N° 846

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 5 juillet 2023

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur : « La France en Amérique du Sud, quelles relations avec ses voisins brésilien, surinamais et guyanien ? »,

Par Mme Joëlle GARRIAUD-MAYLAM, M. André VALLINI, Mme Catherine DUMAS, M. Philippe FOLLIOT et Mme Nicole DURANTON,

Sénateurs et Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : M. Christian Cambon, président ; MM. Pascal Allizard, Olivier Cadic, Mme Marie-Arlette Carlotti, MM. Olivier Cigolotti, André Gattolin, Guillaume Gontard, Jean-Noël Guérini, Joël Guerriau, Pierre Laurent, Philippe Paul, Cédric Perrin, Rachid Temal, vice-présidents ; Mmes Hélène Conway-Mouret, Joëlle Garriaud-Maylam, Isabelle Raimond-Pavero, M. Hugues Saury, secrétaires ; MM. François Bonneau, Gilbert Bouchet, Alain Cazabonne, Pierre Charon, Édouard Courtial, Yves Détraigne, Mmes Catherine Dumas, Nicole Duranton, MM. Philippe Folliot, Bernard Fournier, Mme Sylvie Goy-Chavent, M. Jean-Pierre Grand, Mme Michelle Gréaume, MM. André Guiol, Ludovic Haye, Alain Houpert, Mme Gisèle Jourda, MM. Alain Joyandet, Jean-Louis Lagourgue, Ronan Le Gleut, Jacques Le Nay, Mme Vivette Lopez, MM. Jean-Jacques Panunzi, François Patriat, Gérard Poadja, Stéphane Ravier, Gilbert Roger, Bruno Sido, Jean-Marc Todeschini, Mickaël Vallet, André Vallini, Yannick Vaugrenard.

L'ESSENTIEL

Douze ans après la publication du dernier rapport consacré au Brésil par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées1(*), il était indispensable de mener de nouveaux travaux sur ce pays tant ce dernier a connu d'importants bouleversements politiques au cours de la décennie écoulée : destitution de la Présidente Dilma Rousseff en août 2016, accession au pouvoir du dirigeant d'extrême droite Jair Bolsonaro en 2018, et élection, pour un troisième mandat, de Luiz Inácio Lula da Silva en octobre 2022.

Ces alternances, sur fond de polarisation de plus en plus marquée de la société brésilienne, ont eu des répercussions importantes tant à l'intérieur des frontières du pays, en matières économique, sociale et environnementale, qu'en dehors, en raison de la place qu'il était parvenu à occuper à la fin des années 2010 aux niveaux régional et international.

L'objectif de cette mission d'information était double :

- établir un bilan de la situation économique, sociale et politique du Brésil à l'amorce de la troisième présidence Lula, tout en identifiant les axes de possible renforcement de la relation bilatérale ;

- analyser les atouts et les défis que représente la présence de la France en Amérique du Sud, par l'intermédiaire du département de la Guyane, en mettant l'accent sur les relations qu'elle entretient avec ses voisins du Plateau des Guyanes, immédiats, comme le Brésil et le Suriname, ou plus lointains, comme le Guyana, et sur les pistes d'approfondissement de ces derniers.

I. BRÉSIL : LE RETOUR DE L' « IMPAVIDE COLOSSE »2(*) ?

A. LE BRÉSIL EST CONFRONTÉ À D'IMPORTANTES DIFFICULTÉS ÉCONOMIQUES ET SOCIALES

1. Au plan économique, à la « décennie dorée » du début des années 2000 a succédé une « décennie perdue » des années 2010-2020

Au cours de la première décennie des années 2000, le Brésil a connu une amélioration significative de sa situation économique marquée notamment par un taux de croissance élevé (plus de 4 % en moyenne entre 2003 et 2011) et une baisse du taux de chômage de l'ordre de 30 %. Cette période s'est en outre caractérisée par une distribution plus équitable des revenus du travail.

À cette « décennie dorée » a toutefois succédé une « décennie perdue », avec une croissance annuelle de 0,6 % en moyenne au cours de la période. Celle-ci s'est également traduite par une dégradation des finances publiques brésiliennes : la dette publique devrait ainsi s'élever à 88 % du PIB en 2023, contre 61 % en 2011.

L'économie brésilienne est notamment pénalisée par une série de « handicaps » socio-économiques, communément appelés « coût Brésil » estimé à plus de 1 500 milliards de réaux.

2. Un pays fortement polarisé

Depuis la récession de 2015-2016, les inégalités et la pauvreté sont reparties à la hausse. Entre 2014 et 2021, le revenu moyen des 40 % les plus pauvres a diminué de 8 %, tandis que celui des 10 % les plus riches a augmenté de 7,2 %. Par ailleurs, le Brésil compterait à l'heure actuelle plus de 30 millions de personnes souffrant de la faim.

L'élection présidentielle des 2 et 30 octobre 2022, qui a vu le retour de Lula au pouvoir, a mis en lumière une société brésilienne profondément divisée entre les valeurs prônées par le camp bolsonariste (travail, famille traditionnelle, religion, notamment évangélique) et celles portées par Lula et ses alliés (lutte contre les inégalités et les discriminations, dialogue, protection de l'environnement).

Une semaine après l'investiture du nouveau Président, le 8 janvier 2023, des milliers de partisans de Jair Bolsonaro réclamant un coup d'État militaire se sont ainsi introduits dans les bâtiments des trois pouvoirs (Congrès fédéral, Présidence et Tribunal suprême fédéral), se livrant à des actes de vandalisme.

3. La troisième présidence Lula entend tourner la page de l'ère Bolsonaro tout en s'inscrivant dans la continuité des deux premiers mandats

En rupture avec la politique menée par son prédécesseur, le Président Lula a fait de la lutte contre la pauvreté et de la réduction des inégalités les priorités de son Gouvernement.

Ce volontarisme dans le domaine social s'est traduit par le retour de plusieurs mesures emblématiques de ses premiers mandats telles que les programmes « Bolsa Família » et « Minha Casa Minha Vida ».

Le nouvel exécutif a également annoncé la mise en oeuvre d'une importante réforme fiscale qui devra notamment permettre une réduction du « coût Brésil ».

Conformément aux promesses faites durant la campagne, le nouvel exécutif, qui s'est engagé à atteindre une déforestation nette nulle d'ici 2030, a pris différentes mesures pour combattre la déforestation telles que la création d'un ministère de l'environnement ou encore la mobilisation de l'armée pour lutter contre l'orpaillage illégal.

Le Président Lula a également fait de la protection des peuples autochtones l'une des priorités de son Gouvernement, appelant dans son discours d'investiture à révoquer « toutes les injustices commises à l'encontre des peuples autochtones ».

Le nouveau Gouvernement doit cependant composer avec un Congrès qui lui est majoritairement défavorable, le parti conservateur de Jair Bolsonaro et ses alliés y détenant la majorité. L'unité nationale manifestée au lendemain du 8 janvier 2023 associée à un certain pragmatisme et une souplesse des partis brésiliens, habitués aux gouvernements de coalition, devraient faciliter l'adoption de certaines réformes.

En matière environnementale cependant, le secteur de l'agro-négoce, bien représenté au sein du Congrès, pourrait constituer un frein au volontarisme du nouvel exécutif.

B. LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE DU BRÉSIL : LA RÉAFFIRMATION D'UN LEADERSHIP RÉGIONAL, UNE AMBITION INTERNATIONALE RETROUVÉE ?

1. Après une période d'isolement sous la présidence Bolsonaro, un leadership régional retrouvé ?

Au niveau régional, les premiers mandats du Président Lula ont été marqués par l'affirmation progressive d'une « hégémonie consensuelle » brésilienne sur le sous-continent.

Cette stratégie régionale du Brésil s'est déclinée en deux volets : un volet économique, via un appui à l'élargissement et à l'approfondissement du Mercosur (marché commun du Sud), et un volet politique avec la création et le renforcement de l'Unasur (Union des nations sud-américaines).

Si, durant la présidence Bolsonaro, le Brésil s'est détourné de l'Amérique latine au profit d'un rapprochement avec les États-Unis, le Président Lula a clairement affirmé son souhait de relancer le processus d'intégration régionale. L'une des premières décisions prises par le nouvel exécutif a ainsi consisté à réintégrer la CELAC (Communauté d'États Latino-Américains et Caraïbes) le 5 janvier 2023. Dès le 23 janvier 2023, Lula s'est en outre rendu en Argentine pour assister au VIIe sommet de l'organisation. Enfin, le 30 mai 2023, un sommet des chefs d'État du continent sud-américain s'est réuni à Brasilia, témoignant de l'engagement du nouvel exécutif dans l'intensification des liens entre pays du sous-continent.

2. Une ambition internationale réaffirmée

Au début de la décennie 2010, sous l'impulsion du Président Lula qui avait fait du renforcement des relations Sud-Sud un axe fort de la politique étrangère brésilienne, le Brésil s'est imposé comme le porte-parole du « Sud Global », parvenant à en affirmer la place sur la scène internationale.

Cette volonté de rééquilibrage des relations internationales au profit des pays du Sud demeure un marqueur fort de la politique étrangère du Gouvernement Lula III. Dans le domaine économique et monétaire, celle-ci se traduit par un narratif appelant à une « dédollarisation » de l'économie mondiale, à une réforme de l'architecture financière internationale et à un assouplissement des conditions de remboursement des dettes des pays du Sud.

La politique étrangère brésilienne a cependant pu être perçue comme ambigüe, en particulier dans le contexte de la guerre en Ukraine. Dans un entretien accordé au Time Magazine le 22 mai 2022 alors qu'il n'était encore que candidat, Lula a semblé renvoyer dos à dos les Présidents Poutine et Zelensky. S'il refuse d'appliquer des sanctions à l'encontre de la Russie tant que celles-ci n'auront pas été décidées par le Conseil de sécurité de l'ONU - au sein duquel la Russie, membre permanent, dispose d'un droit de veto - ou de livrer des armes à l'Ukraine, le Brésil a cependant voté en faveur de la plupart des résolutions de l'Assemblée générale des Nations unies. Le Brésil entend ainsi assumer un rôle de médiateur dans ce conflit, proposant la création d'un « club de la paix » qui réunirait des pays non occidentaux et servirait d'intermédiaire entre les belligérants.

L'évolution des relations entre l'UE et le Brésil dépendent quant à elles pour partie du futur de l'accord d'association négocié depuis 1999. Au cours des derniers mois, celui-ci a suscité un certain regain d'intérêt côté européen. Le 17 janvier 2023, la Présidente de la Commission européenne, Ursula van der Leyen a ainsi appelé depuis le Forum économique mondial à « relancer les débats en ce qui concerne l'accord du Mercosur ». Le Mercosur se montrerait en outre constructif sur l'instrument additionnel présenté par la Commission et aurait donné son consentement pour « débloquer » l'accord sans demander une réouverture des négociations.

Dans la perspective de sa présidence de l'Union européenne débutée le 1er juillet 2023, l'Espagne avait émis le souhait que les discussions puissent aboutir d'ici le sommet UE-CELAC des chefs d'État et de gouvernement qui se tiendra à Bruxelles les 17 et 18 juillet 2023. Ce calendrier, déjà optimiste en début d'année 2023, semble désormais peu vraisemblable compte tenu du report des négociations sur l'instrument additionnel.

S'il peut sembler excessif de considérer qu'un éventuel échec des discussions sur cet accord ancrera définitivement le Brésil à la Chine, compte tenu des relations commerciales qui existent déjà entre les deux pays, et si la mission ne méconnaît pas les problématiques soulevées par cet accord qui ont été bien rappelées par des résolutions ou projets de résolutions déposés à l'Assemblée nationale et au Sénat, elle considère qu'il convient de poursuivre les discussions sur ce sujet en prenant notamment en compte le volontarisme de Brasilia en matière environnementale, cet accord pouvant, à tout le moins, contribuer au renforcement du lien unissant le Brésil aux pays occidentaux.

C. APRÈS UNE PARENTHÈSE SOUS LA PRÉSIDENCE BOLSONARO, DES « RETROUVAILLES » ENTRE LA FRANCE ET LE BRÉSIL AUXQUELLES IL CONVIENT DE DONNER UNE TRADUCTION CONCRÈTE

1. Une volonté partagée de relance des relations bilatérales

L'élection du Président Lula ouvre incontestablement un nouveau chapitre de nos relations diplomatiques.

Lors de son déplacement au Brésil en février 2023, la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, Catherine Colonna, a ainsi qualifié de « retrouvailles » cette volonté partagée de tourner la page de la présidence sortante.

L'ensemble des personnes rencontrées par la mission ont mis en avant la nécessité de renouer des liens nourris et réguliers avec la France.

Cette main tendue doit être saisie rapidement alors que plusieurs de nos alliés et compétiteurs ont déjà opéré un rapprochement, parfois plus marqué, avec ce « nouveau Brésil ».

Plusieurs chefs d'État, dont le Roi d'Espagne et les Présidents du Portugal et de l'Allemagne, ou encore le Vice-Président chinois Wang Qishan étaient ainsi présents lors de l'investiture du Président Lula, alors que la France n'y était représentée que par le ministre délégué chargé du commerce extérieur, de l'attractivité et des Français de l'étranger. Le Président Lula a par ailleurs accueilli plusieurs visites officielles depuis son élection : le Chancelier allemand Olaf Scholz s'est ainsi rendu à Brasilia dès le mois de janvier 2023, promettant le versement de 200 millions d'euros pour la protection de l'Amazonie. Le ministre des affaires étrangères russes, Sergueï Lavrov, a également été reçu par son homologue brésilien Mauro Vieira puis le Président Lula en avril 2023.

2. Un partenariat stratégique qui doit être relancé

Dans le domaine de la défense, le partenariat stratégique s'est matérialisé par un plan d'actions conclu en 2008, qui a notamment donné lieu à d'importants contrats dans les domaines naval, aéronautique et spatial.

Dans le domaine naval plus spécifiquement, un ambitieux programme de transfert de technologie baptisé ProSub (Programa de desenvolvimentos de submarinos o Brasil) a été signé en 2009. Il repose sur deux piliers :

la construction d'un chantier et d'une base navale à Itaguaí ;

la construction de 4 sous-marins conventionnels de type Scorpène dans les chantiers d'Itaguaí et l'assistance à la construction d'un sous-marin à propulsion nucléaire.

Le premier sous-marin conventionnel, baptisé Riachuelo, a été livré et mis en service le 1er septembre 2022. L'Humaitá, qui a réalisé ses essais à la mer, devrait pour sa part être livré à la fin de l'année 2023. Les deux derniers sous-marins, le Tonelero et l'Angostura, seront quant à eux mis en service respectivement en 2024 et 2025.

Il convient de préparer dès maintenant l'après 2025, date de mise en service du dernier sous-marin conventionnel.

Plusieurs axes de relance de ce partenariat pourraient être envisagés : renforcement de l'appui français aux autorités brésiliennes dans la construction d'un sous-marin à propulsion nucléaire, utilisation d'Itaguaí comme d'un « relais » en Amérique latine pour la vente de sous-marins de type Scorpène qui seraient construits au Brésil, conclusion d'un partenariat dans le domaine terrestre avec la livraison de systèmes CAESAR, etc.

II. LA PRÉSENCE FRANÇAISE SUR LE PLATEAU DES GUYANES : UN ATOUT POUR LA FRANCE QUI DOIT ÊTRE CONSOLIDÉ

Selon les mots de Thierry Queffelec, préfet de la Guyane, le département de la Guyane, plus grand département français avec plus de 83 000km², représente « la France en Amérique Latine ». Si la France partage avec ses voisins immédiats que sont le Brésil et le Suriname, ou plus lointains comme le Guyana, les innombrables atouts de cette région (biodiversité, ressources naturelles, etc.), elle est également confrontée aux mêmes problématiques (protection d'un territoire rendue difficile du fait de son étendue et de ses caractéristiques, développement des activités illicites, questions relatives à l'immigration clandestine, ou encore défis liés à la protection de l'environnement et à la lutte contre la déforestation. Ces enjeux, dans une large mesure régionaux, appellent une réponse coordonnée avec les pays voisins.

A. UNE COOPÉRATION TRANSFRONTALIÈRE FRANCO-BRÉSILIENNE DÉJÀ INTENSE MAIS QUI DOIT ÊTRE ENCORE RENFORCÉE

La France et le Brésil partagent une frontière de plus de 730 km, ce qui constitue la plus longue frontière terrestre française.

La coopération transfrontalière dans les domaines militaires (en particulier en matière de lutte contre la pêche ou l'orpaillage illégaux), judiciaire et policier est déjà intense. Différentes mesures pourraient cependant être prises pour en renforcer la portée telles que l'organisation de patrouilles conjointes à la frontière, un renforcement de la coopération judiciaire en matière pénale visant à une meilleure exécution des commissions rogatoires émises par les juges français à l'égard de ressortissants brésiliens ou encore le renforcement de la coopération dans le domaine de la protection de l'environnement via le développement de contacts entre magistrats et policiers spécialisés ou des coopérations techniques notamment avec le Censipam brésilien.

Au cours du déplacement, les autorités nationales comme locales brésiliennes ont par ailleurs systématiquement soulevé la question de l'obligation pour les Brésiliens souhaitant se rendre en Guyane de disposer d'un visa, alors qu'une telle obligation n'existe pas pour se rendre sur le territoire métropolitain et que les Guyanais sont, de leur côté, exemptés de visa pour franchir la frontière. Cette problématique des visas constitue un « irritant » majeur des relations franco-brésiliennes, auquel il conviendrait d'apporter une réponse rapidement.

B. LE SURINAME : UN DÉVELOPPEMENT ATTENDU, UN PAYS EN PROIE À UNE SITUATION ÉCONOMIQUE ET SOCIALE FORTEMENT DÉGRADÉE

Depuis 2020, le Suriname fait face à une grave crise économique qui l'a contraint à faire défaut sur sa dette extérieure, laquelle s'élevait à près de 150 % du PIB fin 2020. Placé sous l'intervention du FMI avec un programme d'aide de 690 millions de dollars, le Suriname a obtenu l'aide du Club de Paris et le soutien de la France, avec laquelle un accord de restructuration d'une partie de sa dette a été signé en octobre 2022.

Pour faire face à cette situation, le Gouvernement a adopté plusieurs réformes fortement contestées par l'opinion : augmentation du prix de l'électricité et des carburants, gel des salaires des fonctionnaires, ou encore mise en place d'une TVA de 10 % depuis le 1er janvier 2023. Une manifestation contre la vie chère a ainsi eu lieu le 17 février 2023, en marge de laquelle des actes de violence ont été commis contre le siège de la présidence et le bâtiment de l'Assemblée nationale.

L'existence de gisements pétroliers offshore, dont les niveaux sont actuellement en cours d'estimation, pourrait, à moyen terme, apporter une réponse à la crise traversée par le Suriname.

La France doit renforcer sa coopération avec le Suriname, pays avec lequel elle partage une frontière de plus de 500km.

En matière de défense, Krishna Mathoera, ministre de la défense du Suriname, a rappelé que « la France est un partenaire très important pour le Suriname ». Depuis 2003, les deux pays sont liés par un accord de statut des forces à l'étranger. La coopération militaire entre nos pays devrait en outre être renforcée avec l'installation d'une mission de défense au sein de l'ambassade de France à partir du 1er août 2023.

Dans les domaines judiciaires et policiers, une convention d'entraide en matière pénale a été signée en 2021 qui vise à renforcer la lutte contre la criminalité transfrontalière. La convention de coopération policière transfrontalière signée en 2006 est par ailleurs entrée en vigueur le 1er septembre 2022.

La mission estime nécessaire que le protocole d'accord pour la reconnaissance de la frontière sur le Maroni-Lawa du 15 mars 2021, qui doit mettre un terme à l'essentiel du contentieux frontalier entre la France et le Suriname, soit rapidement ratifié côté surinamais. Il conviendra ensuite d'aboutir rapidement à un accord sur la 4e section de la frontière afin de clore définitivement ce chapitre.

Au cours des entretiens, les autorités surinamaises ont mis en avant l'insuffisance des moyens des armées et des forces de sécurité intérieure pour lutter efficacement contre les activités illicites. La France pourrait ainsi apporter un soutien logistique aux forces surinamaises, en envisageant par exemple des cessions de matériels, qu'il s'agisse de véhicules, de moyens de communication, ou encore d'équipements individuels.

C. LE GUYANA, FUTUR « QATAR » D'AMÉRIQUE DU SUD ?

Jusqu'à récemment, le Guyana, ancienne colonie britannique ayant accédé à l'indépendance en 1966, était le pays le plus pauvre d'Amérique du Sud. La découverte d'importants gisements de pétrole en mer par l'américain ExxonMobil en 2015 a cependant grandement rebattu les cartes. Avec près de 11,5 milliards de barils équivalents de pétrole, le pays possèderait ainsi les deuxièmes plus grandes réserves de pétrole par habitant au monde. Sa production de pétrole pourrait ainsi atteindre 1,2 million de barils par jour d'ici 2027.

Les politiques publiques mises en oeuvre par l'actuel Gouvernement guyanien seront donc déterminantes dans le modèle de développement du pays pour les années à venir. Pour éviter la survenance du « syndrome hollandais », le Gouvernement du Guyana a ainsi mis en place un fonds souverain (Natural Resource Fund) placé auprès d'une institution financière newyorkaise.

La « manne » pétrolière, qui représentait plus de 88 % de la croissance du PIB réel du pays en 2022, devra ainsi servir au développement d'autres secteurs d'activité, en particulier l'agriculture et l'agroalimentaire. À cet égard, le Président Irfaan Ali a rappelé à la mission la volonté des autorités d'augmenter les investissements dans les infrastructures (dont 650 millions de dollars pour les infrastructures routières, 258 millions de dollars pour les logements et 210 millions de dollars pour les infrastructures électriques) ainsi que dans les domaines de l'éducation et de la santé.

Plusieurs axes de développement des relations franco-guyaniennes doivent être explorés.

Dans le domaine économique tout d'abord, le Guyana offre d'importantes opportunités pour les entreprises françaises. Le renforcement de la présence française au Guyana a d'ailleurs été appelé de ses voeux par le Président Irfaan Ali qui a indiqué que les entreprises françaises étaient les bienvenues et souhaiter que la France devienne un « partenaire clé » du développement du pays.

En matière de sécurité, ensuite, le pays demeure confronté aux défis de la criminalité organisée : pêche et orpaillages illégaux et trafics de stupéfiants, en particulier de cocaïne, à destination de l'Amérique du Nord et de l'Europe. Le Président Ali a ainsi appelé à un renforcement de la coopération franco-guyanienne en matière de lutte contre la criminalité.

Enfin, s'agissant des relations diplomatiques, lors des entretiens qu'elle a menés à Georgetown, les autorités guyaniennes ont toutes indiqué à la mission regretter l'impossibilité pour les Guyaniens d'effectuer les démarches pour obtenir un visa pour la France depuis le territoire du Guyana. En effet, aucun pays de l'Union européenne ne disposant à l'heure actuelle d'une ambassade à Georgetown, les Guyaniens doivent se rendre à l'ambassade des Pays-Bas au Suriname pour y déposer leur demande de visa Schengen.

Par ailleurs, si l'ouverture d'une ambassade au Suriname également compétente pour le Guyana et la mise en place d'une antenne diplomatique à l'automne 2023 constituent des signaux importants et salués par les autorités guyaniennes rencontrées, la mission considère cependant nécessaire d'aller plus loin en ouvrant une ambassade de plein exercice à Georgetown, à l'instar de ce qu'ont pu faire d'autres pays tels que les États-Unis, la Chine ou la Russie.

En effet, si la France ne prend pas rapidement l'initiative, nos concurrents ont déjà fait, ou feront dans un futur proche, à n'en pas douter, preuve de davantage de clairvoyance.

La France doit rapidement se positionner comme un partenaire clé du Guyana

Les recommandations

Donner un nouvel élan à la relation bilatérale franco-brésilienne

· Maintenir la présence française dans la Casa Europa à Rio de Janeiro et développer des partenariats avec des entreprises françaises pour contribuer au financement des travaux nécessaires à sa rénovation.

· Afin de rééquilibrer les flux d'investissement franco-brésiliens, mettre en place un accompagnement renforcé des entreprises brésiliennes envisageant de s'implanter en France.

· Créer un conseil franco-brésilien permettant un dialogue bilatéral de haut niveau régulier sur les sujets économiques et financiers.

· Formaliser la reprise des relations bilatérales par une visite présidentielle, par exemple lors du sommet des pays d'Amazonie, voire une visite d'État à l'occasion de laquelle des engagements concrets devront être pris.

· Renouveler le partenariat stratégique de 2006 et l'étendre à de nouveaux champs tels que le domaine terrestre, le cyber ou le spatial. Étudier les possibilités d'approfondissement du programme ProSub dans le domaine nucléaire et mettre en avant les savoir-faire désormais établis d'ICN dans les discussions qui pourraient être ouvertes avec des pays d'Amérique latine concernant l'acquisition de sous-marins.

Renforcer les relations entre pays du
Plateau des Guyanes

· Étudier les modalités de rapprochement entre le parc national des montagnes du Tumucumaque (Parque Nacional das Montanhas do Tumucumaque) et le parc Amazonien de Guyane, ce qui constituerait la plus grande zone mondiale de la biodiversité, et étendre cette coopération au Suriname et au Guyana.

· Créer un groupe d'amitié France-Guyana-Suriname.

Intensifier la coopération transfrontalière
avec le Brésil

· Mettre en place de véritables patrouilles conjointes permettant aux militaires des deux pays d'appréhender les auteurs d'actes illicites sur le territoire de l'autre pays, dans une zone dont la profondeur devra être déterminée.

· Proposer un renforcement de la coopération judiciaire en matière pénale visant à une meilleure exécution des commissions rogatoires émises par les juges français à l'égard de ressortissants brésiliens, réétudier les modalités d'extradition et de mise en oeuvre de la procédure dite de libération conditionnelle « expulsion », voire envisager l'établissement d'une convention sur le transfert de prisonniers.

· Renforcer la coopération dans le domaine de la protection de l'environnement via le développement de contacts entre magistrats et policiers spécialisés, des coopérations techniques notamment avec le Censipam, l'appui de la demande brésilienne d'accéder à certaines images prises par le satellite Sentinel-1 ou encore la participation de la France au financement du Fonds Amazone relancé par le Président Lula.

· Ouvrir une Alliance française à Macapá, le cas échéant, dans le cadre d'un partenariat avec le centre de langue et de culture françaises « Danielle Mitterrand ».

· Poursuivre la recherche d'un partenaire bancaire brésilien permettant un financement intermédié de l'AFD à destination de l'État d'Amapá. Outre les thématiques liées à l'environnement et à la culture, prévoir que cette aide sera consacrée au financement d'infrastructures dans le secteur touristique.

· Prévoir un assouplissement du régime des visas applicable aux Brésiliens se rendant en Guyane et, a minima, mettre en place une solution technique permettant aux habitants de l'Amapá de ne pas avoir à se rendre à Brasilia pour obtenir un visa.

Accompagner le développement
du Suriname

· Envisager une action de Proparco, filiale de l'AFD, en faveur du secteur privé, afin de poursuivre l'accompagnement du développement du Suriname.

· Encourager les autorités surinamaises à procéder à la ratification du protocole d'accord pour la reconnaissance de la frontière Maroni-Lava. Engager rapidement des travaux sur la 4e et dernière section de la frontière afin de solder définitivement ce contentieux avec le Suriname.

· Maintenir un très haut niveau de coopération en matière policière et oeuvrer activement pour la mise en oeuvre de l'accord de coopération judiciaire.

· Étudier les possibilités de cessions de matériels et d'équipements au profit des forces de sécurité surinamaises.

Positionner la France comme
un partenaire clé du Guyana

· Multiplier les initiatives à destination des entreprises françaises afin de leur faire prendre conscience des opportunités commerciales offertes par le Guyana.

· Étudier les solutions possibles pour faciliter les démarches d'obtention de visas Schengen pour les Guyaniens.

· Créer une ambassade de plein exercice au Guyana.

LA FRANCE EN AMÉRIQUE DU SUD, QUELLES RELATIONS AVEC NOS VOISINS BRÉSILIEN, SURINAMAIS ET GUYANIEN ?

Douze ans après la publication du dernier rapport consacré au Brésil par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées3(*), il était indispensable de mener de nouveaux travaux sur ce pays tant ce dernier a connu d'importants bouleversements politiques au cours de la décennie écoulée : destitution de la Présidente Dilma Rousseff en août 2016, accession au pouvoir du dirigeant d'extrême-droite Jair Bolsonaro en 2018, et élection, pour un troisième mandat, de Luiz Inácio Lula da Silva en octobre 2022.

Ces alternances, sur fond de polarisation de plus en plus marquée de la société brésilienne, ont eu des répercussions importantes tant à l'intérieur des frontières du pays, en matières économique, sociale et environnementale, qu'en dehors, en raison de la place qu'il était parvenu à occuper à la fin des années 2010 aux niveaux régional et international.

L'objectif de cette mission d'information était double :

- établir un bilan de la situation économique, sociale et politique du Brésil à l'amorce de la troisième présidence Lula, tout en identifiant les axes de possible renforcement de la relation bilatérale ;

- analyser les atouts et les défis que représente la présence de la France en Amérique du Sud, par l'intermédiaire du département de la Guyane, en mettant l'accent sur les relations qu'elle entretient avec ses voisins du Plateau des Guyanes, immédiats, comme le Brésil et le Suriname, ou plus lointains, comme le Guyana, et sur les pistes d'approfondissement de ces derniers.

Dans cette perspective, la délégation sénatoriale, composée de Jöelle Garriaud-Maylam et André Vallini, rapporteurs, Catherine Dumas, Philippe Folliot et Nicole Duranton, s'est rendue à Rio de Janeiro, sur la base navale d'Itaguaí, symbole de la coopération franco-brésilienne en matière de défense, à Brasilia, Macapá, Oiapoque, Cayenne, puis à Paramaribo, capitale du Suriname, et enfin Georgetown, capitale du Guyana.

Carte de l'Amérique du Sud

(en rouge, l'itinéraire du déplacement de la mission)

PREMIÈRE PARTIE
BRÉSIL : LE RETOUR DE L'» IMPAVIDE COLOSSE »4(*) ?

I. PREMIÈRE PUISSANCE D'AMÉRIQUE LATINE, LE BRÉSIL FAIT CEPENDANT FACE À D'IMPORTANTS DÉFIS ÉCONOMIQUES ET SOCIAUX

A. UN GÉANT DOTÉ DE FORMIDABLES ATOUTS

1. Un territoire immense disposant d'importantes ressources naturelles

Plus grand État d'Amérique latine avec plus de 8,5 millions de km² (quinze fois la France et deux fois l'Union européenne), le Brésil est également le cinquième plus grand pays au monde.

Cet immense territoire est de surcroît richement doté en ressources naturelles.

Le Brésil possède ainsi d'importantes réserves minières, avec une exploitation diversifiée couvrant environ 80 types de minerais, 11 d'entre eux représentant plus de 99 % de la valeur de production du secteur. Le pays est en outre un acteur majeur dans les minerais critiques tels que le niobium, le fer, le graphite, la bauxite et le kaolin, ainsi que dans les réserves abondantes de manganèse, de niobium, de tantale et de terres rares.

Il dispose par ailleurs d'importantes ressources en hydrocarbures. Ses réserves de pétrole s'élèvent ainsi à près de 12 milliards de barils (environ 0,8 % des réserves mondiales), ce qui en fait le deuxième pays d'Amérique latine après le Venezuela, tandis que ses ressources en gaz naturel atteignent plus de 337 milliards de mètres cubes.

Le Brésil accueille en outre la majeure partie de l'Amazonie, qui recouvre 61 % de son territoire, soit environ 5,2 millions de km². L' » Amazonie verte » constitue un réservoir de biodiversité exceptionnel, rassemblant près de 15 % des espèces de faune et de flore mondiales et 20 % des réserves d'eau douce.

Au plan maritime, ce que la marine brésilienne a, la première, qualifié d'» Amazonie bleue » représente une superficie d'environ 4,5 millions de km², dont 3,5 millions de km² au titre de la zone économique exclusive et 963 000 km² au titre du plateau continental. Outre des gisements pétroliers significatifs, cet espace maritime abrite d'importantes ressources halieutiques.

