COMPTES RENDUS DES AUDITIONS DE LA MISSION D'INFORMATION
Table ronde sur la crise de vocation des maires (Mercredi 1er mars 2023)
Mme Maryse Carrère, présidente. - Mes chers collègues, avant d'ouvrir l'audition de cette fin d'après-midi, quelques mots sur l'organisation de nos travaux.
Comme vous l'avez vu dans le programme prévisionnel, nous essaierons, dans les prochaines semaines, de tenir un rythme d'une audition plénière tous les quinze jours. Parallèlement, nous vous proposons de participer à nos déplacements, généralement organisés le lundi, qui nous permettront d'observer, au plus près du terrain, les réalités évoquées au cours de nos échanges.
Par ailleurs, avec le rapporteur, je remercie ceux d'entre vous qui, depuis notre dernière réunion, nous ont fait passer d'utiles suggestions d'auditions ou d'éclairages particuliers. Nous avons essayé d'en tenir compte dans la programmation des travaux que nous vous soumettons.
Je salue également la présence de notre collègue Françoise Gatel, Présidente de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, qui travaille également sur la question du « blues des maires » et à laquelle nous avons donc proposé de se joindre à nous pour cette audition.
Je vous propose à présent d'ouvrir notre première table ronde, consacrée à la crise de vocation des maires. Nous avons le plaisir de recevoir quatre anciens maires qui ont accepté de témoigner sur les difficultés d'exercice de leur mandat et les raisons pour lesquelles ils ont décidé de démissionner ou renoncé à se représenter.
Sont ici présents ou par visioconférence : MM. Gilles Cadoret, ancien maire de la commune de Saint-Aignan dans le Morbihan, Emmanuel Éloré, ancien maire d'Andouillé-Neuville, en Ille-et-Vilaine, Jean-Luc Wagnon, ancien maire de Longsols, dans l'Aube et Claude Landos, ancien maire de La Celle-Dunoise, dans la Creuse.
Enfin, je salue également, M. Martial Foucault, professeur de sciences politiques et directeur du centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF), qui pourra compléter les témoignages des précédents invités avec l'analyse du chercheur.
L'objet de notre mission d'information est de s'interroger sur l'avenir de la commune et du maire : quel peut-il être, quelles menaces pèsent sur lui, quels espoirs porte-t-il en lui, et surtout, à quelles conditions pourra-t-il se réaliser ?
Or, chacun ici a pu le constater dans son département et plusieurs travaux scientifiques l'ont confirmé : une crise de vocation des maires se dessine depuis plusieurs années, et les dernières élections municipales en ont fourni une illustration. On a aussi pu parler de « ras-le-bol » ou de « blues des maires ». Si le phénomène n'est pas majoritaire, il manifeste, à notre sens, les difficultés de l'exercice du mandat municipal aujourd'hui. Or, avant de parler de l'avenir, et pour le préparer au mieux, il est important de savoir d'où l'on part. C'est pourquoi votre témoignage nous sera précieux, puisqu'il rendra compte des raisons pour lesquelles vous avez hésité à vous représenter ou avez décidé de démissionner de votre mandat.
Je vous propose d'engager dès à présent nos échanges et vous donne, dans un premier temps, la parole, pour exposer votre analyse sur le sujet. Puis, avant de donner la parole à M. le rapporteur et à nos collègues ici présents pour qu'ils vous interrogent à leur tour, j'inviterai M. Martial Foucault à nous livrer son analyse sur cette crise de vocation, son ampleur, ses manifestations, ses causes et les solutions qui pourraient y être apportées.
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - La Présidente a rappelé quels étaient les objectifs de cette mission d'information. La parole va vous être donnée, en espérant que nous ayons les échanges les plus interactifs possibles.
M. Gilles Cadoret, ancien maire de Saint-Aignan (Morbihan). - J'ai été élu maire pour la première fois en 2020, après avoir été conseiller municipal pendant douze ans et premier adjoint en 2011. Cette démarche s'inscrivait dans la continuité de mon engagement associatif.
J'ai démissionné de mon mandat de maire au bout d'à peine deux ans, en raison de désaccords liés au projet de construction d'une passerelle au-dessus du lac séparant Saint-Aignan et une commune voisine. La passerelle symbolisait la vision que je défendais d'un rapprochement entre nos deux communes, nos deux intercommunalité et nos deux départements.
Malheureusement, une partie du conseil municipal s'y est opposé très vivement. Des habitants de la commune ont suivi, j'ai reçu des courriers, un journal a paru, me mettant en cause. La situation s'est tendue, un adjoint a failli en venir aux mains contre moi. Je ne m'étais pas engagé pour cela et j'ai démissionné.
M. Emmanuel Éloré, ancien maire d'Andouillé-Neuville (Ille-et-Vilaine). - Je salue Françoise Gatel, avec qui j'ai pris beaucoup de plaisir à travailler en Ille-et-Vilaine.
Je n'aurais jamais dû me poser la question de démissionner. Je souhaitais ne pas me présenter pour un nouveau mandat lors des élections municipales de 2020. Faute de candidats j'ai repris mon mandat, avec l'intention d'y mettre un terme lorsque mon successeur serait trouvé, ce qui est arrivé rapidement.
Mme Maryse Carrère, présidente. - Avez-vous rencontré des difficultés à trouver un successeur ?
M. Emmanuel Éloré. - Ce fut impossible lors de mon avant-dernier mandat. J'ai par conséquent accepté de recomposer une liste pour les élections suivantes. Mes collègues étaient prévenus de ma volonté de démissionner dès que possible. À 82 ans, je souhaitais me retirer.
M. Jean-Luc Wagnon, ancien maire de Longsols (Aube). - J'étais maire d'une petite commune de l'Aube. Je n'ai pas démissionné, mais j'ai souhaité ne pas me représenter pour un nouveau mandat. J'ai été élu au conseil municipal pour la première fois en 1989, puis j'ai effectué trois mandats d'adjoint et un de maire.
La fin de mon engagement est la conséquence d'un désaccord avec une conseillère municipale, qui m'a agressé et mis en cause sans fondement à propos d'un sujet particulier. Je ne souhaitais pas abandonner les projets en cours, j'ai donc achevé mon mandat. Aux élections de 2020, je me suis présenté pour un poste de simple conseiller municipal mais les premiers années ont été difficiles. J'ai été attaqué par de nouveaux élus, puis la conseillère en question est devenue adjointe, et, sans vouloir polémiquer, je ne suis pas d'accord avec ce qui a été fait.
M. Claude Landos, ancien maire de La Celle-Dunoise (Creuse). - Je salue la création de cette mission d'information sénatoriale, qui peut en effet faire avancer les choses.
J'étais maire d'une commune rurale de 560 habitants, située dans la Creuse. J'ai été élu conseiller municipal en 2008, sans faire partie de l'équipe du maire de l'époque. Ce premier mandat s'est bien déroulé, j'y ai appris le travail d'élu, en bonne intelligence avec l'équipe municipale. Cependant, personne ne souhaitait se présenter à la mairie lors des élections de 2014. J'ai organisé une réunion publique, au cours de laquelle, avec plusieurs des habitants présents, nous avons constitué une liste hétéroclite. Nous avons tous été élus. Ce premier mandat en tant que maire s'est également bien déroulé, grâce à la complémentarité de l'équipe.
Plusieurs membres de l'équipe n'ont toutefois pas souhaité se présenter de nouveau lors des élections suivantes. Les jeunes élus, qui avaient une activité professionnelle étaient peu disponibles -c'est là une difficulté sur laquelle il faudrait se pencher. D'autres, plus âgés, souhaitaient arrêter. J'ai été élu sans opposition, mais l'ambiance n'était plus la même que lors du précédent mandat.
Nous avons rencontré plusieurs difficultés, au premier rang desquelles la pandémie de Covid-19. La collaboration avec des élus plus jeunes, novices, a été également compliquée. La secrétaire de la mairie a été victime d'un burn-out ; puis la deuxième adjointe, avec qui j'entretenais de bonnes relations, a démissionné. Je me suis posé la question d'arrêter à ce moment-là, alors que j'avais prévu de ne le faire qu'à mi-mandat. Je suis médecin de campagne à mi-temps et j'ai par ailleurs des engagements associatifs.
J'ai souhaité démissionner, car je n'avais pas envie de lutter quotidiennement avec des personnes avec qui j'étais en désaccord. Je poursuis dorénavant mon activité de médecin généraliste, qui s'accompagne d'un travail auprès de l'agence régionale de santé (ARS). Je participe à un certain nombre de commissions pour faire progresser la démographie médicale, en berne.
Je regrette d'avoir dû démissionner, dans la mesure où le mandat de maire est passionnant.
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - Merci à chacun d'entre vous.
Nous remarquons bien qu'à l'origine de vos démissions ou décisions de ne pas vous représenter, il y a un fait déclencheur. Pourriez-vous préciser les écueils les plus importants que vous avez rencontrés dans l'exercice de vos mandats locaux ? Comment lever ces obstacles et quelles priorités se fixer pour redonner souffle à la France communale et faciliter l'exercice du mandat de maire ou conseiller municipal ?
M. Gilles Cadoret - Le refus de deux de mes adjoints de collaborer avec moi posait d'importants problèmes. La présence hostile d'une partie de la population lors des réunions du conseil municipal, en plus des agressions physiques dans les rues de la commune, rendait la tâche trop difficile. La situation était d'autant plus complexe que le premier adjoint était, avant cela, l'un de mes meilleurs amis. Mais son opposition politique au maire à l'initiative du projet de passerelle était à la source de toutes les tensions.
M. Emmanuel Éloré. - Le travail de maire est un travail passionnant, qui devient cependant de plus en plus lourd dans les petites communes, rurales en particulier.
Deux éléments m'ont déterminé à mettre un terme à mon mandat : d'une part, la complexification des problématiques liées à l'urbanisme, d'autre part, les enjeux des relations entre les communes et les communautés de communes, auxquelles de plus en plus de compétences sont allouées. J'ai le sentiment que le maire, peu à peu privé de compétences, est réduit à l'état de marionnette. Une réflexion est à mener à ce sujet, sur la question de l'assainissement par exemple, qui deviendra une compétence communautaire en 2026. Or, cela fait partie des compétences qui donnent au maire le sentiment d'être utile. Je sais que le Sénat travaille sur la question.
M. Jean-Luc Wagnon. - Le maire est extrêmement sollicité dans les petites communes rurales, d'autant que ces communes sont obligatoirement regroupées au sein de communautés de communes, auxquelles de nombreuses compétences ont été transférées. Pour suivre les dossiers, il faut donc assister à nombreuses réunions, chronophages, au sein de ces intercommunalités, où nous nous ne pesons pas tous le même poids.
Ainsi, dans mon cas, la communauté de communes recouvre deux cantons, regroupant respectivement une dizaine et trois communes sur chaque territoire. Une fois le président de la communauté de communes devenu conseiller départemental du canton principal, un véritable déséquilibre s'est créé au profit de ce canton, au sein de l'intercommunalité.
Si les relations avec l'administration sont généralement bonnes, elles sont néanmoins difficiles avec les architectes des bâtiments de France. Je l'ai constaté à l'occasion des travaux sur l'église du village.
M. Claude Landos. - Lors de mon premier mandat, des chantiers liés à l'assainissement général de la commune ont suscité des difficultés. Mais, comme notre équipe municipale était soudée, nous avons pu surmonter les mécontentement de certains habitants des hameaux concernés. De bonnes relations au sein de l'équipe facilitent également les situations où il faut suppléer à l'absence prolongée de quelqu'un, comme ce fut le cas pour moi lors de ce mandat.
Lors de mon second mandat, l'équipe était en revanche divisée et je suis devenu minoritaire du fait de la défection de la deuxième adjointe. Or, je ne souhaitais pas m'épuiser dans des conflits, en plus de mon travail.
Les relations avec l'administration étaient quant à elles globalement bonnes. Nous avons cependant dû nous battre pour maintenir ouvertes des classes, ainsi que des services publics.
Un autre enjeu était celui de la démographie médicale. Sept médecins étaient présents dans la commune voisine lors de mon arrivée en 1986. Ils ne sont plus que deux, à mi-temps. Les défections et départs à la retraite se multiplient aux alentours.
Nous essayons de lutter, avec les collègues, au travers d'associations ou de syndicats, mais nous constatons que, malgré nos efforts, nous prêchons dans le désert. Les réunions ne manquent pourtant pas, au sein de la communauté de communes, de l'ARS et de la préfecture. Le problème est que les réunions semblent prévues pour nous faire perdre notre temps ou que les conclusions sont rédigées dès le départ.
Mme Françoise Gatel. - Permettez-moi de saluer tout particulièrement Emmanuel Éloré qui a eu, comme beaucoup de maires, le souci de la relève.
J'ai l'impression que l'enjeu pour les maires n'est pas tant le principe de l'engagement que sa complexité. La fragilité des équipes, accentuée par la pandémie de Covid-19, ressort de vos témoignages. Les démissions sont à ce titre plus nombreuses que d'habitude. J'ai plusieurs questions et remarques.
Pensez-vous qu'il serait utile que les associations départementales de maires proposent une formation à la conduite des équipes municipales ? En effet, celles-ci sont composées d'individus différents, afin de représenter la diversité de la commune, mais il faut veiller à leur cohésion.
Avec la loi NOTRe et le mariage forcé d'intercommunalités, on est parfois passé d'intercommunalités où les élus se connaissaient bien à des structures plus larges, sans possibilité de définir un projet commun.
Par ailleurs, avez-vous l'écoute du sous-préfet ?
Enfin, pensez-vous que l'abaissement du scrutin de liste pourrait permettre de prévenir l'éclatement des équipes grâce à l'élaboration d'un projet en amont, au moment de la candidature ?
Merci à chacun d'entre vous pour votre engagement.
M. Gilles Cadoret. - Je ne pense pas que la modification des seuils soit une solution pertinente. Les communes que nous évoquons sont très petites et peu d'habitants sont motivés à l'idée de s'engager pour un mandat électif. Je me suis moi-même présenté en tant que maire parce que mon prédecesseur ne souhaitait pas poursuivre, sinon je ne l'aurais pas fait. Dans notre commune de 630 habitants, nous souhaitions avant tout rassembler l'ensemble des habitants, sans prendre en compte les orientations politiques de chacun.
M. Claude Landos. - Nous avons bénéficié, en Creuse, des formations octroyées par l'association des maires de France (AMF).
Dans les petites communes, nous ne disposons que de peu d'employés, dont la polyvalence n'est pas infinie. Confier certaines tâches aux communautés de communes permet de résoudre cette difficulté.
Lors de mon premier mandat, nous faisions partie d'une communauté de communes, qui a éclaté à la suite du départ d'une commune. Je l'ai regretté, dans la mesure où, dans une intercommunalité importante, il est plus facile de trouver d'autres élus partenaires pour avancer sur des projets.
Il est vrai que les dossiers sont lourds et chronophages, et l'on peut se poser la question s'il n'est pas mieux d'être retraité pour être élu.
M. Emmanuel Éloré. - La formation me paraît essentielle. Dans les petites communes, le maire a un véritable rôle de management. Une équipe municipale est constituée de membres divers, alors qu'il est nécessaire d'établir un projet commun. Partager ses idées n'est pas chose facile.
Concernant les relations entre sous-préfets et maires, nous mesurons très bien, nous autres maires, le poids des responsabilités qui pèsent sur nos épaules et nous savons que les sous-préfets ne nous passeront pas la moindre erreur, alors qu'eux-mêmes ne sont pas prompts à l'échange. Il y a des progrès à faire sur ce point.
Les relations entre maires et communautés de communes sont en outre à repenser.
M. Jean-Luc Wagnon. - J'ai pu suivre d'intéressantes formations par l'intermédiaire de l'association des maires de France (AMF). L'aide apportée aux maires pourrait être améliorée en matière de technologies numériques. Une base de données pourrait par exemple être créée, recensant un certain nombre de démarches juridiques, pour les aider dans leurs prises de décisions quotidiennes.
Les candidats aux municipales sont de plus en plus difficiles à trouver dans les petites communes. Entre 30 et 50 ans, les candidats potentiels sont dans la vie active et ne souhaitent pas s'engager. C'est dommage.
Les relations avec la sous-préfecture n'ont jamais posé de problème.
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - Nous allons donner la parole à Martial Foucault, en lui demandant de reprendre, autant que faire se peut, les questions posées aux maires. Nous souhaiterions connaître le regard qu'il porte sur ces différents sujets.
M. Martial Foucault, professeur des universités en science politique à Sciences Po Paris et directeur du Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF). - Je n'aurai pas les réponses à toutes les questions qui m'ont été posées. Certaines d'entre elles doivent impérativement venir des maires en exercice et anciens maires eux-mêmes.
Je retiens plusieurs points, qui ont le mérite d'objectiver un certain nombre de phénomènes, que nous avons coutume de lire dans une presse souvent plus déchaînée que raisonnable, qui peuvent constituer des pistes à explorer.
Le premier point que je souhaite aborder est celui de la crise ou du découragement des vocations, qui est apparu dans plusieurs des témoignages.
Dans un travail que j'ai pu mener dans le cadre d'enquêtes auprès de maires et de larges échantillons de Français à propos de leurs propres représentations de la vie au sein d'une commune, la question de la vocation tient une place particulière. La notion est curieuse, elle comporte une dimension religieuse, un appel divin. L'expérience spirituelle justifierait à elle seule l'engagement.
La réalité est évidemment plus complexe. La France connaît un paradoxe : alors qu'elle réunit presque un million de candidats lors des élections municipales, au sein d'un corps électoral de 46 millions d'individus, nous constatons le vieillissement des équipes municipales en général et pas seulement des maires. En l'espace de 20 ans, la part des retraités parmi les maires est passée de 30 à 40 %.
Une ambiguïté existe quant aux termes que l'on associe à l'exigence du mandat de maire, entre « fonction » et « métier ». Deux maires viennent par exemple de mentionner le « travail » et le « boulot » de maire, en indiquant qu'il était passionnant. Mais cela signifie au fond que cette activité est chronophage et exigeante, laissant parfois les maires désemparés face aux attentes pressantes des administrés.
Les enquêtes montrent que dans les communes de moins de 3 500 habitants, les maires parlent de « métier », alors que dans les communes de plus de 10 000 habitants ils parlent de « fonction ». Cela illustre, dans les petites communes, une certaine solitude par rapport à la complexité technique de l'exercice du mandat de maire.
Le deuxième point que je souhaite aborder est celui des démissions. Je suis surpris de constater qu'en 2023, le bureau des élections du ministère de l'Intérieur n'est pas capable de fournir des données précises sur le nombre et les motifs de démissions. Si ce sujet est effectivement d'importance nationale, pouvoir le quantifier est une nécessité. Il est simplement fait état de 910 démissions volontaires depuis juin 2020. Ce chiffre ne tient pas compte des décès, des démissions d'office prononcées par un juge, ni de celles liées à l'application de la loi sur le cumul des mandats ou la fusion des communes. La loi oblige tout maire démissionnaire à en informer le préfet : dans un souci d'intérêt public, la cause pourrait être indiquée, afin d'éviter un certain nombre de fantasmes à ce sujet.
Je rappelle qu'un maire sur deux exerce la fonction de maire en même temps qu'une activité professionnelle. Ce cumul est un premier motif qui conduit des maires à ne pas se présenter à nouveau. Un autre motif est la difficulté de concilier cette fonction avec sa vie personnelle et familiale. Ce n'est pas sans lien avec le vieillissement des maires, la conciliation entre toutes ces exigences étant plus difficile entre 40 et 50 ans.
Gilles Cadoret indiquait avoir eu une expérience au sein du milieu associatif. Cet engagement associatif préalable est déterminant dans les parcours des maires. C'est un rite de passage, qui témoigne d'un engagement citoyen très fort.
Il faut se méfier de l'interprétation des intentions déclarées de ne pas se représenter. Une enquête du CEVIPOF publiée en 2019 indiquait que 60 % des maires envisageaient de ne pas se représenter. Mais, en réalité, 40 % des maires furent renouvelés, et 20 % des nouveaux maires étaient déjà membres de conseils municipaux. Les conseils municipaux sont par ailleurs, en moyenne, renouvelés à hauteur de 60 %.
Les témoignages que nous avons entendus recoupent ceux que j'ai pu rassembler, après avoir interrogé plus de 6 600 maires.
L'engagement du maire repose principalement sur deux moteurs : la reconnaissance des administrés ; le sens civique. Les maires soulignent que leur engagement se fait au nom d'une conception élevée de la citoyenneté, qu'eux-mêmes souhaitent incarner et faire vivre.
En revanche, ils mettent en avant deux sources d'insatisfaction : l'absence de reconnaissance de la part de l'État, en particulier du pouvoir exécutif ; l'inflation normative, qui rend la fonction de plus en plus technique, à l'opposé de ce que porte la notion d'engagement politique. Cela est particulièrement le cas des municipalités qui ne disposent pas d'un secrétaire de mairie.
L'attachement des citoyens à leur municipalité est profond. Deux tiers des Français se déclarent attachés à leur commune, ce qui est un niveau comparable à l'attachement pour le pays, bien supérieur à celui déclaré pour le canton, la région ou l'Union européenne.
Logiquement, les Français placent très haut leur maire parmi leurs représentants préférés. Cela n'a pas toujours été le cas. Jusqu'au début des années 90, c'était plutôt le député. Cette situation a évolué en raison de scandales politiques ainsi que de la « désutilité » de la fonction de député face à l'ampleur de problématiques qui dépassaient largement le champ d'action des parlementaires.
Cette place symbolique du maire traduit une aspiration, qui n'est pas propre à la France : la demande de proximité. Celle-ci ne recouvre pour autant pas nécessairement une demande de décentralisation. En effet, je pense que la culture de la décentralisation n'est acquise ni pour les citoyens ni pour les élus. Les maires n'appellent généralement à plus de décentralisation que dans les périodes de tension avec l'État. À l'unisson des Français, une majorité des élus préfère l'efficacité à l'égalité républicaine. Lorsque l'égalité n'est pas combinée à de l'efficacité, elle n'est pas réclamée.
Quelles conséquences en tirer pour l'avenir des communes ? Faut-il leur donner plus de compétences ? Les maires ne s'engagent pas pour n'être qu'officiers d'état civil et sont très attachés à l'exercice de leur responsabilité politique. Or, comment l'exercer s'ils disposent de moins en moins de compétences ? Nous pourrions d'ailleurs nous interroger sur le bien-fondé de maintenir des élections si les compétences du maire ne sont plus politiques.
Les maires confirment le développement de profondes tensions démocratiques dans leurs territoires, que reflète la baisse de la participation aux différentes élections. En 2020, les maires interrogés estimaient que cette baisse était passagère. Les Français, attachés à leur maire, retrouveraient le chemin du bureau de vote. 83 % des mêmes maires interrogés en 2022 faisaient part de leur inquiétude à ce sujet, craignant un désintérêt politique plus profond. Le point de bascule, en deux ans, est considérable.
Je parle de tensions démocratiques, parce que les maires perçoivent un durcissement des opinions politiques. 50 % d'entre eux relèvent, notamment lors de l'élection présidentielle, que les citoyens aux opinions opposées ont de plus en plus de mal à échanger.
Pour les maires, ce phénomène serait notamment lié aux fractures territoriales, et au sentiment de relégation qu'elles suscitent et que ne contrecarre pas toujours la réinstallation des services de l'État. À cet égard, une maison France Service n'a un impact que si, aux yeux des citoyens, elle rétablit des services publics efficaces et fonctionnels. Les inégalités économiques et sociales seraient une autre cause de ce durcissement des opinions politiques.
Je pense qu'il faut systématiser la remontée d'information relative aux violences commises à l'endroit des maires. L'AMF collabore à ce sujet avec la gendarmerie nationale.
Les enquêtes permettent de constater une explosion des violences symboliques à l'encontre des maires, mais pas des violences physiques. Lorsque l'on sait combien il est difficile pour un maire, incarnation de l'autorité, de révéler des violences subies, l'on peut penser que le chiffre des violences déclarées se situe en dessous de la réalité. Certaines violences sont moins visibles, car virtuelles, mais extrêmement dommageables. De nombreux maires sont conduits à ne plus utiliser de réseaux sociaux, même à titre institutionnel, pour leurs communes. Les maires, mais également leurs entourages familiaux, sont régulièrement nommément attaqués.
Cette question de la violence à l'endroit des maires est à prendre au sérieux. Il ne faut pas seulement y voir une forme catharsis de la violence plus générale de la société : les maires en tant que tel sont tenus responsables de tout, alors qu'ils n'ont pas prise sur tout.
Dans cette optique, nous devrions vérifier si la crise consécutive à la pandémie de Covid-19 a permis une amélioration du dialogue entre mairies et sous-préfectures, jusqu'alors rompu. On dit parfois que cette période de crise aurait donné lieu à une réhabilitation du couple « maire-préfet ». Cependant, plusieurs témoignages m'indiquent le contraire. Peut-être n'était-ce que parce que les maires s'alignaient le plus souvent sur les directives étatiques, les tensions apparaissant lorsqu'ils prenaient des initiatives non validées par les préfets.
M. Christian Redon-Sarrazy. -Messieurs les maires, je vous remercie pour vos témoignages, et Monsieur Foucault pour votre analyse. Je souhaiterais également avoir l'avis de nos interlocuteurs sur les relations entre maires et administrés.
Mme Cécile Cukierman. - Ne sommes-nous pas victimes d'un biais collectif qui nous fait toujours regarder les cas qui ne vont pas ? Certes, des élus démissionnent, mais nous ne nous intéressons pas à ceux qui persévèrent. Ce biais donne une vision sombre et déséquilibrée de notre démocratie locale. Attachons-nous également à la démocratie locale qui fonctionne.
Je m'interroge sur le vieillissement des élus locaux. Est-ce que ce ne serait pas une cause de l'augmentation des démissions ?
La France compte 520 000 élus locaux. L'exemple d'une Assemblée nationale qui ne se montre pas toujours capable de discuter nous oblige à nous interroger sur la pertinence des réunions publiques où tout débat contradictoire est impossible, comme l'illustre le récent débat sur le nucléaire.
M. Éric Kerrouche. - L'information sur le nombre de démissions et leurs motifs existe. Les préfectures la font remonter. Il est en revanche incompréhensible qu'une synthèse exhaustive de ce qu'il se passe exactement ne soit pas produite. Une telle synthèse permettrait de rompre avec certaines représentations déformées de la réalité.
Je souscris aux propos de ma collègue Cécile Cukierman. Lorsque l'on s'intéresse à la question du « blues des maires », il ne faut pas s'arrêter à cette image négative.
L'engagement dans la vie locale et le don de soi présentent toujours du sens pour les élus. Mais, faute de reconnaissance de la part des citoyens, ils ont le sentiment d'être dévalorisés. Ceci remet en cause le sacrifice consenti. Être élu dans les communes les moins peuplées c'est sacrifier son temps au détriment de sa vie familiale, sociale, associative, ou encore professionnelle. Ce défaut de reconnaissance est l'une des causes du renoncement à une carrière politique. S'y ajoute des conditions démocratiques plus tendues et la technicité croissante de la fonction de maire.
Mais, pour que les communes perdurent, il faut des maires. Aussi, on ne peut penser à l'avenir de la commune sans évoquer la question du statut de l'élu et, singulièrement, celui du maire.
M. Guy Benarroche. - Vous expliquiez que 910 maires ont démissionné depuis deux ans. Quels types de communes sont concernés ?
Une des causes n'est-elle pas la complexification normative ? La fonction de maire devient de plus en plus technique, alors qu'elle était auparavant politique, au sens noble du terme, consistant en la gestion de l'avenir d'une ville.
Or, les maires des communes les petites ne disposent pas d'une direction générale des services ou d'un secrétaire de mairie. Ils sont donc obligés de se tourner vers la sous-préfecture pour obtenir de l'aide, alors que nous avons évoqué les relations difficiles des maires avec les préfectures.
J'ai conduit un sondage personnel à propos des violences faites aux élus, conduit auprès de 80 % des maires de mon département des Bouches-du-Rhône. 90 % d'entre eux estiment qu'il n'y a pas plus de violence à leur encontre aujourd'hui qu'il y a cinq ou dix ans. La violence grandissante au sein de la société se fait en revanche ressentir. Cette question doit être étudiée avec un certain recul.
Les préfets ne sont pas les seuls auxquels les maires peuvent s'adresser dans leur relation avec l'État ou pour les aider à comprendre la réglementation applicable. Nous autres sénateurs jouons aussi ce rôle auprès d'eux.
Enfin, un élément important à prendre en compte est la façon dont la population habite la ville. Les communes étaient autrefois essentiellement peuplées de citoyens qui travaillaient sur place, en particulier d'agriculteurs. Lorsque, comme dans de nombreuses communes aujourd'hui, une partie importante de la population est seulement en transit sur le territoire communal, présente uniquement pour dormir, ses exigences évoluent et elle perçoit le maire presque comme un simple prestataire de services. Ce n'est pas la faute du maire ni d'une dégradation du sens civique, mais c'est source de difficultés, pour l'élu, dans sa relation avec ses administrés.
M. Jean-François Rapin. - Je reprends les éléments de Martial Foucault à propos de la crise des vocations, mais je parlerais plutôt d'une crise des volontés. Cette situation est liée aux transformations de la société et au constat que la vie des maires est plus complexe qu'auparavant. J'ai été maire, je considère que nos successeurs ont un « job » beaucoup plus difficile que ce que nous avons connu.
Nous sommes issus d'une génération d'élus et de maires auxquels on laissait le temps d'acquérir les connaissances et l'expérience nécessaires. Ce n'est plus le cas aujourd'hui : les maires subissent plus de pression, en particulier du fait des réseaux sociaux et du manque de reconnaissance. Ils doivent aller plus vite et cela est usant.
Finalement, la voie à choisir ne serait-elle pas l'encadrement temporel du mandat de maire ? Deux ou trois mandats usent moins que six ou sept. Les maires se sentiraient moins seuls et auraient moins à se poser la question de prolonger leur engagement, faute de candidats.
M. Emmanuel Éloré. - Je souscris à l'exposé de Martial Foucault, en soulignant que le maire est constamment au contact des administrés.
Le problème est moins celui de la violence que de l'agressivité vis-à-vis du maire. Les citoyens veulent une réponse immédiate à leurs difficultés et, lorsque ce n'est pas possible, l'agressivité peut poindre. C'est un problème d'éducation des personnes, qui ne mesurent plus l'importance du respect. Seule l'expérience du maire peut l'aider en la matière, en lui permettant de prendre du recul.
M. Martial Foucault. - Je souhaite apporter deux précisions à propos de ce que j'évoquais précédemment.
En 1977, 40 % des maires étaient agriculteurs, alors qu'ils ne sont que 10 % en 2020. Cette chute est plus rapide que celle de la démographie des agriculteurs exploitants en France.
Bien que les rapports entre maires et administrés puissent parfois être tendus, j'insiste sur le fait que la relation est globalement positive. Les administrés sont très satisfaits de l'action des conseils municipaux.
Il existe, malgré cela, des insatisfactions, qui génèrent ce que l'on a pu qualifier de violence, d'incivilité ou d'agressivité. À cet égard, il faut veiller à être précis sur les termes employés, chacun renvoyant à des situations très spécifiques.
Nous ne devons pas minorer le phénomène de la mobilité résidentielle. Les dernières données publiées par l'Insee permettent de relativiser l'exode vers les campagnes consécutif à la pandémie de Covid-19. Le solde est effectivement stable par rapport à l'année 2020. Des témoignages inquiétants existent cependant, en provenance de villes qui ont connu des déplacements de population essentiellement pour des raisons foncières et immobilières. Nous constatons l'apparition d'un consumérisme municipal, à l'image de l'ensemble de la société. Or, pour les maires et les équipes municipales, le hiatus qui résulte de cette forte exigence à leur égard et du faible engagement corrélatif des nouveaux résidents dans les activités de la commune est source de découragement.
Je rejoins Éric Kerrouche sur la nécessité d'obtenir les données relatives aux démissions de maires. Il faut étendre cette récolte aux démissions d'adjoints et de conseillers municipaux. Par ailleurs, je vous engage à vous intéresser également à l'absentéisme lors des conseils municipaux. Les chiffres de notre enquête sont certes déclaratifs, donc à nuancer, mais 15 % des maires indiquent que seulement un conseil municipal sur cinq se tient au complet.
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - Je remercie les maires et Martial Foucault pour l'ensemble des éléments qu'ils ont présentés. Ces informations illustrent par l'exemple ce que nous observons, qui a prévalu dans la mise en place de cette mission d'information, et nous permettront d'avancer.
Nous ne manquerons pas de nous déplacer dans les territoires pour aller à la rencontre des élus en activité, qui auront également, nous n'en doutons pas, des éléments positifs à nous faire remonter sur ce qui peut améliorer l'exercice de leur mandat.
Nous ferons procéder à un sondage auprès de nos concitoyens pour savoir ce que les Français attendent de leurs maires et déterminer comment nous pouvons répondre au besoin de proximité que vous évoquiez.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de représentants d'associations de maires (Mardi 14 mars 2023)
Mme Maryse Carrère, présidente. - Avant d'ouvrir l'audition de ce matin, je vous signale le déplacement que nous organisons lundi prochain, en Ille-et-Vilaine, auquel vous êtes invités à participer.
Je vous propose à présent d'ouvrir la table ronde. Nous avons le plaisir d'accueillir : pour l'Association des maires ruraux de France (AMRF), en visioconférence, M. Jean-Paul Carteret, maire de Lavoncourt dans le département de Haute-Saône, qui est vice-président de cette association, ainsi que M. Michel Gros, maire de la Roquebrussanne, dans le Var, qui est membre de son bureau ; pour l'Association des petites villes de France (APVF), M. Daniel Cornalba, qui est membre de son bureau et maire de l'Étang-la-Ville, dans les Yvelines ; et enfin, pour l'association Villes de France, en visioconférence, M. Frédéric Chéreau, maire de Douai, et M. Éric Straumann, maire de Colmar, tous deux membres du conseil d'administration de cette association.
Avait également été conviée à cette table ronde l'association France Urbaine, qui n'a malheureusement pas pu être représentée ce matin, mais qui enverra à la mission d'information une contribution écrite éclairant sa position sur les sujets qui nous intéressent.
Le sujet examiné par notre mission d'information est l'avenir de la commune et du maire. Votre témoignage nous est donc particulièrement précieux, à la fois pour cerner les difficultés auxquelles sont confrontées les catégories de communes et de maires que vous représentez, et pour identifier les solutions qui se dessinent pour garantir aux communes un avenir conforme à ce qu'attendent les élus et nos concitoyens.
M. Daniel Cornalba, membre du bureau de l'Association des petites villes de France. - L'Association des petites villes de France représente les petites villes de 2 500 à 25 000 habitants, qui regroupent un tiers de la population française. Ces communes sont en plein essor depuis la crise sanitaire ; elles attirent grâce à la qualité de vie qu'elles proposent et à leur relative centralité.
Toutes les études montrent, année après année, que les Français continuent à faire confiance à leur maire, ce qui est remarquable dans le climat de défiance à l'égard des institutions que nous connaissons en France et alors que nos concitoyens ont le sentiment de vivre dans un état de crise permanent : crise des gilets jaunes, crise sanitaire, inflation, etc. En tout cas, les maires sont toujours en première ligne en cas de crise et savent répondre présent.
Votre mission concerne l'avenir du maire et de la commune à l'horizon 2030. Il me semble que leur rôle ne doit pas changer. Les communes ont fait la preuve de leur force et de leur utilité. Il importe de préserver cette instance.
Vous nous interrogez sur la place de la commune dans le bloc communal et sur le lien avec les intercommunalités. Nombre de changements sont intervenus ces dernières années, mais je pense que modifier le périmètre des intercommunalités ne les rendra pas plus efficaces. Celles-ci doivent permettre de démultiplier l'efficacité de l'action locale, en intervenant en soutien des politiques communales. Elles sont avant tout utiles lorsqu'une mutualisation est pertinente : en matière d'assainissement, de gestion des déchets, d'organisation des mobilités, de développement économique, etc. Pour le reste, l'intercommunalité doit avoir une compétence d'appui, de manière souple, en lien avec les communes.
Les finances publiques locales sont sous tension : les communes ont été mises à contribution à hauteur de 46 milliards d'euros ces dernières années, à tel point que, selon notre étude, 44 % des maires envisagent de fermer des services publics. L'État a supprimé des dotations, qui sont, je le rappelle, non pas des subventions, mais des compensations d'un pouvoir fiscal retiré aux communes dans les années 1970. Cette évolution est révélatrice d'une vision restrictive de l'autonomie des collectivités, tant de la part des gouvernements successifs que du juge constitutionnel, car le transfert des compétences devrait s'accompagner de la capacité à agir. Les suppressions successives de leviers fiscaux sont une mauvaise nouvelle. Elles mettent en péril notre capacité à répondre aux problèmes que l'on rencontre. L'État privilégie désormais les appels à projets, qui constituent en fait une prime aux grandes communes, qui disposent seules de l'ingénierie nécessaire pour y répondre. Les petites communes en manquent, c'est le maire qui doit remplir les dossiers le week-end ; dès lors, beaucoup renoncent. Par exemple, en Indre-et-Loire, Tours reçoit plus de la moitié de l'enveloppe de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) du département.
Le problème de l'ingénierie est central. Les petites communes sont victimes de la dévitalisation progressive de l'État déconcentré, qui joue de moins en moins son rôle de conseil. L'État se rétracte et tend à se recentrer sur ses missions de contrôle. Il est important de maintenir les sous-préfectures, afin que l'État puisse s'adapter aux réalités locales. Dans les Yvelines, les sous-préfets n'ont pas les mêmes rôles à Saint-Germain-en-Laye, zone urbaine dense, qu'à Rambouillet. Il faut penser ensemble déconcentration et décentralisation.
On observe aussi une « agencification » de l'État, pour donner de la visibilité à certaines politiques publiques. Celle-ci aboutit parfois à des situations ubuesques : à l'occasion de l'aménagement d'une parcelle, une agence m'a déclaré que l'on devait la densifier, mais une autre a considéré qu'il s'agissait d'une aire protégée... Je me suis tourné vers la sous-préfecture qui n'a pas su arbitrer, et nous avons dû mener conjointement une procédure de délivrance de permis de construire et un dossier de protection des aires protégées ! Il serait utile que les préfectures retrouvent leur capacité d'analyse des dossiers et d'arbitrage in fine. Les maires ont parfois le sentiment d'être dépossédés de leurs prérogatives, dans la mesure où ils n'ont plus d'interlocuteur de proximité et ne savent pas qui étudie leurs dossiers. Les décisions semblent être prises au niveau national. C'est pourquoi il conviendrait que les élus soient représentés au sein des agences.
M. Jean-Paul Carteret, vice-président de l'Association des maires ruraux de France. - On connaît l'importance des services de proximité dans les communes rurales. On ne pourra jamais se passer du maire. Il faut que les communes conservent le plus de compétences possible.
M. Michel Gros, membre du bureau de l'AMRF. - L'Association des maires ruraux de France représente les communes de moins de 3 500 habitants, qui rassemblent un tiers de la population et couvrent plus de 80 % du territoire. Depuis 2020, 900 maires ont démissionné : ils ne comprennent plus les politiques menées par l'État, ni l'attitude de ses services. Ils ont le sentiment d'une perte de sens. Les politiques publiques manquent de visibilité, de continuité. Elles changent trop vite et empêchent les maires de construire une politique de long terme. Les maires sont en contact avec les multiples agences de l'État : l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), etc. Leurs interlocuteurs sont nombreux ; ce n'est pas simple à gérer pour les communes rurales dépourvues d'ingénierie.
On constate avec une certaine amertume une marche forcée vers l'intercommunalité depuis la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe. Les maires avaient pourtant su depuis longtemps travailler ensemble et mutualiser les moyens pour être plus efficaces. Résultat, les communes-centres se renforcent au détriment des communes rurales, sauf si le président de l'intercommunalité est maire d'une commune rurale. Mais dans la majorité des cas, le président est le maire de la ville-centre.
La dotation globale de fonctionnement est deux fois plus élevée par habitant dans les communes urbaines (128 euros) que dans les communes rurales (64 euros), alors même que les charges de centralité qui étaient supportées par les villes-centres ont été pour l'essentiel transférées aux intercommunalités. Le cabinet de la Première ministre nous a répondu qu'il n'était pas possible de réformer la DGF, car la formule est trop complexe, la « clé en aurait été perdue »... Ce n'est pas satisfaisant et on comprend que nos collègues soient démotivés.
Si les procédures pour obtenir des subventions de la part des régions ou des départements sont plutôt simples, il en va différemment pour les subventions de l'État : l'octroi des aides est soumis à différents critères, et les taux varient en fonction du bon vouloir du préfet. Je siège à la commission d'élus de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) du Var ; nous avons dû faire modifier les critères d'attribution de la DETR pour la recentrer sur les territoires ruraux : elle pouvait en effet bénéficier, dans certains cas, à des communes de plus de 20 000 habitants, qui ont accès à d'autres sources de financement à la différence des communes rurales. Le résultat de cette complexité des conditions d'attribution est que les projets des communes rurales sont souvent inéligibles aux aides. Les dossiers sont de plus en plus complexes et on manque cruellement d'ingénierie. L'ANCT ne suffit pas. Les maires ont du mal à trouver un interlocuteur et sont souvent renvoyés de bureau en bureau, jusqu'à en être découragés.
De plus, dans le cas des projets financés par la DETR ou la DSIL, les communes doivent avancer les fonds et l'État les rembourse avec un délai de sept ou huit mois - c'est trop -, au prix de nombreuses tracasseries administratives.
Les communes rurales ont été, dans leur grande majorité, de bons élèves s'agissant de l'objectif « zéro artificialisation nette » (ZAN), mais la loi va s'appliquer uniformément, pénalisant autant les communes qui ont été vertueuses que les autres ; une approche différenciée serait intéressante.
Nous saluons les opérations « Action coeur de ville » et « Petites villes de demain », mais nous plaidons pour la création d'un nouveau mécanisme, que l'on pourrait appeler « Villages d'avenir », pour soutenir les anciens chefs-lieux de canton ou les communes rurales qui le souhaitent.
Nous souhaitons pérenniser par la loi les zones de revitalisation rurale (ZRR) pour avoir de la visibilité à long terme.
Les territoires ruraux abritent la forêt, l'eau, les terres agricoles, etc. Or ces aménités rurales, ces services rendus pas la nature au profit du plus grand nombre, ne sont pas prises en compte dans le calcul des dotations de l'État. Il est ainsi plus rentable de bétonner une plaine agricole pour installer une zone commerciale que de créer une zone agricole protégée, qui pourtant permet de stocker l'eau, le carbone, tout en protégeant l'environnement. Ces services écosystémiques devraient être reconnus et la notion « d'espace » rural consacrée dans la Constitution.
Enfin, nous ne pouvons que noter, hélas, un changement de comportement de nos administrés, qui se comportent de plus en plus en consommateurs, et moins en citoyens. Cela rend la gestion des communes encore plus difficile.
M. Jean-Paul Carteret. - La dotation de solidarité rurale (DSR) a été orientée vers les bourgs-centres. Plutôt que de vouloir concentrer les services dans certains endroits, mieux vaudrait les répartir de manière équilibrée sur tout le territoire.
On a trop tendance à identifier communautés de communes et bassins de vie. Or il existe plusieurs bassins de vie au sein d'une intercommunalité : un bassin de vie, c'est une unité de vie, le périmètre scolaire d'une école primaire. On ne peut pas demander à tout le monde de vivre au même rythme dans une communauté de communes, car d'un bout à l'autre de son territoire, les gens ne se connaissent pas. Il faudrait faire en sorte que chaque bassin de vie soit doté d'une école primaire, de services de santé, de services publics, etc. Ce serait la mise en oeuvre de la proximité. Quand on va chercher ses enfants à l'école, on fait ses courses. Créer des aides pour la relance des commerces, c'est bien, mais on ne peut pas les implanter au milieu de nulle part ! Il en va de même pour les médecins. Il faut garantir la présence de tous ces services dans chaque bassin de vie.
Je plaide aussi pour la présence d'un service public de la petite enfance à proximité de chaque école dans les territoires ruraux. On manque d'assistantes maternelles ; des crèches ou des micro-crèches se développent, mais elles sont parfois éloignées d'un bourg-centre ou d'un village. Lorsqu'un village n'a pas de service de la petite enfance, les jeunes parents ne sont pas incités à venir y vivre, et il est à craindre que l'école, tôt ou tard, ferme. Si l'on concentre les services dans certains bourgs-centres ou certaines « petites villes de demain », les autres communes vont dépérir. Il importe de mailler tout le territoire. La création des zones artisanales a été une erreur, car l'activité s'est concentrée dans ces zones. Mieux aurait valu permettre aux artisans de s'installer dans les villages, afin d'entretenir la mixité sociale. J'ai été directeur d'école dans une commune rurale : la mixité sociale était forte ; mais aujourd'hui elle a disparu.
Nous l'avons constaté lors de la crise sanitaire : dans les communes, le maire est le premier maillon de la chaîne sociale, le premier interlocuteur pour la sécurité. Les maires ruraux sont ainsi souvent référents pour les violences conjugales. Les élus sont à disposition de leur population en permanence, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Les maisons France Services devraient mailler le territoire encore plus finement, au-delà des centres des communautés de communes. N'oublions pas non plus que le premier maillon du service public, c'est la mairie. On crée une plateforme numérique pour faciliter la délivrance des cartes d'identité et des passeports, mais ce n'est pas une bonne idée. Il faut que la mairie reste le point de référence pour tous ceux qui vivent à proximité. Lors de fusions réalisées en application de la loi Marcellin de 1971, chaque hameau avait, dans un premier temps, conservé son maire délégué, mais ces mairies ont depuis fermé, et il ne faut pas s'étonner que certains n'aillent plus voter, car ils vivent maintenant trop loin de la mairie centrale. La ruralité mérite davantage de respect !
Les communes rurales contribuent à l'économie locale. Or 65 % seulement des crédits de l'enveloppe de la DETR reviennent aux communes rurales. On fait pourtant travailler les artisans locaux. Les communautés de communes consomment 23 % de la dotation ; elles ont des frais de fonctionnement plus élevés. Les communes rurales, elles, s'appuient sur des bénévoles dévoués.
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - Pourriez-vous nous donner des exemples concrets ? Par exemple, pourriez-vous nous préciser quelles compétences devraient rester aux communes au sein des intercommunalités ?
Nous nous intéressons aussi aux conditions d'exercice du mandat de maire. Quels sujets méritent selon vous d'être évoqués ? Que proposez-vous s'agissant des secrétaires de mairie ou du statut de l'élu ?
J'attire également votre attention sur le fait que la réflexion que nous avons engagée est une réflexion prospective : que doivent être, demain, la commune et le maire ?
Vous nous avez décrit les difficultés rencontrées par les maires. Nous partageons le constat et nous avons souvent eu l'occasion de défendre vos positions dans l'hémicycle, notamment sur l'agencification ou sur la répartition de la DETR, qui devrait revenir en totalité aux communes rurales, comme nous l'avons précisé dans un projet de loi de finances récent, etc.
Nos questions s'adressent aussi aux élus de communes plus importantes : quelle est la place du maire dans une ville-centre ? Quelle est l'articulation entre les communes et les intercommunalités ? Nous ne voulons pas opposer les deux, mais identifier les compétences de proximité, qui doivent relever de la commune, et celles, plus stratégiques, qui doivent relever de l'intercommunalité.
M. Daniel Cornalba. - Je me retrouve dans de nombreux discours. De nombreuses communes membres de l'APVF sont attachées à l'Agenda rural, que nous devons construire ensemble.
L'évolution du bloc communal s'est faite à marche forcée. Je suis maire depuis 2020, mais selon mes collègues, c'était autrefois différent ; ils déplorent le carcan actuel. Mais à partir du moment où l'intercommunalité existe, elle doit être utile.
Une chose peut nous réunir : l'intercommunalité n'a de sens que s'il existe un projet de territoire, qu'il faudrait rendre impératif. Parfois, dans les intercommunalités XXL, tous les maires ne se connaissent pas. L'année suivant les élections, il faudrait qu'ils se rencontrent pour déterminer les projets à faire ensemble, quels que soient les programmes sur lesquels ils ont été élus. Certes, il faut également un équilibre entre la commune-centre et les petites communes.
L'intercommunalité peut aussi avoir une plus-value pour la recherche de financements, notamment européens. Souvent, une petite commune a l'impression de se trouver devant une montagne et n'ose pas y prétendre. L'intercommunalité peut mutualiser l'ingénierie pour préparer les des dossiers à déposer.
Auparavant, dans les contrats de relance et de transition écologique (CRTE), nous étions obligés de faire remonter certains projets au niveau de l'intercommunalité. Nous nous sommes aperçus que nous avions, au sein de différentes communes, des projets similaires sur la rénovation thermique ou les sites scolaires qui, mis ensemble, pouvaient avoir le poids suffisant pour intéresser les financeurs.
La commune, c'est le guichet de base des citoyens, qui les réoriente ensuite. Parfois, les citoyens ont l'impression que la mairie est responsable de tout, ou presque. Les gens se rendent facilement en mairie : on l'a vu pour la crise covid, pour l'accueil des réfugiés ukrainiens : le lendemain de l'agression russe, des gens y déposaient des sacs de nourriture. Aller à la mairie est un réflexe de base ; ne l'oublions pas.
À l'échelle d'une intercommunalité, on pense à l'aménagement du territoire avec notamment le plan vélo, l'assainissement, mais certaines problématiques d'urbanisme relèvent des communes. Il y a des équilibres à préserver : patrimoine, aménagement, sensibilité de la population : le maire, qui est « à portée de baffes », est celui qui est le plus à l'écoute des citoyens. Cela permet une plus grande finesse dans les aménagements urbanistiques. Dans une agglomération, si tous les projets sont remontés à l'intercommunalité, cela pose problème.
N'oublions pas les ressources humaines. Les représentants de l'AMRF ont évoqué l'attractivité des emplois territoriaux. Si l'on veut une montée en compétences de l'ingénierie, il faut rémunérer celles-ci. Les petites communes ne peuvent accorder cette revalorisation salariale, et doivent être accompagnées. Un décrochage s'est réalisé progressivement. Des métiers valorisants sont devenus de moins en moins attractifs, et les personnes compétentes ont fui vers d'autres secteurs. Nous ne pouvons que le regretter, mais il nous revient d'y répondre.
M. Jean-Paul Carteret. - Que pouvons-nous mieux gérer en proximité ? J'évoquerai quelques exemples. Il nous faut rester cohérents par rapport au périmètre de scolarisation des enfants : le ministre veut « faire école ensemble » lorsqu'il y a quatre ou cinq écoles sur une communauté de communes, mais ce n'est pas possible. On ne peut pas avoir le même projet, tout dépend du bassin de vie. Nous sommes capables de monter des projets communs avec des syndicats. Il faut autoriser les communes à travailler ensemble, sur un même bassin de vie, quitte à appeler cela autrement, comme des conventions de partenariat.
Dans ma communauté de communes, en application de la loi NOTRe, plus une commune est grande, plus elle a de représentants. Trois communes ont ainsi 26 représentants sur 60 ; il faut 27 autres communes pour contrebalancer leur pouvoir. Il faut revenir à un système plus équilibré, car cela ne marche pas.
La communauté de communes est utile pour certaines compétences. Cependant, chez nous, trois grosses communes ont plaidé pour le transfert de compétence de la voirie : désormais, les travaux ont lieu en fin d'année et non plus en début d'année, car les chantiers sont plus gros, et les entreprises qui remportent le marché ne sont même plus de la commune. On a enlevé des compétences aux communes, et donc des capacités d'initiative. La gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations (GEMAPI) est passée aux intercommunalités. Les rivières ne sont plus entretenues, alors qu'auparavant chaque commune le faisait. Certains ponts sont envahis d'arbres, car personne n'ose s'en occuper.
M. Michel Gros. - Je serai direct, voire provocateur : il faut arrêter le double discours. Soit les communes sont inutiles, et il faut les supprimer, soit elles sont utiles et il faut leur donner des moyens. Depuis 2008, on assiste à un discours formaté, qui dépasse les élus et qui diffère des actes. Soit nous sommes des gens irresponsables dilapidant l'argent public, soit nous savons aménager le territoire et il faut nous donner de l'argent. Ce double discours est difficile à accepter pour les communes rurales. Le Gouvernement nous dit qu'il a besoin de nous, mais la technostructure nous fait sentir que ce n'est pas bien de parler à 25 communes, car c'est plus compliqué que de ne s'adresser qu'à une seule. J'en veux pour preuve, mais d'autres exemples pourraient être tirés des gouvernements précédents, les récents propos de la Première ministre aux intercommunalités sur le zéro artificialisation nette (ZAN), alors que ce sujet concerne les communes. Nous, communes rurales, sommes vertueuses pour l'aménagement du territoire.
