COMPTES RENDUS
DES AUDITIONS
DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE
Audition de
M. François de Rugy,
ancien ministre de la transition
écologique et
solidaire
(Mardi 7 février 2023)
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous entamons les travaux de la commission d'enquête sur l'efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique par une série d'auditions des anciens responsables politiques du secteur.
Dans ce cadre, nous accueillons ce soir M. François de Rugy, ancien ministre de la transition écologique et solidaire.
Monsieur de Rugy, vous avez été député à partir de 2007 et avez exercé les fonctions de président de l'Assemblée nationale de 2017 à 2018, puis de ministre de septembre 2018 à juillet 2019, dans le gouvernement d'Édouard Philippe.
Cette période a été marquée par la préparation et l'adoption de la loi du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat, dite « Énergie-climat », et par les lancements de la Convention citoyenne pour le climat et du Conseil de défense écologique, annoncés par le Président de la République en avril 2019.
C'est donc une période particulièrement riche et importante pour notre sujet, et vous en êtes un acteur et un témoin de premier plan. La commission d'enquête souhaite donc savoir le bilan que vous tirez de votre passage au Gouvernement. Quels sont vos principaux motifs de satisfaction et quels sont, au contraire, vos regrets, les sujets sur lesquels vous auriez souhaité aller plus loin ? Le cas échéant, quels ont été les obstacles que vous avez rencontrés ?
Il sera également intéressant que, sur le fondement de votre expérience, vous puissiez partager avec nous votre jugement sur la politique menée depuis votre départ du Gouvernement et votre analyse des raisons pour lesquelles certains objectifs de la loi Énergie-climat n'ont pas été atteints.
Par ailleurs, la Convention citoyenne pour le climat a favorisé une mobilisation et l'émergence d'idées, mais qu'en est-il resté ? Était-ce la bonne méthode ? Le rapport d'Olivier Sichel n'a-t-il finalement pas joué un rôle plus important dans le volet rénovation de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite « Climat et résilience », que la Convention citoyenne elle-même ? Quel regard portez-vous sur le Conseil national de la refondation qui lui a succédé ?
Au regard de votre expérience, les blocages et insuffisances de la rénovation énergétique dans notre pays sont-ils liés à un manque de financement, à des questions de réglementation ou de méthode, à une prise de conscience insuffisante des enjeux ou encore à une absence de vision à long terme et de constance ?
Je n'allongerai pas davantage la liste de mes questions, qui seront approfondies par le rapporteur et par nos collègues.
Avant de vous laisser la parole pour y répondre, dans un propos introductif d'une quinzaine de minutes, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'elle fera l'objet d'un compte rendu publié.
Je rappelle en outre qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amende.
Avant de vous céder la parole, je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. François de Rugy prête serment.
M. François de Rugy, ancien ministre de la transition écologique et solidaire. - Je ne sais pas si je pourrai répondre dans le temps imparti à toutes vos questions, d'autant que j'en ajouterai quelques autres.
En effet, sur les sujets écologiques, comme sur d'autres sujets, il faut, avant tout, savoir ce que l'on veut : cherche-t-on à favoriser ce qui est le plus efficace - ce qui implique de déterminer comment se mesure cette efficacité, par le nombre de tonnes de CO2 économisées chaque année, par l'énergie totale économisée, etc. - ou ce qui est le plus symbolique, c'est-à-dire le plus efficace médiatiquement et politiquement ? Selon moi, il faut rechercher ce qui est le plus efficace, même si ce n'est pas ce qui a le plus de succès politique ou médiatique. Or, quand on est ministre, on est sans cesse confronté à ce double questionnement et, d'après ce que je peux observer, je constate que cela n'a pas changé et que, malheureusement, le plus symbolique l'emporte très souvent et largement sur le plus efficace.
Autre question de fond et récurrente : cherche-t-on des politiques incitatives, notamment fiscales, comme le crédit d'impôt - j'y reviendrai, cela a été un débat très vif lorsque j'étais ministre - ou contraignantes, sous la forme d'obligations légales et réglementaires ou de contraintes fiscales ? Je fais ici référence à la taxe carbone, contemporaine, vous vous en souvenez, du mouvement des « gilets jaunes ». Les obligations légales, réglementaires, sont souvent difficiles à faire accepter ; on en a eu des exemples concrets. Selon moi, il faut combiner obligation et incitation ; l'incitation seule ne suffit pas à atteindre des objectifs importants et l'obligation seule rencontre trop de résistance chez les citoyens.