2. Une population nombreuse mais inégalement répartie sur le territoire

Avec plus de 203 millions d'habitants, le Brésil est le pays le plus peuplé d'Amérique latine, se classant au 6e rang mondial.

Le Brésil - dont la classe moyenne représente près de la moitié de la population, soit environ 100 millions d'habitants5(*) - est ainsi le plus grand marché d'Amérique latine, loin devant le Mexique (129 millions d'habitants), la Colombie (51 millions d'habitants) et l'Argentine (46 millions d'habitants).

La population brésilienne, en croissance de 7,6 % entre 2012 et 2021, est en outre une population jeune. 43,9 % des Brésiliens étaient ainsi âgés de moins de 30 ans en 2021, même si ce taux tend à décroître (- 6 points entre 2012 et 2021).

Répartition de la population brésilienne par classe d'âge

Source : Institut brésilien de géographie et de statistiques (IGBE)

Par ailleurs, comme le rappelle Hervé Théry6(*), « la population brésilienne [est] très inégalement distribuée sur le territoire, il persiste une nette opposition [...] entre régions littorales très peuplées et régions intérieures faiblement occupées qui reflète aujourd'hui encore les effets du processus de colonisation et de peuplement du territoire à partir de la côte. Même les zones de concentration côtière sont irrégulières, des vides y persistent et seuls São Paulo, le Paraná, Rio de Janeiro et quelques petits États du Nordeste voient leur territoire occupé de façon continue. Sur le reste du territoire la répartition de la population est étroitement corrélée avec les réseaux de transport, voies navigables en Amazonie, routes de desserte régionale ailleurs ».

Carte de la densité de population brésilienne

(Année 2010)

Source : Institut brésilien de géographie et de statistiques (IGBE)

3. Une économie diversifiée

Selon les chiffres de la banque mondiale, le produit intérieur brut (PIB) du Brésil s'élevait à près de 1 609 milliards de dollars (2,4 % du PIB mondial) en 2021, le classant au 8e rang mondial.

Au niveau régional, le Brésil représente actuellement un tiers du PIB d'Amérique latine. À eux seuls, le Brésil et le Mexique représentent près de 58 % dans l'économie de la région.

Son PIB par habitant (en dollars courants) s'élevait quant à lui à 7 507 dollars (85e rang mondial), soit un niveau comparable à celui de la Colombie, mais inférieur à celui du Chili, de l'Argentine ou du Mexique.

Les principales forces de l'économie brésilienne résident dans la richesse et la diversité de ses ressources naturelles, faisant du pays une puissance agricole, minière et énergétique de premier plan7(*).

Le secteur agricole peut s'appuyer sur l'importante superficie du pays, des conditions naturelles favorables et des avancées en recherche agronomique. Le Brésil, qui était un importateur net de denrées alimentaires en 1970, a connu une révolution agricole et est désormais une référence mondiale dans plusieurs domaines. Il occupe ainsi la première place mondiale pour la production de sucre, de soja, de café et de jus d'orange, la deuxième place pour l'éthanol, la viande bovine et la viande de volaille, et la troisième place pour le maïs et la viande porcine.

Les exportations brésiliennes de minerais ont quant à elles augmenté de 59 % en 2021 pour atteindre 58 milliards de dollars.

S'agissant des hydrocarbures, la compagnie nationale Petrobras est le principal producteur de pétrole du pays, représentant 95 % de la production totale en 2020. Cependant, le Brésil demeure un importateur de produits pétroliers raffinés. Des projets visant à augmenter les capacités de raffinage sont certes en cours, mais ils ne devraient être opérationnels qu'à partir de 2030.

Son industrie, initialement concentrée sur l'exploitation des ressources naturelles, s'est également développée dans des domaines tels que l'automobile ou l'aéronautique (avec notamment Embraer).

Les services représentent quant à eux près de 60 % du PIB brésilien et recouvrent un panel large d'activités : services financiers, assurances, télécommunications, tourisme, immobilier, hôtellerie, administration et éducation notamment.

Le secteur de la santé occupe également une place importante dans l'économie brésilienne, avec des dépenses de santé correspondant à près de 9,6 % du PIB en 2019 (environ 130 milliards d'euros), dépassant la moyenne des pays de l'OCDE (8,8 %). En 2021, le secteur de la santé, comprenant les hôpitaux publics et privés, les établissements de santé, les entreprises pharmaceutiques et les fabricants d'équipements médicaux, a ainsi généré plus de 4,6 millions d'emplois directs et indirects dans le pays. Avec un chiffre d'affaires d'environ 21 milliards d'euros en 2021, le marché brésilien représentait 2,2 % des ventes mondiales de médicaments.

B. AU PLAN ÉCONOMIQUE, À « LA DÉCENNIE DORÉE » DU DÉBUT DES ANNÉES 2000 A SUCCÉDÉ UNE « DÉCENNIE PERDUE » DES ANNÉES 2010-2020

1. Un bilan économique positif des premiers mandats de Lula (2003-2011)

Au cours de la première décennie des années 2000, le Brésil a connu une amélioration significative de sa situation économique marquée notamment par un taux de croissance annuel de son PIB de plus de 4 % en moyenne entre 2003 et 2011 et une baisse du taux de chômage de l'ordre de 30 %.

PIB et croissance du PIB brésiliens entre 2000 et 2021

Source : banque mondiale

Évolution du taux de chômage brésilien entre 2000 et 2021

(en %)

Source : banque mondiale

Cette période s'est en outre caractérisée par une distribution plus équitable des revenus du travail. Cette évolution a été permise par une croissance économique solide ainsi que la mise en place de politiques sociales : augmentation du salaire minimum, lancement de programmes sociaux tels que « Bolsa Família » et « Beneficio de Prestacão Continuada » et de programmes d'aide à l'éducation et au logement tels que « Minha Casa Minha Vida ».

Au total, comme le rappelle Bruno Meyerfeld8(*), « grâce à ses programmes sociaux, 40 millions de Brésiliens sortent de la pauvreté, la faim est éradiquée [...] et toute une génération accède enfin à l'université ».

Pour Frédéric Louault9(*), ces années ont constitué pour le Brésil « une “ décennie dorée ” (2003-2011) marquée par la croissance, les créations d'emplois et la hausse des salaires, la confiance des consommateurs et des investisseurs et une belle attractivité internationale. Ce modèle s'est appuyé sur une insertion renforcée dans le capitalisme global, à travers notamment un boom des exportations de matières premières, dont les cours étaient élevés ».

2. Si l'année 2022 a pu surprendre par son dynamisme, la dernière décennie s'est globalement caractérisée par une croissance atone et une dégradation des comptes publics brésiliens

Selon les chiffres de la Banque mondiale, au cours de la dernière décennie, la croissance du PIB brésilien s'est élevée à 0,6 % en moyenne annuelle.

Cette faiblesse de la croissance de l'économie s'est accompagnée d'une diminution du PIB par habitant : alors qu'il avait enregistré une croissance soutenue lors de la décennie précédente, le pays a vu son PIB par habitant diminuer de 8,15 % entre 2011 et 2020, passant de 15 394 dollars (en parité de pouvoir d'achat constant) à 14 140 dollars.

Évolution du PIB brésilien par habitant entre 2011 et 2021

(en dollars, parité de pouvoir d'achat constant)

Source : Banque mondiale

Dans une note d'avril 2021, le service économique régional de Brasilia estime que les années 2010-2020 ont constitué une « décennie perdue » pour le Brésil.

Plusieurs facteurs ont contribué à cette détérioration des performances économiques du pays :

- le Brésil a souffert de la fin de l'augmentation du prix des matières premières et des taux d'intérêt bas aux États-Unis, ce qui a eu un impact négatif sur sa croissance. Sa dépendance vis-à-vis des exportations de matières premières a de surcroît rendu son économie vulnérable aux fluctuations des prix sur les marchés mondiaux ;

- si la crise financière mondiale de 2008 a eu peu d'effets directs et immédiats sur le Brésil, la détérioration des conditions économiques mondiales s'est traduite par un ralentissement de sa croissance économique au cours de la décennie suivante ;

- la gouvernance du pays a été remise en cause par des scandales de corruption, ce qui a nui à la confiance des investisseurs ;

- la pandémie de Covid-19, qui a causé près de 700 000 décès dans le pays et a été à l'origine d'une grave récession.

Au regard de la relative atonie de l'économie brésilienne au cours des dix dernières années, 2022 a pu surprendre par son dynamisme (+ 2,9 %), après une année 2021 elle-même marquée par un rebond du PIB post-Covid 19 (+ 5 %).

Corollaire de cette dynamique, le marché du travail a également affiché de bons résultats. Le taux de chômage a poursuivi sa baisse tout au long de l'année pour atteindre 7,9 % au quatrième semestre 2022, après un pic à 14,9 % atteint en début d'année 2021.

Cette amélioration devrait cependant être temporaire avec un ralentissement attendu de la croissance dès 2023.

En effet, selon le FMI, le PIB brésilien ne devrait croître que de 1,2 % en 2023. Ce ralentissement résulte de plusieurs facteurs : i) une politique monétaire restrictive de la Banque centrale du Brésil (BCB), avec des taux d'intérêt réels parmi les plus élevés au monde (autour de 8 %) ; ii) la fin de l'effet rebond dans les secteurs des services à la suite de la réouverture progressive de l'économie brésilienne après les restrictions sanitaires ; et iii) un contexte international incertain et morose.

Cette « décennie perdue » s'est également caractérisée par une dégradation des finances publiques brésiliennes.

Le déficit primaire (hors charge de la dette) pour 2023 devrait ainsi s'élever à - 0,5 % du PIB. Des mesures ont été mises en place en janvier et avril 2023 pour accroître les recettes et diminuer le déficit, prévu initialement à - 2,3 % du PIB. La hausse du déficit résulte principalement d'un amendement constitutionnel (appelé PEC10(*) de la transition), négocié par l'équipe de transition du Président Lula avec l'ancien Congrès, autorisant une augmentation réelle des dépenses fédérales de 8 %, destinée à financer les engagements pris durant la campagne.

Le déficit nominal, incluant la charge de la dette, devrait également augmenter en 2023, atteignant - 8,8 % du PIB selon les prévisions du FMI, principalement en raison de l'augmentation des charges de la dette en raison de la hausse des taux liée à la politique monétaire de la Banque centrale du Brésil.

Selon le FMI, la dette publique devrait ainsi croître en 2023, atteignant 88 % du PIB.

Évolution de la dette publique brésilienne

(en % du PIB)

Source : FMI

L'inflation devrait en outre atteindre 6 % en 2023, soit un taux légèrement supérieur à celui de 2022 (5,8 %), mais en deçà du pic de 12,1 % atteint en avril 2022.

3. Une économie pénalisée par un ensemble de facteurs qualifiés de « coût Brésil » 

L'économie brésilienne est pénalisée par un ensemble de » handicaps » socio-économiques, communément appelés « coût Brésil » estimé par le Boston Consulting Group à plus de 1 500 milliards de réaux (cf. infra).

Comme le rappelle la direction générale du Trésor dans ses réponses au questionnaire de vos rapporteurs, ce concept, apparu au milieu des années 1990, recouvre notamment :

une fiscalité qui se caractérise par un niveau d'impôts et de taxes élevé, tant sur le marché domestique qu'à l'importation, ainsi que par une complexité du système fiscal. Selon le classement Doing Business de la Banque mondiale, les entreprises brésiliennes consacrent en moyenne 1 501 heures par an au paiement de leurs impôts, contre 159 heures en moyenne dans les pays de l'OCDE ;

un droit du travail marqué par une certaine rigidité et un niveau élevé de charges salariales ;

une bureaucratie jugée excessive par de nombreux acteurs ;

un environnement juridique et réglementaire brésilien qui expose les entreprises aux décisions rétroactives du pouvoir judiciaire. Par exemple, la Cour suprême fédérale a pris plusieurs décisions remettant en cause rétroactivement l'assiette fiscale d'un impôt, ce qui crée une incertitude pour les entreprises ;

une main-d'oeuvre insuffisamment qualifiée. Selon la Banque mondiale, l'indice du capital humain au Brésil était inférieur à la moyenne de l'OCDE en 2021 ;

- une qualité des infrastructures insuffisante, avec des disparités importantes entre les États fédérés. L'absence de réseaux ferroviaires et la mauvaise qualité du réseau routier pénalisent ainsi particulièrement les chaînes de production ;

un accès au crédit bancaire difficile pour les petites et moyennes entreprises. Les banques brésiliennes limitent généralement l'octroi de crédits aux opérations à court terme et sans risque. De plus, le coût du capital est élevé en raison d'une faible concurrence entre les banques, ce qui entrave l'investissement.

Estimation du « coût Brésil » en 2018 par le Boston Consulting Group et le MBC (Movimento Brasil Competitivo)

Source : direction générale du Trésor, réponse aux questionnaires des rapporteurs

Conscientes de la nécessité de réduire le poids de ces handicaps structurels, les autorités brésiliennes ont lancé le programme « Redução do custo Brasil » (réduction du coût Brésil). Plus de 1 000 projets ont ainsi été répertoriés, lesquels pourraient avoir un impact estimé à 827 milliards de réaux sur une période de 10 ans.

Le précédent Gouvernement a engagé un ensemble de mesures destinées pour partie à améliorer la compétitivité du pays : réforme des retraites, réforme du travail, nouveaux cadres réglementaires dans le secteur de l'assainissement et du gaz, digitalisation des services publics, etc.

Plusieurs réformes annoncées par le Président Lula, et plus particulièrement celle de la fiscalité, devraient en outre contribuer à la réduction du « coût Brésil » (cf. infra).

C. UNE SOCIÉTÉ CARACTÉRISÉE PAR UNE FORTE POLARISATION

1. Le Brésil demeure l'un des pays les plus inégalitaires au monde

Depuis la récession de 2015-2016, les inégalités et la pauvreté sont reparties à la hausse, après une période d'amélioration globale des conditions de vie (cf. supra).

Entre 2014 et 2021, le revenu moyen des 40 % les plus pauvres a diminué de 8 %, tandis que celui des 10 % les plus riches a augmenté de 7,2 %.

Par ailleurs, le Brésil compterait à l'heure actuelle plus de 30 millions de personnes souffrant de la faim.

Cette évolution est principalement due à la forte hausse du taux de chômage, qui est passé de 6,5 % fin 2014 à 11,1 % début 2022, ainsi qu'à la montée du travail informel, qui concerne près de 40 % de la population active occupée.

La pandémie de Covid-19 a accentué cette tendance, malgré la mise en place de mesures de soutien importantes qui ont permis de contenir l'augmentation de la pauvreté et des inégalités. Le programme « auxílio emergencial », approuvé en avril 2021, a ainsi assuré un revenu à près de 67 millions de Brésiliens parmi les plus modestes. Ce programme a été transformé en fin d'année 2021 en une allocation permanente appelée « auxílio Brasil », en remplacement du programme « Bolsa Familia ».

En 2020, le Brésil se classait ainsi au 15e rang des pays les plus inégalitaires du monde. Les 50 % les plus pauvres ne recevaient que 10 % du revenu brut, tandis que les 10 % les plus riches en percevaient 60 % (contre une moyenne mondiale de 52 %).

Dans une note de mars 2023, le service économique régional de Brasilia relève en outre que « les disparités géographiques des revenus au Brésil sont croissantes. C'est en effet la principale conclusion de l'étude d'après la “ Carte des Richesses ” dressée en mars 2023 par la Fondation Getulio Vargas (FGV), qui cartographie les flux de revenus et de patrimoine des grandes fortunes brésiliennes à partir de la déclaration d'impôt sur le revenu (IRPF). Les résultats sont sensiblement différents de ceux “ traditionnels ”, issus de l'enquête nationale continue par sondage sur les ménages (Pnad Continua) : l'indice de Gini, qui calcule le niveau d'inégalité dans une économie, atteint 0,7068 avec le chiffrage de la FGV contre 0,6013 calculés par la Pnad Continua. La richesse au Brésil se concentre particulièrement dans le sud-est et le sud du pays. Parmi les 27 États brésiliens, ceux où le revenu mensuel total par habitant est le plus important sont le District Fédéral qui abrite la capitale Brasilia (3 113 BRL, ou 558 EUR), Sao Paulo (2 230 BRL, ou 400 EUR) et Rio de Janeiro (1 762 BRL, ou 316 EUR), suivi par les trois États de la région Sud : le Rio Grande du Sud (1 646 BRL ou 300 EUR), Santa Catarina (1 580 BRL, ou 284 EUR) et le Parana (1 488 BRL, ou 267 EUR). À l'inverse, les États du nord et du nord-est sont les plus pauvres. Le Para (504 BRL, ou 91 EUR) et le Maranhão (367 BRL, ou 66 EUR) sont les deux États ayant le revenu moyen par habitant le plus faible ».

Enfin, comme l'a indiqué la direction générale du Trésor dans ses réponses au questionnaire de vos rapporteurs, d'autres formes d'inégalités persistent telles que les inégalités de genre, de même que des problèmes de santé et médicaux résultant d'un important déficit en infrastructures et services essentiels (accès à l'eau potable, gestion des déchets, accès aux hôpitaux et le nombre de médecins par habitant), qui se superposent aux disparités géographiques de revenus.

2. Une montée de la contestation depuis le début des années 2010 ayant abouti à l'élection de Jair Bolsonaro en 2018

Les grandes manifestations de juin 2013 ont constitué un premier signal d'alerte sur l'émergence d'un mouvement de contestation au sein de la population brésilienne. Comme le rappelle Laurent Delcourt11(*), celles-ci font descendre « des centaines de milliers de jeunes Brésiliens dans la rue. Pêle-mêle, les manifestants dénoncent la hausse des tarifs de transport, la flambée du prix du logement, les dépenses excessives consenties par le pays pour organiser la Coupe du monde (2014), réclament de meilleurs services publics et dénoncent la corruption ».

Ces mouvements n'ont cependant pas empêché la victoire du Parti des travailleurs (PT) lors des élections de 2014. Or, jusque dans les années 2010, le système politique brésilien reposait sur une alternance régulière entre sociale démocratie et partis dominés par le PT. Cette quatrième victoire consécutive du PT a ainsi été perçue par une partie de l'électorat comme un blocage de ce système.

À ce sentiment, a pu s'ajouter une certaine « usure du pouvoir » dans un contexte économique dégradé, la crise économique de 2008 s'étant traduite, bien qu'avec retardement, par des récessions en 2015 et 2016.

D'autre part, au moment même où le Brésil faisait face à une grave crise économique, l'opération Lava Jato (lavage express), conduite à partir de 2013 par le juge Sergio Moro, devenu par la suite ministre de la justice et de la sécurité publique sous la présidence Bolsonaro et sénateur du Paranà, a révélé un gigantesque système de corruption impliquant notamment des cadres de l'entreprise publique Petrobras, ainsi que la plupart des partis politiques.

Cette affaire, qui a abouti à la condamnation de Lula pour corruption et blanchiment d'argent - lequel verra ses condamnations annulées par le Tribunal fédéral en avril 2021 - et à l'arrestation de centaines d'hommes politiques et de chefs d'entreprise, a durablement entamé la confiance des Brésiliens dans leurs élites politiques et économiques.

Affaiblie par une coalition en délitement et devant faire face à la montée des trois groupes conservateurs au Parlement (« boeuf, Bible, balles », ou « 3B »), la Présidente Dilma Rousseff, qui a succédé à Lula en 2011, est finalement destituée par le Congrès le 31 août 2016 pour « crime de responsabilité »12(*). Cet évènement, qualifié par l'ancienne Présidente et ses partisans de « coup d'État », a constitué un véritable « séisme » politique que la présidence de Michel Temer n'a pas réparé.

Cette contestation montante au sein de la population brésilienne, associée à une fragilisation de la droite classique, elle-même en prise à des affaires de corruption, ainsi qu'à l'inéligibilité de Lula prononcée le 31 août 2018 par le Tribunal supérieur électoral brésilien ont abouti à l'élection de Jair Bolsonaro lors des élections de 2018.

Pour Frédéric Louault13(*), « l'arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro en 2019, trente ans exactement après l'élection de Fernando Collor, marque l'avènement d'un nouveau style populiste, jusqu'alors peu visible en Amérique latine, porteur d'un projet politique d'extrême droite à la verve débridée et violente. Économiquement libéral et très conservateur sur les questions de société, il s'oppose farouchement aux politiques qui ont été mises en oeuvre par des prédécesseurs Lula et Dilma Rousseff ».

3. Les élections d'octobre 2022 et les évènements du 8 janvier 2023 ont confirmé les profondes divisions de la société brésilienne

L'élection présidentielle des 2 et 30 octobre 2022, qui a vu le retour de Lula au pouvoir, a mis en lumière une société brésilienne profondément divisée entre les valeurs prônées par le camp bolsonariste (travail, famille traditionnelle, religion, notamment évangélique) et celles portées par Lula et ses alliés (lutte contre les inégalités et les discriminations, dialogue, protection de l'environnement).

Cette élection, qui opposait une vaste coalition menée par Lula au Président sortant, s'est ainsi soldée par un score extrêmement serré en faveur du premier, lequel a recueilli 50,9 % des voix (60,3 millions d'électeurs) contre 49,1 % (58,2 millions d'électeurs) pour son adversaire. Cette fragmentation de l'électorat apparaît notamment géographique, avec un Nord majoritairement acquis à Lula et un Sud plus prospère ayant davantage voté en faveur de Jair Bolsonaro.

Malgré les accusations de fraude et de faiblesses du système électoral avancées par Jair Bolsonaro et ses partisans, la victoire de Lula a rapidement été reconnue par les principaux soutiens de son adversaire, au premier rang desquels Arthur Lira, président de la Chambre des députés.

Pourtant, une semaine après l'investiture du nouveau Président, le 8 janvier 2023, des milliers de partisans de Jair Bolsonaro réclamant un coup d'État militaire se sont introduits dans les bâtiments des trois pouvoirs (Congrès fédéral, Présidence et Tribunal suprême fédéral), se livrant à des actes de vandalisme.

Ces événements, qui font écho à ceux survenus deux ans plus tôt à Washington, ont cependant été condamnés par les 27 gouverneurs des États fédérés, lesquels ont unanimement soutenu Lula, en dépit des clivages politiques. Ces actes ont, au moins à court terme, contribué à renforcer la légitimité du nouveau pouvoir. En dépit du discrédit dont souffre Jair Bolsonaro auprès des élites du pays depuis les évènements du 8 janvier 2023, comme l'a rappelé Gaspard Estrada, la cote de popularité du « Cavalão » demeure élevée au sein de la population et, pour une partie importante celle-ci, il continue d'incarner l'opposition au nouveau Gouvernement.

Les élections d'octobre, qui voyaient le renouvellement d'un tiers des 81 sénateurs et de l'ensemble des 513 députés, ont également renforcé le front bolsonariste au sein des deux chambres, le parti libéral ayant obtenu 99 sièges à la Chambre des députés - dont il est devenu le premier parti - et 14 sièges au Sénat fédéral.

Le nouveau Président doit donc composer avec un Congrès qui lui est majoritairement défavorable et, en particulier, avec la multitude de partis du Centrão (centre) dont le soutien sera indispensable pour mener à bien sa politique. La composition du Gouvernement Lula III, qui ne compte pas moins de 37 ministères, témoigne de cette volonté présidentielle de rassembler le plus largement possible. Si le régime brésilien est traditionnellement qualifié de « présidentialisme de coalition », selon les termes du politologue Sérgio Abranches, la coalition gouvernementale actuelle, « de circonstance », pourrait cependant rendre plus difficile la mise en oeuvre des réformes promises par le nouveau Président (cf. infra).

D. EN MATIÈRE DE POLITIQUE INTÉRIEURE, DES PRIORITÉS DU PRÉSIDENT LULA CONSISTANT À TOURNER LA PAGE DE L'ÈRE BOLSONARO TOUT EN S'INSCRIVANT DANS LA CONTINUITÉ DE SES DEUX PREMIERS MANDATS

1. « Remettre sur pied l'appareil d'État »

Lors de son discours d'investiture prononcé le 1er janvier 2023, le Président Lula a réaffirmé sa volonté de consacrer ses efforts « à la restauration de cet édifice de droits et de valeurs nationales »14(*), précisant avoir signé des mesures visant à « réorganiser les structures du pouvoir exécutif afin qu'elles permettent à nouveau au gouvernement de fonctionner de manière rationnelle, républicaine et démocratique » et annonçant, « après le terrible défi » qui venait d'être relevé, le retour de la « démocratie pour toujours ».

Pour Gaspard Estrada, la « remise sur pied de l'appareil d'État », qui constitue un chantier prioritaire du Gouvernement Lula III, passera par plusieurs mesures telles que les renforcements de certaines agences gouvernementales et services publics dont les moyens avaient été réduits sous la précédente présidence, l'accroissement de leurs prérogatives, la réduction du poids de l'armée dans les ministères (de l'ordre de 6 000 militaires auraient ainsi été nommés dans des fonctions civiles) afin de revenir progressivement à un fonctionnement « traditionnel » des institutions.

Par ailleurs, le nouveau Gouvernement a pris différentes mesures visant à consolider la démocratie brésilienne et à encourager le dialogue avec la société civile telles que la création d'un site visant à lutter contre les fausses informations ou encore la mise en place d'un Conseil de participation sociale, destiné à maintenir un dialogue permanent avec les organisations de la société civile dans le processus d'élaboration et d'évaluation des politiques publiques.

2. Une politique économique et budgétaire axée sur le social et le renforcement du rôle de l'État

La politique économique du Président Bolsonaro s'est concentrée autour de plusieurs réformes structurelles dans les domaines social (notamment la réforme des retraites), du marché du travail (en en renforçant la flexibilité) et fiscal (avec la refonte du système fiscal), ainsi que sur un projet majeur de réforme de l'administration publique. Si plusieurs de ces mesures ont été menées à bien, notamment dans le domaine de la sécurité sociale, les réformes concernant le système fiscal et l'organisation administrative de l'État n'ont pas pu être engagées.

Elle se caractérisait en outre par une désétatisation de l'économie, qui s'est traduite par la mise en oeuvre d'un vaste programme de privatisations et le développement de concessions et de partenariats public-privé (PPP).

En rupture avec la politique menée par son prédécesseur, le Président Lula a fait de la lutte contre la pauvreté et de la réduction des inégalités ses priorités.

Ce volontarisme dans le domaine social s'est traduit par le retour, dès les premiers jours du mandat, de plusieurs mesures emblématiques telles que les programmes « Bolsa Família », qui instaure une allocation minimum de 600 reaux par mois et le versement de 150 reaux par enfant de moins de 6 ans (ce programme doit bénéficier à plus de 21 millions de familles), et « Minha Casa Minha Vida », qui fixe comme objectif la construction de 2 millions de logements d'ici 2026, la hausse du salaire minimum à compter du 1er mai 2023, ou encore l'augmentation du salaire des fonctionnaires.

Le nouveau Président s'est d'autre part prononcé en faveur d'une réindustrialisation du pays, indiquant lors de son discours d'investiture : « il est insensé d'importer des carburants, des engrais, des plateformes pétrolières, des microprocesseurs, des avions et des satellites. Nous disposons de capacités techniques, de capitaux et de parts de marché suffisants pour reprendre l'industrialisation et la prestation de services à un niveau compétitif ». Un « Plan d'exécution de la stratégie industrielle, verte et technologique », présentant la stratégie gouvernementale en la matière sur les 10 prochaines années, devrait ainsi être présenté prochainement.

Conformément aux engagements présidentiels, le Gouvernement Lula III a par ailleurs mis fin au processus de privatisation engagé sous la précédente présidence, retirant une dizaine d'entreprises (dont Petrobras, Telebras et Correios) du programme national de désétatisation et du programme de partenariats d'investissements. Le nouvel exécutif s'est en outre engagé à accroître les dépenses consacrées aux infrastructures, en particulier dans les domaines de l'eau et de l'assainissement et des mobilités urbaines.

Afin de financer une partie de ces mesures et avant même l'investiture du nouveau Président, l'équipe de transition a fait adopter un amendement à la Constitution, visant notamment à retirer certaines dépenses sociales du « plafond des dépenses » (« teto de gastos »), permettant une augmentation du budget 2023 de 8 %.

Les mesures annoncées par le nouveau Président, dont le financement a été permis par un « contournement » du plafond des dépenses, ont été à l'origine d'importantes tensions entre l'exécutif et la Banque centrale du Brésil, laquelle, considérant que la politique gouvernementale se traduirait par une augmentation des prix, a décidé de maintenir une politique monétaire fortement restrictive en laissant inchangé son taux directeur à 13,75 %, malgré une baisse significative de l'inflation.

Pour rassurer les marchés et la BCB, le Gouvernement a proposé un nouveau mécanisme de contrôle budgétaire reposant sur la définition de plafonds pour l'accroissement annuel des dépenses et l'établissement d'un seuil minimal pour les investissements publics, tout en tenant compte de divers critères pour déterminer l'évolution des recettes publiques. Un paquet de mesures destinées à permettre une limitation du déficit primaire à 1 % du PIB en 2023 a par ailleurs été présenté.

Surtout, le nouvel exécutif a annoncé la mise en oeuvre d'une importante réforme fiscale qui devra notamment permettre une réduction du « coût Brésil ». Dans une note de juin 2023, le service économique de Brasilia détaille les mesures contenues dans le projet de réforme présenté par le groupe de travail de la Chambre des députés parmi lesquelles : une simplification des taxes indirectes sur la production et la consommation remplacées par une taxe sur la valeur ajoutée (TVA) duale (le taux ayant vocation à être fixé par l'État fédéré, les États et les municipalités), l'instauration de régimes spéciaux en faveur de certains secteurs (services financiers, immobilier, carburants et lubrifiants, etc.), des taux supérieurs pour décourager la consommation de produits considérés comme nocifs pour la santé et l'environnement, ou encore la mise en place de crédits d'impôt pour les ménages les plus modestes.

3. Un volontarisme affiché en matière environnementale et de protection des peuples autochtones

À partir du milieu des années 1950, l'Amazonie a acquis une dimension stratégique pour le Brésil, qui l'a placée au coeur de ses enjeux de souveraineté.

Plusieurs instruments ont ainsi été mis en place au fil des années pour assurer la protection de cet immense territoire.

La mission s'est par exemple rendue dans les locaux du Centro gestor e operacional do sistema de proteção da Amazônia (centre de gestion et d'exploitation du système de protection de l'Amazonie - CENSIPAM) à Brasilia. Ce centre, dont les prémices remontent à la fin des années 1980, vise à fournir des renseignements aux forces de sécurité intérieure et à l'armée permettant de lutter contre la déforestation, les activités illégales telles que l'orpaillage, ou encore de faire face à certaines catastrophes naturelles (inondations, incendies).

L'Amazonie constitue également une priorité stratégique pour l'armée brésilienne. Signe de cet intérêt pour cette zone, comme l'a rappelé le commissaire en chef François Escarras, attaché militaire de l'ambassade de France, les élèves les mieux classés des écoles militaires choisissent désormais de servir en Amazonie à l'issue de leur formation. Les forces brésiliennes ont de surcroît considérablement renforcé leur présence en Amazonie, leurs effectifs étant passés de 1 000 hommes en 1950 à 30 000 hommes en 2023.

L'importance accordée par le Brésil à ce territoire, n'a cependant pas empêché une accélération de la déforestation sous la présidence Bolsonaro, laquelle a résulté d'un certain laisser-faire et d'une diminution des moyens accordés aux organismes de surveillance, comme le rappelle Frédéric Louault15(*) : « sous Bolsonaro, les organisations chargées de la politique environnementale sont littéralement démantelées, financièrement et administrativement, au nom de la débureaucratisation. Plusieurs parcs nationaux ont même été privatisés ».

Au total, selon Ombelyne Dagicour, la forêt amazonienne a « perdu 20 % de sa superficie en l'espace de cinquante ans. La déforestation en Amazonie a désormais presque doublé au Brésil par rapport à 2018, poussant les monocultures commerciales et les activités d'extraction toujours plus loin dans les confins tropicaux »16(*).

