TROISIÈME PARTIE
PRÉSERVER, RÉNOVER ET REPENSER LE FONCIER ÉCONOMIQUE

I. PRÉSERVER LE POTENTIEL ÉCONOMIQUE DE LA FRANCE, C'EST D'ABORD PRÉSERVER LE FONCIER PRODUCTIF

À l'issue de quarante ans de désindustrialisation, une très faible part du territoire français est aujourd'hui consacrée aux activités productives. L'industrie, par exemple, représente environ 4 à 5% de l'artificialisation ancienne et nouvelle, alors qu'elle compte pour 13,1% du PIB.

Comment la France se situe-t-elle en matière de
consommation de foncier économique ?

Entre 2009 et 2018, la France est l'un des rares pays de l'Union européenne à avoir consommé de l'espace au profit des activités manufacturières, selon les données d'Eurostat.

Mais cela s'explique en partie par le fait que la part du territoire national déjà artificialisée pour l'activité économique est plus faible qu'ailleurs, reflétant une moindre industrialisation : il existe moins de sites et moins de friches à vocation économique. Ainsi, en France, 4% des surfaces seulement sont consacrées à l'activité industrielle, 14% aux surfaces commerciales et économiques ; contre 42% à l'habitat ou 28% aux transports par exemple. La consommation nouvelle de foncier est, elle aussi, très majoritairement portée par l'habitat.

Alors que la crise du logement s'aggrave et que le foncier se raréfie, l'activité économique pourrait être sacrifiée au profit de projets jugés plus urgents ou rentables. Or, préserver le potentiel économique de la France, et donc la création d'emplois et de richesses, implique de protéger le foncier économique et de lutter contre l'effet d'éviction des activités productives.

De plus, le foncier à vocation économique est soumis à des contraintes plus fortes : il est souvent contraint par la loi ou le règlement à des distances minimales d'éloignement des zones habitées, ou doit prendre en compte les enjeux de raccordement et de desserte.

Une fois la vocation économique d'une emprise perdue, par exemple lorsqu'une zone d'activité est remplacée par des programmes de logement, il est souvent difficile de retrouver ailleurs des sites permettant d'accueillir une activité productive similaire. C'est particulièrement le cas pour les installations ICPE (classées pour la protection de l'environnement) ou logistiques.

PAROLES D'ENTREPRISES

Une zone industrielle, présentant des avantages intéressants en termes de desserte ferroviaire, et répondant à la réglementation applicable aux sites « Seveso », est implantée de longue date à bonne distance de l'agglomération.

Mais l'extension progressive de la ville, et notamment de récents quartiers de logements, a fortement réduit la distance entre ce site et les habitations. Face à l'opposition des nouveaux riverains et en raison des contraintes de leur activité, les entreprises de la zone vont devoir déménager et retrouver des zones d'implantation compatibles avec la réglementation applicable, plus en dehors de la ville. De telles zones n'existent pas aujourd'hui.

Les entreprises sont prises dans un étau, entre l'amenuisement des surfaces déjà artificialisées dédiées au foncier économique, et les objectifs de « ZAN » qui contraignent l'extension nouvelle.

« Les évolutions des documents d'urbanisme liées au ZAN pourront rendre
brusquement inconstructibles des terrains mis en réserve depuis longtemps
pour des extensions industrielles des PME et ETI locales »

Alors qu'il existe pour le logement ou pour les terres agricoles des dispositifs juridiques visant à protéger les emprises (emplacements réservés, préemption par les collectivités compétentes ou par la SAFER), il n'existe aucun mécanisme protecteur pour le foncier économique, qui est entièrement soumis aux règles du marché.

« Il y a un vrai retard dans la prise en compte des besoins de l'activité économique
dans la répartition des enveloppes foncières entre territoires »

La planification de l'urbanisme et de l'aménagement doit tenir compte de cette double contrainte, et tendre à préserver les emprises existantes à vocation économique, pour lutter contre la concurrence des usages, qui joue bien souvent en défaveur des entreprises. La réhabilitation des zones d'activité vieillissantes, mais aussi la celle des friches, doivent donc être encouragées.

PAROLES D'ENTREPRISES

Une entreprise artisanale du secteur du BTP est implantée de longue date sur un site éloigné du centre-ville. Avec l'extension des zones d'habitation, elle acquiert de nouveaux riverains.

Faisant l'objet de plaintes pour nuisances, bien qu'implantée antérieurement, l'entreprise est priée de déménager. Face à son refus, la collectivité classe son terrain d'installation comme inconstructible, afin d'empêcher tout développement de l'activité et de la contraindre à un départ de la zone.

Préserver le foncier économique à vocation industrielle signifie aussi amplifier l'effort de revitalisation des centres-villes et l'utilisation du tissu urbain, afin que puisse s'y implanter à nouveau et en priorité l'activité commerciale et artisanale, soumise à moins de contraintes urbanistiques. Déjà, certaines collectivités entendues ont fait le choix d'interdire toute implantation commerciale dans les zones d'activité, pour les réserver en priorité aux activités productives.

Les besoins logistiques engendrés par la réindustrialisation et la recomposition des chaînes de valeur sont importants, et ce dans l'ensemble des secteurs d'activité productifs. Or, l'acceptabilité des projets logistiques est aujourd'hui très faible. Cela pose question quant à la capacité de l'entreprise de demain à organiser son approvisionnement et celle de notre pays à déployer le réseau d'infrastructure nécessaire.

La logistique : des projets particulièrement touchés par le manque d'acceptabilité

Dans le secteur de la logistique, le nombre de projets autorisés marque une forte baisse depuis environ cinq ans. De l'avis des personnes entendues, les difficultés à faire émerger des projets dans le secteur de la logistique relève principalement d'un manque d'acceptabilité auprès des riverains, ceux-ci craignant nuisances et circulation routière, mais aussi de la société en général, vis-à-vis de projets perçus comme consommateurs d'espace et à faible plus-value économique.

Pourtant, les besoins sont importants, évalués à 2500 hectares d'ici 2030 seulement par le rapport Mouchel-Blaisot. Le parc actuel est vieillissant, avec plus d'un quart des installations ayant plus de vingt ans. Les besoins devraient augmenter à moyen-terme, à hauteur de 12% supplémentaires de flux de marchandises d'ici 2050 selon une étude du ministère des transports publiée en 2023. Les besoins sont aussi spécifiques, puisque les sites logistiques doivent s'implanter à des carrefours précis, desservis par plusieurs modes de transport et à proximité des pôles d'activité et des villes. Or, le secteur atteint déjà un niveau de saturation élevé, avec moins de 2% de vacance en moyenne en France.

Mettre en lumière la tension sur le foncier économique ne signifie pas renvoyer à l'arrière-plan l'enjeu majeur du logement, et notamment du logement des salariés. L'entreprise ne s'implante ni ne prospère sans bassin dynamique, au sein duquel les salariés peuvent facilement se loger à proximité de leur lieu de travail. À l'inverse, un territoire ne peut se développer sans développement économique, clef de voûte de l'emploi.

Pénurie de logement pour les salariés : le revers de la médaille

Tension sur le foncier économique et difficultés de logement des salariés vont souvent de pair : dans un contexte de crise du logement généralisée, les entreprises portent une attention particulière à la capacité d'accueil du territoire où ils s'implantent. En zone tendue, le défi est souvent double pour les chefs d'entreprise : certains se mobilisent désormais pour trouver eux-mêmes des solutions pour leurs salariés et saisonniers. La capacité d'action d'Action logement a, de surcroît, été largement obérée par les récentes ponctions sur ses ressources.

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