Troisième questionnement : l'efficacité vient-elle de la constance de la politique menée ou de la capacité de changer, de se remettre en question sans cesse ? À mon sens, on devrait privilégier davantage de constance et avoir plus la mémoire de ce qui a été fait, de ce qui a fonctionné ou non. Or, quand j'étais ministre, je voyais que l'on continuait de vouloir essayer des dispositifs que j'avais vu passer, dans un sens ou dans l'autre, lorsque j'étais député, dont on connaissait pourtant le niveau d'efficacité ou d'inefficacité. Je pense par exemple aux effets de balancier sur les crédits d'impôt.
Par ailleurs, contrairement à ce que croient beaucoup de citoyens et que propagent nombre de médias et de responsables politiques, les élus, à commencer par le Président de la République, les ministres et les députés d'une majorité, cherchent à mettre en oeuvre les promesses électorales qu'ils ont faites. Je pense notamment à la volonté exprimée en 2017 de faire sortir du marché de la location les passoires thermiques. Comme souvent, la rédaction n'était pas très précise - les promesses électorales le sont rarement - et c'est à ce sujet que nous nous sommes heurtés à beaucoup de difficultés.
Autre élément qui intervient toujours : le contexte budgétaire.
Tous ces éléments ont sous-tendu mon action comme ministre, même si celle-ci ne s'est déroulée que sur dix mois.
Soyons maintenant plus concrets, pour ce qui concerne le premier mandat d'Emmanuel Macron, mais on peut aussi évoquer ce qui s'est passé avant et après.
Quand j'ai été nommé, j'ai été d'emblée confronté à un problème de négociation budgétaire. En effet, j'ai été nommé début septembre, peu avant que le projet de loi de finances ne soit présenté en conseil des ministres puis au Parlement. Il y avait, entre le ministre chargé des comptes publics et mon prédécesseur puis moi-même, un débat sur ce qu'il devait advenir du crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE) et sur ce que l'on devait y mettre. Il s'agissait donc d'un double débat.
On le sait, les ministres budgétaires veulent toujours réduire le volume des crédits d'impôt, en proposant de « resserrer les critères », au nom de la solidarité - il ne faudrait pas subventionner des gens qui ont de toute façon les moyens de faire sans le crédit d'impôt - et de l'écologie - les travaux, ou les « gestes », les moins efficaces ne doivent pas être subventionnés -, car les budgétaires sont habiles pour reprendre et remanier les arguments de ceux qu'ils ont face à eux. À l'époque, par exemple, il y avait un débat sur les fenêtres, la « crise des fenêtres », si j'ose dire. Il avait été décidé avant mon arrivée de « sortir » les fenêtres du crédit d'impôt, au motif que ces travaux étaient moins efficaces du point de vue de la baisse de la consommation d'énergie ou des émissions de gaz à effet de serre. Or, indépendamment du débat entre symbolique et efficacité, il y a de fait un ressenti à cet égard, car la première chose à laquelle bien des gens pensent pour l'efficacité énergétique, ce sont les fenêtres, pour une raison simple : quand on s'approche d'une fenêtre de simple vitrage ou dégradée, on sent le froid en hiver. En outre, ce sont des travaux simples à réaliser et, d'ailleurs, les artisans du bâtiment ont été très actifs pour militer contre la suppression de ce crédit d'impôt. Pour ma part, je pensais que cette sortie était un peu brutale.
Je me souvenais que, sous d'autres gouvernements, chaque fois que l'on subventionnait, dans le cadre d'une politique incitative, des travaux de rénovation énergétique des logements, s'il y avait plusieurs types de travaux - un « bouquet » de travaux -, c'était plus efficace, mais aussi plus complexe, donc il y avait moins de gens enclins à se lancer dans des travaux. Mais les budgétaires aiment bien cela, car cela permet de réduire la dépense. Je l'avais connu antérieurement, avec le crédit d'impôt pour le développement durable (CIDD), en tant que député commissaire des finances. Je plaidais pour ce que soit équilibré : il ne faut pas que ce soit trop complexe et il faut que ce soit accessible.
Un crédit d'impôt, contrairement à une réduction, tout le monde peut en bénéficier, même ceux qui ne sont pas assujettis, mais, si l'on réserve ce crédit d'impôt à ceux qui ont de faibles moyens, très peu de travaux se feront, car les gens prêts à s'engager dans des travaux sur leur logement appartiennent en réalité à des tranches fiscales plus élevées. Alors, oui, cela conduit à subventionner des gens qui ont des moyens, mais c'est efficace. Et, cela, c'est facile à évaluer. De là est née l'idée de réformer le système, qui a conduit à MaPrimeRénov', un autre type de dispositif, qui a d'ailleurs donné lieu à un débat sur son ciblage, car on voulait « faire du chiffre », ce qui est normal, puisque l'on veut obtenir une certaine efficacité sur la réalité des économies d'énergie.
