TRAVAUX DE L'OFFICE
I. COMPTE RENDU DE L'AUDITION PUBLIQUE DU 23 NOVEMBRE 2023
Audition publique sur le développement des réacteurs nucléaires innovants en France
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office, rapporteur. - Chers collègues, je vous souhaite la bienvenue à cette audition publique de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) consacrée au développement des réacteurs nucléaires innovants en France. L'Office a déjà travaillé sur ce sujet, notamment dans le cadre d'un rapport de juillet 2021 : « L'énergie nucléaire du futur et les conséquences de l'abandon du projet de réacteur nucléaire de quatrième génération Astrid », dont j'ai été le corapporteur avec le député Thomas Gassilloud.
Dans ce cadre, nous avions formulé plusieurs préconisations. Certaines sont en voie de se concrétiser, par exemple fédérer les pays européens favorables au nucléaire, renforcer les moyens dévolus à l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et à l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) ou encore prolonger sur plusieurs années le soutien accordé au projet de petit réacteur à eau pressurisée français NUWARD.
Deux ans et demi après la publication de ce rapport, il nous a paru utile de faire un point sur le développement des réacteurs nucléaires innovants en France, indépendamment de leur technologie.
Cette audition comportera trois séquences distinctes, avec deux tables rondes. La première table ronde nous permettra d'entendre quatre start-up qui développent des réacteurs à neutrons rapides (RNR), avec une attention particulière sur la fermeture du cycle, qui est toujours inscrite dans la loi. La seconde table ronde montrera, avec les représentants d'EDF, du Groupement des industriels français de l'énergie nucléaire (GIFEN) et de NUWARD, que les innovations concernent aussi la technologie des réacteurs à eau pressurisée (REP). Le pôle de compétitivité Nuclear Valley fera le lien entre les deux tables rondes. La matinée se conclura par une intervention coordonnée de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), sur l'accompagnement de la certification des solutions techniques innovantes, fondamental pour la réussite de l'innovation en matière nucléaire.
J'ai également sollicité la participation à nos débats de représentants de la Commission nationale d'évaluation des recherches et études relatives à la gestion des matières et des déchets radioactifs (CNE2). Elle sera représentée par l'un de ses membres, Philippe Gaillochet, ainsi que par son secrétaire général et conseiller scientifique, François Storrer. L'Office avait en effet saisi la CNE2 en mars 2022 pour évaluer l'impact des nouveaux projets de réacteurs sur le cycle des matières et des déchets radioactifs. Nous avons d'ailleurs eu le plaisir d'auditionner la CNE2 voici quelques semaines.
Cette matinée n'a évidemment pas vocation à l'exhaustivité. Elle marque le commencement d'une série de travaux relatifs au secteur nucléaire en France. La prochaine étape sera une audition sur l'évaluation du Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR).
Je rappelle que nos travaux sont diffusés en direct sur le site internet du Sénat et que la vidéo sera ensuite disponible à la demande sur les sites de l'Assemblée et du Sénat. Il sera par ailleurs possible aux internautes, comme nous en avons pris l'habitude, de soumettre des questions en ligne, par l'intermédiaire de la plateforme dont le lien figure sur les pages internet de l'Office. Certaines de ces questions pourront ainsi être posées aux participants lors de l'audition.
M. Pierre Henriet, député, premier vice-président de l'Office. - Le Parlement, et particulièrement l'OPECST, étudie avec beaucoup d'attention les enjeux des réacteurs à neutrons rapides, mais également ceux des réacteurs à eau pressurisée. Cette matinée vise à faire un point de situation sur l'avancement des innovations. Notre rôle consiste également à éclairer le grand public sur les perspectives réalistes de ces développements, ainsi qu'à définir un cadre politique favorable à l'avenir de la filière nucléaire, notamment dans le contexte de la reprise des programmes nucléaires observée depuis un peu plus d'un an.
