IV. COMPLÉMENT DES RAPPORTEURS RELATIFS À LA TERRITORIALISATION DE LA PLANIFICATION ÉCOLOGIQUE

1. La planification écologique

Annoncée depuis le printemps 2022, la planification écologique a pris forme avec le discours du Président de la République le 25 septembre 2023.

Sur le site du Gouvernement 141(*) elle est définie comme « une méthode globale, permettant d'agir de façon coordonnée avec l'ensemble des Français, des entreprises et des collectivités, afin de relever les défis majeurs de la transition écologique ».

La planification écologique consiste à coordonner les différentes parties prenantes, en particulier les acteurs publics, autour de la planification des moyens humains et financiers, et à identifier les actions concrètes qui doivent être déployées, acteur par acteur, secteur par secteur, pour répondre aux défis inhérents à ces enjeux.

La planification écologique est organisée selon 6 thématiques : se loger, produire, se nourrir, consommer, préserver et se déplacer. Pour chacune de ces thématiques, la France doit se préparer à l'aune de 5 enjeux environnementaux : l'atténuation du changement climatique, la préservation de la biodiversité, l'adaptation aux effets du changement climatique, la gestion durable des ressources et la protection de la santé humaine.

Les livrables de la planification écologique nationale concernent à ce stade l'atténuation du changement climatique, c'est-à-dire la réduction de l'empreinte carbone nette. Elle se concrétise dans l'élaboration de trajectoires de décarbonation pour chaque secteur : transport, agriculture, bâtiment, industrie, énergie et déchets. Ces trajectoires sont établies à partir d'un plan d'action national pour atteindre nos objectifs de réduction à 2030, et à plus long-terme à 2050.

Elle a aussi vocation à se décliner sur les autres thématiques de la transition écologique : la préservation de la biodiversité en lien avec la Stratégie nationale biodiversité (SNB3 juillet 2023), l'adaptation aux effets du changement climatique en lien avec le Plan national d'adaptation au changement climatique (PNACC3), la programmation énergie climat (LPEC) et la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) pour la période 2024-2033, la gestion durable des ressources en lien entre autres avec le Plan eau, ainsi que le thème santé-environnement. Cette planification à l'échelle nationale relève désormais de la responsabilité du premier ministre, avec la création d'un Secrétariat général à la planification écologique (SGPE).

Pour être opérationnalisée, cette planification doit se décliner. Il existe plusieurs approches complémentaires.

Pour les illustrer, il est possible de prendre l'exemple de l'enjeu de la réduction des émissions de dioxyde de carbone (CO2) visé par la stratégie nationale bas-carbone (SNBC3).

L'approche par acteur renseigne sur le fait qu'un quart de ces émissions est lié aux compétences des collectivités territoriales, un autre quart dépend des citoyens et une moitié dépend des entreprises. Les collectivités jouent cependant un rôle d'entraînement essentiel vis-à-vis des acteurs économiques et des citoyens de leur territoire dans ces efforts de réduction.

L'approche sectorielle a été élaborée par le SGPE. Elle consiste à élaborer des trajectoires de décarbonation pour chaque secteur : transport, agriculture, bâtiment, industrie, énergie et déchets. Ces trajectoires sont établies à partir du plan d'action national pour atteindre les objectifs de réduction à 2030, et à plus long-terme à 2050. Le graphique ci-dessous illustre par exemple que les bâtiments devront voir leurs émissions réduites de 53 % par rapport à 2022, l'énergie de 42,5 %, l'industrie de 37,5 %, etc.

Répartition de l'effort par secteur

Source : Secrétariat général à la planification écologique

L'approche territoriale implique d'engager tous les acteurs (collectivités, citoyens et entreprises) et de répartir l'effort à une échelle territoriale infranationale et de le faire de façon différenciée en tenant compte des particularités locales.

La transition écologique ne peut se passer de l'engagement des collectivités territoriales, qui disposent de compétences clefs : rénovation énergétique des bâtiments publics, verdissement de la commande publique et de la restauration collective, développement de voies réservées aux mobilités décarbonées et de bornes électriques... Ainsi, une estimation de France stratégie estime que les quatre cinquièmes des mesures de la SNBC nécessitent une implication des collectivités.

