N° 719

SÉNAT

2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 10 juillet 2024

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur les facteurs explicatifs des perspectives d'évolution différentes en matière de charge de la dette entre la France et les principaux États européens,

Par M. Albéric de MONTGOLFIER,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Bernard Delcros, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; M. Michel Canévet, Mmes Marie-Claire Carrère-Gée, Frédérique Espagnac, M. Marc Laménie, secrétaires ; MM. Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mme Florence Blatrix Contat, M. Éric Bocquet, Mme Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Carole Ciuntu, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.

L'ESSENTIEL

La charge des intérêts de la dette de l'État représente en 2024, avec plus de 50 milliards d'euros, le deuxième poste budgétaire après l'enseignement scolaire (hors CAS Pensions et remboursements et dégrèvements).

Alors que ce montant est appelé à croître fortement sous l'effet de la remontée des taux d'intérêt, à mesure du refinancement progressif des titres de dette, la France connaîtrait l'évolution la plus importante en points de PIB parmi les États européens, de plus de 1 % à l'horizon 2030. Cette situation particulièrement dégradée s'explique, sans surprise, par le poids d'un stock de dette en croissance continue, marqué par l'accumulation des déficits, et qui, sans réorientation résolue de la politique budgétaire, ne devrait pas diminuer dans les années à venir. À ces éléments s'ajoute le contexte institutionnel incertain ouvert par la dissolution de l'Assemblée nationale le 9 juin 2024, qui s'est traduit par une augmentation sensible de la prime de crédit exigée par les investisseurs, mesurée par l'écart de taux avec la dette allemande, de plus de 10 points de base.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur spécial chargé des crédits de la mission « Engagements financiers de l'État », a présenté le 10 juillet 2024 les résultats de son contrôle sur les facteurs explicatifs des perspectives d'évolution différentes en matière de charge de la dette entre la France et les principaux États européens.

I. LA CHARGE DE LA DETTE DE LA FRANCE DEVRAIT CONNAÎTRE UNE HAUSSE DE PLUS D'UN POINT DE PIB À L'HORIZON 2029, AVEC UNE POSITION DÉGRADÉE PARMI LES ÉTATS EUROPÉENS

A. AVEC LA NORMALISATION DE LA POLITIQUE MONÉTAIRE DE LA BANQUE CENTRALE EUROPÉENNE, LA CHARGE D'INTÉRÊT DE LA DETTE FRANÇAISE A CONNU UNE FORTE REMONTÉE

Depuis l'été 2022, le resserrement de la politique monétaire en zone euro, décidé en réponse au choc inflationniste, a significativement durci les conditions de financement des États européens sur les marchés obligataires, avec une nette remontée des taux d'intérêt appliqués aux titres souverains. Le relèvement progressif par la Banque centrale européenne (BCE) de son taux de dépôt (son principal taux directeur), de - 0,5 % en juillet 2022 à 4,0 % en septembre 2023, s'est ainsi traduit par une augmentation des taux d'intérêt à 10 ans des principaux États de la zone euro.

Évolution des taux d'intérêt appliqués aux obligations souveraines à 10 ans
des États membres de la zone euro entre avril 2022 et avril 2024

(en pourcentage)

 

France

Allemagne

Italie

Espagne

Pays-Bas

Portugal

Grèce

Avril 2022

1,00

0,52

2,08

1,46

0,79

1,37

2,59

Avril 2024

2,87

2,36

3,72

3,19

2,62

3,04

3,31

Source : commission des finances, d'après les réponses de la direction générale du Trésor

Pour autant, ce resserrement monétaire n'a pas eu d'impact propre significatif sur les écarts de taux souverains (« spreads »), à l'exception d'un épisode de stress financier concernant l'Italie à l'automne 2023. Dans ce contexte, le spread de la France par rapport à l'Allemagne est demeuré stable, autour d'une moyenne de 55 points de base entre juillet 2022 et mai 2024.

Le 6 juin 2024, compte tenu du reflux durable de l'inflation en zone euro, la BCE a initié un premier assouplissement en réduisant son taux de dépôt à 3,75 %.

Alors que le contexte de taux d'intérêt devenait moins restrictif, l'incertitude politique ouverte par la dissolution de l'Assemblée nationale, le 9 juin, s'est accompagnée d'une détérioration du spread de la France, avec un pic à 86 points de base le 28 juin (78 points de base à la clôture). À la suite des résultats des élections législatives, le spread s'est légèrement détendu, à 63 points de base à la clôture le 8 juillet.

Évolution des taux d'intérêt souverains français et allemands à 10 ans
depuis la dissolution de l'Assemblée nationale

(en pourcentage, à la clôture)

 

France

Allemagne

Écart de taux (« spread »)

7 juin 2024 (dernière donnée avant la dissolution)

3,13

2,61

0,52

28 juin 2024 (pic du spread avant le premier tour des élections législatives)

3,27

2,49

0,78

4 juillet 2024 (dernière émission d'OAT long terme)

3,26

2,58

0,68

8 juillet 2024 (après le second tour des élections législatives, dernière donnée disponible)

3,15

2,52

0,63

Source : commission des finances, d'après l'Agence France Trésor

Compte tenu du rythme de refinancement de la dette, les effets de la remontée des taux souverains sur la charge d'intérêt ne sont pas encore totalement perceptibles. En effet, l'impact de la hausse des taux sur la charge de la dette de l'État se matérialise graduellement en raison de la maturité moyenne du stock de la dette (de 8,6 ans fin mai 2024) et de son refinancement progressif.

Évolution de la charge d'intérêt des administrations publiques
des principaux États de la zone euro entre 1995 et 2023

(en pourcentage du PIB)

Source : Banque de France, d'après Eurostat

Alors que la charge d'intérêt de la dette française rapportée au PIB était nettement inférieure à la moyenne des États membres de la future zone euro dans les années 1990, son niveau a depuis convergé vers cette moyenne. Surtout, la charge de la dette française en proportion du PIB pourrait s'écarter de la moyenne de la zone euro dans les années à venir, en la dépassant cette fois significativement.

En particulier, la charge de la dette de la France a fortement divergé de celle de l'Allemagne : alors que les deux charges étaient identiques en proportion du PIB jusqu'au début des années 2010, la charge d'intérêt de la dette française est devenue le double de celle de la dette allemande, avec 1,7 % du PIB pour la France contre 0,8 % du PIB pour l'Allemagne en 2023.

De fait, cette évolution s'explique par le creusement de l'écart entre les niveaux d'endettement des deux pays depuis la crise financière de 2008, avec un ratio de dette publique de 110,6 % du PIB pour la France contre 63,6 % du PIB pour l'Allemagne en 2024. Le constat est identique si l'on rapporte la charge de la dette aux dépenses publiques totales. En 2022, la charge d'intérêt représentait 3,4 % des dépenses publiques pour la France, contre seulement 1,5 % pour l'Allemagne.

B. À POLITIQUE BUDGÉTAIRE INCHANGÉE, UN RISQUE SIGNIFICATIF D'ALOURDISSEMENT DU POIDS DU SERVICE DE LA DETTE À BRÈVE ÉCHÉANCE, À 3 % DU PIB, AVEC UNE DIVERGENCE PROBLÉMATIQUE PAR RAPPORT À LA MAJORITÉ DES ÉTATS EUROPÉENS

D'après les dernières projections communiquées en avril 2024 par le Gouvernement dans le cadre du programme de stabilité 2024-2027, le poids de la charge de la dette de l'État devrait continuer à s'accroître fortement dans les prochaines années, pour quasiment doubler entre 2023 et 2027.

Ainsi, la charge des intérêts de la dette de l'État est attendue à 46,3 milliards d'euros pour 2024 et devrait s'élever à 72,3 milliards d'euros en 2027, contre 39,0 milliards d'euros en 2023.

Les intérêts de la dette de l'État se rapprocheraient ainsi à l'horizon 2027 des dépenses de l'éducation nationale, premier poste budgétaire (hors CAS Pensions et remboursements et dégrèvements) avec 87 milliards d'euros (en crédits de paiement) en loi de finances pour 2024. À titre de comparaison, le produit de l'impôt sur le revenu s'élevait à 102 milliards d'euros en 2023.

Évolution prévisionnelle de la charge de la dette de l'État entre 2022 et 2027

(en milliards d'euros)

 

2022

2023

2024

2025

2026

2027

Charge de la dette de l'État (comptabilité maastrichtienne)

46,3

39,0

46,3

54,0

62,7

72,3

Source : Programme de stabilité 2024-2027

La trajectoire de la charge de la dette française devrait connaître une divergence notable avec la majeure partie des États-membres de la zone euro.

Selon le Fonds monétaire international (FMI), la charge d'intérêt devrait ainsi augmenter de plus d'un point de PIB en France à l'horizon 2029. De fait, la charge de la dette publique française devrait atteindre 3 % du PIB d'ici la fin de la décennie, renouant avec les niveaux historiquement élevés observés au milieu des années 1990. L'alourdissement de la charge de la dette française serait supérieur à celui anticipé pour l'Espagne, la Grèce et l'Italie à l'horizon 2029.

Évolution prévisionnelle de la charge d'intérêt de la dette publique en 2029
par rapport au niveau de 2023

(en points de PIB)

Source : OFCE, d'après le FMI (World Economic Outlook)

Si le niveau en pourcentage du PIB de la charge d'intérêt de la France devrait demeurer inférieur à celui de ces trois pays, il pourrait dépasser le niveau du Portugal, dont la consolidation budgétaire en cours depuis 2020 s'est traduite par une très nette diminution du ratio de dette publique. À noter que ces projections à politique budgétaire inchangée, réalisées avant le mois de juin 2024, n'intègrent pas l'hypothèse d'une déviation de la trajectoire des finances publiques qui pourrait résulter de l'arrivée au pouvoir d'un nouveau gouvernement.

II. SI L'ÉCART DE TAUX D'INTÉRÊT PAR RAPPORT À L'ALLEMAGNE RESTE CONTENU ET DEVRAIT BÉNÉFICIER D'UNE POLITIQUE MONÉTAIRE MOINS RESTRICTIVE, LA CROISSANCE CONTINUE DU STOCK DE LA DETTE EXPLIQUE L'ESSENTIEL DE LA HAUSSE DE LA CHARGE D'INTÉRÊT

A. EN DÉPIT D'UN ENDETTEMENT PUBLIC HISTORIQUEMENT ÉLEVÉ, À PLUS DE 3 100 MILLIARDS D'EUROS, LE SPREAD DE TAUX D'INTÉRÊT ÉTAIT DEMEURÉ, JUSQU'EN JUIN 2024, À UN NIVEAU ENCORE RELATIVEMENT LIMITÉ

Jusqu'à aujourd'hui, le niveau relativement bas du spread entre la France et l'Allemagne bénéficie de la crédibilité de la signature française et d'une politique d'émission mise en oeuvre par l'Agence France Trésor (AFT) visant à assurer la liquidité des titres de dette.

Concernant plus particulièrement la gestion opérationnelle de la dette, l'AFT vise à minimiser le coût de financement de la dette de l'État et à la gérer dans les meilleures conditions possibles de sécurité. Pour ce faire, l'Agence se fonde sur une politique d'émission régulière et prévisible ; un marché de la dette de l'État spécifiquement structuré, avec un ensemble de banques, les Spécialistes en Valeur du Trésor (SVT), chargées d'assurer la tenue quotidienne du marché secondaire de la dette ; enfin, une gamme de titres adaptée à une base d'investisseurs large et diversifiée.

De surcroît, la demande pour les titres de dette souverains devrait rester très élevée, pour des raisons conjoncturelles et structurelles. Parmi les facteurs conjoncturels, l'orientation très favorable de la politique monétaire de la BCE jusqu'à une période récente (avant le choc inflationniste post-crise sanitaire) a contribué à réduire très fortement les taux d'intérêt souverains. Selon les estimations de la BCE, les programmes d'achats d'actifs conduits par la banque centrale ont ainsi réduit les taux des obligations à 10 ans émises par les quatre plus grands pays de la zone euro (Allemagne, France, Italie, Espagne) de 100 à 140 points de base.

À ce jour, l'Eurosystème détient encore, directement par la BCE ou indirectement à travers les banques centrales nationales (telle que la Banque de France), plus de 25 % des dettes des principaux États membres.

Part de la dette publique (toutes administrations publiques)
détenue par l'Eurosystème en décembre 2023

(en pourcentage)

Sources : Banque de France, BCE

L'arrêt du réinvestissement de ces programmes d'achat n'a pas eu d'effet notable sur les taux d'intérêt souverains, révélant une demande abondante de la part des investisseurs privés pour les titres de dette des États. Cette situation traduit une évolution plus structurelle, celle d'un excès d'épargne à l'échelle mondiale et d'une demande accrue pour les actifs considérés comme sûrs, résultant d'une diversité de facteurs : augmentation des inégalités, vieillissement démographique, dynamisme des pays émergents, faiblesse de l'investissement privé lié à l'affaissement des gains de productivité, rééquilibrage des portefeuilles vers des placements plus sûrs après les grands chocs financiers.

B. DANS CE CONTEXTE, LA CROISSANCE DU VOLUME DE LA DETTE FRANÇAISE REPRÉSENTE LE FACTEUR DÉTERMINANT DES PERSPECTIVES D'ÉVOLUTION DÉGRADÉES DE LA CHARGE D'INTÉRÊT PAR RAPPORT AUX AUTRES ÉTATS EUROPÉENS

De fait, sur le long terme, c'est bien l'augmentation continue du stock de la dette, sous l'effet de l'accumulation des déficits, notamment dans la période récente, qui explique les perspectives dégradées quant à la croissance de la charge de la dette dans les prochaines années.

Évolution de la charge de la dette depuis 2013

(en milliards d'euros et en pourcentage)

Note : le montant indiqué pour 2024 correspond à la prévision de la loi de finances pour 2024, telle que révisée par le décret d'annulation du 21 février 2024.

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

L'encours de la dette négociable de l'État pourrait ainsi dépasser 2 560 milliards d'euros en 2024, contre 2 000 milliards d'euros en 2020 et 1 760 milliards d'euros en 2018. Toutes administrations publiques confondues, la dette française représentait 3 100 milliards d'euros fin 2023. Exprimée en pourcentage du PIB, la dette publique se maintient à un niveau élevé à 110,6 % du PIB, trois ans après la sortie de la crise sanitaire, demeurant nettement au-dessus de son niveau de 2019. Quant au déficit public pour 2023, celui-ci s'est établi à 5,5 % du PIB, contre une prévision du Gouvernement à 4,9 %.

Selon les prévisions du FMI, la France ne connaîtrait pas de désendettement dans les années à venir, par contraste avec l'immense majorité des États européens.

Évolution anticipée de la dette publique des principaux États européens
depuis 2020

(en pourcentage)

Note : Le niveau du ratio de dette de 2020 est indiqué en base 100.