A. LES START-UP ET L'INNOVATION DANS LE DOMAINE DES RÉACTEURS À NEUTRONS RAPIDES ET LA FERMETURE DU CYCLE
Mme Olga Givernet, députée, rapporteure. - L'avenir du nucléaire est en train de s'écrire. Il est porté par l'ingéniosité et le dynamisme de nombreuses start-up, de l'ordre de quatre-vingts à travers le monde. Cette première table ronde réunit quatre start-up qui développent de nouveaux réacteurs à neutrons rapides. Elle sera l'occasion de prendre connaissance de leurs projets et de comprendre de quelle façon ils s'inscrivent dans la logique de « fermeture » du cycle du combustible. En effet, notre pays a fait le choix d'un cycle du combustible nucléaire dit fermé, qui consiste à traiter les combustibles usés pour récupérer les matières valorisables, uranium et plutonium. Cette stratégie trouverait sa pleine mesure avec le déploiement de réacteurs nucléaires à neutrons rapides, capables de multi-recycler le combustible usé et d'utiliser les matières nucléaires présentes sur notre territoire, avec à la clé plusieurs centaines d'années de ressource énergétique. Le développement d'un tel réacteur est d'ailleurs prévu par la loi du 28 juin 2006 de programme relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs.
Nous débutons cette table ronde avec l'entreprise NAAREA (Nuclear Abundant Affordable Resourceful Energy for All), une entreprise française lauréate de l'appel à projets Réacteurs nucléaires innovants de l'Agence nationale de la recherche (ANR). Elle est représentée par Jean-Luc Alexandre et Christophe Béhar, habitué des auditions de l'OPECST lorsqu'il était directeur de l'énergie nucléaire au Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA).
M. Jean-Luc Alexandre, président fondateur NAAREA. - NAAREA, créée il y a trois ans, vise à fournir de l'électricité et de la chaleur décarbonées à des industriels. Nous nous inscrivons dans la fermeture du cycle de la matière et avons retenu une technologie qui avait déjà démontré sa capacité à éliminer certains produits de vie très longue. Nous avons choisi un petit réacteur de 40 mégawatts électriques ou 80 mégawatts thermiques, qui permet, par exemple, de fournir la consommation résidentielle d'une ville de la taille de Bordeaux, Strasbourg ou Nantes, ou d'alimenter des gros îlots industriels : des hauts fourneaux, de grosses usines de voitures ou de dessalement d'eau dans les zones en stress hydrique, etc.
Cette solution peut être délivrée rapidement à des industriels. Elle est très compacte, puisque l'îlot nucléaire tient dans un container de la taille d'un autobus, et peut être complété d'un deuxième îlot pour produire de l'électricité à partir de la chaleur. Nous avons choisi un réacteur à sels fondus, dont la viabilité a été démontrée aux États-Unis au siècle dernier, que nous avons combiné avec les neutrons rapides pour pouvoir fissionner le plutonium et, à terme, des actinides mineurs et de l'uranium.
La miniaturisation dans un petit container nous permet de nous affranchir de l'eau pour refroidir le réacteur, qui n'a donc pas besoin d'être placé à côté d'une source froide comme une rivière ou la mer. Cette solution permet également de ne pas avoir d'impact sur la ressource en eau, le refroidissement s'effectuant grâce à la convection naturelle.
Cette technologie est assez prometteuse, puisqu'elle offre une pilotabilité quasiment instantanée, qui permet de compenser, par exemple, l'intermittence des énergies renouvelables, dont elle constitue un complément idéal. Elle permet également d'accompagner la charge d'une usine, qui n'est jamais continue. L'électricité et la chaleur d'usage industriel sont produites à partir d'une source à très haute température, 650 degrés, qui répond aux besoins de nombreux procédés industriels. La chaleur fatale à 75 degrés générée lors de la production d'électricité permet de chauffer des bâtiments et d'apporter ainsi une réponse globale aux besoins industriels.
L'entreprise, en croissance rapide depuis janvier 2022, est aujourd'hui composée de 175 collaborateurs. Elle est financée sur fonds privés français par des bureaux de gestion de fortune familiale. L'objectif à présent est de lever les sommes nécessaires pour construire un prototype. Nous prévoyons une mise sur le marché à partir de 2030, ce qui implique une cadence assez soutenue pour effectuer toutes les démonstrations de sûreté et de sécurité nécessaires sur des petits objets ayant vocation à être fabriqués en grande série, dans une usine. Une fois le réacteur construit, il peut être transporté sur son lieu d'implantation.
M. Christophe Béhar, directeur AMO (assistance maîtrise d'ouvrage) et CTO (Chief Technical Officer ou directeur technique), NAAREA. - Dès le début de nos travaux au sein de NAAREA, nous avons pris en compte le cycle du combustible. Je n'avais pas beaucoup de mérite, puisque j'ai été durant plusieurs années responsable d'Astrid au sein du CEA. Nous avons examiné de quelle manière il nous était possible de nous insérer dans le cycle du combustible du parc de réacteurs à eau pressurisée (REP).
