- L'ESSENTIEL
DIRECTIVE CSRD : DU DÉCRYPTAGE À L'AVANTAGE
- LES PRINCIPALES RECOMMANDATIONS
DE LA DÉLÉGATION POUR RÉUSSIR LA MISE EN OEUVRE DE LA DIRECTIVE CSRD
- AVANT PROPOS
- I. LA DIRECTIVE « CSRD »
AMÉLIORE L'INFORMATION EXTRA-FINANCIÈRE DES ENTREPRISES POUR
RÉPONDRE AUX ENJEUX DE DURABILITÉ
- A. UN BESOIN CROISSANT DE DONNÉES
EXTRA-FINANCIÈRES EXPRIMÉ PAR LES INSTITUTIONS
FINANCIÈRES
- B. UNE NOUVELLE ÉTAPE DANS LA TRANSPARENCE
DE L'INFORMATION NON FINANCIÈRE QUI TIRE LES CONSÉQUENCES DES
INSUFFISANCES DE LA DIRECTIVE « NFRD » DE 2014
- C. UNE DIRECTIVE QUI RÉPOND À UNE
TRIPLE NÉCESSITÉ
- D. UNE DIRECTIVE TRANSPOSÉE PAR ORDONNANCE
ET APPLIQUÉE PROGRESSIVEMENT
- A. UN BESOIN CROISSANT DE DONNÉES
EXTRA-FINANCIÈRES EXPRIMÉ PAR LES INSTITUTIONS
FINANCIÈRES
- II. DE FORTES MAIS NÉCESSAIRES CONTRAINTES
PESANT SUR LES ENTREPRISES
- III. LES CONDITIONS DE RÉUSSITE DE LA
CSRD : PERMETTRE AUX ENTREPRISES DE S'APPROPRIER UN CHANGEMENT DE
PARADIGME
- A. CE QUE LA MISE EN OEUVRE DE LA DIRECTIVE CSRD NE
DOIT PAS ÊTRE
- B. CE QUE DOIT ÊTRE UNE MISE EN OEUVRE
RÉUSSIE DE LA DIRECTIVE CSRD
- 1. Une opportunité de renforcement de la
valeur des entreprises
- a) Les entreprises doivent s'approprier la
directive CSRD, encore trop mal connue
- b) Les entreprises ont intérêt
à valoriser les avantages procurés par la directive, qui
excèdent ses inconvénients
- c) La performance de l'entreprise doit
s'améliorer grâce à l'analyse de « double
matérialité », concept clé
- d) Un outil de pilotage stratégique au
service de la transformation de l'entreprise
- a) Les entreprises doivent s'approprier la
directive CSRD, encore trop mal connue
- 2. Un facteur d'attractivité pour les
entreprises engagées
- 3. Une mise en oeuvre progressive et
proportionnée d'un narratif
- 4. Une mobilisation des fédérations
professionnelles
- 1. Une opportunité de renforcement de la
valeur des entreprises
- C. UN ACCOMPAGNEMENT INSUFFISANT PAR L'ÉTAT
ET LES ACTEURS PUBLICS
- D. UNE INTEROPÉRABILITÉ
INDISPENSABLE AVEC LES NORMES AMÉRICAINES
- E. UNE ÉVALUATION NÉCESSAIRE DE
L'IMPACT DE LA DIRECTIVE
- A. CE QUE LA MISE EN OEUVRE DE LA DIRECTIVE CSRD NE
DOIT PAS ÊTRE
- IV. APRÈS LA DIRECTIVE CSRD, UNE PAUSE
S'IMPOSE
- I. LA DIRECTIVE « CSRD »
AMÉLIORE L'INFORMATION EXTRA-FINANCIÈRE DES ENTREPRISES POUR
RÉPONDRE AUX ENJEUX DE DURABILITÉ
- EXAMEN EN DÉLÉGATION
- LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
ET DES CONTRIBUTIONS REÇUES
- COMPTE RENDU DES TABLES RONDES DU 14
DÉCEMBRE 2023 CONSACRÉES À LA RESPONSABILITÉ
SOCIALE
ET ENVIRONNEMENTALE DANS LES ENTREPRISES
ET À LA DIRECTIVE CSRD
- ANNEXES
N° 327
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024
Enregistré à la Présidence du Sénat le 7 février 2024
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la délégation aux entreprises
(1) relatif à la mise en
oeuvre
de la directive
CSRD dans les entreprises,
Par Mmes Anne-Sophie ROMAGNY et Marion CANALÈS,
Sénatrices
(1) Cette délégation est composée de : M. Olivier Rietmann, président ; M. Pierre Cuypers, Mme Laurence Garnier, MM. Christian Klinger, Michel Canévet, Patrick Chauvet, Mme Marion Canalès, MM. Simon Uzenat, Martin Lévrier, Ian Brossat, Michel Masset, Guillaume Gontard, Emmanuel Capus, vice-présidents ; M. Michel Bonnus, Mmes Else Joseph, Brigitte Devésa, M. Jérôme Darras, secrétaires ; MM. Yves Bleunven, Denis Bouad, Jean-Luc Brault, Alain Cadec, Mmes Catherine Conconne, Nathalie Delattre, MM. Gilbert Favreau, Stéphane Fouassin, Fabien Gay, Mme Antoinette Guhl, M. Olivier Jacquin, Mme Lauriane Josende, MM. Daniel Laurent, Pierre-Antoine Levi, Mme Pauline Martin, MM. Franck Menonville, Serge Mérillou, Damien Michallet, Mme Anne-Marie Nédélec, MM. Cyril Pellevat, Clément Pernot, Sebastien Pla, Mme Anne-Sophie Romagny, M. Dominique Théophile, Mme Sylvie Valente Le Hir.
L'ESSENTIEL
DIRECTIVE CSRD : DU DÉCRYPTAGE
À L'AVANTAGE
présenté par Anne-Sophie ROMAGNY et Marion CANALÈS
La directive du 14 décembre 2022 dite CSRD, Corporate Sustainability Reporting Directive, harmonise le cadre normatif de l'information extra-financière (ou rapport de durabilité) des entreprises. Succédant à la Non-Financial Reporting Directive (NFRD), transposée en France par la Déclaration de Performance Extra-Financière (DPEF), elle tire les conséquences des lacunes de la réglementation précédente (absence de standards, non-comparabilité, vérification externe insuffisante).
Tout en élargissant son champ d'application jusqu'à environ 50 000 sociétés en Europe et 7 000 en France d'ici 2028, elle introduit des normes de durabilité (ESRS) avec un audit obligatoire par un vérificateur indépendant. L'objectif est de garantir une information de durabilité de meilleure qualité, fiable et comparable, limitant ainsi les allégations mensongères et permettant à l'entreprise de construire une stratégie de durabilité.
LES PRINCIPAUX POINTS À RETENIR...
· Depuis 2001, les entreprises doivent communiquer des informations extra-financières dont le nombre est croissant.
· Faute d'harmonisation suffisante, les entreprises sont assaillies de questionnaires à remplir qui demandent les mêmes informations sans être coordonnés. La directive plafonne le nombre de données qu'une entreprise doit publier :
· La directive, transposée par l'ordonnance du 6 décembre 2023 et précisée par un décret du 30 décembre 2023, doit être comprise pour être appliquée par les dirigeants d'entreprises. Or, elle est particulièrement complexe, bien qu'elle ait été allégée de 40 %.
· L'application de la directive est toutefois progressive jusqu'en 2028.
1(*)
· La directive ne concerne pas directement les PME. Toutefois, celles-ci sont concernées quand elles appartiennent à des chaînes de valeur. 87 % des dirigeants de PME et 92 % des dirigeants de TPE ne la connaissent pas.
· Une simplification indispensable doit se matérialiser dans trois directions :
· Engager les entreprises dans un changement profond de leur modèle social, économique et de gouvernance, qui est percuté par le changement climatique, suppose de :
· Une mise en oeuvre réussie de la directive CSRD suppose en revanche de mieux :
· Diffuser largement l'ESG suppose d'entraîner de manière volontaire les PME, principales victimes actuellement de la complexité administrative, de la tour de Babel des labels, des questionnaires non standardisés :
- Le rapport de durabilité ne requiert qu'une collecte d'informations restreinte dans la chaîne de valeur ;
- Un cadre transitoire est mis en place pour permettre aux PME de se préparer progressivement à ces demandes.
Les normes allégées les concernant, qui devraient être publiées en juin 2024, devront être précédées d'un « test PME ». |
L'objectif de la directive CSRD est de rendre les entreprises plus résilientes face au changement climatique.
· L'État doit tirer les conséquences de l'effort considérable qu'il demande aux entreprises en :
obligeant la commande publique à intégrer davantage la CSRD dans les critères de choix afin de récompenser les entreprises les plus vertueuses dans leur démarche RSE ; |
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instaurant une obligation, pour l'administration, de consulter les informations extra-financières contenues dans le rapport de durabilité avant de demander à l'entreprise ces informations ; |
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réalisant d'ici 2028 une évaluation de l'impact de la directive CSRD sur les entreprises et, fin 2024, des coûts de sa mise en oeuvre ; |
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alignant la définition du risque climatique sur celle de la directive CSRD, s'il est intégré au champ de la directive sur le devoir de vigilance en cours de négociation ; |
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alignant le futur Indicateur climat de la Banque de France sur la directive CSRD en le construisant après une large concertation avec les représentants des entreprises. |
LES PRINCIPALES RECOMMANDATIONS
DE LA DÉLÉGATION POUR RÉUSSIR LA MISE EN OEUVRE DE LA
DIRECTIVE CSRD
1. Traduire les éléments clés de la directive CSRD et les European Sustainability Reporting Standards (ESRS) en un langage clair, accessible et compréhensible par les dirigeants d'entreprises de toutes catégories, diffusé à travers les réseaux consulaires et par les organisations représentatives d'employeurs
2. Inciter les entreprises à mettre les questions Environnement, Social, Gouvernance (ESG) au coeur des débats des instances de direction des entreprises
3. Mobiliser les fédérations professionnelles afin de permettre l'appropriation des enjeux de la directive CSRD par toutes les entreprises et de préparer les normes sectorielles
4. Accélérer et amplifier la formation des parties prenantes à la directive CSRD2(*), notamment en renforçant la formation initiale des experts-comptables
5. Obliger la commande publique à intégrer davantage la CSRD dans les critères de choix
6. Simplifier en instaurant une obligation, pour l'administration, de consulter les informations extra-financières contenues dans le rapport de durabilité avant de demander à l'entreprise ces informations
7. Aligner le futur Indicateur climat de la Banque de France sur la directive CSRD en le construisant après une large concertation avec les représentants des entreprises
8. Aligner les éléments de la future directive Corporate Sustainability Due Diligence (CSDD) sur la CSRD notamment pour l'intégration du risque climatique au devoir de vigilance
9. Geler le périmètre des informations de durabilité jusqu'à l'application totale de la directive CSRD
10. Évaluer l'impact de l'application de la directive CSRD en 2028 avec un bilan d'étape, fin 2024 ou début 2025, sur les coûts de mise oeuvre pour les entreprises
AVANT PROPOS
Dans la suite de ses précédents rapports sur la responsabilité sociale des entreprises, la délégation sénatoriale aux Entreprises a lancé, en octobre 2023, une mission d'information « flash » confiée aux sénateurs Anne-Sophie Romagny et Marion Canalès sur la mise en oeuvre de la Corporate Sustainability Reporting Directive (directive CSRD) du 14 décembre 2022.
Les travaux de la délégation mettent en évidence la nécessité d'harmoniser l'information extra-financière et le caractère particulièrement complexe et significativement coûteux, notamment pour les entreprises de taille intermédiaire, de ces « obligations de dire » l'impact de l'activité de l'entreprise sur les personnes et l'environnement. Elles devront se traduire par la fin du greenwashing3(*) et par la transformation profonde du modèle d'entreprise, la transition écologique étant désormais l'affaire de tous, même pour les plus petites entreprises.
À l'issue de leurs travaux, nourris par les témoignages concrets d'entreprises, les rapporteurs formulent dix propositions visant notamment à mieux accompagner les entreprises dans l'appréhension de la complexité de l'enjeu, majeur pour leur transformation et leur résilience.
Lors de sa réunion du mercredi 7 février 2024, la délégation aux Entreprises a pris acte d'un cadre européen qui, bien qu'imposant une harmonisation et une transparence de l'information extra-financière demandée par le marché et les investisseurs, demeure encore lourd et complexe, y compris pour les grandes entreprises, compte tenu de la multiplicité de leurs sous-traitants.
La délégation aux Entreprise sera particulièrement vigilante sur la mise en oeuvre nationale et opérationnelle de la directive CSRD ainsi que son corollaire, le projet de directive CSDD (Corporate Sustainability Due Diligence) sur le devoir de vigilance et veillera notamment à ce qu'aucune information nouvelle ne soit ajoutée en matière d'obligation d'information extra-financière à court terme.
Elle sera attentive à l'application du principe de proportionnalité des normes à la taille des entreprises et au principe de non-discrimination, qui ne doit pas conduire une grande entreprise de prétexter d'un reporting incomplet d'une PME sous-traitante pour l'exclure de sa chaîne de valeur.
Elle appelle les entreprises à ne pas externaliser l'analyse de matérialité qui doit demeurer au fondement de la stratégie de l'entreprise.
La délégation aux Entreprises a confié aux rapporteurs une mission de suivi de la mise en oeuvre de cette directive.
I. LA DIRECTIVE « CSRD » AMÉLIORE L'INFORMATION EXTRA-FINANCIÈRE DES ENTREPRISES POUR RÉPONDRE AUX ENJEUX DE DURABILITÉ
A. UN BESOIN CROISSANT DE DONNÉES EXTRA-FINANCIÈRES EXPRIMÉ PAR LES INSTITUTIONS FINANCIÈRES
1. Une publication de données extra-financières qui existe depuis 2001
En France, les obligations qui s'imposent aux entreprises cotées sont antérieures à ce que connaissent d'autres pays européens. Il s'agit d'un atout par rapport à d'autres entreprises dans le monde, qui arriveront plus tard dans ce processus de reporting.
La France a été précurseur en Europe en matière de publication de données extra-financières. L'article L. 225-102-1 du code de commerce, introduit par l'article 116 de la loi relative aux nouvelles régulations économiques (NRE) du 15 mai 2001, prescrit que le rapport de gestion doit comprendre des informations, « sur la manière dont la société prend en compte les conséquences sociales et environnementales de son activité », renvoyant au décret en Conseil d'État4(*) pour les préciser.
Cette obligation ne concernait que les entreprises ayant recours à l'épargne sur le marché réglementé, à savoir 750 entreprises. Avant cette loi, seule une vingtaine de ces entreprises communiquaient spontanément des informations sur leur responsabilité sociale et environnementale5(*).
L'objectif de l'article 116 de la loi NRE a été d'obliger les grandes sociétés à communiquer sur les conséquences sociales et environnementales de leur activité, en leur laissant la totale responsabilité juridique de s'y contraindre. Cette « obligation de dire » ne créait aucune règle sociale ou environnementale nouvelle. Le dispositif comptait sur les différentes parties prenantes pour veiller à la bonne application de cette obligation de transparence.
Cette obligation d'information du public a créé une régulation d'un type nouveau en France. Cette transparence peut se révéler une arme redoutable dans un monde hyperconnecté et sensibilisé à certains enjeux : une défection de ses financiers, un détournement de clientèle, voire une démotivation de son personnel, représentent toujours un risque pour une entreprise, même parmi les plus grandes. Ces risques ne peuvent être ignorés ou négligés.
Cette obligation d'information a été étendue en 2010 aux entreprises non cotées de plus de 500 salariés et dont le total de bilan ou le chiffre d'affaires est supérieur à 100 millions d'euros. Le nombre d'entreprises concernées par l'obligation de publication de données extra-financières est ainsi passé ainsi de 650 à 2 500. De plus, la loi a introduit l'exigence d'un bilan des émissions de gaz à effet de serre (« BEGES ») qui doit être produit par les entreprises6(*) de plus de 500 salariés en territoire métropolitain et de 250 salariés outre-mer.
2. Une harmonisation nécessaire
Le mouvement de transparence des entreprises sur la manière dont elles répondent aux enjeux climat augmente. Cette transparence est un levier essentiel des transitions sociales et environnementales.
Le champ d'application des obligations d'information a été étendu par l'ordonnance du 19 juillet 2017 transposant la directive 2014/95/Union européenne du 22 octobre 2014 sur le reporting non financier, dite directive « NFRD » (Non-Financial Reporting Directive). Elle impose la publication de déclarations extra-financières aux grandes sociétés cotées7(*), qui emploient plus de 500 salariés et ont un total de bilan supérieur à 20 millions d'euros ou un chiffre d'affaires supérieur à 40 millions d'euros. Elle a par ailleurs instauré la déclaration de performance extra-financière (DPEF) aujourd'hui applicable ( article L. 225-102-1 du code de commerce).
Comme le souligne le rapport Perrier de 20228(*) la France avait surtransposé la directive NFRD en :
i) élargissant le champ d'application des dispositions pour couvrir non seulement les sociétés cotées mais aussi les sociétés non-cotées qui emploient plus de 500 salariés et dont le total de bilan ou le montant net du chiffre d'affaires est supérieur à 100 millions d'euros ;
ii) introduisant l'obligation d'un audit de la déclaration de performance extra-financière par un tiers indépendant.
Par ailleurs, comme l'a relevé la délégation aux Entreprises9(*), si la France « a choisi de retenir l'option proposée par la directive confiant la vérification de l'information à un prestataire de service extérieur, l'organisme tiers indépendant, [elle] est l'un des rares États à avoir fait ce choix. Seules l'Italie et l'Espagne ont exigé une telle certification mais avec des diligences différentes pour les vérificateurs ».
La volonté des pouvoirs publics était de faire de la publication d'informations non financières un outil de pilotage stratégique de l'entreprise, à la fois concis et accessible, concentré sur les informations significatives intéressant ses parties prenantes. Dès 201910(*) les représentants des entreprises se sont inquiétés des divergences des champs d'application des obligations, des informations redondantes ou inutiles ou de l'hétérogénéité du vocabulaire employé pour décrire l'objet des obligations. Le législateur n'a eu de cesse de créer à la charge des sociétés françaises de nouvelles obligations de reporting. Pendant plus de 15 ans, ces obligations se sont surajoutées les unes aux autres. Les entreprises françaises se trouvent désormais confrontées à une complexité considérable du reporting, due à l'empilement de ces textes sans mise en cohérence d'ensemble
Ainsi, un rapport du Haut comité juridique de la place financière de Paris de juillet 2022 recense treize dispositifs différents imposant la publication d'informations extra-financières dans le code de commerce (huit dispositifs), dans le code civil et le code de commerce (un dispositif) et dans des lois spécifiques (quatre dispositifs).
L'information issue des rapports a été jugée insuffisante, non fiable et non comparable entre entreprises du même secteur, faute de normes partagées par tous. En revanche, des labels privés se sont développés à partir de ce cadre règlementaire. Ce foisonnement a été qualifié de « tour de Babel des labels » dans un rapport de la délégation aux Entreprises de juin 2020. Ces labels privés sont « construits le plus souvent sur la base de déclarations, aux protocoles très inégaux et qui peuvent avoir une finalité plus marketing que stratégique »11(*).
Une rationalisation était devenue plus que nécessaire pour assurer la lisibilité de l'obligation d'information extra-financière.
B. UNE NOUVELLE ÉTAPE DANS LA TRANSPARENCE DE L'INFORMATION NON FINANCIÈRE QUI TIRE LES CONSÉQUENCES DES INSUFFISANCES DE LA DIRECTIVE « NFRD » DE 2014
La directive (UE) 2022/2464 du Parlement Européen et du Conseil du 14 décembre 2022 modifiant le règlement (UE) no 537/2014 et les directives 2004/109/CE, 2006/43/CE et 2013/34/UE en ce qui concerne la publication d'informations en matière de durabilité par les entreprises, dite « directive CSRD » (pour son acronyme anglais Corporate Sustainability Reporting Directive) s'applique progressivement depuis le 1er janvier 2024 et modifie quatre textes européens datant de 2014 : la directive « Comptable », la directive « Transparence », la directive « Audit » et le règlement « Audit ».
Les principaux changements introduits en comparaison de la directive NFRD de 2014 sur la publication d'informations non financières sont :
• un champ d'application élargi : un nombre significativement plus important de sociétés seront concernées par les obligations de reporting, et en particulier toutes les sociétés (sauf micro-entreprises) cotées sur les marchés réglementés européens (cf. section suivante « sociétés concernées ») ;
• un renforcement et une standardisation des obligations de reporting en s'appuyant sur des normes européennes harmonisées, les sociétés devront publier des informations détaillées sur leurs risques, opportunités et impacts matériels en lien avec les questions sociales, environnementales et de gouvernance, selon un principe de « double matérialité ». Ces normes de reporting seront adoptées via des actes délégués établis par l'EFRAG12(*) qui doit élaborer des normes d'information extra-financière, les European Sustainability Reporting Standards (ESRS) ;
• une localisation unique : le reporting de durabilité sera publié dans une section dédiée du rapport de gestion ;
• un format numérique imposé : le rapport de gestion sera publié dans un format électronique unique européen xHTML. Des balises (ou tags) seront insérées dans le reporting de durabilité et seront définies dans une nouvelle taxonomie digitale fixée par acte délégué ;
• une vérification obligatoire de l'information par un commissaire aux comptes ou un organisme tiers indépendant (au choix des États), dans un premier temps avec un niveau d'assurance « modérée ». Un passage au niveau d'assurance « raisonnable » pourrait être requis à compter de 2028. Par ailleurs, les auditeurs devront appliquer des standards d'assurance ; les règles encadrant leurs missions seront renforcées par la directive et le règlement Audit ;
Qui ? La directive CSRD concerne les sociétés financières et non-financières dans le champ d'application de la directive Comptable et de la directive Transparence et qui correspondent aux catégories suivantes :
• toutes les sociétés cotées sur les marchés réglementés européens, à l'exception des microentreprises telles que définies par la directive Comptable. Sont donc concernées les PMEs cotées. Toutefois, les PME bénéficient d'obligations de reporting allégées (normes spécifiques) ;
• toutes les autres grandes entreprises européennes, c'est-à-dire, selon la directive Comptable, les sociétés, cotées ou non, au-dessus de deux des trois seuils suivants : 250 salariés ; 40 millions d'euros de chiffre d'affaires et 20 millions d'euros de total de bilan ;
• par le biais de leur(s) filiale(s) ou succursale(s) européenne(s), certaines sociétés non-européennes pour autant que leur chiffre d'affaires réalisé dans l'UE soit supérieur à 150 millions d'euros. Des critères de taille au niveau des filiales et succursales européennes sont également à prendre en compte. Toutefois, ces sociétés non-européennes doivent uniquement fournir des informations relatives à leurs impacts socio-environnementaux.
Lorsqu'un reporting de durabilité consolidée est établi par la société mère d'un groupe, les sociétés filiales peuvent bénéficier d'une exemption de reporting. Des informations minimales sont toutefois à fournir par la filiale exemptée (déclaration d'exemption, renvoi vers le rapport consolidé, etc.). Cette exemption ne s'applique pas aux grandes sociétés cotées.
Quand ? L'obligation de publier un reporting de durabilité en application de la directive CSRD s'applique de manière progressive, selon le calendrier précisé ci-dessous, à 7 000 entreprises, deux fois plus que pour la directive NFRD mais ne représentant que 0,04 % des 4 millions d'entreprises en France :
C. UNE DIRECTIVE QUI RÉPOND À UNE TRIPLE NÉCESSITÉ
1. L'exemplarité
La directive CSRD s'inscrit dans un mouvement profond de l'économie qui exige des entreprises plus responsables et plus résilientes.
En France, la directive CSRD s'inscrit dans la logique des dispositions de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite PACTE, qui ont modifié notamment l'article 1833 du code civil en imposant dorénavant à chaque société d'être gérée « dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ». Il appartient désormais à tout dirigeant et tout organe d'administration d'une entreprise de s'interroger systématiquement, avant toute prise de décision, sur la pertinence, la cohérence et l'efficience des décisions qu'il s'apprête à prendre, sous le prisme des enjeux sociaux et environnementaux. L'analyse préventive de l'impact de toute décision s'impose. La divulgation des informations transfère le risque réputationnel vers les entreprises qui ne communiquent pas assez sur leurs efforts pour devenir plus durables.
Pour Pierre Victoria, président de la Plateforme RSE de France Stratégie : « L'impact est-il la nouvelle frontière ? Nous ne le pensons pas. La mesure de l'impact est un outil énorme, qu'il faut remettre dans le cadre de la directive CSRD et de la double matérialité. Le sujet de la responsabilité de l'entreprise reste questionné par l'ensemble de la société. La mesure de l'impact est une manière d'évaluer la réalité du travail effectué. Le terme de responsabilité ne peut pas être complètement fondu dans l'impact ou la durabilité. La responsabilité reste extrêmement pertinente dans le monde d'aujourd'hui, face aux différentes crises auxquelles nous sommes confrontés ».
Pour autant, le régime de responsabilité civile des dirigeants des sociétés, institué par l'article L. 225-251 du code de commerce, n'est pas remis en cause. En effet, la directive « reprend, sans la préciser plus avant, la disposition déjà établie par la directive NFRD prévoyant une « responsabilité collective » des membres des organes de direction d'administration et de surveillance concernant l'établissement et la publication des informations de durabilité requises (et des nouvelles normes ESRS) » selon l'analyse des risques d'actions en responsabilité civile et de sanctions boursières du Haut Comité Juridique de la Place Financière de Paris du 25 octobre 2023. Comme auparavant, l'absence de précision quant au champ de cette responsabilité n'impose pas de modification spécifique des régimes nationaux concernant les actions en responsabilité civile.
Dans l'Union européenne, la directive CSRD s'inscrit dans la stratégie du pacte vert pour l'Europe, présenté en 2019, visant à engager l'Union européenne, via un ensemble de mesures, sur la voie de la transition écologique, l'objectif ultime étant d'atteindre la neutralité climatique à l'horizon 2050.
A ce double niveau, se dégage une conception européenne de l'entreprise, éloignée du modèle friedmanien13(*), dominant aux États-Unis, qui considère que son objectif unique doit être le profit, pour mettre en avant la responsabilité sociale de l'entreprise. L'entreprise, en tant qu'acteur économique, a nécessairement un impact sur ses parties prenantes, sur son territoire, sur les ressources, et sur l'environnement. De ce fait, elle a une responsabilité sociale, voire sociétale et le législateur lui demande d'avoir un comportement éthique et une vision de long terme.
2. La compétitivité
La directive CSRD va déployer ses effets dans 24 des 27 pays de l'Union européenne qui avaient jusqu'à présent très peu, ou pas du tout légiféré sur l'information extra-financière. L'existence même de la directive permet ainsi d'éviter un dumping intra-européen résultant d'un « moins-disant ESG » entre entreprises européennes.
Par ailleurs, la CSRD impactera également 10 000 entreprises non-européennes à compter du 1er janvier 2028 (pour l'exercice 2027) : ce sont les entreprises dont le chiffre d'affaires européen excède 150 millions d'euros via une filiale ou succursale.
La directive a donc clairement une portée extra-territoriale car elle induit que les entreprises étrangères concernées devront s'organiser et se transformer. Cela permettra de diffuser à l'échelle mondiale les valeurs de l'Union européenne, de promouvoir des standards européens économiques et non économiques, et sa vision de l'entreprise, en soumettant des sociétés non européennes à des exigences ESG, tout en garantissant au profit des sociétés européennes un « level playing field »14(*).
Toutefois, la capacité qu'aura l'Union européenne de garantir l'effectivité des règles imposées aux entreprises de pays tiers ou d'identifier les autorités qui seraient chargées de faire respecter le droit de l'Union par les entités de pays tiers n'est pas encore clairement assurée, comme l'a établi un rapport Haut Comité Juridique de la Place Financière de Paris sur l'extraterritorialité du droit de l'Union européenne, de mai 2022.