Source : OFCE, d'après le FMI (World Economic Outlook)

III.AVEC LE RETOUR DES RÈGLES BUDGÉTAIRES EUROPÉENNES ET LA MONTÉE DES DÉFIS ÉCONOMIQUES, GÉOPOLITIQUES ET ENVIRONNEMENTAUX, DES EFFORTS RÉSOLUS SONT NÉCESSAIRES POUR ASSURER LA SOUTENABILITÉ À LONG TERME DE LA CHARGE DE LA DETTE

A. LE RETOUR DE L'ENCADREMENT BUDGÉTAIRE EUROPÉEN, SUSPENDU À LA SUITE DE LA CRISE SANITAIRE, DEVRAIT REMETTRE AU CoeUR DES DISCUSSIONS LA MAÎTRISE DE L'ENDETTEMENT PUBLIC, DANS UN CONTEXTE DE BESOINS D'INVESTISSEMENT MASSIFS EN MATIÈRE D'INDUSTRIE, DE DÉFENSE ET D'ENVIRONNEMENT

Entrée en vigueur le 30 avril 2024, la réforme du Pacte de stabilité et de croissance (PSC) révise substantiellement le volet préventif des règles budgétaires européennes. Les nouveaux « plans budgétaires et structurels nationaux à moyen terme » devront prévoir une trajectoire d'évolution des dépenses publiques sur une durée de 4 à 5 ans (la « période d'ajustement »), susceptible d'être allongée de 3 ans, permettant de placer, d'une part, la dette publique durablement au-dessous de 60 % du PIB ou sur une pente décroissante et, d'autre part, le déficit public au-dessous de 3 % du PIB. Si ces trajectoires devront désormais être définies sur la base d'une analyse de la soutenabilité de la dette permettant la prise en compte d'une pluralité de paramètres (notamment la croissance, l'évolution de la charge d'intérêt et le coût du vieillissement), des clauses de sauvegarde ont été introduites à la demande des États « frugaux » afin d'assurer des ajustements minimaux.

Dans le cadre du volet correctif, en cas de déficit supérieur à 3 % du PIB, le déficit structurel devra baisser de 0,5 point de PIB par an jusqu'au retour à la cible des 3 %. Cette dernière obligation est inchangée par rapport aux règles actuelles, à la différence près que, pendant une période transitoire jusqu'en 2027, les charges d'intérêt supplémentaires enregistrées seront exclues du calcul de l'ajustement structurel. Par ailleurs, la réduction du montant des sanctions, à 0,05 % du PIB tous les six mois (contre 0,5 % précédemment) est destinée à augmenter la probabilité de les voir effectivement appliquées, et donc à renforcer leur crédibilité.

Ce retour de l'encadrement budgétaire européen s'inscrit dans un contexte marqué par une conjonction de défis économiques, géopolitiques et environnementaux majeurs, représentant des montants d'investissements considérables et nécessitant de disposer de marges de manoeuvre financières suffisantes.

B. FACE AU RISQUE D'UNE CHARGE DE LA DETTE EXCESSIVE QUI LIMITERAIT LES MARGES DE MANoeUVRE BUDGÉTAIRES DE L'ÉTAT, UNE INDISPENSABLE STRATÉGIE DE REDRESSEMENT DES FINANCES PUBLIQUES COORDONNÉE AVEC LES AUTRES ÉTATS EUROPÉENS

Si offrir une garantie implicite à la dette souveraine est, comme le souligne l'économiste Éric Monnet, « la raison d'être d'une banque centrale », « cette garantie implicite ne signifie évidemment pas qu'il ne faut pas faire attention à la gestion des finances publiques »1(*). Ainsi, les programmes d'achat d'actifs de la BCE, qui interviennent nécessairement sur le marché secondaire pour les obligations souveraines (en vertu de l'article 123 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne qui interdit tout financement direct des dettes publiques sur le marché primaire), demeurent soumis à un cadre temporaire et à des critères d'éligibilité. Ainsi, la mise en oeuvre du nouvel instrument de protection de la transmission (TPI), introduit par la BCE en juillet 2022 à destination des États qui n'auraient pas de problème structurel de finances publiques mais qui subiraient des tensions financières injustifiées et désordonnées sur les marchés, est expressément subordonnée au respect du cadre budgétaire européen, même si le Conseil des gouverneurs dispose d'une marge d'interprétation.

Dans ce contexte, et alors que la Commission européenne a initié une procédure pour déficit excessif à l'encontre de la France et de six autres États membres le 19 juin dernier, une stratégie de stabilisation de la dette doit urgemment être mise en oeuvre. À défaut, le risque existe, à plus ou moins brève échéance, de se voir imposer des mesures encore plus drastiques par les autorités européennes, en cas de crise de confiance sur les marchés. D'après le programme de stabilité, l'effort de consolidation pour 2025 serait ainsi de 20 milliards d'euros. À noter que les hypothèses macroéconomiques du Gouvernement ont fait l'objet de fortes critiques quant à leur réalisme. À plus long terme, il importe de restaurer des marges de manoeuvre budgétaires afin de pouvoir absorber les conséquences des futurs chocs.

Enfin, dans une période particulièrement instable, une meilleure connaissance de l'identité, de la nature et de l'origine géographique des porteurs de titres de dette publique s'avère nécessaire. Cette connaissance plus fine de la structure de détention de la dette doit viser à préserver la dette française d'une exposition, voire d'une dépendance, à l'égard d'un type de porteurs déterminé. En effet, la diversification des détenteurs de la dette constitue un atout majeur pour la France, avec aujourd'hui un quart de la dette détenu par la BCE, un cinquième par les investisseurs français, un cinquième par les investisseurs de la zone euro et un tiers par les investisseurs hors zone euro, européens ou du reste du monde.

LISTE DES RECOMMANDATIONS

Recommandation n° 1. Engager, dès le prochain projet de loi de finances, un effort de réduction du déficit public, cohérent et crédible, afin de revenir sous le niveau de 3 % du PIB d'ici 2027 et diminuer le ratio de dette publique de 1 point par an en moyenne sur la période avec pour objectif de renouer avec un excédent budgétaire primaire à l'horizon 2030 (Gouvernement)

Recommandation n° 2. Coordonner l'effort de réduction du déficit public au niveau national avec la promotion d'une politique d'investissement massive au niveau européen en matière d'industrie, de défense et d'environnement (Gouvernement)

Recommandation n° 3. Mettre en oeuvre un système d'identification des porteurs de titres de dette publique, en s'inspirant du système existant pour les actions de sociétés cotées (Ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, Agence France Trésor)

Recommandation n° 4. Veiller à conserver une gamme de porteurs de titres de dette publique suffisamment diverse en termes de nature et d'origine géographique. À cet effet, procéder à une revue annuelle de la composition des porteurs de titres de dette publique (Ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, Agence France Trésor)

I. LA CHARGE DE LA DETTE DE LA FRANCE DEVRAIT CONNAÎTRE UNE HAUSSE DE PLUS D'UN POINT DE PIB À L'HORIZON 2029, AVEC UNE POSITION DÉGRADÉE PARMI LES ÉTATS EUROPÉENS

A. AVEC LA NORMALISATION DE LA POLITIQUE MONÉTAIRE DE LA BANQUE CENTRALE EUROPÉENNE (BCE) INITIÉE EN RÉPONSE À LA CRISE INFLATIONNISTE, LA CHARGE D'INTÉRÊT DE LA DETTE FRANÇAISE A CONNU UNE FORTE REMONTÉE

1. La normalisation de la politique monétaire de la BCE, de juillet 2022 à juin 2024, s'est traduite par une nette remontée des taux d'intérêt souverains en zone euro

Afin de répondre au choc inflationniste consécutif à la sortie de la pandémie et à l'invasion de l'Ukraine par la Russie en février 2022, la BCE a décidé de conduire un fort resserrement monétaire à partir de juillet 2022. Rompant avec une période de taux d'intérêt exceptionnellement bas, voire négatifs, les autorités monétaires ont ainsi progressivement relevé le taux de la facilité de dépôt (le principal taux directeur de la BCE) de - 0,5 % en juillet 2022 à 4,0 % en septembre 2023.

Comme le souligne la Banque de France2(*), cette politique monétaire a été efficace, puisque l'inflation est redescendue à 2,6 % en zone euro et 2,7 % en France en mai 2024, après des pics respectivement à 10,6 % en zone euro en octobre 2022 et à 7,3 % en France en février 2023.

Pour autant, le resserrement de la politique monétaire en zone euro a mécaniquement durci les conditions de financement des États européens sur les marchés obligataires, avec une nette remontée des taux appliqués aux titres souverains. En effet, les taux directeurs de la banque centrale ont une « capacité de traction »3(*) de l'ensemble des taux d'intérêt, y compris des taux souverains, qui ont donc connu un mouvement de hausse simultanée à celui des taux de la BCE.

Taux directeurs et taux des titres souverains

Un taux d'intérêt nominal (le taux d'intérêt fixé lors de l'octroi d'un prêt) comprend schématiquement deux composantes :

- d'une part, une composante mesurant les anticipations de taux d'intérêt futurs ;

- d'autre part, une composante appelée « prime de risque », qui reflète la compensation exigée par les prêteurs pour les risques qu'ils encourent. Cette compensation dépend fortement de l'incertitude entourant les conditions économiques et politiques et leurs évolutions, ainsi que des effets des mesures de politique monétaire telles que les programmes d'achat d'actifs.

Dans ce cadre, la capacité de traction des taux d'intérêt directeurs de la banque centrale s'exerce de manière différenciée selon la maturité des titres de dette souveraine concernés. L'effet d'entraînement des taux directeurs de la banque centrale influe ainsi de manière directe sur les taux des titres de court terme (de maturité inférieure à 1 an), et de manière indirecte sur les taux des titres de maturité plus longue.

À la différence des taux de long terme, les taux de court terme sont en effet caractérisés par une faible composante de prime de risque et suivent étroitement l'évolution des taux directeurs.

Source : commission des finances, d'après les réponses de la direction générale du Trésor et de la Banque de France

À titre d'exemple, entre le 4 avril 2022 et le 4 avril 2024, les taux des titres à 10 ans sont passés, respectivement, de 0,52 % à 2,36 % pour la dette allemande, de 1,00 % à 2,87 % pour la dette française, et de 2,08 % à 3,72 % pour la dette italienne.

Évolution des taux d'intérêt appliqués aux obligations souveraines à 10 ans
des États membres de la zone euro entre avril 2022 et avril 2024

(en pourcentage)

 

France

Allemagne

Italie

Espagne

Pays-Bas

Portugal

Grèce

Avril 2022

1,00

0,52

2,08

1,46

0,79

1,37

2,59

Avril 2024

2,87

2,36

3,72

3,19

2,62

3,04

3,31

Source : commission des finances, d'après les réponses de la direction générale du Trésor

Taux d'emprunt à 3 mois et à 10 ans de la France
et taux de rémunération des dépôts par la BCE

(en pourcentage)

Note : l'indice quotidien TEC 10 ans (taux de l'échéance constante à 10 ans) représente le taux de rendement actuariel d'une OAT fictive d'échéance exactement égale à 10 ans. Le taux BTF 3 mois désigne le taux d'intérêt portant sur les bons du Trésor à taux fixe et à intérêt précompté d'une maturité de 3 mois. Le taux de dépôt BCE correspond au taux de la facilité de dépôt de la Banque centrale européenne.

Source : Programme de stabilité 2024-2027

Pour autant, le resserrement monétaire n'a pas eu d'impact propre significatif sur les écarts de taux souverains (« spreads »). Comme le relève la direction générale du Trésor, la remontée des taux d'intérêt n'a pas provoqué d'élargissement des spreads au sein de la zone euro, hormis un épisode de stress financier concernant l'Italie à l'automne 2023 (avec un spread de 2,07 points de pourcentage par rapport à l'Allemagne le 6 octobre 2023).

À l'inverse, certains pays, comme la Grèce et le Portugal, ont même connu une réduction continue de leurs spreads du fait de leurs efforts de consolidation budgétaire.

Dans ce contexte, le spread de la France par rapport à l'Allemagne est demeuré stable, autour d'une moyenne de 55 points de base entre juillet 2022 et mai 2024.

Évolution des écarts de taux d'intérêt par rapport à l'Allemagne appliqués
aux obligations souveraines à 10 ans des États membres de la zone euro
entre avril 2022 et avril 2024

(en points de pourcentage)

 

France

Italie

Espagne

Pays-Bas

Portugal

Grèce

Avril 2022

0,54

1,64

0,99

0,29

0,90

2,03

Avril 2023

0,51

1,83

1,03

0,36

0,86

1,96

Avril 2024

0,51

1,39

0,84

0,26

0,69

0,96

Source : commission des finances, d'après les réponses de la direction générale du Trésor

Compte tenu du reflux durable de l'inflation en zone euro, désormais prévue à 2,5 % en 2024, 2,2 % en 2025 et 1,9 % en 2026, la BCE a initié, le 6 juin 2024, un premier assouplissement en réduisant le taux de la facilité de dépôt à 3,75 %4(*).

2. L'incertitude politique actuelle, si elle n'a pas entraîné de désaffection de la part des investisseurs, s'est accompagnée d'une détérioration des écarts de taux d'intérêt (« spreads ») par rapport aux autres États européens

Alors que le contexte de taux d'intérêt devenait moins restrictif, les taux souverains de la France ont connu une dégradation notable à la suite de la dissolution de l'Assemblée nationale le 9 juin 2024.

Le spread entre les taux à 10 ans français et allemand a ainsi atteint un pic à 86 points de base le 28 juin 2024 en cours de journée, avant de revenir à 78 points de base à la clôture, à la veille du premier tour des élections législatives anticipées, contre 47 points de base début juin, avant les élections européennes et l'annonce de la dissolution. Ce pic correspond à un plus haut depuis novembre 2012 et la crise des dettes souveraines de la zone euro. Un pic intermédiaire avait également été rencontré en février 2017, lorsque l'incertitude autour de l'élection présidentielle avait fait monter le spread à 79 points de base5(*).

Cette évolution à la hausse du spread reflète la prise en compte par les investisseurs du risque politique portant sur la trajectoire budgétaire de la France. Selon l'agence de notation Moody's, « ces élections anticipées augmentent les risques pour l'assainissement budgétaire »6(*), considérant que « l'instabilité politique potentielle » représente « un risque de crédit étant donné la situation budgétaire difficile dont héritera le prochain gouvernement ». D'après l'agence, « un affaiblissement de l'engagement en faveur de l'assainissement budgétaire augmenterait également les pressions à la baisse sur le crédit » de la France.

À la suite des résultats des élections législatives, le spread entre la France et l'Allemagne s'est légèrement détendu, à 63 points de base à la clôture le 8 juillet 2024.