L'approche sectorielle et l'approche de répartition territoriale feront l'objet de deux suivis complémentaires par le SGPE.

La territorialisation de la SNBC est donc essentielle pour sa réussite et pour la réussite même du principe de territorialisation sur d'autres sujets à venir.

Un exemple inédit de réflexion sur la territorialisation par des acteurs locaux

L'agence d'urbanisme de la région stéphanoise, au sein d'un partenariat avec le monde scientifique et académique, a engagé une réflexion sur la territorialisation des limites planétaires : « Quelle participation du sud Loire à l'atteinte des limites planétaires ? ». Cette première réflexion globale d'une collectivité en France aide à comprendre la participation des territoires à l'atteinte des limites que peut supporter la planète. Elle accompagne la priorisation des actions publiques à mettre en oeuvre par le territoire. 142(*)

2. Les enjeux de l'approche territoriale

Les problématiques soulevées ci-après concernent la territorialisation en général, même si le fil conducteur est plutôt centré sur la territorialisation des objectifs de réduction des émissions en matière de gaz à effet de serre (GES) avec quelques exemples pris sur le zéro artificialisation nette (ZAN) et les énergies renouvelables (EnR).

a) La clarification des objectifs nationaux à territorialiser

La première tâche est de clarifier les objectifs nationaux à prendre en compte à l'aide des documents évoqués ci-dessus. Il est important aussi de se laisser de la souplesse pour actualiser les objectifs dans un contexte où l'écart à la trajectoire (objectif / réel) conduit depuis des années à se fixer des objectifs de plus en plus ambitieux. Il est aussi important d'intégrer les discussions européennes ou internationales.

La SNBC3 fixe par exemple une trajectoire nationale d'émissions de GES et de stockage carbone à l'horizon 2050. L'objectif est une réduction, d'ici à 2030, de 50 % des émissions par rapport à 1990, ce qui représente 270 millions de tonnes équivalent CO2 contre 408 en 2022. L'effort est massif : il s'agit de réussir à faire davantage en 7 ans que ce qui a été accompli ces 33 dernières années.

En matière de biodiversité, il risque d'être plus difficile de fixer des objectifs avec des indicateurs consensuels, simples, complets, faciles à suivre et à territorialiser.

b) Le choix de la mesure

La question du choix de la mesure est essentielle.

Pour la SNBC, par exemple, deux approches sont possibles. La première consiste à mesurer l'inventaire des émissions de GES territoriales c'est-à-dire réalisées dans les limites du territoire et comptabilisées dans un bilan carbone. L'autre approche, celle de l'empreinte carbone, permet d'estimer la quantité de GES induite par la demande finale intérieure du territoire que les biens ou services consommés soient produits sur ce territoire ou importés d'un autre territoire (définition Insee). Cette approche permet de mesurer la responsabilité d'un acteur (les habitants, ou un acteur économique, une collectivité dans ses services).

Il est vraisemblable que l'approche retenue soit, à ce stade, celle de l'inventaire, parce que c'est une approche plus abordable, retenue d'ailleurs à l'échelle internationale (COP de Paris) et européenne. Ce choix n'empêche pas de travailler sur l'empreinte pour réduire l'impact du territoire en matière d'émission de GES. L'Île-de-France est la seule région, à ce jour, à avoir proposé une évaluation de son empreinte dans son schéma régional du climat, de l'air et de l'énergie (SRCAE), sans pour autant proposer une trajectoire de réduction. Il n'est pas interdit de penser qu'à l'avenir cette approche sera progressivement intégrée.

Autre exemple, en matière de ZAN, la classification des surfaces comme artificialisées ou non-artificialisées doit être fixée par voie réglementaire : un premier décret publié en avril 2022 est d'ores et déjà en cours de réécriture, afin de mieux respecter les critères fixés dans la loi climat et résilience pour définir les surfaces artificialisées. Dans l'attente de la nouvelle mouture de ce décret, la proposition de loi sénatoriale ZAN prévoit que les surfaces à usage résidentiel, de loisirs, ou d'infrastructures de transport dont les sols sont couverts par une végétation herbacée ne sont pas considérées comme surfaces artificialisées, de même qu'une surface occupée par des constructions, des installations et des aménagements nécessaires à l'exploitation agricole. Elle a également clairement désigné les friches comme des surfaces artificialisées, afin de faciliter leur réhabilitation.