Sur la taxe carbone, je ne m'appesantirai pas, mais le signal consistant à stopper net une perspective d'augmentation du prix des énergies fossiles par la taxe et non par le marché, comme cela se produit actuellement - je le rappelle, le prix de l'énergie était encore très faible il y a cinq ans, avec le mégawattheure à moins de 50 euros et un accès régulé à l'électricité nucléaire historique, à 40 euros, qui n'était même pas intéressant pour les acheteurs en gros -, ne me paraît pas opportun. Envoyer un signal dans la constance, donner une perspective dans la durée, selon laquelle on veut sortir des énergies fossiles, c'était un outil.
Le débat n'a malheureusement plus lieu et il n'est plus d'actualité, le prix des énergies fossiles étant très élevé, mais, plutôt que de se demander si l'on maintenait le dispositif ou si on l'arrêtait, on aurait dû travailler à des mécanismes d'adaptation aux réalités du marché, en gardant cette perspective. Là, on envoie un signal général qui n'est pas bon pour les économies d'énergie et pour la réduction des énergies fossiles. Cela a été tranché et, aujourd'hui, quasiment aucun courant politique ne propose, me semble-t-il, d'évoluer sur cette question. Il est pourtant dommage que l'on soit paralysé en France sur ce sujet, car c'est un sujet de fond. Au passage, j'avais constaté immédiatement le résultat de cet abandon sur les réseaux de chaleur, lorsque des projets de chauffage au bois ont été remplacés par du chauffage au gaz, qui était devenu moins coûteux. Les conséquences sont très concrètes.
Nous devions gérer la promesse d'Emmanuel Macron, candidat que j'avais soutenu, de sortir les passoires thermiques du marché de la location. Bien sûr, dit ainsi, tout le monde est d'accord. Mais, quand on entre dans le détail, on se heurte à des obstacles. J'avais d'ailleurs déjà constaté ces obstacles dans le passé, en voyant notamment des associations de solidarité, comme la Fondation Abbé-Pierre ou d'autres, militer contre de telles propositions au motif qu'elles auraient pour conséquence d'évincer trop de logements, souvent loués à bas coût, du marché de la location. Il n'y avait pas tellement de débat au Parlement ni dans l'opinion sur ce sujet, à l'époque. Globalement, le ministre du logement s'y opposait - je ne sais pas si vous l'entendrez, mais je pense qu'il ne contestera pas cette affirmation -, donc nous avons dû chercher d'autres solutions.
Ainsi, dans la loi Énergie-climat, que j'ai préparée en tant que ministre, j'ai défendu l'idée d'une mesure touchant non pas la location, mais la vente, et je proposais que l'on s'inspire de ce qui existait pour l'assainissement ; quand on vend un bien non relié à l'assainissement collectif - c'est-à-dire doté d'une fosse septique - et dont les installations ne sont pas aux normes, soit le vendeur fait les travaux de raccordement ou de mise aux normes, soit une somme tirée de la vente est mise sous séquestre lors de la signature de l'acte notarié, à charge pour l'acheteur de faire les travaux requis dans un délai fixé dans l'acte. Je l'ai vu comme élu local à la communauté urbaine et à la Ville de Nantes, cela fonctionne bien. Je proposais donc de faire de même pour les passoires thermiques en habitat individuel. J'ai obtenu un arbitrage favorable du Premier ministre, mais le ministre du logement de l'époque n'y était pas favorable non plus et j'ai vu fleurir à l'Assemblée nationale des amendements, y compris de la majorité, pour supprimer cette mesure, qui, finalement, a été abandonnée.
Je le déplore, car, je ne suis pas contre l'économie de marché, mais je pense qu'il faut l'encadrer, et ce système permettait justement de gérer le problème dans le cadre du marché, en imposant une mise aux normes à chaque vente. Nous avions élaboré des statistiques très précises sur le nombre de personnes et de logements concernés. De mémoire, je crois qu'il y avait de l'ordre de 500 000 maisons individuelles qui étaient des passoires thermiques - classées F et G, je pense - appartenant à un propriétaire occupant ayant des revenus modestes. On pouvait donc accompagner ces 500 000 foyers, d'autant qu'il ne s'agissait pas de tout traiter du jour au lendemain, puisque cela se faisait au fur et à mesure des ventes. Je ne sais pas si cette idée reviendra, mais je vous la livre...
