B. UN FORT RECUL DU TAUX DE REMISE DES RAPPORTS AU PARLEMENT POUR 2022-2023

1. Moins d'un rapport du Gouvernement au Parlement sur cinq a été transmis

Le taux de remise des rapports demandés au Gouvernement au détour d'un article de loi se dégrade fortement, s'établissant à seulement 18 %, contre 36 % pour la session 2021-2022. Cette forte dégradation rompt avec l'amélioration constatée l'année dernière. Pourtant, le nombre de rapports demandés est en baisse, s'établissant à 98 pour la session 2022-2023 contre 132 l'année dernière.

Taux de remise des rapports demandés au Gouvernement

Note de lecture : Pour la session 2020-2021, le taux de remise des rapports demandés au Gouvernement s'établissait à 21 %.

Plus de 80 % des rapports qui devaient être transmis au Parlement n'ont donc pas été remis. Les taux sont variables selon le champ retenu et selon les commissions concernées.

Aucun des dix rapports prévus pour être remis à la commission des lois n'a été rendu33(*), alors que le taux de remise s'établissait à 61 % pour la session 2021-2022. Il en est de même pour les rapports dans le champ de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport : aucun des trois rapports attendus n'a été transmis. Entre le 1er octobre 2017 et le 31 mars 2024, seulement 5 rapports dans le champ de cette commission ont été remis par le Gouvernement sur les 17 prévus par les différents textes adoptés.

De nombreux rapports sont encore attendus pour des lois adoptées lors des sessions précédentes. Ainsi, pour la loi d'orientation des mobilités (LOM) de 201934(*), pourtant adoptée il y a plus de 4 ans, seuls 9 rapports sur les 16 attendus ont été remis. De même, s'agissant de la loi du 4 août 2021 de programmation relative à la lutte contre les inégalités mondiales35(*), la commission des affaires étrangères de la défense et des forces armées, observe que le rapport présentant la stratégie de la France en matière de mobilité internationale en entreprise et en administration n'a pas encore été transmis, alors que le délai prévu par la loi est expiré (6 août 2022).

2. Une réserve du Sénat dans les demandes de rapport qui commence à être récompensée

La doctrine bien installée au Sénat est de faire preuve de parcimonie dans les demandes de rapport et de préférer s'appuyer sur ses propres publications. Cette politique a de nouveau été suivie pour la session 2022-2023 puisque seuls 15 rapports ont été demandés au détour d'un amendement d'origine sénatoriale, soit 15 % du total des rapports prévus. À titre de comparaison, l'Assemblée nationale a quant à elle introduit 57 demandes de rapports, soit 58 % du total.

Cette réserve du Sénat dans les demandes de rapport commence à être récompensée, puisque contrairement aux années précédentes, le taux de remise des rapports demandés par le Sénat s'améliore. Ainsi, ce taux s'établit à 27 % contre un taux de remise nulle la session précédente. Néanmoins, près de 3/4 des rapports demandés ne sont pas transmis ; cette proportion reste encore trop importante connaissant la parcimonie du Sénat en la matière.

L'absence de remise des rapports demandés par le Sénat pour 2021-2022 avait été souligné l'année dernière lors du débat en séance publique sur l'application des lois. Le ministre des relations avec le Parlement avait indiqué partager le « mécontentement sur l'absence de remise des rapports demandés par le Sénat » et s'engager à « écrire dès demain aux ministres concernés ». Peut-être une vigilance particulière s'agissant des rapports demandés par le Sénat pour la session 2022-2023 a-t-elle été observée, compte tenu de l'alerte de l'année dernière...

Nombre de rapports prévus et remis selon leur origine

 

Texte initial

Amendement du Gouvernement

Amendement du Sénat

Amendement de l'Assemblée nationale

Introduction en commission mixte paritaire

Origine non renseignée

Rapports prévus

3

4

15

57

12

5

Rapports remis

0

(0%)

1

(20%)

4

(27%)

12

(21%)

1

(8%)

0

(0%)

Il n'en demeure pas moins que les transmissions de rapport introduit en commission mixte paritaire sont très peu nombreuses : seul 1 rapport sur 12 a été déposé. Par ailleurs, il est une nouvelle fois surprenant de constater que le Gouvernement ne remette pas tous les rapports qu'il s'est lui-même imposés de rédiger par l'intermédiaire d'un des amendements de sa fabrication en cours de discussion du texte législatif. Ainsi, seulement un rapport sur quatre introduit de cette manière a été transmis.