Évolution des taux d'intérêt souverains français et allemands à 10 ans
depuis la dissolution de l'Assemblée nationale

(en pourcentage, à la clôture)

 

France

Allemagne

Écart de taux (« spread »)

7 juin 2024
(dernière donnée avant la dissolution)

3,13

2,61

0,52

28 juin 2024
(pic du spread avant le premier tour
des élections législatives)

3,27

2,49

0,78

4 juillet 2024

(dernière émission d'OAT long terme)

3,26

2,58

0,68

8 juillet 2024

(après le second tour des élections législatives, dernière donnée disponible)

3,15

2,52

0,63

Source : commission des finances, d'après l'Agence France Trésor

Pour autant, ce niveau reste historiquement élevé. Le spread est ainsi proche de sa valeur du 17 mars 2020 (66 points de base), quand le début de la crise sanitaire avait contraint les États à adopter des mesures budgétaires exceptionnelles, suscitant l'inquiétude des investisseurs sur la soutenabilité de certaines dettes souveraines (notamment la dette italienne). Pour répondre à cet écartement des spreads et au risque de fragmentation de la zone euro, la BCE avait alors annoncé, le 18 mars, le lancement d'un nouveau programme d'achat de titres souverains, le Pandemic Emergency Purchase Programme (PEPP), initialement doté de 750 milliards d'euros et progressivement porté à 1 850 milliards d'euros en décembre 20207(*).

Cet écartement du spread, pour un total de plus de 10 points de base depuis l'annonce de la dissolution, résulte de deux mouvements opposés :

- d'une part, une augmentation du taux à 10 ans de la France, qui a progressé de 2 points de base pour atteindre 3,15 % le 8 juillet 2024, après un pic à 3,27 % (proche de son niveau de novembre 2023) ;

- d'autre part, une diminution du taux à 10 ans de l'Allemagne, qui a reflué de 9 points de base à 2,52 %, la dette allemande constituant une valeur refuge pour les investisseurs.

En dépit de ce contexte, la dernière émission d'OAT long terme (à 10 ans, 30 ans et 40 ans) le 4 juillet 2024, pour un montant de 10,5 milliards d'euros, n'a pas révélé de désaffection particulière de la part des investisseurs. La demande a ainsi représenté de 2,4 à 2,7 fois le montant des titres émis, en ligne avec les précédentes émissions8(*).

À date, et compte tenu du rythme de refinancement de la dette, les effets de la remontée des taux souverains sur la charge d'intérêt ne sont pas encore totalement perceptibles. En effet, l'impact de la hausse des taux sur la charge de la dette de l'État se matérialise graduellement en raison de la durée de vie moyenne du stock de la dette (8,6 ans à fin mai 20249(*)) et du refinancement progressif de la dette.

C'est ainsi que, pour 2024, la charge d'intérêt de l'État (en comptabilité maastrichtienne) devrait représenter 1,8 % du PIB. Toutes administrations confondues, la charge de la dette publique française égalerait 1,9 % du PIB10(*).

Évolution de la charge d'intérêt des administrations publiques
des principaux États de la zone euro entre 1995 et 2023

(en pourcentage du PIB)

Source : Banque de France, d'après Eurostat

Alors que la charge d'intérêt de la dette française rapportée au PIB était nettement inférieure à la moyenne des États membres de la future zone euro dans les années 1990, son niveau a depuis convergé vers cette moyenne.

Surtout, la charge de la dette française en proportion du PIB pourrait désormais s'écarter de la moyenne de la zone euro dans les années à venir, en la dépassant significativement.

En particulier, la charge de la dette de la France a fortement divergé de celle de l'Allemagne : alors que les deux charges étaient identiques en proportion du PIB jusqu'au début des années 2010, la charge d'intérêt de la dette française est devenue le double de celle de la dette allemande, avec 1,7 % du PIB pour la France contre 0,8 % du PIB pour l'Allemagne en 2023.

De fait, cette évolution s'explique par le creusement de l'écart entre les niveaux d'endettement des deux pays depuis la crise financière de 2008, avec un ratio de dette publique de 110,6 % du PIB pour la France contre 63,6 % du PIB pour l'Allemagne en 2024.

Le constat est identique si l'on rapporte la charge de la dette aux dépenses publiques totales. En 2022, la charge d'intérêt représentait 3,4 % des dépenses publiques pour la France, contre seulement 1,5 % pour l'Allemagne.

Évolution de la charge d'intérêt des administrations publiques
des principaux États de la zone euro entre 1995 et 2023

(en pourcentage des dépenses publiques totales)

Source : Banque de France, d'après Eurostat

B. À POLITIQUE BUDGÉTAIRE INCHANGÉE, UN RISQUE SIGNIFICATIF D'ALOURDISSEMENT DU POIDS DU SERVICE DE LA DETTE À BRÈVE ÉCHÉANCE, À 3 % DU PIB, AVEC UNE DIVERGENCE PROBLÉMATIQUE PAR RAPPORT À LA MAJORITÉ DES ÉTATS EUROPÉENS

1. L'évolution prévisible des taux d'intérêt souverains pourrait aboutir à un alourdissement substantiel de la charge de la dette de la France en valeur absolue et en pourcentage du PIB d'ici la fin de la décennie
a) Même en l'absence de tensions sur les taux d'intérêt souverains, la charge de la dette de la France devrait connaître une nette augmentation en valeur absolue et en pourcentage du PIB, pour atteindre 3 % du PIB

D'après les dernières projections communiquées en avril 2024 par le Gouvernement dans le cadre du programme de stabilité 2024-2027, le poids de la charge de la dette de l'État devrait continuer à s'accroître fortement dans les prochaines années, pour quasiment doubler entre 2023 et 2027.

Ainsi, la charge des intérêts de la dette de l'État est attendue à 46,3 milliards d'euros pour 2024 et devrait s'élever à 72,3 milliards d'euros en 2027, contre 39,0 milliards d'euros en 2023.

Les intérêts de la dette de l'État se rapprocheraient ainsi à l'horizon 2027 des dépenses de l'éducation nationale, premier poste budgétaire (hors CAS Pensions et remboursements et dégrèvements) avec 87 milliards d'euros (en crédits de paiement) en loi de finances pour 202411(*).

À titre de comparaison, le produit de l'impôt sur le revenu s'élevait à 102 milliards d'euros en 2023.

Évolution de la charge de la dette de l'État entre 2022 et 2027

(en milliards d'euros)

 

2022

2023

2024

2025

2026

2027

Charge de la dette de l'État (comptabilité maastrichtienne)

46,3

39,0

46,3

54,0

62,7

72,3

Source : Programme de stabilité 2024-2027

Les prévisions de charge de la dette pour les années 2024 et suivantes reposent sur l'hypothèse d'un assouplissement progressif de la politique monétaire de la BCE en 2024, qui porterait le taux d'intérêt à 3 mois à 3,25 % fin 2024, avant de refluer vers 3,0 % mi-2025 puis de se stabiliser à ce niveau. Selon le scénario du programme de stabilité, le taux d'intérêt à 10 ans atteindrait 3,2 % fin 2024, 3,5 % fin 2025 et se stabiliserait à 3,6 % à partir de fin 2026.

D'après les prévisions du Haut Conseil des Finances Publiques (HCFP) de septembre 2023, en agrégeant l'ensemble des administrations publiques, la charge d'intérêt de la dette publique de la France atteindrait même 84 milliards d'euros en 2027 (en comptabilité nationale), contre 47 milliards d'euros en 202312(*).

Selon le Fonds monétaire international (FMI)13(*), la charge d'intérêt devrait ainsi augmenter de plus d'un point de PIB en France à l'horizon 2029. De fait, la charge de la dette publique française devrait atteindre 3 % du PIB d'ici la fin de la décennie, renouant avec les niveaux historiquement élevés observés au milieu des années 1990.

Par ailleurs, ces projections à politique budgétaire inchangée, réalisées avant le mois de juin 2024, n'intègrent pas l'hypothèse d'une déviation de la trajectoire des finances publiques qui pourrait résulter de l'arrivée au pouvoir d'un nouveau gouvernement.

b) La remontée des taux souverains français à la suite de la dissolution de l'Assemblée nationale, si elle devait perdurer, pourrait encore significativement alourdir le poids du service de la dette à terme

Alors que le taux de l'OAT à 10 ans a augmenté de 3,10 % à 3,27 % (soit 17 points de base) depuis l'annonce de la dissolution de l'Assemblée nationale le 9 juin 2024, le spread de la France par rapport à l'Allemagne pourrait se maintenir à un niveau durablement élevé dans les prochaines années, compte tenu de l'incertitude politique et des pressions en faveur d'une politique budgétaire plus expansionniste.

En reprenant les calculs présentés dans le programme de stabilité 2024-2027, un choc de taux de + 20 points de base sur l'ensemble des maturités, similaire à celui observé en juin 2024, aurait un impact sur la charge de la dette de l'État de 2,8 milliards d'euros à l'horizon 2027, 4,8 milliards d'euros à l'horizon 2030 et 6,5 milliards d'euros à l'horizon 2033. Pour un choc de + 100 points de base, le programme de stabilité estime l'impact à 13,9 milliards à fin 2027, 24,0 milliards d'euros à fin 2030 et 32,6 milliards d'euros à fin 2033.

Impact d'un choc de taux de 1 point de pourcentage
sur la charge de la dette négociable de l'État (OAT et BTF)

(en milliards d'euros)

Note : ce graphique présente l'effet sur la charge d'intérêt en comptabilité nationale d'un choc de taux de + 100 points de base sur l'ensemble des maturités, dès le début de l'année 2024 et sur toute la durée de la projection. L'impact est graduel en raison du refinancement progressif de la dette. Les OAT désignent les obligations assimilables du Trésor ; les BTF correspondent aux bons du Trésor à taux fixe et à intérêt précompté.

Source : Programme de stabilité 2024-2027

2. La trajectoire de la charge de la dette française serait en divergence notable avec celles de la majeure partie des États-membres de la zone euro

D'après les prévisions du FMI, l'alourdissement de la charge de la dette française serait supérieur à celui anticipé pour l'Espagne, la Grèce et l'Italie à l'horizon 2029.

Évolution prévisionnelle de la charge d'intérêt de la dette publique en 2029
par rapport au niveau de 2023

(en points de PIB)

Source : OFCE, d'après le FMI (World Economic Outlook)

Si le niveau en pourcentage du PIB de la charge d'intérêt de la France devrait demeurer inférieur à celui de ces trois pays, il pourrait dépasser le niveau du Portugal, dont la consolidation budgétaire en cours depuis 2020 s'est traduite par une très nette diminution du ratio de dette publique14(*).

Comparaison des charges d'intérêts des États membres de la zone euro
en 2023 et en 2029

(en pourcentage du PIB)

 

France

Allemagne

Italie

Espagne

Pays-Bas

Portugal

Grèce

2023

1,7

0,9

3,8

2,5

0,6

2,2

3,5

2029

3,0

1,1

4,5

3,4

1,1

2,4

4,3

Source : commission des finances, d'après les réponses de la direction générale du Trésor et de l'OFCE aux questionnaires du rapporteur spécial

Quant à l'écart de charge de la dette par rapport à l'Allemagne, d'environ 1 point de PIB en 2023 (la charge de la dette allemande représentant moins d'1 % du PIB), celui-ci devrait donc continuer à se creuser dans les prochaines années, de près d'1 point supplémentaire (plus de 3 % du PIB pour la France contre 1,1 % du PIB pour l'Allemagne).

II. SI L'ÉCART DE TAUX D'INTÉRÊT PAR RAPPORT À L'ALLEMAGNE RESTE CONTENU ET DEVRAIT BÉNÉFICIER D'UNE POLITIQUE MONÉTAIRE MOINS RESTRICTIVE, LA CROISSANCE CONTINUE DU STOCK DE LA DETTE EXPLIQUE L'ESSENTIEL DE LA HAUSSE DE LA CHARGE D'INTÉRÊT

A. EN DÉPIT D'UN ENDETTEMENT PUBLIC HISTORIQUEMENT ÉLEVÉ, À PLUS DE 3 100 MILLIARDS D'EUROS, LE SPREAD DE TAUX D'INTÉRÊT ÉTAIT DEMEURÉ, JUSQU'EN JUIN 2024, À UN NIVEAU ENCORE RELATIVEMENT LIMITÉ

1. La demande pour les titres de dette souverains devrait rester très élevée, pour des raisons conjoncturelles et structurelles

Les titres de dette souverains des économies avancées ont bénéficié dans la période récente d'un contexte de taux globalement favorable, résultant d'une demande importante pour ces titres considérés comme des actifs sûrs. Traduisant en grande partie des tendances lourdes de l'économie mondiale, cette situation d'excès d'épargne15(*) résulte de plusieurs facteurs structurels :

- d'une part, les agents économiques avec une forte propension à épargner concentrent une part croissante des revenus à l'échelle mondiale, sous l'effet de l'augmentation des inégalités, du vieillissement démographique et du dynamisme des pays émergents ;

- d'autre part, les agents économiques privés semblent moins portés à investir, en raison notamment de l'affaissement des gains de productivité16(*) ;

- de surcroît, il semblerait qu'à la suite des grands chocs financiers, l'aversion au risque des agents en capacité d'épargner se soit accrue, les conduisant à rééquilibrer leurs portefeuilles d'investissements vers des placements plus sûrs.

À ces tendances structurelles s'ajoutent des facteurs conjoncturels, tenant à la politique monétaire conduite par la BCE. En effet, la liquidité sur les marchés obligataires souverains a été fortement soutenue par l'action de la banque centrale, notamment à travers ses programmes d'achats d'actifs, même si ce fut de manière indirecte, son mandat étant axé sur la stabilité des prix17(*).

C'est ainsi que le programme APP (« Asset Purchase Programme »), lancé en mars 2015, a permis à la BCE, dans le cadre de son volet PSPP (« Public Sector Purchase Programme »), d'acheter des titres obligataires d'émetteurs publics sur le marché secondaire. L'encours des actifs détenus par l'Eurosystème au titre du PSPP s'élevait ainsi à 2 585 milliards d'euros à fin 2022. De même, le programme PEPP (« Pandemic Emergency Purchase Programme), lancé en mars 2020 en réponse à la crise sanitaire, a autorisé la BCE à procéder à des achats d'actifs publics, avec la possibilité de s'écarter de la clé de répartition retenue pour les autres programmes afin de soutenir prioritairement certains États en difficulté. À fin 2022, l'encours correspondant s'élevait à 1 714 milliards d'euros.

Selon les estimations de la BCE, les programmes d'achats d'actifs conduits par la banque centrale ont contribué à réduire les taux des obligations à 10 ans émises par les quatre plus grands pays de la zone euro de 100 à 140 points de base en moyenne.

Estimation de l'impact des achats d'actifs sur les taux d'intérêt souverains

(en points de base)

Note : la ligne bleue exclut le Pandemic Emergency Purchase Programme (PEPP) et les achats supplémentaires d'Asset Purchase Programme (APP) à la suite de la décision du Conseil des gouverneurs de mars 2020 ; la ligne jaune les intègre.

Source : BCE, Occasional Paper Series 278, septembre 2021

Si la BCE a cessé le réinvestissement des obligations venant à échéance du programme APP (incluant le volet PSPP) dans de nouveaux actifs en juin 2023, cet arrêt n'a pas eu d'effet notable sur les taux d'intérêt souverains, qui ont évolué en ligne avec les taux sans risque de long terme (tels que le taux OIS)18(*), révélant une demande abondante de la part des investisseurs privés.