Le périmètre et la définition des « grands projets » d'envergure nationale et européenne, qui devraient faire l'objet d'une comptabilisation dérogatoire au titre du ZAN, restent également en débat. Il en va de même du traitement des surfaces artificialisées rendues impropres à l'usage en raison de l'érosion côtière.

c) La rencontre entre objectifs nationaux et objectifs locaux

La SNBC s'impose à tous les décideurs publics :

- la trajectoire des schémas régionaux d'aménagement et de développement durable du territoire (SRADDET) doit être compatible avec la SNBC ;

- les plans climat-air-énergie territoriale (PCAET) doivent être compatibles avec les règles du SRADDET ;

- les décideurs doivent décliner les orientations de la SNBC en mesures opérationnelles de politique publique : investissements, subventions, normes, instruments de marchés, instruments fiscaux, information et sensibilisation.

En réalité, comme le résume le HCC dans son rapport de 2022, « il n'y a pas de mise en cohérence stratégique et temporelle entre l'action de l'État et celle des échelons territoriaux, ni de coordination de la planification entre les régions ». Autrement dit, à côté de la planification nationale, existent des planifications régionales (SRADDET) non coordonnées entre elles et peu reliées au niveau national. S'ajoutent des planifications infrarégionales (PCAET) sans articulation entre elles et hétérogènes avec les niveaux supérieurs. Les cadres méthodologiques différents et les exercices de prospective s'étalent sur des calendriers de quasiment 10 ans.

De plus, les SRADDET utilisent des formats de données, des méthodes, des périmètres, et des modalités de calculs différentes d'une région à l'autre. Certains ont pour référence la SNBC1, d'autres la SNBC2, alors que la SNBC3 est en cours de préparation. Il n'y pas de mécanisme de révision prévu, en dehors du choix laissé aux régions de revoir leur SRADDET dans les 6 mois suivants les dernières élections régionales. Au terme d'un travail technique important, l'Ademe a mis en évidence la déconnexion entre la trajectoire SNBC2 (le trait noir représente l'objectif à atteindre) et le niveau que se sont fixées les régions dans leur SRADDET (la somme des courbes de couleur). En 2050, l'écart pourrait être environ du simple au double.

Trajectoires régionales (Sraddet) VS trajectoire nationale (SNBC2)

Source : Ademe

Enfin, les PCAET ne sont pas obligatoires pour tous les territoires et ne sont pas réalisés pour une partie des territoires où ils sont obligatoires. L'Ademe a cependant mis en place un cadre de dépôt et une plateforme d'échanges et de ressources pour les PCAET afin d'en harmoniser la présentation et de recueillir des données nationales (voir sur la plateforme territoires-climat.Ademe.fr) qui devrait contribuer à faire converger les données.

La couverture du territoire en Pcaet

Source : Intercommunalité de France 143(*)

Le premier enjeu est donc de relier les trajectoires de planification : que les trajectoires locales soient sur un schéma en phase avec l'objectif national et que les trajectoires nationales intègrent bien les réalités locales. Cela implique un dialogue régulier pour permettre cet ajustement du système entre logique descendante et remontées ascendantes.

d) Individualiser les objectifs ou trajectoires d'effort

La liaison entre trajectoires nationales et locales conduit ensuite à faire connaître à chaque territoire son propre niveau d'effort ou sa propre trajectoire en phase avec les objectifs nationaux mais aussi à tenir compte des propres enjeux et objectifs des acteurs locaux.

La question de la contribution de chacun à l'objectif global est un exercice aussi technique que politique, et ne peut pas être par exemple une division mathématique de l'effort à faire, comme un effort proportionnel au territoire ou au nombre d'habitants.

Plusieurs approches sont possibles.

À titre d'exemple, en matière d'énergies renouvelables, l'Union Européenne a mis en place un système entre États membres qui peut illustrer cette nécessité. Cet effort est différencié et repose sur une formule de calcul.