Surtout, le taux de remise nulle des rapports prévus par le texte initial paraît difficilement compréhensible. Autant les rapports introduits par amendement du Sénat - et dans une moindre mesure par l'Assemblée nationale - sont difficiles à anticiper, autant les rapports inscrits dans le texte initial sont par définition connus et donc facilement anticipables.

3. Une qualité des rapports parfois discutable, en particulier pour les rapports de l'article 67

Au-delà de l'aspect quantitatif, plusieurs commissions insistent dans leur bilan sur la qualité variable des rapports transmis. La commission des finances note ainsi que celle-ci n'est pas toujours au rendez-vous, les rapports étant parfois très lacunaires. Ainsi, le rapport sur les moyens et les dépenses des personnes publiques en faveur du développement de l'économie sociale et solidaire, demandé à l'article 185 de la loi de finance initiale pour 2022, ne fait aucune analyse des dépenses des collectivités territoriales en la matière. De même, le rapport attendu sur le bilan des évaluations réalisées dans le cadre du dispositif national récurrent d'évaluation de la qualité de l'action publique contient 25 pages essentiellement consacrées à une présentation du mécanisme des revues de dépenses, sans détails ni chiffrage sur les mesures d'économies susceptibles d'être identifiées à ce titre.

La qualité discutable des rapports se manifeste tout particulièrement s'agissant des rapports dits de « l'article 67 ». L'article 67 de la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit dispose qu'« à l'issue d'un délai de six mois suivant la date d'entrée en vigueur d'une loi, le Gouvernement présente au Parlement un rapport sur la mise en application de cette loi ». Ce rapport doit mentionner « les textes réglementaires publiés et les circulaires édictées pour la mise en oeuvre de ladite loi. » Il indique également les mesures d'application manquantes et les raisons qui justifient cette absence.

En théorie extrêmement utile au contrôle de l'application des lois par le Sénat, ce dispositif a très longtemps constitué le parent pauvre de l'information du Parlement par le Gouvernement. Si la publication de ces rapports fait l'objet d'une plus grande attention de la part du Gouvernement que celle des rapports demandés à l'occasion de l'examen d'un projet ou d'une proposition de loi, des marges d'amélioration substantielles demeurent.

Les commissions du Sénat regrettent une nouvelle fois que le suivi des arrêtés ne soit jamais effectué dans ces rapports, qui se bornent à commenter les mesures renvoyant à des décrets. Or, cette absence de suivi des arrêtés semble contraire aux dispositions de l'article 67 de la loi du 9 décembre 2004 de simplification du droit, lequel précise bien que le rapport mentionne « les textes réglementaires publiés et les circulaires édictés ». Cette lacune est d'autant plus préjudiciable que le nombre d'arrêtés recensés par le Sénat et prévus pour l'application des lois reste encore élevé cette année. 101 mesures appelant un arrêté ont été comptabilisés pour 2022-2023.

Par ailleurs, malgré la mise en ligne des échéanciers sur le site de Légifrance, les dates prévisionnelles de publication des textes indiquées ne sont ni systématiquement mentionnées, ni toujours respectées - ce qui mériterait au mieux une mise à jour régulière des informations, une fois le dépassement probable de cette date connu.

Enfin, il existe une forte hétérogénéité dans la remise des rapports de l'article 67 selon le périmètre considéré. Si la commission des finances et celle des affaires économiques observent des progrès notables, tel n'est pas le cas pour les autres commissions. La commission de la culture, de l'éducation et de la communication n'a ainsi pu bénéficier d'aucun des rapports de l'article 67 pour les lois promulguées lors de la session 2022-2023. La commission des affaires étrangères de la défense et des forces armées, n'a pas été destinataire du rapport de l'article 67 de la loi n° 2023-703 du 1er août 2023 relative à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense36(*).


* 33 Pour la loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur, il est normal que quatre des six rapports prévus soient publiés après la période de référence, puisqu'ils visent à dresser un bilan à moyen terme, généralement sur deux ans, de la mise en oeuvre d'un dispositif.

* 34 Loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités.

* 35 Loi n° 2021-1031 du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales.

* 36 Un tableau de programmation des mesures d'application de la loi a toutefois été adressé au Sénat par Mme Claire Landais, secrétaire générale du gouvernement, le 7 décembre 2023.

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