites précises, alors que le Conseil d'État avait décidé, dans un arrêt du 22 décembre 2022, que la démolition était possible sans condition. En croyant bien faire, nous retournons parfois en arrière.

De même, si la mise en place d'un permis de construire auquel les règles d'urbanisme ne s'appliquent pas est une bonne chose, un permis précaire présentant les mêmes caractéristiques existait déjà dans le code de l'urbanisme.

Par ailleurs, nous devrions nous interroger sur l'expropriation : à qui profite-t-elle ? Qui frappe-t-elle ? Ne risque-t-on pas de refermer sur certains une trappe à pauvreté ? Prenons le cas de l'achat d'un appartement réalisé vingt ou trente ans plus tôt, dans un quartier dont l'acheteur pouvait espérer qu'il valoriserait le bien. Si ce pari ne se réalise pas et que l'immeuble se dégrade ensuite, il n'en est pas nécessairement responsable, mais il se retrouvera malgré tout exproprié et appauvri. Certes, il n'existe sans doute pas d'autres solutions, mais nous devons avoir conscience de cet aspect social. Parallèlement, la Cour de cassation a décidé de ne plus indemniser les constructions illégales, mais il s'agit en l'espèce de sanctionner une faute, ce qui n'est pas le cas dans l'exemple que je viens de mentionner.

En outre, un effort de rationalisation sera sans doute nécessaire pour ce qui est de la gestion des copropriétés en difficulté. La liste des intervenants actuels est en effet édifiante, puisqu'elle comprend le syndic, l'administrateur ad hoc, l'administrateur judiciaire, l'administrateur provisoire, l'opérateur, le coordonnateur du plan de sauvegarde, le syndic d'intérêt collectif et le diagnostiqueur structurel. Tous ces intervenants coûtent de l'argent aux copropriétaires, tandis que la pertinence de ce dispositif interroge. Plus globalement, l'élaboration d'un recueil de textes relatifs à la copropriété, voire d'un code de la copropriété, pourrait s'avérer utile, afin d'éviter d'aller rechercher des dispositions éparpillées entre la loi de 1965, le code de la construction et le code de l'urbanisme.

Enfin, je vous soumets deux idées, dont je vous laisserai apprécier la pertinence. La première a trait aux banquiers, qu'il faudrait peut-être inciter à prendre davantage en compte les charges actuelles et futures lorsqu'ils accordent des prêts en vue d'acheter des lots de copropriété. Cette piste n'est peut-être pas la bonne dans la mesure où l'obtention d'un prêt est déjà malaisée, le renforcement des critères de solvabilité risquant d'aggraver la situation.

La deuxième idée renvoie à une décision de la Cour de cassation en vertu de laquelle la vente d'un immeuble sans syndic est autorisée - bienvenue, car la trappe à pauvreté serait complètement refermée dans le cas contraire -, qui m'amène à m'interroger sur les moyens d'action qui permettraient d'augmenter le nombre de syndics.

M. Jean-Marc Roux, maître de conférences à l'université d'Aix-Marseille. - La notion de copropriété dégradée n'est pas définie juridiquement. En effet, elle ne figure ni dans le code de la construction et de l'habitation ni dans la loi du 10 juillet 1965. Cependant, l'article 29-1 de la loi de 1965 définit la copropriété en difficulté comme une copropriété dont « l'équilibre financier [...] est gravement compromis » ou qui se trouve « dans l'impossibilité de pourvoir à la conservation de l'immeuble ».

La notion de copropriété dégradée, au sens où l'entend votre commission, se rapproche en revanche de la copropriété placée sous administration provisoire renforcée, ainsi que le prévoit l'article 29-11 de la loi de 1965 : lorsqu'une copropriété atteint un taux d'endettement considérable et ne peut assumer la réalisation de travaux de très grande ampleur, le recours à un administrateur provisoire et à un opérateur de travaux peut être décidé. En effet, la nécessité de réaliser des travaux à hauteur de plusieurs millions d'euros est souvent avancée pour justifier le recours à cette procédure particulière.

Le code de la construction et de l'habitation prévoit également une procédure de carence et d'expropriation, mais celle-ci n'intervient qu'en dernier recours, signant l'échec du syndic à gérer l'immeuble.

La loi de 1965 distingue quant à elle deux régimes en matière de copropriétés en difficulté.

Le premier régime, qui concerne les copropriétés dites fragiles, a été instauré par la loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion, dite loi Molle. Il vise à prévenir les difficultés rencontrées par la copropriété suffisamment en amont pour éviter une réelle dégradation.

Le second régime a été créé en 1994 et réformé en 2000, puis par la loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (Alur) : il prévoit, pour les copropriétés en difficulté, un placement sous administration provisoire au titre des articles 29-1 et suivants de la loi de 1965, consistant à désigner une personne chargée de la gestion quotidienne de la copropriété et de son redressement.

Deux axes émergent des propositions que vous avez émises dans le cadre du projet de loi relatif à la rénovation de l'habitat dégradé.

Le premier axe concerne le mandat ad hoc. Selon le rapport de la direction des affaires civiles et du sceau (DACS) sur les contentieux de la copropriété, trente-quatre demandes de désignation d'un mandataire ad hoc ont été émises devant les juridictions en 2017. Dans le même temps, le rapport de l'Anah de 2022 établit que 128 151 syndicats de copropriétaires avaient un taux d'impayés supérieur à 31 %. Cet écart important montre le très faible recours à la procédure de mandat ad hoc.

De nouvelles conditions de recours à cette procédure ont été introduites dans le projet de loi. Actuellement, il n'existe qu'un seul critère, purement financier, déclenchant le lancement de cette procédure : le taux d'impayés doit atteindre 25 %, ou 15 % pour les copropriétés de plus de 200 lots. Or ce niveau d'endettement est assez fréquent, non pas parce que les copropriétés vont mal, mais en raison de retards de paiement ponctuels des copropriétaires ou de règlements de travaux.

Ce critère unique a un effet pervers. Dès que le mandat ad hoc est déclenché, il faut non seulement en informer le registre national des copropriétés, mais également s'assurer que la procédure figure dans les annonces relatives à la vente de lots dans les copropriétés concernées - ce qui peut faire fuir les potentiels acquéreurs...

Le caractère automatique de ce critère unique pose donc une difficulté. C'est la raison pour laquelle le projet de loi prévoit la possibilité de déclencher cette procédure en cas d'absence d'approbation des comptes par l'assemblée générale. C'est une proposition pertinente, car il s'agit d'un bon indice de difficultés dans la gestion comptable et financière de la copropriété. D'autres pistes pourraient être explorées, comme la prise en compte du taux d'absentéisme au sein des assemblées générales ou de l'impossibilité d'adopter certaines décisions relatives aux travaux d'entretien ou de rénovation énergétique. Ces critères, cumulatifs ou non, seraient ainsi susceptibles d'attirer l'attention des pouvoirs publics et du juge sur des difficultés de gestion.

L'efficacité de l'intervention du mandataire ad hoc pourrait également être améliorée. En effet, celui-ci établit un rapport comprenant des préconisations, lesquelles sont ensuite inscrites à l'ordre du jour de l'assemblée générale par le syndic. Or, sauf erreur de ma part, ces préconisations ne sont pas obligatoires : l'assemblée générale peut aussi bien les adopter que décider de les reporter sine die. Il serait donc utile de préciser que certaines préconisations devront être adoptées par l'assemblée générale, qui n'en votera que les modalités de réalisation.

Par ailleurs, l'article 29-1 B de la loi de 1965 prévoit que le rapport rendu par le mandataire ad hoc précise « le résultat des actions de médiation ou de négociation qu'il aura éventuellement menées avec les parties en cause ». Pourquoi ne pas instaurer une obligation d'opérer ces actions de médiation et de négociation avec les créanciers du syndicat des copropriétaires, ce qui permettrait de résoudre certaines difficultés de manière extrajudiciaire ?

Le deuxième axe des propositions émises dans le cadre du projet de loi consiste à améliorer le régime de l'administration provisoire prévu aux articles 29-1 et suivants de la loi de 1965.

Je veux d'abord revenir sur l'imputation des frais de l'administrateur provisoire au syndic.

Dans certains cas, il apparaît que le syndic de copropriété a trop tardé avant de déclencher la procédure d'administration provisoire. Le rapport de la DACS de 2017 révèle en effet que la très grande majorité des demandes en justice en vue de désigner un administrateur provisoire sont émises par les syndics eux-mêmes. Néanmoins, le syndic n'a-t-il pas trop tardé à déclencher la procédure d'alerte ? N'est-il pas allé trop loin ? Ne s'est-il pas montré négligent ? Les juges de fond - pour l'essentiel, la cour d'appel de Paris et d'autres cours d'appel qui connaissent de ce type de contentieux - admettent la condamnation du syndic au paiement de dommages et intérêts, au motif qu'il est à l'origine des difficultés de la copropriété.

Le projet de loi prévoit la possibilité pour le juge d'entendre les intéressés et de condamner le syndic. Cette proposition me semble dans le droit fil de la réalité tant juridique que pratique. L'insaisissabilité des sommes versées à la Caisse des dépôts de consignation au profit du syndicat des copropriétaires pour son redressement est également une mesure pertinente.

Vous avez également introduit un nouvel acteur, le syndic d'intérêt collectif, dont la place me semble difficile à situer dans le paysage actuel du droit de la copropriété. D'après les dispositions qui ont été débattues devant les deux chambres, le syndic d'intérêt collectif intervient à deux titres différents. En premier lieu, il est « présumé compétent pour gérer les copropriétés pour lesquelles un mandataire ad hoc a été désigné ». J'ai du mal à comprendre le rôle de ce syndic d'intérêt collectif. Sera-t-il désigné en tant que syndic de copropriété pour les copropriétés administrées par un mandataire ad hoc ? Cela ne me semble pas être le cas. Accompagnera-t-il le syndic ? C'est le rôle du mandataire ad hoc. S'agit-il alors du mandataire ad hoc lui-même ? Le syndic d'intérêt collectif interviendra-t-il dans le cadre d'une gestion bicéphale, aux côtés du syndic classique ?

En second lieu, le syndic d'intérêt collectif peut être désigné « à la demande d'un administrateur provisoire désigné sur le fondement de l'article 29-1 ». Il aurait ici un rôle d'assistance, accompagnant l'administrateur provisoire au quotidien : nombre d'administrateurs le demandent. Attention néanmoins : Hugues Périnet-Marquet évoquait la multiplication des intervenants. Il ne faudrait pas que le syndic d'intérêt collectif devienne un nouveau motif d'alourdissement des finances de syndicats de copropriétaires souvent déjà obérées. Il faudrait donc clarifier le cadre dans lequel ce syndic pourrait être rémunéré.

Concernant le futur régime de la copropriété en difficulté, le projet de loi ne fait aucune mention des prérogatives de l'administrateur provisoire. Celui-ci cumule les fonctions de décision au sein de l'assemblée générale et d'exécution de ces mêmes décisions. D'après la jurisprudence issue de la Cour de cassation - qui est bien fixée sur sa manière d'appréhender les décisions du syndicat, comme l'a encore récemment montré un arrêt de janvier 2024 -, les décisions de l'administrateur provisoire ne sont pas susceptibles de recours. Certes, celui-ci exerce ses fonctions sous le contrôle du juge et il est tout à fait possible d'en référer au président du tribunal judiciaire. Néanmoins, pourquoi ne pas l'inscrire explicitement dans la loi de 1965 ? Il s'agit d'une procédure exceptionnelle, par laquelle un tiers gère le syndicat des copropriétaires en difficulté. L'administrateur provisoire peut mettre en oeuvre des mesures exorbitantes du droit commun, en raison de ses prérogatives à l'égard des créanciers du syndicat des copropriétaires. Pourquoi donc ne pas aller au bout du processus ?

J'en viens à la durée du plan d'apurement des dettes. Celui-ci a été établi par la loi Alur en raison du rapprochement du régime des copropriétés en difficulté de celui des entreprises en difficulté. On parle désormais de redressement et de procédures collectives du syndicat des copropriétaires. Néanmoins, la durée du plan d'apurement ne me semble pas adaptée aux copropriétés en grande difficulté. En région parisienne, certaines d'entre elles sont placées sous administration provisoire depuis dix, quinze ou vingt ans ; or la durée du plan d'apurement est de cinq ans seulement. Il serait utile de l'aligner sur la durée de dix ans en vigueur dans le code du commerce. Certes, il est actuellement possible de demander une prorogation au juge ; néanmoins, fixer directement cette durée à dix ans faciliterait l'étalement du versement des sommes dues dans le cadre du redressement.

Il faudrait également simplifier les démarches de l'administrateur provisoire auprès du juge. En effet, les administrateurs provisoires font régulièrement état d'un hiatus entre la nécessité de demander des mesures assez rapides au président du tribunal judiciaire et celle de recourir à la procédure accélérée au fond. Bien entendu, cette mesure permet le respect du principe du contradictoire. La voie de requête me semblerait, dans certains cas, plus pertinente pour que le juge puisse réagir rapidement. Je pense notamment à la possibilité de demander au juge la suspension de l'exigibilité des sommes qui sont dues par le syndicat des copropriétaires ou des mesures de poursuite contre celui-ci. Actuellement, il faut procéder par voie d'assignation, étant donné que la procédure accélérée au fond est mise en oeuvre ; mais la voie de requête permettrait de bénéficier plus facilement de ces ordonnances du juge.

L'accent a été mis sur le fait que, dans les copropriétés de dimension importante très dégradées, l'une des clés, c'est la restructuration. Concrètement, il s'agit de diminuer l'unité de gestion, par exemple en ayant un syndicat des copropriétaires par bâtiment. C'est quelque chose que j'ai vu en pratique, voire que j'ai parfois préconisé : avoir une copropriété à taille humaine, personnalisée, pour éviter la généralisation des difficultés.

Je ne suis pas certain que les marchands de sommeil soient nécessairement à l'origine de phénomènes que vous avez évoqués. Mais ils constituent un facteur d'aggravation. La loi Alur permet déjà de les repérer. Le notaire peut demander au syndic si le candidat à l'acquisition est déjà copropriétaire dans l'immeuble ou faire une démarche auprès des services du casier judiciaire. Ce sont des mesures efficaces. Pour autant, les syndics me confient avoir du mal à identifier ces marchands de sommeil. Certes, ils peuvent faire des signalements aux autorités compétentes. Mais comment aller plus loin ? Sans doute par un contrôle accru sur les ventes aux enchères : ce qui intéresse les marchands de sommeil, c'est d'acheter à bas prix ; on peut donc les repérer.

Certaines pistes d'amélioration du registre national des copropriétés, comme la diffusion de la situation financière du syndicat ou l'immatriculation de tous les syndicats de copropriétaires, figurent dans le projet de loi. Mais le fait que des copropriétés en difficulté puissent ne pas avoir de lots à usage d'habitation passe sous les radars du registre national des copropriétés. On ne peut pas immatriculer des copropriétés composées entièrement de lots à usage autre que d'habitation. Selon un rapport de 2022 de l'Anah, plus de la moitié des syndicats de copropriétaires ne fournissent pas d'informations chiffrées. Certes, le code de la construction et de l'habitat prévoit des sanctions, mais ne faudrait-il pas les alourdir ?

J'insiste enfin sur la pédagogie, à l'égard tant des copropriétaires eux-mêmes que des syndics, notamment des syndics bénévoles, qui n'ont pas conscience de l'obligation non seulement de s'immatriculer, mais également de fournir chaque année des données chiffrées.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Je vous remercie de ces éléments. J'aimerais revenir avec vous sur trois points.

D'abord, le problème ne réside-t-il pas moins dans la multiplicité des acteurs que dans leur manque de coordination ? Pensez-vous qu'un acteur unique ou, à tout le moins, une porte d'entrée unique permettraient de renforcer l'efficacité du système ?

Ensuite, selon vous, l'origine des difficultés relève davantage de la situation des copropriétaires que la gouvernance. Mais la gouvernance actuelle constitue-t-elle, à vos yeux, une solution ? Ne faudrait-il pas la penser autrement pour demain ?

Enfin, disposons-nous des outils législatifs pour gérer les petites copropriétés, qui ne sont d'ailleurs pas forcément immatriculées dans le registre national ? Ne faudrait-il pas envisager une prise en charge ou un accompagnement distincts ?

M. Hugues Périnet-Marquet. - À mon sens, la réflexion sur le nombre d'acteurs et leur coordination pourra se fonder sur les retours d'expérience de la réforme, une fois qu'elle aura été votée et mise en place.

Dans la rédaction actuelle du projet de loi, le syndic d'intérêt collectif est présumé compétent pour gérer les copropriétés dans lesquelles un mandataire ad hoc a été désigné. Mais cela signifie-t-il qu'il va remplacer le syndic actuel ? Ce n'est précisé nulle part. Or c'est une question que tout le monde se pose. Il faudrait, me semble-t-il, affiner la réflexion.

Si la gouvernance est conçue pour les copropriétés « classiques », nous avons, je le crois, tout ce qu'il faut dans la loi pour gouverner des copropriétés en difficulté. Le texte prévoit la création d'un « homme fort » de la copropriété qui va prendre quasiment tous les pouvoirs du syndic, de l'assemblée générale et du conseil syndical. Un tel mode de gestion soulève la question de la démocratie en copropriété. Il y a un équilibre délicat à trouver. Mais je ne vois pas de problèmes de gouvernance qui ne soient pas susceptibles d'être résolus. Bien entendu, il arrive un moment où, s'il n'y a pas d'argent parce que les gens ne paient pas leurs charges, il n'y a pas de budget. La solution ultime, c'est la vente aux enchères, ce qui est tout de même socialement très compliqué.

La réforme de 2019 a prévu des dispositions spécifiques pour les petites copropriétés, de deux à cinq copropriétaires. D'après les remontées dont je dispose, je n'ai pas le sentiment que cela donne lieu à des difficultés particulières.

M. Jean-Marc Roux. - Je comptais précisément évoquer avec vous la coordination - c'est un point qui me semble primordial. Si l'on devait parler d'un acteur unique, celui qui, au regard des textes actuels, devrait a priori être au centre du redressement de la copropriété, c'est l'administrateur provisoire, qui se verrait confier des missions de coordination avec le maire, le président de l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI), le représentant de l'État dans le département, l'Anah, etc.

Nous avons une pluralité de textes, avec différentes sources : le code de la construction et de l'habitat, le code de la santé publique, le code de l'urbanisme, la loi de 1965... Il faudrait les coordonner pour que les acteurs puissent eux-mêmes se coordonner.

Pour évoquer les origines des difficultés, j'aurais tendance à distinguer deux types de copropriétés.

D'un côté, nous avons les copropriétés dégradées, qui sont l'objet principal du projet de loi. En l'occurrence, il y a des problèmes récurrents s'agissant du paiement des charges, voire de l'intérêt de certains copropriétaires à l'égard de la copropriété : ceux qui ne se voient pas comme des propriétaires occupants ne vont pas aux assemblées générales, font en sorte de ne pas voter les travaux pour ne pas avoir à payer, etc.

De l'autre, nous avons des copropriétés « simplement » en difficulté, qui ne peuvent pas fonctionner pour des raisons autres que le non-paiement des charges. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, il y en a beaucoup. Nombre de syndicats faisant l'objet de mesures au titre de l'article 29-1 de la loi 1965 concernent des copropriétés où il n'y a pas de problèmes financiers. Les difficultés tiennent plus à la gouvernance ou à la dimension : en France, nous avons les plus grandes copropriétés d'Europe ; ce n'est pas évident de gérer ces grands ensembles immobiliers.

Je rejoins Hugues Périnet-Marquet sur la gouvernance de copropriétés en difficulté : les articles 29 et suivants de la loi de 1965 me paraissent tout à fait adaptés, sous réserve des remarques que j'ai pu formuler et des propositions que d'autres ont pu émettre. En réalité, les problèmes sont bien connus : absentéisme aux assemblées générales ; tendance de certains à agir comme propriétaires plus que comme copropriétaires ; omission, tantôt volontaire tantôt involontaire, de l'intérêt général par certains membres de la copropriété, etc.

L'assemblée générale devrait être le cadre où vont se décider les mesures permettant à une copropriété d'aller bien. Le rapporteur de la loi de 1965 déclarait que les décisions en copropriété devaient être prises en assemblée générale autour du « tapis vert ».

Il me semble que plusieurs copropriétés ont oublié cette notion. Faire en sorte que l'assemblée générale retrouve son rôle et son pouvoir initial, afin que chacun participe à la décision - nous avons parlé de démocratie il y a quelques instants -, pourrait figurer à l'ordre du jour. Différents moyens ont été évoqués, comme l'abaissement des majorités ou la création de passerelles permettant de passer d'une majorité à l'autre. Plusieurs solutions existent à cette problématique soulevée dans certaines copropriétés.

M. Périnet-Marquet l'a indiqué, des dispositifs particuliers pour les petites copropriétés existent. Dans la loi du 10 juillet 1965, les « petites copropriétés » sont définies comme celles qui comportent moins de cinq lots principaux ou dont le budget prévisionnel moyen est inférieur à 15 000 euros sur une période de trois exercices consécutifs. Les règles s'appliquant à ces dernières ont été assouplies : une assemblée générale de copropriété n'y est pas toujours nécessaire et le très lourd formalisme de ces assemblées générales est allégé.

Il y a également ce qu'on appelle les « micropropriétés » - le terme ne figure pas dans la loi -, c'est-à-dire les copropriétés à deux personnes. Elles font parfois l'objet d'administrations provisoires, non seulement pour des raisons financières, mais aussi pour être gérées plus facilement. L'ordonnance de 2019 a déjà permis de lever une difficulté les concernant. En application du droit commun de la copropriété, les voix du propriétaire disposant du plus de tantièmes étaient en réalité limitées au total des voix de l'autre propriétaire. Comme chacun avait le même nombre de voix, toutes les décisions, y compris les décisions de gestion courante, devaient être votées à l'unanimité. Le régime particulier des copropriétés à deux écarte ce problème. De plus, depuis l'ordonnance de 2019, certains dispositifs du code civil relatifs à l'indivision ont été importés dans le régime des micropropriétés. Le recours au juge est un dispositif intéressant : si l'un des copropriétaires refuse de prendre une décision, il est possible de demander que le juge la prenne lui-même. Cela permet de lever certaines situations de blocages, qui de temps en temps conduisent des copropriétés vers des difficultés.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Vous êtes revenus à plusieurs reprises sur le syndic d'intérêt collectif, en relevant le manque de clarté de ce dispositif.

Dans le projet de loi relatif à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé et des grandes opérations d'aménagement, nous avons pensé cet outil comme un syndic ayant des compétences spécifiques, mais répondant exactement aux mêmes règles que les autres syndics. Les élus sont partis du constat que les copropriétés en difficulté ont besoin de syndics disposant de compétences et d'informations spécifiques. Il semblait intéressant de mettre en place un vivier de syndics, afin de les porter à la connaissance des acteurs. Ces précisions me semblaient importantes, même s'il faudra sans doute encore clarifier le sujet.

Mme Marianne Margaté, rapporteure. - Je vous remercie de la richesse de vos propos. Vous avez employé des expressions très fortes, comme « bombe sociale » ou « mur de la dette », qui figuraient déjà il y a dix ans dans le rapport de Claude Dilain sur les copropriétés très dégradées ou dans le rapport Prévenir et guérir les difficultés des copropriétés du président de l'Anah de l'époque. Hélas, nous continuons d'avancer vers une forte aggravation de la paupérisation des copropriétés. En raison de la crise du logement, certains n'ont pas d'autres moyens pour se loger que de trouver refuge dans des copropriétés dégradées. Les alertes données à l'époque n'ont pas été assez entendues.

Je m'interroge sur la place des locataires dans les copropriétés. Nous parlons de démocratie, de gouvernance et de fabrique du commun ; pourtant, leur place reste secondaire. Comment leur donner une place, alors qu'ils habitent ces logements et peuvent contribuer à donner plus de vitalité aux assemblées générales ? Peut-on envisager de leur donner un droit de vote en assemblée générale, avec un mandat de leur propriétaire-bailleur ? Le locataire pourrait-il payer directement ses charges au syndic, sans passer par le propriétaire-bailleur, qui peut être un propriétaire indélicat ? Cela permettrait peut-être de ne pas creuser les difficultés financières de la copropriété.

Des évolutions de la loi de 1965 ont permis d'encadrer financièrement les prestations des syndics. Faut-il encadrer d'autres actes des syndics, afin d'assainir les relations et d'éviter certains abus ? Cela permettrait-il de restaurer la confiance dans le dialogue entre les syndics et les copropriétaires, au moment de la mise en concurrence ? Peut-on également envisager d'encadrer la durée des procédures, notamment au sujet des impayés et des mises en demeure ? Les procédures qui traînent en longueur ne font qu'aggraver les difficultés de la copropriété.

Les marchands de sommeil sont attirés par les copropriétés en difficulté et ils contribuent à aggraver le problème. Peut-on envisager d'interdire l'achat de nouveaux lots dans la copropriété à tout débiteur marchand de sommeil ou à tout propriétaire-bailleur déjà endetté ? Comment contrôler les achats par des propriétaires déjà endettés ?

M. Hugues Périnet-Marquet. - La question de la place des locataires ne concerne pas spécifiquement les copropriétés en difficulté. Par hypothèse, les locataires ne paient les charges qu'aux propriétaires. La question est donc latérale par rapport au sujet de cette commission d'enquête. Le choix d'autoriser les locataires à participer à une assemblée dans laquelle ils retrouveraient les copropriétaires est un choix politique. Le risque est de multiplier les assemblées ; il peut également s'agir d'une richesse. Il faut donc bien calibrer les choses.

Donner aux locataires le droit de vote va peut-être un peu loin. La copropriété est en quelque sorte soumise à un suffrage censitaire : ont le droit de vote ceux qui paient. Cela reviendrait à donner le droit de vote à certains qui ne paient pas. J'ai tendance à penser que le fait de payer permet de prendre en compte les risques d'endettement. Il faut faire attention à l'endroit où l'on place le curseur afin d'éviter que des gens puissent prendre des décisions sans en assumer par la suite les conséquences. Cela serait assez mal vécu dans les copropriétés, où l'ambiance n'est pas toujours très bonne. Vous avez tout à fait raison d'indiquer que la démarche participative doit être améliorée dans les copropriétés, mais il faut que l'insertion des locataires soit alors perçue comme un élément d'amélioration et non de perturbation.

Peut-on encadrer les procédures ? Si ces dernières sont menées jusqu'au bout, elles deviennent des procédures judiciaires. Il est assez difficile d'encadrer les délais dans lesquels les procédures judiciaires s'enclenchent. Bien sûr, le droit de l'urbanisme le permet, notamment en cas de recours pour les permis de construire, mais les affaires sont alors portées devant le juge administratif. Je ne suis pas sûr que cela soit possible en la matière. Il est sans doute possible d'améliorer l'efficacité des procédures, mais je ne pense pas qu'imposer des délais particuliers le permette.

Enfin, il est déjà possible de limiter la possibilité offerte à des marchands de sommeil d'acheter des lots dans des copropriétés lorsqu'ils sont endettés. Faut-il aller plus loin ? Comment définit-on un marchand de sommeil ? C'est quelqu'un qui a été condamné en tant que tel. On peut tenter de le définir comme quelqu'un qui est déjà endetté auprès d'une copropriété, mais il paraît difficile de demander à toutes les copropriétés de France si untel, qui veut acheter un lot, est déjà endetté. La condamnation pénale est le seul élément qui permet de définir ce qu'est un marchand de sommeil, mais il est alors souvent trop tard : un marchand de sommeil condamné pénalement est bien souvent moins prédateur, ou alors il utilise des prête-noms et laisse faire le sale travail par d'autres. Il ne faut pas espérer trop de choses de cette mesure, et il ne faut pas non plus compliquer toutes les ventes par ces procédures.

La question des marchands de sommeil se pose dans des copropriétés en difficulté, dans des lieux particuliers. Sur les 900 000 ventes immobilières annuelles en France, combien sont concernées par cette problématique ? Il me semble qu'on ne peut pas ralentir et complexifier 900 000 ventes pour 500 ou 1 000 cas.

M. Jean-Marc Roux. - Plusieurs pistes existent au sujet de la place des locataires. Une disposition de la loi Alur permet aux occupants de l'immeuble d'être avertis des décisions votées en assemblée générale, car le syndic a l'obligation d'afficher dans les parties communes le procès-verbal des décisions de la dernière assemblée générale.

Aller plus loin, notamment pour le paiement direct des charges au syndic, me semble difficile. L'obligation est liée à la qualité de copropriétaire. Or il n'y a pas de lien de droit direct entre le syndicat des copropriétaires et les locataires, et il semblerait difficile de demander aux locataires de payer directement les charges de copropriété à une personne avec laquelle il n'a pas de lien juridique.

En revanche, il serait possible d'indiquer que le locataire a le droit d'accéder à l'assemblée générale. À l'heure actuelle, ce n'est pas le cas, et les copropriétaires peuvent refuser l'accès à l'assemblée générale à un locataire. Aller plus loin que ce droit d'accès et donner à un locataire le droit de voter est déjà possible par le biais d'un mandat : un copropriétaire peut donner mandat à un locataire pour voter à sa place dans une assemblée générale. Toutefois, cela n'arrive que rarement, dans la mesure où un locataire pourrait voter des mesures sans en assumer la charge financière.

L'encadrement des syndics doit-il encore être renforcé ? Beaucoup, peut-être même trop, a déjà été fait dans la loi Alur. Les dispositions des contrats de syndics sont impératives, et les missions du syndic ont déjà été multipliées par trois ou quatre. Le plus long article de la loi de 1965, l'article 18, concerne les missions des syndics. Peut-on demander à ceux-ci des efforts supplémentaires, en sachant que les pouvoirs publics ont la volonté directe ou indirecte d'encadrer la rémunération des syndics ? Les syndics ne peuvent demander d'honoraires supplémentaires que dans des cas limités prévus par les textes.

Des dispositions de la loi Alur durcissaient les règles relatives à la mise en concurrence, mais on est revenu en arrière, car les copropriétaires sont souvent satisfaits de leur syndic, et ne vont demander une mise en concurrence qu'en cas de reproches. Mais d'après ce que j'ai compris, cela ne correspond pas à la grande majorité des cas.

La procédure accélérée au fond a été introduite pour le paiement des arriérés de charges des copropriétés, ce qui permet d'obtenir assez rapidement des décisions de la part du président du tribunal judiciaire.

Je n'ai rien de plus à signaler concernant les marchands de sommeil. La loi Alur a déjà posé deux limites au moyen de deux procédures de contrôle, à savoir la consultation systématique du casier judiciaire pour les biens à usage d'habitation et l'interrogation systématique du notaire par le syndic de copropriétaires, afin de savoir si l'acheteur est déjà copropriétaire et s'il est à jour de ses charges.

Madame la rapporteure, certaines des mesures que vous évoquez sont déjà en partie appliquées dans le cadre de la loi de 1965. En revanche, d'autres de vos propositions apporteraient un bouleversement du paysage juridique de la copropriété. Il me semble difficile d'aller dans cette direction.

M. David Ros. - Ma première question concerne la taille des copropriétés. En Essonne, deux villes sont concernées par la paupérisation des copropriétés, celles de Grigny et d'Épinay-sous-Sénart. Toutefois, les copropriétés y sont de taille différente et les problèmes n'y sont pas de même nature. Pensez-vous qu'il serait approprié de différencier, dans le cadre législatif, les situations en fonction de la taille des copropriétés ?

Ma seconde question part du fait que les difficultés viennent souvent de gens eux-mêmes en difficulté. Estimez-vous rétrospectivement que ceux qui ont permis aux gens de devenir copropriétaires ont suffisamment informé ces derniers en amont ? Quelle est la responsabilité de ces personnes dans ces situations, et donc dans l'état des copropriétés ?

M. Rémi Cardon. - Ma question concerne la rénovation thermique des copropriétés. Vous avez comme moi suivi l'actualité de ce sujet, qui a bouleversé le secteur et les bénéficiaires des différentes aides. En tant que spécialiste du sujet des copropriétés, avez-vous observé des éléments qui permettraient d'accélérer et de faciliter ces rénovations ?

Tous les articles de presse relatifs à la rénovation thermique des copropriétés insistent sur la lenteur des décisions, ainsi que sur la difficulté pour le Gouvernement d'utiliser l'argent fléché afin de réaliser un maximum de rénovations.

Qu'en est-il de Mon Accompagnateur Rénov', ces gens pouvant jouer un rôle de médiateur ou de fédérateur ? Que faudrait-il regarder lors des prochains mois pour répondre à cet enjeu ? En 2023, les aides versées pour la rénovation énergétique des logements se sont élevées à 2,7 milliards d'euros en dehors des copropriétés, contre 0,35 milliard d'euros pour les copropriétés, ce qui est presque négligeable par rapport à l'ampleur de l'enveloppe.

M. Hugues Périnet-Marquet. - Des copropriétés de taille déraisonnable ont été bâties dans les années 1970 et le projet de loi reprend le mécanisme de scission de copropriétés afin de détruire ces grands ensembles. Une démarche de ce type a été menée au niveau de l'Ensemble immobilier de la tour Maine-Montparnasse (EITMM), qui était à l'origine une copropriété unique comportant un nombre considérable de lots, avant d'être divisée en plusieurs volumes l'année dernière. Cette solution consistant à revenir à des tailles plus réduites par des scissions de copropriétés, soit volontaires, soit sur décision du juge, me semble adéquate.

Concernant les informations qui n'auraient pas été communiquées aux copropriétaires, le sujet est complexe : les acteurs juridiques de l'époque ont fourni les renseignements qui étaient obligatoires à cette période, mais il faudrait rouvrir ce sujet à l'avenir, en indiquant clairement aux copropriétaires que leur statut est bien différent de celui de locataires et qu'ils devront assumer des décisions qui les engageront financièrement.

Au-delà de cet enjeu, peut-être faudra-t-il interroger la pertinence de proposer systématiquement l'accès à la propriété. Certains de nos voisins, tels que l'Allemagne ou les Pays-Bas, comptent une moindre proportion de propriétaires, sans que leurs habitants vivent moins bien.

Quant à la rénovation thermique, les copropriétaires d'un immeuble haussmannien peuvent se poser des questions légitimes face aux coûts élevés qu'elle implique, d'autant plus que les retours sur investissements seront nuls dans un premier temps, ne devenant visibles qu'au bout de plusieurs dizaines d'années. Il est donc difficile de défendre des dépenses qui s'effectueront à fonds perdu pendant une période, quand bien même il est possible d'invoquer une amélioration du confort de l'appartement, ainsi que de moindres dépenses d'énergie.

L'argument de la contribution à la lutte contre le dérèglement climatique me paraît quant à lui peu audible : si tous les Français se montraient vertueux dans la rénovation de leur logement, cela n'aboutirait qu'à supprimer environ 0,3 % des émissions de gaz à effet de serre du pays, qui n'émet lui-même que 1 % du total mondial des émissions.

Cette absence de retour sur investissement de la rénovation thermique constitue un réel obstacle, qu'il est difficile de surmonter sans s'inscrire dans une démarche punitive. De surcroît, l'isolation par l'extérieur de certaines copropriétés est impossible. Je suis de ceux qui pensent que la « valeur verte » liée à la rénovation des appartements n'existe pas, mais que la « non-valeur brune », c'est-à-dire l'absence de travaux, risque bien de faire diminuer leur valeur.

M. Jean-Marc Roux. - Cette rénovation thermique risque effectivement d'être une source d'aggravation de la situation des copropriétés en difficulté, même si des aides existent. Quant à la lenteur des opérations, je tiens à souligner qu'il existe un hiatus entre le calendrier de la rénovation thermique des bâtiments et les outils mis à la disposition des copropriétés, dont le fonds de travaux : prévu par la loi de 1965, il est manifestement insuffisant.

S'agissant de la taille des copropriétés, le rapport de l'Anah publié en 2022 indique que 89 % des copropriétés comportent moins de 50 lots principaux, tandis que 1 % d'entre elles compte plus de 200 lots : très minoritaires, ces copropriétés de grande taille posent davantage de difficultés. Cela étant, la taille de la copropriété a été prise en compte par le législateur à plusieurs reprises sous la forme de textes « à tiroirs », et je ne suis pas sûr que la multiplication des régimes spécifiques soit la bonne solution.

Enfin, l'information des copropriétaires a été l'un des maîtres mots de la loi Alur, qui prévoyait la remise d'un épais dossier au candidat acquéreur au stade de l'avant-contrat, au risque de le noyer sous les données. L'information fournie devrait être plus pertinente, afin d'attirer l'attention des futurs copropriétaires sur certains aspects. Est-il raisonnable de remettre 11,2 kilos de documents sous format papier - le format électronique est désormais envisageable - à un candidat acquéreur ? Pensez-vous qu'un acheteur lambda les étudiera ?

En revanche, la loi Alur avait prévu une notice d'information relative aux droits et aux obligations des copropriétaires : visée dans l'article L. 721-2 du code de la construction et de l'habitat, celle-ci devait remplir une fonction pédagogique, en présentant le rôle du syndic et de l'assemblée générale, en mentionnant l'existence de charges futures et en indiquant qu'il faudra respecter le règlement de copropriété. Or, dix années après l'adoption de la loi, cette notice n'a toujours pas fait l'objet d'un arrêté.

Mme Audrey Linkenheld. - En tant que rapporteure du projet de loi qui est devenu la loi Alur en mars 2014, je me souviens fort bien de cette discussion au sujet de la notice d'information, justifiée par le fait qu'être copropriétaire ne s'improvise pas et s'avère bien plus complexe - voire plus dangereux - que d'être propriétaire. Ce document visait justement à faire prendre conscience à chacun des obligations découlant de ce statut, quels que soient ses revenus.

Nous pourrions profiter du dixième anniversaire de la loi Alur, que nous fêterons la semaine prochaine, pour éclaircir les raisons expliquant qu'un simple arrêté n'ait pas pu être publié...

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Merci pour vos précieuses contributions. Les travaux de cette commission d'enquête prendront la forme d'un rapport qui sera publié avant le 31 juillet 2024.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de MM. Gilles Frémont, président de l'Association nationale
des gestionnaires de copropriétés (ANCG), Loïc Cantin, président
de la Fédération nationale de l'immobilier (FNAIM), Alain Duffoux, président du Syndicat national des professionnels immobiliers (SNPI),
Pierre Hautus, délégué général de Plurience, Mme Danielle Dubrac, présidente de l'Union des syndicats de l'immobilier (UNIS),
et MM. Olivier Safar, président, et Alain Papadopoulos, directeur général,
de l'Association Quali-SR

(Mardi 19 mars 2024)

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Notre commission d'enquête sur la paupérisation des copropriétés poursuit aujourd'hui ses travaux par une table ronde des représentants des syndics et gestionnaires de copropriétés.

L'association nationale des gestionnaires de copropriétés, qui porte les intérêts des gestionnaires, des comptables et des assistants de copropriétés, est représentée par son président, M. Gilles Frémont.

La Fédération nationale de l'immobilier (FNAIM) est représentée par son président, M. Loïc Cantin.

Nous recevons également M. Alain Duffoux qui préside le syndicat national des professionnels immobiliers (SNPI) qui représente, entre autres, les syndics de copropriété.

Nous accueillons également l'association Plurience, qui regroupe des professionnels de l'immobilier au service des copropriétaires et des locataires, et qui est représentée par son délégué général, M. Pierre Hautus.

Mme Danielle Dubrac est également présente en sa qualité de présidente de l'Union des syndicats de l'immobilier (UNIS).

Enfin, l'association Quali-SR est représentée par son président, M. Olivier Safar. Pour rappel, l'association Quali-SR a contribué à l'élaboration d'une certification de syndics de redressement de copropriétés, en fragilité ou en difficulté et a désormais pour mission d'assurer un suivi du référentiel, de procéder, le cas échéant, aux adaptations nécessitées par des difficultés de mise en oeuvre ainsi que de participer aux travaux relatifs à la gestion et au redressement de copropriétés en difficulté.

Madame, Messieurs, en tant que représentants de syndics et de propriétaires, vous portez la voix des acteurs de terrain. Vous êtes ainsi en mesure de témoigner du rôle et des difficultés des syndics au sein des copropriétés en voie de paupérisation ou dégradées.

Nous avions à coeur de vous recevoir, dès le début des travaux de notre commission afin de mieux comprendre le rôle des syndics de copropriétés dans la prévention et l'identification des facteurs qui conduisent à la dégradation des copropriétés. Ces facteurs, nous le savons, peuvent varier selon que la copropriété soit de taille restreinte ou plus importante, ainsi qu'en fonction de sa localisation en zone urbaine ou dans des bourgs.

De même, nous souhaitons vous entendre sur les difficultés que rencontrent les syndics de copropriétés dégradées au coeur de la crise : quels sont les outils dont vous disposez afin d'intervenir le plus en amont possible et éviter les situations les plus critiques ? Quel regard portez-vous sur l'efficacité des dispositifs publics qui peuvent vous accompagner ?

Par ailleurs, quelques jours après la commission mixte paritaire relative au projet de loi sur l'habitat dégradé, pourriez-vous nous indiquer ce qui, selon vous, reste à inventer afin de simplifier les missions des syndics et renforcer leurs outils notamment dans la lutte contre l'accumulation d'impayés et de dettes et le recouvrement des charges, l'identification d'éventuels marchands de sommeil ou plus généralement le processus de dégradation des copropriétés ?

Je voudrais enfin indiquer que la commission a décidé de lancer une consultation sur la plateforme participative du Sénat pour permettre à tous nos concitoyens qui le souhaitent de contribuer à nos travaux. Un questionnaire est en ligne depuis hier. Il est possible d'y répondre en se connectant au site internet du Sénat dans le volet « consultation citoyenne ».

Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions et pour un propos introductif d'environ cinq minutes chacun, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet et les réseaux sociaux du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.

Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.

Madame et messieurs, je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».

Gilles Frémont, Olivier Safar, Danielle Dubrac, Loïc Cantin, Pierre Hautus et Alain Duffoux, Alain Papadopoulos lèvent la main droite et disent « Je le jure » chacun à leur tour.

Mme Danielle Dubrac, présidente de l'Union des syndicats de l'immobilier (UNIS). - Nous vous remercions pour cette invitation et, face à un constat négatif sur la paupérisation des copropriétés, nous allons tenter d'élaborer une vision positive et optimiste. L'Agence nationale de l'habitat (Anah) estime que 115 000 des 750 000 copropriétés en France seraient en difficulté. Dans ces copropriétés, les propriétaires n'ont ni les moyens d'effectuer les travaux nécessaires ni les moyens de partir, et demeurent propriétaires d'un logement dégradé, ce qui entraîne de graves conséquences sanitaires et sociales. L'étude d'impact sur le projet de loi relatif à l'habitat dégradé, auquel nous avons participé, indique que 15 % des copropriétés sont considérées comme fragiles. Il convient d'ajouter que les situations les plus graves, concentrées en Île-de-France et en région PACA, sont désormais étendues sur le territoire, puisque dix-sept sites ont été répertoriés sur l'hexagone.

Le parc locatif privé est considéré comme un parc social de fait. En effet, il arrive que des locataires, qui ne parviennent pas à trouver un logement dans le secteur libre ou dans le secteur social, deviennent copropriétaires. 70 % des locataires privés sont éligibles au parc social. La paupérisation représente donc un phénomène plus global que celui des copropriétés. Les impayés, notamment les impayés locatifs et les impayés de charges de copropriété, atteignent une ampleur dramatique dès lors qu'il n'existe pas de principe de solidarité entre copropriétaires pour le paiement des charges, et ce principe ne saurait être mis en oeuvre.

Par ailleurs, la soumission de la prise de décision au vote majoritaire accélère parfois la paupérisation de certaines copropriétés et de certains copropriétaires, puisque certaines décisions et certaines dépenses, faute d'être votées, ne sont pas décidées au bon moment. Cela peut concerner la conservation, la maintenance ou les travaux à mener impérativement. La baisse des recettes locatives en raison, d'une part des blocages, des encadrements et des plafonnements des loyers, d'autre part des hausses de charges dues à la maintenance des équipements, à l'inflation, au prix de l'énergie et à la taxe foncière, impacte négativement l'entretien du parc immobilier. Sur le plan financier et fiscal, nous déplorons la fin des crédits d'impôt et leur remplacement par MaPrimeRénov'. Il convient de s'interroger sur un amortissement des travaux et des charges de copropriété, ainsi que sur un allègement de TVA.

Enfin, les mécanismes légaux de recouvrement des charges de copropriété trouvent leur limite dans les copropriétés dégradées. Le « super-privilège » du syndicat est efficace, à condition que le lot puisse être vendu. Or, dans ces copropriétés, la vente n'est pas toujours possible. Il en va de même pour la procédure accélérée prévue par l'article 19-2 de la loi du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis. Si le copropriétaire n'est pas solvable, le mécanisme est vain.

En dépit de ces constats, nous souhaitons porter une vision positive des copropriétés, à condition de placer le syndic en amont sur la pré-alerte, en situation de coaction, c'est-à-dire qu'il soit associé aux actions de la collectivité dans son ensemble. Je pense ici aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), aux communes ou aux intercommunalités. Il convient également de placer les syndics en situation de coopération, afin que les petites copropriétés, qui sont souvent non gérées, ou gérées par des copropriétaires bénévoles, puissent être encadrées par des compétences professionnelles.

Nous sommes donc volontaires pour mettre en place un partenariat avec les collectivités locales, et dessiner un cercle de confiance incluant les syndics, les collectivités locales et les services préfectoraux. Les syndics, par les portefeuilles qu'ils gèrent, sont des gestionnaires de collectivités. Nous gérons des communautés et, au-delà du prérequis, nous gérons des personnes. Trop souvent, nous constatons que les syndics sont les derniers informés par les collectivités. Nous proposons qu'ils soient intégrés dans les réflexions et les planifications très en amont. Par exemple, dans la perspective de la construction d'un immeuble, pourquoi ne pas consulter des professionnels de l'immobilier pour réfléchir à la maintenance et à la gestion futures, ou à la constitution du règlement de copropriété ? Les mairies communiquent avec les opérateurs et avec les copropriétaires, mais très insuffisamment avec les gestionnaires que sont les syndics, ou avec les professionnels représentatifs des syndics.

Pour revendiquer ce rôle en amont, nous nous fondons sur le fait que les syndics sont les courroies de transmission des politiques publiques, ce qui n'est pas toujours aisé. Je citerai à titre d'exemples la sobriété énergétique, la rénovation, le bouclier tarifaire, le confinement, ou encore la sécurité. Sur tous ces sujets, les syndics sont présents. Ils contribuent également au recensement des données par l'État, en alimentant le registre national d'immatriculation des copropriétés (RNIC) avec l'Anah, ainsi qu'à l'Observatoire des impayés installé par le gouvernement, auquel ils livrent régulièrement des informations. Ils sont par ailleurs sollicités dans l'usage des lots et des immeubles, au regard notamment de la réglementation touristique des locations de type Airbnb. Enfin, les syndics seront amenés à gérer, et nous nous en réjouissons, les emprunts collectifs votés récemment à la faveur du projet de loi relatif à l'habitat dégradé.

L'UNIS propose un Programme opérationnel de prévention et d'accompagnement des copropriétés (Popac) amélioré, en intégrant rapidement les syndics locaux en cas de difficulté. Lorsque les prémices d'un problème deviennent sensibles, pourquoi ne pas être inclus dans cette organisation ? Nous demandons que les aides prévues soient versées en amont des opérations, et non après comme c'est le cas aujourd'hui. À ce titre, il conviendrait d'ailleurs de maîtriser le dispositif d'aides à un niveau très local, préférable aux délégations. Nous proposons également de créer des cellules « Maison de l'habitat » avec les communes. Des cellules existent, qui permettent aux futurs copropriétaires d'être renseignés sur les aides. Pourquoi ne pas intégrer les syndics à ces structures, et les associer ainsi à la gestion courante de la ville ou de l'EPCI ?

Enfin, nous proposons la mise en place d'administrateurs de biens privés dans un intérêt public, en écho à la notion de syndic d'intérêt collectif inscrite dans le cas du projet de loi. Sur ce sujet, l'expérience de QualiSR peut s'avérer très précieuse. Tenons des conférences locales avec les collectivités, les préfets et les syndics, c'est-à-dire avec tous ceux qui interviennent dans l'acte de gérer, de rénover, de produire et bien sûr de redresser des logements. Nous avons la chance de disposer de registres, desquels il est possible d'extraire des données locales. La mise en place d'un « référent copro » dans les EPCI ou les communes est un dispositif peu onéreux permettant de disposer d'un interlocuteur direct, qui pourrait interpeller ou être interpellé et qui, en cas de crise, serait en mesure de constituer une cellule de crise. Nous sommes très favorables à la prévention. Notre rôle consiste à mieux entendre, mieux s'entendre et mieux faire comprendre la réglementation, afin que les décisions soient prises au bon moment.

M. Gilles Frémont, président de l'association nationale des gestionnaires de copropriétés (ANCG). - Je commencerai par établir quelques constats sur la paupérisation des copropriétés. Premier constat, le patrimoine immobilier est vieillissant. Deux tiers des copropriétés en France sont antérieures à 1970, et parmi elles la moitié sont antérieures à 1914. Les bailleurs sociaux ont engagé depuis quinze ans un lourd processus de rénovation globale, avec des moyens financiers importants et en étant seuls décisionnaires.

Deuxième constat, le renchérissement des travaux et des charges de copropriété est dû à plusieurs éléments, tels que l'augmentation du coût des matières premières et du coût de la main-d'oeuvre, ou l'augmentation de la TVA qui, il y a 20 ans, était fixée à 5,5 % pour les travaux, et qui est passée à 10 %.

Troisième constat, la prévoyance et l'épargne sont insuffisantes dans les copropriétés. Le fonds travaux aujourd'hui représente 5 % du montant du budget prévisionnel, et en assemblée générale on vote rarement au-delà de ce seuil minimum. L'épargne collective n'est pas suffisamment ancrée dans la culture de la copropriété en France.

Autre constat, les montages juridiques pèchent souvent par leur complexité excessive, avec différentes strates d'Associations syndicales libres (ASL), d'Associations foncières urbaines libres (Aful) et de syndicats secondaires. Cette complexité juridique est également sensible dans le montage de certains règlements de copropriété, avec des clés de charges démultipliées. La sophistication concerne la responsabilité des promoteurs, des géomètres, mais aussi des clients acheteurs, qui souhaitent individualiser au maximum les charges dans une copropriété, ce qui entraîne des complications juridiques et de fonctionnement et, à terme, des contestations de charges et des impayés.

De nombreux petits immeubles fonctionnent sans syndic, ou avec des syndics bénévoles. Je ne critique pas les syndics bénévoles, mais le bénévolat suppose une absence de qualification. Les tâches administratives pesant sur les syndics professionnels sont de plus en plus lourdes. La complexité des missions et du droit en général est devenue si importante que le coût d'un syndic professionnel a augmenté, et que les petites copropriétés ne sont plus en mesure de s'offrir ses services.

La paupérisation des propriétaires, de manière générale, impacte le pouvoir d'achat immobilier et les ressources des bailleurs particuliers. Le plafonnement et le gel des loyers, les impayés et les travaux de rénovation énergétique imposés accumulent les coûts. Ainsi, on évalue la quote-part à une fourchette comprise entre 15 000 et 25 000 euros.

J'esquisserai à présent quelques pistes et solutions. Le recouvrement des charges est le nerf de la guerre, et faciliter ce recouvrement par le syndic me semble essentiel. Pour cela, notre première proposition consiste à déroger à l'obligation de conciliation pour le recouvrement des créances inférieures à 5 000 euros, qui fait perdre du temps, augmente le coût du recouvrement, et s'avère inutile en copropriété dans la mesure où il n'y a rien à concilier, sinon un étalement de la dette qui peut être demandé au juge. Il suffirait, pour faciliter le recouvrement, de considérer que la procédure accélérée au fond entre dans les critères de dérogation. Pour faciliter le recouvrement de charges, on pourrait également autoriser le syndic à procéder à un appel de fonds exceptionnel et urgent afin de financer une procédure en cours d'année, qui n'a pas été budgétisée puisqu'elle est par définition imprévisible. Cela permettrait de financer un avocat et de lancer une procédure sans devoir attendre une assemblée générale qui interviendra peut-être trop tard.

Deuxième proposition, il convient de mieux détecter les copropriétés en voie de fragilisation, c'est-à-dire les détecter très en amont. La procédure d'alerte du mandataire ad hoc me semble quelque peu simpliste. La loi sur les copropriétés dégradées l'a révisée, et nous avions formulé des propositions pour enrichir les critères. Ceux-ci en effet se limitent au taux d'impayés, qui n'est peut-être pas suffisamment significatif. Il conviendrait de mettre en place de vrais indicateurs économiques, avec des ratios sur la trésorerie, sur les dettes, les créances, l'épargne, autrement dit une analyse dynamique de l'annexe 1 des comptes présentés. Le syndic serait en mesure de produire cette analyse, avec un système de drapeaux hiérarchisant les degrés d'alerte.

Notre troisième proposition consiste à simplifier les montages juridiques et surtout le droit de la copropriété en général. Il est nécessaire de relancer la codification du droit de la copropriété, qui a été abandonnée par la Chancellerie. À l'époque de la loi Élan, la Chancellerie avait pourtant reçu, par une ordonnance du Parlement, une habilitation à procéder à cette codification. Elle a eu deux ans pour s'exécuter, mais n'a pas tenu cet engagement. Or cette simplification permettrait de rendre plus lisible le droit pour les gestionnaires et pour les copropriétaires. Il suffirait de voter une nouvelle habilitation pour la rendre possible.

Notre quatrième proposition consiste à favoriser une prise en compte sérieuse par les banques des provisions de charges des copropriétaires lorsqu'elles leur accordent un prêt. Les banques devraient systématiquement demander que leur soit communiqué le plan pluriannuel de travaux (PPT). En effet, intégrer les charges de copropriété, notamment les charges travaux, dans un projet de financement immobilier est primordial, et les banques devraient avoir le réflexe, sinon l'obligation, de le faire.

Enfin, dernière proposition concernant l'épargne et la prévoyance, il convient de remonter le taux d'épargne de 5 % à 10 %, voire à 15 %, ce taux pouvant varier en fonction des copropriétés, dont certaines nécessitent un taux d'épargne plus élevé que d'autres.

M. Loïc Cantin, président de la Fédération nationale de l'immobilier (FNAIM). - La paupérisation des copropriétés immobilières et la paupérisation des copropriétaires ne vont pas l'un sans l'autre. Ce sont les copropriétaires appauvris qui font les copropriétés en voie de paupérisation.

Je dois dire que j'ai été très surpris par votre convocation, puisque le thème de la paupérisation des copropriétés avait été largement abordé lors de la préparation de la loi sur l'habitat dégradé. L'Assemblée nationale et le Sénat ont déjà eu l'occasion de s'emparer de ce thème et d'y apporter un véritable traitement.

Vous avez évoqué, Madame la présidente, la loi qui a été adoptée après une commission mixte paritaire. On peut se demander si nous ne sommes pas passés à côté de quelque chose. En effet, le manque de définition de ce qu'est une copropriété paupérisée persiste et m'inquiète. Le recensement de l'Anah fait apparaître plusieurs dénominations : les copropriétés fragilisées, les copropriétés en difficulté, les copropriétés dégradées, et maintenant les copropriétés paupérisées. Nous attendons une définition précise, et une hiérarchisation de ces états. Quand nous les avons demandés au cours de la préparation de cette audition, on nous a renvoyés au critère du taux d'impayés inscrit dans la loi Élan. Toutes les organisations professionnelles se sont élevées contre ce critère, en rappelant que le taux d'impayés ne reflète pas fidèlement la situation d'une copropriété, puisqu'il s'agit d'un instantané très volatil. Nous avons formulé des propositions pour faire de la persistance de la dette un critère d'évaluation de la difficulté d'une copropriété.

L'évaluation de la situation des copropriétés est également basée sur le registre de la copropriété tenu par l'Anah, auquel l'ensemble des professionnels souscrivent et transmettent leurs comptes. Il est possible d'asseoir le critère du taux d'impayés à la date d'arrêté des comptes. Mais, en réalité, on se rend compte que 800 000 copropriétés existaient ou étaient recensées, avant l'application de la loi. Or on en recense aujourd'hui 580 000. Où sont les autres ? Ce sont peut-être elles qui sont en voie de paupérisation. Dès lors, j'estime qu'il convient d'exercer un droit d'inventaire, qui n'est pas assuré actuellement.

Nous, professionnels, assumons notre rôle et l'application de la loi. D'autres, qui sont souvent des syndics bénévoles ou des copropriétés mal administrées, s'en dispensent. Dès lors, il convient de se montrer plus exigeant sur le renseignement qui doit être transmis de façon exhaustive et par toute personne qui prétend à la qualité de syndic, qu'il soit professionnel ou bénévole.

La paupérisation est constatée surtout dans les ensembles mal entretenus. À quoi ce mauvais entretien du patrimoine immobilier est-il dû ? On entend souvent que les petites copropriétés ne trouvent pas de syndic. C'est exact. Elles ne peuvent s'offrir les services d'un syndic professionnel, parce qu'elles sont trop petites ou parce qu'elles sont restées sans syndic de copropriété à l'époque où cela n'était pas imposé par la loi. Dès lors, on demande aux syndics professionnels d'administrer des ensembles en état de délabrement.

Je crois que les collectivités locales ont un devoir d'inventaire. Or ce devoir d'inventaire ne repose plus sur un texte réglementaire. Par le passé, des stratégies volontaires de rénovation d'îlots de quartiers entiers pour lutter contre l'habitat insalubre étaient mises en oeuvre. Il me semble important, comme l'a souligné Madame Dubrac, de créer des partenariats entre les professionnels et les collectivités afin de procéder à cet inventaire. Par ailleurs, si des syndics ne font pas leur travail, il faut les mettre en demeure de le faire, en engageant leur responsabilité.

Il existe certainement des solutions, mais elles sont difficiles à identifier lorsque la mesure de la paupérisation et le devoir d'inventaire font défaut. Il me semble important de procéder à un recensement précis. Nous rencontrons des difficultés avec des copropriétaires au niveau du paiement des charges, ce qui est normal eu égard à la crise de pouvoir d'achat, et à l'inflation de l'ensemble des charges et des postes de charge. En outre, les propriétaires s'inquiètent des nouvelles obligations des copropriétés en matière de rénovation énergétique, que tous ne pourront pas supporter.

M. Alain Duffoux, président du Syndicat national des professionnels immobiliers (SNPI). - Je vous remercie de nous entendre, tout en partageant l'étonnement de Loïc Cantin quant au sujet qui nous réunit ici.

Aujourd'hui, 540 000 copropriétés rassemblent neuf millions de logements. Parmi elles, 20 % sont des petites copropriétés de dix logements, 39 % comprennent de dix à cinquante logements et 41 % comprennent plus de cinquante logements. Il est par conséquent difficile de dresser un bilan général sur des immeubles très différents, situés dans des secteurs géographiques très divers. Une étude serait nécessaire pour préciser le panorama.

Parmi les causes les plus fréquentes de la paupérisation des copropriétés, on peut citer la vétusté des bâtiments, les difficultés de gestion, l'absence de syndic professionnel, les impayés des copropriétaires, les situations conflictuelles entre propriétaires, voire leur désintérêt, ou encore l'augmentation significative des charges de copropriété liée à la flambée des prix de l'énergie. Les travaux réalisés dans les copropriétés sont suivis par les syndics professionnels, ce qui est une chance. Il importe en effet qu'un professionnel soit la cheville ouvrière de l'action des copropriétés sur les travaux, sur la gestion et l'appréhension des besoins de l'immeuble. Le syndic professionnel, qui est formé et régulièrement à jour sur toutes les obligations, opère le lien entre les pouvoirs publics et les copropriétaires afin de transmettre l'information sur les nouvelles réformes. Il est un acteur majeur de la vie de la copropriété. 90 % des charges réglées par les copropriétaires sont des charges de fonctionnement de la copropriété. Si le syndic professionnel représente un coût, il ne représente pas une charge supplémentaire puisqu'il permet de réaliser nombre d'économies.

La flambée des prix de l'énergie impacte lourdement les copropriétés, puisque les charges de copropriété ont augmenté de plus de 30 % en raison de cette hausse des prix. S'y ajoutent le coût des travaux, de l'entretien et la perspective de la rénovation énergétique. En effet, l'exclusion des passoires thermiques du marché de la location et l'obligation de réalisation des travaux d'amélioration de la performance énergétique représentent un coût moyen compris entre 30 et 50 000 euros par logement. Dès lors, la combinaison de ces facteurs risque de faire exploser le nombre de copropriétés fragilisées ou en difficulté dans les mois à venir.

Comme l'a souligné Madame Dubrac, le syndic professionnel doit être alerté au plus tôt par les pouvoirs publics, si ceux-ci détectent une situation dégradée. Réciproquement, le rôle du syndic de copropriété est aussi d'alerter les pouvoirs publics et les associations locales le plus tôt possible en cas de difficulté. Le syndic professionnel est là pour porter les besoins des copropriétaires, et répondre à des difficultés tant passagères que récurrentes. Certains propriétaires qui s'engagent à acheter des biens immobiliers n'évaluent pas toujours les charges auxquelles ils devront faire face dans les années qui suivent leur acquisition.

M. Pierre Hautus, délégué général de Plurience. - La paupérisation des copropriétés est un vaste sujet qui mérite en effet une meilleure définition et l'association Plurience souscrit pleinement aux propos qui viennent d'être tenus.

J'aimerais souligner que la bonne santé des copropriétés, au-delà de la simplification et de l'implication des copropriétaires dans cette micro-démocratie, repose avant tout sur la capacité de financement et les dispositifs permettant de financer l'entretien et les travaux au-delà de l'acquisition.

Si l'on met de côté le parc social, il existe deux types de copropriétaires, le propriétaire bailleur et le propriétaire occupant. L'accession à la propriété stagne depuis une dizaine d'années en France, et les copropriétaires occupants ont de moins en moins de marge de manoeuvre pour financer les travaux et les obligations auxquelles ils sont tenus de faire face. De leur côté, les copropriétaires bailleurs, à qui l'on prête parfois une moindre implication dans la vie de la copropriété, puisqu'ils n'y habitent pas, se trouvent dans une situation où la désirabilité de leur investissement a considérablement diminué. On dit toujours que le soutien public à l'investissement locatif est terriblement coûteux, mais on oublie souvent de rappeler qu'il est aussi extrêmement lucratif, puisque selon les chiffres du ministère de l'économie et des finances, il rapporte le double de ce qu'il coûte.

Aujourd'hui, la bonne santé du secteur requiert une injection de sucre rapide et de sucre lent. Le sucre rapide, c'est l'accroissement de l'investissement locatif. Il est nécessaire de multiplier le nombre d'investisseurs en capacité d'apporter des capitaux pour acquérir des biens et les proposer à la location durable, pour des résidences principales. Dans le questionnaire qui nous a été transmis, il est fait référence à la location touristique. Celle-ci répond à une demande en lien avec le développement du tourisme, mais peut-être sommes-nous parvenus au bout de ce sujet. Il me semble plus important de rendre de nouveau désirable l'investissement locatif pour les résidences principales, notamment celles qui se trouvent non loin du lieu de travail des ménages. À cet égard, le ministre du logement a tout à fait raison de vouloir capitaliser sur l'offre et de l'encourager.

Ce sucre rapide, toutefois, ne suffira pas, et il convient d'y ajouter le sucre lent de l'accession à la propriété. Sa stagnation a certes été contrebalancée par une dynamique d'investissement très forte ces dernières années, à la faveur de taux d'intérêt relativement bas. Or, aujourd'hui, cette contrepartie a disparu. Il convient par conséquent de mettre en place une véritable politique d'encouragement à l'accession à la propriété, au-delà de l'investissement locatif.

Pour les propriétaires occupants comme pour les bailleurs, l'évolution de la fiscalité, en particulier concernant la taxe foncière, est un sujet central. Lorsqu'on investit dans un bien pour l'habiter ou pour le louer, on évalue les charges qui vont s'ajouter au remboursement des échéances d'emprunt. Parmi elles se trouvent les charges de copropriété, les travaux à prévoir, l'entretien de la copropriété, mais aussi cette taxe foncière qui, dans certaines villes, pèse un treizième, un quatorzième voire un quinzième mois dans le budget, et qui n'est pas toujours anticipée.

J'aimerais également, plus tard au cours de nos échanges, revenir sur le prêt collectif et sur la question essentielle des marchands de sommeil, qui nous tient à coeur.

M. Olivier Safar, président de l'Association Quali-SR. - Je vais tenter de cerner le problème de la paupérisation des copropriétés en quatre points : l'analyse de l'origine du phénomène, sa quantification, les moyens actuellement disponibles, et enfin les améliorations que nous pouvons apporter.

Premièrement, le phénomène de la paupérisation s'explique principalement par plusieurs facteurs. L'organisation des immeubles est parfois complexe : les immeubles peuvent être de grande taille ou divisés en volume, on y trouve des sous-syndicats de copropriété, des syndicats secondaires, des ASL, des Aful. Cette multiplication des structures entraîne une augmentation des charges et une absence de transparence, puisque les copropriétaires finissent par ne plus comprendre ce qui est payé ou non, ce qui est fait ou non, et quels sont les montants en question.

Par ailleurs, l'obsolescence et le vieillissement des immeubles constituent pour les petites copropriétés des problèmes qui sont mal et trop tardivement appréhendés. Lors de la préparation de la loi Élan, nous avions demandé d'y inscrire que le rôle du syndicat porte sur la conservation, l'entretien, mais aussi l'amélioration de l'immeuble.

La politique d'encouragement à l'achat d'appartement a poussé certains à s'engager sur des crédits de quinze ans, voire vingt-cinq ans, sans prévoir le coût des charges de copropriété et des travaux à venir. Ils se trouvent alors face à un mur, puisque ce coût s'ajoute soudain au remboursement de crédit, et les place dans la difficulté.

Le syndic tient un rôle de gestionnaire et non de décisionnaire. Les décisions sont prises par l'assemblée générale, guidée par le conseil syndical. Celui-ci contrôle la gestion du syndic, et intervient sur le suivi et l'organisation de la copropriété. Le problème de gouvernance intervient en cas de désaccord entre les copropriétaires, qui conduit parfois au rejet du conseil syndical et du syndic. Certaines copropriétés en difficulté ont vu passer trois ou quatre syndics en six ans, parallèlement à une valse des conseillers syndicaux. Le syndic est donc en situation d'impuissance lorsqu'il indique les mesures à prendre pour améliorer l'immeuble, puisque la décision finale revient à l'assemblée générale. Or ne pas prendre certaines mesures entraîne une augmentation des charges. Réparer continuellement des fuites revient bien plus cher que de procéder à la réfection d'une colonne.

Enfin, le rôle du syndic consiste aussi à récolter l'argent des charges auprès des copropriétaires, ce que ces derniers ne perçoivent pas positivement. Pourtant, le syndic n'a vocation qu'à entretenir, conserver et améliorer l'immeuble, et les dépenses correspondent aux charges de l'immeuble. Mais lorsqu'il réclame l'argent aux copropriétaires, surtout lorsque les charges augmentent, et on l'a constaté avec la flambée des prix de l'énergie, les réactions peuvent être violentes.

Deuxièmement, sur le plan de la quantification, il existe 577 389 syndicats de copropriété d'après les chiffres publiés en février par l'Anah. D'après des chiffres datant du dernier trimestre 2023, des impayés sont constatés dans 166 385 de ces copropriétés, soit 28 % d'entre elles. Ce chiffre est sensiblement en hausse, puisqu'il s'élevait à 151 000 en 2022, et à 143 000 en 2021. Cette hausse ne concerne que le seul indice du taux d'impayés, qui ne représente pas un critère suffisant. En effet, avant de s'engager sur une copropriété, nous nous enquérons non seulement des procédures de recouvrement en cours, mais aussi des procédures autres que de recouvrement, ainsi que de l'historique, afin de savoir si la copropriété a fréquemment changé de syndic et de conseil syndical, et si des travaux proposés aux assemblées générales ont été votés ou non. Nous avons besoin de cette analyse et nous ne pouvons pas nous contenter du taux d'impayés comme indicateur.

Troisièmement, nous connaissons des difficultés de recouvrement de charges. La modification de l'article 19-2 par la loi Élan a systématisé les condamnations. Auparavant, le magistrat avait la possibilité de condamner ; désormais, la loi indique que le magistrat condamne. Mais, dans les faits, les personnes condamnées sont insolvables, ce qui oblige au bout d'un an à engager une procédure de saisie immobilière, qui dure en moyenne deux ans. Dans certaines copropriétés de trois cents ou quatre cents logements en difficulté, on dénombre jusqu'à vingt saisies immobilières, ce qui est considérable. C'est d'autant plus grave que ces logements seront ensuite acquis par des marchands de sommeil, à travers une société qui ne payera pas ses charges et qui attendra sa condamnation, puis la saisie immobilière. Et le cycle recommencera.

Concernant les financements des travaux, les aides sont aujourd'hui versées sous forme de subventions. Lorsqu'on veut engager des travaux de rénovation énergétique, MaPrimeRénov', sur le principe, s'avère une très bonne idée. En revanche, sa mise en oeuvre est un enfer. Plus on avance dans le système de MaPrimeRénov', plus on le complexifie et moins on arrive à le mettre en oeuvre. Entrer les informations sur le site représente déjà une étape difficile, même si nous bénéficions d'un accompagnateur MaPrimeRénov'.

À ces difficultés s'ajoute la question des banques. Aujourd'hui, seules deux banques permettent vraiment de financer des travaux. D'un côté, Domofinance, qui est une filiale d'EDF et de BNP, est disposée à faire crédit aux copropriétaires, c'est-à-dire à mettre en place le crédit collectif individuel, et monte, certes avec beaucoup de difficulté, l'éco-prêt à taux zéro (éco-PTZ). D'un autre côté, la Caisse d'épargne Île-de-France monte, elle aussi, l'éco-PTZ, également au prix de grandes difficultés, et permet de monter le crédit pour le reste à charge et le crédit court terme pour la subvention, sans garantie d'une autre banque.

Quali-SR a créé un référentiel de redressement des copropriétés en difficulté, comprenant plus de 200 points, plus de 200 analyses et 200 critères. Il convient de former nos confrères sur ce référentiel, même si nous comptons à ce jour 80 membres, et 43 syndics qui interviennent sur des copropriétés en difficulté. Un groupe de travail a été constitué avec l'Anah sur les copropriétés fragiles et nous élaborons un manuel à destination des syndics afin de les aider à repérer la fragilisation des copropriétés. Ce repérage nécessite une interopérabilité entre le syndic, les copropriétaires, les collectivités territoriales et l'État, de manière à avancer de concert. Nous pâtissons souvent d'un manque de communication. C'est pourquoi nous demandons la création d'une cellule de concertation et, au besoin, d'une cellule de crise.

Si une copropriété en difficulté est repérée, il est possible d'éviter, en trois ans ou quatre ans, qu'elle passe au stade de copropriété dégradée. Il faut dix ou douze ans pour sortir une copropriété en plan de sauvegarde de l'ornière, et je n'évoque même pas certaines copropriétés à Grigny ou à Clichy-sous-Bois, où trente ou quarante ans seront nécessaires. C'est pourquoi il est capital d'intervenir en amont.

Outre le repérage et la prévention, il convient surtout de faciliter la mise en oeuvre de travaux, plus encore que de réparations, parce qu'il est important de distinguer la dépense d'investissement de la dépense en urgence. Réparer coûte toujours plus cher que de procéder à des travaux organisés sur le moyen ou le long terme, selon le plan pluriannuel de travaux. D'ailleurs, certains banquiers demandent aux acquéreurs le plan pluriannuel de travaux et modifient les conditions du crédit en conséquence. Ainsi, en cas de travaux à venir, l'acquéreur n'obtiendra pas 100 % de crédit et l'apport obligatoire peut monter jusqu'à 35 %.

Le rôle de Quali-SR est de créer un cercle de confiance incluant les collectivités, les opérateurs, les syndics, les mairies et l'État. Si nous voulons réduire la paupérisation, à défaut de la supprimer, il faudra intervenir sur les points que j'ai mentionnés. Nous allons vous soumettre des propositions en ce sens, notamment sur les problèmes de procédure judiciaire de recouvrement. À ce sujet, il convient de noter que, depuis la création du registre d'immatriculation, une quinzaine de procédures de mandat ad hoc ont été lancées, soit une quantité négligeable. Or de nombreuses copropriétés en ont besoin, comme elles ont besoin que leur syndic soit accompagné dans cette démarche de redressement.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Avant de revenir sur quelques points que vous avez soulevés, je voudrais rappeler le cadre de cette commission d'enquête, puisque certains d'entre vous s'interrogent très légitimement sur sa raison d'être au moment où nous terminons à peine l'élaboration d'un projet de loi sur l'accélération et la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé et des grandes opérations d'aménagement. Ce projet de loi fait suite au rapport Hanotin-Lutz sur le renforcement de la lutte contre l'habitat indigne. Ce rapport, remis en octobre 2023, contient des préconisations concrètes et issues du terrain sur l'accompagnement des acteurs locaux dans leurs projets de rénovation.

Certains sujets évoqués aujourd'hui ont, en effet, été abordés dans le cadre de ce projet de loi. Mais je crois qu'à travers vos questions, vos arguments et les éléments que vous apportez, vous répondez vous-même à la question du pourquoi de cette commission d'enquête. Vous vous accordez à constater que la paupérisation des copropriétés représente un véritable phénomène qui, dans un contexte de paupérisation de certains copropriétaires, prend de l'ampleur d'année en année. Vous vous accordez également sur des questions relatives à la quantification, à la définition de certains termes, aux outils à disposition ou encore à l'identification en amont des copropriétés dégradées. Or tous ces éléments ne formaient pas l'objet premier du projet de loi. C'est pourquoi je suis surprise que vous vous interrogiez sur la raison d'être de cette commission. Nous sommes réunis pour aborder un sujet qui doit mobiliser toutes nos forces, parce que cette problématique nous concerne tous. Tel est le sens de notre invitation, et nous sommes en attente de vos propositions. J'abonde dans votre sens sur le manque de définition et de quantification des copropriétés dégradées, et c'est la raison pour laquelle cette commission d'enquête a toute sa place dans le cadre du projet de loi actuellement en discussion. Il ne s'agit pas d'être redondant, mais d'approfondir le sujet.