Le règlement dit de la « répartition de l'effort » de l'Union Européenne

L'Union Européenne ambitionne d'être le premier continent à atteindre la neutralité climatique. Lancé en 2019, le pacte vert pour l'Europe engage les États vers la réduction des émissions nettes de gaz à effet de serre. L'objectif est de les réduire de 55 % en 2030 par rapport à leur niveau de 1990. Parmi les textes précisant ce point, le règlement dit de « répartition de l'effort » fixe un objectif national contraignant à l'horizon 2030 à chaque État membre.

Par exemple, la contribution nationale à la part de l'énergie issue de sources renouvelables comprend une contribution forfaitaire (30 %), une contribution fondée sur le PIB par habitant (30 %) et une contribution fondée sur le potentiel (30 %) ainsi qu'une contribution correspondant au niveau d'interconnexion de l'État membre (10 %)144(*).

Autre exemple, la loi climat et résilience du 22 août 2021 conduit à fixer le principe d'objectifs prescriptifs à chaque région. L'article 83 prévoit bien une déclinaison régionale des objectifs nationaux en matière de développement des énergies renouvelables (OR-EnR), établis par décret. Il sera pris à compter de la première révision de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) à venir. Ces objectifs régionaux, ainsi que les objectifs fixés par filière dans la PPE en matière de développement des énergies renouvelables et de récupération, s'imposeront au SRADDET et au SRCAE de la région Île-de-France.

Autre exemple en matière de ZAN avec le double objectif formulé par cette loi : réduire de moitié le rythme d'artificialisation nouvelle entre 2021 et 2031 par rapport à la décennie précédente et atteindre d'ici à 2050 l'objectif de « zéro artificialisation nette » (ZAN) - cet objectif ne signifiant pas la fin de toute artificialisation, mais a minima une compensation de cette artificialisation nouvelle par des opérations de renaturation d'une surface au moins équivalente.

En matière de GES, une autre approche semble à privilégier. En effet, sur certains sujets, les élus locaux sont en position d'arbitrer et ont des leviers à leurs portée : ZAN, EnR ... Sur d'autres sujets, la collectivité peut encourager, inciter, mais ne décide pas à la place de ses entreprises ou ses habitants. Certains leviers sont également des ressorts nationaux qui ne les concernent pas directement : implantations industrielles, autoroutes, ou encore les aspects réglementaires sur la rénovation ou les performances des véhicules...

De plus, la neutralité carbone est un objectif national qui ne peut pas s'appliquer à une autre échelle que celle du pays145(*). Chaque territoire est appelé à y contribuer en fonction de ses spécificités. En pratique en effet, la neutralité carbone est quasi inatteignable dans les limites des territoires très urbains. Aussi les territoires ruraux devraient, selon ce type d'analyse, contribuer plus avant dans l'effort de compensation pour équilibrer l'ensemble. La question des coopérations, des solidarités entre ces territoires devient donc centrale. Autrement dit, la SNBC implique de la solidarité nationale.

Individualiser l'objectif GES de son territoire passe donc plutôt par de l'information sur la trajectoire du territoire de la collectivité rapportée à ce qu'elle devrait être pour être en phase avec les objectifs nationaux d'une part, et d`autre part sur les leviers d'action à activer à la fois sur l'exercice des compétences propres de chaque acteur et sur la mobilisation de ses capacités d'entrainement.

Autrement dit, les objectifs territoriaux de planification écologique sont indicatifs. Ils donnent à voir la marche à franchir dans chaque secteur et orientent vers les leviers d'actions à activer. Il s'agit d'objectifs territorialisés grâce à une méthode nécessairement fondée sur certaines approximations. Ils constituent donc des cibles à viser, mais en aucun cas des objectifs imposés à une collectivité dans une logique descendante.

En ce sens, l'Ademe développe deux outils :

- Une démarche d'analyse des trajectoires bas-carbone des régions qui donne un cadre de référence commun pour les aider à définir une trajectoire de référence, c'est à dire le niveau d'effort permettant d'être en phase avec la trajectoire de la SNBC, et des objectifs bas-carbone secteur par secteur, en phase avec les objectifs nationaux. Cet élément de territorialisation, qui intègre les spécificités régionales, est un repère pour positionner l'effort au niveau suffisant. Un outil de modélisation devrait permettre de comparer, d'optimiser les plans d'action et de suivre la mise en oeuvre.

