G. DÉBAT CONJOINT : RÉALISER LE DROIT HUMAIN À UN ENVIRONNEMENT SÛR, PROPRE, SAIN ET DURABLE GRÂCE AU PROCESSUS DE REYKJAVIK + VERS DES STRATÉGIES DU CONSEIL DE L'EUROPE POUR DES MERS ET DES OCÉANS SAINS AFIN DE CONTRER LA CRISE CLIMATIQUE

1. L'intervention de Mme Liliana Tanguy, porte-parole du groupe ADLE

Merci, Madame la Présidente.

Chers collègues,

Les records de chaleur enregistrés dans le monde en 2023 nous rappellent qu'il est urgent de faire des efforts supplémentaires pour protéger la planète des conséquences irréversibles liées au changement climatique. Les répercussions du dérèglement climatique sur les océans et les mers sont aussi préoccupantes. L'augmentation de la température des eaux marines provoque des effets en cascade sur la biodiversité marine et les sociétés humaines et menace la survie de notre patrimoine maritime.

Ce débat conjoint est donc l'occasion d'aborder la question du droit à un environnement sain, sûr et durable à partir de deux rapports très riches et assortis d'un ensemble de préconisations particulièrement intéressantes, qui demandent au Conseil de l'Europe d'établir une stratégie globale en matière de gouvernance environnementale dans le cadre du processus de Reykjavik qui a été lancé à l'issue du 4e Sommet de l'Organisation en mai 2023.

Notre groupe oeuvre depuis plusieurs années aux côtés de l'Assemblée pour ancrer la reconnaissance du droit à un environnement sain au sein du Conseil de l'Europe. En septembre 2021, sous la présidence de M. Rik DAEMS, s'est tenu un débat important qui avait l'ambition de consolider ce droit dans la législation, les politiques, les pratiques et la conscience publique. Notre groupe a largement soutenu l'adoption de la Recommandation 2211 (2021), laquelle appelait à l'introduction de Protocoles additionnels à la Convention européenne des droits de l'homme et à la Charte sociale européenne sur un environnement propre, sain et durable. En 2022, à l'issue de ce débat, un réseau parlementaire de référence pour un environnement sain, dont je suis membre, a vu le jour.

L'Alliance des démocrates et des libéraux pour l'Europe partage les conclusions des deux rapporteurs et apportera son soutien. Elle salue l'initiative du processus de Reykjavik qui souligne une prise de conscience importante parmi les chefs d'État et de gouvernement en faveur de mesures coordonnées pour contrer l'impact de la triple crise planétaire liée à la pollution, au changement climatique et à la perte de la biodiversité.

La députée Mme Yuliia OVCHYNNYKOVA nous rappelle que les mers et océans ne doivent pas être les grands oubliés de cette réflexion stratégique du Conseil de l'Europe. En tant que députée d'une circonscription littorale de Bretagne, je mesure chaque jour l'impact du réchauffement des eaux sur la biodiversité marine et son patrimoine. À ce titre, il convient de saluer la conclusion du Traité sur la haute mer en 2023, car celui-ci contribue non seulement à combler le vide juridique, mais aussi garantit une meilleure protection de la biodiversité dans les eaux internationales. N'oublions pas que les océans et les mers sont à la fois les poumons et le premier puits de carbone de la planète. Il est donc essentiel, comme le recommande ma collègue, que le Conseil de l'Europe soutienne la mise en oeuvre des traités internationaux qui favorisent la protection des mers et océans et renforce sa participation dans les activités de l'Organisation maritime internationale.

Je remercie également ma collègue d'Ukraine d'avoir évoqué la Convention de Berne dans ses travaux. J'ai en effet été à l'origine d'une proposition de résolution visant à renforcer la stabilité financière et institutionnelle de cette convention, qui - je le rappelle - est le premier traité international consacré à la protection de la faune et de la flore sauvages en Europe et au-delà.

Il faut aussi saluer la création [la Présidente lui demande de conclure] d'un groupe de travail intersecrétariat qui aura la charge d'élaborer le plan d'action intersectoriel sur lequel devra reposer la future stratégie globale du Conseil de l'Europe en matière d'environnement et encourager les États membres à soutenir la mise en place d'un comité intergouvernemental [la Présidente la reprend une nouvelle fois] ad hoc sur l'environnement et les droits de l'homme, le comité de Reykjavik.

Je souhaite [la Présidente indique que son temps de parole est terminé] que nous ayons des instruments audacieux pour lutter efficacement contre le réchauffement climatique.

2. L'intervention de Mme Anne Stambach-Terrenoir, porte-parole du groupe GUE

Merci, Madame la Présidente.