J'aimerais vous interpeller sur deux points. Premièrement, nous manquons d'informations sur les petites copropriétés. Au cours de nos auditions a été formulée la préconisation d'aller vers un syndic dans toutes les copropriétés, quelles qu'elles soient. Faut-il ajouter des outils supplémentaires afin de permettre une meilleure prise en charge de ces petites copropriétés ? Deuxièmement, j'aimerais connaître vos recommandations à propos de l'impact des obligations de rénovation thermique sur les copropriétés dégradées, et à propos de l'accompagnement de ces obligations.

M. Loïc Cantin. - Un inventaire exhaustif des copropriétés et de leurs difficultés permettrait de dégager des pistes de travail importantes, de même qu'un effort de définition sur l'état de ces copropriétés. Contrairement à d'autres pays, les syndics de copropriété, en France, sont souvent mis devant le fait accompli. Contrairement à l'immobilier d'entreprise, qui se place toujours dans une stratégie préventive et dans la perspective de l'entretien du patrimoine, la stratégie prévalant dans l'immobilier d'habitation est totalement curative, et d'urgence.

Les petites copropriétés sont principalement situées dans les centres-villes, souvent dans du bâti ancien, voire vétuste, qui n'a pas été entretenu. Ce sont ces immeubles qui concentrent le plus de Diagnostics de performance énergétique (DPE) F et G, et le plus d'indécence programmée et à venir. J'ignore comment ces petites copropriétés vont réagir aux obligations de travaux de rénovation thermique. La plupart de ces copropriétés sont déjà confrontées à des travaux de zinguerie, de toiture, de restauration de souches de cheminées. Dès lors, comment engager des travaux de rénovation énergétique dans ce type de patrimoine, qui ne parvient déjà pas à procéder aux travaux essentiels sur la toiture et les éléments de zinguerie ? Il semble impossible à de nombreuses copropriétés de respecter le calendrier de la rénovation énergétique. Nous allons vers de grandes difficultés sur ce patrimoine, puisque l'indécence va rattraper tous les logements, toutes les résidences principales. Cela pose la question des moyens à mettre en oeuvre pour le soutenir.

À une époque, l'Anah fonctionnait grâce à la taxe additionnelle sur le droit de bail, qui permettait d'entreprendre des travaux de rénovation importants, et qui ont permis de rénover des centres-villes. Aujourd'hui, il n'existe plus d'aides pour ce type de rénovation. Le délabrement du patrimoine favorise l'émergence de copropriétés délabrées, mal entretenues, que nous gérons de moins en moins parce que les copropriétaires refusent de payer pour la mission qui est la nôtre, et refusent d'engager les travaux nécessaires.

La paupérisation des copropriétés est due à la difficulté que rencontrent beaucoup de copropriétaires pour faire face aux échéances. Elle peut être moins forte dans les immeubles plus récents, qui réclament moins de travaux d'ampleur. Mais ces immeubles, eux aussi, finiront par être confrontés à la nécessité d'entreprendre des travaux. C'est la raison pour laquelle le fonds de travaux devrait être augmenté afin de prévenir et de faire en sorte que les copropriétaires, dans leur plan de financement, intègrent une dotation de financement suffisante pour les travaux à venir.

M. Olivier Safar. - Je vous remercie, madame la présidente, de faire preuve de compréhension à l'égard du rôle du syndic et de sa place aux côtés des opérateurs. Il convient de rappeler que le syndic a pour mission de gérer l'immeuble, de l'administrer, de pourvoir à sa conservation et à son amélioration. Quand la communauté des copropriétaires commence à se fragiliser, le travail du syndic augmente selon un rapport d'un à cinq par comparaison à une copropriété sans problème. Et lorsque la copropriété est en difficulté, on passe d'un à cinquante.

Peu de petites copropriétés sont gérées par des syndics, parce que les propositions d'honoraires des syndics, qui sont à la mesure du temps et du travail que représente cette copropriété, ne seront pas acceptées. Par ailleurs, l'accord passé dans le cadre de Quali-SR avec l'Anah, l'UNIS et la FNAIM comportait une aide à la gestion pour les syndics intervenant sur des copropriétés en difficulté ou en plan de sauvegarde. Cette aide existe, mais ne concerne que certains actes complémentaires, et non une augmentation des actes. Or, lorsque dans une copropriété, on passe de deux procédures de recouvrement dans l'année, à vingt-cinq, le travail et le suivi sont tout autres. Il en va de même pour les réparations et l'entretien.

Je citerai en exemple la plus grande copropriété à Paris, qui comprend 1 067 logements. Nous avons lancé, il y a deux ans, des travaux de réfection, de rénovation énergétique, de ravalement et de canalisations représentant un coût de 10 millions d'euros. Nous avons engagé ces travaux parce que nous étions arrivés à 180 déclarations de sinistres dans l'année, ce qui entraînait une augmentation de la prime d'assurance. Dans une telle copropriété, il est possible de faire en sorte que chaque copropriétaire prenne la mesure des travaux qu'il convient de réaliser. En revanche, les petites copropriétés ne sont pas sensibles à cet argumentaire. Il est impossible de faire entendre à dix copropriétaires que le syndic réclame de 6 à 10 000 euros d'honoraires pour assurer le suivi de la copropriété, ce qui paraît compréhensible.

C'est la raison pour laquelle les aides à la gestion de l'Anah ne sont pas toujours bien adaptées. En outre, elles sont versées toujours après coup, et il faut compter entre six et neuf mois pour les percevoir. Ce délai moyen ne concerne que Paris, car dans certaines régions, en Occitanie par exemple, des aides à la gestion préalablement validées ne sont toujours pas versées après trois ans.

S'occuper correctement d'une copropriété réclame du temps. Nous ne gérons pas seulement des copropriétés sans histoires, avec une réunion de conseil syndical par an. Dans des copropriétés de taille pourtant moyenne, nous sommes présents dans certains immeubles toutes les semaines, et certains conseils syndicaux se tiennent toutes les trois semaines, voire tous les quinze jours.

Un plan de sauvegarde d'une copropriété s'étend, en moyenne, sur dix ans. Par exemple, nous comptons sortir du plan de sauvegarde mis en place à Aulnay dans deux ans. Nous allons présenter le projet de travaux avec un budget compris entre 6 et 8 millions d'euros. Malgré les aides et les subventions, le reste à charge sera très important pour certains copropriétaires. Nous les accompagnons, avec la mairie, l'Anah, l'opérateur et le préfet. Sans ces intervenants, nous n'y arriverions pas. Une assemblée générale est prévue en octobre, et je ne suis pas certain d'être en mesure de faire voter ce plan de travaux à cette date. Peut-être faudra-t-il deux ou trois assemblées pour y parvenir.

M. Gilles Frémont. - Je vous remercie à mon tour, Madame la présidente, pour la bienveillance dont vous faites preuve à l'égard des syndics. Nous sommes soucieux de valoriser le travail des syndics, qui est parfois dénigré. Dans les discussions sur la loi relative à l'habitat dégradé, nous avons ressenti avec amertume que les syndics étaient pointés du doigt, comme s'ils étaient responsables des difficultés rencontrées par les copropriétés. En effet, on leur impute les honoraires de l'administrateur provisoire s'ils n'ont pas déclenché la procédure de mandataire ad hoc, dont on sait qu'elle n'est pas un bon outil, ce qui est assez humiliant.

Nous avons des responsabilités importantes, et nous devons disposer des moyens et du pouvoir nécessaires pour les exercer. C'est la raison pour laquelle j'ai proposé de donner la possibilité au syndic de lancer un appel de fonds sans approbation de l'assemblée générale et sans consultation du conseil syndical. Nous aimerions parfois disposer des mêmes pouvoirs qu'un administrateur judiciaire. Or nous sommes constamment soumis à la prise de décision de l'assemblée générale et, de plus en plus, au contrôle du conseil syndical.

J'aimerais que les pouvoirs publics fassent enfin confiance aux syndics, aux gestionnaires, et qu'ils les débarrassent de certaines dispositions légales comme ces pénalités de retard infligées parce qu'ils n'auraient pas envoyé un document à temps au conseil syndical, ou la mise en concurrence obligatoire des syndics, qui est une aberration. J'ai conscience que des associations, notamment des associations de consommateurs, tiennent le discours inverse. Mais c'est bien nous, et non les consommateurs, qui gérons les immeubles. Baisser la garde vis-à-vis des syndics permettra d'ailleurs d'attirer davantage de jeunes vers cette profession, alors que nous souffrons d'une pénurie de gestionnaires et de comptables de copropriété.

La loi nuit à l'attractivité de nos métiers, même si nous portons aussi une part de responsabilité, et que nous devons fournir un effort de communication. Nous manquons de syndics pour les petites copropriétés. Plus aucun syndic ne se tourne vers elles, parce qu'elles ne sont pas en mesure de régler les honoraires. D'ailleurs, la loi pourrait décharger le syndic d'une partie de ces missions lorsqu'il accepte de gérer une micro-copropriété, et permettre la mise en place d'une forme de cogestion avec un président de conseil syndical et un syndic qui serait toujours responsable, mais porterait des missions restreintes et purement comptables.

Il convient également de réfléchir à la modification du contrat type issu du décret de 2015 et figé depuis près de dix ans. La loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi ALUR, prévoit pourtant une concertation bisannuelle obligatoire à l'initiative du ministère du logement, en y associant le Conseil national de la transaction et de la gestion immobilières (CNTGI). Cette concertation n'a jamais eu lieu. Ce contrat type sclérosé empêche de proposer une forme de « cogestion », et je mets volontairement le terme entre guillemets parce qu'il n'existe pas à ce jour dans la loi, c'est-à-dire appuyer une micro-copropriété qui voudrait se prendre en main tout en étant accompagnée par un syndic professionnel.

Mme Danielle Dubrac. - Une petite copropriété dispose, naturellement, d'un petit budget. Recourir à un syndic professionnel entraînerait une augmentation de 30 à 50 % de ce budget. Les syndics eux-mêmes ne sont pas intéressés par ce type de gestion et les syndics bénévoles ont trouvé là leur raison d'être. Mais dès lors que survient une situation d'impayé, la copropriété peut vite basculer dans une situation dégradée.

Les procédures ont été simplifiées afin d'aider les syndics bénévoles et des exonérations ont été mises en place. L'idée est bonne du point de vue de la gestion courante de la copropriété, mais lorsque sont abordées des questions de conservation, de planification de travaux, de DPE, de PPT, qui sont nécessaires même dans de petites copropriétés, alors le bât blesse. Effectuer des travaux de rénovation suppose de chercher des financements, éventuellement de faire procéder à un DPE du bâtiment, de présenter un PPT, de contacter des entreprises. Cela représente un travail important, d'ailleurs certaines collectivités locales qui préconisent un accompagnement durant cette phase par un syndic professionnel ne s'y trompent pas.

La mission d'un syndic de copropriété ne peut être externalisée. Un syndic est un ensemblier, il n'est pas seulement un fournisseur, son rôle n'est pas qu'opérationnel. Il informe également les copropriétaires. Ainsi, nos syndicats sensibilisent sur la nécessité de procéder à des DPE individuels pour les copropriétaires occupants et pour les copropriétaires bailleurs, quand bien même ils ne souhaitent pas vendre ou louer dans l'immédiat, de façon à prendre conscience de la situation de leur logement.

Ne craignons pas d'affirmer que nos contrats de syndics ne sont pas suffisamment rémunérés. Ainsi, le syndic est tenu de jouer un rôle d'interface avec les collectivités locales et les services préfectoraux. Or ce service n'est pas rémunéré. Par conséquent, lorsqu'il doit se trouve à gérer des difficultés, il arrive qu'il ne réponde pas à la collectivité ou à la préfecture. Rémunérer ce rôle d'interface, qui est pourtant fondamental et permet de mieux articuler les politiques publiques mises en place par l'État et les collectivités publiques, obligerait les syndics à répondre à toutes les sollicitations. Le cercle de confiance que j'ai évoqué dans mon propos introductif est très important. C'est pourquoi nous insistons sur la nécessité d'obtenir un espace de concertation.

À la question de l'obligation des travaux de rénovation énergétique, notre syndicat a répondu par la négative. Nous prônons, plutôt qu'une obligation, une incitation. Il convient de faire mieux connaître les dispositifs d'aides, et d'exiger des DPE individuels et collectifs, mais nous manquons de solutions de financement. MaPrimeRénov' est un bon dispositif, mais il est absolument impératif de simplifier les aides, tant individuelles que collectives. Le parcours MonAccompagnateurRénov', en copropriété, est souvent la dernière roue du carrosse. Le raisonnement s'opère le plus souvent au niveau du logement individuel, et insuffisamment sur le plan des parties communes. Nous sommes favorables à la rénovation énergétique, pour des raisons économiques et écologiques, mais il faut reconnaître qu'elle est trop compliquée. En outre, le reste à charge est trop important. Pour ces raisons, nous n'avons pas souhaité d'obligation de travaux, mais nous incitons nos copropriétaires à entreprendre ces travaux, en vertu de notre rôle d'interface et de conseil.

M. Alain Duffoux. - Il convient de poser quelques questions de bon sens et de fournir un effort de quantification avant de chercher des remèdes. Aujourd'hui, environ 180 000 copropriétés sont en difficulté. Il serait utile de réaliser une projection sur un an du nombre de copropriétés qui vont basculer dans la difficulté en raison de l'augmentation du coût de l'énergie et en raison du coût de la rénovation énergétique.

Comme nous l'avons indiqué, la paupérisation des copropriétés est d'abord celle des copropriétaires. Si on met les copropriétaires devant le fait accompli alors qu'ils ne disposent pas des moyens nécessaires pour supporter cette augmentation des coûts, je pense que nous allons en effet au-devant d'un calendrier intenable, tant pour les parties communes que pour les logements individuels. Dès lors, la réalisation d'un état des lieux et l'élaboration d'une projection des conséquences de l'augmentation du prix de l'énergie et de ce que représente l'obligation des travaux de rénovation énergétique sont des prérequis nécessaires.

Mme Marianne Margaté, rapporteure. - J'aimerais revenir sur la question de la formation, qui a été brièvement abordée. J'ignore depuis combien de temps les formations auxquelles il a été fait référence sont mises en place. S'agit-il de formation continue ? Ou bien les syndics ont-ils ressenti le besoin d'accroître la formation ? Il existe en effet un décalage entre une gestion courante de copropriété et une situation de difficulté croissante.

Madame Dubrac a parlé d'un cercle de confiance avec les collectivités et les pouvoirs publics. Je pense que cette confiance se gagne et s'entretient. Que pouvez-vous nous dire sur l'intérêt de ce travail en commun, et sur les obstacles à surmonter pour y parvenir ? Vous avez mentionné à ce titre l'absence de rémunération du temps passé à collaborer avec les collectivités.

Par ailleurs, peut-on considérer qu'il existe actuellement un phénomène de concentration des syndics ? Le cas échéant, quels sont les avantages et les risques de cette concentration ?

Enfin, le Premier ministre, lors de sa déclaration de politique générale, a annoncé qu'il souhaitait déverrouiller certaines professions, dont, semble-t-il, les syndics. Qu'en pensez-vous ?

M. Olivier Safar. - Les questions sur la formation ont émergé en 2013. Nous avons créé l'association Quali-SR en 2015, parce que nous nous sommes rendu compte qu'il est impossible de gérer une copropriété dégradée ou fragile comme on gère les affaires courantes d'une copropriété sans histoires. Nous avons par conséquent mis en place le référentiel Quali-SR avec des syndics professionnels, mais aussi en concertation avec des opérateurs tels que l'Union sociale pour l'habitat (USH), Soliha, Citémétrie ou Urbanis. Le gouvernement nous a également accompagnés, en nous demandant de nous rapprocher de l'Anah, ce qui a abouti à la signature d'une convention. Nous formons les syndics avec des formations complémentaires à la formation continue, qui est obligatoire. Le nombre important de lois, de décrets et d'arrêtés qui paraissent chaque année impose cette formation permanente.

Je n'ai aucun doute quant à la nécessité d'établir un cercle de confiance. Ce type d'organisation nous a permis de sortir des immeubles de l'ornière, de faire aboutir des plans de redressement avant leur terme, mais aussi de sortir des ASL et des syndicats de copropriété d'un redressement judiciaire. Nous avons donc besoin de ce cercle de confiance, autant que de formation.

M. Gilles Frémont. - Concernant le déverrouillage évoqué par le Premier ministre, il ne serait pas question de revoir la loi Hoguet, mais de favoriser une mise en concurrence entre les syndics, et de faciliter le changement de syndic. Il me semble qu'il s'agit d'un faux problème. En effet, cette mise en concurrence est déjà très forte, et changer de syndic est simplement conditionné à un vote en assemblée générale, puisque le syndic est un mandataire. Le mot « déverrouillage » est selon moi mal venu, surtout dans un contexte de discours de politique générale, car il semble stigmatiser encore une fois les syndics.

En revanche, il me semble que la déclaration du Premier ministre ne visait pas l'accès à la profession, qui est relativement simple. La loi Hoguet stipule que l'obtention d'une carte professionnelle est soumise à quatre conditions : être titulaire d'un BTS professions immobilières ou faire valoir un niveau bac+ 3, disposer d'une caisse de garantie, souscrire une assurance responsabilité civile professionnelle et présenter un casier judiciaire vierge.

J'ai évoqué précédemment la pénurie de jeunes, qui se détournent de ce métier dans les écoles de formation immobilière. Environ 3 ou 4 % des étudiants en formation immobilière s'orientent vers la copropriété d'habitation, qui représente pourtant un tiers des logements des Français. Le besoin de gestionnaires et de comptables de copropriétés est donc gigantesque. Il convient d'améliorer la formation initiale, qui est sans doute un peu lacunaire. Nous travaillons avec l'université Toulouse Capitole, où nous avons créé une licence et un master droit des affaires parcours juriste de copropriété, entièrement dédié au métier de syndic. Il serait souhaitable de dupliquer ce type de cursus dans d'autres universités.

J'ajoute que nous attendons depuis dix ans la parution d'un décret d'application de la loi ALUR concernant la formation initiale et la première attribution de la carte professionnelle de gestionnaire. Rappelons que les gestionnaires tiennent les assemblées générales à la place du syndic, organisent les réunions de chantier ou montent des prêts collectifs. Les fonctions sont les mêmes que celles du syndic, mais ces gestionnaires peuvent disposer d'une carte professionnelle sans avoir validé aucune compétence.

Mme Audrey Linkenheld. - Ayant été co-rapporteure de la loi ALUR à l'Assemblée nationale, je constate avec regret que certaines choses n'ont pas changé. Même après une décennie de débats, nous avons encore besoin d'améliorer la confiance entre nous. Le gouvernement de l'époque et les rapporteurs que nous étions, Daniel Goldberg et moi, n'ont jamais eu pour but de viser une profession en particulier, mais d'améliorer la situation avec le soutien de tous les professionnels du secteur. De même, l'objet de notre commission d'enquête est d'examiner la paupérisation des copropriétés et des copropriétaires, et non d'enquêter sur les pratiques des syndics de copropriété. Nous tentons seulement de cerner ce qui pourrait être ajouté, sur les plans législatif et réglementaire, aux dispositifs légaux déjà en vigueur, afin de lutter contre cette paupérisation.

J'ai bien noté vos remarques sur l'application insuffisante de certaines dispositions légales. Et je constate que les manques concernent les outils utiles aux petites copropriétés. Pourriez-vous formuler quelques indications ou préconisations sur ce sujet ?

Les syndics professionnels ne souhaitent pas prendre en charge de petites copropriétés, pour des raisons de rentabilité évidentes. Les syndics bénévoles, quant à eux, sont en mesure de gérer des copropriétés sans problèmes, mais ne suffisent plus en cas de difficulté. De votre point de vue, comment résoudre cette équation complexe ?

Je souligne encore une fois que l'objectif n'est pas d'identifier, chez les copropriétaires, les collectivités ou les syndics, les responsables de situations dégradées, mais de tenter de trouver des solutions au phénomène, réel, de la paupérisation des copropriétés.

M. Alain Papadopoulos, secrétaire général de Quali-SR. - Le modèle économique des syndics est particulièrement contraint dans les petites copropriétés. Lorsqu'une copropriété se trouve en cours de dégradation, quelle que soit sa taille, la charge de travail devient sans commune mesure avec celle que peuvent supporter les copropriétaires ou les syndics bénévoles dans le cas des petites copropriétés. Dès lors, une intervention publique précoce est nécessaire, sans quoi la dégradation risque de s'amplifier et le redressement de la situation sera de plus en plus onéreux. Cette intervention en amont dans le parc des copropriétés en cours de fragilisation suppose d'aider les copropriétés à supporter une charge de syndic bien plus importante, puisque les conditions économiques normales du marché ne sont plus réunies.

Les dispositifs publics d'aides sont mis en place de manière trop tardive, et les aides à la gestion sont distribuées de manière quelque peu aléatoire. Les circulaires précisent que ces aides à la gestion ne sont pas censées couvrir la gestion courante. Or le problème tient justement à la volumétrie de cette gestion courante.

Les syndics doivent être encouragés à aller vers les petites copropriétés en difficulté. La profession est présente sur tous les territoires, et témoigne de sa bonne volonté. Sur les 80 membres de Quali-SR, 50 ou 60 se déclarent volontaires pour gérer des copropriétés en difficulté, malgré les conditions précaires de ce type de situation. Il ne s'agit pas de distribuer les aides sans précautions ni vérification. Le référentiel Quali-SR est la seule norme méthodologique de gestion d'une copropriété fragile ou en difficulté. Elle porte tant sur la prévention de la dégradation que sur le traitement de ces dégradations, ainsi que sur l'insertion du syndic dans les dispositifs publics. Cette certification, qui sanctionne la maîtrise de cette norme méthodologique, est la meilleure garantie pour sécuriser ces aides. Cependant, il est absolument nécessaire que le modèle économique des syndics soit soutenu, sans quoi nous manquerons de syndics à même d'aller vers les petites copropriétés.

Mme Danielle Dubrac. - Un effort d'explication du rôle du syndic est nécessaire à destination des futurs candidats à la copropriété. Et les syndics eux-mêmes doivent s'efforcer de mieux informer les copropriétaires, par exemple sur les votes des assemblées générales. J'insiste également sur l'utilité de mettre en place un référent dans les communes. Il pourrait entretenir un contact direct et de confiance avec le gestionnaire. Je crois beaucoup à ce dispositif, notamment quant à la compréhension de la réglementation par tous les acteurs. Actuellement, bien que les syndics soient tenus d'échanger avec la préfecture et les collectivités, ils ne le font pas toujours.

Enfin, j'aimerais suggérer qu'en matière de rénovation énergétique, le raisonnement soit produit à l'échelle des quartiers, et non à l'échelle de chaque bâtiment.

M. Alain Duffoux. - Pour répondre à la question sur la concentration des syndics, il convient de noter que nous avons tous dans nos organisations des groupes importants. Au SNPI, par exemple, entre 1 600 et 1 700 professionnels exercent une activité de syndic. Cependant, la concentration est moindre aujourd'hui que par le passé. Il me semble que cette question ne porte pas d'enjeu particulier.

M. Loïc Cantin. - De manière générale, les 580 000 immeubles inscrits au registre des copropriétés, ou plutôt les 800 000 selon nos estimations, représentent 12 millions de copropriétaires. Le patrimoine français est relativement bien entretenu. Les syndics, globalement, font bien leur travail. Cette profession est méconnue et mal aimée. Il faut revaloriser notre image de marque, parce qu'il s'agit d'un métier indispensable. C'est un métier difficile, aussi, qui requiert de multiples compétences. Il suppose d'être technicien et comptable, juriste et psychologue, animateur d'assemblées générales de copropriété. Le législateur, les médias et le monde politique se sont souvent désintéressés de notre sphère d'intervention. J'en ai fait l'expérience en animant des salons de la copropriété auxquels j'invitais des députés, des sénateurs, des maires et des journalistes. Aucun ne daignait venir.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Je vous remercie pour vos interventions. En conclusion, j'aimerais souligner deux choses. D'une part, je pense qu'il est toujours utile, pour rebondir sur l'exemple de Monsieur Cantin, de s'interroger sur les raisons pour lesquelles certains ne répondent pas aux invitations, comme il convient de s'interroger sur les raisons pour lesquelles, parfois, on ne répond pas à celles qui nous sont faites. Vous vous interrogez sur votre profession, ce qui me semble relever d'une saine logique, puisque chacun porte une part de responsabilité. D'autre part, nos échanges ont bien montré l'utilité d'un débat sur le sujet de la paupérisation des copropriétés, sujet inépuisable sur lequel nous devons poursuivre le travail.

Enfin, je vous informe que cette commission d'enquête aboutira à la production d'un rapport avant le 31 juillet de cette année. Ce rapport prendra peut-être la forme d'une proposition de loi, mais il est trop tôt pour l'affirmer.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de M. Benoît Ameye, sous-directeur des politiques de l'habitat, Mme Chantal Mattiussi, directrice du Pôle national de lutte
contre l'habitat indigne, MM. Stéphane Flahaut, adjoint au sous-directeur
de la politique de l'habitat et Denis Solina, chef du bureau
de la mobilisation et de l'amélioration du parc privé,
de la Direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP)

(Mercredi 3 avril 2024)

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Nous reprenons aujourd'hui nos auditions en recevant M. Benoît Ameye, sous-directeur des politiques de l'habitat au sein de la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP), ainsi que Mme Chantal Mattiussi, directrice du Pôle national de lutte contre l'habitat indigne (PNLHI), M. Stéphane Flahaut, adjoint au sous-directeur des politiques de l'habitat, et M. Denis Solina, chef du bureau de la mobilisation et de l'amélioration du parc privé.

La DHUP, et plus particulièrement la sous-direction des politiques de l'habitat, est chargée de répondre aux besoins en logement et en hébergement des citoyens, notamment en contribuant à programmer la production de logements et à améliorer la gestion de l'offre de logements existants.

Le Pôle national de lutte contre l'habitat indigne assure quant à lui une mission d'expertise au service des acteurs de terrains intervenant dans la lutte contre l'habitat indigne, notamment à l'aide des pôles départementaux spécialisés.

Madame, messieurs les représentants de la DHUP, notre commission d'enquête entend répondre à plusieurs objectifs.

Nous souhaitons, d'abord, mieux déterminer les critères ou les signaux d'alerte permettant de détecter la paupérisation d'une copropriété.

Nous étudions, ensuite, les causes qui conduisent à la dégradation de ces ensembles afin de mieux les prévenir et de permettre une intervention rapide, à l'aide d'outils adaptés.

Nous nous intéressons, enfin, à la manière dont sont prises en charge les petites copropriétés paupérisées, qui, pour mémoire, représentent les trois quarts des copropriétés fragilisées.

En conséquence, votre audition doit nous permettre de mieux comprendre le rôle de la DHUP dans la définition des outils permettant de repérer, de prévenir et d'intervenir le plus en amont possible contre la dégradation de copropriétés.

Monsieur Ameye, après presque cinq ans au sein de la DHUP, d'abord en tant qu'adjoint au sous-directeur du financement et de l'économie du logement, et désormais comme sous-directeur des politiques de l'habitat, vous êtes particulièrement qualifié pour avoir une vision d'ensemble de cette politique, de la manière dont sont fixés les objectifs et comment elle est pilotée. Il nous serait précieux que vous puissiez nous faire part de votre analyse et des améliorations que vous souhaiteriez voir aboutir.

Je souhaiterais également avoir votre regard sur la manière dont l'action de la DHUP s'articule avec les autres acteurs qui prennent en charge et accompagnent les copropriétés dégradées. Cette gouvernance est-elle selon vous perfectible ?

En outre, est-il selon vous possible et, le cas échéant, de quelle manière, d'accélérer la détection et la prise en charge d'une copropriété en voie de dégradation, puisque l'on sait qu'une intervention tardive de la puissance publique supposera un coût bien plus important qu'une identification en amont ?

Par ailleurs, madame la directrice, pourriez-vous revenir sur le rôle des pôles départementaux de lutte contre l'habitat indigne ? Quelles sont vos observations de terrain concernant la collaboration entre les différents services publics et partenaires locaux qui luttent contre la paupérisation des copropriétés et l'habitat indigne ? Comment serait-il possible d'améliorer leur action ?

Comme je l'ai mentionné, nous souhaitons également porter une attention particulière aux situations des petites copropriétés en voie de dégradation. Selon vous, la qualité des outils et de l'accompagnement des copropriétés dégradées est-elle adaptée aux situations spécifiques de ces petites structures ?

Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.

Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Je vous invite à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Benoît Ameye, Mme Chantal Mattiussi, M. Stéphane Flahaut et M. Denis Solina prêtent serment.

M. Benoît Ameye, sous-directeur des politiques de l'habitat. - Je vous remercie de nous donner la possibilité d'intervenir sur la paupérisation des copropriétés, sujet dont votre commission s'est saisie après des échanges riches sur le projet de loi relatif à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé et des grandes opérations d'aménagement. C'est évidemment un enjeu majeur pour les politiques de l'habitat.

J'essaierai tout d'abord de caractériser ce phénomène de paupérisation. J'examinerai ensuite sommairement l'action de la puissance publique, en particulier de l'État. Je dirai enfin quelques mots sur la lutte contre l'habitat dégradé et le rôle du Pôle national de lutte contre l'habitat indigne.

La paupérisation des copropriétés semble avérée. C'est un phénomène complexe, pluriel, aux symptômes et aux causes multiples. Les données font apparaître un parc de logements important, plutôt ancien, constitué essentiellement de petites et de moyennes copropriétés, et présent quasiment partout.

Si l'émergence des copropriétés est un phénomène relativement récent, qui date essentiellement de la deuxième moitié du XXe siècle, c'est désormais un phénomène massif. En 2022, les copropriétés représentaient 29 % des résidences principales, soit près de 9 millions de logements, la quasi-totalité étant des appartements, contre seulement 6 % en 1962. Il y a aujourd'hui près de 780 000 copropriétés, dont 579 378 immatriculées. Plus de la moitié des logements en copropriété ont été construits avant 1974 : 27 % avant 1949, et près de 28 % entre 1949 et 1974.

Cette hétérogénéité se retrouve également en termes de taille. Les petites copropriétés de moins de dix logements sont les plus nombreuses. Elles représentent près de 71 % des copropriétés et près de 20 % des logements en copropriétés, soit une proportion supérieure à celle des logements en copropriété de plus de 100 logements, qui représentent 2 % des copropriétés et 15 % des logements. La majorité des logements en copropriété se situe dans des copropriétés comptant de 10 à 100 logements, soit 64 %.

On trouve des copropriétés quasiment partout. Les copropriétés se banalisent au sein des tissus ruraux ou périurbains, mais restent néanmoins un phénomène largement urbain puisque deux tiers des logements en copropriété sont situés dans des agglomérations de plus de 200 000 habitants et 63 % du parc de logements en copropriété est localisé dans les trois plus grandes régions, alors qu'elles ne représentent qu'environ 35 % de la population.

L'occupation des copropriétés - élément important si l'on veut analyser la paupérisation - est un phénomène plus difficile à appréhender. Dans une étude de 2023, faute de précision sur les seules copropriétés, la Banque des territoires avait retenu une approche de l'occupation de ce parc par extrapolation. Elle avait notamment relevé que 65 % des ménages sous le seuil de pauvreté sont logés dans le parc privé - un peu plus de la moitié en tant que locataires et un tiers comme propriétaires occupants -, soit 5,5 millions de personnes considérées comme modestes ou très modestes. La moitié des logements en copropriété sont des résidences principales occupées par leurs propriétaires.

Il existe différentes notions pour qualifier et essayer d'approcher de plus près la paupérisation des copropriétés. En fonction notamment du taux d'impayés de charges de la copropriété, on distingue les copropriétés fragiles, qui présentent un fonctionnement sain de la gouvernance, mais pour lesquelles apparaissent des signes de première fragilité, et les copropriétés en difficulté, qui connaissent des problèmes fonctionnels et financiers de gestion et d'administration, des problèmes techniques non traités, et pour lesquelles il existe un risque de départ de la population solvable. Les copropriétés dégradées sont le stade ultime du processus. Les dispositifs incitatifs ne sont plus suffisants et l'intervention publique, avec notamment des outils coercitifs, s'avère nécessaire.

Le nombre de copropriétés en difficulté est estimé à environ 150 000 sur 780 000, soit près de 20 % du volume des copropriétés. Plus de 1,5 million de logements sont situés dans des copropriétés très fragiles ou dégradées. L'Île-de-France, notamment la Seine-Saint-Denis et le Val-d'Oise, la Provence-Alpes-Côte d'Azur, particulièrement l'agglomération de Marseille, l'Occitanie, notamment l'ex-Languedoc-Roussillon, et dans une moindre mesure l'Auvergne-Rhône-Alpes - le Rhône et l'Isère - sont les régions les plus concernées par les copropriétés dégradées.

Ce phénomène de dégradation continue s'observe un peu partout, autant dans les zones urbaines qu'en zones rurales, même si les causes et les symptômes peuvent être différents.

Cette paupérisation concerne davantage les petites copropriétés, même si l'on rencontre plus de difficultés pour bien appréhender le volume des petites copropriétés en difficulté.

La paupérisation des copropriétés est un phénomène multifactoriel. Il existe souvent un cumul des causes.

Ces dernières sont d'abord liées à la mauvaise gestion, notamment du syndic.

Il existe ensuite des causes liées au bâti. La fin du cycle technique de l'immeuble peut, par exemple, nécessiter un réinvestissement. Les faibles performances thermiques dans un contexte de hausse des prix de l'énergie peuvent également peser très lourd.

Le troisième type de facteur est la paupérisation des occupants et des propriétaires occupants, par exemple des personnes âgées ou des primo-accédants qui ne peuvent pas réinvestir dans les bâtiments pour les maintenir en état ou les mettre à niveau.

Enfin, le quatrième élément est l'évolution du quartier dans lequel s'inscrit la copropriété. Sa déqualification peut provoquer le départ de ses habitants les plus aisés et la paupérisation de sa population, ce qui entraînera une augmentation des impayés, le sous-financement de l'entretien et le développement de pratiques illégales, génératrices d'insécurité.

Cette spirale de dégradation est bien connue, avec un effet de ciseau entre les capacités contributives des propriétaires et la hausse des charges d'entretien ou d'énergie. Au-delà d'un point critique, le redressement de la copropriété sera extrêmement difficile.

Il existe différentes typologies des copropriétés en difficulté. Le rapport Braye, qui date de 2012, les répartit en trois catégories répondant à des enjeux spécifiques.

Premièrement, les copropriétés construites avant 1949 dans des quartiers anciens. Elles disposent de qualités patrimoniales importantes, mais souffrent d'une évolution non maîtrisée du bâti, ainsi que d'un manque d'entretien, ce qui peut conduire à une certaine insalubrité. Il s'agit essentiellement de petites copropriétés.

Deuxièmement, le parc construit dans les quarante années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale. Ce parc est confronté depuis quelques années à une fin de cycle technique. Il est notamment nécessaire d'améliorer sa performance énergétique, ce qui conduit à un mur d'investissements. Ces copropriétés sont généralement de plus grande taille et situées en secteur urbain ou périurbain.

Troisièmement, le parc construit depuis le milieu des années 1980, marqué par la mise en oeuvre continue de politiques de soutien à la construction, notamment via le soutien à l'investissement locatif par des dispositifs fiscaux. Ce parc suscite aujourd'hui des inquiétudes, car il peut être un gisement de futures copropriétés en difficulté.

Pour répondre à ce phénomène de paupérisation des copropriétés, qui concerne des volumes importants et qui renvoie à des situations très différentes, les politiques publiques doivent s'adapter. Elles se sont progressivement déclinées selon trois orientations : d'abord, le traitement de la seule urgence ; ensuite, le développement d'outils et de programmes pour appréhender la diversité des situations ; enfin, l'augmentation continue des interventions publiques.

Face à l'accroissement des difficultés des copropriétés, l'État a d'abord cherché à répondre aux situations de copropriétés très en difficulté qui se multipliaient, essentiellement en raison d'une dégradation rapide des grands ensembles. Le caractère privé de la propriété rend l'intervention publique très malaisée. Entre les années 1990 et 2012, l'intervention publique a plutôt été axée sur des dispositifs curatifs, à travers une succession de textes réglementaires ou législatifs. En 1994, sont notamment apparues les opérations programmées d'amélioration de l'habitat (Opah) copropriétés. En 2000, une étape majeure a été franchie avec la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU), qui a fait de l'Agence nationale de l'habitat (Anah) un acteur majeur de la mise en oeuvre des politiques d'aide aux copropriétés fragiles ou en difficulté.

À partir du rapport Braye intitulé Prévenir et guérir les difficultés des copropriétés : une priorité des politiques de l'habitat, les pouvoirs publics ont pris conscience de la nécessité de développer une véritable politique en faveur des copropriétés en difficulté en passant d'une gestion tournée vers l'urgence à une gestion stratégique et préventive. Un besoin d'agir en amont s'est alors fait jour. Comme vous l'avez souligné, madame la présidente, plus on intervient tard, plus ça coûte cher et plus les conséquences sociales, financières, sanitaires et sécuritaires sont lourdes.

À partir de 2012, une deuxième période de l'intervention publique davantage centrée sur la prévention a débuté. Dans le respect du droit de propriété, l'État s'est attaché à l'observation, à la prévention, à l'accompagnement jusqu'au redressement et à la requalification. Cette logique de prévention et d'accompagnement s'est traduite notamment dans la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (Alur) de 2014, qui constitue une étape importante avec la création du registre national d'immatriculation des copropriétés, le fonds travaux, le contrat-type de syndic, l'administration renforcée. Ces outils ont été consolidés par la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (Élan), mais également par l'ordonnance du 16 septembre 2020 relative à l'harmonisation et à la simplification des polices des immeubles, locaux et installations et par la loi relative à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé et des grandes opérations d'aménagement, adoptée au Sénat le 27 mars dernier.

Au-delà de ce cadre législatif et réglementaire, les interventions opérationnelles de l'État reflètent les trois orientations précitées. Les opérateurs de l'État disposent d'outils multiples et adaptables. Ils déploient des actions diversifiées, en volume croissant.

Je souligne que les logements en copropriété bénéficient comme les autres des politiques générales, qu'il s'agisse du logement, de la ville ou de la politique sociale. L'aide personnalisée au logement (APL), par exemple, solvabilise les locataires. L'État, en lien avec les collectivités locales, a également développé des interventions spécifiques à leur profit, portées par différents opérateurs, au premier rang desquels l'Anah, qui est l'interlocuteur de référence des collectivités pour leur politique de repérage, de prévention, d'accompagnement et de traitement des copropriétés en difficulté.

Le plan Initiative Copropriétés (PIC), piloté par l'Anah, constitue l'un des piliers de la politique de l'État en faveur des copropriétés. Il a été lancé le 10 octobre 2018 par le ministre du logement, et couvre la période 2018-2027. Il repose sur une démarche opérationnelle territorialisée et concertée avec les collectivités locales, qui vise le traitement des situations les plus lourdes, mais qui apporte aussi des solutions de prévention et d'accompagnement aux copropriétés identifiées comme fragiles.

Ce plan fédère autour de l'Anah : l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru), la Caisse des dépôts et consignations (CDC), Procivis, Action Logement et les établissements publics fonciers, mobilisés pour accompagner les collectivités locales. Il est doté de 3 milliards d'euros sur dix ans, dont 2 milliards d'euros de financement apportés par l'Anah, 500 millions d'euros par l'Anru et 240 millions d'euros par Procivis. Pour l'État, cela représente une dépense de l'ordre de 200 millions d'euros, hors financement de l'Anru. Ce plan très massif couvre 17 sites en suivi national et 147 sites en suivi régional. Il comporte trois axes d'action, comme l'a parfaitement exposé Mme Mancret-Taylor, que vous avez déjà auditionnée dans le cadre de vos travaux. Je n'irai donc pas plus loin.

De nouveaux risques ont également été identifiés pour les copropriétés, notamment la hausse du coût de l'énergie et les investissements en matière de rénovation énergétique rendus nécessaires par la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets. Pour y faire face, l'État, à travers l'Anah, a mis en place MaPrimeRénov'Copropriétés, qui a bénéficié en 2023 à plus de 30 000 logements pour près de 200 millions d'euros, dont 90 millions d'euros pour 11 757 logements en copropriétés fragiles. En 2024, les crédits ouverts au budget initial s'élèvent à 614 millions d'euros pour une cible de 90 000 logements.

L'État intervient également au travers d'autres programmes nationaux ciblant des territoires spécifiques, et donc d'autres typologies de copropriétés en difficulté. Pour les copropriétés situées en quartiers prioritaires de la ville (QPV) ou dans les quartiers anciens, l'Anru finance, aux côtés de l'Anah, des actions ciblant des copropriétés en difficulté intégrées dans le nouveau programme national de rénovation urbaine (PNRU), doté de 12 milliards d'euros d'équivalent subventions, et dont l'exécution est prévue jusqu'en 2030.

L'Anru soutient également le programme national de requalification des quartiers anciens dégradés (PNRQAD), dont l'achèvement est prévu en 2025. Par ailleurs, 122 projets relevant de ces deux programmes intègrent des actions en faveur de copropriétés en difficulté.

Sont également déployés le programme Action coeur de ville, lancé en 2018, qui s'adresse en priorité aux villes moyennes hors périmètre des métropoles, et le programme Petites Villes de demain, lancé en 2020 pour les villes de moins de 20 000 habitants situées hors des grands pôles urbains. Ces deux programmes comportent des volets relatifs à l'amélioration de l'habitat, notamment dans l'ancien fortement dégradé. Ils bénéficient également aux copropriétés en difficulté.

Je citerai aussi l'action des établissements publics fonciers qui interviennent massivement sur cette thématique. Ces établissements bénéficient d'une ressource fiscale ad hoc qui leur est affectée au travers de la taxe spéciale d'équipement dans la limite de 5 euros par habitant. Ils peuvent donc porter des interventions massives.

L'État développe aussi des dispositifs de lutte contre l'habitat indigne coordonnés par le Pôle national de lutte contre l'habitat indigne. Ces dispositifs, sans être spécifiquement ciblés sur les copropriétés, leur bénéficient également.

Le parc privé indigne est évalué à 420 000 logements en métropole et concerne plus de 1 million d'occupants. Viennent s'y ajouter plus de 100 000 logements insalubres. La typologie n'est pas exactement la même dans les départements ultramarins. Pour la France métropolitaine, la part des logements indignes en copropriété est estimée à 25 % du total. En matière de lutte contre l'habitat indigne, on observe le renforcement progressif de l'action publique depuis vingt ans. L'ensemble des textes, des procédures, des outils et des financements ont été graduellement et profondément remodelés pour gagner en efficacité et simplifier l'action publique, notamment pour les copropriétés.

Les financements consacrés à la lutte contre l'habitat indigne montrent l'investissement de la puissance publique sur le sujet. En métropole, l'État a engagé directement ou au travers de ses différents opérateurs près de 230 millions d'euros pour lutter contre l'habitat indigne, dont 196 millions d'euros accordés par l'Anah pour les travaux de traitement de l'habitat indigne et très dégradé de 14 555 logements. Sur ces 196 millions d'euros versés par l'Anah, 67 millions d'euros ont été consacrés à l'outre-mer. Par ailleurs, en outre-mer, environ 50 millions d'euros ont été engagés pour la lutte contre l'habitat indigne, financés sur la ligne budgétaire unique du ministère des outre-mer.

La coordination et l'animation de la politique nationale de la lutte contre l'habitat indigne relèvent du PNLHI. Le PNLHI a été créé au début des années 2000. Il était précédemment sous l'autorité du délégué interministériel à l'hébergement et à l'accès au logement (Dihal). Il est désormais intégré depuis 2021 à la DHUP, donc au ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé notamment de la politique du logement.

Le PNLHI est une structure très légère, qui fédère un réseau d'experts correspondants techniques issus des services déconcentrés, des agences régionales de santé (ARS), des collectivités territoriales et des agences départementales d'information sur le logement (Adil). Il adopte donc un positionnement interministériel.

Le PNLHI joue un rôle d'expertise, de conseil, de formation et d'information. Il joue également un rôle d'appui juridique et technique des acteurs locaux - services de l'État, pôles départementaux de lutte contre l'habitat indigne (PDLHI), préfets et les sous-préfets référents de lutte contre l'habitat indigne nommés dans chaque département.

Avec la DHUP et ses partenaires, le PNLHI porte également la stratégie nationale de lutte contre l'habitat indigne, qui se décline ensuite au travers des plans d'action. Le PNLHI s'est particulièrement mobilisé en 2023 sur les questions relatives au traitement des copropriétés dégradées puisqu'il a accompagné la mission Hanotin-Lutz. Il a ensuite participé à l'élaboration du texte qui a été adopté par votre assemblée la semaine dernière.

Il travaille désormais à une accélération du plan Initiative Copropriétés au travers de la déclinaison opérationnelle de la loi qui vient d'être adoptée de manière à amplifier, affiner et approfondir les interventions publiques contre la paupérisation des copropriétés.

Mme Chantal Mattiussi, directrice du Pôle national de lutte contre l'habitat indigne. - Le PNLHI est une mission nationale de coordination et d'animation de lutte contre l'habitat indigne. Il intervient également partiellement sur les copropriétés dégradées, qui concernent 25 % du parc privé potentiellement indigne (PPPI).

L'habitat indigne relève d'une définition juridique dont les contours sont très cadrés. Il s'agit notamment de situations portant atteinte à la santé et à la sécurité. Le Pôle national de lutte contre l'habitat indigne intervient seulement sur les cas les plus graves et non sur l'ensemble des copropriétés, à savoir uniquement à partir du moment où il faut déployer les polices spéciales du maire ou du préfet pour engager des actions coercitives.

L'ordonnance du 16 septembre 2020 a procédé à la refonte des polices administratives spéciales de lutte contre l'habitat afin de simplifier et d'accélérer l'action publique. Un peu plus de 5 500 arrêtés sont pris par an, qu'il s'agisse de procédures d'insalubrité ou de procédures de mise en sécurité. Nous ne disposons pas à l'heure actuelle d'indicateur permettant de chiffrer le nombre de copropriétés concernées. Nous avons simplement une enquête nationale sur la lutte contre l'habitat indigne. Nous tâcherons d'y intégrer cet indicateur, car il semble important.

Quoi qu'il en soit, j'ai effectué un sondage la semaine dernière pour déterminer dans les différents territoires le pourcentage de procédures. En Seine-Saint-Denis, 30 % d'entre elles concernent les copropriétés dégradées. Ce taux est également assez élevé dans les Alpes-de-Haute-Provence où il existe une action très forte en matière de résorption de l'habitat insalubre (RHI) et de traitement de l'habitat insalubre remédiable ou dangereux et des opérations de restauration immobilière (Thirori), en particulier à Marseille.

La prise en charge des copropriétés dégradées s'opère via les pôles départementaux de lutte contre l'habitat indigne, mais aussi via l'animation spécifique des opérateurs, notamment des agences. Ces pôles départementaux créent spécifiquement l'interface avec les différents dispositifs sur les territoires : programmes locaux de l'habitat (PLH), dispositifs animés par l'Anah, opérations programmées d'amélioration de l'habitat et de renouvellement urbain (Opah-RU), Opah, dispositifs plus coercitifs de RHI-Thirori, etc. N'oublions pas qu'en amont de l'intervention publique sur les copropriétés dégradées, lorsque les situations sont graves et avérées, sont mises en place des procédures coercitives, qui sont le préalable à l'ouverture des différents financements de l'Anah, de l'Anru ou des collectivités.

Pour répondre à votre question, les pôles départementaux de lutte contre l'habitat indigne sont aujourd'hui en mesure d'assurer cette interface. Ils disposent d'outils publics pour détecter, signaler et résorber les situations d'habitat indigne. En plus des 5 500 arrêtés pris au titre des polices spéciales du maire et des préfets, il existe une participation des PDLHI en interface avec les programmes nationaux locaux, qui sont de véritables accélérateurs de traitement de l'habitat indigne en copropriété. Les programmes Action coeur de ville et Petites Villes de demain ont été cités. Plus de 29 % des copropriétés sont en secteur QPV et 21 % en secteur Action coeur de ville. Par ailleurs, plus de 1 000 dispositifs d'animation de l'Anah sur les territoires ont été déployés, en interface avec les pôles départementaux de lutte contre l'habitat indigne.

Ces pôles départementaux existent maintenant depuis vingt ans. Ils ont fait leurs preuves en termes de gouvernance territoriale : ils sont suffisamment souples pour s'adapter aux partenariats existants, mais aussi pour mobiliser le partenariat privé.

Les PDLHI ont élaboré une stratégie locale : 90 % d'entre eux ont disposé de plans d'action 2019-2021 sur les territoires. Par ailleurs, 84 % des PDLHI au niveau national disposent d'un guichet unique de recensement, de mise en cohérence et de traitement des situations. Aujourd'hui, 65 % des départements et des pôles départementaux de lutte contre l'habitat indigne ont intégré la plateforme numérique de signalement Histologe, véritable service public permettant à tous les particuliers de signaler les situations grâce à un téléphone portable. Nous avons donc aussi modernisé l'accès aux signalements et la mise en cohérence des données.

De surcroît, 89 % des PDLHI disposent d'indicateurs de suivi et 96 % apportent un appui méthodologique aux collectivités locales sur le traitement de l'habitat indigne, que ce soit au niveau juridique ou technique, mais aussi sur la question des copropriétés pour les départements ayant mis en avant ce besoin.

En plus du renforcement de l'action publique sur les territoires depuis une vingtaine d'années et des dispositifs mis en place, notamment au travers des derniers textes votés par le Parlement, nous avons une stratégie d'intervention sur les territoires. Celle-ci est déclinée localement à l'échelle départementale, mais aussi à l'échelle des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Nous travaillons en réseau.

Le pôle anime également des journées nationales au cours desquelles la thématique des copropriétés est souvent mise en avant. Nous développons des guides sur les copropriétés dégradées et nous mettons en place des modules de formation, avec au moins trois sessions annuelles à l'attention des services de l'État et des collectivités locales. C'est un sujet qui nous intéresse au plus haut point.

Il convient de différencier l'approche urbaine de l'approche rurale, notamment au niveau des moyens déployés par les territoires. Sur le plan local, nous nous appuyons essentiellement sur les outils de l'Anah, notamment les opérations programmées d'amélioration de l'habitat, aussi que sur les dispositifs de prévention tels que la veille et observation des copropriétés (VOC) et le programme opérationnel de prévention et d'accompagnement des copropriétés (Popac). Nous allons pouvoir suivre également quelques copropriétés, mais pour cela il faut que les collectivités soient en mesure de développer de l'ingénierie.

Quelles sont nos propositions pour améliorer le traitement des copropriétés ? Il est certes essentiel d'intervenir le plus en amont possible et de mettre l'accent sur les dispositifs de prévention, mais il est également important d'assurer un accompagnement performant des copropriétaires ou des locataires pendant toute la durée du projet. Le temps de traitement des copropriétés est assez long. Il en est de même pour le traitement de l'habitat indigne. La question de l'accompagnement fait souvent la différence en ce qui concerne la réussite d'un projet. L'aspect social est notamment fondamental. Il importe donc d'aider les collectivités à prendre en charge ce type de dossiers, au même titre que l'ingénierie. En 2024 et en 2025, nous mettrons en oeuvre un certain nombre d'actions pour mieux accompagner socialement les occupants en matière de lutte contre l'habitat indigne. Nous fluidifierons aussi les circuits d'hébergement et de relogement, car il s'agit de pistes importantes.

Mme Marianne Margaté, rapporteure. - Je vous remercie de ce tour d'horizon. Au fil des auditions, nous avons constaté qu'il existait un certain nombre de dispositifs dont l'articulation est assez complexe. Pour autant, il faut aussi faire preuve d'agilité et s'adapter aux besoins des territoires.

Certains chiffres m'interpellent. L'Anah a annoncé suivre 1 684 copropriétés dans le cadre du PIC. Or il existe au minimum 150 000 copropriétés en difficulté, sans compter les 200 000 copropriétés hors répertoire. Le phénomène s'aggrave et s'amplifie, mais nos outils ne permettent pas de traiter le problème de façon massive. Seulement 1,5 % des copropriétés référencées comme étant en difficulté sont prises en charge. Idem en ce qui concerne l'habitat indigne.

Vous avez évoqué les 5 500 procédures annuelles pour lutter contre les logements indignes. En 2019, l'Anah avait recensé 420 000 insalubres. Je m'interroge sur cet écart. Malgré toute la bonne volonté dont font preuve les différents acteurs sur les territoires en matière d'information et d'accompagnement, nous sommes bien en deçà des besoins. Les financements publics sont-ils aujourd'hui à la hauteur du défi ? Je rappelle que trois ou quatre millions de personnes vivent à l'heure actuelle dans ces copropriétés dégradées.

Dominique Braye lançait, dès 2012, un véritable cri d'alerte dans son rapport, à la suite duquel plusieurs dispositifs ont été mis en place. Pour autant, ceux-ci sont-ils véritablement efficaces, notamment pour traiter les petites copropriétés, qui apparaissent comme un angle mort de la lutte contre la dégradation des copropriétés ? Ces dispositifs pourraient-ils être améliorés ? Les moyens financiers sont-ils à la hauteur du mur qui est devant nous et des enjeux sociaux, sanitaires et de sécurité publique que vous avez rappelés ?

Les communes et les intercommunalités ont-elles les moyens nécessaires pour détecter les situations d'habitat indigne ? On sait que les services d'hygiène et de salubrité sont en grande difficulté : les quelques agents formés sont pris d'assaut par les grosses collectivités qui ont développé une politique publique extrêmement ambitieuse, ce qui prive de leur action les plus petites d'entre elles.

Vous avez évoqué des inquiétudes relatives à la part croissante de l'investissement locatif dans les copropriétés. Pourriez-vous revenir sur ce point ?

Les ventes de logements HLM et les copropriétés mixtes suscitent-elles des inquiétudes de votre part ? Comment s'assurer que ces ventes se fassent dans les meilleures conditions pour préserver l'intérêt des futurs accédants ?

Pourriez-vous préciser le montant du budget consacré à la lutte contre l'habitat indigne ? J'ai en tête le montant de 196 millions d'euros. Or, en 2009, ce budget s'élevait à 322 millions d'euros, selon le rapport de la Cour des comptes. Le périmètre de ce budget a-t-il évolué ? Comment expliquer une telle baisse, au vu de l'ampleur de l'enjeu que représente la lutte contre l'habitat indigne ?

M. Benoît Ameye. - Au regard de l'ampleur des enjeux, le nombre de copropriétés que nous citons peut laisser penser que nous n'embrassons qu'une toute petite partie du problème.

Cependant, il faut d'abord prendre en compte l'augmentation significative des volumes traités, en raison d'une forte montée en puissance, ces dernières années, des interventions publiques.

Par ailleurs, les éléments que vous avez cités se rapportent au PIC, qui agrège de nombreuses interventions publiques, sans néanmoins prendre en compte la totalité de celles-ci, quand bien même certaines font l'objet de financements significatifs. Au-delà de MaPrimeRénov'Copropriétés, MaPrimeRénov' bénéficie aux propriétaires de logements. Ce dispositif représente un volume financier très important, même si les volumes pour les exercices à venir sont sujets à débat.

En outre, le volume de copropriétés traitées dans le cadre du PIC n'est pas l'indicateur le plus pertinent. En effet, il s'agit, notamment pour le volet national, de grosses copropriétés. La partie nationale de ce plan a ainsi visé 30 000 logements pour 170 copropriétés. Le nombre de ménages concernés est donc bien supérieur à ce que laisse penser le nombre de copropriétés traitées.

D'autres programmes existent, outre le PIC. Je pense notamment au nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU) et au PNRQAD de l'Anru. Au-delà de ces programmes, les pouvoirs publics font preuve d'une réelle action d'accompagnement, sur des volumes certes modestes, mais qui doivent être pris en compte dans l'évaluation de l'ensemble des interventions de l'État.

Vous avez évoqué le cas des petites copropriétés, que l'on cite souvent comme un angle mort de la politique de lutte contre la dégradation des copropriétés. Il est vrai qu'elles sont, par nature, beaucoup plus difficiles à appréhender, d'abord par manque de connaissance, puisqu'elles ne sont pas immatriculées. Néanmoins, nous pensons qu'une majorité d'entre elles sont fragiles ou en difficulté.

Ensuite, les petites copropriétés sont bien plus disséminées : on peut les trouver dans les grandes villes ou les zones urbaines. Ainsi, 10 % des copropriétés de Seine-Saint-Denis compteraient quatre lots ou moins. Néanmoins, les petites copropriétés sont aussi nombreuses dans les villes moyennes ou les zones rurales.

Enfin, pour diverses raisons, ces petites copropriétés sont moins bien prises en compte par les dispositifs d'aides financières. Ainsi, pour bénéficier d'une aide de l'Anah, 75 % des lots, en nombre ou en tantièmes, doivent être consacrés à l'habitation en résidence principale. Ce critère peut poser des difficultés aux petites copropriétés qui comptent un commerce. Des progrès restent nécessaires, mais ces difficultés sont prises en compte. Une expérimentation au profit des petites copropriétés est menée dans le cadre du PIC. Les critères d'intervention de l'Anah sont ainsi abaissés et les aides majorées. C'est par exemple le cas du seuil de gain énergétique de 35 %, qui est plus difficile à atteindre pour les petites copropriétés au regard de l'état du bâti.

De la même manière, des dispositifs de repérage et d'observation sont développés, comme le Popac et la VOC.

L'action à destination des petites copropriétés reste néanmoins délicate. Nombre d'entre elles n'ont pas de syndic, même bénévole. Pour autant, une fois que nous les avons appréhendées, elles sont souvent plus faciles à traiter que les plus grosses copropriétés.

Vous avez évoqué les risques induits par l'investissement locatif faisant l'objet d'un avantage fiscal, tels que le dispositif Pinel et ses prédécesseurs. Plusieurs rapports d'inspections diverses se sont accordés sur le constat suivant : dans la mesure où le dispositif Pinel est considéré comme un simple produit financier, une plus forte proportion de propriétaires bailleurs sont moins investis dans la gestion de leur bien.

Cela a pu représenter un volume important de programmes immobiliers dans lesquels la proportion de propriétaires occupants est faible. Certes, il n'y a pas de corrélation directe entre la part de propriétaires occupants et l'investissement dans la copropriété, mais on observe une dégradation plus avancée sur certains programmes essentiellement constitués d'immeubles érigés sur la base de ces dispositifs d'aides fiscales. Cette difficulté est pointée dans les rapports de plusieurs inspections, car elle pourrait représenter un risque pour le futur.

Cela explique aussi pourquoi les pouvoirs publics préfèrent désormais encourager l'investissement des acteurs institutionnels dans le parc locatif privé, puisqu'ils sont des professionnels de l'investissement et de la gestion du parc. On évitera ainsi les dérives que nous avons pu observer sur les programmes essentiellement portés par des dispositifs d'investissement locatif destinés aux particuliers.

S'agissant des copropriétés mixtes, c'est une difficulté identifiée, mais qui ne me paraît pas majeure, au regard des volumes limités de ventes de logements HLM. Les bailleurs sociaux restent néanmoins sensibles à ce sujet. C'est pourquoi des dispositions permettent désormais aux bailleurs sociaux de rester gestionnaires des immeubles dans lesquels ils ont cédé des logements.

M. Denis Solina, chef du bureau de la mobilisation et de l'amélioration du parc privé. - L'expérimentation sur les petites copropriétés dans le cadre de MaPrimeRénov'Copropriétés a été votée en fin d'année par le conseil d'administration de l'Anah. Elle a débuté au 1er janvier 2024 et se déploiera sur trois ans, car le fonctionnement de la copropriété repose en effet sur le temps long. Ce dispositif cible les copropriétés de vingt lots. Les financements prévus sont à la hauteur des attentes. Un bilan sera tiré de cette expérimentation à son terme.

Près de 1 000 opérations sont programmées, assurant une couverture de 80 % du territoire. Ces opérations sont au plus près du terrain et des plus petites copropriétés, contrairement au PIC. Dans ces partenariats avec les collectivités locales, ces opérations permettent un repérage efficace et un accompagnement pertinent. Chaque année, entre 65 000 et 70 000 logements sont traités dans le cadre de ces opérations programmées, dont 4 000 logements pour les propriétaires bailleurs et entre 15 000 et 20 000 logements pour les syndicats de copropriétaires. Ces chiffres ne sont pas négligeables.

Mme Marianne Margaté, rapporteure. - Cela signifie-t-il que les moyens financiers et les dispositifs sont à la hauteur des besoins ?

M. Benoît Ameye. - Ce n'est pas exactement ce que nous disons. Nous sommes dans un contexte budgétaire particulièrement contraint. Les interventions coûteuses sont ciblées sur les copropriétés qui représentent le plus d'enjeux. Ensuite, nous essayons de mener une action de prévention et d'accompagnement aussi efficace que possible pour éviter les dérives. Certaines difficultés s'expliquent aussi par des facteurs exogènes à la politique du logement.

Mme Marianne Margaté, rapporteure. - Pourriez-vous répondre à ma question sur le budget de l'habitat indigne ?

M. Benoît Ameye. - Je n'ai pas en tête les chiffres de la Cour des comptes. Je pense que le périmètre d'agrégation diffère, car les budgets de la lutte contre l'habitat indigne sont plutôt en augmentation, voire en hausse sensible ces dernières années.

M. Laurent Burgoa. - Je suis sénateur du Gard, et j'ai été, à l'occasion de deux mandats, adjoint au maire à la rénovation urbaine, au contrat de ville et au logement social de Nîmes. Sur les questions liées aux copropriétés, j'ai donc l'expérience d'un élu municipal de terrain - j'ai eu l'habitude de mettre les mains dans le cambouis !

On critique souvent l'État, mais, dans ce domaine, j'ai le sentiment que celui-ci joue son rôle. Nous avons les outils, depuis l'observatoire le plus classique aux offices publics de l'habitat (OPH), en passant par les plans de sauvegarde et les opérations de requalification des copropriétés dégradées d'intérêt national (Orcod-in), dont la première, en province, a été lancée à Nîmes. Reste à trouver des élus motivés et à travailler en concertation avec les autres collectivités et avec l'État local, mais les financements sont là.

Ma question concerne la lenteur des projets, au regard, notamment, des attentes de nos concitoyens. Cette lenteur est liée au fait que ces projets ont trait à un droit constitutionnel important, à savoir le droit de propriété. Comment accélérer l'action des pouvoirs publics ? On sait que les petites copropriétés, dans la ruralité, souffrent surtout d'un manque d'ingénierie. Il leur faut faire appel à l'ingénierie du département, s'il y en a, ou à l'ingénierie de l'État, qui est de plus en plus contrainte.

M. Benoît Ameye. - Vous touchez du doigt une problématique essentielle. Dès lors que l'on parle du traitement des copropriétés, on évolue sur une ligne de crête entre la préservation de l'intérêt général et le respect du droit de propriété. La protection des occupants peut également induire des lenteurs. L'équilibre entre ces trois impératifs est difficile à trouver.

En outre, ces programmes nécessitent d'embarquer l'ensemble des parties, et reposent sur une importante concertation. Le relogement, en particulier, est d'autant plus complexe que le parc disponible est limité. Or c'est l'un des principaux facteurs de lenteur. Au fil des textes, en particulier dans la loi qui vient d'être adoptée, nous constatons une volonté d'aller au plus loin sur cette ligne de crête, mais le compromis reste difficile à trouver.

Il faut aussi prendre en compte d'autres dimensions qui prennent souvent du temps, comme l'accompagnement social ou le portage foncier. L'article 9 du projet de loi sur la rénovation de l'habitat dégradé, qui crée un droit d'expropriation pour les immeubles indignes à titre remédiable, a permis d'avancer sur ce sujet.

Mme Marianne Margaté, rapporteure. - Vous avez évoqué le guichet unique de lutte contre l'habitat indigne, Histologe. Est-il suffisamment utilisé ?

Les PDLHI sont développés sur tous les territoires. Quelles sont les marges d'amélioration du fonctionnement et de la gouvernance de ce dispositif ?

Mme Chantal Mattiussi. - Dès leur création dans les années 2000, il a été demandé aux PDLHI de s'organiser en guichets uniques de signalement afin d'améliorer l'efficacité du travail de recensement et de qualification des situations et d'orientation vers différents acteurs.

Ces guichets uniques existent depuis vingt ans. Au départ, les signalements émanaient quasiment exclusivement des acteurs institutionnels - assistantes sociales, élus, opérateurs -, qui, avec l'accord des occupants, faisaient remonter ces situations aux pôles départementaux.

Dans la logique de la stratégie numérique de l'État, nous avons voulu développer des outils également accessibles aux particuliers et aux usagers. C'est la force du nouveau dispositif Histologe. La base de signalements est toujours complétée par des acteurs institutionnels, mais également par les usagers. En cas de problème d'accès au numérique, il est possible de procéder au signalement depuis les maisons France Services.

Outre ce dispositif, il existe un numéro « info logement indigne », créé par Julien Denormandie à la suite de l'effondrement de plusieurs immeubles à Marseille. C'est un numéro national, géré par l'Agence nationale pour l'information sur le logement (Anil) et les Adil. Il permet également aux particuliers de signaler toute situation d'habitat indigne. Ces signalements sont orientés vers le PDLHI et le guichet unique. Recenser l'ensemble des situations à l'échelle locale relève en effet de la performance, surtout si l'on rajoute les situations des collectivités qui peuvent être signalées via les services communaux d'hygiène et de santé.

Nous avons progressé sur ce champ. Quelque 65 départements sont équipés d'Histologe. Il s'agit d'une démarche partenariale, qui repose sur une adhésion collective, pour que chacun se saisisse de cet outil et participe à l'amélioration de la qualification des situations. Le gain de temps est phénoménal, puisque tous les signalements sont recensés dans une même base partagée par les acteurs du PDLHI. Même si des améliorations pourraient être apportées à cet outil, tous les services qui l'utilisent considèrent qu'il a fluidifié et accéléré l'action publique, en améliorant également le traitement des situations. Ce n'est pas un outil parfait, mais cette aide numérique est d'une grande utilité pour les acteurs locaux.

Mme Marianne Margaté, rapporteure. - Pourquoi seuls 65 départements sont-ils équipés d'un guichet unique ?

Mme Chantal Mattiussi. - Le déploiement repose sur une démonstration de l'outil à l'ensemble des partenaires. Fédérer ces acteurs autour d'un véritable projet local prend du temps. Il ne s'agit pas de calquer, à l'échelon local, un outil national : chaque territoire se saisit de cet outil pour l'adapter à son fonctionnement et à sa gouvernance. Dans les territoires où le pilotage de la lutte contre l'habitat indigne est plus faible, le guichet unique est un moyen de créer de nouvelles dynamiques et de déployer une nouvelle gouvernance.

S'agissant de la gouvernance des PDLHI, outre ces plateformes numériques, depuis 2017, des sous-préfets référents sont nommés au sein de chaque département et travaillent de manière interministérielle avec l'ensemble des services déconcentrés concernés, que ce soit sur le volet technique ou social. Ils jouent ainsi un rôle de chef d'orchestre, au niveau local, de la stratégie de lutte contre l'habitat indigne et de la déclinaison des plans d'action. Ils s'appuient sur les directions départementales interministérielles, notamment les directions départementales des territoires (DDT) et de la mer (DDTM). Ce sont les services qui animent les pôles départementaux. Ils travaillent en interface avec les agences régionales de santé, les collectivités, et les services communaux d'hygiène et de santé, lorsqu'ils existent.

Cette gouvernance fonctionne bien. Elle monte en puissance. Depuis ma prise de poste, il y a deux ans et demi, j'ai entamé un tour de France pour aller vers ces pôles départementaux, qu'ils soient urbains ou ruraux, afin d'appuyer cet élan d'action locale. J'étais ainsi dans l'Orne la semaine dernière.

Cet appui national permet de renforcer la gouvernance et d'entendre ce qui se dit sur les territoires, afin d'identifier les freins et de proposer des pistes d'amélioration. C'est un système souple, doté d'une interface directe entre les niveaux national et départemental, qui permet de s'adapter.

Le réseau habitat indigne rassemble en effet les services de l'État et les collectivités locales, soit toute une chaîne d'intervenants, qui permet d'agir en fonction des besoins des territoires. Il nous faut sans arrêt, par les instructions que nous donnons aux services, procéder à ces ajustements qui contribuent à cette agilité entre les échelons national et local. Notre service est attaché à la démarche d'« aller vers » afin de proposer les politiques publiques les plus concrètes et adaptées aux territoires.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Monsieur le directeur, vous êtes revenu sur l'historique du traitement de l'habitat dégradé. L'un des éléments de réponse est la prévention, et donc, l'identification des situations.

Estimez-vous que les données dont vous disposez sont suffisantes pour identifier et prévenir les situations ? Quelles sont les marges d'amélioration ?

À vous entendre, nous avons à disposition une multitude d'outils, susceptibles de répondre à toutes les problématiques. Sont-ils bien suffisants pour traiter toutes les spécificités des territoires ? Par ailleurs, les actions de chacun des acteurs sont-elles suffisamment coordonnées ?

M. Benoît Ameye. - Avons-nous tous les outils nécessaires pour identifier les copropriétés en difficulté ? Probablement pas, mais nous en avons beaucoup plus qu'il y a quelques années. Le principal progrès a été la création du registre national d'immatriculation des copropriétés (RNIC).

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Pourrions-nous aller plus loin dans ce recueil de données ? Les collectivités territoriales jouent un rôle majeur dans l'identification de ces situations, mais d'autres circuits devraient-ils être mis en place ?

M. Benoît Ameye. - D'autres dispositifs ont été créés, mais ils restent insuffisants. Les dispositifs de VOC sont peu nombreux. Même s'il ne s'agit pas tout à fait d'un angle mort, nous devons progresser sur l'identification des petites copropriétés en difficulté, grâce à un travail plus poussé avec les collectivités locales, que nous nous efforçons de développer depuis quelques années.

Nous pourrions enrichir le RNIC. Néanmoins, nous observons chaque semaine une augmentation du nombre de copropriétés : nos connaissances s'affinent.

M. Stéphane Flahaut, adjoint au sous-directeur des politiques de l'habitat. - Parmi les outils qui pourraient être optimisés, on peut citer le PLH, qui ne doit pas seulement cibler le logement social. Les textes prévoient en effet qu'il inclut le logement du parc privé. Un effort collectif est sans doute nécessaire pour rappeler à tous les acteurs que les volets consacrés au parc privé et aux copropriétés dégradées sont importants. Cet outil permet d'affiner le diagnostic et de mener des actions, y compris de prévention. Ma sous-direction plaide en ce sens.

Le PLH est, selon nous, complémentaire de l'action de l'Anah ou de l'État. Quand on intervient sur une Orcod-in, on peut ainsi s'assurer auprès de l'agglomération que la situation d'autres copropriétés n'est pas masquée par une très grande copropriété en difficulté, sur laquelle la solidarité nationale doit jouer. Nous pourrons agir au travers de la publication de guides, de circulaires et de recommandations aux préfets, mais tout appui nous sera utile.

M. Benoît Ameye. - Des données supplémentaires pourraient être intégrées au RNIC. Néanmoins, plus on demande de données, plus le document devient difficile à remplir : un équilibre doit être trouvé.

Le critère du taux d'impayés pour appréhender les copropriétés fragiles est pertinent, mais il n'est peut-être pas suffisant. Il pourrait être complété par des ratios relatifs à la qualité de la gestion ou aux volumes d'investissements réalisés en matière d'entretien ou de réparations. Comme toujours, il faut s'interroger sur l'équilibre entre les nouvelles contraintes et le résultat auquel on aboutit. Néanmoins, l'une des principales difficultés auxquelles nous sommes confrontés concerne les copropriétés qui nous échappent. Le plan pluriannuel de travaux pourrait être un outil d'identification des difficultés.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Et concernant la coordination des acteurs ?

M. Denis Solina. - Le PLH est un outil de coordination des différents acteurs. L'une de ses parties est consacrée à la lutte contre l'habitat indigne. Nous avons poussé les pôles départementaux à développer les partenariats, au travers d'une circulaire cosignée, pour la première fois, par la garde des Sceaux et le ministre chargé de la ville et du logement. En effet, la politique de lutte contre l'habitat indigne est très partenariale : elle réunit un grand nombre d'acteurs, notamment les collectivités et les ministres compétents en matière de justice, de logement et de santé.

Nous allons travailler à une nouvelle circulaire, qui inclura les actions en matière de santé. La précédente circulaire avait notamment encouragé la création de groupements locaux de traitement de la délinquance, qui se sont révélés efficaces. Nous souhaitons donc renforcer ces actions.

Tous les programmes que nous avons évoqués - à la fois les actions programmées, mais aussi les programmes Action coeur de ville ou Petites Villes de demain, dotés de moyens d'ingénierie spécifiques - sont des outils essentiels de repérage des petites copropriétés dégradées. Le RNIC reste l'outil principal, au travers du taux d'impayés, mais la lutte contre l'habitat indigne et les programmes partenariaux avec les collectivités permettent de détecter les signaux faibles.

En effet, des copropriétés peuvent très bien ne pas être concernées par les impayés, sans pour autant faire le moindre effort de mise aux normes. Si nous ne les accompagnons pas non plus, elles finiront par se retrouver en difficulté. Les dispositifs de droit commun de l'Anah, comme MaPrimeRénov', permettent aussi d'aider ces copropriétés, qui ne sont pas encore dégradées, mais que nous ne devons pas oublier.

Le spectre de détection et d'accompagnement est relativement large, mais il doit être utilisé sur le temps long. L'assemblée générale reste en effet l'échelon de vie de la copropriété, à l'exception de celles qui font l'objet d'une opération de requalification.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Je vous remercie pour les éléments que vous nous avez apportés. Le rapport de notre commission d'enquête sera publié avant la fin du mois de juillet prochain.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de Mme Dominique Consille, directrice des programmes
Action coeur de ville et Petites villes de demain

(Mercredi 3 avril 2024)

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Madame la rapporteure, chers collègues, nous poursuivons nos travaux en recevant Madame Dominique Consille, directrice des programmes Action coeur de ville et Petites villes de demain au sein de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT).

