III. APPLIQUER LES LOIS : UNE PRIORITÉ DEVANT IRRIGUER CHAQUE ÉCHELON DE LA PROTECTION DE L'ENFANCE

A. LA PROTECTION DE L'ENFANCE NE PEUT ÊTRE UNE COMPÉTENCE NÉGLIGÉE PAR LES DÉPARTEMENTS.

1. Une volonté politique qui doit se traduire par un service d'aide sociale à l'enfance qui applique voire devance la loi

Chefs de file de la protection de l'enfance, les départements lui consacrent des sommes importantes et croissantes de leur budget : en 2021, les dépenses annuelles en faveur de la protection de l'enfance atteignaient 8,8 milliards d'euros soit un montant supérieur de 52 % par rapport aux dépenses de 2007.

Les disparités sont cependant importantes entre départements. La Cour des comptes constate qu'en moyenne, les dépenses nettes de protection de l'enfance « sont estimées à 120 euros par habitant, avec des écarts allant de 49 euros par habitant en collectivité de Corse à 214 euros par habitant en Seine-Saint-Denis. 63 départements se situent en dessous de cette moyenne et 37 au-dessus. Ces disparités territoriales persistantes qui peuvent, pour partie, s'expliquer par la sociologie de la population, font cependant obstacle à ce que les enfants bénéficient d'une même qualité de prise en charge sur le territoire. »91(*) Chaque année l'ONPE publie une note sur la prise en charge en protection de l'enfance et constate les interventions diverses entre départements. En décembre 2022, l'observatoire notait ainsi que « les écarts entre départements se sont creusés sur la période du 31 décembre 2010 au 31 décembre 2020. Les causes de ces écarts sont difficiles à définir et certainement plurifactorielles. Plusieurs hypothèses peuvent être esquissées comme l'accroissement des disparités en termes de besoins des enfants et des familles selon les territoires, des évolutions de pratiques locales ou encore des contextes sociodémographiques, politiques ou budgétaires divers. »92(*)

Au regard de l'application très inégale des dispositions prévues par le législateur, le rapporteur ne peut que constater que les volontés politiques locales font la différence en protection de l'enfance. Les auditions menées confirment ce sentiment : certains des élus rencontrés ont insisté sur l'impulsion politique qu'a constituée l'arrivée d'un nouvel exécutif à la tête du conseil départemental. Par exemple, en janvier 2023, afin de mettre en oeuvre la loi du 7 février 2022, le conseil départemental de la Somme a voté un budget de plus de 93 millions d'euros consacré à la protection de l'enfance en augmentation de plus de 21 % par rapport au budget voté en 2020.

L'application des lois doit devenir la priorité des politiques départementales en protection de l'enfance. Le rapporteur ne peut qu'encourager les départements à s'approprier les dispositions législatives en se saisissant des marges de souplesse et des libertés d'organisation. Les réponses appropriées aux besoins des enfants et des familles peuvent être différentes selon les territoires et, dès lors que les exigences assignées par le législateur sont respectées, les moyens peuvent être adaptés.

2. L'application des dispositions législatives doit être la priorité de la prochaine contractualisation

Dans le cadre de sa stratégie nationale, le Gouvernement a enclenché une démarche de contractualisation entre l'État, par l'intermédiaire des préfets et des ARS, et les départements volontaires. Cette contractualisation s'est déployée progressivement depuis 2020 avec 29 départements signataires en 2020 puis 70 en 2021.

Les objectifs poursuivis sont très ciblés : création de places pour l'accueil des fratries, renforcement des moyens et de la pluridisciplinarité des CRIP, diversification de l'offre en matière de mesures à domicile... Beaucoup des actions identifiées contribuent indirectement à une meilleure application des dispositions législatives et, ainsi que l'a révélé l'ancien secrétaire d'État, Adrien taquet, la démarche de contractualisation, décidée en 2019, constituait une tentative de trouver un levier pour améliorer l'application des lois de 2007 et 2016.

Le bilan de cette stratégie ne peut malheureusement pas encore être dressé en dépit des indicateurs de résultats que la stratégie prévoyait pour chaque action. Cette démarche de l'« État incitateur » selon la formule d'Anne Devreese, qui voit dans la contractualisation un mouvement très positif pour la protection de l'enfance, a probablement fait progresser plusieurs points. Le présent rapport souligne toutefois qu'en 2023 l'application des lois de 2007 et 2016 est très loin d'être aboutie y compris sur des thèmes retenus dans le périmètre des conventions.

L'instruction donnée93(*) aux préfets en 2023 révèle que l'année 2023 est une période de transition dans l'attente d'une évolution des modalités de cette contractualisation à compter de janvier 2024. La DGCS a ainsi indiqué au rapporteur souhaité placer la mise en oeuvre de la loi du 7 février 2022 comme l'ambition de cette prochaine démarche. Le rapporteur ne peut qu'encourager cette perspective ; la prochaine vague de contractualisation lancée en 2024 devra porter l'application des lois en son coeur puisqu'il s'agit là d'une priorité absolue en protection de l'enfance. Cette contractualisation devra être généralisée à l'ensemble des départements sous risque d'accroître, une fois de plus, les inégalités territoriales.


* 91 Rapport précité de 2020, p. 59.

* 92 ONPE, La population des enfants suivis en protection de l'enfance au 31 décembre 2020 : les disparités départementales, décembre 2022.

* 93 Instruction interministérielle n° DGS/SP1/DGCS/SD2B/2023/36 du 25 avril 2023 relative à la contractualisation préfet/ARS/département en prévention et protection de l'enfance pour l'exercice 2023.

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