Je tiens d'abord, au nom de mon groupe, à remercier les rapporteurs pour leur travail d'intérêt général car, chers collègues, notre maison brûle. D'après l'IPBES, 75 % de la surface de la planète est abîmée de manière significative par les activités humaines ; un million d'espèces sont menacées d'extinction et 85 % des zones humides et leurs écosystèmes si riches et précieux risquent de disparaître.

Nous vivons la sixième extinction, qui est mille fois plus rapide que les précédentes, et six limites planétaires sur dix sont déjà dépassées. Les conséquences du réchauffement climatique sont de plus en plus violentes et les premières victimes sont toujours les plus fragiles d'entre nous. Par conséquent, le droit à un environnement sain est une nécessité, un droit fondamental déjà reconnu comme un droit humain à part entière par l'ONU via sa résolution historique du 8 octobre 2021.

Le Conseil de l'Europe ne peut rester plus longtemps le seul système régional de droits humains à ne pas avoir encore formellement reconnu ce droit. D'autant que la semaine dernière, la Cour européenne des droits de l'homme rendait un arrêt historique en condamnant la Suisse pour son inaction à compenser le réchauffement climatique.

Le droit à un environnement sain doit être la passerelle entre les droits humains et la préservation et la reconstitution de la nature. Je rejoins le rapporteur M. Simon MOUTQUIN, nous ne vivons pas une crise, comme le dit la Déclaration de Reykjavik : le changement climatique est la conséquence du déficit d'actions structurelles et pérennes. Et j'irais même plus loin : il est provoqué par la logique destructrice du tout profit porté par l'idéologie capitaliste, parce qu'elle entraîne le règne du court terme sur le long terme de la rentabilité économique comme seul horizon et contre toute rationalité et, in fine, contre le vivant et la préservation de nos conditions de survie.

Ce n'est pas un hasard si nous débattons aussi ce matin du rapport de Mme Yuliia OVCHYNNYKOVA qui lie la préservation des mers et des océans au droit à un environnement sain. Une respiration sur deux nous est permise par l'océan car 50 % du dioxygène provient du phytoplancton.

Pour préserver ce bien commun de l'humanité, le dispositif des aires marines protégées pourrait constituer un levier crucial. Mais comment peut-on parler d'aires marines protégées dès lors que l'activité qui a le plus affecté les écosystèmes marins, la pêche industrielle, y est autorisée ? En 2023, le chalutage s'est vissé dans plus de 60 % de la surface des aires marines protégées en Europe et les 18 navires-usines européens de plus de 80 mètres opèrent tous sans exception dans les aires marines protégées européennes.

Nous sommes en France particulièrement sensibles à cette question car l'aire marine protégée la plus chalutée d'Europe est celle du talus du golfe de Gascogne. La consécration du droit à l'environnement sain doit donc permettre une définition claire de ces aires protégées, excluant toutes les activités extractives comme la pêche industrielle, selon les recommandations de l'Union internationale de conservation de la nature.

Le temps nous est compté. Après les pôles, l'Europe est le continent qui se réchauffe le plus vite. Il y a quelques jours, une étude dans la revue Nature montrait que le réchauffement et l'acidification des océans sont deux fois plus importants qu'estimés.

Le processus enclenché à Reykjavik doit aboutir au plus vite sur un nouveau droit contraignant dans la Convention européenne des droits de l'homme, via un Protocole additionnel, afin que la Cour soit compétente pour tous les litiges relevant de la protection de ce droit fondamental. Cette revendication est d'ailleurs portée par un collectif d'ONG au niveau international.

Nous attendons du Comité des Ministres et du futur Secrétaire Général du Conseil de l'Europe qu'ils soient à la hauteur de l'Histoire. Car comme l'a dit Antoine de Saint-Exupéry : « Nous n'héritons pas de la terre de nos parents, nous l'empruntons à nos enfants. »

Je vous remercie.

3. L'intervention de M. Alain Cadec

Madame la Présidente,

Mes chers collègues,

Je remercie nos collègues pour leurs rapports que nous examinons à un moment clé, quelques jours seulement après les arrêts rendus par la Cour européenne des droits de l'homme dans trois affaires concernant le changement climatique.

Dans l'affaire concernant la Suisse, la Cour a ainsi jugé que l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme englobe un droit pour les individus à une protection effective, par les autorités de l'État, contre les effets néfastes et graves du changement climatique sur leur vie, leur santé, leur bien-être et leur qualité de vie. C'est un arrêt majeur dont il faudra analyser la portée et les implications pour les politiques publiques de nos États membres.

Je veux pour ma part insister sur le rôle essentiel joué par les océans dans la lutte contre le changement climatique, à la fois comme poumon de la planète et comme puits de carbone. On estime en effet que les mers et océans produisent 50 % de nos besoins en oxygène, absorbent 25 % des émissions de CO2 et capturent 90 % de la chaleur supplémentaire qu'elles génèrent.