Madame la directrice, je me réjouis d'avoir l'opportunité de vous entendre aujourd'hui au sujet des difficultés rencontrées par les centres anciens et les petites communes en matière d'habitat dégradé.

Je sais votre attachement à ces sujets, du fait de votre expérience de sous-préfète en Moselle, dans le Finistère puis dans les Côtes-d'Armor et, enfin, entre 2020 et 2023, dans l'arrondissement de Boulogne-sur-Mer dans le Pas-de-Calais. En 2017, vous aviez également eu à connaître et à répondre à ces problématiques locales en tant que conseillère ruralité et villes moyennes au sein du cabinet du ministère de la cohésion des territoires.

Depuis juin dernier, vous avez pris la direction de deux programmes centraux au sein de l'ANCT.

Tout d'abord, le programme Action coeur de ville, déployé depuis 2018, qui porte l'ambition d'améliorer les conditions de vie des habitants des villes moyennes et de conforter leur rôle moteur dans le développement du territoire. Ce programme dispose également de l'appui de nombreux partenaires tels que la Caisse des Dépôts, Action Logement et l'Anah.

Deuxièmement, le programme Petites villes de demain, créé en 2020, qui vise à améliorer la qualité de vie des habitants des petites communes et des territoires alentour, en accompagnant ces collectivités dans des trajectoires dynamiques et en faveur de la transition écologique.

Ces deux programmes accompagnent au quotidien les élus et les collectivités face aux enjeux de rénovation et de redynamisation des centres de petite et moyenne tailles. À cet égard, l'ANCT et ses partenaires sont les témoins des difficultés rencontrées par les collectivités dans la gestion de l'habitat dégradé, et pour ce qui relève de notre commission d'enquête, des copropriétés paupérisées.

C'est d'ailleurs la raison pour laquelle, dans le cadre du projet de loi qui vient d'être voté par le Parlement sur ce sujet et dont j'étais la rapporteure, j'ai introduit dans le texte la précision selon laquelle l'ANCT avait également comme mission d'apporter conseil et expertises aux collectivités territoriales sur ce sujet et plus particulièrement au profit des villes petites et moyennes ayant peu ou pas d'ingénierie.

Aussi, je souhaiterais, Madame la directrice, connaître votre appréciation, et les retours de terrain qui vous sont transmis, s'agissant des problématiques de vacance, de dégradation ainsi que de reprise en main des logements dans ces territoires. Vous l'aurez compris, mes collègues et moi-même sommes tout particulièrement attentifs à la prise en charge des copropriétés en voie de paupérisation.

Au regard de votre expérience, pourriez-vous nous faire part des difficultés rencontrées par les maires de petites et moyennes communes en matière d'habitat dégradé ? Comment l'ANCT et ses partenaires, par l'intermédiaire des deux programmes mentionnés, structurent-ils des réponses face à ces besoins multiples ? Les moyens engagés vous semblent-ils suffisants pour remplir vos missions ? Quelles propositions pourriez-vous formuler pour améliorer la prise en charge des copropriétés paupérisées dans ces territoires que vous connaissez bien ?

Avant de vous laisser la parole, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.

Je dois vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.

Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».

Mme Dominique Consille lève la main droite et dit « Je le jure ».

Mme Dominique Consille, directrice des programmes Action coeur de ville et Petites villes de demain au sein de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). - Merci de me donner l'occasion de vous présenter les programmes Action coeur de ville (ACV) et Petites villes de demain (PVD), qui existent désormais depuis plusieurs années et qui sont très appréciés par les élus locaux.

Le programme ACV, créé en 2018, vise à conforter le rôle moteur des centres-villes des villes moyennes et à améliorer les conditions de vie de leurs habitants. Ce programme a été conçu pour les villes moyennes en difficulté ou en phase de dévitalisation, où vit un quart de la population nationale et qui abritent un quart des emplois de notre pays.

Ce programme a été élaboré pour soutenir le travail des collectivités territoriales. Il ne s'agit pas d'un programme descendant. Ce sont bien les collectivités territoriales et les maires qui portent leur projet de territoire et en définissent les fiches actions.

Dès l'origine, cinq axes ont été définis pour ces projets de territoire :

· la réhabilitation et la restructuration de l'habitat dans les centres-villes (figurant également parmi les axes du programme PVD) ;

· le développement économique et commercial ;

· l'accessibilité, la mobilité et la connectivité ;

· la mise en valeur de l'espace public et du patrimoine ;

· l'accès aux équipements et aux services publics.

Ces axes ont vocation à être poursuivis de manière coordonnée et concertée, dans le cadre du programme ACV comme du programme PVD, pour agir sur la revitalisation des villes moyennes et petites villes.

Depuis le lancement de ces programmes, l'axe habitat-logement est apparu fondamental pour les villes moyennes et petites villes. En effet, dans nombre de ces villes, le constat a été fait d'un habitat de centre-ville dégradé.

Avec quelques années de recul, on observe que les engagements financiers portés par les partenaires de ces programmes (l'État, la Banque des territoires, l'Anah et Action Logement pour le programme ACV ; l'Anah, la Banque des territoires et le Cerema pour le programme PVD) ont atteint un montant conséquent.

Entre 2018 et fin 2023, le programme ACV a ainsi permis de mobiliser plus de 8,4 milliards d'euros, dont 2,5 milliards d'euros apportés par Action Logement et 0,9 milliard d'euros apportés par l'Anah, avec également des financements importants apportés par les départements et régions. Le programme PVD a quant à lui permis de mobiliser 3 milliards d'euros.

On dénombre aujourd'hui 244 communes accompagnées dans le cadre du programme ACV et plus de 1 600 communes accompagnées dans le cadre du programme PVD.

Dans le cadre du programme ACV, près de 30 000 logements ont été réhabilités, construits ou reconstruits par Action Logement. Plus de 245 000 logements ont été accompagnés par l'Anah. 226 villes ACV ont également été couvertes par une opération programmée pour l'amélioration de l'habitat (Opah).

Le constat a par ailleurs été fait d'un taux de pauvreté relativement élevé dans les villes ACV - ces villes ayant été sélectionnées à partir de critères de fragilité. 50 villes ACV affichent aujourd'hui un taux de pauvreté supérieur à 25 %. Parmi ces villes affichant un taux de pauvreté important figurent notamment : Denain (43 %), Creil (38 %), Maubeuge, etc. Ceci souligne l'importance de traiter le sujet des copropriétés dégradées dans ces villes.

Le taux de vacance de longue durée des logements est également important dans ces villes ACV, atteignant 4,6 % dans le parc privé, pour une moyenne nationale à hauteur de 3,4 %. Le constat est le même dans les villes PVD.

En conclusion, j'insisterai sur l'accompagnement mis en place par l'ANCT dans le cadre de ces deux programmes. Un guide a notamment été produit pour les villes ACV, avec la sous-direction des politiques de l'habitat du ministère en charge du logement, sur le thème de la reconquête des îlots anciens dégradés, afin de présenter les dispositifs et outils existants et d'identifier des exemples de bonnes pratiques. Cette approche est souvent privilégiée par l'ANCT.

Mme Marianne Margaté, rapporteure. - Vous dites que l'axe habitat-logement est un axe majeur des programmes ACV et PVD, avec des actions parfois imbriquées avec d'autres dispositifs portés par l'Anah tels que les Opah. Dans vos diagnostics, utilisez-vous le répertoire national des copropriétés ou la plateforme Histologe ? De quels outils disposez-vous pour qualifier le niveau de paupérisation, de fragilité ou de difficulté des logements ? Ce travail est-il fait en amont ? Ces outils sont-ils performants ? Pourraient-ils être améliorés ou complétés ?

Par ailleurs, quels partenariats nouez-vous avec les collectivités, sachant que les villes petites ou moyennes, voire les petites intercommunalités, manquent parfois de ressources, en matière d'ingénierie notamment ? Quelles sont les conditions de réussite de ce travail partenarial, en termes de gouvernance notamment ? Quelles sont les difficultés rencontrées ?

Mme Dominique Consille. - En termes de gouvernance, il appartient aux maires des villes ACV et PVD de porter leur projet de territoire, avec l'appui des services de l'État. Ils en définissent les fiches actions, le cas échéant en définissant leurs priorités, dans le cadre des cinq axes. Ils réunissent également autour d'eux les partenaires à même de les accompagner, dont l'Anah.

En complément, pour les villes ACV notamment, un comité régional des financeurs se réunit autour du préfet de région. Au niveau national, nous réunissons également régulièrement les partenaires des deux programmes, pour identifier les appuis complémentaires à apporter aux villes, voire les évolutions législatives ou réglementaires à discuter avec les cabinets ministériels concernés.

L'Anah étant un partenaire essentiel de ces deux programmes, ceux-ci donnent souvent lieu à la mise en place de conventions Opah ou Opah-RU. Dès l'origine, ce partenaire est ainsi associé au tour de table. Ces conventions permettent même de financer des postes de chef de projets. Dans le cadre du programme ACV, 174 postes de chef de projets ont ainsi été financés par l'Anah.

Dans ce cadre, le diagnostic de la situation des logements dans chaque ville ACV ou PVD n'est pas réalisé au niveau national, mais au niveau local, le cas échéant au travers de conventions avec l'Anah, signées dès le démarrage des programmes. Cette méthode permet aux partenaires de déployer sans tarder tous leurs outils pour agir sur le logement dégradé.

Mme Marianne Margaté, rapporteure. - Des améliorations pourraient-elles être apportées à ce travail partenarial, en termes de partenaires à mobiliser ou d'implication des partenaires ? Constate-t-on des disparités en fonction des territoires ou des dispositifs ? L'ensemble des partenaires vous semblent-ils mobilisés pour mettre en oeuvre les fiches actions définies par les maires ? Cette gouvernance vous semble-t-elle efficiente ?

Mme Dominique Consille. - Au niveau national, nous travaillons régulièrement avec les partenaires des deux programmes, dans le cadre de comités de pilotage nationaux. Nous suivons le déploiement des dispositifs et le nombre de mesures mobilisées dans les villes. Nous envisageons également l'évolution des dispositifs portés par les grands partenaires.

Au niveau local, on constate que le taux de réalisation des engagements financiers va même au-delà des prévisions. À fin 2023, nous en sommes déjà à 8,4 milliards d'euros engagés sur le programme ACV. Le nombre de logements accompagnés par l'Anah ou Action Logement est également très éloquent. Les maires des villes ACV ou PVD nous font part régulièrement de leur satisfaction à cet égard.

Du reste, la situation demeure difficile. Récemment, plusieurs maires nous ont alertés concernant des difficultés nouvelles apparaissant dans les villes ACV ou PVD, en matière de logement ou d'habitat dégradé dans les centres anciens. Certaines villes ACV ou PVD sont confrontées à une paupérisation accrue. Les situations demeurent différentes en fonction des villes, mais ce sujet redevient néanmoins prégnant. Nous souhaiterions y travailler au niveau national, en mettant en place un nouveau groupe de travail avec des maires.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Travaillez-vous spécifiquement sur le sujet du traitement de l'habitat dégradé ou des copropriétés dégradées ? Disposez-vous de chiffres concernant ces deux domaines d'intervention, au-delà des chiffres globaux que vous avez évoqués sur le nombre de logements traités par l'Anah ou Action Logement ? Mettez-vous en oeuvre une approche spécifique pour accompagner les copropriétés dégradées ou en voie de paupérisation ?

Dans le cadre du projet de loi qui vient d'être voté par le Parlement, nous avons également souhaité rappeler votre mission d'accompagnement des collectivités, qui aujourd'hui manquent d'ingénierie. Vous avez notamment évoqué le financement de postes de chef de projets. Les dispositifs que vous proposez en matière d'accompagnement sont-ils aujourd'hui suffisants ? Serait-il nécessaire d'aller plus loin ?

On constate par ailleurs une difficulté rencontrée, dans certains territoires, pour recruter des compétences spécifiques. Certaines collectivités, même lorsqu'elles disposent du budget nécessaire, ne parviennent pas à trouver les compétences recherchées. Quelles réponses pourrions-nous apporter à cette problématique ?

Mme Dominique Consille. - Dans le cadre du programme ACV, depuis 2018, 1 162 copropriétés ont pu bénéficier d'un accompagnement, soit 20 790 logements, pour un montant total d'engagements de 171,344 millions d'euros. Dans le cadre du programme PVD, 229 copropriétés ont pu bénéficier d'un accompagnement, soit 2 493 logements, pour un montant total d'engagements de près de 20 millions d'euros. Un effort très important a ainsi été fourni en direction des copropriétés dégradées, en mobilisant les outils et les dispositifs de droit commun de l'Anah, permettant notamment de financer des postes de chef de projets. Ces chiffres nous ont été communiqués par l'Anah, qui pilote le Plan Initiative Copropriétés.

Pour accompagner les villes ACV et PVD, nous nous appuyons ainsi sur les dispositifs de droit commun de l'Anah - ce partenaire étant engagé, dès l'origine, dans la définition et la mise en oeuvre des plans d'action.

L'ACNT s'appuie par ailleurs sur un marché d'ingénierie. Il comporte des lots dédiés à l'appui au pilotage, au montage d'opérations ou encore à la transition énergétique et à la gestion énergétique des bâtiments, permettant aux villes (y compris ACV ou PVD) d'être accompagnées par des prestataires. Néanmoins, à ce jour, ce marché de permet pas de fournir des prestations spécifiques d'ingénierie autour du logement ou des copropriétés. Du reste, cela semble cohérent, car nous nous appuyons beaucoup pour cela sur l'ingénierie de nos partenaires, dont l'Anah et la Banque des territoires.

Dans le cadre du projet de loi voté par le Parlement, j'ai bien noté qu'une nouvelle mission d'accompagnement des collectivités autour de l'habitat dégradé serait confiée à l'ANCT. Cette mission devrait être complémentaire aux missions existantes de l'ANCT - les lots du marché d'ingénierie de l'ANCT ne la prévoyant aujourd'hui pas.

Quant à savoir si cet accompagnement est aujourd'hui suffisant, l'une des principales difficultés auxquelles sont confrontées les villes petites et moyennes est effectivement le déficit d'ingénierie pour faire face aux nombreux sujets mobilisant les élus et services des collectivités. Cela fait partie des missions de l'ANCT, dont le marché d'ingénierie a été doublé en 2024. Nous nous appuyons également beaucoup sur nos partenaires.

Pour ce qui est du déficit de compétences, la problématique est générale. À cet égard, les collectivités et les services de l'État rencontrent les mêmes difficultés. Dans le cadre du programme PVD, nous avons pu expérimenter la mise en place d'une bourse de l'emploi. Nous développons aussi beaucoup la formation des agents des collectivités et des chefs de projets. Dans le cadre du programme PVD, des formations ont été mises en place par l'ANCT et la Banque des territoires. Nous développons aujourd'hui une nouvelle offre de formation avec le CNFPT, dédiée à tous les chefs de projets (des programmes ACV et PVD, du plan Avenir montagnes, etc.).

Mme Audrey Linkenheld. - Vous avez présenté des chiffres concernant ce que produisent ces programmes, en termes de financements mobilisés et de logements construits ou accompagnés. Cependant, est-on capable de mesurer également l'effet de levier qu'ils induisent ? Au-delà des dispositifs de droit commun de l'Anah et de l'ANCT, ces programmes permettent-ils aux villes de faire davantage ? En matière d'accompagnement des copropriétés dégradées ou en voie de paupérisation, l'enjeu serait précisément de trouver les moyens de faire davantage. La boîte à outils existe et s'améliore au fil du temps. L'enjeu serait de faire en sorte que ces outils sortent de la boîte et enclenchent des réalisations concrètes.

Par ailleurs, dans le cadre de vos programmes, au-delà des Opah et des Opah-RU, des Opah Copropriété dégradée ont-elles également été mises en place ?

Mme Dominique Consille. - L'ensemble des outils de l'Anah sont mobilisés dans le cadre des programmes ACV et PVD, dont les Opah Copropriété dégradée.

Pour ce qui est des moyens supplémentaires mobilisés, le groupe Action Logement s'est engagé à intervenir dans toutes les villes ACV et intervient désormais, grâce au programme, dans des villes où ses équipes n'intervenaient pas. Dans le cadre de la phase 2 du programme, le groupe Action Logement s'est engagé à apporter 1 milliard d'euros supplémentaires sur la période 2023-2026.

Les moyens supplémentaires d'Action Logement ne sont pas nécessairement dédiés aux copropriétés. Ils sont davantage consacrés à l'acquisition, l'amélioration ou la réhabilitation de logements en monopropriété ou d'immeubles entiers. Néanmoins, dans les villes ACV, nous avons des exemples d'îlots dégradés réhabilités grâce à l'intervention d'Action Logement et d'autres partenaires. Le partenariat avec Action Logement a également permis de mener des opérations de démolition-reconstruction dans des villes ACV.

À Bayonne, par exemple, 30 logements ont pu être reconstruits dans le centre historique, à partir de copropriétés dégradées, grâce à l'intervention de Domofrance (filiale du groupe Action Logement). Le coût total de cette opération s'est élevé à 11,9 millions d'euros, avec des financements apportés par la ville, le département, la communauté d'agglomération, Action Logement, la Banque des territoires et l'ANRU.

Nous parvenons par ailleurs à mobiliser davantage que le droit commun, en associant dès le départ l'Anah aux projets de territoire. Ceci permet d'obtenir de bons résultats en termes de nombre logements rénovés.

Nous déployons également un effort d'animation dans le cadre des programmes ACV et PVD, autour de saisons thématiques, dont la dernière était dédiée au logement. Nous avons ainsi organisé des sessions d'information et des webinaires. Ces actions ont vocation à sensibiliser et à présenter l'ensemble des outils mobilisables par les maires, les chefs de projets et les différents partenaires, pour dynamiser la mise en oeuvre des projets.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Vous avez indiqué votre souhait de lancer une réflexion sur les nouvelles difficultés remontées par les élus locaux, le cas échéant au travers d'un groupe de travail. Quelle pourrait être la composition de ce groupe de travail ? Quels pourraient en être les objectifs ?

Mme Dominique Consille. - De plus en plus de maires nous font remonter le constat d'une paupérisation de leur centre-ville, avec l'arrivée, dans le parc privé, de populations en difficulté sociale. Ils sont également confrontés à des propriétaires privés peu responsables. L'enjeu serait de pouvoir identifier ces logements, y compris au-delà des copropriétés - le répertoire national des copropriétés n'étant de surcroît pas totalement exhaustif. L'objectif serait ensuite de vérifier que tous les outils à disposition des maires sont bien utilisés (y compris s'agissant des outils coercitifs) et d'envisager les besoins complémentaires. En parallèle, l'objectif serait d'identifier les bonnes pratiques à diffuser.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Merci pour votre disponibilité et les réponses apportées à nos questions. Notre commission d'enquête finalisera ses travaux fin juillet 2024. Son rapport sera ensuite présenté publiquement.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition d'associations d'élus locaux

(Lundi 8 avril 2024)

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Nous reprenons aujourd'hui nos travaux en recevant des représentants d'associations d'élus locaux et plus particulièrement Mme Hélène Geoffroy, ancienne ministre, maire de Vaulx-en-Velin, co-présidente de la commission politique de la ville et cohésion sociale de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF), M. Michel Bisson, maire de Lieusaint, vice-président de France Urbaine, et M. Philippe Rio, maire de Grigny, vice-président de l'Association des maires Ville & Banlieue de France.

La diversité des villes que vous représentez montre bien que le sujet de la paupérisation des copropriétés touche tous les territoires, des métropoles aux bourgs ruraux en passant par les banlieues, avec les grands ensembles emblématiques des politiques publiques en la matière.

En vue de l'examen du projet de loi qui vient d'être voté sur les copropriétés dégradées, j'avais fait organiser une consultation des maires sur le site du Sénat. L'un des résultats qui nous avaient frappés était que près de 60 % des répondants déclaraient avoir une copropriété dégradée sur leur commune et que c'était une priorité pour deux tiers d'entre eux. Dans ce projet de loi, comme vous le savez puisque plusieurs d'entre vous y ont participé et ont eu un impact direct sur le texte final, il y a eu un certain nombre d'avancées. Vous me direz si elles sont suffisantes pour vous. Mais il nous a semblé qu'au moins trois volets n'étaient pas assez traités dans ce projet de loi, sans que le temps disponible pour son examen ne permette d'y remédier.

Tout d'abord, la détection. Comment les maires, et les pouvoirs publics plus généralement, peuvent-ils savoir que telle ou telle copropriété est en train de déraper ? Théoriquement, le registre national d'immatriculation des copropriétés (RNIC) devrait y aider, mais, dans la réalité, j'ai l'impression que cela reste très empirique alors même que l'Agence nationale de l'habitat (Anah) nous indique que 150 000 copropriétés sont fragiles, sur 750 000.

Ensuite, la prévention. Quels outils a-t-on et quels outils devrait-on mettre en place ? Le mandataire ad hoc n'a pour l'instant guère fonctionné et les critères d'alerte liés aux impayés semblent mal calibrés.

Enfin, les petites villes et les petites copropriétés n'étaient pas vraiment dans le viseur du projet de loi. En réalité, très peu de copropriétés sont concernées par les opérations de requalification des copropriétés dégradées (Orcod) - même si c'est important. Plus généralement, c'est une opération programmée d'amélioration de l'habitat et de renouvellement urbain (Opah-RU) qui est utilisée avec des moyens plus limités. D'ailleurs, dans nombre de communes pauvres, le manque de moyens rend inenvisageable de s'engager dans une opération de restauration immobilière (ORI).

Concernant les marchands de sommeil, nous savons aussi qu'il est désormais plus nécessaire d'essayer de les entraver et de les faire condamner que d'alourdir un arsenal de sanctions déjà important. Il faut appliquer ce qui existe déjà.

Enfin, sachez que nous recevons après vous le directeur des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice et que nous l'interrogerons à nouveau sur la manière dont la police municipale, tout particulièrement, pourrait mieux collaborer avec le procureur pour lutter contre tous ces phénomènes.

En fait, madame et messieurs les maires, aidez-nous à être concrets et pragmatiques en poussant à la création ou à la mise en oeuvre de mesures qui seront vraiment opérationnelles.

Sachez également que la commission d'enquête a lancé une consultation citoyenne sur le site internet du Sénat et que celle-ci peut être largement diffusée pour que nos concitoyens et vos administrés s'expriment directement.

Avant de vous laisser la parole, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet et les réseaux sociaux du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.

Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.

Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Hélène Geoffroy, M. Michel Bisson et M. Philippe Rio prêtent serment.

Mme Hélène Geoffroy, ancienne ministre, maire de Vaulx-en-Velin, co-présidente de la commission politique de la ville et cohésion sociale de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité. - Ce sujet est particulier pour la ville de Vaulx-en-Velin, dont je suis maire, puisqu'une copropriété dégradée de ma ville a connu un tragique incendie il y a un peu plus d'un an. Elle faisait déjà partie d'un plan d'accompagnement des copropriétés dégradées. Même si la justice n'a pas encore rendu ses conclusions, je peux dire que cet incendie a jeté la lumière sur la situation de copropriétaires en désarroi face à la dégradation de leur copropriété.

La temporalité de l'action publique est toujours un peu longue, mais la complexité liée au fait qu'il s'agisse de propriétaires privés ajoute des difficultés. Plusieurs programmes de redressement ont pu être mis en oeuvre, mais le temps nécessaire à leur déploiement n'empêche pas la dégradation des copropriétés. Le premier enjeu est donc celui de la temporalité.

Dans la loi proposée, j'ai voulu défendre, au titre de l'AMF, la capacité de la puissance publique - l'intercommunalité me semblant être le bon niveau - à se saisir d'une partie de la vie quotidienne de la copropriété, ce qui heurte le droit fondamental de la propriété privée. À Vaulx-en-Velin, une copropriété privée a été prise en main par un administrateur judiciaire qui s'est révélé défaillant. L'État, la ville et la métropole ont eu des difficultés à intervenir, alors même que les trois apportaient des financements de redressement de la copropriété, car ils n'avaient pas la capacité de peser sur les choix de l'administrateur judiciaire. Nous nous sommes retrouvés dans des fonctionnements quasi parallèles.

Il nous semble important de retravailler la question du syndic public, en cas de dysfonctionnement majeur.

Dans le cas du renouvellement urbain, la question de la participation des agences et des modes de travaux se pose. Les règlements de l'Anah et de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru), qui partagent des types d'interventions, ne se recoupent pas totalement, ce qui alourdit les difficultés.

L'alerte est souvent donnée par des copropriétaires qui viennent trouver le maire. Il n'existe pas de volet d'alerte suffisant des syndics, si le conseil syndical dysfonctionne, si les impayés deviennent trop lourds ou si l'on dénombre trop de propriétaires bailleurs, ce qui peut être un indice de la présence de marchands de sommeil. Des outils d'amélioration de la connaissance par le maire de son territoire pourraient nous aider à mieux anticiper les problèmes.

Les plans de sauvegarde, quand ils sont de très grande ampleur, fonctionnent bien, mais leur temporalité de mise en oeuvre est très longue.

La puissance publique doit intervenir avant que la situation ne soit trop dégradée.

M. Philippe Rio, maire de Grigny, vice-président de l'Association des maires Ville & Banlieue de France. - Pour les membres de l'Association des maires Ville & Banlieue de France, vos travaux sont extrêmement importants, car nos territoires sont frappés de plein fouet par la paupérisation et la crise du logement. Crise du logement et crise sociale s'alimentent l'une l'autre. Une famille en voie de paupérisation qui intègre une copropriété fragile ou dégradée accélère sa paupérisation et fragilise encore plus la copropriété.

Des familles vulnérables qui n'ont pas accès au logement social se retournent vers la copropriété et sont parfois contraintes de prendre le statut de copropriétaire. Dans ce pays, le logement social exclut beaucoup de personnes qui se retrouvent dans des logements fragiles, voire dégradés.

Nous sommes relativement pessimistes sur les années à venir, car la crise du logement durera.

Ces dix dernières années, et plus particulièrement ces cinq dernières années, notre pays a fait un grand pas, sur la question des copropriétés, avec un arsenal législatif et réglementaire nouveau, auquel le Sénat a beaucoup contribué, et une politique d'État bien plus massive, grâce au plan Initiative Copropriétés (PIC). Il est nécessaire d'amplifier ces avancées très positives, car il demeure des lacunes, notamment sur la détection, la prévention, et les petites copropriétés.

M. Michel Bisson, maire de Lieusaint, vice-président de France Urbaine. - Je suis très heureux que vous ayez inscrit ce sujet à l'agenda de vos travaux, car il est majeur et s'amplifiera vraisemblablement. Nous disposons des capteurs nécessaires pour anticiper les difficultés dans l'habitat social, mais c'est bien moins le cas dans les copropriétés. Parfois, l'alerte est trop tardive.

Chez France Urbaine, la totalité des acteurs les plus concernés que nous avons sondés constate un accroissement du nombre de copropriétés fragiles et dégradées. Ils estiment aussi que l'Opah copropriétés dégradées (Opah-CD) et les plans de sauvegarde sont des outils adaptés au redressement des copropriétés en difficulté.

Comme M. Rio, nous estimons que des progrès ont été réalisés.

Si le fichier RNIC est utile et précieux, il est encore très largement insuffisant pour devenir un outil d'alerte, en raison de sa mise à jour annuelle - dans le meilleur des cas. C'est un état des lieux utile, mais insuffisant pour réagir de façon rapide.

Certaines petites copropriétés souhaitent limiter les coûts en faisant appel à des syndics bénévoles. Le risque de dégradation accélérée est accru. En effet, que ce soient des bénévoles qui gèrent au quotidien la copropriété, aussi impliqués soient-ils, ne permet pas de mesurer le risque à temps.

Nous saluons le travail déjà réalisé et la loi que vous préparez. Des dispositifs complémentaires pourraient être mis en oeuvre, tels que la préemption acquisitive, la mise en gestion par des bailleurs sociaux via des syndics d'intérêt général, et des programmes d'accompagnement intégrés aux espaces France Rénov'.

Des procédures accélérées et simplifiées à l'égard des marchands de sommeil sont indispensables pour stopper leurs capacités d'acquisition et de gestion. Leurs locataires doivent être sécurisés sur place si nécessaire. Il faut lutter contre les squats organisés par les marchands de sommeil et faciliter le relogement des locataires, en le faisant financer par l'Anah ou d'autres organismes.

Mme Marianne Margaté, rapporteure. - Je vous remercie d'avoir posé un cadre et suggéré de premières propositions. Au fur et à mesure des auditions, nous constatons que la paupérisation des copropriétés s'aggrave - notons à ce propos que les propriétaires occupants représentent un tiers des ménages modestes. Le système de la copropriété se fragilise à grande vitesse.

Cette commission d'enquête a toute sa pertinence pour être aux côtés de maires parfois démunis et leur proposer de nouveaux outils.

Les syndics sont des interlocuteurs importants. Quelles sont les bonnes pratiques pour en faire des partenaires ?

Un bon accès au droit des ménages vivant dans des copropriétés est important. Ils sont souvent démunis. Les maires peuvent les accompagner. Le triptyque maire-préfet-intercommunalité fonctionne-t-il bien ? Pourrait-il être amélioré ?

M. Philippe Rio. - Je suis un peu gêné pour répondre à cette dernière question, car mon président d'intercommunalité est à mes côtés, et la situation de Grigny relève de l'intercommunalité : nous n'avons pas une petite copropriété en difficulté, mais une très grande Orcod. L'articulation entre services est extrêmement importante : si les compétences sont partagées, le défi est commun. L'articulation avec le préfet, l'Anah, parfois l'Anru, et même les bailleurs sociaux est importante. Je n'oublie pas la police et la justice. Les services d'hygiène et de salubrité jouent également un rôle déterminant.

La question de la capacité de la justice à traiter la quantité de dossiers que nous transmettons se pose. Les tribunaux sont plus ou moins spécialisés sur ces sujets-là. À Bobigny et à Évry, des substituts du procureur maîtrisent très bien ces procédures.

Nous pensons que l'accompagnement social n'est vraiment pas au niveau. Le fonds de solidarité pour le logement, pour la copropriété de Grigny 2, n'a concerné que 23 dossiers en 2023. Les habitants de copropriétés dégradées ou vulnérables ne recourent pas au droit. Nous avons même détecté une autocensure de travailleurs sociaux, qui estiment que leur crédibilité sera affectée si la procédure à laquelle ils incitent n'aboutit pas.

Le RNIC est nouveau. Il faut qu'il entre dans les moeurs des territoires. Quand on constate des impayés supérieurs à 25 % dans des copropriétés de moins de 200 lots ou de 15 % dans des copropriétés de plus de 200 lots, quel pouvoir avons-nous pour enclencher une stratégie de recouvrement des impayés ?

La semaine dernière, le préfet délégué pour l'égalité des chances a convoqué le syndic d'une copropriété où il y a 141 % d'impayés : il n'y a pas de stratégie de recouvrement. Le taux d'impayés atteint 190 % dans une autre copropriété, et 90 % dans une autre encore. Ce syndic est présent depuis cinq à dix ans. Au fur et à mesure, on passe en administration provisoire. Il manque l'impulsion vers un nouveau comportement. En outre, les stratégies de recouvrement coûtent de l'argent. C'est une mécanique très compliquée. Il faut passer les impayés en créances irrécouvrables, ce qui signifie que ceux qui paient doivent payer plus cher, pour moins de services. C'est complètement dysfonctionnant. La comptabilité doit être adaptée.

Il est important de détecter les situations problématiques, mais il faut, ensuite, que le plan d'action soit réalisable comptablement et juridiquement. Cela pose aussi la question de la capacité des tribunaux à traiter tous les dossiers. Dans de grandes copropriétés, leur nombre peut être élevé.

Les associations syndicales libres (ASL) ne bénéficient pas de dispositifs aussi clairs et nets que les copropriétés. En Essonne, 50 % des ASL sont fragiles. Nous avons une ASL de 200 logements individuels groupés à côté de Grigny 2, qui connaît des difficultés de gestion, des impayés, des propriétaires nouveaux qui se paupérisent, et qui peinent à maintenir le patrimoine en état, notamment celui des années 1970 et même 1980.

La solution de l'emprunt collectif est très bonne. Se pose la question, en ASL ou en copropriété, de la garantie d'emprunt. Vous savez que l'on ne prête qu'aux riches ! On dénombre 27 plans de sauvegarde à Grigny pour Grigny 2, sur 127, me semble-t-il, en France.

Le préfinancement pose aussi question.

Mme Hélène Geoffroy. - La première difficulté que l'on rencontre, à Vaulx-en-Velin, est de toucher les habitants quand il y a une proportion de propriétaires bailleurs, investisseurs pour partie, qui ne sont pas dans un travail partenarial avec la collectivité. Les locataires, pour certains fragiles, ne sont pas les interlocuteurs appropriés. Le plan Initiative Copropriétés est un plan important. Il a été vécu comme une heureuse initiative. Les mesures de programme opérationnel de prévention et d'accompagnement des copropriétés (Popac) et d'Opah ne font pas la maille.

Une copropriété qui a connu nombre de dispositifs en quinze ans est passée d'orange à rouge après un Popac. Elle serait peut-être passée à violet sans Popac, mais cela signifie que l'on n'a pas pris la mesure des besoins.

L'intérêt du plan Initiative Copropriétés est de rassembler l'État, l'intercommunalité ou la métropole et la ville, et d'être au bon niveau financier, avec un rachat d'appartement acceptable si nécessaire.

L'une des difficultés est la divergence d'intérêts des copropriétaires selon qu'ils sont bailleurs ou occupants. Certains bailleurs se transforment en marchands de sommeil et nous nous retrouvons face à des locataires sans titre de séjour. Or l'accès au droit des locataires ne se pose pas dans les mêmes termes selon qu'ils ont ou non un titre de séjour.

Nous devons bien identifier ces différentes caractéristiques.

Le poids de la puissance publique est important à l'égard des syndics dès lors qu'elle octroie des financements. Nous, les maires, voyons des copropriétaires dépassés qui n'osent plus parler à leur syndic et viennent nous demander de le faire. Certains syndics se défaussent. Face à cela, le triptyque État-intercommunalité-ville offre une forme unie d'action très importante. Si certains syndics sont extrêmement performants, pour d'autres, le préfet délégué pour l'égalité des chances (Pdec) doit frapper du poing sur la table.

Je reviens sur l'administrateur judiciaire : si nous conservons le même format, il faut absolument donner un droit de regard à la puissance publique qui finance. Nous devons nous pencher sur les syndics de collectivités. Au moins, nous serions dans la transparence.

Notre service d'hygiène et de salubrité est de plus en plus sollicité par le privé. Ce n'est pas toujours simple de répondre aux demandes d'expertise.

Nous n'avons pas été organisés pour répondre aux questions d'accès au droit des ménages. Le logement social mobilise tout le monde, mais il y a aussi une montée en puissance de la problématique des copropriétés. Désormais, les promoteurs immobiliers demandent quel sera l'accompagnement des nouveaux copropriétaires. Jusqu'à présent, les collectivités territoriales se disaient : « C'est du privé, ils gèrent leurs affaires. » Mais nous voyons que ce n'est plus possible.

M. Michel Bisson. - L'intercommunalité est la bonne échelle, en tout cas pour France Urbaine. Certaines métropoles ont pris la compétence d'autorité organisatrice de l'habitat, ce qui amène une ingénierie à haut niveau.

Le trio évoqué tout à l'heure est essentiel et fonctionne très bien à l'échelle des métropoles que j'ai citées. Cela s'explique par la taille de ces dernières - je pense en particulier à la communauté d'agglomération Grand Paris Sud Seine-Essonne-Sénart - et à l'engagement de maires très impliqués qui ont une vision et une intelligence de la situation. S'ajoutent à cela les capacités d'ingénierie des agglomérations et leur politique de peuplement, donc de relogement, au-delà de la simple échelle communale, mais aussi l'accompagnement réalisé par le Pdec.

L'unité d'action est très importante sur ces sujets qui sont, par nécessité, complexes et impliquent une multiplicité d'acteurs.

La chaîne de l'action publique doit être la plus fluide et efficiente possible, ce qui fait souvent défaut dans notre pays. Il s'agit non pas de retravailler les compétences et de les redistribuer, mais de réduire la verticalité au profit de l'horizontalité.

L'adoption du projet de loi relatif à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé et des grandes opérations d'aménagement doit assurer la montée en puissance des syndics d'intérêt collectif. Ils s'avèrent particulièrement utiles sur des sujets très sensibles en ce qu'ils permettent de mobiliser l'ensemble des bailleurs sociaux.

La vigilance sur les mandataires sera renforcée via la certification QualiSR Syndic Prévention Redressement et les consultations auprès des collectivités compétentes en matière d'habitat. L'idée est d'exclure systématiquement de la liste des mandataires ceux qui auraient commis des infractions sur d'autres territoires ou dans le cadre d'autres opérations.

Enfin, il existe des disparités entre les territoires en matière de financement. Par exemple, la région d'Île-de-France et le département de l'Essonne accompagnent les copropriétés, ce qui n'est pas le cas du département de Seine-et-Marne. La Banque des territoires a beaucoup à apporter, notamment au travers du prêt avance à destination des copropriétaires en difficulté. Ce sont les dispositifs de suivi et d'animation qui ont été privilégiés jusqu'à présent, mais ils ne suffisent pas. Il est donc nécessaire que la Banque des territoires intervienne de nouveau en soutien des dispositifs de l'Anah.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Lutter contre la paupérisation des copropriétés, c'est en même temps lutter contre la paupérisation des copropriétaires via l'accompagnement social de ceux qui sont le plus fragilisés.

Pensez-vous qu'il manque un acteur spécifique à même d'assurer cet accompagnement ? S'il existe déjà, il faudrait sans doute renforcer ou clairement définir ses missions. Avez-vous des exemples de bonnes pratiques dans vos territoires pour aider les copropriétés fragiles ?

M. David Ros. - Ma première question a trait à l'impact de la multilocation dans le cycle néfaste de paupérisation-dégradation et de dégradation-paupérisation. S'agit-il d'un élément majeur ? Y a-t-il des choses à entreprendre de manière spécifique ?

Ma deuxième question s'adresse directement à M. Rio. La ville de Grigny a bénéficié d'une Orcod. Pensez-vous qu'il est temps de faire le bilan de l'efficacité de ce dispositif, notamment sur le plan de l'accompagnement social ? Est-il adapté aux différentes situations et aux tailles de copropriétés ? Devrions-nous l'étendre à d'autres communes ?

Enfin, ma troisième question concerne la verticalité que M. Bisson évoquait au sujet des administrateurs judiciaires. Existe-t-il des freins dans la chaîne de commandement qui ne leur permettent pas de mener à bien leur travail ?

M. Laurent Burgoa. - La généralisation du permis de louer permettrait-elle de freiner la paupérisation des copropriétés ? Elle supposerait une aide de l'État, car elle engendrerait des besoins de fonctionnement supplémentaires pour les communes et les intercommunalités.

La transformation des copropriétés privées en logements sociaux publics serait-elle la solution à la grande paupérisation dont souffrent certaines copropriétés ? Ayant été adjoint chargé de la rénovation urbaine auprès du maire de Nîmes, je sais que l'Anru n'y serait pas du tout favorable. Une telle transformation irait même à l'encontre de sa politique, qui consiste précisément à réduire le nombre de logements sociaux dans les quartiers.

M. Philippe Rio. - Je pense qu'il y a une certaine frilosité à traiter le cas des « invisibles » de la précarité et de la paupérisation. En effet, notre système est tétanisé et nous empêche de franchir la porte des copropriétés vulnérables et dégradées. Notre expérience nous amène à constater qu'il n'existe aucune solution pour un certain nombre de ménages.

Les immeubles gérés par les bailleurs sociaux disposent d'un gardien et d'assistantes sociales ; des enquêtes sociales y sont menées. On peut arriver à faire bouger les choses si tant est que l'on se donne les moyens d'aller au contact des services de la ville et du département. Dans une copropriété privée, il n'y a rien. S'enkystent donc des situations sociales extrêmement difficiles. Hélène Geoffroy évoquait la situation de ceux qui sont sans droit ni titre : parfois, la copropriété est pour eux le seul moyen de se loger. Il existe non seulement une crise du logement, mais aussi une crise de l'hébergement d'urgence.

Dès qu'un plan d'attaque est mis en oeuvre - Orcod, opérations programmées d'amélioration de l'habitat (Opah), plans de sauvegarde -, il faut proposer des solutions sociales beaucoup plus puissantes, en plus de celles qui sont apportées en matière de logement et d'habitat. On voit bien qu'un grand écart se creuse : on fait le bâti, mais on ne pense pas à l'humain. Or les deux sont intimement liés.

J'en viens aux multilocations. Je fais partie de ceux qui ont défendu l'interdiction des colocations à baux multiples dans des secteurs d'intervention publique.

Le ministre du logement nous a beaucoup parlé du monde étudiant. Or ce ne sont pas des étudiants que nous retrouvons dans nos copropriétés sous ORCOD. Aujourd'hui, les marchands de sommeil présumés s'abritent derrière la loi devant les tribunaux - je ne le sais que trop bien, étant presque toujours chargé de représenter la ville lorsqu'elle se constitue partie civile.

Sur cette question, je vous renvoie aux débats sur le projet de loi concernant la rénovation de l'habitat dégradé et à l'amendement du Sénat adopté contre l'avis du Gouvernement. Il est certain que la multilocation est un facteur d'accélération de la fragilité des copropriétés.

Oui, il convient de faire le bilan de l'opération de requalification des copropriétés dégradées d'intérêt national (Orcod-in) qui a été lancée Grigny en 2016. Pour l'heure, le dispositif est à mi-parcours. La vraie question que pose l'Orcod-in est celle de la perception d'un impôt spécifique. À Nîmes, la taxe spéciale d'équipement (TSE) permet de constituer des sommes spécifiques pour une intervention extrêmement importante auprès de copropriétés complexes qui font souvent la une des médias en raison de certaines catastrophes.

Bien évidemment, il reste des choses à améliorer : le mal-logement va s'accélérer dans les copropriétés et nécessitera d'adapter nos outils.

Le contrôle des administrateurs judiciaires fait partie des marges de progrès que le législateur doit nous donner, sans quoi nous ne pourrons pas être plus performants. La ville de Grigny a été contrainte de poursuivre en justice un administrateur judiciaire qui n'avait pas rendu les comptes pendant trois ans auprès de l'établissement public foncier d'Île-de-France (Epfif). C'est bien le lien entre la justice et les administrateurs qui pose question.

Par ailleurs, le permis de louer semble être un bon outil et un certain nombre de villes l'ont déjà mis en place. Néanmoins, il faut y consacrer du temps et des moyens, ce qui peut poser problème en zone rurale. Sachez que la ville de Grigny ne dispose que d'un seul inspecteur de salubrité pour 300 visites annuelles. Le permis de louer et le maintien de la salubrité représentent une charge pour ceux qui ont la malchance de résider dans ces habitats.

Enfin, vous avez évoqué l'Anru et l'Anah. Nous sommes convaincus que les bailleurs sociaux ont un rôle déterminant à jouer dans l'avenir des copropriétés fragiles : ils sont l'une des clés de leur redressement.

Lorsque les copropriétés touchent le fond, elles ont parfois beaucoup de mal à remonter à la surface. Ainsi, il est essentiel de privilégier les copropriétés mixtes, dont l'un des membres est un vrai professionnel de l'immobilier capable de gérer et de mutualiser les coûts, mais aussi de négocier avec un chauffagiste ou un ascensoriste. Le chauffage et l'ascenseur sont les deux éléments de charges incontrôlables pour les copropriétaires qui, je le rappelle, sont bénévoles. Le rapport de force qu'ils entretiennent avec des entreprises comme Otis ou Schindler est forcément asymétrique.

Il est donc bon pour les copropriétaires de compter parmi eux un professionnel consciencieux, vertueux, et contrôlé - les bailleurs sociaux ont un savoir-faire remarquable. Aujourd'hui, ce n'est pas dans le logement social que se manifeste le mal-logement, mais dans les copropriétés.

Enfin, je souhaiterais clarifier mes propos sur la prévention. Dès qu'un plan de sauvegarde, une Opah ou un Popac est mis en oeuvre, il faudrait obligatoirement procéder à un audit financier et comptable de la copropriété. Des préfets ont parfois été conduits à mettre fin à l'aide à la gestion des syndics versée par l'Anah, ces derniers étant incapables de faire état de la situation financière réelle de la copropriété. On a parfois continué à avancer alors que le brouillard persistait sur la situation comptable réelle de la copropriété.

Quelle stratégie mettre en oeuvre et comment la partager entre les syndics, les copropriétaires et la puissance publique ?

Des avancées exceptionnelles ont été actées pour les syndics d'intérêt collectif. La loi leur permet désormais d'intervenir sous administration provisoire, ce qui va dans le sens de la prévention. Dans le cadre des Popac, des plans de sauvegarde, des Orcod et des Orcod-in, il faut laisser la possibilité aux copropriétaires et à la puissance publique de s'organiser pour mettre à disposition un outil de gestion permettant d'en faire davantage là où il y a le plus d'impayés.

Dans une sorte de cercle vicieux, les copropriétés difficiles exigent une plus grande intervention en raison d'une dégradation de la gestion et du bâti, mais aussi de l'augmentation des impayés. L'équation est impossible à résoudre s'il n'existe pas de système mutualisé impliquant l'intervention d'une société d'économie mixte (SEM) ou d'un bailleur social, lequel a un véritable savoir-faire en milieu difficile, notamment en matière de bonne gestion.

Mme Hélène Geoffroy. - Le permis de louer intéresse notre métropole, qui a lancé une première étape dans une autre ville que Lyon. Si cela intéresse la commission d'enquête, je peux lui faire parvenir un premier bilan puisque nous bénéficions désormais d'un recul d'un an sur la mise en oeuvre de ce dispositif.

Concernant les administrateurs judiciaires, nous sommes incapables d'encadrer la façon dont les choses fonctionnent. Nous n'avons aucun mot à dire sur leur rémunération, pas plus que les copropriétaires ou la puissance publique, en raison de la séparation que j'évoquais tout à l'heure.

En réalité, les administrateurs judiciaires ne sont pas des spécialistes des copropriétés, faute de bénéficier d'une formation et d'un mandat spécifiques. En outre, les copropriétaires n'ont aucun retour sur ce que fait l'administrateur judiciaire ; c'est une vraie difficulté. Certains habitants de Vaulx-en-Velin n'ont pu connaître l'état de leur copropriété et la façon dont étaient utilisées leurs charges, les mandataires judiciaires n'étant pas obligés de leur rendre compte. Nous devons absolument avancer sur ce point et anticiper les choses.

La métropole de Lyon a créé un poste spécifiquement consacré à l'accompagnement social des copropriétaires, mais il ne sera maintenu que le temps du PIC. Dès lors, comment structurer l'accompagnement social sur le long terme ? Ce plan constitue une avancée par rapport au dispositif antérieur en ce qu'il permet de structurer un accompagnement avec les outils et les financements nécessaires : ainsi, le bureau d'études accompagne les copropriétés, procède à des analyses, établit des diagnostics et délivre des documents aux copropriétaires. En outre, il a ranimé les conseils syndicaux.

Aujourd'hui, on constate une diminution du taux d'impayés sur les treize copropriétés que j'évoquais - enfin ! Mais le PIC a été mis en place en 2018 ; nous avons donc déjà accompli six ans de travail, d'où la nécessité d'anticiper et d'agir plus rapidement.

Concernant l'Anru, plusieurs écoles de pensée s'affrontent au sein de l'AMF. Pour ma part, je pense que la transformation des copropriétés en logements sociaux nous ferait perdre en mixité à l'échelle du quartier. Je crois davantage aux capacités d'accompagnement que nous mettons en place et au rachat des appartements pour les remettre dans le champ du logement privé. Mais cela nécessite une intervention forte de la puissance publique. Je pense toutefois qu'il faut maintenir un équilibre entre copropriété privée et logement social. Je n'ai pas interrogé l'AMF pour connaître sa position globale sur ce sujet. De manière générale, le rachat de copropriétés pour en faire des logements sociaux ne saurait être une politique systématique ; en tout cas, je n'y suis pas favorable.

Cela peut être une bonne solution au cas par cas, mais gardons à l'esprit l'enjeu de mixité. Les copropriétés dégradées sont souvent présentes dans deux types d'endroits : les coeurs de villes anciens et les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV). Si nous procédions à la transformation suggérée par M. Burgoa, certains territoires seraient, comme par le passé, pourvus d'un trop grand nombre de logements sociaux, de l'ordre de 60 à 70 %, ce qui entraîne d'autres formes de dysfonctionnement.

Il vaut mieux se concentrer sur les copropriétés, déterminer la bonne temporalité pour les accompagner et privilégier les outils d'alerte.

Les élus locaux sont aujourd'hui capables de décrire tout le processus de dégradation d'une copropriété. Ils peuvent même déterminer le bon moment pour sonner l'alerte et mettre en oeuvre les dispositifs les plus pertinents pour éviter la dégradation. Lorsque les choses sont allées trop loin et que la dégradation est avérée, il convient parfois de racheter certains appartements.

Nous nous voyons quelquefois contraints de mener un travail sur l'environnement urbain, car la paupérisation peut soulever des problèmes en matière de sécurité, de cadre de vie et d'urbanisme. On traite souvent le volet habitat sans se soucier du volet urbain, des questions de sécurité publique ou du cadre de vie. Il faut penser à intégrer le volet urbain et tout traiter en même temps, comme lorsque nous avons construit les logements sociaux.

J'en ai bien conscience, tout ne se fera pas d'un seul coup. Mais l'enjeu urbain doit être considéré de façon égale si nous voulons répondre de façon structurante à la dégradation des copropriétés des années 1960, 1970 et 1980.

Enfin, il existe un nouvel enjeu d'accompagnement des collectivités locales pour les copropriétés qui sont construites aujourd'hui. Dans ce cadre, toutes les typologies d'accession à la propriété doivent être prises en compte. En raison de l'accession sociale à la propriété, de la diversité de logements et des nouveaux programmes de renouvellement urbain, il arrive que des copropriétés se retrouvent accolées à des logements sociaux. Or ce genre de mixité ne fonctionne pas toujours très bien.

M. Michel Bisson. - Je milite également pour une approche globale urbaine cumulant l'Anah et l'Anru, deux outils extrêmement puissants, de façon à ne pas saucissonner des bouts de territoire en les traitant de manière différente.

Nous devons profiter de la transition sociale et écologique pour réparer les habitations. Il s'agit de réaliser des raccordements à des réseaux de chaleur pour maîtriser les prix de sortie de l'énergie dans la durée, mais aussi de procéder à des travaux d'isolation et de rénovation thermique. Nous devons nous assurer que l'habitat que nous rénovons ne se trouvera pas demain dans la même situation qu'aujourd'hui.

Il faut aussi tenir compte de l'aspect social de la transition écologique ; je pense notamment aux coûts de l'énergie. Il existe un très grand nombre d'aides, que ce soit à l'échelle nationale, départementale, communautaire ou communale. Les grands opérateurs que sont la caisse d'allocations familiales (CAF) et la sécurité sociale ont ici leur rôle à jouer.

Tout cela représente des sommes colossales et bien utiles, mais chaque autorité agit dans son couloir et poursuit ses propres objectifs. Il est donc nécessaire, au moins là où existent les plus grandes difficultés, de créer des pactes de solidarité et de réunir tous les acteurs autour de la table. Les choses pourront ainsi démarrer et seront ensuite évaluées.

Dans les copropriétés dégradées, il existe des difficultés sociales qui entraînent vraisemblablement des difficultés en matière de santé. La sécurité sociale conduit de plus en plus de politiques publiques de prévention qui, bien souvent, sont aussi mises en oeuvre par les collectivités. En partant du même constat et en poursuivant le même objectif, nous démultiplierions la force des moyens publics. C'est pourquoi il est nécessaire de mettre autour de la table l'ensemble des partenaires qui concourent à la lutte contre la pauvreté, voire l'extrême pauvreté.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Je vous remercie pour vos contributions. Je vous informe que cette commission d'enquête conclura ses travaux fin juillet et présentera un rapport que nous serons heureux de vous communiquer.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de M. Olivier Christen, directeur des affaires criminelles
et des grâces du Ministère de la Justice

(Lundi 8 avril 2024)

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Madame la rapporteure, mes chers collègues, nous recevons Olivier Christen, directeur des affaires criminelles et des grâces. Pour rappel, notre commission d'enquête porte sur les phénomènes de dégradation et de paupérisation des copropriétés observés sur l'ensemble de notre territoire. Nos travaux entendent ainsi apporter un éclairage sur les processus, multiples, qui peuvent conduire une copropriété à la paupérisation afin d'une part, d'accélérer leur prise en charge et leur redressement, ainsi que, d'autre part, de mieux prévenir l'apparition de telles situations.

Parmi tous les risques pouvant conduire les copropriétés à la paupérisation, l'installation de marchands de sommeil, propriétaires malveillants qui louent à prix élevé des logements indignes, constitue une étape d'un schéma connu par la puissance publique, mais contre lequel elle demeure encore trop souvent impuissante.

Aussi, il nous semblait primordial de consacrer un temps de nos travaux aux réponses, notamment pénales, que la puissance publique peut apporter pour prévenir et réprimer ces agissements. Nous nous réjouissons de pouvoir vous entendre, vous qui dirigez depuis plus de trois ans désormais la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la Justice, chargée d'établir et de conduire les politiques publiques en matière pénale.

Je souhaiterais vous interroger en premier lieu sur la répression pénale des marchands de sommeil. Malgré le renforcement des sanctions pénales portées par le projet de loi récemment adopté par le Parlement, pour lequel j'étais rapporteure, je sais qu'il demeure des difficultés pour parvenir à faire condamner ces propriétaires malveillants. Comment, selon vous, est-il possible encore d'avancer dans la détection et la répression de tels actes ?

De plus, notre Commission d'enquête se fonde pour partie sur les constats du rapport Hanotin-Lutz paru il y a quelques mois, qui dénonce un manque de moyens pour la détection et la lutte contre l'habitat dégradé. La mission Hanotin-Lutz propose de confier des pouvoirs d'officier de police judiciaire à des policiers municipaux et à des inspecteurs de salubrité en cette matière, sous le contrôle du procureur. Quel est votre regard sur ces propositions ? Comment serait-il possible aujourd'hui de mieux doter ces services afin d'accélérer la détection et la prise en charge de ces problématiques ?

Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions et pour énoncer votre propos introductif, je précise que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié. Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre Commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du Code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende. Je vous invite donc à prêter serment, de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Olivier Chriten prête serment.

Monsieur, vous avez donc la parole. Je précise également que notre rapporteure Marianne Margaté est à mes côtés, avec mes deux collègues sénateurs, David Ros et Laurent Burgoa.

M. Olivier Christen. - Merci, Madame la Présidente, de nous avoir invités à participer à vos travaux. Je suis accompagné de deux collègues de la direction des affaires criminelles et des grâces, à savoir Étienne Perrin, chef du bureau du droit économique, financier et social, de l'environnement et de la santé publique, et Alexis Chiari, magistrat rédacteur. Ils me suppléeront peut-être pour répondre à certaines de vos questions, compte tenu du caractère plus avancé de leur maîtrise technique des sujets.

J'interviens aujourd'hui en tant que directeur des affaires criminelles et des grâces de la Chancellerie. Ma direction élabore la législation et la réglementation en matière répressive. Dans le cadre des travaux du Parlement, je prépare des propositions de textes pour le gouvernement, ou des propositions de réponses aux arguments parlementaires. Ma direction participe aussi à l'élaboration de la législation européenne et internationale, en lien avec le Secrétariat général des affaires européennes. Pour autant, cette seconde mission nous intéressera moins dans mon audition.

Par ailleurs, nous préparons les instructions générales d'action publique du ministère de la Justice, qui portent la politique pénale. Nous coordonnons et nous évaluons leur mise en application. Nous vérifions leur mise en oeuvre par les parquets généraux et les parquets. Ainsi, je pourrai vous apporter des précisions sur l'efficacité du dispositif répressif existant et sur la prise en compte des instructions générales d'action publique par les parquets.

La lutte contre l'habitat indigne s'articule autour d'actions de prévention et de résorption, portées par différentes procédures administratives issues du Code de la santé publique et du Code de la construction et de l'habitation, engagées par les préfets, les maires, les présidents des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI).

De plus, la lutte contre l'habitat indigne figure de longue date au rang des axes prioritaires des politiques pénales, présentées par le garde des Sceaux. Ma direction veille à la poursuite et à la répression des infractions qui se rapportent à l'habitat indigne, avec une fermeté particulière dès lors qu'elles peuvent porter une atteinte à la santé ou à l'intégrité physique des occupants, ou causer un trouble important à l'ordre public.

Je concentrerai mon intervention sur les aspects répressifs de la lutte contre l'habitat indigne, comme vous m'y invitiez, et particulièrement sous le prisme des copropriétés immobilières, situées au coeur de votre enquête.

Tout d'abord, je présenterai rapidement le cadre normatif lié à l'habitat indigne. Puis, j'évoquerai la politique pénale portée par le ministère de la Justice. Enfin je reviendrai sur le traitement judiciaire des infractions, tel qu'il apparaît à partir des éléments adressés par les parquets généraux.

Le droit pénal en vigueur réprime le non-respect de la police en matière d'habitat insalubre, l'hébergement incompatible avec la dignité humaine, ainsi que la pratique dite de location « à la découpe ». Il existe également pour certains professionnels immobiliers et pour les syndics de copropriété une obligation non pénalement réprimée de signalement des faits relevant de ces deux catégories de délit au procureur de la République.

Les dispositions répressives relatives à la lutte contre l'habitat insalubre figurent principalement aux titres I et II du livre V du Code de la construction et de l'habitation, consacrés respectivement à la sécurité et à la salubrité des immeubles, et à la protection des occupants.

Les infractions réprimées à titre principal, de peines d'emprisonnement d'un à cinq ans et d'amende de 50 000 à 150 000 euros, sont prévues par les articles L. 511-22 et L. 521-4 de ce code. Pour mémoire, les personnes physiques encourent les peines complémentaires obligatoires suivantes : confiscation des fonds de commerce ou de l'immeuble destinés à l'hébergement des personnes ayant servi à commettre l'infraction et interdiction d'exercer une activité professionnelle ou sociale.

Les personnes morales encourent à titre principal, outre ces peines complémentaires, une peine d'amende cinq fois plus élevée que celle encourue par les personnes physiques. Enfin, la loi du 26 janvier 2024 a renforcé la répression des marchands de sommeil, en aggravant les peines encourues lorsque la victime est une personne vulnérable. Ces personnes vulnérables sont notamment des ressortissants étrangers en situation irrégulière, souvent dans une situation particulièrement fragile, exploitée par les filières d'immigration irrégulières.

Il convient de souligner que la notion d'habitat insalubre se distingue de la notion d'hébergement incompatible avec la dignité humaine, qui est un élément constitutif du délit décrit dans l'article 225-14 du Code pénal et qui réprime « le fait de soumettre une personne, dont la vulnérabilité ou l'état de dépendance sont apparents ou connus, à des conditions de travail ou d'hébergement incompatibles avec la dignité humaine ». Cet article prévoit une peine de cinq ans d'emprisonnement et une amende de 150 000 euros.

Lorsque ce délit est commis à l'égard de plusieurs personnes ou d'un mineur, ces peines sont aggravées à sept ans d'emprisonnement et à une amende de 200 000 euros.

Quand ce délit est commis contre plusieurs personnes parmi lesquelles figurent un ou plusieurs mineurs, la peine prévue est portée à dix ans d'emprisonnement et à une amende de 300 000 euros.

Pour rappel, le projet de loi relatif à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé et des grandes opérations d'aménagement a été adopté le 19 mars par l'Assemblée nationale et le 27 mars par le Sénat. La promulgation du texte, sous réserve d'une éventuelle saisine du Conseil constitutionnel, est donc imminente. Ce texte aggrave les peines prévues par les articles 225-14 et 225-15 du Code pénal, qui répriment la soumission à un hébergement incompatible avec la dignité humaine.

La sanction de la pratique de la location à la découpe est précisée dans l'article L. 183-15 du Code de la construction et de l'habitation, créé par l'ordonnance du 29 janvier 2020. La mise à disposition en vente ou en location de locaux destinés à l'habitation provenant d'une division interdite d'immeuble par appartement est réprimée par une peine de deux ans d'emprisonnement et par une amende de 75 000 euros.

J'en viens à présent à l'obligation de signalement. La loi du 2 janvier 1970 pose à l'égard des professionnels de l'immobilier l'obligation de signalement au procureur de la République des faits susceptibles de constituer les délits réprimés par les articles 225-14 du Code pénal et L. 511-22 du Code de la construction et de l'habitation.

Une disposition similaire a été introduite par la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (Elan) à l'égard des syndics de copropriété, conduisant à modifier la loi du 10 juillet 1965.

La méconnaissance de ces obligations de signalement n'est toutefois pas pénalement sanctionnée, comme cela est souvent le cas s'agissant des obligations de signalement au procureur. Néanmoins, l'introduction d'une sanction pour les opérateurs immobiliers qui n'auraient pas signalé des situations dont ils auraient eu connaissance renforcerait le dispositif répressif. Ces sanctions existent dans d'autres domaines.

Le ministère de la Justice porte via la direction des affaires criminelles et des grâces une politique pénale se voulant très proactive en matière de lutte contre l'habitat indigne, où nous sommes pleinement mobilisés depuis plusieurs décennies. La source de cette politique pénale se trouve dans une circulaire déjà ancienne du 4 octobre 2007, qui présente les dispositions de la loi du 13 juillet 2006, portant engagement national pour le logement.

Plus récemment, dans le sillage de la loi Elan, une importante circulaire conjointe du 8 février 2019 relative au renforcement et à la coordination de la lutte contre l'habitat indigne a été signée par la garde des sceaux Nicole Belloubet et le ministre délégué chargé de la ville et du logement Julien Denormandie. Les directives très structurantes de cette circulaire conservent toute leur pertinence et toute leur actualité. Lorsque les ministres signent eux-mêmes les circulaires de politique pénale, sans en déléguer la signature au directeur des affaires criminelles et des grâces, ils souhaitent leur donner une force politique plus lourde.

La politique pénale portée par le ministère de la justice en matière de lutte contre l'habitat indigne repose sur deux axes, à savoir la coordination étroite de l'action administrative et judiciaire, et le renforcement de l'efficacité du traitement judiciaire.

S'agissant premièrement de la coordination de l'action administrative et judiciaire, elle est identifiée par la circulaire du 4 octobre 2007 de la direction des affaires criminelles et des grâces relative à l'application de la loi du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement comme « un jalon essentiel d'une politique pénale efficace en matière d'habitat indigne ».

Cette coordination, gage de la cohérence d'une politique publique efficace, se manifeste au sein des pôles départementaux de lutte contre l'habitat indigne (PDLHI), instances privilégiées du dialogue noué entre les partenaires impliqués dans la lutte contre l'habitat indigne. Les parquets, et notamment le magistrat référent en matière d'habitat indigne, doivent être étroitement associés à ce dialogue.

À titre d'information, la circulaire du 4 octobre 2007 demandait la désignation de magistrats référents en matière d'habitat indigne dans tous les parquets de France. La désignation de magistrats du parquet plus spécialement chargé de domaines techniques particuliers constitue une pratique fréquente. Selon la taille du parquet, un magistrat référent peut être chargé de plusieurs champs. Ces magistrats sont aussi les référents des autorités administratives chargées de coordonner l'action administrative et judiciaire.

La coopération menée au sein des PDLHI facilite le repérage des logements indignes et l'identification de potentiels marchands de sommeil. Il s'agit de permettre aux procureurs de la République d'envisager l'opportunité de l'engagement d'actions pénales.

Différents signaux participent à l'identification des situations d'habitat indigne. En particulier, nous observons des difficultés de mise en oeuvre de l'action administrative, en raison de l'absence de syndics dans les copropriétés, de l'absence de documents permettant le fonctionnement des copropriétés, ou encore de la défaillance des syndics de copropriété. Il apparaît des infractions constatées que ces copropriétés en difficulté sont les cibles favorites des marchands de sommeil.

La circulaire du 8 février 2019 relative au renforcement et à la coordination de la lutte contre l'habitat indigne insiste sur l'importance des PDLHI. Elle leur demande de traiter les situations d'habitat indigne avec une vigilance particulière.

Le renforcement de l'efficacité du traitement judiciaire des situations d'habitat indigne constitue le second axe de la politique pénale de lutte contre ces formes d'habitat. Des groupes locaux de traitement de la délinquance (GLTD) dédiés au traitement judiciaire des situations d'habitat indigne portent la généralisation d'une politique pénale progressive, pour une réponse plus ferme dans les affaires les plus graves. La direction des affaires criminelles et des grâces promeut spécialement cette démarche dans le champ de la lutte contre l'habitat indigne.

Nous avons invité à plusieurs reprises les parquets à créer des GLTD dédiés à la lutte contre l'habitat indigne (GLTD LHI), pour répondre de la manière la plus adaptée à des problématiques spécifiques à une commune, un quartier, voire une copropriété. Les GLTD LHI semblent constituer un lieu d'échange opérationnel tout à fait approprié. Les échanges y sont menés sous la présidence du procureur de la République, et avec la participation des services administratifs et des services d'enquête. Les GLTD LHI identifient et assurent le traitement des situations relevant d'une réponse judiciaire, en coordination avec l'action des services administratifs.

Les GLTD existent dans beaucoup de domaines. Ils sont parfois créés pour traiter un phénomène de délinquance global dans un quartier donné. Depuis un certain nombre d'années, nous promouvons l'établissement de GLTD dits thématiques. Si les GLTD LHI peuvent correspondre au traitement local de la délinquance, ils peuvent aussi concerner plusieurs territoires du ressort des procureurs. Ce dispositif, qui fonctionne bien, permet de réunir autour d'une même table, sous la présidence du procureur de la République toutes les personnes concernées par le sujet. Les GLTD LHI balayent donc toutes les problématiques posées, depuis la détection d'habitats indignes, jusqu'à la répression. Ces groupes s'intéressent aussi à l'identification des services d'enquête pouvant intervenir et le type d'investigation qu'ils pourront conduire. Il s'agit aussi de réaliser un suivi sur les décisions prises dans les différents GLTD LHI, pour vérifier leur efficacité ou pour identifier de nouvelles mesures.

Ces structures paraissaient particulièrement pertinentes dans les territoires les plus exposés à la problématique du logement indigne, à savoir la Seine-Saint-Denis, le Val-de-Marne, l'Essonne, le Nord, les Alpes-Maritimes et les Bouches-du-Rhône. Les parquets de ces départements ont tous mis en place des GLTD LHI.

Parallèlement à ces GLTD, des échanges plus opérationnels sont parfois mis en oeuvre dans le cadre des comités opérationnels départementaux antifraude (CODAF), un autre instrument de coordination.

En plus de s'intéresser à la détection, les GLTD LHI portent la généralisation d'une politique pénale progressive allant vers une réponse ferme dans les affaires les plus graves. Il s'agit d'apporter une réponse pénale adaptée à la variété et à la gravité des situations susceptibles de relever de qualifications pénales.

Les faits les moins graves peuvent donner lieu à des mesures alternatives aux poursuites, telles que la composition pénale ou des classements sans suite sous conditions, dès lors qu'une régularisation intervient. Cette régularisation peut prendre la forme de la réalisation de travaux, pouvant être sollicitée par un arrêté, ou encore celle d'un relogement des occupants. Il s'agit traditionnellement du premier niveau de répression. Dans les infractions liées à l'habitat indigne, nous essayons toujours de fournir une réponse pénale qui accompagne une amélioration de la situation. En effet, une résolution des situations apporte un gain sociétal plus grand qu'une réponse pénale limitée à des sanctions.

En revanche, si une solution n'est pas apportée dans le cadre des alternatives aux poursuites, des poursuites sont engagées. De plus, une procédure classée sans suite peut être réactivée pour un mis en cause qui entrerait de nouveau dans un processus infractionnel. Cette démarche de réponse graduée est intéressante.

Néanmoins, les faits les plus graves, où les investigations révèlent une mauvaise foi manifeste des propriétaires, ou une exploitation de la vulnérabilité d'autrui (location de biens insalubres ou dangereux à des personnes en difficulté sociale ou économique, etc.) appellent à la mise en oeuvre systématique de poursuites. Tel est le sens de la politique pénale conduite en la matière. La saisie des biens immeubles objets de l'infraction doit alors être recherchée dans tous les cas, afin de prévenir la réitération des faits et de sanctionner efficacement les mis en cause. Comme dans tous les types d'infraction, il est notoire que la saisie des biens est souvent la sanction qui effraye le plus. Elle peut être le meilleur remède dans certaines situations.

Les directives de politique pénale que j'ai présentées ont été décidées dès 2007. Elles ont été réactualisées en 2019, compte tenu de l'évolution des textes, et réaffirmées comme une priorité gouvernementale. Enfin, elles ont été rappelées à nouveau par une circulaire conjointe des ministres de l'Intérieur et des Outre-mer et du garde des sceaux du 29 janvier 2024, relative à la lutte contre les filières d'exploitation des étrangers en situation régulière.

Je vais à présent revenir sur les difficultés identifiées par le ministère public (procureurs de la République et procureurs généraux) et la mise en oeuvre effective au niveau local de la politique de lutte contre l'habitat indigne.

En 2019, nous avons demandé aux parquets généraux de nous faire remonter des informations précises sur la question de l'habitat indigne. Ainsi, le rapport d'activité du ministère public de 2019 nous offre une vision du sujet qui demeure d'actualité.

À titre d'information, tous les ans, les parquets généraux font remonter des informations sur les affaires individuelles les plus lourdes, mais aussi sur la politique pénale mise en oeuvre dans leurs ressorts. Régulièrement, la direction des affaires criminelles et des grâces demande aux procureurs généraux des remontées plus précises sur certains points relatifs à différents volets de la politique pénale.

En 2019, les procureurs de la République déploraient la détection insuffisante des situations d'habitat indigne. Or il s'agit du point le plus important de la mise en oeuvre de la politique pénale de lutte contre l'habitat indigne. Les procureurs ont souligné le faible nombre de signalements émanant des collectivités territoriales, dont la capacité à assumer cette mission de signalement était très variable, mais aussi des occupants victimes de ces abus, qui craignaient de perdre leur logement ou d'être inquiétés par rapport à une situation administrative irrégulière.

Cette carence de signalement des collectivités est regrettable puisque, sans être nécessairement une autorité de contrôle légal, ces dernières ont une vision sur les situations de logement indigne, notamment pour les collectivités d'importance, qui disposent de nombreuses fonctions supports et de missions d'inspection plus lourdes. La déficience de signalement peut aussi dépendre de la volonté politique des collectivités.

En 2019, les procureurs ont aussi relevé une organisation administrative assez complexe qui fait intervenir plusieurs acteurs, tels que les agences régionales de santé (ARS), les directions départementales des territoires (DDT), ou encore les communes. Les compétences et les procédures de ces acteurs ne sont pas nécessairement harmonisées dans le cadre de la lutte contre le logement indigne. De plus, la multiplicité des intervenants peut parfois rendre difficile l'identification des acteurs qui doivent opérer les signalements.

Aussi, il s'est avéré que l'absence de formation et de spécialisation des agents posait des difficultés dans les contentieux ayant trait aux logements indignes, particulièrement techniques. En effet, ces contentieux peuvent exiger un acte administratif préalable, ou une caractérisation délicate des infractions de mise en danger délibérée d'autrui, ou de soumission de personnes vulnérables à des conditions d'hébergement indigne. Ces difficultés sont fréquemment rencontrées dans les contentieux techniques.

L'ensemble de ces écueils explique selon nous le faible nombre de procédures traitées par an. Ce point a été souligné par la Cour des comptes dans son rapport La lutte contre l'habitat indigne publié en 2021.

Pour autant, dans le cadre du rapport d'activité du ministère public de 2019, les parquets ont fait état d'un effet très positif de la loi du 23 novembre 2018 et de la circulaire du 8 février 2019 sur la redynamisation des relations partenariales préexistantes et sur la création de nouvelles synergies entre les différents acteurs, notamment dans le cadre des PDLHI. Presque l'intégralité des parquets était alors associée aux travaux des PDLHI, en particulier pour l'élaboration de plans départementaux de plans départementaux pluriannuels de lutte contre l'habitat indigne.

En 2019, pour favoriser la détection des situations d'habitat indigne, de nombreux parquets participaient à des actions de sensibilisation à destination des maires, des syndics de copropriétés, des agents immobiliers, ou encore des administrateurs judiciaires, tous pouvant participer aux signalements.

Par ailleurs, toujours dans le rapport d'activité de 2019, certains parquets ont relevé plusieurs carences dans les enquêtes judiciaires relatives aux logements indignes, dans un contexte de rareté des enquêteurs.

Ces parquets ont relevé que les administrations, les collectivités et les services d'enquête pouvaient procéder eux-mêmes aux actes d'investigation. En conséquence, ils ont estimé nécessaire d'optimiser les moyens d'enquête dévolus à la lutte contre l'habitat indigne. Ainsi, ils ont jugé opportun de confier aux administrations spécialisées de nouvelles prérogatives de polices judiciaires, comme celle de l'audition libre. Pour nous, cette proposition constitue sans doute un des leviers les plus forts à actionner pour contrecarrer le manque d'enquêteurs et pour pouvoir disposer de personnes qui maîtrisent les enjeux techniques du sujet et qui sont très engagées dans leurs missions de police judiciaire.

Pour les faits les plus graves, il ressort des différents rapports qui nous sont transmis que, conformément aux directives de politique pénale, des poursuites et des déferrements (présentation des mis en cause au parquet à l'issue de gardes à vue) sont engagés, dès lors que les faits mettent en péril les occupants, troublent l'ordre public ou s'inscrivent dans le cadre d'une délinquance d'habitude, telle que la fraude sociale ou fiscale connexe.

Enfin, nous relevons que le réflexe patrimonial est désormais bien intégré dans les parquets. Ainsi, plusieurs parquets ont fait état de saisies systématiques opérées sur les immeubles concernés. Ce réflexe de saisie des immeubles utilisés pour des habitats indignes commence à entrer dans les moeurs. D'ailleurs, la loi du 8 avril 2021 améliorant l'efficacité de la justice de proximité et de la réponse pénale introduisait la possibilité de réaffecter des biens confisqués à des organismes sociaux, mettant ainsi en évidence l'utilité de la saisie. Le garde des sceaux était particulièrement attaché à cette disposition, qui s'inspire notamment de pratiques italiennes.