- Une démarche similaire pour les EPCI qui sera testée auprès de 13 collectivités et qui à vocation à s'articuler avec le programme Territoire engagé transition écologique.

Ces référentiels ne doivent pas être des carcans rigides mais permettront de comprendre l'éventuel écart d'une trajectoire, d'identifier les grands gisements d'action et les sujets à traiter en priorité sur un territoire.

Ces objectifs pourraient, à terme, figurer à titre indicatif dans les documents de planification (SRADET...) ou dans les contrats de relance et de transition écologique (CRTE).

Il reste à trouver une place dans cette architecture aux départements et à définir la bonne articulation entre planifications régionale et infrarégionale.

e) Atteindre les objectifs : responsabiliser plutôt que contraindre

Toute méthode uniquement descendante a peu de chance de fonctionner. Il faut entraîner plutôt qu'imposer.

Aussi, une fois l'objectif posé, présenté comme un référentiel pour le territoire plutôt qu'une valeur absolue, il faut que les acteurs s'entendent sur les moyens de l'atteindre.

Cette combinaison entre définition des objectifs et liberté d'organisation pour les atteindre semble garantir un équilibre et une complémentarité entre logiques descendantes et ascendantes.

À titre d'exemple en matière de ZAN, le degré de contrainte du document de planification régional est un point clé pour le Sénat. Le Gouvernement souhaite que les prescriptions concernant la lutte contre l'artificialisation figurant dans le SRADDET s'appliquent aux documents locaux d'urbanisme dans un rapport de compatibilité, alors que la proposition de loi du Sénat souhaite un rapport de prise en compte, afin de laisser davantage de souplesse aux collectivités locales dans la mise en oeuvre des objectifs fixés au niveau régional. Plus globalement, la proposition de loi ZAN repose sur la logique suivante, résumée par Jean-Baptiste Blanc, rapporteur au nom de la commission spéciale : « l'acceptabilité du ZAN passe par la responsabilisation des acteurs, non par la verticalité ».

La loi climat et résilience du 22 août 2021 conduit à fixer des objectifs à chaque région et vise une forme de coconstruction. La loi prévoit que dans chaque région, un comité régional de l'énergie (CRE) sera « chargé de favoriser la concertation, en particulier avec les collectivités territoriales, sur les questions relatives à l'énergie au sein de la région ». Ce comité est associé « à la fixation ainsi qu'au suivi et à l'évaluation de la mise en oeuvre des objectifs de développement des énergies renouvelables et de récupération » fixés dans le SRADDET et dans le SRCAE francilien (et son schéma régional éolien). Autrement dit, les élus locaux auront la main pour définir les zones d'accélération des EnR, qui ne sont pas des zones exclusives, et valider les projets.

En matière de réduction de l'empreinte carbone, le SGTE fixera l'objectif régional général en fonction des caractéristiques du territoire et en soustrayant les chantiers nationaux (par exemple nucléaire et trafic aérien).

Au sein de cet objectif, les parties prenantes d'un territoire décideront des leviers d'action. Par exemple, les collectivités d'une région peuvent décider d'accorder une place plus importante à la réduction de l'empreinte carbone des déplacements via le covoiturage plutôt que via l'électrification des véhicules, du moment que l'effort de réduction en MtCO2 reste stable.

Cette méthode permet de respecter le principe de libre administration des collectivités territoriales, en leur fournissant des outils d'aide à la décision permettant de visualiser la marche à franchir sur chaque thème de la planification écologique.

f) Bâtir des plans d'actions solides et les suivre

Pour atteindre les objectifs du territoire, les acteurs vont devoir s'engager dans des plans d'action intersectoriels, spatialisés et chiffrés.

Il est essentiel que ces plans d'actions soient adossés à des outils qui mesurent la réalité des impacts carbone. L'Institut Efficacity a été mandaté par l'État en juin 2023 pour développer une méthode et une boîte à outils de référence permettant aux collectivités d'élaborer de façon plus aisée des plans d'action plus fiables, plus opérationnels et plus efficaces. Elle devrait être pleinement opérationnelle en 2026 pour les nouveaux exécutifs.