Nous n'acceptons plus ce double discours : dire que nous sommes utiles, sans nous donner les moyens ou en transférant à marche forcée nos compétences vers l'intercommunalité.
Nous voulons bien un transfert de compétences - nous n'avons pas attendu l'État pour nous rassembler, mais derrière il y avait un véritable projet. Or désormais, cela vient d'en haut et descend sans analyse fine. Laissez-nous travailler, et jugez-nous sur les résultats et non par anticipation : dans les territoires ruraux, nous avons des communes qui savent faire.
Il faut aussi revoir le statut de l'élu : comment avoir des territoires ruraux dynamiques, avec des jeunes voulant s'investir dans un mandat local, quand l'employeur rechigne à la mise à disposition, lorsque le statut est précaire, que l'élu est responsable de tout sans couverture, ou lorsque les indemnités des élus sont ridicules ? Une vice-présidente de l'AMRF a dû se mettre en arrêt maladie pour continuer à mener son mandat. C'est plus compliqué dans une commune rurale que dans une grosse commune. Il en est de même pour l'ingénierie : souvent, c'est le maire qui s'y colle.
Quand nos administrés s'interrogent, le premier réflexe est d'aller à la mairie. Mais lorsqu'on interroge le maire sur les poubelles qui débordent ou la réparation d'un réseau d'eau, que répond-il ? Cela ne dépend pas de moi, mais de l'intercommunalité... Cela le décrédibilise.
Les taux de participation aux élections municipales ont chuté : on ne voit plus la pertinence des maires dans les communes rurales.
M. Frédéric Chéreau, maire de Douai, membre du conseil d'administration de Villes de France. - Merci de l'attention que vous portez aux communes. Nous savons que vous nous défendez au quotidien, et que plusieurs d'entre vous étiez maires. Villes de France rassemble les communes entre 10 000 et 100 000 habitants, qui sont souvent communes-centres d'intercommunalités. Nous sommes sur une strate différente de celle des communes rurales, mais nous avons de nombreux sujets communs.
Les principales différences entre les communes rurales et nous reposent sur deux points : le ratio entre le nombre d'élus et la population, et le ratio entre le nombre d'agents et la population. Les communes rurales sont très bien loties pour le nombre d'élus par habitant : elles ont environ une quinzaine d'élus pour 1 000 habitants. À l'inverse, elles sont moins bien dotées en agents. Les élus jouent parfois aussi le rôle de directeur, de chef de service voire d'ouvrier... Dans les communes plus importantes, nous avons à l'inverse un élu pour 1 000 habitants, mais nous avons davantage d'agents : une directrice du budget, un responsable d'ingénierie pour répondre aux appels à projets par exemple.
Les communes attendent trois choses : visibilité ou temps long, autonomie et souplesse.
Nous avons manqué de visibilité durant les années précédentes. Lors de la crise sanitaire, il a fallu tout inventer, seuls, pour continuer à travailler sans les administrations étatiques qui avaient fermé. Ceux qui étaient en première ligne devaient inventer les solutions...
Actuellement la crise inflationniste et la pénurie de matériaux sont compliquées à gérer. Nous travaillons sur des projets à long terme, durant parfois deux ou trois mandats. Pour la mise en place d'un nouveau service, que ce soit en investissement ou en fonctionnement, avons besoin de stabilité du cadre juridique et de visibilité pour nos ressources. Toute perturbation est difficile à gérer.
Nous avons besoin d'être autonomes vis-à-vis de l'État et dans nos choix d'organisation, localement, à l'échelle du bloc communal. Nous avons parfois le sentiment, à mesure que l'État se déprend de ses capacités d'ingénierie, qu'il devient plus tatillon, recroquevillé sur sa capacité ou plutôt son incapacité à contrôler. Il existe une sorte de présomption d'amateurisme de certains grands services centraux de l'État vis-à-vis des maires : le projet serait électoraliste, trop cher, mal ficelé, car le maire n'est pas sorti des bonnes écoles... Il vaudrait mieux qu'une agence de l'État ou un service ministériel vienne y mettre bon ordre. Or souvent, ce n'est pas le cas...
Nous ne voulons pas être dans une position d'exécutant de l'État. Nous avons travaillé avec le sous-préfet de mon arrondissement sur les établissements recevant du public. Je me suis retrouvé l'exécutant d'un projet piloté par l'État. Le sous-préfet n'a plus de moyens : il demande aux maires de faire et de rendre des comptes. Si l'État veut exercer une compétence, qu'il le fasse lui-même et ne demande pas à nos ingénieries territoriales de le faire à sa place.
Je suis d'accord avec notre collègue, il faut nous laisser gérer nos territoires comme nous le voulons. Les relations avec l'office de tourisme intercommunal sont compliquées pour gérer les visites du beffroi de l'hôtel de ville de Douai. De nombreuses procédures ont ainsi été transformées, sans gagner grand-chose en efficacité.
Il en est ainsi de la compétence habitat, qui relève de l'intercommunalité. Mais ce sont les mairies qui ont la connaissance fine des bailleurs. Je voudrais mettre en place le permis de louer dans ma commune ; je suis le seul à le demander, parmi les 36 communes de l'intercommunalité, mais je suis d'accord pour prendre en charge toute l'ingénierie et recruter le personnel nécessaire. Cela fait trois ans que j'attends l'autorisation... Nous avons besoin de cette souplesse.
Certaines compétences doivent toujours relever de la commune, car l'intercommunalité n'est pas le bon niveau. Il n'est pas simple de confier à l'intercommunalité les sujets nécessitant une connaissance fine des habitants : la petite enfance, le scolaire, le social, parfois la politique de la ville. L'intercommunalité est une structure d'ingénierie : elle peut très bien agir sur l'économie, mais cela n'a pas de sens pour des sujets de proximité.
L'État a toujours l'impression que le bloc communal est un tout, et que parler à l'intercommunalité permet de parler à toutes les communes. Or c'est une structure propre, avec son projet politique propre. La commune est autre. On peut comprendre cette confusion de la part de l'habitant, qui se tourne vers le maire sans tenir compte de l'intercommunalité. Ce n'est pas à lui de gérer notre propre complexité.
L'intercommunalité a été construite de manière bizarre, mi-chèvre mi-chou. Nous n'avons pas supprimé des communes comme en Allemagne ou en Belgique, mais créé une strate supplémentaire sans en supprimer. Nous ne voulons pas supprimer les communes. Actuellement, les intercommunalités existent et gèrent des projets politiques et non plus techniques comme les syndicats. Elles n'ont aucun compte à rendre aux citoyens, mais uniquement aux maires. Le projet intercommunal n'est pas présenté par les maires.
Contrairement au citoyen, on peut exiger de l'État qu'il comprenne que maires et intercommunalités ne sont pas la même chose, et qu'il doit parler aux maires sur les compétences communales.
Nous avons besoin de souplesse, car nous travaillons sur le temps long. Les sujets sont complexes. Le maire, ensemblier, a besoin que l'État lui facilite la vie. Les appels à projets sont très compliqués, et nous bousculent lorsque nous mettons en place, sur le temps long, toutes nos politiques. Souvent, pour obtenir un appel à projets, il faut sortir quelque chose de neuf de son chapeau, en réalité juste pour avoir quelques sous pour financer du temps long.
Nous avons besoin d'avoir un État ensemblier qui regarde les choses de manière croisée, comme nous : nous gérons des écosystèmes locaux. Souvent, c'est pour cela que les maires apprécient le préfet et le sous-préfet, qui représentent un État à une seule tête, capable de répondre sur plusieurs thématiques. Sinon, il est difficile d'avoir affaire avec plusieurs agences de l'État ou avec des directions régionales de l'État qui parfois en se parlent pas, ou à un architecte des bâtiments de France (ABF) local qui ne dit pas la même chose que l'ABF qui est au-dessus ou que les pompiers lorsqu'il s'agit de sécuriser un bâtiment...
Autre exemple, le sous-préfet nous demande, dans le cadre d'un PLU, de construire de toute urgence des logements pour répondre à la demande d'une entreprise qui s'installe dans le Douaisis, et de l'autre, la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) estime qu'il ne faut pas sortir immédiatement tous les logements, car beaucoup sont prévus sur des friches et qu'il faut les échelonner... Le préfet doit arbitrer. Parfois, la loi n'est pas totalement claire, et il reste une marge d'interprétation. Que l'État utilise cette marge pour simplifier, et qu'il nous couvre.
D'autres choses fonctionnent moins bien, comme les multiples schémas qu'on nous demande de réaliser pendant des heures, sans trop de résultat. Par exemple la convention de sécurité intégrée, qui ne nous a pas permis d'avoir un policier de plus, et pour laquelle je vais devoir encore attendre six mois pour obtenir une réponse sur les caméras mobiles que je souhaite installer à Douai....
J'ai fait des pieds et des mains pour intégrer le contrat de relance et de transition écologique (CRTE), mais je n'ai pas eu le droit de le signer, puisqu'il relève de l'agglomération. Agglomération et ville ont deux agendas différents. Je ne suis pas vice-président de l'agglomération alors que je suis maire de la ville centre. Dans le Douaisis, les communes périphériques ont le pouvoir dans l'agglomération. C'est d'ailleurs une réponse à mon collègue qui reprochait aux communes centres d'imposer leurs vues dans les intercommunalités. Les deux cas de figure existent.
Autre exemple de ce qui ne marche pas très, les contrats de ville : on saupoudre, il n'y a pas de cohérence, et chaque année nous y passons des heures en mobilisant énormément d'ingénierie, pour financer une vingtaine de projets. De la même manière, l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) nous demande de multiplier les études pour, in fine, sortir ce que les maires savaient dès le début et obtenir des financements. Mais on va mesurer à chaque fois si on sait bien les utiliser, en raison d'un soupçon permanent.
En revanche, ce qui fonctionne, c'est quand l'État nous soutient de façon souple sur des projets de long terme où la stratégie est vraiment définie par le territoire. Ainsi, les programmes de réussite éducative fonctionnent très bien, de même que la cité éducative, même si ce projet ne durera que trois ans. C'est une vraie initiative des maires.
Le programme Action coeur de ville fonctionne également bien. Villes de France est un partenaire évident de l'État pour ce programme, qui est porté par un préfet connaissant bien les maires. Chaque maire peut inventer son projet. Le Président de la République s'interroge beaucoup sur le dispositif, qui ne serait pas bien contrôlé par l'État. Mais vu des maires, c'est un bon dispositif.
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - La formule de « présomption d'amateurisme » fait recette auprès de nos collègues...
M. Éric Straumann maire de Colmar, membre du conseil d'administration de Villes de France. - Je suis le maire de Colmar, ville de 70 000 habitants, et je préside l'agglomération de 110 000 habitants. Les Français sont très attachés, historiquement, à la figure du maire. J'ai été président de conseil départemental et parlementaire. Il faut maintenir et défendre l'image et la fonction de maire, même si avec la montée des réseaux sociaux, il devient plus difficile de faire passer des messages, avec certains contradicteurs qui ne participent pas de la même façon au débat public.
Pour que le maire subsiste, il faut que la commune puisse conserver certaines compétences, comme les écoles, le périscolaire, l'urbanisme - sinon le compte à rebours de la fin de la commune et du maire va démarrer -, la culture, le sport. Il y a suffisamment à faire dans les intercommunalités.
Avec les départements et les régions, je pense sincèrement qu'il y a une strate en trop. C'est la course pour couper le ruban entre les différents financeurs. On ne comprend plus qui fait quoi. Un big bang institutionnel se prépare : il faut réduire d'une strate.
Les espaces France Services, mis en place après la crise des Gilets jaunes, fonctionnent bien. Au départ réservés pour les communes rurales, ils fonctionnent aussi en zone urbaine, notamment dans les quartiers de reconquête républicaine où les habitants peuvent avoir des problèmes pour accéder à internet, que ce soit pour des raisons intellectuelles, financières ou pratiques. Et j'approuve ce qui a été dit précédemment.
Mme Anne Chain-Larché. - Pouvez-vous nous en dire plus sur la compétence eau et assainissement, et sur le report éventuel du transfert de cette compétence aux communautés de communes, actuellement facultatif ?
M. Jean-Michel Arnaud. - Vous avez évoqué l'attractivité de la fonction publique territoriale et des ressources humaines. Quelle articulation des ressources humaines instaurer entre le niveau communal et intercommunal ? Certaines intercommunalités ont fait le choix de mutualisations intégrées se traduisant par l'absorption des services de la ville centre avec l'intercommunalité, ce qui crée des difficultés d'appropriation des agents intercommunaux et de liaison entre les personnels des communes membres de l'intercommunalité avec leurs collègues de la ville centre. Pouvez-vous nous éclairer sur ce point, et avez-vous des suggestions ?
Mme Cécile Cukierman. - Merci pour vos interventions fondées sur la réalité quotidienne. Vous avez évoqué l'enjeu pour l'échelon communal de conserver suffisamment de compétences pour que le pouvoir du maire soit reconnu et que son rôle ne se réduise pas à seulement accueillir les habitants venant toquer à la mairie, sans pouvoir répondre à leurs demandes. Vous avez également souligné que la compétence des maires en matière d'urbanisme tend à se réduire, notamment à cause de la multiplication des PLU intercommunaux (PLUi). Mme Chain-Larché a évoqué également la compétence eau et assainissement.
Certaines compétences transférées viennent-elles à manquer aux communes ? Il ne s'agit pas, pour elles, de faire une collection Panini de compétences, mais d'être en mesure de remplir véritablement les missions qui sont les leurs, afin de conserver leur légitimité auprès des citoyens.
M. Christian Redon-Sarrazy. - Les équipes administratives dans les communes peuvent rencontrer de vraies difficultés. L'absence d'interlocuteur en matière de finances publiques pose problème. Les maisons France Services n'y répondent pas. Le conseiller fiscal peut avoir parfois une centaine d'interlocuteurs pour les budgets. Cela rend l'exercice du métier de secrétaire de mairie encore plus complexe et moins attractif, eu égard aux difficultés rencontrées.
M. Éric Straumann. - En Alsace, nous n'avons aucun problème pour la gestion de l'eau et de l'assainissement. Dans le Bas-Rhin, nous avons un syndicat unique pour l'ensemble des communes, et presque toutes y ont adhéré. Cela peut être différent dans les autres régions françaises.
Je suis convaincu que le PLUi réduit considérablement les pouvoirs du maire. C'est un compte à rebours pour la disparition de la commune, selon mon avis personnel. Nous voulons conserver la compétence urbanisme.
Dans les petites communes, il est difficile de recruter des secrétaires de mairie, qui deviennent une denrée rare ; les maires font monter les enchères et se piquent les secrétaires de mairie. Il faudrait créer un diplôme, une formation structurée dans les universités ou des écoles. Auparavant, il existait des écoles pratiques d'administration.
M. Michel Gros. - Depuis que la compétence eau et assainissement a été transférée de façon obligatoire à la communauté d'agglomération, nous faisons double travail : les besoins émanent de la commune, nous devons rechercher l'entreprise qui exécutera les travaux, préparer la paperasse administrative, et ensuite la transmettre à l'intercommunalité qui valide ou non le dossier, par un vote du conseil communautaire. Cette lourdeur administrative entraîne aussi une moindre réactivité. Le transfert de compétence n'est donc pas exemplaire. Dans les communes rurales, où l'on fait très attention à l'eau, c'est un sujet très sensible. L'État a suffisamment de contrôle sur les stations d'épuration et les rendements des réseaux d'eau pour ne pas contraindre à la mutualisation intercommunale.
Depuis la fusion en 2017, le coût des ressources humaines au niveau de l'intercommunalité ne cesse de croître. Alors qu'il n'y a pas forcément de transfert de personnel vers l'agglomération. Hormis pour les crèches, le personnel est toujours resté à la commune : pour le PLUi et l'eau, c'est nous qui le faisons. Nous n'avons pas réalisé d'économies d'échelle. Comme le dit notre président national de l'AMRF, depuis les années qu'il connaît les échelles, il n'en a jamais vu faire des économies ...
Nous sommes opposés au PLUi : le PLU doit rester aux mains du maire et du conseil municipal afin d'être en phase avec les attentes de la population. Certaines communes veulent se développer, il faut leur laisser la liberté de le faire. L'État est là pour encadrer les éventuelles dérives.
Les aides techniques de l'État disparaissent. Le conseiller fiscal nous est vendu comme la panacée. On a rationalisé, c'est-à-dire fermé, les trésoreries, et nous avons été contraints de passer au référentiel M57. L'État, qui se sentait peut-être coupable, a voulu nous aider avec le conseiller fiscal. Dans mon bassin de vie, celui-ci est très efficace et apporte de précieux conseils à ma directrice générale des services.
M. Frédéric Chéreau. - L'eau et l'assainissement sont gérés par mon intercommunalité de façon plutôt satisfaisante. La plupart des intercommunalités sont couvertes par le syndicat interdépartemental. L'intercommunalité gère pour la moitié des communes.
Une difficulté que soulève l'intercommunalisation de la compétence voirie est la gestion du calendrier des chantiers.. Pour une meilleure acceptabilité de la population, il faut vraiment gérer le phasage des interventions pour un enchaînement le plus efficace possible. Or plus il y a d'intervenants, plus il y a de problèmes ; quand je suis prêt à lancer des appels d'offres, l'agglomération n'est parfois pas prête de son côté...
Souvent, le périmètre pour gérer les inondations est plus large que celui de l'agglomération. Dans le Nord, le territoire est plat avec des cours d'eau reliés entre eux, voire anthropisés depuis le Moyen-âge. Nous devrions créer un établissement public territorial de bassin sur quatre ou cinq agglomérations. L'État devrait prendre la main, car cela devient complexe à gérer.
Oui pour conserver le pouvoir de l'ingénierie dans les communes. L'ingénierie et le projet stratégique du territoire doivent appartenir aux communes, élues sur la base d'un projet politique. Les agglomérations doivent se concentrer sur des compétences techniques, au choix des maires et communes qui les composent.
Nous avons besoin de garder la main sur l'urbanisme. Le passage au PLUi est vécu comme une perte de substance. Dans l'agglomération de Lille, qui comprend plus de cent communes, les maires ne se connaissent plus par leur prénom, alors que dans la nôtre, nous ne sommes que 36. Le PLU reste l'outil stratégique numéro un des maires. S'il y a PLUi, Ville de France défend qu'au moins la modification à petite échelle pour une ou deux communes, soit facilitée, sans une procédure trop complexe multipliant les consultations de tout le monde.
Les maires ne doivent pas uniquement gérer le quotidien, mais piloter une stratégie, sinon c'est la mort de la commune.
Nous avons de fortes attentes en matière d'ingénierie pour gérer des projets. Nous avons besoin du soutien de l'État en la matière, et pas seulement besoin de financements pour investir. L'État semble toujours dire que l'argent utilisé en fonctionnement est du gaspillage, or pour porter un projet et préparer l'avenir, il faut bien des dépenses de fonctionnement notamment en personnel, par exemple pour développer de nouvelles sources d'énergie locales, transformer un centre-ville, créer une petite centrale intégrée dans un projet éducatif de territoire, en lien avec le projet alimentaire de territoire. Je souhaite créer un grand pôle petite enfance alliant crèche, maternelle et école élémentaire. L'État doit nous aider à financer pendant deux ans un contrat de projet, car il faut une personne qui se consacre à 100 % à ce type de dossiers.
M. Jean Sol. - Merci pour votre éclairage sur ce que vous vivez au quotidien. Je souhaite revenir sur le statut de l'élu et les difficultés quotidiennes des maires et des secrétaires de mairie, dont il faut parfois s'accommoder, faute d'avoir un directeur de services diplômé et compétent.
M. Michel Gros. - Plus nous arriverons vers 2026, plus nous aurons des personnes qui voudront s'occuper des mairies. Mais en réalité, le maire est responsable de tout, et il est en permanence sur le fil. Au moindre souci, cela lui retombe dessus juridiquement. Il a aussi des budgets à gérer.
Si nous ne sommes pas entourés d'experts, c'est difficile. Le soutien de l'État, à travers un appui en ingénierie ou par le biais d'un conseiller fiscal, est crucial pour entretenir les vocations pour la fonction de maire dans le monde rural.
Les maires ont le sentiment d'une perte de sens. Ils s'interrogent sur leur engagement, hésitent parfois à poursuivre. Ils ne comptent pas leurs heures. Mais nos concitoyens se comportent de plus en plus comme des consommateurs et ne voient pas le travail nécessaire pour faire avancer les dossiers. Il est donc plus que jamais nécessaire que l'État soutienne les communes rurales. N'oublions pas que ce qui fait la spécificité de la France, c'est son tissu de communes : songez à leur rôle pendant la crise des gilets jaunes pour faire remonter les cahiers de doléances. Les maires sont en phase avec leur population.
En conclusion, si j'avais un mot à dire à l'État, je lui dirais : « Écoutez-nous ! Aidez-nous ! Faites-nous confiance ! » Il est important de travailler ensemble. Or on a trop souvent l'impression d'être victimes de barrières. Les contrôles de l'État sont draconiens, excessivement et inutilement pointilleux.
Mme Maryse Carrère, présidente. - Je vous remercie. Nous avons tous été maires et nous souscrivons à ce que vous avez dit. Le Sénat se préoccupe de la vie des communes : ainsi cette semaine, nous examinons en séance publique cinq propositions de loi qui concernent les collectivités territoriales. Nous sommes à vos côtés. La commune est une strate essentielle dans l'organisation de notre pays, pour son avenir et le lien social dans nos territoires.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible '' en ligne sur le site du Sénat.
Audition, sous forme de table ronde, de maires de la montagne (Mercredi 29 mars 2023)
Mme Maryse Carrère, présidente. - Mes chers collègues, je commence en vous rappelant nos deux déplacements, auxquels vous êtes chaleureusement conviés : l'un dans les Vosges le lundi 3 avril et l'autre en Haute-Garonne le jeudi 13 avril.
Cette mission d'information, composée d'une vingtaine de sénateurs, ambitionne de proposer une vision de la commune et des maires à l'horizon de 2030. Elle s'attachera aujourd'hui à étudier deux catégories de communes : les communes de montagne et les communes ultramarines. Il est en effet important pour nous de prendre la mesure des spécificités territoriales de ces collectivités et d'examiner les conséquences de ces spécificités sur leur fonctionnement et sur l'exercice du mandat municipal.
Je salue nos invités de la première table ronde : Mme Alice Morel, maire de Bellefosse (Bas-Rhin), présidente de l'Association du Massif vosgien, membre du comité directeur de l'Association nationale des élus de la montagne (Anem), M. Gilles Cremillieux, maire d'Orpierre (Hautes-Alpes) et Mme Christine Portevin, maire de Guillestre (Hautes-Alpes) sont ici présents ; M. André Mir, maire de Saint-Lary-Soulan (Hautes-Pyrénées), M. Sébastien Pradier, président des maires ruraux de l'Ardèche, maire du Cros-de-Géorand et Mme Annie Sagnes, maire de Luz-Saint-Sauveur (Hautes-Pyrénées), participent à notre réunion en visioconférence.
Mesdames, messieurs, votre témoignage sera précieux. Il nous aidera à comprendre vos difficultés et, peut-être, une certaine crise des vocations - pas moins de 900 édiles ont démissionné de leur mandat depuis leur élection en 2020 -, mais aussi à envisager des réponses.
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - Nous souhaitons en premier lieu que vous abordiez les éléments qui constituent pour vous, en tant qu'élus de territoires de montagne, des freins à l'exercice de votre mandat, ainsi que ceux qui continuent, à l'opposé, de motiver votre engagement.
En deuxième lieu, nous aimerions, en nous appuyant sur vos retours d'expérience, préfigurer la place qui pourrait être celle de la commune à l'horizon de 2030 et traduire vos attentes en propositions.
Alice Morel, maire de Bellefosse (Bas-Rhin), présidente de l'Association du Massif vosgien, membre du comité directeur de l'Association nationale des élus de la montagne (Anem). - Poser la question de l'avenir de la commune et du maire sous-entend qu'il existe une menace sur l'une et sur l'autre. De fait, quatre grandes menaces peuvent être identifiées : les transferts successifs de compétences, notamment aux intercommunalités, la diminution de la population, les complexités administratives et les responsabilités juridiques, et, enfin, le manque de considération, qui est un ressenti sans doute plus récent, mais largement partagé.
Dans ce contexte, les communes de montagne occupent une place particulière. Grandes ou petites, agricoles ou touristiques, les 6 107 communes aujourd'hui classées communes de montagne représentent 10 % de la population de notre pays, mais 25 % de sa superficie. Nous rappelons sans cesse que nous avons la chance de bénéficier, depuis près de quarante ans, de la première loi française s'appliquant à un territoire spécifique : la loi du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne (loi Montagne).
Cette loi reconnaît que nos communes ont en commun des spécificités - la pente, le relief, l'altitude, le climat -, des handicaps - en matière d'accessibilité, de développement ou d'aménagement -, mais aussi un grand nombre d'atouts, qu'il convient de protéger : paysages, agriculture de montagne, forêts, ressources en eau. Or, dans les services des ministères, de nos régions ou de nos départements, rares sont les interlocuteurs qui font référence à cette loi pour appuyer les communes de montagne, alors même que la loi Montagne a été complétée en décembre 2016 par une seconde loi, qui réaffirme et renforce ces spécificités.
Aussi me permettrai-je quelques suggestions.
En matière de finances communales, d'abord, nous pourrions envisager, par exemple, de tripler le poids du critère voirie, dont nous avons obtenu l'intégration dans le calcul de la dotation globale de fonctionnement (DGF). Par ailleurs, l'amélioration de la dotation dite « élu local », réservée aux plus petites communes, permettrait d'atténuer la diminution de la DGF. Sans mettre en péril les finances de l'État, ces deux mesures contribueraient à une plus juste reconnaissance de l'action quotidienne des maires et des communes au service de leurs habitants.
En outre, l'accès aux aides de l'État pourrait être facilité. Si l'abondement de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) est en principe une bonne nouvelle, il est difficile pour un maire de monter un dossier quand le taux d'aide oscille entre 20 % et 80 % ! Un signal fort pourrait être de privilégier les dossiers communaux et de leur attribuer 10 % supplémentaires, dès lors qu'un dossier émane d'une commune de montagne. Cela pourrait encourager nos élus départementaux et régionaux à faire de même et à mieux prendre en considération les petites communes et les communes de montagne.
L'autre volet consisterait à réaffirmer la commune comme premier échelon de proximité et le maire comme premier interlocuteur. Nous l'avons tous vu ces dernières années, notamment à l'occasion des crises climatiques, ce sont le maire, ses adjoints et les conseillers municipaux qui ont la meilleure connaissance du territoire et des moyens humains susceptibles de venir en aide aux habitants. De même, lors de la crise sanitaire, les solidarités villageoises, de proximité, ont été très fortes, en particulier dans les secteurs isolés, par exemple pour l'organisation des courses pendant le confinement ou pour la prise de rendez-vous de vaccination des publics les plus fragiles.
Dans les villes, on développe des politiques de quartier, on crée des journées citoyennes ou des fêtes des voisins, on flèche des budgets - les budgets participatifs - pour rapprocher l'action publique des citoyens. Dans nos communes, nous avons la chance d'avoir la proximité et la connaissance de nos territoires. En outre, bien qu'éloignés des grands centres urbains, nous bénéficions aussi des services numériques et savons les utiliser.
Il nous faut donc appuyer sur le bouton « Pause » des réformes et des transferts obligatoires de compétences, afin de conserver notre spécificité française : une organisation communale proche des habitants, pilier de la démocratie. En élargissant les périmètres des intercommunalités ou en fusionnant des cantons, les récentes réformes ont eu pour effet d'éloigner les élus intercommunaux et départementaux des habitants. Si l'on songe que les élus régionaux sont à 80 % des maires de grandes villes ou des présidents de grandes intercommunalités, l'élu le plus proche des citoyens reste le maire. Pour toutes ces raisons, j'ai confiance en l'avenir de la commune.
Mme Maryse Carrère, présidente. - Mme Sagnes, vous avez été élue voilà quelques mois en remplacement du maire démissionnaire. Votre regard neuf nous intéresse : à quelles difficultés êtes-vous confrontée et quelle différence voyez-vous entre le poste d'adjoint et le poste de maire ?
Mme Annie Sagnes, maire de Luz-Saint-Sauveur (Hautes-Pyrénées). - Étant moins expérimentée que mes collègues, je manque de recul pour vous répondre. J'étais déjà très impliquée dans mon poste d'adjoint et la différence ne me semble pas démesurée.
Les difficultés rencontrées par les communes de montagne tiennent selon moi à la géographie, plus complexe, aux distances, plus grandes, au décalage des enjeux entre les zones très touristiques et celles qui le sont moins ou encore à un découpage inadéquat des intercommunalités.
La prolifération normative pose aux maires de réelles difficultés. Nous devons sans cesse détricoter les contraintes légales pour nous assurer d'être dans le bon cadre. Cela exige beaucoup de technicité ainsi qu'un encadrement et des équipes solides, ce qui est difficile à obtenir dans les petites communes.
Enfin, je partage l'enthousiasme de ma collègue au sujet du rôle du maire, qui est majeur, la période « covid » l'a bien montré. Je suis très confiante, car nous assistons à une sorte de rétropédalage. Après avoir été un peu oublié, le maire est remis en selle. On croit à nouveau en son rôle essentiel. Comme beaucoup d'entre nous, je souhaite qu'on lui confie de plus en plus de missions et qu'on limite les compétences des intercommunalités à des compétences transversales.
M. Gilles Cremillieux, maire d'Orpierre (Hautes-Alpes). - La commune d'Orpierre a la chance d'être entourée de falaises et d'avoir eu, dans les années 1980, des bénévoles passionnés qui, bien avant que l'escalade ne devienne à la mode, ont fait d'Orpierre « La Mecque de la grimpe ».
Je suis devenu maire après treize ans d'enseignement et vingt-cinq ans à la direction d'un groupe de presse régionale. Sans doute le fait de côtoyer nombre d'élus m'a-t-il donné l'envie de passer de l'autre côté de la barrière et de vivre cette expérience.
Être maire en milieu rural reste une belle aventure. À l'instar du médecin ou du curé - deux espèces en voie de disparition -, le maire est encore quelqu'un dans le village. Néanmoins, cette image pagnolesque et idyllique ne résiste pas longtemps à l'analyse.
Il y a d'abord le constat d'une profonde mutation de notre société et des comportements de nos concitoyens. Le respect traditionnellement témoigné à l'élu a laissé la place à une exigence véhémente de tous les instants. Le « moi je » et le « parce que c'est moi » l'emportent trop souvent sur la solidarité et sur le sens collectif. Ainsi, quand il traverse la place du village, la première mission du maire est de régler le problème dans les meilleurs délais...
Il y a ensuite un sentiment de perte progressive de compétences au profit de l'intercommunalité. Si les transferts de compétences peuvent paraître rationnels à quelques esprits technocratiques, ils n'en sont pas moins préjudiciables en ce qu'ils diluent les responsabilités. Les décisions sont de plus en plus lointaines et anonymes, alors que le maire, lui, on le voit !
Les maires sont aussi désemparés face à l'avalanche de sollicitations pour des projets ou subventions. En dépit des efforts de soutien, notamment de la part du département, ni le maire ni son personnel ne sont suffisamment formés pour monter les dossiers. C'est compliqué, cela prend du temps et généralement, quand nous arrivons au terme de nos hésitations, pour le fonds vert par exemple, d'autres sont déjà passés.
Par ailleurs, le quotidien du maire est rythmé par de multiples réunions : syndicat de rivière, syndicat d'électricité, parc naturel régional, communauté de communes... Ces réunions sont chronophages et le fardeau est lourd à porter, notamment pour les maires de petites communes, qui ne peuvent pas déléguer leur présence.
Enfin, le désarroi s'exprime également devant le manque de moyens financiers. Vous l'avez sans doute vécu : les jeunes maires prennent leurs fonctions avec l'envie de révolutionner leur commune. Ils déchantent très vite, quand la réalité les ramène à la raison. La DGF, notamment, reste pour moi une alchimie secrète. Je pensais naïvement que, en faisant classer ma commune en commune touristique, j'obtiendrais un traitement spécifique. Il n'en a rien été et cela mérite selon moi réflexion.
Je reconnais que, depuis le covid notamment, les pouvoirs publics ont redécouvert le rôle irremplaçable du maire. Indiscutablement - on parle d'ailleurs du couple préfet-maire -, la relation avec le préfet, dont les services sont davantage à l'écoute, a évolué. Cela ne règle pas pour autant le problème de l'avalanche des normes, qui sont souvent édictées par des gens qui n'ont pas la connaissance du quotidien des communes rurales et de montagne.
Prenons l'exemple des plans locaux d'urbanisme (PLU). Pour les élaborer, on part des chiffres constatés sur les dix dernières années et on les projette sur les dix prochaines. Mais cette arithmétique ne tient pas compte des dynamiques ! Le maire précédent a pu ne pas faire d'efforts pour accueillir de nouveaux résidents et son successeur peut avoir l'ambition inverse. Avec ce système, ce dernier se trouve bloqué : on lui explique qu'il n'a consommé qu'un hectare les années précédentes et qu'il ne peut donc pas prétendre à beaucoup plus...
Dans le quotidien du maire, la compétence de l'eau est sacrée, la fuite d'eau étant l'un des éléments auquel le maire est identifié. Transférer cette compétence aux intercommunalités comme le prévoit la loi de 2016, c'est nous enlever une légitimité et un pouvoir. Sans refaire la loi, nous pourrions imaginer un transfert à la carte. Je conçois que le maire d'une petite commune du bassin parisien ne tienne pas du tout le même raisonnement que moi, mais dans une commune de montagne où la source est sacrée, il faut nous laisser cette compétence ! En cas de fuite, un seul téléphone sonne : c'est celui du maire et les demandes sont pressantes.
À l'horizon de 2030, je crains donc que le maire ne soit devenu progressivement un guichet unique des pleurs et des mécontentements et qu'il soit dépourvu des moyens d'agir. Nos citoyens nous voient comme celui qui a le pouvoir de régler les problèmes. Si l'on nous enlève ce pouvoir, nous sommes perdus.
Mme Christine Portevin, maire de Guillestre (Hautes-Alpes). - Contrairement à ma collègue, je pense que la différence entre le mandat de maire et celui d'adjoint est colossale : le téléphone sonne beaucoup plus ! Même dans une commune de 2 400 habitants, les gens réclament l'intervention du maire.
Guillestre a la chance d'être une commune touristique et saisonnière. Elle est située entre deux stations de ski - Vars et Risoul - et son territoire est occupé à 64 % par le parc national du Queyras. Guillestre, relevant du programme Petites Villes de demain, a un centre historique médiéval, une centaine de commerces et d'industries, des services publics encore actifs grâce à France Services, un cinéma communal, une crèche, un centre de vacances, un camping, une auberge, une piscine. La ville soutient enfin une quarantaine d'associations et on y trouve deux écoles communales, un collège et cinq hameaux...
Il y a cependant plusieurs ombres au tableau. Le taux de résidences secondaires, vides la plupart du temps, s'élève à 40 % et dans le centre ancien, 14 % des logements, souvent insalubres, sont vacants. Le grand trou béant au milieu du village est la cicatrice de l'effondrement, en 2014, d'une maison trop vétuste. Le presbytère a été fermé après une étude de structure inquiétante. Des saisonniers en camion, qui n'ont pas de terrain pour vivre l'hiver, occupent un terrain communal. La trésorerie a déménagé à une vingtaine de kilomètres. Les logements sont trop chers pour que les jeunes s'y installent. Une classe a fermé voilà quatre ans et une autre il y a deux ans.
Si le paysage est joli, le portrait que je viens de dresser illustre toutes les difficultés auxquelles nous sommes confrontés. Symbole de la République française, l'écharpe du maire est lourde à porter quand les budgets sont toujours plus contraints et les normes toujours plus incompréhensibles et déconnectées de la réalité. Des classes ferment et des enfants de 3 ans font vingt kilomètres chaque matin pour se rendre à l'école !
Le maire est de surcroît confronté à des administrés de plus en plus centrés sur eux-mêmes, à une société qui conteste le bien commun et les règles du bien-vivre ensemble et, enfin, à une crise démocratique qui, personnellement, m'effraie. L'éloignement des services publics crée de la frustration. Les violences verbales sont quasi quotidiennes et les responsabilités toujours plus lourdes pour compenser, parfois, l'inaction de l'État.
Malgré ce tableau noir - j'hésite à me représenter en 2026 -, je crois tout de même dans le rôle du maire. Cette fonction s'exerce d'autant mieux que ce dernier parvient à trouver un équilibre familial et qu'il peut s'appuyer sur une équipe municipale investie sur le terrain. Avec soixante-cinq agents sous ma responsabilité, je suis, de fait et sans avoir appris ces métiers, un manager et un DRH. Pour bien fonctionner, les communes ont également besoin d'un financeur - le département - qui soit proche et à l'écoute.
Après trois années de mandat de maire et deux de conseillère municipale, je me rends compte que la charge qui repose sur le premier magistrat de la commune est énorme. Le maire doit être à l'écoute des citoyens, mais aussi entendre leurs demandes et leurs propositions. Il doit être dans le concret, mais avoir une vision à long terme. Il doit réaliser des projets, mais respecter un budget défini par d'autres, avec de faibles marges de manoeuvre. Il fait des choix pour l'avenir. Cela fait la force de son mandat, mais aussi sa fragilité, en raison de la grande responsabilité que cela suppose.
Enfin, l'éloignement des compétences au profit de l'intercommunalité explique en partie, selon moi, la crise démocratique actuelle. Lorsqu'un problème d'assainissement se pose, les gens se tournent vers la commune, même si la compétence est dévolue à la communauté de communes. C'est toujours le maire que l'on appelle. C'est un beau mandat, mais il faut être solide !
M. André Mir, maire de Saint-Lary-Soulan (Hautes-Pyrénées). - En matière de complexité administrative, les chiffres sont édifiants. Le maire est confronté à pas moins de 400 000 normes et le code général des collectivités territoriales est passé, entre 2012 et aujourd'hui de 300 000 mots à un million !
Les contraintes environnementales sont une autre difficulté. Lorsqu'une commune porte un projet vertueux, elle est soumise à des contraintes difficilement compréhensibles. Par exemple, pour remplacer, dans un refuge, un groupe électrogène par une pico-centrale, il faut plusieurs années !
Par ailleurs, sauf à augmenter la fiscalité des ménages, les maires ne disposent plus de leviers fiscaux. Notre commune n'étant pas reconnue en zone tendue, nous éprouvons de grandes difficultés à alourdir la taxe d'habitation sur les résidences secondaires. Le manque de ressources compromet notre capacité à conduire des progrès structurants.
Dans le domaine de l'urbanisme, les dispositions légales relatives au « zéro artificialisation nette » (ZAN) s'appliquent de manière uniforme. Dans notre commune, l'artificialisation des sols représente à peine 1,2 % du territoire, le reste étant classé en site naturel ! Nous souhaiterions par ailleurs que la procédure de révision simplifiée soit assouplie. Actuellement, la correction d'une erreur matérielle peut prendre plusieurs mois.
Quand j'observe les intercommunalités voisines, le bilan ne me paraît pas totalement satisfaisant. Nous avons plutôt l'impression d'une couche supplémentaire, qui entrave le processus de décision sans apporter de véritable mutualisation des moyens.
Le logement permanent est un problème récurrent pour les communes de montagne, pour lequel le dispositif législatif n'est pas à la hauteur. Pour réaliser une opération de logement social au titre du bail réel solidaire par exemple, il faut être reconnu comme zone tendue ou figurer sur la fameuse liste qui a fait récemment l'objet d'une communication.
Nous éprouvons par ailleurs des difficultés à recruter du personnel territorial qualifié. Lorsque l'on veut faire venir un cadre en fond de vallée se posent les problèmes du logement d'une part et du travail du conjoint d'autre part, et les réponses aux appels d'offres sont peu nombreuses. Or certaines communes touristiques sont de véritables entreprises. Elles ont besoin de techniciens, d'un directeur général des services, d'un directeur administratif et financier. Au sein de cette entreprise, le maire doit être un couteau suisse, capable d'appréhender les problématiques touristiques, organisationnelles, informatiques ou encore managériales. Cette fonction s'est fragilisée au fil du temps et cela conduit d'autant plus à s'interroger que les enjeux sont importants.
Pour autant, je ne voudrais pas dresser un tableau trop noir de la fonction. Nous avons encore, malgré tout, des satisfactions qui nous invitent à rester en poste. Je pense par exemple à la création, dans ma commune, d'une maison de santé regroupant vingt-sept professionnels.
Je reste néanmoins préoccupé par l'avenir du maire et par la question de la succession. Certes, le maire conserve une image très positive dans la population, en tant que personne incontournable : alors même que les problèmes pourraient être réglés par les services ou des adjoints, c'est lui qu'on veut voir. Mais le manque d'intérêt des jeunes générations est inquiétant.
La fonction demande une disponibilité de tous les instants. Dans les communes touristiques, le travail du maire ne s'arrête pas le vendredi soir ; il se poursuit le samedi, avec telle ou telle inauguration, manifestation ou cérémonie au monument aux morts. L'activité est très chronophage et c'est inquiétant pour l'avenir de la fonction.
Il y aurait bien d'autres choses à dire, notamment sur le fait que la spécificité des communes de montagne n'est pas reconnue dans les dispositifs législatifs. La loi Montagne n'induit pas d'applications très concrètes au quotidien et nous pouvons le regretter. Il serait souhaitable que ces spécificités soient prises en compte en amont, au moment des discussions parlementaires.
M. Sébastien Pradier, président des maires ruraux de l'Ardèche, maire du Cros-de-Géorand. - Je suis maire d'une commune de 165 habitants, située à plus de 1 000 mètres d'altitude et dont les 4 500 hectares sont couverts par 70 kilomètres de voirie communale.
La fonction de maire est respectée par tous nos administrés. Le maire est en effet un couteau suisse, tour à tour assistant social, chef d'entreprise, comptable ou urbaniste. Mais les gens ne le comprennent pas. Un refus de permis de construire, justifié par exemple par le fait que te terrain visé jouxte les réseaux publics ou la station d'épuration voisine, entraînera inévitablement une déception.
De fait, une distance se crée avec les administrés, qui perdent la volonté de s'intégrer dans les conseils municipaux. Ainsi, dans ma commune, il y a toujours eu deux listes depuis 1945. En 2020, nous étions onze pour onze places, les derniers de la liste ayant accepté uniquement pour me rendre service. Aujourd'hui, ces onze conseillers municipaux ne sont jamais tous présents au conseil, alors que, en 2008, le conseil municipal était toujours complet.
Depuis le transfert des impositions aux communautés de communes, notre commune a vu ses ressources diminuer. S'il fallait une preuve du désengagement de l'État, je dirais que ma commune touchait, en 2008, 61 000 euros de DGF, 55 000 euros en 2014, 14 000 euros en 2020 et 55 euros en 2022. L'année prochaine, je pense que je devrai payer la DGF ! Et, évidemment, entretemps, les charges de voirie ou d'entretien n'ont pas diminué. Il devient difficile d'équilibrer nos budgets de fonctionnement et les communes qui étaient plutôt riches deviennent pauvres.
Notre communauté de communes compte 28 communes et 5 000 habitants, et il faut deux heures et quart pour aller d'un bout à l'autre. Or les deux communes les plus importantes, qui représentent un quart des recettes de la communauté, ne disposent que de deux voix sur quarante. Dans ces conditions, il est difficile de se faire entendre. Notre communauté de communes compte quarante délégués, mais, quand un conseil communautaire réunit vingt-cinq délégués, nous sommes déjà contents...
Devenir maire est de plus en plus difficile. Personnellement, j'ai la chance d'être chef d'entreprise et de pouvoir me libérer, mais les réunions trop nombreuses me semblent être une explication au désengagement des jeunes.
Je suis peu confiant quant à l'avenir du maire à l'horizon de 2030. Les petites communes rurales ne trouveront plus de candidats. Ainsi, dans la commune voisine de la mienne, huit conseillers municipaux ont démissionné et personne ne souhaite les remplacer...
Il est regrettable qu'on nous enlève des compétences, en particulier celle de l'eau. La commune la plus proche de mon domicile est située à 12 kilomètres. Trois réseaux publics alimentent quatre-vingt-cinq compteurs d'eau : j'imagine mal une gestion de l'eau par la communauté de communes, cela ne peut pas fonctionner.
Les maires des petites communes rurales et de montagne - double peine ! - doivent absolument se faire entendre. Songez qu'un mètre carré de terrain constructible coûte 150 euros dans le sud de l'Ardèche et 6 euros seulement dans ma commune ! Pas facile, dans ces conditions, d'être compris d'un préfet ou d'un sous-préfet, lorsque l'on demande davantage de surfaces constructibles !
J'avoue être pessimiste quant à la situation des maires à l'horizon de 2030, mais peut-être aurons-nous eu d'ici là le temps de nous ressaisir et peut-être serons-nous aidés à l'échelon national ?
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - Vous avez tous soulevé les difficultés qui se posent au bloc communal. Nous l'avons dit en préambule de nos travaux voilà quelques semaines : notre volonté n'est surtout pas d'opposer les communes et les intercommunalités. Nous constatons néanmoins un éloignement des compétences et, partant, un éloignement de la prise de décision, ainsi qu'une dilution des responsabilités.
Nous avons, avec l'exemple ardéchois, un bon cas d'espèce. L'intercommunalité représente un sixième du département et compte désormais moins de 5 000 habitants, soit moins que le seuil de la dérogation prévu par la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (loi NOTRe).
La montagne ardéchoise est l'endroit où la Loire prend sa source. Quand on regarde une carte, on ne voit pas vraiment à quel autre territoire il est possible de l'arrimer. Nous touchons là du doigt la complexité ultime de la composition des intercommunalités et d'une géographie qui interdit quasiment une mutualisation au sens où l'on peut l'entendre dans d'autres territoires, là où les communes sont beaucoup plus rapprochées.
Sur cette question qui anime particulièrement le Sénat, peut-être sommes-nous arrivés à une certaine maturité, qui nous permettrait de nous interroger sur les compétences relevant de la proximité, donc du maire, et sur celles qui sont plus stratégiques, comme l'action économique, qui auraient plutôt vocation à échoir à la strate intercommunale.
Par ailleurs, la question de la relation à l'État a été souvent abordée, en creux, dans vos contributions. Il est vrai que les recettes et dotations émanant de l'État sont de plus en plus faibles. La situation est d'autant plus compliquée que les petites communes manquent d'ingénierie pour répondre aux appels à projets, capter les dotations et intégrer les différents dispositifs.
Dans un souci de fluidité, nous réfléchissons notamment à des dotations globales, qui seraient aux mains des préfets, mais bénéficieraient plus facilement aux communes, avec davantage de réactivité et moins de conditionnalité. L'action publique et la vie de nos communes sont en effet trop souvent ralenties. Peut-être avez-vous des éclairages à nous apporter sur ces questions ?
M. Jean-Michel Arnaud. - Le deuxième volet de notre mission d'information concerne la fonction de maire. Avez-vous des suggestions ou des retours d'expérience à nous présenter, sur le cadre statutaire en particulier ? Quels sont les éléments qui, selon vous, faciliteraient l'exercice de votre mandat ?
Mme Annie Sagnes. - Les pistes évoquées pour conjurer l'amenuisement du pouvoir des maires sont très intéressantes. Il est important de restituer à ces derniers les missions qui étaient les leurs. Cela passe nécessairement par de nouvelles discussions sur la limitation des transferts de compétences.
J'en profite pour remercier les élus de la montagne qui se sont battus pour obtenir que les stations classées puissent conserver la compétence tourisme. Pas un jour ne passe sans que nous ne nous félicitions de posséder un office du tourisme communal. Le maire a besoin d'un bras armé pour agir. Il donne la couleur, la signature, la voix de sa ville. Pourquoi ne pas dupliquer ce genre de dérogation ?
Si je manque d'expérience pour me prononcer sur le statut, je tiens à dire que le maire est le maillon de confiance par excellence. Le législateur doit tout mettre en oeuvre pour lui rendre ses prérogatives.
Mme Alice Morel. - En tant que maires de communes de montagne, nous représentons certes des habitants, mais aussi - ce point nous rassemble tous - des territoires. Si la loi parvenait enfin à prendre en considération cette réalité, nous ferions un pas en avant.
Par ailleurs, compte tenu des budgets importants et des compétences exercées à l'échelle intercommunale, s'agit-il de s'interroger sur le bien-fondé d'une éventuelle élection des présidents des intercommunalités au suffrage universel ?
M. Gilles Cremillieux. - Mme Morel a raison d'insister sur le paramètre de la surface du territoire. Néanmoins, si nous défendons les communes, je me pose une question très délicate : existe-t-il une carte communale qui ne soit pas à revoir ? Ma commune de 377 habitants est entourée de trois communes, toutes dotées d'un conseil municipal. L'une compte 14 habitants et l'autre une trentaine. Quand des communes sont si faiblement peuplées, n'y a-t-il pas lieu plutôt de renforcer la commune voisine ? Ce n'est pas un sujet facile pour les sénateurs, je peux le concevoir, mais peut-on vraiment défendre Izon-la-Bruisse, 11 habitants ?
M. Sébastien Pradier. - En matière d'investissement notamment, le lien État-commune fonctionne plutôt bien. Ainsi, nous avons pu récemment ouvrir une épicerie communale avec dépôt de pain, en bénéficiant d'un taux de subvention de 80 %. A contrario, l'État endosse le mauvais rôle quand, par exemple, le préfet souhaite débroussailler autour des habitations, fait passer le service départemental d'incendie et de secours (Sdis) et met en demeure le maire d'exercer son pouvoir de police.
S'agissant de la DETR et de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL), je ne comprends pas que les règles diffèrent selon les départements. Je participais hier à une réunion de l'Association des maires ruraux de Rhône-Alpes : alors que, en Ardèche, la voirie n'est pas visée par ces dotations, mon collègue de l'Allier m'expliquait qu'ils avaient fléché 10 % de la DETR vers la voirie communale des communes de moins de 300 habitants. Peut-être peut-on faire en sorte que ces compétences de l'eau et de la voirie soient intégrées dans l'ensemble des DETR ?
Enfin, je suis plutôt en désaccord avec l'idée d'imposer aux petites communes de fusionner avec leurs voisines. Ni les Français ni les maires n'y sont prêts. Dans notre communauté de communes, la fusion récente de deux communes a été un succès, mais elle correspondait à un souhait partagé. Ce qui est imposé, nous le savons, ne fonctionne pas. Ainsi, le transfert de compétences ne fonctionnera pas. Peut-être se fera-t-il en revanche naturellement et dans la douceur, s'il ne nous est pas imposé...
M. André Mir. - En matière de fusion des communes, le volontariat me paraît être un préalable absolu. Actuellement, des maires de petites communes éprouvent les pires difficultés à trouver une secrétaire. Dans ces conditions, la solution réside dans la mutualisation des moyens. Il faudrait donc imaginer un régime plus incitatif pour faciliter la fusion des communes. Bien souvent, cette question soulève des enjeux non pas financiers, mais d'identité pour les petites communes.
En ce qui concerne l'attractivité de la fonction de maire, le plus décourageant me semble être, au-delà des responsabilités, l'aspect chronophage. Je vois mal comment un jeune chef d'entreprise qui s'investit dans son entreprise peut, dans le même temps, occuper la fonction de maire. C'est matériellement impossible.
Par ailleurs, les indemnités sont faméliques. Elles sont sans rapport avec le temps que nous consacrons à la fonction et les responsabilités que nous assumons. Nous devons réfléchir à la façon de rendre plus attractive la fonction de maire. C'est l'enjeu de la prochaine échéance de 2026.
Mme Christine Portevin. - J'ai participé récemment à une réunion de femmes maires du nord du département des Hautes-Alpes et deux d'entre elles m'ont confié qu'il était très difficile de trouver du travail en étant maire. Les 800 euros d'indemnité ne suffisent pas, en effet, pour vivre. Or leur mandat de maire est un frein dans leur recherche d'emploi complémentaire.
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - Dans la loi du 27 décembre 2019 relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique, nous avons essayé de prendre en compte cette question de l'attractivité de la fonction. Nous devons encore travailler à la question du statut, mais aussi à celle de la disponibilité, qui est trop souvent un frein.
Le Sénat a beaucoup travaillé sur la question de la prise en compte de la superficie. Dans une proposition de loi que Philippe Bas et moi avions déposée, nous proposions que le critère du territoire puisse influer sur la gouvernance des intercommunalités. Pour ce faire, une réforme constitutionnelle était nécessaire. Cela nous permettrait notamment de modifier la représentation au sein des intercommunalités, mais aussi de travailler sur la définition des dotations et de tout ce qui participe pleinement de la vie des communes de montagne notamment.