3. La finance durable
Selon les propos tenus le 14 décembre 2023 par Mme Julie Ansidéi, responsable de l'engagement externe en Europe au sein du fonds d'investissement BlackRock Sustainable and Transition Solutions : « la prise en compte des enjeux de durabilité et de responsabilité sociale et environnementale des entreprises n'est pas une mode ou une contrainte réglementaire, mais une tendance de fond qui reflète à la fois une évolution des préférences des clients et des investisseurs, en particulier en Europe, et des transformations en profondeur des modes de production et de consommation ». Cette plateforme d'investissement durable gère, en 2023, 700 milliards de dollars d'actifs, à travers 500 produits environ contre 100 milliards de dollars en 2020, et investit pour ses clients 2000 milliards d'euros dans l'économie française
La directive CSRD est un élément d'un cadre beaucoup plus large et ambitieux en Europe, qui touche à la fois le secteur financier et les entreprises. Les investisseurs sont en effet également soumis à des obligations de reporting sur les impacts de leurs investissements.
La directive CSRD est donc liée au règlement sur la publication d'informations en matière de durabilité dans le secteur des services financiers du 27 novembre 2019 (SFDR), entré en vigueur le 10 mars 2021, qui soumet les investisseurs à des obligations déclaratives.
Pour que le marché des investissements durables soit crédible15(*), les investisseurs doivent disposer d'informations sur l'incidence en matière de durabilité qu'ont les entreprises dans lesquelles ils investissent. Sans ces informations, il est impossible d'orienter les financements vers des activités respectueuses de l'environnement et traduire en actes la bifurcation écologique impérative.
À mesure que les investisseurs manifestent un intérêt croissant pour l'investissement durable, le règlement permet aux investisseurs de s'appuyer sur des comparaisons et des conseils clairs en matière d'investissements durables, encourageant les sociétés de gestion d'actifs et les conseillers à orienter les ?ux de capitaux vers les produits d'investissement contribuant à une économie plus durable.
D'autres règlements sont venus s'ajouter, notamment le règlement européen « Taxonomie »16(*) du 18 juin 2020, entré en vigueur en janvier 2022, qui établit quatre conditions générales qu'une activité économique doit remplir pour être considérée comme écologiquement durable et s'inscrit dans le cadre des obligations d'information renforcées requises par le règlement SFDR.
Les informations sur ce que les entreprises considèrent comme étant les risques et les opportunités qui découlent des problématiques sociales et environnementales, ainsi que sur l'incidence de leurs activités sur la population et l'environnement aident les investisseurs, les organisations de la société civile, les consommateurs et les autres parties prenantes à évaluer les performances des entreprises en matière de durabilité.
Pour autant, de nombreux éléments montrent que les informations en matière de durabilité actuellement publiées par les entreprises sont insuffisantes. Il arrive fréquemment que des informations jugées importantes par les investisseurs et les autres parties prenantes ne figurent pas dans les rapports des entreprises. Les informations publiées peuvent être difficiles à comparer d'une entreprise à l'autre, et les utilisateurs, tels que les investisseurs, doutent souvent de leur fiabilité.
Or, « de nombreux clients institutionnels ont pris des engagements en la matière, que ce soit au travers de coalitions d'investisseurs ou de manière indépendante. Ces clients cherchent à comprendre comment mettre en oeuvre ces engagements, par exemple par des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre liées à leur portefeuille d'investissement. Ils se demandent également comment investir dans la transition » selon BlackRock.
Les problèmes de qualité des informations sur la durabilité ont des répercussions, en ce qu'ils privent les investisseurs d'une vue d'ensemble fiable des risques auxquels les entreprises sont exposées en matière de durabilité. La directive CSRD vise à mieux informer les investisseurs de l'impact des entreprises sur la population et l'environnement et de leurs projets pour réduire cet impact à l'avenir.
D. UNE DIRECTIVE TRANSPOSÉE PAR ORDONNANCE ET APPLIQUÉE PROGRESSIVEMENT
En France, l'article 12 de la loi n°2023-171 du 9 mars 2023 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans les domaines de l'économie, de la santé, du travail, des transports et de l'agriculture (dite « loi DDADUE 2023 ») a habilité le Gouvernement à légiférer par voie d'ordonnance dans un délai de neuf mois pour transposer cette directive en droit français.
Sur le fond, la commission des Finances du Sénat, dans son avis du 6 décembre 2022, a soutenu le principe de la directive CSRD : « Au-delà des seules conséquences financières des données extra-financières des entreprises, il semble indispensable que les entreprises fournissent davantage d'informations aux différents publics sur les conséquences de leurs activités sur l'environnement. De ce point de vue, l'évolution proposée par le droit de l'Union européenne en faveur de la communication d'informations standardisées et auditées constitue une avancée indéniable » la directive devant « permettre la production de données pertinentes, fiables et robustes dans un langage commun à tous, ce qui sera profitable à l'ensemble des acteurs, y compris les entreprises productrices de données elles-mêmes ». Elle a même regretté son caractère « bien tardif ». Bien que les auditions conduites aient souligné que les standards proposés par l'EFRAG étaient jugés trop exigeants par une partie des entreprises, la commission des Finances a estimé « indispensable que l'Union européenne montre l'exemple et adopte des standards élevés, tant du point de vue social qu'environnemental », car « l'urgence climatique exige la mise en place de ce cadre exigeant : nos entreprises doivent être transparentes sur l'effet de leurs activités sur leur environnement et sur les actions qu'elles réalisent pour limiter leur impact climatique ».
Sur la forme, elle a veillé à ce que cette transposition ne se superpose pas avec les obligations déjà existantes dans notre droit national, sans quoi on aurait fait peser « des contraintes administratives non justifiées » sur les entreprises. Afin « d'alléger une partie des obligations issues de notre droit national, dès lors que les nouvelles exigences européennes s'y substitueraient », elle a proposé une nouvelle rédaction de l'habilitation, qui aurait été ainsi plus encadrée.
En séance, le 13 décembre 2022, la disposition habilitant le Gouvernement à procéder par ordonnance a été supprimée par le Sénat notamment en raison de l'absence d'« évaluation du coût financier et organisationnel » de la mise en oeuvre de la directive pour les petites et moyennes entreprises et les entreprises de taille intermédiaire nouvellement assujetties aux obligations déclaratives en raison principalement de l'insuffisance de l' étude d'impact.
Tout en reconnaissant la pertinence de ce dernier argument17(*), l'Assemblée nationale a rétabli cette autorisation, dans une version modifiée par rapport à celle figurant dans le projet de loi initial. L'habilitation conférée au Gouvernement pour agir par ordonnance a été nettement plus circonscrite que dans le texte initial
L' ordonnance n°2023-1142 du 6 décembre 2023 relative à la publication et à la certification d'informations en matière de durabilité et aux obligations environnementales, sociales et de gouvernement d'entreprise des sociétés commerciales vient ainsi transposer en droit français les mesures contenues dans la directive. Elle est précédée d'un rapport au Président de la République qui explicite les modifications qu'elle apporte.
L'ordonnance a été complétée par un décret n° 2023-1394 du 30 décembre 202318(*) qui :
- précise les seuils applicables aux définitions des différentes tailles de sociétés et de groupes de sociétés ;
- détermine le type d'informations en matière de durabilité devant être établies et publiées par les différentes sociétés concernées ;
- précise les règles applicables au rapport financier annuel des émetteurs ;
- adapte la mission des commissaires aux comptes de certification des informations en matière de durabilité, notamment en créant l'autorité publique indépendante de supervision, la Haute autorité de l'audit, et en définissant les organismes tiers indépendants et auditeurs des informations en matière de durabilité qui y sont attachés.
La directive CSRD comporte ou maintient trois légères surtranspositions :
• une extension aux mutuelles, à certains groupements d'assurances, aux coopératives agricoles ;
• un engagement de lutte contre la corruption et l'évasion fiscale ;
• la promotion des réserves militaires19(*).
Ce corpus normatif alourdit un environnement juridique des entreprises particulièrement instable en matière de définition de la durabilité et de son cadre extra-financier. Pour mémoire, le contenu de la déclaration de performance extra-financière (DPEF) a été modifié 21 fois en 21 ans.
Une pause s'impose sur les obligations de reporting, afin de permettre aux entreprises de s'approprier non seulement la directive CSRD dans sa dimension actuelle, mais également le projet de directive CSDD proposé par la Commission européenne le 23 février 2022 et toujours en voie de négociation. Aucune nouvelle information de durabilité ne devrait être ajoutée jusqu'à l'application totale de la directive CSRD, c'est-à-dire jusqu'en 2028.
Pour Marion Canalès, ce gel des informations de durabilité ne doit pas être compris comme un désaveu des négociations en cours sur la directive CSDD, qui est, pour elle, le corollaire de la directive CSRD.
La délégation recommande...
... de geler le périmètre des
informations de durabilité
jusqu'à l'application totale de la
directive CSRD
II. DE FORTES MAIS NÉCESSAIRES CONTRAINTES PESANT SUR LES ENTREPRISES
La directive CSRD et les ESRS constituent une obligation de transparence et non une exigence de comportement. L'entreprise doit dire ce qu'elle fait mais n'a pas d'obligation à faire ce qui est listé si cela n'est pas mis en place. Ainsi, ils ne prescrivent pas la mise en place d'un plan de transition pour l'atténuation du changement climatique, mais exigent des informations détaillées et spécifiques à ce sujet dès lors qu'un tel plan est en place.
A. UN TRIPLE ENJEU POUR LES ENTREPRISES
1. Accéder au financement
« La directive CSRD consiste à apporter de la rigueur dans ce que les entreprises doivent dire aux financiers pour que ceux-ci puissent effectuer leur travail d'allocation du capital dans la direction de la durabilité », selon Thierry Philipponnat, chef économiste à Finance Watch, organisation non-gouvernementale européenne dont la vocation est de favoriser une industrie financière responsable et durable, entendu lors de la table ronde organisée par la délégation aux Entreprises le 14 décembre 2023.
En effet, selon BlackRock, l'un des premiers fonds d'investissement au monde : « de nombreux clients institutionnels ont pris des engagements en la matière, que ce soit au travers de coalitions d'investisseurs ou de manière indépendante. Ces clients cherchent à comprendre comment mettre en oeuvre ces engagements, par exemple par des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre liées à leur portefeuille d'investissement. Ils se demandent également comment investir dans la transition ».
La finance responsable prend une place croissante dans le financement des entreprises. Elle recouvre l'ensemble des initiatives et réglementations visant à favoriser des investissements dits socialement responsables (ISR).
La définition du caractère socialement responsable se fait selon une grille de critères ESG : environnementaux (E), sociaux (S) et de gouvernance (G). La finance socialement responsable repose donc sur une épargne investie sur des projets qui concilient conjointement, d'une part, la performance financière, d'autre part, le respect de l'environnement (E), la considération et le bien-être des salariés (S : dialogue social, formation des salariés, emploi de personnes en situation de handicap, prévention des risques, conformité réglementaire, etc.), enfin les bonnes pratiques de gouvernance (G : transparence de la rémunération des dirigeants, lutte contre la corruption, féminisation des conseils d'administration, etc.).
Les stratégies d'investissements responsables peuvent revêtir plusieurs formes :
• des stratégies d'exclusion : certaines entreprises sont exclues, partiellement ou totalement, en raison de la nature de leur activité (par exemple : énergies fossiles, armes controversées, tabac).
• des stratégies positives : l'investissement est privilégié dans des secteurs particuliers comme les énergies renouvelables, la captation du carbone.
• des stratégies d'incitation des entreprises afin de les informer de leur score ESG et les inciter à améliorer leurs pratiques.
La finance verte recouvre les initiatives et réglementations qui visent à faciliter les investissements avec impact positif sur l'environnement (milieux, écosystèmes) en favorisant la transition énergétique et la lutte contre le réchauffement climatique. Il s'agit de pratiques financières ayant une thématique plus ciblée car concentrées exclusivement sur le pilier environnemental.
L'investissement socialement responsable applique les principes du développement durable à l'investissement. Créé en 2016, le label ISR est un label d'État qui permet d'investir dans des supports d'épargne intégrant dans leur gestion des principes environnementaux, sociaux et de gouvernance. Ainsi, les fonds labélisés ISR ne prennent pas uniquement en compte des critères financiers de performance et de rendement.
Une nouvelle version du label ISR entre en vigueur à partir du 1er mars 2024 et fait de l'impact climatique un principe clef du label afin de mieux répondre aux attentes des épargnants et à l'urgence climatique. Désormais, les fonds ISR excluront les entreprises qui :
i) exploitent du charbon ou des hydrocarbures non conventionnels,
ii) lancent de nouveaux projets d'exploration, d'exploitation, de raffinage d'hydrocarbures (pétrole et gaz).
Pour accompagner les entreprises dans leur transition écologique, 15 % des portefeuilles des fonds ISR devront, dès 2026, être investis dans les secteurs à fort impact avec des plans de transition alignés sur les accords de Paris. Ce seuil sera progressivement relevé année après année. L'intérêt du label étant de labelliser des fonds, il a aussi un impact sur les entreprises.
« Nous avons intégré la double matérialité. Ce sujet n'existait pas en 2015-2016. D'une manière générale, nous avons essayé d'utiliser le plus possible les textes européens. La double matérialité signifie que nous demandons aux fonds d'expliciter les incidences négatives des entreprises qui sont dans le fonds. À mesure que les entreprises exprimeront leurs indicateurs d'incidence négative (PAI)20(*), les fonds les rendront publics. Il s'agit d'un premier pas. Dans un second temps, nous mettrons des obligations et des exigences en matière de résultat. Les fonds labellisés doivent déjà désigner deux indicateurs, dont l'un d'incidence négative, sur lesquels ils doivent être meilleurs que leur univers de départ » a indiqué Michèle Pappalardo, présidente du comité de réforme du label ISR, lors de la table ronde du 14 décembre 2023.
2. Accéder à la commande publique
La commande publique constitue un levier de transformation au service des politiques publiques, et représente chaque année plus de 200 milliards d'euros pour 130 000 acheteurs publics qui passent 800 000 marchés publics en France.
Les PME françaises couvrent 60 % des contrats en nombre mais seulement 30 % en valeur. Ainsi, la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (loi « Climat et résilience ») érige en principe de la commande publique, à l'instar de la liberté d'accès, de l'égalité de traitement et de la transparence des procédures, la « participation à l'atteinte des objectifs de développement durable ».
Désormais, les Schémas de Promotion des Achats Socialement et Écologiquement Responsables (SPASER) doivent inclure des « indicateurs précis [...] sur les taux réels d'achats publics relevant des catégories de l'achat socialement et écologiquement responsable » et fixer « des objectifs cibles en matière d'achats réalisés auprès des entreprises solidaires d'utilité sociale [...] ou auprès des entreprises employant des personnes défavorisées ou appartenant à des groupes vulnérables ». La loi n° 2023-973 du 23 octobre 2023 relative à l'industrie verte, prévoit ainsi deux nouveaux motifs généraux d'exclusion à l'appréciation de l'acheteur, applicables aux procédures de passation pour lesquelles une consultation a été engagée ou un avis d'appel à la concurrence a été envoyé à compter de la publication de la loi. L'exclusion est possible lorsqu'une entreprise n'a pas satisfait à son obligation :
- d'établir le bilan de ses émissions de gaz à effet de serre (BEGES)21(*), prévue par l'article L.229-25 du code de l'environnement, pour l'année qui précède l'année de publication de l'avis d'appel à la concurrence ou d'engagement de la consultation. Cette obligation impose d'élaborer un diagnostic précis des émissions de gaz à effet de serre, accompagné d'un plan de transition, en vue d'identifier et de mobiliser des leviers de réduction de ces émissions ;
- de publier les informations en matière de durabilité de la directive CSRD.
Par ailleurs la notion d'offre économiquement la plus avantageuse est précisée, notamment par la prise en compte du critère environnemental et pourra « être déterminée sur le fondement d'une pluralité de critères non discriminatoires et liés à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution, parmi lesquels figurent le critère du prix ou du coût et un ou plusieurs autres critères comprenant des aspects qualitatifs, environnementaux ou sociaux ».
L'octroi d'aides publiques à la transition écologique et énergétique est désormais conditionné à la transmission des informations relatives à la mise en oeuvre de cette obligation pour les entreprises de plus de 500 salariés et à l'établissement d'un BEGES simplifié pour les entreprises de 50 à 500 salariés.
La prise en considération de préoccupations environnementales sera à l'horizon 2026 (en raison de l'effet différé de la plupart de ces dispositions) présente à tous les stades de la procédure de mise en concurrence : définition du besoin, critères de choix des offres et conditions d'exécution du marché. Les entreprises ne peuvent donc plus ignorer ces écoconditionnalités pour accéder à la commande publique.
3. Accéder aux marchés de demain
Les différentes auditions conduites se sont accordées sur le double constat de l'inéluctabilité de la transformation de l'entreprise et des opportunités que la directive CSRD peut créer. Face aux préoccupations croissantes des consommateurs, de plus en plus sensibles aux enjeux environnementaux et sociaux, et à l'attention accrue des organisations non gouvernementales (ONG) aux activités des entreprises, la conformité du reporting de durabilité à la directive CSRD constituera un enjeu majeur pour les entreprises, leur permettant d'afficher une conduite exemplaire et d'éviter d'éventuels risques réputationnels.
Dans sa contribution adressée à la délégation aux Entreprises, le Pacte mondial Réseau France a souligné que : « Alors que la transition vers la neutralité carbone et un monde plus viable est une nécessité, les entreprises qui adoptent de fait un modèle d'affaires plus résilient et pérenne seront mieux préparées pour faire face aux enjeux futurs. La CSRD ouvre ainsi la voie à un secteur privé plus responsable, éthique et respectueux de la planète, et qui créera de nouvelles possibilités d'innovation, d'investissement et d'emploi ».
B. CSRD + ESRS = UNE COMPLEXITÉ REDOUTABLE
1. Des obligations complexes à appréhender
La CSRD prévoit la création de normes de reporting de durabilité détaillées, dites normes ESRS (European Sustainability Reporting Standards) permettant d'encadrer et d'harmoniser les publications des sociétés. Ces normes, qui seront progressivement adoptées par voie d'actes délégués, sont de plusieurs types :
- des normes « universelles », applicables à l'ensemble des sociétés quel que soit leur secteur d'activité. Elles couvrent les enjeux transversaux ainsi que l'ensemble des thématiques socio-environnementales. Ces normes figureront dans un acte délégué ;
- des normes spécifiques pour les PME cotées sur les marchés règlementés, également prévues pour figurer dans l'acte délégué de juin 2024 ;
- des normes sectorielles, qui feront l'objet d'un second acte délégué dont l'adoption est prévue en juin 2026. Elles précisent les informations spécifiques à fournir sur les impacts, risques et opportunités matériels liés à chaque thématique de durabilité - environnementale, sociale et de gouvernance, en complément des informations générales d'ESRS 2 et en suivant la même structure en quatre domaines.
De nombreux experts auditionnés ont constaté la surreprésentation des représentants des cabinets d'audit au sein de l'EFRAG et la sous-représentation des entreprises. Cette situation a sans doute conduit à l'adoption de normes particulièrement complexes à lire et à comprendre.
Après une consultation publique au printemps 2022, l'EFRAG a remis en novembre 2022 à la Commission Européenne 12 normes universelles couvrant l'ensemble des thématiques ESG. À la suite d'une révision de ces normes produites par l'EFRAG introduisant notamment des allègements et de la progressivité sur certaines dispositions, et une consultation publique, la Commission européenne a adopté l'acte délégué le 31 juillet 2023.
Les 12 normes universelles de l'EFRAG sont les suivantes :
Source : Autorité des marchés financiers
Relativement bref (14 pages), ce dernier est toutefois complété par une première annexe de 277 pages et une seconde de 40 pages, consacrée à la définition des termes employés. Cette première annexe, qui constitue le coeur du cadre général de la CSRD, est particulièrement complexe à lire, comme l'ont indiqué la plupart des personnes auditionnées, y compris les experts de la RSE.
Elle comporte en effet 82 « exigences de publication », qui sont thématiques, et 1 198 points de données, en format Excel, qui ont été précisées dans un document de l'EFRAG ouvert à la consultation publique jusqu'au 2 février 2024.
Brutes, elles ne peuvent que désorienter ou inquiéter les dirigeants d'entreprises.
Les normes ESRS 1 « principes généraux » décrivent l'architecture, les principes et les concepts généraux des normes ESRS : caractéristiques de l'information, double matérialité, structure des informations de durabilité, chaîne de valeur, etc.
Les normes ESRS 2 « informations générales » détaillent les informations que les entreprises devront présenter en lien avec les sujets matériels de durabilité. Ces informations couvrent quatre domaines de reporting : la gouvernance, la stratégie, le processus d'identification et de gestion des impacts, risques et opportunités de durabilité, ainsi que les indicateurs et objectifs.
Les 10 normes ESRS thématiques précisent les informations spécifiques à fournir sur les impacts, risques et opportunités matériels liés à chaque thématique de durabilité - environnementale, sociale et de gouvernance, en complément des informations générales d'ESRS 2 et en suivant la même structure en quatre domaines.
Ces normes thématiques couvrent en général plusieurs sous-thématiques. Elles ne sont pas toutes obligatoires : c'est l'analyse de matérialité qui permettra d'identifier les enjeux de durabilité significatifs sur lesquels une entreprise devra communiquer ses informations.
2. Un allègement du nombre de « points de données » bienvenu
Cet allégement doit donner de l'élan et non retarder un processus qui doit entraîner le plus grand nombre d'entreprises dans une démarche ESG.
Un débat a eu lieu en 2023 au Parlement européen sur le projet d'acte délégué qui aurait « introduit une charge administrative élevée pour les entreprises en raison de la grande complexité des normes d'information en matière de durabilité », qui « exigent des entreprises des ressources importantes, ce qui représente une charge, en particulier pour les entreprises de plus petite taille, étant donné que les normes d'information en matière de durabilité sont complexes et nombreuses ». Il aurait, in fine, compromis l'intention de la Commission de réduire de 25 % les formalités administratives et les obligations d'information22(*), compte tenu des problèmes de compétitivité, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'Union.
Comme la délégation aux Entreprises dans son précédent rapport, la CPME en France avait plaidé23(*) en faveur de normes CSRD adaptées à la diversité et à la taille des entreprises, tout en soutenant que la démarche RSE est bénéfique pour concilier performance économique et environnementale. Elle a déploré la complexité des standards de la CSRD dont le nombre de points de données pouvant aller jusqu'à 2 000, dans une première version, impliquant donc pour les entreprises le recours à des consultants spécialisés et compromettant l'appropriation et le déploiement par les entreprises d'une stratégie efficace de décarbonation.
Par ailleurs, l'Union européenne ne reconnaît toujours pas la notion d'Entreprise de taille intermédiaire (en droit français, elle comprend entre 250 et 4 999 salariés, et soit un chiffre d'affaires n'excédant pas 1,5 milliard d'euros soit un total de bilan n'excédant pas 2 milliards d'euros, soit plus de 50 millions d'euros de chiffre d'affaires et plus de 43 millions d'euros de total de bilan et moins de de 250 salariés). Or, ces entreprises de taille moyenne (250-400/500 salariés), non soumises auparavant à ces obligations, font face à une marche qui sera difficile à gravir.
La Commission européenne a pris en considération ces demandes et a reconnu la complexité du sujet. Elle a par conséquent décidé un allègement du dispositif, au regard de l'objectif de réduction de 25 % de la charge administrative des entreprises annoncé par la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, dans son discours sur l'état de l'Union du 13 septembre 2023.
La consultation de l'EFRAG a conduit à réduire le nombre d'exigences d'informations de 40 % et le nombre de points de données d'environ 50 % et à supprimer le principe selon lequel toutes les informations prescrites dans les normes doivent être considérées comme importantes pour l'entreprise, sauf preuve contraire.
Source : site de l'Autorité des marchés financiers, 7 février 2024
La baisse de coûts pour les entreprises ainsi généré a été chiffrée à 1 172 millions d'euros pour les mesures d'introduction progressives de certaines normes auxquels s'ajoutent 230 millions d'euros d'économies pour les entreprises dues au caractère désormais facultatif de certaines publications.
Outre des délais d'application allongés, entre autres pour les entreprises de moins de 750 employés qui auront une année de plus pour publier leur Scope 324(*), seuls 2 des 12 standards relatifs aux trois piliers ESG ont été considérés par la Commission européenne comme obligatoires, et ces derniers ne représentent que des normes techniques pour indiquer aux organismes comment réaliser leur déclaration.
Pour le reste, les entreprises ne déclareront que les informations qu'elles jugent pertinentes en ce qui concerne l'impact de leurs activités (ou la matérialité) sur l'environnement et la société. Les entreprises qui affirment que le changement climatique n'est pas matériel pour elles devront publier une justification. Elles jugeront donc d'elles-mêmes si elles veulent ou non communiquer sur les (normes sans avoir besoin de justifier leur choix.
En outre, les seuils utilisés pour définir une « grande entreprise », inscrits dans la directive européenne « comptable » de 2013, ont été augmentés25(*) par la directive déléguée (UE) 2023/2775 du 17 octobre 2023, faisant sortir plusieurs milliers de sociétés du champ d'application de la CSRD.
Il s'agit en réalité du retour au périmètre de 2014 et la directive « efface » ainsi l'inflation cumulée depuis dix ans qui a atteint 24,3 % dans la zone euro et 27,2 % dans l'ensemble de l'Union, sur une période d'environ 10 ans allant du 1er janvier 2013 au 31 mars 2023, selon les chiffres d'Eurostat. La hausse de 25 % de ce seuil fera sortir de grosses ETI (catégorie qui n'est pas reconnue par l'Union européenne) du champ d'application de la directive comptable et, par ricochet, de la directive CSRD. Cet ajustement doit s'effectuer en droit national au niveau règlementaire début 2024.
Au total, la directive CSRD est l'exemple de la « simplexité » : elle associe des objectifs simples mais ambitieux à un dispositif complexe qui devra à son tour se traduire par des procédures plus ou moins simples pour être efficaces et profitables aux entreprises.
La délégation recommande...
... de traduire les éléments clés de la directive CSRD et les European Sustainability Reporting Standards (ESRS) en un langage clair, accessible et compréhensible par les dirigeants d'entreprises de toutes catégories, diffusé à travers les réseaux consulaires et par les organisations représentatives d'employeurs
3. Des PME exemptées par la directive mais réintégrées dans les chaînes de valeur
En réalité, de très nombreuses PME seront concernées par la CSRD même en étant exclues du champ règlementaire d'application de la directive. Elle prévoit en effet la publication d'informations concernant la chaîne d'approvisionnement et de sous-traitance par les entreprises qui devront déployer des « efforts raisonnables » pour les obtenir. À défaut, elles devront recourir à des estimations (« proxies ») en s'appuyant sur les informations fiables « raisonnablement » disponibles (« reasonable and supportable information »). La communication de la Commission européenne sur le train de mesures de soutien aux PME du 12 septembre 2023 indique, pour sa part, que les normes d'information simplifiées pour les PME cotées « limitent les informations que les grandes entreprises doivent obtenir des PME de leur chaîne de valeur », mais cette limitation des obligations de déclaration de la chaîne de valeur imposées aux grandes entreprises devrait également englober les PME non cotées.
Pour Thomas Meyer, directeur général de la coopérative SOCAPS : « la directive CSRD s'adresse d'abord aux grandes entreprises mais par effet de ruissellement des demandes d'information vers l'amont, elle s'étend à l'ensemble des entreprises impliquées dans des relations commerciales BtoB ou dans les marchés publics ».
Après consultations et réalisation de tests PME, l'EFRAG devrait adopter des normes adaptées pour les PME pour novembre 2024. Elles seront validées par la future nouvelle Commission européennes. Elles comporteront deux versions : un premier obligatoire pour les PME cotées et un second volontaire pour les PME non cotées.
