C. UN COÛT ANNUEL POUR LES FINANCES PUBLIQUES DE PLUSIEURS DIZAINES DE MILLIARDS D'EUROS SELON LES ESTIMATIONS DE LA MECSS
Le chiffrage du coût pour les finances publiques pourrait a priori sembler plus objectif que celui des coûts externes. Il est compris entre environ 1 milliard d'euros et 10 milliards d'euros selon le risque et l'étude concernés.
Toutefois, au-delà des différences de périmètre, ces chiffrages présentent des différences méthodologiques pour ce qui concerne le coût des soins et, surtout, ne prennent pas en compte l'impact de la perte de PIB sur les finances publiques.
1. Une méthodologie variable pour le chiffrage du coût des soins
Le chiffrage du coût des soins varie fortement selon la méthodologie retenue.
Les rapporteures estiment que, dans le contexte du présent rapport, la méthodologie la plus adapté consiste à prendre en compte les soins découlant d'un comportement pathologique présent ou passé des personnes concernées (cf. encadré ci-après).
Ainsi, selon l'étude de Pierre Kopp (2023) pour l'OFDT, l'alcool et le tabac augmenteraient les dépenses de santé de respectivement 7,7 milliards d'euros et 25,9 milliards d'euros en 2019. L'article de Trésor-Eco (2016) chiffre quant à lui cet impact à 17,1 milliards d'euros en 2012 pour l'obésité.
Comment chiffrer le coût des pathologies ?
Première approche : prendre en compte les soins découlant d'un comportement pathologique présent ou passé des personnes concernées
Selon l'étude de Pierre Kopp de 2015, l'alcool et le tabac augmenteraient les dépenses de santé de respectivement 7,7 milliards d'euros et 25,9 milliards d'euros en 2010.
Toutefois la question est de savoir jusqu'à quel point une pathologie peut être considérée comme découlant d'un comportement.
Ainsi, dans son étude de 2023 (sur 2019), Pierre Kopp a revu son estimation à la baisse, en excluant désormais, dans le cas du tabac, les cas de diagnostic relié ou associé au tabagisme (et ne prenant en compte que les cas où le tabac est cité en diagnostic principal), avec un coût ramené à 16,4 milliards d'euros. Le chiffrage reste toutefois analogue dans le cas de l'alcool (7,8 milliards d'euros).
Seconde approche : supposer que les comportements pathologiques disparaissent subitement
Une seconde méthodologie, retenue par l'OCDE, consiste à supposer que les comportements pathologiques disparaissent subitement, et à évaluer, au moyen d'un modèle, l'économie permise par rapport à une situation où ils resteraient inchangés.
Cela conduit à évaluer le coût des soins à « seulement » 1,9 milliard d'euros par an pour l'alcool et 4,6 milliards d'euros par an pour le tabac (sur la base des dépenses de santé dans les 30 années à venir si la consommation d'alcool ou de tabac était éliminée).
La première approche semble le plus correspondre à l'objet du présent rapport
Ces deux approches sont également pertinentes ; toutefois elles ne mesurent pas la même chose.
Dans le cadre du présent rapport, les rapporteures jugent la première approche préférable. En effet, elle correspond bien au coût actuel pour les finances publiques de l'alcool, du tabac ou de l'obésité, ce qui est ce que l'on veut mesurer.
La seconde approche correspond quant à elle à un scénario théorique de disparition subite des comportements pathologiques.
2. L'absence de prise en compte de l'impact de la perte de PIB conduit à majorer l'impact sur le solde public de plusieurs dizaines de milliards d'euros
Surtout, aucune de ces études ne prend en compte l'impact sur les finances publiques de la perte de PIB provenant des comportements et pathologies concernés.
Cela provient vraisemblablement du fait que la perte de production (bien que, comme indiqué ci-avant, il ne s'agisse pas d'une perte de PIB) est déjà prise en compte parmi le coût externe. Toutefois la perte de PIB constitue un coût majeur pour les finances publiques.
Il est possible de s'appuyer sur les trois études précitées de l'OCDE pour évaluer l'impact sur le PIB du tabac, de l'alcool et de l'obésité, et l'impact sur les finances publiques en résultant.
Les rapports précités de l'OCDE sur le tabac, l'alcool et l'obésité, suggèrent que la réduction de la production du travail pourrait être, dans chaque cas, d'environ 1,5 %, du fait de l'absentéisme, du présentéisme247(*) et d'un moindre taux d'emploi248(*).