Nos sels combustibles utiliseront du plutonium, de l'uranium appauvri et des sels de chlorure. À terme, notre plutonium devrait provenir de La Hague, dont les capacités devraient être revues à l'horizon 2040. À ce moment-là, il serait bon que nos besoins soient pris en compte, sachant qu'EDF continuera probablement à fabriquer des combustibles MOX pour ses réacteurs à eau pressurisée.
Par ailleurs, pour limiter la production de chlore 36 par activation neutronique - le chlore 36 posant des problèmes pour le stockage des déchets radioactifs - il sera nécessaire de procéder à une séparation isotopique du chlore naturel, qui comprend les deux isotopes 35 et 37. Nous séparerons ces isotopes, afin d'enrichir le chlore naturel en chlore 37, réduisant ainsi la formation de chlore 36.
Nous fabriquerons notre combustible et nous l'injecterons dans nos réacteurs. Une fois que ce combustible sera usé - notre objectif de durée de fonctionnement étant actuellement de trois à quatre ans à pleine puissance, nous le déchargerons. Comme nous ne souhaitons pas développer un nouveau procédé de retraitement, nous utiliserons un « atelier passerelle », pour extraire du sel et le réinjecter dans l'unité de fabrication des sels combustibles. En effet, les colis de verre fabriqués à La Hague pour conditionner les déchets à vie longue ne supportent pas un excès de sel.
En conclusion, aucune innovation forte ne sera requise sur les unités de retraitement actuellement en service : les deux systèmes, c'est-à-dire les réacteurs à eau pressurisée et les réacteurs à sels fondus, peuvent fonctionner parallèlement.
Mme Olga Givernet, députée, rapporteure. - Je cède la parole à Sylvain Nizou et Paul Gauthé, de la société HEXANA, dont le projet concerne un réacteur à neutrons rapides refroidi au sodium.
M. Sylvain Nizou, CEO, HEXANA. - HEXANA, spin-off du CEA, conçoit un réacteur nucléaire modulaire AMR (Advanced modular reactor) de quatrième génération, qui s'appuie sur la technologie des réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium. Ce système vise à fournir une solution crédible et une alternative à l'utilisation des combustibles fossiles dans l'industrie, en remplacement du pétrole, du gaz et du charbon, en fournissant de la chaleur à haute température, à 500 degrés, et de l'électricité, de façon très flexible.
Nous proposons un réacteur modulaire de 400 mégawatts thermiques. Deux réacteurs couplés délivrent donc 800 MW thermiques, soit 300 MW électriques, associés à un dispositif de stockage de chaleur, qui permet d'acheminer l'énergie vers l'utilisateur de manière très flexible et de dissocier le fonctionnement et le rythme du réacteur de la consommation de l'utilisateur.
Notre objectif consiste à démarrer une tête de série industrielle en 2035 sur un site français, afin de déployer d'ici à 2050 une dizaine d'installations en France, au service des zones industrielles les plus consommatrices d'énergie et les plus émettrices du CO2. Nous avons choisi cette technologie pour trois raisons simples.
La première raison concerne la maturité et la crédibilité du coeur technologique embarqué dans cette solution innovante. Nous nous appuyons sur la technologie des réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium - considérée comme la plus mature pour les réacteurs de quatrième génération, puisqu'elle bénéficie de plus de 400 ans de fonctionnement cumulé de réacteurs à l'échelle mondiale. En France, le réacteur Phénix a permis de qualifier les matériaux et le combustible MOX. Le projet de réacteur Superphénix a démontré la faisabilité à l'échelle industrielle de cette technologie, avec un taux de disponibilité de 96 % sur les dernières années. Enfin, le projet Astrid a permis de renouveler les compétences, de qualifier et de développer de nouveaux outils de calcul. HEXANA va capitaliser sur cette connaissance et ce savoir-faire développés en France, en bénéficiant d'un accès à la propriété intellectuelle et au savoir-faire du CEA et d'EDF.
La deuxième raison justifiant le choix de cette technologie est liée aux performances. En fournissant de la chaleur à l'industrie - en particulier de la chaleur à haute température - et de l'électricité, nous allons résoudre la problématique de l'ultra-dépendance au pétrole, au gaz et au charbon, en particulier dans les secteurs de l'acier, de la chimie, du ciment, de la production d'hydrogène ou de carburant. Ainsi, une journée de fonctionnement de cette solution équivaut à la production de 200 tonnes d'hydrogène bas carbone.