Le réchauffement climatique menace le rôle régulateur des mers et des océans. Il menace la biodiversité marine et les ressources halieutiques. L'Agence américaine d'observation océanique et atmosphérique a confirmé en début de semaine qu'un nouvel événement mondial de blanchissement des coraux est en cours depuis février 2023, le deuxième épisode en moins de dix ans.

Il est donc essentiel d'agir en faveur de la protection des mers et des océans. Ce sujet rejoint celui, plus vaste, du droit à un environnement sûr, propre et durable prôné par notre Assemblée.

Ces enjeux sont particulièrement importants pour la France qui dispose du deuxième espace maritime mondial, recouvrant 10 % des récifs coralliens et 20 % des atolls de la planète. Près de 10 % de la diversité mondiale des espèces marines est présente dans les outre-mer français.

Je partage donc l'appel de notre collègue en faveur d'aires marines protégées et de mesures de régulation de la ressource halieutique. En tant qu'ancien président de la commission des pêches du Parlement européen, je veux souligner à cet égard la très grande attention portée par l'Union européenne à une gestion durable de la ressource et les bons résultats obtenus en ce domaine.

Je veux également vous faire part de ma propre expérience d'élu de la Baie de Saint-Brieuc, en Bretagne, où un parc éolien offshore vient de voir le jour.

De tels projets doivent impérativement prendre en compte les particularités des fonds marins et l'environnement dans lequel ils s'insèrent. Ils doivent faire l'objet d'une étude d'impact et s'accompagner d'une véritable concertation avec les principaux utilisateurs de l'espace maritime concerné, en particulier bien sûr les pêcheurs.

Alors, passer des principes généraux aux actes concrets sur le terrain nécessite du tact et du savoir-faire, autant que de la volonté politique, si l'on veut qu'ils prospèrent dans une démocratie locale apaisée.

Je vous remercie.

4. L'intervention de M. Bertrand Bouyx

Merci, Monsieur le Président.

Monsieur le rapporteur,

Chers collègues,

Je tiens à m'exprimer sur le projet de résolution « Vers des stratégies du Conseil de l'Europe pour des mers et des océans sains afin de contrer la crise climatique », à la fois en tant qu'élu côtier particulièrement sensible à cette problématique et surtout parce que je pense sincèrement que les questions de démocratie et de droits humains qui animent notre institution sont particulièrement imbriquées avec les questions environnementales. J'en profite pour m'associer à mes collègues de la délégation française ici présents.

En effet, le rapport précise que les mers et les océans de notre planète sont des écosystèmes complexes et fragiles. Aujourd'hui, les océans et les mers fournissent 50 % de l'oxygène nécessaire à la vie, absorbent un quart des émissions de dioxyde de carbone et capturent 90 % de l'excédent de chaleur qu'elles génèrent. Qu'en sera-t-il demain alors que les mers et océans battent des records de température de mois en mois s'ils ne peuvent plus faire ce travail ?

Tout le reste et tous les autres sujets sur lesquels nous débattons n'auront plus de raison d'être. Le Sommet de Reykjavik a mis en lumière la nécessité d'un droit à un environnement sain. Ce droit doit pouvoir être effectif au niveau de chaque État membre mais aussi au niveau du Conseil de l'Europe, qui a vocation à faire émerger un véritable droit à un environnement sain au niveau international, sur le modèle des autres conventions thématiques.

Nos travaux pour bâtir une architecture de droits environnementaux pourraient être facilités par l'accord historique conclu le 4 mars 2023 sous les auspices de l'ONU qui a conduit, le 19 juin 2023, à l'adoption du Traité international pour la protection de la haute mer et de la biodiversité marine. Cet accord refonde la réglementation des eaux internationales dont la protection était auparavant fragmentée et qui n'était comprise ni dans les eaux intérieures ni dans les eaux territoriales d'un État, selon la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, dite Convention de Montego Bay. Le nouveau traité modifie fondamentalement la gouvernance à l'intérieur et à l'extérieur des eaux territoriales. La haute mer est désormais considérée comme un « bien public mondial » qui couvre un peu plus de la moitié de la surface du globe ou 64 % des océans. C'est une quasi reconnaissance d'une personnalité juridique aux océans avec des droits dont le premier étant celui de maintenir une température vivable pour la biodiversité et permettant au climat de ne pas basculer trop violemment.

Le traité doit être signé et ratifié par 60 États pour entrer en vigueur en 2025. Le Gouvernement français a déposé le projet de loi autorisant la ratification de ce traité. Il est en cours d'examen à la commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale. J'encourage l'ensemble des pays de notre continent à le signer et à le ratifier le plus rapidement possible, conformément à leurs normes constitutionnelles.

En attendant, je voterai avec enthousiasme le projet de résolution.

Merci.

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