II. UN COÛT ANNUEL DE 2,7 MILLIARDS D'EUROS LIMITÉ PAR LA FAIBLESSE DES RÉMUNÉRATIONS DES PERSONNELS
A. UN COÛT BUDGÉTAIRE REPRÉSENTANT 3,3 % DES DÉPENSES DE LA MISSION « ENSEIGNEMENT SCOLAIRE »
1. Le coût des personnels administratifs : une part limitée des dépenses de personnel de l'Éducation nationale
En 2023, la dépense totale consacrée aux personnels administratifs du ministère a atteint 2,745 milliards d'euros, en hausse de 160 millions d'euros par rapport à 2022. L'intégralité de ces dépenses figure sur le programme 214 - Soutien de la politique de l'Éducation nationale en premier lieu et, quoique dans une moindre mesure, sur le programme 141 - Enseignement public du second degré. Les personnels administratifs représentent ainsi trois-quarts du montant total du programme 214, soit 2,2 milliards d'euros et rassemble la majeure partie des personnels en administration centrale et en services déconcentrés. Le programme 141 ne finance quant à lui que les rémunérations des personnels présents dans les établissements scolaires (y compris agents comptables).
Dépense totale liée aux personnels
administratifs du ministère
de l'Éducation nationale
en 2023
(en millions d'euros et en %)
Coût budgétaire par programme |
Part du programme dans la dépense liée aux personnels administratifs |
Montant total des dépenses du programme |
Part des dépenses liées aux personnels administratifs dans les dépenses du programme |
|
214 - Soutien de la politique de l'Éducation nationale |
2 221 |
80,9 % |
2 966 |
74,9 % |
141 - Enseignement public du second degré |
524 |
19,1 % |
38 424 |
1,4 % |
Total |
2 745 |
41 390 |
6,6 % |
Source : commission des finances d'après le ministère de l'éducation nationale
Si ce montant est élevé en valeur absolue, il doit être mis en regard avec le budget total de l'Éducation nationale, premier poste de l'État. Les personnels administratifs représentent 3,3 % des dépenses totales de la mission « Enseignement scolaire » en 2023 et 3,5 % des dépenses de personnel (titre 2).
Ainsi, le montant consacré aux autres personnels de soutien scolaire (assistants d'éducation et accompagnants d'élèves en situation de handicap) est nettement plus élevé : 3,7 milliards d'euros en 2023 et 5,4 milliards prévus à horizon 2025.
Près de la moitié des dépenses à destination des personnels administratifs concernent les rémunérations d'agents de catégorie A, plus élevées, contre respectivement 28 % et 23 % pour les catégories B et C.
Répartition par programme et par
catégorie de la dépense budgétaire
à
destination des personnels administratifs en 2023
(en millions d'euros)
Source : commission des finances d'après le ministère de l'éducation nationale
Le ministère de l'Éducation nationale effectue un suivi fin des personnels de la filière administrative et, en tant que responsables de programmes, la DGESCO et la DGRH disposent d'informations suffisantes sur ces personnels. En revanche, s'agissant de la direction du budget - par ailleurs entendue par le rapporteur spécial - celle-ci se contente d'un pilotage par grande masse qui ne lui permet pas d'isoler le coût de ces personnels. Il est cependant surprenant que le ministère des comptes publics ne soit pas en capacité de se prononcer sur le sujet. En effet, s'il est vrai que, comparé au volume des emplois enseignants, le poids des personnels administratifs peut sembler accessoire, il n'en reste pas moins qu'ils représentent un budget annuel de près de 3 milliards d'euros. À ce titre, la direction du budget devrait être en capacité d'isoler les coûts selon les filières auxquels se rattachent les emplois, au-delà de la distinction enseignants / personnel d'encadrement / personnel administratif, technique et de service / personnel éducatif et médico-social qui est celle présentée dans les documents budgétaires. Il est nécessaire que le suivi soit effectué au niveau d'une maille plus fine en ventilant les emplois et les dépenses entre les personnels administratifs stricto sensu, les personnels techniques et la filière médico-sociale.