Enfin, cette technologie permet d'engager la fermeture du cycle du combustible nucléaire, en utilisant un combustible MOX produit à partir de plutonium et d'uranium appauvri, des ressources disponibles en quantités importantes et qui représentent des volumes d'énergie considérables, pour plusieurs siècles.
Cette stratégie permet d'améliorer l'impact environnemental, en sortant d'un processus extractiviste, mais aussi de réduire la dépendance aux prix de marché du minerai d'uranium, de regagner en souveraineté énergétique et de maîtriser le coût de l'énergie.
M. Paul Gauthé, CTO & co-fondateur, HEXANA. - Je viens du CEA où j'ai travaillé sur l'exploitation du réacteur sodium Phénix qui a fonctionné jusqu'en 2009 à Marcoule, puis sur le projet Astrid en sûreté et en conception. Chez HEXANA, nous poursuivons l'idée d'un réacteur modulaire, plus petit, plus compact et plus sûr, puisque le sodium est un métal liquide qui n'a pas besoin d'être en pression et qui permet de refroidir le réacteur simplement avec l'air, en convection naturelle, sans électricité et sans eau.
Notre spécificité réside également dans l'association d'un réacteur au sodium à un système de stockage thermique dans des sels fondus de nitrate, ce qui permet de produire de l'électricité de façon extrêmement flexible, sans variation de la puissance du réacteur. Cette approche accroît la durée de vie du réacteur, découple la partie nucléaire de la partie industrielle et élimine la présence d'eau dans le système. Nous utilisons du MOX RNR, un mélange d'uranium appauvri et de plutonium provenant des combustibles usés. Ce MOX peut être qualifié, fabriqué et retraité, puisqu'il a été utilisé pour Phénix et Superphénix. Les Russes ont récemment annoncé l'utilisation de MOX dans leurs réacteurs rapides au sodium. Nous savions déjà le faire il y a cinquante ans. Le multi-recyclage du plutonium est également une réalité. En outre, nous avons vérifié la possibilité d'accepter plusieurs types de plutonium, issu des combustibles uranium ou MOX des réacteurs à eau pressurisée.
Le réacteur est suffisamment puissant pour être isogénérateur - c'est-à-dire qu'il consomme autant de combustible qu'il en produit - ouvrant la voie à une ère du nucléaire durable ; cette technologie nous permettrait de devenir « l'Arabie saoudite de l'énergie décarbonée ». En conclusion, HEXANA aspire à raviver l'esprit de conquête du nucléaire français, en visant une réalisation rapide plutôt qu'à la fin du siècle.
Mme Olga Givernet, députée, rapporteure. - Nicolas Breyton et Lucas Tardieu vont à présent nous présenter STELLARIA, société également essaimée du CEA, qui propose une nouvelle génération de réacteurs à sels fondus, à destination des grands industriels.
M. Nicolas Breyton, CEO de STELLARIA. - STELLARIA conçoit le premier réacteur à sels fondus, de deux fois 110 mégawatts électriques, qui assure la régénération de son combustible au sein même du coeur. Le réacteur Stellarium a été développé dans le cadre d'une alliance industrielle avec Orano, le CEA, mais aussi Technip et Schneider Electric. La société est née d'une rencontre entre des experts techniques d'Astrid et des experts des besoins des industriels électro-intensifs, opérant dans divers secteurs, tels que les mines, les centres de données, les zones portuaires, etc. Nous avons aussi été à l'écoute des besoins d'EDF et d'Orano pour la fermeture du cycle, besoins que notre projet satisfait complètement.
L'objectif consiste à fournir une tête de série d'ici 2035, destinée aux grands clients industriels qui doivent fonctionner vingt-quatre heures sur vingt-quatre avec une énergie décarbonée à bas coût, produite en juste à temps, en suivant la courbe de la demande. Pour réindustrialiser et électrifier le pays, il faut garantir des factures d'énergie stables à long terme.
La filière industrielle a pour objectif de fermer le cycle, en valorisant pleinement l'uranium et le plutonium issus des réacteurs à eau pressurisée, ainsi que les matières contenues dans les combustibles usés, et, si possible, d'incinérer l'américium et les autres actinides mineurs. Notre stratégie vise donc à diminuer la dépendance aux mines étrangères, pour atteindre la souveraineté énergétique.