Mme Maryse Carrère, présidente. - Il était important pour nous de recueillir votre regard de montagnards et de prendre en compte les spécificités de vos communes, qui connaissent des variations de population saisonnières très importantes et qui doivent adapter leurs équipements en fonction. Par rapport à une commune classique, la responsabilité est en effet décuplée lorsque l'on gère une station de ski, des établissements thermaux, voire les deux.
En outre, les communes de montagne sont particulièrement exposées aux risques majeurs que sont les inondations ou autres glissements de terrain. Il est important aussi pour nous de constater que ces responsabilités ne constituent pas forcément des freins à l'exercice de votre mandat.
Vous avez évoqué en particulier deux irritants : le ZAN et la gestion de l'eau potable. Sachez que la semaine dernière, le Sénat a adopté, d'une part, la proposition de loi de Jean-Yves Roux visant à permettre une gestion différenciée des compétences « eau » et « assainissement » et, d'autre part, la proposition de loi de Jean-Baptiste Blanc et Valérie Létard visant à faciliter la mise en oeuvre des objectifs de « zéro artificialisation nette » au coeur des territoires. Cette dernière prévoit notamment une garantie rurale d'un hectare par commune.
Le Sénat travaille donc sur ces sujets, même s'il a parfois le sentiment de ne pas être toujours entendu au sein de l'autre chambre du Parlement...
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de représentants d'associations de maires ultramarins (Mercredi 29 mars 2023)
Mme Maryse Carrère, présidente. - Nous passons à notre deuxième table ronde, consacrée aux communes ultramarines.
Je salue notre collègue Marie-Laure Phinera-Horth, membre du bureau de la délégation sénatoriale aux outre-mer, qui nous a rejoints pour cette audition.
Sont ici présents, par visioconférence, M. Jean-Claude Maes, président de l'association des communes et collectivités d'outre-mer, maire de Capesterre-de-Marie-Galante, en Guadeloupe, M. Héric André, premier vice-président de l'association des maires de Guadeloupe, maire de la commune de Vieux-Fort en Guadeloupe, M. Yannick Cambray, maire de Saint-Pierre, à Saint-Pierre-et-Miquelon et M. Franck Detcheverry, maire de Miquelon-Langlade, à Saint-Pierre-et-Miquelon.
Messieurs, je vous remercie de nous éclairer sur les problématiques ultramarines et l'avenir qui se dessine, selon vous, pour les communes et les élus que vous représentez. La remise du rapport de la mission est prévue pour début juillet.
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - Après les communes de montagne, nous nous intéressons aux problématiques des communes des outre-mer. Nous voulons entendre les maires de tous les territoires, en mettant l'accent sur les singularités des structures communales. Nous les avons abordées avec le Président Larcher lors de notre déplacement en Guadeloupe et en Martinique, il y a deux mois. Par ailleurs, en Guyane, les territoires communaux peuvent être très étendus. Nous souhaitons vous entendre en particulier sur les problématiques liées aux risques naturels majeurs, à la taille des communes et aux relations avec l'État.
M. Yannick Cambray, maire de Saint-Pierre (Saint-Pierre-et-Miquelon). - L'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon est composé de deux communes et d'un conseil territorial. Il s'étend sur 242 km2, pour 6 100 habitants. La commune de Saint-Pierre est le chef-lieu et compte 5 500 habitants ; c'est la plus petite des îles, à 24 km2.
Le conseil municipal est composé de 29 membres, 24 de la majorité et 5 de l'opposition. Pour 5 500 habitants, c'est trop. La difficulté à trouver des candidats pour établir les listes est un frein à la démocratie. Difficile également de garder des élus motivés, ce qui a des conséquences sur le quorum. Le conseil territorial, qui a beaucoup plus de compétences, ne compte que 19 élus, ce qui est largement suffisant.
Le mandat de maire occupe 8 à 9 heures par jour, quasiment 7 jours sur 7. Je suis artisan, donc issu du privé, et je vous confirme que l'indemnité de maire de 3 100 euros par mois n'est pas assez importante au regard de l'engagement demandé, et n'aide pas à trouver une relève, tant chez des fonctionnaires que chez des salariés du privé. Je peux me permettre d'assumer ce mandat parce que j'ai 62 ans et que j'approche de la retraite. Les adjoints au maire ne touchent que 900 euros par mois, alors que je leur délègue beaucoup de tâches.
J'ai plaidé durant toute ma carrière pour le non-cumul des mandats, mais après trois ans comme maire, je le regrette, pour une raison de poids politique. J'ai la chance d'être maire et membre du Conseil économique, social et environnemental (Cese) : cette seconde casquette me permet d'ouvrir des portes de façon inespérée, et par exemple d'être reçu au ministère des outre-mer, de défendre ma commune, d'obtenir des financements. C'est une façon de mieux se faire entendre. Un parlementaire devrait pouvoir être maire d'une petite commune, et ainsi être ancré dans le territoire.
Mes concitoyens sont de plus en plus exigeants et demandent des réponses souvent immédiates. Je n'ai pas subi de violences, mais le poids des réseaux sociaux est parfois pesant, surtout dans un petit territoire comme le mien.
Vous parlez dans votre questionnaire de la crise des vocations. Ce mandat me prend toute ma vie, il exige de s'y consacrer exclusivement et je n'envisage pas de me représenter.
Le taux de participation aux élections territoriales dans les outre-mer reste plus élevé qu'en métropole, car ce sont un peu nos élections présidentielles. Les élections municipales sont aussi très suivies : en mars 2020, à Saint-Pierre, la participation a été de 57 %, malgré la crise du covid-19 et l'annonce des confinements. La participation est habituellement de 70 %, comme en 2014 ; elle était de 73 % en 2008.
La principale difficulté est l'ingénierie. Nous avons la chance de disposer d'un bureau d'étude dont nous avons doublé l'effectif, passant de deux à quatre agents. Se reposer sur un bureau d'étude solide est nécessaire pour être indépendant et gage d'efficacité pour monter des projets, présenter des dossiers et trouver des financements. Nous obtenons ainsi un taux d'autorisations d'engagement exemplaire, de 94 %.
L'accroissement des lourdeurs administratives et les transferts de compétences chargent notre barque. La gestion des établissements recevant du public (ERP) a été dévolue par la collectivité territoriale aux deux communes, tout comme la gestion des taxis. Les services incendie relèvent aussi de la compétence des communes. Cela fait beaucoup. Il n'y a pas d'intercommunalité, mais nous coopérons dans plusieurs domaines, sur la formation des pompiers, les démarches auprès de la collectivité ou de l'État, ou la question épineuse de la gestion des déchets. Cette gestion ne repose actuellement que sur les deux mairies, ce qui est scandaleux, comme le rappelle un rapport sénatorial de décembre dernier. Je tiens à souligner la bonne entente entre les maires. Nous coopérons par exemple avec notre école de voile.
L'accompagnement de l'État est réel et les relations avec la préfecture sont bonnes. J'ai instauré une réunion mensuelle entre la directrice générale des services (DGS) de la mairie et la secrétaire générale de la préfecture, qui permet de lever les blocages.
Le soutien aux investissements de la commune bénéficie du fonds exceptionnel d'investissement (FEI) du ministère des outre-mer, pour 2,5 millions d'euros par an, ce qui représente une somme très importante pour une commune de 5 500 habitants. Ces crédits sont dépensés, avec - je le rappelle - un taux d'autorisations d'engagement de 94 %.
M. Jean-Claude Maes, président de l'Association des communes et collectivités d'outre-mer (ACCD'OM), maire de Capesterre-de-Marie-Galante (Guadeloupe). - La Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, Saint-Pierre-et-Miquelon ou la Nouvelle-Calédonie connaissent des difficultés très diverses.
L'exercice du mandat de maire est de plus en plus difficile. Nous assumons de plus en plus de responsabilités, y compris sur le plan pénal. Des maires ont été attaqués au sein même de leur conseil municipal. Les vocations se font rares, tant la tâche est ardue. Nous avons de moins en moins de moyens financiers, pour répondre à une population de plus en plus exigeante. Par exemple, aux Antilles, il manque des emplois et des logements, en raison du foncier et des coûts d'aménagement. Le maire de Saint-Laurent-du-Maroni, en Guyane, est confronté à une démographie galopante : il devrait ouvrir une école tous les huit mois. Il y aura 1 800 nouveaux inscrits en 2023, contre 1 400 en 2022. À l'est de la Guyane, sur le fleuve Maroni, les enfants se rendent à l'école en pirogue. Chaque département doit avoir un traitement différent. À Mayotte ou en Guyane, la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) est très insuffisante face au chiffre réel de la population, bien supérieure aux statistiques de l'Insee.
Les dépenses de personnel, supérieures de 40 %, coûtent très cher aux mairies. S'ajoutent les difficultés liées à la mobilité, par exemple pour la formation en métropole, aussi bien pour les élus que pour les cadres, difficultés amplifiées par l'explosion des tarifs aériens.
On manque d'ingénierie dans les communes, mais aussi dans les services de l'État, par manque d'attractivité des postes.
Les relations avec l'État et avec les intercommunalités sont bonnes, ce qui est en partie dû au fait que les intercommunalités ont moins de communes membres qu'en métropole.
La géographie en archipel doit aussi être prise en compte. Par exemple, pour assister à une réunion en Guadeloupe, je dois prendre le bateau, ce qui est très chronophage. Cet aspect archipélagique des départements d'outre-mer impose beaucoup de contraintes et devrait être pris en compte.
Enfin, chaque département d'outre-mer devrait jouir d'un traitement différencié, adapté à ses réalités.
Si l'on veut inciter les jeunes à s'engager dans le mandat de maire, il faut régler le problème du déséquilibre entre des responsabilités écrasantes et des moyens insuffisants. Nous sommes le premier rempart en cas de difficultés. Il faut remettre le maire au centre des décisions, d'autant que la population aime son maire dans les outre-mer - la participation est de 85 % dans ma commune - mais celui-ci n'a pas les moyens de rendre le service attendu. Il faut un statut particulier pour ces élus de proximité.
Dernier point : la commission départementale de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (Cdpenaf) donne des avis simples en métropole, mais des avis conformes en outre-mer - deux poids, deux mesures. Le développement des outre-mer en souffre. Les maires doivent retrouver plus de pouvoir.
M. Franck Detcheverry, maire de Miquelon-Langlade (Saint-Pierre-et-Miquelon). - Miquelon-Langlade, du fait de la double insularité, est une commune très isolée ; elle s'étend sur 200 km2, pour 600 habitants. Le mandat de maire a de moins en moins de succès : il n'y avait pas de liste en 2020 et la commune risquait de disparaître. Nous comptons 11 conseillers au lieu de 15, car nous n'avons pas réussi à obtenir une liste complète.
Depuis le début de mon mandat, je suis surpris par l'étendue du chantier : les sujets sont nombreux or nous avons très peu de moyens. L'indemnité est de 900 euros pour les adjoints et de 1900 euros pour le maire, ce qui m'oblige à travailler à côté de mon mandat. Il faudrait donner les moyens aux employeurs de libérer du temps pour les élus. Bien que salarié d'une grande entreprise, EDF, j'ai du mal à me libérer, alors que ma petite commune est directement en lien avec les ministères, la préfecture et la collectivité territoire et que nous présentons un projet phare de déplacement de village, unique en France.
Le nombre d'élus est trop important : pour 600 âmes, dix élus suffiraient.
Il faudrait permettre le cumul les mandats dans les petites communes. J'assume aussi un mandat de conseiller territorial, qui ne m'apporte quasiment rien de plus que mon indemnité de maire.
Le soutien de l'État est important, nous obtenons régulièrement des subventions, mais faute d'ingénierie, il est difficile de monter des dossiers. J'ai cependant obtenu une petite aide du ministère des outre-mer pour des prestations d'assistances à maître d'ouvrage - cela reste insuffisant - et nous avons fait appel à un juriste, notamment au regard de la responsabilité pénale du maire. Pour attirer les jeunes, il faudrait leur assurer une défense pénale et une rétribution à la mesure des risques encourus.
Nous sommes en position de vassal face à l'intercommunalité, il est très difficile de se faire entendre. Ma commune n'est pas compétente en matière de foncier et d'urbanisme ; je subis l'urbanisation de certaines zones, avec obligation d'y assurer les services de secours. Nous sommes aussi seuls à gérer les déchets. Tous les problèmes auxquels nous sommes confrontés s'affichent sur les réseaux sociaux ou les médias - difficile d'attirer les jeunes dans ces conditions. Il nous faut respecter de plus en plus de normes avec de moins en moins de moyens. La responsabilité pénale est très lourde à porter. Mon collègue de Saint-Pierre a passé six heures en gendarmerie pour une question de gestion des déchets, ce que je ne souhaite à personne.
Le taux de participation aux élections est de 70 %, signe de l'attachement de la population à sa mairie, comme à la collectivité. Mais les populations identifient mal le partage des compétences et s'adressent systématiquement au maire, hélas souvent démuni pour répondre aux demandes. En l'absence d'intercommunalité, qui est le niveau compétent en métropole, la compétence Gemapi (gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations) est revenue à la mairie de Miquelon, mais il nous est impossible de gérer les dizaines de kilomètres de dunes et de faire face à l'érosion marine, malgré notre responsabilité juridique.
Il faut que l'État nous entende. Appliquer sans discernement un schéma métropolitain à des situations ultramarines spécifiques ne marche pas.
À court terme, notre commune risque de disparaître. Je ne me représenterai pas : le mandat est trop lourd et empiète sur ma vie privée. Les réseaux sociaux sont omniprésents. La période « covid » a été très difficile, à cause des confinements et des vaccinations obligatoires. J'en vis les conséquences aujourd'hui : certains administrés ne m'adressent plus la parole. Les mesures imposées par l'État ont disparu, mais pas la rancune, ce qui ne me donne pas envie de continuer la politique. Face à la lourdeur des normes et l'absence de moyens, par manque de maires, les mairies ultramarines et métropolitaines, malheureusement, n'ont pas fini de disparaître.
M. Héric André, premier vice-président de l'association des maires de Guadeloupe, maire de la commune de Vieux-Fort. - Je représente le président de l'association des maires de Guadeloupe. J'ai été élu maire en 2020. Vieux-Fort est une petite commune, mais nous rencontrons les mêmes difficultés que les grandes, avec moins de moyens pour les régler.
Depuis la tempête Fiona, les réparations n'avancent pas, faute de moyens, alors que les cabinets d'études ont fait leur travail. Les marins de notre commune ont le plus grand mal à exercer leur activité. Il nous faut des moyens supplémentaires de la part de l'État pour nous permettre d'assumer pleinement notre mission de service public.
Le directeur général des services (DGS) ayant été contraint au départ pour raisons de santé, j'ai exercé pendant un an et demi à la fois les fonctions de maire et de DGS. Cette fonction à temps plein demande des sacrifices : vie privée dégradée, départ à la retraite presque forcé.
En Guadeloupe, nous ne manquons pas de candidats. La difficulté est de réussir à apporter les services à la population. L'expression des besoins passe par les maires, mais les moyens manquent. Dans ma petite commune, je n'ai aucun cadre : il est très difficile de monter des dossiers techniques. Il y a eu des avancées, mais nous ne pouvons pas répondre aux appels à projet, par manque d'expertise. Plus des deux tiers des communes de Guadeloupe sont en difficulté financière. Les contrats de redressement en outre-mer (Corom) permettent à des communes en grande difficulté d'obtenir des aides, mais il faudrait étendre le dispositif à d'autres communes, qui elles aussi ont besoin d'aide.
Le discrédit de la fonction du maire ne doit pas être aggravé par l'impossibilité dans laquelle nous sommes placés de répondre aux besoins du territoire. Il faut nous aider pour changer cela. Au début de mon mandat, les lignes directrices de gestion n'étaient pas réalisées, alors que c'est une obligation légale. Heureusement, un sous-préfet nous a aidés à nous acquitter de cette obligation. Idem pour le plan communal de sauvegarde (PCS), qui a été très difficile à mettre en place : géographie, aléas climatiques, autant de points techniques qui ne peuvent être étudiés par les seuls agents communaux. L'État doit nous donner les moyens nécessaires.
En Guadeloupe, nous ne manquons pas de motivation, mais si de bonnes conditions d'exercice du mandat ne sont pas réunies, peu à peu, comme à Saint-Pierre-et-Miquelon, nous finirons par manquer de candidats.
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - Le besoin en ingénierie est criant. S'ajoute la problématique des ressources financières. À Saint-Pierre-et-Miquelon, l'accompagnement de l'État est à saluer, mais pour les risques majeurs, en Guadeloupe ou à Mayotte, les réparations sont très coûteuses. Quel est votre retour sur le sujet et sur vos relations avec l'État ?
Malgré une forte participation, quel est le lien avec la population ? On évoque souvent les réseaux sociaux.
M. Héric André. - Nous ne voulons pas aller contre la dynamique des réseaux sociaux, mais ils accentuent la pression sur les élus. Les citoyens veulent des réponses du jour au lendemain. Or nous manquons de moyens. L'essentiel est de pouvoir répondre rapidement aux problèmes les plus concrets.
L'État nous propose des aides, notamment pour dresser les constats à Vieux-Port après le passage de la tempête Fiona. Nous avons de très bonnes relations avec les préfets, qui ont été à l'écoute. Les sous-préfets sont sur le terrain et nous accompagnent, donnant du crédit au travail de l'État.
M. Jean-Claude Maes. - Face à l'immédiateté des réseaux sociaux, nous ne pouvons pas répondre à toutes les demandes. Comment faire quand, par exemple à Mayotte, la mairie n'a pas les moyens d'assurer l'accompagnement des enfants à l'école en toute sécurité ? Bien souvent, les maires sont dépourvus de moyens juridiques pour remédier aux difficultés, comme en cas de conflit de voisinage. Je vous confirme que des maires se découragent et ne souhaitent pas se représenter pour un nouveau mandat.
M. Héric André. - Prenons l'exemple des algues sargasses, dont l'accumulation crée des phénomènes biologiques que nous ne pouvons pas assumer. L'État lui-même n'arrive pas à assurer de bonnes conditions sanitaires aux populations.
Après Fiona, la région s'est mobilisée pour régler le problème de l'eau. La situation se dégrade et discrédite la proposition initiale de l'ancien ministre des outre-mer Sébastien Lecornu. Sans moyens, la structure de concertation ne peut fonctionner. Et cela dure depuis vingt ans ! Impossible d'assurer une adduction en eau convenable à tous les Guadeloupéens. C'est au maire que les populations s'adressent, même si la compétence a été transférée aux syndicats. Nous manquons de moyens pour répondre aux besoins des populations.
M. Jean-Claude Maes. - Mon prédécesseur a démissionné, car elle était démunie face aux sargasses. Elle n'avait aucun moyen. Trop souvent, les maires sont pointés du doigt.
M. Yannick Cambray. - Le mandat de maire est celui où l'on peut agir sur le quotidien. Quand la situation budgétaire est saine et que l'on dispose d'une ingénierie, les résultats sont très bons. Ce mandat est très beau, mais très prenant.
Mme Maryse Carrère, présidente. - Merci pour vos contributions.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Table ronde sur le métier de secrétaire de mairie (Mercredi 3 mai 2023)
Mme Maryse Carrère, présidente. - Je remercie de leur présence à cette audition Monsieur Michel Hiriart, ancien maire de Biriatou et président de la fédération nationale des centres de gestion de la fonction publique territoriale, Madame Cindy Laborie, responsable des affaires juridiques de cette fédération, et, par visioconférence, Madame Magali Moinard, présidente départementale de la fédération autonome de la fonction publique territoriale et présidente du Syndicat national des secrétaires de mairie pour la section de Vendée.
L'audition que nous tenons aujourd'hui porte sur un sujet important pour les communes et dans le cadre de la mission d'information sur l'avenir de la commune et du maire : celui du personnel administratif communal et, particulièrement, des secrétaires de mairie, si cruciaux pour le bon fonctionnement de la municipalité.
Au cours des auditions et des déplacements que nous avons effectués, nombreux ont été les intervenants, et particulièrement les maires, à insister sur l'importance des secrétaires de mairie pour le bon fonctionnement des municipalités, ainsi que sur les difficultés qui se posent pour le recrutement de ces personnels. Nous avons pu en discuter il y a quelques jours à l'occasion de l'examen d'une proposition de loi de nos collègues du groupe communiste. Nous avons par ailleurs déjà entendu, au cours d'une audition du rapporteur, le président du centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), M. François Deluga.
Aujourd'hui, nous avons la chance de vous accueillir et vous remercions de vous être joints à nous. Votre témoignage sera précieux à notre mission d'information, non seulement pour nous aider à mesurer l'importance du rôle des secrétaires de mairie - ce dont nous sommes nombreux ici à être convaincus, mais aussi pour identifier les difficultés qui se posent dans leur pratique quotidienne et pour leur recrutement.
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - Le sujet des conditions d'exercice du mandat de maire est au coeur de notre mission d'information. Nous nous intéressons donc à tout ce qui peut limiter, voire décourager, cet exercice. Tous ici, dans nos départements, nous avons des exemples de maires qui se découragent, faute de secrétaires, d'ingénierie et de moyens.
C'est ce qui motive l'organisation de cette table-ronde sur le sujet des secrétaires de mairie et plus largement du personnel ainsi que des agents municipaux. Comme Madame la Présidente l'a rappelé, le statut de secrétaire de mairie fait l'objet de nombreux débats : la commission des lois vient d'en connaître à l'occasion d'une récente proposition de loi et elle sera peut-être prochainement saisie d'une proposition de loi à l'initiative du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants (RDPI).
M. Michel Hiriart, président de la fédération nationale des centres de gestion de la fonction publique territoriale. - Je connais très bien le rôle du secrétaire de mairie car j'ai été maire pendant 31 ans d'une commune de 1 900 habitants, 10 ans président d'agglomération et 19 ans président du centre de gestion.
Les petites collectivités exercent les mêmes compétences et les mêmes responsabilités que les grandes, mais sans les mêmes moyens ni la même pratique : une petite commune ne lance ainsi qu'un appel d'offres par mandat, quand Paris en ouvre plusieurs chaque jour. Pourtant, s'il y a une erreur, la sanction est la même.
Le rôle du secrétaire de mairie est essentiel : c'est le bras droit du maire. En son absence, le maire se trouve dépourvu de tout conseil et de toute aide pour gérer le quotidien.
Il y a 31 000 communes de moins de 2000 habitants. Dans ces communes, le seul personnel administratif est le - ou plutôt la - secrétaire de mairie, qui doit tout savoir faire : ouvrir la porte de la mairie le matin, tenir la comptabilité, gérer le personnel etc.
Les statistiques sont éloquentes : on compte actuellement 19 000 secrétaires de mairie environ pour 31 000 communes de moins de 2 000 habitants. Ce sont très majoritairement, à 94 %, des fonctions occupées par des femmes.
Les secrétaires de mairie se répartissent entre les trois catégories : 5 % de catégorie A, 23 % de catégorie B et 60,5 % de catégorie C.
La moyenne d'âge est plus élevée que la moyenne d'âge de l'ensemble des autres fonctionnaires territoriaux : 50 ans en moyenne contre 48 ans pour les autres fonctionnaires territoriaux. Par ailleurs, 20 % des secrétaires de mairie sont contractuels.
Leur temps moyen de travail est de 25 heures par semaine. En revanche, dans les offres d'emploi, le temps de travail moyen proposé l'an passé s'élevait seulement à 13 heures par semaine. La différence s'explique par le fait que ces agents interviennent généralement dans plusieurs communes à la fois.
15 % des secrétaires de mairies ont un niveau scolaire « collège », 40 % disposent du baccalauréat, 27 % sont d'un niveau « bac +2 », 14 % d'un niveau « licence » et 4 % ont un « bac +5 ». Cela illustre la diversité du niveau de formation des secrétaires de mairie.
Actuellement, 1 920 postes de secrétaires de mairie sont à pourvoir sur notre site internet, dont 56 % de postes de catégorie C.
Trois facteurs nuisent à l'attractivité de ce métier : l'exigence d'une large polyvalence - il faut tout savoir faire -, le manque de poste à temps plein et l'insuffisance des formations.
Pour y remédier, nous avons des pistes de réflexion sur lesquelles nous travaillons d'ailleurs régulièrement depuis 2019 par le biais d'une commission dédiée. Nous cherchons à rendre le métier de secrétaire de mairie plus attractif et plus intéressant, au-delà du seul aspect financier, bien que cela soit un aspect à prendre en compte évidemment.
Mme Magali Moinard, présidente du Syndicat national des secrétaires de mairie. - Je suis présidente départementale et nationale des secrétaires de mairie. J'ai donc eu l'occasion d'interroger des collègues de la France entière. Beaucoup sont partis ou vont partir en retraite. Au début de notre carrière, nous étions toutes passionnées par ce métier atypique de la fonction publique territoriale.
On a beaucoup parlé de simplification administrative depuis 40 ans mais c'est pire qu'avant et le métier de secrétaire de mairie a bien changé. Autrefois, nous étions le premier échelon auprès des administrés et des citoyens, tandis qu'aujourd'hui nous avons le sentiment d'être le dernier échelon.
Ce métier, complètement atypique, est en voie de disparation.
Je suis très surprise des recrutements effectués par certains maires qui se disent être contraints d'embaucher une hôtesse de caisse comme secrétaire de mairie, tout en ajoutant qu'elle saura construire un budget parce qu'elle sait encaisser et rendre la monnaie ! Selon moi, pour éviter de telles difficultés, il faudrait mieux former certains élus, qui se croient maître de tout dans leur commune et font ce qu'ils veulent pour les recrutements.
On constate beaucoup de démissions de secrétaires de mairie. Certains de mes collègues retraités sont à nouveau sollicités par leurs maires parce que les recrues qui les ont remplacés, surprises de l'ampleur de la tâche des secrétaires de mairie, ont elles-mêmes démissionné.
Je voudrais remercier et féliciter les élus qui nous soutiennent. Pour ma part, je suis retraitée depuis le 1er janvier mais je continue à apporter mon aide car il y a de nombreux secrétaires de mairie en souffrance. La plupart sont des fonctionnaires de catégorie C. Au premier échelon, ils perçoivent moins que le salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC), ce qui est compensé par l'indemnité de garantie individuelle du pouvoir d'achat (GIPA), pour leur faire tout juste atteindre le niveau du SMIC. À cela, les élus répondent qu'ils ne disposent pas des moyens et des dotations suffisantes pour leur offrir une meilleure rémunération. Ce faisant, un grand nombre d'agents retournent dans le secteur privé pour être mieux payés.
Bien que l'appellation de « secrétaire » ne soit pas péjorative, il serait préférable de modifier la qualification de notre fonction au profit de celle de « directeur » ou de « directrice ». Je le propose depuis 30 ans, sans succès. Pourquoi ? Il est pourtant courant d'entendre parler d'un « directeur » de crèche ou d'un « directeur » périscolaire.
Tout à l'heure, Monsieur Hiriart a indiqué à juste titre qu'au sein des petites collectivités étaient requises les mêmes compétences que dans les grandes : lorsqu'on construit un budget, il convient de le faire correctement, sans se tromper. Il en est de même pour l'état civil, les marchés publics, la gestion du personnel etc.
Souvent, on évoque les strates démographiques pour définir si une commune est « grande » ou « petite ». Il est à mon sens erroné de raisonner ainsi. À titre personnel, j'ai débuté ma carrière dans une petite commune puis dans une ville de 10 000 habitants, avant de revenir, finalement, à des petites communes, car j'y trouvais notre rôle plus intéressant : l'éventail des services à gérer était plus large. Ce qui compte est moins la strate de population que le nombre de services publics implantés dans la commune.
Mme Maryse Carrère, présidente. - Vous évoquez la notion de « premier » et de « dernier échelon » - ce dernier terme ne correspond pas au sentiment que j'ai. Pouvez-vous préciser votre pensée ? Faites-vous référence à l'accueil du public dans la commune ?
Mme Magali Moinard. - Effectivement, j'ai fait référence au « premier échelon » car les citoyens, les administrés, les électeurs et les contribuables de la commune s'adressent d'abord à la mairie. Personne, ou presque, ne se rend au siège de la communauté de commune.
Mme Maryse Carrère, présidente. - Certes, mais alors, pourquoi dites-vous que les secrétaires de mairie sont devenus le dernier échelon ?
Mme Magali Moinard. - C'est ainsi qu'elles sont considérées alors qu'à mes yeux, elles constituent bien le premier échelon.
J'insiste également sur la question de la rémunération. J'ai parlé avec des universitaires, qui pensent qu'il est possible de revaloriser le métier de secrétaire de mairie. Toutefois, j'en doute car le salaire est trop faible. En outre, le régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel (RIFSEEP) crée des distorsions de rémunération importantes entre les communes.
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - J'entends ce que vous dites s'agissant du besoin de qualification. Je le ressens moi-même lorsque je fais le tour des communes de mon département, l'Ardèche. Le métier de secrétaire de mairie a beaucoup évolué du fait du développement de l'intercommunalité, de l'inflation du nombre de réunions et d'un besoin plus fort, pour les citoyens, de solliciter l'échelon local. Mais j'ai une lecture différente de la situation. L'offre de formation n'est pas suffisante dans de nombreux départements, c'est évident, mais le premier problème est celui du manque de candidats : personne ne répond aux appels d'offre, quel que soit le niveau de formation demandé.
Mme Anne Chain-Larché. - Je vous remercie de votre témoignage. Ayant été maire et présidente d'une communauté de communes, j'ai été confrontée à la difficulté de faire accéder les secrétaires de mairie ou les agents qui travaillaient auprès de moi à des formations. La validation des acquis de l'expérience ne rentre malheureusement pas suffisamment en compte dans les examens que doivent passer les agents pour évoluer d'une catégorie à une autre. Ces personnes, pourtant excellentes dans l'exercice des tâches qui leur sont confiées, n'arrivent pas à mobiliser leurs acquis à l'occasion d'examens théoriques. Il conviendrait de valoriser l'expérience plus que la théorie. C'est peut-être une piste à explorer dans le cadre de nos travaux.
Mme Catherine Belrhiti. - Je partage le constat qui a été dressé. À mon sens, il conviendrait de créer un brevet de technicien supérieur (BTS) de secrétaire de mairie pour que les spécificités de ce métier soient véritablement reconnues et qu'elles se traduisent, à terme, par une revalorisation salariale. Changer son nom n'est pas la solution pour renforcer son attractivité.
M. Michel Hiriart. - Tous les éléments abordés au cours de cette audition sont des propositions que nous portons depuis déjà plusieurs années. Contrairement à vous, Madame la sénatrice, je pense qu'il faut changer l'appellation de « secrétaire de mairie » car cette expression est un peu péjorative. C'est bien ce que nous avons fait pour les directeurs généraux des services, autrefois appelés « secrétaires généraux ».
Nous portons par ailleurs d'autres propositions. En premier lieu, il est urgent de créer un diplôme de secrétaire de mairie en lien avec l'Éducation nationale et les universités, à l'image de ce qui s'est fait, par exemple, dans le département des Pyrénées-Atlantiques avec l'université de Pau et des pays de l'Adour. Il doit s'agir d'une formation initiale qualifiante, adaptée aux spécificités du métier de secrétaire de mairie, avec un référentiel de compétence. Elle doit s'accompagner d'une formation continue qui permette de suivre les évolutions de la réglementation auxquelles ce métier est perpétuellement confronté. Les centres de gestion offrent à cet égard un appui considérable aux élus et aux secrétaires de mairie, notamment en assurant le remplacement provisoire de l'agent qui part en formation.
Nous défendons également la remise en cause des quotas de promotion en interne. Aujourd'hui, les secrétaires de mairie de catégorie C n'ont quasiment pas accès à des promotions car le ratio retenu est celui d'une promotion pour trois recrutements. Or, la plupart des recrutements concernent, à l'heure actuelle, des contractuels dont l'effectif n'est pas pris en compte, ce qui réduit mécaniquement le nombre de promotions offertes en interne. Il convient donc d'encourager les promotions hors quotas et hors concours.
À ces propositions s'ajoutent d'autres pistes de réflexion comme la bonification de l'ancienneté et le relèvement de 1 000 à 2 000 habitants du seuil de recrutement de secrétaires de mairie contractuels.
Il est urgent d'agir car 50 % des secrétaires de mairie actuellement en fonction partiront à la retraite d'ici 2027 !
Mme Catherine Belrhiti. - Est-ce qu'il existe un système de validation des acquis de l'expérience pour les secrétaires de mairie ?
Mme Cindy Laborie, responsable des affaires juridiques de la fédération nationale des centres de gestion de la fonction publique territoriale. - Aujourd'hui, le processus de validation des acquis de l'expérience est très lourd. Le Gouvernement propose de le simplifier en prévoyant que 60 % des effectifs de catégorie C puissent accéder à la catégorie B sans passer par le processus de droit commun qui peut durer un an. Nous soutenons cette initiative.
Mme Magali Moinard. - Je soutiens ces propositions et réaffirme qu'à mon sens, le changement d'appellation est primordial, de même que la revalorisation salariale, pour renforcer l'attractivité de ce métier. Mais le problème reste qu'au nom de la libre administration des collectivités territoriales, un maire peut recruter un agent de n'importe quelle catégorie.
Je me fais le porte-parole de toutes les secrétaires de mairie qui vont partir à la retraite pour témoigner de leur lassitude.
Comme vous, je pense que l'amélioration de l'offre de formation est essentielle, à la condition de remplacer l'agent le temps de sa formation. Le problème, c'est que, lorsqu'une secrétaire de mairie part en formation, elle ne trouve personne pour la remplacer.
J'aimerais aussi revenir sur le sujet de la formation des élus. Certains élus ne savent pas ce qu'est le métier de secrétaire de mairie et ne se donnent pas les moyens de recruter un agent au niveau de compétence requis.
Mme Cécile Cukierman. - L'avenir du maire est aussi lié à la qualité du travail et de sa relation avec le secrétaire de mairie. Tous les maires nous disent combien ce métier est précieux et indispensable pour leur permettre d'assurer leur mission.
Il faut travailler sur les spécificités de ce métier et procéder à une revalorisation des rémunérations, à la condition qu'on en donne les moyens aux élus.
Les réalités territoriales font qu'en dépit de l'action des centres de gestion, les agents qui partent en formation ne sont pas remplacés, les tuilages sur un même poste sont rarement possibles et les vacances de postes se multiplient.
N'oublions pas non plus, au titre des spécificités de ce métier, qu'en dépit des formations et de l'entraide entre secrétaires de mairie, son exercice est principalement solitaire. Il faut réfléchir à la façon d'y remédier.
De plus, les secrétaires de mairie font face à un environnement de travail de plus en plus complexe à maîtriser, notamment du fait de la dématérialisation des démarches administratives, pourtant présentée comme un facteur de simplification de l'exercice de leur métier.
Nous constatons un manque de vocation pour occuper ces postes. Je note, pour en avoir parlé avec plusieurs secrétaires de mairie, que certains agents ne sont pas prêts à prendre une promotion à la ville-centre ou au siège de l'intercommunalité si cela implique de doubler leur temps de trajet entre leur domicile et leur lieu de travail.
J'entends la critique sur les recrutements effectués par certains maires, mais je crois surtout que, dans un contexte très difficile, les élus doivent se contenter des candidats qui se présentent, faute de quoi ils ne pourraient tout simplement pas assurer l'ouverture de leur mairie.
Enfin, j'observe que la dévitalisation de l'échelon communal aggrave la crise d'attractivité de ce métier : quand l'action de la commune et celle des élus municipaux est valorisée, le rôle des agents communaux l'est également.
M. Michel Hiriart. - Les secrétaires de mairie sont non seulement attachés à leur poste mais aussi à leur commune.
Pour en revenir au rôle des élus dans le recrutement des secrétaires de mairie, je confirme que ceux-ci, aujourd'hui plus que dans le passé, assument pleinement leurs fonctions de gestionnaire de personnel.
Dans tous les départements, les associations de maires organisent des actions de formation dans des domaines variés, en particulier en début de mandat. Mais on ne peut pas demander à un maire d'une petite commune de consacrer tout son temps à se former, d'où l'importance du binôme maire-secrétaire de mairie.
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - Le contenu du travail de secrétaire de mairie a évolué au fur et à mesure du développement d'une strate supplémentaire - l'intercommunalité - et de la multiplication des réunions avec les services de l'État et ses satellites. Il devient de plus en plus difficile de conjuguer vie professionnelle et vie d'élu tout en consacrant le temps nécessaire à la collaboration avec le secrétaire de mairie. Je dis cela pour modérer le sentiment exprimé par certains que les élus négligeraient les secrétaires de mairie. Au contraire, je pense que les élus, particulièrement dans les petites communes, mesurent l'importance de l'aide que leur apportent ces agents, notamment sur les questions juridiques, et la complémentarité du duo qu'ils forment avec eux.
Mme Anne Chain-Larché. - En tant qu'employeur, le maire est tenu d'organiser un entretien annuel avec ses agents. Cet entretien est-il l'occasion, pour les secrétaires de mairie, de faire part de leurs doléances ?
M. Michel Hiriart. - Nous faisons appel, chaque année, aux services d'un cabinet privé qui interroge plusieurs milliers de fonctionnaires territoriaux. Nous nous servons de ces informations pour publier notre enquête annuelle intitulée « Horizon ». Il serait intéressant de poser cette question dans le cadre de notre prochain sondage.
Mme Anne Chain-Larché. - Comme l'a souligné le rapporteur, la charge de travail a tendance à s'accroître. Quelle est votre retour d'expérience sur les mutualisations de de secrétariats de mairie ? Mon territoire, la Seine-et-Marne, est à l'avant-garde sur ce sujet puisque la première expérimentation de ce type y a été lancée dans les années 1960.
Mme Cindy Laborie. - Avant le 1er janvier 2023, le centre de gestion de la Seine-et-Marne était l'un des seuls centres de gestion ne proposant aucun service de remplacement pour les secrétaires de mairie. Dans les autres départements, cette mutualisation se fait depuis longtemps via les centres de gestion qui disposent d'un service de remplacement. Depuis les schémas de mutualisation, les intercommunalités mènent également des expérimentations de ce type. Nous observons cependant de fortes résistances au changement dans certains départements, notamment en Bretagne. La fédération nationale des centres de gestion appuie fortement ces initiatives. C'est grâce à la mise en réseau que les secrétaires de mairie peuvent se former et avancer ensemble.
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - À la communauté d'agglomération d'Haguenau, l'intercommunalité embauche plusieurs secrétaires de mairie et leur demande de se spécialiser dans des domaines différents afin de pouvoir disposer d'un panel élargi de compétences.
Mme Maryse Carrère, présidente. - Pouvez-vous nous donner d'autres exemples d'initiatives locales innovantes pour pallier la pénurie prévisible des secrétaires de mairie ? Le centre de gestion des Hautes-Pyrénées, par exemple, a organisé une formation spécifique pour une trentaine de personnes volontaires pour devenir secrétaires de mairie.
Par ailleurs, si vous n'aviez qu'une recommandation à retenir, quelle serait-elle ?
M. Michel Hiriart. - La mutualisation est un outil exceptionnel pour deux raisons : elle permet, d'une part, de pallier les absences et, d'autre part, de former les agents in situ avec l'appui de leurs collègues et des centres de gestion. Dans la quasi-totalité des cas, ces agents finissent par être recrutés sur des postes pérennes. Malheureusement, nous manquons de volontaires.
Surtout, pour faire face à la pénurie de secrétaires de mairie, de nombreux maires sont contraints de recruter à temps partiel sur des postes qui nécessiteraient pourtant un temps plein.
Mme Cindy Laborie. - Beaucoup de centres de gestion ont mis en place des formations pour des personnes recrutées via Pôle Emploi. Le désengagement de Pôle Emploi dans plusieurs départements nous pose donc souci ; nous tentons d'y remédier avec le soutien de l'État.
Pour ne citer que quelques exemples d'initiatives locales, dans le Cantal, le centre de gestion s'est rapproché de la chambre de commerce et d'industrie pour s'associer à la formation des assistantes commerciales et de direction du secteur privé afin de toucher un public plus large, en proposant des modules spécifiques liés au métier de secrétaire de mairie.
Le centre de gestion de l'Isère a mis en place un dispositif de conseil en recrutement, avec un tutorat proposé aux nouvelles recrues. Le centre de gestion de Meurthe-et-Moselle a également développé, en lien avec l'université de Lorraine, le premier diplôme universitaire de secrétaire de mairie. Dans d'autres départements, les centres de gestion se sont rapprochés des Greta et de Cap Emploi pour lancer des formations à destination de personnes en situation de handicap.
Mme Frédérique Espagnac. - Vous nous avez annoncé qu'en 2027, 50 % des secrétaires de mairie partiraient à la retraite. Il nous reste donc 4 ans pour trouver une solution à ce problème. Se dessine en parallèle une crise de vocation des mairies dont nous mesurerons les conséquences lors des élections municipales de 2026. C'est une urgence absolue ! Pour le bon fonctionnement de notre pays, nous devons tout faire pour éviter de nous retrouver dans cette situation. Quelle initiative nationale envisager, en lien avec le ministère de l'intérieur et des outre-mer et le ministère de la transformation et de la fonction publiques ?
Et comment gérer, en 2026, les doubles arrivées de nouveaux maires et de nouveaux secrétaires de mairie, sans expérience ?
M. Michel Hiriart. - Nous en revenons toujours au même problème. Nous défendons cinq propositions phares ; il est donc difficile de n'en retenir qu'une. La priorité absolue, c'est la formation car c'est de cela que tout découle. La formation qualifiante est une priorité, mais encourager la promotion hors quota me paraît également être un point essentiel. Il faut montrer aux secrétaires de mairie que l'on s'y intéresse et permettre aux agents déjà en fonction, notamment ceux de catégorie C, d'être promus hors quota dans une catégorie supérieure.
Mme Cindy Laborie. - Nous nous sommes engagés, avec le centre national pour la fonction publique territoriale, à promouvoir la démarche « métiers territoriaux ». Dans ce cadre, nous avons réalisé un prospectus de 8 pages distribué dans les universités pour faire connaître le métier de secrétaire de mairie. Nous travaillons également à la réalisation d'un clip vidéo.
Mme Frédérique Espagnac. - Il nous faut un plan national pour susciter des vocations.
Mme Maryse Carrère, présidente. - Des choses se préparent.
Mme Frédérique Espagnac. - Je n'en doute pas, mais il nous faut une action de grande ampleur.
M. Michel Hiriart. - Il y a 20 ans, ce métier était totalement inconnu. Nous avons donc progressé dans ce domaine.
Mme Frédérique Espagnac. - De nombreux jeunes cherchent à s'investir en politique. En milieu rural, cela passe, en premier lieu, par l'exercice de responsabilités modestes, par exemple dans les comités des fêtes. Nous pourrions donc présenter le métier de secrétaire de mairie comme un tremplin vers l'engagement politique.
Mme Magali Moinard. - Je reste dubitative par rapport à tous les discours que j'entends, même si je salue les propositions qui sont faites. Depuis 1989, nous nous battons pour faire connaître ce métier. Or, depuis plusieurs années, nous avons l'impression d'un retour en arrière. Au nom de mes collègues : ras-le-bol ! Nous vous laissons résoudre ce problème.
En revanche, je ne peux admettre l'idée qu'on pourrait prendre n'importe qui pour être secrétaire de mairie.
Mme Maryse Carrère, présidente. - Il s'agissait uniquement de constater certaines pratiques.
Mme Cécile Cukierman. - J'assume mes propos. Il faut partir de la réalité, même si le réel peut ne pas nous plaire. D'ailleurs, si nous faisons de la politique, c'est parce que nous souhaitons le modifier. Les élus ne sont pas satisfaits de cette situation mais elle existe. Ils souhaiteraient pouvoir recruter des agents qualifiés mais ils n'y parviennent pas, faute de candidats. Dire cela, ce n'est pas dévaloriser le métier de secrétaire de mairie, c'est pointer le problème. Notre rôle est d'y trouver des solutions afin de permettre aux élus de procéder aux recrutements dont ils ont besoin.
Mme Magali Moinard. - Cette mission d'information porte sur l'avenir du maire et de la commune mais nous n'avons évoqué que les secrétaires de mairie. Nos problèmes sont liés, plus largement, au démantèlement du service public qui dure depuis trop longtemps. J'ai commencé à travailler à 18 ans et j'ai 63 ans et je continue à défendre ce métier que j'ai adoré.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de représentants de Régions de France et de l'Assemblée des départements de France (Mardi 9 mai 2023)
Mme Maryse Carrère, présidente. -- Nous avons souhaité entendre le point de vue des départements et des régions sur l'avenir des communes et des maires, par la voix de M. Claude Riboulet, président du conseil départemental de l'Allier, qui intervient pour l'Assemblée des départements de France (ADF), et, par visioconférence, de M. Laurent Dejoie, vice-président du conseil régional des pays de la Loire, qui interviendra pour Régions de France.
Vos associations représentent les deux autres niveaux de collectivités territoriales. Votre analyse et vos réactions sur le sujet qui nous occupe nous intéressent à plusieurs titres : comme acteurs et observateurs de la vie locale, et comme partenaires des communes.
Quel regard portez-vous sur la situation actuelle des communes, sur leur place dans l'organisation territoriale et sur leur avenir ? Qu'en est-il des collaborations entre vos collectivités et les communes ? Quelles politiques mettent-elles en oeuvre à destination de ces dernières ? Avez-vous connaissance de bonnes pratiques ou de dispositifs d'aide aux communes leur permettant de faire face aux difficultés et aux défis qu'elles rencontrent ?
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. -- Nous observons, dans le cadre de notre mission, que le département a un lien historique avec les communes et que les régions jouent à leur égard un rôle majeur d'accompagnement, notamment en termes d'ingénierie et de prise en compte des particularismes territoriaux, alors même qu'il est de plus en plus question de différenciation -- nous l'avons vu lors de nos déplacements dans la Somme, les Vosges, en Haute-Garonne ou en Ille-et-Vilaine --, au travers de politiques contractuelles. Quelle est, selon vous, la nature du lien qu'il convient de renforcer entre ces deux échelons et les communes ? Quels sujets relèvent, d'une part, des départements et des régions, et, d'autre part, du champ législatif ? Quelles sont vos attentes ? Nous évoquions ainsi la semaine dernière, avec le président François Sauvadet, l'épineux sujet de l'eau qui nécessite à la fois une agilité très forte et la capacité de répondre aux problématiques territoriales et locales, alors que l'on attend cet été un niveau de sécheresse record.
M. Claude Riboulet, président du conseil départemental de l'Allier, représentant l'Assemblée des départements de France. -- Tout d'abord, une remarque sémantique sur l'intitulé de la mission d'information : « Avenir de la commune et du maire en France ». J'observe que vous distinguez la commune et le maire ? Cela n'exprime-t-il pas la préoccupation que l'un disparaisse avant l'autre ? La démission d'un certain nombre de maires en exercice depuis la mandature 2020 pourrait nourrir cette crainte quant à l'avenir de l'institution « commune »...
Il faut replacer la question de l'organisation et de la place de la commune par rapport aux autres collectivités dans le contexte qui existe depuis la loi du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale, dite « Chevènement », un quart de siècle qui constitue selon moi une période de « tectonique des plaques » : les plaques de l'organisation territoriale de la République décentralisée se sont entrechoquées, parfois brutalement, entraînant des ondes de choc, des séismes, voire des répliques, la commune ayant été l'une des institutions les plus chahutées.
Pendant des décennies, et même depuis la Révolution française, l'articulation entre communes et département était simple : la commune était l'échelon de proximité ; la préfecture était généralement située à une demi-journée de cheval ; le chef-lieu de canton était l'échelon intermédiaire. J'observe que l'échelon de proximité est toujours le plus adéquat pour porter une politique publique, l'échelon supérieur respectant l'autonomie de l'échelon inférieur : c'est le principe de subsidiarité. En revanche, lorsque l'échelon supérieur, en l'occurrence le département, est sollicité, le principe de suppléance s'applique pour accompagner et aider la commune. Ce dispositif a été bousculé par la création des intercommunalités.
On a pensé un temps que l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI) serait le partenaire le plus logique de la commune, en lieu et place du département.
Certains EPCI ont eu une évolution intégratrice, vidant les communes d'une partie de leur substance et de leur capacité d'action, avec une compétence transférée à l'échelle intercommunale. J'observe à cet égard une anomalie : l'intercommunalité, qui n'est pas une collectivité territoriale au sens constitutionnel, est la dernière strate à bénéficier d'un double pouvoir de fiscalité directe locale, avec la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) et la cotisation foncière des entreprises (CFE).
Dans d'autres cas, des intercommunalités de projets ont émergé, l'objectif étant de faire à plusieurs ce qu'une commune ne pouvait faire seule, dans l'intérêt d'un bassin de vie et d'un territoire : dans ces conditions, les communes ne sont pas accompagnées, mais une autre entité fait « à leur place ».
Le grand tournant a eu lieu de 2015 à 2017, à l'occasion des grandes politiques de réorganisation territoriale et de la mode du « XXL » : l'apparition de très grandes régions et de très grandes intercommunalités. Celle-ci a consolidé le rôle et la place des départements, échelon d'articulation à vocation stratégique entre les très grandes régions et le bloc communes-intercommunalité. Or le périmètre n'étant plus celui des bassins de vie, les communes ont pu avoir le sentiment d'un déclassement.
En 2019, lors du mouvement des gilets jaunes, l'utilité de l'ultraproximité du maire est clairement apparue. Si le département est, selon le président Sauvadet, la collectivité « du dernier kilomètre », la commune est celle « du dernier mètre ». Comme le dit le président du Sénat, les maires et les conseillers municipaux sont les élus à portée d'engueulade. Par ailleurs, la crise sanitaire de 2020, du premier confinement jusqu'aux premières campagnes de vaccination, a aussi montré la pertinence des communes.
La commune a donc été ballottée entre l'ancien pacte passé avec le département et son nouveau statut. Quoi qu'il en soit, c'est toujours vers elle que l'on se tourne, ce qui pose la question de l'articulation des politiques publiques davantage en termes de périmètre de bassin de vie et de subsidiarité qu'en termes de périmètre administratif. Je prendrai l'exemple de l'eau : si l'eau relevait d'un quelconque périmètre administratif, on le saurait ! La seule réalité qui vaille est le bassin versant.
Je défends donc la commune comme étant un échelon incontournable de premier niveau, mais je considère aussi que le département est un point d'ancrage auquel elle peut rester arrimée sans risque d'être lâchée en rase campagne.
M. Laurent Dejoie, vice-président du conseil régional des Pays de la Loire, représentant Régions de France. -- De mon point de vue -- je fus maire de 1995 à 2014 d'une commune de 25 000 habitants de l'agglomération nantaise, Vertou, et vice-président non exécutif de Nantes Métropole --, l'intitulé de votre commission est un message d'optimisme pour l'avenir de la commune.
Dans les années 2000, il y eut une tentative de ringardisation de la commune. D'aucuns disaient qu'il fallait substituer au triptyque « communes-départements-État » celui d'« intercommunalités-régions-Europe ». Ce mouvement a duré jusqu'à la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite NOTRe ; comme à chaque fois que des excès se produisent, le rééquilibrage est intervenu. Le constat que la commune était un échelon indispensable a été largement accru par l'effet de la crise sanitaire, qui a montré l'importance de la commune en tant que premier échelon de la démocratie et du maire, première personne au contact de nos concitoyens.
Cette mission d'information est bienvenue parce qu'il reste beaucoup à faire. Si les atteintes au rôle des communes se font aujourd'hui plus discrètes, elles sont parfois plus efficaces. J'en veux pour preuves la disparition de la taxe d'habitation, la stabilité des recettes, lesquelles sont très encadrées, et l'augmentation des dépenses : la situation financière des communes ne s'améliore pas.
Pour ce qui concerne les compétences, les plus stratégiques sont orientées vers l'intercommunalité ou vers d'autres collectivités ; quant à celles d'hyperproximité, qui sont souvent les plus coûteuses, les plus difficiles à mettre en oeuvre et les plus « risquées », elles relèvent de la commune. Il arrive ainsi que des compétences aussi importantes que l'urbanisme et le logement lui échappent totalement -- les plans locaux d'urbanisme intercommunaux (PLUi) sont de plus en plus fréquents -, tandis que les contraintes se multiplient, à l'instar du « zéro artificialisation nette » (ZAN). Le maire a de moins en moins d'influence pour l'attribution des logements sociaux.
Une menace pèse sur la commune et le maire : la judiciarisation de la vie publique, au travers des recours administratifs, notamment en matière d'urbanisme, et des attaques contre les élus, qui deviennent des cibles dans tous les domaines.