Conformément aux promesses faites durant la campagne, le nouvel exécutif, qui s'est engagé à atteindre une déforestation illégale nulle d'ici 2030, a pris différentes mesures pour combattre la déforestation, notamment la création d'un ministère de l'environnement ou encore la mobilisation de l'armée pour lutter contre l'orpaillage illégal.

Dans une étude du 10 avril 2023, le service économique régional de Brasilia note que « l'investiture de Lula aura symboliquement été marquée par la révocation de textes promulgués par Bolsonaro et plusieurs décisions en faveur de la protection de l'environnement, engageant sans ambiguïté un détricotage législatif. Les premiers arbitrages budgétaires témoignent également d'un net changement de cap en termes de politique environnementale. Marina Silva fait de la lutte contre la déforestation l'une de ses priorités, visant le “ zéro déforestation (légale et illégale) pour 2030 ”. Par ailleurs, 12 ministères fédéraux intègrent un ou plusieurs secrétariats (22 au total) dédiés au développement durable, à l'environnement, au climat, à la bioéconomie. S'en est suivi le dégel du Fonds Amazonie avec une capacité d'engagements annuels d'1 Md BRL ».

Ces mesures ont eu des conséquences immédiates sur la déforestation, comme le rappelle Bruno Meyerfeld dans un article du Monde du 22 juin 2023 : « en Amazonie, la déforestation a chuté de 31 % lors des cinq premiers mois de l'année, comparé à 2022 ».

Le Président Lula a également fait de la protection des peuples autochtones l'une des priorités de son Gouvernement, appelant dans son discours d'investiture à révoquer « toutes les injustices commises à l'encontre des peuples autochtones ». Prenant le contrepied de la présidence précédente, au cours de laquelle aucune homologation ou déclaration de terre autochtone, permettant une protection de ces espaces, n'avait été signée, comme le rappelle Bruno Meyerfeld dans l'article du Monde précité, « six nouvelles terres indigènes ont été homologuées, et une grande opération coordonnée par l'armée est en cours sur le territoire Yanomami, afin d'en expulser les milliers d'orpailleurs ».

4. Une politique dont la mise en oeuvre pourrait être entravée par la fragmentation du Congrès

Ainsi qu'il a été rappelé supra, le nouveau Gouvernement doit composer avec un Congrès qui lui est majoritairement défavorable, le parti conservateur de Jair Bolsonaro et ses alliés y détenant la majorité.

L'unité nationale manifestée au lendemain du 8 janvier 2023 associée à un certain pragmatisme et une souplesse des partis brésiliens, habitués aux gouvernements de coalition, devraient faciliter l'adoption de certaines réformes.

En matière environnementale, cependant, le secteur de l'agro-négoce, bien représenté au sein du Congrès, pourrait constituer un frein au volontarisme du nouvel exécutif.

Ainsi, si le Parlement a approuvé l'organisation et la répartition des compétences des ministères, celui de l'environnement a vu son périmètre profondément modifié avec le retrait de la gestion de l'eau, de l'assainissement, du cadastre rural et environnemental. De même, le ministère des Peuples autochtones, a perdu la compétence de finalisation de reconnaissance des terres autochtones, laquelle a été attribuée au ministère de la justice.

En mai 2023, la Chambre des députés a par ailleurs adopté une loi dite du « marco temporal » (« repère temporel »), qui dispose que les terres des Peuples autochtones doivent correspondre à celles qu'ils occupaient lors de la promulgation de la Constitution en 1988. Si elle était approuvée par le Sénat, cette loi restreindrait significativement la capacité d'homologation de nouvelles terres par l'exécutif.

II. APRÈS UNE PÉRIODE D'ISOLEMENT SOUS LA PRÉSIDENCE BOLSONARO, UN LEADERSHIP RÉGIONAL RETROUVÉ ?

A. À PARTIR DES ANNÉES 2000, LE BRÉSIL S'EST IMPOSÉ COMME LE FER DE LANCE DE L'INTÉGRATION RÉGIONALE

Au niveau régional, les premiers mandats du Président Lula ont été marqués par l'affirmation progressive d'une « hégémonie consensuelle » brésilienne17(*) sur le sous-continent, selon les termes de Bruno Muxagato18(*).

Dès son discours d'investiture en janvier 2003, Lula fixe comme priorité en matière de politique étrangère un approfondissement de l'intégration régionale, privilégiant cependant une approche restreinte à l'Amérique du Sud plutôt qu'élargie à l'ensemble de l'Amérique latine.

Cette recherche d'un leadership brésilien en Amérique du Sud poursuivait un double objectif : d'une part, renforcer les relations économiques entre États de la zone pour accroître la prospérité du pays et de son environnement régional et, d'autre part, assurer au Brésil une assise continentale appuyant ses ambitions sur la scène internationale, l'Amérique du Sud étant « dès lors considérée comme une “ vitrine diplomatique ” pour les aspirations mondiales brésiliennes »19(*).

Cette stratégie régionale du Brésil s'est déclinée en deux volets : un volet économique, via un appui à l'élargissement et à l'approfondissement du Mercosur (marché commun du Sud), et un volet politique avec la création et le renforcement de l'Unasur (Union des nations sud-américaines).

1. Le Brésil a joué un rôle actif dans l'élargissement et l'approfondissement du Mercosur

Le Marché commun du Sud (Mercosur)

Le 26 mars 1991, le traité d'Asunción crée l'accord du Mercosur (Marché commun du Sud).

L'alliance Mercosur est constituée de membres permanents : l'Argentine, le Brésil, l'Uruguay et le Paraguay (le Venezuela a été suspendu en 2017). D'autres États sont membres associés : Chili, Bolivie, Colombie, Équateur, Guyana, Pérou et Suriname.

Le Mercosur est une alliance économique qui repose sur :

- la libre circulation des biens et des services ;

- l'établissement d'un tarif extérieur commun et l'adoption d'une politique commerciale commune vis-à-vis des États tiers ou de groupe d'États tiers ;

- la coordination des politiques macroéconomiques et sectorielles entre les États parties dans les domaines du commerce extérieur, commerce agricole, industriel.

Source : https://www.vie-publique.fr/questions-reponses/289981-laccord-commercial-ue-mercosur-en-cinq-questions

Selon Bruno Muxagato, « la période 2003-2010 correspond à une évolution du Marché commun du Sud vers une plus grande maturité intégrationniste »20(*). Pour le chercheur, « la question qui se posait était celle de savoir si la consolidation de cette organisation était utile ou non à l'insertion internationale du pays. Brasilia a répondu par l'affirmative et a fait le choix d'assumer en partie les coûts de l'intégration en accentuant son rôle de paymaster, tout en se fiant aux principes intégrationnistes à travers le développement (même minimaliste) du bloc ».

Comme le relève Olivier Dabène, la mise en oeuvre de l'agenda régional brésilien a par ailleurs été favorisée par une vague d'alternances en Amérique latine : « l'arrivée au pouvoir de Lula en 2002, suivie de celle de Nestor Kirchner en Argentine puis de Tabaré Vázquez en Uruguay facilite le sauvetage du MERCOSUR. Le virage à gauche de la région se traduit par le lancement d'une réforme institutionnelle volontariste et l'adoption d'un nouvel agenda d'intégration »21(*).

Au cours de cette période, plusieurs institutions et instruments, à l'instar du Parlement et du fonds de convergence structurelle (Focem), en grande partie financé par le Brésil, sont ainsi créés au sein du Mercosur, le premier visant à renforcer la dimension politique de l'organisation et le second à doter la région d'un instrument financier permettant de réduire les asymétries régionales, sur le modèle des fonds structurels européens.

2. Le leadership du Brésil au sein de l'Unasur

Pour Bruno Muxagato, « il était essentiel pour Brasilia de redynamiser le processus de régionalisation en regardant au-delà du système mercosulien. C'est précisément ce que les autorités brésiliennes ont cherché à faire avec l'initiative ambitieuse de l'Union des nations sud-américaines ».

L'Union des nations sud-américaines (Unasur)

L'Union des nations sud-américaines (Unasur) a été créée le 23 mai 2008 lors du sommet de Brasilia et est entrée en vigueur le 11 mars 2012. Elle rassemblait à l'origine 12 États membres : l'Argentine, la Bolivie, le Chili, l'Équateur, le Guyana, le Pérou, le Suriname, le Venezuela, l'Uruguay, le Brésil, la Colombie et le Paraguay.

L'Unasur est dotée de plusieurs institutions, dont le Conseil des chefs d'État et de Gouvernement, le Conseil des ministres des relations extérieures, le Conseil des délégués et le Secrétariat général. Elle compte également des conseils ministériels sectoriels dans des domaines tels que l'énergie, la santé, la défense, le développement social, la lutte contre les drogues, l'infrastructure, l'éducation, la culture, la science, la technologie et l'innovation.

L'organisation a connu plusieurs succès notables, notamment la Déclaration de la Moneda en septembre 2008, qui a permis d'éviter un coup d'État en Bolivie en condamnant les actes de violence et en exprimant son soutien au Président Evo Morales. La Déclaration de la Bariloche en août 2009 a également joué un rôle crucial dans la résolution de la crise liée à l'installation de bases militaires américaines en Colombie. D'autres déclarations, telles que celle de Buenos Aires en octobre 2010, ont également condamné les tentatives de coup d'État et soutenu les gouvernements en place.

En dépit de ces succès, l'Unasur a été confrontée à des défis internes. En avril 2018, l'Argentine, le Brésil, le Chili, la Colombie, le Paraguay et le Pérou ont ainsi suspendu leur participation à l'organisation en raison du manque de résultats concrets garantissant le bon fonctionnement de l'organisation. Trois pays, la Colombie, l'Équateur et l'Argentine ont en outre annoncé leur retrait définitif de l'organisation.

Le Brésil, à l'initiative de la création de l'Unasur, y a exercé un rôle de leadership jusqu'au milieu des années 2010. Brasilia a notamment « cherché, avec l'aide de la BNDES [Banque brésilienne de développement - Banco Nacional de Desenvolvimento Economico e Social], à définir les priorités et à dégager les ressources financières permettant d'entamer les grands travaux nécessaires à la concrétisation d'un système d'intégration physique du sous-continent. Ne serait-ce qu'en 2014, l'Initiative pour l'intégration de l'infrastructure régionale sud-américaine (IIRSA) a géré 579 projets pour un investissement total estimé à 163 milliards de dollars »22(*).

Par ailleurs, à l'initiative du Brésil, un Conseil de défense sud-américain de l'Unasur a été créé, lequel « obéissait à l'objectif stratégique du Brésil de Lula de créer une structure de dialogue dans ces domaines sensibles, afin de consolider l'intégration régionale et le leadership brésilien tout en écartant l'Amérique du Sud de l'influence nord-américaine »23(*).

B. LA PRÉSIDENCE BOLSONARO A CEPENDANT MARQUÉ UN COUP D'ARRÊT À CE PROCESSUS

Le Président Bolsonaro a, dès son discours d'investiture, promis de « sortir les relations internationales du Brésil du biais idéologique ». L'ancien Président s'est ainsi employé à retirer son pays des instances associant des gouvernements situés à gauche de l'échiquier politique tels que la CELAC et l'Unasur.

La priorité accordée par Brasilia au renforcement de sa relation avec Washington a en outre contribué à détourner le Brésil de l'Amérique latine.

Comme le relève Alejandro Frenkel24(*), « le retrait de l'Unasur et de la CELAC confirme l'aversion à toute structure régionale associant des gouvernements de gauche ou de centre gauche et surtout la priorité donnée aux liens avec les États-Unis. À cet égard, il convient de souligner que la CELAC a agi, à plusieurs reprises, comme un contrepoids à l'Organisation des États américains (OEA), une instance où Washington exerce le leadership [...] L'absence d'influence du Brésil dans la création du Prosur constitue un aspect inédit dans la tradition diplomatique brésilienne. Historiquement, toutes les initiatives visant à consolider l'Amérique latine, comme un espace politique et économique propre, étaient pilotées par le Brésil ».

C. LES ALTERNANCES POLITIQUES SUR LE CONTINENT ET LE VOLONTARISME AFFICHÉ DU PRÉSIDENT LULA CONSTITUENT UNE FENÊTRE D'OPPORTUNITÉ POUR UNE RELANCE DE L'INTÉGRATION RÉGIONALE

Au moins deux facteurs pourraient contribuer à une relance de l'intégration régionale sud-américaine dans les années à venir.

En premier lieu, l'existence d'un « axe progressiste » constitué de l'Argentine, du Chili25(*), de la Colombie26(*), de la Bolivie27(*) et, depuis la réélection de Lula, du Brésil.

En second lieu, s'inscrivant dans la continuité de ses deux premiers mandats, le Président Lula a clairement affirmé son souhait de relancer le processus d'intégration régionale. Son discours d'investiture est ainsi éclairant tant sur la volonté du Brésil de donner un nouvel élan aux organisations sud-américaines que sur le vecteur de puissance que celles-ci peuvent constituer pour le pays : « notre rôle se concrétisera par la reprise de l'intégration sud-américaine, à commencer par le Mercosur, la revitalisation de l'Unasur et d'autres instances de concertation souveraine dans la région. C'est sur cette base que nous pourrons reconstruire un dialogue fier et actif avec les États-Unis, l'Union européenne, la Chine, les pays de l'Est et les autres acteurs mondiaux ; renforcer les BRICS, la coopération avec les pays d'Afrique et rompre l'isolement dans lequel le pays a été relégué ».

L'une des premières décisions prises par le Président Lula a ainsi consisté à réintégrer la CELAC (Communauté d'États Latino-Américains et Caraïbes) le 5 janvier 2023. Dès le 23 janvier 2023, il se rend en outre en Argentine pour assister au VIIe sommet de la CELAC.

Enfin, le 30 mai 2023, un sommet des chefs d'État du continent sud-américain s'est réuni à Brasilia. Pour Christophe Ventura28(*), « son objectif fondamental était d'afficher le leadership consensuel régional du Brésil. Il s'agissait de montrer qu'il était le seul pays sud-américain capable de réunir tous les autres après neuf ans d'absence d'un tel moment commun du fait des crises et divisions politiques régionales, qu'il était le pays qui pouvait relancer le sujet de l'unité sud-américaine dans la période ».

III. UNE AMBITION INTERNATIONALE RÉAFFIRMÉE

Les premiers mandats du Président Lula ont été marqués par une volonté d'affirmation du pays sur la scène internationale.

Comme le souligne Bruno Meyerfeld29(*), » doté d'un charisme sans égal, le métallo fait du Brésil le leader des “ pays du Sud ”, inaugure des dizaines d'ambassades en Afrique ou en Amérique latine et obtient l'organisation des Jeux olympiques de 2016 ».

Néanmoins, à l'instar de ce qui s'est produit au niveau régional, à l'activisme des années Lula a succédé un certain isolement sous la présidence Bolsonaro, lequel s'est rapproché des États-Unis et des pays dont les dirigeants étaient idéologiquement proches du pouvoir brésilien.

Mathilde Chatin30(*) relève ainsi : « après l'annonce de sa victoire, Bolsonaro a proclamé qu'il allait libérer le ministère des Relations extérieures (MRE) du biais idéologique auquel il avait été assujetti sous les gouvernements de la gauche “ pétéist ”, et renforcer les relations du Brésil avec les pays développés. La politique étrangère du nouveau président est ainsi guidée par la volonté de donner la priorité aux relations avec Washington, et de présenter le Brésil comme l'allié des États-Unis en Amérique du Sud. Bolsonaro a choisi comme ministre des Relations extérieures Ernesto Araújo, lequel a autrefois dirigé son Département pour les États-Unis, le Canada et les Affaires interaméricaines. En mars 2019, pour son premier déplacement international, il s'est rendu aux États-Unis, et non pas en Argentine comme c'est d'ordinaire le cas ».

Le retour de Lula au pouvoir marque, d'ores et déjà, un tournant radical avec la présidence précédente, avant même son investiture, le Président élu ayant fait part de son souhait d'un « retour du Brésil » sur la scène internationale, selon les termes qu'il a employés lors de la COP27 à Charm el-Cheikh en Égypte.

Le choix de Celso Amorim comme conseiller diplomatique, qui fut son ministre des affaires étrangères de 2003 à 2010, et de Mauro Vieira comme ministre des relations extérieures, poste qu'il occupait sous la Présidence de Dilma Rousseff, témoigne de la volonté du nouveau Président de s'inscrire dans la continuité de ses premiers mandats en matière de politique étrangère.

Comme l'a indiqué Caio Renault, chargé d'affaires, lors de la réception donnée à l'ambassade du Brésil en France : « le Brésil veut reprendre un rôle actif et constructif sur la scène internationale, au-delà du domaine environnemental. Nous voulons jouer un rôle clé dans la promotion de l'intégration régionale, du maintien de paix et de l'aide humanitaire. Nous sommes engagés en faveur du multilatéralisme et de l'ordre international fondé sur des règles, et nous continuerons de travailler avec nos partenaires pour relever les défis mondiaux tels que le développement, la sécurité et le changement climatique ».

Au cours de ses premiers mois de mandat, le Président Lula a ainsi multiplié les déplacements à l'étranger, se rendant notamment en Argentine, à Washington, en Chine, aux Émirats arabes unis et en Europe (Portugal, Espagne, Royaume-Uni, Italie, France), et les rencontres bilatérales.

Le retour d'une politique étrangère « ativa et altiva » (active et fière) se manifeste également par un activisme renouvelé au sein de plusieurs instances internationales : retour dans la CELAC, présidence du G20 en 2024 et des BRICS en 2025, ou encore organisation de la COP30 à Belém en 2025.

La volonté du Brésil de voir son rôle renforcé au sein des organisations internationales, ne particulier de l'Organisation des Nations unies (ONU), est historiquement soutenue par la France, qui appuie sa demande d'obtenir un siège de membre permanent au Conseil de sécurité.

A. LA PROMOTION D'UN RÉÉQUILIBRAGE DES RELATIONS INTERNATIONALES EN FAVEUR DES PAYS ÉMERGENTS : LE BRÉSIL PORTE-PAROLE DU « SUD GLOBAL »

Au début de la décennie 2010, sous l'impulsion du Président Lula qui avait fait du renforcement des relations Sud-Sud un axe fort de la politique étrangère brésilienne, le Brésil s'est imposé comme le porte-parole du « Sud Global ».

Ce concept, aux contours flous, rassemble sous un même vocable un ensemble de pays hétérogènes : pays en développement et pays émergents, pays d'Afrique, d'Amérique latine et d'Asie. Au-delà de sa dimension géographique (cet ensemble regroupe des pays situés dans l'hémisphère sud), cette notion doit par conséquent s'entendre par opposition à un Nord plus riche et présentant un niveau de développement plus élevé.

Au cours de ses premiers mandats, Lula a oeuvré pour un renforcement du poids de ce « Sud global » dans les relations internationales. À titre d'exemple, dans un entretien de mai 2005, il déclarait : « je suis convaincu que le 21e siècle, comme le 19e siècle a été le siècle de l'Europe et le 20e siècle celui des États-Unis, je suis convaincu que le 21siècle peut-être le siècle des pays du tiers monde, le siècle des pays qui ont été pauvres au 19e et au 20e siècles »31(*).

Comme le note Selin Dorel32(*), cette volonté s'est traduite par « la formation de coalitions Sud-Sud et l'institutionnalisation des instances de coopération informelles existantes, telles que le G20, les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, puis Afrique du Sud à partir de 2011) ou encore l'IBSA (Inde, Brésil, Afrique du Sud). Cette inclinaison à la coopération Sud-Sud se traduit, particulièrement sur les volets économique, commercial et industriel, par le développement de nombreux partenariats bilatéraux avec les pays en développement, notamment en Amérique latine et en Afrique lusophone (Angola, Mozambique, Guinée-Bissau, etc.). [...] En cela, le Brésil s'illustre tout particulièrement, par l'implication personnelle de son ministre des Affaires étrangères, lors du sommet de l'Organisation mondiale du commerce à Cancun en septembre 2003, lorsque les représentants des États du G21, menés par Amorim, parviennent à bloquer des négociations, jusqu'ici à l'avantage des puissances occidentales (États-Unis et Union européenne en premier lieu), portant sur l'élimination des subventions à l'exportation des produits agricoles. En faisant par-là dérailler le cycle de Doha, entamé au Qatar en 2001, les États du G21 font la démonstration de l'efficacité de la coopération Sud-Sud dans le développement du pouvoir de négociation du Sud global. Malgré l'échec “ général ” des négociations, le Brésil atteint une victoire symbolique en faisant la preuve de la reconnaissance de sa nouvelle stature internationale, qui plus est portée de manière très personnelle par le leadership de Celso Amorim au sein des négociations ».

Cette volonté de rééquilibrage des relations internationales, considérées comme très largement injustes, au profit du « Sud Global » demeure un marqueur fort de la politique étrangère du Gouvernement Lula III.

Dans le domaine économique et monétaire, celle-ci se traduit par un narratif appelant à une « dédollarisation » de l'économie mondiale, à une réforme de l'architecture financière internationale et à un assouplissement des conditions de remboursement des dettes des pays du Sud.

Le discours prononcé le 13 avril 2023 à Shanghai à l'occasion de la nomination de Dilma Rousseff, dont il a soutenu la candidature, à la tête de la Nouvelle banque de développement des BRICS est à cet égard particulièrement éclairant. Le Président Lula a ainsi appelé à « une réforme efficace des Nations unies, du FMI et de la Banque mondiale et pour des changements dans les règles commerciales », estimant que les pays du Sud devaient « faire un usage créatif du G20, que le Brésil présidera en 2024, et des BRICS, que nous dirigerons en 2025, afin de renforcer la place accordée dans l'ordre du jour international aux questions prioritaires pour un monde en développement ». Il a par ailleurs estimé que cette institution permettrait d'éviter « aux pays émergents de se soumettre aux institutions financières traditionnelles qui veulent nous gouverner sans en avoir le mandat », à l'inverse du FMI qui, selon lui, « lorsqu'il prête de l'argent à un pays du tiers-monde, ou toute autre banque, lorsqu'elle prête à un pays du tiers-monde, ils se sentent autorisés à exercer les responsabilités, à gérer les compte du pays, à visiter le pays pour en faire le bilan »33(*). Il s'est enfin livré à une critique de l'hégémonie du dollar dans les échanges internationaux : « chaque soir, je me demande pourquoi tous les pays sont obligés de commercer en dollars. Pourquoi ne pouvons-nous pas commercer dans notre propre monnaie ? Pourquoi n'avons-nous pas la volonté d'innover ? Qui a décidé que le dollar était la monnaie, après que l'or a disparu en tant que parité ? Pourquoi n'était-ce pas le yen ? Pourquoi pas le real ? Pourquoi pas le peso ? Parce que nos monnaies étaient faibles et que nos monnaies n'ont pas de valeur dans les autres pays. La monnaie a donc été choisie sans tenir compte de la nécessité d'avoir une monnaie qui transforme les pays en une situation un peu plus tranquille. Parce qu'aujourd'hui, un pays doit courir après le dollar pour pouvoir exporter, alors qu'il pourrait exporter dans sa propre monnaie, et les banques centrales pourraient certainement s'en charger ».

Cette volonté du Président Lula de porter la voix des pays du Sud et de n'appartenir à aucun « bloc » a cependant pu être perçue comme ambigüe, en particulier dans le contexte de la guerre en Ukraine.

B. UN « NON-ALIGNEMENT » DONT L'ÉQUILIBRE SUBTIL PEUT ÊTRE PERÇU COMME AMBIGU

Lors de son audition, Michèle Ramis, directrice des Amériques et des Caraïbes au ministère de l'Europe et des affaires étrangères a rappelé que la politique étrangère du Brésil continuerait de se traduire par un non-alignement : « le Brésil de 2023 ne s'éloignera pas des fondamentaux passés. Culturellement occidental, ce pays se refuse à un alignement sur l'Europe ou les États-Unis en matière de politique étrangère : il est critique des interventions militaires et des sanctions et cherche une forme de neutralité, par exemple sur le conflit en Ukraine, bien qu'il ait voté les résolutions des Nations unies ».

À certains égards, cet équilibre subtil de la politique étrangère brésilienne peut cependant paraître ambigu.

S'agissant du non-alignement de Brasilia dans la concurrence sino-américaine, si le Brésil continue d'entretenir d'importantes relations économiques avec les États-Unis (3° partenaire économique après la Chine et l'UE), le Président Lula semble marquer une certaine distanciation vis-à-vis de Washington (remise en cause de l'hégémonie du dollar, volonté d'émancipation de l'Amérique latine vis-à-vis de son puissant voisin et de renforcement des liens entre les pays du Sud). À l'inverse, un rapprochement avec Pékin tend progressivement à s'opérer. Outre des relations économiques sino-brésiliennes confinant à une quasi dépendance du Brésil vis-à-vis de la Chine (premier partenaire économique du Brésil, la Chine en est aussi son principal débouché, notamment en ce qui concerne les exportations de minerais et de matières premières), la visite de Lula en Chine en avril 2023 a donné lieu à un communiqué conjoint de 49 articles traitant d'un grand nombre de sujets (développement, paix, réforme des institutions internationales, etc.) ainsi qu'à la conclusion d'une soixantaine d'accords et de contrats. Fin mars 2023, les deux pays sont en outre convenus de commercer dans leur devise nationale.

Surtout, la position du Brésil et de son nouveau Président vis-à-vis du conflit ukrainien a suscité des réactions et des incompréhensions au sein des pays occidentaux.

Dans un entretien accordé au Time Magazine le 22 mai 2022 alors qu'il n'était encore que candidat, Lula a semblé renvoyer dos à dos les Présidents Poutine et Zelensky en indiquant que ce dernier était « aussi responsable de la guerre que Poutine. Car quand il y a une guerre il n'y a pas qu'un coupable. Il souhaitait la guerre, s'il ne l'avait pas voulue, il aurait davantage négocié », ajoutant que, s'il avait indiqué au Président russe que l'invasion de l'Ukraine avait constitué une « erreur », Vladimir Poutine n'était pas le seul coupable du déclenchement de cette guerre, les États-Unis, l'OTAN et l'Union européenne ayant dû rapidement déclarer que l'Ukraine n'avait pas vocation à rejoindre les deux organisations.

S'il refuse d'appliquer des sanctions à l'encontre de la Russie, tant que celles-ci n'auront pas été votées par le Conseil de sécurité de l'ONU - au sein duquel la Russie, membre permanent, dispose d'un droit de veto - ou de livrer des armes à l'Ukraine, le Brésil a cependant voté en faveur de la plupart des résolutions de l'Assemblée générale des Nations unies34(*).

Le Brésil entend par conséquent assumer un rôle de médiateur dans ce conflit. Il propose ainsi la création d'un « club de la paix » réunissant des pays non occidentaux et susceptible de servir d'intermédiaire entre les belligérants.

Cette position est clairement assumée par l'Itamaraty (ministère des affaires étrangères). Maria Laura Rocha, secrétaire générale du ministère des relations extérieures, a ainsi rappelé à la mission que le Brésil ne pourra adhérer aux mécanismes de sanctions que si ceux-ci sont « légitimés » par un vote à l'ONU.

C. UN APPROFONDISSEMENT DES RELATIONS AVEC L'UNION EUROPÉENNE EN PARTIE SUSPENDU À LA CONCLUSION DE L'ACCORD D'ASSOCIATION MERCOSUR-UE

Au cours des 30 dernières années, l'Union européenne (UE) et le Brésil ont renforcé leur coopération économique (l'UE est ainsi le principal partenaire commercial ainsi que le 1er investisseur au Brésil) et diplomatique, dont le cadre juridique a été formalisé par :

- un accord-cadre de coopération signé en 1992 ;

- un accord de coopération scientifique et technologique signé en 2004 ;

- un accord-cadre de coopération avec le Mercosur signé en 1995 ;

- un partenariat stratégique mis en place en 2007 qui prévoit l'engagement des deux parties à jouer un rôle actif dans les problèmes politiques, régionaux, économiques et sociaux dans le monde, et comporte une série d'engagements concrets dans de nombreux domaines, dont la sécurité, le développement durable, la coopération régionale, la recherche et les nouvelles technologies, les migrations, l'éducation et la culture.

L'approfondissement des relations entre l'UE et le Brésil dépend cependant pour partie du futur de l'accord d'association UE-Mercosur négocié depuis 1999.

1. Depuis 2019, la conclusion de cet accord achoppe sur des questions environnementales

L'accord d'association entre l'Union européenne et le Mercosur a fait l'objet de négociations conclues le 28 juin 2019. Celui-ci n'a cependant pas été présenté au Conseil en raison des préoccupations environnementales exprimées par plusieurs États membres, dont l'Allemagne, l'Autriche, les Pays-Bas et la France, laquelle a fait part de ses inquiétudes quant aux conséquences de cet accord sur l'environnement, notamment en ce qui concerne la déforestation au Brésil et le respect des engagements de l'Accord de Paris.

Celles-ci ont été rappelées par le Président de la République lors du sommet du G7 à Biarritz en août 2019, qui a indiqué que la France ne pouvait pas soutenir l'accord dans sa forme actuelle en raison de ces préoccupations.

En 2020, le Premier ministre a formulé trois conditions essentielles pour que la France puisse soutenir l'accord. En premier lieu, il a insisté sur le fait qu'il ne devait pas entraîner une augmentation de la déforestation importée au sein de l'Union européenne. En deuxième lieu, les politiques publiques des pays du Mercosur devaient être pleinement conformes à leurs engagements envers l'Accord de Paris. Enfin, en troisième lieu, il était primordial que les produits agroalimentaires importés respectent les normes sanitaires et environnementales de l'Union européenne.

2. Une année 2023 marquée par une relance des discussions

Au cours des derniers mois, l'accord d'association entre l'Union européenne et le Mercosur, a suscité un certain regain d'intérêt côté européen. Le 17 janvier 2023, la présidente de la Commission européenne, Ursula van der Leyen a ainsi appelé depuis le Forum économique mondial à « relancer les débats en ce qui concerne l'accord du Mercosur ».

Depuis son élection, le Président Lula a, à de nombreuses reprises, regretté que l'accord dans sa rédaction actuelle cantonne le Brésil dans un rôle de fournisseur de matières premières et que l'ouverture des marchés publics puisse entraver le développement des PME locales alors qu'il fait de la réindustrialisation du Brésil l'une de ses priorités. Selon lui, le Brésil doit chercher à obtenir certaines avancées sur ces fronts dans le cadre des discussions en cours sur la proposition d'instrument additionnel présenté par la Commission européenne sur les exigences environnementales européennes. En dépit d'un discours critique sur le contenu de l'accord, le Président Lula plaide pour une conclusion rapide de ce dernier.

Dans ses réponses au questionnaire de vos rapporteurs, la direction générale du Trésor a présenté les contours de l'instrument additionnel envisagé par la Commission. Celui-ci comprendrait des engagements de région à région, réciproques, juridiquement liants, et de nature interprétative, c'est-à-dire précisant les engagements déjà pris dans l'accord commercial, sans rouvrir la substance de l'accord : il viserait notamment à interpréter les dispositions de l'accord sur le changement climatique, la diversité biologique, les forêts, le droit du travail, la coopération, les droits de l'homme, et le rôle de la société civile. Il serait assorti d'un scenario proposant l'activation de la clause de revue du chapitre commerce et développement durable, dans l'objectif d'inclure un mécanisme contraignant et l'Accord de Paris comme élément essentiel de l'accord d'association.

3. La présidence espagnole de l'Union européenne, qui affiche son volontarisme sur ce sujet, pourrait permettre d'accélérer le processus même si d'importants obstacles doivent encore être levés

Selon la direction générale du Trésor, le Mercosur se montrerait constructif sur l'instrument additionnel présenté par la Commission, et aurait donné son consentement pour « débloquer » l'accord sans demander une réouverture des négociations. Le Mercosur aurait indiqué que l'instrument additionnel allait dans la bonne direction mais contenait certaines dispositions qui allaient au-delà des engagements pris en 2019 et étaient excessivement « centrées sur l'UE ». Le Brésil doit ainsi présenter prochainement une lettre de réponse, après concertation avec les membres du Mercosur, à l'instrument additionnel de la Commission européenne.