Comme le souligne l'économiste Éric Monnet, « grâce à la remontée des taux, les financiers privés ont paradoxalement pris le relai de la BCE pour l'achat de titres de dettes souveraines européennes »19(*).

Taux d'intérêt des obligations souveraines à 10 ans
et taux OIS (« Overnight Indexed Swap ») à 10 ans basé sur le taux €STR

(en points de pourcentage)

Note : la ligne en bleu foncé représente la moyenne de la zone euro pondérée par le PIB des États membres. La ligne en bleu clair désigne le taux OIS (« Overnight Indexed Swap ») à 10 ans de la zone euro. La ligne en orange correspond au taux d'intérêt des obligations britanniques à 10 ans. La ligne en rouge représente le taux d'intérêt des obligations américaines à 10 ans.

Source : BCE, Economic Bulletin Issue 5, 2023

Titres de dette souveraine de la zone euro nouvellement émis
et achats par segment d'investisseurs entre le premier trimestre 2019
et le deuxième trimestre 2023

(en milliards d'euros)

Note : les sections d'histogrammes en bleu foncé représentent les achats de l'Eurosystème (BCE et banques centrales nationales des États membres de la zone euro). Les sections en orange correspondent aux achats des établissements bancaires. Les sections en rouge figurent les achats des fonds d'investissement. Les sections en vert représentent les achats des compagnies d'assurance. Les sections en bleu clair correspondent aux achats des fonds de pension. Les sections en vert figurent les achats des ménages. Les sections en violet désignent les achats des investisseurs étrangers. Les sections en gris correspondent à des achats par d'autres agents de la zone euro. La ligne continue représente les émissions nettes de titres de dette souveraine de la zone euro.

Source : BCE, Financial Stability Review, novembre 2023

Cette forte demande des investisseurs privés s'accompagne également de leur diversification, la part des dettes souveraines détenue par les banques de la zone euro demeurant à un niveau historiquement bas.

Montants de titres de dette souveraine de la zone euro détenus par les banques
en proportion de leurs fonds propres, par pays de détention,
entre le quatrième trimestre 2014 et le deuxième trimestre 2023

(en pourcentage)

Note : les histogrammes en bleu représentent l'intervalle entre la valeur minimale et la valeur maximale sur la période. Le cercle orange correspond à l'observation la plus récente (deuxième trimestre 2023).

Source : BCE, Financial Stability Review, novembre 2023

2. Jusqu'à aujourd'hui, le niveau relativement bas du spread entre la France et l'Allemagne bénéficie de la crédibilité de la signature française et d'une politique d'émission mise en oeuvre par l'Agence France Trésor visant à assurer la liquidité des titres de dette

De fait, la crédibilité de la trajectoire budgétaire, ou trajectoire macro-budgétaire, repose sur plusieurs composantes, dont un certain nombre, notamment la qualité de la gestion de la dette par l'AFT, continue de jouer favorablement pour la France.

Les composantes de la crédibilité de la trajectoire macro-budgétaire d'un État

Plusieurs composantes déterminent la crédibilité de la trajectoire macro-budgétaire d'un État et donc la prime de risque (plus exactement la prime de crédit) demandée par les investisseurs :

- le solde primaire : une trajectoire macro-budgétaire crédible exige un solde primaire soutenable à long terme, c'est-à-dire que les recettes publiques doivent être suffisantes pour couvrir les dépenses publiques, y compris les investissements nécessaires, sans avoir recours à un financement excessif par la dette ;

- la croissance économique : la crédibilité de la trajectoire macro-budgétaire dépend également de la croissance économique prévue. Une croissance économique robuste à long terme peut contribuer à augmenter les recettes fiscales et à réduire les dépenses liées aux programmes sociaux, ce qui peut améliorer la soutenabilité budgétaire ;

- la gestion de la dette : la gestion de la dette publique participe à la crédibilité de la trajectoire macro-budgétaire. Les mesures visant à stabiliser ou réduire la dette publique par rapport au PIB peuvent renforcer la crédibilité et la confiance des investisseurs ;

- la transparence et la responsabilité : la transparence dans la présentation des finances publiques et la responsabilité dans la gestion des ressources budgétaires sont essentielles pour établir la crédibilité de la trajectoire macro-budgétaire. Les États qui fournissent des informations détaillées et fiables sur leurs finances publiques et qui sont responsables de leurs décisions budgétaires sont plus susceptibles de bénéficier d'une crédibilité accrue. Des prévisions fiables de trajectoire améliorent aussi la crédibilité des politiques publiques mises en oeuvre ;

- le cadre institutionnel : un cadre institutionnel solide, comprenant des règles budgétaires claires et des mécanismes de surveillance efficaces, peut renforcer la crédibilité de la trajectoire macro-budgétaire. Les États dotés de cadres institutionnels robustes sont mieux placés pour maintenir une discipline budgétaire à long terme et pour réagir de manière appropriée aux chocs économiques.

Source : réponses de la Banque de France au questionnaire du rapporteur spécial, d'après le FMI (Fiscal Monitor, 2023)

À niveau de déficit donné, l'objectif de l'AFT est de minimiser le coût de financement de la dette de l'État et de la gérer dans les meilleures conditions possibles de sécurité.

Dans cette optique, l'Agence se fonde sur :

- une politique d'émission régulière et prévisible : les émissions de titres de dette sont généralement réalisées par adjudications (une forme d'enchères), organisées tout au long de l'année, à des horaires et jours fixes dans le mois et dans la semaine. Cette prévisibilité repose également sur un principe de transparence : annonce de la taille du programme de financement annuel et de ses caractéristiques, calendrier d'émission, publication des résultats des adjudications, etc. ;

- un marché de la dette de l'État spécifiquement structuré : cette structuration s'appuie sur un ensemble de banques, les Spécialistes en Valeur du Trésor (SVT), qui sont chargées d'assurer la tenue quotidienne du marché secondaire de la dette (soit le marché mettant en relation acheteurs et vendeurs de titres déjà émis), permettant de s'adresser à un maximum d'investisseurs et de répondre à leurs besoins, notamment de liquidité des titres ;

- une gamme de titres adaptée à une base d'investisseurs large et diversifiée : afin de satisfaire la demande des différentes catégories d'investisseurs (banques centrales, banques commerciales, assureurs, fonds de pension, gestionnaires d'actifs, gestions alternatives), l'AFT propose une variété de produits de placement, notamment en matière de maturité des titres : les BTF20(*) pour les titres de court terme, les OAT21(*) pour les titres de moyen-long terme, avec une maturité moyenne de 8,6 ans en mai 2024.

Courbe des taux nominaux (OAT) et types de placement recherchés
par les différentes catégories d'investisseurs

(taux en pourcentage, maturités résiduelles en années)

Source : Trésor Eco n° 297, « La stratégie d'émission de la dette souveraine française », janvier 2022

De même, la diversité des titres offerts peut résulter d'une indexation sur l'inflation ou d'un adossement à des dépenses vertes (« obligations vertes »).

Ainsi, les titres indexés sur l'inflation représentent environ 10 % du programme de financement annuel de l'État. En mai 2024, la part des titres indexés dans l'encours de la dette négociable de l'État était de 11,5 % (289 milliards d'euros sur un total de 2 509 milliards d'euros)22(*).

Concernant les obligations vertes, la France constitue le premier émetteur souverain au monde, pour un encours total de 70,2 milliards d'euros. Preuve de l'intérêt pour l'État d'une telle diversification, la dernière émission initiale en janvier 2024, portant sur une OAT verte à 25 ans, a atteint le montant record de 8 milliards d'euros, pour une demande dépassant 98 milliards d'euros, un niveau inédit pour une émission de dette française, permettant de réduire de deux points de base le rendement offerts aux investisseurs, à 3,2 %23(*).

C'est ainsi que la dette française bénéficie d'une base d'investisseurs diversifiée et équilibrée, composée :

pour un quart (26 % en décembre 2023), par la BCE, à travers la Banque de France (Banque centrale nationale, BCN) ;

pour un cinquième (21 %), par les investisseurs français ;

pour un cinquième (19 % en décembre 2023), par les investisseurs de la zone euro ;

pour un tiers (34 % en décembre 2023), par les investisseurs hors zone euro, européens ou du reste du monde.

Détention de la dette publique (toutes administration publiques - APU)
par les différents groupes de porteurs en décembre 2023

(en pourcentage)

Note : le terme ZE désigne la zone euro.

Source : Banque de France

Part de la dette publique (toutes administrations publiques - APU) détenue par l'Eurosystème
en décembre 2023

(en pourcentage)

Sources : Banque de France, BCE

B. DANS CE CONTEXTE, LA CROISSANCE DU VOLUME DE LA DETTE FRANÇAISE REPRÉSENTE LE FACTEUR DÉTERMINANT DES PERSPECTIVES D'ÉVOLUTION DÉGRADÉES DE LA CHARGE D'INTÉRÊT PAR RAPPORT AUX AUTRES ÉTATS EUROPÉENS

1. Un stock de la dette en augmentation continue, sous l'effet de l'accumulation des déficits depuis 1974

Évolution de la charge de la dette depuis 2013

(en milliards d'euros et en pourcentage)

Note : le montant indiqué pour 2024 correspond à la prévision de la loi de finances pour 2024, telle que révisée par le décret d'annulation du 21 février 2024.

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

La charge de la dette résulte de la conjonction de deux éléments principaux :

- d'une part, le stock de la dette, autrement dit le niveau d'endettement ;

- d'autre part, le taux d'intérêt apparent, qui correspond au taux d'intérêt moyen sur l'ensemble du stock de la dette, découlant des taux d'emprunt passés. Les taux d'intérêt appliqués aux titres de dette sont déterminés par des facteurs spécifiques selon la maturité des titres concernés.

Facteurs déterminant le niveau des taux d'intérêt appliqués aux titres de dette

Maturité des titres

Facteurs explicatifs

Commentaires

Titres de court terme
(maturité < 1 an)
BTF pour la France

Taux directeurs de la banque centrale

Facteur commun à l'ensemble des États-membres de la zone euro

Orientation prospective des taux directeurs (forward guidance) définie par la banque centrale

Facteur commun à l'ensemble des États-membres de la zone euro

Confrontation de l'offre de titres et de l'excédent de liquidité en circulation

Facteur globalement propre à chaque État : découle directement de la politique d'émission de l'État et de son adaptation à la demande des investisseurs

Titres de moyen-long terme
(maturité > 1 an)
OAT pour la France

Taux courts anticipés

Reflètent l'évolution des taux directeurs de la banque centrale jusqu'à la maturité du titre, tels qu'anticipé à un instant donné par les investisseurs

Facteur commun à l'ensemble des États-membres de la zone euro

Prime de terme

Rémunération du risque de taux : reflète l'aversion des investisseurs pour le risque et la prime qu'ils attendent pour porter le risque d'un titre de long terme

Facteur globalement commun à l'ensemble des États-membres de la zone euro

Prime de crédit

Rémunération, dans le cas d'un émetteur souverain, du risque de détention au regard de la capacité d'un État à honorer ses engagements

Facteur propre à chaque État : dépend en grande partie de la trajectoire macro-budgétaire de l'État concerné

Mesuré en pratique par l'écart de taux (spread) avec un actif sans risque de référence (en zone euro, les Bund allemands)

Prime de liquidité

Valorise la liquidité du titre, c'est-à-dire la capacité à en vendre une quantité importante sans impact sur son prix

Facteur globalement propre à chaque État : découle directement de la politique d'émission de l'État et de son adaptation à la demande des investisseurs

Source : commission des finances, d'après la direction générale du Trésor, « La stratégie d'émission de la dette souveraine française », Trésor-Eco n° 297, janvier 2022

De fait, sur le long terme, c'est bien l'augmentation continue du stock de la dette, sous l'effet de l'accumulation des déficits, notamment dans la période récente, qui explique les perspectives dégradées quant à la croissance de la charge de la dette de la France dans les prochaines années.

Évolution de la dette publique française sur la période récente

(en pourcentage du PIB)

Note : Les aires grisées correspondent aux récessions identifiées par le Comité de datation des cycles de l'économie française de l'Association française de science économique (AFSE).

Source : OFCE, d'après l'Insee et l'AFSE

L'encours de la dette négociable de l'État pourrait ainsi dépasser 2 560 milliards d'euros en 2024, contre 2 000 milliards d'euros en 2020 et 1 760 milliards d'euros en 2018. Toutes administrations publiques confondues, la dette française s'élevait à 3 100 milliards d'euros fin 2023. Exprimée en pourcentage du PIB, la dette publique diminue légèrement, à 110,6 % après 111,9 % fin 2022 et 113,0 % fin 2021. Quant au déficit public, il s'établit à 5,5 % du PIB en 202324(*), contre une prévision du Gouvernement à 4,9 % en projet de loi de finances de fin de gestion25(*).

Évolution de l'encours de la dette négociable de l'État depuis 2018

(en milliards d'euros et en pourcentage)

Note : les montants indiqués pour fin 2023 et fin 2024 correspondent aux prévisions de la loi de finances pour 2024. À fin décembre 2023, l'encours constaté de la dette négociable de l'État était proche de la prévision, à 2 430 milliards d'euros ; à fin mai 2024, il s'élevait à 2 509 milliards d'euros, en ligne avec la prévision pour la fin de l'année.

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires et l'Agence France Trésor

De fait, à politique budgétaire inchangée, la France se distinguerait par l'absence de désendettement dans les années à venir.

Évolution anticipée de la dette publique depuis le pic de 2020 et jusqu'en 2029

(en pourcentage)

Note : Le niveau du ratio de dette de 2020 est indiqué en base 100.

Source : OFCE, d'après le FMI (World Economic Outlook)

Selon Olivier Blanchard, ancien chef économiste du FMI, entendu par le rapporteur spécial, l'enjeu pour les finances publiques ne porte ainsi pas tant sur le niveau de la charge de la dette que sur la stabilisation du stock de dette et la nécessité, à terme, de dégager un excédent budgétaire afin de disposer de marges de manoeuvre en cas de nouvelles crises.

Autrement dit, c'est bien le risque d'« effet boule de neige de la dette » qui pourrait se matérialiser : si le solde primaire reste inférieur au solde primaire stabilisant la dette, celle-ci augmente indéfiniment et devient insoutenable. Le solde primaire stabilisant la dette publique dépendant de l'écart entre le taux d'intérêt nominal apparent (r) et le taux de croissance du PIB nominal (g), la réduction progressive de cet écart, voire son retour à des valeurs positives à moyen terme, nécessite de dégager des soldes primaires plus élevés que dans la dernière décennie.

Implications de l'écart entre le taux d'intérêt apparent
et le taux de croissance du PIB (« r-g ») pour la soutenabilité de la dette

La soutenabilité de la dette publique dépend de sa trajectoire à long terme. Celle-ci dépend à son tour des politiques budgétaires (c'est-à-dire de l'accumulation des soldes primaires annuels), et de l'écart entre le taux d'intérêt (r) et le taux de croissance de l'activité en valeur (g).