La connexion des plans d'action avec les décisions de fonctionnement et d'investissement des collectivités devra se faire. De même, leur suivi sera essentiel pour permettre les ajustements nécessaires.

g) Accompagner les collectivités dans la mise en oeuvre de ces plans d'action

Que la planification écologique soit territorialisée ne suffit pas à garantir son succès. Il semble y avoir un enjeu à ce que l'État accompagne les collectivités pour leur permettre d'atteindre leurs objectifs propres.

Le Sénat, dans le rapport d'information intitulé « Les outils financiers pour soutenir l'atteinte de l'objectif de zéro artificialisation nette de juin 2022 » piloté par M. Jean-Baptiste Blanc, identifie l'accompagnement insuffisant par le préfet des élus locaux pour leur fournir de l'ingénierie comme source de difficulté sur le ZAN.

Le système des incitations est essentiel. Par exemple, la loi climat et résilience du 22 août 2021 prévoit plusieurs incitations réglementaires et financières pour favoriser les zones d'accélération des EnR. En matière de ZAN, la proposition de loi du Sénat évoque aussi des mécanismes d'accompagnement et d'incitation. L'État devra ainsi mettre gratuitement les données pertinentes à disposition des collectivités, en format numérique, et les actualiser régulièrement. Le fonds friches est aussi une ressource complémentaire pour lutter contre l'artificialisation des sols.

Afin d'encourager l'atteinte des objectifs territorialisés de la SNBC, le SGPE signale que dans chaque CRTE « un comité de pilotage partenarial annuel co-présidé par le Préfet de département ou son représentant et le Président de la structure porteuse du CRTE sera mis en place par les sous-préfets. Il associera également les parties prenantes du territoire, notamment les maires des communes concernées et le Conseil départemental ainsi que le Conseil régional si ces derniers participent à la réussite des projets portés par les élus dans le CRTE. Ce comité permettra en particulier de faire part aux acteurs locaux des engagements pluriannuels de l'État (et de ses partenaires le cas échéant) sur les projets contribuant aux objectifs de transition écologique fixés sur le territoire. En effet, les sous-préfets identifieront les projets qui concourent à la réussite de la transition écologique du territoire. Pour ces projets, ils pourront programmer un engagement financier pour sécuriser les élus dans leurs démarches. Ils pourront engager jusqu'à 50 % de de la somme des crédits du Fonds vert, de la DSIL et de la DETR ».

h) Évaluer et ajuster

Il y a un intérêt à évaluer les résultats et renseigner les actions qui n'ont pas pu être menées, notamment dans le cadre de PCAET, pour connaître les raisons objectives qui ont empêcher d'atteindre certains objectifs. Cela permet de mieux comprendre les difficultés que rencontrent les collectivités et ainsi d'agir sur ces obstacles à l'efficacité de l'action.

Une évaluation stratégique à mi-parcours (au bout de 3 ans) de ces plans d'actions doit être envisagée.

Cette évaluation doit porter sur les réalisations plutôt que sur les impacts réels qui sont difficiles à établir. Par exemple, une plateforme de covoiturage aura été une action plutôt efficace si 5 000 personnes sont inscrites et sont actives et aura été une action sans grand effet si 50 personnes sont inscrites. Mesurer la réalité des émissions de GES économisées grâce à leurs trajets semble impossible à établir en pratique et présente un intérêt moindre.

3. Les recommandations de la mission

Ces 8 enjeux de la territorialisation seront atteints si certaines conditions sont remplies.

a) Harmoniser les méthodes et les outils fondant les stratégies de décarbonation

Cet impératif a un double intérêt : au niveau global, il permettrait d'agréger les données et informations ; au niveau local, il permettrait de piloter ces stratégies dans un cadre référent stable et solide. Déjà engagé (notamment avec les cadres de références de l'Ademe) cet effort doit se poursuivre. Cette harmonisation nationale devrait intégrer le travail réalisé en territoires, notamment celui des observatoires régionaux en lien avec leur tête de réseau (le RARE).

Par ailleurs, il se peut que des collectivités fassent preuve de volontarisme et aillent au-delà des objectifs qui leur sont fixés. La notion de « repères » permettrait à un territoire de valoriser ses réalisations.