L'inflation normative est toujours aussi prégnante. On pouvait lire, déjà, dans un rapport du Conseil d'État de 1991 : « Quand le droit bavarde, le citoyen ne lui prête plus qu'une oreille distraite. » La situation ne s'est pas beaucoup améliorée.
Il convient de clarifier l'articulation entre la commune et l'intercommunalité, et les pouvoirs que peut conserver le maire au sein de celle-ci, avec des différences de traitement selon la taille : lorsque le nombre de communes regroupées dans une intercommunalité est faible, le poids de la ville-centre est très important à tous points de vue ; lorsqu'il est élevé, il se produit une dilution du pouvoir qui redonne des pouvoirs aux communes, même les plus petites.
Du point de vue des régions, l'articulation avec les communes se passe bien. Pour certaines compétences, elles ont directement affaire à l'intercommunalité, notamment en matière économique. Parfois, du fait des fonds structurels et d'investissement européens (FSIE) que les régions ont la responsabilité de distribuer, des liens directs peuvent être rétablis avec les communes.
Dernier péril : il se peut que l'on ne trouve plus de volontaires pour exercer les fonctions de maire ou d'élu municipal. Dans ma région, par exemple, les démissions sont de plus en plus nombreuses. Il y a en effet eu un décalage entre les attentes des élus et la réalité des missions qu'ils ont à accomplir, du fait de la limitation de leurs compétences. Par ailleurs, certaines catégories socioprofessionnelles - monde de l'entreprise, professions libérales - ne sont plus représentées parmi les mandats municipaux en raison d'un excès de contraintes, notamment en termes de transparence, et de judiciarisation. Enfin, le non-cumul des mandats a eu un effet désastreux à cet égard, car il induisait une perte de pouvoirs.
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - Certains ont en effet eu la tentation d'installer un « couple à trois » entre l'intercommunalité, la région et l'Europe. Avec le retour de la notion de proximité, aujourd'hui revendiquée, il s'agit de rendre service à nos concitoyens.
L'intercommunalité est une strate utile en ce qu'elle permet de faire naître et de mutualiser des projets qui ne pourraient être portés par les seules communes. Or certaines intercommunalités créent de la complexité. Dans la Somme, par exemple, une forme de recentralisation a été opérée. Comment réinstaller, au niveau régional ou départemental, une proximité, un accompagnement utile et pragmatique de la commune, notamment en matière d'ingénierie, compte tenu de la complexité de la politique d'appels à projets de l'État que subissent les maires ?
Le lien entre les collectivités et l'État, et donc entre la commune et l'État - au niveau des directions régionales -, est compliqué, ce qui explique le découragement de certains élus qui ont l'impression que l'avenir s'écrit sans eux. La fronde grandit : les maires, qui ont besoin d'un État accompagnateur et non d'un État censeur, expriment leur ras-le-bol.
M. Claude Riboulet. - Dans les grandes villes, avec les maires d'arrondissement, et dans les communes nouvelles, il y a des maires délégués. Y aura-t-il, demain, une uniformité de la fonction de maire, ou bien des responsabilités différenciées ? Je rappelle à cet égard que les communes nouvelles étaient un contre-feu allumé par l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF) pour éviter une disparition massive et brutale des communes.
Quelle vision avons-nous de la France de 2030 ? Une start-up nation ? Un pays fondé sur le modèle britannique avec quelques centaines de communes, ou bien sur celui des communes nouvelles ? La réponse qui sera donnée à cette question doit s'inscrire dans une continuité de temps. Le système ne peut pas changer tous les quatre ou cinq ans. Ce que les lois de réforme territoriale n'ont pas réussi à faire, les lois de finances successives l'ont accompli insidieusement, en malmenant l'organisation territoriale.
Les intercommunalités sont chronophages pour les élus, qui passent leur temps dans des réunions où il est difficile de faire entendre sa voix. Dans ce cadre, les départements ont un rôle à jouer pour l'ingénierie territoriale. Voilà moins de dix ans, l'État se retirait de l'ingénierie, passant le relais aux intercommunalités. Je plains les sous-préfets, dont j'ai toujours défendu le travail, tant l'administration territorialisée de l'État est réduite. Auparavant, les sous-préfectures étaient le premier guichet de soutien et d'appui du maire. Aujourd'hui, elles sont dévitalisées. Les départements ont donc pris la main sur l'ingénierie : 80 % des départements ont des agences techniques, des pôles d'ingénierie, des syndicats mixtes, etc.
L'actuel Président de la République nous a annoncé lors de son premier mandat le grand retour de l'ingénierie de l'État, au travers de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), et ce à l'échelle régionale, comme si la région était le périmètre des services déconcentrés de l'État le plus accessible aux territoires... Il faut donc clarifier la situation pour savoir qui s'occupe de l'ingénierie, d'autant que les besoins des maires en la matière n'ont jamais été aussi importants.
Par ailleurs, les départements appliquent souvent le principe de suppléance dans le domaine sanitaire - aide à l'installation de médecins, voire de vétérinaires, en zones rurales. Heureusement, la loi NOTRe, qui a supprimé la clause générale de compétence des départements et des régions, est appliquée de façon souple dans les territoires.
Les départements subventionnent et contractualisent avec les territoires. Sans les subventions d'aide à l'investissement qu'ils accordent, les communes auraient du mal à s'en sortir. Ces financements bénéficient parfois aussi aux intercommunalités, notamment dans le domaine de l'immobilier d'entreprise ; c'est le cas dans mon département. Pour résumer, ingénierie, soutien financier et contractualisation, suppléance parfois : il n'y a rien de neuf par rapport à la subsidiarité.
M. Laurent Dejoie. - Il faut faire respirer la relation de la commune avec son environnement, en intégrant dans la loi des dispositifs permettant d'aérer les transferts de compétences. Par exemple, dans une agglomération, la voirie serait gérée par l'intercommunalité mais pas d'autres domaines. Il s'agirait de diviser la compétence, conventionnellement, entre la commune et l'intercommunalité, afin de réattribuer à la commune un certain nombre de pouvoirs, par exemple la collecte des déchets.
Il conviendrait aussi de relancer l'aspect contractuel des relations entre communes, intercommunalités, départements ou régions. Il faudrait davantage de contrats, négociés puis exécutés, entre personnes publiques car la loi, omniprésente, pose un certain nombre de difficultés. Mais cette « aération » doit être proposée par le législateur et le Gouvernement.
M. Claude Riboulet. - Je partage pleinement cette idée d'un renforcement du contrat. Les collectivités savent contractualiser entre elles, sur plusieurs années, ce que l'État ne sait pas faire. Je prendrai un exemple : le département de l'Allier a créé, bien avant le programme Petites Villes de demain, un dispositif de reconquête des centres villes-centres bourgs, qui s'adresse à toutes les communes et dont les trois piliers non négociables sont l'habitat, la vitalité et le cadre de vie. Ce dispositif permet d'accorder jusqu'à 3 millions d'euros de subventions du département. Son objectif est de donner le temps aux communes de mûrir leurs projets et de permettre une contractualisation et un appui financier pluriannuel du département pour les mettre en oeuvre.
Quelle commune peut s'engager dans un programme Petites villes de demain sans avoir une visibilité au moins à trois ans des moyens budgétaires qu'elle pourra mobiliser ? Je défends, pour ma part, une territorialisation des politiques publiques. On a besoin de services déconcentrés de l'État efficaces, puissants et libres, et de collectivités également libres et puissantes. Laissons les préfets, sous-préfets, présidents de département et présidents d'intercommunalités territorialiser les politiques publiques ! Permettons aux préfets d'utiliser la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) et la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL), de les rendre fongibles si des projets le justifient, et de contractualiser avec les territoires ! Il suffit que l'État décentralisé et territorialisé le prévoie au travers des lois de programmation. Cette logique de contractualisation doit porter sur des ambitions partagées, dans une certaine durée, ce qui est tout à fait faisable.
Pour ce qui concerne la différenciation des politiques publiques à l'échelle des territoires, prévue par la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et la simplification, dite loi 3DS, je ne sais pas qui en France a réussi à la faire. Prenons l'exemple des intercommunalités et de la gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (Gemapi) : si la moitié de la population d'un département souhaitait que celui-ci assume cette compétence, un accord local devrait être possible pour que tel soit le cas, dans une logique de libre administration des collectivités entre elles. Il faut donner de la souplesse.
Pour ma part, je regrette le conseiller territorial car, pour la première fois, un même élu, légitimement désigné par l'électeur, ayant une double casquette, pouvait décider quelles politiques allaient mener le département et la région, sans que l'État central impose sa loi à chacun. Il avait les pieds sur terre - les décisions opérationnelles - au sein du département, et la tête dans les étoiles - les grands schémas stratégiques - au sein de la région. Ce système était plus fluide.
Mme Cécile Cukierman. - Je vous remercie pour vos interventions respectives. L'instauration du conseiller territorial répondait à une logique de renforcement de l'échelle intercommunale, régionale et européenne, et je ne suis pas certaine que l'échelon de proximité qu'est le département en serait sorti renforcé.
Aujourd'hui, les régions comme les départements ont des compétences qui concernent directement les communes : les premières, l'aménagement du territoire ; les seconds, la solidarité, qui n'est pas que sociale, mais également territoriale. Comment pouvons-nous repenser collectivement les rapports entre collectivités ? La commune, le département, la région ne sont pas des poupées gigognes ; elles forment plutôt un triangle : les trois collectivités sont liées, et le maire devrait pouvoir s'adresser au département ou à la région de façon plus fluide qu'aujourd'hui. Actuellement, pour les questions assez simples, le maire interpelle le conseiller départemental, qu'il connaît et qui est disponible ; pour les sujets plus complexes, il se tourne vers la région, dans une démarche qui revêt un caractère plus solennel, comme s'il s'adressait à un échelon supérieur, alors même que, selon les projets, le financement le plus important peut être celui de la région, mais aussi celui du département.
M. Jean-François Rapin. - J'évoquerai la relation entre départements et régions, sans aborder la question du conseiller territorial, qui résoudrait aujourd'hui de nombreux problèmes. On constate que la région, le département et l'État sont tous les trois parties prenantes de presque tous les projets, malgré les lois de décentralisation qui auraient dû renforcer la vision en silos. Tant mieux pour les communes !
Lorsqu'une commune veut mettre en oeuvre un projet, elle a trois interlocuteurs : la région, le département et l'État. La mutualisation de la DETR, de la DSIL et du fonds vert est donc une excellente idée ! Pour faciliter la vie des maires, il faudrait mettre en place un dossier unique car les communes souffrent d'un manque d'ingénierie, et ce dans un contexte de raréfaction des fonds publics. Dans l'arrondissement de Montreuil-sur-Mer, dans le Pas-de-Calais, les demandes de DETR représentaient 6 millions d'euros, pour seulement 2 millions à servir : le sous-préfet a renvoyé les communes vers la région et le département. La question des fonds reste donc prégnante. J'y insiste, les départements et les régions peuvent-ils faciliter la vie des maires ?
Nous avons tout de même fait des erreurs stratégiques majeures : je pense à la suppression de la Délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (Datar). Dans ma région, Xavier Bertrand est en train de recréer une Datar régionale, sous la forme d'une agence de prospective, afin de réfléchir à l'avenir du territoire.
Enfin, j'évoquerai la distribution des fonds par les départements et les régions. Dans ma région des Hauts-de-France, certains dispositifs étaient centrés sur les intercommunalités, auxquelles il revenait de choisir les projets dans les communes. Les présidents d'intercommunalités tiraient tout à eux, ce qui a posé problème.
M. Laurent Dejoie. - Sur le partage des compétences, Mme Cukierman évoquait le social, un domaine dans lequel la région est extrêmement peu présente. Dans le cadre du conseil économique, social et environnemental régional (Ceser), les représentants des associations de la solidarité nous demandent d'intervenir dans ce domaine, qui n'est pas vraiment le nôtre. Faut-il rétablir des clauses de compétence générale ? Je ne le crois pas : il n'est pas mauvais de déterminer des compétences par niveau de collectivités, même s'il faut « aérer » le tout.
Sur l'ingénierie, je partage les préoccupations qui ont été évoquées. En matière de fonds européens, nous avons l'obligation de dédier une partie de l'enveloppe à l'ingénierie du projet, y compris dans la commune ou l'intercommunalité destinataire des fonds. Il faudrait peut-être prévoir que les communes puissent bénéficier d'un service d'ingénierie qui leur serait totalement dédié.
M. Claude Riboulet. - La loi NOTRe et la suppression des clauses générales de compétence étaient censées faire voler en éclats le millefeuille territorial, et notamment les financements croisés. Or on constate aujourd'hui, que l'on soit demandeur ou contributeur, que nous sommes revenus à la situation antérieure.
Mme Cécile Cukierman. - La loi de finances nous a encouragés à faire comme avant !
M. Claude Riboulet. - Sans évoquer un rétablissement stricto sensu de la clause générale de compétence, il aura fallu moins de huit ans pour se rendre compte que mettre fin aux financements croisés n'avait aucun sens - d'autant qu'ils n'avaient pas cessé.
Personnellement, je n'aime pas la notion de chef de filat, un pur produit de la loi NOTRe destiné à faire passer la pilule de la suppression de la clause générale de compétence. Je préfère parler soit d'« autorité organisatrice », comme pour les transports, soit de pilote. L'idée de faire contractualiser davantage les territoires et l'État entre eux est très intéressante : la question de savoir qui est le chef de file, l'ensemblier ou le pilote ne sera plus importante car c'est l'intelligence qui primera.
Madame Cukierman, je suis d'accord avec l'image du triangle. On doit se demander qui est le plus à même d'accompagner un projet, ce qui dépend de la taille de celui-ci. Pour financer 300 mètres de voirie communale, la participation du département suffit ; en revanche, pour un centre aqualudique ou une piscine, la région doit intervenir.
Rappelons-nous de la situation confuse qui avait suivi la séquence électorale de 2014-2015. En mars 2014, les élections municipales ; en mars 2015, les élections départementales et en décembre, les élections régionales. Il a fallu attendre la fin du premier semestre 2016 pour connaître les axes prioritaires des régions et des départements et pouvoir vraiment agir... Cette séquence m'a laissé un très mauvais souvenir. En 2020-2021, nous avons moins perdu de temps.
Mme Cécile Cukierman. - Il y a eu moins de changements de majorités.
M. Claude Riboulet. - Je n'irai pas jusqu'à dire qu'il faut aller vers une logique de midterms, comme aux États-Unis, et prévoir un regroupement avec un bloc d'élections locales, mais il faut éviter les distorsions de temps entre la séquence municipale et les séquences départementales et régionales.
Je ferai un plaidoyer pro domo : l'ADF estime que les départements pourraient être la collectivité des réseaux et des infrastructures - routes, haut débit, et pourquoi pas les ordures ? - en raison de la complexité, du coût et de la technicité de ceux-ci. La commune doit rester le lieu du serviciel, avec les services aux familles et aux personnes en situation de fragilité, le département continuant à assurer pleinement son rôle de financeur des allocations individuelles de solidarité (AIS).
La seule strate qui a gardé la clause générale de compétence est celle qui peut parfois être la plus fragile d'un point de vue budgétaire - je pense aux communes rurales. Pour ma part, je pense qu'il faut revitaliser les chefs-lieux. La carte de 2015 nous a privés d'un maillage territorial, celui des chefs-lieux de canton, pour l'accès en moins de vingt minutes aux services minimums. Il s'agit d'un enjeu majeur, singulièrement dans les territoires ruraux. Il ne faut pas s'étonner que les votes deviennent extrémistes dans les campagnes : ce sont non pas des fachos, mais des fâchés - des oubliés, des abandonnés. Le seul rempart à ce sentiment d'abandon, de relégation ou de désertion, c'est de redonner du poids au chef-lieu.
L'intercommunalité ne remplacera jamais le rôle particulier du chef-lieu en termes de proximité. Certaines communes ne pourront jamais être « multiservices » : santé, commerces administrations, etc. S'il faut imaginer un type particulier de commune à horizon 2030, ce serait celui d'une commune qui assure davantage de centralité : présence d'un collège ou d'un lycée, piscine, infrastructures sportives de qualité, pôle multimédia, maison pluridisciplinaire de santé, marché... Dans mon département, j'ai contractualisé avec les chefs-lieux. Le schéma départemental d'accessibilité des services au public prévoit un accès en vingt minutes ; il faut parvenir au quart d'heure. La commune de 150 habitants n'aura pas tous ces services, mais l'accès à un minimum de serviciel doit être possible en moins de quinze minutes. Nous aurons ainsi apporté une réponse au mouvement des gilets jaunes et à ceux que j'appelle les fâchés.
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - Un mot en réaction aux propos que vous avez tenus sur la territorialisation de l'action publique. C'est la philosophie que nous avons tenté de porter sur un texte qui est, selon nous, largement inabouti : la loi 3DS. Le Sénat avait notamment défendu la gestion différenciée des compétences au sein de l'intercommunalité, pour davantage d'agilité, car nous sommes convaincus que les élus savent ce qui est bon pour leur territoire.
Idem sur la question des enveloppes de l'État. J'irai même plus loin : il ne faut pas que le préfet aille piocher dans les dispositifs, mais qu'il opère une fongibilité. Il faut faire, à l'échelon des départements, des pactes avec l'État, comme cela a été fait dans les Ardennes. Pour la loi 3DS, il a fallu se battre pour qu'après moult négociations, nous parvenions à faire notifier la DSIL par le préfet de département - mais cela reste une faculté soumise à l'autorisation du préfet de région. C'est exactement comme pour les financements croisés, que l'État appelle aujourd'hui de ses voeux ! Tout cela est une vaste hypocrisie. La variable d'ajustement, c'est toujours le maire.
M. Claude Riboulet. - Et un peu le département !
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - Les agences de l'eau ont décidé de ne plus aider les communes isolées, alors les départements prennent parfois la relève - c'est le cas dans mon département de l'Ardèche, via la DETR. Rien ne se fera demain sans l'accompagnement par les départements et par les régions de la strate communale, voire intercommunale.
Si les droits de mutation à titre onéreux (DMTO) chutent, les ressources des départements, et par conséquent l'investissement, se verraient particulièrement affectés. La véritable différence entre, d'un côté, l'ingénierie de la région et du département et, de l'autre, celle de l'État, c'est qu'il n'y a plus de financement derrière la seconde, si ce n'est épisodiquement un peu de DETR. Rien ne se fait sans les collectivités ! Mais entre quinze et vingt départements sont aujourd'hui dans des situations financières qui les empêchent d'assurer cet accompagnement. Il pourrait en aller de même demain pour les régions si l'on ne réfléchit pas à la péréquation.
Vous avez fait référence au discours du Président de la République ; pour ma part, je me souviens du lancement ici même au Sénat en juillet 2017 de la Conférence nationale des territoires, qui devait se pencher sur cette question. Alors quelle péréquation pour demain ? Pour moi, la déconcentration a un sens profond : or elle n'est souvent pas assez aboutie. Vous avez, à juste titre, rappelé le rôle essentiel des sous-préfectures. Si l'on rouvre des sous-préfectures sans moyens humains, elles sont obligées d'en référer aux directions régionales de l'État, ce qui est une source d'inertie face au besoin d'agilité des collectivités. La crise sanitaire et le covid ont montré le besoin de réactivité, laquelle existe du côté des collectivités, mais pas assez du côté de l'État, dès lors que les décisions échappent aux préfets de département ou aux sous-préfets.
Pour avoir une véritable action déconcentrée ou territorialisée, il faut une nouvelle étape dans la déconcentration accompagnée d'un réarmement de l'État territorial, singulièrement dans les sous-préfectures.
M. Laurent Dejoie. - Je ne suis pas du tout opposé à l'idée de péréquation. Mais je voudrais aller plus loin parce que nous sommes confrontés - c'est peut-être une particularité dans l'ouest de la France - à des dotations calculées sur des bases faibles. Il faudrait davantage de transparence sur ces calculs.
Le problème est de trouver le bon périmètre. J'ai le souvenir que toutes les régions s'étaient mises d'accord sur un système de péréquation, que le ministère des finances n'a malheureusement jamais accepté. Le dispositif reste toujours soumis à l'autorité de l'État.
M. Claude Riboulet. - Je suis d'accord avec vous, monsieur le sénateur Rapin, sur la structuration des services déconcentrés de l'État. Une préfète de l'Allier m'a dit, en évoquant les pouvoirs des directions régionales, qu'elle avait « l'arme atomique », c'est-à-dire la délégation de signature - les directions régionales n'ayant de pouvoir que par délégation de signature du préfet de département. Il faudrait déjà commencer par le rappeler à chaque préfet de département aujourd'hui !
Sur la péréquation, que nous reste-t-il ? Les départements ont fait le travail entre eux, avec le fonds de 1,6 milliard d'euros des DMTO, ce qui n'est pas rien !
Les départements n'ont plus aucun pouvoir en matière de recettes : ils sont tributaires à 100 % des dotations de l'État, qui nous donne une estimation en mars-avril, laquelle sera confirmée en octobre et éventuellement rectifiée en janvier de l'année suivante... Alors même qu'en cas de contrôle, la chambre régionale des comptes commence par demander le plan pluriannuel d'investissement (PPI) et la programmation pluriannuelle de fonctionnement (PPF)... Avant de parler de péréquation, il faut évoquer l'importance d'assurer une stabilité des ressources.
Les régions ont beaucoup plus de souplesse budgétaire que les départements, car lorsque nous avons financé les solidarités humaines, personnel compris, nous en sommes presque à 60 % de taux de rigidité. Le budget des puissants départements ou métropoles sont comparables à celui des régions.
Sur la fiscalité, je vais battre ma coulpe : il est vrai que, lorsque les départements avaient une autonomie fiscale, nous n'avons jamais levé d'impôts pour financer des projets à hauteur de dizaines de millions d'euros. On se contentait de quelques millions d'euros pour boucler un financement sans dégrader l'épargne.
Il faudrait aussi simplifier les lignes de recettes, qui devraient être au nombre de trois : une dotation de fonctionnement, une dotation liée aux compensations des politiques assumées pour le compte de l'État, et une dotation d'investissement. Actuellement, on compte plutôt sept ou huit lignes... Si l'on n'est pas inspecteur général des finances, il est difficile d'équilibrer le budget d'une collectivité !
La République française doit faire confiance à ses collectivités. En Allemagne, les Länder ne sont pas tous égaux en termes de budget, mais un territoire peut se tourner vers l'État fédéral en cas de besoin. Aujourd'hui, dans notre pays, quand une collectivité frappe à la porte de l'État car elle se trouve face à une difficulté ou qu'elle doit porter un projet qui sort de l'ordinaire, elle n'obtient jamais de réponse !
Je veux terminer en évoquant la philosophie de l'impôt, un débat totalement escamoté. L'impôt sur le revenu est lié aux revenus du travail ou des placements. La TVA est un impôt sur la consommation. Les droits de mutation portent sur la constitution du patrimoine. Le foncier bâti est un impôt strictement patrimonial. Il faut se demander ce que l'on veut taxer - les revenus, la consommation, l'accession au patrimoine, le patrimoine existant - et ce que l'on veut financer avec, avant de se poser la question de l'autonomie des collectivités ou de la péréquation.
Enfin, alors que nous atteignons des sommets en matière de dépenses d'argent public, les Français n'ont jamais été aussi insatisfaits des services publics. Comment en sommes-nous arrivés là ? La péréquation n'est pas le sujet, car les recettes sont par définition inégalitaires d'un territoire à l'autre.
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - Vous avez pris l'exemple de l'Allemagne : la Bavière produit une richesse de plusieurs milliards d'euros qui fait l'objet d'une péréquation avec le Land de Berlin. Autre exemple : la métropole de Lyon perçoit le versement mobilité, mais les ressources humaines de cette collectivité ne sont pas suffisantes pour répondre aux besoins en matière de développement économique. Il faut chercher plus loin, dans l'Allier, en Ardèche, dans la Loire, en Isère... Il faut penser les transports à une échelle supramétropolitaine, ce qui est aussi une forme de péréquation. La péréquation se pense à l'échelle des territoires, alors qu'il y a trente ou quarante ans, elle l'était essentiellement à l'échelle départementale.
M. Claude Riboulet. - Elle l'est toujours pour partie.
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - Les pactes entre métropoles et territoires sont un exemple de péréquation au niveau des territoires. Le ruissellement ne se fait pas naturellement. Or, selon moi, la métropole doit irriguer l'hinterland ou le territoire interstitiel.
Mme Maryse Carrère, présidente. - Nous partageons une grande partie de vos constats et de vos analyses. Le trio département-région-commune doit permettre d'accompagner la commune, d'impulser de la vitalité dans nos territoires et de développer les emplois. Le département des Hautes-Pyrénées donne près de 10 millions d'euros de subventions à des collectivités, surtout des communes, ce qui représente au final une dépense de 25 à 30 millions d'euros dans l'économie locale, en circuit court avec nos artisans et nos entreprises.
Sur les financements croisés, l'État a eu du mal à supprimer ce qu'il avait lui-même réclamé : aujourd'hui, sans ces crédits, il ne pourrait pas intervenir dans bien des domaines.
M. Claude Riboulet. - Nous essayons de prendre soin de l'argent public. Les subventions européennes n'entraînent pas de dette puisque l'Europe n'emprunte pas, sauf pour le plan de relance. Pour les subventions de l'État en matière d'investissement, c'est 100 % de dette - puisqu'il emprunte déjà pour payer ses dépenses de fonctionnement. En cas de versement de subventions par la région, il peut y avoir de la dette. Dans l'Allier, quand le département donne une subvention de 100 euros à une commune, le taux de dette est de 40 %. Quant aux communes, elles ont peu recours à la dette.
Mme Maryse Carrère, présidente. - Je vous remercie pour cette audition très intéressante.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de M. Olivier Jacob, directeur du management de l'administration territoriale et de l'encadrement supérieur du ministère de l'intérieur et des outre-mer (Mardi 16 mai 2023)
Mme Maryse Carrère, présidente. - Mes chers collègues, cette semaine, notre mission d'information va tenir trois auditions publiques, dont celle de ce matin et une autre en fin d'après-midi, pour entendre M. Stanislas Bourron, directeur général de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT).
Nous tiendrons demain, à 11 heures 15, une audition commune avec la commission des lois, pour entendre M. Yannick Morez, maire de Saint-Brévin, qui a annoncé sa démission jeudi dernier.
Pour le moment, nous entendons M. Olivier Jacob, directeur du management de l'administration territoriale et de l'encadrement supérieur (DMATES) du ministère de l'intérieur et des outre-mer, que je remercie de sa présence.
Monsieur le directeur, se pencher sur l'avenir des communes et des maires impose nécessairement de faire le point sur leurs relations avec l'État déconcentré.
Mission de contrôle, assistance juridique, attribution de fonds et instruction des appels à projet, ingénierie territoriale, les préfectures jouent un rôle essentiel auprès des communes, et nous avons souvent entendu louer, lors nos auditions, la figure du sous-préfet, comme interlocuteur de référence des maires.
Mais dans le même temps, nos interlocuteurs se sont souvent inquiétés de la faiblesse des moyens de l'État territorial, ou d'un déséquilibre entre l'activité d'assistance juridique et celle de censure, et plusieurs ont fait part de leur crainte d'un désengagement progressif de l'État sur les territoires.
Afin d'évoquer avec vous toutes ces thématiques, nous vous avons transmis un questionnaire, et vous pourrez compléter par écrit les réponses que vous nous apporterez aujourd'hui.
Avant de vous donner la parole pour un premier échange, je la laisse à notre rapporteur.
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - C'est avec plaisir que nous entendons la DMATES, direction qui nous apporte toujours beaucoup de solutions. Ce fut notamment le cas, lors de la discussion de la loi 3DS.
Les élus des territoires souhaitent que l'État territorial soit réarmé - je fais écho à ce que disait la présidente Maryse Carrère -, notamment par le biais des sous-préfets.
Or, il est un paradoxe : on vient de rouvrir quelques préfectures, mais le manque de moyens, notamment humains, est toujours criant alors que le besoin des communes de disposer d'interlocuteurs de référence ne faiblit pas.
À cet égard, on peut s'inquiéter de l'apparition d'une forme de « distance » entre les élus et l'État, du fait de la politique d'agencisation mise en oeuvre : les élus locaux, plus habitués au contact avec les préfets et sous-préfets, ne savent plus vers quelle porte se tourner.
L'agence nationale pour la cohésion des territoires (ANCT) manque d'incarnation ou cette incarnation varie sensiblement d'un territoire à l'autre. Dans les Vosges, le sous-préfet de Neufchâteau, qui est chargé de faire fonctionner l'ANCT, est absent depuis six mois. La situation n'est pas claire non plus en Ille-et-Vilaine.
En outre, les élus ont besoin d'un interlocuteur, agile et réactif, vers qui se tourner lorsque se surviennent des crises comme celle des gilets jaunes ou du Covid.
Enfin, nous souhaiterions que le préfet puisse, ainsi qu'on l'avait souligné pendant l'examen de la loi 3DS, être coordonnateur des services de l'État sur le territoire.
Nous aimerions connaître vos positions sur ces sujets.
M. Olivier Jacob, directeur du management de l'administration territoriale et de l'encadrement supérieur (DMATES). - Vous avez, par vos propos, ouvert une multitude de sujets de préoccupations pour la direction à la tête de laquelle je me trouve.
Je vais donc revenir sur certaines des thématiques que vous avez abordées, en essayant de les placer dans la perspective de la mission qui est la vôtre, celle du rôle du maire, de la commune et du lien entre le représentant de l'État, qu'il soit préfet ou sous-préfet, et le maire.
J'ai eu l'occasion de le dire devant des commissions ou des missions concernant les moyens attribués à l'État territorial : la décennie 2010 à 2020 fut dramatique pour l'évolution des effectifs de l'État au niveau départemental.
Ceci a été documenté récemment encore par un rapport de la Cour des comptes qui date de 2021. La Cour a elle-même qualifié la réduction des effectifs de l'État d'irréaliste au niveau territorial. Le réseau préfectoral a perdu 4 700 emplois ou équivalents temps plein (ETP) durant cette décennie, soit environ 15 % des effectifs des préfectures.
C'est une moyenne : dans les sous-préfectures, la diminution a été encore plus forte, soit par réduction d'effectifs, soit par transferts de missions auparavant assurées dans les sous-préfectures - quand j'ai débuté, une sous-préfecture délivrait des titres, réalisait du contrôle de légalité, délivrait des cartes grises, etc.
Dans les autres services territoriaux et départementaux de l'État, comme les directions départementales interministérielles (DDI), la diminution a été encore plus accentuée.
Elle a été stoppée, depuis 2021, à l'arrivée du ministre de l'Intérieur, M. Gérald Darmanin. Depuis l'adoption la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (LOPMI), on assiste à une recréation d'emplois dans le réseau préfectoral. Cela ne compense pas les 4 700 ETP supprimés mais on compte 350 ETP sur la durée de la LOPMI - 2023-2027. C'est donc une rupture avec une décennie de réduction d'effectifs.
Les organisations syndicales représentatives de personnels de préfecture avec lesquelles je dialogue regrettent qu'on ne crée pas plus de postes, mais c'est une première depuis plus de dix ans. Cela va nous permettre de réarmer l'État territorial, pour reprendre une expression maintenant partagée, et notamment de réinvestir certaines missions qui ont souffert au cours des années 2010-2020.
On peut penser aux missions liées à la sécurité et à la prévention de la délinquance - cela concerne plutôt les cabinets de préfets -, à celles liées à l'immigration. Cela peut également permettre de réarmer certaines sous-préfectures. Vous avez évoqué la réouverture de cinq d'entre elles. En réalité, nous ne rouvrons pas de sous-préfectures, mais nous pourvoyons des postes de sous-préfets dans des sous-préfectures qui n'ont pas disparu. À Saint-Georges-de-l'Oyapock, en Guyane, nous avons créé un arrondissement complet.
Notre préoccupation est néanmoins que ce mouvement soit bien accompagné par les autres ministères : ceux de la transition écologique, de l'agriculture, des affaires sociales pour l'essentiel. Ces derniers ont en effet eu tendance, voyant que les sujets ont été interministérialisés au niveau départemental, par la création en 2010 des directions départementales interministérielles, à stratégiquement privilégier l'échelon régional plutôt que départemental -la Cour des comptes l'a aussi souligné.
S'agissant des conséquences des crises récentes sur le lien entre les représentants de l'État et les maires, il est vrai que notre pays a traversé depuis quelques années des crises profondes. Vous avez cité la crise du Covid. On pourrait citer celle des gilets jaunes, plus récemment la crise de l'accueil des réfugiés ukrainiens, ou les manifestations liées à la réforme des retraites. À chacun de ces événements, le lien entre les représentants de l'État, préfets et sous-préfets, et les maires, échelons de proximité s'il en est, s'est resserré.
On a beaucoup cité, au sortir de la crise du Covid, le lien entre le maire et le préfet. J'en ai fait l'expérience en Haute-Provence. Au moment du Covid, beaucoup d'administrations ont fermé leur rideau. L'administration qui est restée active est celle du coeur régalien de l'État, la préfecture, les services de police et de gendarmerie avec, à leurs côtés, les maires qui sont non seulement élus dans leur circonscription communale, mais aussi des représentants de l'État, qui exercent, pour le compte de l'État, un certain nombre de missions. C'est ce qui explique sans doute ce lien fort entre préfets, sous-préfets et maires.
Vous avez évoqué le déséquilibre entre assistance juridique et censure. J'imagine que vous faites référence au contrôle de légalité ou à l'exercice parfois tatillon de la règle. C'est une réalité à laquelle j'ai été confronté en tant que préfet et, au cours de ma carrière, en tant que secrétaire général de préfecture. Avant d'exercer dans les Alpes-de-Haute-Provence, j'ai exercé comme secrétaire général de la préfecture du Nord, de l'Hérault, du Calvados. Rappelons que le secrétaire général de préfecture est le sous-préfet de l'arrondissement chef-lieu. J'ai toujours été très attentif, à cette époque, à maintenir le lien avec les élus.
Ce qui m'est souvent remonté, c'est l'application tatillonne de la règle, qui bloque les dossiers que souhaite instruire le maire. Notre corpus administratif est ainsi fait que nous avons de nombreuses règles pour la protection environnementale, celle des monuments historiques, la police de l'eau, le défrichement, la destruction d'espèces protégées. Lorsqu'un maire souhaite mener un projet, il est souvent confronté à l'application d'un corpus administratif foisonnant, devant lequel il est parfois perdu.
J'ai toujours essayé - et c'est ce que promeut la DMATES - d'accompagner les élus et singulièrement les maires. Cet accompagnement est d'autant plus nécessaire qu'on se trouve face à des communes de taille modeste ou situées dans des départements ruraux.
Ce qui m'a souvent frappé, c'est le dénuement des maires face à l'application de cette règle. C'est le rôle du représentant de l'État d'accompagner le maire dans cette ingénierie administrative et financière.
Dans votre questionnaire, vous posez notamment la question des subventions d'investissement, comme la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL).
Des solutions existent pour accompagner l'élu et faire en sorte que le préfet et le sous-préfet soient les intermédiaires entre les ingénieurs de l'État, que l'on trouve notamment au sein des directions départementales des territoires, et les élus.
Lorsque je suis arrivé dans les Alpes-de-Haute-Provence, avec les élus, les associations des maires, le conseil départemental, nous avons essayé de mettre en place un guichet unique -le département de la Lozère a été précurseur en la matière- afin que le maire, dès qu'il a un projet, puisse venir s'adresser à la préfecture ou la sous-préfecture pour savoir ce à quoi il doit s'attendre et connaître les obstacles à son projet.
Le sous-préfet et le préfet ne sont pas là pour déroger à la règle, mais pour l'expliquer et parfois accompagner l'élu dans l'interprétation de la règle, parce que tous nos codes ne sont pas aussi précis qu'on pourrait le croire.
Je voudrais revenir sur le sujet de l'agencisation, qui est un mal contre lequel la DMATES essaye de lutter, car nous sommes attachés à l'unité de l'action de l'État. Depuis une quinzaine d'années, elles se sont multipliées. Notre combat a été d'essayer d'obtenir à tout le moins que le préfet soit le délégué territorial des agences ainsi créées.
Nous y avons réussi pour des agences importantes, comme l'agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) ou l'agence nationale de l'habitat (ANAH). Nous l'avons obtenu également pour l'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), les agences de l'eau et l'OFB lors de la loi 3DS, non sans mal, et avec le soutien des sénateurs.
Néanmoins, comme je le dis souvent, je pratique une politique qui est celle du petit pas népalais : quand vous souhaitez atteindre le sommet, il faut y aller pas à pas et ne jamais perdre son objectif de vue. Des combats restent à mener, comme la désignation du préfet comme délégué territorial. On pourrait aussi songer à des opérateurs de l'État tel que Pôle emploi ou le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA). Je n'ose évoquer, de crainte de me faire « taper sur les doigts », des agences qui, parfois, ont des compétences en matière de santé publique.
Je signale néanmoins, dans le cadre de la LOPMI, une avancée importante obtenue également grâce au soutien des parlementaires. Si j'ai bonne mémoire, l'article 27 de la LOPMI confie au préfet, en cas de crise, le pouvoir hiérarchique sur l'ensemble des services et opérateurs de l'État pour la résolution de la crise. C'est un pas juridique qui vous a peut-être échappé, mais qui constitue une avancée conceptuelle extrêmement forte.
Le préfet, jusqu'alors, avait un pouvoir de coordination des services et des opérateurs de l'État en cas de crise mais là, une nouvelle étape est franchie, car le préfet - et on s'est inspiré de ce qui s'est passé au moment du Covid - a bien pouvoir hiérarchique sur ces services et opérateurs, y compris sur ceux chargés de l'éducation nationale.
Avec cette nouvelle disposition, le préfet pourra toujours dialoguer avec les intéressés, dans un premier temps, mais il disposera de bien plus de manettes pour résoudre la crise.
Il n'en demeure pas moins que, pour les agences, des progrès sont encore à réaliser, alors que le président de la République porte un discours très clair sur les responsabilités qu'il souhaite confier aux préfets dans les territoires. Toutefois, cette volonté présidentielle a parfois du mal à se traduire dans les discussions interministérielles.
Je voulais attirer votre attention sur les feuilles de route des préfets, voulues par le Premier ministre Castex. Parfois appelées « projet territorial de l'État » ou « plan d'action stratégique de l'État » dans les départements, elles fixent des objectifs aux préfets de région et de département en matière de politique publique de l'État.
Certains préfets ont communiqué sur leur feuille de route. Elles sont constituées de deux parties, dont la première est descendante. C'est ce qu'on appelait les objets de la vie quotidienne (OVQ), et qu'on appelle maintenant politiques prioritaires du Gouvernement (PPG), qui sont déterminées par les ministères. La deuxième partie est plutôt ascendante. Il s'agit des projets du préfet, qu'il considère comme prioritaires pour son département.
Les précédentes feuilles de route étaient valables pour 2021, 2022 et 2023. Le dernier Comité interministériel pour la transformation publique (CITP), qui s'est tenu la semaine dernière, sous la présidence de la Première ministre, a annoncé une nouvelle génération de feuilles de route pour 2024, 2025 et 2026.
Cela offre aux préfets un magistère moral supplémentaire sur des politiques publiques qui parfois leur échappent parce qu'elles relèvent du ministère de la justice, de l'éducation nationale ou des finances publiques.
Mme Maryse Carrère, présidente. -On réalise, en vous écoutant, combien l'État territorial a pu être désarmé au fil du temps.
N'est-on pas allé à rebours de la déconcentration, n'a-t-on pas réduit à l'excès la marge de manoeuvre des préfets et des sous-préfets dans leur action départementale ?
La semaine dernière, j'étais invitée à participer à la commission d'attribution du fonds départemental de la vie associative (FDVA2). Je me suis aperçue que les propositions de la commission remontaient au préfet de région. Je ne suis pas certaine que pour décider d'accorder 800 euros à un petit festival du coin ou à une association, l'échelon régional soit le plus pertinent !
L'exigence d'accompagnement des élus sur le terrain s'affirme progressivement. Ainsi, dans les Hautes-Pyrénées, le préfet Rodrigue Furcy avait, à l'époque, proposé un accélérateur de projets dans le cadre du plan de relance. Il avait proposé un guichet unique qui réunissait tous les services de l'État pour examiner les projets et ne pas perdre de temps.
En revanche, d'un territoire à l'autre, le degré d'accompagnement ou même l'interprétation et l'application de la loi varient sensiblement, ce qui est créateur d'inégalités, qu'il faudrait corriger.
Mme Anne Chain-Larché. - La suppression du corps préfectoral s'accompagne d'une interdiction pour les préfets à rester en place plus de cinq ans dans un même poste, et plus de neuf ans dans le même corps. Cette dé-spécialisation de la fonction préfectorale ne sera-t-elle pas préjudiciable à la qualité du travail avec les élus ?
La formule du guichet unique est intéressante : est-elle applicable aux dotations du plan de relance, à la DETR, à la DSIL ou au Fonds vert ?
M. Jean-Marc Boyer. - La proposition de guichet unique que vous faites est certes intéressante, mais on s'aperçoit aujourd'hui des difficultés que peuvent connaître plusieurs maires, comme la solitude et le dénuement face à l'ensemble des contraintes qui peuvent leur être imposées.
Quels garde-fous, au sens propre et peut-être même au sens figuré, peut-on mettre en place entre les citoyens et le maire, et entre l'administration et le maire ?
Par ailleurs, au fur et à mesure, le maire a perdu tout pouvoir de décision. Ainsi, le FDVA2 a été mis en place lorsque la fameuse réserve parlementaire a été supprimée. Or les subventions du FDVA2 ne sont plus à la main des parlementaires ni des maires.
C'est là une nouvelle perte de pouvoir de décision, et je ne parlerai pas de la DETR qui, pour des montants de moins de 100 000 euros, est encore une fois à la main du représentant de l'État.
Je plaide pour le retour d'une dotation d'action parlementaire et j'ai déposé une proposition de loi en ce sens, car il faut rendre aux maires et aux parlementaires un pouvoir de décision.
Mme Cécile Cukierman. - À titre préalable, je dirais que je n'ai pas de souci particulier avec l'administration préfectorale dans mon département - les sous-préfets sont d'ailleurs plus présents sur le terrain qu'il y a quelques années.
Mais, en parlant avec les maires, je constate qu'avec le plan de relance, la hausse des enveloppes budgétaires a permis à la préfectorale de mieux accompagner les élus et aux élus d'avoir le sentiment d'être mieux accompagnés. Qu'en sera-t-il, dans les deux années qui viennent, lorsque ces dotations baisseront ?
Les élus acceptent les normes et les réglementations. Mais ils déplorent le manque d'accompagnement juridique préalable de l'État. Les élus les plus anciens aiment à rappeler le temps béni de la DDE, qui fournissait aux élus un réel accompagnement de proximité, en amont, sécurisant juridiquement les dossiers et les projets. Ce besoin de sécurisation est d'autant plus fort que, avec la judiciarisation de notre société, les élus peuvent craindre la contestation en justice de leur projet si une erreur est commise.
Par ailleurs, vous avez évoqué la déconcentration. N'y a-t-il pas plutôt eu une dislocation de la représentation de l'État dans les territoires ? Certains ministères font le choix d'une hyperdépartementalisation, d'autres plutôt d'une régionalisation -la loi les y ayant incités parfois.
Quant aux agences, dont les statuts, les hiérarchies et les échelles géographiques sont très différentes, elles contribuent à affaiblir l'action d'un État déconcentré.
Vous me permettrez enfin de souligner que, du fait de l'évolution du statut des personnels, dans certaines agences, les agents, plus animés par la défense de tel ou tel secteur d'activité, sont peut-être moins attachés que les fonctionnaires d'État au service de l'intérêt général.
M. Jean-Michel Arnaud. - Une précision à propos de la feuille de route des préfets : pourquoi n'est-elle pas publique et transmise en particulier aux parlementaires ?
S'agissant de la question du guichet unique, s'il s'agit seulement de permettre au préfet de contrôler les financements des autres partenaires, il serait nécessaire d'en parler avec les départements et les régions.
En revanche, s'il s'agit, comme dans mon département des Hautes-Alpes, d'avoir une conférence technique entre les chefs de file de chaque collectivité et le secrétaire général ou le sous-préfet d'arrondissement pour coordonner la cohérence des plans de financement et éviter que les saisons s'accumulent pour boucler le plan de financement, je dis banco ! On pourrait imaginer une concertation avec nos associations nationales représentatives des différentes strates, ce qui permettrait de gagner en efficacité pour nos politiques publiques et le financement de nos projets communaux.
Un sujet me tient à coeur, c'est le rôle du préfet. Vous avez, comme souvent dans la communication du Gouvernement, valorisé le tandem maire-préfet. J'ai constaté que la Première ministre, lors d'une communication publique, avait insisté sur le tandem préfet-président d'intercommunalités. Ce n'était pas simplement une erreur d'appréciation, car nous constatons dans beaucoup de nos départements la volonté, par facilité ou conséquence d'un manque d'effectif, de privilégier les présidents d'intercommunalités au détriment de la ruralité profonde et de ce qui a été fort heureusement valorisé par le Gouvernement ces dernières années à travers la labellisation « Petites villes de demain », les réseaux de villes intermédiaire. Ces dernières ne sont pas forcément à la tête de l'exécutif des intercommunalités, mais constituent un sas utile entre métropole, agglomérations et ultraruralité en matière de services, de politique d'installation et de développement d'équipements intermédiaires. Il faudrait envoyer un signe fort aux préfets pour qu'ils privilégient, dans la pratique du quotidien le tandem maire-préfet.
Il ne faut qu'une parole d'État dans les départements. On a souvent le sentiment, en tant qu'élus locaux, qu'il existe plusieurs États dans l'État. J'en veux pour preuve le parcours du combattant pour un maire qui est en train de réviser son PLU dès lors qu'il ne s'agit pas d'un PLUi.
Lorsqu'il pense avoir atteint le dernier obstacle, l'agence d'environnement régionale peut encore venir contrarier tout le travail qui a été fait. Le préfet découvre quasiment en même temps que l'élu l'avis de l'instance régionale, et on se retrouve dans des situations de tension énorme.
Je souhaite que les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) travaillent davantage, et en amont, avec les préfets de département, et que, notamment, leurs délais de saisine soient coordonnés.
Le renforcement des moyens humains dans les préfectures, pour accompagner les élus, est une bonne chose.
Il faut, dès lors qu'on a des moyens financiers (DSIL, DETR), qui sont conséquents depuis quelques années, que les services de l'État disposent de suffisamment de moyens humains pour accompagner les élus dans le montage des dossiers afin d'éviter des refus. C'est une façon de mieux consommer les crédits de la DETR et de faciliter la relance économique dans les territoires à travers les très petites entreprises et les petites et moyennes entreprises qui font vivre nos départements.
Mme Maryse Carrère, présidente. - Vaste programme !
M. Olivier Jacob. - Ce sont autant de sujets auxquels j'ai pu être confronté en territoriale comme en centrale.
Un mot sur la notion de déconcentration. Ma direction y est très attentive : il faut donner davantage de pouvoir aux préfets de région et de département.
La DSIL est attribuée par le préfet de région, sur proposition du préfet de département. C'est parfois un sujet de discussion entre eux, voire de tension au sein de l'appareil de l'État.
La déconcentration consiste notamment à donner plus de pouvoir d'action aux préfets, à la fois en matière de ressources humaines (RH) et en matière financière.
Le ministère de l'intérieur est un ministère très déconcentré. S'agissant des moyens des préfectures et des sous-préfectures, on donne une enveloppe au préfet de région qui la répartit entre les préfets de département, mais nous ne fléchons pas cette enveloppe en fonction des missions ou des catégories.
Ce n'est pas le cas de tous les ministères. Beaucoup décident de la répartition des effectifs depuis l'administration centrale et les flèchent jusqu'au moindre ETP, en administration départementale. Il reste des progrès à faire en matière de déconcentration RH.
Un outil, peut-être passé inaperçu, constitue une véritable nouveauté. Il s'agit de ce qu'on appelle la règle du 3 %. C'est une initiative prise par Jean Castex à l'occasion du Comité interministériel pour la transformation publique de Vesoul. Cette règle donne le pouvoir au préfet de région de répartir comme il le souhaite jusqu'à 3 % de l'effectif des administrations territoriales de l'État.
Cela représente des milliers de personnels que les préfets de région peuvent déplacer d'un ministère à l'autre en fonction de leurs priorités. La première année, en 2022, les préfets se sont modérément emparés de cette faculté. On constate en 2023 que les préfets de région sont désormais plus offensifs sur le sujet.
S'agissant de dotations d'investissement, vous disiez que les élus ne décident pas en matière de DETR, de DSIL, de FDVA2. Je ne reviendrai pas sur la réserve parlementaire. Ce n'est pas mon rôle de m'exprimer à ce sujet.
Pour ce qui est de la DETR, j'ai connu l'époque de la dotation globale d'équipement (DGE), de la dotation de développement rural (DDR). La commission des élus existait, mais, à la fin, c'était toujours le préfet qui décidait. L'obligation, pour le préfet de département, est toutefois de se mettre d'accord avec le président de la commission des élus sur les priorités. Cela peut varier d'un département à l'autre. On peut fixer une priorité sur l'eau potable, l'assainissement, l'accueil des gens du voyage, la voirie, les écoles.
Généralement, quand on a retenu l'eau potable, l'assainissement et la voirie, on a saturé la DETR, et on détermine ensuite d'autres priorités. C'est souvent au secrétaire général d'aller défendre la programmation devant la commission des élus, à laquelle on a récemment ajouté les parlementaires.
Au bout du compte, c'est toujours le préfet qui décide. Ce sont des subventions de l'État, mais elles sont largement discutées avec les élus locaux.
C'est un peu différent pour la DSIL, qui est une dotation plus récente, ainsi que pour le Fonds vert, mis en place depuis cette année.
Pour ce qui est de la réforme du corps préfectoral - ma direction est en quelque sorte le DRH des préfets et des sous-préfets-, je précise qu'il s'agit, pour un sous-préfet, de ne pas rester plus de cinq ans dans le même poste. Généralement, les élus se plaignent davantage du turnover des sous-préfets ou des préfets que d'une présence trop longue dans leur poste.
On constate que la durée de cinq ans concerne plutôt des sous-préfets en fin de carrière, au sommet de la pyramide, et qui restent sur leur poste parce qu'ils espèrent un meilleur avenir, notamment la casquette - mais elle ne vient pas toujours. Ce qui nous a incités à réformer le statut, c'est le fait que le sous-préfet restait souvent cinq, six, sept, huit ans. C'étaient parfois les élus qui venaient nous trouver en nous demandant de le changer, estimant qu'il était « en préretraite », « en roue libre », et « plus suffisamment dynamique ». J'ai des exemples en tête...
Cette échéance de cinq ans oblige à appliquer une règle statutaire que l'on va mettre pour la première fois en oeuvre cette année.
Pour 2023, environ une douzaine de sous-préfets sont rattrapés par cette règle. Nous allons entamer un dialogue avec eux pour leur proposer un autre poste dans la préfectorale, et avoir ainsi plus de rotations pour les postes les plus importants.
Quant aux neuf ans, ils concernent la limite d'exercice en territoriale pour un préfet ou un sous-préfet, quel que soit le nombre de postes. Un préfet ou un sous-préfet ne pourra exercer plus de neuf ans en territoriale. Il devra statutairement la quitter pour exercer d'autres fonctions pendant au moins deux ans, avant de revenir pour neuf ans en territoriale. Petite subtilité : pour les sous-préfets qui arrivaient à se faire nommer préfet au bout de huit ans, les compteurs sont remis à zéro. On peut donc, dans l'absolu, exercer durant dix-huit ans en territoriale si, entre-temps, on est parvenu à se faire promouvoir préfet. La règle des neuf ans s'appliquera à partir de 2032, contrairement à la règle des cinq ans, qui est rétroactive.
L'objectif du président de la République, au travers la réforme de la haute fonction publique d'État, est d'avoir davantage de mobilité parmi les hauts fonctionnaires et d'éviter que certains ne se spécialisent dans la territoriale. Le ministère de l'intérieur est très attentif aux allers-retours entre territoriale et centrale. Nous estimons qu'un haut fonctionnaire est meilleur quand il alterne entre territoriale et centrale, même si cela n'est pas évident.
Ont été évoqué la solitude du maire, son dénuement - et nous sommes rattrapés par l'actualité. Au-delà des garde-fous du code pénal, l'affaire médiatique qui nous occupe met en évidence que le maire de Saint-Brévin aurait pu être davantage accompagné par le sous-préfet. C'est peut-être, j'ose le croire, dans des situations aussi extrêmes que celle-là, l'exception qui confirme la règle, car j'ai pu constater lors de la crise des gilets jaunes que les représentants de l'État étaient très attentifs à la protection des élus représentants de la nation, parlementaires, maires, à partir du moment où des menaces étaient explicites.