Ce corpus devra rester simple et raisonnable pour embarquer les dirigeants de PME et éviter le rejet d'un dispositif qui serait perçu comme une « usine à gaz ». Ainsi, exiger un bilan carbone dans les PME de moins de 250 salariés risque de freiner leur engagement dans une démarche d'application volontaire de la directive.
Les PME cotées26(*) seront concernées par la directive CSRD à partir de 2027 sur les données de 2026 mais devraient bénéficier de normes spécifiques allégées dans un acte délégué en juin 2024. La complexité est un facteur important des retraits des PME de la bourse : 21 sociétés ont été retirées de la bourse de Paris en 2022 suite à des offres publiques et 25 en 2021.
Ainsi, Limagrain a sorti Vilmorin, 4e semencier mondial, de la cote après 30 ans de présence, en août 2023. Les obligations de transparence imposées par l'AMF aux entreprises cotées à Paris sont plus élevées que celles d'autres places boursières sur lesquelles se trouvent cotés les concurrents de l'entreprise. Cet effet d'éviction du marché ne doit pas s'accroître en raison de la mise en oeuvre de la directive.
La délégation recommande...
... de réaliser un « test
PME »
avant l'adoption de normes volontaires de durabilité
les concernant
III. LES CONDITIONS DE RÉUSSITE DE LA CSRD : PERMETTRE AUX ENTREPRISES DE S'APPROPRIER UN CHANGEMENT DE PARADIGME
Les entreprises ne sont pas encore totalement structurées pour appliquer la directive CSRD, y compris les plus grandes qui étaient soumises à la DPEF.
A. CE QUE LA MISE EN OEUVRE DE LA DIRECTIVE CSRD NE DOIT PAS ÊTRE
1. Un exercice de conformité par l'entreprise
La directive peut être, dans un premier temps, perçue comme un exercice de conformité, le dirigeant confiant le recollement des informations à des tiers ou cantonnant les enjeux ESG à la direction de la communication de l'entreprise.
La plateforme RSE est très attentive « à ce que l'application de la directive CSRD aux entreprises de moins de 250 salariés se fasse dans les meilleures conditions possibles. Il ne faudrait pas qu'un excès de demande d'informations puisse casser les dynamiques en cours, ou les marginaliser. Le risque est que les entreprises fassent du reporting sans l'intégrer à la stratégie des entreprises ».
La complexité de la directive et des normes déclinées par l'EFRAG peut dérouter voire rebuter avec son avalanche de sigles, de concepts nouveaux pour les dirigeants d'entreprises. Elle conduit au changement dans l'entreprise pour repenser les process de gouvernance et de collecte des données, former des salariés qui n'étaient pour le moment pas concernés par le reporting, repenser les systèmes d'information.
La normalisation est, de plus, en processus en cours puisque les normes générales publiées le 31 janvier 2023 seront complétées par des normes sectorielles.
2. Une prestation déléguée par l'entreprise en raison de la pénurie de compétences
Face à cette avalanche d'obligations, les entreprises qui n'était jusque-là pas concernées, et quand bien même certaines avaient adopté une démarche RSE « sans le savoir », vont devoir se faire aider. En raison de sa complexité, la directive suscite un marché.
L'enjeu du marché de l'audit de durabilité.
L'audit de durabilité consiste à certifier les informations publiées dans le rapport de durabilité afin d'assurer leur qualité.
La nouvelle mission d'auditeur de durabilité, suppose :
• d'être accrédité par le COFRAC en tant qu'organisme tiers indépendant (OTI) selon la norme NF EN ISO/IEC 17029 ;
• de respecter l'obligation de formation en matière d'audit de durabilité (contenu et durée en cours de fixation par décret).
La directive ouvre en effet cette fonction aux « prestataires de services d'assurance indépendants ». Si les commissaires aux comptes et les experts-comptables s'estiment légitimes pour exercer cette fonction, les cabinets de conseil comme les avocats sont également sur les rangs : le Conseil national des barreaux estime que « la présence des avocats est indispensable sur ce marché ». Les entreprises auront certainement comme interlocuteurs privilégiés les experts-comptables, qui sont leurs partenaires habituels, mais ces derniers devront se former.
L'audit de durabilité progressera en exigences parallèlement aux efforts des entreprises. L'auditeur devra « adopter une approche pragmatique, sans plaquer des concepts théoriques ; avoir la connaissance du secteur (les sociétés de conseil devront être épaulées par des ingénieurs) ; se rendre sur les sites de l'entreprise sans rester dans les bureaux », selon l'AFNOR.
Toutes les entreprises n'ont pas, à ce jour, les compétences en interne pour la mettre en oeuvre. La tentation est donc grande d'externaliser l'analyse de double matérialité ou le reporting annuel, qui serait ainsi effectué par des prestataires extérieurs. Outre un coût aggravé, et parfois prohibitif, cette démarche serait une erreur stratégique. Si l'accompagnement peut s'avérer nécessaire, l'entreprise ne doit pas déléguer ou sous-traiter son audit de durabilité qui ne peut se résumer à un tableau Excel rempli par un cabinet d'audit, mais doit être un élément essentiel du projet d'entreprise.
3. Un processus coûteux et complexe qui pénaliserait l'entreprise
Le coût de mise en oeuvre de la directive CSRD est élevé, quelle que soit la catégorie d'entreprise.
Au niveau macroéconomique, il a été chiffré à 4,6 milliards d'euros pour toutes les entreprises européennes, dont 1,2 milliard de coûts non récurrents (pour la mise en place) et 3,6 milliards de coûts récurrents, annuels. Il faut retrancher des économies annuelles de 24 200 à 41 700 euros par entreprise représentant au total environ 280 à 490 millions d'euros par an pour les entreprises relevant de la directive NFRD et entre 1,2 milliard et 2 milliards d'euros par an pour les nouvelles entreprises concernées par la directive CSRD, si les normes « supprimaient complètement la nécessité de demander des informations supplémentaires aux préparateurs » selon l'exposé des motifs de la directive.
Il ne doit pas s'effectuer au détriment de la création de valeur, qui demeure l'objectif principal de l'entreprise.
Pour les entreprises, le montant de ces coûts a été évalué dans l'analyse d'impact de la Commission européenne en avril 2021, faute de l'avoir été niveau national, à partir du montant estimé des informations collectées dans le cadre de la directive NFRD. Le coût moyen de la préparation de l'entreprise à la directive CSRD pourrait évoluer entre 40 000 € et 320 000 €, auxquels s'ajoutent des coûts moyens annuels d'audit qui pourraient s'élever entre 67 000 € et 540 000 €. A ces coûts s'ajoutent, d'une part, ceux de la mise à jour des systèmes d'information des sociétés pour industrialiser le traitement des données et, d'autre part, ceux de l'assurance. Ces montants, calculés en novembre 202227(*) sur la base de la première proposition, très détaillée, de l'EFRAG sont vraisemblablement surévalués, mais ils n'en demeurent pas moins très lourds financièrement.
Pour une grande d'entreprise du CAC40, le coût de la production d'information extra-financières avoisine le million d'euros. Les ETI qui sont désormais concernées par la directive CSRD pourraient débourser jusqu'à 400 000 euros, tandis qu'il coûtera pour une PME entre 5 et 10 000 euros.
B. CE QUE DOIT ÊTRE UNE MISE EN OEUVRE RÉUSSIE DE LA DIRECTIVE CSRD
La directive CSRD harmonise les obligations de transparence afin de permettre aux entreprises de sortir de la « jungle » des questionnaires et des labels en égalisant les conditions de la concurrence. C'est un facteur de compétitivité.
1. Une opportunité de renforcement de la valeur des entreprises
a) Les entreprises doivent s'approprier la directive CSRD, encore trop mal connue
L'objectif de la directive doit être bien compris : il s'agit en réalité de transformer le modèle d'affaires pour renforcer la résilience et réduire la dépendance aux ressources rares, ce qui peut conduire à relocaliser l'activité économique dans les territoires.
Selon une enquête menée par la CPME en octobre 202328(*), seules 13 % des PME et TPE disent avoir eu connaissance du reporting extra-financier et de la directive CSRD. Ils sont 22 % pour les dirigeants de PME mais seulement 8 % pour les TPE, 16 % dans l'industrie, 15 % dans les services mais seulement 9 % dans le commerce et 8 % dans le bâtiment. 48 % des dirigeants qui ont eu connaissance se déclarent « inquiets ».
La directive CSRD demeure encore mal connue des réseaux consulaires dans les territoires et reste donc mal appréhendée par les chefs d'entreprise.
Le premier enjeu de la réussite de mise en oeuvre de la directive CSRD est donc un immense effort de pédagogie qui doit mobiliser toutes les parties prenantes de l'entreprise.
Le second est de traiter de ces questions stratégiques au plus haut niveau de décision de l'entreprise car, comme l'a constaté Emmanuel Faber, président du Conseil international des normes extra-financières (International Sustainability Standards Board, ISSB)29(*) et ancien président-directeur général de Danone : « les schémas organisationnels des entreprises en matière de durabilité restent très séparés des organisations qui budgètent et qui font de la stratégie. Souvent, la durabilité est encore dans les affaires publiques ou dans les organisations de communication, voire dans les directions marketing. Elle n'est pas dans les comités exécutifs. Les choses évoluent depuis plusieurs années, et il est fondamental qu'elles continuent à évoluer. C'est à l'intérieur de chaque pays européen que se joue l'accompagnement stratégique. Aucun pays n'a la même organisation en matière de gouvernance des entreprises. C'est au sein de chaque pays qu'il faut créer l'écosystème qui permettra d'intégrer pleinement les dispositifs de durabilité dans les procédures de décision budgétaire et stratégique des entreprises ».
Pour une ETI, « la CSRD est outil de vision à 360° sur tous les risques afin de les anticiper. Elle permet de sensibiliser les CODIR30(*), de créer des commissions transversales sur de nouveaux terrains et d'assurer la survie de l'entreprise. Elle a un effet stratégique. Elle constitue une manière différente d'appréhender l'entreprise en projetant les métiers en résonance avec la société. Aux PME qui n'ont pas le temps elle offre une clé, une vision stratégique, grâce à matrice de double matérialité qui passe en revue les chaînes de valeurs et les métiers. Elle représente un outil de comparaison entre entreprises encore plus important pour les PME car les grandes entreprises ont les moyens de faire du greenwashing », selon Marie-Anne Gobert, directrice RSE, communication et affaires publiques du groupe Serfim.
La délégation recommande...
... d'inciter les entreprises à mettre les
questions ESG
au coeur des débats des instances dirigeantes des
entreprises
b) Les entreprises ont intérêt à valoriser les avantages procurés par la directive, qui excèdent ses inconvénients
Pour Jérôme Meyer, directeur général du groupe coopératif SOCAPS : « La façon de faire de la CSRD une opportunité c'est de comprendre que ce n'est pas une cible en soit mais un corpus d'indicateurs visant à mesurer la capacité de l'entreprise à concourir au bien commun. Donc plutôt que de se lamenter sur les 1000 data points, le chemin positif de tout cela c'est, à travers le dispositif existant sur étagère et peu couteux de la société à mission, de s'engager pleinement dans la transformation positive de son modèle d'affaires (son offre, son marché, son organisation) »
« En un mot : la CSRD, pour peu qu'on veuille la comprendre comme un cadre de transformation des modèles économiques des entreprises européennes, est une chance pour les entreprises françaises qui disposent d'un outil législatif permettant de « réenchanter » la CSRD et qui s'appelle en droit français la société à mission (Loi Pacte). Par ailleurs, il faut une vigilance sur la privatisation du traitement des données ».
L'information en matière de durabilité peut :
• améliorer l'accès d'une entreprise aux capitaux financiers ;
• aider les entreprises à recenser et à gérer leurs propres risques et opportunités liés aux questions de durabilité ;
• servir de base à une amélioration du dialogue social et de la communication entre les entreprises et leurs parties prenantes (salariés, clients, sous-traitants de la chaîne de valeur) ;
• aider les entreprises à améliorer leur réputation ;
• fournir des informations pertinentes et suffisantes en réduisant ainsi considérablement les demandes d'informations ad hoc.
c) La performance de l'entreprise doit s'améliorer grâce à l'analyse de « double matérialité », concept clé
La « philosophie » de la directive CSRD repose sur le concept de double matérialité.
La matérialité simple ou financière consiste à considérer les impacts potentiels des facteurs ESG sur la performance financière de l'entreprise. Le principe de la double matérialité vient compléter cette matérialité financière dite simple par une matérialité d'impact qui considère les effets de l'activité de l'entreprise sur son environnement, la nature et la société. Elle vise à amener les entreprises à assumer leurs externalités31(*) afin de s'engager vers une transformation durable de leur modèle d'affaires. En rapprochant comptabilité financière et information extra-monétaire, elle permet d'avoir une vision claire de la performance globale de l'entreprise.
L'analyse de double matérialité correspond à l'identification des enjeux de durabilité matériels pour l'entreprise (sous l'angle de la performance financière), ainsi que pour la société et l'environnement. En conséquence, cette étape représente un point de départ pour le reporting de durabilité, mais elle ne doit pas mobiliser des efforts disproportionnés par rapport aux politiques, actions et cibles liées aux enjeux de durabilité que l'entreprise a décidé de mettre en oeuvre. Ceci est particulièrement important compte tenu des résultats qui s'avèrent souvent manifestes par rapport aux secteur(s) d'activités et localisation(s) de l'entreprise.
Source : « Déployer les
ESRS : un outil de pilotage au service de la transition »,
Autorité des normes comptables, décembre 2023
En théorie, une entreprise peut indiquer que le changement climatique ne constitue pas un enjeu important pour elle, ce qui lui permettra d'écarter les normes ESRS relatives au plan de transition. Cependant, les entreprises qui usent de cette dérogation devront indiquer si et à quelle date elles adopteront un tel plan.
En réalité, le nombre d'entreprises qui tenteront d'utiliser cette échappatoire devrait toutefois être réduit tant la pression des parties prenantes sera forte pour publier des informations appropriées.
L'analyse de matérialité permet à l'entreprise de se concentrer sur les vrais enjeux qui la concernent directement. Ainsi, la directive CSRD doit être considérée comme un investissement au service d'une démarche de durabilité ambitieuse, permettant à l'entreprise d'obtenir plus facilement un financement de la part d'investisseurs de plus en plus sensibles aux critères ESG.
d) Un outil de pilotage stratégique au service de la transformation de l'entreprise
La directive CSRD n'est pas la mise en conformité avec un standard mais un outil essentiel pour la pérennité et de compétitivité à long terme. L'intégration d'enjeux de durabilité dans les stratégies des entreprises vise à renforcer leur création de valeur et les rendre plus performantes. Son processus peut être résumé en quatre « R » :
La directive CSRD impose également une mise à jour des compétences internes et des partenaires habituels de l'entreprise.
Dans les entreprises, la collecte et le traitement des données, le pilotage des indicateurs ou la rédaction du reporting vont introduire un profond changement de culture. De nombreuses directions qui s'ignoraient vont devoir travailler ensemble et se coordonner en mode projet, décloisonnant la direction RSE et la Direction des affaires financières autour des « Chief impact officer », métier émergent qui repense le business model de l'entreprise pour qu'il réponde aux enjeux ESG. Le rapport de durabilité est également un outil puissant de mobilisation des salariés.
Chez les partenaires habituels de l'entreprise (experts-comptables, commissaires aux comptes, sociétés de conseil), ces derniers devront également s'approprier les nouveaux concepts de la directive. L'audit de durabilité est en effet ouvert, à condition d'avoir été habilité par le H2A32(*) et par le COFRAC (instance qui a vocation à évaluer la compétence et l'impartialité des laboratoires et des organismes de certification ou d'inspection), mais aussi d'avoir suivi une formation de 90 heures, validée par un examen final.
Le 12 octobre 2023, le collège du H3C a validé les propositions du groupe de travail portant sur le socle de compétence et les critères à respecter dans le cadre de la future homologation. Le volume de 90 heures de formation semble toutefois insuffisant pour les professionnels éloignés de la culture de la durabilité compte tenu de la complexité du sujet. La formation initiale des experts-comptables devra être particulièrement renforcée en matière de RSE et notamment aux enjeux de la directive CSRD. Enfin, ce sont toutes les parties prenantes de l'entreprise qui doivent être davantage informées et formées sur ces deux sujets.
L'audit de durabilité s'accompagne d'une assurance limitée qui pourrait, dans le futur, être renforcée pour permettre l'émission d'une assurance raisonnable, selon l'avis technique du Haut conseil du Commissariat aux comptes de juin 2023. Le saut vers ce stade, en 2028, sera considérable, car l'absence d'inexactitudes ou anomalies importantes dans les états financiers, informations ou autres éléments faisant l'objet de la mission de l'auditeur devra être établi. Au niveau international, l'International Auditing and Assurance Standards Board (IAASB)33(*) est en train d'élaborer une nouvelle norme globale pour l'assurance des rapports de durabilité avec l' International Standard on Sustainability Assurance 5000, d'ici décembre 2024.
La délégation recommande...
...d'accélérer et d'amplifier la formation des parties prenantes à la directive CSRD34(*), notamment en renforçant la formation initiale des experts-comptables
2. Un facteur d'attractivité pour les entreprises engagées
La bonne application de la directive par l'engagement de l'entreprise sur le chemin de la RSE pourrait également se traduire par une attractivité plus grande notamment auprès des jeunes salariés, davantage sensibilisés aux enjeux ESG. La durabilité est un moyen de favoriser les recrutements et de les pérenniser, en donnant du sens à l'entreprise.
3. Une mise en oeuvre progressive et proportionnée d'un narratif
L'assouplissement réalisé sur les normes :
- est une prise de recul qui doit donner de l'élan et non retarder un processus nécessaire ;
- se heurte toutefois à la réalité des relations entre donneurs d'ordre et sous-traitants et ne constitue pas une limite suffisante aux demandes des grandes entreprises adressées à leur chaîne de valeur.
Le rapport de durabilité sera mis en oeuvre progressivement, sur cinq exercices pour les premières entreprises concernées, jusqu'en 2028 :
- les premières informations comme les bilans carbone seront nécessairement imprécises ;
- la méthodologie « pêche » encore par son imprécision, notamment pour l'impact sur la biodiversité ;
- l'information extra-financière décrit un parcours, un narratif, fondé sur une appréciation qualitative largement formatée par l'entreprise elle-même.
4. Une mobilisation des fédérations professionnelles
Sans même attendre les normes sectorielles que l'EFRAG proposera, les fédérations professionnelles ont un rôle de premier plan à jouer, tout comme les réseaux consulaires, pour s'approprier les nouvelles obligations de transparence. Or, à ce jour, elles ne sont pas assez mobilisées, comme l'on fait ressortir les auditions.
Elles doivent entreprendre rapidement une campagne de sensibilisation à destination des PME et TPE afin d'expliquer en quoi l'utilisation volontaire des normes simplifiées est un atout au service d'une démarche durable et un outil de compétitivité.
La délégation recommande...
... de mobiliser les fédérations
professionnelles afin de permettre
l'appropriation des enjeux de la directive CSRD par toutes les entreprises
et de préparer les normes sectorielles
C. UN ACCOMPAGNEMENT INSUFFISANT PAR L'ÉTAT ET LES ACTEURS PUBLICS
1. Un effort d'accompagnement sans financement
Actuellement en mode « beta », le Portail RSE né d'une collaboration entre le Ministère de l'Économie et des Finances et l'incubateur des services numériques, offre aux entreprises la possibilité de se renseigner sur ses obligations et de s'y conformer directement sur la plateforme ou en étant redirigé vers les plateformes ministérielles adéquates. À terme, elle doit proposer aux entreprises un espace unique gratuit pour renseigner leurs indicateurs ESG (Environnement, Social, Gouvernance) et piloter leurs obligations extra-financières.
L'ADEME déploie la campagne « Épargnons l'avenir » afin d'accompagner les conseillers et les épargnants sur l'expression des préférences de durabilité, dans le cadre du projet européen Finance ClimAct. L'agence joue un rôle central pour aider les entreprises à classer les émissions de gaz à effet de serre (GES) dans les scopes 1, 2 et 3 et d'établir le bilan carbone d'une entreprise ou d'un produit. Elle propose des aides financières mais celles-ci sont mal connues. Bpifrance propose également un diagnostic de décarbonation.
Pour sa part, l'Autorité des normes comptables a publié en décembre 2023 un guide pédagogique pour aider au déploiement des ESRS, dont la lecture demeure toutefois encore complexe pour les PME, et CCI France a publié en avril 2023 un premier rapport. L'EFRAG a mis en consultation en février 2024 des guides d'interprétation, le premier sur l'analyse de matérialité, le second sur le traitement de la chaîne de valeur, le troisième recensant l'ensemble des points de données.
Aucun accompagnement public pour financer la pédagogie en direction des entreprises n'est pour l'instant prévu, les laissant seules face aux marchands de la complexité. L'accompagnement devrait cibler en priorité les ETI nouvellement concernées par la directive pour lesquelles celle-ci représente un « saut quantique » selon un dirigeant auditionné.
C'est la raison pour laquelle les initiatives privées lucratives ou non lucratives sont particulièrement utiles, notamment pour mesurer les performances environnementales des 4 millions de TPE et de PME qui ne savent pas le calculer. Cette situation constitue un handicap pour elles et pour la collectivité car elles risquent d'être prises à contre-pied par la transition carbone et les demandes croissante des clients.
La start-up La Société Nouvelle propose ainsi un calculateur original permettant à n'importe quelle entreprise de calculer son empreinte carbone. La communauté « Carbones sur factures », propose gratuitement une mesure environnementale comptable qui : « mesure les performances carbone d'une entreprise (le poids en carbones de ses produits et sa contribution annuelle à la décarbonation collective) à partir de sources officielles. L'entreprise la répercute à ses partenaires sur ses factures et ses comptes, pour les aider à mesurer leurs propres performances. Facile à auditer, elle est comparable entre des produits ou des placements concurrents. La grande majorité des entreprises peuvent les obtenir gratuitement en répondant à une demi-douzaine de questions simples chaque année ». L'approche a été saluée positivement par le rapport Pisani-Ferry Mahfouz de France Stratégie sur le financement de la transition climatique et dans une publication de l'Insee de Sylvain Larrieu sur les statistiques qui accompagnent la transition climatique.
2. La commande publique comme outil d'incitation
Par ailleurs, suite à la loi sur l'industrie verte du 23 octobre 2023, un nouveau « label triple E » (excellence environnementale européenne) est en cours de création par l'AFNOR afin d'accompagner les collectivités locales dans leur décision d'attribution de marchés.
Ce nouveau label devra démontrer une réelle valeur ajoutée et ne pas ajouter de la complexité inutile.
Il devrait en priorité faciliter l'accès à la commande publique des entreprises les plus vertueuses en matière de durabilité. La commande publique doit en effet constituer un levier pour diffuser plus largement les RSE comme l'avait préconisé la délégation aux Entreprises dès son rapport de juin 2020. Or, la commande publique ne peut que promouvoir un produit « vert » et non une entreprise « verte ». Il serait nécessaire de promouvoir l'écoéquivalence.
De trop nombreuses obligations, notamment déclaratives, existent déjà et participent de la complexité de la commande publique avec un effet d'éviction des PME.
Il conviendrait d'inciter les acheteurs publics à veiller à ce que les critères qu'ils adoptent soient alignés avec la CSRD et n'ajoutent pas de complexité pour les entreprises qui y sont déjà soumises.
La délégation recommande...
... d'obliger la commande publique à
intégrer davantage la CSRD
dans les critères de choix, afin de
récompenser les entreprises les plus vertueuses dans leur
démarche RSE
3. Utiliser la CSRD pour simplifier ?
Paradoxalement, la directive CSRD pourrait devenir un outil de simplification au service des entreprises si l'administration a, demain, l'obligation de consulter les informations extra-financières contenues dans le rapport de durabilité avant de demander à l'entreprise les mêmes informations. Serait ainsi étendu aux entreprises le principe du « dites-le nous une fois », introduit en 2018 par la loi pour un État au service d'une société de confiance. Le Portail RSE, en construction, devrait ainsi être alimenté à partir de la base de données économiques, sociales et environnementales (BDESE), obligatoire pour les entreprises de plus de 50 salariés.
De même, les entreprises devraient être désormais protégées des demandes d'information abusives en excipant de la directive CSRD, puisque les ESRS constitueront un « guichet unique », offrant aux entreprises une solution unique qui répond aux besoins d'information des investisseurs et des autres parties prenantes.
Un éventuel projet de loi de simplification pourrait permettre de préciser la portée de cette simplification.
La délégation recommande...
... de simplifier en instaurant une obligation, pour l'administration, de consulter les informations extra-financières contenues dans le rapport de durabilité avant de demander à l'entreprise ces informations
D. UNE INTEROPÉRABILITÉ INDISPENSABLE AVEC LES NORMES AMÉRICAINES
L'Union européenne avait accepté de se soumettre aux acteurs américains en matière comptable, en imposant aux entreprises européennes, pour leurs comptes consolidés, les normes de l'International Financial Reporting Standards (IFRS)35(*) d'origine américaine. La répétition de cette soumission en matière de données environnementales serait « une erreur stratégique »36(*).
Les normes d'information en matière de durabilité de l'International sustainability standards board (ISSB) ont été publiées le 26 juin 2023. La norme IFRS S1, s'appuyant sur les normes comptables internationales, les étend au domaine extra-financier et établit ainsi la grammaire et le lexique de ce nouveau langage, l'ouvrant dans l'espace (l'ensemble des chaînes de valeur des entreprises) et dans le temps (horizon court, moyen et long terme). La norme IFRS S2 présente les informations spécifiques liées au climat et est conçue en application et sur la base de IFRS S1.
Ces normes ISSB sont conçues « pour que ces informations soient fournies en même temps que leurs informations financières (et dans le même rapport). Les normes ont été développées pour être utilisées en conjonction avec les exigences en matière de comptabilité. Elles s'appuient également sur les concepts qui soutiennent les normes de comptabilité de l'IFRS, en vigueur dans plus de 140 pays ». Elles « peuvent être appliquées dans le monde entier, créant ainsi une base de référence véritablement mondiale ».
Si les normes américaines l'emportaient, « on s'en tiendra à quelques indicateurs d'empreinte, indispensables pour évaluer les prélèvements physiques sur l'environnement (carbone émis, eau utilisée, sols pollués, déchets traités, matières recyclées...), pour apprécier l'approche respectueuse du capital humain, ou encore la contribution fiscale et volontaire assumée par l'entreprise », selon Patrick d'Humières président de la Commission nationale de normalisation, développement durable et responsabilité sociétale de l'Afnor37(*).
Une guerre des normes de durabilité aurait pu être engagée, mais le dialogue et la coopération semblent prévaloir. Les deux parties privilégient l'interopérabilité de leurs normes respectives.
Pour sa part, la délégation aux Entreprises du Sénat avait milité, dans son rapport du 27 octobre 202238(*), en faveur de l'harmonisation des standards en promouvant le concept de double matérialité, financière et extra-financière.
« J'ai entendu des voix s'élever pour dire que la matérialité d'impact était naïve et simpliste. Permettez-moi de partager quelques réflexions sur le sujet. Tout le monde est d'accord pour dire que la matérialité est financière. C'est même reconnu par la loi européenne et les standards de reporting de durabilité. Par ailleurs, le niveau de convergence est très élevé, sur le segment matérialité financière pour les questions climatiques, entre les normes de l'EFRAG et celles de l'ISSB. On ne peut que s'en féliciter. Ce n'est pas le fruit du hasard, mais du travail acharné des deux institutions. Enfin, la matérialité d'impact n'est pas plus ou moins simpliste et naïve que la matérialité financière. Ces deux matérialités sont comparables dans la manière dont elles impactent le monde. Les informations qu'elles contiennent ne sont pas suffisantes par elles-mêmes pour avoir un impact. Prenez les actifs d'énergie fossile échoués. À terme, ces réserves perdront toute leur valeur. Ce n'est pas neutre sur le plan financier. Ce fait technique est reconnu par les spécialistes. Or la comptabilité financière valorise ces réserves à la hausse car elle se base sur leur valeur de marché. La matérialité financière, en reporting de durabilité, n'a pas plus d'impact sur les marchés financiers aujourd'hui que la matérialité d'impact ne peut en avoir.