Recommandation n° 4 : inclure dans les documents budgétaires un récapitulatif des emplois et des coûts relatifs à chaque filière au sein de la catégorie des personnels administratifs, techniques et de service (direction du budget et ministère de l'éducation nationale)
Le coût moyen annuel par équivalent temps plein travaillé (ETPT) d'un personnel administratif titulaire est d'environ 200 000 euros par an, dont environ un tiers au titre de la contribution au compte d'affectation spéciale « Pensions ». Si le ministère n'a pas fourni au rapporteur spécial les données liées aux pensions des seuls personnels administratifs, celles-ci devraient entraîner un coût en 2024 d'environ 600 millions d'euros sur le programme 214.
Sur le programme 141, l'essentiel de la dépense est concentré sur les actions de pilotage et d'encadrement (327 millions d'euros), la nature des dépenses étant bien plus diversifiée sur le programme 214 (à titre d'exemple, les principaux postes de dépenses sont les suivants : 400 millions d'euros pour les missions d'évaluation et de contrôle ; 323 millions d'euros pour la construction des politiques éducatives ; 274 millions d'euros sur la politique des ressources humaines et un montant identique pour la gestion de l'informatique et de l'immobilier du ministère).
Ventilation par action de la dépense
à destination des personnels administratifs
en 2023
(en millions d'euros)
Source : commission des finances d'après le ministère de l'éducation nationale
S'agissant des comparaisons internationales, il est très difficile de parvenir à une estimation de la proportion de dépenses liées aux personnels administratifs dans la mesure où peu de pays de l'Union européenne distinguent la dépense allouée aux enseignants de celle allouée aux autres personnels (y compris les personnels de support et autres personnels pédagogiques). La France, la Lituanie et Malte allouent plus de 20 % de la dépense totale au titre des établissements aux personnels de l'éducation hors enseignants. La dépense pour le paiement de ces personnels représente 15 % en Italie, 10,7 % en Finlande et 9,2 % en Espagne de la dépense totale au titre des établissements, du préélémentaire au second cycle du secondaire. Pour le cas spécifique des personnels administratifs, ces chiffres sont peu signifiants dans la mesure où la dépense française est tirée non pas uniquement par l'administration mais par le poids de l'école inclusive et la rémunération des AESH.
S'agissant du coût de l'administration au sein des académies, celui-ci varie principalement en fonction de la démographie, et, dans une moindre mesure, des rémunérations pouvant légèrement varier selon les académies19(*).
Quelques exemples du coût des personnels administratifs par académie en 2024 (sur la base des rémunérations 1er trimestre 2024)
(en millions d'euros et en ETP)
Académie |
Nombre de personnels par académie |
Programme 141 |
Programme 214 |
Total |
Coût par ETP |
Normandie |
2 412 |
63,7 |
33,1 |
96,9 |
0,04 |
Nancy-Metz |
1 650 |
76 |
56 |
132 |
0,08 |
Créteil |
2 985 |
151,2 |
80,8 |
232,2 |
0,07 |
Source : commission des finances d'après les données fournies par les académies
2. Une réduction tendancielle du nombre d'emplois malgré un recours accru aux contractuels
a) Une stabilité des plafonds d'emplois après plusieurs années de diminution
Depuis la rentrée 2020, les moyens budgétaires inscrits en loi de finances ne prévoient aucune mesure d'emplois pour les personnels administratifs. Cette stabilité fait cependant suite à des années de réduction des emplois administratifs. D'après les données fournies par la DGRH, la dernière hausse des plafonds d'emplois des personnels administratifs remonte à 2017 et a été suivie de deux baisses successives en 2018 et 2019.
Évolution des plafonds d'emplois des personnels administratifs
(en ETPT)
Source : commission des finances d'après le ministère de l'éducation nationale
Ces suppressions de postes ne sont pas la conséquence d'ouvertures surnuméraires au cours des années précédentes mais s'inscrivent au contraire dans un mouvement constant de réductions des emplois administratifs. Ainsi, le rapport de la commission d'enquête du Sénat sur la gestion des personnels enseignants et non enseignants de l'Éducation nationale, indiquait déjà en 1999 que « l'administration déconcentrée avait perdu 1 500 postes administratifs au cours des quinze dernières années »20(*).