Une des premières réaffectations opérées dans le cadre de cette loi a été réalisée à Coudekerque-Branche (Nord), situé près de Dunkerque. Elle a donné lieu à un déplacement du garde des sceaux. Il s'agissait de la réaffectation d'un immeuble complet, saisi dans une procédure de lutte contre l'habitat indigne réalisée, au bénéfice d'une association consacrée aux logements à finalité sociale. L'immeuble offrait des conditions d'hébergement particulièrement insalubres. Il y a peu, j'ai pu constater que l'association a réaménagé l'immeuble en résidence sociale. Ainsi, ces politiques pénales patrimoniales peuvent s'inscrire dans une démarche globale de réaménagement des lieux.

Par ailleurs, nous constatons une baisse des affaires orientées par les parquets, qui reçoivent moins de signalements et de plaintes des différents acteurs concernés (collectivités, services d'enquête, plaignants). En 2022, 1 440 personnes ont été mises en cause pour au moins une des infractions liées à l'habitat insalubre, contre 1 693 en 2015. Nous ne saurons pas préciser les motifs de cette baisse, autrement que par la baisse des signalements. Les signalements diminuent notamment en raison de la technicité des procédures.

Le taux de classement sans suite des affaires non poursuivables est relativement important, atteignant 48 %. Pour les affaires poursuivables, entre 2015 et 2022, 71 % des personnes mises en cause ont fait l'objet d'une procédure alternative aux poursuites, essentiellement en vue de régularisation sur demande du parquet, ou dans le cadre de poursuites et de sanctions de nature non pénale. En outre, 29 % des personnes mises en cause ont été poursuivies.

Une centaine de condamnations sont prononcées chaque année. Ce chiffre est relativement stable depuis 2015. L'emprisonnement est prononcé dans plus de six condamnations sur dix. Le montant moyen des amendes, prononcées dans la moitié des condamnations, est de 9 768 euros.

Les affaires menées à leur terme par les juridictions peuvent parfois donner lieu à la prononciation de peines relativement importantes. Parmi les exemples les plus récents, nous relevons une décision du tribunal correctionnel de Marseille prononcée le 13 novembre 2023 condamnant un ancien fonctionnaire de police, pour des faits de soumission de personnes vulnérables à des conditions de logement indignes et de mise en danger de la vie d'autrui. Il a été condamné à la peine de cinq ans d'emprisonnement, dont un avec sursis, avec mandat de dépôt. Sa peine comprend aussi la confiscation d'une assurance-vie, la saisie d'immeubles et 75 000 euros d'amende. Les trois sociétés civiles immobilières (SCI) détenues par le prévenu ont aussi été condamnées chacune à une amende de 100 000 euros.

Nous relevons encore une décision du tribunal correctionnel de Bobigny, prononcée le 15 décembre 2023, qui a condamné une personne morale à une amende de 50 000 euros à titre de peine principale, à une remise en état des lieux dans un délai de six mois et à dix ans d'interdiction d'achat d'un bien à usage d'hébergement. La personne physique mise en cause a été condamnée à 24 mois d'emprisonnement avec sursis, à dix ans d'interdiction d'achat d'un bien à usage d'hébergement et à trois ans d'interdiction de diriger une personne morale.

La direction des affaires criminelles et des grâces constate une augmentation du nombre de condamnations des personnes morales pour des infractions en lien avec l'habitat insalubre. Cette dynamique s'inscrit dans la politique pénale, qui vise aussi les personnes morales dans le cadre de la lutte contre l'habitat insalubre.

Mme Marianne Margaté, rapporteure. - Je vous remercie pour votre présentation. Dans le passé, nous peinions à qualifier juridiquement un marchand de sommeil. Ainsi, au regard de la jurisprudence, il serait bon de savoir si la définition juridique de la notion de « marchand de sommeil » est désormais suffisamment encadrée pour permettre aux communes et aux syndics d'opérer des signalements en toute connaissance de cause.

Par ailleurs, il existe une grande variété de marchands de sommeil. Certains sont des professionnels de l'exercice, disposant de sociétés-écrans et d'hommes de paille. Les affaires et les signalements traités montrent-ils plus spécialement le profil de marchands de sommeil professionnels bien établis et mettant en place un système très organisé ? S'agit-il plutôt de propriétaires occupants qui laissent dériver des situations ? S'agit-il de chefs de filières liés à l'immigration irrégulière ? À défaut de profils, pourriez-vous présenter les tendances particulières qui émergeraient parmi les marchands de sommeil ?

Enfin, les outils déployés pour contrecarrer les marchands de sommeil sont-ils suffisants pour les empêcher d'acheter de nouveaux biens et de faire prospérer leurs activités ?

M. Olivier Christen. - Il n'existe pas de définition légale du marchand de sommeil. Pour autant, la typologie de délits présentée dans mon propos liminaire couvre l'ensemble des situations qui se présentent. La notion générique de marchand de sommeil se décline pénalement dans différents délits. En tout état de cause, nous ne disposons pas de remontées de situations non couvertes par le champ pénal actuel.

De plus, les infractions liées à l'habitat indigne sont relativement techniques et complexes. Par conséquent, il serait intéressant que les services en charge de la détection, ou de certains éléments de l'investigation aient la connaissance technique du champ du logement indigne et des éléments à rechercher. C'est pourquoi, parallèlement aux questions de formation de la police nationale et de la gendarmerie nationale qui interviennent classiquement lorsque ces infractions sont commises, il peut être intéressant de confier certaines compétences de police judiciaire aux administrations.

Cette question s'est déjà posée dans d'autres champs techniques. Ainsi, depuis un certain nombre d'années, nous avons confié à certaines administrations des missions de police judiciaire de plus en plus étendues. Par exemple, ces missions sont confiées à certains agents du fisc, des douanes, ou de l'Office français de la biodiversité (OFB).

Ces missions de police permettent aux administrations d'aller au-delà du simple relevé du constat. Elles peuvent aussi aider à associer les administrations avec les services classiques d'investigation existant, selon les cadres juridiques prévus. Des procédures plus ciblées et mieux construites permettent aux parquets d'apporter les réponses adéquates. L'important taux de classement sans suite s'explique tant par des signalements qui ne correspondent pas aux champs des infractions, que par des signalements qui ne permettent pas d'apprécier la réalité de l'infraction.

De plus, la création des magistrats référents permet le lancement d'actions de formation et de sensibilisation au sein des cours d'appel. Les magistrats concernés peuvent ainsi avoir une vraie connaissance de la matière très technique de l'habitat indigne et s'inscrire dans une politique pénale qui est construite et qui a du sens.

Par ailleurs, nous observons toutes sortes de marchands de sommeil. Pour vous fournir une typologie, il nous faudrait sans doute produire une analyse plus fine. Les remontées que nous recevons nous donnent le sentiment que toutes sortes de catégories de marchands de sommeil existent. Néanmoins, la direction des affaires criminelles et des grâces a une vision statistique qui ne permet pas nécessairement de connaître exactement la typologie des mis en cause. À travers les rapports d'activité des parquets généraux et selon leur niveau d'analyse sociologique des profils, je peux obtenir des informations plus précises. Pour autant, je n'ai pas une vision de toutes les affaires traitées en France. Je ne reçois pas de rapports complets sur chaque affaire, qu'il s'agisse des affaires de logements indignes traités par des alternatives aux poursuites ou par des poursuites. Je ne dispose pas d'éléments nécessaires pour établir une analyse sociocriminelle suffisamment fine sur les profils des marchands de sommeil. Les parquets généraux n'entrent dans le détail que dans les remontées de problématiques locales particulières.

Enfin, en matière de prévention de la délinquance pure dans le champ des marchands de sommeil, les procureurs sont moins impliqués que certaines autorités administratives. En revanche, les peines complémentaires, telles que l'interdiction d'achat d'immeubles à usage d'hébergement, l'interdiction de diriger des SCI, ou la confiscation des biens, permettent de prévenir la réitération des infractions. Aussi, les mesures prises dans les alternatives à la poursuite revêtent aussi une dimension de prévention. En effet, le classement sous condition de régularisation et de remise en état des lieux reste associé à une possibilité de reprise des poursuites, avec un délai de prescription de six ans, une durée non négligeable. Ainsi, un ex-marchand de sommeil qui aurait remis en état un immeuble après la constatation d'une infraction et qui le maintiendrait dans un état satisfaisant pourrait très bien être poursuivi s'il commettait une nouvelle infraction dans un autre immeuble. En effet, des anciens mis en cause peuvent se cacher derrière un immeuble loué dans de bonnes conditions d'hébergement, tout en reprenant par ailleurs des pratiques de marchand de sommeil.

M. Laurent Burgoa. - Est-il possible de généraliser les GLTD LHI dans tous les départements qui connaissent une problématique d'habitat indigne ? Sauf erreur de ma part, vous n'avez pas cité le Gard parmi les départements disposant de ces GLTD. Il serait intéressant de savoir pourquoi un GLTD LHI n'est pas constitué à Nîmes. Les relations sont bonnes entre la procureure de Nîmes et le maire de Nîmes, qui collaborent autour d'un contrat de sécurité.

Par ailleurs, en tant que membre de la commission d'enquête consacrée au narcotrafic, j'aimerais savoir s'il existe un lien entre narcotrafic et paupérisation des copropriétés. Par cette question, je ne souhaite toutefois pas anticiper l'audition du garde des sceaux prévue pour demain.

M. Olivier Christen. - J'ai cité uniquement les départements où je sais que des GLTD LHI ont été mis en place, lorsque leur constitution a été encouragée. Ces départements ont eu une préoccupation plus particulière sur ce sujet. Beaucoup des GLTD que j'ai cités se situent en Île-de-France, sans doute parce que le parquet général de Paris a mentionné dans son rapport d'activité de 2019 leur création dans les départements de Val-de-Marne, de l'Essonne et de Seine-Saint-Denis, situés dans son ressort. Cela ne signifie pas pour autant qu'il n'existe pas de GLTD LHI dans d'autres départements. D'ailleurs, un appel à la généralisation de ces GLTD dédiés a été lancé au niveau national. Il est donc tout à fait possible qu'un GLTD LHI ait été créé à Nîmes. Je pourrais vous fournir une réponse, en contactant le procureur général de Nîmes. Je peux me renseigner sur quelques départements, néanmoins, dans le délai de l'audition, je ne pourrais pas vous apporter de précisions pour l'ensemble du territoire national. Cependant, je pense que la plupart des départements qui rencontrent une problématique marquée sur le sujet de l'habitat indigne disposent de ces GLTD. Il s'agit souvent de départements à forte densité urbaine, même si des GLTD LHI peuvent aussi être créés dans des territoires plus ruraux, dépourvus de grandes métropoles.

Par ailleurs, la problématique de l'habitat insalubre est associée à des problématiques corollaires. Les marchands de sommeil ciblent généralement une population vulnérable économiquement. Ils peuvent être en lien avec des filières d'immigration irrégulière. La population de l'immigration irrégulière, par nature vulnérable, est moins encline à s'adresser aux forces de l'ordre en cas de difficultés. Ces filières de l'immigration irrégulière se greffent opportunément sur une autre situation de délinquance qui peut les intéresser.

Il en est de même pour les narcotrafiquants. Ils peuvent utiliser des copropriétés négligées pour cacher des stupéfiants. Ils savent que la population hébergée dans une situation d'habitat indigne ne dénoncera pas facilement l'entreposage de stupéfiants aux forces de l'ordre.

Votre commission d'enquête sur l'habitat indigne est particulièrement intéressante sur le volet des politiques pénales en général. Les lieux où sont localisés des populations vulnérables représentent un nid à opportunité pour un autre type de délinquance. Les marchands de sommeil sont souvent présents dans le champ de nombreuses autres fraudes ou de nombreux autres types de délinquances.

Par ailleurs, le procureur général de Nîmes vient de m'indiquer que la question de l'habitat indigne est abordée dans son ressort dans un GLTD Urbanisme.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Vous avez présenté des chiffres et des statistiques sur le traitement des signalements. Quelle est la durée moyenne de traitement des signalements ? Quelle évolution constatez-vous dans la durée de ces traitements ? Ces délais de traitement se raccourcissent-ils ou s'allongent-ils ?

De plus, les élus locaux sont intéressés par l'outil pragmatique des GLTD. Néanmoins, le point noir qui apparaît à plusieurs reprises dans vos propos renvoie à l'identification des situations d'habitat indigne. Cette question est-elle intégrée dans les axes de travail et les plans d'action partagés des GLTD LHI ?

Aussi, je comprends que vous n'ayez pas de réponse précise à apporter sur l'évolution du nombre de signalements. Vous évoquez un manque d'information et de sensibilisation des acteurs concernés, ainsi que la crainte des occupants. Indépendamment des remontées statistiques, que vous est-il remonté sur les raisons de l'inquiétante baisse du nombre de signalements ? Alors que nous rencontrons un phénomène de développement des copropriétés fragiles, le nombre de signalements diminue.

En somme, mes questions renvoient aux actions concrètes mises en place pour remédier à la problématique de l'habitat indigne.

M. Olivier Christen. - Je ne dispose pas des outils nécessaires pour vous extraire des informations sur l'évolution de la durée des investigations qui suivent les signalements. D'ailleurs, de nombreux acteurs interviennent dans ces investigations.

Par ailleurs, pour avoir piloté différents GLTD consacrés à d'autres thématiques, l'identification des délits est généralement un point majeur de préoccupation. Les GLTD visent à identifier les problèmes, des moyens pour les traiter et les acteurs de ce traitement, et à établir une priorisation de leurs traitements. Un bilan est opéré sur les actions menées depuis la précédente réunion du GLTD. Ces bilans comprennent notamment des éléments sur la durée du traitement des problèmes.

Confier davantage de pouvoirs de police à certaines administrations permet indéniablement d'accélérer le traitement des situations d'habitat indigne, en plus d'améliorer sa qualité. En effet, les membres de ces administrations, dotées de ces pouvoirs, opéreront des signalements avec d'autant plus d'enthousiasme qu'ils seront impliqués directement dans les suites qui seront données. Les auditions libres menées par ces administrations sont souvent utiles au recueil des éléments de preuve. Elle permet aussi d'avancer plus rapidement que s'il fallait mobiliser des services d'enquête. En effet, ces derniers doivent inclure les situations d'habitat indigne parmi les différentes problématiques de délinquance qu'ils traitent. Ces situations ne sont toutefois pas mises de côté par les services d'enquête, d'autant plus qu'elles rejoignent plusieurs problématiques de délinquance.

Je ne dispose pas d'éléments pour expliquer la baisse des signalements. Cette explication demande de mener une analyse que je n'ai pas les moyens de conduire. Je ne dispose pas de copies de tous les signalements. Je ne saurais donc pas les qualifier année après année. Pour recueillir ces informations, il faudrait s'entendre avec certains des procureurs de la République des départements les plus concernés par la problématique. Ces derniers disposent de l'ensemble des signalements et pourraient apporter des réponses plus précises sur l'évolution des signalements sur une période donnée, au sein de leurs ressorts. Vous pourriez alors faire des projections de ces évolutions au niveau national. Ces procureurs pourraient présenter les qualités des signalements, les motifs des baisses de signalement, ou encore les analyses des GLTD réalisées sur ces baisses.

Quoi qu'il en soit, il est assez classique que les occupants des logements indignes craignent d'opérer des signalements. Ils peuvent avoir peur de représailles personnelles. Ils peuvent craindre une perte de leur logement. Cette difficulté est aussi rencontrée dans d'autres problématiques de logement, comme celle des logements trop petits, ou celle des loyers trop élevés dans des villes où les loyers sont encadrés. Les dénonciations de loyers trop élevés demeurent certainement marginales. Les populations en difficulté sociale très lourdes sont celles qui peinent le plus à faire valoir leurs droits les plus primaires. Elles se tournent moins souvent vers les autorités.

Mme Marianne Margaté, rapporteure. - La baisse des signalements semble à contre-courant, d'autant plus qu'il existe des PDLHI dans presque dans tous les départements. De plus, la plateforme Histologe, un outil de signalement individuel, a été déployée dans une soixantaine de départements. D'ailleurs, je ne sais pas si les signalements opérés depuis cet outil sont suffisamment caractérisés pour être pris en compte dans des procédures judiciaires.

En définitive, il existe un décalage entre la baisse du nombre de signalements et la multitude des dispositifs de terrain permettant les signalements, comme les dispositifs de l'Agence nationale de l'habitat (Anah), Histologe, ou encore les PDLHI. Pourtant, tout porte à penser que la problématique de l'habitat indigne s'aggrave. Les marchands de sommeil semblent plutôt prospérer, compte tenu de la crise du logement et de la vulnérabilité de certains occupants.

M. Olivier Christen. - Je relativise tout de même la baisse des signalements. Ce nombre est effectivement passé de 1 693 en 2015 à 1 443 en 2022. Néanmoins, ce nombre est globalement stable, compte tenu de ses fluctuations de hausses et de baisses. Entre 2018 et 2019, ce nombre est passé de 1 340 à 1 425. Aussi, 1 571 signalements ont été enregistrés en 2021.

Pour autant, la stabilité du nombre de signalements peut malgré tout interroger, dès lors que nous pouvions imaginer une tendance haussière. Généralement, la mise en place de dispositifs de signalement dans les parquets pour des infractions données entraîne une hausse du nombre de signalements. Par exemple, l'établissement de dispositifs de signalement des violences conjugales a généré une forte hausse du nombre de signalements. Les outils de signalements ayant été efficaces, des faits ont été portés à la connaissance des autorités.

La stabilité du nombre de signalements ne signifie pas pour autant que les dispositifs de signalements ne seraient pas efficaces. Néanmoins, ils ne conduisent pas à une hausse des signalements. Nous pouvons donc émettre différentes hypothèses. Les services chargés du traitement des signalements sont-ils saturés ?

Cette stabilité se retrouve aussi au niveau des condamnations. Le nombre de condamnations n'est pas baissier, mais continu.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Vous avez évoqué la confiscation de biens et l'efficacité de cette peine. Vous avez aussi évoqué la peine de l'interdiction d'achat de biens à usage d'hébergement. Disposez-vous de données sur le nombre de personnes physiques ou morales condamnées à ces peines ? L'application de ces peines est-elle contrôlée ? Le cas échéant, comment l'est-elle ?

Nous avons intégré dans votre questionnaire une question portant sur les ventes aux enchères. Ces mesures de contrôle sont-elles aussi mises en place dans ce cadre ?

M. Olivier Christen. - Nous vous fournirons dans le questionnaire des chiffres plus précis sur le nombre de personnes condamnées. Ce nombre est relativement faible et assez stable.

La peine de l'interdiction d'achat de biens à usage d'hébergement a été prononcée 13 fois en 2019, 7 fois en 2020, 5 fois en 2021, moins de 5 fois en 2022, 6 fois en 2023. Les personnes morales n'ont pas été condamnées à cette peine chaque année. Le cas échéant, elles étaient moins de cinq.

La peine de l'interdiction d'achat ou d'usufruit de biens ou de fonds de commerce à usage d'hébergement est généralement prononcée contre une vingtaine de personnes physiques chaque année. Elle a toutefois été prononcée contre 40 personnes en 2023. Moins de cinq personnes morales sont condamnées chaque année, ce chiffre pouvant monter jusqu'à huit.

La seule manière de suivre l'application de ces peines renvoie à la vérification du bulletin numéro 2 du casier judiciaire de l'acheteur, opérée normalement avant tout acte préalable à la conclusion d'un acte de vente.

En revanche, les procédures de vente aux enchères ne relèvent pas de la Direction des affaires criminelles et des grâces. Je ne sais donc pas comment les achats sont contrôlés dans ce cadre. Pour autant, l'accès au bulletin numéro 2 du casier judiciaire de l'acheteur mentionne la peine d'interdiction d'achat.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - En l'absence d'autres questions, il nous reste à vous remercier pour toutes les réponses que vous avez apportées, pour vos contributions et pour votre disponibilité. Notre Commission d'enquête prendra fin le 31 juillet 2024. Elle aboutira à la publication d'un rapport.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de M. Bruno Fievet, président de la commission
« Accession sociale, copropriété, syndic » de l'Union sociale pour l'habitat (USH) et directeur général de Coopalis et Coopéa,
et de Mme Chrystel Gueffier-Pertin, responsable du département « Accession sociale, vente HLM, copropriété, syndic » de l'USH

(Lundi 29 avril 2024)

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Mes chers collègues, nous recevons aujourd'hui M. Bruno Fievet, président de la commission « Accession sociale, copropriété, syndic » de l'Union sociale pour l'habitat (USH) et directeur général de Coopalis et Coopéa, et de Mme Chrystel Gueffier-Pertin, responsable du département « Accession sociale, vente HLM, copropriété, syndic » de l'USH.

Le rôle des bailleurs sociaux comme syndics de copropriété est trop peu connu, sans doute parce qu'il ne s'agit pas de leur fonction première. On place du reste peut-être trop d'espoirs dans les capacités d'action de ces derniers, comme l'ont montré les débats sur le syndic d'intérêt général auxquels a donné lieu l'examen de ce qui est devenu la loi du 9 avril 2024 visant à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé et des grandes opérations d'aménagement. Certains souhaitaient, en effet, que les bailleurs sociaux soient massivement et automatiquement chargés de cette mission, tandis que l'USH était plus prudente, appelant à travailler sur la base du volontariat.

Pourriez-vous, monsieur, madame, nous dresser un état des lieux des bailleurs qui exercent le métier de syndic et nous indiquer leurs spécificités, la manière dont ils envisagent ce rôle et dont ils peuvent s'emparer de la mission de syndic d'intérêt général qui leur a été reconnue par la loi ?

Je souhaiterais ensuite que vous puissiez aborder la question des copropriétés issues des ventes HLM. Quelle est l'ampleur du sujet ? Constatez-vous des difficultés spécifiques ? N'y a-t-il pas un risque de privatisation du parc social, avec des dérives possibles ? Je sais que les sociétés coopératives d'HLM (Coop'HLM) ont une expérience particulière en matière d'accession sociale à la propriété, et que les situations peuvent différer selon l'histoire des immeubles mis en copropriété.

Je souhaiterais, enfin, que vous puissiez préciser la nature des interventions des bailleurs sociaux dans les copropriétés en difficulté, plus particulièrement dans les programmes mis en oeuvre par les pouvoirs publics. Dans quelle mesure le portage, voire la transformation de ces copropriétés en logements sociaux - à l'inverse de la vente sociale - peuvent-ils être une solution ?

Je rappelle que cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.

Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Je vous invite, monsieur Fievet, madame Gueffier-Pertin, à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Bruno Fievet et Mme Chrystel Gueffier-Pertin prêtent serment.

M. Bruno Fievet, président de la commission « Accession sociale, copropriété, syndic » de l'Union sociale pour l'habitat et directeur général de Coopalis et Coopéa. - Je vous remercie de nous donner l'occasion d'évoquer un rôle méconnu et pourtant bien réel de l'USH, que l'on associe naturellement aux services d'intérêt général et à ce qui relève du public, tandis que les copropriétés relèvent du droit privé.

Les organismes de logement social (OLS) ont en effet développé différentes activités qui permettent d'assurer une interface entre ces deux domaines, que ce soit par l'accession sociale à la propriété, proposée notamment par les coopératives HLM, mais pas seulement, par la vente HLM, qui a instauré un régime singulier, qui, au fil du temps, s'est vu encadré de manière à éviter la paupérisation des copropriétés, ou encore par la captation, dont le volume est encadré par la loi, de copropriétés issues de la production strictement privée, que les OLS peuvent notamment accompagner par l'instauration de syndics solidaires.

Les OLS ont par ailleurs été amenés à s'investir auprès des copropriétés en difficulté, au travers notamment d'actions publiques telles que les opérations de requalification des copropriétés dégradées (Orcod), le plan Initiative Copropriétés (PIC) ou les opérations programmées d'amélioration de l'habitat (Opah).

Aujourd'hui, un peu plus de 180 000 lots de copropriété sont gérés par des organismes HLM. Il convient d'y ajouter l'important contingent de logements gérés par les sociétés anonymes coopératives d'intérêt collectif pour l'accession à la propriété (Sacicap), regroupées au sein de Procivis, qui est membre de l'Union sociale pour l'habitat, dont la mission de service d'intérêt général, si elle diffère de celle que les organismes locatifs sociaux peuvent porter directement, n'en est pas moins réelle.

Ces 180 000 logements étant issus de la vente HLM et de l'accession sociale, il était naturel que les organismes ayant permis à des ménages de devenir pleinement propriétaires puissent accompagner ces accédants en siégeant au conseil syndical des copropriétés concernées.

Pendant dix ans, les organismes HLM ont, du reste, la possibilité de gérer une copropriété dont ils étaient bailleurs sans être tenus d'organiser l'élection d'un syndicat. Ils peuvent ainsi mener un certain nombre d'actions, dans le cadre de la loi et au-delà, de manière à assurer l'entretien des parties communes des copropriétés concernées.

Le droit a ensuite permis aux copropriétés, sous certaines conditions, de rester sous l'égide d'un OLS. Cette singularité a permis que la vente HLM ne s'accompagne pas, sauf dans quelques rares exceptions, d'une paupérisation des copropriétés concernées, qui, au contraire, ont bien souvent des moyens financiers suffisants pour anticiper les difficultés que l'entretien du bâti ou certaines dépenses peuvent emporter pour les copropriétaires.

De manière générale, l'accompagnement social a joué le rôle d'un garde-fou au regard de la lente dérive que l'on observe depuis une vingtaine d'années dans certaines copropriétés. Il nous permet d'accompagner les mutations, en particulier relatives aux dépenses énergétiques et à l'adaptation au changement climatique. J'estime donc que les copropriétés qui en bénéficient se trouvent dans une situation favorable.

Cet accompagnement est limité à une dizaine d'années et à un certain nombre de logements qui, au sein de la copropriété, n'auraient pas été vendus par l'organisme de logement social. Au bout de dix ans, le travail de pédagogie qui a été mené doit permettre de pérenniser l'action de l'OLS.

Aujourd'hui, environ 55 % des copropriétés sont gérées par des OLS, le reste étant réparti, à parité, entre les entreprises sociales pour l'habitat (ESH) et les coopératives HLM.

J'en viens aux interventions des organismes HLM auprès des copropriétés dégradées, notamment dans le cadre des Opah, du PIC et des Orcod.

Lors d'un tour de table, Mme Wargon, alors ministre chargée du logement, m'avait interrogé sur le nombre de ces interventions, mais, aucun recensement de ces actions n'ayant été effectué à ce stade, il m'avait été bien difficile de lui répondre. Sur une suggestion de la commission que je préside, Emmanuelle Cosse et Marianne Louis ont, par la suite, validé un recensement des actions menées, permettant tant à l'USH qu'à l'Agence nationale de l'habitat (Anah), qui est porteuse du développement du PIC, d'avoir une lecture assez fine de ce que nous étions en capacité de faire.

La commission s'efforce, par ailleurs, d'établir une sorte de vade-mecum destiné aux organismes sociaux qui peuvent être saisis, non seulement dans le cadre du PIC, c'est-à-dire généralement dans des copropriétés qui ont des singularités fortes, mais aussi par des élus locaux dans des villes moyennes pour accompagner des copropriétés qui ne sont pas encore dégradées, mais qui sont en passe de l'être.

Nous venons de publier un premier document intitulé Mieux connaître et valoriser l'intervention des organismes HLM dans le plan Initiative Copropriétés, à destination des organismes et des élus. J'en tiens un exemplaire à la disposition de votre commission d'enquête.

Nous sommes très sollicités au titre de notre savoir-faire en matière de gestion et de portage. Comme les autres parties prenantes, nous sommes toutefois confrontés à des difficultés qui tiennent à la temporalité dans laquelle les logements, qui ont été acquis ou doivent l'être par un établissement public foncier, se libèrent. Il faut ensuite reloger correctement les personnes concernées, qui sont souvent éligibles au logement locatif social, alors que les vacances de tels logements sont de plus en plus rares. Au regard des moyens - notamment humains et informatiques - nécessaires, la gestion de tels lots est très difficile à équilibrer sur le plan économique, à plus forte raison lorsque le syndic est solidaire.

Du fait de l'évolution du marché de l'immobilier dans sa globalité, les organismes HLM sont très fréquemment sollicités par des élus de communes de toutes tailles confrontés à des problématiques de vieillissement de certains bâtiments et de réel appauvrissement des personnes qui y résident. Ils se tournent donc vers les OLS et les ESH pour gérer des logements privés qui, au regard de la situation sociale et économique de leurs habitants, relèvent de fait davantage du logement social.

Un travail réalisé par le mouvement Solidaires pour l'habitat (Soliha) pour l'USH montre la grande diversité des interventions des OLS dans les territoires. Il y a non pas une, mais des solutions qui permettent aux organismes sociaux de contribuer, par leur action, aux politiques sociales en faveur des communes.

Comme vous le savez, l'USH a souhaité l'instauration du dispositif du syndic d'intérêt collectif par la loi visant à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé.

Dans le cas où le juge désigne un mandataire ad hoc, celui-ci encadre l'action du syndic existant, qui reste en place. Si le juge désigne un administrateur provisoire, l'OLS peut, à sa demande, devenir syndic ou accompagner le syndic existant. La loi a donné la possibilité aux OLS de devenir, de droit, syndic d'intérêt collectif, quand un arrêté préfectoral doit autoriser un syndic classique qui souhaite se prévaloir de cette qualité.

Dans le cas où un mandataire ad hoc est désigné, la situation est plus complexe, car trois parties doivent travailler ensemble. Or il faut reconnaître que bien souvent, les mandataires n'y connaissent pas grand-chose, ce qui aboutit parfois à une aggravation de la situation initiale. C'est hélas ! une réalité à laquelle bon nombre d'élus et d'OLS sont confrontés au niveau local.

Comme je l'indiquais précédemment, au regard des moyens humains et informatiques nécessaires, il s'agit d'une activité qui n'est pas simple à équilibrer financièrement. Si les OLS, en la matière, n'ont pas tout à fait les mêmes attendus qu'une société privée, il faut tout de même qu'ils puissent espérer un retour sur les moyens humains et matériels engagés.

Je regrette que le droit ne permette pas une intervention en amont de la désignation d'un mandataire ou d'un administrateur provisoire par le juge. De fait, j'estime que, pour les grands sites faisant l'objet d'une Orcod ou d'une Opah, il sera nécessaire de dégager des moyens financiers publics au sens large, car les copropriétés ne seront pas en mesure de financer ces opérations. Si nous voulons que les syndics d'intérêt collectif se développent, une réflexion en ce sens devra être menée par le Parlement, en associant l'ensemble des professionnels.

Les élus seront sans doute tentés de s'en remettre aux OLS, mais, si l'on veut que le dispositif du syndic d'intérêt collectif prospère et qu'il soit efficace, il faudra consacrer des moyens financiers spécifiques à ces opérations. Cela est du reste d'autant plus vrai pour les syndics classiques qui souhaiteraient s'inscrire eux aussi dans une telle démarche.

Je tiens enfin à souligner l'action de l'association QualiSR, qui certifie les organismes, qu'ils soient OLS ou non, compétents pour accompagner les copropriétés en difficulté.

Mme Chrystel Gueffier-Pertin, responsable du département « Accession sociale, vente HLM, copropriété, syndic » de l'USH. - Les organismes HLM sont l'un des acteurs des opérations complexes qui visent à améliorer les situations de fragilité des copropriétés et les dysfonctionnements repérés dans la longue durée. Leur expertise multidisciplinaire est aujourd'hui mieux identifiée par les acteurs de la copropriété.

Les bailleurs HLM ont en effet eu l'occasion de démontrer leur professionnalisme dans le cadre d'un grand nombre d'interventions, que ce soit dans le cadre du portage ciblé de lots, qui vise à remettre à flot la copropriété avant de revendre les lots en accession sociale, ou du portage massif, qui a pour objectif de modifier la gouvernance et les équilibres sociaux de la copropriété par l'acquisition d'un nombre important de lots sur une durée de dix à quinze ans, créant, à terme, une copropriété mixte qui pourra poursuivre son existence de manière autonome. Une troisième possibilité, lorsque de lourdes difficultés sociales, financières ou de bâti ont été identifiées, est le portage complet de recyclage. L'organisme HLM rachète alors la totalité des lots pour les transformer en HLM, et, lorsque ce n'est pas possible, la copropriété est vouée à la démolition.

Quelle qu'en soit l'étendue, cette activité de portage de lots nécessite, de la part des organismes, une expertise forte.

Les organismes peuvent également s'acquitter de missions d'administration de biens, de gérance locative, ou encore de relogement, sujet qui mobilise fortement les organismes, qu'ils soient opérateurs de portage ou mis à contribution au relogement dans la mesure où ils possèdent un parc locatif social à proximité du site concerné. Enfin, la mission de syndic de redressement nécessite une expertise et des savoir-faire pointus.

Mme Marianne Margaté, rapporteure. - Les espoirs que suscitent les OLS sont très forts et sans doute trop nombreux, d'autant que le contexte actuel de crise du logement exacerbe toutes les tensions.

La question de l'information préalable est souvent revenue au fil de nos auditions. Il s'agit, en effet, d'un moment charnière, car il faut que les locataires puissent appréhender les changements qu'emporte le passage à un statut de propriétaire. Comment accompagnez-vous les locataires dans ce moment charnière ?

Notre commission s'intéresse aux petites copropriétés, de moins de dix ou vingt logements, qui peinent à trouver un syndic faute de présenter une rentabilité suffisante. Les OLS pourraient-ils se positionner pour répondre à ce besoin, en mutualisant peut-être plusieurs petites copropriétés ? Celles-ci demeurent une sorte d'impensé, alors qu'elles existent bel et bien et continuent de se dégrader.

Par ailleurs, des formations spécifiques sur le métier de syndic sont-elles prévues pour les OLS ? Le cas échéant, rencontrent-elles des résistances ?

Quelles bonnes pratiques partenariales pourrait-on imaginer pour simplifier le schéma dans lequel vous intervenez, qui est marqué, comme cela a été dit, par une multiplicité d'acteurs ? Quels seraient les points à améliorer et les points forts à préserver ou consolider ?

M. Bruno Fievet. - Il existe non une, mais des pratiques. Il existe presque autant de pratiques que d'organismes de logement social. On ne devient pas syndic de copropriété par hasard : cela provient souvent d'une réflexion mesurée de la part des gouvernances de nos organismes, que cela concerne des ventes HLM ou des copropriétés issues d'accessions sociales à la propriété. Il n'y a ni plus ni moins d'accompagnement dans l'un ou l'autre cas. Dans le cas d'une vente HLM, l'OLS dispose, en revanche, de conditions très préférentielles, car il est porteur de droit et place sa compétence technique en gestion patrimoniale et sociale au service de l'opération.

Nous avons des formations propres au mouvement de l'USH, notamment à travers l'Association pour la formation professionnelle continue des organismes de logement social (Afpols), qui propose régulièrement des formations au développement d'une activité de syndic de copropriété. Chaque famille HLM - offices publics de l'habitat (OPH), ESH, coopératives - développe aussi sa singularité de fonctionnement. La Fédération nationale des sociétés coopératives d'HLM, dont je suis issu, organise régulièrement en son sein des formations pour ses collaborateurs pour présenter les singularités de son fonctionnement en tant que syndic.

La spécificité des copropriétés est donc bien prise en compte. Elle l'est, certes, à l'intérieur d'un cadre légal exigeant, celui de la loi du 10 juillet 1965, mais nous nous efforçons cependant de développer des approches singulières - sans aller évidemment à l'encontre de la loi ; bien au contraire -, par le biais, par exemple, de visites mensuelles avec le conseil syndical, de tenues d'assemblées générales extraordinaires ou via une codification des coûts qui diffère de celle que l'on peut retrouver dans un syndic privé. On peut aussi faire bénéficier les coopératives de contrats de service au coût avantageux pour la gestion des parties communes, les OLS pouvant avoir accès à un certain nombre de choses par la commande publique. Cette particularité est développée au coup par coup, quelle que soit la famille concernée - coopératives, ESH, offices.

Néanmoins, il est plus facile d'agir en cas de vente HLM, où nous sommes leaders, que dans le cas d'une vente classique, où l'on peut, pour des raisons financières tenant à quelques euros, être mis en cause dans son rôle de syndic au bout d'un, deux ou trois ans de mandat. Cela peut être vécu comme un échec.

Derrière toute action, il faut des moyens humains. Il n'y a pas de secret. Si l'on veut être présent dans les copropriétés, il faut pouvoir les visiter, il faut pouvoir répondre aux sollicitations et avoir une connaissance intime et fine des endroits concernés. Si les ratios, par lot, en hommes et en équipes, diffèrent parfois selon les organismes, ils sont toujours constitués dans un souci de bon fonctionnement.

Pour ce qui concerne les ventes HLM, il n'y a pas une, mais des manières de faire. Plusieurs organismes prévoient une acculturation pour les nouveaux propriétaires, qui peuvent trouver rassurant que le bailleur social qui leur a vendu le bien soit toujours présent. On pourrait s'attendre à trouver une certaine défiance, puisqu'ils sortent du logement social et peuvent avoir envie de s'en libérer par l'accès à la propriété, mais la relation demeure, en réalité, de plutôt bonne qualité. Cela passe par une formation, utile, des syndicats de copropriétaires. La Fédération des coopératives met en avant, deux fois par an, une formation des syndicats de copropriétaires de façon à aborder des sujets d'ordre technique, juridique ou financier, pour les rendre plus acteurs de la copropriété. Compte tenu de la règle de la majorité qualifiée inscrite dans la loi de 1965, qui donne souvent, malheureusement, raison aux absents, l'enjeu est aussi de voir comment relayer l'information au mieux au quotidien par le biais du syndicat des copropriétaires et défendre notamment l'utilité de participer aux assemblées générales.

Cette singularité est développée, mais reste assez méconnue, car nous représentons peu de copropriétés par rapport à la totalité des copropriétés recensées au niveau national. Ce sujet est néanmoins porté par les bailleurs sociaux de façon récurrente.

Pour ce qui est des petites copropriétés, elles sont le trou dans la raquette. Notre action professionnelle a été récemment reconnue dans les grandes préoccupations de politiques publiques de l'USH que représentent le PIC et les Opah. Nous devions faire un point à ce sujet, pour voir comment nous pourrions nourrir professionnellement les bailleurs sociaux, dans leur pluralité, de ce qui se fait de bien et de moins bien à droite et à gauche : à Nîmes, Montpellier, Grigny ou Clichy.

Nous n'avons pas de réponse aujourd'hui pour les petites copropriétés. C'est peut-être un dossier à ouvrir et à travailler. Nous sommes confrontés de toute évidence à un problème d'équilibre économique. Je ne suis pas certain qu'il y ait une solution émanant de l'USH. Les solutions sont à chercher aussi du côté de l'Union des syndicats de l'immobilier (Unis) et de la Fédération nationale de l'immobilier (Fnaim), dont nous nous sommes rapprochés après en avoir été longtemps éloignés. Nous avons eu l'occasion de construire des ponts, notamment entre l'Unis et la Fédération des coopératives, à l'initiative de Marie-Noëlle Lienemann, ce qui permet de mieux de se comprendre, de participer à une réflexion professionnelle et de développer un regard constructif sur les petites copropriétés.

Pour ce qui est des partenariats, le ministre organise des réunions annuellement sur les PIC, souvent en présence de l'établissement public foncier d'Île-de-France (Epfif), des élus ou du groupe Caisse des dépôts et consignations - Habitat (CDC Habitat), qui reconnaissent la nécessité d'avoir des organismes HLM ainsi que l'action menée. La temporalité complexe que j'évoquais reste toutefois difficile à appréhender et vient percuter la volonté légitime des élus de voir évoluer les dossiers rapidement.

De petits organismes participent également à ces réunions. J'ai eu l'occasion de discuter avec le directeur général de Guingamp Habitat, en Bretagne, qui a pu mener une action avec le maire sur une petite copropriété dégradée. Le bâtiment a fait l'objet d'une reprise totale pour faire de l'accession sociale à la propriété et du locatif social. Cette opération a été une réussite, car l'élu a compris la nécessité d'intervenir rapidement et de mobiliser des moyens financiers de façon préventive. Mais cela ne correspond pas forcément à l'échelle des dossiers importants sur lesquels nous pouvons réfléchir, pour 17 sites nationaux notamment, où l'amélioration des moyens humains et financiers pourrait faciliter les relogements.

La mise à disposition des logements, c'est-à-dire leur libération par des personnes qui les occupent légitimement ou par d'éventuels squatteurs, demeure cependant peu aisée. L'OLS ne peut agir seul sur ce point. Il faut l'intervention de la force publique.

Mme Marianne Margaté, rapporteure. - Comment informez-vous les locataires auxquels la vente est proposée ? Comment leur décrivez-vous ce qu'implique le statut de copropriétaire, en matière d'engagements, de travaux, etc. ? Avez-vous une démarche particulière sur ce point, pour qu'ils puissent se porter acquéreurs en connaissance de cause ?

Mme Chrystel Gueffier-Pertin. - Je vais revenir sur quelques règles et dispositifs en vigueur en matière de vente HLM. La vente de patrimoine reste à l'initiative de l'organisme HLM et de lui seul, qui inscrit sa politique de vente dans son plan stratégique de patrimoine. Ne peuvent être mis en vente que des logements dont il est propriétaire depuis plus de dix ans. Ces logements doivent répondre à des normes d'habitabilité minimale ainsi qu'à des normes de performance énergétique : le diagnostic de performance énergétique (DPE) doit être classé entre A et E. Les patrimoines classés F et G ne sont donc pas proposés à la vente aux locataires, sauf dans le cadre d'un contrat de vente d'immeubles à rénover. Dans ce dernier cas, les normes d'habitabilité et de performance énergétique doivent être remplies après la réalisation des travaux.

Plusieurs dispositions contribuent à la surveillance du bon fonctionnement de la copropriété mixte, qui est créée dès la vente du premier logement. L'organisme HLM vendeur peut ainsi, s'il le souhaite, être syndic de droit tant qu'il détient un logement dans la copropriété. Le syndic est tenu de présenter une fois par an devant l'assemblée générale des copropriétaires la liste des travaux d'amélioration des parties communes et des éléments d'équipements communs qu'il serait souhaitable d'entreprendre, accompagnée de l'évaluation du montant de ces travaux, ce qui me paraît essentiel pour l'information des copropriétaires.

L'organisme HLM doit aussi communiquer des informations préalablement à la vente, pour que les ménages concernés s'engagent en toute connaissance de cause. Il doit donc préciser le montant des charges locatives et, le cas échéant, si l'immeuble était déjà en copropriété, le montant des charges de copropriété des deux dernières années, la liste des travaux réalisés sur les cinq dernières années, et, dans la mesure du possible, une liste de travaux d'amélioration des parties communes et des équipements collectifs qu'il serait souhaitable d'entreprendre, accompagnée du montant global de ces travaux et de la quote-part du futur accédant. Ces dispositions permettent aux futurs accédants d'intégrer au préalable ces futures dépenses dans leur plan de financement.

La grande majorité des organismes HLM réalisent cependant les travaux les plus importants avant la mise en vente de leur patrimoine, pour s'assurer que ces nouvelles copropriétés créées n'engendreront pas de charges de copropriété importantes à court et moyen termes, dans les cinq à dix ans, pour les nouveaux accédants.

L'organisme HLM, tant qu'il est copropriétaire d'un logement dans la copropriété mixte, peut également mettre son personnel à la disposition du syndicat des copropriétaires pour des missions de gardiennage ou d'entretien technique courant, ce qui contribue au bon fonctionnement des équipements communs.

Enfin, d'autres mesures sont prévues pour sécuriser les accédants, qui sont des primo-accédants. En effet, neuf fois sur dix, en cas de vente d'un logement au locataire en place ou en cas de vente d'un patrimoine locatif vacant, les accédants sont des primo-accédants. Pour sécuriser leur parcours résidentiel, une clause de rachat est prévue dans les contrats depuis la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dite loi Élan, pour toute vente consentie à une personne située sous le plafond de ressources de l'accession sociale. Pendant dix ans, le ménage concerné a la garantie qu'en cas d'impossibilité de trouver par lui-même un nouvel acquéreur, l'organisme HLM vendeur lui rachètera son logement. Cela requiert toutefois des faits générateurs spécifiques : une perte d'emploi, la rupture du cadre familial ou des raisons de santé. Plusieurs dispositions législatives existent donc pour sécuriser les nouveaux accédants, qui sont très souvent des primo-accédants.

L'organisme HLM vendeur réalise tout un travail de pédagogie en amont, au moment de la mise en vente du logement, mais aussi une fois le logement vendu. Les organismes HLM qui exercent le métier de syndic nous disent qu'ils réunissent régulièrement les nouveaux accédants pour des réunions d'information et leur communiquent des guides du copropriétaire, pour qu'ils comprennent bien leurs droits, mais également leurs devoirs. En tant que copropriétaires, ils sont en effet tenus de participer au bon entretien des parties communes et des équipements collectifs, ce qui n'est pas toujours forcément bien compris, ces questions ne se posant pas lorsque l'on est locataire. Le souci d'accompagner les ménages dans leur parcours résidentiel vers l'accession dans les meilleures conditions est donc bien réel.

M. Bruno Fievet. - L'Afpols oeuvre pour faire comprendre cela aux organismes qui suivent ses formations, que ce soit pour organiser une formation complémentaire récurrente à l'activité de syndic pour leurs collaborateurs ou parce qu'ils accèdent à cette nouvelle fonction du fait de l'évolution de leur gouvernance et de leur offre d'activités. La nécessaire implication des futurs copropriétaires dans les engagements qui seront les leurs et les contraintes qui pourront se présenter fait partie du plan de formation préconisé par cet organisme, très proche de l'USH.

M. Laurent Burgoa. - Avez-vous des statistiques nationales sur le nombre de bailleurs sociaux qui ne souhaitent pas exercer le métier de syndic de copropriété, encore moins dans un parcours résidentiel d'accession à la propriété ? En tant que sénateur du Gard, j'en connais certains, dont les conseils d'administration ont fait des choix que je n'ai pas à commenter. Ce type de dispositif me paraît pourtant capital.

En cas d'Orcod d'intérêt national, par exemple, un partenariat public-privé entre les établissements publics fonciers (EPF) impliqués et un ou plusieurs bailleurs sociaux me paraît indispensable pour mener à bien l'opération. Qu'en pensez-vous ?

M. Bruno Fievet. - Ce dernier point correspond à une réalité. Nous sommes partie prenante, légitimement, de ce que vous décrivez, même si j'ai indiqué, dans mon propos liminaire, que l'on pouvait trouver étrange qu'une branche professionnelle de service d'intérêt général s'intéresse à la copropriété privée. Il s'agit de territoire, d'urbanisme. De même que l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) a eu des vertus, le rôle que nous avons à jouer sur ce point est évident.

Mme Chrystel Gueffier-Pertin. - L'USH dispose d'un observatoire de la vente HLM depuis quelques années. Concernant la vente de patrimoines locatifs sociaux, environ 11 000 ventes sont réalisées chaque année à des personnes physiques, par environ 65 % des organismes HLM. Quelques organismes HLM n'agissent donc pas dans ce domaine, pour plusieurs raisons. Je mets de côté les ventes en bloc entre organismes HLM, qui ne concernent pas notre sujet, puisqu'elles ne génèrent pas de copropriétés.

Pour ce qui concerne l'activité de promotion immobilière sociale, de construction, d'accession sociale à la propriété, environ 320 organismes y travaillent, qui commercialisent en moyenne 7 500 logements par an. Selon les formes urbaines - habitat individuel ou collectif -, cela génère des copropriétés qui seront ensuite parfois gérées par l'organisme HLM maître d'ouvrage, qui voudra, après avoir livré son opération, continuer son action pour accompagner les nouveaux copropriétaires dans leur statut. Il aura donc à coeur d'exercer le métier de syndic solidaire pour ces nouvelles copropriétés créées. Comme pour la vente HLM, la plupart des organismes HLM vendeurs de patrimoine prennent ensuite le mandat de syndic de droit au sein des nouvelles copropriétés.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Avant de lui donner la parole, j'invite M. Antoine Galewski, directeur des relations institutionnelles et parlementaires de l'USH, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Antoine Galewski prête serment.

M. Antoine Galewski, directeur des relations institutionnelles et parlementaires de l'USH. - Très peu de bailleurs sociaux rechigneront à entrer dans une activité susceptible de générer un revenu. La vente HLM nous a été proposée par les pouvoirs publics. La législation à ce sujet s'est construite au fil de l'eau, le plus souvent à notre demande, car nous avons appris de nos erreurs - il y en a eu au début -, et nous continuons à apprendre. Cependant, derrière chaque bailleur social, il y a une gouvernance. Des orientations sont décidées, que nous constatons et qui jouent, ou non, à notre avantage. Les bailleurs sociaux font avec. L'équation économique n'est pas forcément facile à résoudre. Les bailleurs font des choix parmi tous les outils qui leur sont offerts, en lien avec leurs gouvernances. Certaines sont allées fortement vers la vente HLM.

Environ 11 000 logements sont concernés. On pourrait en faire cinq fois plus. Si nous ne le faisons pas, cela tient à des choix politiques, mais aussi et surtout à des choix économiques. Nous avons voulu que la vente HLM soit bien encadrée du point de vue législatif, pour protéger les bailleurs sociaux et le patrimoine HLM, mais surtout pour protéger les locataires. La vente HLM date d'il y a un petit moment. Sur les premières opérations, certaines choses ont été faites. À une certaine époque, dans un territoire que Mme la présidente connaît bien, des candidats se sont implantés à certains endroits en proposant l'achat de patrimoine à 1 euro aux veuves de mineurs. Or les gens ont découvert ensuite qu'après le départ du bailleur social il revenait aux propriétaires de faire les travaux, ce qui a suscité une certaine déception.

Nous sommes à la fois des agents économiques et des agents du territoire. Nous ferons toujours très attention à l'équilibre entre les décisions économiques que nous pouvons prendre - et vous savez combien l'équation économique se complexifie pour les bailleurs sociaux - et le rôle républicain que nous devons jouer dans les territoires. Si une copropriété se trouve en difficulté de notre fait, c'est catastrophique pour l'image du logement social et du bailleur social. Il perdra en aval - dix fois plus - le peu de gain qu'il aura fait sur des choix malheureux. Nous avons une responsabilité sur ce point, que nous prenons très à coeur, pour la vente comme pour la copropriété.

Notre intervention sur les copropriétés est récente à l'échelle du logement social. Des élus locaux sont venus nous solliciter. Je pense notamment, en Île-de-France, à un ancien membre du Sénat. Nous avons appris avec les élus locaux à construire une législation et un cadre d'intervention, que nous continuons à renforcer, comme nous l'avons fait pour la vente HLM.

M. Bruno Fievet. - La vente HLM répond aussi, ou pas, à des politiques locales. Moi qui suis breton, j'observe que Rennes Métropole n'accepte absolument pas la vente HLM, pour des raisons d'investissement, considérant que l'État s'est fortement désengagé, alors que Rennes Métropole s'est beaucoup engagé au profit du logement locatif social. Des réalités territoriales politiques très singulières doivent être prises en compte.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Avez-vous le sentiment d'un développement du phénomène de paupérisation des copropriétés ? Le cas échéant, avez-vous des chiffres à nous communiquer ?

Les élus locaux confrontés à des copropriétés privées en difficulté vous demandent de les aider. Avez-vous une doctrine spécifique à ce sujet ?

M. Bruno Fievet. - La loi de 1965 date de 1965. Il y a bel et bien une paupérisation depuis plus de cinquante ans. Aucune copropriété n'est épargnée par les problèmes d'impayés, qui vont grandissant dans le contexte de hausse du coût de l'énergie. Nous l'avons constaté, en tant que bailleurs sociaux, à travers les charges que nos locataires sont amenés à honorer, mais il en va de même pour les copropriétés privées. Depuis deux ou trois ans, on observe une accélération de ce phénomène.

Nous discutions récemment avec l'un des porteurs de QualiSR dans le cadre de Procivis. Lui a des chiffres, car Procivis intervient beaucoup au titre des missions sociales et dispose d'un programme important ciblé sur ce point, comportant des engagements financiers significatifs pris auprès du ministre. De fait, la situation d'un certain nombre de copropriétés se dégrade de façon significative.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Avez-vous des chiffres ?

M. Bruno Fievet. - Non, mais les élus y sont sensibles et nous sollicitent régulièrement. Nous n'avons pas toujours la capacité, localement, de leur répondre, car on ne s'improvise pas syndic. Cela nécessite un savoir-faire et une décision. Encore faut-il que la volonté de la gouvernance suive, et chaque organisme est libre de mener sa gouvernance dans un sens ou dans un autre. Toutefois, il s'agit, de fait, d'une préoccupation majeure.

Mme Chrystel Gueffier-Pertin. - Je ne dispose pas de statistiques sur les impayés de charges de copropriété, mais les organismes HLM repèrent les situations de fragilité de leurs copropriétaires, comme pour les locataires, et essaient d'intervenir le plus rapidement et le plus en amont possible pour éviter que ces impayés dérivent. Dès le premier impayé se met en oeuvre un plan d'apurement, ou en tout cas une réaction très opérationnelle de la part de l'organisme HLM, pouvant aller jusqu'à des appels de fonds mensuels. En principe, le syndic fait des appels de fonds trimestriels, à terme à échoir. Pour faciliter la trésorerie des ménages, il est possible de leur proposer de payer tous les mois. Il y a donc vraiment le souci de muscler la partie précontentieuse pour éviter d'arriver à des situations trop compliquées au bout de plusieurs trimestres d'impayés. Ce travail, qui existe en gestion locative, est copié en gestion de la copropriété lorsque l'organisme HLM a cette nouvelle casquette.

M. Antoine Galewski. - Dans les copropriétés où nous n'étions pas majoritaires, nous avons été confrontés à des problèmes pour le lancement de travaux de rénovation énergétique, les copropriétaires n'ayant pas forcément, légitimement, les moyens de les assumer. Nous avons porté des demandes d'évolutions législatives à ce sujet, pour que les bailleurs sociaux puissent mener les travaux nécessaires à la rénovation énergétique des copropriétés, quand bien même les assemblées auraient décidé, pour des raisons légitimes, de ne pas les entamer, car nous avons le sentiment que ce serait une réponse à la fragilisation des copropriétaires. C'est une demande qui vient de chez nous. Les bailleurs sociaux présents dans ces copropriétés, confrontées à une certaine inertie en matière de rénovation énergétique, et qui voyaient les copropriétés plonger à cause de cela, ont demandé à l'État de leur confier le portage de ces travaux, en lien avec les partenaires, pour produire un effet d'impulsion et sortir les copropriétés de leurs difficultés au moins sur cette partie.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Merci de votre présence et de vos contributions. Les travaux de la commission d'enquête s'achèveront le 31 juillet prochain.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de M. François Desprat, président,
de Mme Florence Tulier-Polge, vice-présidente, et de M. Sébastien Velez, directeur général du Conseil national des administrateurs judiciaires
et des mandataires judiciaires (CNAJMJ)

(Lundi 29 avril 2024)

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Nous recevons à présent M. François Desprat, Mme Florence Tulier-Polge et M. Sébastien Velez, en leur qualité respective de président, vice-présidente et directeur général du Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires (CNAJMJ), un établissement d'utilité publique, qui représente plus de 450 experts indépendants investis d'une mission de service public.

Aux termes de la loi du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, les administrateurs judiciaires peuvent prendre en charge différentes missions au sein de copropriétés fragiles ou paupérisées.

Premièrement, lorsque la collectivité ou les copropriétaires constatent que le taux d'impayés atteint plus de 25 %, ou plus de 15 % pour les plus grosses copropriétés, le juge peut désigner un mandataire ad hoc, afin que ce dernier procède à l'analyse de la situation financière de la copropriété et de l'état de l'immeuble, et formule des préconisations visant à redresser la situation financière du syndicat et à assurer la sécurité des lieux.

Deuxièmement, pour les copropriétés connaissant un déséquilibre financier persistant et dont le syndicat de copropriétaires se trouve dans l'impossibilité de maintenir l'immeuble en bon état, un administrateur judiciaire peut être désigné comme administrateur provisoire. Il est alors chargé de prendre les mesures nécessaires pour rétablir le fonctionnement de la copropriété et dispose, pour ce faire, de tous les pouvoirs du syndic de copropriété, ainsi que de tout ou partie des pouvoirs de l'assemblée générale des copropriétaires et du conseil syndical.

Ces procédures constituent des étapes cruciales pour prévenir la dégradation des copropriétés fragiles et entamer le rétablissement financier des structures déjà dégradées. Néanmoins, leur réussite demeure conditionnée à plusieurs facteurs, tels que la rapidité de la désignation, qui doit intervenir le plus en amont possible afin d'être efficace, et la capacité des copropriétaires à prendre en charge le coût de la procédure ou à disposer d'un accompagnement public en la matière.

Je me réjouis d'entendre vos retours d'expérience sur le sujet et souhaiterais vous poser quelques questions.

Copropriétaires et collectivités sont-ils suffisamment informés quant au rôle et à l'utilité du mandataire ad hoc et de l'administrateur provisoire pour pouvoir saisir le juge, dès que les premières difficultés sont identifiées ? Combien de temps s'écoule en moyenne entre la saisine du juge et la désignation du mandataire ou de l'administrateur provisoire ?

Quels points de blocage identifiez-vous dans l'accomplissement des missions confiées à ces acteurs ? Comment renforcer la portée de leur action ?

Avant de vous laisser la parole, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.

Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amende.

Je vous invite à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. François Desprat, Mme Florence Tulier-Polge et M. Sébastien Velez prêtent serment.

M. François Desprat, président du Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires. - Le CNAJMJ représente 450 professionnels : 150 administrateurs judiciaires et 300 mandataires judiciaires.

Il remplit trois missions principales, dont les deux premières sont liées à des considérations internes : assurer la formation des professionnels, ainsi que de leurs collaborateurs, et organiser les contrôles nécessaires. Sa troisième mission a une portée extérieure puisqu'il s'agit de la défense des intérêts de la profession et de sa représentation. Nous sommes ici présents en vertu de cette dernière.

Les administrateurs et mandataires judiciaires exercent une profession libérale réglementée, soumise à de multiples contrôles. Dans le cadre de nos missions, le tribunal judiciaire, les juges-commissaires et le parquet sont responsables de ces contrôles. En ce qui concerne les fonds que nous détenons, cette mission revient aux commissaires aux comptes. Enfin, le Conseil national met en oeuvre un contrôle triennal.

La très grande majorité des administrateurs et mandataires judiciaires intervient quand des décisions judiciaires ont été prises pour soutenir des entreprises en difficulté, mais une partie d'entre eux agissent dans le cadre de l'administration provisoire de copropriétés en difficulté. La liste nationale des administrateurs judiciaires compte 70 professionnels ayant une spécialité dite « civile », qui correspond à l'ensemble des missions de représentation des personnes ou d'administration de leurs biens auprès des tribunaux judiciaires, dans le cadre de successions litigieuses, d'indivisions conflictuelles ou de copropriétés en difficulté.

Jusqu'en 1994, il n'existait pas de textes relatifs à la copropriété en difficulté et, par défaut, certains tribunaux judiciaires appliquaient aux syndicats en difficulté le droit de la faillite prévu par le code de commerce, qui n'était pas adapté à ces situations. Depuis, le législateur a institué une procédure d'administration provisoire spécifique, décrite dans les articles 29-1 et suivants de la loi du 10 juillet 1965, qui a consisté à donner des pouvoirs de droit commun exorbitants à un administrateur provisoire, ayant de préférence choisi la spécialité civile, afin de redresser des copropriétés caractérisées par leur situation financière obérée ou leur incapacité à assurer la conservation des immeubles concernés.

Ensuite, deux textes ont fait évoluer nos interventions dans ce domaine. D'abord, la loi du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion (Molle) a créé le mandat ad hoc de copropriété en difficulté. Puis, la loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (Alur) a considérablement étoffé la boîte à outils des administrateurs provisoires de copropriétés dégradées, en créant un véritable droit de la faillite des syndicats en difficulté, qui permet au tribunal d'organiser le paiement des dettes et de restructurer l'ensemble immobilier si nécessaire.

Depuis vingt ans, les administrateurs judiciaires spécialisés dans l'administration provisoire de la copropriété en difficulté sont devenus des acteurs majeurs du redressement des immeubles ou de leur recyclage, en collaboration avec les acteurs publics locaux et nationaux. Le juge leur confère généralement tous les pouvoirs du syndic et de l'assemblée générale des copropriétaires. Ils ont ainsi la capacité de prendre des décisions, dans des délais très courts et sans risque de recours dilatoire des copropriétaires, en matière de travaux urgents ou de procédures de recouvrement visant les copropriétaires débiteurs.

Par ailleurs, leur statut réglementé et leur désignation par décision judiciaire leur confèrent une indépendance et une légitimité qui leur permettent d'agir dans l'intérêt de l'immeuble et de l'ensemble des résidents, sans subir la pression que les copropriétaires pourraient imposer à un syndic professionnel, notamment lorsqu'ils détiennent un nombre de tantièmes suffisant pour faire et défaire les contrats des syndics.

Parallèlement, de nombreux outils facilitant la restructuration juridique et urbaine des immeubles en difficulté sont désormais à leur disposition, sous le contrôle du juge. Ainsi, ils ont le pouvoir de solliciter et d'organiser la division de grands ensembles trop complexes à administrer, mais aussi celui de rétrocéder des parcelles ou des voiries aux acteurs publics locaux. Enfin, lorsque la situation de l'immeuble est désespérée, ils ont la possibilité de solliciter la mise en place d'une mesure de carence auprès du tribunal.

Dans ce contexte et face à un afflux de dossiers, certains tribunaux judiciaires se sont engagés dans un processus de spécialisation, mettant en place de façon permanente des équipes de magistrats, de procureurs et de greffiers, chargés de suivre les procédures relatives à ces immeubles.

Compte tenu de la complexification et de la multiplication des dossiers, le CNAJMJ a proposé au ministre de la justice de créer une « super spécialisation » en administration des copropriétés en difficulté, qui prendrait la forme d'un label détenu par des administrateurs judiciaires particulièrement expérimentés et compétents en la matière.

Par ailleurs, le Conseil national a mis en place un module de formation en droit de la copropriété, destiné aux professionnels et à leurs collaborateurs, et dispensé par des universitaires spécialistes de ces questions, comme Jean-Marc Roux.

Je passe la parole à Me Tulier-Polge, qui, au-delà de ses fonctions de vice-présidente du CNAJMJ, est administrateur judiciaire en région parisienne et spécialiste des missions civiles, notamment de la gestion des copropriétés en difficulté.

Mme Florence Tulier-Polge, vice-présidente du Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires. - Je souhaiterais revenir sur les situations auxquelles nous sommes confrontés quand nous sommes désignés administrateurs provisoires.

D'abord, la grande majorité des dossiers que nous recevons concerne de petits immeubles, de moins de vingt lots, réunissant parfois trois ou quatre copropriétaires.

Nous n'avons pas de statistiques, mais nous réfléchissons, au sein du Conseil national, à créer un observatoire, comme nous l'avons fait pour les procédures collectives et les entreprises afin de pouvoir fournir des éléments concrets aux pouvoirs publics. Une telle structure permettrait de faire remonter des informations chiffrées sur le type d'immeubles concernés, le nombre de copropriétaires ou la nature des difficultés rencontrées. Il s'agirait d'un outil intéressant pour légiférer.

Dans la quasi-totalité des cas, les dossiers sont ouverts trop tard et nous sommes désignés quand le malade agonise. Il est très rare que les dossiers soient ouverts dans des conditions qui nous permettent d'intervenir de manière sereine et efficace.

La plupart du temps, les syndics sollicitent le tribunal pour demander la désignation d'un administrateur provisoire quand ils n'ont plus de trésorerie ou que la collectivité locale dont dépend l'immeuble a dû prendre des mesures, telles que des arrêtés de péril imminent ou de traitement de l'insalubrité.

Les taux d'impayés de charges sont alors très élevés et représentent souvent plus de 100 % du budget annuel. Par ailleurs, quand le dossier est ouvert, les syndics ont très rarement engagé des procédures de recouvrement visant les copropriétaires débiteurs, alors qu'ils ont désormais accès à un arsenal judiciaire efficace pour recouvrer ces créances. En effet, ils sont souvent sous le contrôle des copropriétaires qui détiennent de nombreux tantièmes et qui peuvent choisir de ne pas renouveler leur mandat.

Les dossiers sont aussi caractérisés par des situations de trésorerie très dégradées, dans lesquelles le passif fournisseurs s'accumule, moins dans les petits immeubles que dans les grandes copropriétés, où ces dettes peuvent représenter plusieurs années de charges et sont très difficiles à gérer. C'est notamment le cas à Grigny 2, la plus grande copropriété française en difficulté, dont le passif s'élève à des millions d'euros.

Par ailleurs, la comptabilité n'est pas tenue. Certes, les petits immeubles n'ont pas l'obligation de tenir une comptabilité d'engagement. Dans les grands ensembles, nous découvrons des comptabilités irrégulières ou des systèmes de fusion entre les comptes de plusieurs syndicats secondaires. Il est donc difficile d'appréhender la situation réelle de ces syndicats et il nous faut commencer par régulariser la comptabilité lors de l'ouverture de la procédure, ce qui entraîne une perte de temps.

De plus, les immeubles sont entretenus a minima et certains systèmes de sécurité incendie ne sont pas aux normes ou manquent tout à fait, parfois dans des immeubles comptant des centaines d'appartements. Dans certains cas, même les mises en demeure des collectivités locales n'ont pas été suivies d'effet.

Le portrait que je dresse est un peu noir, mais il n'est pas forcé. À l'ouverture de la procédure d'administration provisoire, ces difficultés sont toutes à régler, dans des délais très courts, alors que les moyens manquent pour engager des travaux et prendre des mesures.

Par ailleurs, les petits immeubles et les grands ensembles ne bénéficient pas du même accès aux dispositifs publics, qui sont nombreux et efficaces. Ainsi, les grandes copropriétés peuvent avoir recours à l'Agence nationale de l'habitat (Anah), à l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) ou aux opérations de requalification des copropriétés dégradées (Orcod), mais, la plupart du temps, les dispositifs proposés ne s'appliquent pas aux petits immeubles en secteur diffus. Il faudrait réfléchir à la possibilité de regrouper certains immeubles au sein d'un dispositif global.

Les situations diffèrent aussi en fonction des zones. Des tribunaux spécialisés ont été créés à Bobigny ou à Évry parce que ces villes regroupent de nombreuses copropriétés en difficulté et qu'un effet de masse a conduit les acteurs concernés, publics et privés, à s'organiser pour traiter ces dossiers. Cependant, en province ou dans des villes de banlieue parisienne peu souvent confrontées à cette difficulté, les représentants des collectivités locales et les tribunaux judiciaires sont plus démunis face à un immeuble dégradé. L'absence de connaissance et de culture en la matière, d'un point de vue technique et judiciaire, est de nature à engendrer un grand retard dans la gestion des cas. Les maires ne sont pas suffisamment informés des procédures et des dispositifs pouvant être mis en place.

Enfin, l'accès aux dispositifs de soutien nécessite une expertise technique et reste difficile, même avec l'aide d'opérateurs désignés. Une simplification serait souhaitable, qui permettrait notamment aux maires des petites communes de solliciter ces aides.

J'en viens à vos questions, madame la présidente.

D'abord, les procédures de mandat ad hoc et d'administration provisoire sont peu connues des copropriétaires et du public, et sont mal perçues. De nombreux copropriétaires manquent d'information et craignent la gestion d'un administrateur provisoire. Cette méconnaissance constitue un frein à l'ouverture pourtant nécessaire de certains dossiers. J'évoquerai le cas d'une copropriété très dégradée de l'Essonne, dans laquelle des plans de sauvegarde ont été mis en place pendant vingt ans. Les copropriétaires, essentiellement des bailleurs, ont tout fait pour éviter la désignation d'un administrateur provisoire, ont eu recours à différents dispositifs dont aucun n'a fonctionné, puisqu'ils ne souhaitaient pas voter les travaux. La conjonction de cette absence de volonté et de la méconnaissance de l'administration provisoire a conduit cet immeuble à tarder dans la désignation d'un administrateur.

Une fois l'administration provisoire ouverte, les copropriétaires sont informés de toute la procédure. En effet, l'administrateur provisoire doit consulter le conseil syndical avant de prendre des décisions en matière de travaux, d'appels de fonds ou de recouvrements judiciaires. De plus, l'administrateur rédige un rapport annuel, adressé à tous les copropriétaires, informe des décisions prises et peut aussi convoquer des réunions d'information. Les copropriétaires sont peut-être mieux informés dans le cadre de cette procédure qu'ils ne le sont par un syndic.

Quant au délai entre la demande de désignation et la prise de décision, il est rapide et souvent inférieur à un mois. Je n'ai pas de critique à émettre sur le temps de réaction des tribunaux judiciaires.

Dans la quasi-totalité des cas, la décision, qui doit émaner du président du tribunal, advient sur requête du syndic, qui n'est plus en mesure d'administrer la copropriété dans des conditions normales.

L'ouverture peut aussi avoir lieu dans le cadre d'une procédure contradictoire, si des copropriétaires, mais aussi le maire ou le préfet, en font la demande. Cependant, ces cas ne représentent que 1 ou 2 % des dossiers.

Je mentionnerai enfin l'article 47 du décret du 17 mars 1967, qui prévoit que, en l'absence de syndic, tout intéressé peut demander la désignation d'un administrateur provisoire, qui peut solliciter la transformation de sa mission si la copropriété est en difficulté. En Seine-Saint-Denis, de nombreux petits immeubles sont en administration provisoire intérimaire dans ce cadre. Il s'agit d'une voie d'accès détournée, mais légale, qui est pratique pour opérer des constatations dans des immeubles qui ne sont plus gérés et pour solliciter l'application de l'article 29-1, si l'immeuble est en difficulté. Je n'ai pas les chiffres exacts, mais cette voie est empruntée par 15 à 20 % des dossiers.

J'en viens à l'efficacité de notre action. Plus nous intervenons tôt, plus nous avons de chances d'atteindre notre objectif, qui reste de permettre au syndicat de retrouver un fonctionnement normal. A contrario, plus l'immeuble est endetté et plus les débiteurs et les travaux nécessaires sont nombreux, plus notre tâche est difficile.

Votre dernière question portait sur d'éventuelles propositions. D'abord, il faudrait simplifier les dispositifs publics, qui sont pratiques, nombreux et efficaces, mais nécessitent une certaine expertise. La création d'un guichet unique serait bénéfique, pour les administrateurs judiciaires comme pour les syndics.

Ensuite, nous suggérons la mise en place de procédures de recouvrement visant les copropriétaires débiteurs, qui pourraient être accélérées quand l'immeuble se retrouve sous administration provisoire. J'ignore si un tel mécanisme est possible d'un point de vue légal, mais, aujourd'hui, les administrateurs judiciaires n'ont pas plus de pouvoir qu'un syndic pour procéder à ces recouvrements.

Nous pourrions aussi songer à des regroupements pour les petits immeubles en secteur diffus, afin de mutualiser les moyens à disposition.

Le mandat ad hoc, qui devait permettre de détecter en amont les immeubles fragiles et de mettre en place des mesures afin d'éviter le recours à l'administration provisoire, ne fonctionne pas. La loi du 9 avril 2024 visant à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé et des grandes opérations d'aménagement prévoit une mesure, qui doit être incitative et rendre potentiellement responsables les syndics qui n'auraient pas sollicité le mandat ad hoc avant de s'engager dans la procédure de l'administration provisoire. Le nombre de mandats ad hoc s'élève à une dizaine par an et il est difficile de comprendre pourquoi le texte n'est pas davantage utilisé, d'autant que la rémunération du mandataire est très raisonnable, voire modique. Ainsi, malgré ce dispositif, nous n'avons toujours pas les moyens de détecter suffisamment tôt les copropriétés en difficulté.

Dans le cas des copropriétés sous dispositif, nous pourrions envisager des procédures simplifiées de préfinancement pour les subventions. En effet, l'absence de trésorerie demeure la grande difficulté et, si des dispositifs permettent aux copropriétés de recevoir jusqu'à 100 % du montant total, toutes taxes comprises, des travaux à réaliser, le versement de ces subventions reste complexe malgré les efforts fournis, notamment par l'Anah. Les copropriétés doivent souvent attendre des mois. Pour pallier cette attente, il faut passer par des systèmes compliqués de préfinancement, qui nécessitent la présence d'un opérateur pour piloter le dossier, ce qui est impossible dans les petits immeubles. Il faudrait simplifier les procédures et accélérer le versement des aides.

À titre d'exemple, dans une procédure concernant un petit immeuble n'étant pas sous dispositif, j'ai sollicité des aides de l'Anah pour payer les huissiers au titre de la notification du jugement de carence. Pour monter le dossier et recevoir les aides, il a fallu deux ans, pendant lesquels l'huissier a avancé 15 000 euros de frais.

Enfin, pour des motifs qui ne sont pas clairs, la durée maximale des plans de remboursement des copropriétés en difficulté est de cinq ans, alors qu'elle est de dix ans pour une entreprise. Pourquoi ne pas aligner ces durées ? Les administrateurs judiciaires formulent cette demande depuis plusieurs années. En effet, il est actuellement impossible de rembourser en cinq ans les dettes des grandes copropriétés et il nous faut solliciter des prolongations de plan. Il serait souhaitable que, dès la deuxième année de l'administration provisoire, un plan de dix ans soit proposé, qui serait plus adapté aux délais de recouvrement et de redressement.

Mme Marianne Margaté, rapporteure. - Le mandat ad hoc n'a pas trouvé sa place et nous peinons à comprendre pourquoi. Le pourcentage d'impayés, qui joue le rôle de déclencheur, vous semble-t-il un critère judicieux et suffisant ? Mériterait-il d'être complété ?

Sachant que les procédures du mandat ad hoc et de l'administration provisoire sont mises en place dans des copropriétés en difficulté, leur coût, supporté par les copropriétaires, constitue-t-il un facteur pouvant expliquer les refus d'intervention ?