Le solde primaire stabilisant le ratio de dette publique par rapport au PIB est ainsi égal au produit du ratio de dette par l'écart entre le taux d'intérêt nominal apparent (r) et le taux de croissance du PIB nominal (g).

À solde primaire nul, le ratio de dette en pourcentage du PIB augmente si le taux d'intérêt est supérieur au taux de croissance (r - g > 0) et diminue dans le cas contraire.

En cas de déficit primaire, l'effet est plus ambigu : un écart r - g positif accélère la hausse du ratio de dette, tandis qu'un écart négatif permet de contenir cette hausse, voire dans certains cas de faire baisser le ratio de dette.

Un taux d'intérêt apparent durablement plus bas que le taux de croissance du PIB nominal (r - g < 0) facilite ainsi la réduction du ratio d'endettement. Dans le cas inverse (r - g > 0), la dette augmente indéfiniment si le solde primaire reste inférieur au solde primaire stabilisant (« effet boule de neige de la dette ») : la dette s'autoalimente du fait de l'accumulation des charges d'intérêts et devient donc insoutenable. Pour endiguer cette croissance exponentielle de l'endettement, il est nécessaire d'augmenter le solde primaire au moins jusqu'au niveau stabilisateur, qui est d'autant plus haut que le ratio de dette est déjà élevé. Par conséquent, si la dette est prise dans un cycle d'emballement auto-entretenu, plus l'intervention pour l'enrayer est tardive, plus elle doit être drastique.

Source : commission des finances, d'après les réponses de la direction générale du Trésor et de la Banque de France

Ainsi que le souligne la Banque de France26(*), dans tous les pays européens, l'écart r - g se réduit depuis 2022, tout en restant légèrement négatif à l'horizon 2025. Surtout, compte tenu de l'effet retardé sur le taux apparent de la remontée des taux d'intérêt à long terme (selon le rythme de refinancement de la dette)27(*), cet écart pourrait continuer à diminuer et même redevenir positif au-delà de 2025.

Écart entre le taux d'intérêt apparent de la dette
et le taux de croissance du PIB nominal

(en pourcentage)

Source : Banque de France, à partir des projections de la Commission européenne

Certes, comme le rappelle la direction générale du Trésor, il existe un niveau d'incertitude élevé s'agissant des prévisions de l'écart entre taux d'intérêt et taux de croissance.

Pour autant, les services du ministère de l'économie reconnaissent eux-mêmes que « un écart négatif entre ces deux taux ne suffit pas en général à maîtriser la dette publique en présence d'un déficit primaire »28(*).

2. Une situation de finances publiques qui singularise la France parmi ses partenaires européens

Les trajectoires différenciées des charges d'intérêt dans la zone euro reflètent l'évolution de la dette publique et du déficit structurel des États européens et, plus particulièrement, la dégradation des finances publiques de la France par rapport à ses partenaires.

Cette évolution a été mise en avant par la Cour des comptes dans son rapport public annuel pour 202429(*), qui relève que, entre 2019 et 2024, « les crises récentes ont accru la divergence » en termes d'endettement public et de déficit structurel entre les économies de la zone euro, notamment entre :

- d'une part l'Allemagne, les Pays-Bas et l'Autriche, affichant un endettement inférieur à 80 points de PIB et un déficit structurel nettement sous les 3 % ;

d'autre part, la France, la Belgique et l'Italie, connaissant un endettement public supérieur à 100 points de PIB et un déficit structurel supérieur à 4 %.

Quant à l'Espagne et au Portugal, si leurs taux d'endettement public demeurent élevés, ceux-ci verraient leur déficit structurel diminuer par rapport à l'avant-crise sanitaire, à la différence de la France, de la Belgique et de l'Italie.

Évolution de la dette publique et du déficit structurel
des principaux pays européens entre 2019 et 2024

(en points de PIB)

Source : Cour des comptes, rapport public annuel 2024

Selon la Cour des comptes, ces trajectoires différenciées constituent un « risque pour la cohésion de la zone euro », alors que « l'engagement d'une réelle convergence serait pourtant nécessaire compte tenu du durcissement de la politique monétaire » initié en réponse à la crise inflationniste et dont l'assouplissement devrait être très progressif. À cet égard, la Cour souligne que « les conditions de financement des pays dont l'endettement est élevé se sont fortement dégradées depuis 2022 » : les spreads de taux à 10 ans de l'Italie et de la France par rapport à l'Allemagne ont ainsi connu une nette augmentation, respectivement de plus de 40 points de base et de plus de 20 points de base.

III. AVEC LE RETOUR DES RÈGLES BUDGÉTAIRES EUROPÉENNES ET LA MONTÉE DES DÉFIS ÉCONOMIQUES, GÉOPOLITIQUES ET ENVIRONNEMENTAUX, DES EFFORTS RÉSOLUS SONT NÉCESSAIRES POUR ASSURER LA SOUTENABILITÉ À LONG TERME DE LA CHARGE DE LA DETTE

A. LE RETOUR DE L'ENCADREMENT BUDGÉTAIRE EUROPÉEN, SUSPENDU À LA SUITE DE LA CRISE SANITAIRE, DEVRAIT REMETTRE AU CoeUR DES DISCUSSIONS LA MAÎTRISE DE L'ENDETTEMENT PUBLIC, DANS UN CONTEXTE DE BESOINS D'INVESTISSEMENTS MASSIFS EN MATIÈRE D'INDUSTRIE, DE DÉFENSE ET D'ENVIRONNEMENT

1. Les règles budgétaires européennes révisées en 2024 devraient réintroduire une contrainte forte pour les États les plus endettés, dont la France

Actée lors de la réunion du Conseil du 20 décembre 2023 et précisée par l'accord de trilogue du 10 février 2024, la réforme du Pacte de stabilité et de croissance (PSC) est entrée en vigueur le 30 avril 2024. Le paquet comporte deux règlements et une directive30(*).

La réforme révise substantiellement le volet préventif des règles budgétaires européennes. Les nouveaux « plans budgétaires et structurels nationaux à moyen terme », qui remplaceront les programmes de stabilité et les programmes de réformes des États-membres, devront prévoir une trajectoire d'évolution des dépenses publiques31(*) sur une durée de 4 ou 5 ans (la « période d'ajustement »), susceptible d'être allongée de 3 ans supplémentaires, permettant de placer (ou de maintenir), d'une part, la dette publique durablement au-dessous de 60 % du PIB ou sur une pente décroissante, et, d'autre part, le déficit public au-dessous de 3,0 % du PIB.

Selon la direction générale du Trésor, « grâce à la différenciation des trajectoires, le cadre de gouvernance s'adaptera à la réalité économique de chaque pays, en tenant ainsi compte de la grande hétérogénéité des niveaux d'endettement au sein de l'Union européenne, mais aussi des perspectives différentes en termes de croissance ou de démographie ».

Les trajectoires budgétaires seront désormais définies sur la base d'une analyse de la soutenabilité de la dette (« Debt Sustainability Analysis » en anglais, ou DSA), qui permettra, pour chaque État membre, de déterminer les ajustements nécessaires pour assurer la soutenabilité des finances publiques à moyen terme (c'est-à-dire sur la période d'ajustement, d'une durée de 4 ou 5 ans en principe, extensible de 3 ans supplémentaires) et le respect des objectifs des traités européens. Cet outil devrait permettre de renforcer la logique économique du cadre budgétaire, par la prise en compte de paramètres ayant un impact direct sur la soutenabilité des finances publiques, notamment la croissance, l'évolution de la charge d'intérêt et le coût du vieillissement.

Cependant, à la demande des États « frugaux », des clauses de sauvegarde ont été introduites, afin d'assurer des ajustements minimaux en vue de converger vers les cibles des traités.

D'une part, la sauvegarde sur la dette prévoit que, au cours de la période d'ajustement, le ratio de dette publique devra diminuer chaque année en moyenne d'au moins 1 point si ce ratio dépasse 90 % du PIB et d'au moins 0,5 point s'il est compris entre 60 et 90 % du PIB. À noter que la règle de réduction du ratio de dette sur la période d'ajustement pourra s'appliquer, le cas échéant, à l'issue d'une procédure pour déficit excessif32(*).

D'autre part, la sauvegarde sur le déficit vise l'atteinte d'un objectif de solde structurel à - 1,5 % du PIB, à un rythme minimum de 0,4 % d'ajustement structurel primaire par an, qui pourra être réduit à 0,25 % si l'État membre prend des engagements de réformes et d'investissements.

Dans le cadre du volet correctif des nouvelles règles budgétaires, en cas de procédure ouverte en raison d'un déficit supérieur à 3,0 % du PIB, le déficit structurel devra baisser de 0,5 point de PIB par an tant que le déficit public excède l'objectif de 3,0 % du PIB. Cette dernière obligation est inchangée par rapport aux règles actuelles, à la différence près que, pendant une période transitoire couvrant les années 2025-2027, les charges d'intérêt supplémentaires enregistrées au cours de ces années seront exclues du calcul du déficit structurel.

Par ailleurs, les sanctions en cas de non-respect de la trajectoire corrective au titre de la procédure pour déficit excessif sont révisées, à 0,05 % du PIB tous les six mois (contre un maximum de 0,5 % du PIB dans le cadre budgétaire précédent). La réduction du montant des sanctions est destinée à augmenter la probabilité de les voir effectivement appliquées, et donc leur crédibilité33(*).

De fait, l'entrée en vigueur de ce nouveau cadre devrait avoir des conséquences majeures sur la préparation des budgets nationaux pour 2025. Les États membres devront en effet soumettre leurs premiers plans nationaux d'ici le 20 septembre 202434(*).

Selon les estimations de l'institut Bruegel35(*), l'application du PSC révisé pourrait se traduire, pour la France, par un ajustement du solde primaire structurel de 1,1 % du PIB par an entre 2025 et 2028, soit un effort budgétaire d'environ 30 milliards d'euros par an sur 4 ans. Dans l'hypothèse d'une période d'ajustement étendue à 7 ans, cet ajustement du solde primaire structurel s'élèverait à 0,4 % du PIB par an, soit environ 12 milliards d'euros par an. Outre la France, la Bulgarie, la Belgique, la Slovaquie, la Slovénie et l'Italie devraient également réduire leurs dépenses ou augmenter leurs recettes fiscales de manière significative afin de se conformer aux nouvelles règles budgétaires36(*).

Pour la Banque de France37(*), le respect de la discipline budgétaire fixée par le nouveau cadre européen devrait être garanti par plusieurs éléments :

- d'une part, les écarts à la trajectoire seront consignés dans un compte de contrôle et pourront donner lieu à l'ouverture d'une procédure pour déficit excessif ;

- d'autre part, et plus fondamentalement, le respect des règles budgétaires européennes reste un prérequis pour bénéficier de l'instrument de protection de la transmission de la BCE (« Transmission Protection Instrument » en anglais, ou TPI), programme d'achats d'actifs introduit en juillet 2022 pour prévenir tout risque de fragmentation de la zone euro et prévoyant l'intervention de la banque centrale en cas d'apparition de dynamiques de marché injustifiées et désordonnées constituant une menace sérieuse pour la transmission de la politique monétaire de la zone euro.

Néanmoins, un grand nombre d'observateurs s'accordent pour reconnaître le caractère relativement complexe des nouvelles règles budgétaires, ce qui pourrait affecter, dans une certaine mesure, leur application et donc leur crédibilité. Ainsi que le relève la Banque de France38(*), « la réforme est un compromis entre l'ambition d'adapter les règles aux spécificités nationales et la nécessité de garantir la réduction de la dette via le respect de critères numériques », « au prix d'une certaine complexité ». De même, Raul Sampognaro39(*), économiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), note que le non-abandon de la cible de 60 % du PIB pour le ratio de dette publique rend « très difficile » l'application du critère de la dette ; dans ces conditions, tout dépendra de la « sévérité de la mise en oeuvre ».

Par ailleurs, l'absence de prise en compte des impacts budgétaires des risques climatiques constitue également une faiblesse du nouveau cadre européen. Selon Éric Monnet, économiste spécialiste de l'histoire des dettes publiques, les règles budgétaires révisées sont à ce titre « irréalistes à moyen et long terme, sauf à supposer que les conséquences négatives du changement climatique soient intégralement supportées par la sphère privée »40(*). Or, cette seconde solution risquerait d'entraîner une baisse de croissance et donc une hausse du ratio dette/PIB.

À cet égard, le rapporteur spécial souligne que la priorité pour la France doit être donnée au retour du déficit sous le niveau de 3 % du PIB à brève échéance, cette exigence ne souffrant d'aucune ambigüité et ayant abouti à l'ouverture d'une procédure pour déficit excessif par la Commission européenne le 19 juin dernier41(*).

2. Le financement de l'adaptation au changement climatique, de la réindustrialisation et de l'effort de défense représente des montants d'investissements considérables nécessitant de disposer de nouvelles marges budgétaires

Dans un contexte marqué par une conjonction de défis environnementaux, économiques et géopolitiques majeurs, les besoins d'investissements représentent des montants absolument massifs.

Ainsi, le rapport Pisani-Ferry-Mahfouz estime que le financement de la transition climatique, par le secteur public et par le secteur privé, nécessiterait, au niveau européen, un supplément d'investissement de l'ordre de 2 % du PIB par an en 2030, afin de se placer sur le chemin de la neutralité climatique en 205042(*).

Dans le cas de la France, les investissements supplémentaires nécessaires à l'atteinte des objectifs de la Stratégie nationale bas carbone (SNBC 2) sont évalués à environ 70 milliards d'euros par an (2,5 points de PIB) en 203043(*). Pour les finances publiques, le coût est estimé entre 25 et 34 milliards d'euros par an à l'horizon 2030, selon que l'on raisonne à part du financement public constante ou que l'on considère une adaptation des dispositifs de soutien.

Coût annuel de la transition climatique pour les finances publiques en 2030

(en milliards d'euros)

Source : Jean Pisani-Ferry, Selma Mahfouz, « Les incidences économiques de l'action pour le climat », France Stratégie, mai 2023

De même, dans le domaine de la défense, la loi de programmation militaire (LPM) du 1er août 202344(*) prévoit un effort financier massif de 413,3 milliards d'euros sur la période 2024-2027 pour adapter les armées aux nouvelles menaces et au retour des conflits de haute intensité, avec 400 milliards d'euros de crédits budgétaires et 13,3 milliards d'euros de ressources extra-budgétaires.

Cet effort représente une augmentation des moyens consacrés à la défense de 40 % par rapport à la précédente LPM couvrant la période 2019-2025 (295 milliards d'euros)45(*). Dans ce cadre, le budget de la défense devrait passer de 43,9 milliards d'euros en 2023 à plus de 68 milliards d'euros (ressources extra-budgétaires comprises).

De fait, les marges de manoeuvre budgétaires nécessaires à ces investissements massifs devront être dégagées dans une situation de vieillissement démographique peu favorable aux finances publiques. En effet, plusieurs économistes entendus par le rapporteur spécial ont mis en avant la nécessité d'anticiper l'alourdissement des dépenses correspondantes (retraites, dépenses de santé) dans les années à venir. La question d'une nouvelle adaptation du système de retraite à l'allongement de l'espérance de vie a ainsi été évoquée par Olivier Blanchard et François Langot.