Le reporting de durabilité est donc indispensable et il n'y a aucune raison d'opposer la double matérialité de la CSRD et la matérialité financière. Il serait naïf de croire que la seule information sera suffisante. Pour la dimension financière, nous devons réconcilier les horizons de temps. Pour la dimension matérialité d'impact, nous avons besoin de politiques publiques adéquates. La plus grande erreur serait d'opposer l'économie et la durabilité, alors qu'il s'agit du même sujet ».
Thierry Philipponnat, chef économiste à
Finance Watch,
table ronde organisée par la délégation
aux Entreprises le 14 décembre 2023.
La Commission européenne oeuvre ainsi pour favoriser l'interopérabilité des ESRS avec les autres initiatives normatives internationales, notamment avec celles de l'ISSB. Un tableau de correspondance entre les deux premières normes internationales IFRS et les ESRS a été publié le 23 août 2023. Le niveau de convergence est très élevé, sur le segment matérialité financière pour les questions climatiques, entre les normes de l'EFRAG et celles de l'ISSB.
Le 4 septembre 2023, l'EFRAG a également signé un protocole d'interopérabilité avec la Global Reporting Initiative (GRI), fondation indépendante de normalisation volontaire au niveau international.
Entendu le 14 décembre 2023, Patrick de Cambourg, président du Sustainability Reporting Board de l'EFRAG (European Financial Reporting Advisory Group), a estimé que : « pour éviter les rapports multiples, l'Europe s'est efforcée d'intégrer les avancées qui étaient en cours à l'ISSB. Nous avons le sentiment que les entreprises européennes qui prépareront des rapports en application des ESRS incorporeront la quasi-totalité des informations qui seraient requises au plan international. La perspective de l'ISSB est donc intégrée dans la perspective européenne ».
Pour Finance Watch, « le reporting de durabilité est donc indispensable et il n'y a aucune raison d'opposer la double matérialité de la CSRD et la matérialité financière. Il serait naïf de croire que la seule information sera suffisante. Pour la dimension financière, nous devons réconcilier les horizons de temps. Pour la dimension matérialité d'impact, nous avons besoin de politiques publiques adéquates. La plus grande erreur serait d'opposer l'économie et la durabilité, alors qu'il s'agit du même sujet ».
Enfin, pour Emmanuel Faber, président de l'ISSB (International Sustainability Standards Board) : « dans le système comptable actuel, nous ne comptons pas tout ce qui compte, et pas dans les bons horizons. Le projet, en matérialité économique, de l'ISSB consiste à éclairer les informations sur la totalité des chaînes de valeur à court, moyen et long terme. Les actifs échoués apparaîtront car nous demandons, comme le fait la directive CSRD, que les impacts de ces éléments sur les comptes financiers d'aujourd'hui et de demain soient clarifiés. Les intangibles représentent la plus grande partie des bilans des grandes entreprises, notamment cotées, à commencer par les survaleurs des acquisitions, sur lesquelles les entreprises font des paris à très long terme. Les entreprises ne sont donc pas incapables de regarder le long terme ; elles sont incapables d'intégrer les scénarios climat dans un dispositif stratégique qui les amènerait à réviser la valeur des actifs qu'elles ont comptabilisés ».
E. UNE ÉVALUATION NÉCESSAIRE DE L'IMPACT DE LA DIRECTIVE
Bien que l'impact de la directive CSRD n'ait pas été évalué ex ante, une évaluation ex post est nécessaire avant la révision de la directive prévue en 2029. Cette évaluation devant être réalisée au niveau européen, un volet national serait nécessaire.
Sans attendre 2028, une évaluation qualitative pourrait être effectuée fin 2024 avec l'ensemble des organisations d'employeurs afin de recueillir, par catégorie d'entreprise, les constats dressés par les entreprises et se doter d'une estimation des coûts engendrés par la mise en oeuvre (prestations, ETP mobilisés etc...).
La délégation recommande...
... d'évaluer au niveau national l'impact de l'application de la directive CSRD d'ici 2028, avec un point d'étape fin 2024 et la fin du premier semestre 2025
IV. APRÈS LA DIRECTIVE CSRD, UNE PAUSE S'IMPOSE
Le processus normatif de l'Union européenne ne s'arrête pas à la directive CSRD.
A. RÉVISION DE LA DIRECTIVE SFDR : ALIGNER LE FINANCIER ET LE NON-FINANCIER
La directive CSRD conduit à réviser la directive SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation) afin d'aligner les réglementations non financières et financières et de définir des exigences minimales fondamentales pour faire franchir à la finance durable une nouvelle étape.
Le souci d'allégement doit également concerner les informations à fournir par les institutions financières, car cette complexité risque de dissuader les investisseurs de réaffecter leur épargne vers une économie plus durable au lieu de les aider à déterminer des préférences claires en matière de durabilité.
B. DIRECTIVE « DEVOIR DE VIGILANCE » : PRENDRE LE TEMPS DE LA RÉFLEXION
Inspirée par la loi française du 27 mars 2017, la proposition de directive relative au devoir de vigilance raisonnable en matière de développement durable des entreprises, dite directive CSDD (Corporate Sustainability Due Diligence), doit articuler le plan de vigilance que les entreprises concernées doivent adopter et le rapport de durabilité.
Elle traite des risques de violations des droits humains et environnementaux tout au long de la chaîne de valeur. La proposition de directive prévoit qu'une entreprise peut désormais être tenue juridiquement responsable si l'un de ses fournisseurs habituels ne respecte pas les normes du droit du travail ou si ses activités portent atteinte à l'environnement. Les sociétés qui ne respecteraient pas les règles pourraient se voir infliger des amendes allant jusqu'à 5 % de leur chiffre d'affaires mondial.
La résolution européenne du Sénat du 1er août 2022 a regretté que la lutte contre le changement climatique ne figure plus dans l'annexe de la proposition de directive et ne relève donc pas du périmètre du devoir de vigilance, « alors que certaines activités ont incontestablement des effets négatifs en matière climatique ». Elle a souhaité qu'un « lien plus précis soit établi entre le devoir de vigilance et la lutte contre le changement climatique ». Elle demande par ailleurs que les obligations des PME en matière de durabilité soient proportionnées à leurs ressources et prioritairement centrées sur les incidences négatives réelles de leurs activités.
Par ailleurs, la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale a adopté, le 28 juin 2023, un avis politique, au titre de l'article 88-4 de la Constitution.
La directive est toujours en cours de négociation, et le secteur financier a été inclus, par le Parlement européen, de son champ contrairement à la proposition du Conseil européen, même si leurs obligations sont allégées.
La coordination avec la directive CSRD doit être maximale afin de ne pas surajouter de complexité, d'autant plus que le régime de responsabilité est source de contentieux compte tenu de l'articulation des responsabilités entre la société mère et ses filiales, évoqué dans un rapport du Haut Comité Juridique de la Place Financière de Paris.
Pour la rapporteure Marion Canalès, ce projet de directive s'inscrit toutefois dans le prolongement logique de la directive CSRD. La future directive devra veiller à ce que les entreprises, y compris les entreprises de services financiers, exercent le devoir de vigilance en matière d'environnement, de gouvernance et de droits humains sur l'ensemble de leur chaîne de valeur, y compris en dehors de l'Europe. La « pause » normative devrait donc s'appliquer après l'adoption de cette directive, corollaire de la directive CSRD en matière de reporting.
La délégation recommande...
... d'aligner la définition du risque
climatique
si ce dernier est intégré au champ du devoir de
vigilance
La consultation des représentants des entreprises devra être approfondie d'autant que l'adoption de la proposition de directive a été retardée à l'initiative de l'Allemagne et, qu'en France, sa complexité a suscité des inquiétudes qui se sont exprimées après l'adoption du rapport par la délégation aux Entreprises.
Le MEDEF, dans un communiqué du 8 février 2024 a exprimé de « vives préoccupations » et demandé à « poursuivre les discussions », car la proposition de directive « ne prend pas en compte l'environnement souvent complexe dans lequel les entreprises opèrent. Aucune entreprise, quelle que soit sa taille, n'est aujourd'hui réellement en mesure de contrôler l'entièreté de sa chaîne de valeur ou d'activités. Les impacts opérationnels et financiers de ce texte sur nos entreprises sont difficilement mesurables et de ce fait, n'ont pas été sérieusement évalués par une étude d'impact ». Il considère que l'approche répressive adoptée par le texte expose les entreprises européennes à des risques de sanctions éliminatoires, « entravant sérieusement la compétitivité européenne ». Dans un contexte international où les tensions sont de plus en plus exacerbées, « l'Europe se distingue encore une fois en produisant des normes sans envisager les conséquences concrètes pour ses entreprises ».
La CPME a considéré, dans un communiqué du 13 février 2024, que « la volonté de supprimer les impacts négatifs que certaines activités peuvent générer sur les droits de l'homme, les droits sociaux, l'environnement et le changement climatique est parfaitement compréhensible. En revanche, les modalités pour y parvenir ne sont pas, en l'état, acceptables ». Elle juge que les dispositions incluses dans cette proposition de directive, qui compte près de 500 pages, « imposeraient une très lourde charge administrative aux PME, à rebours de tous les grands discours actuels sur la simplification ». Comme pour la directive CSRD, les PME, même si elles ne sont pas directement visées, seraient mécaniquement affectées du fait de leur appartenance à une chaîne de valeur et contraintes d'effectuer un reporting à la demande de leurs partenaires commerciaux, sous peine d'être évincées des marchés. La CMPE demande donc « d'introduire des simplifications et des mesures d'accompagnement en faveur des PME. Il serait totalement incohérent de plaider en faveur de mesures de simplification en France et d'agir à Bruxelles pour complexifier davantage encore la vie des entreprises ».
C. COTATION CLIMAT DE LA BANQUE DE FRANCE : S'ALIGNER SUR LA CSRD
Le 12 juillet 2023, le comité du financement de la transition écologique a décidé de définir un mécanisme national d'indicateur climat des entreprises, porté par la Banque de France en partenariat avec l'Ademe. Introduit par amendement et donc sans étude d'impact, l'article 33 de la loi du 23 octobre 2023 relative à l'industrie verte autorise la Banque de France à recueillir des données d'entreprises liées aux enjeux de durabilité, afin de produire un « indicateur climat » à disposition des entreprises et des acteurs financiers. L'objectif est de faciliter la compréhension par les banques de l'impact des entreprises sur les enjeux environnementaux.
Cet indicateur climat pourrait être intégré dans le système de cotation de la Banque de France et, partant, conditionner l'accès au financement des entreprises. En effet, la Banque centrale européenne requiert que les banques centrales nationales bénéficiant du statut ICAS (in-house credit assesment system), élaborent des standards minimums d'intégration des risques climatiques dans la cotation financière. La Banque de France a entamé des travaux en ce sens pour se conformer à ses statuts européens. Cela permettrait par ailleurs à celle-ci de devenir tiers collecteur dans le cadre du programme ESAP ( European Single Access Point), point d'accès unique aux données des services financiers sur la finance durable.
Après un test réussi sur 500 entreprises, le déploiement de cette cotation est progressif et débute en 2024 avec trois secteurs à forts enjeux de transition : production d'électricité, foncier, transports. Les 300 000 entreprises cotées par la Banque de France devraient intégrer cet indicateur en 2030. Afin qu'elle ne représente pas une charge nouvelle sur les entreprises, il est indispensable de garantir un maximum d'interopérabilité entre cette cotation et les indicateurs de la directive CSRD.
La délégation recommande...
... d'aligner le futur Indicateur climat de la Banque
de France
sur la directive CSRD en le construisant après une large
concertation
avec les représentants des entreprises.
EXAMEN EN DÉLÉGATION
Lors de sa réunion du 7 février 2024, la délégation aux Entreprises a autorisé la publication du présent rapport.
M. Olivier Rietmann, président. - Mes chers Collègues, nous sommes réunis pour examiner le rapport de nos collègues Anne-Sophie Romagny et Marion Canalès, auxquelles nous avions confié une mission flash. Cette mission a été décidée alors que de nombreuses entreprises ont alerté la délégation en dénonçant la complexité et le coût, notamment pour les entreprises de taille intermédiaire (ETI) et les petites et moyennes entreprises (PME), de la directive relative au reporting en matière d'information extra-financière.
Nos deux collègues ont travaillé de façon intense pour appréhender le contenu de cette directive, en analyser la portée concrète pour les entreprises et définir des propositions pragmatiques et adaptées à la vie des PME. Nous avons même organisé une séance d'information avec la compagnie nationale des commissaires aux comptes afin de passer en revue toutes les questions techniques qui méritaient un approfondissement particulier.
Je leur laisse la parole pour présenter leurs conclusions à l'issue de ce travail de fond.
Mme Anne-Sophie Romagny, rapporteur. - Au préalable, je souligne que ni Madame Canalès, ni moi-même n'avions jamais entendu parler de cette directive, certes très récente. Nous avons donc été d'une totale impartialité en nous mettant à la place d'un entrepreneur qui découvre cette directive. D'après un sondage qui sera bientôt publié, 87 % des dirigeants de PME n'ont jamais entendu parler de la directive CSRD. Le principe que véhicule cette directive n'est pas une obligation à se conformer à l'ensemble des demandes d'information. Les entreprises ont le choix de se soustraire à certaines d'entre elles, en justifiant leur choix. Nous sommes donc confrontés au droit souple.
Nos premières auditions ont pu nous inquiéter. S'agissait-il d'une norme de plus ? D'une complexité nouvelle à la charge des entreprises ? Les auditions ultérieures ont montré que cette complexité n'était pas nouvelle, qu'elle n'était pas insurmontable et que le processus induit par cette directive était finalement vertueux pour nos entreprises.
La CSRD, pour Corporate Sustainability Reporting Directive, instaure un nouveau cadre normatif pour le rapport extra-financier, ou rapport de durabilité. Tous les acteurs du monde économique s'accordent pour lui prêter une importance majeure. Elle participe de la modification profonde du modèle de l'entreprise. Elle s'inscrit dans la lignée de la loi PACTE de 2019, qui impose dorénavant à chaque société, civile comme commerciale, d'être gérée « en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ».
La directive concerne ce qui, jusqu'à présent, n'apparaissait pas au bilan des entreprises et qui, pourtant, représente les deux tiers de leur valeur, à savoir l'immatériel et les enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Cela remet en cause la vision comptable actuelle : pour créer de la valeur, l'entreprise doit renforcer sa communication avec l'ensemble des parties prenantes, c'est-à-dire renforcer son capital relationnel avec ses clients et ses fournisseurs, la gestion de son capital humain en motivant et en impliquant ses salariés et optimiser la gestion de ses données, son capital structurel. L'objectif est ainsi de valoriser ce capital immatériel en le transformant en data. Comme nous le disait Philippe Dessertine le 21 janvier dernier : « demain, la valeur des entreprises sera fondée sur leur capacité à produire de la data fiable et claire. »
Cette directive inscrit donc la vision de l'entreprise européenne dans la dynamique économique de demain et en fait l'un des principaux acteurs de la lutte contre le réchauffement climatique. Cette approche sera approfondie par la prochaine mission de notre délégation, qui sera consacrée à la thématique « entreprises et climat ».
L'objectif de la CSRD est de publier de l'information, et non d'agir immédiatement, en matière de durabilité. Sa forme est donc narrative et qualitative : il s'agit d'expliquer concrètement comment l'entreprise compte s'y prendre pour atteindre les objectifs qu'elle se fixe. Au-delà de la simple conformité à un standard, cette démarche représente un outil essentiel pour la pérennité et la compétitivité à long terme. L'intégration d'enjeux de durabilité dans les stratégies des PME vise à renforcer la création de valeur des entreprises et les rendre plus performantes avec :
- la transformation du modèle d'affaires pour être plus résilient et moins dépendant face à la raréfaction des ressources, en se relocalisant et en anticipant les éventuelles évolutions de réglementations ;
- l'alignement avec les demandes des parties prenantes ;
- l'attractivité et la rétention des talents ;
- l'amélioration de l'image et de la réputation ;
- la facilitation de l'obtention de financements en attirant les investisseurs.
Quelle est la situation actuelle ?
En premier lieu, l'information extra-financière est de plus en plus demandée aux entreprises par les parties prenantes (investisseurs, donneurs d'ordres, ONG, labélisateurs...). C'est une jungle. Les entreprises passent un temps considérable à répondre à des questionnaires qui ne sont pas harmonisés. Pourtant, la transmission de ces informations est devenue une véritable obligation économique et financière. La directive CSRD ne créée pas la norme ; elle norme l'information demandée par le marché aux entreprises et elle structure la data indispensable à la valorisation économique de demain.
Par ailleurs, l'information extra-financière est déjà produite depuis 2001 en France par les 3 800 plus grandes entreprises dans leur déclaration de performance extra-financière. En outre, de plus en plus de PME publient ces informations de façon volontaire pour répondre aux demandes de leurs financeurs ou de leurs donneurs d'ordres.
Cette obligation nationale est devenue européenne avec la directive Non Financial Reporting Directive (NFRD) de 2014, qui impose une déclaration de performance extra-financière chaque année aux entreprises de plus de 500 employés. Se limitant le plus souvent à un exercice de conformité vis-à-vis de standards peu contraignants, cette déclaration entraînait une non-comparabilité des performances entre sociétés du même secteur. Dans ce contexte, la directive CSRD permet d'éviter un dumping intra-européen résultant d'un « moins-disant ESG » entre entreprises européennes.
Enfin, jamais le décalage entre les engagements environnementaux des entreprises et les actions concrètes pour les atteindre n'a été aussi visible qu'aujourd'hui. Alors que la plupart des grandes entreprises annoncent des objectifs de neutralité carbone en 2050, les tendances observables sont très hétérogènes. Les feuilles de route censées répertorier les actions qui permettront d'atteindre cette neutralité carbone font le plus souvent défaut. Ce décalage entre promesses et réalisations suscite le scepticisme des parties prenantes et l'accusation de social washing ou de greenwashing. Il se traduit par la multiplication des poursuites en justice par des citoyens et des ONG pour inaction climatique. Ainsi, Shell a été condamné aux Pays-Bas en 2021 à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 45 % d'ici à 2030. Dans le monde, 2 500 procès climatiques sont en cours à l'encontre des entreprises.
Mme Marion Canalès, rapporteure. - Dans une telle situation, le green deal de l'Union européenne de 2019, qui est un plan ambitieux visant notamment la neutralité carbone en 2050, ne peut pas être crédible.
À cet enjeu de crédibilité s'ajoute un enjeu de normalisation mondiale. En 2010, l'Union européenne avait accepté de se soumettre aux acteurs américains en matière comptable en imposant à ses entreprises, pour leurs comptes consolidés, les normes IFRS. La répétition de cette soumission pour les données environnementales serait une erreur stratégique. L'Europe perdrait l'avance dont elle dispose. Une véritable bataille des normes internationales se joue entre d'un côté la CSRD européenne, avec sa double matérialité, et d'un autre côté la norme anglo-saxonne ISSB, qui s'en tient à une logique de matérialité financière simple. Pour l'environnement comme pour la compétitivité de nos entreprises, il est important d'affirmer l'importance de la norme européenne. Cette norme contraignante nécessitera des efforts à court terme, mais ce sera une manière de préparer nos entreprises aux standards qui seront ceux des marchés financiers de demain.
Cette directive est une première étape. Elle ne sera pas suffisante. Tout le monde doit se saisir des indicateurs harmonisés qui seront demandés aux entreprises. L'ensemble des acteurs concernés (investisseurs, consultants, ONG, consommateurs, pouvoirs publics...) doivent se saisir des informations produites pour inciter les entreprises à adopter des stratégies plus durables et plus soutenables qui, quoi qu'il arrive, seront demandées par les marchés financiers à terme.
La directive CSRD se compose de trois éléments principaux.
Premièrement, un élargissement du périmètre. À terme, près de 50 000 sociétés seront concernées en Europe, représentant 75 % du chiffre d'affaires européen. Les grandes entreprises françaises le pratiquent depuis 2001. En revanche, le saut sera important pour les ETI et les PME cotées. Il se pourrait que cela accélère le départ de ces dernières du marché boursier, pour ne pas être soumises immédiatement à la CSRD. Ce risque a été évoqué. Ce ne serait que reculer pour, quoi qu'il arrive, sauter.
Deuxièmement, un cadre normatif avec des normes de durabilité intégrant les trois thématiques ESG (environnement, social et gouvernance). Les entreprises françaises fournissent déjà la majorité de ces informations à l'État. L'effort sera donc relativement limité. La nouveauté réside plutôt dans l'analyse de la double matérialité. La matérialité simple, ou financière, consiste à considérer les impacts potentiels des facteurs ESG sur la performance financière de l'entreprise. Le principe de la double matérialité est de compléter cette projection financière par une matérialité d'impact qui considère les effets de l'activité de l'entreprise sur son environnement, la nature et la société. Elle vise à amener les entreprises à assumer leurs externalités afin de s'engager dans une transformation durable de leur modèle d'affaires. En rapprochant comptabilité financière et informations extra-monétaires, elle permet d'avoir une vision claire de la performance globale de l'entreprise. Les entreprises ne déclareront que les informations qu'elles jugent pertinentes concernant l'impact de leurs activités. Les entreprises qui affirmeront que le changement climatique n'est pas matériel devront publier une justification. Elles jugeront donc d'elles-mêmes si elles veulent communiquer sur les autres normes, sans avoir besoin de justifier leur choix. L'analyse de la matérialité permettra aux entreprises de se concentrer sur les vrais enjeux qui les concernent.
Troisièmement, une vérification obligatoire par un commissaire aux comptes ou un vérificateur indépendant, avec d'abord une assurance limitée, puis une assurance raisonnable en 2028.
L'application de ces normes aux 7 000 entreprises françaises sera progressive. Aux 3 800 grandes entreprises déjà soumises à la directive NFRD en 2025 s'ajouteront toutes les autres grandes entreprises en 2026, soit 3 000, puis 100 PME cotées en bourse en 2027 et, enfin, les filiales des entreprises non-européennes en 2028. Il s'agit d'un champ en apparence marginal au regard des 4 millions d'entreprises françaises. Cependant, beaucoup de PME sont déjà questionnées, et la directive CSRD doit harmoniser ces demandes d'informations. Or, ce qui a été produit par les institutions européennes est complexe, même si cette complexité a été en partie allégée.
La CSRD prévoit la création de normes de reporting permettant d'harmoniser les publications des sociétés. Ces normes seront progressivement adoptées par voie d'actes délégués. Elles sont de plusieurs types :
- des normes universelles applicables à toutes les sociétés ;
- des normes spécifiques pour les PME cotées sur les marchés réglementés ;
- des normes sectorielles à partir de 2026.
La Commission européenne a mandaté l'EFRAG, Groupe consultatif européen sur l'information financière (en anglais, European Financial Reporting Advisory Group) qui est constitué de beaucoup d'experts de l'audit, mais pas assez de représentants des entreprises. Le résultat de l'acte délégué du 31 juillet 2023 est une annexe de 277 pages avec 82 exigences de publication et 1 198 points de données. Cependant, la Commission européenne a reconnu la complexité du sujet. Elle a décidé d'un allègement du dispositif par rapport au projet initial qui comportait 2 000 points de données, en réduisant le nombre d'exigences d'information de 40 % et le nombre de points de données d'environ 50 %. Par ailleurs, les seuils utilisés pour définir une grande entreprise ont été augmentés par une directive du 17 octobre 2023. Enfin, l'adoption des normes sectorielles a été décalé à 2026.
Mme Anne-Sophie Romagny, rapporteur. - En réalité, de nombreuses PME seront concernées par la CSRD, même en étant exclues du champ réglementaire d'application de la directive. En effet, la publication d'informations concerne la chaîne d'approvisionnement et de sous-traitance. Les entreprises devront déployer des efforts « raisonnables » pour obtenir ces informations. Nous recommandons vivement que ces normes restent simples et raisonnables, pour entraîner les dirigeants de PME et éviter le rejet d'un dispositif qui serait perçu comme une usine à gaz. Nous souhaitons également que ces normes fassent au préalable l'objet de « tests PME ».
Même allégées, les normes ESRS (European Sustainability Reporting Standards) ne sont pas, au stade actuel, à la portée de toutes les entreprises, et principalement de la plupart des ETI. Tous les experts que nous avons entendus en conviennent : il s'agit de normes qui parlent davantage aux cabinets d'audit. C'est la raison pour laquelle nous recommandons de traduire les éléments clés de la directive CSRD et les ESRS en un langage clair, accessible et compréhensible par les dirigeants d'entreprise de toutes catégories, diffusé à travers les réseaux consulaires et par les organisations représentatives.
Sans même attendre les normes sectorielles de l'EFRAG, les fédérations professionnelles ont un rôle de premier plan à jouer pour s'approprier les nouvelles obligations de transparence. À ce jour, elles ne sont pas assez mobilisées. Elles doivent entreprendre rapidement une campagne de sensibilisation à destination des PME et TPE afin d'expliquer en quoi l'utilisation volontaire des normes simplifiées est un atout au service d'une démarche durable et un outil de compétitivité. Nous recommandons donc de mobiliser les fédérations professionnelles afin de permettre l'appropriation des enjeux de la directive CSRD par toutes les entreprises.
Cet effort de simplification et de pédagogie doit être poursuivi dans un environnement normatif stable. Nous recommandons donc que le champ des informations extra-financières soit gelé jusqu'en 2028, date d'application complète de la directive. Depuis 2001, la déclaration de performance extra-financière a subi 21 modifications et ajouts, ainsi que 3 surtranspositions, bien que marginales. La surtransposition doit faire l'objet d'une vigilance accrue.
La directive peut être perçue, dans un premier temps, comme un exercice de conformité, le dirigeant confiant le recollement des informations à un stagiaire ou cantonnant les enjeux ESG à sa direction de la communication. Sa complexité peut dérouter, voire rebuter. Pourtant, elle doit conduire au changement dans l'entreprise pour repenser les process de production, de gouvernance et de collecte des données, former des salariés qui n'étaient pas concernés par le reporting et repenser les systèmes d'information.
Face à cette avalanche, les entreprises qui n'étaient jusque-là pas concernées devront se faire aider. En raison de sa complexité, la directive suscite un marché très convoité. Toutes les entreprises n'ont pas les compétences en interne pour la mettre en oeuvre. La tentation est donc grande d'externaliser complètement l'analyse de cette double matérialité ou le reporting annuel, qui serait ainsi effectué par des prestataires extérieurs. Outre un coût aggravé, cette démarche serait une erreur stratégique. Si l'accompagnement peut s'avérer nécessaire, l'entreprise ne doit pas déléguer ou sous-traiter totalement son audit de durabilité.
La collecte et le traitement des données, le pilotage des indicateurs et la rédaction du reporting introduiront un profond changement de culture dans les entreprises. Des directions qui s'ignoraient devront travailler ensemble et se coordonner en mode projet. Le rapport de durabilité est également un outil puissant de mobilisation des salariés, notamment les plus jeunes, qui ont besoin de trouver du sens au travail. D'ailleurs, nous recommandons que tous les comités exécutifs (ComEx) des entreprises discutent des objectifs ESG de la directive CSRD, dont ils doivent s'approprier les enjeux.
Il est important que les partenaires traditionnels de l'entreprise (experts-comptables, commissaires aux comptes) se forment non seulement pour devenir auditeurs de durabilité, mais surtout pour accompagner les entreprises au quotidien. Nous recommandons d'accélérer et d'amplifier la formation des parties prenantes à la directive CSRD, notamment en renforçant la formation initiale des experts-comptables.