Dans le cadre de l'administration provisoire, les communes, les intercommunalités et les préfectures sont en première ligne. Or, aujourd'hui, vous ne devez rendre compte qu'au tribunal. Le partenariat en la matière vous semble-t-il optimal ? Faudrait-il renforcer le réseau des acteurs impliqués ?

Qu'il s'agisse de mandat ad hoc ou d'administration provisoire, quel regard portez-vous sur le syndic d'intérêt collectif, dispositif prévu par la loi du 9 avril 2024 ?

Mme Florence Tulier-Polge. - S'agissant de l'ouverture du mandat ad hoc, les critères chiffrés paraissaient in fine les plus simples. Les critères de l'ouverture de l'administration provisoire sont quant à eux bien plus larges : les difficultés financières ou l'incapacité de pourvoir à la conservation de l'immeuble permettent de couvrir un grand nombre de situations.

Dans la mesure où le mandat ad hoc équivaut au lancement d'une alerte, l'idée de critères chiffrés a semblé être la plus intéressante. Les critères définis me semblent adéquats, la seule difficulté a trait au caractère automatique du déclenchement de la procédure que le législateur avait imaginé en 2009. Cette mesure ne sera à mon sens jamais demandée par les copropriétaires, mais émanera du syndic, dans la mesure où les premiers ne disposent pas toujours des éléments chiffrés, à la différence du second. De plus, les copropriétaires ont des réserves vis-à-vis des mandataires de justice et ne souhaitent pas qu'un administrateur vienne apprécier la situation dans laquelle se trouve l'immeuble.

Les syndics ne se montrent pourtant pas friands de cette mesure, même lorsque les seuils sont dépassés. Ainsi, alors que je consacre 90 % de mon activité aux administrations provisoires de copropriétés en difficulté, il me semble n'avoir été désignée que quatre fois dans le cadre de mandats ad hoc depuis 2009. J'ajoute que je n'ai pas pu remplir ma mission dans trois de ces quatre dossiers, car le syndic ne m'a jamais envoyé les documents. S'il peut écrire au président du tribunal pour lui faire part de difficultés d'exécution, le mandataire ad hoc ne dispose en effet pas des moyens de contraindre le syndic.

Cette absence de déclenchement du mandat ad hoc est regrettable : il ne s'agit pas, selon moi, d'une question de seuils, mais plutôt d'une question de volonté. J'ajoute que les syndics éprouvent de nombreuses difficultés à déclencher des administrations provisoires, même quand les seuils sont très largement dépassés, ce qui soulève à nouveau cet enjeu de la volonté. En résumé, la mesure n'est pas du tout attractive.

S'agissant du coût du mandat ad hoc, j'avais évoqué, au cours des discussions relatives à la loi Alur, la possibilité d'offrir une subvention spécifique aux copropriétaires. À nouveau, le coût est très faible pour de petits immeubles : il s'élève à 1 500 euros pour établir un diagnostic complet de l'immeuble, le texte encadrant le mandat ad hoc listant les points à analyser. De fait, la démarche recouvre les analyses effectuées par les opérateurs dans le cadre de la préparation d'un plan de sauvegarde, qui englobent les problématiques juridiques, l'examen du règlement de copropriété et une évaluation des travaux à réaliser, soit un travail très important.

En 2015, nous avions indiqué que le coût du mandat ad hoc devrait être assez raisonnable afin de faciliter sa mise en oeuvre. Compte tenu de la nature des dossiers que nous avons à administrer, nous souhaitons pouvoir ouvrir les administrations provisoires au plus tôt, avec des immeubles bien moins dégradés. Je ne pense pas que le coût constitue un obstacle, les difficultés tenant davantage à l'absence de volonté de voir un tiers intervenir et porter un regard extérieur sur l'immeuble, alors que cela permettrait peut-être de sortir du face-à-face entre le syndic et les copropriétaires.

Les relations avec les collectivités territoriales et les acteurs publics sont quant à elles bien organisées dès lors qu'elles s'inscrivent dans le cadre d'opérations programmées d'amélioration de l'habitat (Opah), de plans de sauvegarde ou d'Orcod. Ces dispositifs prévoient en effet des réunions entre les différents acteurs, qu'il s'agisse des syndics ou des administrateurs judiciaires. Dans le dossier de Grigny 2, nous avons atteint un niveau de collaboration très poussé, avec des réunions mensuelles, des échanges d'informations et un soutien logistique des opérateurs.

La collaboration est évidemment moindre dans le cadre de copropriétés en difficulté en secteur diffus, en l'absence de dispositif d'organisation et parfois de personnes compétentes pour aborder cette thématique au sein de la collectivité concernée. Les relations se limitent souvent à des alertes envoyées au maire à propos de la situation de l'immeuble. Encore une fois, les situations sont très variables : dans certaines villes de Seine-Saint-Denis, les services municipaux nous alertent directement et, à peine désignés, nous savons déjà que l'immeuble fait l'objet d'un arrêté de péril par exemple. Dans d'autres communes, aucun dispositif n'existe : je suis très souvent amenée à écrire à des élus pour leur faire part de suspicions de suroccupation chez un bailleur, ou de pratiques de marchands de sommeil, en demandant l'intervention d'un inspecteur de salubrité ou des services sociaux. Certains maires se sont plaints de ne pas disposer d'informations, un propos qui m'a étonnée alors que les administrateurs ont tout intérêt à collaborer avec les acteurs locaux. Nous ne pouvons en effet rien faire en dehors d'une collaboration avec le maire ou la communauté d'agglomération.

Concernant le syndic d'intérêt collectif, je comprends que les maires préféreraient qu'il s'agisse d'un bailleur social, qui serait compétent pour gérer des immeubles en difficulté. Certains bailleurs sociaux ont d'ailleurs créé des structures de gestion particulièrement intéressantes et compétentes. Le texte prévoit que ce syndic pourra assister les administrateurs provisoires dans le cadre des articles 29-1 et suivants et j'y suis bien sûr tout à fait favorable. Nous avons en effet besoin d'un vivier de syndics aptes à nous assister, notamment dans le cadre de très grandes copropriétés.

D'après ce que j'ai compris, dès lors que le syndic émanera d'un bailleur social, il sera de manière quasi automatique un syndic d'intérêt collectif. Des syndics privés solliciteront sans doute leur inscription sur la liste préfectorale : nous serons extrêmement vigilants quant aux critères qui seront retenus, car la compétence ne s'invente pas en matière de copropriétés en difficulté, les bons sentiments ne sauraient suffire. J'espère que nous serons consultés à ce sujet.

Mme Audrey Linkenheld. - Élue du Nord, territoire confronté à ces problématiques d'habitat indigne ou dégradé, j'ai également été rapporteure de la loi Alur à l'Assemblée nationale. Je suis assez surprise par vos propos relatifs à la spécialisation des tribunaux et des administrateurs et à la collaboration avec les collectivités. Dans un certain nombre de départements, des pôles de lutte contre l'habitat indigne ont été constitués et tentent - avec de nombreuses difficultés - de spécialiser les différents interlocuteurs, que ce soit au sein des collectivités, des préfectures ou des acteurs judiciaires.

À ce titre, je m'étonne que vous disiez qu'il n'existe aucun dispositif en province. Cela signifierait que, malgré tous les efforts accomplis à Marseille ou dans le Nord, nous n'aurions pas réussi dans cette entreprise de spécialisation, ce qui serait fort décevant. Le sujet de la paupérisation des copropriétés concerne en effet au premier chef les petits immeubles qui ne sont accompagnés par personne, plus que les grands ensembles. Vous avez indiqué que la collaboration avec les collectivités territoriales était plus aisée dans le cadre d'Opah ou d'Orcod, ces petits immeubles se situant précisément là où ces dispositifs n'existent pas la plupart du temps. Cette absence n'empêche pas, me semble-t-il, la collaboration avec les collectivités, même si elles ne sont pas toutes outillées sur ce sujet.

Comment les collectivités territoriales pourraient-elles mieux travailler avec vous ? Il me semble que ce sujet de l'amélioration de l'accompagnement des petits immeubles en secteur diffus devrait être creusé par notre commission d'enquête.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Cette question résume bien l'objet de cette commission d'enquête, orientée vers cet angle mort des petites copropriétés.

M. Laurent Burgoa. - Vous avez indiqué que 70 administrateurs disposent d'une labellisation « civile » et sont spécialisés dans les copropriétés en difficulté. Issu de la région Occitanie et du département du Gard, confronté à d'importants problèmes de copropriétés dans diverses communes, je constate que le nombre d'administrateurs spécialisés y est assez faible.

Le CNAJMC mène-t-il un travail d'information et de pédagogie afin d'assurer cette présence d'au moins un administrateur par département ? Je n'ai rien contre le département de l'Hérault, qui dispose d'un administrateur, mais Montpellier est loin de Nîmes et la situation est pénalisante pour le Gard.

Mme Florence Tulier-Polge. - La situation de très nombreux immeubles est traitée en amont de l'intervention d'un administrateur provisoire par les acteurs locaux, d'où un angle mort pour notre profession. Cela signifie qu'une série de dispositifs fonctionne bien, les administrations provisoires étant mises en oeuvre dans les territoires où aucune mesure n'a été adoptée a priori. Je pense que ce facteur explique la différence d'appréciation que j'exprimais.

Cet aspect recoupe l'interrogation que vous avez formulée sur l'absence d'administrateurs judiciaires spécialisés dans certains départements. Je rappelle que les 70 administrateurs spécialisés sont une création récente : dans le prolongement de la loi Alur, l'idée consistait à recréer cette spécialisation civile, abandonnée en 2004 pour être remise en place en 2017.

J'ai d'ailleurs mené une enquête auprès des administrateurs par rapport à cette perspective de labellisation. Pour le Sud-Ouest et l'Occitanie, mes collègues m'ont indiqué ne jamais être saisis. La principale difficulté réside dans le trop faible nombre de dossiers existant dans certains territoires, qui ne justifie pas la présence d'un administrateur spécialisé sur place.

Nous ne nous orientons donc pas vers ce type de réponse en termes de maillage du territoire, mais plutôt vers l'idée que certains administrateurs très spécialisés pourraient épauler des administrateurs locaux, afin de leur apporter leur expertise dans le cadre d'une co-désignation. J'ai ainsi été co-désignée dans le Nord aux côtés d'administrateurs locaux non spécialisés, afin de prendre en charge des dossiers d'administration provisoire.

Il s'agit donc d'une sorte de compagnonnage, qui sera d'autant plus développé dans le cas où l'idée de label que nous avons proposée venait à être retenue par le ministre de la justice. Cette solution permettrait aux tribunaux judiciaires de savoir quel type d'administrateur désigner dans un dossier donné, la gestion d'une grande copropriété étant différente de celle d'un petit immeuble.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Je vous remercie pour vos contributions. Cette commission d'enquête prendra fin le 31 juillet : d'ici là, un rapport dédié au phénomène de paupérisation des copropriétés vous sera présenté.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de M. Bertrand Menay, président de la Conférence nationale
des présidents de tribunaux judiciaires (CNPTJ), et de Mme Claire Liaud,
présidente du tribunal judiciaire de Bastia
(en téléconférence)

(Lundi 29 avril 2024)

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Nous entendons maintenant M. Bertrand Menay, président de la conférence nationale des présidents de tribunaux judiciaires (CNPTJ) et Mme Claire Liaud, présidente du tribunal judiciaire de Bastia.

La Conférence nationale des présidents de tribunaux judiciaires est une association professionnelle créée en 2006, regroupant plus de 80 % des présidents de tribunaux judiciaires, et représentant l'ensemble des territoires. Elle participe à de nombreux groupes de travail s'intéressant à l'organisation judiciaire, aux libertés individuelles et à l'institution judiciaire, dans le but de contribuer à l'évolution de la justice et d'améliorer l'organisation judiciaire.

Aussi, mes collègues et moi-même sommes particulièrement intéressés par vos retours d'expérience, ainsi que par les propositions formulées par les tribunaux judiciaires en matière de prise en charge des copropriétés dégradées.

En matière de répression des marchands de sommeil, il est établi que la réticence de certaines victimes à intenter une action en justice et la durée des procédures judiciaires sont des obstacles majeurs dans la lutte contre ces personnes malveillantes et la dégradation des copropriétés. Quelles sont les actions menées par l'institution judiciaire pour accélérer les procédures et renforcer leur efficacité ? Identifiez-vous des leviers qui permettraient d'avancer dans la détection et la répression de tels actes ?

Je souhaiterais également connaître votre point de vue concernant le rôle joué par le magistrat référent en matière d'habitat indigne, désigné dans chaque parquet de France. Celui-ci assure un rôle de référent des autorités administratives chargées de coordonner l'action administrative et judiciaire à ce sujet.

Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions et pour un propos introductif d'environ quinze minutes, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.

Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amende.

Je vous invite à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Bertrand Menay et Mme Claire Liaud prêtent serment.

M. Bertrand Menay, président de la Conférence nationale des présidents de tribunaux judiciaires. - La CNPTJ est une association dont l'objet est de contribuer à la réflexion en vue d'améliorer le fonctionnement des juridictions, et donc, in fine, le service rendu par la justice à nos concitoyens.

Notre association n'a pas d'objet politique ou syndical : nous essayons de nous extraire des positions partisanes - nobles au demeurant - et nous défendons des propositions d'amélioration prenant en compte toutes les opinions. Elle représente la majorité des présidents de tribunaux judiciaires ; j'ai l'honneur d'en être le président depuis quatre mois.

Madame la présidente, vous avez axé votre propos liminaire sur la répression des marchands de sommeil - une question ô combien importante. J'avais prévu d'en parler, mais je voulais surtout évoquer les contentieux regroupés généralement sous le terme de copropriétés dégradées. Nous ne disposons pas de définition de cette notion, même si les lois successives essaient de prévoir des outils au profit des juridictions pour prévenir ces situations et y remédier, notamment en matière de lutte contre les marchands de sommeil.

Dès lors, dois-je axer mon propos sur les marchands de sommeil ou puis-je également évoquer les copropriétés dégradées ? Nous avons bien sûr pris connaissance de l'adoption définitive de la loi visant à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé et des grandes opérations d'aménagement, laquelle répond à un certain nombre de questions que vous vous posez.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Notre attention se porte principalement sur les marchands de sommeil. Comme vous l'avez souligné, la question de l'habitat dégradé a déjà été traitée : notre commission d'enquête s'intéresse au rôle joué par les marchands de sommeil dans la paupérisation des copropriétés dégradées. Nous vous serions reconnaissants de bien vouloir cantonner votre propos à ce cadre.

M. Bertrand Menay. - Votre commission a procédé à l'audition de M. Olivier Christen, directeur des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice : celui-ci s'est exprimé mieux que les présidents de tribunaux judiciaires ne pourraient le faire. Il a évoqué les différentes infractions prévues par le code pénal et par le code de la construction et de l'habitation (CCH).

Vous vous intéressez aujourd'hui à la pratique judiciaire. Certaines victimes sont réticentes à déposer plainte contre les marchands de sommeil, car les procédures sont longues, et les aléas judiciaires possibles. Le directeur des affaires criminelles et des grâces a souligné avec justesse que la lutte contre les marchands de sommeil repose d'abord sur l'action des procureurs de la République et des autres administrations de l'État, notamment au sein d'instances de concertation telles que les comités opérationnels départementaux anti-fraude (Codaf) ou sur l'action des magistrats référents, présents dans tous les parquets.

Vous comprendrez que ma fonction ne me permet pas de décrire réellement l'action des procureurs : je suis un spectateur, non un acteur. Les échanges entre les parquets et les administrations de l'État existent avant la constitution des procédures et échappent un peu à la stricte perception des présidents de tribunaux judiciaires : ainsi, tout un pan de la lutte contre les marchands de sommeil s'effectue en amont. Les présidents de tribunaux et les magistrats du siège sont destinataires des procédures engagées au moment de l'ouverture d'une information judiciaire ou lorsqu'une procédure ayant déjà fait l'objet d'une enquête est soumise à l'appréciation d'une juridiction - les tribunaux correctionnels, en particulier.

Peu de procédures vont jusqu'à leur terme devant les juridictions correctionnelles. Je n'en connais pas les raisons ; plusieurs hypothèses peuvent être formulées. Établir les infractions commises par les marchands de sommeil est complexe : aux termes du code pénal, il faut démontrer que ceux-ci abusent de la vulnérabilité des victimes. Il faut aussi pouvoir saisir les auteurs de l'infraction. Vos travaux l'ont montré : ces personnes font preuve d'une grande adaptabilité et revendent les biens à plusieurs reprises, parvenant parfois à échapper à la mise en cause de leur responsabilité. Ces facteurs expliquent le faible nombre de procédures en la matière. C'est pourquoi les victimes imaginent que les juridictions pénales ne sont pas le meilleur endroit pour obtenir réparation.

Le magistrat référent est un magistrat du parquet. Son action est davantage tournée vers les autres administrations de l'État que vers la juridiction en elle-même, sauf s'il s'agit d'organiser des audiences spécialisées : en ce cas, c'est lui qui exercera l'action publique et les poursuites contre les marchands de sommeil incriminés.

Mme Claire Liaud, présidente du tribunal judiciaire de Bastia. - Je compléterai les propos de mon collègue en indiquant qu'il faut repérer des signaux faibles à l'occasion de ces procédures pénales. En notre qualité de présidents de tribunal, nous n'avons pas développé suffisamment d'actions de prévention pour lutter contre la vulnérabilité face aux marchands de sommeil dans le cadre des conseils départementaux de l'accès au droit (CDAD) ou des bureaux d'aide aux victimes (BAV) - dont nous assumons la responsabilité -, ne serait-ce que pour repérer ces dernières et les diriger vers les associations compétentes. Nos instances abordent peu ce sujet ; sans doute y aurait-il matière à avancer grâce aux outils à notre disposition.

J'ai abordé la lutte contre les marchands de sommeil par le biais des contentieux de la protection, soit les impayés de loyer soit les difficultés nées de la mise à disposition d'un logement qui ne répond pas aux conditions initiales du contrat de bail - ces questions sont récurrentes. Lors de mes précédentes fonctions en Charente-Maritime, la sous-préfète de Saintes m'avait alertée à ce sujet.

M. Menay l'a dit : ce sont surtout les personnes vulnérables, notamment les majeurs faisant l'objet de mesures de protection, qui sont malheureusement la cible des marchands de sommeil.

Mme Marianne Margaté, rapporteure. - Merci pour ces précisions. Compte tenu des auditions que nous avons déjà menées, le constat semble assez largement partagé : le phénomène de paupérisation des copropriétés s'amplifie et s'aggrave. Avez-vous le même sentiment ? Avez-vous des propositions pour améliorer la procédure de recouvrement des charges impayées, afin d'éviter que le temps long n'ajoute de nouvelles difficultés ?

Lors de l'audition précédente, nous avons entendu les administrateurs judiciaires. Le déclenchement des procédures vous semble-t-il adapté ? Au contraire, faudrait-il les déclencher automatiquement ou plus en amont pour éviter la spirale infernale de la paupérisation et de la dégradation ?

M. Bertrand Menay. - En effet, nous constatons un boom du nombre de procédures pour charges impayées dans les contentieux traités par les tribunaux judiciaires sous l'effet de la modification de la loi de 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, notamment son article 19. Ce mouvement est continu. Par ailleurs, au fond, la procédure accélérée est désormais de rigueur.

J'ai lu les comptes rendus des auditions précédentes : tous les acteurs constatent que la paupérisation des copropriétés est un phénomène économique et social. Les causes sont multifactorielles, notamment le vieillissement des copropriétés ou les travaux trop longtemps différés qui, aujourd'hui, doivent être engagés. Ainsi, les copropriétaires dont les moyens sont limités ne peuvent faire face aux appels de charges, trop importants. Ces situations diffèrent de celles pour lesquelles le copropriétaire est de mauvaise foi et n'entend pas payer ses charges, quelles que soient les actions menées par le conseil syndical ou le syndic. Hormis ces affaires spécifiques, certains copropriétaires se retrouvent dans des situations délicates, d'où une augmentation du nombre de procédures.

Le système mis en place, qui prévoit non seulement le recouvrement des charges, mais aussi le paiement des provisions votées, doit faciliter l'émission du titre de recouvrement. La décision judiciaire est susceptible d'intervenir rapidement, mais encore faut-il pouvoir la faire exécuter : obtenir le recouvrement effectif des charges représente une réelle difficulté. Tel est le point le plus délicat : bien que condamné, le copropriétaire qui a laissé filer sa dette pour des raisons économiques valables ne sera pas, la plupart du temps, en mesure de payer. Dès lors, le recouvrement par le syndic s'avérera délicat.

La procédure de recouvrement des charges mériterait-elle d'être améliorée ? Aujourd'hui, nous disposons de tous les outils nécessaires : le problème est moins la procédure en elle-même que la situation des copropriétaires, victimes, eux aussi, de paupérisation.

J'en viens au déclenchement de l'action des administrateurs et des mandataires provisoires. Demain, grâce à la nouvelle loi et après avoir respecté un délai de carence, ceux-ci pourront intervenir non pas uniquement lorsqu'un pourcentage de copropriétaires est en difficulté - variable selon que le nombre total de copropriétaires est inférieur ou supérieur à 200 -, mais aussi lorsque des comptes de charges n'auront pas été approuvés dans une période de deux ans - signe d'une copropriété en difficulté. Autant de mécanismes permettant d'anticiper les situations trop dégradées et de faire intervenir le mandataire ad hoc, puis, si la situation perdure, l'administrateur provisoire, qui dispose alors de pouvoirs extrêmement importants. Il me semble que la nouvelle loi apporte un début de réponse sur qui est susceptible de saisir le juge, et à quel moment ; un critère supplémentaire y a été introduit pour agir plus rapidement. Cela rejoint votre souhait d'anticiper les difficultés avant que celles-ci ne deviennent trop importantes : des copropriétés en très grande difficulté mettent des années à se redresser.

Pour résumer, c'est plutôt la pédagogie envers les copropriétaires qui prime ; là réside la difficulté, nous le constatons à l'occasion de nos procédures. La vie du conseil syndical est compliquée ; le plus souvent, elle ne repose que sur quelques entités volontaires, bénévoles et dynamiques. Le syndic est parfois un peu seul. En outre, il est difficile de faire vivre les assemblées générales : le taux d'absentéisme y est très élevé. Dès lors, l'information des copropriétaires sur la situation exacte de leur résidence et sur les éventuelles conséquences sur le collectif devrait être plus développée pour susciter des réactions de la part soit des copropriétaires - peu d'entre eux nous saisissent - soit du syndic, conformément à ce que lui impose la loi. Les nouveaux intervenants désignés par la loi pourront saisir le juge dans un délai permettant d'agir avec plus d'efficacité.

Mme Claire Liaud. - Le tribunal judiciaire de Bastia est particulièrement confronté à la paupérisation des copropriétés, avec une dégradation de l'habitat ancien dans le centre-ville de Bastia ou de Corte, notamment.

Les affaires nouvelles liées au recouvrement des charges de copropriété ont augmenté de 58 % entre 2022 et 2023 en Haute-Corse, à tel point que nous avons envisagé avec le bâtonnier de l'ordre des avocats de Bastia d'avoir recours à des injonctions de payer, mais cela ne semble pas possible compte tenu de la législation en vigueur ; nous avons établi un groupe de travail à ce sujet, car les procédures accélérées au fond en matière de charges de copropriété représentent plus d'un tiers de l'audience, ce qui nous handicape pour l'examen des autres procédures. Nous nous sommes même interrogés sur l'utilité de créer une audience ad hoc ou, en effet, d'imaginer un autre mode de saisine du juge.

Environ 60 % à 70 % des ordonnances sur requête que je rends visent à désigner un administrateur en matière de copropriété. Il est difficile d'identifier les copropriétaires et, partant, le débiteur défaillant lors du lancement de la procédure, en raison du règlement des successions. Ce problème est peut-être plus aigu en Corse que sur le continent - même si je ne doute pas que d'autres régions sont aussi confrontées à ce problème -, car les indivisions sont défaillantes pour gérer l'appartement reçu en héritage à l'occasion d'une succession. C'est là une difficulté particulièrement prégnante pour les administrateurs : la plupart du temps, les règlements de division de copropriété n'existent pas, d'où des travaux méticuleux de recherche avant de pouvoir imaginer réunir une assemblée générale : c'est un frein et une perte de temps pour administrer ces copropriétés à titre provisoire. Ces faits sont particulièrement saillants dans ma pratique professionnelle quotidienne ainsi que dans celles des administrateurs provisoires.

M. Laurent Burgoa. - Monsieur Menay, vous nous avez indiqué que peu de dossiers concernant les marchands de sommeil pouvaient être jugés par les tribunaux correctionnels. Est-ce pour des raisons quantitatives ou qualitatives ? Des magistrats de Nîmes m'indiquent ne pas renvoyer le dossier devant le tribunal correctionnel tant que celui-ci n'est pas complet, afin d'éviter la relaxe : ils préfèrent transmettre peu de dossiers - ainsi, l'aspect qualitatif prime l'aspect quantitatif.

M. Bertrand Menay. - La question des marchands de sommeil est aussi fondamentale pour les tribunaux que pour la représentation nationale. Ces agissements constituent une dérive d'acteurs âpres aux gains, qui profitent de la vulnérabilité de certaines personnes. Ils utilisent des situations pour faire du profit, notamment grâce à des mécanismes de vente et de revente de copropriétés qui sont déjà en difficulté, d'où une amplification du phénomène de paupérisation.

Dans cette matière comme dans d'autres, nos tribunaux correctionnels font face à des masses d'affaires à juger. Les poursuites contre les marchands de sommeil n'en font évidemment pas partie. Je citerai plutôt les trafics de stupéfiants - qui se déroulent parfois dans certaines copropriétés où sévissent des marchands de sommeil -, les violences intrafamiliales (VIF) ou encore les appropriations frauduleuses, comme le vol ou les escroqueries. Les juges sont habitués à ces contentieux et les traitent aisément. C'est moins le cas pour les affaires intéressant des marchands de sommeil : il est plus difficile de caractériser l'infraction, notamment. C'est pourquoi les magistrats du parquet et les administrations qui travaillent avec eux doivent prévoir des procédures robustes, car il ne sera pas possible de soumettre au tribunal un nombre trop important de procédures dans ce domaine. C'est aussi une réalité de l'action judiciaire : notre capacité de jugement est sans doute trop limitée par rapport à l'extension du nombre d'infractions dans le code pénal ou dans les autres codes. Face à cette masse d'infractions présentes sur les territoires, qui seraient susceptibles de déboucher sur des poursuites, le parquet doit choisir les bonnes procédures - pardonnez-moi pour l'utilisation de cette expression - pour en faire des exemples utiles. C'est le cas en matière de poursuites contre les constructions illégales : les effets sont désastreux si ces procédures ne débouchent pas sur une condamnation et sur la destruction de la construction.

Telle est la réalité judiciaire : pour que l'exemple soit probant et efficace, et que l'auteur de l'infraction soit réellement puni, il faut s'orienter vers des procédures particulièrement bien choisies.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Je vous remercie et rappelle que nos travaux aboutiront à la publication d'un rapport, qui sera disponible avant le 31 juillet 2024.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de M. Kosta Kastrinidis, directeur des prêts
de la Banque des territoires

(Lundi 29 avril 2024)

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Nous poursuivons nos travaux de ce jour par une quatrième et dernière audition en recevant M. Kosta Kastrinidis, directeur des prêts de la Banque des territoires.

La Banque des territoires est un acteur essentiel du système financier et un partenaire de l'action publique. Nous entendons M. Kastrinidis en tant que directeur des prêts de cette institution, mais aussi en tant que responsable, l'an dernier, d'une mission exploratoire sur le financement de la rénovation des copropriétés en difficulté.

Monsieur, vous pourrez à ce titre nous expliquer les conditions dans lesquelles M. Olivier Klein, à l'époque ministre délégué chargé de la ville et du logement, vous a confié cette mission pour laquelle vous avez été assisté par l'Inspection générale de l'environnement et du développement durable (Igedd).

L'une des principales propositions que vous avez émises dans ce cadre a inspiré la création d'un prêt global et collectif dans la loi du 9 avril 2024 visant à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé et des grandes opérations d'aménagement, dont j'ai été la rapporteure au Sénat. Le législateur a notamment voulu s'assurer de l'engagement du secteur bancaire, car les banques ne peuvent prêter sans respecter certaines obligations en matière de prêt responsable et de lutte contre le surendettement. De même, une copropriété ne peut pas rester pour les banques une « boîte noire » financière, alors qu'il s'agit d'une personne morale sans patrimoine ou ressources propres.

Vous pourrez bien sûr nous indiquer si les modalités retenues dans la loi remplissent les objectifs du dispositif tel que vous l'aviez imaginé, s'agissant d'apporter une véritable réponse aux problèmes de financement des travaux dans les copropriétés en difficulté.

Je vous invite également à nous présenter un point de vue plus large sur l'action de la Banque des territoires et sur le rôle qu'elle tient aux côtés d'autres acteurs dans la détection, le suivi et le traitement des copropriétés en difficulté. Nous pensons non seulement aux grandes copropriétés, qui font parfois la une de l'actualité et suscitent la création de grandes opérations de requalification, mais aussi aux nombreuses petites copropriétés dont on parle en définitive assez peu. Mal connues, elles aussi sont touchées par l'accroissement des difficultés, mais ne sont souvent identifiées que trop tard.

Avant de vous laisser la parole pour un propos introductif d'une quinzaine de minutes, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet et les réseaux sociaux du Sénat et qu'un compte rendu en sera publié.

Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Kosta Kastrinidis prête serment.

M. Kosta Kastrinidis, directeur des prêts de la Banque des territoires. - Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je commencerai par quelques mots d'introduction pour resituer dans son contexte la mission que nous avons conduite et qui fut à l'origine de l'introduction du prêt collectif dans la loi du 9 avril dernier, et pour vous présenter plus globalement le rôle de la Banque des territoires relativement aux copropriétés.

La Banque des territoires est partenaire depuis 2018 du plan Initiative Copropriétés (PIC). Nos engagements sont matérialisés dans une convention qui nous lie à l'État. Nous les déclinons auprès de l'Agence nationale de l'habitat (Anah), par l'intermédiaire de laquelle nous mettons à la disposition des collectivités locales des subventions d'ingénierie dans le cadre d'opérations de redressement des copropriétés dégradées.

Nous sommes également à l'origine d'une offre de financement dédiée aux porteurs de projet intervenant dans le redressement des copropriétés, offre qui prend la forme d'un prêt copropriétés dégradées. Ce financement, très adapté aux problématiques des copropriétés, s'adresse préférentiellement à des bailleurs sociaux, leur permettant de différer les amortissements et de débloquer progressivement des fonds au fur et à mesure de leur prise de contrôle des différents lots de la copropriété.

Plus globalement, le groupe Caisse des dépôts et consignations (CDC) et sa filiale CDC Habitat constituent un opérateur important du plan Initiative Copropriétés, au moyen d'une structure, CDC Habitat Action copropriétés, qui intervient sur douze des dix-sept sites nationaux identifiés dans le cadre de ce plan.

C'est pour ces raisons qu'Olivier Klein nous a confié une mission portant sur le reste à charge des copropriétaires dans les copropriétés en difficulté. L'objectif du ministre était d'analyser les différents dispositifs de préfinancement et de financement existant sur le marché, pour trouver une manière d'accélérer la réalisation des investissements dans le parc des copropriétés, plus particulièrement dans celles qui sont en difficulté. Nous avons conduit ce travail avec l'appui de l'Igedd et en associant largement nos divers partenaires, notamment l'Anah et les différents services de l'État chargés de ces questions.

Ce rapport nous a amenés à dresser un état des lieux des dispositifs existants, ainsi qu'à formuler des propositions visant à accélérer les investissements au sein du parc privé des copropriétés, et non uniquement dans les copropriétés en difficulté.

Premier constat : il est difficile de disposer de ressources fiables quant à la qualification des copropriétés en difficulté et de celles qui sont en voie de fragilisation. Nous avons la chance de disposer du registre national des copropriétés établi par l'Anah, mais, bien que très complet, il ne couvre pas la totalité des copropriétés. En particulier, les petites copropriétés évoquées par Mme la présidente dans son propos liminaire n'y sont pas intégrées.

Voilà qui complexifie l'analyse du phénomène général de paupérisation des copropriétés. Nous pressentons qu'il s'agit là d'une réalité croissante, notamment du fait du choc inflationniste et des investissements nécessaires à la transformation écologique, mais il est difficile de disposer de chiffres tout à fait fiables à ce sujet. Nous pourrons y revenir, en évoquant des actions qu'il nous paraîtrait utile de conduire pour améliorer notre connaissance du parc privé.

Sur cette base, nous avons identifié un certain nombre de copropriétés en difficulté et d'autres qui sont en voie de fragilisation, en portant une attention particulière à ces dernières. Certes, des dispositifs d'appui exorbitants du droit commun existent déjà dans le cadre du plan Initiative Copropriétés, et traitent des copropriétés dégradées ou en difficulté, mais nous pressentons qu'un volume important de copropriétés est aujourd'hui confronté à des difficultés pour honorer ses appels de charges, du fait de la dégradation du patrimoine des copropriétés ainsi qu'en raison des enjeux de rénovation thermique.

Il nous tenait à coeur de mieux appréhender ce phénomène pour essayer de le prévenir, cantonner ce risque le plus possible et éviter, pour ainsi dire, de continuer à « remplir la baignoire ».

En dressant l'état des lieux des dispositifs existants, nous avons identifié un premier sujet lié au préfinancement des aides adressées aux copropriétés en difficulté. Les copropriétés en difficulté sont particulièrement aidées par les pouvoirs publics, tant par l'État que par les collectivités locales, mais les aides, qui peuvent aller jusqu'à 100 % des montants hors taxes des travaux à réaliser, ne se débloquent qu'une fois que les travaux ont été réalisés, sur la base d'un service fait. Dans certaines situations, cela crée une forme de complexité administrative : malgré le soutien des pouvoirs publics, les travaux ne s'enclenchent pas. Il nous semblait important, dans le cadre de ce rapport, de proposer des mesures pour améliorer et simplifier le préfinancement des aides.

Deuxième point de diagnostic que nous avons identifié : l'insuffisance des financements bancaires dédiés à la question des copropriétés. À l'heure actuelle, le financement proposé par les établissements bancaires est essentiellement hybride : il s'appuie à la fois sur une analyse du risque lié à la copropriété en elle-même et sur une analyse individuelle du risque lié à chacun des copropriétaires. Les délais de traitement peuvent ainsi être très longs, entre six et dix-huit mois, ce qui est tout à fait légitime étant donné les caractéristiques du produit, mais ce qui n'aide pas à accélérer les investissements. Au-delà de ce financement, très peu de modalités de financement collectif existent à l'échelon de la copropriété, ce qui oblige chaque copropriétaire à adopter une stratégie individuelle, engendrant des disparités entre les copropriétaires qui bénéficient d'un autofinancement, ceux qui peuvent avoir accès au crédit bancaire et ceux qui en sont exclus.

L'hétérogénéité de l'accès aux financements de marché nous a semblé être un point d'autant plus problématique qu'en prenant en compte les copropriétés saines, les copropriétés fragiles et celles qui sont en difficulté, entre les enjeux classiques de ravalement et ceux qui sont liés à la transformation écologique et à la rénovation thermique, les besoins d'investissement sur le parc national des copropriétés se situent autour de 9 milliards d'euros par an. Ces montants sont donc très importants, même si nous avons adopté une approche prudentielle en ne retenant qu'un reste à charge par copropriétaire relativement modeste au regard des travaux réalisés dans certains ensembles immobiliers. Si l'on souhaite accélérer les investissements et atteindre ce chiffre, il faut répondre à la carence de financements bancaires.

Ainsi sommes-nous arrivés à la conclusion que le marché potentiel de financements à accorder est extrêmement important, et que l'entrée sur ce marché des banques françaises, aujourd'hui insuffisante, peut être facilitée et amplifiée à condition de trouver un produit idoine, qui réponde aux problématiques de politique publique. C'est ce qui nous a amenés à recommander la création d'un prêt collectif adossé aux lots ; et nous nous réjouissons de la prise en compte de cette préconisation dans le texte de loi promulgué le 9 avril dernier. Le dispositif retenu reprend les principales caractéristiques du produit que nous avions imaginé. Il est aussi très proche du modèle belge, organisé de cette manière pour financer les besoins des copropriétés saines. En Belgique, les associations de copropriétaires peuvent emprunter sur un marché qui fait intervenir les banques belges et où des organismes de caution maîtrisent les risques au niveau de la copropriété, ce qui permet des investissements soutenus. C'est sur ce dispositif que nous avons en grande partie calqué notre prêt collectif.

Comme notre mission portait initialement sur les copropriétés en difficulté, nous avons voulu étudier la façon dont ce financement collectif « tout en un » pouvait résoudre la question des copropriétés en difficulté. Cela nous a conduits plus particulièrement à formuler une proposition complémentaire, à savoir la création d'un fonds de garantie permettant de « dérisquer », comme on dit en mauvais français bancaire, l'action des prêteurs sur cette partie du marché. Il s'agit en effet d'un marché à risque. Certes, ce risque est in fine très nettement réduit par l'action des pouvoirs publics que je mentionnais tout à l'heure ; néanmoins, il reste difficile pour un prêteur de s'engager sur des poches de risque avéré. Il nous semble donc cohérent que l'État s'engage, par un dispositif de garantie nationale, à fournir au marché une réassurance, afin de résorber ces poches de risque accru.

Aussi avons-nous formulé l'hypothèse, en conclusion de notre analyse, qu'une fois le tableau des copropriétés saines dressé par les banques, une péréquation pourrait être mise en place au sein du marché des copropriétés, de sorte que l'État soit dispensé de maintenir un dispositif de garantie. Autrement dit, une fois les quelques milliards de besoins de prêt pris en charge, au travers du prêt collectif, par les banques commerciales, la péréquation sur les poches de risque pourrait être assurée par le dispositif lui-même. Chaque prêt collectif fait l'objet d'un dispositif de caution bancaire ; or le rôle d'un dispositif de caution bancaire est justement de couvrir les aléas, donc les risques.

Dans ce scénario idéal, le dispositif de garantie par l'État est un dispositif transitoire qui vise à fournir aux acteurs de marché la réassurance dont ils ont besoin de la part de la puissance publique pour pouvoir intervenir dans le financement des copropriétés.

Nous sommes aujourd'hui très confiants quant au déploiement de ce prêt collectif sur le territoire. Des travaux sont en cours dans un certain nombre d'établissements bancaires et d'organismes de caution qui interviennent notamment dans des pays voisins de la France et qui pourraient être intéressés par notre marché.

Évidemment, il faudra un décret pour permettre une mise en oeuvre rapide et simple du dispositif par les banques commerciales, ainsi qu'un travail d'accompagnement par l'ensemble des partenaires.

Mme Marianne Margaté, rapporteure. - Vous avez notamment souligné la difficulté de disposer d'un outil de connaissance performant et exhaustif. Pouvez-vous développer ce point ? Que manque-t-il, selon vous, pour améliorer les différents dispositifs que nous avons évoqués ?

Vous avez parlé du préfinancement. Quelles avancées pouvons-nous envisager en la matière ?

Enfin, le préfinancement et les prêts collectifs vous semblent-ils adaptés à tous les types de copropriétés, quelle que soit leur taille ?

M. Kosta Kastrinidis. - En préambule, je me dois de souligner le travail remarquable mené par l'Anah pour mettre en place le registre national d'immatriculation des copropriétés. En analysant ce registre et en retenant pour seuil d'alerte un montant d'impayés supérieur à 20 % du budget annuel, on identifie actuellement 215 000 copropriétés environ. Reste que cet indicateur ne nous semble pas suffisant pour caractériser pleinement la notion de copropriété fragile, car le taux d'impayés, qui se calcule à une date donnée, peut intervenir après un appel de charges particulièrement élevé, ce qui crée un biais à corriger. Il faudrait pouvoir croiser cette notion d'impayés avec le contexte immobilier de la copropriété et le profil socio-économique des habitants, ce qui n'est pas chose aisée.

La méthode qui nous paraît la plus pertinente serait d'actualiser un fichier qui fut mis à jour pour la dernière fois en 2017 : le « fichier des logements à la commune » (Filocom). Celui-ci a le mérite de proposer une évaluation multifactorielle fondée sur des notations de A à D tenant compte à la fois des caractéristiques socio-économiques des occupants, de l'état du bâti, de l'écart entre la copropriété et le marché et de la question des impayés. Il serait très pertinent de relancer cette analyse à l'aune de ce que l'on a connu ces dernières années, à savoir un choc inflationniste qui a nettement accru les coûts des marchés de travaux et l'augmentation des besoins inhérents aux objectifs de rénovation énergétique. Il serait très intéressant, nous semble-t-il, d'intégrer ces éléments dans le registre d'immatriculation nationale.

De la même manière, les données relatives aux contentieux au sein des copropriétés, qui appartiennent au ministère de la justice, pourraient être utilement versées au fichier, sous le sceau de la confidentialité. La connaissance du phénomène des copropriétés fragiles s'en trouverait nourrie par un intéressant faisceau d'informations complémentaires.

Le préfinancement était l'une de nos premières préconisations ; il a été remplacé, au fil de nos échanges avec l'exécutif, par l'idée du prêt collectif. En effet, le prêt collectif, qui déclenche d'emblée l'investissement, permet de contourner la question du préfinancement. Dès lors qu'il est souscrit, l'ensemble des montants liés aux travaux est versé au syndicat de copropriétaires, lequel peut enclencher les travaux et mettre un terme à la spirale infernale de paupérisation du patrimoine, les retards dans les travaux accélérant la dégradation du bâti et la dépréciation des lots et celles-ci renforçant le sentiment de spoliation des copropriétaires. Par ailleurs, au moment où les subventions sont versées, celles-ci viennent réduire la quote-part de chacun des copropriétaires. C'est en définitive de cette manière-là qu'a été réglée la question du préfinancement.

Enfin, vous m'interrogez sur l'adaptation du prêt collectif aux petites copropriétés. L'on constate que les règles de majorité sont difficiles à mettre en oeuvre dans les petites copropriétés des centres anciens et des centres-bourgs, notamment parce que s'y trouvent des fonds de commerce et des bailleurs non occupants qui sont par définition moins impliqués dans le traitement de la copropriété. De ce fait, il n'y a souvent d'autre solution qu'un investissement individuel de chaque membre. Le prêt collectif a le mérite de permettre rapidement à l'assemblée générale de prendre position et d'agir avant que le bâti ne se dégrade. Selon nous, ce dispositif est adapté aussi bien aux grands ensembles de plusieurs centaines de copropriétaires, puisqu'il évite l'analyse individuelle des dossiers, qu'aux toutes petites copropriétés. Dans tous les cas, il permet d'accélérer le processus de décision et d'investir plus rapidement.

Mme Audrey Linkenheld. - Quel est votre sentiment sur le plan Initiative Copropriétés ?

M. Kosta Kastrinidis. - En tant que partenaires de ce plan depuis 2018, nous avons pu en mesurer les effets sur les sites nationaux, au prix d'un effort extrêmement important de l'Anah et de toutes les parties prenantes - je citais tout à l'heure CDC Habitat, qui intervient sur douze de ces dix-sept sites -, ainsi que d'une implication extrêmement forte, qu'il faut saluer, des élus et des collectivités locales concernées. Il y a vraiment un avant et un après-PIC.

Il n'en reste pas moins que les outils permettant d'accélérer le redressement des copropriétés dégradées étaient insuffisants ; le texte qui vient d'être adopté devrait permettre de remédier à cette lacune.

J'en profite pour développer un point qui me tient à coeur. Lorsqu'il est question des copropriétés fragiles, on parle évidemment de la garantie financière publique, mais il me semble tout aussi important d'adosser cette première garantie sur une autre, à savoir une garantie d'action des collectivités locales, c'est-à-dire un engagement de leur part à mettre en place tous les moyens susceptibles de contribuer au redressement des copropriétés en difficulté : relogement des copropriétaires sortant au sein du parc social ; exercice d'un droit de préemption ; mise en place de mesures juridiques. Cet engagement est en quelque sorte le corollaire de l'engagement pris par le fonds de garantie pour « dérisquer » ces financements.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Nous avons le sentiment qu'il y a beaucoup d'outils et de dispositifs pour traiter les problèmes dans les grands ensembles, mais qu'il y en a assez peu pour les petites copropriétés. Partagez-vous ce sentiment d'un déficit d'action ?

Sur le terrain, nous avons rencontré des élus de petites et moyennes villes qui se plaignent de manquer d'ingénierie et de moyens financiers. Que peut faire la Banque des territoires pour les accompagner ?

Mme Audrey Linkenheld. - En complément de ces interrogations, je me demande si des initiatives ont été prises, par CDC Habitat ou dans le cadre du programme Action coeur de ville, par exemple, pour faire des repérages et identifier les petites copropriétés fragiles qui échapperaient au registre.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Je ne dis pas que rien n'est fait, mais il y a, nous semble-t-il, des trous dans la raquette.

M. Kosta Kastrinidis. - Vos questions soulèvent le problème de la priorisation de nos politiques publiques.

Aujourd'hui, il y a urgence à traiter vraiment les copropriétés dites dégradées, celles qui font l'objet d'un suivi national ou local dans le cadre du PIC ; voilà qui représente déjà beaucoup d'investissements et d'énergie, et un soutien public très important.

La zone moins traitée est celle des copropriétés en voie de fragilisation, les dispositifs préventifs restant très locaux. Beaucoup de municipalités prennent l'initiative d'aider, par des subventions locales, des copropriétés qui ont besoin de réaliser des travaux, mais il n'existe pas de recensement de tout ce qui existe en la matière, notamment dans les villes moyennes et les centres-bourgs. La Banque des territoires peut intervenir en subsidiarité, en soutenant les dispositifs portés par les acteurs qui savent mieux faire que nous, la plupart du temps l'Anah. Au cours des dernières années, nous avons consacré 30 millions d'euros de subventions à ces opérations d'accompagnement des copropriétés, principalement là où il manquait d'offres d'ingénierie.

De manière générale, nous essayons de ne pas concurrencer les acteurs qui font, et nous nous efforçons d'amplifier leur action par un effet de levier. C'est ce que nous faisons dans le cadre des programmes Action coeur de ville et Petites villes de demain, en apportant des crédits d'ingénierie. Nous intervenons également auprès de bailleurs sociaux ou de collectivités locales qui nous sollicitent pour des actions de requalification d'habitat privé dégradé ou d'habitat ancien.

Il pourrait être intéressant de mettre en place un partage de projets ou d'expériences à cet égard. Les bailleurs sociaux ont un véritable savoir-faire qui les rend légitimes à assurer la maîtrise d'ouvrage d'opérations QPV (quartier prioritaire de la politique de la ville). Dans les centres anciens, cette option est parfois utilisée par des collectivités, via par exemple la mobilisation de leur office local, mais il y aurait là matière à faire davantage. En outre, je pense que l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) devrait, dans ses programmes, prendre en compte l'habitat privé plus qu'elle ne le fait actuellement.

Enfin, si le repérage ne fait pas partie de nos missions, je vous rejoins quant au constat. Il serait certainement utile d'approfondir la connaissance du parc en insistant sur l'anticipation et la prévention.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de MM. Benoît de la Chapelle- Bizot, directeur
des affaires publiques du groupe BPCE, Nordine Si Mohammed, directeur des marchés spécialisés à la Caisse d'Épargne Île-de-France
et Pierre Bocquet, directeur du département banque de détail
et à distance de la Fédération bancaire française (FBF)

(Mardi 7 mai 2024)

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Nous recevons aujourd'hui M. Benoît de la Chapelle Bizot, directeur des affaires publiques du groupe BPCE, M. Nordine Si Mohammed, directeur des marchés spécialisés à la Caisse d'Épargne Île-de-France et M. Pierre Bocquet, directeur du département banque de détail et à distance de la Fédération bancaire française (FBF).

Cette table ronde devrait nous permettre de mesurer l'enjeu que représentent les copropriétés paupérisées pour les banques. Ainsi la Caisse d'Épargne Île-de-France, qui fait partie du groupe BPCE, a-t-elle repris en 2019 les activités du Crédit foncier sur le marché des prêts aux copropriétés. La Fédération bancaire française pourra nous présenter également l'action des autres acteurs du secteur bancaire.

Je vous remercie donc de nous présenter l'action des établissements que vous représentez en matière de détection, de suivi et de traitement des copropriétés en difficulté, en lien certainement avec les collectivités territoriales et des acteurs tels que l'Agence nationale de l'habitat (Anah). Nous pensons bien sûr aux grandes copropriétés qui nécessitent la mise en oeuvre d'opérations majeures de requalification, mais aussi à ces nombreuses petites copropriétés mal connues qui connaissent elles aussi un accroissement de leurs difficultés. On les identifie souvent trop tard, mais peut-être les banques ont-elles un rôle à jouer lorsqu'elles sont sollicitées pour mettre en place des plans de financement ou lorsqu'elles gèrent le compte en banque des syndicats de copropriété.

Nous serons intéressés en particulier d'entendre votre point de vue sur la loi du 9 avril 2024 visant à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé et des grandes opérations d'aménagement, dont j'ai été la rapporteure au Sénat. En particulier, le prêt global et collectif prévu par cette loi vous paraît-il adapté dans ses modalités aux besoins des copropriétaires ? Quel est son potentiel ? Le secteur bancaire est-il prêt à le proposer aux syndicats de copropriétaires ? Nous savons que les banques ne peuvent prêter sans respecter certaines obligations en termes de prêt responsable et de lutte contre le surendettement. De même, la copropriété ne peut pas rester pour elles une boîte noire financière alors qu'il s'agit d'une personne morale sans patrimoine ou ressources propres.

Avant de vous laisser la parole pour un propos introductif, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet et sur les réseaux sociaux du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.

Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.

Je vous invite à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Benoît de la Chapelle Bizot, Nordine Si Mohammed et Pierre Bocquet prêtent serment.

M. Pierre Bocquet, directeur du département banque de détail et à distance de la Fédération bancaire française (FBF). - Madame la présidente, nous connaissons votre implication dans le domaine du logement, dont témoigne votre récent rapport rédigé avec Dominique Estrosi Sassone et Viviane Artigalas. Permettez-moi quelques mots d'introduction servant de points d'ancrage.

Engager des travaux, notamment de rénovation énergétique, relève pour un ménage d'abord d'une conviction personnelle, qu'il y ait ou non une incitation réglementaire. En soi, l'existence d'une solution de crédit n'est pas de nature à convaincre un ménage d'en entreprendre. Nous avons diligenté une étude en 2023 auprès des ménages ayant réalisé des travaux de rénovation : la première difficulté rencontrée pour 80 % d'entre eux a été d'obtenir les aides ; la seconde a été de trouver un artisan de qualité et disponible. Autre enseignement : près d'un bénéficiaire d'aide sur deux n'aurait pas pu faire de travaux sans elle ; cette proportion monte à 78 % si l'on ajoute ceux qui n'auraient pu les engager que partiellement.

De cette étude, il ressort que trois éléments sont nécessaires à la réussite collective de la rénovation énergétique. Il faut d'abord accompagner. À cet égard, France Rénov' et Mon accompagnateur Renov' devront être au coeur du dispositif. Il faut ensuite faciliter l'accès aux aides. En la matière, il existe certainement des marges de progression. Enfin, il faut faciliter l'accès à des professionnels compétents et disponibles.

Il est essentiel de rappeler qu'une copropriété est en elle-même un objet complexe : c'est une communauté humaine diversifiée, faite de copropriétaires qui sont dans des situations particulières et ont des objectifs divers ; il ne faut pas le perdre de vue.

En ce qui concerne le financement, nous rappellerons quelques éléments de base. Sa première source est la mobilisation de l'épargne individuelle. Sinon, ou en complément, tout copropriétaire peut trouver auprès de sa banque un crédit bancaire pour financer sa quote-part, dans la limite de sa capacité de remboursement. C'est aujourd'hui l'essentiel du financement, et toutes les banques sont volontaires pour financer plus de projets.

Enfin, le prêt à la copropriété est possible ; il pourrait se développer, mais il faudrait pour cela que le cadre soit plus attractif pour les prêteurs et les copropriétés. Des solutions existaient avant la loi visant à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé, loi sur laquelle nous attendons des précisions réglementaires. Nos adhérents et les sociétés de caution y seront attentifs pour évaluer dans quelle mesure ils peuvent entrer sur ce marché.

Pour les ménages les plus modestes et les plus âgés, cependant, la solution passera non pas par un surplus d'endettement ou de charges, mais par plus d'aides. C'est bel et bien la notion de prêt responsable qui lie tous nos adhérents. C'est une ligne de crête qu'il faut conserver pour que le prêt ne mette pas en péril les ménages, d'autant plus s'ils vivent déjà dans l'environnement difficile d'une copropriété dégradée.

M. Benoît de la Chapelle Bizot, directeur des affaires publiques du groupe BPCE. - Le groupe BPCE est le premier bailleur social privé de France et le troisième bailleur social. Nous entretenons et rénovons 250 000 logements HLM en copropriété. C'est notre première responsabilité dans le domaine du logement.

Nous sommes aussi le deuxième prêteur de crédit immobilier en France. L'essentiel des achats immobiliers se fait à crédit. Ces achats et ventes permettent aussi la rénovation des logements en copropriétés : souvent, un nouvel arrivant fait des travaux.

Nous sommes un acteur majeur du financement de la rénovation énergétique des logements - enjeu essentiel pour la transition écologique. Avec le Crédit foncier, nous sommes le leader historique du financement des syndicats de copropriété. Nous avons donc un temps d'avance sur les autres établissements : nous ne sommes pas seulement les premiers, mais à peu près les seuls !

Les prêts aux copropriétés sont très particuliers. Il faut avoir en tête cette complexité, qui explique que d'autres établissements ne s'y intéressent pas. Il faut beaucoup de temps pour instruire ces prêts, pour les décaisser, et il y a beaucoup de parties prenantes.

Pourquoi faisons-nous ce genre de prêts ? Nous considérons que nous avons le temps long pour nous ; établissement mutualiste, nous n'avons pas d'actionnaires, pas de comptes à rendre à la bourse.

Si nous prêtons aux copropriétés, c'est qu'il est dans notre modèle mutualiste de servir tous nos clients, même les plus particuliers. Si l'on considère le temps que nous consacrons à ces opérations, force est de constater qu'elles ne sont pas les plus rentables, mais nous en sommes fiers. Grâce à notre réseau de 6 500 agences, nous pourrons peut-être en proposer sur l'ensemble du territoire. La Caisse d'épargne Île-de-France le fait, mais nous pensons développer cette activité dans d'autres caisses d'épargne au sein du groupe.

M. Nordine Si Mohammed, directeur des marchés spécialisés à la Caisse d'Épargne Île-de-France. - Vous nous demandez quelle est notre vision du marché ; il y a 700 000 copropriétés en France, dont plus de 30 % en Île-de-France, gérées par 12 000 syndics. Leur construction date pour une grande partie des années 1960 à 1980, ce qui explique qu'il y ait un besoin important de rénovation, essentiellement énergétique.

Selon l'Anah, il faudrait de 8 à 9 milliards d'euros par an pour accompagner l'ensemble des copropriétés dans la transition énergétique. La Caisse d'épargne les accompagne depuis deux siècles. Notre modèle mutualiste et coopératif est lié aux territoires : leur développement, c'est aussi le nôtre. C'est pour cette raison que la Caisse d'épargne Île-de-France s'investit sur ce marché, qui se développe.

Quels sont de notre point de vue les besoins des protagonistes ? Ils sont nombreux, mais je me concentrerai sur les deux principaux : le syndic et le copropriétaire.

Le syndic aspire à proposer la meilleure solution à ses copropriétaires. Il a besoin d'une solution globale pour sécuriser son projet ; un prêt collectif qui porte sur l'ensemble du projet le sécurise. Il a aussi besoin d'expertise - c'est ainsi que nous voyons se développer l'assistance à maîtrise d'ouvrage (AMO), un métier pas tout à fait réglementé, mais qui est important sur le terrain. Il a enfin besoin d'être accompagné sur le long terme : un projet de rénovation, cela prend six mois si tout va bien, mais jusqu'à trente-six mois en cas de problème, et la gestion de la vie du prêt peut être aussi très longue.

Quant aux copropriétaires, ils veulent la solution de financement la plus intéressante, mais aussi de la simplicité dans la mise en oeuvre et une solution personnalisée et transparente. Leur première inquiétude est : si mon voisin ne paie pas, vais-je être obligé de payer ? Les copropriétaires souhaitent également que les charges de copropriété soient bien distinctes du prêt, de peur de se voir facturer des charges ou commissions annexes si tout devait passer par la copropriété. D'où l'importance de la transparence.

Quelle offre propose la Caisse d'épargne Île-de-France ? D'une part, une offre collective, avec prélèvement sur le compte des syndicats des copropriétaires ; d'autre part, un prêt collectif avec prélèvement sur le compte du copropriétaire final ; enfin, une offre d'avance de subventions publiques.

Le prélèvement sur le compte des syndicats de copropriétaires est peu développé. Cette offre concerne deux types de prêts : Copro 1 et l'éco-prêt à taux zéro 1 (éco-PTZ). Elle est moins prisée des syndics, qui doivent gérer la vie du prêt, y compris son recouvrement ; et des copropriétaires, pour son manque de transparence. Le Copro 1 est donc très peu commercialisé aujourd'hui. L'éco-PTZ, prélevé en une fois, est proposé mais sur des volumes très faibles, car là aussi, les syndics ont à gérer la vie du prêt, ce qui est un frein.

Notre offre de prêts collectifs prélevés sur le compte des copropriétaires répond, en revanche, à une réelle demande des protagonistes. Il s'agit des prêts Copro 100 ou éco-PTZ. Depuis janvier 2024, la Caisse d'épargne Île-de-France propose de prélever directement les copropriétaires, ce qui a entraîné un afflux important. L'ensemble des demandes, essentiellement de rénovation énergétique, convergent vers ce prêt, d'autant qu'avec l'éco-PTZ pour les travaux éligibles, le coût du crédit est très faible. Les syndics y sont favorables, car ils n'ont pas le prêt à gérer.

Dernier vecteur, l'avance de subventions publiques, de l'Anah ou d'autres organismes, est une forme de crédit-relais. Parmi les écueils que rencontre cette offre, il y a principalement le risque d'exécution, qui n'est couvert par personne.

Mme Marianne Margaté, rapporteure. - Notre commission d'enquête porte plus précisément sur la paupérisation des copropriétés, qui semble s'amplifier. Est-ce un phénomène que vous mesurez, que vous ressentez ? Quelle est votre analyse ?

Votre offre est-elle adaptée à tout type de copropriété, y compris aux plus petites ?

Vous avez parlé du risque d'exécution, concernant l'avance sur subvention. Pouvez-vous préciser ?

M. Nordine Si Mohammed. - Les subventions ne sont versées que si les travaux vont à leur terme ; or le prêteur n'a pas les moyens de contrôler l'avancement des travaux. Il s'agit de projets très longs, avec des coûts humains de gestion importants. Si les travaux ne sont pas achevés, la subvention n'est pas versée, et le prêteur n'est pas remboursé des sommes avancées. Nous savons faire du crédit-relais, mais pas garantir la bonne fin des travaux. Bref, il manque un maillon dans la chaîne.

L'offre de prêt collectif de la Caisse d'épargne Île-de-France commence dès deux copropriétaires, pour un montant minimum de 30 000 euros. Nous prêtons à de très petites copropriétés comme à de très grosses. Tout dépend des adhésions : il peut y avoir peu de copropriétaires qui adhèrent au prêt collectif au sein d'une grosse copropriété. C'est pour embarquer tout le monde que nous avons fixé un seuil aussi bas.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Nous nous intéressons au phénomène des copropriétés en difficulté. Au-delà du prêt responsable, quel peut être le rôle des banques auprès de ces copropriétés, qui entrent rapidement dans un cercle vicieux... Les banques ont-elles une action dédiée ? Si oui, comment ? Si non, pourrait-on l'envisager ?

M. Pierre Bocquet. - La Fédération bancaire française ne fait pas d'études sur le sujet des copropriétés dégradées ou en difficulté, qui est assez éloigné de l'activité bancaire. C'est dans le cadre de la relation entre la banque et son client, qu'il soit syndic ou copropriétaire individuel, que peut se faire l'accompagnement.

Le ministère dénombre environ 10 000 copropriétés en difficulté, 80 000 copropriétés fragiles, 1 500 copropriétés dégradées sous dispositif Anah.

L'activité bancaire ne peut aller au-delà du prêt responsable, pour ne pas aggraver leur situation par un nouvel endettement.

Mme Audrey Linkenheld. - Parmi les pistes explorées pour faciliter la rénovation des copropriétés, il y a la dissociation du foncier et du bâti appliqué aux copropriétés, par exemple, en dissociant parties communes et privatives, sur le modèle du bail réel solidaire (BRS) et des organismes de foncier solidaire créés par la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (Alur) il y a dix ans, qui avait fait l'objet d'échanges nourris, à l'époque, avec le Crédit foncier, le groupe BPCE et d'autres...

Quel est votre retour d'expérience sur le BRS, qui se développe partout en France ? Puisque vous gérez des prêts complexes, considérez-vous que ce soit une piste à explorer ?

M. Benoît de La Chapelle Bizot. - En tant qu'établissement, nous n'avons pas financé d'opérations avec du BRS - ce n'est pas très développé au niveau du groupe.

Mme Audrey Linkenheld. - Ma question porte non pas sur la rénovation de copropriétés, mais bien sur le BRS tel qu'il existe aujourd'hui - et on en compte plusieurs milliers, dans le neuf ou dans l'ancien. Votre groupe est largement impliqué, même s'il n'est pas le seul prêteur. Est-ce un outil que l'on pourrait utiliser à terme pour la rénovation des copropriétés ? Cela n'existe pas à ce jour, sinon en Bretagne, où l'on est assez créatif...

M. Benoît de La Chapelle Bizot. - C'est une question très difficile.

Oui, c'est une très bonne idée de dissocier le foncier du bâti : cela permet de réduire le coût d'achat pour les primo-accédants. Nous le faisons, et essayons de le faire le plus possible, avec le soutien des collectivités territoriales. C'est un dispositif d'avenir. Quant à savoir s'il peut être étendu aux copropriétés et à la rénovation énergétique, je n'ai pas la réponse...

Mme Amel Gacquerre, présidente. - La Banque des territoires chiffre à 9 milliards d'euros le coût annuel de rénovation des copropriétés, c'est énorme. Vous êtes positionnés, avec des produits bien précis. Souhaitez-vous développer cette activité ? Envisagez-vous de diversifier vos produits ? Comptez-vous étendre ce que fait la Caisse d'épargne Île-de-France à tout le territoire, le cas échéant avec des spécificités selon les caisses ? Où en êtes-vous de votre réflexion ?

M. Benoît de La Chapelle Bizot. - C'est le Crédit foncier, acteur historique, qui a le premier déployé des prêts collectifs aux copropriétés, suivi de la Caisse d'épargne Île-de-France. Notre groupe étant décentralisé, c'est non pas l'organe central qui décide, mais les caisses qui choisissent d'y aller ou pas. Toutes ne sont pas concernées par le sujet des copropriétés, dont 30 % sont concentrées en Île-de-France ; le sujet est moins prégnant dans le centre de la France... Nous incitons toutes les caisses qui veulent se lancer à le faire. Cela dépend aussi de la part des copropriétés dans leur clientèle, car les coûts de mise en oeuvre sont élevés : il faut que cela vaille le coût.

M. Pierre Bocquet. - Je témoigne de l'intérêt des groupes bancaires français pour le sujet des copropriétés. Toutes les banques financent tous les projets solvables de leurs clients, y compris la rénovation des copropriétés. Le sujet des prêts collectifs intéresse plusieurs établissements.

Il y a une marge pour développer une offre de qualité, fiable, rentable, pour accompagner les acteurs particuliers que sont les copropriétés - des communautés humaines - sur des projets complexes et de longues durées. Faire émerger un projet dans une copropriété, selon les syndics, prend du temps, parfois des années.

À cet égard, l'assistance à la maîtrise d'ouvrage est donc importante. Sans doute faudrait-il prévoir une aide afin de faire émerger ce type de projets, ainsi qu'un accompagnement dans le temps. On trouve des solutions de financement, qu'elles soient individuelles ou collectives, mais il faut faire en sorte que la marche opérationnelle soit gérable et intéressante pour les différentes parties prenantes.

M. Nordine Si Mohammed. - Nous proposons des offres innovantes, mais il faut également réduire la durée de l'ensemble des parcours. Aujourd'hui, la constitution d'un dossier moyen prend environ six mois, voire huit à douze mois pour un dossier réglementé, en raison des nombreux allers-retours entre la banque, le syndic et les copropriétaires. Les dossiers sont incomplets, il faut les refaire, donner des explications.

La Caisse d'épargne Île-de-France est en train de réfléchir à une digitalisation de l'offre. Avec l'offre existante et la modernisation à laquelle nous travaillons, nous gagnerons du temps à l'avenir. La production de financement de la copropriété chez nous connaît une croissance forte. Elle s'établissait à plus de 330 millions d'euros l'année dernière, contre 120 millions d'euros en 2021. Cet accroissement pourra se poursuivre avec des offres innovantes et une modernisation des processus.

Mme Marianne Margaté, rapporteure. - De quel type de syndics parlez-vous ? Sont-ils bénévoles ou professionnels ? Sont-ils des acteurs majeurs ?

Vous avez évoqué l'AMO. Est-il souhaitable d'envisager des partenariats avec d'autres acteurs ? Avez-vous des propositions à nous faire à cet égard ?

M. Nordine Si Mohammed. - L'AMO est en train de prendre une place importante, mais cette activité n'est pas tout à fait réglementée à ce stade. Il faut probablement mettre en oeuvre une feuille de route commune pour que chacun puisse s'y retrouver.

Nous avons évidemment des échanges avec les départements et les régions, chaque fois que c'est nécessaire, mais l'offre est essentiellement construite entre le syndic, la banque et l'AMO. C'est la pierre angulaire de l'accélération du développement des financements des co-propriétaires.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Avez-vous des éléments à ajouter qui pourraient nous aider dans nos travaux ?

M. Pierre Bocquet. - Je rappelle que la profession bancaire a fait en 2023 une série de propositions visant à améliorer les parcours de rénovation énergétique, mais aussi le fonctionnement du marché immobilier. Certaines de ces propositions ont déjà été reprises, d'autres sont en cours d'examen. Ainsi, il est désormais possible de cumuler la subvention MaPrimeRénov' et l'éco-PTZ. Cela permet de simplifier la vie de la copropriété et du syndic, comme on l'a fait pour les emprunteurs individuels. On met ainsi de l'huile dans les rouages.

Cela étant, les basiques restent prégnants : l'emprunteur a-t-il la capacité de rembourser ? Qui assume le risque et paie les pertes éventuelles ? Comment s'effectue le partage au sein de la copropriété ? Les banques veulent jouer leur rôle et sont preneuses de nouveaux projets, mais elles ne peuvent pas assumer des fonctions qui ne sont pas les leurs, bien sûr.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Nous vous remercions de votre présence et de vos contributions.

Je rappelle que nos travaux prendront fin le 31 juillet prochain et donneront lieu à la publication d'un rapport sur la paupérisation des copropriétés.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de Mme Eva Simon, chargée de programme au sein du « Plan Urbanisme construction architecture » (Puca), MM. Laurent Peinaud, président, Philippe Estingoy, directeur général, de l'Agence Qualité Construction (AQC), Mme Valérie Flicoteaux, vice-présidente du Conseil national de l'ordre des architectes (CNOA), M. Alexandre Vitry, président, Mme Claire Dounian, vice-présidente, de la Compagnie des architectes
de copropriété (CAC), et Mme Laure-Anne Geoffroy-Duprez, présidente de l'Union des syndicats français des architectes (UNSFA)

(Mardi 14 mai 2024)

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Je suis très heureuse d'accueillir Mme Eva Simon, chargée de programme au sein du plan Urbanisme construction architecture (Puca) du ministère de la transition écologique, M. Laurent Peinaud, président de l'Agence Qualité Construction, Mme Valérie Flicoteaux, vice-présidente du Conseil national de l'ordre des architectes, M. Alexandre Vitry, président de la Compagnie des architectes de copropriété et enfin Mme Laure-Anne Geoffroy-Duprez, présidente de l'Union des syndicats français des architectes.

Votre profession intervient sur un très large spectre d'opérations relatives à la vie des copropriétés, que celles-ci soient en difficulté ou non. Il nous semblait donc primordial de consacrer un temps de nos travaux aux problématiques architecturales et techniques qui sont les conséquences de la paupérisation des copropriétés et qui jouent un rôle central dans leur redressement.

Plusieurs personnes auditionnées avant vous ont souligné que le phénomène de paupérisation et de dégradation résultait, pour une large part, d'un double mouvement de vieillissement du bâti collectif d'après-guerre et de ses habitants, puis d'un cercle vicieux où la fragilisation du bâti et des copropriétaires ou des locataires se renforcent mutuellement. Que pensez-vous de cette analyse d'un bâti d'après-guerre arrivé en fin de vie, ou du moins à un stade où des travaux très lourds sont nécessaires ?

On cite notamment les maladies ou cancers du béton - corrosion des aciers, carbonatation - qui, lorsqu'elles se déclarent, sont difficiles et coûteuses à traiter. On serait donc confronté à un phénomène générationnel qui pourrait s'amplifier avec le vieillissement des constructions des années 1980 ou 1990 produites grâce aux avantages fiscaux pour l'investissement locatif et qui se dégraderaient plus rapidement compte tenu de leur faible qualité et d'un entretien insuffisant.

Les grands ensembles sont souvent cités en exemple. Certains ont déjà fait l'objet de réhabilitations, mais est-ce possible pour toutes ces copropriétés ou devons-nous nous préparer à des opérations de recyclage de grande ampleur ?

Notre commission d'enquête s'attache à ne pas laisser dans l'ombre les petites copropriétés. Identifiez-vous des problématiques ou des difficultés particulières pour intervenir sur ces immeubles ? Comme pour le syndic, le coût du recours à un architecte est-il une difficulté ? Y a-t-il des problèmes spécifiques de structure dans ces immeubles ?

Plusieurs se sont effondrés ces dernières années dans des centres-villes anciens qui parfois ne sont pas identifiés comme des zones d'habitat dégradé. Pour tenter d'éviter cela, la récente loi du 9 avril a rendu obligatoire, dans certaines conditions, un diagnostic structurel. Il pourra être réalisé d'office à la demande du maire.

On peut également penser à la colline de Saint-Cloud, sur laquelle une fissure a récemment conduit à la fermeture de l'A13, et qui compte sur son territoire nombre de copropriétés confrontées à la fragilisation de la structure et des fondations des immeubles, ce phénomène étant sans doute amplifié par le changement climatique. Au-delà même de cet exemple, quel est votre regard de professionnel sur cette problématique ?

La rénovation énergétique paraît aujourd'hui être une porte d'entrée vers une réflexion des copropriétaires sur la remise à niveau de leur lieu de vie. Les agences départementales d'information sur le logement (Adil) nous ont indiqué que c'était l'occasion d'un accompagnement approfondi de copropriétés non gérées, non immatriculées et sans syndic. Comment les architectes participent-ils à ce mouvement, qui peut être vertueux, de check-up de l'immeuble puis de travaux en vue d'une « seconde vie », comme l'Union sociale pour l'habitat (USH) a pu le théoriser pour le logement social ?

Avant de laisser la parole à chacun d'entre vous pour répondre à ces premières questions et pour un propos introductif, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat, et qu'un compte rendu sera publié.

Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.

Je vous invite donc, madame Simon, monsieur Peinaud, madame Flicoteaux, monsieur Vitry et madame Geoffroy-Duprez, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Eva Simon, M. Laurent Peinaud, Mme Valérie Flicoteaux, M. Alexandre Vitry et Mme Laure-Anne Geoffroy-Duprez prêtent serment.

Mme Valérie Flicoteaux, vice-présidente du Conseil national de l'ordre des architectes. - Le Conseil national de l'ordre des architectes (Cnao) représente les 30 000 architectes français, dont 10 000 sont établis en Île-de-France. Il tient le tableau des architectes, veille à la bonne exécution de la déontologie et garantit au public qu'une personne qui porte le titre d'architecte est bien titulaire d'une formation initiale, d'une assurance et qu'elle continue de se former tout au long de sa carrière.

Le Conseil national a aussi pour mission de représenter les architectes et la profession auprès des institutions au niveau national. Les 17 conseils régionaux en font autant dans leur région respective.

Instauré par la loi du 3 janvier 1977 sur l'architecture, le Cnao remplit une mission de service public. À la différence d'un syndicat, il a vocation à défendre, non pas les architectes, mais l'intérêt public de l'architecture.

Le maillage de notre profession en fait un bon relais sur l'ensemble du territoire, même si des déserts architecturaux se font jour, comme la Creuse qui ne compte que 13 architectes dont la moitié partiront prochainement à la retraite.

En 2022, le Cnoa a publié un plaidoyer intitulé Habitats, Villes, Territoires, l'architecture comme solution qui reprend les thèmes que nous voulons porter. Ces trois dernières années, l'accent mis sur la rénovation, sur la résorption du nombre de logements vacants ou insalubres, et partant, sur les copropriétés dégradées a constitué l'un des axes de notre action. Le réinvestissement des zones de recyclage urbain et des friches est également primordial à nos yeux.

Selon Archigraphie, qui est notre observatoire de la profession, 87 % des architectes ont déclaré faire de la rénovation en 2023, ce qui montre que la profession s'est emparée de ce sujet, même si nous peinons encore à voir les effets de ces évolutions. Les architectes sont désormais bien conscients qu'il faut composer avec l'existant et réparer la ville.

Les dispositifs proposés par l'État afin d'encourager la rénovation énergétique ont sans doute permis de mettre au jour certains dysfonctionnements. Nous avons beaucoup travaillé avec l'Agence nationale de l'habitat (Anah) sur ces sujets.

J'émettrai deux points d'alerte.

Le premier concerne la réglementation, qui est aussi performante pour ce qui est de la construction neuve - il s'agit de la RE 2020 - qu'elle est obsolète pour la rénovation. La RE 2015 n'aborde en effet ni la décarbonation ni le confort d'été, et ses objectifs thermiques sont assez basiques.