De fait, selon le dernier rapport annuel du Conseil d'orientation des retraites (COR)46(*), publié en juin 2024, le système de retraites, pris dans sa globalité, devrait redevenir déficitaire à partir de 2024 et pour les quarante-cinq années suivantes. En 2030, le déficit est estimé à - 0,4 % du PIB (contre - 0,2 % dans les projections du précédent rapport annuel de juin 2023). À l'horizon 2070, il se dégraderait à - 0,8 % du PIB.

Pour M. Langot, directeur de l'Observatoire de la Macroéconomie du Centre pour la recherche économique et ses applications (CEPREMAP), le relèvement de l'âge de départ favoriserait l'emploi des seniors, en modifiant les anticipations des employeurs en termes de durée d'emploi des personnes recrutées à l'âge de 55-64 ans. En effet, avec l'allongement de l'âge de départ, le rendement anticipé de l'investissement en recrutement et en formation consenti par les employeurs (investissement supérieur à celui réalisé pour des travailleurs moins âgés, dont la productivité est plus forte) serait plus élevé, en ce qu'il pourrait être amorti sur une période plus longue. Dès lors, l'effet de substitution entre le système de retraites et l'assurance chômage serait minoré, maximisant les effets bénéfiques pour les finances publiques.

B. FACE AU RISQUE D'UNE CHARGE DE LA DETTE EXCESSIVE QUI LIMITERAIT LES MARGES DE MANoeUVRE BUDGÉTAIRES DE L'ÉTAT, UNE INDISPENSABLE STRATÉGIE DE REDRESSEMENT DES FINANCES PUBLIQUES COORDONNÉE AVEC LES AUTRES ÉTATS EUROPÉENS

1. La garantie implicite offerte par la politique monétaire de la BCE pourrait être fragilisée par des divergences économiques, voire politiques, importantes entre États-membres de la zone euro

L'idée que la BCE offrirait une garantie implicite aux dettes des États membres provient des politiques monétaires mises en oeuvre afin de lutter contre la fragmentation financière de la zone euro, notamment l'Outright Monetary Transaction (OMT), annoncé en septembre 2012, et, plus récemment, le Transmission Protection Instrument (TPI), introduit en juillet 2022. Ces politiques, conjuguées aux programmes d'achats d'actifs publics (PSPP et PEPP), ont fait baisser les taux souverains et ont ainsi contribué à la soutenabilité des dettes publiques de la zone euro (voir plus haut pour les effets des programmes d'achats d'actifs, II. A. 1.).

Comme le rappelle Éric Monnet, offrir une garantie implicite à la dette souveraine est « la raison d'être d'une banque centrale », les États membres de la zone euro n'étant pas dans une situation différente des autres pays de ce point de vue. Pour autant, l'économiste souligne l'importance d'une bonne gestion des finances publiques et du contrôle parlementaire : en effet, « cette garantie implicite ne signifie évidemment pas qu'il ne faut pas faire attention à la gestion des finances publiques. C'est le rôle du Parlement de veiller à cette bonne gestion »47(*).

Si cette interprétation du mandat de la banque centrale est partagée par plusieurs économistes et spécialistes des finances publiques48(*), elle n'est pas officiellement reconnue par les autorités monétaires.

En effet, en vertu de l'article 123 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), ni la BCE ni les banques centrales des États membres ne peuvent accorder des découverts aux institutions publiques ou acheter directement sur le marché primaire des instruments de dette émis par eux.

Ainsi, comme le relève la direction générale du Trésor49(*), certes, la position de la BCE est pour partie similaire à celle des autres grandes banques centrales, la Fed, la Banque d'Angleterre et la Banque du Japon n'intervenant pas non plus sur le marché primaire. Néanmoins, l'action des autres banques centrales n'est pas soumise au respect de traités internationaux interdisant le financement des États, même indirect. Ces banques ont donc une plus grande latitude pour mener des programmes de rachat de titres publics. Dans le cas américain, cette garantie implicite est désignée par le terme de « Fed put »50(*).

D'après la Banque de France, les différents programmes d'achats de titres de dette émis par les États membres de la zone euro sur le marché secondaire visaient à combattre les pressions déflationnistes à un moment où l'instrument conventionnel du taux d'intérêt ne pouvait plus guère être utilisé (car tombé à un niveau négatif). Aussi, selon l'autorité monétaire, « ces programmes n'ont pas eu pour objectif d'offrir une garantie implicite aux différents États de la zone euro »51(*).

De même, dans le cas des programmes OMT et TPI, l'objectif affiché est d'assurer la transmission efficace de la politique monétaire et d'assurer l'unicité de la politique monétaire en zone euro. Ces programmes, sans limite de montant et jamais activés à ce jour, s'inscrivent en effet dans un cadre temporaire et soumis à des critères d'éligibilité.

Ainsi, le programme OMT est initié à la demande d'un État membre à la condition qu'un programme d'ajustement soit engagé. Quant au programme TPI, il est destiné aux États qui n'auraient pas de problème structurel de finances publiques mais qui subiraient des turbulences financières injustifiées et désordonnées constituant une menace sérieuse pour la transmission de la politique monétaire au sein de la zone euro.

Comme le montrent les propos de huit gouverneurs de la BCE interrogés par le journal Le Monde en marge du séminaire annuel de la banque centrale à Sintra début juillet 2024, entre les deux tours des élections législatives anticipées52(*), les critères d'intervention en cas de tensions sur la dette publique française demeurent relativement vagues. De fait, le critère du TPI relatif au respect du cadre budgétaire de l'Union européenne implique soit de ne pas faire l'objet d'une procédure pour déficit excessif (ce qui est le cas de la France depuis le 19 juin), soit de répondre positivement aux recommandations du Conseil. Cette dernière condition réserve ainsi une marge de manoeuvre et d'interprétation au Conseil des gouverneurs.

Aussi, en cas de contamination d'une panique financière à l'ensemble de la zone euro, la BCE interviendra, mais après avoir laissé dans un premier temps les marchés fluctuer à la suite d'annonces de dépenses gouvernementales jugées inconsidérées. Ce faisant, ce pourrait être une façon d'adresser un message au gouvernement français, mais également à tous ceux de la zone euro, quant à l'obligation de respecter les règles budgétaires.

Interrogé par Le Monde, le gouverneur de la banque centrale grecque, Yannis Stournaras, souligne ainsi : « les marchés ont un rôle à jouer dans la discipline budgétaire, et nous ne détruirons pas ce rôle »53(*).

Les critères d'éligibilité aux programmes OMT et TPI

Le programme OMT (« Outright Monetary Transactions »)

L'éligibilité au programme OMT est conditionnée à la mise en oeuvre d'un programme approprié du Mécanisme européen de stabilité (MES). Ce programme peut prendre la forme d'un programme d'ajustement macroéconomique complet du MES ou d'un programme de précaution (ligne de crédit à conditions renforcées), à condition d'inclure la possibilité d'achats sur le marché primaire par le MES.

Le programme OMT est conduit tant qu'il demeure cohérent avec l'orientation de la politique monétaire et que les conditionnalités sont bien respectées.

Le programme TPI (« Transmission Protection Instrument »)

L'éligibilité au programme TPI est soumise à quatre critères d'éligibilité cumulatifs :

le respect du cadre budgétaire de l'Union européenne : l'État concerné ne doit pas faire l'objet d'une procédure concernant les déficits excessifs ou ne doit pas être considéré comme n'ayant pas engagé d'action effective en réponse à une recommandation du Conseil au titre de l'article 126, paragraphe 7, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE). ;

l'absence de déséquilibres macroéconomiques graves : l'État ne doit pas faire l'objet d'une procédure concernant les déséquilibres excessifs ou ne doit pas être considéré comme n'ayant pas engagé l'action corrective recommandée en réponse à une recommandation du Conseil au titre de l'article 121, paragraphe 4 du TFUE ;

la soutenabilité des finances publiques : pour s'assurer que la trajectoire de la dette publique est soutenable, le Conseil des gouverneurs de la BCE prend en compte, lorsqu'elles sont disponibles, les analyses de soutenabilité de la dette réalisée par la Commission européenne, le MES, le FMI et d'autres institutions, ainsi que l'analyse interne de la BCE ;

des politiques macroéconomiques saines et soutenables : l'État doit respecter les engagements présentés dans les plans de relance et de résilience au titre de la Facilité pour la reprise et la résilience et les recommandations de la Commission européenne spécifiques à chaque pays dans le domaine budgétaire dans le cadre du Semestre européen.

Sources : Banque de France, BCE

2. Une stratégie claire, transparente et coordonnée de redressement des finances publiques s'impose pour mettre un terme à l'illusion d'une dette sans coût

Dans ce contexte de finances publiques dégradées et de divergence avec les autres États de la zone euro, une stratégie de stabilisation de la dette doit urgemment être mise en oeuvre. À défaut, le risque existe, à plus ou moins brève échéance, selon les circonstances politiques et macroéconomiques, de se voir imposer des mesures encore plus drastiques par les autorités européennes, en cas de crise de confiance sur les marchés.

Aussi, à court terme, la première mesure à adopter consiste à se remettre enfin en conformité avec nos engagements européens, en sortant le plus rapidement possible de la procédure pour déficit excessif initiée par la Commission européenne en juin 2024. Cet effort budgétaire devrait également permettre d'entamer une trajectoire de désendettement alignée sur la nouvelle règle européenne de diminution du ratio de dette publique de 1 point par an en moyenne sur la période d'ajustement (4 ou 7 ans).

Recommandation n° 1. Engager, dès le prochain projet de loi de finances, un effort de réduction du déficit public, cohérent et crédible, afin de revenir sous le niveau de 3 % du PIB d'ici 2027 et diminuer le ratio de dette publique de 1 point par an en moyenne sur la période avec pour objectif de renouer avec un excédent budgétaire primaire à l'horizon 2030 (Gouvernement)

D'après les représentants de la direction générale du Trésor entendus par le rapporteur spécial, trois horizons doivent en effet être distingués pour l'application des règles budgétaires européennes, étant précisé que la Commission européenne retient la trajectoire la plus ambitieuse entre la sortie de la procédure pour déficit excessif et le volet préventif :

la sortie de la procédure pour déficit excessif : dans ce cas, serait nécessaire un ajustement structurel annuel d'au moins 0,5 point de PIB, jusqu'à revenir à un déficit à 3 % du PIB ; pour la période 2025-2027, l'exclusion des charges d'intérêt devrait diminuer cette exigence d'ajustement structurel annuel à 0,3 point de PIB, correspondant à un ajustement structurel primaire annuel du même niveau ;

la trajectoire d'ajustement en 4 ans dans le cadre du volet préventif (trajectoire de base), soit 2024-2028 : fondée sur l'analyse de soutenabilité de la dette et destinée à mettre le ratio de dette sur une pente décroissante, cette trajectoire de base se traduirait par un ajustement structurel primaire annuel de 0,9 point (de l'ordre de la consolidation budgétaire ayant suivi la crise financière de 2008) ;

la trajectoire d'ajustement étendue à 7 ans dans le cadre du volet préventif (trajectoire étendue), soit 2024-2031 : dans ce cas, l'État devrait s'engager sur un programme d'investissements et de réformes, certains investissements et réformes ayant déjà été prévus dans le cadre du plan de relance européen. Cette trajectoire étendue impliquerait alors un ajustement structurel primaire annuel de 0,6 point de PIB, correspondant en moyenne à la trajectoire retenue par le programme de stabilité d'avril 2024.

Effort d'ajustement structurel primaire annuel nécessaire
pour se conformer aux règles budgétaires européennes révisées

(en pourcentage du PIB)

 

Procédure pour déficit excessif (jusqu'au retour à un déficit de 3 % du PIB)

Volet préventif - Ajustement en 4 ans (trajectoire de base)

Volet préventif - Ajustement en 7 ans (trajectoire étendue)

Ajustement structurel primaire annuel

0,3

0,6

0,9

Source : commission des finances, d'après la direction générale du Trésor

D'après le programme de stabilité, l'effort de consolidation pour 2025 serait ainsi de 20 milliards d'euros54(*). À noter que les hypothèses macroéconomiques du programme de stabilité ont fait l'objet de fortes critiques quant à leur réalisme. Dans son avis du 16 avril 202455(*), le Haut Conseil des Finances Publiques a dénoncé le manque de « crédibilité » et de « cohérence » des prévisions du Gouvernement, suggérant que les efforts budgétaires devraient être encore plus importants pour respecter la trajectoire de désendettement.

À plus long terme, face à la montée des défis économiques, géopolitiques et environnementaux, il importe de restaurer des marges de manoeuvre budgétaires afin de pouvoir absorber les conséquences des futures crises. Selon l'économiste Olivier Blanchard, un excédent budgétaire primaire de l'ordre de 1 point de PIB serait ainsi nécessaire. En effet, en l'absence de récession, la politique budgétaire doit en principe dégager des excédents, en vue de disposer d'une situation plus favorable en amont des chocs.

Afin de ne pas pénaliser la réalisation des politiques prioritaires pour l'autonomie stratégique et la résilience des économies européennes, une coordination à l'échelle de la zone euro apparaît absolument nécessaire. Une telle coordination devrait également éviter que ne se reproduise l'expérience déflationniste du début de la décennie 2010.

En effet, à la sortie de la crise des dettes souveraines, les politiques de consolidation budgétaire alors adoptées par les différents États membres de manière non concertée avaient affecté la croissance dans l'ensemble de la zone, exerçant des pressions déflationnistes qui avaient justifié la mise en oeuvre de politiques monétaires non conventionnelles par la BCE (notamment les programmes d'achat d'actifs).

Plus fondamentalement, l'investissement dans la réindustrialisation, l'effort de défense et la transition climatique ne saurait être compromis par les ajustements budgétaires, qui doivent porter sur les autres titres de dépenses. Dans la mesure où les marges d'investissement de certains États pourraient être contraintes par leur situation de finances publiques, une action au niveau de la zone euro devrait être envisagée, non seulement pour coordonner les efforts nationaux, mais également pour mettre en oeuvre, avec les moyens de l'Union et sur le modèle du plan de relance européen post crise-sanitaire, les mesures considérées comme essentielles dans ces trois domaines.

Recommandation n° 2. Coordonner l'effort de réduction du déficit public au niveau national avec la promotion d'une politique d'investissement massive à l'échelle européenne en matière d'industrie, de défense et d'environnement (Gouvernement)

Enfin, dans une période particulièrement instable, une meilleure connaissance de l'identité, de la nature et de l'origine géographique des porteurs de titres de dette publique s'avère nécessaire. Cette connaissance plus fine de la structure de détention de la dette doit viser à préserver la dette française d'une exposition, voire d'une dépendance, à l'égard d'un type de porteurs déterminé (par exemple, des fonds d'investissement spéculatifs ou des investisseurs liés à des États étrangers à risques).