Le SGPE est en train de finaliser une vision nationale des leviers d'action objectivés en MtCO2 (taille en MtCO2, actions pour y parvenir, acteurs clefs, etc.). Ce tableau fera l'objet d'une déclinaison régionale. Seul l'objectif régional général sera fixé par le SGPE.

b) Instaurer un cadre nationale de gouvernance paritaire pour assurer la convergence des stratégies locales et nationales

Il est vraisemblable que le dialogue entre trajectoire globale et stratégies locales et, entre objectifs souhaitables et réalités de la mise en oeuvre se poursuive d'ici 2050. Il est donc utile de mettre en place le cadre de ce dialogue.

L'étude de l'Ademe, de la Banque des Territoires, de France stratégie et de Transdev intitulée « Un cadre d'action collectif pour la neutralité carbone en France 146(*) » propose la création d'une instance de dialogue sur le modèle de la conférence des parties de la convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques. « Cette instance de dialogue réunirait l'État, les régions et un observatoire de la neutralité, instance indépendante jouant le rôle d'arbitre et de coordinateur entre les participants. Cette instance aurait pour but de partager, discuter et valider les objectifs régionaux de contribution à la neutralité nationale, afin d'en vérifier la cohérence avec la stratégie nationale bas carbone et d'assurer une juste répartition de l'effort selon les spécificités régionales».

L'instance indépendante poserait le cadrage préalable qui permettrait de quantifier la part de l'effort qui est liée aux compétences administratives de l'État et celle qui dépend directement des régions.

Les régions élaboreraient leur stratégie climat territoriale, en concertation avec les acteurs du territoire. Cette stratégie identifierait et quantifierait le potentiel maximal de réduction d'émissions et de séquestration carbone à l'intérieur du territoire régional, les actions concrètes à mener et les besoins financiers et humains nécessaires.

Cette instance partagerait les stratégies et objectifs de chaque région, vérifierait l'alignement de ces objectifs avec la SNBC (quantitativement et qualitativement) et négocierait leurs objectifs respectifs si un ajustement est nécessaire. Les impératifs sont de dialoguer et négocier, afin que la somme des objectifs régionaux soit cohérente avec la SNBC et d'identifier les responsabilités des différents échelons territoriaux dans les éléments des feuilles de route de neutralité. Les actions à mener sur les territoires relèveront de la compétence d'acteurs différents (communes, EPCI, départements, régions, État, Europe...). Par exemple, la gestion de la forêt publique est une prérogative nationale, tandis que la rénovation thermique des collèges est une prérogative départementale.

« Le but n'est ni de centraliser, ni de décentraliser, mais de créer un double flux montant-descendant visant à conserver la valeur des plans climat des territoires, coconstruits avec l'ensemble des acteurs de terrain, tout en garantissant la cohérence avec l'intérêt général » conclut l'étude précitée.

Il est important que cette instance de dialogue soit composée à parité de représentant de l'État et de représentants des collectivités, ce qui n'est pas le cas du Conseil national de la transition écologique (CNTE).

c) Instaurer un cadre de gouvernance régional pour faciliter l'atteinte des objectifs du territoire régional

De même qu'une instance de dialogue national semble nécessaire, une déclinaison régionale semble indispensable.

Elle serait l'instance de dialogue au niveau régional entre État et collectivités, entre collectivités de différents niveaux, voire entre collectivités et autres acteurs pour répartir l'effort, suivre les avancées et opérer les ajustements. Elle pourrait permettre de mieux articuler les stratégies et plans de décarbonation entre elles. Elle serait de nature à inciter les alliances territoriales entre collectivités urbaines et rurales. L'équilibrage de leurs bilans carbones peut être facilité par des transferts financiers ou d'ingénierie de l'urbain au rural.

Le SGPE envisage la mise en place d'un comité des parties prenantes (Conferences of the Parties ; COP) au niveau régional. Dans ces COP, se déroulera la discussion pour affiner chaque case du tableau du SGPE, pour atteindre les objectifs de la planification écologique, en ajustant ceux-ci aux ambitions et aux spécificités de chaque territoire. Autrement dit, les valeurs de chaque case (tableau des leviers d'action objectivés en MtCO2 déclinés par région) constitueront des cibles indicatives permettant d'objectiver l'ampleur des efforts à fournir sur chaque levier d'action, de façon adaptée pour chaque territoire grâce à l'exercice de concertation. Ce tableau de leviers d'action quantifiés en MtCO2 sera ensuite décliné au niveau des EPCI pour nourrir le dialogue territorial. Les objectifs auront un caractère illustratif.

