Échanges avec la salle
Victorin Lurel,
sénateur de la
Guadeloupe
Les crises de l'eau sont différentes et récurrentes. La Martinique connaît également des dysfonctionnements. Mais la situation est bien plus grave en Guadeloupe et à Mayotte. J'ai beaucoup apprécié le rapport d'Hervé Gillé. Nous pouvons nous en inspirer. Faute de consensus entre élus de Guadeloupe, on nous a imposé le syndicat mixte de gestion de l'eau et de l'assainissement de Guadeloupe (SMGEAG). La coordination évoquée me semble pertinente.
320 millions d'euros nous ont été annoncés sur quatre ans pour résoudre les problèmes de l'eau alors qu'il faudrait entre 1 et 1,5 milliard d'euros si nous incluons les forages de la Grande-Terre. À l'époque, nous avions demandé au Gouvernement de garantir au moins 500 millions d'euros sur 30 ans pour donner les moyens à ce syndicat unique. Nous avons jusqu'en 2026 pour transférer ce pouvoir de gestion de l'eau des communes aux EPCI. 320 millions d'euros nous sont proposés aujourd'hui. Or j'ai cherché dans les missions, les programmes, les actions du projet de loi de finances et je ne les ai pas trouvés. Il faut être très attentif aux annonces.
De même, conduire une gestion pluriannuelle est de bonne politique. Avec les 10 millions d'euros accordés à ce syndicat à l'origine, il faudrait plus de 150 ans pour régler le problème en Guadeloupe. Certains ont même porté plainte pour non-assistance à peuple en danger et l'ONU s'est emparée de cette affaire. Même s'il faut prendre cette démarche avec prudence, le sujet s'est internationalisé.
Alors que le président et la délégation viennent d'instruire le rôle et la mission de l'État dans les outre-mer, le préfet de région réunit chaque semaine sept personnes, dont aucun élu guadeloupéen. Des techniciens sont venus de l'Hexagone. Cette démarche est très mauvaise en termes de symbolique, tout comme le fait de ne pas retrouver les 320 millions d'euros promis. Le Gouvernement a engagé un milliard d'euros pour la transition écologique, 250 millions d'euros pour la réduction de l'utilisation des produits phytosanitaires, quelques millions d'euros dans le fonds d'investissement des outre-mer, etc. Les fonds sont totalement dispersés.
J'attends de savoir ce qui nous sera réellement proposé le 7 décembre lors de l'examen du budget des outre-mer. Nous sommes vigilants au Sénat. Le Gouvernement fait la promotion de sa politique. Il en a le droit, tout comme nous avons le droit de contrôler. Le Sénat exerce son contrôle, produit de nombreux rapports et établit des lois dont il améliore souvent la rédaction. Nous devons être bons en légistique. Le président a ouvert un chantier sur la différenciation et l'avenir des communes. Il nous faut des légistes par exemple pour aller plus loin et préparer des amendements à la Constitution.
Olivier Hoarau,
maire du Port
(La Réunion)
Il est tout à fait normal que La Réunion apporte son soutien à Mayotte. Nous nous attardons sur des situations de rattrapage. Il est urgent de mettre en place des réseaux, mais il faut aussi s'attaquer à la préservation de la ressource en eau. Avec le changement climatique, nous sommes tous plus ou moins concernés par la sécheresse de nos rivières et de nos lacs. Sans une gestion anticipée de la raréfaction de la ressource, nous ferons face à de grandes calamités. L'humanité s'est construite autour des cours d'eau. Sans eau, pas de vie.
Au Port, je porte depuis quelques années une expérimentation sur la réutilisation des eaux grises. Ce concept a été repris dans le plan Eau du Gouvernement. Cette expérimentation a déjà présenté toutes les garanties sur la possibilité de réutiliser une eau traitée et filtrée pour les arrosages publics et l'usage industriel. Je suis choqué de constater que l'on fabrique du béton ou que l'on arrose des terrains de football avec de l'eau potable quand il y a de telles difficultés dans la gestion de l'eau à quelques heures d'avion, voire sur notre territoire, pour des cultures à l'est de l'île qui sont confrontées à des phénomènes de sécheresse.
Il y a urgence à faire évoluer la réglementation sur la réutilisation des eaux grises. Il serait temps que l'agence régionale de santé (ARS) se montre plus courageuse plutôt que « d'ouvrir le parapluie ». Je peux comprendre cette peur administrative. Pour autant, en Australie, en Israël, en Afrique du Sud ou en Californie, l'eau réutilisée est consommée. L'eau réutilisée préserve la ressource et permet en outre de venir en soutien aux territoires proches de l'océan Indien.
Hervé Gillé,
sénateur
de la Gironde,
rapporteur de la mission d'information sur la gestion
durable de l'eau : l'urgence d'agir pour nos usages, nos territoires et
notre environnement rapport Sénat n° 871
(2022-2023)
Nous commençons à observer des évolutions. L'ARS doit donner un avis. À défaut, le projet déposé est réputé validé. Jusqu'à présent, l'absence d'avis valait refus. Les décrets sur la réutilisation des eaux grises et des eaux usées commencent également à sortir. Nous constatons des gains de productivité très forts en termes de consommation d'eau dans les filières agroalimentaires. Ces évolutions sont très attendues. Nous constatons enfin des signaux vraiment favorables.