Il n'en demeure pas moins que la pression est plus forte sur les élus. Est-ce dû à l'individualisation des comportements ? La médiatisation de certaines affaires et les réseaux sociaux sont sans doute plus importants qu'il y a une quinzaine d'années. Cela nécessite donc une plus grande attention des représentants de l'État lorsque des menaces se font jour.
Je signale qu'on a constaté une recrudescence des atteintes à toutes les personnes qui incarnent l'autorité publique - pompiers, policiers, gendarmes, etc. -, le citoyen ne faisant parfois pas la différence entre les responsabilités des uns et des autres.
Je tiens à souligner que le ministère de l'intérieur est l'un des rares à avoir maintenu sa présence à l'échelon infradépartemental. Nombre de ministères ont fait refluer cette présence au niveau départemental -au mieux-, au niveau régional -au pire. Le ministère de l'intérieur a maintenu coûte que coûte sa présence au travers des sous-préfets, des brigades de gendarmerie ou des commissariats de police. Même si c'est symbolique, le fait de recréer des postes de sous-préfets est un message qu'envoient le ministre de l'intérieur et le Gouvernement aux territoires ruraux qui ont pu se sentir abandonnés par l'autorité publique.
Les retours que l'on a de la part des maires lorsqu'on crée un poste de sous-préfet à Château-Gontier, Clamecy, Nantua, Rochechouart ou Montdidier sont extrêmement positifs. Ils retrouvent enfin un interlocuteur pour porter les dossiers qui leur sont chers.
Un mot sur l'ingénierie publique. La DMATES regrette parfois que l'on déploie autant de crédits au profit des collectivités locales, pour financer des postes de chargés de mission d'ingénierie (Action coeur de villes, Petites villes de demain ou Territoires d'industrie, adultes relais, postes FONJEP, conseillers numériques), au détriment des crédits d'ingénierie pour les services préfectoraux eux-mêmes. En région Normandie, l'ancien préfet Pierre-André Durand a calculé que plus de 200 ETP étaient ainsi cofinancés par l'État au profit des collectivités locales. La DMATES estime que le temps est peut-être enfin venu de dégager sur ces enveloppes un peu de crédits d'ingénierie au profit du représentant de l'État.
Vous disiez, madame la sénatrice, regretter le temps de l'ingénierie publique, que j'ai connu, des DDE, etc. : nous n'y reviendrons pas. En revanche, il est sans doute possible de mobiliser des crédits au profit du préfet pour le compte des collectivités ou pour porter tel ou tel projet.
L'idée fait son chemin. La direction générale des collectivités locales (DGCL) et l'ANCT progressent sur l'idée de dégager des enveloppes que le préfet de département pourrait mobiliser à sa main en faveur de tel ou tel projet.
La décision a été prise par le Comité interministériel de la transformation de l'action publique (CITP) de créer des experts de haut niveau. Dans certains départements, on a créé des postes de sous-préfet d'arrondissement. On a recréé, ainsi que vous le disiez, un poste dans les Hautes-Alpes. Ce sont ainsi 30 postes qui ont été rétablis. On a recyclé une partie des postes de sous-préfets à la relance, en plus des 23 postes d'experts de haut niveau déjà créés. Dans les Vosges, ce poste est dédié au développement rural. En Bretagne, il s'agit plutôt d'un poste dédié au développement de la filière pêche. À Toulouse, ce sera plutôt un poste pour le développement de la filière aéronautique.
Le CITP de la semaine dernière a décidé de porter le nombre d'experts de haut niveau de 23 à 100. Il faut maintenant les déployer. L'idée est de réarmer les départements en ingénierie publique, compte tenu de la perte constatée dans les départements.
Je sais par ailleurs qu'on est en discussion interministérielle pour développer des postes supplémentaires en soutien à la ruralité, et notamment des postes de chargés de mission logés dans les préfectures pour déployer les différentes dispositions du plan ruralité, auquel Joël Giraud puis Dominique Faure se sont montrés attentifs.
Pour ce qui est des feuilles de route des préfets, je suis favorable à vous communiquer la totalité de celles-ci, charge à vous de les diffuser aux membres de votre mission et, plus largement, aux sénateurs. Nous incitons les préfets à communiquer leur feuille de route aux parlementaires et aux acteurs du territoire.
Quant au guichet unique, mon idée concernait plutôt l'ingénierie de réglementation. Le préfet n'a pas vocation à pratiquer la politique du coucou et à s'emparer du financement des autres. En revanche, j'ai constaté l'utilité de monter un comité des financeurs et d'harmoniser la politique du conseil départemental. Il est plus difficile de le faire pour le conseil régional.
Il faut que ces trois acteurs - conseil départemental, conseil régional, État - se mettent autour de la table pour cofinancer les choses le plus efficacement. J'ai présidé, en tant que secrétaire général de la préfecture de l'Hérault, des comités des financeurs afin de décider de subventions lors la reconstruction après un phénomène cévenol. Des missions d'expertise et d'inspection viennent dans les départements et décident des subventions apportées par l'État. À l'époque, j'avais mis en place des comités des financeurs associant départements, régions et État. C'est redoutablement efficace et souvent très apprécié par les élus. Ce n'est pas réglementaire. Certains préfets en prennent l'initiative.
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - Quand un élu change de préfet, il perd tous ses repères. Cela devient pénible. On a le sentiment que l'État crée les conditions de son propre dysfonctionnement, singulièrement en matière de relations entre préfets de département et de région.
Pourquoi maintient-on la DSIL, le Fonds vert, la DETR, alors qu'on sait qu'il y aura à un moment ou un autre une porosité entre ces dotations faute de capacité à satisfaire tous les projets ? Par exemple, face au désengagement des agences de l'eau, on va inclure dans la DETR des sujets qui vont permettre de financer l'eau.
Il existe une interpénétration de ces enveloppes, mais l'État ne veut pas admettre que le préfet de département, avec l'autorisation du préfet de région, puisse notifier la DSI ! J'en sais quelque chose pour avoir été rapporteur de la loi « 3DS » ! Ce n'est quand même pas révolutionnaire ! Si on veut que les élus s'y retrouvent, il faut retrouver de l'agilité !
Je pourrai dire exactement la même chose pour l'ANCT. Même les préfets de département ne savent pas comment composer avec cette agence en matière d'ingénierie.
Nous avons auditionné le préfet Durand. Il n'est pas favorable à ce que l'État ait son propre outil d'ingénierie. Il considère que c'est le rôle des collectivités, et non celui de l'État.
Cela relève de l'initiative - et tant mieux, car on ne changera pas le fait qu'il s'agit de la volonté de femmes et d'hommes -, mais je pense qu'il faudrait établir, à l'instar de ce que vous dites à propos des feuilles de route des préfets, quelques points de passage obligés.
Il m'avait semblé comprendre que les financements croisés étaient terminés. Aujourd'hui, on nous donne les feuilles de route de la DETR sans se soucier de ce que veut le département ou la région. Or, cela ne peut fonctionner. On se retrouve avec des réaffectations, à l'automne, d'un bout de DETR non consommé parce que le maire n'a pas obtenu sa dotation du département, et des pertes de DETR.
On a le sentiment que tous les ingrédients sont sur la table et que tout pourrait bien fonctionner. Est-ce que l'État central ne fait pas tout pour que l'État territorial reste à sa main ? De facto, on n'apporte pas aux élus l'agilité dont ils ont besoin, pour répondre rapidement aux exigences de leurs concitoyens.
Si on ne crée pas cette agilité, je crains qu'on ne creuse encore plus le fossé entre l'État et la perception qu'en ont les élus, avec cette petite musique de désespérance qu'on a entendue un peu partout.
M. Olivier Jacob. - J'espère vous avoir démontré par mes propos que le ministère de l'intérieur soutient ces notions de déconcentration et d'agilité.
Il y a des débats interministériels et des arbitrages - et c'est très sain. On l'a vu au moment de la loi « 3DS » : certains ministères se méfient il est vrai de la notion de déconcentration. J'essaie de l'expliquer. Peut-être craignent-ils le pouvoir hégémonique des préfets. Je rappelle ce que dit la Constitution : les préfets sont les représentants de l'ensemble des membres du Gouvernement. Il faut donc leur faire confiance, ce qui est parfois un peu difficile. Les préfets rapportent ensuite au ministre, mais sans doute que la technostructure, les administrations centrales, les directions régionales sont frileuses au moment de confier un certain nombre de responsabilités au préfet de département.
Vous parlez de désespérance ou d'abandon. Cela s'est accéléré durant la décennie 2010-2020 avec la création des grandes régions. La région Languedoc-Roussillon avait une cohérence. Avec cinq départements, les élus pouvaient avoir accès au préfet de région. Avec la région Occitanie, qui va des Hautes-Pyrénées au Gard, il n'y a plus cette proximité.
J'ai exercé comme secrétaire général de la préfecture de l'Aube, en Champagne-Ardenne, où les quatre départements s'appuyaient sur une certaine cohérence historique et géographique.
Les maires ont l'impression d'être seuls lorsqu'ils perdent ces échelons de proximité. Ceci se conjugue avec la création des grandes intercommunalités ou des schémas de coopération intercommunale. Je l'ai vécu en arrivant dans les Alpes-de-Haute-Provence : on a créé de grandes intercommunalités qui, parfois, ont surpris les maires, avec des assemblées intercommunales importantes.
Réduction des effectifs, agencification, création des grandes régions et des grandes intercommunalités se sont cumulées en un laps de temps relativement court. La prise de conscience est là. Le mouvement des gilets jaunes et le grand débat national ont joué un rôle révélateur en la matière. Je le sens en administration centrale : la notion de proximité et d'échelon départemental, défendue par les premiers ministres successifs et par le président de la République, est revenue sur le devant de la scène.
Il faut aussi convaincre les autres ministères, qui pensent principalement leur action à l'échelon régional.
Je vous répondrai par écrit au sujet des démissions d'élus, qui font l'objet de bien des commentaires. On en enregistre toujours beaucoup en début de mandat. Généralement, cela a tendance à se tarir à mi-mandat. On n'a actuellement pas plus de démissions que lors de la mandature précédente. En revanche, nous ne savons pas toujours les raisons de ces démissions. Les motifs sont parfois différents par rapport à la mandature précédente.
Jusqu'alors, nous n'étudiions pas les motifs dans le détail. Nous ne le faisons que depuis cette mandature, où onze motifs permettent de suivre dans le détail les motivations qui expliquent la démission d'un maire, car c'est ce qui fait le plus parler.
Nous vous fournirons toutes ces précisions dans nos réponses à votre questionnaire.
Mme Maryse Carrère, présidente. - Merci beaucoup.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de M. Stanislas Bourron, directeur général de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (Mardi 16 mai 2023)
Mme Maryse Carrère, présidente. - Mes chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir cet après-midi Stanislas Bourron, directeur général de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT).
L'ANCT a pour mission de conseiller et de soutenir les collectivités territoriales dans la conception, la définition et la mise en oeuvre de leurs projets. À ce titre, elle doit notamment faciliter l'accès des communes aux différentes formes d'ingénieries juridique, financière et technique et leur apporter un concours humain et financier.
L'ambition est vaste et, pour le sujet qui nous occupe, elle pose plusieurs questions : l'ANCT a-t-elle les moyens de cette ambition ? Est-elle parvenue à constituer un réseau suffisamment efficace à destination des communes ? L'aide qu'elle leur apporte est-elle suffisamment concrète ? Comment ses compétences s'articulent-elles avec celles des autres intervenants en la matière - État, département ou région et autres agences ?
Avant de vous donner la parole pour répondre à ces premières questions, je me tourne vers M. le rapporteur.
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - On a le sentiment, après avoir fait dans le cadre de cette mission le tour de territoires aussi différents que l'Ille-et-Vilaine, les Vosges, la Somme et la Haute-Garonne, que les communes les moins densément peuplées, qui ont par nature le moins de moyens pour répondre à la politique d'appels à projets de l'État ou pour monter des projets communaux, voire intercommunaux, ont encore du mal à se repérer dans les méandres des procédures.
Mon propos dépasse la seule ANCT, dont le rôle est d'être le catalyseur ou de répondre aux aspirations des élus par le biais de dispositifs comme « Petites villes de demain » et « Action coeur de ville ». Je vise l'ensemble de l'ingénierie d'État, vis-à-vis de laquelle les maires sont parfois démunis.
On constate que tous les préfets ou sous-préfets n'ont pas encore pleinement assimilé la consécration, par la loi « 3DS » du préfet comme délégué départemental de l'ANCT. Comment voyez-vous cet aspect des choses, trois ans après les débuts de l'ANCT ?
Enfin, comment articulez-vous les rôles et actions des préfectures, des sous-préfectures et de l'ANCT ? Le besoin d'ingénierie est tel qu'au-delà des dispositifs existants, il sollicite en première ligne les préfectures et les sous-préfectures pour leur agilité et leur écoute vis-à-vis des élus.
M. Stanislas Bourron, directeur général de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). - L'ANCT est relativement récente à l'horizon de nos systèmes administratifs. Elle remonte à trois ans, avec une gouvernance renouvelée depuis décembre, un nouveau conseil d'administration, un nouveau président, un nouveau directeur général. Ces trois années ont surtout été marquées par une période très compliquée en termes d'action publique du fait de la Covid-19, ce qui a rendu difficile les déplacements de l'équipe en place sur le terrain.
Depuis février, avec le président, nous avons engagé de nombreux déplacements et visité une vingtaine de départements. Cela nous permet de voir, de plus près, ce qui fonctionne et ce qui fonctionne moins bien.
Le législateur nous a confié deux missions : porter des programmes nationaux et intervenir, de façon en subsidiaire pour accompagner les collectivités ayant besoin de solutions d'ingénierie. Nous pourrions également parler des contractualisations, mais ce n'est pas le sujet aujourd'hui.
Les programmes nationaux comme « Action coeur de ville », « Petites villes de demain », « Territoires d'industrie », et France Services sont une réussite, même si les choses fonctionnent mieux dans certaines communes. Je suis même très surpris de l'enthousiasme des élus lorsque nous les rencontrons.
À chaque déplacement, on constate que les élus se sont emparés des labels, des moyens et des projets de façon très différents selon les territoires. La subsidiarité doit être la clé d'entrée, mais elle demeure très dépendante de ce qui existe sur les territoires. Nos programmes ont vraiment trouvé leur public.
Pour le volet relatif à l'ingénierie sur mesure, nous touchons 30 000 communes. Toutes n'ont pas un programme dédié et sont plutôt concernées par des mesures transversales, peut-être moins identifiables mais pour lesquelles elles attendent un accompagnement sur mesure. L'objet de l'Agence est d'intervenir pour permettre de porter ces projets là où le contexte local ne le permet pas.
Nous n'avons pas vocation à intervenir là où des collectivités se sont organisées de façon pertinente pour mettre en place une solution d'ingénierie à travers une agence technique départementale, un conseil d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) très dynamique, une agence d'urbanisme, une intercommunalité qui a pris à bras-le-corps tel ou tel sujet.
J'étais dans les Vosges il y a deux jours, où une intercommunalité a mis en oeuvre tout un soutien à des communes très rurales, et où l'État intervient pour le cofinancement de postes et à travers la dotation d'investissement. Ce n'est pas forcément le cas partout.
L'intérêt pour nous est d'identifier les territoires où ne se crée pas cette dynamique. Un tiers des départements n'ont pas mis en place d'agence technique départementale, quel qu'en soit le format, établissement public ou régie. Là où elles existent, ces agences techniques peuvent être présentes sur des sujets comme la voirie ou les équipements publics, ce qui est indispensable, mais moins sur d'autres qui présentent aussi un intérêt, comme les projets de territoire.
C'est là que notre accompagnement doit continuer à être déployé. 1 200 accompagnements ont été réalisés depuis la création de l'Agence, mais nous devons engager une nouvelle étape.
À la suite du rapport produit par la délégation aux collectivités territoriales, en février, nous avons commencé à mettre en place un plan d'action qui sera concrétisé dans une feuille de route que nous présenterons au conseil d'administration fin juin.
Je ne peux pas tout dévoiler, mais nous vous rejoignons sur l'idée qu'il nous faut davantage animer les territoires. Dans certains endroits, on nous connaît en effet très bien et on sait comment faire appel à nous. Ainsi, aucun des dispositifs de l'agence ne manque dans le Cantal, et on en trouve parfois plusieurs autres sur un même site - Petites villes de demain, tiers-lieux, conseillers numériques, France Services.
Nous devons donc doubler nos moyens d'accompagnement afin que les préfets ou les directions départementales de territoires (DDT) sollicitent nos chargés de mission territoriaux autant que possible. Nous devons aussi avancer sur la déconcentration de notre marché d'ingénierie pour le rendre plus facilement mobilisable par les préfets de département, sans passer par une sollicitation parisienne.
Nous devons enfin travailler à une meilleure animation locale des équipes d'ingénierie et des demandes.
Je constate qu'un certain nombre de projets ne trouvent pas forcément leur réponse. Ils émanent souvent de petites communes ou intercommunalités. Notre objectif est d'essayer, à travers les comités locaux de cohésion des territoires (CLCT) prévus par la loi qui, dans certains départements, fonctionnent très bien, d'être des liens d'animation, de faire connaître les types d'ingénierie, de discuter pour savoir quelles personnes peuvent se mobiliser sur telle ou telle thématique pour mettre en oeuvre des projets. On peut aussi faire appel au Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA) en matière de mobilités ou de foncier et intervenir sur des questions d'activité commerciale ou touristique.
Le CLCT est un bel espace qu'il faut encourager - et les ministres le souhaitent. Il faut aussi renforcer la logique de guichet unique. Un certain nombre de départements ont mis en place une adresse mail unique. Cela fonctionne très bien : l'élu qui souhaite un accompagnement et qui écrit à cette adresse est sûr d'obtenir une réponse d'un référent qui peut être un sous-préfet d'arrondissement ou le directeur de la DDT.
Il faut une réponse à chaque question qui, sans être compliquée, doit montrer le chemin. C'est plus une logique de portail que de guichet. Cette notion de guichet en effraye plus d'un, d'aucun craignant qu'on décide à sa place. Il n'en est rien. Il s'agit d'un point d'entrée. On doit l'améliorer pour les élus les plus éloignés de l'information.
Nous avons aussi pour rôle, à travers le CLCT, de mieux organiser ce qui existe sur le terrain. Beaucoup d'acteurs ne sont pas forcément mobilisés, alors qu'il existe un projet dans lequel ils pourraient intervenir. Nous sommes prêts à répondre aux besoins, mais l'idée n'est pas d'aller chercher l'Agence s'il existe une solution locale. Privilégions la subsidiarité. Nous ne sommes pas dans la concurrence entre différents types d'ingénierie.
Notre objectif, dans les mois à venir, est d'arriver à mieux organiser ce portail d'accès à l'ensemble des outils d'ingénierie, à revoir nos conventions avec les cinq opérateurs, principalement l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) et le CEREMA, pour clarifier le type d'ingénierie afin que ce soit plus simple pour les délégués territoriaux et les élus de savoir qui fait quoi. On saura mieux vers qui se tourner une fois qu'on aura éventuellement saisi le préfet ou le sous-préfet.
Nous sommes en train de recruter des moyens humains pour placer une à deux personnes en interface directe avec les préfets de département afin d'aller sur le terrain et apporter un conseil en matière de montage de projet et de type d'ingénierie à solliciter.
Je vous rejoins à propos de la mobilisation des délégués territoriaux sur le fait que celle-ci n'est pas uniforme. Tous les territoires ne sont pas autant mobilisés et tous ne connaissent pas les mêmes difficultés. Je sens néanmoins une grande mobilisation des services dans les départements où j'ai pu me rendre.
Dans le Cantal, deux agents de la DDT sont dédiés exclusivement aux projets et au déploiement des accompagnements de l'ANCT. Des accompagnements, au-delà même des communes qui sont dans nos programmes, ont même pu être développés.
Dans tous les départements où je me suis rendu, on trouve des référents, peut-être parfois insuffisamment équipés et armés, mais qui se sont organisés pour apporter des réponses. Charge à nous d'être plus volontaristes pour leur demander de s'investir toujours davantage et de façon plus uniforme.
Mais, je vous rejoins en effet sur le fait qu'il existe une hétérogénéité selon l'histoire et l'organisation locale.
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - Au fond, peu importe à quoi ressemble cette architecture pour traiter de la question de l'ingénierie. On a cependant le sentiment que le bât blesse. Par exemple, s'agissant de « Petites villes de demain », il semble que le poste d'ingénierie financé par l'État fonctionne globalement plutôt bien. Toutefois, une fois le projet échafaudé et ses contours définis, la question du financement se pose. En réalité, les élus souhaiteraient un package, charge à vous de réaliser cette animation pour obtenir les financements permettant de réaliser le projet.
On sent qu'il y a là une coupure qui est vécue comme une frustration. On sait faire émerger les projets et les monter dans la plupart des cas, mais ensuite ? C'est ce que nous ont dit les élus de façon claire.
Pour ce qui est des plus petites communes, le flou persiste. Ce matin, lors de son audition, le directeur du management de l'administration territoriale et de l'encadrement supérieur (DMATES) nous disait que l'État s'apprête à recruter une centaine d'agents experts pour voir comment tout cela peut s'articuler. On a le sentiment qu'il y a, sur la forme, quelque chose à trouver en matière d'efficience et d'accélération des procédures.
Mme Maryse Carrère, présidente. - Dans le même ordre d'idées, il existe un exemple récent sur la non-continuité de l'action de l'ANCT. Il concerne le programme relatif aux ponts, même si je pense que cela va évoluer.
On a proposé aux communes de solliciter l'ingénierie pour analyser les dégâts sur leurs ouvrages d'art. Ils ont reçu des fiches techniques et des diagnostics, avec des préconisations qu'ils ont la plupart du temps mises en oeuvre. Or il existe une sorte de flottement entre le moment où on doit aller chercher des bureaux d'études pour réaliser les compléments d'information sur ces ouvrages et la question du financement : la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) n'a pas toujours pris pas les ponts et les ouvrages d'art en charge.
Il y a là un vrai enjeu de continuité dans l'action. Dans les Hautes-Pyrénées, plus de 200 communes ont répondu au programme relatif aux ponts. Cela correspond à un vrai besoin mais, sans mauvais jeu de mots, il ne faut pas les laisser au milieu du gué !
Mme Cécile Cukierman. - Vous avez évoqué vos déplacements dans les départements et l'engouement des élus autour du programme « Petites villes de demain ». Les élus sont bien élevés ! Quand ils vous reçoivent, ils sont plutôt bienveillants. Je préfère le dire avec un peu d'ironie...
Beaucoup de bénéficiaires de « Petites villes de demain » sont satisfaits. Dans la Loire, cela leur permet, dans un temps où il faut aller vite, de justifier le fait de devoir prendre du temps pour s'interroger sur ce que sera demain notre territoire et la place qu'il aura dans son environnement.
Intellectuellement, c'est assez stimulant. On a peu de moments comme cela dans nos vies d'élus. Cela permet aux nouveaux élus de se projeter, et à ceux qui ont plus d'expérience de s'interroger à nouveau. Ils m'ont dit que cela leur faisait du bien et qu'ils y prenaient plaisir.
Ce sont toutefois les mêmes qui estiment qu'ils ont passé l'âge qu'on leur vende des rêves. Ce travail peut être très fédérateur à l'échelle d'un territoire communal, mais il peut aussi générer déceptions et frustrations si rien ne débouche, faute de financements.
Cela amène à une deuxième difficulté territoriale : il ne faudrait pas, demain, in fine, concentrer les financements territorialisés sur les projets qui auront bénéficié en priorité de ce type d'ingénierie, qui pourraient être suivis par une collectivité régionale ou départementale, soit sous forme de bonus, soit sous forme de priorité. C'est une vraie crainte.
C'est moins vrai, me semble-t-il, à l'échelle d'« Action coeur de villes », où il existe de vrais financements d'accompagnement, mais comment voyez-vous les choses ? Comment construit-on l'avenir ?
Quant aux plus petites communes, elles ont un droit de tirage mais, objectivement, c'est dur. À mon avis, il est plus facile de gravir l'Everest !
L'ANCT ne pourrait-elle jouer un rôle de facilitateur ? On a besoin de personnes spécialisées, mais comment, de façon plus souple, répondre à la préoccupation de l'élu qui se moque bien de savoir qui interpeller tant qu'on peut lui apporte la réponse ?
M. Stanislas Bourron. - Nous entendons aussi les interrogations sur la pluriannualité des engagements.
S'agissant de « Petites villes de demain », 900 chefs de projet sont aujourd'hui sur le terrain, cofinancés à 75 %, pour les deux tiers par des intercommunalités et pour un tiers soit par des pôles d'équilibre territorial et rural (PETR) ou des communes. Le maillage est aujourd'hui quasiment complet. Quelques chefs de projet ne sont pas encore recrutés outremer, et il reste une difficulté pour un département métropolitain.
Je vous rejoins à propos des deux aspects distincts de l'ingénierie. On a besoin d'aider les élus à préparer le volet administratif, de leur présenter les bons interlocuteurs et de réaliser tout un travail d'accompagnement, notamment dans les communes qui ne sont pas les plus grandes.
Le programme « Petites villes de demain » a besoin de chefs de projet, en accompagnement des services communaux ou intercommunaux lorsqu'ils existent, pour assurer la fonction d'animateur permanent. Cela fonctionne très bien dans beaucoup de territoires.
Les plans d'action commencent à apparaître, et je vous rejoins : cela donne du temps et de la capacité à se projeter en jouant sur différents leviers. Un des sujets qui revient est celui de l'habitat, des problématiques de logements vacants dans les centres-bourgs et les centres-villes. Ce sont des questions complexes. Une simple subvention DETR ne règle pas le problème. Il faut intervenir avec d'autres acteurs, trouver des maîtres d'ouvrage, étudier les sujets juridiques autour de l'expropriation, des biens sans maître.
Cela mobilise parfois l'Agence nationale de l'habitat (ANAH), avec une opération programmée d'amélioration de l'habitat et de renouvellement urbain boostée, qui permet d'avancer. Ce sont des sujets complexes, et il faut du temps pour arriver à un programme d'action et le déployer. Le chef de projet est donc indispensable pour permettre à l'élu d'être soutenu administrativement.
Il est vrai que, dans toutes les communes, il existe des sujets qui ne justifient pas de recruter quelqu'un à temps plein pendant des mois, mais qui peuvent nécessiter une intervention dédiée - CEREMA, Ademe, ANCT. C'est vraiment un besoin en plus.
Nous intervenons assez systématiquement, en plus du chef de projet, pour réfléchir sur le devenir d'une friche, un aménagement complexe, afin que les élus puissent prendre le temps de réfléchir à un projet cohérent.
S'agissant de l'investissement, l'objectif de Petites villes de demain est de trois milliards d'euros à l'horizon 2026. Nous avons déjà consommé environ un milliard issu de dotations d'investissement de l'État, de l'ANAH et de la banque des territoires.
Tous les projets qui vont émerger trouveront-ils leur solution ? À l'instant où je parle, aucun maire ne m'a dit que son projet s'est vu refuser sa subvention. Je ne dis pas que cela ne pourrait pas arriver, mais le Fonds vert apporte quant à lui deux milliards d'euros de subventions d'État, avec une attention forte des régions en faveur de ces dispositifs. Il existe des moyens d'accompagnement.
Je vous rejoins sur un autre point : il faut éviter qu'un programme préempte les moyens en dotation d'investissement des autres. Cela a un effet désastreux...
Mme Cécile Cukierman. - La tentation est forte !
M. Stanislas Bourron. - Les circulaires signées par les ministres priorisent les projets cohérents accompagnés dans le temps, comme « Petites villes de demain ». Cela ne fait toutefois pas tout. Les montants s'élèvent à 200 à 300 millions d'euros de dotation d'investissement par an en faveur de ces communes sur deux milliards d'euros, hors Fonds vert.
Pour l'instant, on ne capte pas la totalité des moyens, tant s'en faut, mais une montée en puissance interviendra. Si je devais en tirer une conclusion dans mes fonctions, je dirais qu'il ne faut pas que la dotation d'investissement, telle qu'elle existe aujourd'hui, baisse. On ne le comprendrait pas.
Ce n'est pas au moment de la montée en puissance qu'il faut commencer à faire des efforts de compression ou réunir deux outils en un. On connaît la méthode...
Mme Cécile Cukierman. - On l'a connue en effet !
M. Stanislas Bourron. - Il existe des outils qui fonctionnent bien, comme la DETR, la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL), le Fonds vert, qui sont mobilisables par les préfets dans chaque département.
Ce sujet de pluriannualité est une question lourde pour l'État et ses opérateurs, notamment en matière d'investissement. Comment avoir des engagements dans le temps, sans créer une sorte de droit de tirage ? Il faut un projet correspondant aux objectifs, monté dans le cadre d'un plan d'action cohérent, où l'on se donne du temps. Cela a fonctionné dans certains endroits, pour reconquérir des logements de très mauvaise qualité en coeur de ville et les transformer, traiter une friche, créer un équipement public.
Je vous rejoins également à propos des communes rurales plus petites : au-delà du guichet d'entrée, qui permet de faciliter les explications et d'animer un partenariat local, l'accompagnement, sans que ce soit l'Everest, n'est pas simple à mobiliser. Il n'y a souvent qu'un secrétaire de mairie à temps partiel, des élus de bonne volonté, mais pas toujours à l'aise avec le système.
Le programme « France ruralité » est tiré de cette expérience. On a besoin de chefs de projet, mais on n'en a pas besoin d'un par commune. Cela ne se justifie pas. On peut mutualiser les besoins, et occuper les personnes.
C'est l'objet du programme, avec l'idée de positionner ces renforts dans les services de l'État et un droit de tirage pour les collectivités afin d'en faciliter l'articulation.
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - C'est autant le directeur de l'ANCT que l'ancien directeur général des collectivités locales (DGCL) que j'interroge : cette politique d'agencification et d'appel à projets ne segmente-t-elle pas trop la territorialisation de l'action publique et le rôle de l'État sur le territoire ? Ne la complexifie-t-elle pas trop ?
J'ai souvenir d'un long échange sur la notification de la DSIL. J'ai le sentiment que tout cela devient un parcours du combattant pour l'élu, auquel vient s'ajouter la problématique de l'ingénierie.
Ne devrait-on pas mener une réflexion pour avoir une approche territorialisée avec le préfet et l'ANCT, à l'échelle d'un département ? Cela permettrait de prendre en compte le critère de différenciation. Chaque territoire a sa propre réalité. Peut-être l'action de l'État gagnerait-elle en lisibilité et en efficience si elle était définie à l'échelle d'un territoire. Le département me paraît la bonne échelle à retenir pour fondre tout cela et le rendre plus lisible et plus agile.
On a le sentiment - et je souscris à ce qui a été dit sur l'ingénierie, car on voit que les choses avancent - que c'est encore très complexe.
Cet exemple de la DSIL illustre le sentiment qu'il existe, au sein même de l'État, entre échelon régional et échelon départemental, une légère perte en ligne. On évoquait ce matin le fonds des développements de la vie associative (FDVA2) : c'est un autre exemple qui montre qu'on pourrait peut-être faire des gains d'efficience.
La critique ne s'adresse pas qu'à l'État : on peut aussi avoir une réflexion au niveau des collectivités pour qu'il existe une cohérence et plus d'échanges pour mieux appréhender le financement des projets, de l'ingénierie jusqu'à la réalisation.
Mme Cécile Cukierman. - Vous le savez, je suis très attachée - comme d'autres - à une présence de l'État au plus près de chacun dans tous les territoires, parce que c'est la garantie d'une égalité sociale et territoriale.
Nous avons besoin d'une présence de l'État aux côtés de tous ces territoires qui représentent plus de 15 millions de concitoyens, que ce soit dans les territoires ruraux, outremer, ou les quartiers de la politique de la ville. C'est un véritable enjeu.
Je ne reviens pas sur ce qu'a dit le rapporteur, car je partage son avis : on peut s'interroger sur le fait de savoir s'il fallait agenciser l'action et la présence de l'État au plus près de nos territoires ou renforcer la présence départementale préfectorale et sous-préfectorale. Le législateur a tranché.
Je n'ai ni participé ni suivi les débats de 2010 sur la réforme de la loi sur les collectivités territoriales. J'ai cependant suivi la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (MAPTAM), la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), etc. On en a fait quelques-unes.
Vous dites qu'il faut maintenant un appui au plus près des petites communes pour formaliser, accompagner et aider à l'ingénierie financière. Il m'avait semblé que le rôle des intercommunalités et des départements devait être renforcé pour ce faire.
L'action déconcentrée de l'État, direction générale des finances publiques (DGFiP) en tête, devait être au rendez-vous pour aider les plus petites communes et mieux les accompagner dans le développement de leur projet et dans l'ingénierie financière - je reprends ici vos mots.
Nous faisons tous le constat qu'on manque cruellement de tout ceci dans la plupart de nos territoires. Ne pensez-vous pas qu'une partie des intercommunalités sont passées à côté d'un rendez-vous avec l'Histoire, qui aurait pu leur permettre de renforcer leur légitimité par une meilleure reconnaissance de leur action ? Parfois, les choses sont vécues comme une captation du pouvoir communal plutôt que comme une aide à son déploiement.
Mme Catherine Belrhiti. - Cette année a été extrêmement difficile pour les communes. On a fait des promesses qui n'ont pu être tenues. On a demandé à de nombreuses communes de transférer les dossiers de DETR qu'elles avaient réalisés en novembre au titre du Fonds vert. Ces dossiers étaient très difficiles à établir. Nous les avons beaucoup aidées.
Au moment où il faut étudier le Fonds vert, il n'y a plus d'argent, l'enveloppe proposée n'étant pas suffisante ! On dit aujourd'hui à ces mêmes communes qu'on verra cela l'année prochaine, alors qu'on aurait pu traiter ces dossiers dans le cadre de la DETR, surtout s'agissant des deuxièmes tranches.
On a mis tout le monde en difficulté. Si ce Fonds vert avait abondé la DSIL, cela se serait bien mieux passé, d'autant que ceux qui ont été le plus ennuyés ont été ceux qui devaient étudier les dossiers, notamment les sous-préfets. Certains étaient paniqués, voire en dépression.
Tout le monde est exaspéré. Les maires, les secrétaires de mairie, les sous-préfets ne savent plus à quel saint se vouer. Il faut absolument décomplexifier la chose. Cela nous permettra d'avoir moins d'agents et de personnes sur place.
Je pense par ailleurs que la DSIL doit être à la main du préfet de département. De toute façon, les dossiers sont instruits par les sous-préfets. Quand cela arrive à la région, celle-ci a juste à signer. Que l'on fasse une étape de moins et qu'on mette tout dans une seule et même enveloppe !
Il est en outre incompréhensible pour les maires de communes limitrophes de deux départements que les unes aient une subvention pour leur route alors que leurs voisines n'en aient pas. C'est très mal perçu, et je pense qu'on devrait avoir une politique commune concernant les distributions de DETR.
Mme Maryse Carrère, présidente. - Les départements se sont organisés et accompagnent les collectivités et les communes. Le problème vient de ce que ce n'est pas égal sur tout le territoire.
Dans certains départements, il n'a pas été créé d'agence départementale d'accompagnement des collectivités. Or ces outils sont extrêmement précieux pour les maires.
Le pôle juridique et administratif de l'Agence départementale d'appui aux collectivités (ADAC) des Hautes-Pyrénées traite plus de 700 questions par an sur le droit du cimetière, l'urbanisme, etc. et 400 dossiers d'assistance à maîtrise d'ouvrage (AMO). C'est le département qui a monté cette agence avec les communes, sur la base d'un budget de 700 000 euros par an.
Il existe une certaine iniquité à travers les territoires, certains maires qui n'ont personne pour les accompagner se retrouvant démunis.
Mme Catherine Belrhiti. - Dans notre communauté de communes, ce sont les maires du bureau de celle-ci qui se chargent d'accompagner les autres maires.
M. Stanislas Bourron. - Depuis que je suis arrivé, nous avons pu ponctuellement mettre en place des appels à manifestations d'intérêt lors de certaines de nos interventions.
Je fais la chasse à tous ces dispositifs, considérant qu'on doit être dans des logiques de déconcentration au niveau départemental, même si le niveau régional prévu par la loi fait également sens.
Il faut donc s'appuyer sur les préfets de département et leur proposer d'identifier le dossier intéressant, en faisant en sorte que les mêmes gros dossiers ne remontent pas systématiquement.
Mme Cécile Cukierman. - C'est celui qui a l'ingénierie qui sait répondre à l'appel.
M. Stanislas Bourron. - Il faut qu'on fonctionne différemment. C'est ce que nous faisons dans nos programmes. Si on ne peut pas tout faire, on demande au préfet d'identifier les deux ou trois dossiers les plus pertinents par rapport à la thématique. Cela se passe du coup beaucoup mieux.
S'agissant de l'agencification, je suis très mal placé pour faire de longs commentaires. Il est certain qu'il faut en réduire la complexité pour les bénéficiaires.
Les agences apportent une forme d'agilité, de souplesse et de capacité d'organisation rapide, dont la pluriannualité du budget, que ne permettent pas les structures classiques d'État. Pour autant, ce n'est pas en soi un objectif. Cela doit être un levier, un outil à destination d'une politique publique. Charge à nous de faire en sorte que les différentes agences travaillent bien ensemble. Elles sont membres du conseil d'administration de l'ANCT. Il existe des conventions-cadres qu'on est en train de reprendre. Il faut qu'on rende les interventions de chacun plus lisibles pour ne pas en avoir plusieurs types par opérateur.
S'agissant de l'enveloppe unique, le ministre Christophe Béchu a imposé une déconcentration départementale massive. Il est intervenu devant la commission des lois du Sénat en fin d'année dernière, au moment du débat. C'est un excellent choix, et la Première ministre a indiqué qu'il y aurait une prolongation du Fonds.
Ce sont des dossiers complexes, qui exigent du temps. Les communes entreront dans le système l'année prochaine. Le temps passé à monter le dossier n'est pas perdu. Les enjeux de transition écologique vont nous amener à avoir des investissements massifs sur ces questions, et ceux qui démarrent trouveront leur financement.
Quant à ne faire qu'une seule enveloppe, vous voyez bien que l'État, à travers les dotations d'investissement, cherche à orienter les collectivités.
Le Fonds vert, pour sa part, comporte des thématiques - friches, renaturation -, mais cela répond aussi aux besoins de notre pays.
Il existe des outils comme la DSIL ou la DETR qui, je vous rejoins, ont certes des modalités de gestion un peu différentes, mais qui demeurent assez vastes, parce que cela correspond à une réalité qui va très vite. Les besoins des territoires évoluent, avec les plans piscines, les questions de culture, de voirie, etc.
L'un de ces outils n'a pas de commission locale pour déterminer les objets, l'autre en comporte une pour créer la différenciation. Certains y ont mis la voirie, d'autres non. Je reste persuadé que la différenciation est utile pour gérer ce type d'outil parce que les objets, les contraintes et les demandes ne sont pas les mêmes dans les différents départements.
Je suis d'accord avec vous pour dire que certaines communes peuvent se poser la question de savoir pourquoi elles n'ont pas été soutenues, alors que leurs voisines l'ont été.
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - Il y a toujours le pouvoir discrétionnaire des préfets. On voit bien comment se passe la première réunion de DETR ou comment sont orientés les fonds de la DSIL et du Fonds vert.
Dans mon département, on arrive péniblement à sortir un seul gros dossier de 900 000 euros au profit du syndicat départemental des énergies de l'Ardèche au titre du Fonds vert. Cela montre bien qu'il faut avoir une taille assez significative pour y parvenir.
D'après les remontées qu'on a eues dans les différents territoires, je trouve que cela crée un peu de confusion et de la complexité au sujet des modalités d'octroi. Il y a trois modalités différentes. Il faut ensuite présenter les dossiers au niveau de la région et du département. Nos élus réclament un peu d'intelligence collective pour mettre tous les acteurs autour de la table. On aurait peut-être un gain d'efficacité significatif.
Je partage ce que vous dites : c'est à l'État de dire où il veut mettre ses fonds, mais tout le monde peut y gagner en efficience.
M. Stanislas Bourron. - S'agissant de l'enveloppe unique, il faut rester prudent, trois fois un ne faisant pas toujours trois si on se réfère aux règles budgétaires complexes de l'État.
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - On l'avait bien compris avec la DSIL !
M. Stanislas Bourron. -Concernant les conditions d'octroi aux départements, j'ai vu un certain nombre d'organisations départementales intéressantes. Les commissions d'attribution des subventions sont établies conjointement, dans le respect de chacun.
Cela permet une bonne répartition et d'apporter une réponse aux acteurs en même temps. Départements et État peuvent ainsi avoir une parole unique qui peut être bien perçue et règle ainsi un certain nombre de sujets. C'est une approche positive.
Mme Maryse Carrère, présidente. - C'est surtout pour ne pas avoir de conflits sur le montant des subventions. Dans les Hautes-Pyrénées, cela se pratique de façon empirique grâce à la bonne volonté du sous-préfet, du préfet et des conseillers départementaux, afin de ne pas arriver à un taux de subvention de 90 % et que la commune se voie ensuite retirer la subvention espérée.
C'est quelque chose qu'il faudrait arriver à généraliser. C'est ce qu'on faisait avec les contrats de pays créés par la loi Voynet. On s'est retrouvé avec les trois entités - État, régions, départements - et des contrats de pays où chacun avait sa propre enveloppe, mais où il existait un comité de pilotage, chacun indiquant combien il mettait à tel ou tel endroit.
On a perdu cette culture de la contractualisation avec les autres financeurs que sont la région et le département.
M. Stanislas Bourron. - Le contrat de relance et de transition écologique (CRTE), dans une phase 2, doit pouvoir être un lieu moins formaliste de contractualisation ferme et définitive de projet. C'est une méthode de travail collective avec le département et la région éventuellement, sur la base d'un bassin de vie. Cela correspond souvent aux anciens pays. On a ainsi la possibilité de retrouver la logique que vous évoquez.
Je vous rejoins sur la réflexion sur la ruralité que porte Dominique Faure, avec l'idée qu'on n'a pas besoin d'une personne par département. Il y a des départements où l'on peut trouver d'autres moyens, comme ceux qui sont très urbanisés, à travers l'agglomération et les effectifs de l'État, qui sont parfois plus denses.
En revanche, certaines communautés de communes sont très petites, très faibles et ont du mal à recruter des personnels d'un certain niveau parce qu'elles sont enclavées, peu attractives et parfois en déclin démographique.
Il existe aussi parfois des départements peu fringants parce qu'ils sont confrontés à des problématiques d'équilibre d'opérations et qu'il y a beaucoup de demandes. Tout le monde n'était pas au même niveau au départ. Il est donc normal qu'à certains endroits, on accompagne la commune non contre la communauté de communes, mais parce que la communauté de communes n'est pas suffisamment équipée pour accompagner le projet. C'est avec la communauté de communes que cela doit se faire, dans une logique collective.
Les départements trouveront ainsi à s'organiser ensemble - et certains en parlent dans le cadre de la réflexion sur ce programme.
Là où l'État apporte un appui, le département pourrait, sur un autre arrondissement, un autre secteur, faire de même. Cela coûterait moins cher à chacun. Je sens qu'il existe aujourd'hui sur les territoires un niveau de maturité élevé à propos de ces questions. Je pense qu'on peut y arriver. Cela ne fonctionnera peut-être pas à certains endroits, mais cela permettra à certains territoires qui se sentent parfois encore un peu oubliés d'avancer.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de M. Yannick Morez, maire démissionnaire de Saint-Brévin-les-Pins (Mercredi 17 mai 2023)
- Présidence de Mme Maryse Carrère, présidente de la mission d'information sur l'avenir du maire et de la commune, et de M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale -
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Mes chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir Yannick Morez, maire de Saint-Brévin-les-Pins, démissionnaire, même si nous avons compris grâce à la presse que le préfet compétent faisait l'objet des plus hautes pressions pour ne pas accepter votre démission. Ce moment est difficile pour vous eu égard aux événements que vous avez subis, à titre personnel et qui vous ont décidé à remettre à votre mandat.
Vous êtes entouré par Maryse Carrère, présidente, et Mathieu Darnaud, rapporteur de la mission d'information sur l'avenir de la commune et du maire en France, ainsi que de nos collègues sénateurs, qui ont tous, à un moment de leur carrière, détenu un mandat local. C'est dire à quel point nous avons conscience de votre situation, tout comme de celle de nos collègues élus municipaux, de même que les violences et les agressions que vous vivez.
Ayant été maire pendant vingt ans de ma commune du Rhône, Oulins, j'ai connu des moments difficiles, mais jamais à la hauteur de ce que nos collègues maires endurent aujourd'hui. La violence, quel que soit le milieu, prend sa place dans la vie publique comme dans la vie. Elle doit toujours être combattue.
Voilà déjà plusieurs années que les violences contre les élus, et contre les maires en particulier, sont un sujet de préoccupation pour le Sénat, chambre des collectivités locales. Je salue, à ce titre, la présence de Françoise Gatel, présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales. Je ne rappellerai pas le lâche crime subi par le maire de Signes, l'agression de la maire de Plougrescant et tant d'autres. Nous vous apportons, à chacun, notre soutien unanime.
Nous souhaitons que vous disiez à la représentation nationale ce que vous avez vécu. Nous voulons comprendre ce qui ne s'est pas passé, alors que vous attendiez un soutien de l'État. En effet, plusieurs textes récents que le Sénat a adoptés, enjoignent aux préfectures et aux magistrats de se rapprocher des élus locaux, des maires en particulier, et de les écouter. En outre, en 2019 et en 2021, nous avions saisi le garde des Sceaux sur la situation des élus. Il avait pris des engagements. Vos propos nous permettront de comprendre ce que vous avez vécu et ce que vous n'avez pu obtenir, afin d'avancer dans notre travail de contrôle et d'améliorer notre législation.
Mme Maryse Carrère, présidente de la mission d'information sur l'avenir de la commune et du maire en France. - Nous vous apportons tout notre soutien pour ces moments douloureux, pour vous et votre famille.
Dès le début de ses travaux, la mission d'information sur l'avenir de la commune et du maire s'est intéressée à la problématique des démissions volontaires de maires, dont on observe qu'elles sont, en ce début de mandat, plus nombreuses que précédemment. Nous y avons vu le symptôme d'un mal-être des maires dont il nous appartenait d'identifier les causes. Déjà, des éléments émergent : un sentiment d'abandon, un déséquilibre entre les charges que l'on doit assumer, les moyens dont on dispose et l'aide que l'on reçoit, et des relations plus tendues avec certains citoyens.
Les causes sont nombreuses, et nous avons lancé, depuis la semaine dernière, une vaste consultation en ligne des élus municipaux, ouverte jusqu'au 8 juin, pour recueillir leur point de vue sur les conditions d'exercice de leur mandat et leur perception de l'avenir de la commune. Elle sera riche d'enseignements et nous permettra de mieux mesurer l'ampleur du phénomène et des difficultés des maires. Mais ces statistiques seraient impuissantes à décrire la réalité du phénomène si nous ne disposions pas, en même temps, du témoignage direct de ceux qui y sont confrontés. C'est pourquoi, monsieur le maire, au nom de mes collègues de la mission d'information, je vous remercie d'avoir accepté de témoigner devant nous, afin de nous éclairer sur le drame que vous avez vécu et sur ce qui, selon vous, a manqué dans l'aide et la protection que vous auriez dû recevoir.
M. Yannick Morez, maire de Saint-Brévin-les-Pins. - Tout d'abord, je tiens à remercier tous les élus de France des messages de soutien que j'ai pu avoir, quel que soit leur rôle. Ils m'ont apporté beaucoup de chaleur, c'est vrai. Je me suis aperçu que, dans tous ces messages d'élus, par rapport à ceux, déjà nombreux, que j'avais reçus après l'incendie, le 22 mars, bien plus nombreux étaient les messages de soutien de maires qui m'ont exprimé ce qui leur était arrivé, notamment parfois des agressions, qu'elles soient verbales ou physiques. Beaucoup n'ont rien fait, n'ont pas déposé plainte, puisque très souvent - c'est ce qu'ils écrivaient dans les courriers que j'ai reçus -, celle-ci ne donnait pas lieu à des poursuites. C'est vrai que l'on constate une augmentation importante des agressions depuis un an, mais je pense que le pourcentage est largement sous-estimé et sous-évalué, puisque dans tous ces courriers, on s'aperçoit que les agressions sont fréquentes.
Je pense que ce n'est pas terminé, en raison de toutes les contraintes que nous avons nous à subir en tant que maires, avec les différentes lois. Je pense notamment à la loi dite « Climat et résilience » qui introduit le « zéro artificialisation nette » (ZAN) : on le sait, lorsqu'il faudra annoncer aux concitoyens qui ont parfois acheté des terrains pour les transmettre à leurs enfants qu'ils ne sont plus constructibles, ceux qui subiront, ce seront encore les maires.
Dans un premier temps, permettez-moi de vous présenter rapidement Saint-Brévin-les-Pins, commune de bientôt 15 000 habitants située au sud de l'estuaire de la Loire. Au nord de l'estuaire, il y a la ville de Saint-Nazaire, célèbre pour la construction navale et Airbus. Saint-Brévin-les-Pins fait partie du pays de Retz, situé entre la Loire et la Vendée. Dans ce pays, les deux villes importantes sont Pornic, que vous connaissez peut-être, et Saint-Brévin, où j'habite depuis 32 ans, et j'exerce la profession de médecin généraliste. J'y ai été élu pour la première fois en 2008, où j'étais adjoint au maire à la voirie et aux réseaux. En 2014, je suis devenu adjoint au maire au bâtiment et à la performance énergétique. En 2017, mon prédécesseur, Yannick Haury, aujourd'hui député, m'a demandé de prendre sa suite quand il a été élu. Depuis, je suis maire de la commune, ayant été réélu en 2020.
En 2016 - Yannick Haury était donc encore maire -, à la suite du démantèlement de la « jungle » de Calais, l'État nous a imposé l'arrivée de migrants et la création d'un centre d'accueil et d'orientation (CAO) de demandeurs d'asile. Il devait être situé dans un ancien centre de vacances qui appartenait au comité d'entreprise d'EDF, et qui n'était plus en fonction, puisqu'il n'était plus aux normes. C'est donc depuis cette date que nous accueillons des demandeurs d'asile, sans la moindre difficulté, avec, toutefois, un petit bémol puisque, juste avant leur arrivée, la situation avait été un petit peu tendue : deux coups de feu avaient été tirés sur le bâtiment. Une réunion publique avait cependant permis de confronter les points de vue, entre ceux qui étaient favorables à l'arrivée de ces migrants et, bien entendu, les partis d'extrême droite qui s'y étaient opposés. Le reste du temps, cela s'est bien passé. S'était également créée une association pour les aider, et les différentes associations brévinoises ont participé à l'inclusion de ces demandeurs d'asile.
En 2018, alors que j'étais devenu maire de Saint-Brévin-les-Pins, il s'est agi de récupérer certains migrants et demandeurs d'asile situés à Nantes, notamment au niveau du square Daviais. Johanna Rolland, la maire de Nantes, m'avait contacté pour me dire qu'ils viendraient dans notre centre d'accueil. Comme précédemment, ils ont été parfaitement accueillis, et nos associations se sont occupées d'eux, notamment pour leur apprendre le français ou encore leur faire faire du sport. À nouveau, tout s'est très bien passé entre la population et ces demandeurs d'asile.
Le 11 mars 2021, j'ai invité le sous-préfet visiter un bunker - nous en avons plusieurs sur notre littoral - qui avait été réhabilité. À la fin de cette visite, il m'apprend que l'État a décidé que le centre d'hébergement d'urgence deviendrait un centre d'accueil de demandeurs d'asile (Cada) de façon pérenne. Il m'en a informé tout de go, de façon verbale ; je n'ai même pas reçu de courrier. De plus, le bâtiment du précédent centre, qui appartenait au comité d'entreprise d'EDF, était en vente, et des promoteurs étaient déjà intéressés. Le préfet m'a indiqué qu'il nous fallait trouver un autre site pour accueillir ce Cada qui allait s'installer dans notre commune.
Nous avions, au sud de la commune, une ancienne colonie en friche. Elle comportait deux bâtiments et une petite maison, situés à côté d'une école maternelle et primaire et de la forêt de la Pierre attelée. Ayant gardé les coordonnées d'un représentant de l'association Aurore, qui gère les Cada au niveau national, je l'ai appelé pour lui parler de ce site, en lui demandant si sa situation, à côté d'une école maternelle et primaire, pouvait poser problème. Il m'a répondu que la présence d'une école ne posait, bien sûr, pas de difficulté.