Finalement, notre promesse sur le marché de la location a été mise en oeuvre dans le cadre de la loi Climat et résilience, car elle était ressortie lors des travaux de la Convention citoyenne pour le climat. Je revendique, au moins en partie, la paternité de cet organisme. Le Gouvernement n'y était pas favorable, me semble-t-il ; je crois même pouvoir dire que, au sein de l'exécutif, seuls le Président de la République et moi la défendions. L'une de ses missions expresses était celle-ci : rechercher une solution, acceptable par les citoyens, à l'impact des logements sur le climat. Du reste, nous avons voté - j'étais alors député - cette mesure, non sans débat, et ce qui était prévu s'est en partie produit, même s'il est encore un peu tôt pour le dire : un certain nombre de logements ont été retirés de ce marché. On les a retrouvés, paraît-il, sur le marché de la vente, donc le mouvement passe par le biais du marché, ce qui contraindra les acheteurs à y remédier s'ils veulent louer leur bien. Il faudra suivre ce point dans l'évaluation, car il ne faudrait pas envisager quelque évolution du dispositif avant d'en faire l'évaluation.
C'est la contribution principale, sur ce sujet, de la Convention citoyenne pour le climat. Pour ma part, j'ai été par ailleurs quelque peu déçu de ses autres résultats.
Je crois qu'il y a une question générale sur le financement. Depuis quelques années, on ne manque pas de financement privé sur ce sujet. On se focalise sur le financement public - crédits d'impôt, subventions -, mais le logement, à part le logement social, qui est en partie autofinancé et en partie financé par des fonds publics, relève avant tout de la mobilisation du financement privé : épargne individuelle ou crédit bancaire. Nous vivons depuis des années avec des taux d'intérêt très bas et, même s'ils remontent quelque peu, ils sont toujours inférieurs à l'inflation ; c'est une ressource importante. Les tiers financements doivent aussi être considérés, peut-être plus sur l'habitat collectif qu'individuel ; c'est à mobiliser. Bien sûr, il y aura toujours de l'argent public, mais ce n'est pas par l'inflation du financement public que l'on résoudra le problème. Et il y aura toujours une part, selon moi, de contrainte légale, réglementaire.
C'est la combinaison de tous ces moyens, en agissant dans la durée, qui permettra d'obtenir des résultats.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Je vous remercie de vos explications à la fois globales et précises.
Vous avez préparé la loi Énergie-climat. Quels sont vos regrets à propos de ce texte assez ambitieux, au-delà du mécanisme sur la vente que vous avez évoqué ? Quelle est votre appréciation sur les arbitrages perdus, au regard de ce qui a été fait ? Quels éléments vous auraient permis d'aller plus vite et plus loin ?
Une question également sur l'aspect budgétaire : pour la rénovation thermique, il faut de l'argent, public ou privé. Or on se pose souvent la question de l'efficacité de l'argent investi sur le fondement de textes très ambitieux, qui peuvent d'ailleurs parfois bénéficier de budgets non négligeables. Pensez-vous qu'avec beaucoup plus d'argent on serait allé beaucoup plus vite et beaucoup plus loin ? Cette question a-t-elle constitué un frein dans l'application de vos politiques ?
Que pensez-vous de la transformation du CITE en MaPrimeRénov' et de l'empilement des dispositifs ? On a du mal à faire le bilan de l'efficacité des divers mécanismes, dont celui-là, car, plus il y a de couches, moins les mécanismes sont lisibles...
Enfin, quel est votre point de vue sur l'évolution de la politique énergétique et sur les perspectives actuelles ? On a souvent l'impression que les résultats obtenus ne sont pas à la hauteur des espérances.
M. François de Rugy. - En matière d'écologie, il faut viser des changements profonds ; ce ne sont pas avec de petits changements que l'on réglera le problème des émissions de gaz à effet de serre. Or le logement et le bâtiment tertiaire représentent, en gros, un tiers de ces émissions ; c'est donc un sujet majeur, avec les transports. En revanche, pour que ces changements soient durables, ils doivent être progressifs ; je ne crois pas aux changements brutaux, surtout en matière de logement, et c'est encore plus vrai quand on est propriétaire. Si l'on n'intègre pas cette donnée dans la réflexion, on n'arrivera pas à être efficace.