Le coût de mise en oeuvre de la directive CSRD est élevé, quelle que soit la catégorie d'entreprise. Cela ne doit pas se faire au détriment de la création de valeur, qui demeure l'objectif principal de l'entreprise. Pour une grande entreprise du CAC40, le coût de la production d'informations extra-financières avoisine le million d'euros. Les ETI, qui sont désormais concernées par la directive CSRD, pourraient débourser jusqu'à 400 000 euros. Pour une PME, il en coûtera entre 5 et 10 000 euros.
Or, aucun accompagnement financier n'est prévu de la part de l'État. Un portail RSE doit offrir aux entreprises la possibilité de se renseigner sur leurs obligations et de s'y conformer directement sur la plateforme ou en étant redirigées vers les plateformes ministérielles adéquates. Ce portail n'est toujours pas opérationnel, alors qu'il y a urgence. À terme, ce guichet numérique doit proposer aux entreprises un espace unique gratuit pour renseigner leurs indicateurs ESG et piloter leurs obligations extra-financières.
Les opérateurs publics se mobilisent : l'autorité des normes comptables a publié un premier guide pédagogique, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) aide les entreprises à classer les émissions de gaz à effet de serre pour établir le bilan carbone d'une entreprise ou d'un produit, BpiFrance propose un diagnostic de décarbonation... Une démarche collaborative, « Carbone sur factures », propose gratuitement une mesure comptable des performances carbone des entreprises. Toutes ces initiatives se superposent et ne sont pas assez connues.
Suite à la loi sur l'industrie verte, un label triple E (excellence environnementale européenne) est en cours de création par l'AFNOR afin d'accompagner les collectivités locales dans leurs décisions d'attribution de marchés. Démontrera-t-il une réelle valeur ajoutée sans ajouter de complexité inutile ? Ce label devrait en priorité faciliter l'accès à la commande publique des entreprises les plus vertueuses en matière de durabilité. Le verdissement de la commande publique est un puissant outil incitatif. Toutefois, la commande publique ne peut que promouvoir un produit vert, et non une entreprise verte. Il sera nécessaire de promouvoir l'éco-équivalence.
Il existe encore des marges de progrès, notamment pour que toutes les collectivités publiques se dotent d'un schéma de promotion des achats publics socialement et économiquement responsables. De trop nombreuses obligations, notamment déclaratives, participent de la complexité de la commande publique, avec un effet d'éviction des PME. Il conviendrait d'inciter les acheteurs publics à veiller à ce que les critères qu'ils adoptent soient alignés avec la CSRD et n'ajoutent pas de complexité pour les entreprises qui y sont déjà soumises. Ainsi, nous recommandons d'obliger la commande publique à intégrer davantage la CSRD dans les critères de choix afin de récompenser les entreprises les plus vertueuses dans leur démarche RSE (responsabilité sociétale et environnementale).
De nouvelles charges sont donc imposées, ou proposées, aux entreprises. Il manque sans doute une incitation de l'État. La directive CSRD pourrait devenir un outil de simplification au service des entreprises si l'administration a, demain, l'obligation de consulter les informations extra-financières contenues dans le rapport de durabilité avant de demander à l'entreprise les mêmes informations. Le principe du « dites-le nous une fois », introduit en 2018 par la loi pour un État au service d'une société de confiance, serait ainsi étendu. Le portail RSE, qui est en construction, devrait être alimenté à partir de la base de données économiques, sociales et environnementales, qui est obligatoire pour les entreprises de plus de 50 salariés. De même, les entreprises devraient être désormais protégées des demandes d'information abusives des investisseurs et autres parties prenantes. Nous recommandons donc d'instaurer une obligation, pour l'administration, de consulter les informations extra-financières contenues dans le rapport de durabilité avant de demander ces informations à l'entreprise. Un éventuel projet de loi de simplification pourrait permettre de préciser le champ de cette simplification.
Bien que l'impact de la directive n'ait pas été évalué ex ante, une évaluation ex post est nécessaire avant sa révision prévue en 2029. Cette évaluation devrait être réalisée au niveau européen, mais un volet national est nécessaire. Une évaluation qualitative devra être engagée sans attendre 2028 si les PME rencontrent de graves difficultés dans l'application de la directive. Nous recommandons donc d'évaluer l'impact de l'application de la directive CSRD au niveau national d'ici 2028, avec un rapport d'étape sur sa mise en oeuvre dès la fin de l'année 2024.
Mme Marion Canalès, rapporteure. - Après cette directive, une pause s'impose pour les entreprises. Le processus normatif de l'Union européenne ne s'arrête pas à la directive CSRD. Toutefois, la lourdeur de celle-ci doit conduire à l'alléger et à le ralentir. Je pense notamment à la directive SFDR, qui doit aligner le financier et le non-financier. Je pense également à la directive relative au devoir de vigilance raisonnable en matière de développement durable des entreprises (CSDD), qui est en cours de négociation. La position de la résolution européenne du Sénat du 1er août 2022 doit être maintenue : nous recommandons que la définition du risque climatique, si elle est intégrée au champ du devoir de vigilance, soit alignée sur la directive CSRD.
Enfin, la cotation climat de la Banque de France, qui est en cours de préparation, pourrait être intégrée dans le système de cotation de la Banque de France et, partant, conditionner l'accès au financement des 300 000 entreprises cotées par la Banque de France. Il est indispensable de garantir un maximum d'interopérabilité entre cette cotation et les indicateurs de la CSRD. Nous recommandons donc d'aligner le futur indicateur climat de la Banque de France sur la directive CSRD en le construisant après une large concertation avec les représentants des entreprises.
En conclusion, le processus initié par la directive CSRD est vertueux pour nos entreprises. Toutefois, un tel processus prendra du temps. Il faut d'une part accompagner la montée en compétences des dirigeants et des parties prenantes, et d'autre part organiser la construction de référentiels d'évaluation sectoriels qui permettront des comparaisons. C'est à cette double condition que cette directive pourra être le levier d'une transition écologique et sociétale ambitieuse par la transformation des entreprises elles-mêmes. Autrement, la directive ne constituera qu'une nouvelle usine à gaz qui aura surtout comme conséquence de faire prospérer la compliance et les marchés du conseil, de la vérification et de l'audit. Il faut vraiment que les entreprises se saisissent du sujet.
M. Olivier Rietmann, président. - Merci pour cet important travail, qui est d'autant plus remarquable qu'il s'agit d'un sujet technique dont nous sommes peu familiers. Vous vous êtes mises dans la situation d'un patron de TPE ou de PME qui découvre ces obligations, qui peuvent paraître trop contraignantes a priori, mais qui, avec un bon accompagnement, seront certainement un atout pour la valorisation de notre tissu entrepreneurial.
Mes chers collègues, avez-vous des questions ?
M. Pierre Cuypers. - Certaines recommandations s'apparentent à des instructions. Que se passera-t-il si ces instructions ne sont pas suivies ? Seront-elles suivies de contraintes ou de pénalités ?
Mme Antoinette Guhl. - Je m'interroge sur la situation des PME. La directive sera imposée à une petite partie des entreprises, environ 7 000. Ce ne sera donc pas un indicateur universel pour toutes les entreprises, et elle n'aura pas l'impact attendu sur la commande publique ou vis-à-vis des banques. Ne faudrait-il pas créer un bilan simplifié pour les petites entreprises, de manière à ce que cet outil puisse être pris en main par toutes les entreprises et dans tous les cas ? Sinon, cet outil risque surtout de favoriser les grandes entreprises en matière de commande publique.
Mme Laurence Garnier. - Tout ce qui est imposé aux chefs d'entreprise me laisse perplexe. J'aurais bien du mal à me faire la porte-parole, auprès des fédérations professionnelles, de la nécessité de porter ce nouvel outil. La crise des agriculteurs a déjà mis en lumière le sujet des normes et des réglementations.
Les experts-comptables sont formés à la comptabilité financière. Vous avez évoqué la nécessité de faire évoluer cette profession vers le volet extra-financier, au moins par une sensibilisation. Pour autant, seront-ils vraiment les plus à même d'évaluer les impacts sur la RSE ou la biodiversité ? Ne serait-ce pas plutôt le travail d'ingénieurs environnementalistes ?
Mme Marion Canalès, rapporteure. - La main des marchés financiers est extrêmement puissante. Or les marchés financiers ont fait de ces obligations le début de leurs standards.
Les sous-traitants seront indirectement « embarqués » dans la mise en oeuvre de la directive. C'est, en tout cas, l'objectif de cet engrenage vertueux : avoir un effet levier sur la décarbonation et la transition écologique sur le plus grand nombre d'entreprises. Nous avons donc le sentiment que les sous-traitants et les soumissionnaires seront entraînés, puisque les entreprises devront justifier de leurs sous-traitants et soumissionnaires. Pour les grandes entreprises, cela représentera un important travail.
Mme Anne-Sophie Romagny, rapporteur. - Les experts-comptables suivront une formation continue de 90 heures. Cela nous semble très peu pour apprendre un nouveau métier. Dans certains pays européens, c'est moins, voire ce n'est rien du tout. Les experts-comptables français ont le sentiment d'être bien armés.
Mme Marion Canalès, rapporteure. - Il se pose aussi un problème de formation initiale. Très peu de formations, dans les écoles de commerce, portent sur l'information extra-financière des entreprises. Nous considérons qu'il existe un problème dans la formation initiale des professionnels qui accompagneront les entreprises et leurs sous-traitants.
Mme Anne-Sophie Romagny, rapporteur. - Ce ne sont pas forcément les experts-comptables qui seront les plus à même de répondre. Ce seront plutôt les commissaires aux comptes, qui sont mieux armés pour aider à mettre à oeuvre ce type de directive.
Concernant les sanctions qui pourraient être imposées, elles relèvent de l'État. De notre côté, nous ne pouvons qu'émettre des recommandations afin que le Gouvernement comprenne l'urgence. Nous n'avons pas de pouvoir sur une directive européenne. Elle s'impose à nos entreprises. Nous n'avons pas le choix. La machine est en route depuis longtemps. Nous sentons aujourd'hui une urgence à agir pour la transition écologique, le climat et les objectifs de neutralité carbone. Tout ceci pousse à une application rapide de la directive CSRD. Nous ne pouvons pas arrêter le train. Notre rôle consiste à aider les entreprises à monter dedans.
7 000 entreprises sont concernées par la directive aujourd'hui, mais il s'agit d'une première étape. Les marchés financiers feront que, tôt ou tard, tout le monde sera obligé de s'y mettre. L'allègement des normes est donc essentiel pour les petites entreprises.
M. Pierre Cuypers. - À titre personnel, je me refuse totalement à considérer que les choses sont irréversibles. Je ne peux pas accepter que nous puissions dire au Sénat que des mesures ne sont pas satisfaisantes, mais que nous ne pouvons pas faire autrement. J'aimerais que nous ayons une position beaucoup plus forte dans la conclusion du rapport. Nous n'avons pas à mettre des milliers d'entreprises en difficulté.
M. Michel Masset. - Le sujet est complexe. Je n'ai pas bien compris qui contrôle qui, et avec quelles conséquences. Tout ne semble pas complètement calé. Le sujet de la responsabilité juridique pose également question. Dans les PME, le dossier sera certainement confié à un cabinet externe. Pour autant, c'est bien le chef d'entreprise qui restera responsable. Il faut que le professionnel qui a été formé et payé pour réaliser ce travail soit impliqué.
M. Damien Michallet. - J'ai connu beaucoup de normes descendantes, qu'elles soient françaises ou européennes. Elles finissent toujours par arriver jusqu'aux plus petites entreprises. C'est également ce qu'il se passera avec la directive CSRD. Or, toutes les entreprises ne seront pas en capacité de faire face. Ces entreprises perdront des marchés. Je crains donc que cette norme ne soit surtout un outil financier et qu'elle ne mette à mal de nombreuses entreprises. Pourrions-nous indiquer dans le rapport que cette norme ne peut pas être discriminante ? Je m'interroge aussi sur l'externalisation de la norme à des cabinets externes. Qui portera la responsabilité : celui qui paie ou celui qui fait le travail ?
Mme Pauline Martin. - Je suis gênée d'entendre que cette norme s'impose à nous. Ce n'est pas conforme à l'idée que je me fais du Sénat. Il en va de notre rôle de réagir, même si la démarche est vertueuse. Nous savons combien les PME souffrent de la commande publique. En soi, les clauses d'insertion sont vertueuses, mais elles sont lourdes à appliquer. J'ai l'impression que nous replongerons dans les mêmes travers avec la CSRD. Les grandes entreprises seront en capacité de faire face à la directive, mais pas forcément leurs sous-traitants.
M. Clément Pernot. - C'est un sujet que nous devrons suivre de très près pour faire valoir la position du Sénat auprès des commissions intéressées. Je ne peux pas entendre que tout s'impose à nous et que nous ne pouvons rien faire.
Il est des PME qui vendent des produits finis, par exemple des lunettes, en faisant appel à des intervenants extérieurs chinois. Ces PME ne pourront jamais obtenir les informations demandées par la directive de leurs sous-traitants. Nous devrons être particulièrement vigilants sur le sujet de la commande publique. Il ne faudrait pas éliminer toutes les entreprises qui seront en défaut d'information, non parce qu'elles ne voudront pas la fournir, mais parce qu'elles ne pourront pas l'obtenir.
Je me méfie vraiment de ces nouvelles approches. Notre délégation devra être particulièrement vigilante. Nous sommes tous sensibles au développement de nos PME. Il faut conserver ce tissu industriel. Je demande que nous soyons régulièrement informés de l'avancée de ce dossier.
M. Emmanuel Capus. - Ce rapport arrive assez en amont. Cela doit nous permettre d'être utile dans sa mise en application. Nous pouvons identifier les problèmes avant qu'ils ne se produisent.
Avec la commission des finances, nous nous sommes rendus aux États-Unis il y a un an et demi, où nous avons rendu visite au fonds BlackRock. Pour eux, les critères ESG sont extrêmement importants. L'accès aux capitaux financiers s'en trouvera facilité. C'est cette réalité qui s'impose à nous, même si nous pouvons prévoir des garde-fous pour les entreprises en France. BlackRock considère que l'Europe est très en avance sur le sujet par rapport au reste du monde, notamment par rapport aux États-Unis. En revanche, je ne suis pas certain que nous soyons d'accord avec eux sur ce que nous entendons par critères ESG. Les critères sociaux (parité, non-discrimination...) sont très importants pour BlackRock, alors que nous sommes très focalisés sur l'environnement. Nous n'avons ni la même histoire, ni les mêmes enjeux. Nous n'avons donc pas la même approche.
Enfin, cette directive ne serait-elle pas l'occasion de donner la préférence au local, considérant qu'il est plus facile de travailler avec une entreprise locale qui fonctionne en circuit court, ce qui est plus vertueux pour la planète ?
M. Gilbert Favreau. - Je souhaite appréhender ce dossier d'une autre manière. Les normes et les complexifications imposées par les administrations sont souvent insupportables. Les agriculteurs nous l'ont encore montré récemment. Pourquoi ne pas tout simplement ajouter quelques lignes supplémentaires dans les plans comptables, qui sont suffisamment explicites et bien connus des professionnels, afin de donner très précisément les renseignements nécessaires ? Cela permettrait d'évacuer beaucoup d'intervenants et de paperasse. Alain Lambert a été chargé de la simplification des normes des collectivités territoriales. Il y travaille depuis 2018. Il n'a jamais réussi à les simplifier. Au contraire, nous faisons face à une amplification. Saisissons donc l'occasion que nous offre la directive CSRD pour simplifier.
Mme Marion Canalès, rapporteure. - Effectivement, nous nous positionnons très en amont. Nous avançons en même temps que l'application de la directive. Nous demandons un état des lieux fin 2024. Il sera absolument nécessaire de revenir sur le sujet pour en apprécier la mise en oeuvre. Parallèlement, des collègues travailleront dans le cadre de la mission d'information « Entreprises et climat ».
Mme Anne-Sophie Romagny, rapporteur. - Je comprends parfaitement la frustration que plusieurs d'entre vous ont exprimée. Nous l'avons également ressentie. Il s'agit d'une directive européenne. Dès lors, notre pouvoir d'action est extrêmement limité. En revanche, nous pouvons être vigilants sur l'application de la directive en France. Nous pouvons sensibiliser l'État sur l'accompagnement qui est nécessaire. C'est notre seule marge de manoeuvre. Nous avons un grand avantage : celui de pouvoir nous préoccuper du sujet en amont. Nous serons particulièrement attentives à ce qu'il adviendra.
La directive CSRD ne fait pas peser de responsabilité civile spécifique sur les dirigeants d'entreprise. Il s'agit d'une responsabilité de droit commun. Le commissaire aux comptes portera la responsabilité de l'audit qui est obligatoire sous peine de sanction pénale. Aucune nouvelle sanction n'est prévue par la directive CSRD. Les sanctions émaneront de la commande publique et des marchés financiers.
M. Olivier Rietmann, président. - Encore une fois, merci pour votre travail. Nous allons maintenant consulter la délégation sur votre rapport.
Le rapport est adopté à l'unanimité par la délégation.
À l'unanimité, la délégation autorise la publication de ce rapport.
M. Olivier Rietmann, président. - Une présentation de ce rapport à la commission des finances me paraît faire sens. Nous en parlerons au président de cette commission.
M. Pierre Cuypers. - Au-delà de la publication du rapport, je pense que nous devrions émettre quelques réserves.
M. Olivier Rietmann, président. - Il s'agit d'une première mouture. Nous serons amenés à y revenir régulièrement.
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
ET DES CONTRIBUTIONS
REÇUES
28 novembre 2023 :
- Mme Sylvie GRANDJEAN, directrice générale de REDEX et vice-présidente du METI
- Mme Delphine GIBASSIER, fondatrice et présidente de Vert de Gris
- Mme France DRUMMOND, professeur à l'université Paris-Panthéon-Assas
29 novembre 2023 :
- Nathalie GIMENES, experte en RSE et gouvernance responsable affiliée à Executive Education de Mines Paris-PSL
6 décembre 2023 :
- Mmes Claudia MONTERO DE MACEDO, responsable de la mise en oeuvre du Portail RSE à la DINUM et, Solène LE COZ-FORTIS, directrice de projet entrepreneuriat et développement des entreprises
- CPME : M. Guillaume DE BODARD, président de la commission environnement et développement durable, Mmes Sandrine BOURGOGNE, secrétaire générale adjointe et, Zoé LAGARDE, responsable développement durable
12 décembre 2023 :
- M. Pascal DURAND, député européen
13 décembre 2023 :
- AFEP : Mmes Elisabeth GAMBERT, directrice RSE et affaires internationales, Amina TARMIL, responsable des affaires parlementaires françaises et, M. Lé QUANG TRAN VAN, directeur des affaires financières
14 décembre 2023 :
- M. Patrick DE CAMBOURG, président du Sustainability Reporting Board de l'European Financial Reporting Advisory Group (EFRAG)
- M. Emmanuel FABER, président de l'International Sustainability Standards Board (ISBB)
- M. Thierry PHILIPPONNAT, Chief economist à Finance Watch
10 janvier 2024 :
- M. Yannick OLIVIER, président de la compagnie nationale des commissaires aux comptes
- Mme Pascaline GERVOSON, directrice générale de PiLeJe
- Mme Caroline WEBER, directrice générale de Middlenext
- Mme Cécile GOUBET, directrice générale de l'Institut de la Finance Durable et, MM. Nicolas LANCESSEUR, directeur de pôle climat et, Stanislas POTTIER, membre du bureau exécutif de l'IFD
11 janvier 2024 :
- M. Benjamin DARTEVELLE, chef du bureau finance durable, droit des sociétés, comptabilité et gouvernance des entreprises, direction générale du trésor, ministère de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique
- MM. Vincent FRAMBOURT, associé audit en charge de la durabilité et, Christophe DREVELLE, directeur transformation durable chez Grant Thornton
16 janvier 2024 :
- Mme Cécile DE SAINT-MICHEL, président du Conseil National de l'Ordre des Experts-Comptables et, M. Hubert TONDEUR, vice-président en charge de la durabilité
- MM. Alain JOUNOT, responsable du département RSE, groupe AFNOR et, Marc BOISSONNET, executive vice president public affairs and chief sustainability officer, bureau VERITAS
- M. Éric DUVAUD, directeur des normes de durabilité, membre du groupe technique d'experts de l'EFRAG, représentant de l'Autorité des Normes Comptables
17 janvier 2024 :
- M. Yannick SERVANT, co-fondateur de la Convention des entreprises pour le climat
- Mmes BÉNÉDICTE DE GOROSTARZU, directrice RSE de Terideal
- Marie-Anne GOBERT, directrice RSE, communication et affaires publiques du groupe SERFIM
- M. Thomas MICHAUD, directeur des affaires publiques de MTB Group
Contributions écrites :
- AFEP
- Compagnie nationale des commissaires aux comptes
- Banque de France
- Pacte Mondial
- SOCAPS
COMPTE RENDU DES TABLES RONDES DU 14 DÉCEMBRE 2023
CONSACRÉES À LA RESPONSABILITÉ SOCIALE
ET
ENVIRONNEMENTALE DANS LES ENTREPRISES
ET À LA DIRECTIVE CSRD
M. Olivier Rietmann, président. - Notre délégation a confié à nos deux collègues Anne-Sophie Romagny et Marion Canalès une « mission flash » sur la mise en oeuvre de la directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) qui vise à mieux encadrer les rapports extra-financiers des entreprises. Alors qu'aujourd'hui, en Europe, seules 11 600 sociétés sont tenues de présenter un tel rapport, 50 000 entreprises seront à terme concernées. Il était important pour nous d'apprécier l'impact de ces nouvelles obligations sur les entreprises, un an jour pour jour après la publication de cette directive dont on entend beaucoup parler dans nos territoires.
C'est la raison pour laquelle nous organisons ce matin deux tables rondes, en complément des travaux menés par les rapporteurs et des documents de travail que tous les sénateurs pourront retrouver sur l'application DEMETER.
La première table ronde porte un titre volontairement provocateur pour lancer le débat : « Responsabilité sociale des entreprises : arnaque ou atout ? ». En effet, comme l'avaient mis en évidence les travaux de la délégation sur le sujet, la directive CSRD s'inscrit dans la thématique plus générale de la responsabilité sociale des entreprises (RSE), dont il convient de préciser la portée et les enjeux. Nous entendrons ce matin, dans l'ordre suivant :
• Mme Julie Ansidéi, responsable de l'engagement externe en Europe au sein du fonds d'investissement BlackRock Sustainable and Transition Solutions. Il s'agit de la plus grande société d'investissement et de gestion d'actifs au monde, qui gère près de 10 000 milliards de dollars d'actifs. Vous pourrez réagir, Madame, sur les critiques de ceux qui, comme aux États-Unis, dénoncent le capitalisme « woke ». Les performances mesurées selon les critères ESG (environnement, social, gouvernance), évaluent-elle l'impact positif des entreprises sur la planète ? Ou bien ces indicateurs servent-ils simplement à mesurer un risque financier ?
• puis nous entendrons Mme Michèle Pappalardo, présidente du comité de réforme du label ISR (Investissement socialement responsable), créé en 2016 et actuellement attribué à 1 200 fonds gérant plus de 750 milliards d'euros d'actifs. Madame, vous pourrez exposer les grandes lignes de la réforme d'un label qui avait « perdu en exigence et en crédibilité » selon les termes du rapport de l'Inspection Générale des Finances (IGF) ;
• enfin interviendra M. Pierre Victoria, président de la Plateforme RSE de France Stratégie, qui réunit toutes les parties prenantes de la RSE. Monsieur, vous pourrez décrire l'impact des actions des acteurs publics sur les pratiques de RSE, le développement de la commande publique responsable, et la mise en oeuvre des politiques publiques en accord avec des objectifs de développement durable.
Je vous remercie tous trois de votre présence.
Mme Julie Ansidéi, responsable de l'engagement externe en Europe au sein du fonds d'investissement BlackRock Sustainable and Transition Solutions. - Merci pour cette invitation. Je travaille dans une équipe globale d'environ 40 personnes en charge de définir la stratégie de BlackRock sur les enjeux de durabilité et de mettre en oeuvre cette stratégie avec d'autres équipes, notamment nos investisseurs. Environ 500 personnes travaillent sur ces sujets de durabilité et de climat, y compris des scientifiques et des experts sectoriels.
BlackRock possède un peu plus de 9 000 milliards de dollars d'actifs sous gestion investis sur toutes les classes d'actifs. Nous avons des bureaux dans une trentaine de pays et nous servons des clients de toute nature, ayant des objectifs et des horizons d'investissement différents. Nous sommes gérants pour compte de tiers : l'argent que nous gérons n'est pas le nôtre, mais celui de nos clients. Beaucoup de ces clients prennent leurs propres décisions en matière d'allocation d'actifs et de construction de portefeuilles. Notre rôle est de rechercher les meilleures performances possibles en fonction des choix d'investissement et des préférences des clients, en gérant le mieux possible les risques.
En France, BlackRock emploie plus de 200 personnes et gère 45 milliards d'euros d'actifs sous gestion pour des clients français. 200 milliards d'euros sont investis dans l'économie française pour le compte de clients globaux.
La prise en compte des enjeux de durabilité et de responsabilité sociale et environnementale des entreprises n'est pas une mode ou une contrainte réglementaire, mais une tendance de fond qui reflète à la fois une évolution des préférences des clients et des investisseurs, en particulier en Europe, et des transformations en profondeur des modes de production et de consommation. Notre rôle, en tant qu'investisseur, consiste à évaluer les implications que ces transformations peuvent avoir au niveau macro-économique, des portefeuilles et de chacune des entreprises dans lesquelles nous investissons. Il ne nous appartient pas de définir de quelle manière les entreprises doivent appréhender leur responsabilité sociale, mais nous attendons qu'elles expliquent comment elles prennent en compte les risques et les opportunités dans les domaines environnementaux et sociaux, comment elles les intègrent dans leur stratégie et leurs opérations, comment elles gèrent et répondent aux impacts négatifs qu'elles peuvent générer et comment elles gèrent, sur le long terme, leurs relations avec leurs parties prenantes. Nous soutenons les efforts de transparence depuis plusieurs années, à la fois des entreprises pour les encourager à rendre public un certain nombre d'informations lorsque le cadre juridique n'était pas en place, mais aussi des régulateurs pour introduire cela dans les obligations qui s'imposent aux entreprises.
Notre approche de la durabilité est ancrée autour de trois piliers indissociables. Le premier consiste à développer une gamme de stratégies et de produits d'investissement qui réponde au mieux aux besoins et aux préférences des clients, notamment sur les enjeux environnementaux et sociaux. Les préférences de nos clients peuvent aller de la limitation de l'exposition à certains secteurs à l'investissement à impact positif. Le deuxième pilier de notre approche vise, dans le cadre des objectifs d'investissement que les clients définissent, à rechercher les meilleurs résultats à la fois en termes de rendement, de risque et d'objectif extra-financier. Enfin, le troisième pilier vise à fonder notre approche d'investissement sur la recherche et l'analyse des données.
La plateforme d'investissement durable représente 700 milliards de dollars d'actifs sous gestion en 2023, à travers 500 produits environ. En 2020, elle représentait 100 milliards de dollars. Cette croissance extrêmement rapide reflète ce que nous avons vu dans l'industrie. Nous continuons à étoffer cette gamme chaque année pour répondre aux besoins de nos clients, à de nouvelles méthodes et aux nouvelles données disponibles. En 2023, dans des conditions de marché difficiles, ces produits d'investissement, surtout en Europe, ont continué à attirer les investisseurs et à générer des flux d'investissement positifs, ce qui est vraiment le signe d'une tendance de long terme.