Dans la perspective de sa présidence de l'Union européenne intervenue le 1er juillet 2023, l'Espagne avait émis le souhait que les discussions puissent aboutir d'ici le sommet UE-CELAC des chefs d'État et de gouvernement qui se tiendra à Bruxelles les 17 et 18 juillet 2023.

Ce calendrier, déjà optimiste en début d'année 2023, semble désormais peu vraisemblable compte tenu du report au mois de mai 2023 de la deuxième session de négociation de l'instrument additionnel.

Les États membres du Mercosur ne semblent de surcroît pas unanimement partager le souhait que cet accord soit conclu dans un avenir proche. Ainsi, si l'Argentine se dit favorable à cet accord, à l'occasion de questions parlementaires du 29 mars, Agustin Rossi, chef de cabinet des ministres, a indiqué le 29 mars que « l'accord UE-Mercosur n'était pas à l'ordre du jour du sommet UE-CELAC ». Le Président argentin Alberto Fernandez a en outre appelé par le passé à « retourner à la table des négociations » et à « revoir les asymétries ».

Par ailleurs, le 13 juin 2023, l'Assemblée nationale a adopté une résolution relative à l'accord commercial entre l'Union européenne et le Mercosur, par laquelle nos collègues députés indiquent que le volet commercial de l'accord n'est compatible ni avec les engagements de l'Union européenne dans la lutte contre le réchauffement climatique, ni avec l'objectif de souveraineté alimentaire et s'opposent à son adoption tant que les produits en provenance du Mercosur ne seront pas contraints de respecter les normes de production européennes ainsi qu'à l'adoption séparée du volet commercial de l'accord.

De son côté, la secrétaire d'État chargée de l'Europe, Laurence Boone, a rappelé la fermeté de la position française lors du débat préalable à la réunion du Conseil européen des 29 et 30 juin 2023 qui s'est tenu le 20 juin 2023 : « comme je le dis à tous nos partenaires européens, cet accord doit être complété par des engagements additionnels contraignants et ambitieux sur le développement durable. L'accord de Paris doit en être une clause essentielle, et l'accord avec le Mercosur doit être aligné avec la nouvelle approche de l'Union européenne en matière de commerce et de développement durable. Nous portons cette position auprès de la Commission européenne, qui travaille en ce moment avec les États du Mercosur, et nous la relayons à la future présidence espagnole du Conseil de l'Union européenne et à nos partenaires sud-américains. Je vous assure qu'il n'y aucune ambiguïté sur le sujet ».

À l'occasion d'une rencontre avec des représentants de la communauté diplomatique à Brasilia, les ambassadeurs présents ont majoritairement appelé à une conclusion de cet accord, certains diplomates considérant qu'un échec des négociations conduirait à un rapprochement du Brésil avec la Chine.

S'il peut sembler excessif de considérer qu'un éventuel échec des discussions sur cet accord ancrera définitivement le Brésil à la Chine, compte tenu des relations commerciales qui existent déjà entre les deux pays, et bien que la mission ne méconnaisse pas les problématiques soulevées par cet accord, qui ont été bien rappelées par des résolutions ou projets de résolution déposés à l'Assemblée nationale et au Sénat, elle considère qu'il convient de poursuivre les discussions sur ce sujet en prenant notamment en compte le volontarisme de Brasilia en matière environnementale, cet accord pouvant, à tout le moins, contribuer au renforcement du lien unissant le Brésil aux pays occidentaux.

Lors de son entretien avec la mission, Cid Gomes, vice-président de la commission des relations extérieures du Sénat, a ainsi indiqué que les attentes vis-à-vis de la France étaient fortes sur ce sujet.

Entretien avec M. Cid Gomes, vice-président de la commission des relations extérieures du Sénat

IV. UNE VOLONTÉ PARTAGÉE DE RELANCE DES RELATIONS BILATÉRALES QU'IL CONVIENT DÉSORMAIS DE CONCRÉTISER

A. LE BRÉSIL, PARTENAIRE MAJEUR DE LA FRANCE EN AMÉRIQUE LATINE

L'amitié entre la France et le Brésil est profonde et ancienne. Dans un discours d'octobre 1985, François Mitterrand35(*) résumait ainsi cette relation : « en me rendant chez vous, je me demandais : à quoi donc est due, et de quoi est faite cette sorte de connivence entre Brésiliens et Français ? La réponse me paraissait tenir en deux mots et vous venez de les confirmer dans votre toast il y a un instant : langue et culture. Cinq siècles de relations et en tous cas plus de 200 ans d'amitié : voilà qui résume, me semble-t-il, l'histoire de nos pays. Vous avez vous-même, monsieur le président, rappelé l'attirance exercée sur votre pays par les écoles littéraires, artistiques, philosophiques de la France. Vous avez cité plusieurs noms fameux : Benjamin Constant, Auguste Comte, dont la devise figure sur votre drapeau, mais j'ajouterai quand même aussi quelque chose. Sait-on que l'Empereur Don Pedro II s'entretenait avec Hugo de l'esclavage, avec Renan des langues sémitiques, avec Pasteur de l'extinction de la fièvre jaune ? Etrange et forte histoire que celle qui relie l'homme et la terre. La terre, un paysage, un cours d'eau, une ville inspirent le poète ou bien le romancier. Et voilà que ce qu'écrit ou chante le romancier, ou le poète, devient un autre paysage, un autre fleuve, une autre ville pour ceux qui gagnent, pour ceux qui suivent, et ce dialogue recommence sans cesse : l'homme et la terre. Voilà pourquoi l'homme du Brésil et la terre du Brésil exercent aussi sur nous la même attirance. Les preuves de cette attirance sont multiples tout le long de ces derniers siècles. Vous avez cité Montaigne. On peut aller jusqu'à le Corbusier, jusqu'à Louis Jouvet, à Sainte-Beuve, notant l'influence de la littérature du Minas Gerais sur le romantisme français, Blaise Cendrars qui vous appartient à vous et à nous exaltant la magie du Sertao ; Claudel écrivant à Rio la “ Messe de là-bas ” et glissant dans le “ Soulier de satin ” une touche de Macumba ; Duhamel prônant le métissage des civilisations, Manet ravivant sa palette après un bref voyage ; Darius Milhaud nous donnant les “ Saudades du Brésil ”, Anatole France devenant la première personnalité étrangère membre de l'Académie brésilienne des lettres ; Bernanos, encore un fois, qui avait fait du Brésil et de Barbacena sa seconde patrie. Devais-je parler de Santos Dumont dont on ne sait s'il fut le plus français des Brésiliens ou le plus brésilien des Français ! Enfin, ne sont ce pas également des professeurs français dont le plus éminent peut-être a bien voulu m'accompagner ici Claude Lévi-Strauss, qui ont contribué, dès 1934, à faire de l'Université de Saint-Paul ce qu'elle est aujourd'hui ».

Concrétisant ce lien historique, culturel et diplomatique entre nos deux pays, un ambitieux partenariat stratégique a été lancé en mai 2006 par les Présidents Lula et Chirac.

Le partenariat stratégique lancé 2006

Lancé en 2006 par les Présidents Jacques Chirac et Luiz Inácio Lula da Silva, le partenariat stratégique reconnaît le Brésil comme un acteur global et un candidat légitime à un siège de membre permanent au Conseil de sécurité des Nations-Unies. Il engage un partage de savoir-faire et d'expertise par des initiatives conjointes, s'appuyant sur la mise en commun de ressources matérielles, technologiques, humaines ou naturelles. Il touche tous les domaines : militaire, spatial, énergétique, économique, éducatif, transfrontalier, aide au développement en pays tiers, coopération transfrontalière entre la Guyane française et l'État de l'Amapá.

Source : ministère de l'Europe et des affaires étrangères

La France et le Brésil ont ainsi développé d'importantes coopérations dans des domaines variés.

En matière scientifique, le Brésil est ainsi le principal partenaire de la France en Amérique latine. Cette coopération se concentre sur la recherche et l'innovation technologique, et la France et est soutenue par des programmes de formation d'excellence entre universités et des partenariats de haut niveau entre les organismes de recherche des deux pays. Les domaines de collaboration incluent les mathématiques fondamentales et appliquées, les changements climatiques, ainsi que les sciences sociales et humaines. Des programmes de technologies innovantes, tels que le programme CAPES-COFECUB, ont connu un développement significatif. Ce partenariat scientifique a permis de former près de 2 000 docteurs brésiliens depuis son lancement en 1978.

La France est en outre le principal partenaire européen du Brésil dans le domaine universitaire. Dès les années 1930, des intellectuels éminents tels que Fernand Braudel ou Claude Lévi-Strauss ont contribué à établir des liens entre les deux pays en participant à la fondation de l'Université de São Paulo, qui est aujourd'hui la première université d'Amérique latine. Plus de 750 accords lient par ailleurs des universités françaises à des universités brésiliennes et la France est la 3e destination des étudiants boursiers brésiliens après les États-Unis et le Portugal.

La promotion de la langue française et des échanges culturels occupe une place importante dans la coopération franco-brésilienne. Trois lycées français situés à São Paulo, Rio de Janeiro et Brasilia accueillent plus de 2 500 élèves. Les Alliances françaises présentes au Brésil forment en outre le réseau le plus ancien et le plus dense du monde.

Enfin, le traité franco-allemand d'Aix-la-Chapelle signé le 22 janvier 2019 prévoit l'implantation d'un institut culturel franco-allemand à Rio de Janeiro. Cet institut doit s'installer dans les locaux de la Casa Europa, qui abrite les services consulaires français, allemands et finlandais.

La vente de ce bâtiment emblématique semble pourtant avoir été envisagée par l'État. À cet égard, la réponse du ministère à notre collègue Ronan Le Gleut qui l'interrogeait sur ce sujet ne laisse pas d'inquiéter : » néanmoins, nos réflexions doivent également intégrer les réalités locales : plusieurs occupants de la “ Maison de France ” ont d'ores et déjà quitté cet immeuble de 13 étages, et le quartier du Centro a perdu en attractivité au cours des dernières années »36(*).

Si aucune décision formelle n'a été prise à ce stade, la mission considère que la vente de cet immeuble constituerait une grave erreur qui témoignerait d'un recul de l'influence française dans ce pays. Elle appelle par conséquent le ministère à maintenir son implantation dans la Casa Europa et à développer des partenariats, notamment avec des entreprises françaises implantées au Brésil, pour contribuer au financement des travaux nécessaires à sa rénovation.

Recommandation : maintenir la présence française dans la Casa Europa à Rio de Janeiro et développer des partenariats avec des entreprises françaises pour contribuer au financement des travaux nécessaires à sa rénovation.

Au niveau économique, le Brésil est également un partenaire majeur de la France au sein de la sphère émergente.

D'après la Banque de France37(*), le stock d'investissement direct (IDE) français au Brésil atteignait ainsi 28,3 milliards d'euros en 2021, ce qui en fait la 12e destination des IDE français dans le monde (1,7 % du total du stock) et la 1ère en Amérique latine (65,6 % du total français dans la région). Ce stock se concentre essentiellement dans les secteurs des services (38,8 %), de l'industrie manufacturière (20,2 %), de l'industrie extractive (19,1 %) et de l'électricité (18,2 %).

En termes de flux, avec 734 millions d'euros en 2021, le Brésil représente la 10e destination des IDE français et le 1er grand pays émergent.

Le nombre d'implantations françaises dans le pays38(*) s'élevait à 1 113 en 2020. La quasi-totalité des sociétés du CAC 40 (39 sur 4039(*)) dispose au moins d'une filiale au Brésil.

Les multinationales françaises employaient 475 000 personnes au Brésil en 2020, positionnant le Brésil comme la 2e plus grande présence française en termes d'effectifs salariés après les États-Unis. Le Brésil représente le 9e plus important chiffre d'affaires des multinationales françaises à l'étranger (50,7 milliards d'euros, 3,2 % du total).

Plusieurs de ces entreprises occupent des positions clé sur le marché brésilien. À titre d'exemple, Carrefour est le 1er acteur de la grande distribution au Brésil, pays qui représente son 2e marché après la France (Casino et Carrefour réunis ont 25 % de parts de marché dans la grande distribution au Brésil).

Comme l'a constaté la mission lors de sa visite du salon LAAD à Rio de Janeiro, les entreprises du secteur de la défense ou duales sont bien implantées dans le pays. Ainsi que l'a rappelé, le commissaire en chef François Escarras, attaché de défense, à la différence de leurs concurrentes, les entreprises de défense françaises sont implantées au Brésil depuis 30 ans. Il s'agit d'un point auquel les autorités brésiliennes sont sensibles dans un contexte de volonté de réindustrialiser le pays.

Visite du pavillon France sur le salon de défense LAAD

Les relations franco-brésiliennes en matière d'investissements laissent cependant apparaître un important déséquilibre. Le stock d'IDE brésilien en France ne s'élevait ainsi qu'à 1,8 milliard de dollars, pour un total de 97 filiales implantées dans l'hexagone en 2020. D'autre part, les flux d'IDE sortants du Brésil vers la France ont diminué significativement, passant de 209 millions de dollars annuels entre 2010 et 2015 à 72 millions de dollars par an entre 2016 et 2021.

La mission estime qu'un certain rééquilibrage des flux d'investissements devrait être recherché pour les années à venir. À cet effet, il pourrait être utile de mettre en place un accompagnement renforcé des entreprises brésiliennes envisageant de s'implanter en France.

Recommandation : afin de rééquilibrer les flux d'investissement, mettre en place un accompagnement renforcé des entreprises brésiliennes envisageant de s'implanter en France.

Ce sujet, comme l'ensemble des aspects de la relation économique franco-brésilienne, pourrait être utilement abordé au sein d'une instance permettant un dialogue bilatéral de haut niveau régulier sur les sujets économiques et financiers, qu'il conviendrait de créer.

Recommandation : créer un conseil franco-brésilien permettant un dialogue bilatéral de haut niveau régulier sur les sujets économiques et financiers.

En termes d'échanges commerciaux, en 2022, le volume des échanges entre la France et le Brésil s'est élevé à 8,4 milliards d'euros, soit une augmentation de 35% par rapport à l'année précédente. Les exportations françaises ont augmenté de 24% et les importations françaises de 48%. Le Brésil est ainsi devenu notre premier partenaire commercial dans la région et notre 29e partenaire mondial. Cependant, en raison de la hausse des cours des produits alimentaires et pétroliers, la France a enregistré un déficit commercial pour la première fois en 2022, s'élevant à -216 millions d'euros.

Commerce de biens

(en milliards d'euros)

 

Rang

2019

2020

2021

2022

Exportations françaises vers le Brésil

28e client

4,1

2,9

3,3

4,1

Importations françaises d'origine du Brésil

34e fournisseur

3,1

2,4

2,9

4,3

Solde commercial pour la France

 

1,1

0,5

0,4

-0,2

Source : direction générale du Trésor, réponse au questionnaire des rapporteurs

Les matériels de transport représentent le principal poste d'exportation français vers le Brésil, avec une part de 29% des ventes françaises. Après avoir subi les conséquences négatives de la pandémie en 2020 et 2021, ce secteur a retrouvé son dynamisme en 2022. La vente d'aéronefs a notamment été impactée, entraînant une perte annuelle d'environ 800 millions d'euros. Les autres postes d'exportation importants sont les produits chimiques, parfums et cosmétiques (26 %), les produits pharmaceutiques (11 %), et les machines industrielles, agricoles et diverses (9 %).

Les importations françaises en provenance du Brésil sont principalement constituées de matières premières telles que les produits agroalimentaires, le bois, les hydrocarbures et les minerais de fer.

S'agissant des « concurrents » de la France, comme le rappelle la direction générale du Trésor dans ses réponses au questionnaire des rapporteurs, il convient de distinguer les États-Unis, pour qui le Brésil constitue un marché de « proximité », de la Chine, premier partenaire commercial du Brésil, dont les parts de marché sont essentiellement dues à son offre à bas coût et à sa place dans les chaînes de valeur des matières premières. Les entreprises allemandes ont quant à elles privilégié l'exportation là où les entreprises françaises ont davantage opté pour une stratégie d'implantation, qui s'est traduite par un volume moins importants d'exportations (le stock d'IDE français au Brésil est ainsi 50 % supérieur au stock d'IDE allemand).

B. DES FINANCEMENTS DE L'AGENCE FRANÇAISE DE DÉVELOPPEMENT SIGNIFICATIFS QUI DEVRAIENT CEPENDANT DAVANTAGE BÉNÉFICIER AUX RÉGIONS DU NORD ET NORD-EST

L'action de l'Agence française de développement (AFD), qui intervient au Brésil depuis 2007, s'appuie sur deux types d'instruments :

des prêts en faveur des collectivités territoriales (États fédérés et municipalités) et du secteur public (banques et entreprises publiques) à l'exclusion de l'État fédéral brésilien qui n'emprunte pas auprès des bailleurs bilatéraux et n'est donc pas un partenaire direct de l'AFD ;

des fonds d'assistance technique provenant de l'Union européenne ou de la France, dont les montants sont cependant plus limités.

1. Une stratégie d'aide au développement axée sur les questions environnementales et notamment tournée vers les collectivités territoriales

La stratégie brésilienne de l'AFD pour la période 2018-2022 avait pour principal objectif d'accompagner la transition du pays vers un modèle de développement bas carbone via l'appui aux territoires et le développement de partenariats, avec le système financier public brésilien notamment.

L'action de l'AFD s'est ainsi concentrée sur le financement de projets de développement durable, notamment urbains, pour améliorer la qualité environnementale et la résilience des territoires aux changements climatiques, encourager l'innovation, préserver les ressources naturelles et accompagner la transition énergétique du pays.

Par ailleurs, l'AFD a noué des partenariats avec les entreprises publiques et les banques locales de développement, tout en veillant à coordonner ses actions avec les bailleurs de fonds multilatéraux.

L'AFD est ainsi le principal partenaire bilatéral du pays, ce qui témoigne de la vitalité de la relation avec la France et l'intérêt des autorités pour des financements de long terme en faveur du développement durable et du climat. Elle a noué des partenariats sur le long terme, la Banque nationale de développement économique et social (BNDES) qui finance environ 40 % des infrastructures du pays par exemple.

Après 16 ans de présence de l'AFD au Brésil, le pays est devenu le 5e partenaire au monde du Groupe avec 2,3 milliards d'euros engagés depuis 2007 et il représente le premier pays d'exposition de sa filiale dédiée au soutien au secteur privé, Proparco.

Dans ses réponses au questionnaire de vos rapporteurs, l'AFD rappelle que ses interventions sont principalement concentrées sur les infrastructures urbaines (plus de 80 %) et dominées par l'activité de financement des collectivités territoriales (68 % à destination des municipalités et États fédérés).

Source : Agence française de développement, réponse au questionnaire des rapporteurs

Entre 2018 et 2022, le montant total des engagements de l'AFD au Brésil s'est élevé à 751,6 millions d'euros, 97 % de ce volume étant constitué de prêts sans bonification (731 millions d'euros) et 3 % (20,6 millions d'euros dont 3 millions d'euros de crédit engagé en Facilité d'investissement pour l'Amérique latine) de fonds d'assistance technique non remboursable.

Sur cette période, l'AFD a apporté 120,8 millions d'euros d'aide publique au développement (correspondant aux montants décaissés) au Brésil, dont 94 % de prêts.

Pour la période 2023-2027, l'AFD a indiqué que son action reposerait sur une approche territoriale répondant au programme du nouveau Gouvernement en matière économique, environnementale et sociale : accompagnement de la transition économique et financière du modèle brésilien, développement durable des territoires pour faire face au changement climatique, soutien aux populations vulnérables, promotion de la diversité, etc.

Ces priorités font l'objet de discussions avec les partenaires brésiliens et les tutelles de l'AFD et doivent aboutir en 2024 à l'adoption d'une nouvelle stratégie d'intervention au Brésil.

Globalement, le programme d'activité envisagé prévoit une augmentation sensible des engagements, avec un doublement du volume annuel moyen d'engagements à hauteur de 600 millions d'euros sur la période 2023-2027.

2. Bénéficiant essentiellement au Sud et au Sud Est du pays, l'aide au développement française devrait se réorienter vers le Nord et le Nord est brésiliens moins prospères

Au cours de son audition, l'AFD a admis que son portefeuille en exécution restait à l'heure actuelle majoritairement concentré dans les régions Sud et Sud-Est.

L'Agence a cependant manifesté son souhait de rééquilibrer ce portefeuille vers les régions les plus défavorisées et vulnérables du Nord et du Nordeste, en maintenant toutefois une activité dans les régions historiques d'intervention.

La mission ne peut qu'encourager cette évolution et considère en particulier que l'État de l'Amapá, frontalier de la Guyane, devrait pouvoir bénéficier de l'aide publique au développement française (cf. infra).

C. APRÈS UNE PARENTHÈSE SOUS LA PRÉSIDENCE BOLSONARO, DES « RETROUVAILLES » ENTRE LA FRANCE ET LE BRÉSIL

En dépit de liens multiples, historiques et profonds unissant le Brésil et la France, la relation bilatérale a connu d'importantes tensions sous la présidence précédente.

En août 2019, à la suite des incendies qui se sont déclarés en Amazonie, le Président de la République a souhaité mobiliser la communauté internationale afin d'aider les États touchés. Le Brésil a refusé l'aide de la France et du G7, estimant qu'elle serait de nature à remettre en cause sa souveraineté sur ce territoire. La question environnementale a été un sujet de discorde tout au long de la présidence Bolsonaro, lequel a refusé que le Brésil intègre l'Alliance pour la Préservation des Forêts Tropicales et Humides, lancée à l'initiative de Paris.

Ce « gel » des relations diplomatiques s'est notamment traduit par l'absence de visite ministérielle et a fortiori présidentielle entre 2019 et 2023.

L'élection du Président Lula ouvre incontestablement un nouveau chapitre de nos relations diplomatiques. Lors de son déplacement au Brésil en février 2023, la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, Catherine Colonna, a ainsi qualifié de « retrouvailles » cette volonté partagée de tourner la page de la présidence sortante.

Un certain « alignement des planètes » favorable à une relance des relations franco-brésiliennes semble en effet se dessiner, les deux chefs d'État ayant clairement affiché leur proximité à plusieurs reprises. Lula a ainsi appelé à voter pour Emmanuel Macron au second tour de la présidentielle française tandis que le Président de la République, qui l'avait reçu à l'Élysée en novembre 2021, a été parmi les premiers chefs d'État à féliciter le Président Lula pour sa victoire.

Encore récemment, fin juin 2023, les deux chefs d'État se sont rencontrés à Paris en marge du Sommet pour un nouveau pacte financier mondial.

D. UNE MAIN TENDUE QUI DOIT ÊTRE SAISIE RAPIDEMENT

L'ensemble des personnes rencontrées par la mission ont mis en avant la nécessité de renouer des liens nourris et réguliers avec la France.

Plusieurs d'entre elles ont par ailleurs exprimé leur regret que la précédente présidence n'ait dégradé les relations entre nos deux pays.

Randolfe Rodrigues, sénateur de l'Amapá et porte-parole du Gouvernement au Congrès, a par exemple rappeler la nécessiter de retrouver des « rapports civilisés entre deux Nations liées historiquement ».

Entretien avec M. Randolfe Rodrigues, sénateur de l'Amapá

Cette « demande de France », perceptible lors des entretiens, s'est accompagnée de propositions concrètes de coopérations qu'il convient d'explorer.

La secrétaire générale de l'Itamaraty (ministère des affaires étrangères), Maria Laura Rocha, qui a rappelé l'attachement du Brésil à la coopération avec la France, a ainsi proposé une action commune en matière de lutte contre la désinformation ou encore le cyber.

Entretien avec Mme Maria Laura Rocha, secrétaire générale du ministère des Affaires étrangères

Pedro Spadale, conseiller chargé des relations internationales et de la coopération au cabinet d'Eduardo Paes, maire de Rio de Janeiro, a quant à lui estimé que la France pourrait apporter son expertise en matière de mobilités urbaines, d'eau et d'assainissement. Il a par ailleurs proposé que la ville de Rio, qui a accueilli les Jeux Olympiques d'été de 2016, puisse faire bénéficier Paris de son retour d'expérience, y compris dans la gestion de l'après Jeux Olympiques. Enfin, il s'est dit intéressé d'approfondir la coopération avec Nice, ville avec laquelle Rio est jumelée, en matière de développement de l'économie de la mer.

Entretien avec M. Pedro Spadale, conseiller chargé des relations internationales et de la coopération au cabinet de M. Eduardo Paes, maire de Rio de Janeiro

Il convient désormais de saisir cette main tendue alors que plusieurs de nos alliés et compétiteurs ont déjà opéré un rapprochement, parfois plus marqué, avec ce « nouveau Brésil ».

Plusieurs chefs d'État, dont le Roi d'Espagne et les Présidents du Portugal et de l'Allemagne, ou encore le Vice-Président chinois Wang Qishan étaient ainsi présents lors de l'investiture du Président Lula, alors que la France n'y était représentée que par le ministre délégué chargé du commerce extérieur, de l'attractivité et des Français de l'étranger.

Le Président Lula a par ailleurs accueilli plusieurs visites officielles depuis son élection : le Chancelier allemand Olaf Scholz s'est ainsi rendu à Brasilia dès le mois de janvier 2023, promettant le versement de 200 millions d'euros pour la protection de l'Amazonie.

Le ministre des affaires étrangères russes, Sergueï Lavrov, a également été reçu par son homologue brésilien Mauro Vieira puis le Président Lula en avril 2023.

Si la visite de la ministre de l'Europe et des affaires étrangères en février 2023 a constitué un important signal, plusieurs interlocuteurs ont estimé que la relance des relations bilatérales devait désormais se concrétiser par un geste fort côté français, avec une visite présidentielle dès 2023.

Or, comme l'a indiqué Gaspard Estrada au cours de son audition, « lors de la visite de Catherine Colonna au Brésil en février dernier, les Brésiliens pensaient obtenir une date pour une visite du Président de la République et des annonces concernant des investissements français dans leur pays. Ils n'ont eu ni l'un ni l'autre ».

Le sommet des pays d'Amazonie, qui se tiendra au mois d'août 2023 et auquel le Président Lula a invité son homologue français, pourrait constituer une opportunité de visite présidentielle, à laquelle devrait rapidement succéder une visite d'État permettant une feuille de route comprenant des engagements concrets, visant en particulier à donner un nouveau souffle au partenariat stratégique de 2006 (cf. infra).

Recommandation : formaliser la reprise des relations bilatérales par une visite présidentielle, par exemple lors du sommet des pays d'Amazonie, voire une visite d'État à l'occasion de laquelle des engagements concrets devront être pris.

E. UN PARTENARIAT STRATÉGIQUE DE 2006 AUQUEL IL CONVIENT DE DONNER UN NOUVEL ÉLAN

Dans le domaine de la défense, le partenariat stratégique s'est matérialisé par un plan d'actions conclu en 2008, qui a notamment donné lieu à d'importants contrats dans les domaines naval (programme ProSub, cf. infra), aéronautique (programme HX-BR achevé en 2022 qui a donné lieu à l'acquisition de 47 hélicoptères EC725 Caracal, sur 50 initialement prévus) et spatial (programme SGDC, acquisition d'un satellite de télécommunications civiles et militaires construit par Thales Alenia Space et lancé par Arianespace).

S'agissant plus spécifiquement de ProSub (Programa de desenvolvimentos de submarinos o Brasil), la mission, qui s'est rendue sur la base navale d'Itaguaí, tient à souligner l'importante réussite que constitue ce partenariat industriel franco-brésilien.

Signé en 2009, cet ambitieux programme de transfert de technologie réunissant au sein de la joint-venture Itaguaí Construções Navais (ICN), côté français, Naval Group (49 %) et, côté brésilien, Novonor, ex Odebrecht (50 %) et la marine brésilienne (1 %, dont une action de référence), repose sur deux piliers :

la construction d'un chantier et d'une base navale à Itaguaí, à une soixantaine de kilomètres de Rio de Janeiro, dont le plan est inspiré de celui de la base de Cherbourg ;

la construction de 4 sous-marins conventionnels de type Scorpène dans les chantiers d'Itaguaí et l'assistance à la construction d'un sous-marin à propulsion nucléaire.

Le premier sous-marin conventionnel, baptisé Riachuelo, a été livré et mis en service le 1er septembre 2022. L'Humaitá, qui a réalisé ses essais à la mer, devrait pour sa part être livré à la fin de l'année 2023. Les deux derniers sous-marins, le Tonelero et l'Angostura, seront quant à eux mis en service respectivement en 2024 et 2025.

Visite du chantier et de la base navale d'Itaguaí

Il convient par conséquent de préparer dès maintenant l'après 2025. Plusieurs pistes pourraient ainsi être explorées.

En premier lieu, le développement du sous-marin à propulsion nucléaire Álvaro Alberto, pour lequel Naval Group est autorité de conception (design et maîtrise d'oeuvre hors parties nucléaires), représente un important défi pour le Brésil. Plusieurs interlocuteurs ont clairement indiqué souhaiter un accompagnement plus poussé de la France.

Si la mission est consciente des problématiques soulevées par un éventuel approfondissement de la coopération franco-brésilienne dans ce domaine, il convient néanmoins d'étudier toutes les possibilités, alors que l'accord AUKUS devrait donner lieu à la livraison à l'Australie de sous-marins à propulsion nucléaire par les États-Unis ainsi que la construction, sans que le chiffre précis ne soit connu à ce stade, de tels équipements sur le territoire australien.

En second lieu, Itaguaí, dont le savoir-faire est désormais établi, pourrait constituer un relais en Amérique latine. Des discussions pourraient en particulier être ouvertes avec l'Argentine, qui aurait manifesté son intérêt pour l'acquisition de sous-marins, pour une offre comprenant des sous-marins construits par ICN.

Au-delà du domaine maritime, d'autres champs de coopération pourraient être envisagés.

Dans le domaine terrestre, le Brésil a fait part de son souhait de renforcer ses capacités d'artillerie. Une coopération comprenant la livraison de systèmes CAESAR, dont le conflit ukrainien a démontré les performances, leurs munitions et le soutien associé ainsi que la formation d'artilleurs en France pourrait ainsi être proposée aux autorités brésiliennes.

Lors de son audition, la direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) a par ailleurs indiqué à la mission que plusieurs champs de coopération pourraient être approfondis concernant :

le spatial. Une complémentarité devrait ainsi être recherchée entre le Centre spatial guyanais et la base spatiale Alcântara ;

le cyber. Le Brésil pourrait par exemple être associé à des exercices menés par l'OTAN dans ce domaine ;

- la sécurité maritime, via le renforcement d'exercices conjoints, y compris jusque dans le Golfe de Guinée, comme cela a été le cas dans le cadre de l'exercice GUINEX qui a été mené en août 2022) ;

la sécurité du Plateau des Guyanes (cf. infra).

Recommandation : renouveler le partenariat stratégique de 2006 et l'étendre à de nouveaux champs tels que le domaine terrestre, le cyber ou le spatial. Étudier les possibilités d'approfondissement du programme ProSub dans le domaine nucléaire et mettre en avant les savoir-faire désormais établis d'ICN dans les discussions qui pourraient être ouvertes avec des pays d'Amérique latine concernant l'acquisition de sous-marins.

DEUXIÈME PARTIE
LA PRÉSENCE FRANÇAISE SUR LE PLATEAU DES GUYANES : UN ATOUT POUR LA FRANCE QUI DOIT ÊTRE CONSOLIDÉ

I. PAR SON DÉPARTEMENT DE LA GUYANE, LA FRANCE EST LE SEUL PAYS EUROPÉEN D'AMÉRIQUE DU SUD

A. LA GUYANE FRANÇAISE, QUI PARTAGE AVEC LES PAYS DU PLATEAU DES GUYANES LES INNOMBRABLES ATOUTS DE LA RÉGION, FAIT FACE AUX MÊMES PROBLÉMATIQUES

Selon les mots de Thierry Queffelec, préfet de la Guyane, le département de la Guyane, plus grand département français avec plus de 83 000km², représente « la France en Amérique Latine ».

Depuis l'indépendance de la Guyane néerlandaise, devenue Suriname, en 1975, la France est ainsi le seul pays européen d'Amérique du Sud.