Le second point d'alerte porte sur le ciblage du soutien financier de l'État, qui se concentre aujourd'hui sur les travaux alors qu'il serait judicieux de soutenir également les études, qui sont bien souvent la condition d'une intervention cohérente et stratégique prenant en compte le bâtiment dans sa globalité.

Au-delà des aspects structurels et techniques, l'approche architecturale prend en considération les paramètres urbains, patrimoniaux et d'usage du bâti souvent négligés dans le cadre d'audits saucissonnés qui ne permettent pas d'élaborer une stratégie. Comme le corps humain, un bâtiment doit être envisagé non par morceau, mais dans sa globalité si l'on veut poser un diagnostic et proposer un traitement efficace.

Ce n'est pas tant la loi du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d'oeuvre privée (MOP), que le code de déontologie des architectes qui garantit l'indépendance de notre profession. Il interdit en particulier à l'architecte d'être juge et partie, et exige que celui-ci se consacre à l'accompagnement de son client. Toute forme d'accointance - avec des entreprises, des solutions techniques ou des solutions industrielles - étant exclue, l'architecte prend en compte l'état du bâtiment et la situation de la copropriété, notamment sociale et financière.

Mme Laure-Anne Geoffroy-Duprez, présidente de l'Union des syndicats français des architectes. - Principale représentation syndicale de la profession, l'Union des syndicats français des architectes (UNSFA) regroupe 44 syndicats répartis dans l'ensemble du territoire. Nous avons de ce fait une bonne vision des spécificités territoriales.

Le sujet qui nous occupe aujourd'hui nous tient à coeur. Nous y travaillons depuis plusieurs années dans le cadre de groupes de travail, notamment sur la massification des rénovations de copropriétés et sur les petites copropriétés. L'association « Les architectes de la rénovation » s'efforce pour sa part d'élaborer des outils permettant d'améliorer l'efficacité des opérations de rénovation des petites copropriétés.

Il n'y a pas de solution unique pour remédier aux difficultés des copropriétés dégradées. Chaque territoire, chaque copropriété, chaque situation sociale sont uniques. Il convient d'adopter le regard le plus large possible - c'est en cela que le rôle des architectes peut être essentiel -, en prenant en compte les aspects technique, énergétique, structurel et social pour présenter une stratégie cohérente dans le temps. Il faut à mon sens absolument éviter les actions de type one shot, car les actions entreprises aujourd'hui le sont aussi pour demain. À défaut d'une telle vision globale, une intervention peut avoir pour effet de bloquer des possibilités qui pourront être utiles à l'avenir.

Les diagnostics et les études sont à ce titre essentiels. J'estime donc moi aussi que les aides financières doivent également soutenir les études.

Si la rénovation thermique est effectivement une porte d'entrée vers d'autres améliorations, il ne faut pas la considérer isolément. Il convient au contraire d'anticiper les évolutions du bâtiment, sans se cantonner à l'aspect technique.

Les aides sont conditionnées à un certain pourcentage d'amélioration de la performance technique des bâtiments. Cela peut conduire à faire des choix fondés uniquement sur l'atteinte de ce seuil. Il est par exemple absurde d'isoler deux façades d'un bâtiment, mais cela peut permettre de passer un seuil. Le travail de l'architecte consiste à imaginer des opérations éligibles aux aides, mais cohérentes.

J'en viens aux constructions neuves et aux moyens d'éviter une évolution défavorable des copropriétés. Une solution pourrait consister à établir un plan de travaux à long terme dès l'achat. Cela permettrait à l'acquéreur d'avoir de la visibilité sur les charges pour plusieurs décennies et pousserait le promoteur à concevoir un bâti de meilleure qualité.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Pourriez-vous nous en dire davantage sur les architectes de la rénovation ?

Mme Laure-Anne Geoffroy-Duprez. - Cette association issue de l'UNSFA regroupe des architectes spécialisés dans la rénovation de logements individuels, de petits bâtiments tertiaires et de petites copropriétés, c'est-à-dire de copropriétés de moins de 10 logements. Ils travaillent notamment à l'élaboration de contrats incluant la conception et les travaux de manière à rassurer les commanditaires, qui n'auraient ainsi qu'un seul interlocuteur tout au long de l'opération. Cette association existe depuis quelques années, et elle a des représentants dans l'ensemble du territoire.

J'en profite d'ailleurs pour ajouter que dans les plus petites copropriétés, le reste à charge des copropriétaires est souvent très élevé. Il paraîtrait justifié de permettre à ces copropriétaires de bénéficier d'aides individuelles. Bien souvent, ces copropriétés de centre-bourg optent d'ailleurs pour une isolation par l'intérieur, car l'isolation par l'extérieur n'est pas possible. Ces copropriétaires se trouvent donc de fait dans une situation très comparable à celle de propriétaires individuels.

M. Alexandre Vitry, président de la Compagnie des architectes de copropriété. - Je suis très honoré que vous ayez convié notre association aux côtés de notre ordre. La Compagnie des architectes de copropriété rassemble depuis 30 ans 100 à 130 architectes spécialisés dans l'entretien du bâti du patrimoine ordinaire et implantés sur l'ensemble du territoire national. Nous nous réunissons tous les mois pour échanger sur les pathologies du bâtiment et pour apprendre à rénover le patrimoine.

Notre devise est « Un immeuble, un architecte ». Dès lors que cette devise n'est pas appliquée, j'estime que les copropriétés risquent de se paupériser. Il faut un architecte dans chaque immeuble, de même qu'il faut un médecin de famille dans chaque famille.

Notre spécificité, en tant qu'architectes de copropriété, est que nous avons une approche à la fois technique et sociale. Comme nous avons, non pas un, mais 5, 10, voire 150 clients, il nous faut à chaque fois mobiliser le syndicat des copropriétaires et coconstruire le projet. À défaut, on n'aboutit à rien.

En France, nous avons la passion de l'accession à la propriété, mais nous ne savons pas toujours ce qu'être propriétaire veut dire. Quand on achète une voiture, on sait qu'il faut prévoir son entretien. Il en va de même des bâtiments, dont il faut prévoir le ravalement de façade, l'entretien de la couverture, etc.

Mme Éva Simon, chargée de programme au sein du plan Urbanisme construction architecture du ministère de la transition écologique. - Je suis, pour ma part, non pas architecte, mais ingénieure de formation, et je suis titulaire d'une thèse de sciences politiques consacrée à la manière dont l'action publique s'est intéressée aux copropriétés dégradées dans les territoires de Lyon, de Grenoble et de Marseille entre les années 1980 et 2015. Après avoir occupé un poste en administration centrale, j'ai rejoint, en 2020, le plan Urbanisme construction architecture (Puca), une agence ministérielle placée sous la double tutelle du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, et du ministère de la culture.

Le Puca a vocation à lancer des recherches et des expérimentations afin d'éclairer l'action publique. Les sciences sociales montrent que les deux grandes politiques publiques relatives aux copropriétés - la rénovation énergétique et les copropriétés dégradées -rencontrent d'importantes difficultés qui sont liées à la structure même et au fonctionnement des copropriétés.

Il existe très peu d'études sur les copropriétés ordinaires, qu'il importe pourtant de comprendre si l'on veut comprendre les copropriétés dégradées et les enjeux de rénovation énergétiques. En 2021, nous avons donc lancé un programme sur ce sujet. Les recherches sont encore en cours, mais nous avons d'ores et déjà publié une étude sur les petites copropriétés et une étude sur le métier de syndic.

Je reviendrai d'abord sur l'importance de la gouvernance, avant d'aborder ce que j'estime être deux angles morts des auditions précédentes.

En 1999, dans son ouvrage intitulé La copropriété en difficulté : faillite d'une structure de confiance, Marie-Pierre Lefeuvre a montré que les difficultés d'une copropriété tenaient à des difficultés de gouvernance, et que seuls l'assemblée générale des copropriétaires, le conseil syndical et le syndic étaient à même d'inverser un processus de dégradation. Or pendant très longtemps l'action publique ne s'est intéressée qu'à la paupérisation des copropriétés et à la dégradation du bâti, ce qui, à défaut d'un nouvel élan de gouvernance, n'a pas permis d'améliorer durablement la situation des copropriétés. Certains immeubles, dont la façade vient pourtant d'être ravalée, présentent des fuites deux ans plus tard, faute d'entretien.

La prise en compte de l'importance de la gouvernance dans les politiques publiques est récente, et beaucoup reste à faire en la matière.

Les ménages précaires, par exemple, n'ont pas nécessairement conscience de ce qu'emporte l'acquisition d'un bien en copropriété, soit parce qu'ils sont issus de milieux familiaux éloignés de la propriété, soit parce qu'ils sont originaires de pays où la copropriété n'existe pas.

Les syndics sont eux aussi en difficulté du fait d'un manque de régulation et de formation, mais aussi de problèmes de recrutement. Or si la gestion n'est pas correctement menée, cela se répercutera tôt ou tard sur la copropriété.

Les impayés, enfin, ont récemment fait l'objet de nombreuses évolutions législatives, mais à défaut de recherches sur ce point, nous ne savons pas si ces évolutions permettront ou non de redresser un peu la barre autour de ce sujet essentiel. La gouvernance repose en effet sur la confiance, or les impayés remettent en cause la confiance dans le fait que chacun joue le jeu.

J'en viens au premier angle mort, la formation professionnelle. Entre 1990 et 2010, les recherches en sciences sociales reprochaient à l'action publique l'insuffisante prise en compte des spécificités des copropriétés. En me replongeant dans ces recherches et en travaillant avec les professionnels du secteur, je me suis rendu compte qu'il y avait, derrière cette critique, des difficultés liées à un déficit de formation professionnelle. Les différents professionnels qui interviennent dans les copropriétés - services de l'État, collectivités locales, opérateurs, bailleurs sociaux - n'ont jamais été formés à la copropriété. J'ai été surprise de constater que la copropriété est également le parent pauvre des formations, initiales comme continues, de syndic.

Le second angle mort est le rôle des collectivités locales. Je montre dans ma thèse qu'entre 1990 et 2015, les collectivités locales ont très peu communiqué sur les actions qu'elles ont engagées dans les copropriétés de leur territoire, alors que certaines ont mené des actions très intéressantes. La capacité d'influence des collectivités locales constitue à mes yeux une marge de progression importante.

Certaines collectivités nomment par exemple un référent copropriété qui rencontre régulièrement les syndics de son territoire. Si un syndic sait que la mairie soutient les copropriétés, il acceptera plus facilement d'en assumer la gestion. Lorsque l'action publique locale est organisée, les copropriétés en difficulté parviennent, de fait, à embaucher de meilleurs syndics.

De même, lorsque les copropriétaires sont formés, les copropriétés fonctionnent mieux.

M. Laurent Peinaud, président de l'Agence Qualité Construction. - L'Agence Qualité Construction (AQC) est une agence gouvernementale qui a été mise en place après la loi du 4 janvier 1978 relative à la responsabilité et à l'assurance dans le domaine de la construction, dans le but de maîtriser la sinistralité dans la construction neuve.

Nous travaillons sur trois principaux axes : l'observation, la prévention et l'information des différentes parties prenantes. Nos membres sont donc issus de l'ensemble de l'écosystème de la construction.

Je dois donc avouer que j'ai été un peu surpris d'être convoqué à cette audition ! Je me plie toutefois volontiers à l'exercice.

À mon niveau, je constate que certains travaux qui semblent améliorer la performance des bâtiments la dégradent en réalité. L'exemple classique est celui d'une rénovation énergétique omettant le volet ventilation, qui améliore le bilan énergétique tout en dégradant le volet sanitaire, avec, bien souvent, des moisissures à la clé !

Notre expérience sur les copropriétés est très réduite. Je ne puis donc témoigner qu'à titre personnel. J'observe qu'il existe une grande diversité du bâti, mais aussi des occupants. Je suis pour ma part propriétaire d'un bien en bord de mer qui a été construit en 1920 en béton, et qui n'a pas une fissure. On peut donc aussi avoir de la chance !

L'élaboration d'un plan pluriannuel de travaux me paraît une excellente idée.

J'estime aussi que tout repose sur la gouvernance et la connaissance des copropriétés, dont les faiblesses restent bien souvent invisibles tant qu'un propriétaire ne déclare pas un problème dans son logement. Il y a sans doute des moyens de détecter les faiblesses invisibles d'un bâti et de déterminer à quel moment des dégradations peuvent intervenir.

Certains départements s'engagent et des équipes pluridisciplinaires s'efforcent d'intégrer une vision globale. Mais de quels moyens ces instances disposeront-elles ?

Il faut également prendre en compte les effets des actions que l'on entreprend sur le bâti existant. Dans certains cas, l'isolant utilisé pour une isolation thermique peut nuire aux qualités acoustiques d'un bâtiment.

Je terminerai par un exemple belge. À Bruxelles, haut lieu de l'art nouveau, le gouvernement a assumé de ne pas pouvoir rénover certaines maisons classées sans les dégrader. Il aide donc les propriétaires de ces logements à payer leurs factures d'énergie.

Mme Marianne Margaté, rapporteure. - L'accélération et l'amplification du phénomène de paupérisation des copropriétés amènent les pouvoirs publics au chevet des copropriétés dégradées ou paupérisées, au risque parfois de bousculer leur système de gouvernance. Dans de telles conditions, comment la gouvernance interne de la copropriété peut-elle reprendre pied ?

Quels sont les partenariats qui vous semblent opportuns en matière de copropriété ? Comment travaillez-vous avec le conseil syndical, les communes ou intercommunalités et, de manière plus générale, avec l'ensemble des interlocuteurs de cet écosystème ?

Quel regard portez-vous sur les risques de dégradation qu'emportent les ventes HLM ? Ces ventes comportent-elles des risques et si oui comment les prévenir ? Quid des divisions pavillonnaires qui créent, de fait, de petites copropriétés ?

Mme Éva Simon. - Nous disposons actuellement de très peu de recherches sur les copropriétés dégradées, mais les études existantes montrent que lorsque l'on tente d'imposer des thématiques aux copropriétaires cela ne fonctionne pas. Comme j'ai pu le souligner dans ma thèse, ce n'est pas du tout la pratique des acteurs à Grenoble, par exemple.

Mon intuition est que les redressements réussis reposent sur un travail de construction avec les copropriétaires et avec le syndic, mais il faudrait lancer un véritable programme de recherche pour documenter ce phénomène et ses limites. À ce stade, les recherches existantes se bornent à retracer l'histoire d'une quinzaine de copropriétés dégradées depuis 1980, ce qui est très peu.

En tout état de cause, le préalable est de partir de ce qui préoccupe les copropriétaires. Le bien-vivre au quotidien, la dégradation et la saleté ne sont pas pris en compte par les acteurs publics, dans la mesure où ces sujets, bien qu'ils soient très décourageants pour les copropriétaires, n'emportent pas de danger. Les copropriétaires ont pourtant besoin que les choses s'améliorent concrètement dans leur quotidien avant d'envisager des actions plus ambitieuses.

Gaëtan Brisepierre a ainsi montré que les copropriétés qui se lancent dans une rénovation énergétique ambitieuse ont d'abord fait de petits gestes qui ont permis au collectif de prendre confiance dans le fait qu'il pouvait améliorer la situation. Le dispositif « Mon Accompagnateur Rénov' » pourrait inspirer l'accompagnement des copropriétés en difficulté. De fait, la trajectoire de copropriétés qui sollicitent un accompagnement est souvent favorable, car leur demande permet d'engager une démarche de co-construction.

J'en viens aux partenariats. J'observe que plus il y a d'acteurs mobilisés autour de la table et plus les collectivités locales s'investissent, mieux les choses se passent.

Une expérimentation très intéressante a été menée à La Courneuve autour de la médiation dans de petites copropriétés. La mairie a systématiquement appuyé les difficultés que les acteurs ont relayées, si bien que des situations qui paraissaient inextricables ont pu être débloquées.

Le Puca et l'Union sociale pour l'habitat ont lancé un vaste programme sur la vente HLM dont les rapports définitifs seront remis dans le courant du mois. Les conclusions intermédiaires montrent des trajectoires variées selon que les logements se situent dans un immeuble de standing en centre-ville et qu'ils sont acquis par des ménages plutôt aisés ou dans un immeuble qui prend l'eau parce que sa gestion va coûter cher et à des ménages qui ont moins de revenus.

Lorsque le bâtiment a des pathologies nombreuses, des conflits peuvent naître avec les locataires qui, du fait de l'arrivée de propriétaires parmi eux, peuvent se sentir déclassés. Une vente HLM qui se passe mal entraîne de forts conflits au sein de la copropriété.

La vente d'une copropriété de 20 à 50 logements s'étendant par ailleurs sur 10 à 20 ans, une longue période de transition s'installe avec le bailleur, ce qui peut susciter des difficultés et se révéler pénible pour tout le monde.

En somme, la vente HLM peut constituer un mauvais départ pour une copropriété. Or les copropriétés en difficulté ont souvent connu un mauvais départ.

Mme Valérie Flicoteaux. - Dans le questionnaire que vous nous avez envoyé, vous nous demandiez de préciser dans quelle mesure les architectes urbanistes de l'État (AUE) et les architectes-conseils de l'État (ACE) étaient associés aux opérations menées dans les copropriétés dégradées. Leur intervention est à la discrétion du représentant de l'État déconcentré sur le territoire. Les AUE répondent aux questions sur lesquelles on les missionne, de même que les ACE, qui sont pilotés par les directions régionales des affaires culturelles (Drac) ou par les directions départementales des territoires (DDT). Ils ne choisissent donc pas les sujets sur lesquels ils interviennent. Il serait toutefois sans doute opportun que les vacations d'ACE soient plus nombreuses.

Le parc datant de la reconstruction ou d'avant 1948 est effectivement vieillissant, et il a été plus ou moins bien entretenu. Les alertes que nous avons eues à Lille ou à Marseille concernaient des bâtiments anciens mal entretenus. Mais tout cela intervient à un moment où nous savons que nous allons devoir habiter différemment.

Le réchauffement climatique nous impose de réfléchir à la consommation énergétique, mais aussi aux retraits-gonflements d'argile, qui entraînent également des dégradations sur des structures qui n'ont pas nécessairement été conçues et construites en songeant à ce risque, ou au recul du trait de côte. Les événements climatiques majeurs affectent les bâtiments, mais on sait que les bâtiments peuvent apporter des réponses. Cela dépend de la capacité à convaincre les copropriétaires et à disposer des moyens pour réaliser les travaux nécessaires, qui sont coûteux.

Acquérir un bien immobilier implique désormais de se projeter sur au moins 50 ans, car les bâtiments devront évoluer pour faire face à ces crises. Or peu de copropriétaires ont cette culture de la propriété, selon laquelle ils doivent investir et entretenir leur bien tout au long de leur vie : effectuer régulièrement un ravalement, s'assurer du bon état des choses, et surtout éviter toute dégradation. Vous évoquiez les petits et grands travaux. Il est évident que décider de refaire une toiture peut être complexe si le hall d'entrée est déjà insalubre.

Il faut intégrer tous ces aspects et fournir de la médiation et du conseil. Le CNOA essaie de sensibiliser les architectes à ces questions, notamment à l'accompagnement des collectivités territoriales. Nous avons lancé un dispositif appelé « un maire, un architecte », pour aider les petites communes à développer des stratégies pour leur patrimoine, mais aussi pour repérer les situations problématiques sur leur territoire afin de mobiliser les aides ad hoc. En effet, de nombreuses aides sont disponibles pour les très petites collectivités, mais elles ne sont pas toujours bien connues. Nous entretenons des contacts réguliers, notamment avec le programme « Action des collectivités territoriales pour l'efficacité énergétique » (Actee), dont le budget a connu une augmentation exponentielle, au point de conférer parfois l'impression de disposer de ressources importantes sans savoir comment les utiliser, car les principaux bénéficiaires, les collectivités locales, ne connaissent pas suffisamment ce dispositif.

Ainsi, il est crucial d'impliquer davantage les experts du bâtiment que sont les architectes, qui, en vertu de leur code de déontologie, ont une obligation d'intervenir dans l'intérêt public et dans l'intérêt de l'architecture. Ils peuvent donc jouer un rôle essentiel en matière de conseil, d'accompagnement et de stratégie à tous les niveaux. Lorsque les architectes s'occupent d'un immeuble en copropriété, c'est une démarche similaire : il est nécessaire de fournir des conseils réguliers pour éviter de gros travaux. Même si nous savons que la réponse aux crises climatiques nécessitera de toute façon des interventions sur le patrimoine, il est crucial de se poser ces questions dès maintenant.

La division pavillonnaire peut générer aussi bien de la qualité qu'une grande misère, voire même favoriser l'implantation de marchands de sommeil, comme des études l'ont montré dans la Seine-Saint-Denis. On entend parfois que les lotissements peuvent apporter une solution à la crise du logement, pour peu qu'on fasse les choses intelligemment et correctement. Beaucoup d'habitats pavillonnaires sont sous-occupés, par des personnes âgées seules, qui n'ont plus l'énergie d'entretenir un grand jardin. On pourrait donc imaginer de faire plusieurs logements par parcelle, mais il serait mieux de raisonner au niveau urbain, avec un fort accompagnement de la collectivité locale, qui peut porter un regard stratégique. Le CNOA estime que les architectes peuvent relever ce défi, car ils sont disponibles et mobilisables rapidement sur tout le territoire. Ils sont également en relation avec l'écosystème de l'architecture publique, y compris les conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) et les architectes des bâtiments de France (ABF).

Les ABF font d'ailleurs l'objet d'une mission du CNOA : nous pensons qu'ils ne devraient pas seulement être consultés pour valider des permis de construire, mais qu'ils devraient également être impliqués en amont pour orienter les interventions sur les bâtiments patrimoniaux. Leur action ne se limite pas uniquement aux bâtiments classés, mais concerne également le petit patrimoine d'avant 1948. Les ABF jouent un rôle crucial en tant que garde-fous pour s'assurer que les interventions sur ces bâtiments respectent les normes techniques et historiques appropriées. Par exemple, ils peuvent alerter sur les risques liés à l'utilisation de certains matériaux inadaptés, comme un enduit de ciment sur une façade en pierre qui nécessite une respiration. L'expérience passée montre que des erreurs telles que celles-ci, souvent commises dans les années 80-90, ont eu des conséquences néfastes sur la durabilité des bâtiments historiques. Ainsi, les ABF ont un rôle crucial d'alerte.

Dans l'ensemble, l'écosystème de l'architecture, y compris les ABF et les architectes, peut être mobilisé pour soutenir les politiques publiques en matière d'urbanisme et de préservation du patrimoine. Les architectes, avec leur expertise et leur représentation locale, sont bien positionnés pour jouer un rôle-clé dans cet accompagnement.

Mme Laure-Anne Geoffroy-Duprez. - L'idée de travailler avec un écosystème élargi, en collaborant avec différents acteurs, peut en effet conduire à des solutions novatrices et agiles pour résoudre les problèmes de copropriétés en difficulté. Plutôt que de se limiter à l'échelle individuelle de la copropriété, il peut être bénéfique d'adopter une perspective plus large, en examinant l'échelle de l'îlot, du quartier, voire de la commune entière.

Par exemple, une solution que nous proposons depuis quelques années est le concept de surélévation solidaire. Cette approche peut être adaptée en fonction des caractéristiques spécifiques des différents territoires. Dans les métropoles où les valeurs au mètre carré sont élevées, l'idée est d'utiliser les bénéfices générés par la construction de nouveaux logements pour financer la rénovation complète de biens existants. Cette initiative peut être coordonnée par des agences publiques comme l'Anah ou la commune elle-même, qui identifient les copropriétés en difficulté et les opportunités de construction. Un opérateur social peut alors être impliqué pour gérer la construction de la surélévation et la rénovation des biens concernés. De plus, il est envisageable de mutualiser les bénéfices générés par ces opérations afin d'intervenir également sur des copropriétés qui n'ont pas la possibilité de construire de nouvelles structures. Cette approche nécessite une vision plus globale, qui sort du cadre strict de la copropriété.

M. Alexandre Vitry. - Je pense qu'il faut remettre la confiance dans la copropriété. Il est surtout nécessaire de restaurer la confiance dans sa nature même : c'est la seule démocratie participative jouissant d'un taux de participation de 90 % ! Les copropriétaires assistent aux assemblées générales et votent ou ne votent pas, mais c'est significatif. Il est crucial de leur redonner confiance, de les remobiliser. Cependant, il ne faut pas les mobiliser uniquement autour d'un projet de rénovation, mais plutôt autour d'un projet d'amélioration. Il faut être beaucoup plus ambitieux. Il faut aller au-delà du simple fait d'isoler, d'améliorer l'efficacité énergétique, de refaire une belle façade et de repartir pour 20 ans. Non, il faut envisager une perspective de 50 ans, avec des espaces communs, des jardins, etc. Il faut peut-être même penser à l'échelle de la ville, travailler plus globalement.

En ce qui concerne les partenariats, je n'ai pas forcément une grande expérience à l'échelle de la ville, mais je pense qu'il serait judicieux de coopérer avec les acteurs et les services de l'État pour développer le programme « un maire, un architecte » et éviter d'en arriver à l'état d'urgence. En effet, dans de nombreux cas, on intervient sur des bâtiments que lorsqu'un arrêté de péril est pris ou lorsqu'une urgence catastrophique survient. Mais en réalité, à ce stade, il est déjà trop tard. Par conséquent, le CNOA a raison : il faut se mobiliser, diagnostiquer et répertorier d'abord ce qui va et ce qu'il faut simplement entretenir.

Quant à la découpe du patrimoine HLM, je vais être très clair : il faut faire attention à ne pas répéter les erreurs passées. Il y a déjà eu des divisions et, comme vous l'avez souligné, les copropriétés mixtes, avec des bailleurs et des propriétaires privés, sont très risquées, surtout si les nouveaux copropriétaires ne sont pas accompagnés dans leur rôle, et si une partie des bénéfices de ces ventes ne profite pas à la nouvelle copropriété. Il est important de partir avec un fonds lorsque l'on crée une copropriété, qu'elle soit issue d'un bâti existant ou d'un nouveau bâti.

Pour ce qui est de la division du pavillonnaire, attention à ne pas créer de nouveaux ghettos. Bien sûr, on peut diviser les pavillons en logements, mais il faut que la ville accompagne. Il faut des équipements, des commerces, des lieux de vie. Car si vous transformez un petit lotissement en mini-ensemble, vous risquez de créer un ghetto, et cela n'est pas une bonne idée.

Enfin, il faut consulter les ABF, bien sûr, mais aussi leur donner les moyens d'être plus disponibles. Aujourd'hui, ils doivent gérer entre 3 000 et 4 000 dossiers par an, c'est impossible ! Nous parvenons tout de même à dialoguer avec eux. Nous avons même participé à une table ronde avec eux il y a quelques mois, au cours de laquelle nous avons échangé et partagé. Mais ils sont submergés de travail. Nous avons tous énormément de travail dans la copropriété, mais pour les ABF, c'est encore pire. Il faut donc les rendre plus disponibles.

M. Laurent Peinaud. - Nous devons en être conscients, la dégradation ne fera que se poursuivre. Pour prendre un exemple simple, ceux qui ont construit selon la réglementation thermique de 2012 ont aujourd'hui des ouvrages obsolètes. On ne sait même pas comment les améliorer, on est confronté à un mur. C'est souvent une véritable préoccupation pour les propriétaires que d'améliorer leur bien. On parle souvent de confort, mais, en réalité, il y a aussi un impact économique derrière. La rénovation énergétique est une porte d'entrée, certes, car elle a un impact économique de plus en plus lourd sur les propriétaires ou les locataires.

Culturellement, en France, nous sommes habitués à des patrimoines très anciens. Au Japon, par exemple, on ne peut même pas imaginer un bâtiment de plus de 30 ans. Mais nous oublions une chose : notre mode de vie a changé depuis 50 ans, ou même 100 ans, qu'il s'agisse de mobilité, d'accessibilité, de réseaux. Tout cela entre également en jeu, en plus des dégradations techniques du bâti, notamment structurelles, qui sont parfois liées à des phénomènes de changement climatique. Certains centres anciens sont fondés sur des pieux en bois. Les variations du niveau de la nappe phréatique font qu'ils se retrouvent à découvert, ce qui constitue une situation critique, qu'il est extrêmement coûteux de corriger.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Philippe Estingoy prête serment.

M.  Philippe Estingoy, directeur général de l'Agence qualité construction. - J'ai été pendant douze ans directeur départemental des territoires (DDT), et voilà douze ans que je dirige l'Agence qualité construction.

Je salue la manière dont Éva Simon a présenté les choses dans ses études. Je m'y retrouve parfaitement, ayant été un homme de terrain et ayant mis en oeuvre plusieurs plans de sauvegarde - un concept essentiel en ce qui concerne les copropriétés dégradées.

« Copropriété dégradée » est une expression générique qui recouvre plusieurs situations très différentes selon la taille et le positionnement du bâtiment. Lorsqu'on se trouve dans une copropriété dégradée située en zone rurale, la situation n'est pas tout à fait la même que dans une copropriété dégradée en centre-ville ou en périphérie calme. Les approches, y compris en ce qui concerne les plans de sauvegarde, doivent donc être différentes.

J'ai eu l'occasion de mettre en oeuvre plusieurs plans de sauvegarde, financés par l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) ou par l'Anah. Je confirme que c'est extrêmement complexe et que ces plans prenaient énormément de temps. Pour pouvoir les mettre en oeuvre correctement avec les financements dont nous disposions, nous imposions des changements de syndic, en optant pour des syndics spécialisés dans les problématiques de propriété dégradée. De plus, nous faisions appel à des architectes spécialisés dans la copropriété dégradée, et je mobilisais de préférence mon architecte-conseil de l'État.

Une autre personne impliquée dont nous n'avons pas encore parlé est le commissaire de police, car, dans les copropriétés dégradées, on trouve souvent des problèmes de marchands de sommeil et divers trafics. Il ne faut pas fermer les yeux là-dessus. Lorsqu'il y a des trafics chez un bailleur social, il peut prendre certaines actions. Dans une copropriété, c'est quasiment impossible. La seule conséquence lorsque des problèmes surviennent, c'est le départ des personnes respectueuses des règles et la multiplication des problèmes liés aux marchands de sommeil. Il est vraiment important de faire ces distinctions, car nous ne pouvons pas intervenir de la même manière. Lorsque nous intervenons dans une copropriété dégradée avec un plan de sauvegarde, là où il y a des problèmes juridiques, nous faisons également intervenir le procureur. Il est nécessaire d'agir sur tous les fronts, sinon il n'y a aucune chance de succès.

En ce qui concerne la vente HLM, je serai de nouveau assez catégorique. Je ne suis pas sûr de l'état actuel de la réglementation à ce sujet, mais, lorsque j'étais directeur départemental et que j'exerçais ce type de contrôle, j'interdisais la vente HLM de bâtiments qui n'avaient pas été préalablement rénovés. Je le faisais bien évidemment en accord avec mes préfets, c'était un travail collectif, et nous interdisions même les opérations où nous sentions de la bonne foi, car les habitants ne voyaient pas exactement ce qui allait se passer.

Il est fondamental de maintenir cette exigence. Cela soulève la problématique de la capacité des bailleurs sociaux à disposer de fonds propres pour intervenir en matière de rénovation. Nous avons proposé aux bailleurs sociaux de générer des fonds propres en vendant des HLM. En centre-ville, il faut prendre des précautions pour éviter les problèmes de copropriété. Mais, dès lors que cette précaution est prise, cela fonctionne, c'est évident. Les personnes qui y habitent ne sont pas les mêmes, elles n'ont pas les mêmes revenus. Mais dans les quartiers plus délicats, cela ne fonctionne pas. Quant à la vente sur dix ans, cela ne se concrétise même pas en dix ans, car cela coince complètement.

Mme Audrey Linkenheld. - Je voulais également faire une distinction entre les différents types de désordres. Je suis depuis longtemps convaincue qu'être copropriétaire ne s'improvise pas. C'est ce que vous avez tous dit, d'ailleurs. À mon sens, notre sujet n'est pas tant la question générale des copropriétés dégradées que celle de la paupérisation des copropriétés. On parle surtout des petites copropriétés pour lesquelles, comme vous l'avez souligné dans vos interventions, et comme cela a été rappelé en introduction, on a le sentiment de manquer d'outils. Cela ne veut pas dire que c'est facile pour les grandes copropriétés paupérisées, mais les outils qui ont été progressivement mis en place dans l'arsenal législatif et réglementaire leur conviennent mieux qu'aux petites copropriétés.

Celles-ci échappent assez largement au débat qui vient de s'ouvrir sur la vente HLM. En général, cela ne se fait pas dans une petite copropriété, mais plutôt dans les moyennes et grandes copropriétés. Je n'ai pas de position tranchée sur cette question. J'ai toujours eu une approche assez pragmatique sur la vente HLM. Je pense que ce n'est pas le bon moyen de redonner de l'argent aux bailleurs sociaux, car leur demander de réhabiliter avant de vendre, c'est tout simplement freiner la vente. Une fois que le bailleur a investi de l'argent dans un bâtiment et l'a réhabilité, quel est son intérêt de le vendre ? D'autant qu'il le vend généralement à des tarifs relativement bas puisqu'il le vend à ses locataires avec des décotes, etc. C'est un peu le serpent qui se mord la queue...

Je ne crois pas que ce soit mauvais de mélanger du privé et du social. Interdire une vente HLM parce qu'elle crée de la copropriété ne me semble pas un argument fondé. En tant qu'élue locale, j'ai souvent favorisé la mixité, que ce soit avant ou après la vente HLM. Il faut simplement être vigilant dans la manière dont on gère une copropriété dans laquelle il y a de la mixité, et être attentif à la place qu'on donne aux bailleurs sociaux. Il faudrait peut-être faire en sorte que leur place soit plutôt majoritaire que minoritaire, et ne pas être totalement naïf sur le fait que, parce qu'on est bailleur social, on est automatiquement un très bon syndic de copropriété. Mais c'est un débat que nous avons déjà eu.

Je reviens au coeur de notre sujet, qui concerne plutôt les petites copropriétés. Je trouve intéressant ce que vous avez dit sur les architectes, non tant dans le lien avec les maires que dans le lien avec les syndics. Dans les petites copropriétés, si on veut ne pas intervenir quand l'arrêté de péril est déjà prononcé, il faut intervenir en amont. Avec qui dialogue-t-on ? Avec le conseil syndical, qu'il soit bénévole, libre, professionnel ou autre. C'est là que doit pouvoir se nouer un dialogue. Marseille et Lille, ce n'est pas du tout pareil : les effondrements survenus à Lille ne sont pas dus à un mauvais entretien ni à de la dégradation par des marchands de sommeil, comme à Marseille. Ce sont des bâtiments du XVIIe ou du XVIIIe siècle qui, avec le temps, ont subi des interventions, lesquelles ont fini par fragiliser l'édifice. Mais les propriétaires d'aujourd'hui sont des gens tout à fait convenables qui, malheureusement, sont les premières victimes de cet état de choses, car rien ne laissait penser que l'immeuble allait s'effondrer d'un coup.

Pour anticiper, avant que ne soient rendus obligatoires les diagnostics structurels tous les dix ans, il aurait fallu favoriser un dialogue un peu différent entre les architectes qui accompagnent les copropriétaires et les syndics. De ce point de vue, cela n'aide pas que les seuls architectes dont les copropriétaires ou les syndics aient connaissance soient les ABF. Je ne les mets certes pas tous dans le même panier, et je ne suis pas favorable à leur suppression. Mais ils sont trop souvent le seul interlocuteur, voire un interlocuteur difficile, parce qu'il méconnaît souvent les impacts des conseils qu'il peut donner. Ce qui est compliqué pour les copropriétaires, c'est qu'ils sont souvent propriétaires depuis peu. Même s'ils le sont depuis dix ou vingt ans, ce n'est pas eux qui ont construit l'immeuble, qui date d'un, de deux ou de trois siècles. Ils ne sont donc pas responsables, ils ne font que récupérer toutes les contraintes. Il faut donc faire preuve de pédagogie.

Vous êtes bien placés pour apporter cette pédagogie, et ce le plus en amont possible. Comment construire cette relation ? Elle ne passe pas nécessairement par les collectivités à ce stade, bien que nous puissions être des intermédiaires, mais je pense qu'il y a matière à réflexion. Nous savons que ces petites copropriétés ne sont pas celles qui font spontanément appel à des architectes, pas plus qu'elles ne font spontanément appel à des syndics professionnels.

M. Alexandre Vitry. - Vous évoquez la place de l'architecte. Je pense qu'il faut conserver le cloisonnement, préserver le rôle des uns des autres et, surtout, nous valoriser. Même si le CNOA fait un gros travail, la profession d'architecte arrive toujours derrière celle des ingénieurs. Il nous arrive, sur un chantier, qu'on nous demande ce que nous faisons là, dès lors qu'il y a un chef de chantier sur place ! La collectivité doit aider le CNOA à mettre en avant sa capacité à aider les copropriétés.

Mme Valérie Flicoteaux. - Il est essentiel de soutenir davantage l'accompagnement des études dans les projets de rénovation, voire de les imposer. Une intervention bien planifiée et calibrée peut entraîner des évolutions techniques bénéfiques pour les bâtiments. Ainsi, financer des études, même coûteuses, est un investissement judicieux pour éviter des travaux mal calibrés qui pourraient coûter encore plus cher à long terme.

Un problème majeur réside dans le fait que le monopole de l'architecte ne s'applique actuellement qu'aux permis de construire, ce qui signifie que de nombreux travaux de rénovation échappent à son expertise, car ils ne requièrent qu'une déclaration préalable. Cela peut entraîner des interventions fragmentées et limitées, sans la vision globale et l'accompagnement nécessaires pour garantir le succès du projet.

En outre, il existe une réticence en France à valoriser la prestation intellectuelle, notamment en ce qui concerne les études. Les gens ont tendance à préférer payer pour des matériaux concrets comme le béton plutôt que pour des études, car ces dernières peuvent sembler abstraites et coûteuses. La puissance publique pourrait jouer un rôle crucial en sensibilisant à l'importance des études et en encourageant leur financement. D'ailleurs, le programme Actee ne finance pas de travaux, uniquement des études.

Les études sur les bâtiments nécessitent une approche pluridisciplinaire : il s'agit aussi bien d'économies d'énergie que de structure ou d'écologie. Les architectes sont souvent les seuls à avoir une vision globale du projet et à pouvoir coordonner une équipe multidisciplinaire. Leur rôle va au-delà de la simple conception technique ; ils sont également chargés de convaincre et d'accompagner les parties prenantes tout au long du projet. Ainsi, encourager le recours à des équipes pluridisciplinaires dirigées par des architectes peut garantir le succès et la durabilité des projets de rénovation.

Mme Laure-Anne Geoffroy-Duprez. - En effet, nous avons certes un rôle technique, mais nous avons essentiellement un rôle de conseil, de sensibilisation, d'accompagnement. Nous pouvons mener des ateliers avec les copropriétaires, créer un lien avec les intervenants. Quand on a une voiture, il faut passer un contrôle technique ; en matière de santé, on incite très fortement à faire des contrôles réguliers. Pourquoi n'en irait-il pas de même pour nos bâtiments ? Une visite régulière d'un architecte, ou en tout cas d'un sachant, avec un regard large, permettrait de ne pas attendre qu'il y ait une problématique, mais d'anticiper et d'intervenir en amont sur nos bâtiments.

M. Laurent Burgoa. - Sénateur du Gard, j'ai été, pendant deux mandats, adjoint au maire de Nîmes, en charge de la rénovation urbaine, de la politique de la ville et du logement social.

Les interventions sur les copropriétés sont complexes techniquement, administrativement, financièrement. Elles sont aussi lourdes à porter dans le temps. On est en pleine période de simplification administrative : c'est dans l'air du temps et nous allons bientôt examiner un texte sur le sujet. Nous sommes demandeurs dans ce domaine : avez-vous des préconisations pour simplifier ces procédures ? Vous avez raison, monsieur le directeur, ces dossiers s'étendent trop dans le temps. Un plan de sauvegarde nécessite dix à vingt ans, par exemple. Comment simplifier et améliorer l'intervention des pouvoirs publics en la matière ?

Mme Valérie Flicoteaux. - Cela nous amène à la question de l'accompagnement et de la contrainte. Sauf situations complexes, avec intervention de l'État, il n'y pas de contrainte aujourd'hui dans la rénovation des petites copropriétés. Faut-il aller jusque-là, quitte à accepter de prendre en charge la totalité des travaux pour les copropriétaires les plus en difficulté ? Certains le demandent - je suppose que la Fondation Abbé Pierre vous en a parlé. Si l'on va jusqu'à 100 % de financement de travaux, cela signifie qu'on peut s'autoriser de la contrainte. Mais, en France, contraindre le droit de propriété est extrêmement délicat, voire impossible.

M. Laurent Peinaud. - On a toujours ce débat sur la contrainte, mais les plans pluriannuels de travaux, dont je parlais à l'instant, sont obligatoires. Simplement, il n'y a pas de vrais contrôles. On doit produire ce document sur demande des autorités, si celles-ci ont été alertées. Il serait très utile, et assez simple, de collecter les informations. L'un des handicaps, pour les petites copropriétés, c'est qu'elles sont à peu près invisibles. Elles ne se voient pas dans le paysage. Nous avons l'occasion, avec cet outil législatif, d'en avoir une connaissance suffisamment fine, car ce plan permet d'évaluer le poids estimé par des tiers, et de voir où il faut agir en priorité. Les remontées d'informations issues de ce plan pluriannuel standard, sur 10 ans, permettraient de compléter sensiblement le paysage et d'anticiper mieux les difficultés, avant que la copropriété ne parte à la dérive jusqu'à un point où elle sera quasi impossible à rattraper, ou alors à grands frais. Par exemple, pour un patrimoine ancien, si on vous annonce un programme de travaux relativement réduit sur 10 ans, cela pose question. D'autant plus qu'il y a une obligation pour les copropriétés de provisionner 2,5 % par an...

Il ne s'agit pas d'aller pister, mais de disposer de l'information existante. Aujourd'hui, nombre de copropriétés sortent complètement du radar, soit parce qu'elles n'ont pas de syndic, soit parce qu'elles n'ont pas d'architecte et ne sont pas connues des collectivités locales. Celles-ci ne peuvent pas connaître toutes les copropriétés, surtout dans certains périmètres géographiques à très forte densité. Ce sont celles qui n'ont pas de syndic qu'on connaît le moins, alors que ce sont elles qui sont le plus en danger. Sans syndic, elles sont en errance et abandonnées aux choix de copropriétaires souvent très mal informés.

Une démarche simple, sans être trop lourde, serait de demander à ceux qui élaborent les plans pluriannuels de travaux de faire remonter quelques informations-clés, permettant aux collectivités territoriales, voire à d'autres acteurs, d'identifier rapidement les problèmes potentiels et de les anticiper. Car une fois que les difficultés surviennent, il est trop tard. La provision qui en découlerait, prévue par la loi, de 2,5 % sur 10 ans, représente 25 %. Cela ne couvre peut-être pas la totalité des dépenses, mais cela garantit que la copropriété a tout de même provisionné.

Ces mesures assez simples pourraient être traitées de manière très mécanique, en utilisant un peu d'intelligence artificielle, ou du moins une intelligence humaine rendue artificielle, pour aider toutes les parties prenantes à obtenir cette visibilité. Car rien n'est pire que de proposer un texte, d'imaginer de nombreuses bonnes solutions, pour finalement ne pas pouvoir cibler l'objet du texte. Il serait intéressant de contraindre ceux qui élaborent les plans pluriannuels de travaux patrimoniaux à les publier en ligne et à créer une plateforme permettant de collecter ces informations, accessible aux pouvoirs publics et autres.

Mme Éva Simon. - Je souhaiterais apporter deux réponses concernant la simplification. Je commence par la veille et tous les dispositifs mis en place avant l'apparition des difficultés. Les recherches en sciences sociales révèlent presque systématiquement qu'à côté d'une copropriété en grande difficulté se trouve une autre copropriété construite au même moment et souffrant des mêmes problèmes, mais qui a su résister. Par exemple, sur le plateau de Clichy-Montfermeil, près du Chêne Pointu, nous trouvons des copropriétés habitées par des ménages très modestes, mais stables et nécessitant un peu d'aide pour se rénover, sans pour autant être considérées comme des copropriétés en difficulté. Ces copropriétés ont survécu grâce à un conseil syndical, un syndic, mais aussi, souvent, grâce à des associations, à un accès à la formation, et à une mobilisation opportune des collectivités locales et des avocats.

Être copropriétaire ne s'improvise pas, en effet, madame la sénatrice. Mais la recherche en sciences sociales démontre qu'il existe de nombreux acteurs capables de soutenir le développement des compétences des copropriétaires, même parmi les ménages les plus défavorisés, notamment dans les quartiers prioritaires de la ville, où les ménages peuvent être peu familiarisés avec le français. Si ces ménages disposent d'interlocuteurs prêts à leur expliquer le fonctionnement d'une copropriété, la lecture des comptes, etc., ils peuvent développer de véritables compétences. Souvent, leur logement est leur seul bien, leur seule richesse à transmettre à leurs enfants, et ils sont prêts à y consacrer beaucoup de temps. Nombre d'entre eux possèdent également des compétences, que ce soit en gestion ou en techniques, car dans ces copropriétés, on trouve souvent des ouvriers du bâtiment. Ces personnes sont prêtes à mettre leurs compétences et leur temps à disposition. Ainsi, il est essentiel d'intervenir en amont, d'où l'importance de la formation des professionnels, mais aussi de la formation et du soutien des personnes, ainsi que du rôle crucial des associations et des structures publiques d'aide et de conseil. L'offre est très inégale sur le territoire, ce qui a joué un rôle déterminant.

Le deuxième volet de simplification que nous n'avons pas abordé concerne les nouvelles constructions. Actuellement, la tendance est de créer des copropriétés au sein d'une association syndicale autorisée (ASA) ou d'une association foncière urbaine libre (Aful). Ce processus n'est pas simple. Un excellent guide élaboré par le Centre de ressources de gestion urbaine et sociale de proximité (GUSP) de Grenoble-Alpes Métropole souligne l'importance d'anticiper les questions de gestion lors de la construction. Il cite des exemples récents où des constructions ont abouti à des situations catastrophiques, dans lesquelles entretenir une simple chaudière nécessite des démarches compliquées. La moindre complication risque de plonger la copropriété dans des difficultés rapidement. Il est donc primordial de simplifier les choses dans les nouvelles constructions, tout en tenant compte des enjeux de développement durable et de mutualisation des équipements au niveau des quartiers. La mutualisation, toutefois, pose des défis en matière de formation des professionnels et des copropriétaires, ainsi que des questions financières et de gestion. Cela peut fonctionner, mais c'est un risque supplémentaire à prendre en compte.

M. Philippe Estingoy. - Il y a des enjeux liés aux règles de décision en copropriété et aux règles d'organisation des assemblées générales, qu'il faut pouvoir tenir de façon plus fréquente. Cela ferait gagner beaucoup de temps, mais les règles de décision en copropriété interrogent le droit de la propriété... Il faut mettre la question sur la table : cela fait 40 ans qu'on se dit cela et que rien ne change.

Il existe toutefois des outils qui peuvent être tout à fait intéressants dans certaines circonstances : les opérations d'urbanisme et les établissements publics d'aménagement, avec le droit de préemption. Ces outils peuvent être relativement lents à utiliser, mais ils ont une certaine puissance : une fois qu'on a commencé à avancer, cela finit par fonctionner. À Saint-Étienne, un établissement public d'aménagement dont j'étais administrateur a ainsi fini par traiter les propriétés dégradées du centre-ville, ce qui a permis d'éviter des effondrements spontanés.

M. Alexandre Vitry. - La remontée d'informations serait vertueuse et nécessaire. Mais il faut cadrer et structurer le plan pluriannuel de travaux, afin que l'information soit simple à lire.

Oui, madame la sénatrice, la paupérisation concerne aussi les petites copropriétés, qui ne sont pas protégées de l'augmentation du coût de l'énergie et de celui des travaux. Quand de petits retraités doivent financer des travaux lourds dans du bâtiment ancien, ils sont conduits à vendre et ils se paupérisent.

Mme Valérie Flicoteaux. - Nous n'avons pas évoqué les banquiers. Le système de financement des travaux est assez ancien et peu innovant, alors que de nombreux dispositifs existent. Nous parlons du rapport à la propriété et à la copropriété, mais il est envisageable d'adopter une approche différente de la propriété. Je pense notamment à la dissociation du bâti et du foncier, qui s'applique actuellement au bâti-foncier, mais on pourrait considérer les murs comme une forme de foncier à part entière, ouvrant ainsi la voie à de nouvelles formes de copropriété et peut-être à un accompagnement plus public, permettant d'élargir le champ d'action. Nous parlions de synergies entre différents acteurs, mais si les autorités publiques ne fournissent pas un accompagnement adéquat, que ce soit au travers des ABF ou d'autres structures adaptées, il est difficile d'avancer.

Nous avons des échanges avec des notaires et avec la Caisse des dépôts et consignations (CDC), car il est important que ces professionnels se montrent proactifs et puissent fournir un soutien. L'une de vos questions portait sur la nouvelle capacité à emprunter collectivement, mais nous n'avons pas de retour à ce sujet. Combien de banques seront disposées à accorder ces prêts ? Si l'État ne les sollicite pas, comment pourrons-nous les amener à la table des négociations ? C'est une question qui fait partie de nos réflexions, même si elle sort quelque peu du domaine de l'architecture qui nous concerne directement.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Vous sortez peut-être du champ de l'architecture, mais pas du tout de notre sujet ! Nous avons récemment convoqué des banquiers, avec lesquels nous avons évoqué la piste de la dissociation entre foncier et bâti.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Claire Doniau prête serment.

Mme Claire Douniau, vice-présidente de la Compagnie des architectes de copropriété. - Je suis vice-présidente de la Compagnie des architectes de copropriété...

Le règlement de copropriété fait que les travaux sont souvent votés par bâtiment. Très souvent, il y a un parent pauvre, qui ne peut pas suivre, et qui est le seul à ne pas bénéficier de toutes les capacités des autres immeubles.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Merci à tous.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de M. Gilles Bouvelot, directeur général de l'établissement public foncier d'Île-de-France (Epfif), Mme Sophie Lafenêtre,
directrice générale de l'établissement public foncier d'Occitanie (en téléconférence) et Mme Léa Makarem, présidente exécutive de la Sifae

(Mardi 14 mai 2024)

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Madame et monsieur les directeurs généraux, madame la présidente, madame la rapporteure, mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux en recevant M. Gilles Bouvelot, directeur général de l'établissement public foncier d'Île-de-France (Epfif), Mme Sophie Lafenêtre, directrice générale de l'établissement public foncier d'Occitanie et Mme Léa Makarem, présidente exécutive de la société immobilière et foncière d'Action Logement et de l'Epfif (Sifae), qui intervient aux côtés des collectivités locales pour la requalification des secteurs pavillonnaires dégradés.

En préambule, je souhaiterais que vous nous expliquiez comment les établissements publics fonciers (EPF), en Île-de-France et en Occitanie, interviennent pour lutter contre la dégradation des copropriétés et agissent pour leur redressement. À quel moment intervenez-vous ? À quelles situations êtes-vous confrontés ? Quels sont alors les remèdes mis en oeuvre ? Pensez-vous qu'une intervention plus précoce, fondée sur la détection en amont des difficultés, aurait pu faciliter les choses et réduire les coûts ? Avez-vous des propositions à faire à ce sujet ?

Vous assurez la conduite de plusieurs opérations de requalification des copropriétés dégradées d'intérêt national (Orcod-IN). Ces opérations nécessitent l'action d'un large panel d'acteurs pour mener à bien la réhabilitation de quartiers parfois très dégradés, où résident des populations en grande difficulté sociale. Après le vote de la loi du 9 avril 2024 visant à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé, dite « loi Habitat dégradé », considérez-vous qu'il existe encore des pistes d'amélioration envisageables au niveau tant réglementaire que législatif ? L'accompagnement social des populations fragiles est-il systématique dans le cadre de ces opérations ? Comment celui-ci se concrétise-t-il ?

Bien souvent, l'état de certaines copropriétés implique le rachat des biens des copropriétaires en difficulté, qui ne peuvent régler leurs charges et laissent ainsi une dette très élevée. L'estimation de la valeur de ces biens est réalisée par France Domaine. Ces évaluations vous posent-elles parfois des problèmes, au point, par exemple, de mettre à mal l'équilibre financier de certaines opérations ?

Concernant vos ressources financières, la loi Habitat dégradé offre la possibilité d'un déplafonnement de la taxe spéciale d'équipement (TSE). Avez-vous déjà une idée des effets concrets que cette réforme aura sur vos capacités de financement ?

Il nous serait également utile de vous entendre sur la question du relogement des habitants. La loi précitée vous donne-t-elle des solutions suffisamment opérationnelles- je pense à la possibilité de recourir à des hébergements temporaires ?

À côté des grands ensembles en difficulté, bien identifiés, et sur lesquels les dispositifs de l'État se concentrent, notre commission d'enquête veut mettre en lumière la problématique des petites copropriétés. Comment celle-ci est-elle prise en compte par les EPF ? Ces dispositifs sont-ils les outils idoines pour cette mission ? Permettent-ils d'aider les collectivités locales, y compris dans les petites communes, voire en zone rurale ?

Je souhaite également profiter de la présence de Mme Léa Makarem, présidente de la Sifae, pour aborder les spécificités des zones pavillonnaires. Plusieurs interlocuteurs nous ont parlé du développement de divisions pavillonnaires et d'un essor des marchands de sommeil en Île-de-France à côté des grands ensembles. Au-delà de cette dérive, les divisions entraînent-elles parfois la constitution de copropriétés dans des bâtiments qui n'étaient pas conçus à cette fin et dans lesquels les propriétaires n'ont pas conscience de relever de la loi de 1965 ?

Par ailleurs, les lotissements ont souvent été organisés sous la forme d'associations syndicales libres (ASL). Quels sont les problèmes spécifiques liés à ces ensembles ? Lors de l'examen du projet de loi sur l'habitat dégradé, plusieurs de nos collègues sénateurs ont attiré notre attention sur le fait que ces ASL n'étaient pas immatriculées au registre national d'immatriculation des copropriétés (RNIC) et n'étaient pas éligibles aux aides de l'Agence nationale de l'habitat (Anah). Confirmez-vous ces difficultés et le manque d'informations les concernant ? Comment pourrait-on remédier à cette situation ?

Avant de vous céder la parole pour répondre à ces premières questions dans le cadre d'un propos introductif d'environ dix minutes, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat, et qu'un compte rendu sera publié.

Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Gilles Bouvelot, Mme Léa Makarem et Mme Sophie Lafenêtre prêtent serment.

M. Gilles Bouvelot, directeur général de l'établissement public foncier d'Île-de-France (Epfif). - Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d'abord de vous remercier de cette audition, qui me permet de témoigner de notre expérience des grandes copropriétés dégradées en Île-de-France, qui sont concernées par des Orcod d'intérêt national.

Pour rappel, la France compte une trentaine d'EPF au total. Il s'agit d'opérateurs fonciers, qui ont vocation à céder les terrains qu'ils ont acquis et gérés. Il s'agit en somme de « transformateurs » et non de bailleurs sociaux ou d'aménageurs.

En règle générale, le foncier que ces établissements « portent » est constitué de friches, une tendance qui s'est accentuée depuis la mise en oeuvre du « zéro artificialisation nette » (ZAN) : nous gérons beaucoup de terrains urbains, souvent bâtis, et quasiment plus d'espaces naturels ; il s'agit de plus en plus d'immeubles en monopropriété ou en copropriété, qui sont destinés à être transformés en logements sociaux. Beaucoup d'opérations se déroulant en Île-de-France sont réalisées aujourd'hui selon ces modalités.

À cet égard, la loi Habitat dégradé nous offre un certain nombre d'outils et nous donne des perspectives intéressantes dans le cadre de notre activité traditionnelle de mobilisation du foncier pour le compte des collectivités que nous assistons.

En créant les Orcod, et plus spécifiquement les Orcod d'intérêt national, définis par décret en Conseil d'État au regard de certains critères de gravité, la loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, dite « loi Alur », a confié aux EPF d'État, en plus de leur mission d'opérateur foncier, un rôle d'aménageur, au sens du code de l'urbanisme, un rôle de pilote et d'ensemblier d'une démarche qui est, par nature, assez complexe et implique beaucoup d'acteurs, ainsi qu'un rôle de financeur de ces opérations de requalification grâce à la mobilisation d'une partie de notre ressource fiscale qui résulte, comme vous le savez, de la taxe spéciale d'équipement.

Il existe quatre Orcod-IN en Île-de-France, les deux plus importantes étant celles de Clichy-sous-Bois et de Grigny, communes dont votre commission a d'ailleurs auditionné les maires le mois dernier. Ces opérations concernent de grands ensembles : d'une part, ceux, massifs, des années 1970, qui posent des problèmes de sécurité, sans pour autant soulever des problèmes d'insalubrité plus classiques et, d'autre part, de petites copropriétés dans les coeurs de ville, de plus petite taille, souvent construites dans les années 1900, dont l'état de dégradation ou d'insalubrité les expose à des arrêtés de péril - je vous renvoie à cet égard aux exemples cités dans le rapport Hanotin-Lutz, dont une grande partie des recommandations ont été reprises dans la loi Habitat dégradé.

Notre diagnostic de ces copropriétés est limpide : nous observons tout d'abord un état de dégradation du bâti important, un foncier en mauvais état, parce qu'il n'a pas été bien géré pendant des décennies. C'est notamment le cas à Clichy-sous-Bois, dans la mesure où ce grand ensemble souffrait aussi de nombreuses malfaçons - il est concerné par un arrêté de péril en raison de son manque de solidité. Nous constatons également l'essor des phénomènes de pauvreté : plus de 40 % des ménages résidant dans ces ensembles vivent, dans des proportions variables selon les immeubles, sous le seuil de pauvreté. Enfin, ces copropriétés se caractérisent par un taux élevé de propriétaires bailleurs : il s'élève à 80 % à Clichy-sous-Bois et atteint 50 % à Grigny ; parmi ces propriétaires bailleurs, la proportion de marchands de sommeil est en outre significative.

Il est par ailleurs à noter que la valeur de ces logements s'est érodée avec le temps. Un logement de taille moyenne à Clichy-sous-Bois ou à Grigny vaut environ 60 000 euros. Dans les Orcod-IN de Villepinte et de Mantes-la-Jolie, la valeur des logements est légèrement supérieure, car le bâti est moins dégradé. En tout état de cause, le marché locatif est inexistant, si ce n'est pour les marchands de sommeil, que nous nous sommes efforcés de cibler prioritairement dans le cadre de nos interventions, tout simplement parce qu'ils se livrent à un business juteux et quasi mafieux.

Les opérations que nous menons sont assez lourdes, puisqu'elles impliquent l'intervention et, donc, la coordination de nombreux acteurs. Au-delà de l'achat des logements à proprement parler, une acquisition que nous faisons d'abord lot par lot, puis dans le cadre de déclarations d'utilité publique - cette intervention de nature foncière et immobilière s'inscrit dans les missions traditionnelles d'un EPF -, notre action repose sur un accompagnement social massif, qui vise notamment à assurer le relogement des ménages concernés, lesquels sont parfois composés de personnes en situation irrégulière, qui plus est victimes de marchands de sommeil. Nous élaborons à cette occasion une charte destinée à lutter contre l'habitat indigne prévoyant la mise en place de procédures spécifiques.

Nous agissons également en faveur des copropriétés, qui ne sont pas concernées par ce recyclage foncier, en mettant en oeuvre des plans de sauvegarde dans le cadre de conventions signées avec l'Anah et, éventuellement, des opérations programmées d'amélioration de l'habitat (Opah). Je précise qu'une Orcod, dès lors qu'elle constitue un vaste projet urbain et s'apparente à une opération d'aménagement, s'inscrit aussi dans le cadre d'un nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU). Vous le constatez, les Orcod nous permettent d'actionner un grand nombre de leviers.

La gouvernance des opérations de requalification est assez complexe. Il existe cependant un comité de pilotage associant l'ensemble des acteurs. Nous ne pouvons que nous féliciter du partenariat fructueux noué entre les différents intervenants, qu'il s'agisse d'Action Logement, de l'Anah, des collectivités locales, de l'Agence régionale de santé (ARS), de l'Union sociale pour l'habitat d'Île-de-France (Aorif) ou de la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Un pilotage plus restreint réunissant la commune, l'État et l'EPF est également prévu. La direction de projet nous est confiée : elle a pour objet de garantir une bonne coordination des interventions de chacun.

Pour être tout à fait complet au sujet des quatre Orcod-IN d'Île-de-France, je vous livre quelques chiffres. L'Epfif a acquis 2 555 lots au total, c'est-à-dire que nous avons atteint environ 60 % de notre objectif.

Pour ce qui est de l'Orcod de Clichy-sous-Bois plus particulièrement, sachez que nous avons procédé à 1 200 démolitions et que 1 500 logements ont été recréés dans une perspective naturellement plus contemporaine de l'aménagement urbain, puisque des espaces verts et des commerces au pied d'immeuble ont été conçus. Sur les pourtours de l'opération de requalification stricto sensu, nous accompagnons certaines copropriétés, soumises à un simple plan de sauvegarde, tout simplement parce que leur état ne nécessite pas que l'on recoure à une intervention de plus grande ampleur. Dans le reste du périmètre, nous aidons les copropriétés à se redresser financièrement - nous achetons, dans cette perspective, 10 à 15 % des logements au sein de la copropriété visée. En somme, les Orcod permettent non seulement de reloger des ménages, mais aussi de stabiliser les comptes des copropriétés qui peuvent encore être sauvées.

Au total, dans le cadre des quatre Orcod-IN franciliennes, 650 ménages ont déjà été relogés ; quarante et un plans de sauvegarde, dont vingt-sept dans le cadre de la seule Orcod-IN de Grigny, sont en cours.

Dès que nous prenons possession des logements, nous réalisons des travaux de sécurité s'ils s'avèrent nécessaires, travaux qui sont financés à 100 % dans le cadre de l'opération. Nous parvenons également à financer la quasi-totalité des travaux d'aménagement et d'amélioration des logements conservés dans le cadre des plans de sauvegarde, grâce aux aides de l'Anah ou au dispositif +X apporté directement par l'Epfif. Ces aides représentent la quasi-totalité du coût de l'opération, avec un reste à charge minime pour le copropriétaire représentant environ la somme due au titre de la TVA et possiblement les frais financiers.

Pour gérer ces quatre opérations de requalification, l'Epfif s'est doté d'une direction générale spécifique, dont dépendent quatre agences qui sont sur le terrain, et qui mobilise une dizaine de personnes. Nous avons aussi créé un centre de ressources, qui apporte son expertise tant à nos collègues des établissements publics fonciers locaux qu'à tout opérateur ou toute collectivité qui entend mener une Orcod. Ce centre est extrêmement sollicité : il fournit moult documents et assure des formations ; il a vocation à apporter éventuellement des solutions sur le terrain, sans pour autant prétendre jouer le rôle d'assistance à maîtrise d'ouvrage (AMO).

Vous m'interrogez, madame la présidente, sur l'accompagnement social que nous délivrons aux populations fragiles dans le cadre des Orcod-IN. Sachez que les locataires sont maintenus en place jusqu'à ce que leur logement soit démoli. Nous laissons aux propriétaires occupants une liberté de choix totale : ils peuvent choisir une vente libre ou décider de rester dans leur logement en attendant d'être relogés ailleurs. Nous avons en outre mis en place un dispositif de location-réaccession, qui doit permettre aux propriétaires occupants qui vendent un logement dont la valeur a beaucoup chuté, de racheter un logement réhabilité, ce qui leur permet de bénéficier de travaux financés par la puissance publique. Ce dispositif, en cours d'expérimentation, me semble intéressant : de nombreux propriétaires vivent dans ces quartiers depuis plus de trente ans et souhaitent y rester.

J'ajoute que nous avons engagé des opérations de maîtrise d'oeuvre urbaine et sociale (Mous), qui offrent un accompagnement spécifique aux familles qui souhaitent constituer un dossier auprès de la caisse d'allocations familiales (CAF), un dossier de surendettement, ou qui veulent bénéficier des aides du Fonds de solidarité pour le logement (FSL), notamment parce qu'elles éprouvent des difficultés financières pour se maintenir dans leur logement. Enfin, nous accompagnons les copropriétaires à travers un certain nombre de formations, notamment sur la meilleure manière de bien gérer une copropriété.

Le pilotage des Orcod-IN nous pose malgré tout quelques difficultés. Tout d'abord, ces opérations de requalification impliquent le déploiement de moyens significatifs : des moyens humains, mais aussi financiers. En moyenne, dans le cadre des Orcod, le montant des aides publiques - TSE, aides de l'Anah, aides de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) - s'élève à environ 120 000 euros par logement, dont un bon tiers est consacré à l'ingénierie, notamment sociale. Un tel chiffre est probablement transposable aux plus petites copropriétés se situant dans les coeurs de ville, dans la mesure où elles sont confrontées à des problèmes similaires.

Le relogement des occupants reste difficile à mettre en oeuvre, en particulier en dehors du site concerné par la requalification, car il faut alors prélever des logements sur le contingent social existant. Or, si l'on prend l'exemple du département de la Seine-Saint-Denis, on s'aperçoit que ce contingent est déjà saturé, notamment par les opérations Anru et les relogements relevant du droit au logement opposable (Dalo). Cette problématique est susceptible de ralentir les opérations, même si des protocoles ont été mis en place avec les bailleurs sociaux.

Je n'oublie pas la question du manque de moyens de la justice : nous manquons notamment de juges de l'expropriation pour faciliter les interventions, dans le cadre des Orcod-IN notamment.

Vous m'interrogez également, madame la présidente, sur la prise en compte des petites copropriétés des coeurs de ville par les EPF.

En cas de recyclage foncier, l'intervention des EPF est strictement foncière et s'inscrit dans le cadre d'une convention signée avec la collectivité locale. La loi Habitat dégradé nous procure des outils intéressants, notamment la possibilité de mettre en oeuvre une procédure de déclaration d'utilité publique (DUP) et, donc, d'expropriation, en amont, avant que la situation ne se dégrade. Pour bien faire, il convient d'abord de recourir aux outils régaliens - je pense à la loi tendant à faciliter la suppression de l'habitat insalubre, dite « loi Vivien » -, avant de se lancer dans des opérations de maîtrise publique foncière ; en faisant l'inverse, on attire les marchands de sommeil, et la puissance publique se transforme elle-même en marchand de sommeil pour avoir acheté trop tôt... Il faut se méfier de cet écueil.

Si le portage foncier est destiné au redressement d'une copropriété, l'Epfif a tendance à créer des filiales, car nous estimons que ce n'est pas tout à fait notre coeur de métier. Nous nous associons aux bailleurs sociaux et à Action Logement pour les pavillons, à CDC Habitat pour les copropriétés.

En la matière, les besoins en ingénierie, en particulier technique, sont énormes. Les communes, notamment les plus petites, s'appuient sur l'expertise des EPF ou encore celle des sociétés d'économie mixte (SEM) pour la gestion d'un site et le lancement des procédures. En revanche, elles doivent la plupart du temps faire appel à des financements extérieurs pour combler leurs besoins en ingénierie sociale.

Vous le suggériez dans votre propos liminaire, madame la présidente, la détection des difficultés en amont permet effectivement d'éviter, autant que faire se peut, les interventions chirurgicales de type Orcod-IN. D'une certaine manière, c'est la solution que nous appliquons sur les sites dont nous nous occupons et qui ne relèvent pas d'une opération de requalification.

La loi Habitat dégradé offre un large panel d'outils à notre disposition. Un certain nombre de mesures sont d'ailleurs inspirées de notre propre expérience, notamment la scission judiciaire des copropriétés et la procédure de prise de possession anticipée. Ces dispositifs nous permettent d'agir plus vite, sans attendre, par exemple, que le juge de l'expropriation ait statué.

Je l'ai déjà dit, nous assurons un accompagnement social de grande ampleur dans le cadre des Orcod-IN, même si je considère que les fonds de solidarité pour le logement des départements de la Seine-Saint-Denis et de l'Essonne ne sont pas forcément à la hauteur des enjeux.

Vous avez évoqué la question du rachat des biens. L'évaluation d'un logement par France Domaine tient compte de l'occupation effective ou non du logement, puisqu'il faut prendre en considération les frais de relogement. Certains propriétaires, qui avaient acheté leur bien il y a dix ans, possèdent effectivement un logement qui a perdu de la valeur. Cela étant, nous constatons que notre intervention contribue à interrompre la spirale de dégradation, y compris économique, de ces grands ensembles. Nous l'observons notamment à Clichy-sous-Bois où la baisse des prix s'est enrayée depuis le lancement de l'Orcod-IN.

Vous souhaitez m'entendre sur la question du relogement des habitants. Les procédures de relogement qui s'appuient sur les solutions temporaires prévues par la loi fonctionnent à petite échelle, mais sont inefficaces à une échelle comme celle des sites concernés par les Orcod-IN. Cet enjeu reste problématique et complexe à gérer.

Pour ce qui est des petites copropriétés, je pense qu'il faut engager des démarches analogues à ce que nous faisons pour les grands ensembles. Cela étant, il faudra trouver les financements...

Pour terminer, permettez-moi d'aborder la question de la taxe spéciale d'équipement. Dans sa version initiale, le projet de loi Habitat dégradé prévoyait de plafonner à 5 euros par habitant la part de TSE pouvant être affectée par les EPF d'État dans le cadre des opérations de requalification, ce qui représentait pour la région francilienne un peu plus de 60 millions d'euros.

En Île-de-France, les administrateurs, tous confondus, ont accepté, après que nous avons constaté que ces 60 millions d'euros ne suffisaient plus, de voter une part de TSE supplémentaire pour qu'aucun prélèvement ne soit effectué sur l'activité ordinaire, qui reste essentielle : cette part de TSE est donc passée de 5 à 15 euros - 14 euros aujourd'hui.

Nous avions anticipé ce vote, puisque le conseil d'administration de l'Epfif a prévu un budget dans lequel les ressources tirées de la TSE représentent 6 euros par habitant. Il sera difficile d'aller au-delà de ce montant, sauf à obérer les autres opérations conduites sur les friches, y compris dans les coeurs de ville.

Mme Sophie Lafenêtre, directrice générale de l'établissement public foncier d'Occitanie. - Madame la présidente, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je ne compléterai que très partiellement les propos de Gilles Bouvelot, tout simplement parce que nous intervenons bien moins que l'Epfif sur les copropriétés dégradées.

En effet, nous agissons sur des territoires extrêmement différents et il nous est demandé en conséquence de travailler sur des thématiques très diversifiées. Ainsi, notre champ de compétence est vaste, allant du secteur économique aux risques, notamment le risque inondation.

En matière d'habitat, nous nous occupons bien évidemment de la revitalisation des centres anciens, ce qui représente une activité colossale dans une région qui regroupe treize départements ; nous sommes mobilisés sur les enjeux liés à la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU), sur les problématiques d'habitat spécifique, en particulier le logement des saisonniers, ainsi que sur celle de l'habitat dégradé, qui concerne majoritairement des logements individuels ou des monopropriétés dégradées.

Les copropriétés nous sollicitent essentiellement pour trois types d'interventions : il y a tout d'abord les interventions qui s'inscrivent dans le cadre du NPNRU). Je citerai les exemples de Muret dans la périphérie de Toulouse, du quartier de la Mosson à Montpellier, ou de l'ensemble du Portal à Nîmes. Dans ce cadre, notre mission est de droit commun : elle consiste à acquérir et à recycler des logements par démolition.

La deuxième source de sollicitations, nettement plus importante, concerne de petites copropriétés : on nous demande d'agir, soit dans le cadre de la revitalisation de centres anciens, soit dans le cadre d'interventions hors ANRU. Cela représente un volume d'interventions significatif, et toute la chaîne des acteurs est mobilisée. Ce chaînage est essentiel, puisque, je le rappelle, les établissements publics fonciers ont pour mission première d'être des porteurs transitoires : notre rôle est d'accélérer la réalisation d'un projet en assurant sa maîtrise foncière ou immobilière. Ce qui relève de la sortie, de la réhabilitation ou du réaménagement ne nous concerne théoriquement pas. Nous sommes censés pourvoir nous concentrer sur l'aspect procédural des interventions, la négociation et la gestion technique de ces opérations.

Dans ce cadre, la question de la maîtrise des polices de l'habitat se pose avec acuité : comment faire pour coller un arrêté de traitement de l'insalubrité ? Comment prescrire une interdiction temporaire ou définitive d'habiter ? Nous sommes évidemment appelés à cofinancer les études, même si le maître d'ouvrage reste la collectivité. Enfin, nous agissons en lien avec l'Anah : les logements acquis et réhabilités doivent-ils être maintenus dans la copropriété ou en sortir ?

Plus récemment, on a fait appel à nous pour piloter l'Orcod-IN d'un quartier de Nîmes, qui regroupe 1 600 logements sociaux, et sur lequel portait déjà un NPNRU. Dans ce cadre, nous sommes aménageurs, comme l'est l'EPF d'Île-de-France. Les enjeux sont les mêmes : empêcher la venue des marchands de sommeil, favoriser le relogement, sécuriser les copropriétés et prendre des mesures « anti-squat », assurer le recyclage partiel ou total de tout un ensemble, sachant que près de la moitié des 1 600 logements sociaux seront à recycler. L'autre moitié sera traitée via des plans de sauvegarde et sera concernée par des opérations de redressement ou des démolitions partielles - l'outil de scission figurant dans la loi Habitat dégradé est de ce point de vue extrêmement intéressant.

J'insiste, comme l'a fait Gilles Bouvelot sur le fait qu'il ne s'agissait pas là de notre mission première, puisque les EPF sont avant tout des porteurs transitoires. Ce rôle de gestionnaire qui nous échoit a un impact en termes de gestion des personnes et des biens et, donc, des incidences extrêmement importantes sur le plan administratif. D'une certaine manière, nous avons changé de métier : nous sommes chargés de la gestion patrimoniale et locative de ces logements, alors que nous ne sommes pas structurés comme un bailleur social pour gérer des rentrées locatives. Aussi sommes-nous obligés de mettre en place toute une série de mandats de gestion et de collaborations avec des partenaires - CDC Habitat, bailleurs sociaux - qui nous aident sur ce volet « gestion ».