Deux semaines après, il m'a rappelé pour m'informer qu'il venait visiter, avec toute son équipe, le site de la Pierre attelée. Ils l'ont validé. En effet, ce site présentait l'avantage de disposer de deux bâtiments et d'une maison, contrairement à beaucoup de Cada actuels en France, où il n'y a qu'un seul bâtiment, ce qui rend difficile d'accueillir des femmes et des enfants, mélangés à des hommes seuls. L'existence de ces bâtiments faciliterait donc l'accueil des familles. Ils ont donc validé le site et les travaux, de même que l'État. Les travaux pouvaient donc démarrer très rapidement, en avril 2022.
La première difficulté pour ce Cada, qui correspondait, tout simplement, à une délocalisation dans un autre quartier, c'est que l'État et ses représentants ne souhaitaient ni communiquer ni informer les habitants. Ils ont laissé la municipalité s'en charger, alors que c'était pourtant un projet de l'État. Nous avons donc organisé une réunion avec les parents d'élèves, la directrice de l'école et les différentes associations dont une qui, au sein de l'école, gère les accueils de loisirs sans hébergement. Nous les avons réunis de façon à les informer de ce projet le 5 octobre 2021, en mairie. Dès le lendemain, parce que nous savions bien que la nouvelle allait se diffuser à toute vitesse, nous avons distribué un flyer dans tout le quartier. Nous avons également publié des messages sur les réseaux et sur le site de la commune, ainsi que dans le bulletin hebdomadaire d'information Brév'Infos, sans oublier le magazine municipal de novembre-décembre 2021 et répondu pour l'écriture de nombreux articles de presse. Tout se passait alors bien, mais c'était la municipalité qui annonçait la nouvelle et qui a été chargée de l'expliquer à la population.
Au début de l'année 2022, nous avons constitué des groupes de travail, notamment avec l'association Aurore et le constructeur CISN, qui était chargé des travaux pour réhabiliter ce site et construire le Cada. C'est là que nous avons commencé à apercevoir quelques parents d'élèves et riverains qui contestaient un peu ce site, vu qu'il était à proximité de l'école. Ils ont créé le « Collectif pour la préservation de la Pierre attelée » et ont lancé une pétition, qui n'a fait que peu de bruit et dont le nombre de signatures n'a presque pas monté. Le permis de construire a été délivré à CISN le 10 janvier 2022. Le 7 février 2022, notre conseil municipal a validé à l'unanimité la vente du terrain à l'association Aurore. Le Collectif pour la préservation de la pierre attelée a déposé un recours gracieux contre le permis le 9 mars 2022, que nous avons rejeté le 22 mars. Il n'est pas allé plus loin et n'a pas déposé de recours auprès du tribunal administratif.
Bien sûr, les panneaux de chantier ont été régulièrement dégradés. En septembre 2022, les travaux ont débuté. Le 15 octobre 2022, une première manifestation, organisée par ce collectif, a réuni à peu près une quarantaine de personnes, dont la majorité provenait déjà de l'extérieur de la commune : à Saint-Brévin, il y a quand même relativement peu de personnes qui sont à l'extrême, et notamment l'extrême droite.
Très rapidement, ce collectif s'est aperçu que, avec quelques personnes, il n'allait pas faire bouger la mairie, d'autant que, je vous l'ai dit, le conseil municipal avait voté à l'unanimité. Le collectif a donc fait appel directement à l'extrême droite et à tous ses groupuscules. Le 11 décembre 2022, une nouvelle manifestation a réuni une centaine de personnes, avec toujours très peu de Brévinois, devant la mairie. Il y avait également une contre-manifestation, pilotée par l'association brévinoise qui s'était créée en 2016, justement pour aider les demandeurs d'asile. Cela a été assez bien géré par les forces de l'ordre, qui ont tout fait pour éviter que les deux groupes ne se rencontrent.
Lors de mes voeux à la population, j'ai rappelé que, même s'il ne s'agissait pas à l'origine d'un projet de la municipalité, mais que la vente du terrain avait été votée à l'unanimité, toute la municipalité soutenait le projet de Cada. C'est à partir de là que les problèmes ont commencé, avec différents articles sur les réseaux sociaux, des menaces et des intimidations. De nombreux articles ont été publiés sur un site intitulé « Riposte laïque », où nous étions mis en pâture en permanence, que ce soit moi, la directrice de l'école - elle était, en plus, une nouvelle directrice, ayant débuté à la rentrée de septembre - ou la présidente de l'association des parents d'élèves. Le tout avec des photos, bien entendu. Je ne vous dirai pas, ce matin, le détail de toutes les menaces et des différentes insultes.
Cela a continué. Nous avons alerté la gendarmerie, en leur demandant ce qui ce qu'ils pouvaient faire. La réponse, je vous la répéterai souvent, c'était toujours « la liberté d'expression » : donc, « on ne peut rien faire ». Quant aux manifestations, l'idée était que, puisqu'il y avait un projet un peu similaire à Callac contre lequel ils avaient gagné, à Saint-Brévin, ils allaient continuer à faire monter la pression.
J'ai reçu, à deux semaines d'intervalle, des tracts dans ma boîte aux lettres personnelle - pour bien montrer qu'ils savaient où j'habitais. Des tracts que je qualifierais d' « ignobles ». Je ne sais pas si vous vous souvenez, en 2004, un petit garçon, qui était dans une colonie à Saint-Brévin, avait été enlevé et retrouvé tué dans une mare à Guérande. Cela n'avait strictement rien à voir avec les migrants. Dans ce tract, j'avais la photo de ce petit garçon, avec un rappel de l'histoire. En dessous il était marqué : « Voilà ce qui risque de se passer à Saint Brévin avec 110 migrants » La semaine suivante, la même chose, avec la photo d'une petite fille. C'était encore plus horrible, parce qu'ils mettaient la photo « avant » et « après », toujours avec ce même discours, alors que cela renvoyait à une histoire qui ne s'était même pas passée en France. Voilà le type de tracts que j'ai reçus. Bien entendu, on a transmis cela à la gendarmerie. Toujours la même réponse : « liberté d'expression ».
Le 23 janvier, j'ai envoyé un courrier au préfet pour lui dire tout ce qui se passait, particulièrement toutes ces menaces. J'avais notamment reçu celle-ci : « ce ne sera pas une tarte à la crème, mais une tarte au plomb » Mon courrier au préfet avait pour objet de demander un soutien de l'État parce qu'on se sentait, au niveau de la commune de Saint-Brévin, démunis, seuls. Le courrier est revenu sans réponse.
En février 2023, nous avons organisé, comme à chaque fois en début d'année, l'accueil des nouveaux Brévinois. Bien entendu, on a retrouvé quelques membres du collectif, qui harcelaient les personnes qui ressortaient, avec également la distribution d'un tract haineux. Les personnes qui ne souhaitaient pas prendre leur tract étaient insultées. Ils ont aussi distribué, à plusieurs reprises, des tracts sur le marché de Saint-Brévin. Et le pire : ils ont distribué, un jour, des tracts à l'entrée de l'école. Saint-Brévin est une commune très plate, où tout est fait pour faire du vélo. Nous avons donc beaucoup d'enfants qui se rendent à l'école, notamment en primaire, à vélo, sans toujours être accompagnés par leurs parents. Et ce collectif a distribué ses tracts, bien entendu aux parents qui accompagnaient les enfants, mais également aux enfants qui venaient seuls. En fait, les tracts étaient mis directement dans leur cartable. Nous l'avons signalé à la gendarmerie, qui était présente sur les lieux, mais qui ne les a pas empêchés de distribuer ce tract. Elle les a laissé faire.
Beaucoup de parents d'élèves se sont aussi sentis menacés puisque, par l'association de parents d'élèves, ils avaient récupéré les adresses mail des parents et ont harcelé, dans leur boîte mail, tous ceux qui ne les suivaient pas. Nous avons donc organisé, le 27 janvier, une réunion avec les parents d'élèves pour essayer de rassurer un peu tout le monde. Nous avons convoqué, à cette réunion, un lieutenant de gendarmerie, pour que les personnes se sentent rassurées et puissent lui poser toutes leurs questions. Mais la réponse était toujours la même : de toute façon cela ne sert à rien de déposer plainte, nous ne ferons rien, c'est la liberté d'expression. Le tract : liberté d'expression, on ne peut rien faire contre.
Le 7 février 2023, le conseil municipal a été envahi par les membres de ce collectif : encore une fois, très peu de Brévinois, surtout des personnes extérieures. Nous avions prévu de faire voter une motion pour condamner les menaces sur les différentes personnes, que ce soit les élus, les membres de l'association des parents d'élèves et la directrice de l'école. Cette motion a été, bien entendu, votée à l'unanimité. Pendant ce temps, toutes ces personnes assistaient à ce conseil municipal. Nous avions quand même prévenu la gendarmerie, en cas de coup de chaud, de façon à pouvoir les évacuer, mais je pense qu'ils n'attendaient qu'une chose : que je demande le huis clos. Comme ils n'ont fait aucun bruit, ils sont restés et ont assisté à toute la réunion du conseil municipal, je n'ai pas pu les évacuer.
Une autre réunion a été organisée trois jours après, le 10 février, avec le commandant de gendarmerie qui commande tout pays de Retz, notamment les gendarmeries importantes de Saint-Brévin et de Pornic. Nous avions également convié le sous-préfet à cette réunion, à laquelle j'étais avec ma première adjointe qui, elle aussi, avait pris pas mal de coups par Riposte laïque, et mon adjointe aux affaires scolaires, qui puisqu'elle s'occupait des écoles, avait aussi été confrontée à ce collectif. Lors de cette réunion, nous avons rappelé au sous-préfet tout ce qui s'était passé. Et je peux vous assurer qu'on a été très surpris : le sous-préfet nous a tout simplement dit : « Les menaces, vous savez, j'en ai tous les jours » Le commandant de gendarmerie nous a dit que ce n'était pas grand-chose, simplement des menaces, de l'intimidation, et que cela ne servait à rien de déposer plainte. De toute façon, il ne pourrait rien faire : c'était la liberté d'expression.
On a toujours entendu ce leitmotiv de liberté d'expression, aussi bien par la gendarmerie que par le sous-préfet. Quand ils sont repartis de cette réunion, avec mes deux adjointes, nous étions un peu dépités, un peu choqués, en fin de compte, par ce que nous avions entendu. C'est alors là que nous nous sommes aperçus que nous nous retrouvions totalement démunis, seuls, abandonnés par les services de l'État, et que nous allions devoir continuer à affronter la montée en puissance de ce collectif. En fin de compte, il ne représentait même plus Saint-Brévin, mais toute l'extrême droite et ses groupuscules.
À la suite de cette réunion, le 15 février, j'ai envoyé un courrier à la procureure de la République pour dénoncer tous ces faits. Nous avons repris toute la liste, toutes les menaces, toutes les insultes, tout ce qui s'était passé. Nous avons aussi rappelé le manque de soutien de l'État. Nous n'avons reçu aucun courrier de retour de la procureure.
C'est important, toute cette chronologie, c'est peut-être un peu long, mais cela vous permet de voir comment cela s'est passé.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - C'est utile.
M. Yannick Morez. - Le 25 janvier 2023, dans l'après-midi, a été organisée, par le même collectif, une manifestation. Voici la manipulation : parmi ceux qui déclaraient la manifestation, très souvent, il y avait un Brévinois et deux autres personnes qui étaient en dehors de Saint-Brévin. 250 personnes sont venues et ont bloqué la ville, les commerces et ont causé des dégâts, puisque, bien entendu, qui dit manifestation d'extrême droite dit, en face, une ultragauche qui appelle à venir, tout simplement pour se taper dessus. On n'avait jamais vu ça à Saint-Brévin. Le matin, avait été organisée, par les associations qui soutiennent le projet, une contre-manifestation, qui avait réuni pratiquement 1 300 personnes. Elle avait eu lieu le matin pour éviter la confrontation avec les agressions de l'extrême droite et de l'ultragauche.
Le 18 mars avait lieu la cérémonie publique de commémoration de la catastrophe du Boivre. Saint-Brévin fait partie de la poche sud de Saint-Nazaire. Dans cette catastrophe, en 1945, une vingtaine de personnes sont décédées dans une explosion. Il y a donc un monument autour duquel on fait chaque année cette commémoration. Je suis à chaque fois présent à toutes ces cérémonies patriotiques, et les gendarmes sont prévenus. Ce 18 mars, après la cérémonie, il y avait un verre de l'amitié, justement, puisque ce n'est pas très loin, dans une salle de l'école de la Pierre attelée. Et je les ai vus arriver. Je me suis trouvé entouré par six ou sept membres de ce collectif, je ne pouvais même pas partir. Il y a eu des échanges. Durant l'entretien, ils m'ont demandé d'essayer de les aider à obtenir un rendez-vous avec le préfet. Je me suis donc engagé à le faire. À plusieurs reprises, certains m'ont demandé si je dormais bien et ils m'ont même raccompagné jusqu'à mon véhicule. C'était le 18 mars.
Le 22 mars, dans la nuit, entre 4 heures et demie et 5 heures du matin, j'ai été victime d'un attentat criminel. Un engin explosif a probablement été lancé ou mis entre mes deux véhicules, qui ont pris feu. L'incendie s'est propagé à mon domicile. Nous étions dans la maison. Heureusement, nous avons été réveillés par les bruits et par trois personnes qui revenaient de leur travail chez Airbus à Saint-Nazaire. Voyant les flammes, elles ont appelé les pompiers, qui nous ont aidés à sortir de la maison, puisque tout était en train de brûler. Le jour de l'incendie, ce mercredi 22 mars, j'ai eu, bien entendu, plusieurs coups de fil. J'ai eu un coup de fil de la procureure, qui m'a appelé pour m'apporter son soutien. Elle n'avait toujours pas répondu au courrier précédent. J'ai eu un coup de téléphone de le sous-préfet, qui m'a aussi apporté son soutien. Et puis un appel téléphonique également dupréfet des Pays de la Loire, Fabrice Rigoulet-Roze, qui était préfet depuis assez peu de temps, et qui m'a également apporté son soutien.
Deux jours plus tard, le vendredi, lors d'une interview avec la presse, j'ai essayé de dire ce manque de soutien de l'État. Seulement, j'ai été coupé par la presse, ce passage n'a pas été diffusé. De colère, j'ai donc envoyé un courrier à Olivier Véran. Il m'avait appelé le jour même, c'est le seul ministre à l'avoir fait. J'ai donc décidé de lui écrire, en envoyant une copie de mon courrier à Gerald Darmanin, au préfet, au sous-préfet et, également, au Président de la République. Deux jours après l'incendie, le sous-préfet est allé couper un ruban à Pornic. Pour ceux qui ne connaissent pas, pour aller à Pornic, quand on vient de Saint-Nazaire, on franchit la Loire par le pont, donc on traverse obligatoirement ma commune de Saint-Brévin. Cela aurait été moindre des choses, un peu d'humanité, qu'il s'arrête dans la commune pour me demander des nouvelles. Eh bien non, il ne s'est même pas arrêté, il est allé couper son ruban à Pornic.
J'ai alors reçu un courrier d'Olivier Véran qui ne répondait pas aux questions que je lui transmettais dans le mien. J'ai également reçu un courrier du Président de la République, Emmanuel Macron, qui m'assurait de son soutien. Mais, bien entendu, il ne répondait pas non plus aux questions de mon courrier, justement sur le fait qu'il n'y avait eu aucun soutien de l'État.
Le 4 avril 2023, j'ai également été auditionné par la commission des finances de l'Assemblée nationale sur la loi sur l'immigration. Cette audition avait été prévue avant l'incendie. Je me suis retrouvé en visioconférence avec le maire de Bélâbre, à qui on a aussi imposé un Cada, mais il a, lui, la chance d'avoir un soutien du sous-préfet et du préfet. On a pu discuter ensemble : il était surpris du fait que je n'avais vraiment aucune relation avec le préfet et le sous-préfet, alors que lui les avait pratiquement tous les jours au téléphone.
Début avril, on a reçu une lettre du maire de Fameck, un courrier officiel. C'était une lettre d'insultes : vous l'imaginez bien, j'ai trouvé cela un peu curieux, venant d'un collègue maire. Nous l'avons donc appelé : en fait, c'était tout simplement une usurpation d'identité. Quelqu'un de sa commune avait pris du papier à en-tête, avait recopié sa signature avec le cachet et une enveloppe de la commune, et cela m'avait été adressé. Bien entendu, il a déposé plainte aussitôt.
Le 7 avril, j'ai écrit au sous-préfet pour lui demander une protection renforcée, puisque sur les réseaux sociaux commençait à circuler l'organisation d'une nouvelle manifestation prévue pour le 29 avril. Vu ce qui s'était passé, je n'avais pas envie de subir de nouveau des violences. Le sous-préfet m'a répondu le 13 avril qu'il allait faire une évaluation des risques sur ma personne. Voilà la réponse que j'ai eue ! Et puis, pas de nouvelle. Il a donc fallu que je le relance par mail le 25 avril. Le sous-préfet, le 28 avril, donc la veille de cette manifestation, m'a répondu que l'évaluation des risques était toujours en cours. Elle l'est encore actuellement...
Le 7 avril, j'ai été invité au Pouliguen par notre ami Joël Guerriau, qui organisait une réunion sur les violences envers les élus, justement pour expliquer la situation et pour évoquer une nouvelle fois auprès du sous-préfet, qui était présent à cette réunion, le manque de soutien. Deux collègues maires étaient également présents, dont ma collègue maire de Vue, une commune à proximité de Saint Brévin, dont le jugement de son prédécesseur, qui la harcelait en permanence, a eu lieu en début de semaine - il a été condamné.
Pour cette manifestation du 29 avril, nous étions aperçus, sur les réseaux sociaux, qu'était appelée à manifester, comme ce que nous avons vu à Paris ces derniers jours, toute une formation néonazie de Rennes. Plus de 100 personnes devaient venir à Saint-Brévin. On annonçait également, bien entendu, la présence de toute l'ultragauche du pays de Retz et de la région nantaise, qui appelait aussi à manifester, tout simplement pour venir se taper dessus. Le 17 avril, j'ai fait un courrier au préfet en lui précisant toutes ces informations pour lui dire que la manifestation allait entraîner des troubles à l'ordre public et lui en demander l'interdiction. Pas de réponse.
Le 25 avril, nous avons fait une relance. La veille de la manifestation, le sous-préfet m'a envoyé un mail disant qu'il ne pouvait pas l'interdire pour des raisons juridiques. Je l'ai reçu le matin. L'après-midi, on découvrait que le préfet de Paris interdisait la manifestation autour du Stade de France. Deux poids, deux mesures. Même s'il y a eu un recours s'agissant de la manifestation francilienne, nôtre préfet ne pouvait pas l'interdire juridiquement. Quelques jours après la manifestation, j'ai bien sûr renvoyé un courrier au préfet lui disant ce qui s'était passé. Nous l'avions averti. C'était le week-end de trois jours du 1er mai.
La ville de Saint-Brévin et ses commerces ont subi des dégradations. On est une station balnéaire, beaucoup de monde s'y promène, et un grand nombre de nos commerces de centre-ville ont été obligés de fermer pratiquement toute la journée. Les dégradations, cela a également fait peur à beaucoup de Brévinois : dans une petite commune normalement tranquille, quand vous voyez arriver 100 jeunes cagoulés et tout de noir vêtus dans le centre-ville, vous rebroussez chemin. Une voiture et des poubelles ont brûlé, il y a eu pas mal de dégâts. Dans ce courrier, j'indiquais donc également au préfet qu'on allait répertorier toutes ces dégradations, et qu'on allait lui envoyer la facture. Nous savions très bien qu'il n'y participerait pas, mais c'était purement symbolique. On allait également faire chiffrer le manque à gagner par nos commerçants qui ont été obligés de fermer. Bien entendu, je n'ai reçu à ce jour aucune réponse à ce courrier. Il n'y a même pas eu d'arrestation, que ce soit d'un côté ou de l'autre, de l'ultradroite ou de l'ultragauche, rien. Ces manifestants sont repartis tranquillement chez eux après avoir cassé.
J'ai eu le rapport de la gendarmerie : 98 grenades lacrymogènes ont quand même été lancées. Dans une petite ville comme la mienne, cela paraît phénoménal. J'ai écrit, le 30 avril, au préfet pour lui dire son absence de soutien et lui demander le remboursement de tous ces dégâts.
Voyant cela, j'ai eu une longue discussion avec ma famille. Vous imaginez que c'est très difficile de continuer à vivre ça. Il y a deux semaines, lors du week-end du 8 mai, mon fils, qui habite Paris, est venu passer trois jours à Saint-Brévin. Nous étions à la terrasse d'un café le dimanche midi, donc en public. Une personne de ce collectif, qui avait bien entendu des idées d'extrême droite, s'est dirigée vers moi. Je l'avais vu arriver, mais j'avais tourné la tête pour ne pas le fixer du regard. Il est venu directement vers nous en m'insultant, en me disant : « t'as pas fini de foutre le bazar à Saint-Brévin avec tes migrants ? ». Tout en continuant à m'insulter, il a essayé de faire croire à tout le monde que c'était moi-même qui avais mis l'incendie à mes deux véhicules et à ma maison. Il a fini par partir.
J'ai donc relaté cet épisode à la presse pour expliquer pourquoi on ne voulait plus vivre ça. Ma femme ne veut pas non plus rencontrer ce genre de personne. C'est donc la raison pour laquelle j'ai décidé de démissionner de ma fonction d'élu et de quitter cette ville, qui m'avait accueilli il y a trente-deux ans.
J'ai envoyé ma démission au préfet le mardi qui a suivi. Il m'a appelé le lendemain. Nous avons discuté. Je lui ai dit que je n'avais pas senti le soutien de l'État, sa réponse a été que si, il m'avait soutenu. Lorsqu'il y a eu des manifestations, il avait tout fait, avec trois compagnies républicaines de sécurité (CRS) pour éviter les dégâts. Il avait envoyé également un sous-préfet d'astreinte, et la procureure était présente sur site. « J'ai agi » : voilà sa réponse.
Le préfet a écrit dans la presse qu'il m'avait eu régulièrement au téléphone... Il faut savoir que ce jour-là, après que j'ai remis ma démission, c'était la deuxième fois que je l'avais au téléphone. La première était le jour de l'incendie. Quant au le sous-préfet, je l'ai eu au téléphone, comme je vous l'ai dit, le jour de l'incendie. Depuis, plus jamais.
Voilà la chronologie de tout ce qui est arrivé. C'est pour cette raison que le manque de soutien de l'État que j'ai évoqué est flagrant. Surtout, quand je vois tous les messages de soutien que j'ai reçus.
Il y a quand même des Cada qui s'implantent un peu partout. Je m'aperçois que mes collègues maires ont des relations importantes avec les préfets et les sous-préfets, qui viennent faire des réunions publiques pour expliquer ce que c'est qu'un Cada à la population. Alors que nous, nous n'avons pas eu ce genre de choses.
Un autre fait également désolant : vous avez dû voir la communication du préfet après ma démission. Je ne m'attendais pas à ce que cela fasse de tels remous. Quand il dit qu'il a organisé des réunions publiques... De la part d'un préfet, mentir effrontément en public, c'est quand même important. Il représente l'État. Il sait très bien qu'il n'a pas organisé de réunions publiques, on a toutes les preuves. Il suffit de lui demander la date, il ne pourra pas en fournir. Il n'en a pas fait.
Donc voilà, résumée chronologiquement, toute mon histoire à Saint-Brévin. Ce qui est amusant, parce que je pense qu'il y a dû y avoir des retombées, c'est que certains ont dû se faire taper sur les doigts. Je vous ai raconté l'histoire avec ma famille, il y a deux semaines, et je l'ai raconté à la presse pour expliquer pourquoi je souhaitais quitter la commune. La gendarmerie m'a appelé en disant que je n'avais pas déposé de plainte... J'ai donc porté plainte. Ces jours-ci, ils ont même entendu ma femme, qui était présente hier également, et qui a porté plainte. Et je me suis aperçu, en allant signer ma plainte hier à la gendarmerie, qu'ils étaient en train de travailler sur les tracts haineux. D'un seul coup, maintenant, on peut faire quelque chose...
C'est aussi le cas pour le directeur de publication du site « Riposte laïque ». Quand on le leur avait dit, on nous avait répondu que c'était un site, qu'on ne pouvait rien faire. On a appris qu'ils étaient en train de monter tout un dossier pour le transmettre au procureur. Sur d'autres choses également, notamment sur les tracts que j'ai reçus, c'est pareil, ils sont en train de monter tout un dossier. C'est curieux... Des mois après, il a fallu qu'il arrive quelque chose pour que, d'un seul coup, on prenne conscience que rien n'avait été fait et que la liberté d'expression avait ses limites. Maintenant, cela bouge, mais un peu trop tard, je pense. (Mmes et MM. les sénateurs applaudissent.)
M. Mathieu Darnaud, rapporteur de la mission d'information sur l'avenir de la commune et du maire en France. - Je vous apporte à mon tour mon soutien et vous remercie de votre propos, poignant et désarçonnant. Ce sujet, la confrontation des élus à la violence, est au coeur des travaux de notre mission d'information. Nous imaginons ce que vous avez dû revivre en nous relatant ces faits.
Vous avez fait état de l'ensemble de vos saisines des autorités de l'État, préfet et sous-préfet. Ce n'est que récemment que la gendarmerie vous a invité à porter plainte. Aviez-vous déposé une main courante ? Était-ce le cas d'autres élus municipaux ?
Vous avez aussi mentionné une confrontation directe entre les habitants de votre commune et des membres du collectif, qui vous ont interpellés. Y a-t-il eu un contact avec le préfet à la suite de cet épisode ? L'État a-t-il cherché à entrer en contact avec ces personnes, notamment pour expliquer les raisons de la décision relative au Cada ?
Enfin, au-delà des témoignages de sympathie et de soutien, avez-vous fait une demande de soutien psychologique ? En avez-vous ressenti le besoin, notamment face au sentiment de solitude ?
M. Jean-François Rapin. - Bravo pour votre expression des choses, dans le calme, alors qu'on ressent en vous une émotion très forte, celle de quelqu'un qui a été bafoué. Vous exercez une noble profession, qui se raréfie parfois. En tant que confrère médecin, quel a été le ressenti de votre patientèle ?
Ensuite, je me souviens d'une question de Laurence Garnier, en séance publique, sur votre problème particulier : en avez-vous eu un retour ? Votre député, élu de la majorité, est-il intervenu sur ce sujet ? On peut s'étonner qu'il n'y ait pas eu un soutien plus fort.
Je constate, en tout cas, que nous sommes face au tonneau des Danaïdes à tous les niveaux : sécurité, probité, justice. Vous n'avez eu aucune réponse, et le château de cartes s'est écroulé avec votre démission.
M. Philippe Bas. - Je suis profondément indigné par les défaillances qui émaillent votre chronologie méthodique, d'autant plus que voilà maintenant cinq ans, après la mort brutale du maire de Signes, Jean-Mathieu Michel, notre consultation auprès des maires de France a révélé l'ampleur du phénomène, à la suite de laquelle nous avons formulé des recommandations dont certaines ont été reprises dans la loi.
La démocratie repose sur le fait que tout citoyen puisse devenir maire. Cependant, il n'y a pas d'école des maires. Nous demandions donc que, à chaque menace, insulte ou agression, soit immédiatement créée une cellule de crise pilotée par le préfet, demandant elle-même les poursuites pénales, afin que le maire ne soit pas seul. Les préfets et les procureurs de la République avaient reçu, à l'époque, des instructions ministérielles. Or nous constatons que nous restons à la situation antérieure. Ce n'aurait pas dû être à vous de prendre des initiatives, d'autant que l'État était concerné au premier chef, avec la création d'un Cada. C'est scandaleux de bout en bout.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - J'ai entre les mains les deux courriers de réponse du garde des Sceaux et du ministre de l'Intérieur, datés du 7 avril et du 6 mai 2021. Ces engagements sont manifestement non tenus.
M. Loïc Hervé. - Nous sommes stupéfaits. Il y a une dizaine d'années, là aussi pour la mise en place d'un Cada, je m'étais retrouvé dans une sitution similaire, et j'avais bénéficié d'un soutien bien plus important du préfet et de la gendarmerie face à une situation qui mettait ma famille en danger.
Au-delà du manque de soutien, la non-association d'une ville comme la vôtre aux décisions touchant à l'accueil des demandeurs d'asile ne vous place-t-elle pas dans le mauvais rôle ? Cela vaut pour cette politique comme pour d'autres. Les lois reposent sur des êtres humains chargés de les appliquer : il faut un bouleversement de l'administration déconcentrée de l'État.
Enfin, j'ai une dernière question : votre décision est-elle irréversible ?
M. Patrick Kanner. - Vous êtes devenu un symbole défendu, à juste titre, par tous les maires de France. La foudre est tombée sur vous, la même que beaucoup de maires cherchent aujourd'hui à éviter. Représentant de vos concitoyens, vous êtes aussi, en tant que maire, un agent de l'État.
J'ai été choqué de lire, ce matin, que le préfet devait s'opposer à votre décision dans l'attente de votre rendez-vous de ce soir avec Mme la Première ministre. Je ne sais pas quels arguments de sa part pourraient vous convaincre de revenir sur votre décision, mais cela illustre la rupture de confiance entre le Gouvernement et les élus locaux. Avec le recul, quel message, en tant que représentants de la nation, pouvons-nous faire passer à l'exécutif ?
Je poserai une question à Mme la Première ministre sur votre situation cet après-midi, pour lui demander si elle a conscience de la situation. Dans mon département du Nord, le nombre d'élus locaux faisant part de leurs ras-le-bol est terrifiant et dangereux pour notre démocratie.
M. Hussein Bourgi. - Je souhaite exprimer trois sentiments. Tout d'abord, je vous remercie de votre présence et de votre témoignage, malgré l'épreuve que vous traversez avec votre famille, qui nous révulse. Ensuite, je me fais le porte-parole des maires de l'Hérault, qui vous apportent leur soutien et ne me parlent que de vous depuis quelques semaines. Enfin, nous sommes indignés par l'inaction de l'État : vous avez été victime d'une somme de lâcheté.
La Première ministre va vous recevoir : elle vous demandera sans doute de revenir sur votre démission. Je lui suggérerais d'abord deux annonces : vous présenter des excuses et limoger les hauts fonctionnaires censés représenter l'État dans votre département. La somme de leurs défaillances frise l'incompétence. On ne peut laisser des élus et des habitants livrés à de tels représentants.
Enfin, quelle est la nature du soutien de la part d'élus, nationaux ou locaux, dont vous avez bénéficié depuis l'annonce de la création du Cada à celle de votre démission ?
Mme Françoise Gatel. - Je veux vous dire mon admiration pour la manière dont vous vous adressez à nous, avec une sincérité et un sens des responsabilités qui nous impressionnent. Vous nous décrivez la tragédie de dérapages incontrôlés vous amenant à quitter la ville que vous servez. Nous vivons la conséquence de la faillite d'une chaîne de responsabilité, de l'abandon de l'État qui ordonne, mais laisse le maire exécuter seul.
Nous vous devrons sans doute la prise de conscience que, partout, l'État doit être à vos côtés, car vous incarnez les valeurs de la République. La preuve, vous êtes transformé en bouc émissaire de la violence et de l'abandon de l'État.
Mme Cécile Cukierman. - À mon tour, je vous apporte notre soutien, mais vous dis aussi ma stupéfaction à l'écoute de votre témoignage. Sans que cela ne change rien à ce que vous avez subi, cela ne se passe pas heureusement toujours ainsi dans d'autres départements, sans quoi bien plus de 1 000 maires auraient déjà démissionné depuis le début du mandat. Nous prenons conscience, avec votre témoignage, d'une défaillance en cascade qui nous interpelle fortement. In fine, votre vie, celle de votre famille, ne connaît pas une fin dramatique, mais tout est imaginable.
Sans polémiquer, n'y a-t-il pas eu une sous-estimation des menaces à votre égard ? Ce n'était pas le fait de quelques individus. Dans votre cas, il y avait bien une organisation et une mobilisation de l'extrême droite à votre encontre. Chaque situation est unique, mais les cas se multiplient. Quand il n'y aura plus de maire, la démocratie sera à terre.
M. Jean-Michel Arnaud. - Je crains que votre situation ne soit pas isolée. Nous recevons régulièrement des témoignages, liés à des projets spécifiques ou à une ambiance générale, dans ce pays, d'attenter aux figures d'autorité et à leurs familles. J'ai une pensée pour celle du Président de la République : ce qui est arrivé aujourd'hui est dans un contexte différent, mais de même nature.
Comment la République fait-elle face à votre situation ? Il y a dix ans, avec l'association départementale des maires des Hautes-Alpes, nous avons créé une assistance juridique, et nous sommes l'une des premières à avoir conventionné avec un psychologue pour accompagner les maires, sur ce plan. Quand le maire lâche, c'est souvent pour protéger sa famille, qui elle n'a pas choisi l'engagement de l'élu.
S'agit-il, selon vous, d'une chaîne de défaillance individuelle, ou un déficit de la réponse institutionnelle ?
Enfin, vous avez subi du harcèlement sur les réseaux sociaux de la part de groupes organisés. Qu'en pensez-vous ? Bien souvent, nous sommes à portée de connexion de tout ce qui fait que la petite République qu'est la commune est bafouée. Il faut une réponse forte au harcèlement.
M. Joël Guerriau. - Le 7 avril, lorsque j'avais organisé cette réunion autour de la violence faite aux élus, presque une cinquantaine, pour la plupart des maires, étaient présents. Cher Yannick Morez, votre présentation du tract que vous avez décrit tout à l'heure m'avait marquée : elle était le témoignage d'une violence extrême touchant nos proches. Or, c'est lorsque ceux-ci sont touchés que nous sommes amenés à une décision telle que la vôtre. Elle est difficilement réversible, car on ne peut, par son engagement, mettre sa famille en danger.
Je ne comprends pas l'absence de réaction des forces de l'ordre face à des menaces odieuses et inacceptables. Comment vos proches l'ont-ils vécue ?
Mme Catherine Belrhiti. - Je vous remercie et vous félicite pour votre courage : vous dénoncez le sentiment, devenu général chez les maires, de l'abandon de l'État. Dans mon département de la Moselle, face à une dizaine de cas similaires, la réponse de la justice est très légère. Vous souhaitez une prise réelle de conscience de l'État : j'espère que cela servira.
Le 13 avril dernier, quand je l'ai interpellée, la ministre Dominique Faure m'annonçait des mesures, mais je crois que rien n'a été fait. Cela renvoie à l'incapacité chronique de réaffirmer l'autorité dans notre pays.
La justice a-t-elle des réponses à la hauteur contre ces agresseurs ?
M. Éric Kerrouche. - Vous êtes devenu un symbole, presque à votre insu. Votre situation est difficile.
Il y a plusieurs problèmes dans votre cas, avec la recrudescence des actions de l'extrême droite et de l'ultradroite en France, à Callac, à Lille, avec le bar La Citadelle, ou encore à Lyon. Peut-on avoir trop de complaisance politique ? Ne faut-il pas réagir à ces exactions qui remettent en cause la démocratie locale, comme chez vous ?
Ensuite, cette protestation extrémiste s'est incarnée contre vous et votre équipe. Nous en arrivons à la protection et au statut des élus, pour qu'ils ne soient pas seuls face à ces situations. C'est précisément l'histoire de la solitude que vous avez décrite par rapport à un État qui n'a pas répondu comme il aurait dû le faire.
Selon vous, quelle réponse a manqué ? De quoi auriez-vous eu besoin pour affronter cette situation avant qu'elle ne déborde sur votre vie privée et votre famille ?
M. Jean-Pierre Sueur. - Ce que vous avez décrit est bien plus éloquent que de grandes déclarations, parce que nous avons vu votre vécu. Mais notre soutien n'a de sens que si les choses changent. À la mort du maire de Signes, nous disions : « Plus jamais ça ! » Que s'est-il passé ?
On ne traite pas les dossiers à cause d'une routine, entre la crise des « gilets jaunes », les manifestations contre les retraites, etc... Or face à la question du droit d'asile, honneur de la République, un racisme banal se développe très rapidement, honte pour la France. Il faut un changement de cap pour que le moindre fait soit traité, plutôt qu'un empilement des dossiers. Il aurait fallu un coup d'arrêt.
À cet égard, j'ai été frappé quand, à l'Assemblée nationale, presque tout le monde s'est levé pour vous applaudir : certains sont restés assis face à la violence faite à un maire qui applique la loi de la République, qui est d'accueillir ceux qui sont persécutés.
Cela n'aura de sens que si cette République connaît un sursaut pour agir dès le premier tract, le premier papier. Comment l'incendie n'a-t-il pas suscité de réaction plus forte ? Notre soutien est le devoir de demander le changement.
Mme Valérie Boyer. - Je vous dis à mon tour tout mon soutien. À peine élue sénatrice, j'ai entendu un ministre proposer le hashtag #BalanceTonMaire, ce qui a créé un climat particulièrement délétère.
Nous avons tous été confrontés à la violence dans nos fonctions : nous assistons à la contestation de tout ce qui ressemble à une figure d'autorité ou de réussite, pour faire plier la République. Il y a quelques semaines, sur l'initiative du président de l'association des maires et de la présidente du département des Bouches-du-Rhône, nous avons réuni tous les maires et les parlementaires du département, mais aussi les représentants de l'État. De nombreux maires y ont évoqué la question des violences : ils ont été incités à porter plainte. Or vous êtes devenu le symbole des défaillances de la République, mais aussi du courage des élus.
Pensez-vous que l'inaction est liée à l'affaissement de la réponse publique et des services publics ? Que faudrait-il pour assurer une réponse effective et efficace ?
M. Yannick Morez. - Oui, certaines personnes ont réussi à porter plainte, notamment la directrice de l'école et la présidente de l'association des parents d'élèves. En fait, on leur a demandé à tout prix de le faire parce qu'elles ne se sont pas des élues, et qu'elles devaient assumer leur rôle de directrice d'école et à l'association des parents d'élèves. Je dirais donc qu'on les a aidées, et leur plainte a été enregistrée.
Tout à l'heure j'ai dit que le collectif m'avait demandé à tout prix de les aider pour obtenir un rendez-vous avec le préfet. Il a fallu que je le relance plusieurs fois, parce qu'il n'y avait pas de suite. La veille de la dernière manifestation, j'ai reçu un mail m'informant qu'ils avaient été reçus quelques jours auparavant par le secrétaire général de la préfecture.
Vous m'avez posé plusieurs questions sur l'aspect psychologique. J'ai beaucoup de chance, car je n'ai pas du tout un tempérament anxieux. Je subis les attaques, les menaces ou les insultes sans problème. Mais là, quand même, j'ai pris un coup sur la tête, le jour où c'est arrivé. Le matin même, je me demandais si ce n'était pas un cauchemar. Quand je me suis retrouvé, à 5 heures, du matin avec mon épouse, en train de voir mes voitures et ma maison brûler... On se sent complètement démuni. En plus, à cette heure-là, les pompiers ne mettent pas de sirène pour éviter les nuisances. Je peux vous assurer qu'on trouve le temps vraiment très long.
Le soutien psychologique, je pense qu'il peut être utile. J'ai vu, au sein même de mon équipe, que cela n'a pas été facile pour tous les élus. J'ai la chance d'avoir une équipe très soudée, mais il y en a un certain nombre à qui cela faisait peur, qui ne le vivaient pas très bien. Donc j'étais là pour essayer de leur remonter le moral et de maintenir toute l'équipe. Je pense que cela aurait été plus difficile pour certaines personnes. Probablement, des maires auraient démissionné avant. Un soutien psychologique peut être proposé pour essayer de pallier ces difficultés.
Ma patientèle a été un soutien total. Bien entendu, je ne pouvais pas tout raconter : vu le manque de médecins, même dans les communes comme la mienne, on n'a pas le temps de discuter trop longtemps avec les patients. Mais il y avait quand même un soutien important, notamment au niveau de ce projet de Cada, puisque tous les Brevinois, mes patients aussi donc, ont vécu ces manifestations. En fin de compte, ceux qui y étaient opposés étaient vraiment une toute petite minorité, quelques personnes, puisque tous ceux qui manifestaient venaient hors de la commune. Lorsque la contre-manifestation a été organisée, beaucoup de Brévinois, dont certains de mes patients, y ont participé. De ce côté-là, il n'y avait pas de difficulté.
Vous m'avez posé une question importante sur le soutien ou non du député, mon prédécesseur. En 2017, c'est lui qui m'avait demandé de prendre la suite. On a eu quelques petits différends sur la commune, et en 2020, quand j'ai décidé de me représenter, il s'est inscrit sur une liste opposée. C'était son droit, bien entendu.
Le jour de l'incendie, il ne m'a pas appelé. J'ai eu droit au communiqué officiel qu'il a mis sur les réseaux. Mon prédécesseur était pharmacien à Saint-Brévin. Pendant trente-deux ans, en exerçant, j'ai eu des relations régulières avec lui jusqu'à ce qu'il arrête sa profession de pharmacien. J'achetais mes fournitures médicales dans sa pharmacie. Là, le côté humain, je ne l'ai pas vu. Il y a deux ou trois semaines, nous avons inauguré un nouvel établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) dans ma commune. Le directeur du département a pris de mes nouvelles, le vice-président du département aussi. M. le député, qui était présent et que je n'avais pas vu depuis longtemps, ne m'a même pas demandé de nouvelles. Depuis, pas un mot. Je sais qu'il est intervenu hier lors des questions d'actualité à l'Assemblée, mais bon... Je n'en dirai pas plus.
Ma décision est-elle irréversible ? Vous savez, depuis le 22 mars dernier, j'ai pris le temps de réfléchir, avec mon épouse et mes enfants, même si ces derniers ne vivent plus à la maison, de façon à ne pas prendre une décision trop rapide. Maintenant, mes enfants me disent de tout arrêter, ma femme ne veut plus rester à Saint-Brévin puisque, pour l'instant, l'auteur des faits n'est toujours pas arrêté. Elle me dit que, quand elle fait les courses, elle le croise peut-être. Ajoutez à cela ce qui s'est passé le week-end dernier, ma décision est prise et je ne reviendrai pas en arrière. J'avais un autre projet, que nous avions construit avec mon épouse, mais que nous avions prévu de réaliser en 2026, puisque j'avais déjà décidé de ne pas me représenter à l'issue de mon troisième mandat. Ce projet, nous allons l'avancer et nous allons pouvoir en profiter.
Concernant les messages à faire passer à l'exécutif, quand j'ai eu le préfet au téléphone le jour de ma démission, je lui ai parlé du manque de soutien et de l'isolement que nous avons ressentis. C'est la raison pour laquelle j'avais évoqué dans mon communiqué le manque de soutien de l'État. Ce que je lui ai dit c'est qu'il y a sûrement des choses à faire. Quand il a été nommé préfet, il aurait peut-être pu organiser, à l'échelle de la Loire-Atlantique, une réunion pour se présenter et rencontrer les différents maires. Je sais bien qu'il ne peut pas se rendre dans toutes les communes, mais vu ce qu'on subissait, il aurait pu faire en sorte qu'on ait plus de relations, ne serait-ce que par des coups de téléphone et des courriers. Il y avait probablement un gros problème de communication entre le sous-préfet, le préfet et les collectivités territoriales, alors que dans d'autres départements, ce n'est pas du tout le cas. Dans d'autres départements, il y a une vraie relation entre les maires et le préfet, surtout qu'on a souvent entendu dire que le couple important, c'était le couple préfet-maire. Le couple préfet-maire, là, on ne peut pas vraiment dire que je l'ai connu.
Si j'ai décidé d'aller jusqu'au bout et de venir devant vous ce matin, c'est parce que je n'ai pas envie que cela se reproduise. Je n'ai pas envie non plus que les autres maires qui m'ont adressé des messages et qui subissent eux aussi des violences verbales ou physiques vivent la même chose. Je crois qu'il faut que cela change. On s'aperçoit que malgré les différentes propositions de loi en lien avec ce sujet, rien n'a bougé.
Mon souhait, puisque certains ont dit que j'étais devenu un symbole, ce serait de terminer cette carrière politique en essayant d'avoir fait quelque chose et d'avoir fait bouger les lignes pour l'avenir et notamment pour les élus car on s'aperçoit quand même que les contraintes qui pèsent sur eux sont de plus en plus importantes. Qui est en contact avec les concitoyens ? C'est le maire qui est en première ligne et c'est lui qui doit défendre à tout prix les décisions de l'État. On sait très bien que ce n'est pas simple. Au tout début de mon intervention, j'ai cité le ZAN, je pense que cela va être difficile d'annoncer à certains citoyens que leur terrain n'est plus constructible et qu'on ne peut plus rien y faire.
Dans différents projets de l'État, est ce qu'il y a de la communication ? Pas forcément. Avec mon collègue Jean-Michel Brard, le maire de Pornic, nous avions organisé une conférence de presse parce que nos riverains nous disaient : « Arrêtez de bétonner, arrêtez de bétonner dans les centres villes ! », pour essayer d'expliquer justement à nos concitoyens que nous appliquons la loi. Au niveau de mon bulletin municipal, il y a aussi un dossier pour essayer d'expliquer les décisions, pour éviter d'être harcelé ou critiqué en permanence. Mais c'est vrai, il y a peut-être un manque de communication de la part de l'exécutif pour faire comprendre à nos concitoyens que ce n'est pas le maire qui est responsable, que lui malheureusement est obligé de subir, de faire appliquer la loi et d'essayer de faire comprendre ces différents messages auprès des concitoyens.
S'agissant du soutien des élus, puisque je suis également président de l'intercommunalité, nous sommes relativement soudés et tous mes collègues maires étaient avec nous. Vous avez dû entendre parler de la zone à défendre (ZAD) du Carnet. Cela concerne encore une fois un projet de l'État ; douze sites qui étaient prêts pour accueillir des projets industriels, dont un dans notre intercommunalité. Cette ZAD s'est installée, ce qui a entraîné des nuisances pour nos concitoyens qui habitaient à proximité. Nous n'arrivions pas à obtenir de rendez-vous avec Didier Martin, le prédécesseur de l'actuel préfet, pour connaître la date d'évacuation de cette ZAD. Nous avons donc décidé un jour - les six maires, la sénatrice Laurence Garnier et la conseillère départementale -, de nous rendre à la préfecture à Nantes avec nos écharpes, pour obtenir un rendez-vous avec le préfet. Nous n'avons pas obtenu gain de cause et on nous a envoyé la police, pour manifestation non-déclarée. Nous sommes rentrés dans nos territoires et avons appris l'après-midi par la presse que nous serions reçus par le préfet. Nous avons eu ce rendez-vous deux semaines après.
Encore une fois, même si cela n'avait rien à voir avec le CADA, cela montre bien qu'il y avait quand même un décalage entre les élus locaux et l'État. Pour six maires, une sénatrice et une conseillère départementale, envoyer la police pour manifestation non déclarée !
Concernant la sous-estimation des menaces, le sous-préfet et le commandant de gendarmerie nous ont dit, lorsque nous les avons reçus, mes deux adjointes et moi : « les menaces, c'est rien, nous aussi nous recevons des menaces ». Nous leur avons pourtant rappelé que l'affaire Samuel Paty avait commencé par des menaces sur les réseaux sociaux ; nous avons bien vu à quoi cela a abouti. Le sous-préfet nous a indiqué que cela n'avait rien à voir. Nous avons vraiment eu l'impression de ne jamais avoir été entendus, de ne jamais avoir été pris au sérieux.
Les réseaux sociaux, c'est une véritable catastrophe, il va falloir agir. On assiste à un déchaînement de haine : certaines personnes utilisent de faux profils et attisent la haine en permanence. On se trouve totalement démunis. Bien sûr, quand ces commentaires apparaissent sur le site de la commune, on peut les enlever, mais lorsqu'il s'agit de groupes sur les réseaux sociaux, on ne peut rien faire. Cette haine et cette violence sur les réseaux sociaux sont incroyables. Une réflexion doit être menée pour bloquer ce phénomène. J'ai l'impression que ce déchaînement de haine se diffuse au niveau de la population. Certaines personnes peuvent être amenées à passer à l'acte.
Nous n'avons pas obtenu de réponse à nos multiples tentatives formulées auprès du procureur de la République, même si celle-ci m'a appelé le jour de l'incendie. La semaine suivante, elle a préféré appeler mon directeur de cabinet pour lui annoncer qu'elle ouvrirait une information judiciaire sur les menaces proférées à mon encontre, alors qu'elle n'avait pas répondu au premier courrier dans lequel nous avions listé toutes ces menaces. Donc là aussi, il y a un décalage important entre les élus et la justice.
Ceux qui sont condamnés s'en sortent bien ; cela ne les empêche donc pas de recommencer, sans compter toutes les plaintes qui sont classées sans suite. Il faut sûrement agir pour bien montrer qu'on ne peut pas faire n'importe quoi, qu'on ne peut pas insulter ou agresser verbalement ou physiquement les élus qui sont là pour faire appliquer les lois.
L'inaction publique, je crois que je l'ai démontrée. Je n'y reviens pas.
Si j'ai décidé d'aller jusqu'au bout, c'est que j'espère que les choses bougeront. Je rencontre d'ailleurs ce soir la Première ministre, Élisabeth Borne, accompagnée de Dominique Faure, ministre déléguée chargée des relations avec les collectivités territoriales et de la ruralité. Au niveau des collectivités, des actions importantes doivent être menées pour les communes et pour les élus en général. Nous ne pouvons pas continuer comme cela.
Le taux d'abstention a fortement augmenté lors des dernières élections municipales de 2020. Beaucoup de petites communes n'ont pu présenter qu'une liste. Dans la commune de Corsept en Loire-Atlantique, près de Saint-Brévin, la liste a été déposée au dernier moment. Que va-t-il se passer en 2026 ? Avoir le choix entre plusieurs listes, c'est la garantie d'avoir un débat démocratique et des échanges. J'ai bien peur qu'en 2026, dans certaines petites communes, nous n'ayons pas de liste. Il va falloir prendre en compte cette non-participation et ce non-engagement des citoyens qui craignent parfois les conséquences d'un engagement politique. Nous devons les rassurer et ne pas leur montrer que le côté négatif des fonctions.
J'ai essayé de répondre à toutes les questions. Je vous remercie de m'avoir écouté, c'était très important pour moi d'être présent ce matin pour essayer de faire passer un message.
M. François-Noël Buffet, président.- Dans ce climat général de violences et d'intimidations, il y a une urgence à agir pour les élus locaux. Je tenais également à vous informer que dans le cadre du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2017, nous entendrons bientôt le garde des Sceaux. Cette audition sera l'occasion de revenir sur les relations entre la justice et les élus locaux. Nous souhaitons poursuivre notre travail pour comprendre ce qui s'est passé et mènerons pour cela de nouvelles auditions dans les prochaines semaines.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de Mme Cécile Raquin, directrice générale des collectivités locales du ministère de l'intérieur et des outre-mer (Mercredi 24 mai 2023)
Mme Maryse Carrère, présidente. -- Notre première réunion de ce jour nous offre l'occasion d'entendre Mme Cécile Raquin, directrice générale des collectivités locales au sein du Ministère de l'intérieur et des Outre-mers.
Madame la directrice, il est important que vous puissiez nous présenter la vision de l'avenir de la commune et du maire défendue par l'État.
Au cours des derniers mois, nous avons pu faire le constat d'une crise des vocations ou d'un découragement des maires. Souvent lors de nos auditions ou de nos déplacements, les élus ont insisté sur le divorce entre les responsabilités qui pèsent sur eux et la faiblesse des moyens dont ils disposent ou de l'aide qui leur est apportée. Quelle est, à cet égard, votre analyse de la situation des communes et des maires ?
Statut renforcé de l'élu, différenciation territoriale, autonomie réglementaire, réattribution conventionnelle de compétences transférées, réinvestissement par l'État de l'ingénierie territoriale etc. Beaucoup de pistes sont évoquées et il nous sera précieux que vous nous indiquiez quelles voies vous paraissent devoir être explorées pour assurer aux communes et aux maires l'avenir qu'ils méritent.
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. -- Nous sommes allés à la rencontre des territoires et avons enchaîné les auditions. Un constat s'impose : les maires ont les plus grandes difficultés à accéder aux services de l'État territorial, dont l'organisation manque de lisibilité à leurs yeux.
Je prends l'exemple de l'accès aux dotations d'État, qu'il s'agisse de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) ou du Fonds vert. Il faut simplifier cet accès.
De la même manière, il est encore difficile pour les élus d'accéder à l'ingénierie d'État, particulièrement pour les petites communes qui ne relèvent pas des labels « Actions coeur de ville » ou « Petites villes de demain » et qui appartiennent à un département où le conseil départemental n'est pas en mesure de prendre le relais sur ce point. Comment améliorer la situation ?