Christine Houblon,
conseillère
municipale des Abymes (Guadeloupe),
2e vice-présidente de
l'association des maires de la Guadeloupe
Je ne comprends pas pourquoi l'État a retiré la gestion de l'eau aux communautés d'agglomération. Aujourd'hui, nous ne manquons pas d'eau en Guadeloupe. Nous avons un problème d'argent. Puisque l'État a récupéré cette gestion par le biais du syndicat mixte, pourquoi ne mobilise-t-il pas les moyens financiers nécessaires pour régler le problème une fois pour toutes ? Messieurs les sénateurs, nous vous demandons pour la Guadeloupe et Mayotte de faire en sorte que sur le plan financier l'État engage les fonds nécessaires pour régler très rapidement ce problème. Nous avons payé avec nos factures d'eau l'entretien des canalisations. Cet entretien n'a pas été fait. Il faut maintenant réparer pour que nos concitoyens puissent vivre convenablement, comme tous les citoyens français.
Didier Meridan,
conseiller municipal des
Abymes (Guadeloupe)
J'étais membre du conseil d'administration du syndicat mixte de gestion de l'eau et de l'assainissement de Guadeloupe (SMGEAG). Je fais partie de ces élus qui ont démissionné. Nous sommes menacés, parce que l'eau ne coule pas au robinet et que la facture reste toujours la même, avec ou sans eau. Les élus doivent porter l'eau, mais n'ont pas le soutien des services administratifs. Il n'appartient pas à la commune, mais à celui qui porte la délégation de mettre en place cette distribution d'eau. Cette tâche est finalement relayée au niveau des communes, mais sans budget. Les élus doivent porter cette responsabilité et subir les mécontentements de la population.
Avoir un statut est une chose, mais dois-je porter plainte contre un administré qui n'a pas d'eau et qui est exaspéré par cette souffrance ? Certes, nous ne manquons pas d'eau en Guadeloupe. Pour autant, quand l'ARS effectue un contrôle le mardi et nous annonce que l'eau n'est pas potable le vendredi, nous avons consommé cette eau dans l'intervalle. Pourquoi n'existe-t-il pas sur notre territoire un institut permettant de réaliser ces contrôles en moins de 48 heures et d'assurer la sécurité au plus près ? Pourquoi le prélèvement doit-il partir dans un laboratoire de l'Hexagone ? Ce n'est pas normal.
Quand une canalisation est en pression et que l'eau est coupée car il y a des fuites, nous nous retrouvons ensuite avec de l'eau polluée, boueuse au robinet alors qu'elle est validée par l'ARS en sortie d'usine. Nous ne demandons pas de l'argent, mais du bon sens. Nous sommes aujourd'hui le seul département à bénéficier d'une dérogation du ministre des outre-mer pour une reprise d'excédent d'investissement en fonctionnement : 25 millions d'euros versés par la région, 25 millions d'euros versés par le département et 23 millions d'euros donnés par l'État. Autant d'investissements que ne pourront pas réaliser la région et le département.
Quand une gouvernance à quatre se met en place et que l'on oppose au comité syndical des documents déjà signés alors que l'on devrait voter, c'est un manque de respect vis-à-vis des élus locaux.
Rachadi Saindou,
président de la
Communauté d'agglomération Dembéni-Mamoudzou (CADEMA)
(Mayotte)
Pour répondre à la problématique d'alimentation en eau sur notre territoire, il faut une action urgente, car notre population tout entière souffre. Nous devons trouver des solutions écologiques, économiques, durables et fiables. Voici quelques actions que la CADEMA propose à Mayotte de manière très concrète.
Utilisons notre taux d'hygrométrie élevé. Sur notre territoire, le taux d'humidité moyen s'élève à 80 % le jour et 95 % la nuit. Utilisons l'air comme ressource. Les réserves d'air sont inépuisables, renouvelables et omniprésentes. La CADEMA s'est équipée de deux générateurs d'eau atmosphérique sur chacun de ses sites administratifs de Mamoudzou et Dembéni. Chaque générateur produit jusqu'à 50 litres d'eau afin d'assurer les besoins en eau des agents et des élus.
La CADEMA souhaite développer cette ressource en eau potable qui ne dégrade pas le milieu naturel sur l'ensemble de notre territoire afin de faire face à la crise de l'eau et de proposer à l'ensemble de sa population des solutions concrètes, fiables et écologiques. À cette fin, elle vient de lancer un marché pour la fourniture, la livraison, l'installation et la mise en service de quatre générateurs d'eau atmosphérique pour une production journalière minimale de 5 000 litres, avec deux installations à Mamoudzou, deux à Dembéni. Cette eau pourra être utilisée dans un premier temps en eau ménagère par la population en attendant une validation du ministère de la Santé et de l'ARS courant 2024 pour la consommation de la population.
Dans le cadre de cette opération, la CADEMA prévoit une dépense d'un million d'euros pour la mise en service de quatre installations mi-2024. L'alimentation des générateurs se fera dans un premier temps de manière électrique, mais nous souhaitons très vite passer à un système hybride pour répondre au défi de la transition écologique et énergétique. À ce titre, la CADEMA prévoit d'équiper chaque site de 300 mètres carrés de panneaux solaires.
Un autre projet vient d'être lancé sur nos rivières. Nous avons détecté 11 sites et nous avons lancé un marché pour donner de l'eau à notre population. Aujourd'hui, l'État donne des bouteilles d'eau. Nous n'avons pas attendu le transfert de compétence. Nous répondons déjà présents face à la crise.
Micheline Jacques,
sénateur de
Saint-Barthélemy,
président de la délégation
sénatoriale aux outre-mer
Avec cette table ronde, je voulais montrer tout le soutien du Sénat et de la délégation à la population mahoraise. Nous mesurons les difficultés qu'elle traverse actuellement. Au nom de l'unité, de la fraternité et surtout du respect de la dignité humaine, il me semblait primordial d'écouter ces témoignages et de montrer notre solidarité à toutes ces populations de Mayotte et de Guadeloupe qui vivent ces problématiques d'eau au quotidien.