Comme l'Epfif, nous avons créé une direction ad hoc, à laquelle nous avons confié le pilotage de l'Orcod-IN, mais uniquement pour ce qui concerne des aspects déjà traités dans le cadre d'opérations menées sur d'autres copropriétés. Nous nous appuyons également sur le centre de ressources géré par l'Epfif.

Pour mieux repérer les copropriétés en difficulté à l'échelle de l'Occitanie, nous avons développé un outil spécifique de qualification des copropriétés, en partenariat avec le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), qui permet de croiser les fichiers du RNIC, un certain nombre de données foncières et d'indicateurs territoriaux - niveau de vacance, dates de rénovation du bâti, proportion de propriétaires occupants : cet outil nous aide à obtenir rapidement une qualification très précise des copropriétés, des plus petites à des copropriétés d'une trentaine de lots. Nous avons mis cet instrument à la disposition des collectivités : il sert à démontrer le bien-fondé d'une potentielle intervention sur des copropriétés, qui ne souffrent pas forcément de paupérisation avancée, mais qui pourraient, à un moment donné, basculer.

S'agissant de la TSE, je rappelle que l'EPF d'Occitanie a pour mission d'intervenir dans le secteur de l'habitat - cela représente 70 % de ses engagements financiers -, de participer au développement économique du territoire - cette mission correspond à 20 % de son budget -et d'agir en matière de prévention des risques - pour 10 % de ses capacités financières restantes. Si l'on veut densifier les centres anciens et reconquérir des logements vacants, encore faut-il qu'on réduise le risque inondation, notamment par des aménagements hydrauliques en amont.

Avant le lancement de l'Orcod-IN de Nîmes, la part de TSE s'élevait à 6,4 euros par habitant en Occitanie. Un tiers de cette ressource fiscale a été budgétisé. La part affectée à l'Orcod-IN s'élève, elle, à 1,7 euro par habitant pour l'ensemble de la région. Aussi, la pression fiscale qui pèse sur la région reste-t-elle acceptable pour notre région.

En termes de financement, je partage le constat de Gilles Bouvelot : chaque nouveau retard, en particulier en cas de relogement nécessitant du gardiennage, fait grimper les coûts sur la partie travaux et gestion, alors que la copropriété se vide de plus en plus. La question de la TSE disponible par rapport à l'ensemble des actions à conduire à l'échelle de la région reste une équation compliquée quand vous ne disposez que de 1,70 euro par habitant.

En ce qui concerne l'Orcod, nous levons environ 7,5 millions d'euros par an pour une opération globale estimée à 180 millions d'euros. Pour maintenir ce niveau d'activité, il faudrait que nos ressources soient a minima préservées. Si l'on acquiert d'autres copropriétés du même acabit, nous aurons du mal à suivre et à maintenir les activités sur lesquelles nous sommes déjà engagés pour plusieurs années.

En matière de foncier, particulièrement en ce qui concerne les copropriétés, lorsque l'on « rentre » et que l'on commence à acquérir, ce n'est pas pour « sortir » au bout d'un an. Les actions de type revitalisation des centres anciens ou portage sur le développement économique en accompagnement emploi-logement font que nous ne pouvons pas récupérer nos fonds dans l'immédiat par des ventes. Nous avons donc besoin a minima de ressources pérennes. J'ai dimensionné l'activité en fonction de la TSE dont je dispose : si on nous demande d'aller beaucoup plus loin, nous devrons procéder à des arbitrages sur nos actions au sein des conseils d'administration.

Mme Léa Makarem, présidente exécutive de la Sifae (Société immobilière et foncière d'Action logement et de l'Epfif). - La Sifae est assez récente, puisqu'elle a été créée en 2021 par l'Établissement public foncier d'Île-de-France et Action Logement Immobilier, qui en sont actionnaires à 50 %.

Nous sommes partenaires d'une vingtaine de collectivités et participons à une démarche de lutte contre la dégradation de l'habitat, spécifiquement en tissu pavillonnaire. Nos partenariats prennent la forme, d'une part, de protocoles d'intervention avec des communes et, d'autre part, de conventions de coopération avec des établissements publics territoriaux (EPT). Ils consistent à identifier des propriétés privées dégradées, à les acquérir, puis à les transformer en logement social ou principalement en logement social et intermédiaire avec des bailleurs sociaux, après requalification et travaux de requalification.

Depuis trois ans, nous avons identifié avec ces collectivités près de 500 adresses présentant des caractéristiques d'indignité. Cette première étape permet de faire émerger une véritable problématique dans ces tissus, qui sont finalement peu connus, ou du moins rarement pris en compte dans les études urbaines et dans les diagnostics sur l'habitat. Pourtant, les communes avec lesquelles nous travaillons commencent à prendre la mesure de ce phénomène et à en payer le prix. Nous-mêmes, nous faisons assez quotidiennement le constat de la paupérisation de certains quartiers pavillonnaires, de la dégradation de l'habitat, de la baisse des valeurs à la revente, ainsi que du départ de propriétaires occupants au profit de propriétaires bailleurs, voire de marchands de sommeil.

Or les communes qui sont confrontées à cette problématique sont justement celles qui ont beaucoup investi dans leurs copropriétés dégradées, dans les grands quartiers d'habitats sociaux ou dans les centres anciens dégradés. S'il est assez difficile de décrypter les raisons de ce mécanisme de report, nous en faisons néanmoins le constat et ces quartiers sont finalement, en quelque sorte, l'angle mort des politiques de la ville.

Nous disposons d'assez peu de chiffres pour mesurer l'importance de cette paupérisation des tissus pavillonnaires. Selon le diagnostic régional francilien réalisé par la direction régionale et interdépartementale de l'hébergement et du logement (Drihl), il y avait 1 000 maisons potentiellement indignes en 2019 dans le périmètre des EPT les plus touchés, soit 4 000 à 5 000 propriétés privées concernées. Cette dimension est donc non négligeable et ce problème encore mal identifié.

L'enjeu est avant tout préventif : il s'agit d'enrayer le phénomène pour éviter que les quartiers pavillonnaires d'aujourd'hui deviennent les copropriétés dégradées de demain. De plus, ces divisions qui causent du mal-logement en locatif donnent aussi naissance à de petites copropriétés qui vivent assez mal. La vente à la découpe de ces pavillons est sans doute la pire des situations. Le risque est que, d'ici à quelques années, en plus du sujet technique et financier se pose celui du relogement, avec notamment des cas de suroccupation. La réponse de la Sifae est donc avant tout préventive. Elle permet de traiter des biens dégradés qui ont été transformés par leur propriétaire en logements aménagés dans des sous-sols ou dans des caves, et qui, du fait de ces divisions, sortent du marché classique de l'accession et ne peuvent être rachetés que par des bailleurs privés, voire par des marchands de sommeil.

L'objectif de la démarche est aussi d'attirer dans ces quartiers quasiment intégralement privés des bailleurs sociaux, qui sont censés investir massivement pour requalifier ces logements et créer une nouvelle offre de logements abordables. À ce jour, nous avons acquis ou sommes en train d'acquérir en Île-de-France 66 pavillons, qui donneront à terme, après les travaux de requalification, environ 150 logements.

Si nous répondons partiellement au problème, cette action reste selon nous insuffisante, dans certaines communes, pour enrayer le phénomène. Les moyens humains et financiers pour réaliser un traitement curatif ne peuvent pas reposer entièrement sur les collectivités. À certains égards, les quartiers pavillonnaires sont peut-être plus complexes encore à traiter que les copropriétés : dans ces quartiers, les collectivités font face à une multitude de propriétaires et n'ont pas l'intermédiaire ou l'interlocuteur référent que peuvent être le syndic, l'association de représentants de locataires ou le gestionnaire. En outre, le relevé des propriétés à traiter est complexe à établir, car, de fait, l'habitat est disparate : l'âge du bâti, son état, sa typologie sont très variables. On ne peut donc faire que du cas par cas.

Enfin, faire venir des bailleurs sociaux est peut-être encore plus compliqué : ces opérations sont coûteuses - si l'on englobe l'acquisition et les travaux, on dépasse pour certaines d'entre elles les 4 000 euros - et mobilisent fortement les équipes pour un nombre de logements finalement toujours assez faible. En effet, transformer un pavillon en cinq logements ne fera jamais, par unité foncière, que cinq logements.

Il y a tout de même selon nous un modèle à inventer pour ces quartiers dégradés. Un état des lieux de leur appauvrissement est certainement nécessaire. Cela vaut pour l'Île-de-France, mais pas seulement. Il serait intéressant de savoir si cette démarche fait écho dans d'autres territoires. Par ailleurs, les collectivités auront besoin d'un relais, qu'il faut prévoir et organiser. L'idée de donner la possibilité de déléguer le droit de préemption nous semble très intéressante. Dans le cadre de cette démarche, nous avons identifié depuis trois ans 200 adresses, qui font aujourd'hui l'objet d'une veille des collectivités sur les déclarations d'intention d'aliéner (DIA). Une chose est sûre, les collectivités ne pourront pas tout préempter.

Enfin, il faudrait que les quartiers pavillonnaires - ils représentent 20 % des habitats en métropole - soient mieux pris en compte dans les réflexions générales, et que ces réflexions soient menées sous l'angle de la lutte contre l'habitat indigne, afin que l'on puisse mettre en oeuvre des opérations d'ensemble. Dans ces quartiers pavillonnaires, la coordination des différents acteurs fait parfois défaut, qu'il s'agisse des actions curatives menées par les collectivités ou des sorties d'habitat indigne. Elle est en tout cas nécessaire pour enrayer le phénomène de paupérisation qui est à l'oeuvre.

En ce qui concerne France Domaine, les références sont globalement justes. Néanmoins, nous constatons, sur la question spécifique du pavillonnaire, des décotes pour des travaux en fonction de l'état des biens, qui sont souvent sous-évalués. Les références sont en effet de l'ordre 500 à 800 euros par mètre carré pour des travaux, quand nos estimations atteignent plutôt 1 700 à 2000 euros sur ce type d'habitat.

Pour ce qui est des surfaces, je prendrai l'exemple de deux pavillons - de fait des pavillons-dortoirs - que nous avons acquis dans la commune d'Aubervilliers auprès d'un marchand de sommeil. De nombreuses surfaces présentaient soit des conditions impropres à l'habitation, soit des hauteurs sous plafond insuffisantes. Finalement, il va falloir démolir ou, du moins, restructurer lourdement ces surfaces pour qu'elles redeviennent véritablement habitables. Il est peut-être difficile pour France Domaine d'évaluer ces surfaces, qui pourtant existent, que les propriétaires entendent céder et valoriser.

Par ailleurs, le coût de la démolition ou du curage de ces annexes aménagées en logement n'est jamais pris en compte dans les valorisations. Elles représentent pourtant une charge pour l'opérateur qui devra curer ces surfaces. Une directive sur les règles de calcul pourrait peut-être permettre d'homogénéiser les pratiques et les références d'un territoire à l'autre.

Sur la question des petites copropriétés, le modèle Sifae n'a pas été imaginé pour acheter directement des lots de copropriétés. Nous avons toutefois connaissance de ces petites copropriétés en tissu pavillonnaire, sur lesquelles nos collectivités partenaires nous ont alertés. De manière ponctuelle, elles ont été traitées via des rachats directs par les collectivités et des reventes à des bailleurs. Là encore, il n'y a finalement que les bailleurs qui puissent racheter ensuite ce type de biens, dont le traitement est assez coûteux et nécessite de gros travaux.

Enfin, nous n'avons pas eu l'occasion de travailler sur des rachats de pavillon en ASL.

Mme Marianne Margaté, rapporteure. - Je vous remercie. Je retiens de vos interventions - en tout cas pour l'EPF d'Île-de-France - que la question des petites copropriétés est secondaire et que les EPF n'ont pas véritablement déployé d'intervention structurée en la matière. Cela peut s'entendre, au regard des grands enjeux que vous nous avez présentés.

Pour autant, notre commission d'enquête s'intéresse à ce qui semble être un angle mort, celui des petites copropriétés. Si les copropriétés suscitent un intérêt croissant et font l'objet de nombreuses interventions, les plus petites d'entre elles ont besoin d'une chaîne d'acteurs et de dispositifs efficaces, en premier lieu pour être identifiées. À cet égard, l'outil de connaissance et de qualification développé par l'EPF Occitanie est intéressant.

Vous avez indiqué que la question des petites copropriétés prenait de l'ampleur. En tant que responsables d'EPF, avez-vous été saisis par les maires ou les intercommunalités sur leurs difficultés à intervenir sur ces petites copropriétés dont eux-mêmes ont peut-être eu jusqu'à présent peu connaissance, mais qui commencent, du fait de l'actualité ou des interpellations des habitants, à prendre une place croissante ?

Par ailleurs, l'outil de qualification mis en place par l'EPF Occitanie s'accompagnera-t-il de propositions d'actions particulières en direction des élus et des communes concernés ? Peut-il être utile à l'élaboration d'une politique d'intervention dans les petites copropriétés ?

Enfin, dans les dispositifs que vous mettez en place sur le foncier ou les reventes, travaillez-vous avec les organismes de foncier solidaire (OFS) sur l'option du bail réel solidaire (BRS) ? Comment prenez-vous en compte celle-ci en compte ?

M. Gilles Bouvelot. - Nous allons développer notre action sur les petites copropriétés, qui peuvent tout de même compter jusqu'à quinze logements. La loi Habitat dégradé nous donne des outils. Mais pour intervenir - beaucoup de communes ont senti le problème, mais n'ont pas pu acheter plus de trois lots en dix ans -, il faut un véritable diagnostic, il faut avoir un projet et il faut anticiper : veut-on recycler la copropriété, la démolir, la transformer en logement social ? Forts de notre expérience, nous agirons sur ces petites copropriétés, sachant que ces opérations seront financées non pas par la TSE, mais par l'Anru notamment.

L'identification de ces petites copropriétés n'est pas simple en effet. Au sein de Plaine Commune, Mathieu Hanotin a tout de même réalisé un travail précieux. Des agences d'urbanisme, comme l'Atelier parisien d'urbanisme (Apur), commencent par ailleurs à mettre en place des outils de repérage des copropriétés en début de difficultés.

L'EPF d'Île-de-France ne finance pas ce genre d'études en direct, mais cofinance à hauteur de 50 % - pour un montant d'environ 1 million d'euros par an - des études stratégiques conduites par les intercommunalités. Ces dernières nous permettent à la fois de jouer notre rôle de service public, d'alimenter nos actions opérationnelles et de développer nos activités. Aujourd'hui, il s'agit plutôt d'études sur l'évolution des zones d'activité économique ou sur les programmes locaux de l'habitat (PLH), mais nous pourrions cofinancer une étude sur cette thématique, à condition que l'intercommunalité la porte.

J'en viens aux organismes de foncier solidaire, à qui nous cédons de plus en plus de foncier. À l'instar de certains de nos collègues, nous avions envisagé de créer un OFS sous la forme d'une filiale, mais il en existe déjà huit en Île-de-France, dont quatre qui fonctionnent parfaitement. Il s'agit donc pour nous plutôt de partenaires en aval. Nombre d'opérations sont mixtes désormais. Les règles issues de la loi SRU exigent une proportion de logements sociaux selon la situation de la commune. Le logement social représente ainsi 40 % de nos cessions et l'accession sociale de type BRS ou autres en représente 10 % à 15 %. Cette proportion est à la hausse, de même que celle des logements intermédiaires. Nous faisons d'ailleurs bénéficier les opérations BRS de la minoration que nous appliquons au logement social. Cela permet de limiter le montant des loyers payés par les propriétaires locataires.

Mme Léa Makarem. - Nous avons étudié l'option du BRS pour plus de la moitié des biens que nous avons achetés avec des OFS. Malheureusement, nous n'en avons mis en place qu'un seul. C'est dommage, car il s'agit d'un montage particulièrement adapté pour faire revenir des propriétaires occupants dans ces quartiers et garantir leur présence. Le coût de ces opérations fait que le prix de sortie est rarement inférieur au prix de marché. C'est donc pour des raisons financières que cela n'a pas fonctionné.

Mme Sophie Lafenêtre. - La question qui a été posée est stratégique. Nous intervenons déjà sur de petites copropriétés et continuons à le faire en masse, mais sans forcément le savoir. Cela dépend de ce que l'on veut en faire à la fin. Ainsi, nous intervenons fréquemment sur des copropriétés que nous sortons du statut de la copropriété, notamment dans les secteurs moins tendus. Jusqu'à présent, nous ne nous posions pas la question en ces termes et ne traitions pas ces opérations, qui se déroulent d'ailleurs assez vite, comme des opérations sur des copropriétés. Il y a un changement de braquet dès lors que l'on se pose la question soulevée par Gilles Bouvelot de savoir ce que l'on fait de la copropriété concernée : est-elle appelée ou non à conserver son statut de copropriété ? Si oui, on sait moins faire.

Vous évoquez les interpellations des élus. Tous ceux qui se sont engagés dans les programmes Action coeur de ville et Petites Villes de demain commencent à adopter cet angle « copropriétés ». Dès lors que le diagnostic de l'habitat dégradé en copropriété a été fait, on se pose la question de la copropriété elle-même, et le diagnostic s'élargit. C'est ainsi que nous avons eu l'idée de créer cet outil de qualification offrant une vision globale, incluant les copropriétés en bonne santé dans lesquelles il y a un peu de vacances et où l'on peut imaginer aller chercher du logement à réhabiliter pour le remettre rapidement sur le marché.

L'angle mort se situe pour moi dans les PLH. La question de la copropriété n'est pas le premier angle d'attaque dans les plans locaux de l'habitat. Pour notre établissement public foncier, une intervention pertinente consiste, comme les collègues, à cofinancer les volets fonciers des documents intercommunaux ou des PLH afin de muscler la partie identification et qualification. Il s'agit de repérer soit des problèmes de dégradation soit, au contraire, des gisements potentiels de logements à reconquérir.

Je prendrai l'exemple assez parlant de la commune de Trèbes, dans l'Aude, où nous sommes intervenus, à la suite des inondations, pour démolir des quartiers entiers qui s'étaient retrouvés sous l'eau. Nous nous sommes alors rendu compte - personne ne s'était posé la question jusqu'alors - qu'une copropriété avait été épargnée et restait isolée sur la berge. Dans un premier temps, nous nous sommes dit qu'il serait compliqué de la raccorder au reste de la ville. Puis nous nous sommes rapprochés d'un bailleur social, avons mené des études, et nous envisageons désormais de maintenir la copropriété. Elle serait détenue à 80 % par le bailleur social et à 20 % par les propriétaires qui payent leurs charges et veulent y rester.

La démarche consiste donc à analyser la situation, à s'interroger sur les moyens à mobiliser, à mener les études, puis à déployer l'action foncière en lien avec un institutionnel qui sait gérer sa partie. Il est fondamental de déterminer le statut qui sera donné à la fin à la copropriété. Intervenir sur une copropriété n'est pas problématique ; la question est de savoir si le but est de lui laisser ce statut ou de la basculer en monopropriété gérée.

En ce qui concerne les dispositifs, le dispositif d'intervention immobilière et foncière (Diif) était intéressant, même si les collectivités - nous avons fait remonter ce point à l'Anah - n'en étaient pas, me semble-t-il, bénéficiaires. Il permettait de racheter des lots, d'avoir en quelque sorte des loyers plafonnés et de faire du logement social en reconquérant de petites copropriétés. Je ne sais pas ce qu'est devenu ce dispositif.

Enfin, sur la question du BRS, je rejoins ma collègue : nous pensons, dans le cadre de l'Orcod-IN, mettre en place du BRS sur nos produits. Pour les copropriétés - j'en discute avec plusieurs opérateurs, OFS et bailleurs sociaux -, j'ai toutefois du mal à l'envisager. Si des modèles intégrant du BRS commencent à sortir dans le neuf, peu d'opérations totems permettent de voir comment peut se gérer le BRS sur l'existant. En effet, les travaux de réhabilitation ne se financent pas de la même façon que pour la construction neuve, au travers de prêts.

Mme Audrey Linkenheld. - Ma question vient de trouver sa réponse dans les propos de Sophie Lafenêtre. J'en profite simplement pour la saluer.

M. David Ros. - Nous avons vu que les besoins en ingénierie comme en ressources humaines étaient assez lourds. Ce coût a-t-il été estimé ? Les dispositifs tiennent-ils compte de vos activités de soutien des différents organismes qui financent les établissements publics pour ce genre de missions ?

M. Laurent Burgoa. - Je salue à mon tour Sophie Lafenêtre. Nous avons travaillé ensemble pendant quelques mois, à Nîmes, sur des projets qu'elle a évoqués.

Ma question s'adresse aux deux directeurs d'EPF : avez-vous besoin d'outils juridiques supplémentaires pour être plus efficaces et plus rapides dans la lutte contre la paupérisation des copropriétés ? Par ailleurs, comme vous le savez, nous sommes dans un moment de simplification administrative. Avez-vous des préconisations à faire aux législateurs que nous sommes pour que nous vous facilitions la tâche ?

Mme Sophie Lafenêtre. - Sur la question des moyens humains, nous sommes en cours de développement, mais nous constatons que ces opérations - tant l'opération d'intérêt national que l'accompagnement d'une manière générale, quand bien même les acteurs sont multiples - sont beaucoup plus consommatrices que ce que nous avions imaginé initialement. Il s'agit d'un métier à part entière.

De notre côté, nous avons sous-estimé les choses. Est-ce pris en compte désormais ? Je serais tentée de répondre oui et non. Nos frais de structure étant pris en charge par la TSE, la question est de savoir à quel niveau de TSE on peut monter. Si derrière vous me demandez si d'autres financements sont possibles, je laisserai peut-être Gilles Bouvelot s'exprimer. Pour ma part, je n'ai pas encore discuté avec l'Anah et l'Anru pour savoir si des appuis pouvaient être envisagés. Nous sortirons nos statistiques en fin d'année. Clairement, le poids de l'investissement par rapport aux actions à mener doit être rapidement qualifié. Plus on prend de retard sur des questions de procédure, plus on alourdit la facture. Mais peut-être l'Epfif dispose-t-il déjà de ces éléments ?

Sur la partie simplification, nous sommes en train de regarder tout ce qui est sorti. En termes de procédure, il y a des choses très intéressantes sur les scissions. Nous n'avons pas encore testé la procédure de carence. Pour ma part, j'étais assez interrogative, car je trouve que la charge de la preuve est inversée par rapport à une déclaration d'utilité publique classique pour une opération d'aménagement. Il faut mesurer tout cela, mais peut-être l'Epfif pourra-t-il répondre à cette question ?

En revanche, nous avons toujours une question sur le rôle de syndics. La loi permet la mise en place d'un syndic d'intérêt public. Dans le cas de copropriétés extrêmement dégradées, on voit que l'administration provisoire fonctionne peu ou mal. Le syndic joue un rôle fondamental. S'agissant de métiers très spécifiques et faute d'adéquation totale avec le syndic, les opérations peuvent être ralenties. Je le répète, l'administration provisoire n'a pas totalement le même rôle qu'un syndic.

Ce sujet sur les copropriétés est pour moi un noeud gordien. Je ne suis pas sûre que les mesures qui ont été prises répondent totalement à l'enjeu de savoir qui doit gérer et accompagner le conseil syndical dans une copropriété très dégradée pour nous aider à gagner du temps. La question du temps est en effet cruciale. On voit bien que lorsqu'il faut réaliser des travaux d'urgence se posent toujours - et ce malgré les mesures qui sont mises en place - des questions financières. Des décisions doivent être prises, dans lesquelles le syndic joue un rôle majeur.

Je ne maîtrise pas suffisamment les dispositifs de manière opérationnelle pour suggérer des simplifications. Nous avons plutôt des interrogations sur la pertinence ou du moins la rapidité de certaines procédures.

M. Gilles Bouvelot. - L'équipe Orcod-IN de l'Epipf regroupe 50 personnes, soit une dizaine en moyenne sur chaque site, sur un effectif total de 250 personnes. Il faut bien voir que l'ingénierie, c'est aussi une quarantaine de personnes qui travaillent à temps plein sur chaque site. Ces frais de structure, assez lourds, sont pris en charge par la TSE. Une grande partie des 120 000 euros en moyenne par logement que j'évoquais sont affectés à de l'ingénierie.

En ce qui concerne les mesures, la loi Habitat dégradé a tout de même bien facilité les choses. Je rejoins Sophie Lafenêtre sur la question des syndics.

Un autre sujet est celui de l'endettement extrême : celui de la copropriété - quand on la liquide ou qu'on la scinde - ou celui des personnes. Comment gérer ces dettes afin de repartir du bon pied ? Il faut savoir que la dette locative d'une personne qui doit être relogée n'est pas reprise par le bailleur social. Il nous arrive donc, en tant qu'EPF et dans des situations de bonne foi, d'effacer la dette d'un locataire. Pour ce qui est des copropriétés endettées, il serait bon de réfléchir à des dispositions certes techniques, mais qui permettent de traiter cette question. À défaut, la copropriété subira le poids de sa dette pendant des décennies. Soyons clairs : ces situations vont se multiplier.

Mme Léa Makarem. - La possibilité de déléguer le droit de préemption nous semble très importante. Par ailleurs, il conviendrait de préciser la mise en oeuvre d'opérations de requalification pavillonnaire évoquée dans le projet de loi pour développer l'offre de logement abordable et de la considérer davantage sous l'angle de la lutte contre l'habitat indigne. Cela n'est pas forcément très clair.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Que voulez-vous dire ? Que la définition de la notion n'est pas très claire ?

Mme Léa Makarem. - Oui, il faut répondre à l'enjeu de la lutte contre l'habitat indigne. Au-delà du seul angle de la densification pavillonnaire, nous avons besoin d'outils plus coercitifs vis-à-vis des propriétaires de type marchands de sommeil. Aujourd'hui, hormis la préemption, nous manquons d'outils face à des propriétaires qui savent très bien contourner ou ralentir les procédures classiques de lutte contre l'habitat indigne.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Je vous remercie de ces contributions et de vos réponses. Je précise que nous achèverons nos travaux le 31 juillet prochain et que, d'ici là, un rapport sera publié sur le sujet de la paupérisation des copropriétés.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de Mme Anne-Sophie Grave, présidente du directoire
de CDC Habitat

(Mardi 14 mai 2024)

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Madame la rapporteure, mes chers collègues, nous achevons nos auditions du jour en accueillant Mme Anne-Sophie Grave, présidente du directoire de CDC Habitat, filiale immobilière de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et acteur important dans la prise en charge des copropriétés fragilisées.

Madame, en premier lieu, j'aimerais que vous nous indiquiez comment et pourquoi CDC Habitat a été amenée à s'impliquer dans ce domaine - la copropriété n'était pas dans votre coeur de métier -, puis que vous nous présentiez le bilan de l'action du groupe que vous présidez. Combien d'interventions avez-vous réalisées ? Quels sont leur typologie et leurs effets ? Quels outils mettez-vous en oeuvre ? L'action de CDC Habitat présente-t-elle des spécificités ? Identifiez-vous des difficultés particulières et auriez-vous besoin d'outils supplémentaires que notre commission pourrait promouvoir ?

CDC Habitat présente la particularité d'être une filiale de la Banque des territoires et donc du groupe Caisse des dépôts et consignations. Ce positionnement vous donne-t-il une facilité supplémentaire pour accéder à des financements ? À votre avis, le modèle de financement des opérations de redressement des copropriétés est-il efficace ? L'articulation entre les subventions, leur préfinancement et les prêts qui peuvent être octroyés est-elle suffisamment rapide et fluide ? À ce sujet, le plan Initiative Copropriétés (PIC) ou les opérations de requalification des copropriétés dégradées (Orcod) parviennent-ils à créer une synergie suffisante entre les acteurs ?

Pouvez-vous faire une comparaison avec les opérations de petite taille réalisées dans le cadre des programmes Action coeur de ville ou Petites Villes de demain au profit de copropriétés ? Le rôle et les outils déployés par CDC Habitat sont-ils les mêmes que dans les grandes opérations ? Peut-il y avoir des enseignements croisés ?

Pour porter une partie de son action, CDC Habitat a mis en place, depuis 2018, CDC Habitat Action copropriétés. Quel bilan tirez-vous des activités de cette filiale ? De nombreuses personnes auditionnées ont fait état de l'utilité du portage immobilier dans des opérations de réhabilitation qui peuvent s'étendre sur des périodes supérieures à dix ans. Selon vous, quels sont les obstacles principaux à l'efficacité du portage immobilier sur ces copropriétés dégradées ? Est-ce une pratique à systématiser ou faut-il n'y recourir que dans des scénarios bien précis ?

Il nous serait également utile de vous entendre sur la question du relogement des habitants. L'impossibilité de relogement ou d'hébergement peut mettre à mal la bonne conduite d'une opération de réhabilitation ou de recyclage, avec des coûts supplémentaires liés à la contrainte du temps et à la poursuite de la détérioration du bâti. CDC Habitat est l'un des rares acteurs à être présent à chaque bout de la chaîne, intervenant sur le bâti d'une part, et comme bailleur d'autre part. Comment abordez-vous ce sujet ?

Enfin, notre commission d'enquête s'intéresse au rôle des syndics. Quelles sont vos relations avec les syndics en place dans les copropriétés où vous intervenez ? CDC Habitat envisage-t-elle de devenir « syndic d'intérêt collectif » à la suite de la publication, le 9 avril dernier, de la loi visant à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé et des grandes opérations d'aménagement, dite « loi Habitat dégradé ». Par ailleurs, CDC Habitat a-t-elle prévu un dispositif qui prépare ses locataires à devenir copropriétaires dans la mesure où ce changement de statut ne s'improvise pas ? CDC Habitat a-t-elle également défini son rôle comme syndic social dans les copropriétés mixtes qu'elle gère ?

Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat, et qu'un compte rendu sera publié.

Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Anne-Sophie Grave prête serment.

Mme Anne-Sophie Grave, présidente du directoire de CDC Habitat. - Nous avons décidé d'intervenir dans le domaine des copropriétés dégradées en 2019, notamment dans le cadre du plan Initiative Copropriétés.

CDC Habitat se définit comme un opérateur global de l'habitat d'intérêt public, c'est-à-dire que nous intervenons sur toute la chaîne du logement : depuis le secteur très social, par le biais de notre filiale Adoma, jusqu'au logement locatif social, en passant par le logement locatif intermédiaire, etc. Nous avons aussi vocation à accompagner des projets plus complexes, de renouvellement urbain par exemple.

Lorsque le plan Initiative Copropriétés a été lancé, très peu d'opérateurs pouvaient y répondre, et notre groupe a décidé de participer. Nous avons donc dû structurer une équipe ad hoc, car nous n'intervenions pas auparavant dans le domaine des copropriétés dégradées. Nous participions déjà à des opérations de renouvellement urbain dans le cadre du programme national pour la rénovation urbaine (PNRU) : nous avions pu constater la différence entre la situation des copropriétés traitées dans ce cadre, grâce à l'intervention d'un bailleur social, et celle des copropriétés dégradées, qui malheureusement n'avaient pas pu bénéficier du dispositif. Notre participation à ce plan s'inscrivait donc dans une approche globale, au service du renouvellement urbain.

Comment se déroulent nos interventions ? Nous sommes sollicités la plupart du temps par des collectivités, ou par le préfet, voire encore par l'Agence nationale de l'habitat (Anah) ou par l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru), deux agences avec lesquelles nous avons, au fil des années, tissé des relations étroites et qui peuvent, le cas échéant, nous mettre en relation avec des collectivités pour travailler sur le redressement d'une copropriété.

Dans un premier temps, nous établissons une sorte de diagnostic. Nous apportons une expertise à la collectivité sur les montages possibles. Dans un second temps, notre intervention entre dans la phase opérationnelle du redressement proprement dit, ou du « recyclage » lorsqu'il faut démolir le bâti et reloger les occupants.

Vous avez évoqué CDC Habitat Action copropriétés. Lorsque nous sommes sollicités par une collectivité pour redresser une copropriété, nous commençons en fait souvent, pour ne pas perdre de temps parce que les procédures sont longues, par signer avec la collectivité une convention d'urgence, afin de pouvoir commencer à acquérir des logements. Il faut éviter que des appartements ne soient achetés par des marchands de sommeil avant que l'opération ne soit finalisée. La convention d'urgence est définie avec la collectivité et porte sur un petit nombre de logements, mais elle nous permet d'agir tout de suite, d'acquérir des logements et de commencer notre travail de portage long ; les propriétaires occupants peuvent soit rester dans leur logement, soit le quitter, en fonction de leur projet.

Les logements acquis dans le cadre des conventions d'urgence le sont par CDC Habitat social. Ensuite CDC Habitat Action copropriétés, qui est une foncière dédiée aux copropriétés dégradées, intervient pour mener l'opération de restructuration. Cette filiale a été à l'origine calibrée pour acheter 5 000 logements : l'idée est d'acquérir un tiers environ des logements dans une copropriété pour obtenir un effet levier dans son fonctionnement afin de la redresser, et de les revendre, le cas échéant, lorsque la copropriété aura retrouvé son équilibre. On envisageait ainsi d'acquérir 5 000 logements pour pouvoir intervenir sur un volume de 15 000 logements. Tel était le périmètre d'origine.

Nous procédons par le biais de concessions avec les collectivités, car nous nous engageons dans la durée. Certains projets peuvent durer dix ans. Avant la loi sur l'habitat dégradé du 9 avril 2024, nous ne possédions pas vraiment d'outils ad hoc pour intervenir dans ce domaine. Il fallait recourir à des concessions d'aménagement. La collectivité devait lancer un appel d'offres pour désigner un opérateur dans le cadre d'une concession d'aménagement. Les réponses n'étaient toutefois pas toujours très nombreuses... Nous intervenons dans ce cadre au parc Corot à Marseille. Il s'agit d'un vaste projet de renouvellement urbain, qui comporte des opérations de réhabilitation, de recyclage - c'est-à-dire des démolitions suivies de reconstructions - et d'aménagement. Dans ce cas, une concession d'aménagement est justifiée.

Toutefois, la plupart du temps, lorsqu'il est seulement question de redresser une copropriété dégradée, sans dimension d'aménagement, ce régime ne se justifie pas du tout. C'était cependant l'outil dont nous disposions. Désormais, un régime de concession pour le traitement des copropriétés dégradées a été institué.

Il existait aussi la possibilité de passer des conventions de service, mais cet outil était mal connu des collectivités et a été très peu utilisé.

À ce jour, nous intervenons sur une trentaine de sites. Les opérations sont, selon leur état d'avancement, soit au stade de la convention d'urgence, soit à celui de la concession d'aménagement. À la fin de l'année 2023, nous avions signé trois concessions d'aménagement : à Marseille, à Saint-Étienne-du-Rouvray et à Épinay-sur-Seine. Nous avons répondu au cours de l'année 2023 à d'autres consultations et nous avons été désignés au début de l'année à Argenteuil. Nous attendons les résultats d'une consultation à Vichy, dans le cadre du programme Action coeur de ville, et à Mulhouse.

Il est vrai que nos interventions ont majoritairement lieu dans des sites qui relèvent du programme Initiative Copropriétés, c'est-à-dire qui comportent de grandes copropriétés, voire parfois plusieurs copropriétés. Nous avons créé une structure commune avec l'établissement public foncier d'Île-de-France (Epfif) pour mener des opérations de portage ciblé en Île-de-France.

Lorsqu'une copropriété peut se redresser, notre intervention consiste à acquérir des logements, à faire du portage, à redresser la copropriété, puis à revendre, à la fin, les logements.

Quand la situation est très dégradée, qu'un état de carence a été constaté, nous procédons immédiatement par des acquisitions, pour éviter que des logements ne soient acquis par des marchands de sommeil et que la situation ne se dégrade davantage, parce que les procédures d'expropriation sont longues ; nous gérons ensuite le relogement des occupants, puis nous mènons à bien le projet qui s'assimile à un projet de rénovation urbaine. Les outils actuels fonctionnent plutôt bien. Même si les process sont longs, nous avançons.

Comme je le disais, nous intervenons sur une trentaine d'opérations. Nous nous sommes ainsi déjà engagés à acquérir un peu plus de 2 000 logements - il nous reste donc de la marge par rapport à notre cible de 5 000 logements. Nos engagements à ce titre s'élèvent au total à 280 millions d'euros : acquisitions, investissements, réhabilitations, etc. Ces opérations bénéficient de financements de l'Anah ou de l'Anru, selon qu'il s'agit de redressement ou de recyclage. Les concessions d'aménagement étant par nature déficitaires, les collectivités sont sollicitées pour contribuer au financement. La rémunération de notre intervention consiste en la prise en charge de nos frais : coût des moyens humains, frais de sécurisation des sites et des immeubles, montant des travaux d'urgence ou des travaux nécessaires - certains sont financés par l'Anah ou par l'Anru, d'autres ne le sont pas.

Pour les collectivités, le reste à charge est quand même assez élevé. Dans une opération de redressement, celui-ci peut se situer entre 20 000 et 40 000 euros par logement, ce qui est important, tandis que dans les opérations de recyclage, il peut être de plus de 100 000 euros.

Nous percevons aussi des recettes, grâce aux loyers. L'objectif est que la copropriété se redresse pour que nous puissions revendre les logements, à un prix qui a été discuté en toute transparence avec la collectivité lors de la réponse à l'appel d'offres. Nous faisons tout pour trouver les meilleurs financements et réduire le déficit pour la collectivité.

De notre point de vue, le plan Initiative Copropriétés est plutôt positif. Dans le cadre du PNRU 1, il n'y avait pas beaucoup d'interventions sur les copropriétés dégradées. Lors du lancement du plan Initiative Copropriétés, on a senti une mobilisation des collectivités. Ce n'est pas tant que les outils étaient nouveaux, car, à l'époque, les dispositifs n'avaient pas forcément été modifiés sur le plan réglementaire ou législatif, mais des financements étaient présents, les acteurs se mobilisaient et les mécanismes bénéficiaient d'une meilleure visibilité. Nous constatons qu'un déploiement est à l'oeuvre aujourd'hui. Comme je le soulignais tout à l'heure, nous avons encore de la marge en termes de moyens d'intervention, et on continue à être sollicité par les différents canaux que j'ai évoqués. Ce plan a donc créé une dynamique et nous avançons, même si ces opérations s'inscrivent dans le temps long.

En ce qui concerne les syndics, nous travaillons principalement avec des administrateurs judiciaires dans les copropriétés en recyclage. On observe une grande inégalité de compétence sur ces sujets au sein de cette profession. Intervenir sur une copropriété dégradée requiert des moyens spécifiques. C'est le mauvais cycle de la dégradation : l'état de la copropriété requiert des moyens spécifiques, mais le syndic ne les a pas, et l'absence de travaux aggrave la dégradation, tandis que la paupérisation s'accentue... Certains ménages quittent l'immeuble et vendent leur logement à des propriétaires non occupants, à des propriétaires bailleurs, et le syndic se retrouve en difficulté pour faire face à la dégradation, car il n'est pas structuré pour cela. C'est l'intérêt de nos interventions : nous avons une connaissance et un poids que n'ont pas les copropriétaires.

J'en viens à la question du financement et des éventuels blocages. Un enjeu est le préfinancement. Des financements importants de l'Anah ou de l'Anru existent, mais il faut néanmoins préfinancer les aides. C'est le rôle notamment du réseau Procivis, mais il est à craindre qu'il ne se trouve en difficulté, en termes de capacité, compte tenu du nombre de projets. La loi Habitat dégradé a créé un dispositif d'emprunt collectif. C'est une piste intéressante, sous réserve évidemment que les banques se mobilisent.

Vous avez posé la question du secteur diffus. Sans doute entendez-vous par cette expression les opérations de petite taille dans de petites copropriétés. Pour notre part, nous employons cette expression lorsque nous intervenons, dans un même quartier, sur plusieurs copropriétés à la fois, qui comportent dix, vingt, ou trente logements, voire plus.

Nous intervenons surtout dans les grandes copropriétés, et beaucoup moins dans les petites copropriétés. Néanmoins, je peux vous citer deux exemples. Ainsi nous avons répondu à un appel d'offres pour une concession d'aménagement à Vichy, en partenariat avec un promoteur, parce que le projet prévoit une action sur de l'habitat ancien dégradé en centre-ville - la zone bénéficie du plan Action coeur de ville - et le développement d'une zone de logements privés par ailleurs. À Gonesse, autre exemple, en Île-de-France, nous interviendrons sur une rue comportant de l'habitat ancien dégradé. Ces deux exemples sont plutôt l'exception. L'opération de Vichy ne figure d'ailleurs pas dans les trente opérations en cours que j'évoquais. Nous devrions avoir une confirmation officielle jeudi.

Vous me demandiez tout à l'heure pourquoi nous avions commencé à nous impliquer dans le domaine des copropriétés dégradées. Nous avons développé une expertise en matière de logement. Notre rôle est d'accompagner les politiques publiques. Nous nous sommes structurés pour y parvenir et nous commençons à être sollicités pour intervenir sur d'autres types d'habitats. Je pourrais citer aussi l'exemple de Mantes-la-Jolie, où une consultation est en cours. Le coeur de ville comporte de l'habitat dégradé, même si la ville compte de grands quartiers prioritaires de la politique de la ville. Ces interventions sur de petites unités relèvent d'un travail de dentelle, sont complexes, et les modes d'interventions sont forcément différents de ceux que l'on applique aux grandes copropriétés.

Vous m'avez interrogée aussi sur les syndics d'intérêt collectif. CDC Habitat n'est pas un syndic, même si certains bailleurs sociaux le sont. Nous avons accueilli avec intérêt la possibilité de créer des syndics d'intérêt collectif. Pour l'instant, nous n'envisageons pas de nous positionner sur ce métier. J'ai expliqué que les syndics classiques étaient parfois en difficulté pour gérer des copropriétés dégradées. Les syndics d'intérêt collectif coûtent plus cher. Il faudra donc trouver les moyens pour qu'ils puissent fonctionner correctement.

Nous avons rarement rencontré de difficultés opérationnelles liées à des problèmes de coordination entre les acteurs. Parfois, le maire qui a les pouvoirs de police et l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI), qui a la compétence en matière d'habitat, peuvent avoir des approches différentes, ce qui peut ralentir les dossiers, mais ceux-ci finissent toujours par aboutir. L'Anah et l'Anru, quant à elles, ont défini leur champ d'action et se coordonnent très bien.

La loi Habitat dégradé nous a dotés d'outils intéressants. J'ai évoqué tout à l'heure la concession spécifique pour les copropriétés dégradées. Ce dispositif a l'avantage de la clarté : cela rassurera les collectivités qui pouvaient hésiter à mettre en place des concessions d'aménagement par peur des problèmes, car celles-ci ne sont pas un outil ad hoc. La création d'un mécanisme spécifique peut donc être un facteur d'accélération. La simplification en matière de droit de préemption urbain renforcé, lorsqu'un plan de sauvegarde existe, devrait être utile et contribuer à l'accélération des procédures. Les dispositions relatives aux opérations de restauration immobilière, qui permettent d'intervenir beaucoup plus en amont pour éviter la dégradation, sont très intéressantes. Les sanctions à l'égard des marchands de sommeil étaient indispensables. Je salue aussi la création du prêt collectif, ainsi que l'accélération des procédures, que ce soit dans le cadre des procédures d'alerte, pour la désignation des mandataires ad hoc, ou dans le cadre des procédures de carence. Tout ce qui contribue à simplifier et à accélérer les démarches va dans le bon sens.

Le relogement est essentiel, notamment dans le cadre des opérations de recyclage. Lorsque nous intervenons, CDC Habitat social commence par acheter des logements, qu'il faut donc gérer. Il faut aussi assurer la sécurité, etc. Initialement, nous allions parfois loin de nos bases, ce qui nous a contraints à nouer des partenariats avec des organismes locaux pour assurer la gestion au plus près. Désormais, lorsque nous choisissons d'intervenir sur un site, nous regardons d'abord si l'on dispose d'une agence de gestion à proximité. C'est devenu un critère. C'est utile pour la gestion, la sécurité, mais aussi pour le relogement : nous devons disposer sur place d'équipes capables de gérer tous les aspects.

Lorsqu'un propriétaire occupant nous vend son logement, nous devons le reloger. Si nous disposons de logements disponibles à proximité, cela ne pose pas de difficultés. Dans le cas inverse, il faut mobiliser l'interbailleur et l'on travaille alors en partenariat avec la collectivité, parce que c'est elle qui assume cette mission.

Des difficultés peuvent parfois apparaître dans les collectivités ou les départements, comme la Seine-Saint-Denis, qui comptent déjà beaucoup d'opérations de rénovation urbaine en cours, ce qui implique de devoir procéder à de nombreux relogements. C'est alors plus compliqué, mais on y arrive quand même.

Une situation plus complexe surgit lorsque nous avons affaire à des personnes en situation irrégulière, car celles-ci ne sont pas éligibles au logement social. Il faut donc trouver d'autres solutions, telles que l'hébergement d'urgence si cela est nécessaire. Nous maîtrisons bien la question du relogement. Nos équipes sont très rodées au renouvellement urbain et à cette problématique. Les difficultés peuvent surgir lorsque beaucoup de relogements sont déjà en cours au titre du renouvellement urbain ou lorsque la situation administrative de l'occupant est complexe : c'est notamment le cas lorsque les appartements appartenaient à des marchands de sommeil et que l'on doit reloger plusieurs ménages dont la situation administrative est difficile à traiter. Dans ces cas-là, nous devons travailler avec les services de la préfecture. Il faudrait développer l'hébergement d'urgence ou le parc des logements transitoires pour faciliter la gestion de ces situations. Plus on met de temps à reloger les occupants, plus l'opération dure.

Je me souviens d'une situation qui m'avait frappée. La première fois que je me suis rendue au parc Corot à Marseille, un site sur lequel on intervient, une tour était vide. Si nous avions été bailleur social, elle aurait été démolie depuis longtemps, car les démolitions sont plus faciles dans les procédures Anru. Mais en l'occurrence, avant de pouvoir démolir, il fallait réaliser un constat de carence, procéder à l'expropriation, afin d'obtenir la maîtrise du droit de préemption et la maîtrise foncière intégrale.

Lorsque nous commençons à intervenir, l'espoir renaît chez les habitants du quartier, il est dommage que l'opération prenne plusieurs années, alors qu'elle pourrait durer dix-huit mois. C'est pourquoi nous considérons que tous les dispositifs qui ont été adoptés pour accélérer les choses sont bienvenus. Nous sommes aussi favorables au développement des solutions transitoires, comme l'hébergement temporaire. L'enjeu est d'accélérer les démarches et de faire renaître l'espoir, ce qui, à mon avis, est très important.

Mme Marianne Margaté, rapporteure. - Merci de cette présentation très complète. Vous avez dit que vos interventions sur les petites copropriétés étaient très minoritaires au regard de vos autres actions, et que ce type d'opération réclamait un travail de dentelle. Comptez-vous développer ce type d'action ? Quelles seraient les conditions pour que la réussite soit au rendez-vous ?

Mme Anne-Sophie Grave. - Dans les cas où nous avons répondu à une consultation pour une intervention sur une petite copropriété, c'est parce que nous avions déjà un partenariat important avec la collectivité, et que nous étions donc déjà présents sur place. Lorsqu'on travaille au quotidien avec une collectivité qui doit faire face à de petites copropriétés dégradées, nous sommes forcément sollicités par cette dernière. Dans ces cas-là, nous regardons le dossier.

La question est celle des moyens humains. Ces dossiers constituent une succession de petites opérations. Le nombre de personnes mobilisées par rapport au nombre de logements à traiter est très élevé. Cela suppose donc de rallier des équipes plus importantes.

Nous n'avons pas prévu pour l'instant de développer cette activité de manière massive. Nous comptons plutôt intervenir dans le cadre des partenariats que nous avons déjà avec ces collectivités, lorsque celles-ci nous disent qu'elles ont besoin de nous et qu'elles espèrent que l'on répondra à leur consultation. CDC Habitat est une filiale de la Banque des territoires. Nous sommes donc des partenaires dans la durée des collectivités. Nous nous sentons donc quelque peu tenus d'intervenir dans ces cas-là.

Nous avons eu la même attitude à l'égard des opérations Action coeur de ville : nous voulons bien faire, éviter le saupoudrage, pour que notre action ait vraiment un effet. C'est pourquoi, plutôt que d'intervenir de manière ponctuelle, nous préférons participer à des projets plus importants.

C'est par exemple le cas à Vichy, où un travail de diagnostic s'étendant sur une année doit permettre d'identifier les adresses les plus pertinentes. Dans ces conditions, notre intervention emportera un véritable effet de transformation.

J'estime qu'une intervention plus ponctuelle n'est pas pertinente pour CDC Habitat. Telle est la raison pour laquelle, dans le cadre du programme Action coeur de ville, nous nous sommes efforcés de ne pas nous disperser.

La gestion d'une grande copropriété, qui est à mon sens plus difficile que la maîtrise d'ouvrage, suppose une proximité.

Nous pourrions donc aller plus loin si des collectivités nous sollicitent pour des interventions d'ampleur.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Estimez-vous que vous intervenez suffisamment en amont pour être en mesure de casser le cercle vicieux de la paupérisation ? Vous paraît-il nécessaire de disposer d'outils spécifiques pour les petites copropriétés ? Identifiez-vous des manques ?

Mme Anne-Sophie Grave. - Nous n'avons pas identifié de manque à ce stade, mais nous avons peu de retours d'expérience en la matière.

Nous intervenons par ailleurs dès lors que nous sommes sollicités. Quand c'est au stade du recyclage ou pour des redressements critiques, il est clair qu'il est trop tard, mais actuellement, j'estime que dans la plupart des cas, les collectivités nous sollicitent à un stade où le redressement est encore possible. Nous avons notamment été récemment nommés dans une copropriété d'Argenteuil.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Je vous remercie.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué
chargé du Logement

(Jeudi 30 mai 2024)

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Nous avons commencé nos travaux le 11 mars dernier en recevant M. Olivier Klein, l'ancien ministre chargé de la ville et du logement, et après avoir réalisé pas moins de dix-sept auditions plénières - complétées par de nombreuses auditions de la rapporteure - c'est tout naturellement que, afin de faire un tour d'horizon à l'approche de la fin de nos travaux, nous recevons aujourd'hui l'actuel ministre chargé du logement, M. Guillaume Kasbarian, à qui je souhaite la bienvenue.

Monsieur le ministre, vous connaissez les lieux : vous êtes venu il y a deux semaines nous présenter le projet de loi relatif au développement de l'offre de logements abordables. Ce jour-là j'ai échangé avec vous en tant que rapporteure, avec Sophie Primas ; aujourd'hui ce sera en tant que présidente de la commission d'enquête sur la paupérisation des copropriétés immobilières, que je préside et dont Marianne Margaté est la rapporteure.

Le cadre juridique est différent, mais ce qui relie un grand nombre des travaux qui nous occupent ce printemps, c'est la question du coût excessif du logement pour nombre de nos concitoyens : c'est justement ce qui ressort de l'intitulé même de notre commission d'enquête, qui met l'accent sur les difficultés financières des copropriétaires et pas seulement sur la « fragilité » ou les « difficultés » rencontrées par les copropriétés, pour reprendre des termes souvent utilisés.

Un autre angle d'approche sur lequel notre commission d'enquête met tout particulièrement l'accent, et sur lequel nous espérons que vous pourrez nous apporter des éléments, c'est celui des petites copropriétés. Quelles sont les difficultés particulières à ces structures, quand et avec quels moyens la puissance publique doit-elle intervenir pour prévenir leurs difficultés ou les aider à en sortir ? Mais en premier lieu, comment mieux les connaître ? Car les grandes copropriétés sont bien connues des pouvoirs publics, elles sont désormais inscrites au registre national, le RNIC, mais ce n'est pas le cas de nombreuses copropriétés de petite taille, qui n'ont parfois même pas de syndic, ni professionnel ni bénévole.

Concernant les grandes copropriétés, vous aurez à coeur, je suppose, de revenir sur la mise en oeuvre du plan « Initiative Copropriétés ». Nous avons visité Grigny 2 avec Philippe Rio il y a peu et on mesure l'ampleur du chantier, ce qui a déjà été fait et ce qui reste à faire.

Je pense qu'il serait également intéressant que vous fassiez un retour sur la loi du 9 avril 2024 visant à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé, dont j'ai aussi été rapporteure. Où en est l'application de cette loi, concernant les points relatifs à la copropriété ? Je pense en particulier au prêt collectif pour les copropriétaires, dont nous avons eu des échos variables au cours de nos auditions.

Enfin, parmi vos attributions, figurent notamment les politiques relatives à l'efficacité énergétique de l'habitat : pouvez-vous faire un point sur la mise en oeuvre de MaPrimeRénov' dans les copropriétés cette année ?

Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions et pour un propos introductif, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.

Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.

Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Guillaume Kasbarian prête serment.

M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué chargé du Logement. - Merci pour votre accueil. Depuis 2017, le Gouvernement a fait de la question des copropriétés une question centrale, à la fois pour lutter contre leur dégradation et pour intervenir plus en amont.

Ce sera l'objet de ce propos introductif, avant de répondre, bien sûr, à vos questions, pour éclairer au mieux vos travaux, étant entendu que je suis en fonction depuis près de 100 jours et que, sur ce sujet, je m'inscris dans la pleine continuité de mes prédécesseurs, que vous avez reçus pour certains, et dont vous savez la mobilisation sur ce sujet majeur.

Depuis 2017, nous sommes à l'oeuvre pour nous attaquer collectivement à ces difficultés.

Cette problématique de la dégradation et de la paupérisation est majeure. Même s'il n'en existe pas de définition juridique, étant donnée la diversité des situations, les indices statistiques dont nous disposons montrent que les copropriétés en difficulté représentent environ 17 % du parc immatriculé, soit près d'un cinquième du parc actuel. Il s'agit donc d'un gisement de logements à ne pas occulter pour répondre à la crise du logement et à augmenter l'offre sur le marché, d'autant plus que ces logements se dégradent : nous recensons 10 000 copropriétés en très grande difficulté, qui sont suivies dans le cadre des différents dispositifs de prévention et de redressement, déjà existants. A ce chiffre, il faut ajouter quelque 100 000 copropriétés fragiles. Au total, ce sont près de 1,5 million de logements qui sont aujourd'hui à surveiller et qui nécessiteront, à court ou moyen terme, une intervention de la puissance publique.

Dès 2018, Julien Denormandie a lancé le plan « Initiative Copropriétés » pour s'attaquer aux cas des grandes copropriétés en difficulté. L'État abonde ce plan de 2 milliards d'euros sur dix ans pour apporter une réponse aux cas des copropriétés les plus dégradées, tout en s'adaptant finement aux différentes réalités territoriales, en lien toujours avec les élus des territoires. Ce plan est la première stratégie nationale d'ampleur qui cible les situations les plus graves et apporte des solutions de prévention et d'accompagnement aux copropriétés fragiles. C'est un exemple en matière de politique opérationnelle, territorialisée et concertée avec les élus. Notre objectif a toujours été d'offrir aux collectivités locales une gamme d'outils pour répondre aux difficultés qui leur sont propres et pour mieux les accompagner dans leurs projets pour redynamiser, rénover et revitaliser les territoires en agissant particulièrement sur la dégradation de l'habitat, une problématique qui touche un nombre croissant de nos territoires.

Après 5 ans, à l'heure d'un premier bilan, on peut dire que ce plan a permis de lancer de nombreux projets pour résoudre cette question majeure et complexe du traitement des copropriétés en difficulté.

Dans le même temps, nous avons également lancé le programme « Action Coeur de ville », qui se poursuit et s'étend, pour résorber l'habitat dégradé en centre-ville. Emmanuelle Wargon a mené à bien le travail commencé dans la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (Elan) en réformant et en simplifiant, avec le député Guillaume Vuilletet, co-rapporteur de ce texte à l'Assemblée nationale, les régimes de police de l'habitat indigne. Les ministres Olivier Klein et Patrice Vergriete ont lancé de nouvelles opérations de requalification des copropriétés dégradées - les ORCOD - et ont travaillé sans relâche pour préparer la loi que vous avez votée, et sur laquelle je reviendrai. Je souhaite les en remercier et m'inscrire dans la continuité de leur action sur cette thématique.

Résoudre la crise du logement et s'attaquer à l'habitat indigne, c'est un travail de terrain, qui doit se faire avec les élus et les collectivités que vous représentez tout particulièrement.

C'est dans cette optique qu'Olivier Klein a confié une mission à deux maires issus d'horizons différents, Mathieu Hanotin, maire socialiste de Saint-Denis, et Michèle Lutz, maire Les Républicains de Mulhouse, où j'ai d'ailleurs eu l'occasion de me rendre en mars au cours d'un déplacement très riche qui a montré la pertinence des outils mis en place par la nouvelle loi. Leurs travaux, très riches, ont permis à mon prédécesseur Patrice Vergriete d'élaborer le texte que je vous ai présenté, et qui offre désormais une soixantaine d'outils. Cette loi, largement saluée pour les mesures utiles d'accélération et de simplification qu'elle contient, doit permettre à l'avenir aux collectivités, aux opérateurs et à l'État de traiter plus rapidement et avec plus d'agilité les situations de dégradation financière et du bâti qui caractérisent notre parc d'habitat et qui se répercutent sur la vie de nos concitoyens. Elle aidera à mieux anticiper les situations de dégradation, qui mettent plusieurs années à s'installer et peuvent donc faire l'objet d'un traitement plus en amont. Pour cela, il est indispensable d'avoir une vision prospective pour mieux prévenir l'émergence de dynamiques de fragilisation, et intervenir davantage en amont grâce au professionnalisme et à la mobilisation de tous les acteurs concernés.

Dans cette optique, la loi crée une nouvelle procédure d'expropriation pour intervenir en amont du cycle de dégradation. Cette faculté, à la main des collectivités et de l'État, concernera les immeubles qui sont frappés par un arrêté de police, mais qui ne sont pas encore, pour autant, dans une situation de dégradation irrémédiable. Cette possibilité sera décisive pour anticiper l'intervention des pouvoirs publics en temps utile.

Un autre article particulièrement attendu donnera aux syndicats de copropriété la possibilité d'assurer le financement des travaux au moyen d'un emprunt collectif. C'est une innovation majeure, qui a posé beaucoup de questions pour les banques et les professionnels, le débat va certainement se poursuivre dans les semaines à venir. C'est un outil de simplification massive pour surmonter les blocages et les difficultés inhérentes aux travaux dans les copropriétés. Il fera gagner plusieurs mois d'examens de dossiers individuels, au profit d'une approche collective et globale. Au fond, ce prêt peut être l'innovation financière qui manque pour massifier la transition écologique dans chaque micro-démocratie qu'est une copropriété. Mais cela ne peut pas se faire de manière irresponsable, en endettant des copropriétés déjà fragiles : c'est pour cela qu'a été créé un fonds de garantie pour ces prêts, aux modalités précisées à la suite de votre mobilisation, Madame la présidente.

D'autres articles, dont la portée concrète et opérationnelle a été largement reconnue et renforcée, faciliteront les opérations de restauration immobilière (ORI), le déploiement des concessions d'aménagement pour le traitement de l'habitat dégradé ou encore la mobilisation du droit de préemption urbain dans ce même cadre. Ces mesures sont souhaitées et attendues par les élus et les opérateurs tels que l'Établissement public foncier d'Île-de-France ou la Société de requalification des quartiers anciens (Soreqa), dont l'expérience et l'expertise dans ce domaine ne sont plus à démontrer.

Toujours dans une visée préventive, les mécanismes de gestion des copropriétés seront modifiés afin d'anticiper et d'accélérer le repérage des dynamiques de dégradation. Ainsi la procédure d'alerte, enclenchée lorsqu'un seuil d'impayés est atteint au sein d'une copropriété, débouchera plus rapidement sur la nomination d'un mandataire ad hoc.

J'insiste également sur la mise en place, dans la loi, d'un diagnostic de structure dans l'ancien sur des périmètres qui seront définis par les élus, ce qui sera une des clefs pour que les maires, par la prévention et la connaissance du parc, enrayent les dynamiques de dégradation.

Il est également nécessaire de poursuivre la lutte que nous avons engagée dès 2017 contre les marchands de sommeil et de renforcer les sanctions à leur égard. Ces marchands de sommeil, pour qui la dégradation de l'habitat peut constituer une rente considérable et qui tirent profit de la dégradation des bâtiments en les louant à des personnes vulnérables qui ont besoin d'un toit, ne doivent plus pouvoir s'enrichir sur la misère d'autrui. À l'initiative du député Lionel Royer-Perreaut, co-rapporteur du texte - et élu d'un territoire très marqué par ce phénomène -, l'Assemblée nationale a ajouté des dispositions importantes en la matière, et je veux remercier ici les sénateurs d'avoir largement repris et enrichi encore ces mesures qui sont cruciales pour notre dignité collective.

Ensuite, la loi permettra de traiter plus rapidement les dégradations les plus marquées avant qu'elles n'aboutissent à des situations d'indignité insupportables et irrémédiables. Nous devons au maximum éviter d'arriver à la situation dans laquelle il est plus intéressant financièrement de démolir et de reconstruire que de rénover et de réparer. Pour cela, nous souhaitons accélérer l'ensemble des procédures de recyclage et de transformation des copropriétés, elles prennent aujourd'hui trop longtemps - tous les acteurs en conviennent : les délais des opérations de réhabilitation sont beaucoup trop importants, il faut jusqu'à quinze ou vingt ans pour mener à bien un projet, ce qui provoque l'incompréhension des habitants et des élus, leur lassitude, et même la souffrance des propriétaires et des occupants qui se retrouvent dans des situations provisoires à durée indéterminée.

Plusieurs mesures de ce texte accélèreront de façon décisive les opérations de transformation. C'était la volonté du Président de la République, qui l'avait dit très clairement lors de son déplacement à Marseille à la fin du mois de juin dernier. Ainsi, un article autorise la scission des grandes copropriétés en plusieurs syndicats de taille plus gérable, ce qui renforcera la capacité des acteurs à mener des projets à la bonne échelle, notamment quand un seul bâtiment au sein d'une copropriété qui en compte plusieurs est atteint d'une dégradation. Le déroulement des opérations de traitement de la dégradation sera facilité par une meilleure capacité de répondre aux besoins de relogement inévitables qui en découlent. Ainsi, le maire pourra autoriser l'implantation, sans permis de construire, de logements temporaires, pour reloger les personnes délogées par les chantiers. Le maire pourra aussi faire réaliser, aux frais du propriétaire, la remise en état de biens lorsque des travaux ont été menés de façon irrégulière. Enfin, deux articles accélèreront et sécuriseront les expropriations menées dans le cadre de la législation dite « Vivien », qui est engagée lorsque des bâtiments sont atteints d'une dégradation irrémédiable.

Depuis la promulgation de la loi le 9 avril, nous avons continué à avancer. Sans attendre, mon administration a lancé les travaux pour prendre les actes réglementaires nécessaires à la bonne application de la loi. Certains de ces textes seront particulièrement importants. Je pense notamment : au décret qui permettra d'opérationnaliser le prêt collectif à adhésion obligatoire auquel pourront prétendre les copropriétés ; au décret qui permettra de finaliser la création de syndics d'intérêt collectif, appuis précieux pour les collectivités ; au décret qui précisera les données que doit contenir le registre national d'immatriculation des copropriétés, base de données centrale pour aider au repérage et à la prévention ; au décret qui permettra aux élus de définir des secteurs dans lesquels, pour les bâtiments de plus de 15 ans, un diagnostic de structure pourra être obligatoire ; enfin, aux modifications des arrêtés de mise en sécurité ou d'insalubrité pour tenir compte des évolutions introduites par la loi.

Nous assurerons également le suivi de l'impact de la loi sur la condamnation des marchands de sommeil et les procédures judiciaires. En 2022, 153 requêtes relatives à l'insalubrité ont été déposées devant le juge administratif, en hausse de de 29 % par rapport à 2021. Concernant le péril, une moyenne de 100 à 150 jugements par an est observée, avec des condamnations pénales qui progressent, comme l'a constaté le rapport de Mme Lutz et M. Hanotin.

Par ailleurs, j'ai réuni le 26 avril les élus mobilisés et les acteurs du plan « Initiatives Copropriétés », 14 mois après la dernière réunion, pour partager sur ces chantiers sous l'égide de l'une des agences de mon administration, l'Agence nationale de l'habitat (Anah), qui pilote depuis plusieurs années ce plan avec professionnalisme et engagement.

Je citerai quelques-uns de ces chantiers, sans exhaustivité. L'action vise à amplifier le traitement des copropriétés fragiles en intégrant une aide à hauteur des enjeux sur la précarité énergétique en capitalisant sur MaPrimeRénov' Copropriétés. Une aide spécifique pour les petites copropriétés a été mise en place depuis le Conseil d'administration de décembre 2023. Le plan aide aussi à renforcer la prévention sur le parc de copropriétés pour éviter leur fragilisation, via une remontée des données plus performante ; à créer une boîte à outils pour l'ingénierie financière des copropriétés ; enfin, à accompagner la mise en place des outils coercitifs à destination des collectivités que la loi va permettre de donner.

La lutte contre la paupérisation et la dégradation des copropriétés mobilise pleinement l'énergie du Gouvernement. Aucun gouvernement n'aura davantage structuré une démarche sur ce sujet, et pris la mesure de cette thématique. Cette mobilisation porte ses fruits, enrichit les outils, mobilise les acteurs, structure les démarches de prévention et de traitement. Elle est essentielle, pour la sécurité des Français et pour la mise à disposition d'une offre de logements de qualité, pour répondre aux besoins, ainsi que je m'y emploie depuis mon arrivée, et ainsi que je continuerai à le faire avec vous.

Mme Marianne Margaté, rapporteure. - Merci pour cette présentation. Deux chiffres sur la question de la paupérisation des copropriétés : deux ménages pauvres sur trois sont logés dans le parc privé et un tiers des propriétaires occupants sont considérés comme modestes ou très modestes - et un chiffre sur les copropriétés : celles de moins de 10 logements représentent les trois quarts des copropriétés en difficulté.

Nos auditions ont confirmé la paupérisation des copropriétés, en particulier des petites copropriétés de villes moyennes ou petites, qui sont souvent hors des radars, on nous a parlé de « mur de la dette », de « bombe sociale », mais aussi d'un angle mort, invisible. Les maires ruraux disent être démunis pour agir sur la paupérisation de ces copropriétés. Ce phénomène est donc mal connu, il va s'accentuer encore, alors qu'il est déjà difficile à enrayer - parce que la copropriété est un système complexe, avec des questions de gouvernance difficiles à régler surtout dans le contexte de crise du logement et de l'hébergement que nous vivons, les copropriétés deviennent un parc de relégation où tout le monde s'appauvrit, sauf les marchands de sommeil. La situation est grave, le phénomène est massif, et nous devons aussi prendre garde à ce que les mesures qui sont prises pour demain, en particulier celles qui concernent les ventes du parc social, les ventes à la découpe, la surélévation des pavillons, la densification de l'habitat, n'aggravent pas la crise en développant le mal-logement, dès lors que les copropriétés vont se multiplier. L'Anah essaie d'agir en amont et le dispositif qu'elle a mis en place il y a trois ans manifeste une volonté de s'adapter aux petites copropriétés, mais il y a un besoin de connaissance : le répertoire qui a été créé n'est ni complet ni fiable, l'Agence n'a pas suffisamment de signaux d'alerte. Il y a donc, à tout le moins, des améliorations à apporter pour que les registres servent d'alerte et actionnent les dispositifs d'action publique, qu'ils mobilisent les maires, les intercommunalités et la préfecture, lesquels forment le trio nécessaire à la réussite de l'action publique, ce qui n'est pas toujours le cas aujourd'hui, faute de moyens.

Face à cette crise de la copropriété qui n'est pas loin d'être structurelle, il faut renforcer le service public de l'habitat - et nous avons l'ambition d'y aider, par un travail de réflexion qui ouvre sur des recommandations, pour ce secteur qui est moins connu que celui du logement social.

Les syndics professionnels sont décisifs quand ils jouent leur rôle, même s'ils ne sont pas indispensables puisque des syndics bénévoles s'en sortent très bien ; cependant, ils sont parfois défaillants, et le Premier ministre, dans sa déclaration de politique générale, a évoqué la déréglementation des syndics : qu'est-ce à dire ?

Nos auditions ont été riches de commentaires sur le rôle des syndics professionnels, on nous a dit qu'ils pouvaient bloquer les choses, ou bien même qu'en ne transmettant pas l'information, ils participaient de fait à la dégradation, tandis que les syndics bénévoles, eux, manquaient d'expertise : comment les politiques publiques peuvent-elles accompagner le secteur pour que les syndics jouent pleinement leur rôle, comment redonner confiance dans les syndics et quel encadrement pour une action efficace, y compris dans les petites copropriétés : faut-il des contrats de syndics allégés ? Comment redonner sa place au syndic, acteur majeur face à la dégradation ? Faut-il plus d'encadrement, ou au contraire plus de souplesse ? L'exigence de transparence avec les maires, en tout cas, est un impératif.

M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué. - Je partage l'idée qu'il faut mieux faire connaître la situation des copropriétés, les droits et les devoirs de chacun et les dispositifs d'accompagnement qui sont à disposition. « MaPrimeRenov' copros » est mobilisable, nous ciblons cette année la rénovation de 25 000 logements et nous disposons pour cela d'une enveloppe qui peut aller jusqu'à 216 millions d'euros ; à ce jour, des travaux ont été enclenchés pour 2 800 logements et un montant de 21 millions d'euros, c'est dire que nous avons à faire connaître ce dispositif, à faire savoir que nous avons des outils et des financements, pour que les copropriétés s'en saisissent.

Les textes qui viennent, effectivement, doivent tenir compte de la situation actuelle. Le projet de loi sur le développement d'une offre de logements abordables prévoit de transférer au maire l'autorisation de vendre des logements sociaux, nous y avons intégré le verrou consistant à demander au bailleur de présenter le mode de gestion du logement vendu, le maire pourra ainsi éviter que la vente de logements sociaux n'entraîne l'apparition de nouvelles copropriétés dégradées. Nous voulons décentraliser, donner les outils au maire, tout en le dotant de verrous pour éviter la dégradation des parcs de logements, nous en débattrons en examinant le texte.

Beaucoup de syndics font bien leur travail, quelques syndics défaillants ne doivent pas emporter notre jugement global sur cette profession. La loi du 9 avril dernier aborde la question des syndics, elle renforce en particulier les sanctions contre les syndics défaillants, dans une logique de responsabilisation ; elle renforce aussi les obligations de transmettre les informations, et elle crée des syndics d'intérêt collectif. Faut-il aller plus loin ? Le Gouvernement n'est pas fermé aux propositions, nous pouvons en débattre, mais je ne vois pas dans quel véhicule législatif nous pourrions intervenir, la question des syndics ne figurant pas, en particulier, dans le projet de loi sur le logement abordable. Des propositions peuvent être faites, je suis ouvert au débat.

M. Laurent Burgoa. - Le permis de louer est un bel outil pour contrôler la paupérisation, mais il n'est pas connu, en particulier des élus ruraux : une campagne de promotion ne serait-elle pas utile ? Ensuite, nous manquons d'ingénierie en particulier dans les communes rurales : l'État pourrait-il pallier les manques en la matière, comme il le faisait par le passé avec ses services déconcentrés ?

M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué. - L'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) se mobilise pour diffuser le permis de louer auprès des collectivités qui en font la demande, et il y a, plus largement, des obligations réglementaires de décence pour mettre un logement en location. Dans mes fonctions, je suis pris entre une volonté de réguler davantage les mises en location, et le manque de locations sur le marché, il faut trouver le point d'équilibre. Il y a donc des règles sur la décence, et la possibilité pour les collectivités locales d'imposer un permis de louer. Faut-il aller plus loin dans la restriction, alors que de nombreux locataires voient l'offre reculer et que des propriétaires sont inquiets de l'apparition de règles nouvelles, alors que le marché est déjà très déséquilibré ? A quoi s'ajoute le principe de la libre administration des collectivités...

M. Laurent Burgoa. - Certes, mais un maire rural, en général, ne connaît pas l'ANCT, et il est parfois, voire souvent réticent à aller voir le sous-préfet quand il n'est pas accompagné de son sénateur, c'est la réalité - et c'est aussi pour cela qu'une campagne d'information sur le permis de louer serait la bienvenue.

M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué. - Je transmettrai ce message à Dominique Faure, en charge de l'ANCT, il y a aussi d'autres sources d'information auprès des communes rurales. Je réside dans un village d'Eure-et-Loir, Saint-Martin-de-Nigelles, je sais le travail de terrain que font les sénateurs, l'Association des maires ruraux de France, les services de la préfecture, les sous-préfets sont en lien avec les maires ruraux et ils leur présentent les nouvelles lois régulièrement - cela dit, il faut aller plus loin, vous avez raison, pour que le maire rural ne se sente pas isolé.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Je rejoins mon collègue, il y a un sentiment de solitude du maire, et au-delà des outils, je crois que c'est la méthode qu'on doit regarder, il faut aller davantage vers les maires pour les soutenir.

M. Ahmed Laouedj. - Je salue le travail de notre commission d'enquête, le débat avance. La question des copropriétés est un enjeu majeur pour les élus des territoires touchés par l'habitat indigne ou dégradé. Depuis 30 ans, les outils s'ajoutent les uns aux autres, le problème est dans leur mise en oeuvre, ils sont trop peu connus. En réalité, les projets prennent systématiquement du temps, ce dont les copropriétaires ou les locateurs pâtissent les premiers. Monsieur le ministre, vous avez annoncé vouloir simplifier les procédures en proposant d'interdire la location des passoires thermiques, c'est-à-dire les logements classés G à partir du 1er janvier 2025, ceux classés en F en 2028 et ceux classés en E en 2034, soit le quart du parc immobilier actuel. En février dernier, votre collègue de la transition écologique annonçait un changement de calcul du diagnostic de performance énergétique (DPE), permettant de remettre en location 140 000 logements qui auraient dû être exclus au 1er janvier 2025. Si des fédérations de l'immobilier s'en sont réjouies, des associations se sont révélées plus sceptiques, craignant que les bailleurs ne reportent des travaux de rénovation énergétique nécessaires. Ainsi, Eddie Jacquemart, président de la Confédération nationale du logement, y voit un formidable cadeau aux propriétaires puisque cette mesure va remettre sur le marché des passoires thermiques...