Auditionnés par le rapporteur spécial, les représentants des personnels administratifs ont indiqué que la révision générale des politiques publiques (RGPP) s'était traduite par la suppression de 8 000 postes de personnels administratifs. Interrogée sur ce point, la direction du budget n'a pu ni infirmer ni confirmer ce chiffre et s'est bornée à constater que, si tel était le cas, il était vraisemblable que ces emplois aient été rouverts dans les années suivantes mais pour des postes d'enseignants.
D'après le secrétaire général du ministère, environ la moitié des postes supprimés au cours des dernières années ont été compensés par la transformation en gestion de postes d'enseignants non consommés du fait des difficultés de recrutement en postes administratifs.
Déclinaison par programme des plafonds d'emplois des personnels administratifs21(*) et des personnels d'encadrement en loi de finances pour 2024
(en ETPT)
Personnels d'encadrement |
Personnels administratifs |
|
Programme 140 - Enseignement public du premier degré |
1 554 |
0 |
Programme 141 - Enseignement public du second degré |
16 298 |
31 021 |
Programme 230 - Vie de l'élève |
0 |
1 287 |
Programme 214 - Soutien |
2 009 |
24 562 |
Total |
19 861 |
56 870 |
Source : commission des finances d'après le ministère de l'éducation nationale
En conséquence, les créations d'emplois se sont essentiellement faites par redéploiement entre académies. Cela permet d'une part un rééquilibrage entre les académies les mieux dotées en personnels administratifs et celles qui sont moins bien dotées et, d'autre part, entre académies en croissance démographique et celles où le nombre d'élèves - et donc d'établissements - diminuent. Certaines académies, notamment celle d'Aix-Marseille, ont ainsi souligné que, dans les académies où la population scolaire continue de croître, les années de stabilité des emplois entrainent un désajustement entre les dotations en personnels administratifs et les besoins croissants. À l'inverse, des académies dans lesquelles la démographie est moins favorable (à l'exemple de celle de Nancy-Metz) ont indiqué disposer de moyens humains suffisants dans l'ensemble pour faire face à leurs missions.
Au niveau académique, les seules créations de postes ont lieu - sauf exception - lors de l'ouverture d'un nouvel établissement au travers de la création de seulement deux postes, un de catégorie A et un de catégorie C. La création d'un établissement passe généralement par la mise en place en amont d'une mission de préfiguration réalisée par un agent de catégorie A, elle-même faiblement rémunérée à hauteur d'environ 200 euros mensuels. En conséquence, on constate une sous-dotation structurelle lors de la création d'un établissement, dans la mesure où les plus petits d'entre eux accueillent généralement 3 personnels administratifs, et jusqu'à 12 en moyenne pour les plus grands. Ainsi, la majorité des emplois affectés à un établissement nouvellement créé sont couverts par des redéploiements internes à l'académie.
Le rapporteur spécial note ainsi que les difficultés, qui sont nombreuses et seront développées plus bas, sont autant en lien avec une absence de croissance des emplois qu'avec la problématique plus générale de l'adaptation des moyens aux évolutions démographiques entre académies et infra-académiques.
b) Un recours accru aux contractuels
Suivant la tendance générale de l'enseignement scolaire et plus largement de la fonction publique, le nombre de personnels contractuels augmente rapidement : en 8 ans, le nombre de personnels administratifs contractuels est passé de 6 230 à 8 58522(*). Cette évolution a été considérablement accélérée depuis l'adoption de la loi de transformation de la fonction publique de 201923(*). En 2021, dernière année pour laquelle les données ont été transmises, les contractuels représentaient un tiers des personnels administratifs du ministère. La situation est cependant variable d'une académie à l'autre. À titre d'exemple, dans l'académie de Normandie, on dénombrait 450 contractuels sur l'ensemble des 2 700 personnels administratifs de l'académie, soit environ 16 %.