La somme de ces besoins converge vers une technologie de rupture, conduisant à la création d'une nouvelle filière à neutrons rapides à combustibles liquides. Les combustibles liquides présentent l'avantage de fournir une électricité très rapidement commandable à la hausse et à la baisse, constituant ainsi un complément aux énergies intermittentes. En outre, le réacteur Stellarium peut s'arrêter très rapidement grâce à la dilatation naturelle des combustibles liquides, ce qui apporte une sûreté intrinsèque par conception, y compris en cas de perte totale du circuit primaire. Il fonctionne à pression atmosphérique et en convection naturelle, ce qui empêche le dégazage en cas d'accident. Enfin, il n'y a pas de risque de fusion de coeur puisque celui-ci est naturellement fondu. La zone d'exclusion de sûreté est donc très limitée, ce qui permet un déploiement nouveau dans des grandes zones industrielles. Nous avons choisi des sites sur lesquels les services de sécurité existent.
Nous pouvons fournir deux fois 110 mégawatts électriques en autonomie pendant quinze ans sur une surface compacte de la taille d'un ou deux terrains de football, ce qui permet de résoudre le problème du foncier dans des zones plus contraintes. L'autonomie étant totale durant quinze ans, le combustible reste sur site, ce qui évite les transports inutiles.
Par ailleurs, le réacteur Stellarium fournit la capacité de multirecycler les combustibles usés issus des réacteurs à eau pressurisée, s'inscrivant parfaitement dans la stratégie de fermeture du cycle. Il est tolérant et peut fonctionner avec différents types de combustibles liquides mélangés dans le sel : le MOX, même dégradé, l'uranium de retraitement et le thorium. Nous avons 9 000 tonnes de thorium ainsi que 320 000 tonnes d'uranium appauvri sur notre sol, qui sont valorisables. De ce fait, le Stellarium permet une diversification des approvisionnements et une gestion de l'inventaire du plutonium civil, ainsi qu'un renforcement de notre souveraineté.
Les déchets de haute activité peuvent être transmutés dans notre réacteur, réduisant ainsi la demi-vie moyenne de ces déchets de 300 000 ans à 300 ans. De plus, le Stellarium ouvre la perspective nouvelle d'un renouvellement de 100 % du combustible pendant son fonctionnement normal : il remplace instantanément les matières fissionnées par des matières fertilisées au sein même de son coeur, comme une voiture qui renouvellerait son carburant. Cela permettra d'offrir une stabilité de production électrique inégalée et une grande continuité de service, donc de garantir une facture énergétique stable et prévisible pour les industriels.
Pour réussir ce projet, nous avons trois besoins immédiats. Premièrement, nous avons besoin de zones dédiées au sein des sites de recherche existants pour mener rapidement des expériences scientifiques. Deuxièmement, il est essentiel de mettre en place des procédures simplifiées pour obtenir les autorisations nécessaires à ces expériences à petite échelle. Ces autorisations devront être accordées dans le respect le plus strict des normes de sûreté, les exigences devant, comme le suggère un rapport de l'OPECST, être proportionnées au risque radiologique réel. Enfin, nous aurons besoin de créer en un temps record, avec nos partenaires Orano et le CEA, les sels combustibles de recherche nécessaires pour procéder à ces expériences. La simplification des autorisations pour ces combustibles de recherche sera également un enjeu majeur.
À plus long terme, il faudra envisager la perspective de nouveaux sites nucléaires permettant de déployer ces petits réacteurs dans des zones industrielles. Compte tenu de la crise énergétique et de l'explosion des besoins en uranium, l'heure des réacteurs à neutrons rapides est venue. Ils constituent la meilleure solution environnementale pour offrir une énergie à la hauteur des besoins industriels, une énergie souveraine, sûre, décarbonée, durable et renouvelable pendant des siècles.
Mme Olga Givernet, députée, rapporteure. - Nous achevons cette table ronde avec l'intervention de NEWCLEO, représentée par Ludovic Vandendriesche. NEWCLEO est une société d'origine italienne implantée à Lyon - nos amis italiens ayant gardé un haut niveau scientifique en physique nucléaire malgré l'abandon, sans doute provisoire, de son utilisation pour l'énergie. NEWCLEO développe des réacteurs nucléaires rapides refroidis au plomb.