Monsieur le ministre, je m'interroge sur la pertinence de cette mesure face à l'urgence de la situation et alors qu'une véritable politique de logement est nécessaire. Avez-vous défini un cap clair pour résoudre ces problématiques à long terme ? Quelles sont les prochaines étapes ?

M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué. - En février dernier, nous avons décidé, avec Christophe Béchu, de modifier le calcul du DPE pour les petites surfaces, les professionnels nous ayant alertés qu'elles étaient mal classées en partie par un biais lié au mode de calcul du DPE, y compris celles où des travaux de rénovation avaient été effectués et qui continuaient à se trouver classées F ou G. Nous avons donc modifié certaines modalités du calcul uniquement pour les petites surfaces ; chacun peut désormais consulter sur le site de l'Ademe le classement de son logement, pour savoir ce qu'il en est de l'interdiction de location. Nous voulons aussi éviter de sortir 140 000 logements du marché locatif, alors que le marché est déjà très contraint. Nous agissons dans le cadre européen, puisque les règles sont communes dans l'Union.

Vous évoquez aussi des assouplissements aux interdictions devant intervenir l'an prochain. En réalité, le Gouvernement a présenté un amendement de souplesse pour les cas où des copropriétés en difficulté, qui auraient voté des travaux, se seraient vues retardées par des règles de gouvernance compliquées, et qui se trouveraient, du fait donc de ces règles, hors délai le 1er janvier prochain ; cet amendement a été frappé d'irrecevabilité au Sénat, d'où le dépôt d'une proposition de loi par les députés Renaissance, qui sera examinée ces jours-ci et qui apportera de la souplesse non pas à tous les propriétaires, mais aux copropriétés qui auront déjà voté des travaux. J'entends les critiques des associations de locataires, mais je leur réponds qu'il faut éviter d'atrophier davantage l'offre de locations, car moins il y a d'offres, plus les candidats attendent et plus les conditions d'accès deviennent exigeantes - dans certaines zones, on en arrive à des conditions délirantes pour louer, la demande est telle que des agences ne passent même plus d'annonce et choisissent les candidats par d'autres méthodes...

Cependant, je me refuse à modifier le calendrier, comme on me le demande ici ou là, y compris au Sénat. La proposition de loi du groupe Renaissance ne touche pas au calendrier, en tout cas je suis favorable à ce qu'on ne touche pas au calendrier des obligations, car ce serait un signal de renoncement à ceux qui doivent faire des travaux, et un mauvais signal aussi à ceux qui ont joué le jeu en faisant des travaux, il en va du crédit de la parole publique - en particulier pour la suite, s'il s'agit de demander des efforts supplémentaires de rénovation : plus personne ne croira au calendrier. Je préfère donc donner de la flexibilité aux propriétaires qui veulent faire des travaux - en adaptant les DPE des petites surfaces, en donnant un peu de souplesse aux propriétaires qui ont été retardés par des règles administratives ou des règles de copropriété -, c'est pragmatique, et c'est en tenant cette ligne de crête que je pense aider à rénover les logements tout en assurant que les locataires continuent d'en trouver.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - J'entends votre raisonnement, mais le pragmatisme, c'est aussi d'adapter le calendrier au contexte très particulier que nous connaissons. Je pars du principe que les propriétaires sont de bonne foi, et ce que je vois, c'est que sur certains territoires, les entreprises qui peuvent intervenir ne sont pas disponibles, donc il y a des complications, y compris celles qui sont liées au pouvoir d'achat. Notre proposition n'est donc pas de décaler le calendrier pour le fragiliser, mais de mieux tenir compte du contexte, donc de maintenir un calendrier, des objectifs ambitieux, mais en laissant un délai supplémentaire - parce que dans six mois, les propriétaires auront-ils pu achever les travaux ?

M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué. - Nous aurons le débat en examinant la proposition de loi - je pense que si l'on garde notre ambition, ce n'est pas sur le calendrier qu'il faut assouplir la règle, ce qui ne veut pas dire que je suis fermé à des assouplissements. Je crois qu'il ne faut pas changer le calendrier, le report serait mal vécu par les associations de locataires et les propriétaires pourraient y voir le signe que le Gouvernement ne tient pas sa parole - et je crois que, finalement, on ne ferait que reporter le problème, qu'on nous demanderait, six mois avant la nouvelle échéance, de la reporter encore parce qu'on n'aurait pas eu le temps de s'y préparer correctement... Je pense aussi aux propriétaires qui ont vendu leur bien en anticipant la nouvelle contrainte, et qui ont accepté une décote : ils penseraient avoir eu tort de vendre au prix qu'ils ont accepté. Le recul du calendrier me semble donc la moins bonne option, il enverrait des signaux négatifs à l'ensemble du marché et notre ambition n'y gagnerait pas - ce qui ne veut pas dire que je suis fermé à d'autres assouplissements ou d'autres simplifications, en particulier pour ne pas tarir l'offre de logements locatifs.

M. Bernard Buis. - Je suis interpelé par des propriétaires dans de petites copropriétés des années 1960-1970, où il y a beaucoup de travaux de rénovation à faire, mais où, faute de pouvoir d'achat, il n'y a pas de majorité pour les enclencher, et où la copropriété bloque les projets : quels sont les outils à disposition pour faciliter les travaux quand le besoin est avéré, mais qu'il n'y a pas de majorité pour les enclencher ?

M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué. - Le problème est réel, il a été abordé dans la loi d'avril dernier sur les copropriétés dégradées, qui a prévu une nouvelle majorité pour faciliter l'enclenchement des travaux. Nous cherchons aussi à assouplir les règles pour les copropriétés qui ont voté des travaux, vous aurez à en débattre quand la proposition de loi du groupe Renaissance arrivera au Sénat.

Mme Marianne Margaté, rapporteure. - J'entends votre souci de ne pas entraver la location dans la crise du logement que nous traversons, mais celle-ci impose de protéger particulièrement nos concitoyens dans leur accès au logement, pour éviter le mal-logement. Il y a toujours eu des gens qui s'enrichissent dans la crise, et c'est bien pourquoi l'objectif est aussi d'éviter les prédateurs, donc ici de sécuriser l'accès au logement décent pour nos concitoyens, dans un contexte où la construction est trop faible. Les prédateurs sont là, il faut en protéger nos concitoyens, le permis de louer est un outil pour y arriver.

Ensuite, les auditions ont montré l'insuffisante information préalable des primo-accédants. Aujourd'hui, on envoie dans la nasse des gens dont on sait qu'ils seront étranglés par les charges... Il faut présenter le plan pluriannuel des travaux, des informations sur le poids financier de la propriété, sur l'état de la copropriété... La loi « ALUR » avait prévu cette information, mais le décret concerné n'a toujours pas été pris, comment envisagez-vous d'intervenir sur ce point ? Il faut donner à celui qui va acheter un logement, une information utile et facilement appropriable.

M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué. - Oui, il faut trouver le bon équilibre entre la protection des locataires - c'est l'objet du décret sur la décence des logements, qui porte sur tout le territoire - et le besoin de logements locatifs ; il faut faire attention à ne pas réduire encore l'offre, ou bien les candidats le paieraient. Cet équilibre est difficile à trouver, c'est de notre responsabilité de le faire. La loi que vous avez votée en avril dernier tâche de responsabiliser les propriétaires pour résorber l'habitat dégradé, vous avez prévu de nouvelles procédures d'expropriation, des diagnostics de structure quand il y a des doutes sur la solidité de la copropriété, nous avons fait cette loi pour éviter la prolifération de copropriétés encore plus dégradées. Il faut donc trouver l'équilibre entre la protection des locataires et le besoin d'avoir de l'offre de logements locatifs. Nous agissons aussi par d'autres leviers, comme la conversion de bureaux en logements - il y a 4,5 millions de mètres carrés de bureaux vacants, il faut utiliser l'existant, y compris les logements vacants - il y a 8 % de logements vacants dans notre pays, c'est un gisement qu'il ne faut pas négliger.

L'information des primo-accédants, ensuite, a gagné avec la loi que vous avez votée en avril ; le nouveau propriétaire est désormais mieux informé sur l'état du bien qu'il achète et les banques sont tenues de l'informer des travaux à réaliser quand le logement est classé F ou G, c'est d'ailleurs l'intérêt de la banque, en raison des prêts qui peuvent être liés à ces travaux. Et l'Association nationale pour l'information sur le logement (Anil), avec son réseau d'associations départementales (Adil), donne des informations sur les droits et devoirs de chacun, une information de qualité, actualisée en permanence.

Mme Marianne Margaté, rapporteure. - Nous avons rencontré l'Anil et les associations qui agissent pour la connaissance des droits, elles nous disent que l'information systématique serait plus efficace - et que c'est bien au décret de la prévoir, ce décret qui n'a pas été pris et qui fait donc défaut.

M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué. - Effectivement, le décret que vous mentionnez n'a pas été pris, je vais regarder avec mon administration si ce décret renforcerait l'information - merci de cette alerte, je reviendrai vers vous pour la suite qui lui sera donnée.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Les marchands de sommeil sont très présents dans la paupérisation des copropriétés, mais ils ne la déclenchent pas eux-mêmes, ils l'accélèrent en entrant dans des copropriétés fragilisées, qu'ils phagocytent en quelque sorte. Menez-vous une réflexion sur les outils qui empêcheraient ces marchands de sommeil d'entrer et de prospérer dans les copropriétés déjà en difficulté ?

M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué. - Votre question vise plutôt la mise en oeuvre des sanctions que vous avez renforcées avec la loi du 9 avril dernier, et le suivi des actions en justice. Je n'ai pas de chantier spécifique pour changer les règles d'entrée dans les copropriétés.

Cela dit, si votre question porte sur l'usage illicite des logements, je rappelle que la loi du 27 juillet 2023 visant à protéger les logements contre l'occupation illicite prévoit des procédures accélérées en cas d'introduction illicite dans un logement suivie d'un squat ou d'une location frauduleuse ou d'une sous-location ; cette procédure passe par le préfet et elle est plus rapide qu'une décision judiciaire, elle permet de se saisir des cas où quelqu'un qui entre dans une propriété par des voies de fait, menaces, manoeuvres ou contraintes, s'y maintient soit à titre personnel, soit pour y faire de la location en prétendant qu'il est le propriétaire. Nous avons donc renforcé les sanctions puisqu'en plus de la procédure judiciaire liée au viol de la propriété, nous avons introduit une procédure qui permet de faire sortir les occupants du logement le plus vite possible. J'ai demandé un suivi très précis des expulsions réalisées dans le cadre de cette loi, nous avons fait une circulaire avec Gérald Darmanin et avec Éric Dupont-Moretti pour documenter au mieux ce type d'entrée et d'occupation illicite de logements. Nous aurons prochainement des chiffres ; j'espère, d'ici le premier anniversaire de cette loi, pouvoir rendre compte des effets des procédures d'interruption et d'expulsion d'occupations illicites. Il y a des personnes qui entrent dans des logements et qui, ensuite, s'y maintiennent ou le louent de façon frauduleuse en prétendant qu'ils en sont les propriétaires, il y a des affaires qui reviennent dans l'actualité. Nous demandons chaque fois au préfet la plus grande fermeté dans l'application de la loi.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Merci pour ces informations. Nous serons très heureux de vous présenter notre rapport avant l'été, et de le voir suivi d'effets.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de Mmes Joanna Ghorayeb, sous-directrice
du droit économique, et Marion Vandevelde, cheffe du bureau du droit
de l'immobilier et du droit de l'environnement de la direction des affaires civiles et du sceau (DACS) du ministère de la justice

(Jeudi 30 mai 2024)

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Madame la rapporteure, mes chers collègues, nous reprenons nos auditions en recevant Madame Joanna Ghorayeb, sous-directrice du droit économique de la Direction des affaires civiles et du sceau (DACS), et Madame Marion Vandevelde, cheffe du bureau du droit de l'immobilier et du droit de l'environnement de cette même direction.

Je me réjouis de pouvoir échanger avec vous aujourd'hui à propos du cadre juridique régissant le fonctionnement des copropriétés, alors que les auditions de notre commission touchent à leur fin.

Nous l'avons entendu à maintes reprises au cours des auditions et des déplacements effectués ces derniers mois : les acteurs de terrain sont force de proposition pour mieux prévenir et prendre en charge les copropriétés dégradées. Certaines de ces idées nécessiteront néanmoins, pour voir le jour, une adaptation de la loi du 10 juillet 1965 qui encadre depuis bientôt 60 ans le régime de la copropriété.

Ainsi, nous pourrions, dans un premier temps, revenir sur les évolutions récentes de cette loi. La loi « ALUR », la loi « ELAN » ou encore la loi relative à la rénovation de l'habitat dégradé adoptée il y a quelques mois et pour laquelle j'étais rapporteure, ont en effet d'ores et déjà permis de faire évoluer la prise en charge des copropriétés dégradées. Pour certaines de ces mesures, la DACS a-t-elle pu établir un bilan des avancées permises ?

S'agissant des évolutions à venir de la loi du 10 juillet 1965, nous avons été interpellés au cours des travaux de notre commission d'enquête sur les défaillances présentées par certaines dispositions du texte. Nous nous préoccupons particulièrement de l'effectivité de la procédure permettant la désignation d'un mandataire ad hoc prévue à l'article 29-1 A, qui demeure rarement mobilisée et souvent peu efficace. Votre direction a-t-elle identifié des pistes d'évolution de cette procédure ? Nous avions par exemple envisagé de modifier les critères permettant la désignation d'un mandataire ad hoc, pour le faire intervenir plus en amont.

De même, les prérogatives accordées aux administrateurs provisoires pourraient évoluer. Il me semble que l'un des enseignements de nos travaux tient à la nécessité de renforcer les pouvoirs de ces derniers, notamment s'agissant du recouvrement des dettes, afin d'interrompre au plus vite le cycle d'endettement des copropriétés en cours de dégradation. Dans quelle mesure serait-il opportun, selon vous, d'élargir leur palette d'actions ou de modifier les modalités de saisine du juge ?

Dans le temps qui nous est imparti, je sais que les membres de la commission d'enquête souhaiteraient également vous entendre sur la prévention par les mécanismes de veille et d'observation des copropriétés ainsi que par les modalités de fonctionnement des assemblées générales, car ces sujets sont régulièrement soulevés par les acteurs de terrain, qui en appellent à une action anticipée et incluant l'ensemble parties prenantes.

Avant de vous donner la parole, je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amende.

Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».

Les personnes auditionnées lèvent la main droite et disent « Je le jure ».

Mme Joanna Ghorayeb, sous directrice du droit économique de la direction des affaires civiles et du sceau (DACS) du Ministère de la Justice. - Au regard de vos attentes concernant les textes régissant les copropriétés en difficulté, nous sommes également venues accompagnées d'Anne-Louise Chevalier, cheffe du bureau du droit de l'économie des entreprises de la DACS.

La DACS est la direction normative en matières civile et commerciale du ministère de la justice. Ses attributions sont définies par le décret du 9 juillet 2008. Elle élabore les projets de loi et de règlement dans toutes les matières n'entrant pas dans la compétence spéciale d'une autre direction, notamment celles relevant du droit constitutionnel, du contentieux administratif, du droit civil et de la procédure civile, du droit commercial et du droit des sociétés. Elle assure par ailleurs une mission de conseil des autres administrations publiques dans ces mêmes matières.

En matière de droit immobilier et de logement, la politique publique est conduite par le ministère du logement et pilotée par l'administration centrale que constitue la DHUP. Dans ce cadre, lorsque des choix politiques doivent être déclinés par la norme, le bureau du droit immobilier et de l'environnement de la DACS est sollicité pour fournir une expertise juridique en matière de droit immobilier, principalement en matière de droit des copropriétés, pour veiller à ce que les atteintes éventuellement prévues par les textes au droit de la propriété soient proportionnées. Le bureau du droit de l'économie des entreprises de la DACS, compétent en matière de droit commercial et des entreprises en difficulté, est par ailleurs pilote dans l'élaboration de la norme vis-à-vis des copropriétés en difficulté. Les questions relatives aux procédures civiles sont quant à elles traitées par un autre bureau de la DACS.

Nous intervenons également aux côtés de la DHUP dans le cadre du conseil national de la transaction et de la gestion immobilières (CNTGI), en lien avec les parties prenantes en matière de droit immobilier, ce qui nous permet de mieux comprendre les attentes du terrain.

Le droit de la copropriété, encore relativement récent, demeure spécifique. Le copropriétaire est titulaire d'un droit composite, qui lie de manière indissociable, au sein d'un lot, la propriété exclusive sur les parties privatives et la propriété indivise sur les parties communes. Dans l'évolution de la norme, cette spécificité appelle une recherche permanente d'équilibre entre le respect des droits individuels de chaque copropriétaire et la facilitation de la gestion collective des copropriétés. C'est à travers ce prisme que nous expertisons les mesures proposées.

Les prérogatives du propriétaire d'un lot sont définies à l'article 544 du code civil. Elles garantissent le droit de jouir et de disposer d'un bien, pourvu que l'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou règlements. Pour autant, ces prérogatives sont restreintes par ce qu'impose la cohabitation au sein d'un immeuble à usage collectif, c'est-à-dire par le règlement contractuel de la copropriété (auquel chaque copropriétaire adhère au moment où il acquiert son bien) ou le statut légal de la copropriété des immeubles bâtis.

Ce cadre juridique impose au législateur de justifier les éventuelles atteintes portées au droit des copropriétaires. En cohérence avec la Déclaration des droits de l'Homme et le droit constitutionnel, les mesures proposées doivent répondre à l'intérêt général et être proportionnées au regard de l'objectif poursuivi. Ainsi, lorsque le législateur entend priver totalement le copropriétaire de son droit à la propriété, cela doit répondre à une cause d'utilité publique. Cette atteinte doit alors faire l'objet d'une juste et préalable compensation.

C'est dans ces limites que s'inscrit le statut de la copropriété des immeubles bâtis fixé par la loi de 1965. Ce statut constitue une forme de régime dérogatoire d'indivision, adapté à l'usage et à la gestion en commun d'un immeuble au sein duquel il existe des parties purement privatives.

Sur cette base, avec l'indivision comme modèle d'origine et d'autres mécanismes de gestion collective des biens pouvant servir d'inspiration (dont le contrat de société), nous construisons au fil du temps une philosophie de la copropriété, avec un droit de plus en plus spécifique, traduisant la vision du législateur - la dernière évolution en date étant l'apparition d'un droit des copropriétés en difficulté.

Dans ce cadre, il convient de souligner que le législateur n'a, jusqu'à présent, dans le droit de la copropriété, jamais prévu la nécessité de tenir compte de la capacité contributive de chacun des copropriétaires. Le droit de la copropriété n'est aujourd'hui pas sous-tendu par un ordre public de protection. Dans la copropriété, on n'identifie pas une partie structurellement faible qu'il conviendrait de protéger contre une autre partie structurellement plus forte - les acquéreurs d'un bien en copropriété n'ayant pas vocation à s'intéresser à l'état du patrimoine global individuel de chacun des copropriétaires.

Cela étant, le droit de vote de chaque copropriétaire, corrélé à l'importance de son lot au sein de la copropriété, fait l'objet d'une protection très vigilante du Conseil constitutionnel, car il constitue le seul outil disponible permettant à un copropriétaire de s'opposer à des décisions génératrices d'un taux de charge excédant potentiellement ses capacités financières.

Le législateur s'efforce par ailleurs de munir les copropriétés d'outils pour surmonter les difficultés à prendre les décisions d'entretien et recouvrir les sommes dues au titre des charges. Tous les textes récemment adoptés en matière de droit de la copropriété ont ainsi eu pour objet d'adapter le régime spécifique de la copropriété aux enjeux économiques.

La loi « ALUR », avec pour ambition de mieux informer et protéger les copropriétaires et de permettre une meilleure gestion des copropriétés, a permis de faire connaître l'état du parc et de mieux identifier les copropriétés fragiles, à travers le registre des copropriétés. Pour protéger le bâti et les tiers, elle a obligé les syndics à souscrire une assurance en responsabilité civile (en cas de refus de l'assemblée générale des copropriétaires de le faire). Elle a prévu un archivage des documents, la constitution de fonds travaux, la réalisation de diagnostics techniques globaux et la création des ORCOD. Pour garantir la bonne gestion financière des copropriétés, elle a notamment rendu obligatoire l'ouverture d'un compte bancaire propre à celles-ci.

La loi « ELAN » a poursuivi ce travail d'encadrement législatif de la gestion des copropriétés et de perfectionnement des outils d'intervention publique à leur égard, pour lutter contre les marchands de sommeil, lutter contre la dégradation du bâti et l'insalubrité (en permettant notamment l'exécution des arrêtés sous astreinte pour les locaux d'habitation) et lutter contre les impayés (en améliorant notamment la procédure judiciaire de recouvrement des charges). Dans le cadre de cette loi, nous avons également été habilités à réformer le droit de la copropriété.

Une ordonnance de 2019 a ensuite réformé le droit de la copropriété, avec pour objectifs une meilleure prise en compte de la dimension collective des copropriétés (dans une optique de préservation du patrimoine commun) et une adaptation des modalités de gestion des copropriétés à la taille de celles-ci. Cette ordonnance a également permis l'adoption de mesures propres aux copropriétés à deux, soulevant des problématiques spécifiques. Elle a aussi permis de clarifier et de simplifier les modalités de prise de décision au sein des copropriétés, pour remédier à l'inertie de certains copropriétaires et faciliter la réalisation de travaux d'intérêt collectif dans les parties privatives, à travers notamment la création de passerelles de vote.

Enfin, la loi « habitat dégradé » a récemment fait évoluer les modalités d'intervention publique dans la gestion des copropriétés (expropriation, opération d'aménagement, scission, agrément de gestionnaires qualifiés, mise en place de dispositifs contraignants d'emprunt pour la réalisation de travaux nécessaires à l'entretien du bâti, etc.). Elle a également fait évoluer le droit des copropriétés en difficulté.

Lors de l'élaboration de ce projet de loi, le constat a notamment été fait, en lien avec le Conseil national des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires (CNAJMJ), d'un recours insuffisant au mandat ad hoc. De nombreux dossiers examinés par les juges sont en effet apparus présenter une dégradation financière trop avancée, qui aurait justifié une intervention en amont d'un mandataire ad hoc.

Pour améliorer ce recours au mandat ad hoc, nous avons réexaminé les conditions de saisine du juge. À cet endroit, nous avons constaté une contradiction dans l'application du critère de seuil de charges impayées - ce seuil ne pouvant être vérifié en l'absence d'approbation des comptes. Il est donc apparu nécessaire d'introduire un critère permettant d'agir dès le premier symptôme de dysfonctionnement que constitue une absence d'approbation des comptes.

Nous avons également constaté que l'obligation faite aux syndics de saisir le juge aux fins de désignation d'un mandataire ad hoc n'était pas opérante. Il est donc apparu nécessaire de prévoir une incitation juridique, sans pour autant soumettre les syndics à un régime de sanctions trop sévères et ne tenant pas compte de la situation pratique des copropriétés - les impayés de charges pouvant résulter de problématiques ponctuelles de trésorerie.

Cette recherche d'équilibre nous a conduits à prévoir qu'un syndic n'ayant pas saisi le juge alors qu'il aurait dû le faire se voie imputer tout ou partie des frais de l'administration provisoire. Cela n'a pas été évident à entendre pour les professionnels de terrain. Le dialogue avec eux a cependant été constructif, car ils avaient conscience de la nécessité de rééquilibrer le dispositif. La philosophie du dispositif est aujourd'hui la suivante : si la situation d'une copropriété s'est dégradée au point que cela conduise à une administration provisoire, on se penche sur l'historique ayant conduit à cette dégradation et on laisse le soin au juge, après audience contradictoire, de décider d'une potentielle mise à la charge du syndic de tout ou partie des frais de cette administration provisoire.

En complément, nous nous sommes également efforcés d'élargir le panel des acteurs susceptibles de saisir le juge d'une demande de mandataire ad hoc, bien que le syndic demeure, en général, le mieux placé pour cela.

Mme Marianne Margaté, rapporteure. - Vous avez évoqué un équilibre complexe à trouver entre la gestion collective et le droit de propriété, dans le cadre de la gouvernance des copropriétés notamment qui, lorsqu'elle ne fonctionne pas, peut contribuer à la dégradation de celles-ci et appeler une intervention publique. Dans le cadre de nos auditions, nous avons eu écho de situations de blocage dans certaines copropriétés, avec des copropriétaires ayant intérêt à bloquer tout vote et à faire dysfonctionner les instances de gouvernance. Le vote de ces copropriétaires est légitime, au regard de leur statut. Cependant, lorsqu'il fait échouer tout projet de rénovation ou de remise en état, il dessert aussi la copropriété et les autres copropriétaires. Serait-il possible de faire évoluer ce cadre de gouvernance des copropriétés ? Le cas échéant, la question de l'égale valeur du vote des copropriétaires ne défendant manifestement pas l'intérêt de la copropriété pourrait-elle se poser ?

Par ailleurs, on observe que les règlements de copropriété sont aujourd'hui extrêmement divers. Est-il envisagé ou serait-il envisageable de proposer un règlement type ?

Enfin, une codification du droit de la copropriété vous paraîtrait-elle judicieuse ?

Mme Marion Vandevelde, cheffe du bureau du droit de l'immobilier et du droit de l'environnement de la direction des affaires civiles et du sceau (DACS) du Ministère de la Justice. - Nous avons mené une réflexion avec l'ensemble des acteurs du secteur en 2019 dans le cadre de l'élaboration du projet d'ordonnance portant réforme du droit de la copropriété. À cette époque, nous nous étions déjà penchés sur le comportement de certains copropriétaires créant, par l'exercice de leur droit de vote ou leur absence stratégique en assemblée générale (ouvrant un droit de recours contre les décisions prises), les conditions d'une inertie, afin de ne pas avoir à engager des frais pour l'entretien de la copropriété.

Telle que définie par le code civil de 1804, la propriété recouvre l'usus, le fructus et l'abusus. Il est ainsi possible d'utiliser le bien dont on est propriétaire, d'en tirer le fruit ou de le laisser détruire. Dans la loi de 1965, on retrouve donc logiquement une absence d'obligation pour les copropriétaires d'assister aux assemblées générales. Si le bien cause un dommage à un tiers, le copropriétaire est tenu de réparer ce dommage, mais n'est pas tenu de réparer l'immeuble (pour autant que le dommage ait cessé). Le copropriétaire est également fondé à refuser, à la hauteur de ses droits au sein de la copropriété, de voter la réalisation de travaux dans celle-ci. Ceci s'inscrit dans la suite logique de la conception française de la propriété.

Cela étant, par rapport au droit de la propriété, le droit de la copropriété se singularise progressivement. Le nombre de sujétions d'un copropriétaire par rapport aux autres membres de la copropriété est désormais tel que le droit de la copropriété tend à devenir un régime spécifique.

Dans ce cadre, le Conseil constitutionnel considère le droit de vote du copropriétaire comme un garde-fou. Ce droit ne peut donc être supprimé de façon injustifiée. En revanche, de façon ponctuelle et lorsque cela est justifié, il est possible d'écarter la voix d'un copropriétaire. La loi de 1965 reconnaît les cas dans lesquels cela est possible : lorsqu'il existe des parties communes spécifiques à certains copropriétaires, ou encore lorsqu'il s'agit d'engager une procédure en saisie immobilière d'un lot dont le propriétaire ne s'est pas acquitté des charges.

Il existe donc des marges de manoeuvre pour écarter la voix d'un copropriétaire. Cette procédure doit cependant être motivée par un intérêt général et par son caractère indispensable à la prise d'une décision. C'est cet équilibre qu'il faudrait rechercher si l'on souhaitait sanctionner le comportement de certains copropriétaires.

À cet égard, il pourrait être complexe d'écarter la voix d'un copropriétaire ne considérant pas une décision d'investissement opportune. Le cas échéant, il faudrait que la situation du bâti soit précisément objectivée, de telle sorte que l'opposition à la réalisation de travaux puisse être qualifiée d'abus. En pratique, lorsqu'il est fait injonction d'exécuter des travaux, dans le cadre d'un arrêté de péril ou d'insalubrité, la marge de manoeuvre de la copropriété est limitée - un refus persistant risquant de se solder par une exécution d'office à ses frais. À un niveau de dégradation inférieur, il faudrait pouvoir trouver le critère justifiant objectivement de trancher en lieu et place d'un copropriétaire réticent. Or si un copropriétaire est en capacité, à lui seul, de s'opposer à une décision de travaux, c'est qu'il dispose d'une majorité de parts au sein de la copropriété. Il pourrait alors être difficile de faire de ses voisins les arbitres de ses choix patrimoniaux. La rédaction d'une mesure équilibrée et acceptable allant dans ce sens pourrait donc s'avérer délicate.

Dans le cadre de nos travaux, nous n'avons pas expertisé la question des règlements-type, n'ayant pas connaissance de cette problématique. Cependant, le fait est que de nombreux contrats-type existent dans le droit civil. Or le règlement de copropriété est un contrat, dont la loi de 1965 encadre les mentions. Il n'y aurait donc pas d'obstacle de principe à ce que des règles statutaires types soient imaginées, permettant des adaptations à chaque type d'immeubles.

La codification du droit de la copropriété, quant à elle, répondrait à un besoin fort et ancien. Dans le cadre de la loi « ELAN », le Gouvernement avait été habilité à réformer le droit de la copropriété et, parallèlement, à le codifier. Cela n'a toutefois pas été possible, en l'absence d'une version stabilisée des textes - l'habilitation à codifier ayant expiré avant la publication de l'ensemble des décrets d'application de l'ordonnance portant réforme du droit. Cela étant, les travaux de codification engagés dans cette optique et présentés à la Commission supérieure de codification devraient pouvoir être repris, cette fois à droit constant, le cas échéant avec une nouvelle habilitation.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Dans le cadre du fonctionnement des assemblées générales, pourrait-on envisager une participation des locataires, en cas de situation de blocage ou d'implication aléatoire de certains copropriétaires bailleurs ?

Mme Marion Vandevelde. - Il s'agit d'une proposition récurrente. Cependant, elle soulève une problématique d'égalité devant la loi. En effet, la suggestion ainsi imposée aux copropriétaires d'avoir à partager leurs délibérations avec des tiers occupants pourrait être difficile à transposer à un immeuble collectif en monopropriété. Or il conviendrait à cet endroit de conserver une égalité de traitement.

Par ailleurs, l'assemblée générale des copropriétaires n'aurait pas nécessairement vocation à être le lieu d'une prise de décision en commun concernant le patrimoine de certains copropriétaires.

Néanmoins, ceci ne devrait pas exclure une réflexion sur un cadre parallèle et circonscrit aux questions intéressant l'occupation.

En l'état du droit, les occupants doivent déjà être informés des décisions prises, à la charge du syndic, par voie d'affichage. L'article 44 de la loi du 23 décembre 1986 prévoit aussi la participation des représentants d'associations de locataires. Au sein des résidences-services en copropriété, des conseils de résidents sont également appelés à délibérer sur l'exécution et l'avenir des services rendus.

Mme Marianne Margaté, rapporteure. - Une participation des locataires pourrait effectivement être difficilement duplicable dans les immeubles en monopropriété. Pour autant, avec un mandat clair des copropriétaires et une autorisation de l'assemblée générale, une représentation par les locataires pourrait-elle être envisagée ?

Mme Marion Vandevelde. - Il s'agirait alors d'élargir les possibilités de représentation des copropriétaires et non d'assurer une représentation des occupants. Du point de vue du droit civil, il est aujourd'hui possible pour un copropriétaire de désigner un mandataire pour porter ses propres intérêts en assemblée générale. Cependant, la prise de décision demeure circonscrite aux personnes intéressées au patrimoine.

Une telle représentation pourrait également soulever une question d'opportunité pour les copropriétaires occupants, n'ayant pas nécessairement envie que leurs voisins locataires disposent du même degré d'information.

Mme Joanna Ghorayeb. - Il conviendrait de clarifier la notion de gouvernance. En réalité, la gouvernance recouvre différents organes de prise de décisions, pour la gestion ou l'exercice du droit de propriété. Au sein des copropriétés, l'enjeu serait de ne pas générer de confusion entre ces différentes instances. Les assemblées générales de copropriétaires sont des lieux d'exercice du droit de vote de ceux-ci - ce droit de vote constituant un outil de protection de leur droit de propriété. La proposition que vous évoquez viserait davantage à assouplir les modalités de gestion au quotidien des copropriétés.

De manière générale, en réponse aux demandes du terrain, nous nous efforçons ainsi d'identifier les besoins, les éventuels obstacles juridiques et les potentielles implications pour la construction du droit de la copropriété.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Merci pour votre disponibilité et votre contribution. Je vous invite également à nous retourner le questionnaire qui vous a été adressé. Les travaux de notre commission d'enquête arrivent quasiment à leur terme. Nous devrions en partager les conclusions à la mi-juillet 2024.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de Mme Anne-Claire Mialot, directrice générale
de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU)

(Jeudi 30 mai 2024)

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Madame la rapporteure, mes chers collègues, nous poursuivons nos auditions en recevant Mme Anne-Claire Mialot, directrice générale de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU).

Madame la directrice générale, vous occupez ce poste depuis décembre 2021. À l'occasion de votre nomination, vous aviez été auditionnée par la commission des affaires économiques, comme l'exige l'article 13 de la Constitution, et vous aviez déjà évoqué la question des copropriétés dégradées et de l'articulation entre l'Agence nationale de l'habitat (Anah) et l'ANRU. Vous avez maintenant une expérience de plus de deux années : comment vos deux agences coopèrent-elles, alors qu'on nous a signalé que leurs règlements pourraient être mieux coordonnés ?

Votre point de vue sur le plan Initiative Copropriétés sera également précieux : de quelle manière l'Agence est-elle impliquée dans ce programme ? Quels outils nouveaux a-t-il mis en place pour la prévention des copropriétés dans les quartiers ANRU ? Je note d'ailleurs que vous étiez conseillère au cabinet du ministre du logement à l'époque où il a été mis en place. Peut-on commencer à en dresser un bilan pour le redressement des copropriétés fragiles ?

S'agissant du redressement des copropriétés en difficulté, l'ANRU est évidemment concernée au premier plan lorsque la situation est tellement aggravée qu'une restructuration globale de la copropriété s'impose, avec démolition et reconstruction, voire transformation en logements sociaux. Comment se passe ce type d'opérations, d'une part, pour le relogement des résidents, d'autre part, compte tenu de la demande qui vous est faite de limiter les constructions de logements sociaux nouveaux dans les quartiers ANRU, mais de les diffuser plutôt dans le reste des agglomérations ?

J'ai été par ailleurs rapporteure de la loi relative à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé, promulguée le 9 avril dernier, et à présent, avec Sophie Primas, du projet de loi relatif au développement de l'offre de logements abordables. Nous sommes intéressés, le cas échéant, par votre point de vue sur ces deux textes.

Enfin, notre commission d'enquête porte un regard particulièrement attentif sur les petites copropriétés, qui sont souvent repérées trop tard alors qu'il suffit de quelques incidents de paiement pour mettre en difficulté l'ensemble de la copropriété. De quels moyens d'observation, de détection et de traitement dispose l'Agence que vous dirigez ?

Avant de vous laisser la parole pour un propos introductif, je dois vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amende.

Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».

Mme Mialot lève la main droite et dit « Je le jure ».

Mme Anne-Claire Mialot. - L'ANRU pilote plusieurs programmes de renouvellement urbain, dont le NPNRU (après avoir piloté le PNRU) et PNRQAD (en cours d'achèvement). Dans le cadre de ces programmes, nous intervenons sur un certain nombre de quartiers, présélectionnés sur la base d'un diagnostic adressant les dysfonctionnements urbains et les difficultés économiques et sociales. Dans les quartiers de cette liste fermée, nous intervenons principalement sur l'habitat (le cas échéant dans une logique de diversification, à travers la transformation de logements sociaux), mais également sur l'aménagement des espaces publics et les équipements publics, dans le respect des objectifs fixés par la loi, à savoir : lutter contre la ségrégation sociale et territoriale, notamment en renforçant la mixité sociale ; améliorer les conditions de vie dans les quartiers en renouvellement urbain, en veillant notamment à leur desserte par les transports et à leur mixité fonctionnelle.

Dans le cadre de ces interventions, nous intervenons majoritairement sur le logement social, en lien avec les bailleurs sociaux. Cependant, dans le cadre du PNRQAD (programme dédié à l'habitat dégradé des centres anciens) comme dans le cadre du PNRU puis du NPNRU, nous avons aussi été amenés à prendre en compte de manière plus forte, dans nos quartiers d'intervention, les enjeux liés à l'habitat privé.

Vis-à-vis de l'habitat privé, et notamment des copropriétés, nous intervenons en complémentarité de l'Anah, qui pilote la politique publique relative à ce champ. Nous intervenons sur l'habitat privé pour financer du recyclage immobilier ou du portage massif, c'est-à-dire, de façon schématique, sur les cas les plus complexes, lorsqu'une copropriété ne peut pas demeurer privée et qu'il convient de travailler, soit à sa démolition, soit à sa transformation en logement social. Dans cette optique, le portage massif, que nous pratiquons peu, mais que notre règlement permet, consiste à financer le rachat par des bailleurs sociaux d'un certain nombre de logements dans d'importantes copropriétés, pour participer à leur redressement.

Vis-à-vis de l'habitat ancien dégradé, nous intervenons lorsque le bâti est extrêmement dégradé et qu'il convient de le recycler, pour le curer ou le démolir.

Nos interventions sont ainsi complémentaires à celles de l'Anah, qui finance aussi des interventions de redressement et de recyclage, y compris hors quartiers ANRU et dans le cadre d'opérations de moindre importance financière - nos conventions avec l'Anah prévoyant des modalités de répartition de nos interventions, en fonction des montants financiers notamment.

Nous intervenons également en complémentarité de l'Anah dans le cadre des programmes de renouvellement urbain ou en complémentarité des ORCOD-IN portés par les établissements publics fonciers (EPF), pour financer ce qui va concourir au redressement des copropriétés dans leur environnement (résidentialisation, réhabilitation des espaces publics, équipements publics, etc.).

Tout cela illustre l'importance de l'articulation entre les différents acteurs appelés à intervenir sur les copropriétés dégradées. Ces interventions sont d'autant plus complexes que, si nous disposons d'interlocuteurs uniques (à même de porter une maîtrise d'ouvrage et de gérer les relations avec leurs locataires) lorsque nous travaillons avec des bailleurs sociaux, lorsque nous intervenons sur des copropriétés, il nous faut obtenir un consensus auprès d'interlocuteurs multiples. À cet égard, le Plan Initiative Copropriétés (PIC) a permis de réunir et de mettre en synergie l'ensemble des acteurs concernés.

En conclusion, j'insisterai sur le fait que, s'agissant de traiter les copropriétés dégradées dans les quartiers en renouvellement urbain, nous n'en sommes malheureusement qu'au début du chemin. Au regard de la complexité du sujet ou de sa plus faible identification, nous n'y avons pas toujours porté une attention. Or les bâtiments non traités dans les quartiers rénovés ont tendance à concentrer tous les dysfonctionnements urbains (le trafic, l'insécurité, les marchands de sommeil, voire l'insalubrité). Il y a donc un enjeu collectif à faire en sorte que, dans les quartiers où nous sommes intervenus en matière de renouvellement urbain, nous portions aussi une attention renforcée aux copropriétés dégradées. Nous avons commencé à le faire avec le PIC. Cependant, compte tenu de la complexité du sujet et des volumes à traiter (dans 150 des 450 quartiers du NPNRU), le chemin reste encore long.

Pour le futur du renouvellement urbain, autour duquel le Gouvernement nous a confié une réflexion, ma conviction est que nous devrons être beaucoup plus attentifs aux enjeux de copropriétés dégradées, ce qui posera aussi la question des outils juridiques et des opérateurs à mobiliser, dans le prolongement de la récente loi sur l'habitat dégradé. Nous aurons besoin d'opérateurs compétents, dont certains ont déjà développé des capacités, s'agissant notamment des EPF ou d'établissements tels la SOREQA (intervenant sur l'habitat indigne), la SIFAE (intervenant sur le pavillonnaire) ou encore CDC Habitat Action Copropriétés (très active dans le captage de logements pour aider au redressement de copropriétés).

Du reste, s'il est toujours possible de s'améliorer, une coopération a déjà été initiée par le PIC entre l'ANRU, l'Anah, la Caisse des dépôts et l'ensemble des parties prenantes. Notre coopération avec l'Anah est désormais fluide. Nos interventions sont complémentaires. Nous sommes parfois confrontés à certaines problématiques d'articulation entre nos règlements. Cependant, nous parvenons à trouver des solutions. Il nous faudra poursuivre les efforts en ce sens, principalement autour de l'articulation entre les interventions sur l'habitat et l'espace public environnant (pour traiter la question des parkings notamment).

Mme Marianne Margaté, rapporteure. - Le PIC a permis d'initier une politique extrêmement volontariste et ambitieuse, avec l'ensemble des acteurs concernés. Cependant, à mi-parcours, le nombre de territoires sur lesquels se déploie ce plan demeure limité. Cet outil demeure extrêmement technique et long à mettre en oeuvre, avec des conditions de réussite assez fortes. Comment dupliquer ou adapter cette démarche à d'autres territoires, le cas échéant avec davantage de souplesse ?

Alors que le phénomène de paupérisation des copropriétés demeure trop peu renseigné, objectivé et connu, il se développe, y compris dans des territoires qui, jusqu'à présent, n'étaient pas confrontés à un habitat privé dégradé et dont les élus sont parfois démunis pour agir. Quel serait selon vous le dispositif le mieux approprié pour traiter davantage cette question ? Au-delà de la loi « habitat dégradé » et du projet de loi relatif à l'offre de logements abordables, au vu de votre pratique et des enjeux que vous avez évoqués, identifiez-vous d'autres avancées législatives qu'il serait nécessaire d'apporter ?

Mme Anne-Claire Mialot. - En tant qu'agence de l'État, notre action s'inscrit dans une logique de solidarité nationale, pour accompagner les collectivités territoriales. L'intérêt du PIC a été de permettre, sur les territoires identifiés, une mobilisation de l'ensemble des acteurs, aux côtés des maires et des présidents d'intercommunalité.

Autour des projets portant sur des copropriétés, la mobilisation des collectivités territoriales, en termes de moyens et de capital politique, est indispensable. Ces projets, au regard de leur complexité, nécessitent un investissement massif. Dans ce cadre, l'investissement des collectivités a également vocation à porter une vision à l'échelle du quartier et à rassurer les copropriétaires ou locataires.

Pour mener ces projets, il est également fondamental de disposer d'outils et d'opérateurs au niveau. En France, nous disposons désormais d'une bonne couverture du territoire par des EPF, avec toutefois des disparités en fonction des territoires - tous les EPF n'étant pas aussi engagés que ceux d'Ile-de-France ou d'Occitanie. Je pense qu'il faudra renforcer encore la mobilisation de ces outils, utiles pour faire du portage immobilier et/ou de la restructuration. Les sociétés dédiées à des problématiques particulières telles que la SOREQA, la SIFAE ou la SPLA-IN sont également précieuses. Dans les territoires ne disposant pas de tels outils, au-delà des moyens financiers et de la volonté politique, il y aura un réel enjeu de montée en compétences.

L'enjeu sera également de prévenir la dégradation des copropriétés, en travaillant en amont à leur redressement, en s'appuyant sur des syndics en capacité d'assurer une bonne gestion, en poursuivant le travail de prévention des impayés, etc. À cet égard, l'intérêt du PIC a été de permettre une prise en compte de l'ensemble des besoins d'intervention, de la prévention jusqu'au redressement ou recyclage. Il sera intéressant de déployer cette approche dans les grandes métropoles. Pour aller plus loin, il s'agira de développer aussi l'anticipation et le repérage, en s'appuyant sur les compétences des collectivités territoriales (en matière de repérage de l'habitat indigne, de suivi des impayés de copropriétés, etc.).

De fait, le traitement des copropriétés dégradées est coûteux. Cependant, l'aspect financier n'est pas le seul à prendre en compte. L'ANRU avait prévu de mobiliser plus de moyens encore sur ce sujet dans le cadre du PIC. Cependant, nous n'avons pas eu suffisamment de projets mûrs pour dépenser l'intégralité de l'enveloppe initialement prévue. Il y a donc un réel enjeu de mobilisation collective, d'ingénierie et de montée en compétences des opérateurs autour de ces projets, pour permettre leur financement par l'ANRU.

Dans ce cadre, il conviendra également de faciliter la prise de décisions au sein des copropriétés et la mise en oeuvre des procédures (jusqu'à l'expropriation), y compris dans le but d'éviter des surcoûts. La loi votée en début d'année concernant l'habitat privé est allée en ce sens. Elle va nous permettre de nous appuyer sur des procédures plus fluides et d'accélérer la mise en oeuvre d'un certain nombre de nos projets. Il est d'ailleurs symbolique que cette loi ait été adoptée suite à un rapport établi par deux maires que nous accompagnons dans le cadre du renouvellement urbain et confrontés à des problématiques d'habitat dégradé, à savoir le maire de Saint-Denis et la maire de Mulhouse.

La paupérisation des copropriétés soulève également un enjeu de production de logement social. Dans les zones tendues notamment, le niveau de production de logement social permettant d'accueillir des ménages pauvres est extrêmement important pour éviter un déport de ces ménages sur de l'habitat privé indigne ou des phénomènes de division pavillonnaire. J'ai pu être confrontée à ces problématiques lorsque j'étais préfète déléguée à l'égalité des chances en Seine-Saint-Denis. Ces phénomènes sont aussi liés au fait qu'un certain nombre de ménages pauvres ne parviennent pas à accéder à des logements. Il s'agit d'un sujet plus global de politique de l'habitat, qui doit tous nous mobiliser. C'est la raison pour laquelle l'ANRU, lorsqu'elle finance des opérations de recyclage de l'habitat privé, exige, de la même manière que dans le cadre des interventions sur le logement social, une reconstitution de l'offre par du logement social, le cas échéant en dehors du quartier pour favoriser la mixité. À Marseille, par exemple, les opérations menées sur les îlots d'habitats indignes donnent lieu à une reconstitution à 60 % en logement social et à 15 % en contrepartie Action Logement - le reste étant reconstitué en locatif libre.

La question de la paupérisation des copropriétés renvoie donc aussi à notre capacité globale à produire du logement social.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Vous avez évoqué un phénomène de dégradation des copropriétés encore insuffisamment connu. Ceci explique peut-être une insuffisance de certaines politiques publiques, vis-à-vis des petites copropriétés notamment. Pour mieux connaître le phénomène, dans son ampleur et dans le détail, avez-vous des réflexions sur la manière d'identifier les copropriétés dégradées, le cas échéant à travers le RNIC ?

Au-delà de la paupérisation des copropriétés, la paupérisation des copropriétaires est également un des axes du PIC. Quelle est votre réflexion sur le sujet ? Ce volet est-il suffisamment appréhendé ? Pourrait-on l'envisager autrement pour accompagner le redressement des copropriétés ?

Enfin, vous avez évoqué un levier d'action consistant à faire basculer les copropriétés privées en logement social. Comment cela fonctionne-t-il ? Quels sont les effets particuliers et les limites de ce levier d'action ?

Mme Anne-Claire Mialot. - Pour l'identification des copropriétés dégradées, nous nous appuyons beaucoup sur l'Anah, dont la mission est de recenser ces enjeux. Au lancement du PIC, nous avons ainsi identifié 150 quartiers présentant des problématiques de copropriétés, dont une cinquantaine avec des problématiques de copropriétés fragiles, 60 avec des enjeux importants et 30 avec des enjeux majeurs. 95 % des copropriétés identifiées dans le cadre du PIC se sont ainsi avérées localisées en secteur NPNRU.

Ceci illustre le phénomène de déport de la paupérisation au sein des quartiers où le logement social a été traité. Les dysfonctionnements urbains se reportent ainsi sur l'habitat privé, qui de surcroît n'est pas géré par un bailleur, avec un gardien, etc.

Dans la liste de nos quartiers d'intervention, figurent également des quartiers d'habitat ancien dégradé, composés de monopropriétés ou de petites copropriétés. Nous intervenons ainsi à Marseille, Saint-Denis, Fort-de-France, Perpignan, etc.

Au global, dans le cadre du PNRU, du NPNRU et du PNRQAD, sur le seul sujet de l'habitat privé (hors espaces publics et équipements), nous avons contractualisé près d'1 milliard d'euros d'investissements. Sur les grosses copropriétés, dans le cadre du NPNRU, nous avons contractualisé plus de 200 millions d'euros ; sur l'habitat ancien dégradé, nous en sommes à 350 millions d'euros.

Pour l'identification des copropriétés dégradées, au-delà du travail mené avec l'Anah, nous nous appuyons aussi sur les collectivités territoriales, qui connaissent leur terrain.

Du reste, nous avons aussi identifié des sites abritant d'importantes copropriétés, mais n'ayant pas souhaité engager de projet de renouvellement urbain dans le cadre du NPNRU. Ces copropriétés restent aujourd'hui à traiter.

Le volet social, quant à lui, n'est pas notre domaine d'intervention. Nous sommes néanmoins particulièrement vigilants quant à l'accompagnement des populations, pour le relogement dans le cadre des opérations de recyclage des copropriétés notamment. Pour adresser ce sujet extrêmement complexe, nous mobilisons de l'expertise au travers de maîtrises d'oeuvres urbaines et sociales (MOUS).

Comme l'a souvent souligné l'ancienne présidente de l'ANRU, les opérations de relogement mettent souvent en évidence d'autres difficultés sociales. Lorsque ces opérations sont bien accompagnées, cela permet aussi de détecter et de traiter, le cas échéant par une intervention publique, d'autres problématiques.

Pour ce qui est du basculement des copropriétés vers le logement social, à ce jour, nous n'avons pas financé de portage massif. Nous travaillons principalement à la transformation en logement social dans le cadre du recyclage. Lorsque nous démolissons, nous reconstituons en logement social. Sur l'habitat ancien dégradé, nous pouvons également étayer une façade et reconstruire en logement social. Nous sortons ainsi des paniers de logements, hétérogènes en fonction des territoires, avec du logement social et d'autres types de logements, dans une optique de développement de la mixité et en considérant aussi l'attractivité des quartiers.

Le portage massif pourrait toutefois constituer un outil intéressant. Il consiste à financer des bailleurs sociaux pour leur permettre de racheter et de rénover des lots au sein d'une copropriété. Le niveau de majorité ainsi atteint au sein de la copropriété permet ensuite d'y engager des travaux de redressement. En cohérence avec les enjeux de demain, y compris s'agissant d'économiser les ressources, cet outil pourrait permettre de prévenir la dégradation d'un certain nombre de copropriétés et d'éviter un certain nombre de recyclages - le portage massif ayant également, le cas échéant, vocation à faciliter le recyclage.

À ce jour, tous les bailleurs ne sont pas nécessairement intéressés par ce dispositif - la gestion de quelques lots dans une copropriété dégradée pouvant être complexe. Il conviendrait donc de pouvoir les mobiliser davantage. Je leur laisserai le soin d'exprimer leurs besoins pour cela.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Quel est votre point de vue sur la vente de logements HLM ?

Mme Anne-Claire Mialot. - La vente de logements HLM peut constituer un levier intéressant, pour permettre aux bailleurs d'accroître leurs ressources et développer l'accession sociale à la propriété. Dans les copropriétés ainsi constituées, l'intérêt est que le bailleur social demeure généralement propriétaire et gestionnaire de la majorité des logements. Le risque est toutefois de voir certaines copropriétés intégralement vendues se paupériser et être fragilisées, si les acquéreurs n'ont pas les moyens d'entretenir leur bien. Dans le cadre des opérations en accession sociale à la propriété, ces enjeux ne sont pas toujours suffisamment anticipés.

Nous réalisons aujourd'hui une étude sur la diversification de l'offre de logements, pour tirer les enseignements de nos opérations conduites dans le cadre des programmes de renouvellement urbain. Dans ce cadre, l'enjeu serait notamment de veiller à ce que nos programmes d'accession sociale à la propriété ne génèrent pas les copropriétés dégradées de demain.

Sur ce sujet, il n'y a donc pas de solution unique et simple.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - J'entends à la fois l'intérêt que vous trouvez à cette pratique et vos réserves. Ce levier pourrait-il néanmoins être intéressant s'il était davantage encadré ? Le cas échéant, les collectivités territoriales, qui connaissent très bien leur terrain, ne pourraient-elles pas avoir un rôle à jouer, en étant associées à la prise de décision concernant les ventes de logements HLM ?

Mme Anne-Claire Mialot. - L'important serait d'être collectivement vigilants, le cas échéant avec des dispositifs adaptés, afin que ces opérations ne risquent pas de constituer de futures copropriétés dégradées. Les collectivités territoriales ont vocation à conserver un rôle central dans le pilotage de ces dispositifs - certaines ayant déjà développé des savoir-faire et des outils pour cela.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Merci pour votre disponibilité et votre contribution. Nous devrions partager les conclusions de nos travaux courant juillet 2024.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition, en téléconférence, de MM. Yanick Le Meur, directeur général
de la Foncière Logement et Nicolas Henry, directeur de la stratégie
Action Logement Groupe

(Jeudi 30 mai 2024)

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Madame la rapporteure, mes chers collègues, nous poursuivons nos auditions en accueillant MM. Yannick Le Meur, directeur général de la Foncière Logement, et Nicolas Henry, directeur de la stratégie Action Logement Groupe.

Messieurs, il sera sans doute utile que vous rappeliez le rôle de l'association foncière logement (AFL), une organisation très spécifique puisque ses missions d'intérêt général sont inscrites dans le code de la construction et de l'habitation.

Vous pourrez expliquer ses modalités d'action sur les copropriétés dégradées. Combien d'interventions réalisez-vous chaque année ? Quels sont leur typologie et leurs effets ? Identifiez-vous des difficultés particulières ? Auriez-vous besoin d'outils supplémentaires que notre commission pourrait promouvoir ?

Votre particularité est, tout en étant une association investie de missions d'intérêt général, d'être adossée au groupe Action Logement, acteur majeur du logement social et abordable. Que vous apporte ce positionnement ? Quelles en sont les limites alors que vos missions ne se limitent pas au logement des salariés ?

Considérez-vous que le modèle de financement des opérations de redressement des copropriétés est efficace ? L'articulation entre les subventions, leur préfinancement et les prêts, qui peuvent être octroyés, se fait-elle de manière suffisamment rapide et fluide ?

À ce sujet, de quelle manière êtes-vous impliqués dans la mise en oeuvre du plan Initiative Copropriété (PIC) et des opérations de requalification des copropriétés dégradées (ORCOD) : ces programmes de grande ampleur parviennent-ils à créer une synergie suffisante entre les acteurs ?

Nous nous intéressons aussi tout particulièrement aux petites copropriétés parce que, jusqu'à présent, elles ont trop souvent échappé à l'attention des pouvoirs publics, justement parce qu'elles sont trop difficiles à repérer. Votre action vous permet-elle de contribuer à leur identification et à leur traitement ?

Vous pourrez également revenir sur la loi du 9 avril dernier relative à la rénovation de l'habitat dégradé, dont j'étais la rapporteure, et notamment sur son article 3 qui étend le champ d'intervention de l'AFL aux opérations d'aménagement ayant pour objet de lutter contre l'insalubrité et l'habitat indigne et dangereux.

Enfin, comment le groupe Action Logement se situe-t-il dans l'organisation territoriale d'accompagnement des copropriétés paupérisées, en lien avec les agences de l'État (Anah, ANRU, ANCT), les services déconcentrés, les communes et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), notamment dans le cadre d'Action coeur de ville ? Existe-t-il des voies d'amélioration dans la coordination entre tous ces acteurs ?

Avant de vous laisser la parole, je dois vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amende.

Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».

MM. Yannick Le Meu et Nicolas Henry lèvent la main droite et disent « Je le jure ».

M. Nicolas Henry. - Le groupe Action Logement se compose fondamentalement d'une branche immobilière et d'une branche servicielle. Depuis une vingtaine d'années, la Foncière Logement contribue ainsi à l'activité immobilière du groupe.

La branche immobilière du groupe Action Logement gère un parc d'environ 1,1 million de logements, dans l'hexagone et les départements et territoires d'outre-mer, principalement composé de logements sociaux, mais aussi de logements intermédiaires abordables et de logements particuliers portés par la Foncière Logement.

La branche servicielle du groupe apporte quant à elle des services aux salariés des entreprises cotisantes et éligibles (au-dessus ou en-deçà du seuil de 50 salariés, selon les dispositifs). Dans ces services, on retrouve notamment le prêt à l'accession.

Le groupe contribue également à la mise en oeuvre des politiques publiques en matière de renouvellement urbain, à travers l'octroi de prêts et de subventions, ainsi qu'en participant au financement du programme Action Coeur de Ville.

Parmi les entités rattachées au groupe Action Logement, outre la Foncière Logement, on retrouve également Action Logement Immobilier (et les 50 filiales la composant).

M. Yannick Le Meur. - La Foncière Logement est une association de loi 1901, constituée il y a 20 ans par les partenaires sociaux et l'État pour adresser la problématique de la mixité sociale dans les QPV et du logement des ménages à faibles ressources au coeur des villes.

Nous avons ainsi conventionné 25 000 logements privés dans le coeur des villes au marché tendu. Nous louons aujourd'hui 12 000 logements en intermédiaire ou en libre dans les QPV. Nous avons également de l'ordre de 8 000 logements en cours de construction.

La Foncière Logement est ainsi un acteur de la déségrégation sociale des quartiers. Nous ne modifions pas la sociologie des villes. Toutefois, partout où nous intervenons, l'occupation de nos immeubles enclenche une phase d'évolution du peuplement des territoires, comme le montrent les contrôles de la Cour des comptes.

Nous n'avons pas de dispositif spécifique aux copropriétés. Ce n'est pas le fait qu'un bien immobilier ait le statut de copropriété qui légitime notre action. Cela étant, 55 % de notre parc immobilier est aujourd'hui en copropriété. Nous avons donc une expérience forte de la gestion des copropriétés.

Nous demeurons un acteur de petite taille. Pour nous, l'enjeu est donc davantage la nature et la qualité des services immobiliers que nous apportons aux territoires. À ce titre, nous sommes un donneur d'ordre important pour les opérateurs de gestion des syndics. Nous sommes ainsi, en France, le premier client de Foncia et le deuxième client d'Evoriel (ex-Nexity).

L'habitat indigne est une problématique relativement récente pour nous, puisque sa première introduction dans la loi encadrant nos missions date de 2020. Notre rôle en la matière a été clarifié dans la loi de ce début d'année, pointant les copropriétés dégradées comme un segment à travailler ou à interroger pour notre association.

Nous intervenons aujourd'hui sur l'habitat insalubre ou indigne, avec nos produits de mixité permettant d'offrir des logements de qualité aux salariés ayant des revenus supérieurs aux plafonds HLM. Notre champ d'intervention, tel que défini par la loi d'avril 2024, recouvre : les OPAH ayant un objet de lutte contre l'habitat insalubre, les immeubles concernés par un arrêté d'insalubrité ou de péril, les immeubles se situant dans le périmètre des opérations de restauration immobilière (dont les copropriétés identifiées au titre du CCH), ainsi que les opérations d'aménagement décrites à l'article 300-1 du code de l'urbanisme ayant pour objet de lutter contre l'habitat indigne. Nous pouvons ainsi intervenir sur tout territoire, en France, sur lequel l'autorité publique locale a mobilisé une procédure d'aménagement ou une procédure prescriptive concernant un bien immobilier présentant des dérives.

Dans ce contexte, la copropriété ne constitue pour nous ni un frein ni un interdit. Notre intervention sur les copropriétés en plan de sauvegarde est même désormais prévue explicitement par la loi. Nous allons pouvoir y développer l'ensemble de nos interventions, au regard des moyens dont nous disposons dans le cadre des conventions quinquennales.

Pour rappel, la Foncière Logement n'est pas un outil public. À ce titre, nous ne bénéficions d'aucune prérogative publique. Nous demeurons un opérateur privé et ne demandons pas, par exemple, une délégation du droit de préemption. Notre rôle d'investisseur est de promouvoir la mixité. Nous fabriquons pour cela un parc de qualité, ayant vocation à être transmis gratuitement à l'Agirc-Arrco.

L'un des critères fondamentaux de notre intervention est donc de veiller à ce que le parc que nous allons construire, reconstituer ou restructurer, quel que soit son statut, constitue un actif de qualité et sans risque pour les caisses de retraite. Nous veillons également à ce que chaque projet développé soit attractif, en termes de qualité, de nature et de niveaux de loyer, pour notre population cible (à savoir principalement les cadres débutants). Nous mobilisons pour cela de la participation de l'employeur à l'effort de construction (PEEC), en étant attentifs à l'efficacité de l'usage de ces équivalents subventions (représentant de l'ordre de 42 % du plan de financement de nos opérations) - notre adossement au groupe Action Logement étant à cet égard fondamental.

Je terminerai en vous apportant un éclairage opérationnel, à travers l'exemple d'une opération que nous menons aujourd'hui autour d'une copropriété à Gaillard, dans l'agglomération d'Annemasse. Sur ce territoire tendu emportant des enjeux de croissance démographique, de transformation et d'évolution forte de l'emploi, avec une pression frontalière forte et une pression touristique, nous intervenons sur une copropriété, en lien avec un opérateur public, à savoir la TERACTEM (SEM départementale ayant des compétences foncières et en matière de développement de projets urbains et immobiliers). Nous allons entrer dans cette copropriété, en acquérant 20 % des lots sur le marché, ce qui va nous permettre d'entrer au conseil syndical. Nous allons ensuite pouvoir y exploiter, dans le cadre du PLU discuté avec le maire, une surface constructible supplémentaire, dans une optique de densification verticale. À l'issue de cette opération, nous disposerons de plus de 50 % des tantièmes. Les charges foncières acquittées permettront à la copropriété de financer des travaux d'amélioration ou de transformation des parties privatives, pour aboutir à une réhabilitation de l'ensemble du parc en étiquettes A et B. In fine, ce parc se constituera de 70 % de logements en LLI et de 30 % de logements sociaux, avec des loyers moyens en-dessous de ceux du marché, au bénéfice des salariés et en cohérence avec les besoins du territoire. La principale difficulté demeurera toutefois de convaincre le conseil syndical.

M. Nicolas Henry. - Au-delà de cette activité très particulière de la Foncière Logement, l'activité de nos filiales immobilières de droit commun s'est également inscrite dans le cadre du Plan d'Investissement Volontaire lancé en 2018.

Le groupe Action Logement détient plusieurs milliers de lots au sein d'environ 10 000 copropriétés. Parmi ces copropriétés, certaines sont directement gérées par nos filiales ESH (lorsqu'elles en détiennent plus de 50 % des tantièmes) ; d'autres sont gérées par des syndics.

Dans les copropriétés que nous gérons, nous observons que les impayés sont globalement maîtrisés, du fait de la mise en oeuvre d'une gestion préventive et d'un accompagnement des locataires de la même qualité que celui proposé dans le reste du parc.

Dans nos 179 000 lots gérés par des syndics privés, nous n'observons pas non plus de dérapage des impayés. Les éventuelles difficultés sont prises en charge très en amont, le cas échéant avec un système d'avance par le bailleur.

Dans le cadre du Plan d'Investissement Volontaire, nous avons également mis en place des dispositifs exceptionnels, dont un dispositif de services aux copropriétés logeant des salariés et ayant besoin de travaux de rénovation. Ce dispositif très particulier est demeuré expérimental, au regard des disponibilités financières. Néanmoins, il a fait l'objet d'une ingénierie et a produit des résultats intéressants, à Marseille notamment.

Dans le cadre du Plan Initiative Copropriétés, les filiales immobilières du groupe ont par ailleurs pu déployer des actions de redressement (à travers l'achat de lots pouvant potentiellement être revendus un fois la copropriété redressée) ou de recyclage (sur mandat des élus locaux, dans une optique de conversion en logement social) d'un certain nombre de copropriétés, avec une enveloppe de 145 millions d'euros pour intervenir sur 2 500 logements. Les actions menées en ce sens par nos filiales sont suivies par la holding Action Logement Immobilier et par le ministère en charge du logement.

Mme Marianne Margaté, rapporteure. - La paupérisation des copropriétés est un phénomène encore trop peu renseigné et parfois invisible. Pour autant, il est une réalité, qui va en s'amplifiant, voire en s'aggravant.

Vous avez décliné vos nouveaux moyens d'intervention, instaurés par la loi d'avril 2024. Comment appréhendez-vous ce nouveau positionnement d'opérateur ? Quelles sont vos perspectives d'engagement dans ces opérations ? Le cas échéant, quel est votre plan de déploiement ? Concerne-t-il l'ensemble du territoire français ? Êtes-vous amenés à vous déployer sur tous les types de territoires (urbains, périurbains et ruraux) ? Quelles sont selon vous les conditions de réussite de ces opérations ?

M. Yannick Le Meur. - Dès la fin des années 2000, les copropriétés ont représenté une opportunité de logement pour les ménages aux plus faibles revenus, notamment dans les zones tendues. Cependant, cela se traduit aujourd'hui par un parc un très mauvais état, parfois en état d'obsolescence et parfois présentant les signes d'une intervention nécessaire de la puissance publique (en cas de péril ou de dérive complète du modèle des copropriétés).

Différents véhicules législatifs ont été mis en place pour tenter d'apporter des réponses à cette problématique. Cependant, les volumes à traiter demeurent colossaux.

Dans ce contexte, les moyens de Foncière Logement demeurent limités. Avec 38 000 logements, nous sommes un petit objet. Notre organisation ne nous permet de délivrer physiquement qu'environ 1 000 logements par an sur l'ensemble du territoire national.

Nos moyens sont liés aux conventions quinquennales signées par le groupe Action Logement avec l'État, qui définissent les emplois de la PEEC. Dans le cadre de la convention 2023-2027 en cours, nous nous efforcerons de faire en sorte que les ressources en PEEC qui nous sont affectées soient bien toutes engagées sur des projets de transformation urbains, immobiliers et sociaux, autour notamment de copropriétés.

Les conditions de la réussite de nos opérations sont liées à notre mission de fabriquer un parc qualitatif pour l'Agirc-Arrco, avec des logements attractifs pour une clientèle de jeunes cadres (libre du choix de la localisation de son habitat). Si nos investissements ne sont pas attractifs pour cette clientèle, nous risquons de nous trouver avec des logements vacants (ce qui n'est pas le cas aujourd'hui) ou occupés par une clientèle ne correspondant pas tout à fait à notre cible.

À cet égard, le projet que nous conduisons à Gaillard peut paraître provocant, aux portes de la ville de Genève qui constitue un îlot de richesse visible à l'échelle internationale. Néanmoins, il répond à un réel besoin, car, de ce côté de la frontière, des ménages ne parviennent plus à se loger, dans un parc arrivant à bout de souffle.

Dans une zone tendue, avec une demande extrêmement soutenue, des strates de clientèle correspondant à nos critères et des opérateurs publics mobilisés, ce projet pourrait paraître facile à mettre en oeuvre. Nous allons disposer d'un patrimoine de qualité, neuf ou recyclé en termes d'étiquette énergétique, bien localisé et avec un modèle économique soutenable. Toutefois, pour y arriver, il nous faudra tout de même mobiliser 40 % d'équivalents subventions. Sans cette ressource financière, provenant du travail des salariés et de la contribution des employeurs, nous ne pourrions conduire un tel projet.

Nous devrions pouvoir décliner ce modèle dans des territoires moins attractifs. Cependant, cette stratégie pourrait être difficile à piloter avec des écarts de loyer plus réduits entre le marché et les produits en LLI ou en PLS, au regard des coûts de transformation et de mutation au sein des copropriétés.

Dans les territoires en perte démographique, avec une stagnation voire une régression de l'emploi et une vacance importante au sein des parcs, il pourrait ainsi être difficile de traiter la question de la transformation des copropriétés dégradées avec un outil comme Foncière Logement. Les critères que j'évoquais ne seraient pas réunis et le modèle développé par Foncière Logement nécessiterait des contributions financières hors d'atteinte.

Quoi qu'il en soit, nous tirerons les enseignements de ce type d'interventions en fin de convention quinquennale, le cas échéant pour nourrir la réflexion sur les futurs emplois de la PEEC à envisager.

M. Laurent Burgoa. - Notre commission d'enquête s'est notamment penchée sur la situation des petites copropriétés. En tant qu'ancien adjoint à la rénovation urbaine du maire de Nîmes, je connais et salue l'action que vous menez dans le cadre des projets ANRU, dont vous êtes des partenaires importants. Cependant, pourriez-vous intervenir également auprès des petites copropriétés, y compris dans les communes rurales ?

Vous avez évoqué un enjeu d'attractivité. Or tous les territoires ont leur charme et sont potentiellement attractifs, pour peu que les partenaires se mobilisent en ce sens. Action Logement me semble ainsi avoir tout son rôle à jouer dans toutes les communes, y compris rurales.

M. Yannick Le Meur. - La taille d'une commune ou d'un regroupement humain ne détermine pas nécessairement son attractivité. J'ai souvenir de débats au sein du Conseil d'administration de l'ANRU ayant mis en évidence que, pour sortir de la géographie prioritaire, il était préférable de se concentrer sur les quartiers les plus petits, présentant les leviers les plus importants pour opérer des transformations d'usages et de peuplement.

En tant qu'opérateur, nous n'avons pas ce tropisme de la taille des projets. Les grands projets de transformation des copropriétés, s'agissant notamment des ORCOD, ne sont pas nécessairement les plus faciles à réaliser. Sur ces territoires, les interventions s'inscrivent davantage dans une logique de démolition-reconstruction. Nous y construisons plutôt du neuf, pour être très différenciants.

Dans le cadre du projet que nous menons à Gaillard, nous intervenons sur un petit ensemble immobilier, d'environ 200 logements. Cette opération est d'une taille très adaptée, car elle repose sur un parcellaire défini, correspondant à une petite entité foncière, immobilière et économique ayant ses propres équilibres à l'intérieur d'une ville. Nous savons que nous en verrons le début et la fin.

M. Nicolas Henry. - Le groupe Action Logement, à travers ses filiales immobilières et la Foncière Logement, intervient dans toutes les localités du territoire national, indépendamment de leur taille. Notre critère unique est celui du lien emploi-logement. Nous considérons ainsi la capacité des salariés à accéder facilement aux aménités et notamment aux lieux d'emploi. Dans ce cadre, au regard de l'effort de réindustrialisation et de relocalisation des emplois en France, nous adressons aussi des zones aujourd'hui considérées comme en déprise, potentiellement pour y traiter des copropriétés ou y mettre en oeuvre d'autres leviers serviciels.

La compétence de nos filiales vis-à-vis des copropriétés demeure malgré tout récente, puisqu'elle provient de la loi ALUR, qui fête ses 10 ans. Cette compétence demeure aujourd'hui difficile à mettre en oeuvre. Le portage dans le cadre des opérations de redressement nécessite un effort sur plusieurs années, avec des situations différentes en fonction des villes. Pour l'instant, nous intervenons plutôt dans des milieux urbains, dans de grandes villes comme Marseille ou Metz, mais aussi dans de plus petites comme Jarville. Dans ce cadre, nous sommes parfois confrontés à des situations délicates, avec des communes ne souhaitant pas nécessairement davantage de logements sociaux sur site, privilégiant d'autres acteurs ou ne considérant pas nécessairement prioritaires les copropriétés fléchées par Action Logement en lien avec l'État et l'Anah. Dans certaines copropriétés, nous sommes également confrontés à des emprises mafieuses, qui nécessitent une coordination avec les services de justice et de police compétents.

Cette compétence est presque contre nature pour les ESH, dont le modèle repose historiquement sur la pleine propriété et qui redoutent d'avoir à gérer des copropriétés dégradées - les ESH, contrairement à des investisseurs classiques, ayant vocation à conserver leur patrimoine dans la durée. À cet égard, la vente en l'état futur d'achèvement (VEFA) et la vente HLM ont en quelque sorte constitué pour les ESH une école de la copropriété. Aujourd'hui, bien que contre nature, coûteuse et pouvant s'exercer au détriment de la production nouvelle, cette compétence nouvelle vis-à-vis des copropriétés est néanmoins très intéressante pour les ESH, dans le cadre de leurs relations avec les collectivités et les territoires.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Quel est votre regard sur les copropriétés mixtes, issues notamment de la vente de logements HLM ? Quelles problématiques y voyez-vous ? Quelles seraient vos propositions à ce sujet ?

Enfin, quel est votre positionnement vis-à-vis de la fonction de syndic ? Le rôle des syndics apparaît central dans la gestion des copropriétés en difficulté. Vous arrive-t-il de tenir ce rôle ? Quel est votre regard sur ce sujet ?

M. Nicolas Henry. - La gestion des copropriétés mixtes, issues de la possibilité d'acquérir des logements en VEFA, développée dans les années 2000, ne correspondait pas spontanément au métier des bailleurs, qui avaient pour pratique de construire leurs logements et de les gérer en pleine propriété. Cela a constitué un défi nouveau pour les ESH. La vente de logements HLM a ensuite démultiplié ces situations de copropriété mixte.

Dans ce contexte, lorsque notre bailleur détient plus de 50 % des tantièmes d'une copropriété, il y exerce de droit la fonction de syndic. À défaut, c'est-à-dire dans 80 % des cas en ce qui concerne le groupe Action Logement, il s'en remet à un syndic privé. Dans les deux situations, nous ne constatons pas de dérive des impayés.

Chez les bailleurs, la politique de prévention des impayés gagne à être structurée. Nous le faisons au sein du groupe Action Logement. Cela étant, il s'agit d'un métier à part, différent de la gestion locative classique, à intégrer dans notre relation de longue durée avec les collectivités et les locataires.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Merci pour votre disponibilité et votre contribution.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition à huis- clos de Mme Claire Dagnogo, directrice de l'engagement
et des relations institutionnelles de Procivis
(ne sera pas publié)

(Mercredi 5 juin 2024)

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