Le climat a beaucoup concentré notre attention et celle des entreprises. De nombreux clients institutionnels ont pris des engagements en la matière, que ce soit au travers de coalitions d'investisseurs ou de manière indépendante. Ces clients cherchent à comprendre comment mettre en oeuvre ces engagements, par exemple par des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre liées à leur portefeuille d'investissement. Ils se demandent également comment investir dans la transition. Cet été, nous avons mené une enquête auprès des 200 investisseurs institutionnels les plus importants dans le monde entier. Cette demande très forte d'accroître l'exposition à la transition s'exprime dans toutes les régions. Les investisseurs d'Amérique du Nord sont sur-représentés. L'ensemble de ces 200 investisseurs institutionnels considèrent la transition comme une priorité, y compris du point de vue de la gestion des risques ou de la recherche d'opportunités.
Deux initiatives relatives à la transition ont focalisé nos efforts cette année. En matière de recherche, nous avons publié un scénario de transition qui présente le rythme et la forme que peut prendre la transition dans les années à venir, en tenant compte des politiques publiques, des avancements technologiques et des préférences des investisseurs. Par ailleurs, nous avons défini une plateforme d'investissement pour la transition. Cette plateforme représente environ 110 milliards de dollars d'actifs sous gestion. Elle n'est pas complètement imbriquée dans la plateforme d'investissements durables car les produits d'investissement dans la transition peuvent ne pas passer la barre des critères que nous avons définis pour les produits d'investissement durable.
Les défis sont nombreux, notamment la polarisation que nous voyons sur ces sujets aux États-Unis.
De plus, au-delà de la transition climatique, d'autres transitions restent incertaines et complexes. C'est dans ce contexte que nous nous situons.
Mme Michèle Pappalardo, présidente du comité de réforme du label Investissement Socialement Responsable (ISR). - Merci de me donner l'occasion de présenter le résultat de la refonte du label. Le texte a été publié cette semaine.
Le label date de 2016, soit une année après la COP 21. Il était innovant à l'époque. Il reposait beaucoup sur des pratiques de transparence, dans l'idée d'accompagner les entreprises dans leurs démarchée de RSE et la mise en public de tout ce qu'elles essayaient de faire. En 2020, le ministre chargé des finances a demandé un rapport à l'Inspection générale des finances. Celui-ci a conclu que le label était devenu moins innovant et pas suffisamment exigeant. Il a donc été demandé au comité du label ISR de procéder à la refonte du référentiel.
Il s'agit d'un label généraliste, pas d'un label vert. Le label ESG vise à soutenir les entreprises qui mènent des démarches générales, lesquelles peuvent être vertes, mais également sociales. Il y a souvent un malentendu sur ce point. Le fondement du label n'est pas d'être vert, mais d'être généraliste.
Nous travaillons sur l'évolution du label depuis deux ans. Nous nous sommes efforcés de le rendre plus exigeant et de passer d'objectifs de transparence à des objectifs de résultat. Ces évolutions portent sur trois points particuliers.
En premier lieu, le label se veut plus sélectif. Jusqu'à présent, les fonds labellisés devaient exclure les 20 % d'entreprises les moins bien notées. Désormais, il s'agira des 30 % d'entreprises les moins bien notées. D'une manière générale, nous avons précisé beaucoup d'éléments qui, dans le label précédent, étaient évoqués, mais pas précisés, si bien que les certificateurs ne pouvaient pas s'appuyer sur ces éléments. Par exemple, le référentiel disait simplement qu'il fallait voter aux assemblées générales. Désormais, il dit qu'il faut voter dans au moins 90 % des assemblées générales des entreprises françaises et dans au moins 70 % des assemblées générales des entreprises étrangères.
Par ailleurs, nous avons intégré la double matérialité. Ce sujet n'existait pas en 2015-2016. D'une manière générale, nous avons essayé d'utiliser le plus possible les textes européens. La double matérialité signifie que nous demandons aux fonds d'expliciter les incidences négatives des entreprises qui sont dans le fonds. À mesure que les entreprises exprimeront leurs indicateurs d'incidence négative (PAI), les fonds les rendront publics. Il s'agit d'un premier pas. Dans un second temps, nous mettrons des obligations et des exigences en matière de résultat. Les fonds labellisés doivent déjà désigner deux indicateurs, dont l'un d'incidence négative, sur lesquels ils doivent être meilleurs que leur univers de départ.
Enfin, nous avons fait du climat un élément incontournable d'une démarche ESG, sans en être l'objectif principal. Les entreprises et les fonds doivent se préoccuper de la dimension climat et dire ce qu'ils font en la matière. Cela nous a conduits à procéder à des exclusions, ce qui n'avait pas été le cas avec le référentiel précédent. Ces exclusions portent sur les trois domaines (E, S et G). Les exclusions sur le S et le G sont assez classiques et ne provoqueront pas beaucoup d'évolution. Les exclusions dans le domaine de l'énergie ont davantage fait parler. Nous avons exclu le charbon, les énergies fossiles non-conventionnelles et les nouveaux projets d'hydrocarbures (qu'ils soient conventionnels ou non). Cela n'aura pas un impact extrêmement important sur la labellisation car seul 1 % de la capitalisation de nos fonds porte sur les énergies fossiles.
Les plans de transition sont un autre élément important qui n'existait pas en 2016. Nous sommes encore balbutiants sur le sujet. Un plan de transition comprend un ensemble de cibles, des moyens et une gouvernance. Ils doivent évidemment être compatibles avec l'Accord de Paris de 2015. Nous avons une démarche en deux temps. Nous demanderons d'abord aux fonds de demander à leurs entreprises ce qu'elles font en matière de transition. À partir du 1er janvier 2026, nous demanderons qu'au moins 15 % des entreprises des secteurs à fort enjeu en matière de changement climatique, lesquels représentent environ la moitié de l'économie, montrent qu'ils ont un plan de transition compatible avec l'Accord de Paris. 20 % supplémentaires devront s'engager à avoir un plan de transition dans les 3 ans. C'est un début. Nous serons certainement plus exigeants à mesure que les entreprises se seront emparées du sujet des plans de transition.
Voilà pour les grands axes de la refonte du label. L'intérêt du label étant de labelliser des fonds, il a aussi un impact sur les entreprises.
M. Pierre Victoria, président de la Plateforme RSE de France Stratégie - Merci pour votre invitation. Je suis le président de la Plateforme RSE, qui a été créée il y a 10 ans par le gouvernement français après l'effondrement d'un immeuble au Bangladesh qui avait fait 1 300 morts et avait interrogé sur la nécessité d'allonger la responsabilité des entreprises vis-à-vis de leurs chaînes de sous-traitance. L'idée de cette plateforme était de réunir des acteurs qui ne se parlaient pas, ou mal, (entreprises, syndicats, organisations de la société civile, chercheurs, institutions publiques) pour les faire travailler ensemble sur les questions liées à la responsabilité sociale des entreprises. 50 organisations ont été nommées par le gouvernement. Cette plateforme est directement rattachée à la Première ministre. Nous sommes hébergés par France Stratégie, qui nous apporte des moyens humains et financiers. Nous menons un travail d'expertise, de concertation et de propositions.
Nous sommes organisés en 5 collèges : acteurs économiques, syndicats, organisations de la société civile, chercheurs/développeurs et institutions publiques. Je suis moi-même issu du pôle des chercheurs et développeurs. J'ai été directeur du développement durable de Veolia pendant 15 ans. J'ai également été administrateur salarié au sein de cette entreprise.
Depuis 10 ans, nous avons émis 30 rapports : la moitié à la demande du gouvernement et l'autre moitié en auto-saisine, à partir de feuilles de route de 3 ou 4 ans que nous avons-nous-mêmes élaborées. Nous travaillons actuellement à l'élaboration de la feuille de route 2024-2027. Les sujets de RSE évoluent de manière considérable. Nous essayons de percevoir la nature de ces tendances. Nous produisons environ 4 rapports par an.
Ce sont vraiment les pôles qui structurent le fonctionnement de la plateforme. Chaque pôle désigne des représentants. Nous faisons des expertises et des recommandations. L'organe de décision est le bureau. Il veille à ce que le périmètre des études soit conforme à la feuille de route. Les 50 membres se retrouvent en assemblée plénière 3 fois par an pour valider les recommandations que nous faisons dans les rapports.
Nos deux derniers rapports ont porté sur l'impact et la responsabilité des performances plurielles pour l'un et sur le rôle des acteurs publics en matière de RSE pour l'autre. Dans le premier, nous nous sommes demandé si le concept d'impact était la nouvelle frontière de la RSE. Dans le second, nous nous sommes interrogés sur la manière dont les fonctions publiques peuvent être des acteurs de la transition et intégrer des questions de RSE dans leurs appels d'offres. Nous avons également travaillé sur la conditionnalité des aides et le rôle de l'État actionnaire.
Nous finissons actuellement un rapport sur les Objectifs du développement durable (ODD) et la RSE. Il paraîtra en début d'année 2024. À la demande de la délégation interministérielle aux réfugiés, nous débutons un travail sur les questions d'intégration des réfugiés dans le tissu économique français.
Nos propositions doivent être consensuelles et conjointes aux 5 pôles structurants de la plateforme. Nous recherchons vraiment le dialogue et la concertation entre des acteurs qui ne sont pas toujours tendres les uns avec les autres. Il s'agit d'un atout qui n'est pas suffisamment reconnu. Nous souffrons d'un manque de connaissance de la réalité de notre travail. Pourtant, nos travaux figurent dans le domaine public. Certaines de nos propositions, par exemple sur les salariés aidants, ont déjà été reprises par le gouvernement dans un projet de loi. Toutefois, nous n'avons aucun retour sur la réalité des propositions que nous sommes amenés à faire, alors que nos recommandations ne s'adressent pas qu'au secteur public.
Nous nous sommes beaucoup demandé si le terme RSE était encore le plus pertinent dans le monde de la durabilité qui s'ouvre devant nous, notamment au regard de la construction européenne de la durabilité des entreprises. Ce terme ne répond pas forcément à la question de l'utilité sociétale de l'entreprise. D'aucuns disent qu'il ne faut plus parler de responsabilité, mais d'utilité. Il existe également un fort mouvement autour de l'impact. L'impact est-il la nouvelle frontière ? Nous ne le pensons pas. La mesure de l'impact est un outil énorme, qu'il faut remettre dans le cadre de la directive CSRD et de la double matérialité. Le sujet de la responsabilité de l'entreprise reste questionné par l'ensemble de la société. La mesure de l'impact est une manière d'évaluer la réalité du travail effectué. Le terme de responsabilité ne peut pas être complètement fondu dans l'impact ou la durabilité. La responsabilité reste extrêmement pertinente dans le monde d'aujourd'hui, face aux différentes crises auxquelles nous sommes confrontés. D'ailleurs, nous avons fait un texte sur la géopolitique et la RSE. Il s'adressait notamment, mais pas uniquement, aux entreprises qui étaient présentes en Russie lors de l'invasion de l'Ukraine.
Notre vision de l'entreprise englobe l'ensemble des entreprises. Nous ne travaillons pas seulement pour les 300 grandes entreprises françaises, pour les plus de 5 000 entreprises de taille intermédiaire ou pour les 138 000 petites et moyennes entreprises (PME). Nous ne travaillons pas qu'avec les entreprises les plus engagées. Nous nous adressons à tous les secteurs économiques et aux liens qui les unissent afin que la question sociale et environnementale soit prise en compte par l'ensemble du tissu économique. Les relations entre les grandes entreprises, les entreprises de tailles intermédiaires (ETI) et les PME doivent être revues et améliorées.
M. Olivier Rietmann, président. - Merci pour vos propos liminaires. Je cède la parole à nos deux rapporteurs.
Mme Anne-Sophie Romagny, rapporteure. - J'ai d'abord quelques questions pour Madame Ansidéi. En 2020, vous vous étiez engagé à respecter les critères ESG dans vos investissements. En 2023, vous semblez avoir renoncé à cette exigence. Pourquoi une telle évolution ? Par ailleurs, comment considérez-vous la double matérialité ? En dehors de l'Europe, la matérialité simple, financière, domine. La directive CSRD constitue-t-elle un atout ou un handicap pour les entreprises européennes ?
Mme Marion Canalès, rapporteure. - J'ajoute une question. Pouvez-vous investir en Europe en prenant en considération les critères ESG, ce que vous ne pourriez pas faire dans un État comme le Texas, qui proscrit le capitalisme « woke » ?
Mme Julie Ansidéi. - Les débats sont très polarisés aux États-Unis. Ces dernières années, BlackRock s'est attaché à clarifier son approche de la durabilité et à la replacer dans la responsabilité que nous avons vis-à-vis de nos clients. Notre approche de la durabilité n'a pas pour autant changé. Il en va de la responsabilité des investisseurs de considérer les facteurs environnementaux et sociaux. Ce sont des éléments que nous considérons lorsque nous interagissons avec nos clients et que nous considérons leurs préférences vis-à-vis de ces sujets.
Les initiatives qui ont été prises au Texas et dans d'autres États américains ont fait que BlackRock s'est retrouvé sur des listes de boycott, mais cela n'affecte pas notre approche de la durabilité, la manière dont nous considérons les entreprises et la manière dont nous développons la recherche et nos produits d'investissement. D'ailleurs, l'intégration des considérations ESG est une obligation en Europe. Un document public détaille la manière dont nous intégrons ces considérations dans notre stratégie d'investissement. La considération des facteurs E, S et G varie en fonction des stratégies d'investissement et de chaque objectif des fonds.
Cela fait plusieurs années que les thématiques environnementales, nature, droits humaines et droits sociaux font partie des thèmes avec lesquels nous engageons les entreprises et pour lesquels nous sommes amenés à nous positionner dans les assemblées générales des sociétés.
En France, les obligations qui s'imposent aux entreprises cotées sont antérieures à ce que connaissent d'autres pays européens. Il s'agit d'un atout par rapport à d'autres entreprises dans le monde, qui arriveront plus tard dans ce processus de reporting obligatoire. Le mouvement de transparence des entreprises sur la manière dont elles répondent aux enjeux climat augmente. Il est donc important que les entreprises puissent se préparer au plus tôt.
La directive CSRD est un élément d'un cadre beaucoup plus large et ambitieux en Europe, qui touche à la fois le secteur financier et les entreprises. Les investisseurs sont également soumis à des obligations de reporting sur les impacts de leurs investissements. Nous nous inscrivons dans ce mouvement en considérant les préférences des clients. Ces préoccupations sont exprimées à des degrés divers. Les investisseurs qui recherchent des impacts positifs à travers les investissements représentent encore une partie assez faible du portefeuille. Nous avons nous-mêmes une plateforme d'investissement à impact.
Mme Marion Canalès, rapporteure - Nous avons maintenant des questions pour Madame Pappalardo. Quel est le lien entre le règlement SFDR qui s'adresse aux investisseurs financiers et la directive CSRD ? Comment les fonds ont-ils réagi à l'exclusion des énergies fossiles ?
Mme Anne-Sophie Romagny, rapporteure - Pourquoi les énergies fossiles ont-elles été exclues ? Que pensez-vous des critiques portées sur la double matérialité par Emmanuel Faber au nom de l'ISSB (International Sustainability Standards Board) ? Enfin, pour Monsieur Victoria, l'Europe est la seule à assumer la voie d'une économie responsable. Est-ce l'unique manière de conjuguer compétitivité et durabilité ? Comment rester compétitif ? Est-il possible d'avoir une vue exhaustive de l'ensemble des impacts d'une entreprise sur l'environnement ?
Mme Marion Canalès, rapporteure. - D'une manière générale, quelles difficultés rencontrent les TPE et les PME dans la mesure des impacts d'une entreprise sur l'environnement ?
Mme Michèle Pappalardo. - Concernant les directives SFDR et CSRD, il était évident que nous devions intégrer les réglementations européennes dans la nouvelle version du référentiel. Nous avons commencé à travailler lorsque la directive SFDR a été publiée. Nous avons des réglementations qui sont en évolution, ce qui est normal. Je reconnais que c'est extrêmement compliqué pour les sociétés de gestion et les entreprises. Nous essayons d'avancer le plus vite possible car nous avons pris du retard. Nous avons intégré le plus possible les définitions dans le nouveau référentiel, sans rien inventer. Nous adapterons ce référentiel au fur et à mesure que les choses changeront dans les textes européens. L'idée n'est pas d'attendre 9 ans pour y revenir, mais plutôt 2 ans ou 2 ans et demi. C'est comme cela que les choses doivent se faire. Cela met un peu d'instabilité dans le paysage, mais c'est la conséquence du fait que nous essayons d'avancer plus vite.
Nous sommes très contents d'avoir ces deux textes, notamment la directive CSRD. C'est parce qu'elle existe que nous pouvons demander aux fonds de demander un certain nombre d'informations aux entreprises. Le label incite les entreprises à aller un peu plus vite que simplement respecter les textes, ce qui est normal pour un label.
Pourquoi l'exclusion des fossiles ? Nous y avons beaucoup réfléchi. Je n'étais pas absolument convaincue qu'il fallait procéder à des exclusions. Toutefois, il est apparu assez clairement qu'un épargnant qui a une démarche de durabilité a forcément la dimension climat en tête. Cette dimension est incontournable. Il n'est pas possible de faire de la RSE sans se préoccuper de la dimension climat. Nous n'avons pas exclu toutes les énergies fossiles. Ainsi, le conventionnel en stock n'est pas exclu. Toutefois, il doit exister un plan de transition. Nous accompagnons cette démarche. Même sans exclusion dans le référentiel précédent, les fonds allaient d'eux-mêmes vers les entreprises qui n'étaient pas dans les énergies fossiles. L'objectif du label est d'encourager les fonds et les entreprises à avoir une démarche ESG.
Je n'entrerai pas dans un débat avec Monsieur Faber. Un épargnant qui va dans un fonds ESG ne se pose pas la question de la double matérialité. Je ne conçois pas que cet épargnant aille dans ces fonds en ayant en tête que nous ne tenons pas compte de l'impact des entreprises qui sont dans ces fonds sur l'environnement, le social ou la gouvernance. C'est forcément cela qu'il attend. Il n'attend pas de savoir si, dans les fonds, on a bien tenu compte de la conséquence financière de l'environnement, du social ou de la gouvernance. C'est important, mais un épargnant qui investit avec la volonté de soutenir la démarche ESG s'intéresse à l'autre matérialité. Il est donc évident que le label doit aller dans cette direction.
M. Pierre Victoria. - Il y a 3 ans, la plateforme a produit un rapport sur la manière de se positionner par rapport aux dynamiques européennes structurantes. La réponse a été unanime. Nous nous sommes inscrits totalement dans la vision d'une entreprise qui doit assurer une plus grande utilité sociétale. C'est cela le modèle européen d'entreprise. Il intègre les questions de la société. Nous avons très clairement pris position en faveur de la politique européenne et des travaux de l'European Financial Reporting Advisory Group (EFRAG). Nous sommes persuadés qu'il s'agit du sens de l'histoire. Aucune activité économique ne peut perdurer si elle ne répond pas aux attentes de son époque. La politique européenne nous semble aller dans ce sens.
Nous sommes toujours un peu interrogatifs, au sein de la plateforme, sur l'évaluation de la loi PACTE française. Cette évaluation n'est pas à la hauteur des espérances, notamment s'agissant de l'article 1833 du Code civil. Quand on parle de la loi PACTE, on parle de la raison d'être et des sociétés à mission, mais pas de l'obligation qui est faite aux entreprises d'être gérées en prenant en considération les enjeux environnementaux et sociaux. Notre adhésion aux problématiques européennes est une manière de faire porter l'attention du législateur sur cette modification de l'article 1833 du Code civil. C'est aussi pour cela que nous sommes favorables au concept de double matérialité.
La question des PME est cruciale. Les PME sont sans doute l'acteur le plus dynamique au sein de la plateforme RSE. Il faut aller vers des labels sectoriels pour les PME. C'est un élément clé de la reconnaissance de celles qui font des efforts en matière environnemental et social.
Nous sommes très attentifs à ce que l'application de la directive CSRD aux entreprises de moins de 250 salariés se fasse dans les meilleures conditions possibles. Il ne faudrait pas qu'un excès de demande d'informations puisse casser les dynamiques en cours, ou les marginaliser. Le risque est que les entreprises fassent du reporting sans l'intégrer à la stratégie des entreprises. C'est pour cela que le chapeau de la loi PACTE est important : il porte une vision de la relation entre les entreprises et la société. Il faut aider les PME afin que les normes qui leur sont appliquées soient simples, compréhensibles et n'exigent pas des moyens humains et financiers démesurés.
M. Olivier Rietmann, président. - J'espère que l'on n'oubliera pas que la priorité des entreprises reste de produire de la richesse, de l'emploi et de la valeur. La parole est aux sénateurs.
M. Michel Canévet. - L'article 1833 me semble assez clair. Pensez-vous qu'il faille aller encore plus loin ?
Notre préoccupation est de faire en sorte que la charge administrative qui incombe aux entreprises ne les pénalise pas dans l'exercice de leur activité, en particulier pour ce qui concerne les entreprises de taille modeste. Comment éviter que les objectifs de responsabilité sociétale et environnementale ne se traduisent par un carcan administratif qui découragerait l'entreprenariat dans notre pays ?
M. Pierre Victoria. - Je n'ai pas dit qu'il fallait modifier l'article 1833 du Code civil. J'ai dit qu'il fallait évaluer la manière dont il s'est mis en place. L'évaluation de la loi PACTE ne porte que sur la raison d'être et les sociétés à mission. Elle ne dit pas en quoi l'ensemble du tissu économique a pris en compte les sujets environnementaux et sociaux. Nous sommes trop focalisés sur ce qui est le plus facile à quantifier. La double matérialité pouvait peut-être permettre cela.
Nous pensons qu'il faut peu d'indicateurs, et des indicateurs assez larges. Le sujet du climat est prioritaire et important, mais la RSE n'est pas que cela. La solidarité territoriale entre les acteurs est un autre sujet majeur, de même que l'inclusion sociale dans les territoires ou l'économie circulaire. Il faut faire simple dans les indicateurs et embrasser un champ qui ne se réduise pas uniquement au climat.
Mme Michèle Pappalardo. - Nous sommes conscients de ce sujet de la charge administrative. Les évolutions de la CSRD, avec l'idée de centrer le reporting sur les points qui ont une vraie matérialité pour les entreprises, vont dans ce sens. L'inconvénient est que nous perdrons en informations et en visibilité globale. Il ne faut pas non plus être trop réducteur. Le reporting est une charge administrative. Il faut qu'il ait un sens pour l'entreprise, qu'il corresponde à sa démarche et à sa stratégie et que nous en fassions quelque chose.
Mme Julie Ansidéi. - À charge pour nous de nous organiser pour utiliser ce reporting, sous une forme qui reste à voir. Il y a beaucoup de qualitatif dans ces rapports, qui sont indispensables. Nous avons longtemps milité pour quelques indicateurs sectoriels sur des sujets variés de la RSE, mais l'information qualitative est importante pour comprendre comment une entreprise s'empare des indicateurs et comment l'investisseur peut en tirer des conséquences.
Nous sommes vigilants à l'interopérabilité. Les entreprises doivent pouvoir utiliser dans d'autres régions ce qu'elles font en Europe. Il reste beaucoup d'indicateurs dont les méthodologies sont difficiles. Je pense notamment à la nature. Les entreprises et les investisseurs ne savent pas encore bien mesurer ces questions. Nous devons progresser collectivement dans les outils de mesure.
Enfin, il faut laisser un peu de temps aux PME. Ce n'est pas que la contrainte réglementaire qui les forcera à s'adapter. Ce sont également leur chaîne de valeur et les investisseurs. Nous menons une réflexion sur les stratégies d'investissement dans le non coté. Les investisseurs peuvent accompagner les premiers pas des entreprises dans la définition d'une stratégie sur les sujets climat.
M. Yves Bleunven. - Il y a une vingtaine d'années, nous avons vu arriver les normes ISO dans nos entreprises. Nous étions enthousiastes, mais au final, nous avons eu l'impression de courir avec un boulet au pied. N'avez-vous pas l'impression que nous pourrions faire porter sur les contrôles l'énergie que nous déployons dans les labels et la certification des entreprises ? Quels moyens mettons-nous en oeuvre à l'échelle de l'Europe pour faire en sorte que nous courions tous dans les mêmes conditions, avec les mêmes contraintes ? L'inflation que nous connaissons depuis 2 ans montre que le consommateur arbitre essentiellement sur des notions de prix. Les labels de qualité sont en chute vertigineuse.
Mme Michèle Pappalardo. - Je suis une grande fervente de l'idée de contrôle. Si nous nous fixons des objectifs de résultat, nous avons besoin de moyens de contrôle. Le label ISR s'applique aux entreprises françaises comme étrangères, qu'elles soient européennes ou non. Nous avons une pression pour que toutes les entreprises aillent vers des investissements dans des labels ISR, quelle que soit leur origine. Il existe un contrôle puisqu'il y a une certification tous les 3 ans, renouvelée chaque année, pour vérifier qu'il n'y a pas d'écart entre la stratégie de la labellisation et la réalité des faits. Nous sommes bien dans un processus de certification par un tiers.
M. Olivier Rietmann, président. - Merci pour votre participation à ce débat. Vos analyses seront précieuses pour le travail de nos rapporteurs. La deuxième table ronde de la matinée met en évidence, sous forme d'interrogation, l'angoisse de nombreux chefs d'entreprise face à la directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive). La complexité administrative, normative, est au coeur de leurs préoccupations et explique que le sujet soit si important pour la délégation aux Entreprises.
Pour répondre à cette question, interviendront ce matin dans l'ordre suivant :
• Patrick de Cambourg, président du Sustainability Reporting Board de l'EFRAG (European Financial Reporting Advisory Group), tenant du concept de la double matérialité, retenue par l'Union européenne. Monsieur, vous pourrez présenter ce concept et nous expliquer pourquoi il est important à vos yeux.
• Nous entendrons ensuite Thierry Philipponnat, chef économiste à Finance Watch, organisation non-gouvernementale européenne dont la vocation est de favoriser une industrie financière responsable et durable. Le dernier rapport, publié mardi 31 octobre par votre organisation (« La finance dans un monde brûlant »), considère qu'en sous-estimant les répercussions financières du changement climatique, les économistes encouragent les politiques à l'inaction, et que les banques financent encore trop largement les énergies fossiles. Comment appréhendez-vous, dans ce contexte, la directive CSRD ?
• Enfin, en visioconférence interviendra Emmanuel Faber, Président de l'ISSB (International Sustainability Standards Board), qui a publié le 26 juin 2023 ses normes extra-financières. La position de l'ISSB, peu favorable au concept européen de double matérialité, ne vous a pas empêché de publier lundi dernier une tribune plutôt nuancée sur le sujet, prônant une collaboration au niveau mondial. Peut-on échapper à une bataille des normes avec les États-Unis ?
Nous vous remercions tous trois de votre présence pour un débat qui peut paraître à la fois très technique et difficile à appréhender, mais qui est fondamental pour la compétitivité de nos entreprises.
M. Patrick de Cambourg. - À l'issue d'un effort politique de l'Union Européenne qui a démarré en 2020, voire avant, la question de la qualité de la donnée en matière de durabilité connaît une phase majeure de progrès. La situation ex-ante était extrêmement dangereuse. Elle conduisait à des risques de green washing. Il n'y avait pas de normes, mais des initiatives multiples. La donnée n'était pas vérifiée et ne répondait pas aux objectifs de qualité qui sont nécessaires à un travail sérieux. En effet, il n'y a pas de politique publique ou de stratégie privée sans donnée fiable. C'était un problème fondamental.
La nouvelle Commission européenne, mise en place en décembre 2019, avait été sensibilisée par de multiples acteurs. Elle a entrepris de résoudre le problème de la qualité de la donnée dès janvier 2020. Au terme de multiples efforts techniques et débats politiques, nous sommes arrivés à l'adoption, puis à la publication de la directive CSRD, qui a fait l'objet d'une transposition en France par une ordonnance du 6 décembre 2023.
