N° 567

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 30 avril 2024

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires économiques (1) sur la crise du logement,

Par Mmes Dominique ESTROSI SASSONE, Viviane ARTIGALAS
et Amel GACQUERRE,

Sénateur et Sénatrices

(1) Cette commission est composée de : Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente ; MM. Alain Chatillon, Daniel Gremillet, Mme Viviane Artigalas, MM. Franck Montaugé, Franck Menonville, Bernard Buis, Fabien Gay, Pierre Médevielle, Mme Antoinette Guhl, M. Philippe Grosvalet, vice-présidents ; MM. Laurent Duplomb, Daniel Laurent, Mme Sylviane Noël, M. Rémi Cardon, Mme Anne-Catherine Loisier, secrétaires ; M. Jean-Pierre Bansard, Mme Martine Berthet, MM. Yves Bleunven, Michel Bonnus, Denis Bouad, Jean-Marc Boyer, Jean-Luc Brault, Frédéric Buval, Henri Cabanel, Alain Cadec, Guislain Cambier, Mme Anne Chain-Larché, MM. Patrick Chaize, Patrick Chauvet, Mme Evelyne Corbière Naminzo, MM. Pierre Cuypers, Daniel Fargeot, Gilbert Favreau, Stéphane Fouassin, Mmes Amel Gacquerre, Annick Jacquemet, Micheline Jacques, MM. Yannick Jadot, Vincent Louault, Mme Marianne Margaté, MM. Serge Mérillou, Jean-Jacques Michau, Sebastien Pla, Mme Sophie Primas, M. Christian Redon-Sarrazy, Mme Évelyne Renaud-Garabedian, MM. Olivier Rietmann, Daniel Salmon, Lucien Stanzione, Jean-Claude Tissot.

L'ESSENTIEL

« Logement trop cher, trop petit, la vie n'a pas de prix »1(*) aurait sans doute chanté Jean-Louis Aubert et le groupe Téléphone en 2024... tant le logement, parfois qualifié de « produit de luxe » alors qu'il s'agit d'un bien de première nécessité, est devenu le souci quotidien et la dépense principale de nos concitoyens. Son impact sur leur vie est tel que la crise du logement n'est pas seulement économique ou sociale mais fondamentalement politique d'autant que, si rien n'est fait, elle va perdurer au cours des trois prochaines années. Elle sera un déterminant du vote lors des prochaines échéances électorales.

Mais pour apporter les bonnes solutions, il faut d'abord avoir le bon diagnostic et examiner les symptômes. Les symptômes de la crise du logement sont bien visibles. On peut en distinguer cinq principaux.

Le premier est la chute des volumes de la construction neuve. Par rapport à 2022, la réduction est de 20 à 30 % du nombre des permis de construire, des mises en chantier, des réservations et des ventes de logements neufs, au plus bas depuis 19952(*).

On constate également une baisse forte des transactions dans l'ancien. Elle est de l'ordre de 22 % sur un an, selon les chiffres des notaires ramenant leur nombre à celui constaté en 20173(*). C'est la plus forte baisse sur un an observée depuis 50 ans. La production de crédit a, quant à elle, baissé de plus de moitié en 18 mois selon les données de la Banque de France.

Cette chute des transactions dans le neuf et l'ancien ainsi que du nombre de crédits immobiliers se traduit par un blocage du parcours résidentiel qui se manifeste par l'effondrement des offres de location longue durée dans les agences. Le site SeLoger.com a relevé qu'elles avaient baissé globalement de 36 % en deux ans. La chute est de 74 % en trois ans à Paris. Ce blocage se fait également sentir dans le logement social où le nombre de demandeurs atteint désormais 2,6 millions4(*) pour 82 000 nouveaux agréments en 2023. Dans la ville de Saint-Denis (115 000 habitants), il y a 56 000 demandes (dont 10 000 de la commune) pour 150 logements à attribuer !

Enfin, le dernier symptôme de cette crise est l'ampleur du mal-logement dans notre pays dont la Fondation Abbé Pierre tient le baromètre. Plus de 4 millions de personnes sont mal-logées dont plus d'un million sont privées de logement personnel. Plus de 12 millions sont considérées comme en fragilité par rapport au logement (chiffres 2023).

I. LA CRISE DU LOGEMENT, DE LA RADIOGRAPHIE AU DIAGNOSTIC : UNE CRISE POLITIQUE

Les auditions ont permis d'aller aux origines de la crise à long, moyen et court termes et d'en mesurer les conséquences sur les trois à cinq prochaines années, si rien n'est fait.

A. DES RACINES SUR LE LONG TERME

La crise du logement que nous traversons a des origines anciennes. On peut en retenir quatre principales.

La première est l'effet inflationniste de l'environnement financier. Les taux bas - 1 % voire moins - et l'argent bon marché mis en place par les banques centrales pour soutenir la croissance et l'économie ont conduit à une explosion des prix de l'immobilier. Cette évolution a été prolongée et accentuée par l'augmentation de la durée des prêts et de l'endettement des ménages. Ce contexte financier a provoqué une rupture avec la tendance de très long terme qui faisait progresser le prix de l'immobilier au même rythme que le revenu des ménages. Sur les 25 dernières années, les prix ont été multipliés par plus de deux alors que le revenu disponible brut n'a pas du tout eu cette dynamique.

Cette hausse des prix a été concomitamment la cause d'une forte détérioration de la rentabilité locative. C'est mathématique puisque les loyers ont globalement progressé au même rythme que les revenus. La dégradation de la compétitivité de ce placement par rapport à d'autres actifs s'est aggravée mais c'est une réalité structurelle. En effet, il faut le rappeler, les premières mesures fiscales de soutien à l'investissement locatif ont été prises en 1984, il y a donc 40 ans, avec le dispositif Quilès-Méhaignerie.

La troisième cause de long terme est la difficulté de la construction neuve à suivre la demande soutenue de logements bien que la France soit l'un des pays européens où il y a le plus de logements pour 1000 habitants5(*) et où le volume de construction a été important. En effet, notre pays a conservé, jusqu'à très récemment, une démographie plus dynamique que dans le reste de l'Europe. Cette tendance a été renforcée par les mouvements de desserrement des ménages (célibat, famille monoparentale) et de vieillissement de la population. S'y ajoute le fait que notre pays est une des premières destinations touristiques mondiales où il est en outre prisé d'avoir une résidence secondaire. Enfin, la population continue de se métropoliser, renforçant les zones de tension tout en accroissant le nombre de logements vacants dans les zones moins prisées.

Enfin, s'est progressivement cristallisé un changement de regard sur l'acte de construire. Là où les grands ensembles voire des gratte-ciels pouvaient être signes de prospérité, de progrès et de modernité, des constructions bien plus modestes font désormais l'objet de nombreux recours des riverains au nom de l'écologie et de la préservation du cadre de vie, signes sans doute d'une société plus individualiste et dont la vision de l'avenir a profondément changé.


* 1 Du titre « Argent trop cher », 1980, Album Au coeur de la nuit, interprété par Jean-Louis Aubert : « Argent trop cher, trop grand, la vie n'a pas de prix... ».

* 2 Permis de construire - 24 % (373 000), mises en chantier - 22 % (287 000), réservations - 26 % (104 000), - 51 % pour les particuliers, mises en vente de logements neufs - 30 % (80 500) par rapport à 2022.

* 3 865 000.

* 4 Dont 1,7 million de premières demandes.

* 5 540 logements pour 1000 habitants, 5e plus important de l'OCDE.

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