Si elle constitue une chance extraordinaire, cette présence française sur le Plateau des Guyanes constitue aussi un défi.

En effet, avec ses voisins immédiats que sont le Brésil et le Suriname, ou plus lointains comme le Guyana, la Guyane partage les innombrables atouts de cette région :

- l'incroyable biodiversité du territoire amazonien (la Guyane est recouverte à 96 % par la forêt amazonienne) ;

- un domaine maritime disposant d'importantes ressources halieutiques et pétrolières ;

- un territoire riche en minerais et favorable à l'agriculture ;

- une proximité culturelle à l'origine de liens étroits entre les populations.

Mais la Guyane est également confrontée aux mêmes problématiques, d'ailleurs souvent liées entre elles : protection d'un territoire rendue difficile du fait de son étendu et de ses caractéristiques, développement des activités illicites (trafic d'êtres humains, d'armes et de drogue, contrebande et orpaillage illégal), questions relatives à l'immigration clandestine, ou encore pêche illégale, défis liés à la protection de l'environnement et à la lutte contre la déforestation.

B. UNE HAUSSE DE LA CRIMINALITÉ AU COURS DES CINQUANTE DERNIÈRES ANNÉES EN PARTIE EXOGÈNE

Comme le soulignait notre collègue Georges Patient, sénateur de la Guyane, lors de la séance de questions au Gouvernement du 13 avril 2023 : « la Guyane est devenue le département le plus criminogène et le plus violent de France. Les faits d'armes, agressions, crimes, meurtres s'y multiplient. Plus une seule partie du territoire n'est à l'abri de la violence, et plus personne non plus. L'assassinat du gendarme Arnaud Blanc, en plein coeur de la forêt amazonienne, en est la triste démonstration et je tiens ici à rendre hommage à ces hommes qui se dévouent jusqu'à donner leur vie pour la sécurité de leurs concitoyens ».

Selon le général de brigade Jean-Christophe Sintive, commandant de la gendarmerie de Guyane, le département représenterait ainsi à lui-seul 15 % (secteur gendarmerie) de la grande criminalité en France.

Or, comme l'a indiqué le procureur général près la Cour d'appel de Cayenne, Joël Sollier, il y a 50 ans, la Guyane était « vierge de délinquance ». Celle-ci constitue en partie un phénomène « importé » depuis les pays voisins : du Brésil pour l'orpaillage, et du Suriname et du Guyana pour les autres flux de délinquance.

À titre d'exemple, sur les 855 détenus que comptait le Centre pénitentiaire de Guyane fin 2022, 45 % (434 écroués) étaient étrangers (30% brésiliens, 28 % surinamais, 18 % guyaniens et 10 % haïtiens).

C. UNE RÉPONSE STRICTEMENT NATIONALE QUI NE SAURAIT PAR CONSÉQUENT SUFFIRE

Face à ces enjeux, la France a engagé des moyens militaires (opérations Titan, Harpie et Polpêche, cf. encadré ci-après), judiciaires et policiers40(*) visant à juguler l'augmentation des activités illégales en Guyane.

Les opérations Titan, Harpie et Polpêche

Opération Titan : au sein d'un dispositif interarmées, lui-même intégré dans un dispositif interministériel, environ 50 militaires surveillent en permanence les abords du CSG. Cet effectif atteint près de 350 militaires lors des phases de transfert ou de lancement (quatre à cinq jours par mois). Il peut atteindre, en cas de lancement sensible, jusqu'à 400 militaires.

Opération Harpie : lancée officiellement par le Président de la République en février 2008, Harpie est une opération interministérielle de grande envergure. Elle est menée conjointement par les forces de l'ordre (police aux frontières, gendarmerie) et les FAG. Placée sous l'autorité du préfet et du procureur de la République pour la partie judiciaire, elle vise à éradiquer l'orpaillage illégal.

Opération Polpêche : la mission de police des pêches des FAG s'inscrit dans un cadre interministériel associant d'autres services de l'État (affaires maritimes, douanes et gendarmerie). L'action des FAG et plus particulièrement centrée sur l'observation des activités de pêches, l'interrogation de navires de pêche, la vérification des journaux de bord, la vérification des engins de pêche et le contrôle des maillages, l'appréhension des navires, matériels et produits de la pêche.

Source : ministère des armées

Si ces différentes actions ont enregistré certains résultats, notamment en matière de lutte contre le trafic de drogue, force est cependant de constater que l'État n'est pas parvenu à éradiquer ou même contenir la criminalité « du quotidien » ni, a fortiori, les grands phénomènes criminels.

Ces enjeux, dans une large mesure régionaux, appellent en effet une réponse coordonnée avec les pays voisins. Un renforcement de la coopération policière, judiciaire, économique et dans le domaine de la défense avec les autres pays du Plateau des Guyanes doit ainsi être recherché. Un amendement au projet de loi de programmation militaire pour les années 2024-2030 a d'ailleurs été déposé en ce sens par les membres de la mission.

Au cours du déplacement, plusieurs propositions concrètes ont été formulées par les personnes entendues tels que :

la mise en place d'un « droit de poursuite » applicable au Brésil et au Suriname, permettant une sorte de « petit Schengen », selon les termes du préfet de Guyane ;

le rapprochement entre le parc national des montagnes du Tumucumaque (Parque Nacional das Montanhas do Tumucumaque) et le parc Amazonien de Guyane, ce qui constituerait la plus grande zone mondiale de la biodiversité, comme l'a suggéré Joël Sollier, procureur général près la cour d'appel de Cayenne. La mission fait sienne cette recommandation, qui pourrait être étendue au Suriname et au Guyana ;

- la conduite d'une réflexion sur le développement de l'orpaillage légal. Développement économique nécessaire dans un cadre strictement contrôlé : pas d'utilisation du mercure, moindre déforestation.

Recommandation : étudier le rapprochement entre le parc national des montagnes du Tumucumaque (Parque Nacional das Montanhas do Tumucumaque) et le parc Amazonien de Guyane, ce qui constituerait la plus grande zone mondiale de la biodiversité, et étendre cette coopération au Suriname et au Guyana.

Ces pistes pourraient être discutées dans le cadre du dialogue stratégique du plateau des Guyanes organisé à l'initiative de la DGRIS et qui réunit la France, le Suriname et le Guyana ainsi que le Brésil en tant qu'observateur.

D'autres axes de coopération bilatérale avec le Brésil, le Suriname et le Guyana sont par ailleurs présentés dans la suite du présent rapport d'information.

II. UNE COOPÉRATION TRANSFRONTALIÈRE FRANCO-BRÉSILIENNE DÉJÀ INTENSE MAIS QUI DOIT ÊTRE ENCORE RENFORCÉE

A. DES RELATIONS TRANSFRONTALIÈRES HISTORIQUES QU'IL CONVIENT D'AFFERMIR

1. Le fleuve Oyapock, frontière et bassin de vie

La France et le Brésil partagent une frontière de plus de 730 km, ce qui constitue la plus longue frontière terrestre française.

Matérialisée en grande partie par le fleuve Oyapock, qui sépare la Guyane de l'État d'Amapá, le tracé de cette frontière n'a été reconnu par la France que le 1er décembre 1900, à la suite d'un arbitrage de la confédération helvétique.

Le fleuve Oyapock constitue ainsi à la fois une frontière entre le Brésil et la France mais aussi un bassin de vie entre les villes de Saint-Georges-de l'Oyapock, côté français, et Oiapoque, côté brésilien.

Comme le relèvent Sylvie Letniowska-Swiat et Valérie Morel41(*), l'enclavement de ces deux villes a contribué à leur rapprochement « les communes du bassin versant dessiné par l'Oyapock sont parmi les plus isolées de ces territoires, éloignées notamment des centralités régionales de référence. Rares sont les routes et les pistes qui relient les communes bordières du fleuve à Cayenne ou Macapá. Seules routes asphaltées ou partiellement asphaltées, la RN2 raccorde Cayenne à Saint-Georges et la BR-156, Oiapoque à Macapá. Le reste des hameaux, lieux de vie ou feux ne sont accessibles que par le fleuve, ses affluents ou des pistes forestières. La très faible desserte terrestre et l'enclavement induit ont eu pour effet de maintenir des pratiques spatiales transversales intenses au sein du bassin de vie fluvial. Faire, et vivre loin de tout, pourrait en être la devise identitaire. La frontière nationale qui s'appuie sur le fleuve se surimpose donc à un territoire généré et organisé par ce dernier, très loin en marge des centralités administratives. L'existence et la pratique du bassin versant oyapoquois sont historiques, adossées à la perception et aux fonctions qu'ont affectées les populations autochtones aux fleuves d'Amazonie. Ces pratiques sont mises en évidence dès le XVIIème siècle par les premières explorations qui relatent le fonctionnement en bassin de vie organisé, structuré par les populations amérindiennes installées de part et d'autre du fleuve (Collomb G., 2013) ».

Afin de faciliter les échanges entre les deux rives et à ouvrir la Guyane au reste du continent américain, un projet de construction de pont routier a été lancé en novembre 1997, lors d'une rencontre entre les présidents Jacques Chirac et Fernando Henrique Cardoso. Ce projet a donné lieu à un accord signé le 15 juillet 2005 et ratifié par la loi n° 2007-65 du 18 janvier 2007 autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérative du Brésil relatif à la construction d'un pont routier sur le fleuve Oyapock reliant la Guyane française et l'État de l'Amapá.

Si la construction du pont s'est achevée en 2011, celui-ci n'a finalement ouvert qu'en 2017.

Le pont sur l'Oyapock reliant la Guyane au Brésil

Par ailleurs, la mission a pu constater sur place que celui-ci demeure très peu emprunté.

Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette situation. En premier lieu, les plages horaires (entre 8 heures et midi puis entre 14 heures et 18 heures) sont peu étendues. Comme cela a été indiqué, certains travailleurs dont les horaires ne correspondent pas aux heures d'ouverture du pont continuent de privilégier la voie fluviale, plus souple.

En deuxième lieu, de nombreux flux entre les deux rives étant informels, le passage par le pont nécessite un passage par la douane, alors que cette formalité est dans une large mesure inexistante en pirogue.

En troisième lieu, si l'assurance automobile est obligatoire côté français, cela n'est pas le cas sur l'autre rive. Par ailleurs, toutes les assurances brésiliennes ne sont pas reconnues en France. Les Brésiliens souhaitant se rendre en France doivent donc souscrire une assurance, ce qui constitue un coût excessif pour la plupart des riverains.

Pour Sylvie Letniowska-Swiat et Valérie Morel, de manière paradoxale, en redonnant au fleuve sa fonction frontalière, le pont sur l'Oyapock a ainsi pu s'ériger en barrière plutôt qu'en lien

En dépit de la proximité géographique, historique et culturelle entre la Guyane et l'Amapá, le volume des mouvements guyano-brésiliens de biens et de personnes demeure ainsi relativement faible.

Dans un rapport de 2020, l'Institut d'émission des départements d'Outre-mer relève que les échanges commerciaux entre la Guyane et le Brésil demeurent limités, atteignant 14,2 millions d'euros en 2019, dont 12,6 millions d'euros d'importations, principalement de produits manufacturés divers (notamment des chaudières), ou issus des industries métallurgique. Comme le rappelait notre ancien collègue Antoine Karam42(*), cette situation tient notamment aux différences de normes applicables de part et d'autre de la frontière : « la circulation des biens vient également se heurter aux normes auxquelles les produits brésiliens et français sont soumis chacun de leur côté. Le respect de ces normes est en effet un préalable à la pénétration du marché concurrent. La question se pose en particulier pour les produits brésiliens à destination du marché guyanais, qui pourraient représenter une alternative d'approvisionnement pour la Guyane, mais qui doivent pour ce faire s'adapter aux normes européennes ».

Au cours des auditions, il a été indiqué que la mise en place d'une desserte aérienne reliant les deux principales villes de Guyane et d'Amapá, Cayenne et Macapá, pourrait être de nature à renforcer les mouvements de personnes entre le département français et l'État fédéré brésilien. Ceux-ci ne pourront cependant véritablement croître que lorsque la question des visas aura été définitivement résolue (cf. infra).

2. La coopération transfrontalière, qui couvre déjà un nombre important de domaines, devrait être approfondie

À l'occasion de la réception organisée à Macapá, le Gouverneur de l'Amapá, Clécio Luís a clairement indiqué sa volonté d'approfondissement de la coopération entre la Guyane et l'Amapá : « la relation entre l'Amapá et la Guyane française remonte à des siècles, bien sûr, mais pour une bonne partie elle était informelle. Nous voulons changer cette réalité. Puissions-nous échanger beaucoup d'art, de langue, de culture, de sécurité, la santé, et beaucoup d'échanges commerciaux forts avec une protection juridique »43(*).

Réception donnée par M. Clécio Luís, gouverneur de l'Amapá, en présence de M. Randolfe Rodrigues, sénateur de l'Amapá

La coopération transfrontalière entre la Guyane et le Brésil a été formalisée par l'accord-cadre de coopération franco-brésilien du 28 mai 1996, lequel a donné lieu à la création de la Commission mixte de coopération transfrontalière (CMT) franco-brésilienne. Celle-ci constitue l'instance privilégiée de dialogue politique bilatéral. Un Conseil du Fleuve sur l'Oyapock, instance locale consultative, a par ailleurs été créé par une déclaration d'intention signée le 14 décembre 2012

Ces deux instances, qui ne s'étaient pas réunies depuis 2019, ont connu une actualité nouvelle en 2023. Le 5e Conseil du fleuve s'est ainsi tenu à Saint-Georges-de-l'Oyapock le 26 mai 2023. À cette occasion, plusieurs thématiques ont été abordées : le contrôle du mercure, la coordination de la santé, l'école et l'accès à l'université, les échanges commerciaux, la gestion des déchets, la culture wayanpi de Guyane et la circulation des personnes dans le bassin de l'Oyapock. Ces sujets ont par ailleurs été inscrits à l'ordre du jour de la Commission mixte de coopération transfrontalière qui s'est réunie à Cayenne les 3 et 4 juillet 2023.

En parallèle de ces instances de dialogue, une sous-préfecture a été ouverte à Saint-Georges-de-l'Oyapock en décembre 2022. La mission se félicite de cette initiative qui devrait contribuer à renforcer la relation avec l'Amapá, en permettant une gestion au niveau local de certaines problématiques telles que la délivrance des titres de séjour plutôt qu'à Cayenne.

a) La lutte contre les activités illicites nécessite un renforcement de la coopération militaire, policière et judiciaire entre le Brésil et la France

Dans le domaine militaire, la coopération franco-brésilienne se traduit notamment par la conduite d'opérations coordonnées.

La mission a ainsi été reçue par la 22° brigade et le 34° bataillon d'infanterie de jungle dans le cadre de l'opération Jararaca menée en partenariat entre l'armée brésilienne et les forces armées en Guyane (FAG). Au cours de cette visite, il a notamment été rappelé à la mission que c'est avec la France que le Brésil avait conclu le plus grand nombre d'accords de coopération militaire.

Cette mission, qui s'est déroulée du 11 au 17 avril 2023, visait à mener des actions militaires coordonnées dans le but de limiter les délits transfrontaliers et environnementaux liés à l'orpaillage illégal en application de l'accord du 23 décembre 2008 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérative du Brésil dans le domaine de la lutte contre l'exploitation aurifère illégale dans les zones protégées ou d'intérêt patrimonial44(*).

L'opération Jararaca

Dans le cadre de la lutte contre l'orpaillage illégal, les forces armées en Guyane mènent régulièrement des opérations avec le 34e Bataillon d'Infanterie de la Selva (34e BIS) des Forces Armées Brésiliennes (FAB). Ce sont les opérations baptisées Rochelle qui visent à saisir sur une courte période les ressources des orpailleurs illégaux (garimperos) en misant sur l'effet de surprise. En complément, les opérations conjointes Jararaca viennent compléter de manière semestrielle l'effort en matière de lutte contre l'orpaillage illégal, freinant ou empêchant ainsi la poursuite de l'activité illégale d'extraction par l'interception des flux logistiques.

Source : ministère des armées

Visite du 34e bataillon d'infanterie de jungle brésilien dans le cadre de l'opération Jararaca

Celle-ci a donné lieu à la mise en place d'un centre de commandement réunissant des militaires brésiliens et français.

La mission a pu constater l'intérêt de cette opération qui comprenait trois phases :

1) préparation de l'opération ;

2) interventions et opérations de reconnaissance et de surveillance dans plusieurs zones afin de parvenir à un gel des flux logistique dans le bassin de l'Oiapoque ;

3) interventions dans plusieurs zones visant au contrôle des moyens de transport et au maintien du gel des flux logistiques dans le bassin de l'Oiapoque.

Pour autant, comme l'ont indiqué plusieurs interlocuteurs, l'efficacité de ces opérations serait renforcée si les actions n'étaient plus simultanées mais véritablement conjointes, c'est-à-dire menées à partir de mêmes embarcations avec la possibilité pour les militaires des deux pays d'appréhender les auteurs d'actes illicites sur le territoire de l'autre pays, dans une zone donc la profondeur devra être déterminée.

Recommandation : mettre en place de véritables patrouilles conjointes permettant aux militaires des deux pays d'appréhender les auteurs d'actes illicites sur le territoire de l'autre pays, dans une zone dont la profondeur devra être déterminée.

Dans le domaine maritime, des opérations conjointes sont régulièrement menées au large des côtes françaises et brésiliennes. Ainsi, les 18 et 19 septembre 2022, une patrouille franco-brésilienne a été menée le long de la frontière entre la Guyane et le Brésil. Celle-ci a permis d'arrêter 4 embarcations qui se livraient à des actions de pêche illicite.

L'entraide judiciaire en matière pénale est basée sur la convention franco-brésilienne du 28 mai 1996 et prend essentiellement la forme de commissions rogatoires internationales émises par des juges d'instruction de Cayenne dans des affaires concernant des Brésiliens. Celles-ci apparaissent cependant très largement inexécutées sans que les causes n'aient été précisément identifiées. Par ailleurs, la question des transferts de prisonniers devrait faire l'objet de discussions afin de permettre une plus grande prise en charge par le Brésil de ses ressortissants.

Recommandation : proposer un renforcement de la coopération judiciaire en matière pénale visant à une meilleure exécution des commissions rogatoires émises par les juges français à l'égard de ressortissants brésiliens, réétudier les modalités d'extradition et de mise en oeuvre de la procédure dite de libération conditionnelle « expulsion », voire envisager l'établissement d'une convention sur le transfert de prisonniers.

En matière policière, un centre de coopération policière45(*) a été créé à Saint-Georges-de-l'Oyapock qui réunit des représentants de la police fédérale brésilienne, de la gendarmerie française et de la police aux frontières. Néanmoins, comme l'a rappelé Thierry Queffelec, préfet de la Guyane, ce centre ne permet à ce jour qu'une coopération technique en matière de police judiciaire.

Les autorités de l'Amapá ont par ailleurs mis en avant l'intérêt des coopérations dans les domaines de la lutte contre les incendies (formations, simulations de crise, etc.) ou encore de la santé publique (veille épidémiologique, etc.).

b) Une thématique environnementale encore subsidiaire

La coopération transfrontalière en matière environnementale constitue à l'heure actuelle, pour l'essentiel, la conséquence de la lutte contre les activités illicites, en particulier l'orpaillage ou la pêche illégale.

Pourtant, comme il a été rappelé précédemment, la Guyane et le Brésil possèdent des parcs naturels contigus et la protection de l'environnement devrait donner lieu à la mise en oeuvre d'une coopération renforcée.

Outre la possibilité déjà évoquée d'un jumelage entre les deux parcs, des actions conjointes pourraient être menées dans ce domaine.

En matière répressive, il pourrait ainsi être envisagé d'initier des contacts entre magistrats et policiers spécialisés dans la protection de l'environnement, sans que celle-ci découle nécessairement de la lutte contre l'orpaillage et la pêche illégales.

Des coopérations techniques pourraient également être envisagées, en particulier avec le Censipam, dont l'expertise en matière de surveillance et de renseignement de l'Amazone pourrait être utile à la France.

La France pourrait en outre appuyer la demande brésilienne d'accéder à certaines images prises par le satellite européen Sentinel-1, cette demande ayant été, selon le directeur opérationnel du Censipam, rejetée par l'Agence spatiale européenne.

Enfin, à l'instar de la Norvège, de l'Allemagne et du Royaume-Uni, la France pourrait contribuer au financement du Fonds Amazone relancé par le Président Lula.

Recommandation : renforcer la coopération dans le domaine de la protection de l'environnement via le développement de contacts entre magistrats et policiers spécialisés, des coopérations techniques notamment avec le Censipam, l'appui de la demande brésilienne d'accéder à certaines images prises par le satellite Sentinel-1 ou encore la participation de la France au financement du Fonds Amazone relancé par le Président Lula.

c) Une coopération dans le domaine culturel qui demeure limitée

Lors de la réception organisée à Macapá, Clécio Luís, gouverneur de l'Amapá, a rappelé que la Guyane et l'Amapá partagent le « même ADN, la même culture et la même géographie » appelant à ce que le fleuve Oyapock ne soit pas vu comme une frontière mais comme un lien permettant de rapprocher les peuples voisins.

En dépit de liens culturels évidents, la mission a constaté une coopération limitée dans ce domaine.

À cet égard, la mission a été frappée par l'absence d'Alliance française à Macapá. Elle appelle par conséquent à l'ouverture d'une Alliance française, le cas échéant, dans le cadre d'un partenariat avec le centre de langue et de culture françaises « Danielle Mitterrand ».

Recommandation : ouvrir une Alliance française à Macapá, le cas échéant, dans le cadre d'un partenariat avec le centre de langue et de culture françaises « Danielle Mitterrand ».

B. UNE AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT FRANÇAISE QUI DEVRAIT POUVOIR BÉNÉFICIER À L'AMAPÁ

Si l'Amapá est l'État fédéré le plus pauvre du Brésil, il ne bénéficie pourtant d'aucune aide publique au développement française.

En effet, comme l'a rappelé l'AFD en audition, les règles de l'Agence ne lui permettent pas d'apporter des subventions à des États fédérés ou des collectivités territoriales présentant une situation financière trop dégradée. L'AFD ne peut donc pas soutenir l'Amapá directement en tant que bailleur de fonds. Une solution pourrait consister en un financement intermédié via un établissement bancaire. La mission ne peut qu'encourager l'AFD à poursuivre sa recherche de partenaire qui permettrait d'apporter un soutien financier à l'État d'Amapá.

Plusieurs thématiques pourraient plus spécifiquement faire l'objet d'un soutien de l'AFD. Outre la protection de l'environnement et le secteur culturel, comme cela a été rappelé supra, les autorités de l'Amapá rencontrées par la mission ont souligné le potentiel touristique de cet État qui souffre cependant d'un manque d'infrastructures, notamment hôtelières.

De fait, l'Amapá dispose d'incontestables atouts touristiques liés notamment à la présence de la forêt amazonienne. L'aide au développement pourrait ainsi contribuer au financement d'infrastructures touristiques.

Recommandation : poursuivre la recherche d'un partenaire bancaire brésilien permettant un financement intermédié de l'AFD à destination de l'État d'Amapá. Outre les thématiques liées à l'environnement et à la culture, prévoir que cette aide sera consacrée au financement d'infrastructures dans le secteur touristique.

C. UNE PROBLÉMATIQUE DES VISAS À LAQUELLE IL CONVIENT D'APPORTER UNE SOLUTION

Au cours du déplacement, les autorités nationales comme locales brésiliennes ont systématiquement soulevé la question de l'obligation pour les brésiliens souhaitant se rendre en Guyane de disposer d'un visa, alors qu'une telle obligation n'existe pas pour se rendre sur le territoire métropolitain et que les Guyanais sont, de leur côté, exemptés de visa pour franchir la frontière.

Le régime de circulation des personnes entre le Brésil et la Guyane

Les ressortissants brésiliens sont soumis à l'obligation de visa de court séjour pour accéder à la collectivité territoriale de Guyane car la Guyane ne fait pas partie de l'espace Schengen. Ce visa est délivré par les Consulats de France au Brésil.

Certains acteurs dont l'activité nécessite de nombreux aller-retours en Guyane (secteur économique, enseignement et recherche...) peuvent bénéficier de la possibilité d'obtenir un visa de circulation d'une validité maximale de 5 ans.

La dispense de visas est prévue pour 3 cas :

1) dispense complète de visa pour tout ressortissant brésilien en mission, détenteur d'un passeport officiel (diplomatique ou de service) en cours de validité

2) dispense de visa pour les séjours d'une durée n'excédant pas trois jours à l'occasion d'une escale au cours d'un trajet aérien à destination du territoire européen de la France, du Brésil ou d'un autre territoire ultramarin français.

3) dispense de visa pour les séjours d'une durée inférieure à quinze jours pour les ressortissants dont le voyage et le séjour sont organisés par l'intermédiaire d'un opérateur de voyages et de séjours établi en Guyane et immatriculé au registre des opérateurs de voyages et de séjours ou par un opérateur ayant conclu un accord de partenariat avec une telle agence.

Source : préfecture de la Guyane

La Guyane est en effet le seul territoire français pour lequel l'obligation de visas de court séjour pour les Brésiliens n'a pas été levée, par dérogation à l'accord sur la libre circulation des personnes conclu entre le Brésil et l'Union européenne. Cette situation conduit par exemple à ce que les habitants de l'Amapá souhaitant se rendre en Guyane doivent déposer une demande de visa à Brasilia.

Cette problématique des visas constitue un « irritant » majeur des relations franco-brésiliennes. Sans méconnaître les éventuels risques liés à la suppression d'obligation de visa, la mission considère que cette asymétrie de traitement est difficilement justifiable.

Elle appelle par conséquent le Gouvernement à prévoir un assouplissement du régime des visas applicable aux Brésiliens se rendant en Guyane et, a minima, à mettre en place une solution technique permettant aux habitants de l'Amapá de ne pas avoir à se rendre à Brasilia pour obtenir un visa.

Recommandation : prévoir un assouplissement du régime des visas applicable aux Brésiliens se rendant en Guyane et, a minima, mettre en place une solution technique permettant aux habitants de l'Amapá de ne pas avoir à se rendre à Brasilia pour obtenir un visa.

III. LE SURINAME : UN DÉVELOPPEMENT ATTENDU, UN PAYS EN PROIE À D'IMPORTANTES DIFFICULTÉS ÉCONOMIQUES ET SOCIALES

Rencontre avec Mme Krishna Mathoera, ministre de la défense du Suriname, le colonel Werner Kioe A Sen, chef d'état-major des armées, et M. Sherif Abdoelrhamanla, secrétaire général du ministère des affaires étrangères

A. UN PAYS CONFRONTÉ À D'IMPORTANTES DIFFICULTÉS ÉCONOMIQUES ET SOCIALES DONT LE DÉVELOPPEMENT EST LARGEMENT CONDITIONNÉ À L'AMPLEUR DE SES RÉSERVES PÉTROLIÈRES ET À LEUR MISE EN EXPLOITATION

Ancienne colonie néerlandaise et seul pays néerlandophone d'Amérique du Sud, le Suriname a accédé à l'indépendance en 1975.

La France partage avec ce pays d'environ 600 000 habitants - ce qui en fait le pays le moins peuplé d'Amérique du Sud - une frontière de 520km.

L'économie du Suriname

L'économie du Suriname est essentiellement portée par le secteur primaire et les abondantes ressources naturelles du pays.

Elle repose sur la production d'or, de bauxite et de pétrole. L'exploitation minière englobe près de la moitié des revenus du secteur public. L'or tient pour 80 % des exportations totales du pays. Le secteur agricole (riz, canne à sucre, banane et bois) représente une faible part du PIB mais emploie près d'un quart de la population.

Est à noter également la prépondérance des importations dans l'économie surinamaise (80 % à 90 % des denrées alimentaires et biens de consommation sont notamment importés).

Concernant le secteur du tourisme, le nombre de visiteurs augmente ces dernières années. Le gouvernement revendique cette volonté d'ouverture du pays au monde extérieur notamment avec la mise en place depuis juillet 2022 d'un simple droit d'entrée à la frontière (25 €), dispensant d'un visa pour la majorité des pays étrangers.

L'évolution du marché des matières premières et l'arrêt de la production d'aluminium ont entraîné une dégradation brutale du solde budgétaire en 2017 et 2018.

Le 21 septembre 2020, le nouveau Gouvernement a réconcilié le taux de change officiel et celui du marché noir, dévaluant le dollar surinamais et entraînant une inflation de 50 % pour l'année 2020 (cette inflation est évaluée à 52,5 % en 2022).

Environ une personne sur quatre au Suriname (26 % de la population) vit avec moins de 5,50 dollars américains par jour. Le taux de pauvreté est beaucoup plus élevé dans les régions de l'intérieur où plus de la moitié de la population vit dans la précarité.

Source : ministère de l'Europe et des affaires étrangères

Depuis 2020, le Suriname fait face à une grave crise économique qui l'a contraint à faire défaut sur sa dette extérieure, laquelle s'élevait à près de 150 % du PIB fin 2020. Placé sous l'intervention du FMI avec un programme d'aide de 690 millions de dollars, le Suriname a obtenu l'aide du Club de Paris et le soutien de la France, avec laquelle un accord de restructuration d'une partie de sa dette a été signé en octobre 2022.

Cette crise économique est aggravée par une inflation très élevée, qui atteignait 50 % en 2022, laquelle, conjuguée à une dévaluation continue du dollar surinamais, se traduit par une érosion importante du pouvoir d'achat des ménages.

Après deux années de récession (- 15,9 % en 2020 et - 3,5 % en 2021), l'économie du Suriname semble renouer avec la croissance en 2022 (+ 1,3 %), son PIB atteignant 3 milliards de dollars (soit le plus faible montant du continent, tendance qui pourrait se confirmer en 2023 (avec une prévision de croissance s'établissant à + 2,3 %)46(*).

Pour faire face à cette situation, le Gouvernement a adopté plusieurs réformes fortement contestées par l'opinion : augmentation du prix de l'électricité et des carburants, gel des salaires des fonctionnaires, ou encore mise en place d'une TVA de 10 % depuis le 1er janvier 2023.

Une manifestation contre la vie chère a ainsi eu lieu le 17 février 2023, en marge de laquelle des actes de violence ont été commis contre le siège de la présidence et le bâtiment de l'Assemblée nationale.

En réponse à cette montée de la contestation, les autorités surinamaises ont décidé le versement d'une allocation de 1 800 dollars surinamais aux 60 000 foyers les plus défavorisés.

À ces difficultés sociales s'ajoutent en outre des tensions politiques. Le Président Chandrikapersad Santokhi, dit Chan Santokhi, élu en juillet 2020, dont le parti VHP (Vooruitsrtrevende Hervormings Partij - parti progressiste réformiste) ne dispose pas d'une majorité absolue à l'Assemblée nationale, doit en effet gouverner avec l'ABOP (Algemene Bevrijdings en Ontwikkelingspartij - Parti de la libération générale et du développement) du vice-président Ronnie Brunswijk47(*), alors que le NPS (Nationale Partij Suriname - Parti national du Suriname) a quitté la coalition gouvernementale en février dernier. Malgré des rumeurs concernant une possible rupture de la coalition, les deux partis ont cependant annoncé maintenir leur collaboration jusqu'au terme de leur mandat qui doit intervenir en mai 2025. Par ailleurs, le NDP (Nationale Democratische Partij - Parti national démocratie) de l'ancien Président Désiré Delanoe Bouterse, dit Desi Bouterse, dont le procès pour des crimes politiques commis en décembre 1982 devrait s'achever en fin d'année 2023, est régulièrement dénoncé par ses adversaires pour contribuer à attiser les tensions.

L'existence de gisements pétroliers offshore, dont les niveaux sont actuellement en cours d'estimation, pourrait, à moyen terme, apporter une réponse à la crise traversée par le Suriname.

Si les récentes déclarations du Président-directeur général de TotalEnergies48(*), Patrick Pouyanné, qui indiquait au début du mois de mai 2023 que « 2023 sera[it] une grande année pour le Suriname », ainsi que le renforcement de la présence du groupe français dans le pays49(*) invitent à un certain optimisme, la « décision finale d'investissement » n'est toujours pas prise, les données concernant le troisième et dernier puits d'appréciation n'étant pas encore connues.