Les normes représentent le second volet de ce dispositif. La pratique de l'information requiert des normes détaillées d'établissement. L'objectif est de créer un deuxième pilier, celui de la durabilité, qui soit en connexion avec le pilier financier, qui est stabilisé et bien connu. Le pilier financier a pour défaut de se limiter à des points qui ne sont pas des points de vision d'avenir.
Les standards européens (European Sustainability Reporting Standards, ESRS) ont été publiés le 31 juillet dernier. Ils ont ensuite fait l'objet d'un examen par le Parlement européen et le Conseil. Aujourd'hui, ces standards sont dans le système juridique européen applicable aux 27 pays de l'Union. Le conseil que j'ai l'honneur de présider est heureux de ce dénouement. Nous aurions même dû commencer plus tôt. Nous avons créé des obligations de comportement et de reporting alors que même la donnée n'existait pas. Il était donc absolument essentiel de résoudre cette question de la donnée.
Je voudrais insister sur deux points importants. Le premier tient à la double matérialité. Le débat sur le sujet est tout à fait exagéré, et caricatural dans une large mesure. Une entreprise a des impacts (sur l'environnement d'une manière générale et son environnement social), ainsi que des risques et opportunités sous l'angle de sa performance financière. On a tendance à opposer les deux notions. Or ces deux réalités sont très largement imbriquées. En effet, quels sont les impacts d'une entreprise sur son environnement et les personnes qui n'auraient pas de conséquence financière ? Il faut donc prendre en compte les deux dimensions.
Pour éviter les rapports multiples, l'Europe s'est efforcée d'intégrer les avancées qui étaient en cours à l'ISSB. Nous avons le sentiment que les entreprises européennes qui prépareront des rapports en application des ESRS incorporeront la quasi-totalité des informations qui seraient requises au plan international. La perspective de l'ISSB est donc intégrée dans la perspective européenne. Par ailleurs, nous avons travaillé main dans la main avec la global reporting initiative (GRI), qui a une antériorité assez grande en matière de reporting d'impact.
En résumé, il s'agit donc d'une étape importante en matière d'information sur la durabilité. L'organisation que j'anime se tourne aujourd'hui sur le support à la mise en oeuvre. Nous sommes très engagés dans la relation avec les entreprises.
M. Thierry Philipponnat. - Il est très important de mettre la directive CSRD en perspective car il y a souvent des malentendus. Quels sont les enjeux ? D'abord, nous nous inscrivons dans la dynamique de réglementation de la finance durable au niveau européen. La dynamique générale de l'agenda finance durable de l'Union Européenne repose sur l'information. Il s'agit de donner une meilleure information, en quantité et en qualité, à tous les acteurs afin que leur travail puisse aboutir à ce que les flux financiers aillent vers la transformation de nos économies. Nous avons déjà un certain nombre de réglementations dans l'Union Européenne qui créent des obligations de reporting pour les institutions financières. Il faut bien que ces institutions aient l'information dont elles ont besoin. La directive CSRD consiste à apporter de la rigueur dans ce que les entreprises doivent dire aux financiers pour que ceux-ci puissent effectuer leur travail d'allocation du capital dans la direction de la durabilité.
Il existe deux manières d'aborder la directive CSRD. La première consiste à la voir comme une carte routière, non coercitive. D'autres réglementations créent des obligations. Ce n'est pas le cas de la directive CSRD, qui ne créée qu'une obligation de dire. Par ailleurs, il est essentiel de nourrir les obligations de reporting qui existent dans la loi européenne.
L'information prévue par la directive est une condition nécessaire, mais non suffisante, de la transition de nos économies vers la durabilité. Les flux financiers n'iront pas instantanément vers la durabilité. Il faudra que des politiques publiques concrétisent ces décisions difficiles. Pour autant, l'information est indispensable.
La durabilité est une condition du développement de l'activité économique et de la prospérité. Certains débats me laissent pantois, quand j'entends opposer durabilité et compétitivité. La compétitivité des entreprises ne sera pas extraordinaire si les prédictions du GIEC se réalisent.
La double matérialité figure dans la loi européenne. Nous devons donc l'appliquer.
J'ai entendu des voix s'élever pour dire que la matérialité d'impact était naïve et simpliste. Permettez-moi de partager quelques réflexions sur le sujet. Tout le monde est d'accord pour dire que la matérialité est financière. C'est même reconnu par la loi européenne et les standards de reporting de durabilité. Par ailleurs, le niveau de convergence est très élevé, sur le segment matérialité financière pour les questions climatiques, entre les normes de l'EFRAG et celles de l'ISSB. On ne peut que s'en féliciter. Ce n'est pas le fruit du hasard, mais du travail acharné des deux institutions. Enfin, la matérialité d'impact n'est pas plus ou moins simpliste et naïve que la matérialité financière. Ces deux matérialités sont comparables dans la manière dont elles impactent le monde. Les informations qu'elles contiennent ne sont pas suffisantes par elles-mêmes pour avoir un impact. Prenez les actifs d'énergie fossile échoués. À terme, ces réserves perdront toute leur valeur. Ce n'est pas neutre sur le plan financier. Ce fait technique est reconnu par les spécialistes. Or la comptabilité financière valorise ces réserves à la hausse car elle se base sur leur valeur de marché. La matérialité financière, en reporting de durabilité, n'a pas plus d'impact sur les marchés financiers aujourd'hui que la matérialité d'impact ne peut en avoir.
Le reporting de durabilité est donc indispensable et il n'y a aucune raison d'opposer la double matérialité de la CSRD et la matérialité financière. Il serait naïf de croire que la seule information sera suffisante. Pour la dimension financière, nous devons réconcilier les horizons de temps. Pour la dimension de la matérialité d'impact, nous avons besoin de politiques publiques adéquates. La plus grande erreur serait d'opposer l'économie et la durabilité, alors qu'il s'agit du même sujet.
Nous avons publié un rapport il y a un mois et demi disant que si nous sous-estimions le coût économique du changement climatique, alors les responsables politiques n'auraient pas les informations nécessaires pour prendre les bonnes décisions. La bonne information est absolument essentielle.
M. Emmanuel Faber. - Je suis français, européen convaincu et engagé sur les questions de transition depuis 30 ans. J'anime l'ISSB dans l'objectif de porter la création d'une infrastructure de marché en matière de transparence sur les questions de durabilité à l'échelle systémique pour une raison fondamentale : la transition ne repose que sur deux très grands piliers.
En premier lieu, rien ne remplacera des politiques publiques engagées, qui constituent le premier pilier. Il ne s'agit nullement de remettre en question la matérialité d'impact, dont je suis intimement persuadé de l'importance, et le reporting à toutes les parties prenantes. Il s'agit de les remettre en perspective. Les politiques publiques ne sont pas, aujourd'hui, à la hauteur de ce que nous dit la science. Chaque institution a ses consensus et ses marges de manoeuvre. Il faut espérer que graduellement, nous parviendrons à nous mettre en marche collectivement.
Le second pilier est celui de marchés de capitaux bien informés. De ce point de vue, la directive CSRD est un très grand pas en avant. Il faut être extrêmement clair sur un point : ce ne sont pas les gouvernements qui financeront la transition, mais les marchés financiers. Imaginez qu'il a fallu trois conférences des parties (COP) pour réunir 100 milliards d'euros à l'échelle de la planète pour les pays les plus atteints, alors que ce sont entre 2 et 4 trilliards d'euros annuels qu'il faut allouer à la transition. La capitalisation boursière mondiale de tous les instruments financiers de capital et de dette cotée est de 400 trilliards d'euros. Si les marchés financiers s'appuient sur des politiques publiques qui créent des risques de transition et d'information leur permettant de les intégrer dans leurs calculs de risques et d'opportunités, alors il suffira de ne faire bouger chaque année que 1 % de la capitalisation mondiale. Le sujet est important. C'est pourquoi j'ai choisi d'y consacrer un peu de mon temps dans les quelques années qui viennent.
La directive CSRD comprend cette double entrée, avec des objectifs de politique publique d'un côté et des objectifs de politique économique de l'autre.
Il est extrêmement important de simplifier la vie des entreprises. Ce sera même l'un des enjeux principaux de la mise en place de la directive CSRD. Où sont les risques et les opportunités ? Dans le système comptable actuel, nous ne dénombrons pas tout ce qui compte, et pas dans les bons horizons. Le projet, en matérialité économique, de l'ISSB consiste à éclairer les informations sur la totalité des chaînes de valeur à court, moyen et long terme. Les actifs échoués apparaîtront car nous demandons, comme le fait la directive CSRD, que les impacts de ces éléments sur les comptes financiers d'aujourd'hui et de demain soient clarifiés. Les intangibles représentent la plus grande partie des bilans des grandes entreprises, notamment cotées, à commencer par les survaleurs des acquisitions, sur lesquelles les entreprises font des paris à très long terme. Les entreprises ne sont donc pas incapables de regarder le long terme ; elles sont incapables d'intégrer les scénarios climat dans un dispositif stratégique qui les amènerait à réviser la valeur des actifs qu'elles ont comptabilisés.
Le risque principal est que la directive CSRD soit mise en oeuvre par les entreprises dans un objectif de conformité. Cette dernière ne fait pas bouger les allocations de capital. Sans politiques publiques fortes, pouvant aller jusqu'aux sanctions, on ne fera pas évoluer les attitudes des entreprises. Or, l'enjeu principal est vraiment d'engager les entreprises dans une stratégie de transition.
Aujourd'hui, on travaille sur la base de comptabilités avec une vision de très court terme. Ce que nous apportons en matérialité financière, c'est une ouverture des horizons dans le temps et dans l'espace. La manière dont les entreprises sont organisées ne permet pas cela. Si l'on en reste à de la conformité, le sujet sera traité par des équipes complètement déconnectées de la prise de décision stratégique. Les schémas organisationnels des entreprises en matière de durabilité restent très séparés des organisations qui définissent la stratégie et les budgets. Souvent, la durabilité est encore dans les affaires publiques ou dans les organisations de communication, voire dans les directions marketing. Elle n'est pas dans les comités exécutifs. Les choses évoluent depuis plusieurs années, et il est fondamental qu'elles continuent à évoluer. C'est à l'intérieur de chaque pays européen que se joue l'accompagnement stratégique. Aucun pays n'a la même organisation en matière de gouvernance des entreprises et c'est au sein de chacun d'eux qu'il faut créer l'écosystème qui permettra d'intégrer pleinement les dispositifs de durabilité dans les procédures de décision budgétaire et stratégique des entreprises.
Au-delà des entreprises, je pense qu'il y a un travail à faire avec les organisations professionnelles, pas uniquement patronales, l'Autorité des marchés financiers (AMF) et les professions d'audit. L'importance de la matière économique est tellement fondamentale qu'il me semble capital qu'au moins un auditeur, dans les grandes entreprises, des sujets de durabilité certifie également les comptes. La connexion avec les états financiers est fondamentale si l'on veut que le dialogue s'établisse avec les investisseurs. Les entreprises tirent de leur investissement dans le reporting de la CSRD un avantage sur leur coût du capital. Nous l'avons fait chez Danone pour un prêt de 3 milliards d'euros. C'est la preuve que ça marche.
Mme Marion Canalès, rapporteure. - Au regard des divergences fondamentales que nous avons pu observer entre l'Europe et les États-Unis sur la RSE, un accord entre ISSB et EFRAG vous paraît-il envisageable ? Si oui, à quelles conditions ?
La cotation climat préparée par la Banque de France ne pourrait-elle pas s'apparenter à un reporting extra-financier supplémentaire ?
Que pensez-vous des risques de surtransposition ?
À force de devoir répondre à des standards exigeants, les entreprises européennes ne risquent-elles pas, à terme, d'être les plus vertueuses, mais les moins compétitives ?
Mme Anne-Sophie Romagny, rapporteur. - Depuis le début de nos auditions, nous parlons de 1 178 indicateurs à traiter par l'EFRAG. Nous avons été récemment interpelées par Middlenext PME, qui nous parle de 2 217 points de vigilance. Comment expliquez-vous cette différence ? Quel est le nombre de points à traiter ? Ce nombre ne vous semble-t-il pas excessif pour les PME ?
Malgré un allègement, la CPME estime que les normes proposées le 29 novembre sont encore trop lourdes, notamment concernant le scope 3. Avez-vous procédé à des tests opérationnels avec des vraies PME ?
Toutes les PME ne sont pas éligibles à la CSRD. Certaines le feront de manière volontaire. Comment fera une entreprise lorsqu'elle devra demander au maillon final de sa chaîne d'approvisionnement de s'expliquer sur ses orientations en matière de responsabilité environnementale et de matérialité d'impact ?
Avez-vous mesuré l'impact financier sur les entreprises ? Nous avons entendu parler d'un coût de 150 000 à 1 million d'euros pour la seule étude de la double matérialité. Ce coût n'est pas négligeable, même si la philosophie est bonne. Comment engager les PME à avoir cette réflexion, alors que la double matérialité est encore peu connue ? Comment accompagner ces entreprises ? Je rappelle tout de même que le but premier des PME est de produire de la valeur.
M. Patrick de Cambourg. - Je ferai attention à ne pas assimiler la position nord-américaine et l'ISSB. Sur le fond, je suis très optimiste sur l'existence de l'interopérabilité. La directive CSRD nous a conduits à élaborer des standards que la Commission a adoptés par acte délégué. Nous sommes interopérables en quasi-totalité. Celui qui fait un rapport ESRS répond aux exigences de l'ISSB. Je n'ai pas d'inquiétude là-dessus. Nous sommes dans une optique de simplification et de consolidation des efforts.
Je souhaite vivement que la Banque de France, si elle fait quelque chose dans le cadre du fichier bancaire des entreprises (FIBEN), prenne pour base ce que nous demandons aux PME au niveau européen. Il faut éviter la fragmentation.
De ce que j'ai vu de l'ordonnance du 6 décembre 2023, je n'ai pas constaté de surtransposition de la directive du 14 décembre 2022, si ce n'est deux ou trois points très spécifiques à la France qui ont été ajoutés au dispositif d'indicateurs.
Mme Anne-Sophie Romagny, rapporteure. - Pouvez-vous nous préciser ces points ?
M. Patrick de Cambourg. - Je ne suis pas un expert de la transposition française à ce stade, mais j'ai en tête la relation entre l'entreprise et le service de réserve opérationnelle militaire.
Les questions sur le risque de compétitivité sont très importantes. Nous ne sommes pas là pour faire du papier. Nous sommes là pour introduire la perspective de durabilité, dans toutes ses dimensions, dans l'évolution et la stratégie de l'entreprise. Il existe une véritable prise de conscience dans le monde des entreprises en Europe, notamment les grandes. Je ne suis donc pas inquiet. J'ai vécu un épisode similaire au début des années 2000 avec le passage aux normes de l'International financial reporting standards (IFRS) : ça s'est bien passé, même si tout le monde craignait une application difficile. On parle de coûts, mais il est un coût que l'on ignore. Nous avons réalisé une analyse coûts/bénéfices à l'EFRAG. Aujourd'hui, les entreprises sont soumises à une rafale de questionnaires qui viennent des ONG, des investisseurs... Le but de la normalisation est de créer une plateforme reconnue par tout le monde. Cela diminuera le risque de questionnaires partant dans tous les sens.
Mme Anne-Sophie Romagny, rapporteure. - Cela nécessite que chaque partie prenante s'investisse.
M. Patrick de Cambourg. - Seules les PME cotées se trouvent obligatoirement dans le champ, d'où la préoccupation de Middlenext. Nous finalisons actuellement l'exposé de la consultation relative aux PME cotées. Le volume que vous avez évoqué mériterait beaucoup de discussions. Il faut savoir comment l'on compte. Je suis à votre disposition pour vous expliquer. Il existe un très bon document, « la liste des points d'information », qui a été approuvé le mois dernier et qui permet de relativiser les choses. Tout cela est soumis à matérialité. Pour les PME cotées, on réduit de 40 % par rapport au compte que vous avez évoqué. Je mets en cause le chiffre de 2 000 indicateurs avancé par Middlenext. C'est une manière caricaturale de compter.
Concernant les PME non cotées, nous sommes dans un régime volontaire. Nous l'avons fait parce que nous pensons que les PME ne doivent pas être exclues du dispositif. Elles doivent introduire la durabilité dans leur raisonnement avec des mesures simples, pouvoir parler à leurs financiers de façon simple et s'inscrire dans les chaînes de valeur. Notre objectif est une plateforme. Nous veillons à l'acceptation de ce que nous faisons par les différentes parties prenantes. J'ai moi-même fait le parcours avec le président de la CPME. Je dois encore discuter avec la Commission sur la manière d'aider les PME, par la mise en place d'un logiciel, à répondre aux questions.
M. Thierry Philipponnat. - Je précise que les PME cotées représentent 0,004 % des PME européennes. 99,996 % d'entre elles ne sont donc pas concernées. Je ne dis pas que ce n'est pas une vraie question, mais il est important d'avoir ce chiffre en tête.
La question de la compétitivité des entreprises européennes est fondamentale et complexe. Elle renvoie à l'énorme problème d'action collective qu'a l'humanité. Comment faire travailler tout le monde ensemble ? Si vous avez la solution, n'hésitez pas à m'appeler. Le terme vertueux n'est pas le bon. Ce n'est pas une question de vertu. Les rapports du GIEC ont été filtrés par tous les gouvernements du monde. Malgré cela, on se dit que le réchauffement climatique va impacter terriblement l'économie. C'est une question pragmatique et concrète : si tout cela se produit, aucune entreprise ne sera compétitive demain. Si les entreprises européennes s'embarquent dans ce chemin de plus grande prise en compte de la durabilité, elles en seront peut-être très heureuses dans 10 ou 15 ans. Je ne dis pas qu'il n'y a pas de vraies questions à court terme. En comptabilité financière, une entreprise a-t-elle le choix de déterminer comment elle calcule son profit ? Non. C'est donc de la conformité. Simplement, la conformité seule n'est pas suffisante. Elle est une pièce d'un puzzle beaucoup plus large.
Je m'arrêterai là car Patrick de Cambourg a traité beaucoup de sujets. Je voulais juste mettre en exergue cette opposition vertu/compétitivité. Je ne pense pas que ce soit une question de vertu, et je ne pense pas que la compétitivité puisse exister sans durabilité. J'ai envie d'encourager le débat public à dépasser cette fausse dichotomie, ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas de vraies questions.
M. Michel Canévet succède à M. Olivier Rietmann pour présider la réunion.
- Présidence de M. Michel Canévet, vice-président -
M. Michel Canévet. - Effectivement, seules les entreprises avec un chiffre d'affaires et un niveau d'activité important sont visées directement, mais il faut aussi évaluer celles qui sont concernées par l'ensemble de la sous-traitance.
M. Emmanuel Faber. - Je n'ai aucune compétence en matière de sur-transposition. D'expérience, je pense simplement que le pragmatisme serait une très bonne idée.
Je prends le sujet de la cotation climat de la Banque de France à un niveau plus global. La supervision bancaire est en marche sur les questions climatiques, voire de liens avec la biodiversité, au point que le comité de Bâle a confirmé l'utilisation des normes climatiques que nous avons développées pour ses travaux futurs sur les ratios de solvabilité bancaire en matière de risque climatique. Il y aura donc une supervision active des compagnies d'assurance, des banques et des gestionnaires d'actifs. L'an dernier, la Banque centrale européenne a demandé à 150 banques de faire tourner des « scénarios climat ». En octobre 2022, elle a tenu à envoyer un signal au marché en évoquant le fait qu'elle appliquerait aux quelques banques qui n'avaient pas passé le test des éléments de capital tenant compte du risque qu'elle estimait.
La compétitivité climatique des banques au travers du système de supervision n'est même plus un sujet. Je vous invite vraiment à ne pas laisser cela dans un angle mort. Si la supervision bancaire commence, à l'échelle mondiale, à établir que selon la température des portefeuilles, les banques ont des profils de risque différents, c'est bien la question de la compétitivité bancaire qui se pose. Il s'agit d'un énorme facteur de changement.
Le sujet de la compétitivité est fondamental. Non seulement la compétitivité écologique et sociale est possible, mais elle est nécessaire et urgente. Aujourd'hui, nous sommes sur des mécanismes de valorisation de la compétitivité à très court terme. Sur le site du ministère des finances, les coûts sont l'indicateur de compétitivité. Or les coûts ne retracent pas tout, et notamment pas tous les risques de durabilité. Nous sommes en train « d'embarquer » à l'échelle mondiale autre chose que la comptabilité d'aujourd'hui. Nous lui accolons un système qui peut transformer l'économie. C'est donc une question de transition vers un tel modèle. Je pense que c'est possible. Cela nécessite des choix qui ne sont pas seulement globaux. On peut construire une compétitivité à l'échelle d'un pays ou d'une région autour d'un système, à condition qu'il soit cohérent et très fortement focalisé sur la mise en oeuvre de l'allocation du capital, c'est-à-dire l'information pour les investisseurs et les banquiers au travers des stratégies développées par les équipes de management.
Le Brésil a déjà annoncé qu'en 2026, il rendrait obligatoire l'utilisation de nos normes. Le soja exporté du Brésil vers l'Europe sera soumis, au travers des entreprises brésiliennes, à la même mesure de ses émissions de gaz à effet de serre que ce que l'on demande en Europe. Le Japon a annoncé des normes intégrant les nôtres en 2025. La Turquie l'a annoncé à la COP 28 pour 2024. L'Angleterre est sur ce chemin. Plus nous établirons, à l'échelle internationale, des normes de climat aussi exigeantes que celles construites par l'EFRAG et plus nous viendrons nous assurer, sur le climat dans un premier temps, que nous avons bien un niveau de compétitivité qui ne se compare pas sur les éléments de transparence. C'est en cela que notre travail est complémentaire de celui de juridictions comme l'Europe. In fine, le besoin des investisseurs est d'avoir un langage comptable unique. 30 % des investisseurs du CAC 40 sont américains. Les entreprises européennes mieux préparées pourront bénéficier d'avantages concurrentiels en capital.
Si l'on en reste à la conformité, c'est un coût. Si l'on passe à une question de stratégie et de décision de management, alors c'est un investissement. Cet investissement est nécessaire. On n'en aura un retour que si le système extraie des informations qui permettront aux entreprises de prendre des décisions et d'obtenir les capitaux dont elles ont besoin. Chez Danone, nous avons reporté 80 % du périmètre 3 dans l'agriculture. Nous n'avons jamais demandé à un éleveur avec lequel nous travaillons de nous produire du reporting sur ses émissions. Nous avons développé un système qui nous permet de mesurer nos émissions à 5 ou 10 % près. Il est vraiment très important de laisser les chaînes de valeur s'organiser elles-mêmes. Il faut réfléchir en termes de filières. Les associations professionnelles seront un partenaire important dans la construction d'un système dans lequel nous laisserons autant que possible les mécanismes de marché s'installer. Nous ne les corrigerons par des mécanismes réglementaires que lorsque ce sera nécessaire.
M. Michel Canévet. - Merci. Puisse la manière de faire de Danone prospérer. Nous vous remercions tous les trois pour votre participation à cette table ronde très intéressante.
ANNEXES
1. Code de commerce
Article R232-8-4
I. - Les informations en matière de durabilité prévues au I de l'article L. 232-6-3 décrivent :
1° Le modèle commercial et la stratégie de la société, en indiquant notamment :
a) Le degré de résilience du modèle commercial et de la stratégie de la société en ce qui concerne les risques liés aux enjeux de durabilité ;
b) Les opportunités que recèlent les enjeux de durabilité pour la société ;
c) Les plans de la société, y compris les actions prises ou envisagées et les plans financiers et d'investissement connexes, pour assurer la compatibilité de son modèle commercial et de sa stratégie avec la transition vers une économie durable, la limitation du réchauffement climatique à 1,5 °C conformément à l'accord de Paris adopté au titre de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques et l'objectif de neutralité climatique d'ici à 2050 tel qu'établi dans le règlement (UE) 2021/1119 du Parlement européen et du Conseil, et, le cas échéant, l'exposition de la société à des activités liées au charbon, au pétrole et au gaz ;
d) La manière dont le modèle commercial et la stratégie de la société tiennent compte des intérêts des parties prenantes et des incidences de son activité sur les enjeux de durabilité ;
e) La manière dont la stratégie de la société est mise en oeuvre en ce qui concerne les enjeux de durabilité ;
2° Les objectifs assortis d'échéances que s'est fixés la société en matière de durabilité et les progrès accomplis dans la réalisation de ces objectifs, y compris, s'il y a lieu, des objectifs absolus de réduction des émissions de gaz à effet de serre au moins pour 2030 et 2050 ;
3° Le rôle des organes de direction, d'administration ou de surveillance concernant les enjeux de durabilité, ainsi que les compétences et l'expertise des membres de ces organes à cet égard ou les possibilités qui leur sont offertes de les acquérir ;
4° Les politiques de la société en ce qui concerne les enjeux de durabilité ;
5° Les incitations liées aux enjeux de durabilité octroyées par la société aux membres des organes de direction, d'administration ou de surveillance ;
6° La procédure de vigilance raisonnable mise en oeuvre par la société concernant les enjeux de durabilité et les incidences négatives recensées dans ce cadre, le cas échéant en application de la législation de l'Union européenne ;
7° Les principales incidences négatives potentielles ou réelles, les mesures prises pour recenser, surveiller, prévenir, éliminer ou atténuer ces incidences négatives et les résultats obtenus à cet égard ;
8° Les principaux risques pour la société liés aux enjeux de durabilité, y compris ses principales dépendances, et la manière dont elle gère ces risques.
Les informations en matière de durabilité sont accompagnées d'indicateurs relatifs aux éléments mentionnés du 1° au 8°.
Selon le cas, ces informations sont liées à des horizons temporels à court, moyen et long terme.
S'il y a lieu, elles portent sur les activités de la société et sa chaîne de valeur, y compris ses produits et services, ses relations commerciales et sa chaîne d'approvisionnement.
II. - Les informations en matière de durabilité contiennent une déclaration indiquant si les objectifs mentionnés au 2° du I relatifs aux enjeux environnementaux reposent sur des données scientifiques probantes.
Le cas échéant, ces mêmes informations se réfèrent et apportent des éléments d'explication supplémentaires aux autres informations contenues dans le rapport de gestion mentionné à l'article L. 232-1 et aux montants figurant dans les comptes annuels.
La section spécifique de ce rapport prévue au I de l'article L. 232-6-3 contient également une description du processus mis en oeuvre afin de déterminer les informations qui y sont incluses.
III. - Les informations mentionnées aux I et II sont présentées conformément aux normes d'information en matière de durabilité adoptées par la Commission européenne en application de l'article 29 ter de la directive 2013/34/UE du Parlement européen et du Conseil.
Article R22-10-29
Par dérogation à l'article R. 232-8-4, les informations en matière de durabilité publiées par les petites et moyennes entreprises en application du I de l'article L. 22-10-36 peuvent se limiter à décrire :
1° Le modèle commercial et la stratégie de la société ;
2° Les politiques de la société en ce qui concerne les enjeux de durabilité ;
3° Les principales incidences négatives, réelles ou potentielles, de la société sur les enjeux de durabilité et les mesures prises afin de les recenser, surveiller, prévenir, atténuer ou corriger ;
4° Les principaux risques pour la société liés aux enjeux de durabilité et la manière dont elle les gère.
Le cas échéant, les informations en matière de durabilité sont accompagnées d'indicateurs clés relatifs aux éléments mentionnés du 1° au 4°.
Lorsqu'il est fait usage de la faculté prévue au premier alinéa, ces informations sont présentées conformément aux normes d'information en matière de durabilité adoptées par la Commission européenne en application de l'article 29 quater de la directive 2013/34/UE du Parlement européen et du Conseil.