Il paraît tout à fait logique à nombre de propriétaires occupants d'injecter de l'argent, éventuellement des sommes importantes, pour procéder à des rénovations d'agrément de leur logement - peintures, sols, nouvelle salle de bains, etc. -, et je le dis sans jugement de valeur ; d'ailleurs, il n'est pas rare qu'une personne achetant une maison ne soit pas choquée à l'idée d'investir 100 000 euros dans sa rénovation. Néanmoins, on n'a jamais réussi à susciter le même raisonnement sur l'efficacité énergétique, y compris chez des personnes sensibles à la question, alors même qu'un logement bien isolé est plus agréable. Il faudrait y travailler.
Par ailleurs, les Français aiment les crédits d'impôt, particulièrement en matière de logement. Je l'ai observé, dès que l'on a resserré l'accès au crédit d'impôt pour l'investissement locatif, ce type d'investissement a fortement baissé. Bercy déteste les crédits d'impôt, car c'est une dépense non limitée, mais il faut reconnaître que c'est efficace, cela déclenche le comportement espéré. Cela s'explique par la détestation des Français pour l'impôt, notamment l'impôt sur le revenu.
Mais, sur les logements individuels comme sur les copropriétés privées, qui fera l'audit énergétique ? Je parle non pas d'un simple diagnostic de performance énergétique (DPE), mais d'un véritable audit. Il est difficile d'imposer ce diagnostic pour avoir un crédit d'impôt, mais il faudrait y réfléchir. Ensuite, qui fait cet audit ? Des majorités de gauche, y compris dont j'étais, ont phosphoré sur le « service public de l'efficacité énergétique ». Personnellement, je n'y ai jamais cru : ce n'est pas en multipliant les services publics sur un sujet si difficile que l'on y arrivera. Cela exigerait en outre de recruter des dizaines de milliers de personnes partout sur le territoire. J'ai pu l'observer dans une communauté de communes de 50 000 habitants, son service de l'efficacité énergétique traitait 100 logements par an. À ce rythme-là, il lui aurait fallu cent ans pour traiter tous les logements ! J'exagère à peine...
Pour ma part, comme ministre, je plaidais - cela peut passer pour libéral, mais je l'assume - pour un appel aux opérateurs privés : on lance un appel d'offres, en faisant des lots de 50 000 ou 100 000 logements - puisque l'objectif est de rénover 500 000 logements par an -, et les opérateurs sont rémunérés sur le résultat en termes d'économies d'émissions de gaz à effet de serre et de performance énergétique. Ils font l'audit énergétique, recommandent les travaux à faire, voire les réalisent pour le compte du propriétaire et gèrent les subventions. D'ailleurs, on le fait pour les chaudières. Même dans un gouvernement comme celui d'Emmanuel Macron, on m'a rétorqué que, plutôt que de faire appel au privé, il fallait confier cette tâche à l'Agence nationale de l'habitat (Anah), mais cela ne peut pas marcher. Cette agence est pertinente pour les copropriétés dégradées, mais en petit nombre. On a augmenté les crédits de l'Anah, mais cela n'a pas été suivi d'effets dans la réalisation. Je ne prétends pas proposer une recette miracle, mais je pense qu'on devrait creuser cette hypothèse...
Enfin, lorsque j'étais ministre, le Premier ministre Édouard Philippe a déclaré lors d'une matinale radio que nous envisagions de sortir des chaudières à fioul dans les logements individuels - 3 millions de logements auraient été concernés - sans compter les chaufferies collectives au fioul, notamment dans les bâtiments publics, y compris dans des mairies qui se disent très à la pointe sur le sujet. Cela représentait trois millions de petites centrales thermiques. Nous voulions supprimer les centrales thermiques, il fallait donc les supprimer dans les logements. Des solutions existent : pompe à chaleur, gaz - avec une meilleure performance énergétique -, et bois. Vous pourriez l'interroger, je crois qu'il a été un peu traumatisé par cet épisode. Ce fut un tollé général : on pensait qu'on voulait interdire ces chaudières au fioul, alors qu'on ne voulait plus en réinstaller.
Le sujet est revenu ensuite, mais ce n'est pas pour cela qu'il est réglé. Heureusement, il y a des actes concrets. Pas besoin de réaliser un audit énergétique important, il suffit de remplacer les chaudières qui tombent en panne ou sont en fin de vie. À l'époque, on nous déclarait que nous allions remettre des « gilets jaunes » sur les ronds-points, argument qui emportait tout de la part des défenseurs des chaudières au fioul. Certes, le changement ne se fait pas en un jour, mais des solutions techniques existent. Oui, une pompe à chaleur coûte plus cher, de même qu'une chaudière gaz haute performance. Il n'y a pas du gaz partout, mais il y a de l'électricité partout en France, et le bois est une ressource pouvant être française. Je regrette que nous n'ayons pas pu avancer plus vite. Ce sont des changements qu'il faut faire progressivement, et qui sont durables et utiles.
Mme Sabine Drexler. - Quelle articulation prévoyez-vous entre la rénovation énergétique et le patrimoine ? Le petit patrimoine, majoritairement non protégé, est composé de constructions datant d'avant 1948. En voulant lutter contre les passoires thermiques et énergétiques, nous avons mis en place des législations ayant eu l'effet inverse ; je pense aux réglementations thermiques et environnementales, avec un DPE inadapté qui, conjugué aux dispositions du « zéro artificialisation nette » (ZAN), est catastrophique pour le patrimoine bâti. On ne le dit pas assez, mais de nombreux bâtiments anciens sont naturellement conçus pour être intelligents par rapport au climat.
L'urgence écologique justifie-t-elle de faire fi de la conservation du patrimoine bâti ancien ? Les performances énergétiques de ce type de bâti et ses qualités en matière d'inertie et d'hydrothermie sont-elles suffisamment connues et prises en compte ?
M. François de Rugy. - Je ne crois pas qu'il y ait de contradiction systématique et majeure entre la conservation du patrimoine, à laquelle je suis moi-même attaché, et la rénovation énergétique. Actuellement, nous avons une vision sans doute plus conservatrice du patrimoine que les générations précédentes. Par exemple, le château des ducs de Bretagne à Nantes est un panorama de plusieurs époques : des bâtiments d'époques successives se sont greffés sur le bâtiment originel, et parfois, on détruisait sans vergogne. C'est regrettable, mais il ne faut pas non plus basculer dans quelque chose de totalement figé.
Il y a les réglementations prises à l'échelle nationale - lois et décrets - et leur application locale. Les architectes des bâtiments de France (ABF) sont souvent très restrictifs, et parfois les réglementations sont contradictoires entre elles. À une époque, on interdisait l'isolation par l'extérieur au motif qu'elle prenait 20 centimètres sur le trottoir, espace public. Il faut faire évoluer ces règles si l'on veut rénover les bâtiments.
Certes, à l'impossible, nul n'est tenu ! Certains bâtiments ne peuvent être modifiés et doivent rester en l'état, malgré leur moins bonne performance énergétique. S'il ne reste que les vieilles chapelles, des manoirs ou des châteaux comme passoires thermiques, ce n'est pas très grave, mais traitons les autres bâtiments. Que ce ne soit pas un prétexte pour ne pas rénover le reste, notamment des affreux bâtiments - du moins de mon point de vue personnel. Ainsi, les bâtiments des années 1970 gagneraient à être rénovés par l'extérieur. Je vois certaines copropriétés faisant repeindre la façade sans se poser la question d'une isolation par l'extérieur, alors que cela ferait baisser immédiatement leur facture de chauffage. J'ai vu certaines copropriétés qui avaient ensuite remplacé leur chaudière par une chaudière moins puissante, puisqu'il y avait moins besoin de chauffer, faisant ainsi une économie de fonctionnement, mais aussi en investissement. Il faut regarder le bénéfice global d'une rénovation énergétique.
M. François Calvet. - Avec la suppression du crédit d'impôt, les personnes possédant des logements locatifs comme revenus sont en train de les mettre sur le marché car elles ne veulent pas les rénover. Comme elles paient des impôts, elles n'ont pas droit à MaPrimeRénov'.
Ne peut-on pas garder MaPrimeRénov' pour les ménages en situation de précarité et remettre en place le crédit d'impôt ? En montagne, les normes sont extrêmement exigeantes. Les agents immobiliers nous alertent : beaucoup de logements ne pourront plus être loués. Les propriétaires seront amenés à vendre. Rétablir le crédit d'impôt constituerait une solution pour une partie des logements, qui sinon disparaîtront du marché.
M. François de Rugy. - Les propriétaires bailleurs peuvent déduire le montant des travaux de leurs revenus locatifs, sur plusieurs années. Certains savent très bien le faire... Mais c'est aussi vertueux. Certains propriétaires bailleurs ne veulent pas faire de travaux, qu'ils soient énergétiques ou non, et vendent ensuite pour récupérer l'argent... Mais si personne ne fait ces travaux ou que les locataires occupants ont des logements avec une mauvaise performance énergétique, on n'aura rien gagné.