B. UNE COOPÉRATION FRANCO-SURINAMAISE BIEN ÉTABLIE

Dans le domaine économique, les relations franco-surinamaises sont réelles quoique limitées. Dans ses réponses au questionnaire des rapporteurs, la direction générale du Trésor a rappelé que « les échanges bilatéraux entre la France et le Suriname atteignent 42,9 M EUR en 2022. Les produits des industries agroalimentaires représentent près des deux tiers (63 %) des exportations françaises vers le Suriname (17 M EUR). La légère hausse annuelle de ces dernières (+ 2 %) mise en perspective avec la hausse plus significative des exportations surinamaises vers la France (+ 40 %, 26 M EUR) induite par la crise énergétique et l'augmentation des prix des hydrocarbures entraine un creusement de notre déficit commercial avec le Suriname (9,7 M EUR vs. 2,6 M EUR en 2021). La dépréciation du Dollar Surinamais (48 % sur 2022) a aussi pu renforcer la compétitivité des exportations du pays. Le pays limitrophe de la Guyane gagne une place au classement des fournisseurs de la France (21e/46 en Amérique latine et Caraïbes et 138e/231 dans le monde vs. resp. 22ème et 141e). Le Suriname est notre 30e client en Amérique latine et Caraïbes et notre 170e mondial ».

En matière de défense, Krishna Mathoera, ministre de la défense du Suriname, a rappelé que « la France est un partenaire très important pour le Suriname ». Depuis 2003, les deux pays sont liés par un accord de statut des forces à l'étranger.

La coopération franco-surinamaise militaire prend la forme de plusieurs initiatives, notamment mises en oeuvre par les forces armées en Guyane (FAG), dont la tenue d'un dialogue stratégique au niveau du Plateau des Guyanes associant les états-majors français, surinamais, guyanien et brésilien, l'apprentissage du français aux forces armées surinamaises, l'organisation de formations ou encore la tenue d'exercices conjoints tels que « Fer de lance », qui s'est tenu du 8 au 19 mars 2023 et qui rassemblait des militaires français, surinamais, guyaniens et brésiliens, ou encore des formations dispensées par FAG au profit des forces armées surinamaises. Signe de la vigueur de cette relation, la ministre de la défense surinamaise s'est rendue à Paris en juin 2022 où elle a rencontré le ministre des armées, Sébastien Lecornu. De même, en février 2023, le chef d'état-major des armées du Suriname s'est rendu en France afin de rencontrés plusieurs chefs militaires, dont son homologue, le général Thierry Burkhard.

La coopération militaire entre nos pays devrait en outre être renforcée avec l'installation d'une mission de défense au sein de l'ambassade de France à partir du 1er août 2023.

Dans les domaines judiciaires et policiers, une convention d'entraide en matière pénale a été signée en 2021 qui vise à renforcer la lutte contre la criminalité transfrontalière. La convention de coopération policière transfrontalière signée en 2006 est par ailleurs entrée en vigueur le 1er septembre 2022.

Enfin, en matière environnementale, comme le rappelle le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, plusieurs initiatives peuvent être mentionnées telles que la gestion par l'AFD d'une subvention de 5 millions d'euros versée par l'Union européenne pour la préservation de la forêt amazonienne ou encore l'audition par l'Assemblée nationale du Suriname, en mars 2023, d'experts français dans le domaine de la lutte contre l'orpaillage.

La mission relève cependant qu'en raison d'impayés, l'AFD a suspendu son intervention directe dans le pays. Une action de sa filiale Proparco, à destination du secteur privé, pourrait ainsi être envisagée pour accompagner le développement de ce pays.

Recommandation : envisager une action de Proparco, filiale de l'AFD, en faveur du secteur privé, afin de poursuivre l'accompagnement du développement du Suriname.

C. DES RELATIONS TRANFRONTALIÈRES QU'IL CONVIENDRAIT DE RENFORCER, EN PARTICULIER DANS LE DOMAINE DE LA SÉCURITÉ

À l'occasion d'un entretien avec des parlementaires surinamais, le député Melvin Bouva a fait part d'une expression néerlandaise selon laquelle il vaut « mieux un bon voisin qu'un ami lointain », ajoutant que la France était ce bon voisin avec qui il fallait renforcer la coopération. La mission ne peut que faire sienne cette analyse. Au moins quatre axes de développement pourraient être envisagés

1. Un différend frontalier qu'il convient de solder rapidement

Au cours de la rencontre avec des parlementaires surinamais, la mission a interrogé les élus sur le calendrier de ratification du protocole d'accord pour la reconnaissance de la frontière sur le Maroni-Lawa du 15 mars 2021, qui doit mettre un terme à l'essentiel du contentieux frontalier entre la France et le Suriname.

En effet, si celui-ci a déjà été ratifié par le France, cela n'est pas encore le cas côté surinamais.

Les parlementaires surinamais rencontrés, en particulier Obed Kanape, président du groupe majoritaire, ont manifesté leur volonté que ce texte soit rapidement adopté par l'Assemblée nationale.

Une fois cet accord ratifié par la partie surinamaise, il conviendra d'aboutir rapidement à un accord sur la 4e section de la frontière, la France estimant que la frontière est constituée par le fleuve Litani, alors que le Suriname considère que celle-ci est matérialisée par le Marouini, afin de clore définitivement ce chapitre.

Recommandation : encourager les autorités surinamaises à procéder à la ratification du protocole d'accord pour la reconnaissance de la frontière Maroni-Lava. Engager rapidement des travaux sur la 4e et dernière section de la frontière afin de solder définitivement ce contentieux avec le Suriname.

2. Des échanges commerciaux qui pourraient être intensifiés

Dans ses réponses au questionnaire vos rapporteurs, la direction générale du Trésor a rappelé que la valeur des échanges franco-surinamais de 2022 ne représentaient que 30 % de ceux de 2015 (147 millions d'euros).

Des marges importantes existent donc dans ce domaine. À cet égard, il a été indiqué à la mission que le Gouvernement surinamais envisagerait des investissements dans son outil de défense, ce qui pourrait constituer des opportunités pour notre industrie de défense.

En second lieu, devant les parlementaires rencontrés, la mission a mis en avant la nécessité de débuter les travaux de construction d'une cale-sèche à Albina, ville sur le fleuve Maroni située en face Saint-Laurent-du-Maroni, afin de permettre la circulation du bac « Malani ».

Elle constate avec satisfaction que les travaux de la cale-sèche côté surinamais ont débuté le 23 juin dernier, ce qui devrait permettre une augmentation significative du volume des échanges entre le Suriname et la Guyane.

3. Une coopération en matière de lutte contre les activités illicites qui doit être approfondie

Lors de son déplacement en Guyane et à Paramaribo, la mission a constaté que la question de la lutte contre les activités illicites à la frontière entre le Suriname et le département de la Guyane constituait un sujet de préoccupation.

À titre d'exemple, si la vente de mercure, qui sert à l'orpaillage illégal, est théoriquement interdite au Suriname, force est de constater qu'une certaine tolérance était de mise au cours des dernières années. Le nouveau gouvernement semble avoir décidé de s'emparer de ce sujet, en procédant à la destruction d'une vingtaine de barges sur le Maroni à l'automne 2022. Cette action constitué un signal important vis-à-vis de la France, l'activité de ces barges constituant une source de pollution majeure du fleuve. Par ailleurs, comme il a été rappelé précédemment, le 27 mars dernier, le Parlement surinamais a invité 7 experts français pour évoquer les conséquences de l'orpaillage illégal en matière de santé, de sécurité, etc. et envisager les pistes de renforcement de la coopération policière.

Dans ce domaine, la mission se félicite que l'accord de coopération policière signé en 2006 soit entré en vigueur. Elle estime en outre indispensable que l'accord de coopération judiciaire signé il y a deux ans soit rapidement appliqué.

Au cours des entretiens, plusieurs pistes ont été évoquées, telles que la conclusion d'une convention de transfèrement de personnes condamnées entre la France et le Suriname, l'augmentation du nombre de patrouilles communes sur le Maroni afin de lutter contre l'immigration et les activités illégales, ou encore le renforcement de la coopération opérationnelles entre les forces de sécurité passant notamment par des échanges de renseignements entre polices et forces armées.

Recommandation : maintenir un très haut niveau de coopération en matière policière et oeuvrer activement pour la mise en oeuvre de l'accord de coopération judiciaire.

4. Un soutien de la France attendu dans le domaine militaire et de la sécurité intérieure

Au cours des entretiens, les autorités surinamaises ont mis en avant l'insuffisance des moyens des armées et des forces de sécurité intérieure pour lutter efficacement contre les activités illicites.

La restructuration de la dette surinamaise rend plus difficiles des investissements importants dans ces domaines. La France pourrait ainsi apporter un soutien logistique aux forces surinamaises, en envisageant par exemple des cessions de matériels, qu'il s'agisse de véhicules, de moyens de communication, ou encore d'équipements individuels.

Recommandation : étudier les possibilités de cessions de matériels et d'équipements au profit des forces de sécurité surinamaises.

IV. LE GUYANA, FUTUR « QATAR » D'AMÉRIQUE DU SUD ?

A. DU FAIT DE SES IMPORTANTES RESSOURCES PÉTROLIÈRES...

Jusqu'à récemment, le Guyana, ancienne colonie britannique ayant accédé à l'indépendance en 1966, était le pays le plus pauvre d'Amérique du Sud.

La découverte d'importants gisements de pétrole en mer par l'américain ExxonMobil en 2015 a cependant grandement rebattu les cartes. Avec près de 11,5 milliards de barils équivalents de pétrole, le pays possèderait ainsi les deuxièmes plus grandes réserves de pétrole par habitant au monde. Sa production de pétrole pourrait ainsi atteindre 1,2 million de barils par jour d'ici 2027.

Rencontre avec M. Manzoor Nadir, Président de l'Assemblée nationale du Guyana

Entretien avec MM. Irfaan Ali, Président de la République, et Hugh Todd, ministre des affaires étrangères du Guyana

B. ...LE GUYANA CONNAÎT ACTUELLEMENT DES BOULEVERSEMENTS ÉCONOMIQUES MAJEURS, QUI POURRAIENT LUI PERMETTRE D'ATTEINDRE D'ICI QUELQUES ANNÉES LES NIVEAUX DE VIE DES PAYS DÉVELOPPÉS

Selon la DG Trésor, avec un PIB de 7,7 milliards de dollars en 2021, qui devrait atteindre 14,8 milliards de dollars en 2022, le Guyana a enregistré le plus fort taux de croissance mondiale en 2022 (+ 57,8 %), comme cela avait déjà été le cas en 2020 (+ 43,5 %). Il occupait la 3e position en 2021 (+ 23,8 %).

Alors que la croissance annuelle mondiale entre 2021 et 2027 devrait s'élever à 3,8 %, le Guyana enregistrerait quant à lui une croissance de son PIB de 26,4 % sur la même période.

11e pays sur les 12 d'Amérique du Sud en termes de PIB, il est toutefois 2e en termes de PIB par habitant (18 745 dollars courants en 2022). Il est prévu que le pays dépasse l'Uruguay (20 018 dollars courants en 2022) dès 2023 et creuse l'écart par la suite.

Selon les projections du Fonds monétaire international, en 2027, le PIB par habitant guyanien atteindrait 35 368 dollars, à la 41e place mondiale, derrière l'Espagne et devant le Koweït.

Le PIB par habitant en dollars parité de pouvoir d'achat (PPA) de 201750(*) devrait quant à lui atteindre 90 136 dollars (contre 18 672 dollars en 2020, soit une progression de + 383 % en 7 ans), ce qui le placerait au 6e rang mondial, juste devant la Suisse.

Projections de PIB/ habitant en 2027

(en dollars PPA 2017)

Irlande

125 797,126

Luxembourg

125 456,335

Singapour

125 328,693

Qatar

117 182,345

Macao

115 003,829

Guyana

90 136,064

Suisse

73 981,605

Émirats arabes unis

73 957,364

Sultanat de Brunei

73 628,978

Norvège

70 425,932

États-Unis

68 021,841

Hong-Kong

67 590,739

Taiwan

65 882,542

Saint-Marin

63 868,969

Danemark

62 691,153

Pays-Bas

62 502,806

Islande

60 836,134

Autriche

59 894,314

Allemagne

57 887,108

Suède

56 498,125

Andorre

55 530,932

Malte

55 362,331

Australie

54 965,147

Belgique

54 777,861

Finlande

52 749,608

Corée

51 637,165

Bahreïn

51 597,392

France

50 546,214

Canada

50 303,749

Royaume-Uni

50 027,03

Source : Fonds monétaire international, World Economic Outlook database, octobre 2022

Face à ces niveaux de croissance exceptionnels, pour l'essentiel liés aux revenus tirés de ses gisements pétroliers, les autorités guyaniennes ne cachent pas leur ambition de faire de leur pays les Émirats arabes unis ou le Qatar de la prochaine décennie. Le Président Irfaan Ali a par ailleurs rappelé à la mission son souhait que le Guyana devienne un champion mondial en matière de sécurité alimentaire, de sécurité énergétique et de changement climatique.

C. DES CHOIX POLITIQUES QUI AURONT UN IMPACT SUR LE DÉVELOPPEMENT DU PAYS

L'exemple vénézuélien a illustré l'absence de corrélation systématique entre abondance de ressources en hydrocarbures et développement économique de même que le rôle crucial joué par les choix des autorités en matière économique et sociale.

Les politiques publiques mises en oeuvre par l'actuel Gouvernement guyanien seront donc déterminantes dans le modèle de développement du pays pour les années à venir.

Pour éviter la survenance du « syndrome hollandais », c'est-à-dire ne pas être sujet aux effets pervers d'une économie fondée uniquement sur une rente issue de l'exportation de ressources naturelles, le gouvernement du Guyana a mis en place un fonds souverain (Natural Resource Fund) placé auprès d'une institution financière newyorkaise.

Cette « manne » pétrolière, qui représentait plus de 88 % de la croissance du PIB réel du pays en 2022, devra ainsi servir au développement d'autres secteurs d'activité, en particulier l'agriculture et l'agroalimentaire.

Par ailleurs, ce « ruissellement » lié à la manne pétrolière devra profiter à l'ensemble de la population, dont près de 40 % vit encore sous le seuil de pauvreté. À cet égard, le Président Irfaan Ali a rappelé à la mission la volonté du Gouvernement d'augmenter les investissements dans les infrastructures (dont 650 millions de dollars pour les infrastructures routières, 258 millions de dollars pour les logements et 210 millions de dollars pour les infrastructures électriques) ainsi que dans les domaines de l'éducation et de la santé.

Enfin, au niveau environnemental, si le Guyana a été l'un des premiers pays du monde à adopter une stratégie à faible émission carbone (low carbon development strategy), celle-ci se repose en grande partie sur la présence de forêts, dont les capacités de stockage de carbone atteindraient plus de 19 gigatonnes. L'enjeu pour le Guyana consistera par conséquent à s'engager dans un modèle de développement fondé en grande partie sur la rente pétrolière mais prenant en comptes les impératifs en matière environnementale. Dans cette perspective, la France accompagne déjà les efforts du Guyana dans ce domaine dans le cadre de plusieurs partenariats (cf. encadré ci-après).

Partenariats liant la France au Guyana en matière de développement durable

Le pays bénéficie du projet français Nos Futures Forêts - Amazonia Verde, l'une des priorités de conservation de l'Alliance pour la protection des forêts tropicales (le Guyana perçoit 1,2 million € des 15,4 millions € dédiés à ce projet).

La France soutient également les initiatives des populations locales via un fonds de solidarité pour les projets innovants (n° 2021-39 Protéger les droits des autochtones, la forêt et l'environnement au Guyana) de 521 000 € qui vise à élargir leurs droits fonciers, notamment en soutenant leurs moyens de subsistance.

Le Fond français pour l'environnement mondial (FEFEM) mène avec le WWF et d'autres partenaires un projet de 3,5 millions € de soutien à l'abandon progressif du mercure sur le plateau des Guyanes.

Enfin, notons que l'Union européenne est le plus gros donateur au Guyana avec une enveloppe de coopération de €21 millions pour la période 2021-2027. Cela comprend €5 millions de fonds versé à l'AFD pour un projet avec WWF Guianas de soutien aux moyens de subsistance forestiers durables pour les communautés de l'intérieur du pays.

Source : ministère de l'Europe et des affaires étrangères

D. LA FRANCE DOIT RAPIDEMENT SE POSITIONNER COMME UN PARTENAIRE CLÉ DU GUYANA EN RENFORÇANT SES RELATIONS AVEC CE PAYS

La France peut encore se positionner comme un partenaire majeur du Guyana.

Cela suppose que cette relation ne se limite pas à des déclarations d'intention mais se traduise rapidement en actes, comme l'ont appelé de leurs voeux les autorités guyaniennes rencontrées par la mission, qu'il s'agisse d'Irfaan Ali, Président de la République du Guyana comme de Manzoor Nadir, Président de l'Assemblée nationale du Guyana.

1. Le Guyana offre d'importantes opportunités pour les entreprises françaises sous réserve qu'elles y investissent dès maintenant

La mission a pu constater qu'en dépit de l'augmentation significative de son PIB au cours des dernières années, les besoins en infrastructures et en services du Guyana demeurent très élevés.

Le pays offre donc d'importantes opportunités économiques pour les entreprises françaises. Le renforcement de la présence française au Guyana a d'ailleurs été appelé de ses voeux par le Président Irfaan Ali qui a indiqué que les entreprises françaises étaient les bienvenues et souhaiter que la France devienne un « partenaire clé » du développement du pays.

L'ambassade de France au Suriname et au Guyana a édité un document rappelant les opportunités économiques du pays pour les entreprises françaises51(*). 7 secteurs sont ainsi identifiés comme présentant un potentiel économique important :

- les infrastructures ;

- la production et approvisionnement énergétique ;

- l'immobilier ;

- l'agriculture et le secteur forestier. Le Président Irfaan Ali s'est notamment dit intéressé par des transferts de technologies françaises pour développer l'agriculture guyanienne ;

- le secteur minier ;

- la distribution ;

- les crédits carbone.

La mission a cependant pu constater qu'en dépit des efforts déployés par l'Ambassade de France au Suriname et au Guyana52(*), les entreprises françaises étaient encore peu représentées dans ce pays. Elle appelle par conséquent à multiplier les initiatives à destination de nos entreprises afin de leur faire prendre conscience des opportunités commerciales offertes par le Guyana.

Recommandation : multiplier les initiatives à destination des entreprises françaises afin leur faire prendre conscience des opportunités commerciales offertes par le Guyana.

2. Une procédure de délivrance de visas qui doit être facilitée

Lors des entretiens conduits à Georgetown, les autorités guyaniennes ont toutes indiqué à la mission regretter l'impossibilité pour les Guyaniens d'effectuer les démarches pour obtenir un visa pour la France depuis le territoire du Guyana.

En effet, aucun pays de l'Union européenne ne disposant, à l'heure actuelle, d'une ambassade à Georgetown, les Guyaniens doivent se rendre à l'ambassade des Pays-Bas au Suriname pour y déposer leur demande de visa Schengen.

Lors de son audition par votre commission, Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, a indiqué être consciente du problème : « s'agissant du Guyana, nous connaissons bien la situation, en particulier la difficulté qui représente le fait de devoir se déplacer au Suriname pour effectuer les démarches relatives aux visas ». Aucune piste n'a cependant été évoquée par la ministre pour répondre à cette problématique.

L'ambassadeur de France au Suriname et au Guyana, Nicolas Bouillane de Lacoste, a pour sa part précisé à la mission que la possibilité de délivrer localement des visas Schengen était à l'étude. La mission ne peut qu'encourager le ministère de l'Europe et des affaires étrangères à aboutir rapidement à une solution afin de faciliter les démarches d'obtention de visas pour les Guyaniens.

Recommandation : étudier les solutions possibles pour faciliter les démarches d'obtention de visas Schengen pour les Guyaniens.

3. Une coopération nécessaire en matière de lutte contre les trafics illégaux

Si la hausse du niveau de vie des Guyaniens se traduit par une baisse de la criminalité, le pays demeure confronté aux défis de la criminalité organisée : pêche et orpaillages illégaux et trafics de stupéfiants, en particulier la cocaïne à destination de l'Amérique du Nord et de l'Europe. À titre d'exemple, en 2020, 11,5 tonnes de cocaïne en provenance du Guyana auraient été saisies à Anvers.

Le Président Ali a ainsi appelé à un renforcement de la coopération franco-guyanienne en matière de lutte contre la criminalité, soulignant que celle-ci constitue un défi commun à l'ensemble des pays du Plateau des Guyanes.

4. Un renforcement de la présence diplomatique française à Georgetown qui devra se traduire par l'ouverture à court terme d'une ambassade de plein exercice

L'ouverture d'une ambassade au Suriname également compétente pour le Guyana a constitué une première étape importante. De même, la mission a pu constater que la présence d'un représentant de l'Ambassade à Georgetown, ayant le statut de volontaire international en administration, a permis un renforcement significatif des liens franco-guyaniens.

La mise en place d'une antenne diplomatique à l'automne 2023 constitue un signal important et salué par les autorités guyaniennes rencontrées. La mission estime indispensable que le diplomate résident qui sera nommé puisse capitaliser sur l'important travail, notamment de réseau, réalisé par l'actuel volontaire international, selon des modalités qu'il conviendra de déterminer.

La mission considère cependant nécessaire d'aller plus loin en ouvrant une ambassade de plein exercice à Georgetown, à l'instar de ce qu'ont pu faire d'autres pays tels que les États-Unis, la Chine ou la Russie.

Le Royaume-Uni a, pour sa part, nommé un haut-commissaire, instauré la gratuité des visas et ouvert une ligne aérienne Georgetown-Londres.

Lors de son audition par votre commission, Catherine Colonna53(*), ministre de l'Europe et des affaires étrangères, a cependant opposé une fin de non-recevoir à cette proposition, indiquant : « je ne peux pas vous donner l'assurance que nous allons ouvrir une ambassade au Guyana ni ailleurs. Même si nos moyens sont appelés à être renforcés, pour autant que le Parlement valide les propositions qui lui seront faites, il en faudrait bien plus pour que nous ouvrions des ambassades, après avoir dû fortement réduire le réseau consulaire dans les deux dernières décennies. Je vous remercie de ce plaidoyer, qui était un beau plaidoyer. Nous y penserons peut-être pour l'avenir si nos moyens nous le permettent ».

Si la mission est consciente des contraintes budgétaires pesant sur le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, elle estime cependant que l'ouverture d'une ambassade au Guyana devrait constituer une priorité du ministère au regard des enjeux rappelés supra.

En effet, si la France ne prend pas rapidement l'initiative, nos concurrents ont déjà fait, ou feront dans un futur proche, à n'en pas douter, preuve de davantage de clairvoyance.

Recommandation : créer une ambassade de plein exercice au Guyana.

Enfin, en matière parlementaire, la mission préconise la création d'un groupe d'amitié France-Guyana-Suriname afin de renforcer les liens entre nos trois pays du Plateau des Guyanes.

Recommandation : créer un groupe d'amitié France-Guyana-Suriname.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 5 juillet 2023, sous la présidence de M. Christian Cambon, président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport d'information de Mme Joëlle Garriaud-Maylam et M. André Vallini, rapporteurs, et de Mme Catherine Dumas, M. Philippe Folliot et Mme Nicole Duranton, membres du groupe de travail, sur « Les nouveaux équilibres stratégiques en Amérique du Sud ».

M. Christian Cambon, président. - Nous examinons à présent le rapport d'information réalisé à la suite de la mission effectuée au Brésil, au Suriname et au Guyana, à laquelle participaient nos collègues Joëlle Garriaud-Maylam, André Vallini, Catherine Dumas, Philippe Folliot et Nicole Duranton.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur. - Douze ans après le dernier rapport consacré par notre commission au Brésil, il apparaissait indispensable de mener de nouveaux travaux sur ce pays tant celui-ci a connu d'importants bouleversements politiques au cours de la décennie écoulée : destitution de la Présidente Dilma Rousseff en août 2016, accession au pouvoir du dirigeant d'extrême-droite Jair Bolsonaro en 2018, et élection, pour un troisième mandat, de Luiz Inácio Lula da Silva en octobre 2022.

Ces alternances ont eu des répercussions importantes tant à l'intérieur des frontières du pays, en matières économique, sociale et environnementale, qu'en dehors, en raison de la place qu'il était parvenu à occuper à la fin des années 2010 au niveau régional comme international.

L'objectif de notre mission d'information était double. Il s'agissait tout d'abord d'établir un bilan de la situation économique, sociale et politique du Brésil à l'amorce de la troisième présidence Lula, tout en identifiant les axes possibles de renforcement de la relation bilatérale. Il s'agissait ensuite d'analyser les atouts et les défis que représente la présence de la France en Amérique du Sud en se penchant sur les relations qu'elle entretient avec ses voisins du Plateau des Guyanes, immédiats, comme le Brésil et le Suriname, ou plus lointains, comme le Guyana, et sur les pistes d'approfondissement de ces derniers.

Dans cette perspective, notre délégation, qu'André Vallini et moi avions l'honneur de conduire, et qui était également composée de Catherine Dumas, Philippe Folliot et Nicole Duranton, que je tiens à remercier pour leur participation à ce travail commun, s'est rendue à Rio de Janeiro, sur la base navale d'Itaguaí - symbole de la coopération franco-brésilienne en matière de défense - à Brasilia, Macapá, Oiapoque, Cayenne, puis à Paramaribo, capitale du Suriname, et enfin Georgetown, capitale du Guyana.

Je commencerai cette présentation par un état des lieux de la situation économique et sociale du Brésil, de sa politique étrangère et des évolutions attendues à la suite de l'élection du Président Lula avant de laisser André Vallini vous présenter les perspectives concernant la relation et la coopération transfrontalière. Catherine Dumas abordera quant à elle les relations de la France avec ses autres voisins du Plateau des Guyanes que sont le Suriname et le Guyana.

Au cours de la première décennie des années 2000, le Brésil a connu une amélioration significative de sa situation économique marquée notamment par un taux de croissance élevé et une baisse du taux de chômage. Cette période s'est en outre caractérisée par une distribution plus équitable des revenus du travail. À cette « décennie dorée » a toutefois succédé une « décennie perdue », caractérisée par une croissance atone et une dégradation des finances publiques brésiliennes.

Depuis la récession de 2015-2016, les inégalités et la pauvreté sont en outre reparties à la hausse. Le Brésil compterait ainsi à l'heure actuelle plus de 30 millions de personnes souffrant de la faim. Pays parmi les plus inégalitaires du monde, le Brésil est marqué par une forte polarisation de sa société.

Les élections d'octobre 2022 ont clairement mis en évidence un clivage entre les valeurs prônées par le camp bolsonariste : travail, famille traditionnelle, religion, notamment évangélique ; et celles portées par Lula et ses alliés : lutte contre les inégalités et les discriminations, dialogue, protection de l'environnement.

Une semaine après l'investiture du nouveau Président, le 8 janvier 2023, des milliers de partisans de Jair Bolsonaro réclamant un coup d'État militaire se sont ainsi livrés à des actes de vandalisme dans la capitale fédérale, Brasilia.

Afin d'atténuer les clivages entre ces « deux Brésil », le Président Lula a fait de la lutte contre la pauvreté et de la réduction des inégalités les priorités de son Gouvernement, en rupture avec la politique menée par son prédécesseur. Ce volontarisme du nouveau Président dans le domaine social s'est traduit par le retour de plusieurs mesures emblématiques de ses premiers mandats telles que les programmes « Bolsa Família » et « Minha Casa Minha Vida ». Le nouvel exécutif a également annoncé la mise en oeuvre d'une importante réforme fiscale qui verra notamment la création d'une TVA actuellement inexistante.

En matière environnementale, conformément aux promesses faites durant la campagne, le Président Lula, qui s'est engagé à atteindre une déforestation nette nulle d'ici 2030, a pris différentes mesures pour combattre la déforestation telles que la création d'un ministère de l'environnement ou encore la mobilisation de l'armée pour lutter contre l'orpaillage illégal. Lula a également fait de la protection des peuples autochtones l'une des priorités de son Gouvernement, appelant dans son discours d'investiture à révoquer, je cite, « toutes les injustices commises à l'encontre des peuples autochtones ».

Le Gouvernement Lula III doit cependant composer avec un Congrès qui lui est majoritairement défavorable, le parti conservateur de Jair Bolsonaro et ses alliés y détenant la majorité. L'unité nationale manifestée au lendemain du 8 janvier 2023 associée à un certain pragmatisme et une souplesse des partis brésiliens, habitués aux gouvernements de coalition, devraient faciliter l'adoption de certaines réformes. En matière environnementale cependant, le secteur de l'agro négoce, bien représenté au sein du Congrès, pourrait constituer un frein au volontarisme du nouvel exécutif.

En matière de politique étrangère, au niveau régional tout d'abord, les premiers mandats du Président Lula ont été marqués par l'affirmation progressive de ce que l'on peut qualifier d'« hégémonie consensuelle » brésilienne sur le sous-continent.

Si, durant la présidence Bolsonaro, le Brésil s'est détourné de l'Amérique latine au profit d'un rapprochement avec les États-Unis, le Président Lula a clairement affirmé son souhait de relancer le processus d'intégration régionale. L'une des premières décisions prises par le nouvel exécutif a ainsi consisté à réintégrer la Communauté d'États Latino-Américains et Caraïbes (CELAC) le 5 janvier 2023. Dès le 23 janvier 2023, Lula s'est en outre rendu en Argentine pour assister au VIIe sommet de l'organisation. Enfin, le 30 mai 2023, un sommet des chefs d'État du continent sud-américain s'est réuni à Brasilia, témoignant de l'engagement du nouvel exécutif dans l'intensification des liens entre pays du d'Amérique du Sud.

Au niveau international, au début de la décennie 2010, le Brésil s'était imposé comme le porte-parole du « Sud Global » parvenant à en affirmer la place sur la scène internationale.

Cette volonté de rééquilibrage des relations internationales au profit des pays du Sud demeure un marqueur fort de la politique étrangère du Gouvernement Lula III. Dans le domaine économique et monétaire, celle-ci se traduit par un narratif appelant à une « dédollarisation » de l'économie mondiale, à une réforme de l'architecture financière internationale et à un assouplissement des conditions de remboursement des dettes des pays du Sud.

Le « non-alignement » sur le bloc occidental qui sous-tend la politique étrangère du Brésil a cependant pu être perçu comme ambigu, en particulier dans le contexte de la guerre en Ukraine. S'il refuse d'appliquer des sanctions à l'encontre de la Russie tant que celles-ci n'auront pas été décidées par le Conseil de sécurité de l'ONU - au sein duquel la Russie, membre permanent, dispose d'un droit de veto - ou de livrer des armes à l'Ukraine, le Brésil a cependant voté en faveur de la plupart des résolutions de l'Assemblée générale des Nations unies. Le pays entend ainsi assumer un rôle de médiateur dans ce conflit, proposant la création d'un « club de la paix » qui réunirait des pays non occidentaux pour servir d'intermédiaire entre les belligérants.

Je termine en évoquant la question des relations entre l'Union européenne (UE) et le Brésil. Leur évolution dépend évidemment pour partie du futur de l'accord d'association négocié depuis 1999. Dans la perspective de sa présidence de l'UE intervenue le 1er juillet 2023, l'Espagne avait émis le souhait que les discussions puissent aboutir d'ici le sommet UE-CELAC qui se tiendra les 17 et 18 juillet 2023. Ce calendrier, déjà optimiste en début d'année 2023, semble désormais impossible compte tenu du report de la deuxième session de négociation de l'instrument additionnel.

S'il peut sembler excessif de considérer qu'un éventuel échec des discussions sur cet accord ancrera définitivement le Brésil à la Chine, compte tenu des relations commerciales qui existent déjà entre les deux pays, et sans méconnaître les problématiques soulevées par cet accord, qui sont d'ailleurs bien rappelées dans un projet de résolution déposé fin juin au Sénat, nous considérons cependant qu'il convient de poursuivre les discussions sur ce sujet en prenant notamment en compte le volontarisme de Brasilia en matière environnementale, dans la mesure où il nous semble que cet accord contribuera au renforcement du lien unissant le Brésil au pays occidentaux.