2. Liste des questions de durabilité élaborée par l'EFRAG
3. L'information extra-financière des PME proposée par l'EFRAG39(*)
« Module de base40(*)
20. L'entreprise rend compte des questions environnementales, sociales et de conduite des affaires à l'aide des informations B1 à B11 ci-dessous.
Les informations comparatives relatives à l'année précédente doivent être incluses dans le rapport, à l'exception des mesures divulguées pour la première fois. L'inclusion d'informations comparatives commence à partir de la deuxième année de déclaration.
21. Les informations B1 à B11 doivent être communiquées et aucune analyse de matérialité n'est nécessaire. Certaines informations ne s'appliquent qu'à des circonstances spécifiques. En particulier, les instructions suivantes précisent que, dans ces circonstances, l'information ne doit être communiquée que si elle est considérée comme "applicable" par l'entreprise. Lorsque l'une de ces informations est omise, elle est supposée ne pas être applicable.
22. L'entreprise peut compléter les indicateurs de B3 à B11 par des informations qualitatives et/ou quantitatives supplémentaires, le cas échéant, conformément au 11 ci-dessus41(*). L'entreprise qui souhaite fournir une information plus complète, peut également intégrer les indicateurs requis de B3 à B11 dans les informations à fournir, en les choisissant parmi les indicateurs de B3 à B11, en les sélectionnant dans le module Narrative-PAT et/ou dans le module "Partenaires commerciaux"42(*).
23. Les instructions relatives à la préparation des indicateurs B3 à B11 sont disponibles dans le guide du module de base, aux pages 18 à 31 de la présente Norme.
Divulgation B 1 - Base de préparation
24. L'entreprise doit divulguer :
a) laquelle des options suivantes il a sélectionné lors de la préparation de son rapport de développement durable en utilisant cette norme :
i. OPTION A : Module de base (uniquement) ;
ii. OPTION B : module de base et module narratif-PAT43(*) ;
iii. OPTION C : Module de base et module Partenaires commerciaux ; ou
iv. OPTION D : module de base, module narratif-PAT et module partenaire commercial.
b) si le rapport de développement durable a été préparé sur une base consolidée (lorsque le rapport comprend des informations sur l'entreprise et ses filiales), ou sur une base individuelle (lorsque le rapport se limite aux seules informations de l'entreprise).
c) la liste des filiales incluant leur adresse sociale couvertes dans les comptes consolidés du rapport de durabilité.
Divulgation B 2 - Pratiques pour la transition vers une économie plus durable
25. L'entreprise peut décrire brièvement les pratiques spécifiques de transition vers une économie plus durable, si elle en dispose. Il peut s'agir de pratiques concernant le changement climatique, la pollution, l'eau et les ressources marines, la biodiversité et les écosystèmes, l'économie circulaire. Il peut s'agir de pratiques relatives au changement climatique, à la pollution, aux ressources hydriques et marines, à la biodiversité et aux écosystèmes, à l'économie circulaire, à la main-d'oeuvre propre, aux travailleurs de la chaîne de valeur, aux communautés concernées, aux consommateurs et aux utilisateurs finaux ou à la conduite des affaires. Les pratiques comprennent ce que l'entreprise fait pour réduire ses impacts négatifs et pour renforcer ses impacts positifs sur la société, les personnes et l'environnement, afin de contribuer à une économie plus durable.
Les pratiques dans ce contexte ne doivent pas inclure les activités philanthropiques (les dons par exemple), mais les initiatives visant à améliorer les conditions de travail et l'égalité de traitement sur le lieu de travail, la formation en développement durable pour son personnel, la collaboration avec les universités liées à des projets de développement durable, aux efforts visant à réduire la consommation d'eau de l'entreprise, sa consommation électrique ou pour prévenir la pollution, ainsi que des initiatives pour améliorer la sécurité des produits. Cette information ne s'applique pas lorsque l'entreprise prépare son rapport de durabilité à l'aide du module Narrative-PAT.
Métriques de base - Environnement
B 3 - Énergie et émissions de gaz à effet de serre
26. L'entreprise doit rendre compte de ses impacts sur le climat, en divulguant sa consommation d'énergie et émissions de gaz à effet de serre, comme demandé dans les paragraphes suivants.
27. L'entreprise déclare sa consommation totale d'énergie en MWh, répartie entre :
a) les combustibles fossiles ; et
b) l'électricité, telle qu'exprimée dans les factures des services publics (avec la répartition entre sources renouvelables et non renouvelables, si disponible).
28. L'entreprise doit divulguer ses émissions brutes estimées de gaz à effet de serre (GES) en tonnes Équivalents CO2 (tCO2eq), dont :
a) Les émissions de GES du scope 1 en tCO2eq (provenant de sources détenues ou contrôlées) ; et
b) Les émissions de scope 2 basées sur la localisation en tCO2eq (production d'énergie achetée).
B 4 - Pollution de l'air, de l'eau et du sol
29. L'entreprise doit divulguer, le cas échéant, les polluants (avec les quantités respectives) qu'elle émet dans ses propres opérations sur l'air, l'eau et le sol qu'elle est tenue de déclarer par la loi aux autorités compétentes (par exemple en vertu du Registre de la directive sur les émissions industrielles et de la directive européenne sur les rejets et transferts de polluants) ou qu'il rapporte déjà selon un système de gestion environnementale tel que EMAS44(*). Si ces informations sont déjà accessibles au public, l'entreprise peut alternativement fournir une référence au document où il est signalé, par exemple via un lien hypertexte.
B 5 - Biodiversité
30. L'entreprise divulgue, le cas échéant, les mesures liées à ses impacts sur la biodiversité et les écosystèmes et le changement d'affectation des terres, comme demandé dans les paragraphes suivants.
31. L'entreprise doit divulguer le nombre et la superficie (en hectares) des terrains dont elle est propriétaire, qu'elle a loués ou qu'il gère, qui sont situés dans ou à proximité de zones sensibles en termes de biodiversité.
32. L'entreprise peut divulguer des paramètres liés au changement d'affectation des terres, tels que :
a) utilisation totale du terrain ;
b) superficie totale scellée ;
c) superficie totale orientée vers la nature sur le site ; et
d) superficie totale orientée vers la nature hors site.
B6 - Eau
33. L'entreprise doit divulguer son prélèvement total d'eau, c'est-à-dire la quantité d'eau puisée dans le les limites de l'organisation (ou de l'installation) ; en outre, l'entreprise doit présenter séparément la quantité d'eau prélevée sur les sites situés dans des zones à fort stress hydrique.
34. Le cas échéant, l'entreprise déclare sa consommation d'eau, calculée comme la différence entre ses prélèvements d'eau et les rejets d'eau de ses processus de production.
B 7 - Utilisation des ressources, économie circulaire et gestion des déchets
35. L'entreprise doit divulguer comment elle gère l'utilisation des ressources et la pratique de la gestion de ses déchets et si elle applique les principes de l'économie circulaire.
36. La divulgation doit comprendre :
a) si l'entreprise met en oeuvre des processus de fabrication, de construction et/ou de conditionnement, le contenu recyclé dans les produits (biens et matériaux) et leurs emballages fabriqués par l'entreprise ;
b) si l'entreprise exploite des procédés de fabrication, de construction et/ou de conditionnement, les tarifs du contenu recyclable des produits et de leurs emballages fabriqués par l'entreprise ;
c) la production annuelle totale de déchets en unités de poids (de préférence) ou de volume, décomposée par type (non dangereux et dangereux) ; et
d) le total annuel des déchets détournés vers le recyclage ou la réutilisation, exprimé en unités de poids (par exemple kg ou tonnes).
Indicateurs de base - Questions sociales
B 8 - Effectif - Caractéristiques générales
37. L'entreprise indique le nombre total de salariés en équivalents temps plein ou en nombre de d'employés décomposé :
a) par type de contrat de travail : temporaire et permanent ;
b) par sexe ; et
c) le cas échéant, par pays.
B 9 - Effectif - Santé et sécurité
38. L'entreprise doit divulguer les informations suivantes concernant ses salariés :
a) le nombre et le taux d'accidents du travail enregistrables ;
b) le nombre de décès dus à des accidents du travail et à des problèmes de santé liés au travail.
B 10 - Effectif - Rémunération, négociation collective et formation
39. L'entreprise doit divulguer :
a) lorsqu'une proportion significative de salariés est rémunérée sur la base de salaires soumis à
les règles relatives au salaire minimum, le rapport pertinent entre le salaire d'entrée et le salaire minimum ;
b) le pourcentage d'écart de rémunération entre ses employés féminins et masculins. L'entreprise peut omettre cette information lorsque son effectif est inférieur à 150 employés.
c) le pourcentage de salariés couverts par des conventions collectives
d) le nombre moyen d'heures de formation annuelles par salarié et par sexe lié au développement des aptitudes et des compétences, par le biais de formations formelles ou informelles.
Indicateurs de base - Conduite des affaires
B 11 - Condamnations et amendes pour corruption et pots-de-vin
40. En cas de condamnations et d'amendes au cours de la période de référence, l'entreprise doit divulguer le nombre des condamnations et du montant des amendes pour violation des lois anti-corruption et anti-corruption ».
4. Suivi des recommandations du rapport « Faire de la RSE une ambition et un atout pour chaque entreprise », n°89, du 27 octobre 2022
Préconisation |
Mise en oeuvre |
1. Établir une étude d'impact sur le coût financier et organisationnel pour les entreprises, selon leur taille, du cumul des obligations, européennes et françaises en matière de RSE. |
Partiellement. Une analyse d'impact de la directive CSRD avait été réalisée au niveau européen ({COM(2021) 189 final} - {SEC(2021) 164 final} - {SWD(2021) 151 final du 21 avril 2021). En revanche, aucune étude d'impact n'a été présentée au Parlement pour la transposition de la directive par voie d'ordonnance. |
2. Établir un principe de proportionnalité du contenu des informations extra-financières demandées, en fonction de la taille et des moyens de l'entreprise, en respectant la confidentialité de la stratégie de l'entreprise. |
Totalement pris en considération. Le principe de l'allègement des informations extra-financières demandées aux PME a été acté dans la directive CSRD. |
3. Accompagner les ETI et PME par une simplification des normes de reporting extra-financier et une approche sectorielle différenciée. |
Totalement pris en considération par la directive (UE) 2022/2464 du Parlement européen et du Conseil du 14 décembre 2022 modifiant le règlement (UE) no 537/2014 et les directives 2004/109/CE, 2006/43/CE et 2013/34/UE en ce qui concerne la publication d'informations en matière de durabilité par les entreprises |
4. Appliquer progressivement les nouveaux référentiels RSE dans les ETI et PME après avoir réalisé un test d'opérationnalité par un tiers indépendant. |
Totalement pris en considération. L'EFRAG devrait soumettre les normes applicables aux PME qui seront publiées en juin 2024 à une consultation des entreprises concernées. |
5. Assurer un traitement identique de reporting extra-financier pour les entreprises non européennes. |
Totalement pris en considération par la directive (UE) 2022/2464 du Parlement européen et du Conseil du 14 décembre 2022. |
6. Confier à l'Autorité européenne des marchés financiers l'évaluation publique de l'information ESG |
Non mis en oeuvre. |
7. Poursuivre les efforts d'harmonisation des standards par catégorie d'entreprises en promouvant le concept de double matérialité, financière et extra-financière |
Totalement pris en considération. En cours de négociation entre l'EFRAG et l'IISB. |
8. Renforcer la formation RSE des membres des conseils d'administration ou des comités de direction. |
En cours selon le rapport « gouvernance de la transition climat dans les entreprises : 10 recommandations de la place de Paris » de l'Institut de la finance durable (janvier 2024) |
9. Évoquer les questions RSE à chaque réunion du conseil d'administration ou du comité de direction |
En cours : le Code Afep-Medef de décembre 2022 propose de renforcer les missions du Conseil d'administration pour qu'il soit le garant de la mise en oeuvre de la stratégie RSE de l'entreprise. |
10. Instaurer, dans les établissements d'enseignement supérieur, et plus généralement dans les formations professionnalisantes, des modules obligatoires de formation des étudiants aux enjeux de la RSE, en particulier de la transition environnementale. |
Très progressivement instauré dans les établissements concernés. |
11. Labelliser les établissements d'enseignement supérieur, en particulier les écoles de commerce et les écoles d'ingénieurs, engagés dans une telle démarche d'enseignement obligatoire. |
Non mis en oeuvre. |
12. Équilibrer les trois dimensions de la RSE (environnementale, sociale et gouvernance). |
L'attention reste focalisée sur la décarbonation des entreprises. |
13. Pour les déclarations d'intentions et de seuils de franchissement en matière de participation au capital : abaisser le niveau de déclaration de 5 à 3 % du capital ou des droits de vote, et 10 à 5 %, pour les entreprises engagées dans une démarche RSE. |
Non mis en oeuvre. |
14. Introduire dans le Code de la commande publique un principe général faisant référence à la « performance sociale et environnementale des biens, des produits et des services ». |
Depuis la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (dite loi « Climat et résilience »), le nouvel article L. 3-1 du titre préliminaire du code de la commande publique inscrit des objectifs de développement durable, dans leurs dimensions économique, sociale et environnementale. Les objectifs de développement durable deviennent des principes fondamentaux de la commande publique et des éléments essentiels du régime juridique applicable aux contrats administratifs. |
15. Introduire la notion d'« offre économiquement et écologiquement la plus avantageuse » afin de mieux appréhender les considérations environnementales |
Le code de la commande publique prévoit désormais l'obligation de prendre en compte les objectifs de développement durable au stade de la détermination de la nature et de l'étendue du besoin par l'acheteur ou l'autorité concédante. Cette obligation est étendue, pour les marchés publics et les contrats de concession, à la phase de formalisation du besoin par des spécifications techniques (articles L. 2111-2 et L. 3111-2 du code de la commande publique modifiés). Ainsi, en imposant l'obligation de prise en compte du développement durable dans les spécifications techniques, la loi concrétise l'obligation d'introduire des considérations environnementales dès le stade de la définition du besoin. La loi Climat et résilience introduit l'obligation pour les acheteurs et les autorités concédantes, de retenir au moins un critère d'attribution prenant en compte les caractéristiques environnementales de l'offre. Le législateur a fait le choix de ne pas énumérer les caractéristiques environnementales qui doivent être spécifiquement prises en compte en tant que 3 critère. En effet, la formulation retenue à l'article 35 de la loi demeure large afin de laisser une certaine souplesse aux acheteurs et aux autorités concédantes. Il leur revient ainsi de déterminer le critère qui leur paraît le plus approprié au regard des caractéristiques du contrat concerné. En pratique, cette évolution interdit le recours au critère unique du prix. Ainsi, si l'acheteur fait le choix de ne retenir qu'un seul critère de sélection, seul le critère unique du coût global intégrant nécessairement des considérations environnementales pourra désormais être retenu. La loi prévoit également que les acheteurs et les autorités concédantes doivent désormais fixer dans leurs contrats des conditions d'exécution prenant en compte des considérations relatives à l'environnement. Auparavant, le code de la commande publique prévoyait que la prise en compte de ces considérations dans les conditions d'exécution restait à la discrétion de l'acheteur. |
16. Instaurer un droit de préférence pour les offres des entreprises attestant un impact positif avéré en matière de RSE, à égalité de prix ou à équivalence d'offre. |
Non mis en oeuvre. |
* 1 En octobre 2023, la Commission européenne a augmenté les seuils pour les grandes entreprises en raison de l'inflation, avec CA = 50 M€ et bilans = 25 M€. Cette décision est en attente de la transposition en droit français.
* 2 La recommandation n° 8 du rapport de la délégation aux Entreprises n°89 du 27 octobre 2022 proposait déjà de « renforcer la formation RSE des membres des conseils d'administration ou des comités de direction ».
* 3 Ou « éco-blanchiment », une méthode de marketing consistant à communiquer auprès du public en utilisant l'argument écologique de manière trompeuse pour améliorer son image.
* 4 Décret n° 2002-221 du 20 février 2002 pris pour l'application de l'article L. 225-102-1 du code de commerce et modifiant le décret n° 67-236 du 23 mars 1967 sur les sociétés commerciales.
* 5 Selon le Rapport de mission sur l'application de l'article 116 de la loi sur les nouvelles régulations économiques - « Mise en oeuvre par les entreprises françaises cotées de l'obligation de publier des informations sociales et environnementales », Inspection générale de l'Environnement - Conseil général des Mines - Inspection générale des Affaires sociales, 1 er août 2007.
* 6 Cette obligation concerne également « l'État, les régions, les départements, les métropoles, les communautés urbaines, les communautés d'agglomération et les communes ou communautés de communes de plus de 50 000 habitants ainsi que les autres personnes morales de droit public employant plus de deux cent cinquante personnes ».
* 7 Cependant, du fait d'un « vide » juridique, les dispositions ne sont pas applicables aux sociétés par actions simplifiées. Suite à l'une des propositions du rapport d'information n° 572 (2019-2020) du 25 juin 2020 présenté par Mme Élisabeth Lamure et M. Jacques Le Nay au nom de la Délégation aux entreprises du Sénat : « Responsabilité sociétale des entreprises (RSE) : une exemplarité à mieux encourager », la proposition de loi n° 728 (2019-2020) du 30 septembre 2020 a proposé de combler cette lacune.
* 8 Rapport Perrier, « Faire de la place financière de Paris une référence pour la transition climatique, cadre d'actions », remis le 10 mars 2022.
* 9 Dans son rapport précité « Responsabilité sociétale des entreprises (RSE) : une exemplarité à mieux encourager ».
* 10 Voir notamment le rapport de l'Association française des entreprises privées (AFEP) « Vers une rationalisation du reporting RSE » d'octobre 2019.
* 11 « Normes RSE : ne pas se tromper de combat », par Patrick d'Humières, président-fondateur d'Eco-Learn, Youmatter, 18 février 2022.
* 12 Le Groupe consultatif européen sur l'information financière (European Financial Reporting Advisory Group ou « EFRAG ») est une association à but non lucratif créée en 2001 avec le soutien de la Commission européenne à laquelle il fournit des conseils techniques dans le domaine de la durabilité. L'EFRAG poursuit aujourd'hui deux missions principales : une mission financière consistant à influencer le développement des normes IFRS à l'échelle européenne et évaluer leur efficacité dans le cadre du marché de capitaux, et une mission de reporting en matière de développement durable.
* 13 Dans un article du New York Times Magazine du 10 septembre 1970, Milton Friedman a présenté sa thèse défendant la vision libérale de l'entreprise capitaliste : « l'entreprise n'a qu'une responsabilité sociale, celle d'utiliser ses ressources et de mener des activités visant à maximiser ses profits (pour l'actionnaire) dans la mesure où elle respecte les règles du jeu, à savoir qu'elle livre une concurrence libre et ouverte sans escroquerie ni fraude. »
* 14 Terrain de jeu parfaitement plat, qui ne favorise ni ne défavorise l'une des équipes en présence.
* 15 Voir la table ronde organisée le 14 décembre 2023 par la délégation aux Entreprises et notamment la présentation par Mme Michèle Pappalardo de la forme du label public « Investissement socialement responsable » (ISR).
* 16 La taxonomie européenne désigne une classification des activités économiques ayant un effet favorable sur l'environnement. Son objectif est d'orienter les investissements sur des activités durables ou « vertes ».
* 17 « La modification de l'article 8 ne répond en revanche pas à l'objection formulée par le Sénat concernant l'absence alléguée d'évaluation du coût financier et organisationnel pour les petites et moyennes entreprises et les entreprises de taille intermédiaire directement ou indirectement assujetties aux obligations déclaratives. Sur ce point, le rapporteur souligne la difficulté d'évaluer précisément ce coût ». Rapport de Mme Laurence Cristol n°748 du 18 janvier 2023 de la commission des affaires sociales sur le projet de loi, adopté, par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans les domaines de l'économie, de la santé, du travail, des transports et de l'agriculture (n°619).
* 18 Déjà modifié par un décret n° 2024-60 du 31 janvier 2024 qui a modifié l'entrée en vigueur de certaines dispositions du décret d'application, pour la fixer au 1er février 2024.
* 19 Le contenu de la déclaration de performance extra-financière (DPEF) a été dernièrement étendu par la loi n° 2023-703 du 1er août 2023 relative à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense aux « informations relatives [...] aux actions visant à promouvoir le lien Nation-armée et à soutenir l'engagement dans les réserves [...] ».
* 20 Les Principales Incidences Négatives (PAI) ont été définies par l'Union européenne comme « des effets négatifs, importants ou susceptibles d'être importants sur les facteurs de durabilité qui sont causés, aggravés par ou directement liés aux décisions d'investissement et aux conseils fournis par l'entité juridique ».
* 21 Les sanctions financières encourues en cas de non-respect de l'obligation d'établir un BEGES ont été par ailleurs augmentées.
* 22 Dans son discours sur l'état de l'Union prononcé le 13 septembre 2023, la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, a proposé de réduire les obligations de déclaration de 25 % pour les petites et moyennes entreprises pour alléger la charge administrative des entreprises.
* 23 Le communiqué du 28 septembre 2023 : https://www.cpme.fr/espace-presse/communiques-de-presse/la-cpme-propose-une-serie-de-mesures-pragmatiques-pour-reussir-la-transition-ecologique-des-pme
* 24 Le scope 3 est le périmètre le plus large de calcul des émissions de gaz à effet de serre. Il inclut toutes les émissions de gaz à effet de serre indirectes qui ne sont pas inclues dans les scope 1 (émissions de gaz à effet de serre directement liées à la fabrication du produit) et 2 (émissions de gaz à effet de serre liées aux consommations d'énergie nécessaires à la fabrication du produit). Le scope 3 permet donc d'avoir une vision très large des émissions de gaz à effet de serre induites par une entreprise ou la fabrication d'un produit, car il inclut les émissions réalisées tout au long du cycle de vie.
* 25 Le décret n°2024-152 du 28 février 2024 relatif à l'ajustement des critères de taille pour les sociétés et groupes de sociétés transpose la directive déléguée (UE) 2023/2775 de la Commission du 17 octobre 2023 qui modifie les critères de taille pour les entreprises et les groupes. Ces nouveaux seuils, réhaussés en raison de l'inflation, s'appliquent aux comptes et rapports relatifs aux exercices ouverts à compter du 1er janvier 2024. Ils sont pris en compte dans le cadre des obligations portant sur l'établissement et la certification des comptes et des informations en matière de durabilité.
* 26 Au maximum 70 sociétés sont concernées mais l'allégement des seuils devrait conduire à sortir plusieurs entreprises.
* 27 CEPS-Milieu, étude commanditée par l'EFRAG.
* 28 Enquête menée entre le 26 octobre et le 20 novembre 2023 auprès de 1418 réponses d'adhérents de la CPME.
* 29 Équivalent, pour la finance verte, de l'International Accounting Standards Board (IASB) qui élabore les normes comptables internationales.
* 30 Le CoDir, ou comité de direction, réunit les principaux cadres de la direction dont le rôle est de développer la stratégie d'entreprise. Il a comme mission de relayer efficacement l'information à ses collaborateurs.
* 31 Désigne le fait que l'activité de production ou de consommation d'un agent économique crée un avantage ou un désavantage à autrui, sans aucune contrepartie financière. Les externalités concernent les effets secondaires d'une activité principale et l'interaction entre un émetteur et un récepteur sans rémunération. Une externalité peut être soit positive soit négative.
* 32 Le Haut conseil du commissariat aux comptes (H3C) devient la Haute autorité de l'audit (H2A)
* 33 Le Conseil des normes internationales d'audit et d'assurance est un organisme de normalisation indépendant qui publie des normes internationales d'audit, de gestion de la qualité et d'autres services, pour soutenir l'audit international des états financiers.
* 34 La recommandation n°8 du rapport de la délégation aux Entreprises n°89 du 27 octobre 2022 proposait déjà de « renforcer la formation RSE des membres des conseils d'administration ou des comités de direction ».
* 35 Les normes IFRS sont un référentiel comptable, un ensemble de normes (règles) définissant les méthodes de comptabilisation, produit par le Bureau international des normes comptables (International Accounting Standards Board, IASB). Depuis 2005 les IFRS sont applicables aux sociétés cotées sur un marché européen.
* 36 « Se soumettre aux Anglo-Saxons pour les données environnementales des entreprises est une erreur », Alain Grandjean, Jean-Marc Jancovici et Laurent Morel, Le Monde, 30 juin 2022.
* 37 « Il s'agit de savoir si l'entreprise veut contribuer à la stabilisation du monde et éviter ses dérives chaotiques, ou si elle veut continuer à s'abriter derrière les défaillances du marché » Le Monde, 9 septembre 2022.
* 38 Recommandation n°7 du Rapport d'information n° 89 du 27 octobre 2022, « Faire de la RSE une ambition et un atout pour chaque entreprise ».
* 39 Source : EFRAG SR Board 29 November 2023 Agenda Paper 03-02
[Draft] Voluntary ESRS for non-listed Small- and Medium-Sized Enterprises - Exposure Draft (VSME ESRS ED.
* 40 Il s'agit de l'exigence de rapport la plus légère, appelée module de base, qui comprend 11 mesures et reprend largement le cadre de 11 des 12 briques ESRS - 2 transversaux, 5 environnementaux, 3 sociaux et 1 de gouvernance.
* 41 « En fonction du type d'activités menées par l'entreprise, l'inclusion d'informations supplémentaires (mesures et/ou informations narratives) qui ne sont pas couvertes par la présente norme est appropriée, afin de divulguer des questions qui sont communes dans le secteur de l'entreprise, car cela favorise l'élaboration d'informations pertinentes, fidèles, comparables, compréhensibles et vérifiables ».
* 42 Le module Partenaires commerciaux gère toutes les informations relatives aux relations d'une entreprise avec ses clients, fournisseurs et prospects (parties intéressées), ainsi qu'à l'exécution et à la révision des rapprochements internes pour les partenaires commerciaux. Les informations typiques comprennent les personnes de contact, les adresses, les conditions de paiement et les informations financières et logistiques.
* 43 Le module Narrative-PAT se concentre sur les questions de double matérialité par le biais de la publication des PAT - Policies, Actions and Target. Il exige des entreprises qu'elles procèdent à une évaluation à la fois de l'impact de leurs activités sur l'environnement (matérialité de l'impact) et de la manière dont le dérèglement climatique entraine des risques sur leurs activités financières (matérialité financière). Elles doivent présenter leurs actions - les mesures et initiatives concrètes prises par l'entreprise pour mettre en oeuvre sa politique de durabilité - et leurs objectifs - les buts et objectifs spécifiques que l'entreprise s'est fixés pour mesurer l'efficacité de ses actions au fil du temps.
* 44 EMAS, éco-management and audit scheme, ou système de management et d'audit environnemental, est une certification européenne permettant à tout type d'organisation de faire reconnaître sa démarche de responsabilité environnementale.
Entré en vigueur en 1995 et étendu dès 2001 à tous les secteurs économiques et aux services publics, le règlement concernant la participation volontaire des organisations au système communautaire de management environnemental et d'audit (Emas) permet aux organisations volontaires de construire et faire reconnaître leur démarche de responsabilité environnementale. Depuis 2010, l'enregistrement est ouvert aux organisations situées en dehors de l'Union européenne, ouvrant ainsi la voie à une reconnaissance internationale.
La démarche de responsabilité environnementale prônée par ce règlement repose sur l'identification et la gestion des impacts significatifs, l'adoption d'une démarche de progrès et des actions de communication sur les résultats atteints dans une logique de transparence.
Pour pouvoir être enregistrée « Emas », l'organisation doit démontrer qu'elle a adopté une stratégie et un plan d'action répondant aux principaux enjeux environnementaux, réaliser un audit et faire valider une déclaration environnementale par un vérificateur accrédité.
L'organisation qui satisfait aux exigences est alors enregistrée pour une durée de trois ans (ou quatre ans pour les petites organisations), sous réserve qu'elle respecte la réglementation environnementale applicable et que sa déclaration environnementale actualisée soit validée lors d'un audit annuel de suivi.