M. Ludovic Vandendriesche, directeur général France, NEWCLEO. - NEWCLEO a été créée en 2021 sur financement privé, à l'initiative de fondateurs italiens. Elle s'est implantée dans un premier temps au Royaume Uni avant de créer en 2022 une entité à Lyon, afin d'accompagner la renaissance du nucléaire, annoncée par le Président de la République. Au milieu de cette année, elle a été lauréate de France 2030, dans le cadre de l'appel à projets sur les réacteurs nucléaires innovants. Notre vocation est d'être un acteur compétitif de la transition énergétique et de proposer un nucléaire durable.
Nous proposons un concept de réacteur SMR (small modular reactor) de quatrième génération à neutrons rapides refroidi au plomb. Cette technologie est fondée sur un acquis conséquent en France et sur vingt-cinq années de R&D en Europe, notamment en Italie, sur les réacteurs au plomb. Il s'agit d'un nucléaire vertueux et durable dans le cadre de la fermeture du cycle du combustible, qui permet un recyclage des matières valorisables issues des déchets nucléaires. Nous avons vocation à nous inscrire dans un écosystème collaboratif pour développer un réacteur nucléaire dont la puissance est de 200 mégawatts électriques, mais également une usine de fabrication de combustible MOX RNR, différent de celui utilisé actuellement en France. Les applications sont multiples, la principale portant sur la génération d'électricité et l'alimentation du réseau.
Nous avons déjà réalisé deux levées de fonds, en 2021 et début 2022, pour un total de 500 millions d'euros. Une troisième levée est en cours, pour atteindre un milliard d'euros. Le calendrier inclut la construction d'une installation d'essai sur le site de Brassimone en Italie d'ici 2026, puis d'un démonstrateur industriel et d'une usine de combustibles MOX en France à l'horizon 2030. Nous souhaitons nous appuyer sur une supply chain européenne intégrée dès les phases de conception, pour respecter ces objectifs de livraison assez ambitieux, et donc sur un modèle de partenariat, voire d'acquisition d'un certain nombre de fournisseurs stratégiques.
Nos priorités portent sur une forme de labellisation par le Gouvernement français, en tant que fabricant de combustible MOX RNR. Nous recherchons également l'appui du Gouvernement pour l'acquisition de deux sites nucléaires existants, l'un pour pouvoir implanter notre premier réacteur démonstrateur industriel, l'autre pour l'usine de fabrication de combustibles MOX.
M. Stéphane Calpena, directeur de la sureté et des processus réglementaires, NEWCLEO. - NEWCLEO souhaite fabriquer du combustible MOX pour ses propres besoins et ceux de nos confrères. Le choix du plomb s'appuie sur vingt-cinq à trente années de recherche et développement (R&D) en Italie. Celle-ci a continué après la fermeture de Superphénix, sur lequel beaucoup d'Italiens ont travaillé. De nombreux collaborateurs de NEWCLEO proviennent des équipes de Phénix, Superphénix et Astrid. Par ailleurs, le plomb ne réagit pas avec l'air et l'eau, ce qui représente un progrès par rapport au sodium. De plus, la convection naturelle fonctionne bien. Contrairement aux réacteurs à eau pressurisée, il n'existe aucun risque de fuite, l'ensemble étant regroupé dans une seule cuve.
Le réacteur est auto-stabilisant : quand la température monte un peu trop, la réaction nucléaire est étouffée, à travers un équilibre en conditions accidentelles, qui intervient probablement entre 600 et 700 degrés. La marge est importante, l'ébullition du plomb intervenant à 1 740 degrés, et nous souhaitons la valoriser auprès de l'Autorité de sécurité nucléaire et de l'IRSN. Notre technologie repose également sur de nombreux systèmes passifs et une capacité de rétention des radionucléides par le plomb. Nous poursuivons la R&D. Le précurseur, situé en Italie, ne sera pas un réacteur nucléaire, puisque des chaufferettes électriques remplacent le combustible, mais il est quasiment à l'échelle. Plusieurs réunions sont planifiées avec l'Autorité de sûreté nucléaire sur l'inspection en service et les aspects de corrosion qui sont les points regardés de près pour ce type de réacteurs.
Mme Olga Givernet, députée, rapporteure. - Je vous propose de passer à présent au débat. Avez-vous été en mesure de quantifier vos besoins en combustible ? Comment allez-vous les approvisionner ?