Il faut donc trouver des dispositifs adaptés. Certains plaident pour un statut de l'investisseur immobilier. Pour qu'il soit plus attractif de faire des travaux, il faut prendre en compte les travaux dans l'ancien et pas seulement l'achat dans le neuf. J'ai dû, comme mes prédécesseurs et successeurs, lutter pour conserver la TVA à 5,5 % sur les travaux, taux sur lequel le ministre de l'économie et des finances cherche à revenir chaque année. C'est une petite incitation, qui disparaîtra si le taux est remonté.
Mme Marta de Cidrac. - Merci pour vos éclaircissements. Nous avons l'impression que l'efficacité est votre objectif. Lorsqu'un bâtiment est bien isolé, on consomme moins d'énergie. Cette moindre consommation a deux incidences : sur l'environnement, ce qui est bien identifiable, et sur le pouvoir d'achat- mais celui-ci fluctue en fonction du prix des énergies.
J'ai senti que vous faisiez état de tensions au sein du gouvernement et que vous aviez du mal à convaincre vos collègues ou le Président de la République. Sur quelles expertises ou études d'impact vous vous adossiez pour arbitrer une décision ?
M. François de Rugy. - Cela se passe toujours ainsi au sein d'un gouvernement ; heureusement qu'il y a des négociations ! Cela ne veut pas dire qu'il y a un gagnant et un perdant, mais nous cherchions un compromis. Le ministre du logement voulait un maximum de logements en construction et en location : c'est un objectif louable que nous partageons tous. Faut-il le mettre avant l'objectif climatique ? On en débat. Contrairement à ce que beaucoup croient et à ce que propagent les médias, le Président de la République ne décide pas tout seul : il laisse son Premier ministre arbitrer en fonction des arguments des différents ministres. Nous sommes en démocratie et non dans un pouvoir de droit divin ou de droit purement présidentiel.
Nous prenons des décisions sur le fondement d'énormément d'études et de mesures. Nous avons défini les passoires énergétiques - le DPE a été revu... Cela permet d'éclairer les décisions. Ensuite, il y a des pressions médiatico-politiques. On décide dans un sens ou l'autre au final.
Il y a beaucoup de paramètres à prendre en compte pour le logement, notamment énormément de situations différentes, comme, par exemple, une personne retraitée qui réside dans un logement des années 1970 dans les Ardennes, où le prix des logements était très bas. Certains logements avaient une valeur négative ou proche de zéro, car personne ne voulait les acheter. Faut-il ne rien faire ? Non, il y a toujours un chemin pour l'action.
Cela explique l'empilement de dispositifs différents. Régulièrement, on nous dit qu'il faut simplifier. Et à chaque fois, soit on simplifie énormément et cela provoque des dépenses énormes, car les dispositifs touchent de très nombreuses personnes, soit cela ne couvre plus la totalité des situations et les gens se plaignent.
Le critère des émissions de gaz à effet de serre est un sujet concret, qui diffère du critère des dépenses énergétiques. Paradoxalement, sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, on a alourdi très fortement par un mode de calcul un peu artificiel ce qu'on pensait être l'impact CO2 d'un chauffage électrique. Du coup, on a construit énormément de logements neufs avec des chaudières au gaz, voire au fioul. Ce n'est pas logique. Dans un logement très bien isolé, je pense que le chauffage électrique est assez adapté parce qu'il y a moins besoin de puissance, avec, en France, un bilan CO2 voisin de zéro.
Nos décisions étaient fondées sur des évaluations chiffrées.
M. Jean-Pierre Corbisez. - Avec votre fibre écologique, vous parlez d'économies d'énergie, mais pas d'économies d'énergie durables. Lorsqu'on évoque les économies d'énergie, on parle de polystyrène, c'est-à-dire de polyuréthane, ou de laine de verre. Les subventions n'ont pas été différenciées pour favoriser les produits plus écologiques, comme le chanvre. Cela va-t-il changer ? Nous avons un raisonnement très chimique des économies d'énergie, alors qu'il faudrait un raisonnement de développement durable.
M. François de Rugy. - Si l'on instaure trop de critères, le mieux est l'ennemi du bien. La rénovation formidable avec des matériaux biosourcés sera plus chère et beaucoup moins de gens seront capables de l'appréhender - les propriétaires comme les artisans.
Pour autant, le bilan énergétique global d'une construction ou d'une rénovation peut être fait. Un jour ou l'autre, on pourra se passer de la laine de verre. À terme, on pourra remplacer ces matériaux ayant un impact carbone important durant leur fabrication, souvent issus de produits fossiles, par des produits avec un meilleur bilan écologique global. Mais si l'on prévoit toutes ces conditions pour l'octroi de subventions, nous risquons d'avoir relativement peu de travaux réalisés.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous vous remercions de votre participation.