Évolution du nombre de contractuels parmi la filière administrative
(en ETP)
Source : commission des finances d'après le ministère de l'éducation nationale
La part des titulaires diminue quand le niveau hiérarchique augmente : la part de contractuels atteint près de la moitié des agents administratifs de catégorie C. Il est cependant à noter que la filière administrative comporte une proportion de contractuels très largement inférieure aux autres personnels non enseignants du ministère : ainsi, seuls 17 % des agents de la filière santé (y compris assistants sociaux de l'Éducation nationale) sont titulaires.
Répartition des personnels administratifs
de l'Éducation nationale
par statut en 2021
(en nombre de personnes physiques et en %)
Catégorie statutaire |
Total |
|||
A |
B |
C |
||
Nombre de titulaires |
8 451 |
15 261 |
21 362 |
45 074 |
Nombre de contractuels |
1 796 |
3 261 |
9 403 |
14 460 |
Proportion de contractuels |
21,25 % |
21,37 % |
44,02 % |
32,08 % |
Source : commission des finances d'après le ministère de l'éducation nationale
Les intervenants rencontrés par le rapporteur spécial mettent en avant un renouvellement constant et extrêmement important des équipes administratives, facilité par l'accroissement du recours aux contractuels. Les données du ministère de l'Éducation nationale confirment ce constat : en 2021, 44 % des personnels administratifs contractuels avaient moins d'un an d'ancienneté. 78 % d'entre eux avaient moins de 5 ans d'ancienneté. Les contrats sont fréquemment de courte durée : seuls 14 % des personnels administratifs contractuels bénéficiaient en 2021 d'un contrat à durée indéterminée (CDI).
Ce renouvellement fréquent découle, comme cela sera développé plus bas, de conditions de travail perçues comme peu attractives. Dans l'académie de Nancy, sur les 1 230 postes administratifs ouverts en établissement scolaire, 10 % étaient vacants à la rentrée 2023 et ont donc dû être pourvus par des contractuels.
Les intervenants entendus par le rapporteur spécial soulignent l'inadaptation partielle du cadre général applicable aux administratifs contractuels : contrats prévus sur une durée inférieure à la durée de l'année scolaire, régime de rémunération inadapté à la concurrence des autres administrations et surtout des collectivités territoriales, en particulier pour les postes de gestionnaires, prorogation pendant des années de contrats sans titularisation sans accroissement de rémunération malgré l'ancienneté, etc...
Afin notamment d'attirer des contractuels sur des postes à profils, les académies sont contraintes d'accroître les rémunérations et donc de mettre en place un régime indemnitaire ad hoc. Il existe des adaptations locales, notamment pour les académies de Versailles, Créteil et Paris qui ont mis en place un régime indemnitaire local pour leurs contractuels, mais sans réponse nationale. En conséquence, il est nécessaire de prévoir au niveau du ministère un cadre de gestion adapté, permettant notamment une évolution des rémunérations au cours des différents contrats successifs et la mise en place d'adaptations indemnitaires pour faire face au déficit de personnels sur certains postes.
Il est également nécessaire de former en continu ces nouveaux personnels, alors que la formation continue s'avère déjà insuffisante pour les personnels titulaires. Des formations spécifiques doivent être envisagées pour les contractuels, ce qui est déjà le cas dans certaines académies.
Recommandation n° 5 : renforcer le cadre national applicable aux personnels administratifs contractuels, afin de valoriser et faciliter leur recrutement pour répondre aux problématiques d'attractivité (DGRH)
* 19 Cf. infra.
* 20 Rapport de la commission d'enquête sur la situation et la gestion des personnels enseignants et non enseignants de l'Éducation nationale, Mieux gérer, mieux éduquer, mieux réussir, MM. Francis GRIGNON, Jean-Claude CARLE et André VALLET, n° 328 (1998-1999), avril 1999.
* 21 Entendus non au sens de la filière administrative au sens strict, mais au sens plus large des personnels administratifs techniques et de service.
* 22 Enquête de la DGRH, Les contractuels exerçant des fonctions de personnels ingénieurs, administratifs, techniques, pédagogiques, sociaux et de santé (IATPSS) dans l'enseignement scolaire et les sports en 2021, 2022.
* 23 Loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique.