III. UN ACCOMPAGNEMENT NÉCESSAIRE DE LA RÉFORME DE LA COUR, QUI NE POURRA SE PASSER D'UN PERFECTIONNEMENT DE SA JURIDICTIONNALISATION DANS UN CADRE BUDGÉTAIRE MAÎTRISÉ

A. DES MESURES D'ACCOMPAGNEMENT AFIN DE GARANTIR L'ACCÈS TERRITORIAL À LA JUSTICE ET D'AMÉLIORER LES DÉLAIS DE JUGEMENT

1. Définir des critères clairs de renvois en formation collégiale avec une harmonisation poussée

Dans son entretien de février dernier avec Mme Catherine Teitgen-Colly, le président Herondart affirmait que « compte tenu de la complexité de nombreux recours soumis à la Cour et de l'intérêt d'un examen collégial, il est clair que l'examen en formation collégiale restera la norme pour les audiences de la Cour ».

Les propos du président de la Cour invitent par conséquent à s'assurer que tous les renvois en formation collégiale s'opèrent dans les mêmes conditions, d'une part, parce le renvoi peut être décidé par le président de la Cour ou de la formation de jugement, et, d'autre part, parce que la formulation retenue suite à l'avis de la section de l'intérieur du Conseil d'État est suffisamment ouverte pour permettre un renvoi assez large en formation collégiale.

En effet, il conviendra au président de la Cour de préciser les critères d'appréciation d'une « question qui le justifie » permettant un renvoi en formation collégiale, en application des nouvelles dispositions de l'article L. 131-7 du CESEDA, par le biais par exemple de lignes directrices diffusées à l'ensemble des membres de formation de jugement de la CNDA, et en particulier des présidents, permanents comme vacataires. À ce titre, une augmentation du nombre de présidents permanents78(*) rendrait plus aisée cette harmonisation jurisprudentielle en matière de renvois en formation collégiale. Des requérants dans la même situation ne sauraient voir leur dossier examiner tantôt par une formation collégiale, tantôt par une formation à juge unique.

Afin d'assurer un traitement équitable de tous les demandeurs d'asile, le président de la Cour et les présidents de section et de chambre pourraient se réunir tous les mois dans un premier temps afin d'affiner ou de revoir ces lignes directrices au regard de la pratique jurisprudentielle des différentes chambres et formations de jugement.

Recommandation n° 1 (CNDA) : Édicter des lignes directrices d'application de l'article L. 131-7 du CESEDA par le président de la Cour, à destination en particulier des présidents, permanents comme vacataires, afin de définir une jurisprudence claire en matière de renvois en formation collégiale.

Dans ses réponses transmises, la Cour a d'ores et déjà mentionné trois exemples de questions qui continueront de nécessiter le regard croisé d'une formation collégiale : la complexité de la situation géopolitique en Lybie, l'évolution du conflit armé en Ukraine et l'examen des craintes de persécution à raison de l'orientation sexuelle.

2. La généralisation du recours au juge unique invite tout particulièrement à affirmer des obligations déontologiques propres à l'ensemble des membres de la CNDA

La CNDA a été confrontée à l'automne 2023 à un cas de récusation d'un président vacataire, à raison de propos racistes, homophobes et sexistes tenus sur les réseaux sociaux. Si cette affaire demeure isolée, elle a mis en lumière l'absence de cadre déontologique propre à l'ensemble des membres de cette juridiction, qui peuvent être par ailleurs soumis à des obligations déontologiques dans le cadre de l'activité professionnelle qu'ils exercent en parallèle. Seuls les présidents permanents, qui sont des magistrats administratifs, sont soumis à des obligations déontologiques, conformément à l'article L. 231-1-1 du code de justice administrative79(*), et détaillées dans la charte de déontologie de la juridiction administratives.

La CNDA s'est dotée, en mars 2022, d'un guide déontologique, uniquement disponible sur l'intranet des juges. Ce guide, ne semble toutefois applicable qu'aux magistrats permanents80(*), déjà soumis aux obligations susmentionnées en raison de leur appartenance à la juridiction administrative.

Il n'existe donc pour l'heure aucun cadre déontologique global applicable à l'ensemble des juges de l'asile, et alors même que ceux-ci vont être amenés à tenir de plus en plus d'audiences de juge unique, ce qui pose aussi la question de la protection de la sécurité des magistrats. Cette situation est d'autant plus étrange que la Cour a élaboré par exemple un recueil des obligations déontologiques qui s'imposent à tous les interprètes qui interviennent à la CNDA81(*), qui doivent respecter des obligations de loyauté, d'impartialité et d'indépendance, de neutralité, de probité, de disponibilité, de ponctualité, de dignité, de secret professionnel, et signaler immédiatement toute situation nécessitant la mise en oeuvre de leur devoir de déport.

Ainsi, ce cadre déontologique applicable à tous les juges de l'asile intervenant à la CNDA pourrait contenir des obligations déontologiques minimales similaires d'indépendance, d'impartialité et de neutralité.

Recommandation n° 2 (CNDA) : Adopter un cadre déontologique propre à l'ensemble des juges de l'asile, le cas échéant en surplus des règles déontologiques qui s'appliquent déjà à eux dans le cadre de leur profession parallèle à leur activité de juge de l'asile.

3. Le déploiement territorial optimal de la Cour conditionné à un accès à la justice équivalent dans les régions

La territorialisation de la CNDA ne saurait avoir pour conséquence de disposer d'une justice « au rabais » dans les chambres territorialisées.

Au-delà de la question de l'accessibilité matérielle aux salles d'audiences dans les différentes chambres territoriales, qui a déjà été abordée, la territorialisation soulève bien d'autres défis logistiques intrinsèquement liés aux droits de la défense.

En premier lieu, les requérants doivent pouvoir trouver des avocats formés au contentieux de l'asile, et en nombre suffisant, dans le ressort territorial des nouvelles chambres de la CNDA. Un vivier d'avocats spécialisés en droit d'asile est déjà disponible à Bordeaux et Marseille. Afin que tous les demandeurs d'asile puissent accéder à des avocats formés à la matière dans toutes les villes où des chambres territorialisées vont ouvrir, la Cour devra mener un gros travail avec la profession d'avocats, et notamment avec les barreaux. S'agissant plus particulièrement de l'aide juridictionnelle, la liste des avocats volontaires pour plaider devant la CNDA sera élargie du fait de l'implication des barreaux locaux. En cas d'indisponibilité d'avocats à l'ouverture d'une chambre territorialisée, il est possible d'imaginer le même système qui s'organise déjà à Montreuil : les avocats inscrits à un barreau hors du ressort territorial de la chambre territorialisée de la CNDA pourraient voir leurs dossiers regroupés sur deux jours.

En deuxième lieu, la question de l'accès aux interprètes est aussi cruciale du point de vue des droits de la défense. L'absence d'interprètes au sein des chambres territoriales peut venir contrecarrer l'esprit de la réforme en éloignant le requérant du juge de l'asile. Si les audiences pour les langues rares, comme par exemple le chittagonien, continueront de se tenir à Montreuil, des langues plus parlées ont vocation à être traitées dans les chambres territoriales. En l'absence d'interprètes pour ces langues assez usitées, il convient de souligner que le recours à un interprète par visioconférence nuirait à la qualité de la justice.

En troisième et dernier lieu, la présence de personnels de la Cour, et en particulier des assesseurs membres de la formation de jugement sera déterminante, au risque de voir augmenter drastiquement le nombre de renvois pour cause d'absence d'un des membres de la formation collégiale. Selon les informations communiquées par le HCR, des appels à candidature vont être lancés dans les prochains mois. Le vivier d'assesseurs HCR apparaît suffisant à Lyon, Bordeaux et Nantes, mais ne l'est pas encore à Toulouse par exemple.

Recommandation n° 3 (Conseil d'État, CNDA et HCR) : Assurer dans les chambres territorialisées un accès à la justice satisfaisant, avec un nombre suffisant de personnels de la Cour mobilisés, ainsi que d'interprètes et d'avocats.


* 77 L'association des rapporteurs et des anciens rapporteurs de la CNDA mentionne une rémunération de l'ordre de 2 000 euros nets par mois aujourd'hui, mais qui était plutôt de l'ordre de 1 500 euros nets par mois avant 2018.

* 78 Voir recommandation infra.

* 79 Cette disposition prévoit que les magistrats administratifs exercent leurs fonctions en toute indépendance, dignité, impartialité, intégrité et probité et se comportent de façon à prévenir tout doute légitime à cet égard. Ils doivent également respecter un devoir de réserve et ne peuvent se prévaloir, à l'appui d'une activité politique, de leur appartenance à la juridiction administrative.

* 80 Le champ d'application de ce guide est en effet très limité : « Il est à noter que le présent guide n'a pas vocation à s'appliquer aux membres du Conseil d'État et aux magistrats (qui sont déjà régis par une charte de déontologie), aux présidents vacataires, aux assesseurs (qui peuvent relever de règles spécifiques) et qui sont des collaborateurs occasionnels de la CNDA, accessoirement à leurs fonctions principales ou anciennement principales ».

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