Échanges avec la salle
Sonia Lagarde,
présidente de
l'association française des maires de
Nouvelle-Calédonie
J'ai été ravie d'entendre les sénateurs sur les particularités des outre-mer et surtout les différences qui existent entre les départements et les territoires. Ce matin à Issy-les-Moulineaux, j'ai eu l'impression que l'on faisait un peu l'amalgame alors que nous sommes si différents.
En Nouvelle-Calédonie, les discussions sur le futur statut sont engagées ; elles sont compliquées. Le chemin sera long et difficile. Vous avez parlé d'une même voix de ces maires qui sont des acteurs de proximité, proches de leurs administrés. À l'aube de ces discussions, je voudrais vous interpeller : il ne faut pas oublier les maires. Aujourd'hui, certains élus locaux confisquent ces discussions et les maires sont à nouveau les oubliés de l'histoire.
Dieu sait s'il existe des choses à changer pour les communes. Le code des communes de la Nouvelle-Calédonie n'est pas le même que dans l'Hexagone. Sur les compétences des communes, le développement du territoire, mais aussi sur l'urbanisme, il faut changer les choses pour donner un peu plus de pouvoir aux maires qui sont aujourd'hui extrêmement dépendants des principes directeurs votés par la Nouvelle-Calédonie et du code de l'urbanisme des provinces.
En Nouvelle-Calédonie, les compétences constituent un véritable millefeuille où plus personne ne s'y reconnaît. Il est normal que les maires soient suspendus aux règles d'urbanisme de la Nouvelle-Calédonie pour l'aménagement de leur territoire. En revanche, quand les provinces édictent un code de l'urbanisme qui s'impose à vous et que vous devez voter un plan d'urbanisme directeur (PUD) exactement de la même manière qu'au niveau de la province, il faut entretenir de bonnes relations avec le président de la province pour que votre PUD soit adopté. Ainsi, l'aménagement du territoire sur lequel vous avez été élu vous échappe. Il ne faudra pas laisser les maires de côté dans la rédaction d'un futur statut.
Mathieu Darnaud,
sénateur de
l'Ardèche, 1er vice-président du
Sénat,
rapporteur de la mission d'information sur
l'avenir
de la commune et du maire
rapport Sénat n° 851
(2022-2023)
Je partage ces propos. Nous avions échangé il y a quelque temps sur les polices municipales et les problématiques des maires. Quand j'ai évoqué notre rapport sur l'avenir de la commune, j'ai pris à dessein le fait que la commune constitue un modèle à part dans l'architecture institutionnelle française. J'ai tendance à la qualifier de « patrie du quotidien ». La commune est le lieu où vos concitoyens, quels qu'ils soient, viennent vous voir pour toutes sortes de raison. Dans ce contexte, nous considérons que la clause de compétence générale dans la Constitution offrira aux maires la capacité de pouvoir évoquer tous les sujets du quotidien.
Bien évidemment, dans les discussions institutionnelles qui vont s'ouvrir, la commune doit nécessairement avoir une place. Nous avons besoin de cet échelon des communes pour passer les crises, les difficultés quotidiennes et faire en sorte que le fil de la confiance puisse se nouer à l'échelon de proximité. Dans le groupe de travail sur la décentralisation, nous avons vu la nécessité de re-questionner les statuts de l'ensemble de vos territoires. Or la commune constitue la porte d'entrée de ces réflexions, car nous partons de ce qui intéresse en premier lieu nos concitoyennes et nos concitoyens.
Il faut redonner une place centrale à la commune sur un versant constitutionnel tout en faisant en sorte de conserver un maximum d'agilité. Trop souvent aujourd'hui, les niveaux d'intervention de l'État ralentissent l'action des maires. Vous parliez du rapport à la province s'agissant des questions d'urbanisme, mais nous pourrions dire exactement la même chose dans l'Hexagone comme dans d'autres territoires. À Pointe-à-Pitre, nous avons évoqué par exemple le rapport à l'intercommunalité.