M. Christophe Béhar. - Nous avons quantifié les quantités de combustible nécessaire au déploiement d'une flotte de réacteurs. Celui-ci proviendrait de l'usine de retraitement de La Hague mise à niveau, mais nous envisageons également de faire venir des combustibles usés de l'étranger, afin qu'ils soient retraités pour pouvoir ensuite fournir du plutonium pour nos besoins.
M. Paul Gauthé. - De notre côté, nous avons besoin de deux tonnes de MOX pour démarrer un réacteur. Nous savons le fabriquer et l'avons fait à l'atelier de technologie du plutonium de Cadarache, pour les réacteurs Phénix et Superphénix. Désormais, l'enjeu consiste à réindustrialiser un atelier MOX RNR au plus vite. Orano pourrait être un acteur, puisqu'il devait alimenter le réacteur Astrid. Mais nous sommes également intéressés par le projet de NEWCLEO.
M. Lucas Tardieu, architecte réacteur, STELLARIA. - Les calculs fournissent une évaluation de ce que consomme un réacteur. La régénération constante du combustible au sein de notre réacteur permet de limiter les transports ainsi que l'appel à une usine de retraitement, sollicitée tous les 15 ans. Les calculs sont en cours pour bien déterminer le besoin.
M. Ludovic Vandendriesche. - Les ordres de grandeur sont également de deux tonnes pour nous. Notre usine de fabrication de MOX a vocation à être modulaire, la capacité de production démarrant à 20 tonnes pour croître jusqu'à 60 tonnes, afin d'accompagner le déploiement du parc au fil des années.
M. Alexandre Sabatou, député. - Qu'attendez-vous concrètement des pouvoirs publics ? Vous estimez-vous suffisamment soutenus ? La règlementation et les normes en vigueur représentent-elles des obstacles importants pour le développement de vos technologies ?
M. Jean-Luc Alexandre. - Nous remercions les pouvoirs publics d'avoir accompagné NAAREA sur l'appel à projets France 2030. Ce soutien permet d'envoyer un signal aux investisseurs privés, qui ont besoin de voir que l'État croit à notre projet. Au-delà du label, il est important d'accompagner les start-up dans la réalisation des démonstrations de sûreté, notamment grâce aux ressources que l'État a pu développer, comme les outils de calcul scientifique déjà homologués. Homologuer de nouveaux logiciels serait extrêmement long. En outre, l'État pourrait nous aider à accélérer nos projets, en mettant à disposition un site nucléaire pour nos prototypes.
M. Sylvain Nizou. - L'appel à projets France 2030 permet d'enclencher une dynamique forte et de faire émerger des acteurs sur des technologies existantes, ou qui doivent encore faire leurs preuves de concept. Il est également très important de donner aux autorités de sûreté les moyens d'expertiser les projets. Nous espérons bénéficier des acquis du passé, dans la mesure où la technologie RNR sodium a déjà été licenciée sur le sol français. Enfin, il est essentiel d'impulser une dynamique et une planification sur le combustible, pour accompagner les acteurs émergents sur des concepts innovants.
M. Nicolas Breyton. - Nous nous considérons comme un catalyseur de la recherche publique. Le projet est gagnant-gagnant si nous identifions ensemble les moyens d'accélérer les procédures et d'utiliser des installations existantes, pour trouver des solutions afin d'accélérer les roadmaps.
M. Ludovic Vandendriesche. - Les actions déjà réalisées par le Gouvernement depuis un an et demi sont assez exceptionnelles. Elles nous ont permis d'initier nos travaux et notre implantation sur le territoire. À présent, nous avons besoin que la thématique « combustible » soit intégrée de manière beaucoup plus concrète et pragmatique dans l'appel à projets sur les réacteurs nucléaires innovants. Pour le moment, elle demeure trop écartée. Dans ce cadre, l'attribution de sites est primordiale.
M. Stéphane Calpena. - Il importe de donner aux institutions de sûreté les moyens de suivre les nouveaux pétitionnaires. En outre, les délais d'obtention d'un décret d'autorisation de création (DAC) sont aujourd'hui très longs, six à sept ans. Nous aimerions que la loi du 22 juin 2023 soit amendée, pour permettre le début de la construction nucléaire avant l'obtention du DAC, aux risques et périls des pétitionnaires.