Toutefois des estimations plus faibles sont possibles (cf. encadré ci-après).
On considère ci-après, de manière en partie conventionnelle, que l'impact sur le PIB est de 1 point pour chacun des trois risques.
Ainsi, avant mesures de correction budgétaire éventuelles, pour chacun des trois risques, la perte de PIB résultant de l'obésité augmenterait le déficit public d'environ 0,5 point de PIB, soit près de 15 milliards d'euros249(*).
Chiffrages indicatifs de l'impact sur le PIB du tabagisme, de la consommation nocive d'alcool et de l'obésité, à partir des sources disponibles
Dans le cas du tabac et de l'alcool, les données disponibles suggèrent que le moindre taux d'emploi des personnes tombant malades, généralement en fin de carrière250(*), pourrait réduire l'emploi d'environ 0,5 % pour le tabac comme pour l'alcool251(*), l'effet de l'absentéisme et du présentéisme étant nettement moindre252(*). En supposant que les 2/3 de ces effets se retrouvent dans le PIB253(*), cela correspondrait à une réduction du PIB d'environ 0,6 point pour le tabac comme pour l'alcool.
Dans le cas de l'obésité, la perte de PIB pourrait être analogue, le moindre impact individuel étant compensé par le plus grand nombre de personnes concernées (plus de 15 % de la population). Le moindre taux d'emploi (réduit de 7 points pour les femmes obèses254(*)) et une productivité réduite de 3 % selon certaines études255(*) pourraient réduire le PIB de 0,6 point256(*).
3. Une tentative de chiffrage par la Mecss de l'impact des trois risques sur les finances publiques : une aggravation du déficit public de plusieurs dizaines de milliards d'euros
Un chiffrage détaillé de l'impact sur les finances publiques du tabac, de l'alcool et de l'obésité dépassait le champ du présent rapport.
La Mecss s'est toutefois efforcée, à titre indicatif, de chiffrer cet impact, en s'appuyant principalement sur les études mentionnées supra. Les montants, délibérément arrondis, doivent être considérés comme des ordres de grandeur.
Le présent rapport portant sur le tabac, l'alcool et l'obésité, la dernière colonne propose un chiffrage global. Ces totaux devraient toutefois être minorés, pour un montant qu'il n'a pas été possible de déterminer, pour prendre en compte le fait que certaines personnes cumulent plusieurs risques.
Dans le cas du coût des soins, on s'appuie sur les estimations de Pierre Kopp et de Trésor-Eco, qui prennent en compte les soins découlant d'un comportement pathologique présent ou passé des personnes concernées.
La principale différence par rapport aux études disponibles est que l'on prend en compte l'impact sur les recettes de la perte de PIB résultant de l'absentéisme, du présentéisme et d'un moindre taux d'emploi. Cet impact, majeur, a pour effet de rendre négatif un solde qui aurait été fortement négatif (obésité), moyennement négatif (alcool) ou légèrement négatif (tabac).
Au total, les pathologies associées à la consommation de tabac et d'alcool et l'obésité pourraient dégrader le solde public d'environ 50 milliards d'euros (sans correction des doublons). En effet, le coût des soins et, surtout, l'impact de la perte de PIB sur les recettes ne seraient que partiellement compensés par les économies sur les retraites et les recettes fiscales.
Ce chiffrage doit être affiné. Il paraît toutefois raisonnable de considérer que le tabagisme, la consommation nocive d'alcool et l'obésité aggravent le déficit public de plusieurs dizaines de milliards d'euros.
Chiffrage indicatif par la Mecss de l'impact de l'alcool, du tabac et de l'obésité sur les finances publiques (2023)
(en milliards d'euros)
Tabac |
Alcool |
Obésité |
Total (non corrigé des doublons)* |
|
Coût des soins1 |
-16 |
-8 |
-17 |
-41 |
Économie de retraites1 |
3 |
1 |
7 |
11 |
Prévention, répression2 |
-1 |
-1 |
|
-2 |
Taxation3 |
14 |
4 |
<1 |
19 |
Sous-total |
<0 |
-4 |
-9 |
-13 |
Impact de la perte de PIB sur les recettes4 |
-13 |
-13 |
-13 |
-40 |
Total |
-13 |
-17 |
-22 |
-53 |
* L'impact total est moindre, du fait des personnes cumulant plusieurs risques.