Il faut repartir de la base, c'est-à-dire la commune qui doit, sur ces sujets du quotidien dont fait partie l'urbanisme, avoir les moyens d'action pour répondre en temps et en heure aux aspirations des habitants de nos communes. Or malheureusement, nous assistons plutôt à une recentralisation aujourd'hui. Nous voulons tordre le cou à ce mouvement qui, selon nous, va dans le mauvais sens. Plus ces sujets seront placés à un niveau supra-communal, plus la décision sera éloignée du citoyen. Le maire est le bon interlocuteur. C'est le point commun de l'ensemble de nos travaux. La commune a forcément son mot à dire sur les évolutions institutionnelles et statutaires.
Madi Madi Souf,
président de
l'association des maires de Mayotte
Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénatrices et sénateurs, mes chers collègues, la commune et le principal personnage qui l'incarne, le maire, évoluent dans un contexte difficile fait de violences ou d'injures contre les élus, démissions de maires, crise des vocations, manque de moyens tant humains que financiers, complexité de l'exercice du mandat, concurrence des intercommunalités.
Je partage le principal point du rapport du 12 juillet dernier Avis de tempête sur la démocratie locale : soignons le mal des maires. Il faut rendre aux communes leur liberté et leur avenir, assurer les moyens financiers de leur liberté. Nous, les présidents des associations de maires des outre-mer, nous savons ce que nous voulons, surtout sur l'octroi de mer. Nous nous sommes concertés et nous considérons que, s'il doit bien sûr évoluer, cet octroi de mer ne doit pas pour autant disparaître. Il offre aux collectivités la liberté de décider de ce dont elles ont besoin pour leur développement.
Sur l'autre thème de cet après-midi, à Mayotte, la crise de l'eau qui se déroule actuellement est inédite. Certes, les raisons sont multiples. À la rareté des pluies s'ajoute aussi une négligence de l'État concernant les investissements. Nous n'avons pas suffisamment anticipé pour éviter cette crise. Depuis l'an dernier, l'association des maires et les maires de Mayotte, reçus ici par le président Gérard Larcher que je remercie, ont soulevé le problème de la violence que connaît Mayotte. Certes, l'État nous accompagne, mais ses réponses ne s'inscrivent pas dans la durée. Il faudrait des réponses pérennes. Si nous sommes présents à ce Congrès, nos pensées sont restées à Mayotte, compte tenu de la situation là-bas. Je demande à l'État, au Sénat, aux élus que vous êtes de nous accompagner ou de faire pression sur l'État pour que tout ce qui s'y passe cesse. Nous n'en pouvons plus. Mayotte n'attire plus les investisseurs à cause de cette violence, des enfants qui brûlent les voitures ou les maisons, et maintenant cette crise de l'eau. Nous ne sommes plus une île attractive. Je vous demande votre soutien au vu de cette crise.
Françoise Gatel,
sénateur
d'Ille-et-Vilaine,
président de la délégation aux
collectivités territoriales et à la décentralisation, et
rapporteur de la mission d'information
encourager
l'intercommunalité en Polynésie française
rapport
Sénat n° 123 (2023-2024)
J'insisterai sur le mot lassitude : les maires n'en peuvent plus. Ils sont épuisés par les violences, mais aussi par leur incapacité d'agir. Ce qui est souhaitable et nécessaire n'est bien souvent plus possible, parce que nous n'avons pas su anticiper. Nous en portons un peu une responsabilité collective, remontant sans doute à quelques quinquennats. Parfois, nous agissons en pompier. Nous intervenons quand une crise est très forte, nous ne parvenons pas toujours à éteindre le feu complètement et celui-ci continue à couver. Les solutions doivent effectivement être pérennes et travaillées avec les élus locaux, ceux qui savent et qui sont comptables devant la population. C'est au maire que l'on demande des comptes. Le maire ne peut pas être le sous-traitant de l'État. Le maire est un partenaire, un être humain qui marche sur deux jambes. L'État doit être en accompagnement et en écoute des élus locaux. Au Sénat, nous portons cette vision.
Dans l'Hexagone, pendant la crise Covid, aucune loi n'avait prévu de gérer cette crise. Les maires et les préfets, parce qu'ils voulaient bien agir, ont inventé des solutions. Il faut redonner cette capacité aux élus locaux sans pour autant les laisser seuls. Il faut établir une vraie relation de confiance et de responsabilité, en identifiant les sujets. À Mayotte, les sujets sont bien identifiés. Le chemin est long, mais nous ne devons jamais faiblir. Les élus locaux que vous êtes incarnent la dignité de la République dans la résolution de ces problèmes.