M. Jean-Luc Fugit, député, vice-président de l'Office. - Je m'adresse notamment à NAAREA. Comment envisagez-vous concrètement la fermeture du cycle du combustible ? Comment voyez-vous le financement des opérations de développement de ce nouveau nucléaire, compte tenu des contraintes pesant par ailleurs sur les finances publiques ? La loi du 22 juin 2023 vous semble-t-elle adaptée à vos secteurs ?
M. Daniel Salmon, sénateur. - Quelle est votre estimation du prix du mégawattheure (MWh) ? Existe-t-il de la place pour plusieurs modèles concurrents ?
M. Maxime Laisney, député. - Vous comptez tous sur le MOX, mais les informations dont nous disposons sur l'usine Melox font état d'un grand nombre de rebuts. Le pari que vous effectuez tous est celui d'une production en série et en quantité. Sous quels délais les usines de fabrication et les puissances installées seront-elles opérationnelles ? Quel en sera le coût ? Au-delà du développement des concepts, souhaitez-vous également réaliser l'exploitation, qui relève pour l'instant du monopole d'EDF ?
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office, rapporteur. - Considérez-vous que la décision d'arrêter le projet Astrid, prise dans l'été 2019, a mis fin à la possibilité de créer des réacteurs à neutrons rapides ? Les délais que vous annoncez semblent ambitieux. Pensez-vous réellement pouvoir les tenir ?
M. Christophe Béhar. - S'agissant de la fermeture du cycle, nous allons tous recycler le plutonium et nous partageons tous la technologie à neutrons rapides. Ensuite, si notre projet n'utilise pas de MOX, les autres participants à cette table ronde utiliseront probablement du MOX RNR, qui n'est pas exactement le même que celui des réacteurs à eau légère. Enfin, je fais partie de ceux qui pensent qu'il n'y aura pas à terme de nucléaire durable sans réacteurs à neutrons rapides.
M. Jean-Luc Alexandre. - La question du niveau des prix est capitale pour la compétitivité. Nous sommes sur un marché international : au niveau mondial, la demande électrique sera multipliée par trois ou quatre au cours des trente prochaines années. Le prix sera très attractif pour plusieurs raisons. Le niveau de sûreté passif sera très élevé pour la quatrième génération, induisant un impact direct sur les coûts d'investissement. Ensuite, nous sommes à la fois concepteur, fabricant, exploitant et mainteneur, soit le business model utilisé par la France dans un grand nombre de secteurs où elle est numéro un mondial, comme le secteur ferroviaire ou le secteur de l'eau. Nous serons plus compétitifs que les secteurs des énergies fossiles et des énergies renouvelables.
M. Sylvain Nizou. - S'agissant de la loi d'accélération du nucléaire, nous considérons qu'il est nécessaire de travailler avec l'État sur les questions de planification, pour l'installation des nouveaux réacteurs sur des sites existants ou de nouveaux sites. Aujourd'hui, HEXANA ne se revendique pas exploitant et collaborera activement avec ses partenaires, dont EDF. Enfin, nous nous positionnons dans une stratégie de capitalisation des acquis du projet Astrid, au service du futur.
M. Paul Gauthé. - Le prix de l'uranium a été multiplié par quatre depuis l'arrêt d'Astrid, ce qui rappelle l'urgence de réinvestir dans les réacteurs à neutrons rapides. Ensuite, le réacteur sodium s'appuie sur un écosystème encore existant, notamment l'entreprise Framatome. Enfin, les RNR sont des concepts de réacteurs sans pression. Nous ne sommes donc pas en concurrence avec la supply chain des REP, qui ont besoin de gros forgés. Nous sommes plutôt utilisateurs de chaudronnerie et de produits mécanosoudés.
M. Nicolas Breyton. - Les compétences qui ont été développées sur Astrid servent à d'autres projets, comme ceux qui vous sont présentés aujourd'hui. Je propose de créer une école des RNR, afin que les jeunes qui arrivent sur le marché soient aussi formés sur les réacteurs rapides.
M. Ludovic Vandendriesche. - Le business model de NEWCLEO est fondé à la fois sur un modèle d'exploitation des réacteurs, très probablement en collaboration étroite avec l'exploitant historique, et sur un modèle de licence, plutôt applicable à nos clients internationaux. Nous essaierons de faire valoir la supply chain que nous aurons développée pour les composants principaux des installations que nous placerons sous licence.