Mme Cécile Raquin, directrice générale des collectivités locales (DGCL) du ministère de l'intérieur et des outre-mer. -- Votre mission d'information intervient dans un contexte de triple crise, qui appelle une réflexion globale.
La première crise est celle des vocations, puisqu'en octobre dernier, un sondage indiquait que 55 % des maires n'envisageaient pas de se porter à nouveau candidat. Même s'il faut être prudent dans l'interprétation de ce sondage, le chiffre interroge. La seconde crise est celle des démissions d'élus. Là encore, les statistiques sont difficile à interpréter, mais il semble que si le nombre de démissions de maire est en baisse par rapport à 2014, celui des démissions de conseillers municipaux est en légère hausse. En tout état de cause, ces chiffres demeurent élevés en valeur absolue. Enfin, la dernière crise est celle des violences contre les élus.
Ces crises interviennent dans un contexte où la succession de nombreuses réformes territoriales a pu dérouter les élus, notamment, l'accroissement de la taille des intercommunalités concomitant avec l'intégration renforcée de leurs compétences. Nous observons que les élus s'interrogent sur le fonctionnement des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre (EPCI). Ces difficultés ont sans doute été aggravées par la crise sanitaire du Covid-19, qui n'a pas permis à toutes les nouvelles équipes municipales d'élaborer de bonnes solutions de gouvernance en commun. La question institutionnelle reste pendante.
Comment les services de l'État peuvent-ils accompagner correctement les élus dans ces changements et, particulièrement, sur la question de l'ingénierie ?
Tout d'abord, l'État a inversé la tendance des vingt dernières années, à la baisse des effectifs départementaux déconcentrés, pour, au contraire, les renforcer. Le rééquilibrage est en cours et la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur prévoit qu'il se concentrera au plus près du terrain, dans les préfectures et sous-préfectures.
Une agence dédiée à l'ingénierie à destination des collectivités territoriales a été créée : l'agence nationale de cohésion des territoires (ANCT). Elle accompagne 1 500 projets et assure le co-financement de 2 200 chefs de projets, pour les programmes « Action coeur de ville », « Petites villes de demain » ou « Territoires d'industrie ». Ce sont autant d'effectifs réinjectés par l'État sur le terrain.
Comment aller plus loin ?
Il est souhaitable, comme le recommande le Sénat, que l'ANCT devienne le guichet unique de la demande d'ingénierie. Il est vrai que parfois, le préfet, qui a la double casquette de représentant de l'État et de délégué territorial de l'ANCT, a manqué de visibilité dans ce dernier rôle.
Il faut ensuite coordonner l'offre d'ingénierie qui peut émaner de l'État, de l'ANCT et des collectivités territoriales - les départements et les intercommunalités sont investis sur le sujet. Les comités locaux de cohésion de territoriale peuvent être un bon outil pour assurer cette coordination, puisque que tous y sont représentés. Mais il faut que les préfets les réunissent, les animent et en fassent le lieu de la discussion, du partage des ingénieries existantes et de la codécision, afin d'éviter le reproche parfois fait à l'ANCT de substituer son ingénierie à celle, déjà existante, des collectivités territoriales.
On peut se féliciter des trois dotations financières d'État, DSIL, DETR et Fonds vert, qui représentent quatre milliards d'euros d'investissements pour les projets locaux. Des simplifications sont envisageables car leurs règles d'instruction et leurs calendriers sont différents. En revanche, que leurs priorités soient différentes, n'est pas en soi un problème. Si tel n'était pas le cas, elles risqueraient d'être fusionnées et rabotées.
Mais il faut harmoniser les calendriers et les procédures. Nous y sommes favorables et nous tenons à la disposition des administrations qui gèrent le Fonds vert afin d'y travailler. Ceci permettrait d'arriver à un formulaire unique pour l'élu, qui lui rende transparentes les contraintes administratives d'articulation entre ces procédures. Ces contraintes tiennent à la nouveauté de ces mécanismes, fortement dotés, ainsi qu'au fait qu'ils ont dû être mis en place à effectif constant. On peut d'ailleurs se réjouir que les services de l'État soient parvenus à distribuer quatre milliards d'euros, dans des délais très courts, avec le même nombre d'ETP. Ces dotations rencontrent un grand succès et les autorisations d'engagement seront toutes consommées en 2023.
La dernière piste de réforme, portée par Mme la ministre Dominique Faure, qui s'ajoute au renforcement que j'ai évoqué de l'ingénierie d'État au niveau de l'ANCT, tient au renforcement direct, au sein des sous-préfectures, de l'ingénierie au service des collectivités.
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. -- Je vais vous donner quelques exemples de dysfonctionnements.
Sur la question du maintien de trois dotations d'investissement distinctes, je vous mets au défi de trouver un département en France où le préfet n'a pas substitué, pour un projet, une enveloppe à une autre. Pourquoi ne pas tout regrouper une seule dotation ? Aucune petite commune n'a bénéficié du Fonds vert. Vous dites -et vous n'êtes pas la seule- que le risque à fusionner est que l'enveloppe soit rabotée. Mais cet argument ne peut être entendu.
Lors du débat sur la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (3DS), nous avons dû nous battre longuement pour obtenir que le préfet de département, qui instruit la demande de DSIL, soit autorisé à la notifier à la place du préfet de région ! Nous en sommes à ce degré de complexité et quand nous, sénateurs, tentons de l'expliquer aux élus des territoires, nous sommes mal accueillis, car ils ne comprennent pas que le législateur ne mette pas bon ordre dans ces procédures.
Sur l'ingénierie d'État, pourquoi multiplier les canaux ? Lorsque l'ANCT a été créée, tous les ministres défendaient l'idée d'un outil agile, créateur de liens. Mais quand nous prêchons pour un rapprochement -sans même évoquer une fusion- la discussion devient très difficile.
Enfin, pour assurer une meilleure coordination de l'action de l'ANCT dans les territoires, le législateur a fait du préfet le délégué départemental de cette agence. Mais, lors de notre déplacement dans les Vosges, nous nous sommes aperçus que le poste du sous-préfet de Neufchâteau, chargé de cette responsabilité, était vacant depuis six mois ! Un préfet de région nous a avoué que l'ANCT était une bonne chose, mais qu'elle n'était pas identifiée ni visible pour les élus.
Nous avons le sentiment d'une perte en ligne d'efficience de l'ingénierie d'État, qui cause du découragement à des maires, aux prises, par ailleurs, avec de nombreuses difficultés. Ces derniers ont l'impression que la tendance est à toujours plus de concentration dans des intercommunalités toujours plus grandes. Bien sûr, il y a plusieurs causes au découragement des maires, mais il ne faut pas ignorer celle-ci. Lorsqu'on leur en parle, les ministres répondent qu'ils mettent plus d'argent sur les territoires, mais la question n'est pas là. Ce que nous réclamons, c'est plus d'efficience dans l'organisation des services de l'État sur le territoire. Ne pas être entendu sur ce sujet est source de frustration.
Mme Catherine Belrhiti. - Mon département compte 525 communes. Le lancement du Fonds a suscité l'enthousiasme, mais l'usine à gaz de son organisation a provoqué une panique générale, du côté des élus comme du côté de l'administration. Il a fallu convertir des dossiers montés sur la DETR en dossier Fonds vert. Les préfectures ont tenté d'aider, sans y parvenir et, parfois, le projet a été refusé parce que l'enveloppe de crédits avait déjà été consommée...
Il ne faut qu'une porte d'entrée, qu'un dossier unique. Facilitons la vie des maires. La complexité des demandes de subvention est l'une des premières causes de démissions des élus. Dans le Grand-Est, 90 % des communes ont moins de 2 000 habitants : le maire a un métier en plus de son mandat et ne dispose d'une secrétaire de mairie qu'à temps partiel.
M. Jean-Marc Boyer. - Madame la directrice, je vous ai trouvé très optimiste dans votre présentation.
En matière d'ingénierie, dans les territoires, les maires se tournent plus facilement vers l'offre des conseils départementaux que vers l'ANCT. Pour pallier le défaut de l'État, nombre de départements - c'est le cas du Puy-de-Dôme- ont mis en place une structure d'ingénierie à destination des communes, à laquelle elles cotisent et qui fonctionne bien parce qu'elle leur rend un vrai service.
Sans revenir sur la question de la DETR, j'observe que les parlementaires, pourtant président ou vice-président du comité qui la répartit n'y ont qu'un rôle limité. Je regrette à cet égard la suppression de la réserve parlementaire et son remplacement par le fonds pour le développement de la vie associative (FDVA).
Par ailleurs, nous manquons de crédits DETR pour satisfaire toutes les communes, mais je constate que parfois, les crédits ne sont pas consommés, faute pour les communes d'avoir signalé à temps un retard ou d'avoir déposé leur dossier.
Il y a deux sortes de maires depuis les dernières élections municipales. Les maires expérimentés et les nouveaux maires, qui sont ceux qui souffrent le plus des contraintes administratives et ont besoin d'accompagnement, de formation et de soutien de l'État. Où sont les 2 200 renforcements d'effectifs de l'État que vous avez évoqués ?
Mme Anne Chain-Larché. - Je partage les propos de mes collègues. La réserve parlementaire est un vrai sujet.
L'État est impécunieux. Il en résulte des déconvenues, pour les communes, sur les aides qu'elles peuvent attendre de lui. Ainsi, il est parfois très difficile d'obtenir de la part des directions régionales des affaires culturelles le paiement des crédits qu'elles ont pourtant notifiés ! Et c'est au maire que les entreprises qui ont effectué les travaux présentent la facture, pour être payées.
Les maires ont le sentiment qu'avec les programmes « Action coeur de ville » ou « Petites villes de demain », on leur a vendu du rêve. Mais qui paye ? Ce n'est pas l'État qui a seulement financé l'expertise et le chef de projet. Ce sont les collectivités territoriales. En dépit des renforcements d'effectifs que vous avez annoncés, il est très difficile, faute de financements, de réaliser les projets envisagés.
Il faut être plus pragmatique : se réunir en début de mandatet indiquer quels projets seront financés par la DETR. Aujourd'hui on évoque seulement des fourchettes de dotation. Dans ce contexte incertain, il devient difficile aux maires de se lancer dans des projets. Certes, il y a deux catégories d'élus, mais même les élus expérimentés nous rapportent que la situation se dégrade.
Enfin, quelles conséquences pensez-vous qu'aura la suppression du corps préfectoral pour les territoires, lorsque des cadres d'autres ministères rejoindront l'administration préfectorale ?
M. Didier Marie. - Mon propos rejoint ceux de mes collègues. Il y a un problème de concordance des temps : de nouveaux élus issus du dernier renouvellement, de nouvelles intercommunalités au sein desquelles certains élus n'ont pas trouvé leur place, alors que le renforcement de la compétence intercommunale dilue la compétence communale et la rend moins lisible pour les intéressés, de nouveaux dispositifs mis en place par le législateur, la crise du Covid qui a isolé et perturbé les élus. Face à ces difficultés, la solution, c'est la simplification.
Pour les dotations, il faut soit les fusionner, soit les distinguer plus fortement. Sinon, on assistera au même bricolage que maintenant, avec des préfets qui utilisent les unes pour les autres et des élus qui n'y comprennent plus rien.
Le même besoin de clarification vaut pour l'ingénierie. Il faut que les moyens humains soient renforcés. J'ai vu une des plus grandes sous-préfectures de France, Dieppe, se vider de ses effectifs, la rendant incapable de répondre aux demandes des élus. Les maires doivent trouver quelqu'un au bout du fil quand ils contactent les services de l'État.
Le rôle de l'ANCT doit être clarifié non seulement par rapport à celui des autres agences nationales, mais aussi par rapport aux agences territoriales. Quand j'étais président de conseil départemental nous avions mis en place une telle agence, sous la forme d'un syndicat mixte. Cela fonctionnait bien mais l'irruption de l'ANCT fait que les élus ne savent plus à qui s'adresser et que le département s'interroge sur l'opportunité de maintenir ou non son dispositif.
La multiplication des projets pour obtenir des dotations rend les élus un peu fous. Les communes moyennes disposent des services requis pour y répondre. Elles peuvent donc déceler les opportunités et présenter des projets. Mais ceci aboutit à une mise en concurrence des territoires entre eux, et ceux qui n'ont pas les moyens suffisants passent à côté. J'attire également votre attention sur les maires des petites communes, qui n'ont besoin ni de moyens importants ni de grands projets, mais seulement de petites dotations de quelques milliers d'euros pour des dépenses identifiées : remplacer un tracteur en panne, rénover les fenêtres de l'école... Or, ce type de dotation a totalement disparu, ce qui renforce l'impression de certains maires qu'ils ne peuvent plus rien faire et que cela ne sert à rien de continuer.
Mme Cécile Cukierman. - Je suis ici la plus ancienne dans le mandat de sénatrice. Or, je constate que la question de l'engagement des élus se pose aujourd'hui avec une acuité inédite. Les démissions d'élus municipaux, quelles qu'en soient les raisons, doivent nous alerter. La République ne fonctionne pas sans les maires et les élus locaux.
Il faut se garder de deux écueils : l'hyperoptimisme et l'hyperpessimisme démobilisateur. La vocation de l'engagement est présente chez les maires comme chez nos concitoyens. Mais il faut sécuriser ceux qui ont franchi le pas de l'engagement et mobiliser ceux qui le feront demain.
Par quels moyens ? D'abord en revenant sur la spécialisation des dotations, qui est peut-être abstraitement défendable dans son principe, mais qui pose de réelles difficultés pratiques. L'illisibilité de l'organisation de l'ingénierie publique décourage les élus expérimentés -qui peuvent comparer avec ce qu'ils ont connu précédemment- comme les nouveaux. Il faut également repenser la déconcentration, quantitativement, par une plus forte présence dans les préfectures et sous-préfectures, et qualitativement. Mon propos ne vise pas à dénoncer un manque de compétence des agents en place, mais il faut recentrer leur action, non sur la réponse à un droit de tirage en matière de projets, mais sur l'accompagnement au quotidien des élus, pour soulager leur charge de travail : beaucoup d'élus n'accepteront plus à l'avenir de passer leur week-end à travailler sur les dossiers. L'apport de l'ingénierie d'État est d'autant plus nécessaire qu'il n'y a pas de raison, dans toutes les communes, d'avoir un employé municipal qui possède ces compétences d'ingénierie.
Enfin, il faut parfois savoir revenir sur les lois passées - cela a déjà été fait, un peu, à l'initiative du Sénat pour certains irritants de la loi portant sur la nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe). Les lois territoriales récentes ont fragilisé les communes et conduit les élus à s'interroger sur l'utilité de leur engagement. Or, on aggrave la crise de l'engagement lorsqu'on donne aux maires le sentiment que leur action est inutile ou impossible parce que l'intercommunalité décidera à leur place ou que l'État est absent. Il faut donc redonner aux communes des moyens financiers et humains et rendre aux maires un pouvoir de faire, pour leur permettre de répondre aux besoins de la population, de fédérer une équipe autour de leur projet et d'expliquer leurs décisions à la population.
Je suis frappée du nombre d'élus qui me disent ne plus avoir d'accès aux grandes entreprises, pour la téléphonie, ou à certaines administrations, comme dans le domaine ferroviaire : on ne leur répond même plus ! Il y a là un dysfonctionnement manifeste qui renforce le sentiment d'impuissance des élus.
Mme Maryse Carrère, présidente. -- On mesure aujourd'hui les effets délétères de la fonte des effectifs déconcentrés de l'État. Le directeur du management de l'administration territoriale et de l'encadrement supérieur l'a chiffré, devant nous, à 4 700 équivalents temps plein (ETP) en dix ans. Ceci a conduit l'État à se concentrer sur le contrôle réglementaire et à abandonner l'accompagnement des élus.
Il faut retrouver de la souplesse et de l'agilité dans le fonctionnement des préfectures et sous-préfectures, en redonnant du pouvoir aux préfets de département. Est-il normal que, pour l'attribution d'une subvention à une association de 200 euros, prise sur le FDVA, la décision remonte au préfet de région ?
Soyons également vigilants à la cohérence entre les différents financeurs publics, État, région, département. Chacun veille sur son pré carré, mais il faut éviter des problèmes de sur-financement qui se révèleraient trop tard. Des guichets des co-financeurs seraient une bonne chose.
L'ANCT cofinance 2 200 chefs de projet. Leur travail est utile, mais au bout du compte, les communes disposeront-elles des financements pour mener ces projets à bien ? Il faut éviter de susciter des espoirs par les projets et de les décevoir par manque de fonds.
Mme Cécile Raquin. -- Il y a eu, par le passé, une décrue des effectifs territoriaux de l'État, mais aujourd'hui, nous sommes au milieu du gué puisque, avec l'ANCT et les programmes mis en place, l'État a financé des chefs de projets. Cette dernière action a très bien marché et je m'inscris en faux contre la critique d'« Action coeur de ville », qui a déjà permis de mobiliser trois milliards de crédits, en plus des financements des collectivités territoriales.
Beaucoup de moyens publics ont été remis sur le territoire. La difficulté est que seuls certains territoires en ont bénéficié : les bourgs-centres, les petites villes. Nous réfléchissons à la façon d'accompagner la ruralité.
Une autre question se pose : faut-il injecter les moyens dans les collectivités territoriales ou au sein des préfectures pour mieux accompagner les élus ?
Enfin, je vous rejoins sur l'importance d'une coordination des dispositifs d'ingénierie. La renégociation des conventions de l'ANCT avec les autres agences, qui interviendra cette année, sera particulièrement importante de ce point de vue. Le sous-préfet doit être réinstallé au centre du dispositif, comme un guichet unique.
Sur l'articulation des dotations, je précise que la DGCL ne s'occupe que de la DSIL et de la DETR. Comment bien articuler ces dotations ? Nous défendons d'abord le maintien de leur montant, à quatre milliards d'euros, voire une augmentation. En revanche, et je me sépare du rapporteur sur ce point, le Fonds vert me paraît plus spécifique : il y a quatorze portes d'entrée, très ambitieuses, de transition écologique. Or, à la DGCL, nous plaidons que la transition écologique n'est pas le seul projet à exiger un financement de l'État. Nous ne voudrions pas qu'une enveloppe unique interdise le financement de projets qui ne sont pas rattachables à la transition écologique - même si tous les projets doivent inclure des exigences environnementales. Je sais que ce n'est pas ce que vous prônez...
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. -- ...Ne nous méprenons pas. Pour distinctes qu'elles soient, ces trois dotations restent bien à la main du préfet de région ou de département. Chaque préfet a une feuille de route : il suffirait qu'au sein d'une enveloppe globale, une affectation soit prévue. Il n'y a pas de malice dans nos propos : ce serait une simplification. Gouvernement ou Parlement, nous sommes dans le même bateau pour les maires qui ne comprennent pas cette complexité budgétaire et nous en tiennent responsables.
Mme Cécile Cukierman. - On ne peut entendre qu'en raison de problématiques interministérielles, il faut garder trois enveloppes plutôt qu'une.
Mme Cécile Raquin. -- Je distingue la question des objectifs de chacun des fonds, qui sont distincts et méritent de répondre à des critères différents, et la question des procédures d'instruction sur lesquelles on doit travailler pour les rendre transparentes aux élus. Cette année, vous avez raison, les préfets ont fait un jeu de bonneteau pour basculer sur le Fonds vert des crédits DETR et DSIL, afin de permettre de financer de nouveaux projets, non verts, sur les crédits ainsi libérés.
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. -- Sur le sujet de la subdélégation : en matière d'eau et d'assainissement, le législateur a cherché à rendre le dispositif plus efficient. Mais les élus ont parfois le sentiment qu'après le vote, le « service après-vote » fait défaut : les décrets ne sont pas publiés, les circulaires disent autre chose que la loi, les interprétations restrictives sont privilégiées. Je ne vise personne en disant cela.
Comment la DGCL -à laquelle je rends hommage car elle nous a souvent aidé à améliorer la situation de ce point de vue- envisage-t-elle de garantir une meilleure application des textes, avec plus de bon sens et de pragmatisme ?
Mme Cécile Raquin. -- Les questions d'application des textes nous remontent à travers des cas concrets. Nous cherchons alors l'interprétation qui facilite la situation. Mais, toutes les interrogations ne nous remontent pas.
Nous donnons également des instructions, particulièrement en matière financière, qui vont dans le sens de la souplesse.
Sur la question particulière des subdélégations en matière d'eau, rien ne nous est remonté à ce stade, ce qui est logique puisque le transfert de la compétence ne sera effectif qu'en 2026.
Mais je vous confirme notre volonté de travailler avec vous pour aplanir le plus possible les difficultés.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de M. Patrice Verchère, président de la communauté d'agglomération de l'Ouest rhodanien, membre du conseil d'administration d'Intercommunalités de France (Mercredi 24 mai 2023)
Mme Maryse Carrère, présidente. - Nous nous retrouvons afin d'entendre, pour Intercommunalité de France, M. Patrice Verchère, membre du conseil d'administration de cette association et président de la communauté d'agglomération de l'Ouest Rhodanien.
On ne peut évoquer l'avenir des communes et des maires sans prendre en compte le point de vue des intercommunalités, qui leur permettent d'inscrire leur action dans une échelle plus large et leur fournissent des moyens mutualisés.
Aujourd'hui le phénomène intercommunal semble arrivé à maturité et il n'est nullement question de remettre en cause son principe. Pour autant, les auditions et les déplacements que nous avons tenus nous confirment dans l'idée qu'il est toujours nécessaire de s'interroger sur le bon équilibre au sein du bloc communal, qui permet à la mutualisation intercommunale de jouer pleinement son rôle en faveur des communes, sans priver ces dernières des marges de manoeuvres qui donnent tout son sens à l'action locale.
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - Nous souhaitons avant tout recueillir l'avis des intercommunalités sur le thème de notre mission d'information. Je précise qu'il ne s'agit pas de remettre en cause notre modèle d'organisation du bloc communal qui prend en compte la nécessité des intercommunalités en tant qu'espaces de mutualisation des projets sur nos territoires. Cependant, certains maires nous interrogent sur le lien entre les communes et les intercommunalités, en particulier celles qu'on peut qualifier d'« XXL », et nous en avons visité quelques-unes. Les maires, quand bien même ils considèrent l'intercommunalité comme une nécessité, ont parfois le sentiment d'y être cantonnés à un rôle trop passif. Nous essayons d'identifier les causes d'une désaffection et d'une démotivation qui, par ailleurs, tiennent aussi aux difficultés des relations entre la commune et l'État. Il nous apparaît que les maires ont le sentiment de devoir affronter un labyrinthe et une architecture de plus en plus complexe pour accéder aux dotations de l'État, monter des dossiers et répondre à la politique d'appels à projets.
En outre, la loi NOTRe a engagé une nouvelle étape du renforcement de l'intercommunalité avec la création de nouveaux périmètres et une intégration intercommunale renforcée. Ainsi à l'exception de certaines compétences qui ne seront intégrées qu'à l'horizon 2026, on se trouve historiquement dans le premier mandat intercommunal assorti d'une intégration aussi forte. Dans certains territoires s'exprime le souhait de retrouver une gouvernance permettant à toutes les communes d'être entendues au sein de leur intercommunalité, tout en prenant en compte la nécessaire représentation démographique.
Convaincus de la nécessité de conforter notre modèle de bloc communal, nous souhaiterions donc recueillir votre analyse sur ces sujets.
Ayant parcouru des territoires aussi différents que les Vosges, l'Ille-et-Vilaine la Haute-Garonne et la Somme pour entendre les édiles de France, nous y avons perçu un besoin croissant de différenciation territoriale à tous les niveaux : dans les territoires de montagne ou de plaine, les territoires plus ou moins vastes ou ceux au sein desquels les régions exercent une influence plus ou moins importante. Nous avons également parfois constaté la force des liens entre les communes et certaines intercommunalités, qui jouent pleinement leur rôle d'organisation et de péréquation.
Lorsqu'il a été entendu par le groupe de travail sur la décentralisation présidé par Gérard Larcher, président du Sénat, votre président Sébastien Martin a souhaité que l'intercommunalité devienne une nouvelle strate de collectivité territoriale : qu'en pensez-vous ? Certains plaident également en faveur de l'élection directe des conseillers communautaires au suffrage universel - la question est posée, même si vous connaissez notre position à ce sujet. Étant élu dans le seul département de France, le Rhône, qui abrite une métropole à statut particulier dont les représentants sont élus au suffrage universel direct, vous êtes bien placé pour donner votre point de vue à ce sujet.
M. Patrice Verchère, membre du conseil d'administration d'Intercommunalité de France. - Je suis ravi de participer à cette mission d'information et je tiens à présenter mes excuses au nom du président Sébastien Martin qui est retenu et m'a demandé de représenter Intercommunalités de France.
Mon cas est un peu particulier car j'étais parlementaire et j'ai démissionné = pour redevenir maire et président d'intercommunalité. J'aborde ainsi les choses peut-être différemment d'autres élus locaux qui, en raison du poids de l'administration et des difficultés d'exercice de leur mandat, ont parfois envie de passer à autre chose.
Comme vous le savez, Intercommunalités de France compte près de 1 000 intercommunalités membres, de taille très variée, sur l'ensemble du territoire. Cette diversité explique qu'il est parfois difficile de leur trouver des points communs, d'autant que l'intercommunalité est également construite sur la différenciation et la possibilité pour chaque structure de prendre certaines compétences facultatives et de pousser plus ou moins loin la mutualisation. Je fais observer que l'appellation intercommunalité est construite sur celle de « commune » et se rattache donc nécessairement au maire dont il n'est pas possible d'ignorer le rôle au sein des intercommunalités.
En réponse à votre question, je précise que si notre président ainsi que d'autres élus d'Intercommunalités de France ont envisagé la possibilité que les intercommunalités deviennent un jour des collectivités à part entière. Intercommunalités de France se fait fort de débattre de tous les sujets, des plus simples aux plus difficiles. En l'occurrence, le débat, abordé lors de notre congrès à Bordeaux en octobre 2022, est encore loin d'être tranché en notre sein.
L'intercommunalité a un véritable rôle à jouer auprès des maires : c'est particulièrement vrai pour les intercommunalités de taille assez modeste, entre 20 000 et 50 000 habitants. Elles soutiennent les maires non seulement en assurant des compétences obligatoires ou facultatives mais aussi en proposant de plus en plus de mutualisation dans différents domaines. En la matière, il n'y a pas de modèle uniforme, tout dépend du pacte de gouvernance élaboré avec les communes : c'est une des grandes forces de l'intercommunalité.
Vous avez souligné que certains maires se sentent mal à l'aise au sein de l'intercommunalité : c'est particulièrement le cas des maires des plus petites communes intégrés dans des intercommunalités de grande envergure ou au sein des groupements où une commune plus peuplée a tendance à imposer sa volonté aux autres. La solution, alors, n'est pas d'envisager une nouvelle loi, mais plutôt de faire preuve de pragmatisme. Nous savons que Sénat est particulièrement attentif à une telle démarche.
Il y a autant de façons de gérer une intercommunalité qu'il y a de présidents et, en général, ceux-ci cherchent à obtenir sinon l'unanimité, du moins une très large majorité. C'est ainsi que nous construisons nos projets de territoire et nos pactes de gouvernance ou financiers. De plus, sans la mutualisation qu'apporte l'intercommunalité, beaucoup de petites communes seraient dépourvues de moyens d'action dans de nombreux domaines : je rappelle ici les importantes difficultés de recrutement de secrétaires de mairie sur lesquelles se penche également le Sénat. Dans l'intercommunalité de 50 000 habitants que je préside, il y a par exemple des relations très régulières entre notre directeur général des services (DGS) et les secrétaires de mairie ou les DGS des communes. En effet, nous avons besoin de travailler ensemble, d'échanger nos points de vue sur la gestion des ressources humaines - que nous avons en partie mutualisées pour les communes les plus importantes. Il en va de même dans d'autres secteurs comme celui des contentieux qui se multiplient à propos des marchés publics : nous proposons aux communes, moyennant des frais peu élevés, de monter les appels d'offres à leur place. Nous assurons également la gestion informatique et les problématiques « cyber » - secteurs dans lesquels l'intercommunalité rencontre elle-même des difficultés pour agir seule. Enfin, l'intercommunalité peut proposer de l'ingénierie, tout comme les départements, et son intervention peut être conjointe à la leur.
L'intercommunalité est donc omniprésente auprès des communes et des maires : en écoutant ceux qui sont parfois usés, nous pensons que sans l'intercommunalité, la situation serait encore pire. L'intercommunalité doit vraiment réaliser en commun ce qui ne peut pas être fait individuellement. Tel est le but de l'intercommunalité et celui-ci doit perdurer tout en introduisant de la souplesse, conformément aux dispositions de la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (3DS) dans le prolongement des évolutions législatives intervenues ces dernières années.
En ce qui concerne la gouvernance, qui est souvent critiquée, je pense que les difficultés doivent être résolues au niveau de l'exécutif et du président de l'intercommunalité. Dans le cas de mon intercommunalité - qui certes, rassemble un nombre de communes limité, trente et une - j'ai souhaité que tous les maires participent au Bureau parce que cette instance est un lieu de décision important. Si on souhaite stimuler la participation des conseillers communautaire, il faut leur soumettre les sujets qui les intéressent et reporter en Bureau les questions pratiques, ce qui renforce la nécessité d'y faire siéger les maires. Il est vrai que les intercommunalités « XXL » qui peuvent rassembler cent maires et plus soulèvent des difficultés spécifiques : les très grosses structures ne sont pas nécessairement les plus efficaces ni celles qui favorisent le plus la participation des petites communes.
Les regroupements d'intercommunalités se sont plus ou moins bien passés selon les départements, mais, par exemple, dans le Rhône, les regroupements ont été calibrés de façon plutôt raisonnable, souvent grâce aux préfets. Certes, les enjeux politiques entrent également en ligne de compte.
À cet égard, la demande d'Intercommunalités de France est d'éviter un nouveau chamboulement de la carte ou des compétences intercommunales. Les maires ne souhaitent pas non plus une instabilité normative qui peut donner le tournis car on passe un temps fou, avec une administration de plus en plus tatillonne, à gérer la complexité normative et les interprétations réglementaires divergentes d'un département à l'autre.
J'observe que beaucoup de présidents d'intercommunalités sont maires. Dans l'hypothèse où les maires, pour des raisons politiques, ne siègent pas à l'intercommunalité, il en résulte nécessairement des difficultés de relation entre leur commune et l'établissement public de coopération intercommunal à fiscalité propre (EPCI). Le facteur humain joue un rôle important.
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - Nous partageons vos propos qui correspondent à une position assez équilibrée - que le Sénat a défendue à travers la loi dite « 3DS » ainsi que dans divers rapports - soulignant la nécessité de prendre en compte les réalités territoriales.
On observe deux cas de figure. Le premier est celui de certaines intercommunalités dont la gouvernance - j'ai failli employer le terme « raisonnable » - est propice à maintenir une certaine proximité et à favoriser les échanges en permettant à chaque maire d'être représenté, ou de représenter lui-même sa commune au sein du bureau de l'intercommunalité.
Tel n'est cependant pas toujours le cas. Par exemple, dans la Somme, deux intercommunalités regroupent plus de 100 communes, 158 dans le Pays Basque et 144 en Haute-Garonne. Quand bien même l'intercommunalité fonctionne assez bien et qu'elle a été choisie - comme dans la Somme où les communes se sont regroupées sans « passer outre » du préfet - il reste toujours compliqué d'organiser des conseils communautaires rassemblant plus de 150 conseillers.
En effet, les dysfonctionnements résultent souvent de mariages entre des territoires et de bassins de vie qui n'ont pas nécessairement cultivé une forme d'affectio societatis. Ainsi, d'autres intercommunalités de la Somme ont du mal à conjuguer les problématiques littorales, d'une partie des communes membres, avec celles, hyper-rurales, du reste des communes, ce qui ne facilite pas l'unanimité sur un projet de territoire. Nous voyons même , dans le Morbihan, le cas d'une intercommunalité qui exprime la volonté d'être scindée en deux.
Comme nous l'avons dit et écrit, il ne s'agit pas, par principe, de remettre en cause le périmètre des intercommunalités mais, très à la marge, n'est-il pas tout de même possible de le faire quand on constate un dysfonctionnement majeur et que les élus le souhaitent ? Je précise que nous partageons pleinement vos observations sur la complexité croissante de l'accès aux services, à l'ingénierie et aux dotations de l'État pour les maires ou les présidents d'intercommunalités. Comme nous venons de l'évoquer en entendant la directrice générale des collectivités locales (DGCL), il est nécessaire d'assurer une certaine stabilité des normes mais, le cas échéant et à la marge, vous semble-t-il possible de modifier la configuration des intercommunalités ?
Ma seconde interrogation dérive du principe de différenciation territoriale. Je prends ici volontairement l'exemple de la communauté d'agglomération parce que cette structure offre le plus large éventail de possibilités. On peut trouver des modèles très urbains, voire très intégrés en termes de compétences et dans lesquels, par exemple, la compétence mobilité s'impose d'elle-même. En revanche, d'autres communautés d'agglomération sont beaucoup plus diversifiées : il en va ainsi dans mon département de la communauté de Privas qui comporte une centralité de 1 300 habitants et 44 communes sur un territoire immense, combinant du relief et des vallées.
Pour faire du cousu main - à chaque territoire, sa propre vérité - et sans remettre en cause le modèle de base, peut-on, selon vous, revisiter les structures et l'exercice de certaines compétences que l'on pourrait faire redescendre sur certains territoires immenses ou remonter sur d'autres, comme la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations (GEMAPI). S'agissant de cette dernière, plusieurs intercommunalités nous ont indiqué qu'elles étaient en proie aux pires difficultés - surtout pour gérer les inondations - ce qui amène à réfléchir au transfert éventuel de la compétence GEMAPI vers un département ou vers un établissement public de bassin.
Je soulève un dernier point plus prospectif qui fait écho aux problématiques de recrutement des secrétaires de mairie et, plus généralement, de conditions d'exercice des mandats locaux. Nous avons observé des territoires, à Saint-Malo et à Haguenau, où les communautés d'agglomération recrutent un pool de secrétaires spécialisés pour renforcer l'expertise sur les finances, les ressources humaines ou l'urbanisme. Ne faudrait-il pas que les intercommunalités s'inspirent de ces bonnes pratiques de mutualisation pour affermir leurs liens avec les communes et apporter une aide facilitant l'exercice des mandats locaux ?
M. Patrice Verchère. - Tout d'abord, nous sommes très favorables à la différenciation et beaucoup de choses existent déjà. On peut effectivement apporter des correctifs à la marge mais avec précaution et « une main tremblante » car nous voulons éviter une concurrence excessive entre les uns et les autres.
Comme vous l'avez souligné, les situations sont très variées, et ce qui est vrai sur un territoire ne l'est pas nécessairement sur celui d'à côté. Il faut permettre aux maires, si tel est leur choix, de « faire ou de défaire » à la marge leurs relations avec les intercommunalités. Pour cela, il est nécessaire que les élus acceptent une règle de décision claire, peut-être à la majorité des deux tiers, car il est important que puisse s'exprimer une véritable volonté, au-delà des postures politiques dirigées contre les exécutifs intercommunaux. Les éventuels ajustements que vous souhaitez doivent ainsi être soutenus par une large majorité du conseil communautaire et au moins par la conférence des maires, qui doit se prononcer sur le sujet.
Par ailleurs, la loi autorise - en théorie, même si la pratique est plus compliquée - les grandes intercommunalités à se séparer lorsqu'elles souhaitent évoluer vers plus de proximité. Il en va de même pour les communes nouvelles : contrairement à une idée reçue, le démariage est possible, du moins quand l'État accepte de jouer son rôle dans ce sens car l'influence du préfet est importante dans ce domaine.
Si un véritable accord local est trouvé, il ne faut pas s'interdire de procéder à des ajustements en termes de compétences et de différenciation, en fonction des particularités territoriales. Cependant je souligne qu'il faut éviter de remettre en cause des compétences anciennes bien ancrées dans nos pratiques, ce qui chambouleraient une nouvelle fois la structuration des intercommunalités, souvent au profit des communes les plus importantes et au détriment des plus petites communes
Notre besoin le plus fondamental est de disposer de plus de liberté et de souplesse pour exercer nos compétences. Par exemple, on se rend compte, en pratique, que l'on a poussé trop loin le détail pour définir la compétence informatique. La solution est de réintroduire de la souplesse mais il est vain d'essayer de réécrire le texte pour délimiter ce qui relève ou pas de la compétence ou de la mutualisation. La vraie difficulté est que l'on a bien du mal à cerner le degré de différenciation juridiquement autorisé par un texte - cela peut faire le bonheur des avocats spécialisés en droit des collectivités locales. Tel est le cas dans le domaine de l'informatique, sur lequel je travaille en ce moment, et où surgissent des doutes sur les possibilités concrètes offertes par les textes en matière de gestion différenciée d'un parc informatique ou de liberté de choix accordé aux communes pour utiliser tel ou tel logiciel. Sans doute faut-il parvenir à simplifier et clarifier les possibilités de différenciation.
J'indique, dans le même sens, que les agglomérations ont la compétence sur le cycle de l'eau complet. Or la Gemapi peut soulever des difficultés pour les intercommunalités gestionnaires de nombreux cours d'eau situés en amont : elles vont devoir engager des sommes considérables pour contribuer à la protection des autres intercommunalités et communes situées en aval. On peut donc se demander si la Gemapi ne devrait pas relever du niveau départemental ou d'une agence plutôt que des intercommunalités : le sujet est débattu depuis de nombreuses années mais la vraie question est de savoir si on veut rouvrir ce dossier particulièrement compliqué ... Votre réaction à ce sujet illustre la raison pour laquelle il faut bien faire attention à ne pas bouleverser des équilibres qui ont été difficilement négociés et atteints. Le Sénat s'efforce d'apporter des réponses aux élus qui ont besoin de souplesse et d'efficacité plutôt que de dispositifs hyper cadrés, qui renforcent le pouvoir d'interprétation des administrations départementales. Les intercommunalités ont également un rôle positif à jouer pour faciliter la mise en oeuvre des projets qui, s'ils sont paralysés par la complexité, donnent l'impression aux élus que leur mandat est très court du point de vue opérationnel.
Mme Anne Chain-Larché. - Dans votre département, les grandes collectivités soutiennent-elles vos intercommunalités par des politiques contractuelles ?
M. Patrice Verchère.- Le département du Rhône a mis en place des financements pour soutenir les projets choisis par les intercommunalités dans le cadre du pacte Rhône, avec des ratios établis pour tenir compte des différences de richesse entre celles-ci. Le département aide également les investissements des communes sous forme d'une allocation annuelle à la main des conseillers départementaux. De plus, les intercommunalités, comme celle que je préside, ont mis en place des fonds de concours à destination des communes dans le cadre de notre pacte de gouvernance, pour financer des actions ciblées sur des thématiques comme la transition énergétique ; je précise que les sommes allouées par les intercommunalités ne sont pas aussi importantes que celles du département. Celui-ci réunit en outre une fois par trimestre les treize présidents d'intercommunalités. Nous avons également la chance d'être en région Auvergne-Rhône-Alpes, qui dispense des soutiens liés à des contrats conclus avec les communes et les intercommunalité.
Je signale que mon intercommunalité a beaucoup travaillé dans le cadre du contrat de relance et de transition écologique (CRTE) négocié avec l'État. J'ai refusé en tant que président de l'intercommunalité de sélectionner les projets prioritaires des communes en estimant que notre désignation au suffrage indirect ne nous permet pas d'agir en lieu et place des communes que nous représentons. Bien l'État que l'État nous ait demandé de fixer nous-même les priorités parmi les projets de l'intercommunalité et des communes membres, j'ai choisi de demander à chaque maire de choisir lui-même ses priorités et, au final, nous avons pu élaborer un CRTE consensuel pour l'ensemble des communes. Ici encore le processus que nous avons mis en place peut difficilement relever de la loi : il s'agit de bonnes pratiques.
M. Mathieu Darnaud, rapporteur.- S'agissant de notre échange de vues sur la souplesse, je mentionne, à l'occasion des débats sur la loi dite « 3DS », l'amendement dit « nid de poule » de notre collègue rapporteur Françoise Gatel car c'est l'exemple type d'une compétence donnée à l'intercommunalité qui est un sujet de proximité - en l'occurrence celui de l'entretien de la voirie. Cela illustre la complexité à gérer avec agilité ce type de compétence transférée et j'ai le souvenir de la discussion avec le Gouvernement pour trouver un biais permettant une intervention réactive et efficace à l'échelon communal.
Ma deuxième interrogation porte sur la dotation globale de fonctionnement (DGF) dont traite le dernier rapport de la Cour des comptes et qui préoccupe les maires ainsi que présidents d'intercommunalité : quel est votre regard sur ce sujet ? Faut-il que cette DGF échoie aux intercommunalités ou aux communes ? Je m'empresse de dire que je n'aborde pas la question de manière polémique et je souligne l'importance du sujet car cette dotation, bien qu'elle continue de diminuer dans de nombreux cas, permet aux communes de fonctionner.
Enfin, je reviens sur les relations entre l'État et les maires ou les présidents d'intercommunalité. C'est un sujet qui renvoie à la territorialisation de l'action publique. Beaucoup d'élus souhaitent une présence de l'État territorial en regrettant qu'on soit passé au fil du temps d'un État accompagnateur doté de moyens suffisants à un État censeur qui rigidifie de plus en plus ses méthodes ainsi que ses dotations. Ces dernières se multiplient et l'on s'interroge sur l'opportunité de les fusionner pour gagner en agilité ainsi qu'en réactivité. En effet, la segmentation de ces enveloppes s'accompagne de conditions d'éligibilité variables et aboutissent à ce que beaucoup d'élus communaux ou intercommunaux dénoncent comme une forme d'inertie. Cette dernière est particulièrement préjudiciable à un moment de sortie de crise où la réactivité est essentielle en matière de commande publique et d'économie. J'ajoute que bon nombre d'intercommunalités ne disposent pas de moyens suffisants en ingénierie leur permettant de répondre à la politique d'appel à projet. Quelle est votre vision prospective sur cette thématique ?
M. Patrice Verchère. - Tout d'abord, sur mon territoire, nous avons de la voirie d'intérêt communautaire et de la voirie qui reste purement communale. Pour gérer la première au quotidien, l'intercommunalité n'a pas créé de service spécifique mais a préféré conclure des accords avec les communes qu'elle rémunère pour en assurer l'entretien au prorata du nombre de kilomètres. Je présume qu'une telle délégation est également possible lorsque la compétence voirie est intégralement du ressort de l'intercommunalité. Je précise que nous avons défini au cas par cas les voies d'intérêt communautaire en désignant comme telles, par exemple, les routes non départementales qui desservent les écoles ou les mairies.
Mme Anne Chain-Larché. - Un certain nombre de communautés de communes qui ont pris la compétence voirie le regrettent énormément car c'est un gouffre financier pour les communes et les intercommunalités. Votre idée de conventionnement entre l'intercommunalité et les communes est également intéressante pour les communautés de communes. Cependant, c'est sans doute en élargissant le périmètre de la compétence voirie que l'on pourrait bénéficier d'économies d'échelle. Cette compétence est si lourde que j'ai vu une communauté de communes y renoncer et la rendre aux municipalités.
M. Patrice Verchère. - Il est clair que l'entretien de la voirie génère des coûts élevés, surtout en milieu rural où les distances sont importantes, mais aussi en centre-ville où s'ajoutent les trottoirs et les ouvrages adjacents. Le choix que nous avons fait dans mon intercommunalité repose en tous cas sur la liberté locale et j'ajoute que nous mutualisons les moyens en passant un marché global pour obtenir des prix avantageux auprès de nos prestataires.
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - Je précise le sens de ma question. Pour avoir présidé une intercommunalité, j'ai pu observer que cette problématique est moins ardue au sein des communautés d'agglomération et des communautés urbaines car elles bénéficient d'une plus grande agilité. En prenant l'exemple de l'amendement sur les nids-de-poule, je souhaitais évoquer de manière générale la difficulté d'introduire de la souplesse entre l'échelon communal et l'échelon intercommunal, dès lors que la compétence a été transférée.
M. Patrice Verchère. - Vous faites sans doute allusion au cas du Grand Reims, si j'ai bien compris. Chaque cas est différent et c'est la pratique quotidienne qui détermine la meilleure approche. Votre mission sénatoriale est ainsi particulièrement utile car elle vous permet d'observer les bonnes pratiques sur l'ensemble du territoire national.
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - J'en viens à ma question suivante : nous avons de plus en plus le sentiment que certains services de l'État ont tendance soit à retarder la publication des décrets d'application de certaines lois que nous adoptons sur les collectivités territoriales, soit à interpréter celles-ci à l'aune des problématiques de chaque territoire. Cela rend l'exercice un peu compliqué et explique qu'on rencontre des cas spécifiques et des situations très différenciées selon les départements. Notre volonté, que nous allons continuer à exprimer, est d'appliquer le principe de différenciation à la marge tout en veillant à ne pas remettre en cause l'architecture existante.
Je note que l'acceptabilité de ces assouplissements est parfois difficile au nom d'une certaine philosophie de l'État, portée par des acteurs, les préfets ou les sous-préfets qui sont pourtant plébiscités par les élus car à leur écoute. Cependant, nous ressentons toujours cette rigidité qui conduit trop souvent, à contester la légalité d'un arrêté ou d'une délibération alors que l'esprit du législateur est précisément de permettre cette souplesse. C'est pourquoi je sollicite votre avis sur le point essentiel pour nous de la relation entre le bloc communal et les services de l'État.
M. Patrice Verchère. - S'agissant de votre deuxième question, Intercommunalités de France n'a pas défini de position claire sur la DGF car le problème principal réside dans son calcul : celui-ci est difficilement compréhensible étant données les différences et les disparités qu'il génère au niveau des communes. Je fais le rapprochement avec la fiscalité locale dont l'inadaptation réside aujourd'hui dans les bases fiscales qui ne correspondent plus à la réalité. Avant de se demander si la DGF doit emprunter le canal des intercommunalités ou des communes, il faudrait revoir sa méthode de calcul pour assurer plus de cohérence. Même si on nous affirme qu'un certain nombre de paramètres sont pris en compte, je m'interroge sur les différences d'allocation notables observées dans le département du Rhône et je me demande bien ce qui peut expliquer une telle disparité entre deux communes presque équivalentes.
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - La baisse de la DGF aggrave la baisse significative des moyens des communes et constitue une des principales menaces sur leur avenir.
M. Patrice Verchère. - La DGF est conçue pour permettre aux communes et aux maires d'exercer au nom de l'État un certain nombre de prérogatives : les municipalités dont la DGF a fondu pourraient donc se demander si elles accomplissent encore ces tâches pour le compte de l'État.
Mme Anne Chain-Larché. - En tous cas, l'autonomie financière des communes a quasiment disparu.
M. Patrice Verchère. - L'autonomie financière est un souci majeur, ce qui m'amène à évoquer les relations entre le bloc communal et les services de l'État. Heureusement, on rencontre encore des sous-préfets et des préfets qui s'efforcent de mettre de l'huile dans les rouages et surtout de concilier les administrations départementale ou régionale parfois en contradiction entre elles. C'est un sujet de préoccupation qui se manifeste sur un nombre croissant de dossiers. J'ai en tête un dossier urbanistique où la direction départementale des territoires (DDT) était en désaccord avec la police de l'eau : l'une nous demandait de relever le niveau du sol tandis que l'autre nous l'interdisait en invoquant un risque d'inondation et il a fallu faire appel au préfet. Nous regrettons surtout que certains services déconcentrés de l'État se livrent à une lecture parfois très stricte de la réglementation ou anticipent même l'application de certains décrets qui ne sont pas encore publiés. On se demande parfois si c'est vraiment la réglementation ou alors la prise de position du fonctionnaire chef du service. Les élus situés dans des départements différents qui communiquent entre eux ont parfois la surprise de constater que des cas concrets identiques suscitent des décisions de l'État différentes, ce qui est compliqué à gérer. Les associations d'élus doivent ici trouver avec l'État des solutions pour harmoniser les décisions de son administration et nous faisons également confiance au Sénat pour sensibiliser celui-ci sur la question.
Je rejoins également vos propos sur l'État censeur car aujourd'hui on nous dit plus souvent « non » que « oui ». Je garde en mémoire la lecture par un sous-préfet d'un courrier adressé dans les années 1930 par le ministre de l'Intérieur aux sous-préfets et aux préfets, qui leur recommandait de rechercher des solutions positives en concertation avec les élus et, à tout le moins, d'expliquer leurs éventuelles décisions de refus. En forçant un peu le trait, j'ai aujourd'hui l'impression qu'on nous dit non, sans grande explication. Nous estimons souhaitable que l'État puisse redonner aux préfets plus de pouvoir sur l'administration qu'ils dirigent car certains chefs de service semblent prendre le dessus dans un certain nombre de cas.
Parallèlement, comme vous l'avez souligné, les collectivités dépendent beaucoup des dotations de l'État pour leur fonctionnement et, de ce fait, il est plus difficile de contester ou d'exprimer un désaccord avec l'administration déconcentrée : on craint d'être sanctionné à travers la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) ou le Fonds Vert. Quand le bloc communal avait un peu plus d'autonomie financière, cela favorisait une certaine liberté d'expression. Aujourd'hui, nous sommes tellement dépendants des dotations de l'État ...
Mme Anne Chain-Larché. - ... et ces dotations sont discrétionnaires ...
M. Patrice Verchère. - ... tout à fait, et d'ailleurs, je rappelle les critiques qui portaient sur l'aspect discrétionnaire de la réserve parlementaire mais j'aimerais qu'on nous précise les critères utilisés pour accorder les subventions au niveau de l'État.
J'ajoute que l'on s'y perd un peu dans les divers canaux de financement. De nombreux projets sont aujourd'hui axés sur l'efficacité énergétique et les économies d'énergie mais il suffit parfois de déposer une demande de DETR pour qu'on nous dise qu'elle relève plutôt la DSIL ou à présent du Fonds Vert. De plus, si vous demandez une subvention pour la rénovation énergétique d'un bâtiment scolaire, on vous invite à démontrer qu'il en résultera une économie d'énergie de 30 %. Cela peut sembler parfaitement logique mais certains petites communes ou petites intercommunalités qui ont peu de moyens sont contraintes d'engager des travaux étape par étape, en se bornant par exemple à un remplacement des fenêtres. Deux ans plus tard, au moment de déposer un dossier, on leur dit que le critère des 30% n'est pas satisfait... Tout ceci crée des difficultés, et l'intercommunalité peut également ici intervenir positivement en apportant de l'ingénierie, ce qui permet d'éviter aux communes de faire appel à des prestataires privés souvent coûteux. Dans le cas du département du Rhône, nous avons une association départementale financée par l'intercommunalité qui intervient gratuitement au nom des communes.
Les relations entre l'État et le bloc communal sont, comme vous l'indiquez, moins fluides que par le passé mais je précise qu'au niveau des sous-préfets les choses se passent généralement bien. Tel n'est pas toujours le cas avec, par exemple, la DDT de mon département qui hier encore m'a semblé éloignée de la connaissance de notre territoire sur un dossier ponctuel concernant la prise en compte de l'agriculture et de la viticulture dans notre schéma de cohérence territoriale (SCoT). Autrefois, dans les subdivisions implantées dans chaque chef-lieu de canton, les subdivisionnaires vivaient sur le territoire qu'ils administraient et le connaissaient bien. On pourrait peut-être réintroduire une structuration similaire au niveau intercommunal car aujourd'hui la théorie a tendance à prévaloir sur la pratique et les élus du bloc communal se démènent au quotidien pour que l'administration vienne constater les réalités de terrain avant d'émettre un refus. L'incompréhension à l'égard de certaines prises de position administratives peut engendrer de la frustration chez les maires de petites communes qui ne cumulent pas de mandat et n'ont qu'un poids politique assez faible. Nous n'affirmons pas que l'administration doit systématiquement accepter toutes les demandes, mais qu'elle doit se réformer au niveau local si l'on veut redonner un peu d'enthousiasme aux maires et aux présidents d'intercommunalités qui ont aussi envie de réaliser des projets, même si leurs moyens sont insuffisants. L'administration doit également mieux se conformer à l'intention du législateur alors que ses décisions donnent parfois l'impression d'être dictées par le point de vue d'un de ses fonctionnaires.
Mme Anne Chain-Larché. - Merci de vos propos que nous savourons et qui vont dans le même que d'autres auditions que nous avons effectuées. Cela plaide en faveur d'une proximité qui malheureusement disparaît depuis plusieurs années au profit de la recentralisation.
M. Patrice Verchère. - Je tiens à souligner à nouveau la solidarité du bloc communal : la commune va de pair avec l'intercommunalité.