Marie-Jacqueline Carpin,
conseillère
municipale de Saint-Paul (La Réunion)
Vos propos sur la violence m'ont vraiment touchée et ont fait écho à mon quotidien. Le chômage est très répandu à La Réunion. Nous devons faire face à des citoyens qui ne comprennent pas toujours les difficultés de la crise du logement et qui cristallisent leur souffrance sur les élus. Je veux témoigner de termes qui m'ont été adressés, ainsi qu'à un autre élu. Nous avons porté plainte et au lieu d'apporter de l'apaisement, cette plainte a alimenté la crise. Comme s'il était normal qu'un élu encaisse de tels propos et se taise. J'ai reçu des sms me disant : « Continuez à vous engraisser avec l'argent de l'État ».
Nous sommes des hommes et des femmes, parfois des femmes qui vivent seules et ne se sentent pas en sécurité. Ce vécu est parfois douloureux. On en arrive à se dire : si j'avais su, je n'y serais pas allée. Être un représentant de la République est un rôle noble. Or nous n'avons pas signé pour cela. Nous prenons vraiment cette fonction à coeur. Nous aimons ce que nous faisons. Cette noblesse de coeur nous est aussi renvoyée quand tout se passe bien. Quand une personne a obtenu un contrat, quand son dossier a été accepté, quand les gens sont heureux, nous nous disons que cet engagement vaut le coup. Mais face à d'autres comportements, que pouvez-vous répondre quand vous êtes atteints dans votre condition de femme, votre couleur, vos origines ? Ces attaques ne peuvent que nous rendre malheureux. Au-delà de témoigner et de votre prise de conscience de cette violence, qu'entendez-vous faire concrètement ?
Catherine Conconne,
sénatrice de la
Martinique, secrétaire du Sénat
Merci pour votre témoignage touchant. Le problème vient du fait que l'école n'éduque pas et ne fabrique pas des citoyens. Je reçois parfois des élèves de terminale au Sénat. Quand ils arrivent, je leur demande s'ils connaissent le Sénat. Dans 99 % des cas, ils me répondent non. Ils ignorent comment se fabrique la loi. Nos enfants ne sont pas du tout formés à cette citoyenneté active. Très peu connaissent les limites de l'action d'un élu ou la façon dont se constitue un budget municipal. On pense qu'il suffit que le maire signe un chèque. Personne ne sait d'où viennent les recettes ni quelles sont les différences entre la route départementale, la route municipale ou la route privée.
J'ai discuté assez fermement avec la rectrice de l'académie de Martinique. Pour faire baisser la violence, avoir une citoyenneté plus épanouie et moins conflictuelle, l'école doit porter sa part de responsabilité. Par le passé, nous avions des cours d'instruction civique. Aujourd'hui, un cours est dispensé, généralement par des professeurs d'histoire-géographie et quand ils en ont le temps. Parfois, une année scolaire peut se passer sans que l'on ait expliqué à un enfant le rôle du maire.
L'adulte quant à lui se nourrit de plus en plus de tout ce qui se fait de plus négatif sur les réseaux sociaux et les élus doivent passer un temps considérable à rectifier. Combien de fois avons-nous entendu qu'un sénateur gagne 12 000 euros ? Je suis obligée de me déplacer avec ma feuille de rémunération. Je ne parle même pas du maire. Quand j'étais 2ème maire adjoint de Fort-de-France, en charge de la sécurité, je devais aller sur le terrain toutes les nuits et je percevais 700 euros par mois. Les gens en étaient étonnés. À quel moment instruit-on les citoyens sur le rôle de l'élu ?
La seule parade consiste à communiquer, dire la vérité, même sur les choses qui peuvent paraître intimes. J'affiche ma rémunération, mon agenda. Nous avons un effort de transparence et de communication énorme à faire pour rétablir ces vérités. Aujourd'hui, l'Éducation nationale doit entrer dans une logique de formation du citoyen. Nous ne devons pas laisser des jeunes sortir de terminale sans des connaissances de base sur le Parlement, la justice, etc. À défaut, nous ferons face à une armée d'ignorants qui attendront de nous tout et son contraire, avec l'agressivité qui va avec. L'Éducation nationale constitue un maillon important de la formation du citoyen.