Recommandation n° 3. Mettre en oeuvre un système d'identification des porteurs de titres de dette publique, en s'inspirant du système existant pour les actions de sociétés cotées (Ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, Agence France Trésor)

En effet, la diversification des détenteurs de la dette constitue un atout majeur pour la France. À fin décembre 2023, la détention de la dette française se composait globalement de la manière suivante : pour un quart, par la BCE, à travers la Banque de France ; pour un cinquième, par les investisseurs français ; pour un cinquième, par les investisseurs de la zone euro ; pour un tiers, par les investisseurs hors zone euro, européens ou du reste du monde.

Auditionné par la commission des finances du Sénat le 13 mars 202456(*), le directeur général de l'Agence France Trésor, Antoine Deruennes, a clairement souligné le caractère bénéfique de cette base d'investisseurs diversifiée : « Cette diversification des investisseurs, tant en matière de profils que de zones géographiques, est une bonne nouvelle à plusieurs titres. Elle traduit tout d'abord une confiance dans la dette française, à la fois pour ses qualités techniques et pour le crédit de la France. Elle me permet ensuite de remplir les deux missions comprises dans le mandat que j'ai reçu : émettre la dette au meilleur coût pour le contribuable et dans les meilleures conditions de sécurité. Plus il y a de gens qui peuvent potentiellement acheter la dette, moins celle-ci s'avère coûteuse pour le contribuable, et moins nous sommes dépendants des événements qui peuvent survenir dans le monde. C'est donc un gage de résilience. »

Recommandation n° 4. Veiller à conserver une gamme de porteurs de titres de dette publique suffisamment diverse en termes de nature et d'origine géographique. À cet effet, procéder à une revue annuelle de la composition des porteurs de titres de dette publique (Ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, Agence France Trésor)

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 10 juillet 2024 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu la communication de M. Albéric de Montgolfier, rapporteur spécial, sur les facteurs explicatifs des perspectives d'évolution différentes en matière de charge de la dette entre la France et les principaux États européens.

M. Claude Raynal, président. - Mes chers collègues, avant de laisser la parole à notre rapporteur spécial, je tiens à féliciter les équipes du Centre national d'études spatiales (Cnes), de l'European Space Agency (ESA) et d'Arianespace pour le lancement réussi d'Ariane 6. C'est un moment extrêmement important pour l'industrie européenne de l'espace.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je me réjouis également de cette réussite industrielle.

Je tiens à remercier le rapporteur spécial, Albéric de Montgolfier, pour avoir choisi de consacrer son contrôle budgétaire aux perspectives d'évolution de la charge des intérêts de la dette, en France et dans les principaux États européens. Ce sujet s'inscrit très directement dans la continuité des travaux de notre commission. Qu'il s'agisse de l'examen des lois de finances, du programme de stabilité 2024-2027, de la loi de programmation des finances publiques (LPFP) ou encore dans le cadre de la mission d'information sur la dégradation des finances publiques, nous avons alerté à de multiples reprises sur la charge d'intérêts que nous versons à nos créanciers. Celle-ci connaît et connaîtra une très forte augmentation qui entrave nos capacités. Alors que la maîtrise de la dette représente un enjeu de souveraineté, nous ne pouvons-nous satisfaire de cette situation, au risque de nous retrouver dépendants des fluctuations des marchés obligataires et du soutien de nos partenaires européens, lequel demeure conditionné au respect de nos engagements au titre du Pacte de stabilité et de croissance.

C'est pourquoi Albéric de Montgolfier et moi-même partageons la nécessité de faire sortir notre pays de la procédure pour déficit excessif ouverte par la Commission européenne le 19 juin dernier.

La trajectoire que nous continuons de préconiser, visant la réduction du déficit à 3 % du PIB d'ici à 2027, est cohérente avec la proposition que nous avions portée dans le cadre de l'examen de la LPFP 2023-2027.

Face à l'incertitude actuelle quant à la politique économique et budgétaire du prochain gouvernement, la première exigence vis-à-vis de nos concitoyens est celle de la lucidité, de la clarté et de la sincérité. À cet égard je pense nécessaire de réaffirmer que nous ne pouvons pas vivre au-dessus de nos moyens plus longtemps.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur spécial. - Monsieur le président, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, en tant que rapporteur spécial de la mission « Engagements financiers de l'État », j'ai choisi cette année de mener un contrôle budgétaire, non pas sur le stock de la dette, mais sur les facteurs explicatifs des perspectives d'évolution différentes en matière de charge de la dette entre la France et les principaux États européens.

Le rapport que je vous présente aujourd'hui, fruit de mes échanges avec les services du ministère de l'économie et des finances, la Banque de France et plusieurs économistes éminents, s'inscrit dans la suite des travaux de la commission en rappelant les données du problème de la charge d'intérêts de la dette. Alors que la période d'incertitude ouverte depuis la dissolution de l'Assemblée nationale suscite de vives inquiétudes parmi les investisseurs auprès desquels notre pays emprunte, je veux ici souligner l'importance critique de l'évolution de la charge de la dette pour nos finances publiques.

Je commencerai par une présentation des perspectives d'évolution anticipées en la matière d'ici à la fin de la décennie. Selon les derniers éléments communiqués par l'exécutif dans le cadre du programme de stabilité d'avril 2024, le poids de la charge de la dette de l'État devrait connaître une forte croissance dans les prochaines années, pour quasiment doubler à l'horizon 2027, atteignant 72,3 milliards d'euros, contre 39 milliards d'euros en 2023. Il devrait s'inscrire autour de 50 milliards d'euros en 2024. Les intérêts de la dette de l'État se rapprocheraient alors des dépenses de l'éducation nationale, premier poste budgétaire. Si l'on devait poursuivre cette trajectoire haussière, les intérêts de la dette pourraient bientôt absorber le produit d'un impôt comme l'impôt sur le revenu (102 milliards d'euros en 2023).

Dans ces conditions, la trajectoire de la charge de la dette française devrait connaître une divergence notable avec la majeure partie des États membres de la zone euro. En effet, notre charge d'intérêts, en proportion du PIB, devrait s'écarter de la moyenne de la zone euro, en la dépassant significativement dans les années à venir.

Selon les dernières projections du Fonds monétaire international (FMI), la charge d'intérêts devrait augmenter de plus d'un point de PIB entre 2023 et 2029. À cette date, la charge de la dette publique française devrait représenter 3 % du PIB, renouant avec les niveaux record observés au milieu des années 1990. Dans ces conditions, pour respecter la règle européenne d'un déficit limité à 3 %, il faudrait que, hors charge d'intérêt, le solde public primaire soit à l'équilibre. Comme vous le savez tous, nous sommes aujourd'hui très loin de cette situation.

Sur la période 2023-2029, l'alourdissement de la charge de la dette française serait supérieur à celui anticipé pour l'Espagne, la Grèce, l'Italie, les Pays-Bas, l'Allemagne ou encore le Portugal. Si le niveau en pourcentage du PIB de la charge d'intérêt de la France devait demeurer inférieur à celui de l'Espagne, de la Grèce et de l'Italie, il pourrait ainsi dépasser le niveau du Portugal.

En comparaison avec l'Allemagne, évoquer une divergence serait un euphémisme : alors que les niveaux de charges d'intérêt étaient proches en proportion du PIB jusqu'au début des années 2010, la charge de la dette française est devenue le double de celle de la dette allemande. En 2023, les intérêts de la dette représentaient ainsi 1,7 % du PIB en France contre 0,8 % du PIB en Allemagne. Le constat est identique si l'on rapporte la charge de la dette aux dépenses publiques totales. En 2022, la charge d'intérêt correspondait à 3,4 % des dépenses publiques pour la France, contre seulement 1,5 % pour l'Allemagne. Imaginez ce que nous pourrions faire pour nos services publics si nous étions au même niveau que nos voisins d'outre-Rhin.

Il convient de préciser que ces projections ont été réalisées à politiques budgétaires inchangées. Antérieures à la dissolution de l'Assemblée nationale, elles n'intègrent donc pas l'hypothèse d'une nouvelle déviation de la trajectoire des finances publiques qui pourrait résulter de l'arrivée au pouvoir d'un nouveau gouvernement.

Je voudrais maintenant aborder les causes de cette envolée de la charge de la dette française par rapport à nos partenaires européens.

Sans surprise, sur le long terme, c'est bien l'augmentation continue du stock de la dette, sous l'effet de l'accumulation des déficits, notamment dans la période récente, qui explique cette situation et ces perspectives dégradées.

La dette de l'État devrait ainsi dépasser 2 560 milliards d'euros en 2024, contre 1 760 milliards d'euros en 2018. Toutes administrations publiques confondues, la dette française représentait 3 100 milliards d'euros à la fin de 2023. Trois ans après la sortie de la crise sanitaire, le ratio de dette publique se maintient ainsi à un niveau historiquement élevé, à 110,6 % du PIB, nettement au-dessus de son niveau de 2019. Enfin, notre commission a largement documenté le dérapage du déficit public constaté en 2023, à 5,5 % du PIB contre une prévision du Gouvernement à 4,9 %. Aussi, je m'étrangle quand notre ministre de l'économie depuis sept ans prétend qu'il a sauvé l'économie française. Que je sache, les autres États européens ont su réagir avec efficacité aux crises sanitaire et énergétique de ces dernières années sans connaître une telle explosion de leur dette.

Selon les prévisions du FMI, par contraste avec l'immense majorité des États européens, la France ne connaîtrait pas de désendettement à l'horizon 2029 par rapport à 2020, avec un ratio de dette qui se maintiendrait à plus de 110 % du PIB. Pour mémoire, nous avions le même niveau d'endettement que l'Allemagne avant la crise financière de 2008, et le même niveau de charge d'intérêts. Aujourd'hui, le ratio d'endettement de l'Allemagne est revenu à 64 % du PIB et devrait encore continuer à baisser dans les années à venir, sa charge d'intérêts ne croissant que très modérément.

Si l'augmentation du stock de la dette constitue donc le facteur déterminant de la croissance de la charge d'intérêts, la remontée des taux, liée à la normalisation de la politique monétaire par rapport à la fin de la décennie 2010, représente un facteur aggravant. Le relèvement progressif par la Banque centrale européenne (BCE) de son taux de dépôt, de - 0,5 % en juillet 2022 à 4,0 % en septembre 2023, s'est ainsi traduit par une nette croissance des taux d'intérêt souverains sur la même période. Alors que la France empruntait à 1 % sur 10 ans en avril 2022, ce taux était de 2,87 % en avril 2024. Le 8 juillet dernier, en dépit de l'inflexion du taux de dépôt de la BCE à 3,75 % en juin, le taux de la dette française à 10 ans s'élevait à 3,15 %, dans le contexte politique que nous connaissons.

À cet égard, je tiens à souligner un point crucial : compte tenu du rythme de refinancement de la dette, les effets de la remontée des taux sur la charge d'intérêts ne sont pas encore totalement perceptibles. Cet impact devrait se matérialiser graduellement dans les prochaines années.

Dans ce contexte, la dette de la France sera désormais au coeur des discussions avec nos partenaires de la zone euro. En effet, le retour de l'encadrement budgétaire européen, suspendu à la suite de la crise sanitaire, réintroduit de fortes contraintes, au plan préventif comme au plan correctif. De fait, le 19 juin dernier, la Commission européenne a lancé une procédure pour déficit excessif à l'encontre de 7 États membres, dont la France. Selon les représentants de la direction générale du Trésor que j'ai entendus en audition, la combinaison des règles préventives et correctives impliquerait un ajustement structurel primaire, c'est-à-dire hors charges de la dette, de 0,6 point de PIB annuel, dans le cas d'une période d'ajustement étendue à 7 ans, de 2024 à 2031, soit environ 20 milliards d'euros chaque année. À noter qu'une éventuelle intervention de la BCE est expressément subordonnée au respect du cadre budgétaire européen, même si le Conseil des gouverneurs dispose d'une marge d'interprétation.

À plus long terme, face à la montée des défis économiques, géopolitiques et environnementaux, il importe de restaurer des marges de manoeuvre budgétaires afin de pouvoir absorber les conséquences des futures crises. Selon l'économiste Olivier Blanchard, un excédent primaire de l'ordre de 1 point de PIB serait ainsi nécessaire. En l'absence de récession, la politique budgétaire doit en principe dégager des excédents, en vue de bénéficier d'une situation plus favorable en amont des chocs.

En conséquence, et j'en viens à mes recommandations, une stratégie de stabilisation de la dette et de réduction du déficit doit urgemment être mise en oeuvre. À défaut, le risque existe de se voir imposer des mesures encore plus drastiques par les autorités européennes, en cas de crise de confiance sur les marchés. Un premier ensemble de recommandations appelle donc à un effort de réduction du déficit public dès le prochain projet de loi de finances, pour revenir sous le niveau de 3 % du PIB d'ici à 2027, conformément à la proposition portée par le Sénat dans le cadre de la LPFP 2023-2027, et renouer avec un excédent budgétaire primaire à l'horizon 2030.

Par ailleurs, dans une période particulièrement instable, une meilleure connaissance des porteurs de titres de dette s'avère nécessaire. Cette connaissance plus fine de la structure de détention de la dette doit viser à préserver la dette française d'une exposition, voire d'une dépendance à l'égard d'un type d'investisseurs déterminé. Tel est l'objet de la seconde série de recommandations, qui propose de mettre en oeuvre un système d'identification des porteurs de titres de dette publique et de procéder à une revue annuelle de leur composition afin de conserver une gamme de porteurs suffisamment diverse en termes de nature et d'origine géographique.

Mes chers collègues, la charge d'intérêt de la France ne saurait poursuivre indéfiniment sa trajectoire divergente par rapport à nos partenaires européens. Si nous voulons éviter l'explosion, une action lucide et résolue s'impose. La maturité de la dette française s'établit aujourd'hui à plus de 8 ans. J'entends certains se réjouir que nous puissions emprunter jusqu'à 40 ans, mais si c'est pour payer les fonctionnaires en fin de mois, c'est très préoccupant. Si quelqu'un doit s'en réjouir, ce sont plutôt les fonds de pension étrangers à qui nos titres de dette offrent des rendements élevés.

M. Thierry Cozic. - Le constat est partagé, à ceci près que nous considérons que le problème vient surtout du stock de la dette.

J'aurais aimé une comparaison plus fine avec l'évolution de nos principaux partenaires. En France, la majorité présidentielle a organisé l'attrition des finances publiques en réduisant fortement les recettes. Qu'en est-il ailleurs ? Nous nous interrogeons également sur l'identification des porteurs de la dette.

M. Grégory Blanc. - Nous parlons toujours de la dette publique, mais ce n'est pas le seul élément macroéconomique déterminant. Y a-t-il une analyse d'ensemble des dettes intérieures des différents États européens ?

M. Vincent Capo-Canellas. - Vous parlez d'un effort de consolidation de 20 milliards d'euros annuels, mais on peut également entendre d'autre chiffres. Pouvez-vous revenir plus en détail sur votre estimation ?

Votre recommandation n° 2 a plus particulièrement attiré mon attention. Je la lis comme un appel à ce que des investissements européens viennent soutenir certaines politiques. Pouvez-vous nous en dire plus sur le sujet, au moment où s'installe une nouvelle gouvernance dans l'UE ?