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - Ma dernière question porte sur la contractualisation. L'insuffisance du recours à cet outil reste pour nous une énigme alors qu'il permettrait au niveau intercommunal ou communal de dégager des solutions adaptées à l'échelon infra-communautaire, par exemple pour gérer des espaces vert, acheter du matériel en commun ou construire un pont comme le rappelle notre collègue Anne Chain-Larché. Je regrette sincèrement, et j'en informe à chaque occasion les associations d'élus, que l'on n'utilise pas suffisamment cet outil bien adapté à la souplesse, en particulier dans les grandes intercommunalités ou pour gérer les compétences dites orphelines.
Mme Anne Chain-Larché. - Le recours à la contractualisation va tout à fait dans le sens de la différenciation. C'est un outil simple à utiliser et qui permet à l'intercommunalité de se porter au chevet de certaines communes sans pour autant qu'on ait besoin de procéder à des transferts de compétences.
M. Patrice Verchère. - Nous avons des remontées de nos adhérents sur leur volonté de conventionnement.
M. Simon Mauroux, responsable du pôle institutions, droit et administration chez Intercommunalités de France. - Nos adhérents utilisent souvent les conventions dans le domaine des prestations de service et maîtrisent bien cet outil. En revanche, les conventions de délégation de compétences ou de maîtrise d'ouvrage déléguée sont moins bien cernées, même si les possibilités juridiques d'y recourir ont été récemment élargies. En effet, on peut supposer que ces instruments sortent de la logique habituelle des transferts de compétences accompagnés de transferts de charges faisant l'objet de réévaluations régulières.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de M. David Lisnard, maire de Cannes, président de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (Mardi 6 juin 2023)
Mme Maryse Carrère, présidente. - Nous achevons notre cycle d'auditions publiques par celle du président de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalités (AMF), M. David Lisnard, que je remercie de sa venue.
Voilà un peu plus de quatre mois que notre mission d'information a engagé ses travaux. Et dès le début, en demandant au ministère de l'intérieur de collecter l'ensemble des données sur les démissions de maires et de conseillers municipaux, nous avons mis le doigt sur un phénomène qui traduit les inquiétudes et le désarroi des maires. D'autres événements ont émaillé l'actualité -encore récemment l'agression du maire de Saint-Brévin - qui ont mis en lumière les difficultés auxquelles sont confrontés les maires aujourd'hui.
Au cours de nos auditions et de nos déplacements, nous avons pu prendre la mesure de ce que, individuellement, nous pressentions sur le terrain : l'épuisement de nombreux maires, en prise avec des difficultés de toutes sortes, et une inquiétude sourde pour l'avenir des communes. Pour autant, nous avons aussi trouvé des raisons d'espérer : le fort attachement des citoyens à leur commune et aux élus municipaux, la résilience de l'échelon communal et l'engagement de tant de maires.
Votre analyse et votre témoignage nous serons donc très précieux pour mieux cerner les enjeux de la situation présente et trouver les pistes qui assureront à nos communes et aux maires l'avenir qu'ils méritent.
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - Je tiens à remercier le président de l'AMF de sa présence aujourd'hui. Comme vient de l'indiquer notre présidente, Maryse Carrère, nous nous sommes efforcés, au cours de nombreuses auditions, d'explorer un spectre territorial relativement large et de revisiter l'architecture du bloc communal - de l'intercommunalité aux communes, en passant par les communes nouvelles.
Sans formuler de conclusions hâtives, nous avons le sentiment de vivre un mandat tout à fait singulier qui a débuté avec la crise sanitaire et se traduit par l'amplification de difficultés que l'on connaissait auparavant. Je pense en particulier aux phénomènes de violence auxquels sont exposés les élus. Par ailleurs, il s'agit du premier mandat où la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République dite « loi NOTRe » s'applique dans toute son ampleur. Celle-ci a certains effets positifs et d'autres beaucoup moins, avec au niveau du bloc communal un déficit de proximité : nous avons lancé une consultation auprès des élus locaux qui le confirme, en particulier au sein des grandes intercommunalités où la gouvernance parfois pléthorique ne permet pas suffisamment aux élus d'exister. Or l'échelon communal reste celui le plus cher au coeur de nos concitoyens parce qu'il est à la fois le creuset de toutes les formes de solidarité ou de lien social et qu'il est le seul capable de limiter l'effet des crises sanitaire, énergétique et sociale que notre pays a connues au cours de ces derniers mois.
M. David Lisnard, président de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalités. - Je vous remercie pour l'intérêt que vous portez à la commune, ce qui ne me surprend pas puisque le travail mené par l'AMF et le Sénat est transpartisan : il révèle un attachement à une République française qui est indissociable de la vitalité communale. Permettez-moi également et très sincèrement de saluer votre initiative, et au-delà de cette mission, de vous remercier pour le travail que nous menons avec vous. Je suis très heureux de pouvoir vous apporter à la fois le témoignage de mon expérience d'élu et celui de l'Association des maires de France qui regroupe aujourd'hui 99 % des communes françaises et près de 90 % des intercommunalités avec un taux d'adhésion qui vient encore de progresser.
Nous sommes tous ici convaincus de l'importance du bloc communal et je souhaite que notre voix puisse également porter "urbi et orbi".
Mon principal message est, sans prendre une quelconque posture, un appel à la vigilance sur l'avenir de la commune. Si on dépasse les simples discours - sincères ou de circonstances - qui nous sont adressés au gré des crises, on perçoit aujourd'hui un phénomène de remise en cause de l'existence même de la commune au nom d'une doxa qui consiste à penser que plus les ensembles sont grands, plus ils sont performants. Je viens du secteur privé qui a dépassé depuis longtemps ce stade conceptuel mais je me rends compte, à mon grand regret, que tel n'est pas le cas dans la vie publique et politique française.
Je souligne également qu'au-delà des multiples défis environnementaux, économiques, sécuritaires que nous devons relever, nous vivons une crise civique qui devrait être placée au centre de toutes les préoccupations mais que l'on aborde de façon inadéquate. Cette crise civique se traduit par une abstention très élevée liée à des symptômes dont voici une illustration qui m'a frappé : un sondage effectué auprès des 18-34 ans a fait apparaître que la moitié des sondés estimaient que la démocratie, au final, ne valait guère mieux que les régimes illibéraux, voire les dictatures et qu'il n'est donc pas utile d'aller voter.
La vacuité du débat est également une composante de cette crise civique, ce qui s'explique sans doute parce qu'il y a moins de clivages et d'affrontements de principes. Or ces débats présentent tout de même l'avantage de civiliser la confrontation politique et de proposer des alternances indissociables à la démocratie. Plus cette vacuité s'installe et plus la violence langagière et malheureusement physique augmente. En témoignent les statistiques du ministère de l'intérieur qui constatent une progression de 32% en 2022 par rapport à 2021 des agressions physiques. J'insiste aussi sur l'ampleur croissante du dénigrement : l'AMF réalise régulièrement des études avec le centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF) sur le « moral des maires », pour employer un terme journalistique et on constate parmi les motifs de démission ainsi que de démotivation un rôle croissant de la violence, du dénigrement et des atteintes à la réputation.
Les femmes et les hommes qui sont maires ou adjoints ont souvent le sens de l'honneur - j'aime bien ce terme qui ne me semble pas désuet - et acceptent mal ce dénigrement. Je souligne cependant que le premier motif de découragement des maires réside dans l'impuissance croissante dans l'action publique, ce qui confirme le lien entre crise civique et crise démocratique.
Sans pour autant se livrer à des considérations simplistes d'histoire de la philosophie politique, le nihilisme occidental de la fin du XIXe siècle, puis la remise en cause de certaines valeurs consécutive à la « boucherie » de 1914-18, suivie de la Shoah et de mai 68 ont suscité un sens de la relativité - qui est une forme d'intelligence. Celui-ci a évolué vers le relativisme dont découle une nouvelle forme de nihilisme. Sans être un expert, on peut ici discerner un phénomène profond qu'on retrouve dans le déconstructionnisme, le wokisme, et la crise de l'éducation - liée à la crise de la culture pour reprendre la démonstration d'Hannah Arendt. Nous sommes peut-être arrivés au bout de ces évolutions lourdes et structurelles : je ne suis pas donc pas pessimiste car on discerne une prise de conscience de la nécessité de retrouver une hiérarchie des valeurs et des principes ainsi que de retrouver une ambition d'instruction. Cependant, la perte de la raison critique, le déclin de l'esprit scientifique et de l'instruction publique ont alimenté la crise civique. Parallèlement, la crise de l'autorité et de la capacité d'action alimente le malaise des maires.
J'en viens aux inconvénients de la complication en commençant par souligner que cette notion se distingue nettement de la complexité : cette dernière est souvent inhérente au progrès et recèle des aspects positifs. Pour illustrer mon propos, je prends souvent l'exemple des normes qui sont en soi légitimes : permettre aux personnes handicapées d'accéder à un bâtiment ou à des enfants de ne pas s'empoisonner avec des jouets, ou encore à un bâtiment de mieux résister à l'incendie, sont des mesures de progrès social. En revanche, comme le démontrent la sociologie des organisations et le management privé, la complication suit une pente exponentielle par rapport à la complexification. Elle est cinq fois supérieure et, pour une raison qui m'échappe, le secteur public a beaucoup de mal à endiguer cette complication qui se traduit, en particulier, par la création de structures et de directions supplémentaire qui surajoutent leurs propres processus de fonctionnement. Cette complication croissante est liée à l'augmentation de la taille des structures et c'est la raison pour laquelle, parfois, "Small is Beautiful" y compris en organisation territoriale. Les grandes organisations ont tendance à diluer les responsabilités et à multiplier les procédures : c'est une des causes de la crise démocratique et civique que nous vivons, dans laquelle, le citoyen - étymologiquement « civis » - se sent de de moins en moins concerné, impliqué et représenté dans l'exercice du pouvoir. Cette tendance lourde, qui date au moins d'une vingtaine d'années, transcende les clivages politiques. On se retrouve ainsi avec, d'un côté, l'emphase des discours et de l'autre la réalité de la dette ainsi que le record du monde de la dépense publique, sans qu'on s'interroge suffisamment sur la qualité de la dépense publique. Plus l'État augmente ses prélèvements et plus on constate de défaillances dans le domaine régalien. Je mentionne ici le récent rapport sur l'assassinat d'Yvan Colonna par un autre terroriste qui révèle par exemple la déliquescence des prisons. On peut aussi se référer aux informations qui commencent à émerger sur l'assassinat de Samuel Paty qui témoignent, malgré tous les signes avant-coureurs, de l'impuissance actuelle.
Je constate l'influence persistante de la doctrine erronée selon laquelle les grands ensembles sont plus pertinents et plus justes que les petits. Je sors à l'instant d'une lecture d'un rapport de la Cour des comptes où on trouve, en général, des choses très intéressantes et parfois aussi des lieux communs. Ces rapports se fondent sur le principe de différenciation auquel je deviens de plus en plus hostile pour des raisons qu'il faudra que j'expose au Sénat. Les magistrats financiers indiquent par exemple que la différenciation devrait conduire à fusionner les métropoles avec les départements en dupliquant le modèle lyonnais : or plus personne ou presque ne souhaite ce modèle et de moins en moins de communes y adhèrent. Cela illustre l'enracinement du biais cognitif favorable aux grandes entités alors qu'on a entendu l'exécutif prononcer des discours sympathiques à l'égard des communes depuis l'épisode des gilets jaunes.
Face à cette situation, mon principal message est qu'il faut réhabiliter une bonne articulation entre ce qui relève, d'une part, de la loi et de la réglementation et, d'autre part, de l'action de terrain. Les normes doivent redevenir opérationnelles et simples en se basant sur des principes solides ainsi que des dispositions d'ordre public. Le reste relève de l'initiative locale et je fais ici référence aux retombées positives de l'ordre spontané, théorisé par Raymond Boudon en France et par Friedrich Hayek dans le monde anglo-saxon. Je souhaite que l'État ou la puissance publique veuille bien cesser de tout prétendre schématiser et anticiper a priori mais retrouve en revanche une autorité forte et rapide a posteriori.
J'ajoute que l'État s'est affaibli dans son pouvoir de police au sens large du terme et dans sa capacité à faire respecter les dispositions d'ordre public - qui incluent certaines normes environnementales ainsi que toutes celles qui s'imposent aux co-contractants. Plus l'État a été défaillant pour contrôler ou sanctionner ceux qui abusent et plus il a entravé ceux qui agissent. Cela se traduit quantitativement par le triplement du volume du code général des collectivités territoriales en vingt ans comme le confirment les personnes en charge de Légifrance. Pour sa part, le volume du code de l'environnement - avant même l'inclusion de l'ensemble des dispositions induites par la loi climat et résilience - a été multiplié par 10 en dix ans puisqu'il est passé de 100 000 à un million de mots. Le code de l'urbanisme a également gonflé de 600 à 3 600 pages. Nous serons sans doute tous d'accord pour constater que cette inflation normative entrave l'action non seulement par sa pesanteur mais aussi par ses contradictions juridiques internes auxquels les maires sont confrontés.
Pour conclure ce propos liminaire, nous affirmons qu'il ne s'agit pas de défendre la commune de façon corporatiste mais en raison de ses atouts et je prends l'exemple de la commune nouvelle qui permet - lorsqu'elle est souhaitée, ce qui n'est pas le cas partout - d'optimiser l'organisation territoriale en phase avec les réalités géographiques, historiques et démocratiques. La commune n'est pas un totem mais elle doit être reconnue comme le dernier creuset républicain identifié en tant que tel ; c'est aussi une résultante de notre histoire ainsi que de notre géographie. Rien ni personne, et certainement pas d'éventuels administrateurs désignés par les préfectures, ne remplacera les communes ou les maires s'ils disparaissent. On y perdra à la fois la légitimité démocratique et son incarnation. Par conséquent, si nous voulons redonner du souffle aux communes, il ne s'agit pas de leur faire l'aumône mais plutôt de sortir de la spirale infernale de la recentralisation financière et juridique. Il est nécessaire de leur redonner de la capacité d'action et de la responsabilité ; or il n'y a pas de responsabilité sans liberté, et vice versa.
Je souligne également que l'intercommunalité est une avancée formidable et il faut avoir le courage de dire, y compris à l'AMF, que certaines communes ne pourraient plus exister sans l'intercommunalité. Cependant, l'intercommunalité ne peut plus être réalisée uniquement par des transferts obligatoires de compétences : la réalité est que seul le principe de subsidiarité peut résoudre tous les problèmes. Ce principe a valeur constitutionnelle mais il est régulièrement ignoré et mal compris en France. Pour le mettre en oeuvre, il s'agit de recréer une responsabilité locale que les maires souhaitent assumer : c'est pourquoi l'AMF demande non pas un pouvoir de dérogation mais de décision. Financièrement, les maires veulent rendre des comptes sur la fiscalité, non seulement aux propriétaires mais aussi aux habitants et nous en avons assez de nous faire plus ou moins gruger chaque année sur le calcul de la dotation globale de fonctionnement (DGF). Insensible aux éléments de langage triomphants qu'on nous diffuse régulièrement, je souligne qu'en pouvoir d'achat réel, une DGF qui n'augmente pas quand l'inflation se situe à 1,5% est, pour les communes, bien moins pénalisante que l'augmentation de 330 millions d'euros sur deux ans que nous subissons au moment où l'inflation dépasse 12%. En réalité, si la réforme de la CVAE (cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises) n'avait pas été mise en place, nos intercommunalités auraient bénéficié de 750 millions d'euros supplémentaires cette année. C'est un calcul objectif qui ne signifie pas que nous sommes opposés à la réforme de la fiscalité économique : bien au contraire, nous souhaitons soutenir la production de biens et services. De plus, en ce qui concerne la taxe d'habitation, la compensation n'est pas suffisante : le comité des finances locales et l'observatoire des finances publiques le démontrent sans contestation valable et argumentée de la part de Bercy.
En résumé, pour retrouver de la vitalité civique, on a besoin de revitaliser nos communes, mais la vitalité communale reste une abstraction si les communes sont financièrement et juridiquement soumises aux tutelles de l'État. Le défi est donc, d'une part, de donner une réalité concrète au principe de subsidiarité qui repose sur la responsabilité et l'efficacité et, d'autre part, de faire en sorte que la puissance publique de l'État intervienne a posteriori pour sanctionner les maires et les collectivités qui contreviendraient aux normes. Nous ne contestons pas, bien entendu, la nécessité de sanctionner politiquement, civilement et pénalement si nécessaire, certains comportements. Nous souhaiterions cependant que la rapidité et l'ampleur des moyens d'enquête mis en oeuvre lorsqu'un maire ou une municipalité est mise en cause par un administré se retrouvent lorsque nous sommes agressés ou menacés en tant que maires ou adjoints. Je l'ai vécu à titre personnel et j'accepte parfaitement d'être contrôlé si les gens qui me contrôlent sont honnêtes et compétents. J'observe cependant que lorsque nous mettons en cause une personne qui nous agresse ou nous menace, l'affaire est à peu près systématiquement classée sans suite par manque de moyens sauf si elle est ultra-médiatisée.
Au final, j'appelle à la simplicité, qui constitue un gage de qualité dans tous les domaines, y compris en littérature, en poésie ou en gastronomie. Élaborons des lois et des règlements fondés sur des grands principes de droit et donnons un pouvoir d'interprétation et d'application aux collectivités territoriales. La loi sera alors la même pour tous et la différence pourra être prise en compte sans qu'il soit besoin d'inventer des mesures de différenciation.
Mme Cécile Cukierman. - Au début de votre intervention, vous avez rappelé l'existence d'un phénomène bien réel que chacun pourra choisir de qualifier de crise de société, de citoyenneté ou d'engagement. Cela nous rappelle collectivement qu'il est simple d'affirmer dans le préambule de notre Constitution que nous vivons dans une République une, indivisible et décentralisée mais qu'il est compliqué de faire vivre ces principes au quotidien. Cela relève d'un engagement de tous les instants pour surmonter la contradiction entre l'unité de la République et une décentralisation qui doit prendre en compte la diversité, les réalités et les histoires communales particulières. Ce mouvement dialectique, quand il réussit, apporte le meilleur à notre pays. L'important n'est pas de défendre la commune pour la commune mais de rappeler que le choix municipal que nous partageons permet, à travers une confrontation parfois difficile, de construire l'esprit civique de tout un chacun.
Avant de revenir sur les obstacles que vous avez évoqués, je souligne la difficulté de l'acceptation par les élus de la délégation de leurs propres pouvoirs même s'ils n'en sont pas complètement dépossédés. Il s'agit d'éviter les excès de part et d'autre : il ne faut ni tomber dans un abus de démocratie participative ou permanente factice ni s'isoler dans une tour d'ivoire.
On a certainement perdu, dans le champ communal, l'agilité qu'avaient autrefois les maires, y compris et paradoxalement avant les grandes lois de décentralisation censées renforcer la capacité d'exercice de la liberté communale. Je ne plaide pas ici pour un retour en arrière mais pour affirmer le caractère indispensable de l'agilité communale, faute de quoi les élus ressentent un sentiment d'impuissance et en sont parfois réduits à prêcher dans le désert, ce qui est peu productif à court terme.
Par ailleurs, je pense comme vous que la perte d'agilité s'est accompagnée d'un renforcement du caractère gestionnaire de la conduite des affaires communales. On a ainsi évacué le débat politique et la confrontation des idées : comme l'indiquent beaucoup de nos concitoyens et d'élus, les équipes municipales qui se succèdent ont des méthodes de gestion à peu près semblables qui ne suscitent pas de grands débats.
J'en termine en indiquant que l'agressivité ressurgit en raison de l'absence de débat contradictoire. Certains ont le sentiment que quel que soit le maire, il appliquera la même politique : l'élu devient ainsi, comme beaucoup d'autres professions, une cible de la vindicte et un exutoire de la société. Redonner du sens à la commune, c'est donc bel et bien redonner au citoyen une capacité à intervenir, participer aux décisions et reprendre confiance.
J'ajoute que le retrait de l'État aggrave l'abandon non seulement des territoires ruraux mais aussi des territoires ou quartiers populaires hexagonaux et ultramarins qui rassemblent plus de 15 millions de nos concitoyens.
Cependant, je souligne que de nombreux élus sont encore fiers de l'être et réalisent de très belles choses. Je me demande parfois si nous ne cédons pas à une sorte de tropisme médiatique qui nous empêche de mettre suffisamment en avant, et sans angélisme, les actions positives conduites à travers nos 34 945 communes. Reconnaître la réalité de ce désir d'engagement permettrait de ne pas céder à l'impression que tout va mal et qu'il est vain de se réengager en 2026 ou d'essayer de vivre une première expérience d'engagement.
M. Jean-Marc Boyer. - Merci de votre intervention et d'avoir formulé des constats que partagent tous ceux qui ont pu exercer des mandats municipaux. La crise civique que vous avez évoquée m'interpelle beaucoup. J'ai eu l'occasion d'intervenir devant 150 jeunes dans un lycée pour y expliquer le rôle du Sénat ainsi que des maires et je m'aperçois de la très grande ampleur de l'ignorance civique dans notre pays. Elle se constate en particulier chez les jeunes et se traduit par le fait que près de 70 % d'entre eux ne sont pas allés voter aux dernières élections : ils ne peuvent pas expliquer les raisons précises de cette abstention et ne sont tout simplement pas intéressés. Cela traduit un phénomène grave et qui, à mon sens, dépasse largement le problème des maires pour s'étendre à tous les niveaux de notre société, ce qui inclut les attitudes à l'égard des forces de police et des sapeurs-pompiers. Ma première question porte donc sur les solutions et les moyens qui pourraient être mis en oeuvre au niveau de l'Association des maires de France ou celle des maires ruraux de France pour contrebalancer cette ignorance civique, en matière d'éducation par exemple ou en encourageant l'action des parents.
Ma deuxième question, qui est connexe, porte sur les agressions d'élus insuffisamment sanctionnées. Je me demande si un moyen de juguler ce phénomène ne serait pas d'instaurer des peines plus dissuasives, avec, par exemple, plusieurs mois de prison.
Je m'interroge parfois aussi sur l'inaction de l'administration - en élargissant ce terme de façon très large - qui traduit peut-être une certaine volonté de laisser-faire en se disant que la crise des vocations pourra déboucher sur la création de communes nouvelles ou favoriser les regroupements. Je note d'ailleurs qu'un tel message semble être diffusé à travers les petits avantages accordés en matière de DGF pour la création d'une commune nouvelle. Au total, j'indique que les remontées de terrain sur le ressenti communal ne suscitent pas, à mon sens, un optimisme démesuré.
Mme Anne Chain-Larché. - Nous ressentons au fil de nos auditions et de nos rencontres dans nos départements respectifs qu'il y a tout de même une particularité qui se dégage dans le malaise des maires et dans la crise civique que nous vivons depuis 2020. Avec la pandémie et depuis les dernières élections municipales qui se sont passées dans les conditions que l'on connaît, un certain nombre d'équipes se sont retrouvées propulsées à la tête de leurs villages sans avoir véritablement pris la mesure de ce qui les attendait. Les conséquences de cette situation se manifestent de différentes façons. Tout d'abord, on a enregistré un certain nombre de démissions et d'élections partielles, en particulier dans mon département : il me semble que ce phénomène - extrêmement préjudiciable à l'avenir de la commune - est général et je souhaiterais que vous puissiez le quantifier pour l'ensemble de la France.
Les maires appellent de leurs voeux beaucoup plus de clarté dans leur autonomie financière et de lisibilité dans les moyens qu'on peut leur donner, même si ces derniers sont très restreints. En particulier, ils souhaitent un guichet unique leur permettant de déposer un seul dossier et qu'ensuite il revienne à l'État de le gérer pour activer un des multiples canaux de financement comme la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) ou le Fonds vert - et je mentionne, pour le passé, les crédits du plan de relance. Il semble très difficile pour l'administration de mettre en place cette simplification que nous estimons pourtant nécessaires, d'où l'importance d'appuyer fortement et conjointement cette demande.
Les maires ont également besoin de formations. Celles-ci existent mais je ne suis pas certaine que les maires en soient bien informés. La formation leur est indispensable car ces élus se retrouvent en première ligne pour répondre à une attente considérable de la part de la population sans pour autant disposer des moyens d'y répondre, ce qui augmente le risque d'être dénigré, harcelé ou même agressé.
Je discerne cependant une lueur d'espoir à travers l'augmentation palpable du nombre de baptêmes civils ou de mariages et j'observe qu'une partie de la population revient vers la vie communale, lui accorde sa confiance et souhaite s'engager aux côtés des maires ainsi que des équipes municipales. Il s'agit souvent de jeunes générations et il me semble opportun d'intégrer ce phénomène dans notre réflexion.
Mme Françoise Gatel. - Je partage votre analyse qui replace le sujet des maires et de la commune dans l'évolution d'une société un peu déconstruite et qui n'a pas retrouvé sa voie. Comme vous, j'estime également qu'il ne s'agit pas de se cramponner à la commune en tant qu'institution mais que le fait communal est d'une importance majeure parce que la cohésion sociale se construit sur cette base : la commune, c'est l'incarnation de la République pour tous et au plus près de tous. Nous devons donc nous interroger mais aussi témoigner des innovations formidables qui naissent sur nos territoires et les encourager.
Un mot sur la différenciation : je pense que nous sommes d'accord sur le fond, même si nous n'utilisons pas les mêmes mots. Nous sommes favorables à une différenciation qui puisse être utile aux communes, avec des lois qui ouvrent des « possibles » dont les maires peuvent se saisir pour inventer les solutions dont ils ont besoin. Notre démarche est donc diamétralement opposée aux lois d'exception que l'on a mis en place - par exemple pour Lyon ou la collectivité européenne d'Alsace - et qui sont des textes qui contraignent, obligent ou interdisent sans permettre d'encourager l'agilité.
Enfin, ayant identifié ce qui ne va pas ainsi que les causes et les remèdes, je résume de façon un peu brutale ma question en demandant : que fait-on à présent ? Je pense que nous avons avant tout besoin d'un profond changement culturel pour sortir, dans notre pays, de la défiance à l'égard des élus et de leur liberté d'initiative. Pensez-vous que nous sommes capables de nous révolutionner pour répondre à notre souhait unanime de simplicité et d'efficacité ?
M. Didier Marie. - Je partage vos propos sur la crise civique et démocratique et sur toutes les inquiétudes qu'elles soulèvent mais je pense que les réponses ne sont pas nécessairement à l'échelle de la commune mais plutôt de notre projet de société.
Je voudrais vous interroger sur deux sujets très pratiques. On observe de plus en plus une tendance à opposer la commune et l'intercommunalité depuis que cette dernière s'est élargie et a bénéficié de compétences supplémentaires. Or, vous l'avez dit vous-même tout à l'heure, l'intercommunalité a aussi sauvé un certain nombre de communes qui n'avaient plus les moyens et la capacité de faire. Comment pouvons-nous, selon vous, renforcer la relation qui peut exister entre ceux et celles qui sont investis dans l'intercommunalité, en particulier ceux qui sont dans les exécutifs, et les autres élus, notamment les maires des petites communes, qui peuvent se sentir éloignés voire exclus du dispositif et qui vivent donc une forme de découragement en ayant le sentiment que tout leur échappe, que tout leur a été enlevé ?
Ma deuxième question porte sur les problématiques de reconnaissance de l'élu. On parlait déjà du statut de l'élu lorsque j'ai débuté mon premier mandat en 1989, et depuis on en parle toujours. Un certain nombre de propositions circulent sur le sujet mais on ne va jamais, me semble-t-il, au bout de la question. Interrogés, plus de la moitié des maires indiquent aujourd'hui qu'ils travaillent 35 heures ou plus par semaine et la proportion est plus d'un quart pour leurs adjoints. Cela soulève non seulement la question de la formation, pour les aider à faire face à la complexité, mais aussi celle de la rémunération. Plus largement, je m'interroge sur le principe de base selon lequel la fonction des élus est gratuite et ne donne droit qu'à une indemnisation. Avez-vous mené des réflexions sur la possibilité, à l'instar de ce qui se passe en Espagne et dans d'autres pays, d'évoluer vers un statut de quasi-professionnalisation de l'élu pendant la période où il exerce son mandat, à condition, bien évidemment, que ce mandat ne s'inscrive pas dans la durée de façon trop longue ?
M. Hugues Saury. - Je souhaite vous interroger sur la perte d'autorité des maires. Vous avez indiqué que la première cause de démission des maires se rattache à l'impuissance dans l'action or selon la formule de James O. McKinsey, l'autorité va de pair avec la responsabilité. Je me demande si les transferts de responsabilité de plus en plus nombreux, tout particulièrement vers les intercommunalités qui se multiplient au fil des ans, ne jouent pas un certain rôle dans cette perte d'autorité des maires. En effet, au départ, l'intercommunalité a été conçue comme un outil au service des communes pour mener des actions qu'elles ne pouvaient pas effectuer en propre ; cependant, peu à peu, en tout cas dans certains départements, les intercommunalités ont tendance à se substituer aux maires sur un certain nombre de sujets.
Permettez-moi également de citer un cas d'école que vous connaissez bien pour être venu, et je vous en remercie, à l'assemblée générale des maires du Loiret. La commune de Nevoy, qui compte 1 200 habitants, est, pendant dix jours et deux fois par an, un lieu de rassemblement - à 5 kilomètres d'une centrale nucléaire - de 40 000 gens du voyage. Le maire, dans ce type de situation, perd toute forme d'autorité vis-à-vis de ses concitoyens car on lui demande de ne pas s'opposer à ce rassemblement tout en interdisant par ailleurs une manifestation de motocross. Je souhaite recueillir votre avis sur cette perte d'autorité et cette impuissance publique ainsi que sur les moyens de la restaurer.
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - Je vais être bref car notre collègue Françoise Gatel a évoqué la problématique du droit d'exception que je souhaitais aborder. Cette question mérite d'être posée parce qu'elle apporte un début d'illustration de l'aspect négatif de la différenciation. Comme l'indique l'universitaire Benjamin Morel, il faut prendre garde à ce que la différenciation ne favorise pas une dérive vers une sorte de fédéralisme qui serait diamétralement opposé à la substance de notre pacte républicain et à l'unité nationale. Ce sujet occupe aussi beaucoup le législateur : je cite, comme cas d'école, celui de la métropole de Lyon qui établit une double légitimité sur un même périmètre, ce qui complique le circuit de décision et accroît l'impuissance à agir. Dans le même sens, je mentionne nos travaux sur la métropole marseillaise où nous avons dû créer un droit d'exception en urgence dans la loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique dite « loi 3DS », ce qui, à mon avis, contrevient à l'agilité territoriale seule à même de prendre en compte des situations locales et singulières.
Je m'inscris cependant à mon tour dans un vent d'optimisme, parce qu'une grande partie des problèmes dont les maires se sont fait l'écho pourraient trouver des solutions très simples. Par exemple, lors des débats sur la loi 3DS, nous avons dû ferrailler avec l'État pour permettre - excusez du peu - que la DSIL puisse être notifiée par les préfets de département et non pas par les préfets de région, ce qui, au passage, a généré trois mois d'attente supplémentaires. On a finalement atterri au forceps en commission mixte paritaire qui a donné satisfaction au Sénat, sous réserve que le préfet de région, gestionnaire de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) valide les opérations.
Je souligne que toutes nos rencontres avec les maires confirment que l'on peut progresser très rapidement en matière de simplification : il suffit de faire en sorte que les élus puissent s'adresser à l'interlocuteur unique qu'est le préfet de département et qui incarne l'État dans toutes les politiques publiques. On éviterait ainsi aux élus de se perdre dans le labyrinthe qui les oblige aujourd'hui à passer aujourd'hui 40 ou 50 heures en mairie par semaine - soit trois fois plus qu'avant - en éprouvant un sentiment de restriction dans leur capacité d'agir. Je reprends aussi les propos de notre collègue Anne Chain-Larché pour souhaiter une dotation unique qui permettrait d'éviter le renvoi quasi systématique d'un canal de financement à un autre.
En écho aux propos de Jean-Marc Boyer, et sans faire de mauvais esprit, on a parfois le sentiment que l'État met en place des processus - en matière d'ingénierie, de financement ou d'accompagnement - dont on sait par avance qu'ils vont susciter du découragement chez les élus locaux. Audition après audition, rapport après rapport, nous préconisons au final toujours les mêmes mesures de simplification que l'on peut aisément mettre en oeuvre immédiatement. Il ne s'agit pas de se livrer à de grandes réflexions théoriques mais - et c'est un peu mon cri du coeur - de donner le sentiment aux élus que nous les comprenons et que nous voulons leur redonner souplesse et agilité.
M. David Lisnard. - Je vais tenter, tel un saumon, de remonter le courant de vos questions : je note que la conclusion du rapporteur défriche une grande partie de mon propos et je me réjouis de constater notre convergence de vues. Celle-ci nous paraît évidente ici au Sénat mais elle ne l'est pas dans d'autres d'institutions. J'apprécie beaucoup les assemblées départementales de maires ainsi que les auditions parlementaires mais je suis en revanche étonné du caractère chronophage des réunions ministérielles qui ne mènent nulle part dans 95 % des cas, si ce n'est parfois à diffuser quelques clichés sur les réseaux sociaux. Bien souvent, Bercy prend la main sur Matignon qui contacte alors l'AMF en regrettant de ne pas pouvoir satisfaire nos demandes.
Tout d'abord, la différenciation, qu'au début je considérais de façon positive, deviendra de plus en plus -vous le constaterez- la martingale technocratique qui servira à nous ajouter un niveau de complication, lequel bénéficiera aux grands ensembles et à ceux qui disposent d'ingénierie et d'un tissu relationnel. Cela créera de l'arbitraire au détriment de la ruralité, des villes moyennes et de ceux qui n'ont pas le temps d'inviter à dîner le préfet ou de solliciter le président du conseil régional - qui s'est d'ailleurs très souvent éloigné de beaucoup de communes.
Ensuite, je partage avec vous un certain optimisme tout en soulignant que notre réflexion doit systématiquement porter non seulement sur la décentralisation - même si je n'apprécie pas particulièrement ce terme - mais aussi sur la déconcentration et l'organisation des services de l'État. Dans ce sens, je vous appelle à soutenir l'initiative de l'AMF tendant à supprimer les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL). Ne craignons pas de faire preuve de brutalité car ces structures ne servent quasiment plus à rien hormis à bloquer les projets. Il n'est pas question ici de remettre en cause la qualité de ses agents car notre pays bénéficie d'une fonction publique d'État remarquable, composée de personnes compétentes, bien formées, dévouées, honnêtes et intègres. Ceci étant, la désorganisation des pouvoirs publics, l'échec de l'agencialisation et de la régionalisation doivent être aujourd'hui pris en compte : elles transforment les DREAL en services désincarnés et parfois même intoxiqués par les associations environnementales ; et pour être honnête jusqu'au bout on relève également quelques cas d'instrumentalisation de ces associations par la DREAL. Il faut bien comprendre qu'aucun des services de l'État ou entités publiques que vous avez cités n'a le pouvoir d'autoriser de façon pleine et entière un élu à mener un projet : en revanche, chacun de ces services a la capacité de le bloquer. Lorsqu'on parle d'injonction contradictoire, la première priorité est de s'attaquer aux contradictions au sein des services de l'État. L'État n'est pas une puissance homogène, et c'est pourquoi je rejoins la conclusion du rapporteur sur la nécessité de traiter prioritairement le sujet de la déconcentration. La réponse que nous portons est de commencer par redonner du pouvoir au préfet, mais à mon sens, cela ne suffit pas. En effet, on ouvre aujourd'hui des sous-préfectures, mais ce sont des couloirs vides et les préfets s'appuient sur les élus pour essayer de contrebalancer leur manque d'autorité à l'égard de leurs administrations. Il faut donc non seulement réorganiser les services déconcentrés de l'État autour des préfets de département mais aussi décentraliser certains services comme les DREAL dont l'activité utile devrait être transférée à une administration placée sous l'autorité du conseil départemental et non pas de l'État. Je n'exprime pas ici une position de l'AMF mais je pense que celle-ci pourrait s'y rallier : je suis d'ailleurs agréablement surpris par le caractère transpartisan de la défense de la réalité communale. Vous citez assez opportunément, dans ce domaine, les travaux de Benjamin Morel : ils se focalisent parfois excessivement sur le péril ethno-régionaliste mais nous révèlent des phénomènes auxquels il faut rester attentifs.
S'agissant de la perte d'autorité sur laquelle vous m'interrogez, je précise tout d'abord que ce terme - distinct de celui de pouvoir - renvoie étymologiquement à la notion d'accroissement, et Hannah Arendt indique par exemple que le véritable professeur, par son autorité, augmente le pouvoir de l'élève. De la même façon, l'autorité exercée par une entité publique a également vocation à amplifier le pouvoir de la démocratie et de la République. L'interaction entre la perte d'autorité et le délitement civique apparaît ainsi comme une évidence. L'autorité suppose aussi une capacité d'acceptation de la légitimité par des citoyens co-responsables des affaires publiques et qui ne se contentent pas d'un rôle de consommateurs d'espaces ou de services publics.
Je vous réponds également sur les intercommunalités dont je constate qu'elles ont atteint un très haut degré de maturité ; par conséquent, on ne risque pas de les « détricoter » en demandant, à ce stade, une forte limitation des transferts de compétences obligatoires ainsi que des possibilités de reprise ponctuelle de compétence par telle ou telle commune. Les intercommunalités étant désormais très opérationnelles, il n'est pas choquant qu'un maire puisse retrouver la capacité de gérer l'éclairage public ou le nettoyage dans sa commune s'il l'estime nécessaire. À mon avis, il y aura, dans cette hypothèse, de fortes chances que le maire se rende alors compte que l'intercommunalité ne fonctionnait pas si mal. Je suis convaincu qu'il faut accorder cette souplesse aux communes et même si cela aboutit à quelques dysfonctionnements, une telle démarche est conforme à la confiance qu'il faut accorder aux élus.
La problématique des gens du voyage que vous avez évoquée, illustre tout simplement combien le maire pâtit de la carence et de la défaillance de l'autorité régalienne. De façon analogue, je cite très souvent l'exemple d'un maire confronté aux débordements ainsi qu'aux occupations illégales de militants zadistes, sans être mis en mesure de pouvoir s'y opposer, et qui témoigne, au même endroit, des délais et difficultés administratives opposées à un commerçant qui souhaite simplement modifier l'enseigne de sa boutique. Ce défaut d'autorité crée beaucoup d'énervement civique et il revient à l'État d'exercer effectivement la mission qui lui revient- je suis, à ce titre, très décentralisateur mais pas fédéraliste - plutôt que de multiplier les schémas et les procédures qui nous font vivre dans une « République des (formulaires) Cerfa ».
Élu local depuis presque un quart de siècle, je me souviens qu'avant de lancer un projet, il y a 20 ans, il suffisait de réunir les personnes compétentes pour identifier ce qui était interdit. Aujourd'hui, on s'évertue à rechercher ce qui est autorisé. Je me demande par exemple pourquoi la réalisation - sans appel à une subvention - dans ma commune d'une unité de valorisation des déchets a d'abord été freinée par les délais de réponse de la DREAL, et se trouve à présent entravée par la procédure d'inscription au Schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET), ce qui nécessiterait un geste de la part du président du conseil régional. Cette tutelle du STRADET pour obtenir une simple autorisation de construire un équipement utile dans ma commune me paraît anormale. La perte d'autorité a donc pour origine la perte du pouvoir, ce qui nous ramène à la crise de la démocratie.
Par ailleurs, les relations difficiles entre les maires et les exécutifs intercommunaux se concentrent dans le cas des grandes intercommunalités, dites « XXL » qui, effectivement, dévitalisent les communes. En revanche, dans les petites intercommunalités, quasiment tous les maires détiennent une vice-présidence. Je réaffirme ici être favorable à l'application d'une véritable exigence de subsidiarité, avec une clause de compétence générale opérationnelle permettant à chaque maire de régler lui-même les affaires de sa commune.
Pour cela, il faut lui en donner le pouvoir juridique - ce qui rend nécessaire de garantir la souplesse dans l'exercice des compétences au sein des intercommunalités - ainsi que le pouvoir financier. Vous remarquerez à ce sujet le paradoxe selon lequel moins il y a de fiscalité locale - comme en témoignent les évolutions en matière de taxe professionnelle ou de taxe d'habitation - et plus on paye d'impôts ou de charges. Aujourd'hui, nous détenons le record du monde du taux de prélèvements obligatoires rapportés au PIB - 45% selon Bercy et 47 à 48 % d'après l'OCDE - devant les pays scandinaves, et je ne parle pas du volume bien supérieur de la dépense publique. Il s'agit d'une recentralisation de l'impôt.
Je pense qu'on ne devrait pas pouvoir imposer à un maire certaines décisions qui relèvent, dans sa commune, du « contrat social local » - pour employer une formule qui s'inspire d'une sorte de rousseauisme municipal : je suis donc favorable à l'attribution au maire d'un droit de veto dans ce domaine. En tant que président d'intercommunalité, je ne me permettrai jamais d'imposer une décision au maire d'une commune membre, parce que je m'applique à moi-même l'exigence de subsidiarité.
S'agissant de la question du sénateur Didier Marie relative à la reconnaissance des élus, je mentionne tout d'abord la pertinence des nombreux travaux et initiatives de l'AMF ainsi que du Sénat à ce sujet, auxquels on peut se référer. Je n'apprécie pas particulièrement le terme de « statut de l'élu » - ce qui pourra apparaître à certains comme une prise de position conservatrice - car il me semble qu'un élu ne cherche pas à accéder à un statut, sans quoi il se présenterait à un concours de recrutement. En revanche, on ne doit plus pénaliser les élus : j'observe qu'on a trouvé des solutions en matière de retraites agricoles mais que des difficultés subsistent pour l'IRCANTEC (Institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l'État et des collectivités publiques). Je n'hésite pas à affirmer qu'aucune indemnité de maire ne devrait pouvoir être inférieure au salaire d'un cadre moyen, voire d'un cadre supérieur, et ce quelle que soit la taille de la commune. Un maire ne devrait pas gagner moins de 3 000 euros par mois ; or aujourd'hui, 30 000 maires sur 35 000 gagnent 1 050 euros par mois. Ma formule habituelle consiste à dire qu'être maire n'est pas un métier mais nécessite de se professionnaliser. Il faut être mobilisé sept jours sur sept, assumer une responsabilité politique, civile et pénale : la contrepartie normale est d'allouer au maire une indemnité élevée, sans quoi les retraités fortunés finiront par occuper majoritairement ce mandat. Je défends haut et fort cette revalorisation tout en rappelant que mon cas personnel n'est pas concerné puisque mon mandat de maire d'une ville surclassée me procure des ressources élevées de 4 800 euros nets par mois et je suis par ailleurs conseiller départemental. J'ajoute que la fixation du montant de l'indemnité de maire doit être automatique et ne doit pas faire l'objet d'une délibération. Le Sénat qui a déjà adopté un dispositif de revalorisation devrait porter à nouveau une initiative dans ce sens avec le soutien de l'AMF.
En matière de formation, je suis avant tout favorable non pas nécessairement à instituer une obligation mais à mieux informer les maires des possibilités qui leur sont offertes ; j'ai bien conscience que des efforts - freinés par la pandémie - ont été consentis dans ce sens. L'exercice du mandat de maire nécessite des compétences financières, juridiques, managériales, ce qui peut faire hésiter quant à la création d'une obligation de formation qui serait néanmoins justifiée par la complexité des normes. Dans le même temps, il n'est pas souhaitable d'homogénéiser à l'excès tous les enseignements et on constate que les maires sont de bons élus parce que ce sont avant tout des praticiens ; et j'observe d'ailleurs que beaucoup de bons patrons sont souvent des autodidactes.
J'ajoute que nous pourrions porter ensemble une initiative en faveur de l'automatisation de la protection fonctionnelle du maire et des adjoints lorsqu'ils sont mis en cause. Beaucoup de maires de villages ou de communes rurales sont mal à l'aise pour solliciter cette protection de leur conseil municipal et c'est humainement compréhensible. Il en va de même de l'indemnité qui donne lieu à des débats compliqués dans les grandes villes et plus encore dans les villages, ce qui se rattache à notre rapport particulier à l'argent. On devrait donc faire en sorte de ne même plus avoir à se poser la question en instituant une protection automatique dont je souligne qu'elle est d'ores et déjà acquise pour les fonctionnaires et les agents.
Il est également nécessaire d'articuler ces améliorations avec la revalorisation des emplois de secrétaire de mairie : l'AMF a fait 26 propositions sur ce sujet fondamental et une initiative sénatoriale les a reprises, ce dont je vous remercie une fois de plus.
J'en arrive au concept de « loi des possibles » que vous avez appelé de vos voeux pour faire vivre la différenciation. Je fais observer que toute notre législation devrait pouvoir se rattacher à cette catégorie. La qualité rédactionnelle des articles 212 et 215 du code civil relatifs au mariage - issus du droit d'Ancien Régime - mérite d'être citée en exemple pour sa limpidité et sa précision juridique parfaitement opérationnelle dans les prétoires. On ne peut guère en dire autant des normes publiées aujourd'hui et la loi 3DS, elle-même, qui part d'une intention louable, comporte, comme l'a indiqué le rapporteur, des dispositions assez impénétrables pour le profane. Je mentionne également le cas de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets dite « loi climat et résilience », issue de la commission mixte paritaire conclusive la plus longue de l'histoire, dont les décrets d'application ne sont pas encore tous publiés ou, dans le cas contraire, parfois attaqués devant la juridiction administrative, y compris par l'AMF. Je note que grâce au Sénat, plusieurs initiatives législatives visent à « détricoter » les dispositions inapplicables de ce texte qu'on peut qualifier de « loi à fragmentation bureaucratique ». Une bonne loi édicte des règles générales et peut s'appliquer tout naturellement partout sur le territoire national. La différence étant inhérente à la vie, donnons un pouvoir d'application réglementaire aux collectivités territoriales et on n'aura plus besoin de se poser la question de la différenciation en ayant recours à des usines à gaz. Sans quoi la différenciation s'exprimera à travers des lois dérogatoires qui favoriseront ceux qui disposeront d'ingénierie, d'argent et de pouvoir d'influence.
Vous vous demandez également ce qu'il faut faire : c'est une question existentielle à laquelle je répondrai en affirmant que la bataille est avant tout culturelle et je ne désespère pas de convaincre que la confiance est bien plus bénéfique que la défiance.
J'observe que vous n'avez pas mentionné le côté théâtral que prennent les séances du conseil municipal en raison des dispositions assez stupides sur les conflits d'intérêts potentiels. Elles ne protègent en rien contre les conflits d'intérêts mais obligent très souvent des élus à quitter la salle où se tient la délibération : il en va ainsi, par exemple, pour les membres du conseil d'administration d'une société d'économie mixte (SEM) qui est pourtant une émanation de la collectivité et se situe donc bien loin d'une société à capitaux majoritairement privés. Ce dispositif est d'une très grande hypocrisie : il s'agit de la transposition en droit français de dispositions très bien adaptée au monde anglo-saxon et qui y sont appliquées avec rigueur. En revanche, nous appliquons ces règles de façon beaucoup moins pertinente ou adéquate et cela confine à une mascarade. S'agissant des obligations imposées par la Haute autorité pour la transparence de la vie politique, j'en suis à ma deuxième déclaration sur le prix de ma moto 125 qui n'a pas de valeur comptable, car c'est une épave, mais il est compliqué de le faire admettre. J'appelle donc le législateur à supprimer ces dispositions inadéquates et hypocrites. En revanche, l'existence de vrais contrôles sur nos revenus, nos modes de vie et pour sanctionner les détournements est tout à fait normale. Au final, c'est bien une bataille culturelle dans laquelle il nous faut nous lancer - et je mentionne les théories d'Antonio Gramsci à ce sujet - pour revivifier la démocratie communale.
En ce qui concerne les statistiques, on a enregistré depuis 2020 au moins 1 400 démissions de maires selon le ministère de l'intérieur. Par rapport à la décennie précédente, la propension à démissionner a doublé sur la période 2013-2023. Le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires de France, Christophe Béchu, fait observer que les chiffres n'ont pas augmenté par rapport à 2020 mais, en réalité, le tournant se situe à l'été 2014 où le ras-le-bol a amplifié les démissions au moment, d'ailleurs, où la DGF a évolué. S'agissant des élus communaux, je ne peux qu'extrapoler les chiffres : en se basant sur les constats de 103 associations départementales de l'AMF, environ 25 000 élus communaux et intercommunaux auraient démissionné.
Sur le thème de la simplification, j'alerte sur la création de « guichet unique » qui se traduit souvent par l'addition d'une structure qui laisse perdurer les guichets existants. En revanche, vous avez raison de souhaiter le formulaire unique et la constitution d'un seul dossier. Cependant, les administrations n'y sont pas favorables, parce que l'émiettement des dossiers leur donne plus de pouvoir. Le Fonds vert, pour l'instant, fonctionne conformément aux engagements du Gouvernement, sans qu'il y ait eu d'appel à projets. Je crains que ce ne soit que transitoire car toutes les allocations finissent par donner lieu à appels à manifestation d'intérêt : ces derniers sont, ici encore, un moyen de recentralisation, un signe de défiance, une perte de pouvoir pour les élus, et une logique de vases communicants financiers. Il faut s'opposer à ces mécanismes et le besoin de formation des maires, est, dans ce domaine, avéré.
En ce qui concerne la crise civique et la notion d'honneur chez les jeunes générations, j'apporterai un bémol à votre analyse : sur mon territoire, les jeunes de mes deux quartiers politiques de la ville mettent souvent en exergue la notion de respect et je saisis l'occasion pour leur dire que cette notion est bilatérale et commence par le vouvoiement. À partir d'une initiative née en Vendée, on a mis en place un passeport du civisme qui s'est généralisé à plus de 5 000 communes et fonctionne très bien. Au départ, ce dispositif concernait les élèves de CM1, mais nous mettons en place un passeport de civisme qui suivrait l'ensemble de la scolarité et s'installe progressivement dans les établissements scolaires. Je suis donc optimiste sur la capacité d'insuffler le civisme dans les écoles : beaucoup de personnes du corps des recteurs, d'inspecteurs d'académies et d'enseignants, se sont rendu compte qu'on a atteint la limite de la déconstruction et de l'esprit de mai 1968. Nous pourrions vous présenter cette initiative au Sénat avec un passeport qui comporte les grandes dates mémorielles et un peu d'instruction civique, pour que vous puissiez la relayer auprès de vos maires.
En ce qui concerne les violences faites aux élus, nous ne sommes trop souvent pas informés des suites données aux poursuites à l'égard des agresseurs et, à tout le moins, je plaide pour une protection fonctionnelle automatique des maires. Je ne pense pas qu'on puisse trouver là une quelconque complicité de l'administration, mais surtout une impuissance face aux réalités des déviances.
Pour échapper à la tentation du découragement et retrouver plus de souplesse, il nous faut pourfendre la multiplication des agences de l'État et la régionalisation de ses services car cela fonctionne mal et de façon désincarnée. Il faut leur préférer la proximité, source d'efficacité et de responsabilité. On doit diminuer le nombre de rapports d'activité et d'autorisation préalable tout en recentrant l'État sur ses missions de contrôle a posteriori, de police, et on retrouvera de la vitalité communale, de l'espérance et du civisme.
Mme Maryse Carrère, présidente. - Je note que plus on légifère sur la souplesse qu'on souhaiterait apporter au collectivités et plus on a l'impression que des contre-feux systématiques sont allumés. Par exemple, en matière de déconcentration, on a donné au préfet, dans la loi 3DS, un rôle de délégué de l'office français de la biodiversité ; or à ce jour je n'ai constaté aucune évolution sur mon territoire parce que le préfet n'exerce pas ce pouvoir. À ma connaissance, les préfets n'exercent pas non plus leurs prérogatives de passer-outre, sans doute par crainte des contentieux.
M. David Lisnard. - Votre observation est très importante et je souligne que l'expérimentation du passer-outre n'est pas appliquée pour deux raisons. D'une part, demander à des préfets formés pour faire appliquer la loi d'y déroger suscite pour eux un blocage culturel. D'autre part, le fond du problème est celui des contradictions internes que recèle notre législation : très souvent, on en arrive à vous dire dans la même journée, par exemple, qu'il faut construire 300 logements sociaux mais qu'il est interdit d'artificialiser un mètre carré. La seule solution serait de redonner au préfet le pouvoir non pas de passer-outre mais d'arbitrer entre deux dispositions contradictoires pour faire prévaloir l'intérêt général, quitte à faire valider sa décision par le tribunal administratif ou le Conseil d'État. Cependant, les préfectures et la juridiction administrative manquent de moyens pour faire fonctionner un tel dispositif.
Mme Maryse Carrère, présidente. - Nous vous remercions pour votre intervention et vos précieuses suggestions.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.