Je laisse maintenant la parole à André Vallini pour une présentation des perspectives concernant les relations bilatérales franco-brésiliennes et la coopération transfrontalière.

M. André Vallini, rapporteur. - L'amitié entre la France et le Brésil est profonde et ancienne. La France et le Brésil ont ainsi développé d'importantes coopérations dans des domaines variés.

La France est en ainsi le principal partenaire européen du Brésil dans le domaine universitaire. Dès les années 1930, des intellectuels éminents tels que Fernand Braudel ou Claude Lévi-Strauss ont contribué à établir des liens entre les deux pays en participant à la fondation de l'Université de São Paulo, qui est aujourd'hui la première université d'Amérique latine.

Au niveau économique, le Brésil est également un partenaire majeur de la France au sein de la sphère émergente. En termes de flux, le Brésil est la 10e destination des investissements directs à l'étranger (IDE) français et le 1er grand pays émergent. Par ailleurs, la quasi-totalité des sociétés du CAC 40 - 39 sur 40 - dispose d'au moins une filiale au Brésil.

Les relations franco-brésiliennes en matière d'investissements laissent cependant apparaître un important déséquilibre. Nous estimons par conséquent qu'un certain rééquilibrage des flux d'investissements devrait être recherché pour les années à venir. Nous proposons ainsi la mise en place d'un accompagnement renforcé des entreprises brésiliennes envisageant de s'implanter en France. Ce sujet, comme l'ensemble des aspects de la relation économique franco-brésilienne, pourrait être utilement abordé au sein d'une instance permettant un dialogue bilatéral de haut niveau régulier sur les sujets économiques et financiers, dont nous proposons la création.

La coopération franco-brésilienne s'exerce aussi dans le cadre de l'action de l'Agence française de développement (AFD) dans le pays. La stratégie brésilienne de l'AFD pour la période 2018-2022 avait pour principal objectif d'accompagner la transition du pays vers un modèle de développement bas carbone via l'appui aux territoires et le développement de partenariats, avec le système financier public brésilien notamment.

Après 16 ans de présence de l'AFD au Brésil, le pays est devenu le 5e partenaire au monde du Groupe avec 2,3 milliards d'euros engagés depuis 2007. L'action de l'AFD reste cependant majoritairement concentrée dans les régions Sud et Sud Est plus prospères. Nous estimons par conséquent nécessaire que celle-ci se tourne davantage vers le Nord et le Nord Est brésiliens, plus pauvres.

S'agissant des relations diplomatiques entre nos deux pays, après une période de tension sous l'ère Bolsonaro l'élection du Président Lula ouvre incontestablement un nouveau chapitre. Nous ne pouvons que nous réjouir de ces « retrouvailles » entre nos deux pays, pour reprendre l'expression de Catherine Colonna.

Cette volonté de renouer des liens nourris et réguliers avec la France a été systématiquement rappelée lors des entretiens que nous avons eus. L'accueil chaleureux et enthousiaste qui nous a été réservé est d'ailleurs le meilleur témoignage de cette volonté de renforcer nos relations.

Cette main tendue doit être saisie rapidement alors que plusieurs de nos alliés et compétiteurs ont déjà opéré un rapprochement, parfois plus marqué, avec ce « nouveau Brésil ». Quelques exemples : alors que plusieurs chefs d'État, dont le Roi d'Espagne et les Présidents du Portugal et de l'Allemagne, ou encore le Vice-Président chinois ont assisté à l'investiture du Président Lula, la France n'y était représentée que par le ministre délégué chargé du commerce extérieur, de l'attractivité et des Français de l'étranger.

Le Président Lula a par ailleurs accueilli plusieurs visites officielles depuis son élection : le Chancelier allemand Olaf Scholz s'est ainsi rendu à Brasilia dès le mois de janvier 2023, promettant le versement de 200 millions d'euros pour la protection de l'Amazonie. Le ministre des affaires étrangères russes, Sergueï Lavrov, a également été reçu par son homologue brésilien Mauro Vieira puis le Président Lula en avril 2023.

Lors de la visite de Catherine Colonna au Brésil en février dernier, les Brésiliens pensaient obtenir une date pour une visite du Président de la République et des annonces concernant des investissements français dans leur pays. Ils n'ont eu ni l'un ni l'autre.

Nous estimons par conséquent que la relance des relations bilatérales devrait désormais se concrétiser par un geste fort côté français, avec une visite présidentielle dès 2023. Le sommet des pays d'Amazonie, qui se tiendra au mois d'août prochain et auquel le Président Lula a invité son homologue français, pourrait constituer une opportunité de visite présidentielle, à laquelle devrait rapidement succéder une visite d'État permettant l'établissement d'une feuille de route concrète, visant en particulier à donner un nouveau souffle au partenariat stratégique de 2006.

Dans le domaine de la défense, celui-ci s'est matérialisé par un plan d'actions conclu en 2008, qui a notamment donné lieu à d'importants contrats dans les domaines naval, aéronautique et spatial. Dans le domaine naval plus spécifiquement, un ambitieux programme de transfert de technologie a été signé en 2009. Celui-ci repose sur deux piliers : la construction d'un chantier et d'une base navale à Itaguaí et la construction de 4 sous-marins conventionnels de type Scorpène dans les chantiers d'Itaguaí et l'assistance à la construction d'un sous-marin à propulsion nucléaire.

Nous appelons à préparer dès maintenant l'après 2025, date de mise en service du dernier sous-marin conventionnel.

Plusieurs axes de relance de ce partenariat pourraient être envisagés : étudier les possibilités de renforcement de l'appui français aux autorités brésiliennes dans la construction d'un sous-marin à propulsion nucléaire, même si nous sommes évidemment conscients des problématiques que cela soulève ; utilisation d'Itaguai comme d'un « relais » en Amérique latine pour la vente de sous-marins de type Scorpène qui seraient construits au Brésil ; ou encore conclusion d'un partenariat dans le domaine terrestre avec, par exemple, la livraison de systèmes CAESAR qui s'accompagnerait de la maintenance et d'actions de formation.

Les relations franco-brésiliennes comprennent en outre une dimension transfrontalière qui ne doit pas être négligée, le Brésil étant, je le rappelle, notre voisin par le département de la Guyane. Nous partageons d'ailleurs avec ce pays notre plus longue frontière terrestre : plus de 700 km.

La coopération transfrontalière dans les domaines militaires - en particulier en matière de lutte contre la pêche ou l'orpaillage illégaux -, judiciaire et policier est déjà intense. Certaines mesures pourraient cependant être prises pour en renforcer la portée, telles que l'organisation de patrouilles conjointes à la frontière, un renforcement de la coopération judiciaire en matière pénale visant à une meilleure exécution des commissions rogatoires émises par les juges français à l'égard de ressortissants brésiliens ou encore le renforcement de la coopération dans le domaine de la protection de l'environnement via le développement de contacts entre magistrats et policiers spécialisés ou de coopérations techniques.

Par ailleurs, l'État de l'Amapá, frontalier de la Guyane, ne peut actuellement pas bénéficier du soutien de l'AFD en raison de sa situation financière. Une solution pourrait consister en un financement « intermédié ». C'est pourquoi nous encourageons l'AFD à rechercher un partenaire bancaire qui permettrait d'apporter un soutien financier à l'État d'Amapá. Plusieurs thématiques pourraient plus spécifiquement faire l'objet d'un soutien français. Outre la protection de l'environnement et le secteur culturel, l'aide au développement pourrait contribuer au financement d'infrastructures touristiques, qui font défaut à l'Amapá alors que cet État jouit d'un fort potentiel touristique du fait de la présence de la forêt Amazonienne.

Au cours du déplacement, les autorités nationales comme locales brésiliennes ont par ailleurs systématiquement soulevé la question de l'obligation pour les Brésiliens souhaitant se rendre en Guyane de disposer d'un visa, alors qu'une telle obligation n'existe pas pour se rendre sur le territoire métropolitain et que les Guyanais sont, de leur côté, exemptés de visa pour franchir la frontière. Cette problématique des visas constitue un « irritant » majeur des relations franco-brésiliennes, auquel nous estimons qu'il convient d'apporter une solution rapidement.

Je laisse maintenant la parole à Catherine Dumas pour vous présenter les relations qu'entretient la France avec ses autres voisins du Plateau des Guyanes que sont le Suriname et le Guyana, ainsi que leurs perspectives d'approfondissement.

Mme Catherine Dumas. - Selon les mots de Thierry Queffelec, préfet de la Guyane, le département de la Guyane représente « la France en Amérique Latine ». Avec ses voisins, notre pays partage les innombrables atouts de la région du Plateau des Guyanes. Mais il est également confronté aux mêmes problématiques : augmentation de la criminalité, difficulté à assurer la protection d'un territoire vaste et souvent peu accessible, problématiques environnementales...

Ces enjeux, dans une large mesure régionaux, appellent une réponse coordonnée avec nos voisins. André Vallini vient d'exposer les perspectives de renforcement de la coopération transfrontalière franco-brésilienne, j'aborderai pour ma part les relations que nous entretenons avec notre voisin immédiat qu'est le Suriname et plus lointain qu'est le Guyana.

S'agissant du Suriname, depuis 2020, le pays fait face à une grave crise économique qui l'a contraint à faire défaut sur sa dette extérieure. L'existence de gisements pétroliers offshore, dont les niveaux sont actuellement en cours d'estimation, pourrait, à moyen terme, apporter une réponse à la crise traversée par le pays.

Des liens bien établis existent déjà entre la France et le Suriname, pays avec lequel nous partageons une frontière de plus de 500km. Leur renforcement nous semble cependant envisageable dans au moins 4 domaines.

Premièrement, il nous semble indispensable de clore définitivement le contentieux frontalier entre nos deux pays. Un protocole d'accord pour la reconnaissance de la frontière sur le Maroni-Lawa a été conclu le 15 mars 2021, qui doit mettre un terme à l'essentiel de ce différend territorial. Néanmoins, si celui-ci a déjà été ratifié par le France, cela n'est pas encore le cas côté surinamais. Nous appelons par conséquent le Gouvernement à encourager les autorités surinamaises à ratifier ce protocole. Une fois cet accord ratifié, il conviendra d'aboutir rapidement à un accord sur la 4e section de la frontière afin de mettre un terme définitif à ce contentieux.

Deuxièmement, en matière de défense, au-delà des coopérations déjà nombreuses dans ce domaine, en particulier avec les forces armées en Guyane, la France pourrait apporter un soutien logistique aux forces surinamaises, en envisageant par exemple des cessions de matériels, qu'il s'agisse de véhicules, de moyens de communication, ou encore d'équipements individuels.

Troisièmement, si deux conventions importantes ont été signées en 2006 et 2021 dans les domaines policiers et en matière pénale, nous avons toutefois constaté que la question de la lutte contre les activités illicites à la frontière entre le Suriname et le département de la Guyane demeurait un sujet de préoccupation. Plusieurs pistes de renforcement de la coopération franco surinamaise nous semblent envisageables en la matière, telles que l'entrée en vigueur rapide de l'accord de coopération judiciaire signé il y a deux ans, la mise en place d'une convention de transfèrement de personnes condamnées ou encore l'augmentation du nombre de patrouilles communes sur le Maroni.

Quatrièmement, dans le domaine économique, des marges importantes existent, la valeur des échanges franco-surinamais de 2022 ne représentant que 30 % de ceux de 2015. Les échanges entre nos deux pays pourraient cependant croître avec la construction d'une cale-sèche à Albina qui vient de débuter et qui permettra la circulation d'un bac beaucoup plus important que celui actuellement en circulation.

Des opportunités commerciales semblent également exister en matière de défense, le Gouvernement surinamais envisageant des investissements dans son outil de défense.

Une intervention de l'AFD en faveur du secteur privé surinamais, via sa filiale Proparco, nous semble enfin devoir être étudiée.

J'en viens maintenant aux relations franco-guyaniennes et à leurs perspectives de développement.

Jusqu'à récemment, le Guyana, ancienne colonie britannique ayant accédé à l'indépendance en 1966, était le pays le plus pauvre d'Amérique du Sud. La découverte d'importants gisements de pétrole en mer par l'américain ExxonMobil en 2015 a cependant grandement rebattu les cartes.

Avec près de 11,5 milliards de barils équivalents de pétrole, le pays possèderait ainsi les deuxièmes plus grandes réserves de pétrole par habitant au monde. Sa production de pétrole pourrait ainsi atteindre 1,2 million de barils par jour d'ici 2027.

Le Guyana a enregistré le plus fort taux de croissance mondiale en 2022, + 57,8 %, comme cela avait déjà été le cas en 2020, + 43,5 %. Selon les projections du Fonds monétaire international, en 2027, le produit intérieur brut (PIB) par habitant en dollars parité de pouvoir d'achat devrait dépasser 90 000 dollars, ce qui placerait le pays au 6e rang mondial, juste devant la Suisse.

Face à ces niveaux de croissance exceptionnels, pour l'essentiel liés aux revenus tirés de ses gisements pétroliers, les autorités guyaniennes ne cachent pas leur ambition de faire de leur pays les Émirats arabes unis ou le Qatar de la prochaine décennie.

L'exemple vénézuélien a cependant illustré l'absence de corrélation systématique entre abondance de ressources en hydrocarbures et développement économique de même que le rôle crucial joué par les choix des autorités en matière économique et sociale.

Les politiques publiques mises en oeuvre par l'actuel Gouvernement guyanien seront donc déterminantes dans le modèle de développement du pays pour les années à venir. Cette « manne » pétrolière devra ainsi servir au développement d'autres secteurs d'activité, en particulier l'agriculture et l'agroalimentaire. Elle devra également profiter à l'ensemble de la population, dont près de 40 % vit encore sous le seuil de pauvreté.

Face aux bouleversements économiques traversés par le Guyana, le pays suscite l'intérêt de nombreux pays et investisseurs. Dans ce contexte, la France peut encore se positionner comme un partenaire majeur du Guyana. Cela suppose cependant que notre relation avec ce pays ne se limite pas à des déclarations d'intention mais se traduise rapidement en actes.

En premier lieu, si la hausse du niveau de vie des Guyaniens se traduit par une baisse de la criminalité, le pays demeure confronté aux défis de la criminalité organisée : pêche et orpaillages illégaux et trafics de stupéfiants, en particulier la cocaïne à destination de l'Amérique du Nord et de l'Europe. Le Président Ali, que nous avons rencontré, a ainsi appelé à un renforcement de la coopération franco-guyanienne en matière de lutte contre la criminalité, proposition que nous ne pouvons que soutenir.

En deuxième lieu, nous avons pu constater qu'en dépit de l'augmentation significative de son PIB au cours des dernières années, les besoins en infrastructures et en services du Guyana demeurent très élevés. Le pays offre donc d'importantes opportunités économiques pour les entreprises françaises sous réserve qu'elles y investissent dès maintenant. Nous nous sommes cependant aperçus qu'en dépit des efforts déployés par l'Ambassade de France au Suriname et au Guyana, les entreprises françaises étaient encore peu représentées dans ce pays.

Nous appelons par conséquent à multiplier les initiatives à destination de nos entreprises afin de leur faire prendre conscience des opportunités commerciales offertes par le Guyana.

En troisième lieu, lors des entretiens que nous avons conduits à Georgetown, les autorités guyaniennes nous ont toutes indiqué regretter l'impossibilité pour les Guyaniens d'effectuer les démarches pour obtenir un visa pour la France depuis leur territoire.

En effet, aucun pays de l'Union européenne ne disposant, à l'heure actuelle, d'une ambassade à Georgetown, les Guyaniens doivent se rendre au Suriname pour y déposer leur demande de visa Schengen. L'Ambassadeur de France au Suriname et au Guyana nous a indiqué réfléchir à une solution technique permettant de répondre à cette problématique. Nous ne pouvons que soutenir cette démarche et appeler à une résolution rapide de ce sujet.

Enfin, en quatrième lieu, si l'ouverture d'une ambassade au Suriname également compétente pour le Guyana et la mise en place d'une antenne diplomatique à l'automne 2023 constituent des signaux importants et salués par les autorités guyaniennes que nous avons rencontrées, nous estimons cependant nécessaire d'aller plus loin en ouvrant une ambassade de plein exercice à Georgetown, à l'instar de ce qu'ont pu faire d'autres pays tels que les États-Unis, la Chine ou la Russie.

En effet, si la France ne prend pas rapidement l'initiative, nos concurrents ont déjà fait, ou feront dans un futur proche, à n'en pas douter, preuve de davantage de clairvoyance.

Je conclus en insistant sur le fait que la France doit se positionner comme un partenaire clé du Guyana et que la présence française sur le Plateau des Guyanes est un atout qui doit être consolidé. Enfin, je souhaiterais remercier, au nom de la délégation, les forces armées en Guyane sans qui nous n'aurions pas pu effectuer cette mission.

Les recommandations sont adoptées.

La commission adopte, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorise la publication.

AUDITION DE MME MICHÈLE RAMIS, DIRECTRICE DES AMÉRIQUES ET DES CARAÏBES AU MINISTÈRE DE L'EUROPE ET DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES (29 MARS 2023)

M. Christian Cambon, président. - Nous recevons ce matin Mme Michèle Ramis, directrice des Amériques et des Caraïbes au ministère de l'Europe et des affaires étrangères, que je remercie d'être parmi nous et à qui je souhaite la bienvenue.

Madame la directrice, vous le savez, notre commission considère l'Amérique latine comme un sujet prioritaire. Plusieurs missions se sont ainsi rendues dans cette zone au cours des dernières années - en Colombie en avril 2019 et en Guyane en décembre 2020 - et une délégation de cinq sénateurs de notre commission se rendra dans quelques semaines au Brésil, en Guyane et au Guyana.

Dans cette perspective, nous avons souhaité vous entendre afin que vous nous dressiez une présentation générale de la situation économique, politique et sociale du Brésil, alors que vient de débuter la nouvelle présidence Lula.

Il nous serait également utile que vous nous présentiez l'état de la relation bilatérale avec ce pays, qu'il s'agisse du partenariat stratégique conclu en 2006 ou encore de la coopération transfrontalière. Je rappelle que c'est avec le Brésil que nous partageons notre plus longue frontière terrestre - 730 kilomètres. Vous nous exposerez les perspectives de relance des relations franco-brésiliennes, après une présidence de Jair Bolsonaro marquée par une défiance réciproque. À cet égard, la visite de la ministre de l'Europe et des affaires étrangères en février dernier constitue un signal important.

Par ailleurs, nous souhaiterions vous entendre sur les perspectives et les enjeux auxquels est confronté le Guyana. Ce pays, encore pauvre, est parfois présenté comme un futur Qatar du fait de ses importantes réserves pétrolières. Selon la Banque mondiale, sa production de pétrole devrait quasiment quadrupler entre 2021 et 2024. En 2027, selon les projections du Fonds monétaire internationale (FMI), le PIB guyanien par habitant, en parité de pouvoir d'achat, pourrait se situer juste au-dessus de celui de la Suisse.

Aussi, vous nous direz si les politiques mises en oeuvre par le gouvernement guyanien vous semblent de nature à favoriser le développement de ce pays et à éviter la mise en place d'une économie reposant exclusivement sur la rente pétrolière, ce qui poserait bien des questions sur le plan environnemental. Vous nous présenterez également les perspectives de renforcement de nos relations diplomatiques et commerciales avec ce pays.

Lors de son discours d'investiture, le président Lula a souhaité donner un nouvel élan à l'intégration régionale en Amérique du Sud. Vous nous indiquerez si une relance du Mercosur, voire de l'Unasur (Union des nations sud-américaines), vous semble crédible dans les mois ou années à venir et quels pourraient en être les contours. Vous pourrez également évoquer la manière dont un éventuel retour du leadership brésilien est perçu par ses voisins.

Enfin, nous souhaiterions que vous nous précisiez comment la France entend se positionner dans cette zone, dans quelle mesure la présidence espagnole de l'Union européenne (UE), au second semestre 2023, pourrait constituer l'occasion pour l'UE d'approfondir ses relations avec l'Amérique latine et quelles sont les attentes françaises vis-à-vis du sommet UE-Celac (Communauté d'États latino-américains et caribéens) prévu en juillet 2023.

En d'autres termes, beaucoup d'interrogations pèsent sur l'avenir du continent sud-américain et ses relations avec l'Europe. Lorsque nous rencontrons les ambassadeurs sud-américains, ils se plaignent d'une forme de désintérêt - peu de visites ministérielles, pas de visite présidentielle...

Alors que le chancelier Olaf Scholz vient de réaliser une tournée de plusieurs jours sur le continent et que nous sommes nous-mêmes physiquement présents au travers de la Guyane, il est intéressant de nous pencher sur les nouvelles formes de collaboration envisageables.

Après votre propos liminaire, je donnerai la parole à mes collègues pour un échange de questions-réponses. Je vous rappelle que cette audition est captée et diffusée sur le site internet du Sénat.

Mme Michèle Ramis, directrice des Amériques et des Caraïbes au ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE). - Je remercie la commission de m'avoir invitée à faire cette présentation sur le Brésil. C'est un grand plaisir pour moi d'être ici avec le sous-directeur d'Amérique du Sud, Jean-Christophe Tallard-Fleury.

J'ai bien noté qu'une délégation de votre commission se rendrait au Brésil du 9 au 17 avril. Cette visite est opportune et participe d'une relance de la relation diplomatique avec ce pays. Nous tâcherons de vous éclairer au maximum pour la préparer.

Nous entendons les attentes des pays latino-américains quant à une multiplication des visites et des échanges et je m'emploie à les satisfaire, mais aussi à corriger une certaine perception. L'Amérique latine est importante pour la France et le président de la République, qui n'a pas pu s'y rendre durant son premier quinquennat, émaillé de nombreuses crises, souhaite le faire cette année. Je souligne par ailleurs qu'il reçoit souvent les chefs d'État étrangers et a récemment reçu les présidents costaricien, argentin et colombien ainsi que monsieur Lula avant son élection.

Le Brésil est un géant de 8,5 millions de kilomètres carrés - soit quinze fois la France -, qui compte 212 millions d'habitants. Il est un partenaire historique de la France, avec lequel nous partageons un partenariat stratégique signé en 2006 par les présidents Chirac et Lula, dont la feuille de route a été établie par ce dernier et le président Sarkozy en 2008.

Si la relation bilatérale a été distendue pendant le mandat du président précédent, nous sommes en train de la relancer, comme en témoigne la visite officielle de Catherine Colonna du 8 au 9 février. Celle-ci a trouvé un pays polarisé, les événements du 8 janvier ayant montré qu'une partie de la population, peut-être manipulée par les réseaux sociaux, n'a pas accepté l'alternance.

Par ailleurs, nos relations économiques et culturelles ont perduré pendant ces quatre années et nous avons beaucoup travaillé avec les États fédérés et les mairies.

Lula ayant été élu avec une faible marge, il va devoir, pour rassembler sa population, faire preuve d'une capacité à concilier les inconciliables. À cet égard, il a nommé un gouvernement élargi au centre, sachant qu'il doit composer avec un Sénat conservateur.

J'ai accompagné la ministre lors de sa visite en févier et nous avons eu le sentiment que Lula se sentait renforcé par les événements du 8 janvier, car il est parvenu à éviter une dérive vers une situation incontrôlable, obtenant des présidents des deux chambres et des gouverneurs qu'ils s'expriment en faveur du respect des institutions démocratiques, soutenu en cela par la Cour suprême.

Toutefois, il devra rapidement engranger des succès, dans un pays où plus de 30 millions de personnes souffrent encore de la faim.

Le Brésil, neuvième économie mondiale, exporte essentiellement des produits primaires - produits agricoles, minerais, pétrole - et importe ses produits manufacturés. Ce grand pays émergent, qui a beaucoup souffert des conséquences du covid-19, doit donc améliorer sa productivité et faire évoluer son modèle.

En matière de politique étrangère, le retour de Lula a été célébré dans le monde entier, car sa voix porte dans le « Sud global » et il peut relancer le processus d'intégration régionale. En effet, la crise vénézuélienne a entraîné une polarisation du continent. L'arrivée au pouvoir de gouvernements de gauche en Amérique latine - Brésil, Colombie, Honduras - a permis de réconcilier le continent et de retrouver un dialogue intra-américain, ainsi qu'avec l'Europe - un sommet UE-Celac se tiendra en effet au mois de juillet.

La voix du Brésil sera très attendue sur les sujets environnementaux. Lula s'est déplacé à la COP 27 et a annoncé qu'il accueillera la COP 30 en 2025 en Amazonie.

De plus, le président brésilien souhaite faire le pont entre le Nord et le Sud et encourager la coopération Sud-Sud.

Pour autant, le Brésil de 2023 ne s'éloignera pas des fondamentaux passés. Culturellement occidental, ce pays se refuse à un alignement sur l'Europe ou les États-Unis en matière de politique étrangère : il est critique des interventions militaires et des sanctions et cherche une forme de neutralité, par exemple sur le conflit en Ukraine, bien qu'il ait voté les résolutions des Nations unies.

Pour ce qui concerne sa politique économique, elle sera dictée par les intérêts commerciaux du pays : un tiers de ses exportations se font vers la Chine et il est dépendant d'importations d'engrais en provenance de Russie, ce qui peut expliquer certaines de ses prises de position.

Le sommet UE-Celac qui se tiendra en juillet marque le retour de cette organisation après huit ans d'interruption, le Brésil s'étant notamment retiré de la Celac à cause de la crise vénézuélienne. Nous en attendons la réactivation du dialogue sur les questions économiques, environnementales, énergétiques, ainsi que de démocratie, car l'État de droit est mis à mal dans certains pays.

Nous souhaitons tenir un dialogue franc avec tous les pays de ce continent qui, vu de loin, partage les principes démocratiques de la France, mais qui connaît des crises préoccupantes en matière de droits de l'homme.

Le Mercosur comporte deux pays conservateurs et deux pays progressistes, ce qui complique l'adoption de positions communes. Toutefois, la présidence espagnole souhaite, comme vous l'avez noté, monsieur le président, relancer la relation avec l'Amérique latine à l'occasion du sommet avec le Celac, ce à quoi nous sommes tout à fait favorables.

La relation bilatérale entre la France et le Brésil s'est altérée à partir de 2019 à cause de divergences sur les questions environnementales, consécutivement aux incendies en Amazonie. Il n'y a donc pas eu de visites bilatérales pendant les quatre années précédentes, mais les contacts techniques entre fonctionnaires se sont poursuivis, de même que le dialogue avec des États, notamment celui de São Paulo.

La relation a été rétablie avec la visite de Catherine Colonna, reçue par le président Lula et son homologue brésilien Mauro Vieira. Nous avons annoncé que nous allions signer une feuille de route pour relancer notre partenariat stratégique, qui date de 2008 et doit être nourri. Il porte sur les questions de défense, de culture, de francophonie, de lutte contre la désinformation, mais il doit aussi inclure les questions globales, c'est-à-dire la lutte contre le changement climatique, les questions de santé, d'alimentation et de gouvernance mondiale.

Le président de la République réunira les 22 et 23 juin un sommet à Paris pour réformer l'architecture financière internationale, auquel le Brésil est invité.

En ce qui concerne l'Ukraine, le Brésil, acteur majeur du dialogue Nord-Sud, a voté en faveur de la résolution de l'ONU condamnant l'invasion russe, s'est entretenu avec le président Zelensky et a défendu l'intégrité territoriale de l'Ukraine. Nous dialoguons donc bien sûr avec ce pays, dont je rappelle qu'il est membre des « BRICS » (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud).

Par ailleurs, nous plaidons pour un renforcement et un rééquilibrage de nos relations économiques bilatérales, d'ores et déjà amorcé. La ministre s'est rendue dans l'État de São Paulo, qui représente un tiers du PIB brésilien et a reçu la communauté française des affaires, importante dans cet État.

Ainsi, un agenda politique et diplomatique très riche se dessine : des délégations parlementaires se rendront au Brésil dans les semaines à venir, la secrétaire générale du ministère mènera des consultations bilatérales en avril et le ministre délégué au commerce extérieur devrait également effectuer une visite. Nous en profiterons pour imaginer de nouvelles formes de coopération.

Nous souhaitons accompagner le Brésil dans ses démarches d'adhésion à l'OCDE, notamment pour qu'il parvienne à se conformer aux normes environnementales.

Je sais que la délégation de votre commission se rendra dans l'État d'Amapá, qui partage une frontière avec la Guyane. La relation transfrontalière est très importante ; nous la relancerons également en réunissant, pour la première fois depuis quatre ans, la commission mixte franco-brésilienne à Cayenne, en juillet, pour examiner les questions de sécurité, de lutte contre les trafics et de circulation des personnes.

M. Christian Cambon, président. - Cette réunion sera d'autant plus importante que la frontière est très poreuse, comme nous avons pu le constater lors de notre déplacement en Guyane. Les gens passent d'un côté et de l'autre du fleuve comme on changerait de trottoir.

Avant de vous entendre sur le Guyana, madame la directrice, je cède la parole à mes collègues pour vous interroger sur la situation brésilienne.

M. André Vallini. - J'ai la chance de faire partie de la délégation qui se rendra en Amérique latine. Pour préparer cette visite, nous multiplions les auditions, notamment en vue du salon Défense et sécurité qui se tiendra à Rio de Janeiro. Le Brésil achète des hélicoptères, nous construisons des sous-marins ensemble, il envisage d'acheter des canons Caesar, etc.

Aussi, nous nous interrogeons sur les raisons pour lesquelles Lula, dans la suite de Bolsonaro, veut à ce point réarmer son pays et rediriger les forces armées vers l'extérieur du pays, alors qu'il n'a a priori ni ennemi ni problème frontalier.

M. André Gattolin. - Il y a quatre ans, la crise vénézuélienne a poussé 5 millions de Vénézuéliens à l'exil - soit 10 % de la population -, notamment vers le Brésil qui leur accorde des visas. Comment évaluez-vous l'impact de cette situation dans la région, alors que des élections dont on ne sait pas si elles seront libres et non faussées doivent se tenir l'année prochaine au Venezuela ?

M. Jacques Le Nay. - Comment se déroule la coopération avec les pays frontaliers, en particulier le Brésil, dans la lutte contre les trafics en Guyane - stupéfiants, orpaillage, pêche clandestine ? À cet égard, je rends hommage au maréchal des logis-chef Arnaud Blanc, décédé le week-end dernier.

Par ailleurs, quels sont les liens entre les pays latino-américains, la Russie et la Chine ?

M. Philippe Folliot. - Je ferai également partie de la délégation qui se rendra au Brésil. En ce qui concerne les relations franco-brésiliennes autour de la Guyane, vous venez de nous informer qu'une commission mixte se réunira au mois de juillet. Comment faire en sorte que notre visite à Macapá et à Cayenne contribue à remédier à la situation difficile que nous rencontrons à cause de l'orpaillage, de l'immigration et de la pêche illégale ?

Dans le cadre de l'élaboration du rapport d'information Les outre-mer au coeur de la stratégie maritime nationale, j'avais recueilli le témoignage de pêcheurs guyanais victimes d'actes de piraterie de la part de pêcheurs clandestins brésiliens. Comment assurer la souveraineté maritime et terrestre de notre pays, alors que l'on peut suspecter une certaine complaisance des autorités brésiliennes en la matière ?

M. Olivier Cadic. - Je me rendrai pour ma part à Curitiba, dans l'État du Paranà, où le procureur Sergio Moro avait mené l'enquête sur les accusations de blanchiment ayant conduit à l'emprisonnement de Lula. Ce dernier a tenu des propos injurieux la semaine dernière à l'égard du premier, devenu depuis sénateur, qui a répondu sur CNN. Cela témoigne de la polarisation que vous avez évoquée.

Or les milieux économiques ne sont pas les plus grands supporters du président Lula. Comment envisagez-vous la relation économique avec ce pays ? Inclurez-vous l'opposition à vos discussions ?

M. Guillaume Gontard. - L'une des premières décisions de Lula a été de créer un ministère des peuples autochtones. Quelles mesures ont été prises par la ministre Sonia Guajajara pour protéger les peuples autochtones, fortement affectés par la déforestation ?