Ce format souple permettrait d'associer l'ensemble des acteurs pertinents : départements, EPCI, structures porteuses des CRTE, les associations départementales des maires ... voire même des acteurs majeurs du secteur privé.

d) Expérimenter une contractualisation autour du plan d'action de décarbonation de quelques collectivités

Afin de maximiser l'impact d'une stratégie de décarbonation d'une collectivité, il serait utile d'expérimenter sur un petit nombre de collectivités une contractualisation autour de son plan d'action. L'idée serait que ses partenaires - État, région, département, Ademe, Caisse des Dépôts et Consignations, Agence nationale de cohésion des territoires - s'engagent sur une durée assez longue (le mandat) dans le cadre de cette démarche de contractualisation. C'est un moyen d'aligner ces acteurs sur les priorités du territoire, de simplifier les procédures liées à ces actions et de pré-flécher et donc simplifier les processus de cofinancement de ces actions (pas de passage par AMIAAP, dossier simplifié, décaissement accéléré...). Une évaluation annuelle permettrait de mesurer l'avancement du plan d'action pour l'ajuster. Cette contractualisation présenterait l'avantage d'une mobilisation politique et institutionnelle coordonnée et d'une plus grande lisibilité et rapidité dans la mise en oeuvre des financements.

e) Afficher de façon indicative les objectifs territorialisés notamment via les CRTE

Il est essentiel de définir des objectifs territorialisés pour chaque acteur, même à titre illustratif, afin de mesurer les efforts à réaliser et de pouvoir en faire le sujet d'un débat local. Les objectifs débattus dans les COP devront par exemple s'articuler avec les échelons départementaux et intercommunaux. L'organisation de COP départementales peut être un moyen. Au niveau intercommunal / bassin de vie, les CRTE auraient vocation à devenir le cadre d'affichage indicatif de ces objectifs.

f) Soutenir l'effort d'appui en matière d'ingénierie

Le rapport d'information du Sénat intitulé « l'ANCT : se mettre au diapason des élus locaux ! » piloté par Charles Guené et Céline Brulin, de février 2023, formulait de nombreuses recommandations sur la mise en oeuvre de l'ingénierie au niveau local. Les enjeux de la transition environnementale renforcent leur pertinence, notamment autour de la mise en place des Comités Locaux de Cohésion des territoires (CLCT).

g) Débattre de la trajectoire locale en regard de la trajectoire en phase avec les objectifs nationaux

Il serait pertinent de tenir un débat annuel sur la trajectoire de la collectivité vis-à-vis de ces objectifs, que ce soit dans le suivi des CRTE, à l'occasion du rapport développement durable, du débat d'orientation budgétaire, de l'examen du Plan Pluriannuel d'Investissement ou tout autre moment estimé opportun.

En résumé, quelques bonnes pratiques (n° 25) :

- Faire progressivement des CRTE le cadre d'affichage indicatif des objectifs de territorialisation de la planification écologique.

- Faire confiance aux collectivités et les responsabiliser sur l'atteinte de ces objectifs.

- Tenir un débat annuel sur la trajectoire de la collectivité vis-à-vis de ces objectifs (avec le rapport développement durable, avec le DOB, ...)


* 141 https://www.gouvernement.fr/france-nation-verte/la-planification-ecologique

* 142  https://www.fnau.org/fr/publication/quelle-participation-du-sud-loire-a-latteinte-des-limites-planetaires/

* 143 https://www.intercommunalites.fr/publications/etat-des-lieux-des-pcaet/

* 144  https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:02018R1999-20230516#tocId79

* 145 Voir avis de l'Ademe sur l'Accord de Paris : https://librairie.ademe.fr/developpement-durable/5335-utilisation-de-l-argument-de-neutralite-carbone-dans-les-communications.html et  https://librairie.ademe.fr/changement-climatique-et-energie/4524-avis-de-l-ademe-la-neutralite-carbone.html

* 146  https://www.carbone4.com/neutralite-et-territoires-un-cadre-daction-collectif-pour-la-neutralite-carbone-en-france

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