Sources et hypothèses
Les montants sont délibérément arrondis.
1 - Kopp (2023) pour le tabac et l'alcool ; Trésor-Eco (2016) pour l'obésité.
2 - Document de politique transversale Politique de lutte contre les drogues et les conduites addictives annexé au projet de loi de finances pour 2024 et arrêté du 25 juillet 2023 fixant la liste des bénéficiaires et les montants alloués par le FLCA ; répartition entre risques effectuée proportionnellement aux montants indiqués dans Kopp (2023).
3 - Cf. annexe I du présent rapport.
4 - Calculs de la Mecss, s'appuyant notamment sur des estimations de l'OCDE (cf. texte supra).
Source : Mecss du Sénat, d'après les études mentionnées supra et en prenant en compte l'impact de la perte de PIB sur les recettes
* 247 C'est-à-dire la perte de productivité au travail liée à la pathologie.
* 248 L'impact de l'obésité sur l'absentéisme, le présentéisme, le taux d'emploi et la retraite anticipée aurait pour effet de réduire la production annuelle moyenne du marché du travail en 2020-2050 de respectivement 0,35 %, 0,75 %, 0,31 % et 0,04 % (rapport de 2019 sur l'obésité). La suppression de la consommation nocive d'alcool se traduirait, pour des raisons analogues, par une augmentation de plus de 400 000 travailleurs équivalent temps plein (rapport de 2021 sur l'alcool). Dans le cas du tabac, l'OCDE indique que le coût annuel pour le marché du travail correspondant par habitant serait analogue pour le tabac et pour l'alcool (respectivement 184,85 euros en 2005-2021 et 168,70 euros en 2023-2050) (rapport de 2023 sur le tabac).
* 249 Le PIB 2023 est de 2 803,80 milliards d'euros.
* 250 Dans le cas du tabac et de l'alcool, selon Kopp (2023) le décès a lieu en moyenne à 68 ans, soit cinq ans après l'âge moyen de départ à la retraite (63 ans), pour une durée de traitement d'une dizaine d'années (sauf pour les cancers du poumon).
* 251 Selon Kopp (2023), le tabac et l'alcool susciteraient chacun environ un million de malades. On peut faire l'hypothèse qu'environ la moitié sont actifs, ce qui correspond dans chaque cas à 500 000 personnes. Sur ces personnes, certaines ne travaillent pas mais le feraient si elles n'étaient pas malades. Si on suppose que cela concerne 30 % d'entre elles (taux constaté en Australie pour les malades de cancer : Nicole Bates et al., « Labour force participation and the cost of lost productivity due to cancer in Australia », BMC Public Health (2018) 18:375), le nombre d'emplois est réduit dans chaque cas d'environ 150 000, soit 0,5 % du nombre d'emplois.
* 252 Les personnes restantes voient leur productivité réduite. Selon une méta-étude de 2023 (S. Rojanasarot et al., « Productivity loss and productivity loss costs to United States employers due to priority conditions: a systematic review », Journal of Medical Economics, volume 26, 2023, n° 1), les cancers et maladies cardio-vasculaires feraient perdre une cinquantaine d'heures de travail par an (par l'absentéisme et le présentéisme), soit environ 3 % du temps de travail, soit (en supposant 350 000 malades employés pour le tabac comme pour l'alcool) à l'échelle de l'ensemble des emplois 0,04 %.
* 253 En France, la croissance du PIB est schématiquement égale à la somme du progrès technique, d'un tiers de la croissance du capital et de deux tiers de la croissance du travail (selon la décomposition découlant de la fonction de production dite de « Cobb-Douglas »).
* 254 Elise Coudin, Arthur Souletie, « Obésité et marché du travail : les impacts de la corpulence sur l'emploi et le salaire », Economie et statistique n° 486-487, 2016. Le taux d'emploi ne serait pas réduit pour les hommes obèses.
* 255 Donna Gates et al., « Obesity and Presenteeism: The Impact of Body Mass Index on Workplace Productivity », Journal of Occupational and Environmental Medicine 50(1):p 39-45, janvier 2008.
* 256 Réduction de l'emploi : 15 %× 0,07/2 = 0,5 %. Réduction de la productivité (en % de l'emploi) : 14,5 % × 0,03 = 0,4 %. Si les 2/3 de ces effets se retrouve dans le PIB, celui-ci est réduit de 0,6 point.