M. Yannick Vaugrenard. - Ma question porte sur la position du Brésil sur le conflit en Ukraine, qui s'est abstenu aux Nations unies. Vous avez dit que cela pouvait en partie s'expliquer par le fait que le Brésil était un grand importateur d'engrais en provenance de Russie. Comment l'Europe peut-elle intervenir sur le plan économique pour tenter d'infléchir la position brésilienne - et celle d'autres pays d'Amérique latine - sur le conflit ukrainien ?

Mme Michèle Ramis. - Sur la question de la défense, nous avons un partenariat avec le Brésil pour la production de sous-marins et d'hélicoptères. Pourquoi le Brésil se dote-t-il en moyens militaires ? Tout grand pays a besoin d'une armée, même lorsqu'il n'est pas menacé, comme c'est le cas du Brésil actuellement. Nous espérons d'ailleurs que le Brésil s'investira davantage dans les opérations de maintien de la paix qu'il ne l'a fait jusqu'à présent.

L'armée est une institution loyale et qui compte au Brésil. Pour sa stature régionale, ce pays ne peut pas se permettre de ne pas disposer d'une armée moderne et équipée, sans avoir pour autant des visées bellicistes.

M. André Vallini. - Pourquoi ? Nous sommes prisonniers d'une espèce de préjugé global selon lequel un pays doit absolument être armé jusqu'aux dents, même s'il n'est confronté à aucune menace. Je ne veux pas jouer le pacifiste de service, mais votre réponse est curieuse.

Mme Michèle Ramis. - Il s'agit également de dissuader les éventuels agresseurs. Tous les pays du monde dotent leurs armées d'équipements permettant de répondre à une menace qui peut intervenir par surprise.

M. Christian Cambon, président. - La confiance que le Brésil manifeste aux industries de défense françaises, notamment pour la confection de sous-marins, est très importante. Compte tenu de l'étendue des espaces maritimes à contrôler, même s'il n'y a pas de contentieux ou d'intention belliqueuse, les pays d'Amérique latine ont de légitimes préoccupations de sécurité.

Mme Michèle Ramis. - En effet, le rôle de l'armée est également de lutter contre les menaces intérieures : les trafics, la déforestation, l'orpaillage...

En ce qui concerne la crise vénézuélienne, elle a mis sur les routes 7 millions de Vénézuéliens, soit 20 % de la population - le chiffre a augmenté - pour se rendre au Brésil, mais aussi en Colombie ou au Chili. Cette crise multidimensionnelle dure depuis une dizaine d'années. Nous essayons d'y répondre et espérons que le Brésil de Lula incitera Nicolás Maduro à organiser des élections libres et démocratiques en 2024. Le processus de négociation est actuellement suspendu. La proximité des élections américaines n'y est pas étrangère, car le congrès suit de près tout ce qui concerne le Venezuela.

En attendant, le Brésil ou la Colombie ont donné un statut à ces migrants pour qu'ils ne soient privés ni d'accès à la santé ni de droit au travail. Tant que la crise vénézuélienne ne sera pas résolue, il est certain que ces migrations massives se poursuivront.

Pour ce qui est de la coopération transfrontalière, elle est ancienne et vise notamment à lutter contre la venue d'orpailleurs brésiliens en Guyane, qui utilisent du mercure pour trouver de l'or et qui polluent ainsi les eaux. Elle doit toutefois être renforcée, ce dont est conscient le nouveau gouvernement brésilien, qui a augmenté la dotation du comité de coopération policière à la frontière. Une opération conjointe a récemment été menée sur le fleuve Oyapock.

La question de la lutte contre l'orpaillage, le trafic et la pêche illégale est prise au sérieux par le Brésil. L'État de l'Amapá est d'ailleurs très concerné. Aussi, mesdames, messieurs les sénateurs, lorsque vous vous y rendrez, vous pouvez insister sur la nécessité de renforcer la coopération entre nos deux États en vue de la commission mixte qui se tiendra à Cayenne au début du mois de juillet.

Sur les présences chinoise et russe, nous savons que la Chine a fortement investi le continent, au travers d'investissements nombreux, qui peuvent se faire à bas bruit. Celle-ci voit l'Amérique du Sud comme un réservoir de ressources naturelles et est destinataire d'une grande partie du commerce extérieur des pays du continent. Accentuer la présence européenne pourrait ralentir la montée en puissance de la Chine sur le continent, qui se traduit pour le moment par une forte présence économique.

Par ailleurs, la Chine cherche à légitimer sa politique à l'égard de Taïwan : sur les quatorze États qui reconnaissent encore Taïwan, huit se trouvent en Amérique latine et dans les Caraïbes. Lorsqu'un État bascule sur la question, à l'instar du Nicaragua l'année dernière et du Honduras il y a quelques jours, la Chine engrange une victoire diplomatique.

La Russie est peu présente sur le plan économique, mais compte des alliés fidèles en Amérique latine - Venezuela, Nicaragua, Cuba -, qui ont résisté aux sanctions américaines grâce au soutien russe. La pénétration d'acteurs étrangers peut ainsi contribuer à pérenniser les crises.

Une partie du secteur privé est en effet défavorable à Lula ; c'est la raison pour laquelle il a nommé un ancien ennemi politique, libéral, vice-président et ministre de l'industrie et du commerce : Geraldo Alckmin. En réalité, Lula ne va pas remettre en cause la primauté de l'agronégoce, qui est un volet très important de l'économie. En outre, le Brésil souhaitant se réindustrialiser, Lula ne souhaite pas se mettre à dos le secteur privé.

La question des autochtones est très importante et le Gouvernement compte désormais une ministre des peuples autochtones, ainsi qu'une ministre des droits des femmes. Le gouvernement de Lula a fait un geste important en organisant des rencontres avec les populations Yanomami, qui souffrent de l'orpaillage et de la déforestation. Il compte défendre leur mode de vie traditionnel, tout en les encourageant à se montrer respectueux de l'environnement.

Enfin, monsieur Vaugrenard, le Brésil ne s'est abstenu qu'une seule fois au conseil de sécurité des Nations unies sur les questions d'annexion de territoires ukrainiens. En général, il se prononce en faveur des résolutions de l'assemblée générale, comme celle du 23 février qui a marqué l'anniversaire de l'agression russe en Ukraine.

Sa position, qu'il souhaite équilibrée, est liée à des raisons politiques - apparaître comme une puissance libre de ses choix -, mais également économiques, liées à sa dépendance aux engrais. Ainsi, nous étudions la manière dont l'Union européenne pourrait constituer une source d'approvisionnement alternative, car il est compliqué pour les Brésiliens de produire eux-mêmes des engrais.

M. Bruno Sido. - La négociation concernant le Mercosur menée directement par Bruxelles est importante. Si les États membres n'ont pas à savoir où en sont les négociations, la France a posé des conditions, notamment l'adoption de clauses miroir, afin d'éviter d'importer du Brésil des organismes génétiquement modifiés (OGM) interdits en France. Pensez-vous que cette négociation aboutira ?

Mme Gisèle Jourda. - Quelles sont les négociations menées en ce qui concerne les objectifs de transition verte, notamment édictés par le pacte vert européen ? La déforestation de l'Amazonie durant la présidence Bolsonaro a été un véritable cataclysme qui déstabilise l'équilibre mondial en matière d'émission de gaz à effet de serre.

Mme Michèle Ramis. - L'accord entre l'UE et le Mercosur ne doit pas conduire à une augmentation de la déforestation importée. Les pays du Mercosur doivent se conformer à leurs engagements au titre de l'accord de Paris et respecter les mêmes normes sanitaires et phytosanitaires qu'en Europe pour produire ce qu'ils exportent.

Où en sommes-nous de cet accord ? Si l'élection de Lula a relancé la dynamique, la Commission européenne élabore un projet d'instrument additionnel pour introduire des clauses complémentaires et juridiquement contraignantes, notamment en matière de droit du travail. C'est elle qui a le sujet entre les mains et consulte les deux blocs, qui composent avec diverses exigences. Je ne sais pas quand les travaux aboutiront, mais ce sera après le sommet de juillet. Nous serons vigilants sur le respect des normes environnementales.

Par ailleurs, c'est une priorité pour le président Lula de mettre fin à la déforestation de l'Amazonie, qui s'est accrue de 70 % lors du précédent mandat. Le seul arrêt de la déforestation suffirait au Brésil pour remplir ses obligations en matière d'émission de gaz à effets de serre. L'Union européenne peut agir par ses programmes de coopération et nous le faisons notamment avec l'Agence française de développement (AFD).

Le Brésil, compte tenu de sa superficie, a un rôle fondamental à jouer dans la lutte contre le réchauffement global. Toutefois, l'Amazonie s'étend également sur les pays voisins, avec lesquels il n'est pas facile de trouver des consensus.

M. Christian Cambon, président. - Pouvez-vous nous dire un mot de la situation du Guyana ?

Mme Michèle Ramis. - J'ai compris que votre délégation se rendra également à Georgetown. Le Guyana est un ancien pays pauvre et un futur pays riche, en proie à une transformation économique majeure grâce à la mise en exploitation de champs de pétrole offshore découverts récemment.

Ce pays, dont la superficie est légèrement inférieure à la moitié de celle de la France, compte seulement 800 000 habitants. Or il disposerait de près de 11 milliards de barils de pétrole au large de ses côtes, ce qui le classe au second rang mondial du rapport entre population et volume des réserves estimées en hydrocarbures. Ce pays devrait donc connaître un bouleversement d'une ampleur majeure.

Depuis 2020, le pays enregistre la plus forte croissance mondiale : son PIB a augmenté de 43 % en 2020 malgré la crise du covid-19. Entre 2023 et 2026, son économie devrait croître de 25 %.

Ces ressources pourraient permettre un développement très rapide du pays. Toutefois, la gestion de telles ressources n'est pas facile pour un pays démuni où la vie politique est marquée par un fort bipartisme entre le parti progressiste du peuple du président Irfaan Ali, qui représente majoritairement la population indo-guyanienne, et la coalition entre APNU (A Partnership for National Unity) et AFC (Alliance for Change), qui est l'alliance des partis afro-guyaniens.

Un contentieux électoral a eu lieu lors des dernières élections générales. Le président sortant, issu de la communauté afro-guyanienne, a perdu les élections de peu et a remis en cause les résultats. Cette situation a plongé le Guyana dans une crise profonde pendant plusieurs mois. La Cour caribéenne de justice a tranché le litige et permis, sous la pression internationale, d'officialiser la victoire de l'opposition : le président sortant a admis sa défaite et laissé la place, sans violence, au président Irfaan Ali, issu de la communauté indo-guyanienne.

Le principal défi du Guyana réside dans la gestion inclusive de cette manne pétrolière, dont la communauté afro-guyanienne craint d'être privée. L'enjeu majeur est le pilotage d'un processus de développement équilibré au plan économique, social et environnemental. Pour y parvenir, le Gouvernement a mis en place un fonds de ressources naturelles auprès d'une institution financière new-yorkaise, afin d'éviter tout risque de corruption ou de mauvais usage. L'abondance est parfois difficile à gérer...

Sur le plan international, le Guyana est devenu un partenaire de plus en plus convoité : le Premier ministre indien s'y est rendu en visite officielle en 2018, le secrétaire d'État américain en 2019, Jair Bolsonaro en 2022 et le ministre saoudien du pétrole en février 2022. Pour l'instant, l'entreprise américaine Exxon Mobil est l'acteur pétrolier principal sur place, le Guyana ne possédant pas de compagnie nationale.

Les relations du Guyana avec les États-Unis et le Canada sont facilitées par la présence de fortes communautés guyaniennes dans ces deux pays. Le Guyana demande à renforcer ses relations avec la France. Nous sommes le seul État à disposer d'une présence diplomatique à Georgetown : aucun autre État membre de l'Union européenne ne dispose d'ambassade ; seule une délégation de l'Union européenne est présente. La représentation diplomatique est assurée par notre ambassade au Suriname, l'ambassadeur en poste à Paramaribo étant également compétent pour le Guyana. Un agent, volontaire international, physiquement présent dans les locaux de la délégation de l'Union européenne, est chargé de mettre en oeuvre des actions de coopération.

Nous avons récemment créé un fonds de solidarité pour les projets innovants doté de plus de 500 000 euros qui vise à protéger les forêts. Par la coopération bilatérale, nous luttons contre la déforestation, en élargissant les droits fonciers des peuples autochtones et en soutenant l'accès à leurs moyens de subsistance et leur droit à la prise de décision.

Nous savons que cette représentation n'est pas suffisante, raison pour laquelle nous avons décidé, voilà quelques semaines, de rehausser le statut de notre représentation diplomatique au Guyana, en ouvrant une antenne diplomatique. Un diplomate expatrié, qui dépendra de l'ambassade de Paramaribo, sera ainsi basé à Georgetown. Nous serons donc le premier État membre de l'Union européenne à disposer d'une représentation diplomatique permanente dans ce pays.

L'essor du Guyana offre des perspectives à nos entreprises - et je ne pense pas seulement à TotalEnergies. Le Guyana souhaite protéger ses installations pétrolières en mer, ce qui ouvre des espaces aux entreprises du secteur de la défense - patrouilleurs d'Ocea, hélicoptères d'Airbus, matériels de surveillance côtière de Thales, drones de surveillance de Safran, etc. Une délégation d'entreprises de la chambre de commerce et d'industrie de Guyane se rendra au Guyana pour étudier les opportunités de marché du 14 au 17 mai.

En 2021, nous avons lancé le dialogue stratégique du plateau des Guyanes, organisé par les forces armées françaises de Guyane, qui réunit des représentants du Guyana, du Suriname, de France et du Brésil. La première édition a eu lieu en 2021, la deuxième en 2022 et la troisième devrait se tenir au Guyana.

La Chine a bien évidemment pris conscience du fort potentiel du Guyana. Les entreprises chinoises renforcent leur présence, en particulier dans le domaine de la construction et des infrastructures. Des contacts politiques ont été établis au plus haut niveau. Le ministre des affaires étrangères chinois s'est ainsi rendu au Guyana. En 2021, le président guyanien et ses ministres ont tenu une réunion virtuelle avec le président Xi Jinping. Le Guyana a adhéré aux nouvelles routes de la soie. La China National Offshore Oil Corporation détient par ailleurs une participation directe de 25 % dans un bloc d'exploitation de pétrole offshore. Face à la présence américaine, on constate également la montée d'une présence chinoise en lien avec la recherche de ressources naturelles.

M. Philippe Folliot. - Nous avions découvert des réserves de pétrole dans notre zone économique exclusive de Guyane avant de décider de ne pas poursuivre les explorations. Quels arguments opposer à ceux qui soulignent que cette manne pétrolière, à laquelle nous avons renoncé, aurait pu être un levier de développement pour la Guyane ?

Mme Michèle Ramis. - Cette décision sort du cadre diplomatique, monsieur le sénateur. Il m'est donc quelque peu difficile de vous répondre. Cette manne pétrolière est une aubaine pour le Guyana, qui était un pays extrêmement pauvre. Il s'agit de situations différentes. Ce sera ensuite au Guyana de trouver les ressources nécessaires pour se conformer aux attentes des accords de Paris en matière de transition écologique et énergétique.

M. Rachid Temal. - J'entends ce que vous dites du Guyana et des accords de Paris, mais il est toujours facile pour un pays industrialisé de demander à un autre pays de ne pas appuyer son développement sur les énergies fossiles, sans proposer d'alternative...

M. Christian Cambon, président. - Un rapport sera publié après la visite de notre délégation au Brésil et au Guyana afin d'enrichir, je l'espère, la réflexion du Gouvernement.

Après avoir rencontré récemment quinze ambassadeurs d'Amérique latine, j'ai le sentiment qu'on attend davantage d'attention de notre part dans cette partie du monde.

Mme Michèle Ramis. - J'en ai bien conscience, monsieur le président, et je m'emploie à corriger les choses, en proposant de nombreuses rencontres à nos partenaires. Le rapport de votre délégation nous sera extrêmement utile, puisqu'il interviendra juste avant les consultations politiques.

Les semaines de l'Amérique latine se tiendront du 25 mai au 10 juin. Je tiens à souligner que le Sénat est à l'origine de cet événement, puisqu'il avait organisé la première journée de l'Amérique latine, en 2011.

Ce sera l'occasion de mettre en valeur nos liens culturels, scientifiques, économiques et politiques. Nous avons intérêt à développer avec ces pays des relations fortes dans ces domaines. Mon équipe et moi-même nous y employons.

M. Christian Cambon, président. - C'est effectivement sous l'impulsion du président du Sénat que cet événement, toujours très attendu, a été créé.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES EN AUDITION

23 mars 2023

- M. Hervé Croce, responsable des relations institutionnelles de la SOGENA ;

- M. Philippe Missoffe, délégué général du GICAN ;

- M. François Devoto, conseiller diplomatique et Mme Sylvia Skoric, directrice des relations institutionnelles de Naval group ;

- MM. Christopher Chevasson, directeur régional commerce export, et Alexandre Ferrer, responsable des affaires publiques France et Europe de Nexter ;

- M. Ronan Niger, responsable de la coopération industrielle Amérique latine, Mme Karine Barets, responsable des affaires gouvernementales internationales, et M. Olivier Masseret, directeur des relations institutionnelles d'Airbus ;

- M. Hervé de Bonnaventure, conseiller défense du Président, Mme Anne-Sophie Thierry-Bozetto, responsable des relations politiques et parlementaires, M. Gwendal Rouillard, conseiller affaires internationales et M. Patrick de la Revelière, vendeur de la zone de MBDA ;

28 mars 2023

- Capitaine de vaisseau Guillaume Arnoux, chef du département Asie Amérique Latine et Océanie, et ingénieur en chef de l'armement Reynold Prévost de la Boutetière, délégué contrôle exports DGRIS ;

29 mars 2023

- Mme Michèle Ramis, directrice des Amériques et des Caraïbes, et M. Jean-Christophe Tallard-Fleury, sous-directeur Amérique du Sud au ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE) ;

5 avril 2023

- Mmes Marie-Pierre Bourzai, directrice du département Amérique latine, Gaëlle Narayanassamy, responsable pays Brésil et Paraguay, et Laura Collin, chargée de mission relations avec le Parlement ;

- M. Gaspard Estrada, directeur exécutif de l'Observatoire politique de l'Amérique latine et des Caraïbes (OPALC), Sciences Po ;

6 avril 2023

- MM. Pierre-Marie Gaillard, chef du bureau BILAT 3 Asie, Amériques et Océanie, et Samuel Lefebvre, adjoint au chef de bureau, direction générale du Trésor ;

- Réception à l'Ambassade du Brésil autour de M. Caio Renault, chargé d'affaires.

PROGRAMME DU DÉPLACEMENT DE LA MISSION AU BRÉSIL, EN GUYANE, AU SURINAME ET AU GUYANA

Lundi 10 avril - Itaguaí et Rio de Janeiro

Visite de la base navale d'Itaguaí et présentation du programme ProSub par le vice-amiral d'escadre Petronio Augusto Siqueira de Aguiar, directeur général du développement nucléaire et technologique de la Marine du Brésil

Entretien avec M. Pedro Spadale, conseiller chargé des relations internationales et de la coopération au cabinet de M. Eduardo Paes, maire de Rio de Janeiro

Rencontre avec MM. Gérard Maréchal, Consul général de France à Rio de Janeiro, et Etienne Cardilès, Consul général adjoint

Mardi 11 avril - Rio de Janeiro

Visite du 23e salon de l'armement LAAD

Rencontre avec des industriels français

Mercredi 12 avril - Brasilia

Entretien avec S.E Mme Brigitte Collet, ambassadrice de France au Brésil, M. Olivier Fontan, premier conseiller, M. Philippe Vinogradoff, conseiller, Mme Nastssja Hoffet, conseillère, M. Keyvan Sayar, conseiller, le commissaire en chef François Escarras, attaché de défense, et le lieutenant-colonel Guillaume Gastelu, attaché de défense adjoint

Entretien avec M. Randolfe Rodrigues, sénateur de l'Amapá

 

Entretien avec M. Cid Gomes, sénateur, vice-président de la commission des relations extérieures.

Rencontre avec S.E M. Martin Agbor Mbeng, ambassadeur du Cameroun au Brésil, S.E M. Pietro Lazzeri, ambassadeur de Suisse au Brésil, S.E M. Peter Claes, ambassadeur du Royaume de Belgique au Brésil, et S.E M. Ignaco Ybáñez, ambassadeur de l'Union européenne au Brésil, autour de S.E. Mme Brigitte Collet, ambassadrice de France au Brésil

Jeudi 13 avril - Brasilia

Entretien avec Mme Maria Laura Rocha, secrétaire générale du ministère des Affaires étrangères

 

Visite du Censipam (Centro gestor e operacional do sistema de proteção da Amazônia) par M. Hélcio Vieira Júnior, directeur opérationnel

 

Vendredi 14 avril - Macapá

Visite de la 22° Brigada da Foz par le Général de brigade Marcus Vinicius Gomes Bonifacio

Réception au Palais du Septentrion par M. Clécio Luís, gouverneur de l'Amapá, en présence de M. Randolfe Rodrigues, sénateur de l'Amapá

Samedi 15 avril - Oiapoque et Cayenne

Visite du 34e bataillon d'infanterie de jungle pour le suivi de l'opération Jararaca (centre de commandement tactique binational) par le lieutenant-colonel George Alberto Gargia de Oliveira, en présence de MM. Guillaume Brault, sous-préfet de Saint-Georges-de-l'Oyapock, M. François Ringuet, maire de Kourou et M. Eddy Caman, adjoint au maire de Saint-Georges-de-l'Oyapock

Rencontre avec M. Thierry Queffelec, préfet de la Guyane, en présence de Mme Marie-Laure Phinera-Horth, sénatrice de la Guyane, du général de division aérienne Xavier Buisson, commandant supérieur des forces armées en Guyane et commandant de la base de défense de Guyane, du général de brigade Jean-Christophe Sintive, commandant de la gendarmerie de Guyane, et de M. Joël Sollier, procureur général près la Cour d'appel de Cayenne

Dimanche 16 avril - Paramaribo et Georgetown

Rencontre avec Mme Krishna Mathoera, ministre de la défense du Suriname, le colonel Werner Kioe A Sen, chef d'état-major des armées, et M. Sherif Abdoelrhaman, secrétaire permanente du ministère de la défense, en présence de S.E M. Nicolas Bouillane de Lacoste, ambassadeur de France au Suriname et au Guyana, de M. Joël Sollier, procureur général près la Cour d'appel de Cayenne et du lieutenant-colonel Jean-Marc Moulin, attaché de défense non résident

Rencontre avec des parlementaires surinamais

Rencontre avec des représentants d'entreprises françaises implantées au Suriname

Rencontre avec la communauté française au Guyana

Entretien avec M. Manzoor Nadir, Président de l'Assemblée nationale du Guyana

Lundi 17 avril - Georgetown

Entretien avec M. Irfaan Ali, Président de la République du Guyana, et M. Hugh Todd, ministre des affaires étrangères


* 1 Rapport d'information n° 662 (2010-2011) de MM. Josselin de Rohan, Jean Besson, Bernard Piras et Yves Pozzo di Borgo, fait au nom de la commission des affaires étrangères et de la défense, déposé le 22 juin 2011.

* 2 Expression figurant dans l'hymne national brésilien.

* 3 Rapport d'information n° 662 (2010-2011) de MM. Josselin de Rohan, Jean Besson, Bernard Piras et Yves Pozzo di Borgo, fait au nom de la commission des affaires étrangères et de la défense, déposé le 22 juin 2011.

* 4 Expression figurant dans l'hymne national brésilien.

* 5 https://www.bpifrance.fr/nos-actualites/7-choses-a-savoir-sur-le-bresil

* 6 Hervé Théry, Les populations du Brésil, disparités et dynamiques. Espace Populations Sociétés, 2014.

* 7 Direction générale du Trésor, réponses au questionnaire des rapporteurs.

* 8 Bruno Meyerfeld, Cauchemar brésilien, Grasset, 2022.

* 9 Frédéric Louault, Le Brésil en 100 questions, l'interminable émergence, 2022.

* 10 Proposta de emenda constitucional.

* 11 Laurent Delcourt, « Bolsonaro, président : ressorts et conséquences d'une révolte à rebours » in « Le Brésil de Bolsonaro : le grand bond en arrière », Alternatives Sud, Centre Tricontinental, 2020.

* 12 Il lui était reproché d'avoir dissimulé l'ampleur des déficits publics en vue de sa réélection en 2014.

* 13 Frédéric Louault, Le Brésil en 100 questions, l'interminable émergence, 2022, op. cit.

* 14 Traduction issue de l'Institut de relations internationales et stratégiques, Discours d'investiture du Président Luiz Inacio Lula da Silva au Congrès national brésilien, 1er janvier 2023.

* 15 Frédéric Louault, Le Brésil en 100 questions, l'interminable émergence, 2022, op. cit.

* 16 Ombelyne Dagicour, « Géopolitique de l'Amazonie », Politique étrangère, vol. , n° 1, 2020.

* 17 Ce concept renvoie à la volonté des « Brésiliens de persuader les voisins sud-américains qu'il existe un bénéfice à tirer de l'adhésion à leur projet régionaliste ».

* 18 Bruno Muxagato, Leadership du Brésil en Amérique du sud ; de la contestation à l'émergence d'une hégémonie consensuelle, 2015.

* 19 Ibid.

* 20 Ibid.

* 21 Olivier Dabène, 1991. Les 20 ans du MERCOSUR Au-delà du clivage droite/gauche, un bilan décevant. Les Études du CERI, 2011.

* 22 Bruno Muxagato, « Intégration et leadership en Amérique du Sud : la difficile émergence du Brésil comme puissance régionale », Critique internationale, vol. 71, no. 2, 2016.

* 23 Bruno Muxagato, Leadership du Brésil en Amérique du sud ; de la contestation à l'émergence d'une hégémonie consensuelle, 2015, op. cit.

* 24 Alejandro Frenkel, « Bolsonaro contre tous : la politique extérieure du Brésil », in « Le Brésil de Bolsonaro : le grand bond en arrière », Alternatives Sud, Centre Tricontinental, 2020.

* 25 Gabriel Boric.

* 26 Gustavo Petro.

* 27 Luis Arce.

* 28 Christophe Ventura, La Nouvelle politique étrangère du Brésil, Note d'analyse Iris/AFD, juin 2023.

* 29 Bruno Meyerfeld, Cauchemar brésilien, Grasset, 2022, op.cit.

* 30 Mathilde CHatin, « Brésil : la politique étrangère de Jair Bolsonaro », Politique étrangère, vol. , no. 2, 2019.

* 31 http://www1.rfi.fr/actufr/articles/065/article_36119.asp

* 32 Selin Dorel, Quand le Brésil était (presque) une puissance globale : la politique étrangère de Celso Amorim, février 2023.

* 33 https://legrandcontinent.eu/fr/2023/04/26/comment-le-sud-veut-financer-le-sud/

* 34 Des 2 mars 2022 (déplorant « l'agression » commise par la Russie contre l'Ukraine), 24 mars 2022 (exigeant un arrêt « immédiat » des hostilités par la Russie contre l'Ukraine), 12 octobre 2022 (demande à la Russie de revenir sur sa « tentative d'annexion illégale » de quatre régions ukrainiennes) et 23 février 2023 (exigeant de nouveau le retrait des forces russes d'Ukraine). Le Brésil s'est cependant abstenu lors du vote d'une résolution de l'AGNU du 7 avril 2022 suspendant la Russie du Conseil des droits de l'homme.

* 35 Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, sur les relations culturelles franco-brésiliennes et l'aide au développement, à l'occasion du dîner offert par M. le Président de la République du Brésil et Mme Sarney, au Palais de l'Itamaraty à Brasilia, lundi 14 octobre 1985.

* 36 Question écrite n° 00439 - 16e législature.

* 37 Statistiques de la Banque de France : https://www.banque-france.fr/statistiques/balance-des-paiements-et-statistiques-bancaires-internationales/les-investissements-directs/investissements-directs-series-annuelles

* 38 Le dernier recensement de la BCB de 2020 indique pour sa part 861 entreprises.

* 39 Seul le groupe Vivendi n'a pas d'opération au Brésil.

* 40 Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité, a par exemple indiqué le 13 avril 2023 en séance : « Cette ambition s'est traduite par la création, dans votre département, de 94 postes de gendarme depuis 2017 au profit du commandement de la gendarmerie de la Guyane. [...] Par ailleurs, depuis le 7 septembre 2022, un septième escadron de gendarmerie mobile est venu renforcer le dispositif opérationnel en Guyane, concentrant, sur votre seul département, un tiers des unités de forces mobiles (UFM) projetées en outre-mer. Par ailleurs, un renfort judiciaire en provenance de la métropole a accompagné une réorganisation partielle du dispositif sécuritaire, lequel semble porter ses fruits. Lors de sa dernière visite, le ministre de l'intérieur et des outre-mer Gérald Darmanin a pu apprécier l'engagement de l'ensemble des forces de sécurité intérieure, coordonnées par l'autorité préfectorale. Ainsi, lors des assises de la sécurité de Guyane, qui se sont tenues le 30 septembre dernier, il s'est engagé à créer plusieurs brigades, dont certaines fluviales, ce qui représente quarante effectifs supplémentaires à court terme, ainsi qu'à pérenniser ce septième escadron. À ce stade, la création de ces nouvelles unités prenant notamment en compte des délais d'intervention liés à l'extension du territoire guyanais est à l'étude, mais devrait être prochainement officialisée ».

* 41 Sylvie Letniowska-Swiat et Valérie Morel, «Le bas-Oyapock : un fleuve, une frontière, des frontières ?», Confins 51, 2021.

* 42 Projet de loi accord France-Brésil en vue de l'établissement d'un régime spécial transfrontalier concernant des produits de subsistance entre les localités de Saint-Georges de l'Oyapock (France) et Oiapoque (Brésil), rapport n° 552 (2015-2016) de M. Antoine KARAM, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, déposé le 27 avril 2016.

* 43 https://la1ere.francetvinfo.fr/guyane/est-guyanais/amapa/une-rencontre-franco-bresilienne-en-amapa-pour-un-renouveau-de-la-cooperation-regionale-1385626.html.

* 44 Dont l'approbation a été autorisée par la loi n° 2011-856 du 20 juillet 2011 autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérative du Brésil dans le domaine de la lutte contre l'exploitation aurifère illégale dans les zones protégées ou d'intérêt patrimonial.

* 45 Ce centre a été créé par un protocole additionnel signé le 7 septembre 2009 complétant l'accord de partenariat et de coopération en matière de sécurité publique conclu le 12 mars 1997 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérative du Brésil1, qui prévoit notamment, la possibilité pour les pays signataires d'échanger des informations en matière policière, dans le respect des législations nationales.

* 46 https://www.coface.com/fr/Etudes-economiques-et-risque-pays/Suriname.

* 47 Lequel a été condamné par contumace par les tribunaux français pour trafic de cocaïne.

* 48 Le groupe français dispose des droits d'exploration et d'opération du bloc 58 en partenariat avec le groupe américain Apache Corporation.

* 49 TotalEnergies a ainsi fait savoir par communiqué du 15 mai 2023 : « TotalEnergies et ses partenaires ont signé les contrats de partage de production des blocs 6 et 8 avec Staatsolie Maatschappij Suriname (Staatsolie), la compagnie nationale du Suriname. Les blocs 6 et 8 ont été attribués à TotalEnergies dans le cadre de l'appel d'offres offshore conventionnel 2020/2021. TotalEnergies sera opérateur des deux blocs avec une participation de 40 %, aux côtés de QatarEnergy (20 %) et Paradise Oil Company (POC) (40 %), filiale de Staatsoli ».

* 50 La parité de pouvoir d'achat permet d'exprimer dans une unité commune les pouvoirs d'achat des différentes monnaies.

* 51 Bureau de représentation de l'ambassade de France, Les opportunités économiques au Guyana, janvier 2023.

* 52 Une mission prospection au Guyana a par exemple eu lieu du 19 au 21 juin 2023 pour les entreprises avec l'appui de l'Ambassade de France.

* 53 Audition du 17 mai 2023.