M. Bernard Delcros. - Nous sommes évidemment tous d'accord avec le constat. Avez-vous un chiffrage plus précis sur la part respective de la hausse des taux d'intérêt et de la hausse du stock ?

M. Claude Nougein. - Beaucoup de nos collègues parlent des recettes, mais le poste des dépenses est également à revoir. Il ne faut pas oublier que les recettes ont augmenté. C'est le cas notamment de l'impôt sur les sociétés, malgré la baisse du taux à 25 %. Le remplacement de l'impôt de solidarité sur la fortune par l'impôt sur la fortune immobilière a par ailleurs représenté un manque à gagner de 2 milliards d'euros, donc ce n'est pas là qu'il faut rechercher les causes de l'aggravation du déficit budgétaire.

À mon sens, il faut plutôt regarder vers l'explosion des dépenses publiques. Je ne comprends pas l'expression « dynamique des dépenses », utilisée par certains de manière positive. C'est plutôt un problème à mon sens.

Enfin, j'aimerais savoir qui détient notre dette. Quels sont les pays étrangers qui sont nos créanciers ? Il y a là, à l'évidence, un risque pour notre souveraineté.

Mme Isabelle Briquet. - Je salue le travail très précis de notre rapporteur spécial.

En ce qui concerne la recommandation n° 1, nous sommes d'accord sur l'objectif, mais je crains que nous ne soyons pas d'accord sur les voies et moyens d'y parvenir : si ce dont on parle, c'est d'agir uniquement sur les dépenses de l'État, nous nous y opposerons bien évidemment. Monsieur le rapporteur spécial, dans votre esprit, est-il aussi question d'agir sur les recettes ?

Nous sommes par ailleurs en phase avec les trois autres recommandations.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur spécial. - Monsieur Cozic, vous avez raison, c'est d'abord un problème de stock. Nous sommes entrés dans les crises successives avec une situation budgétaire fortement dégradée par rapport à celle de nos partenaires européens. Le Gouvernement a été victime d'un anesthésiant particulièrement puissant : les taux d'intérêt bas. Lorsque j'étais rapporteur général de la commission des finances, avant les crises sanitaire et énergétique, je mettais déjà tout le monde en garde sur les déficits accumulés chaque année.

Tous les pays ont injecté de l'argent public pour affronter les grandes crises mondiales depuis 2008, mais ils ont pratiquement tous stabilisé leur niveau de dette et de déficit assez rapidement après le retour de l'activité économique à la normale. Nous, non !

En ce qui concerne la dette privée, je n'ai pas d'éléments documentés. Cela nécessiterait une étude particulière, qui dépasse à l'évidence le champ de ma compétence en tant que rapporteur spécial des crédits de la mission « Engagements financiers de l'État ».

Monsieur Capo-Canellas, l'ajustement budgétaire de 20 milliards d'euros par an jusqu'en 2031 est celui qui est retenu par la direction générale du Trésor. Cela représente 0,6 point de PIB par an sur 7 ans. Cette estimation est également proche de celle retenue par le Centre pour la recherche économique et ses applications (CEPREMAP), de 20 milliards d'euros par an sur 4 à 5 ans, pour se conformer à la nouvelle règle budgétaire européenne de diminution du ratio de dette sur PIB de 1 point par an en moyenne sur cette même période.

Monsieur Delcros, sur la période 2022-2024, la hausse cumulée des charges d'intérêt pour le budget de l'État se répartit comme suit (hors l'effet de l'inflation sur les titres indexés, qui représentent environ 10 % du volume de dette) : 5,3 milliards d'euros pour le stock de dette et 2,8 milliards d'euros pour les taux d'intérêt. Vous le voyez, même en cas de baisse des taux, le problème resterait considérable.

Monsieur Nougein, la détention de la dette française est ainsi structurée : 26 % pour la BCE (à travers la Banque de France), 21% pour des investisseurs français, 19 % pour des investisseurs de la zone euro et 34 %, soit un bon tiers, pour des investisseurs hors zone euro.

Madame Briquet, votre question est plus politique. Je suis resté factuel avec la recommandation n° 1 : nous devons réduire notre déficit primaire. Sur les voies et moyens pour y parvenir, chacun a son idée, mais cela n'est pas de mon ressort en tant que rapporteur spécial des crédits de la mission « Engagements financiers de l'État ». Nous ne sommes pas encore à la discussion du projet de loi de finances. À chaque jour suffit sa peine !

La commission a adopté les recommandations du rapporteur spécial et autorisé la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Agence France Trésor

- M. Antoine DERUENNES, directeur général ;

- Mme Julika COURTADE-GROSS, directrice générale adjointe ;

- M. Mathieu MARCEAU, chef du bureau de la trésorerie de l'État.

Direction générale du Trésor

- Mme Nathalie GEORGES, cheffe du service des politiques macroéconomiques et des affaires européennes ;

- M. Fabien BOUVET, chef du bureau de l'Union économique et monétaire.

M. Olivier BLANCHARD, économiste, professeur à l'École d'économie de Paris, ancien chef économiste du Fonds monétaire international (FMI)

M. François LANGOT, économiste, professeur à Le Mans Université et à l'École d'économie de Paris, directeur de l'Observatoire de la Macroéconomie du Centre pour la recherche économique et ses applications (CEPREMAP)

M. Raul SAMPOGNARO, économiste, Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE)

Contributions écrites

Banque de France

Service économique régional d'Athènes

Service économique régional de Berlin

Service économique régional de La Haye

Service économique régional de Lisbonne

Service économique régional de Madrid

Service économique régional de Rome

M. Éric MONNET, économiste, professeur à l'École d'économie de Paris et à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS)

TABLEAU DE MISE EN OEUVRE ET DE SUIVI

N° de la proposition

Proposition

Acteurs concernés

Calendrier prévisionnel

Support

1

Engager, dès le prochain projet de loi de finances, un effort de réduction du déficit public, cohérent et crédible, afin de revenir sous le niveau de 3 % du PIB d'ici 2027 et diminuer le ratio de dette publique de 1 point par an en moyenne sur la période avec pour objectif de renouer avec un excédent budgétaire primaire à l'horizon 2030

Gouvernement

Second semestre 2024

Projet de loi de finances

2

Coordonner l'effort de réduction du déficit public au niveau national avec la promotion d'une politique d'investissement massive à l'échelle européenne en matière d'industrie, de défense et d'environnement

Gouvernement

Second semestre 2024

Discussions au Conseil ECOFIN de l'Union européenne

3

Mettre en oeuvre un système d'identification des porteurs de titres de dette publique, en s'inspirant du système existant pour les actions de sociétés cotées

Ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, Agence France Trésor

Premier semestre 2025

Tous moyens

4

Veiller à conserver une gamme de porteurs de titres de dette publique suffisamment diverse en termes de nature et d'origine géographique. À cet effet, procéder à une revue annuelle de la composition des porteurs de titres de dette publique

Ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, Agence France Trésor

Premier semestre 2025

Tous moyens


* 1 Réponses de M. Éric Monnet au questionnaire du rapporteur spécial.

* 2 Réponses de la Banque de France au questionnaire du rapporteur spécial.

* 3 Réponses de la Direction générale du Trésor au questionnaire du rapporteur spécial.

* 4 Communiqué de presse de la BCE du 6 juin 2024, Décisions de politique monétaire.

* 5 Les Échos, 22 juin et 4 juillet 2024.

* 6 L'AGEFI, 11 juin 2024.

* 7 Christophe Blot, La politique monétaire de la BCE et la crise du Covid-19, Revue de l'OFCE, 172 (2021/2).

* 8 Agence France Trésor, communiqué de presse du 4 juillet 2024, « Émission de l'AFT : 10,500 milliards d'euros d'OAT long terme ».

* 9 Agence France Trésor, bulletin mensuel n° 409, juin 2024.

* 10 Réponses de la direction générale du Trésor au questionnaire du rapporteur spécial.

* 11 Montant réduit à 86,3 milliards d'euros suite au décret n° 2024-124 du 21 février 2024 portant annulation de crédits.

* 12 Haut Conseil des Finances Publiques, présentation devant la commission des finances du Sénat du 27 septembre 2023.

* 13 FMI, World Economic Outlook, avril 2024.

* 14 À noter qu'à la suite de la dissolution de l'Assemblée nationale, le taux portugais est devenu légèrement inférieur au taux français.

* 15 Trésor Eco n° 334, « Taux d'intérêt, croissance et soutenabilité de la dette publique », octobre 2023 ; voir également L. Rachel, L. Summers, « On Secular Stagnation in the Industrialized World », National Bureau of Economic Research, Working Paper 26198, août 2019.

* 16 Dans ce contexte, un nombre croissant de grandes sociétés cotées préfèrent restituer leurs capitaux excédentaires à leurs actionnaires par le biais de rachats d'actions. C'est ainsi que les groupes du CAC 40 ont acquis en 2023 pour 30 milliards d'euros de leurs propres actions ; voir Les Échos du 7 janvier 2024.

* 17 Christophe Blot, La politique monétaire de la BCE et la crise du Covid-19, Revue de l'OFCE, 172 (2021/2).

* 18 BCE, Economic Bulletin Issue 5, 2023.

* 19 Réponses d'Éric Monnet au questionnaire du rapporteur spécial.

* 20 Bons du Trésor à taux fixe et à intérêt précompté, de maturité initiale inférieure ou égale à un an.

* 21 Obligations assimilables du Trésor, de maturité initiale supérieure à 1 an.

* 22 Agence France Trésor, bulletin mensuel de juin 2024.

* 23 Agence France Trésor, communiqué de presse du 16 janvier 2024 ; voir également Les Échos du 16 janvier 2024.

* 24 Insee, Informations rapides n° 74, mars 2024.

* 25 Voir, pour l'analyse détaillée de cet écart, le rapport d'information n° 685 (2023-2024) de M. Jean-François HUSSON au nom de la commission des finances du Sénat, « Dégradation des finances publiques : entre pari et déni ».

* 26 Réponses de la Banque de France au questionnaire du rapporteur spécial.

* 27 À mesure que les titres de dette publique arrivant à maturité sont remplacés par des titres émis à des taux plus élevés.

* 28 Réponses de la direction générale du Trésor au questionnaire du rapporteur spécial ; voir également Trésor Eco n° 334, « Taux d'intérêt, croissance et soutenabilité de la dette publique », octobre 2023.

* 29 Cour des comptes, rapport public annuel 2024, volume 1.

* 30  Règlement (UE) 2024/1263 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2024 relatif à la coordination efficace des politiques économiques et à la surveillance budgétaire multilatérale et abrogeant le règlement (CE) n° 1466/97 du Conseil ; règlement (UE) 2024/1264 du Conseil du 29 avril 2024 modifiant le règlement (CE) n° 1467/97 visant à accélérer et à clarifier la mise en oeuvre de la procédure concernant les déficits excessifs ; directive (UE) 2024/1265 du Conseil du 29 avril 2024 modifiant la directive 2011/85/UE sur les exigences applicables aux cadres budgétaires des États membres.

* 31 Les dépenses publiques prises en compte seront les dépenses primaires (hors intérêts de la dette) et excluront les dépenses conjoncturelles d'indemnisation du chômage, les dépenses financées par des fonds européens ainsi que les dépenses exceptionnelles et temporaires. Toute nouvelle mesure affectant les prélèvements obligatoires devra impliquer une modification de la trajectoire de dépenses afin d'atteindre un même niveau de déficit public.

* 32 Réponses de la direction générale du Trésor au questionnaire du rapporteur spécial.

* 33 Voir notamment Olivier Blanchard, André Sapir, Jeromin Zeettelmeyer, « The European Commission's fiscal rules proposal : a bold plan with flaws that can be fixed », Bruegel Blog Post, novembre 2022.

* 34 Parlement européen, communiqué de presse du 23 avril 2024, « De nouvelles règles fiscales européennes approuvées par les députés ».

* 35 Zsolt Darvas, Lennard Welslau, Jeromin Zettelmeyer, « A quantitative evaluation of the European Commission's fiscal governance proposal », Bruegel, septembre 2023.

* 36 À noter que, d'après la direction générale du Trésor, l'analyse de l'institut Bruegel, publiée en septembre 2023, alors que le compromis sur les nouvelles règles budgétaires n'était pas encore finalisé, et réalisée sur la base des prévisions de printemps 2023 de la Commission, ne peut être transposée telle quelle.

* 37 Réponses de la Banque de France au questionnaire du rapporteur spécial.

* 38 Réponses de la Banque de France au questionnaire du rapporteur spécial.

* 39 Réponses de Raul Sampognaro au questionnaire du rapporteur spécial.

* 40 Réponses d'Éric Monnet au questionnaire du rapporteur spécial ; voir également Clara Léonard et Mathilde Viennot, « Nouvelles règles budgétaires européennes : la soutenabilité climatique oubliée », Alternatives économiques, février 2024 ; pour des travaux récents de la commission des finances du Sénat sur le sujet, voir le rapport d'information n° 603 (2023-2024) de Mme Christine Lavarde, « Le régime CatNat : prévenir la catastrophe financière ».

* 41 Sont également visées la Belgique, l'Italie, la Hongrie, Malte, la Pologne et la Slovaquie ; voir le communiqué de presse de la Commission européenne du 19 juin 2024.

* 42 Jean Pisani-Ferry, Selma Mahfouz, « Les incidences économiques de l'action pour le climat », France Stratégie, mai 2023.

* 43 Jean Pisani-Ferry, Selma Mahfouz, « L'action climatique : un enjeu macroéconomique », France Stratégie, Note d'analyse n° 114, novembre 2022.

* 44  Loi n° 2023-703 du 1er août 2023 relative à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense.

* 45  Loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense.

* 46  Conseil d'orientation des retraites, « Évolutions et perspectives des retraites en France », rapport annuel, juin 2024.

* 47 Réponses d'Éric Monnet au questionnaire du rapporteur spécial.

* 48 Voir, par exemple, François Ecalle, « Les limites de la dette publique de la France », Fipeco, 13 février 2024.

* 49 Réponses de la direction générale du Trésor au questionnaire du rapporteur spécial.

* 50 Voir notamment Anna Cieslak et Annette Vissing-Jorgensen, « The Economics of the Fed Put », Review of Financial Studies, 2021, 34(9), 4045-4089.

* 51 Réponses de la Banque de France au questionnaire du rapporteur spécial.

* 52 Le Monde du 4 juillet 2024.

* 53 Le Monde du 4 juillet.

* 54 Montant annoncé par les ministres Bruno Le Maire et Thomas Cazenave en auditions devant les commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat, le 6 mars 2024.

* 55  Haut Conseil des Finances Publiques, avis n° HCFP-2024-2 relatif aux prévisions macroéconomiques associées au Programme de stabilité pour les années 2024 à 2027.

* 56 Compte rendu de l'audition de M. Antoine Deruennes, directeur général de l'Agence France Trésor, devant la commission des finances du Sénat, 13 mars 2014.

Partager cette page