Audition de
Mme Ségolène Royal, ancienne ministre de
l'écologie,
du développement durable et de
l'énergie
(Mardi 7 février 2023)
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous poursuivons nos travaux avec l'audition de Mme Ségolène Royal. Madame la ministre, parmi les nombreuses et importantes fonctions que vous avez exercées, je rappelle, pour ce qui concerne notre commission d'enquête, que vous avez été par deux fois, à vingt ans d'écart, chargée des sujets environnementaux au Gouvernement : la première fois comme ministre chargée de l'environnement, de 1992 à 1993, puis comme ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer chargée des relations internationales sur le climat, de 2014 à 2017.
C'est surtout cette dernière période qui va retenir notre attention, même s'il sera certainement intéressant de comprendre avec vous comment le sujet de la rénovation énergétique a pu mûrir dans le temps alors qu'un pays comme la Suède avait, par exemple, infléchi fortement sa politique dès le choc pétrolier, ce qui n'a pas été le cas dans notre pays.
La période 2014-2017 est marquée par deux événements importants : l'accord de Paris sur le climat en 2015, qui est un peu la toile de fond, et, pour le concret de la rénovation énergétique, la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, que vous avez portée. Les exigences en matière de sobriété énergétique imposées par l'Accord de Paris et inscrites dans la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) exigent une rénovation profonde du bâtiment en France. C'était l'objectif de la loi pour la croissance verte qui apparaît actuellement comme celle qui a fixé le cadre et les principaux objectifs des politiques menées en la matière, la loi Énergie-climat de 2019 et la loi Climat et résilience de 2021 venant l'approfondir, mais aussi souvent reporter certains objectifs.
Ses objectifs les plus marquants et structurants étaient certainement la mise aux normes bâtiment basse consommation (BBC) du parc d'ici à 2050, la réalisation de 500 000 rénovations de logements par an dont la moitié occupés par des personnes modestes, la suppression des passoires thermiques (F et G) d'ici à 2025 et la réduction de la précarité énergétique de 15 % d'ici à 2020.
Pourtant, actuellement, le bâtiment demeure un secteur particulièrement énergivore, qui représente 43 % de la consommation d'énergie en France, et génère 23 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) français. Le logement représente les deux tiers de ces émissions de GES. La rénovation énergétique reste également une question sociale, puisque 20 % des Français sont considérés en situation de précarité énergétique selon l'Observatoire de la précarité énergétique en 2021.
Il en est de même de l'objectif de 500 000 logements rénovés par an, puisque bien souvent, les travaux se résument à un seul geste alors qu'il faudrait une rénovation globale.
Madame la ministre, je souhaite que vous puissiez nous éclairer sur le bilan que vous tirez de votre expérience, que vous puissiez nous dire quels sont vos motifs de satisfaction et vos regrets. Vouliez-vous aller plus loin et, si la réponse est positive, qu'est-ce qui vous en a empêché ?
Je voudrais également vous inviter, avec le recul et la hauteur de vue qui sont les vôtres, à nous donner votre analyse des raisons pour lesquelles les objectifs affichés n'ont pas été atteints. Quels jugements portez-vous sur la politique qui a été menée en matière de rénovation depuis maintenant un peu plus de cinq ans ?
Cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et fera l'objet d'un compte rendu publié.
Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Ségolène Royal prête serment.
Mme Ségolène Royal, ancienne ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie. - Je suis très honorée d'être devant vous pour évoquer cet important sujet qui m'a toujours passionnée et mobilisée. Vous avez l'expérience des actions locales.
Lorsque je suis arrivée à ce ministère, j'avais déjà tenté, parfois avec succès, à faire de ma région une région d'excellence environnementale. En 2004, lorsque je suis arrivée à sa tête, j'ai construit le premier lycée à énergie positive : un lycée professionnel à côté de Poitiers, que j'ai nommé lycée Kyoto. Toutes les opportunités sont bonnes pour apprendre, et j'ai voulu reprendre le nom du premier protocole sur le climat. Il utilisait des énergies renouvelables, prévoyait la récupération des eaux de pluie, avait une bonne isolation et une bonne performance énergétique...
À mon arrivée au ministère, j'avais déjà vu quels étaient les opportunités opérationnelles et les freins à la rénovation énergétique, notamment pour le logement social ; cela devait être pareil dans vos territoires. À l'époque, on supprimait les cheminées des logements sociaux en milieu rural. Lors de mon enfance dans les Vosges, on se chauffait au bois et les chambres n'étaient pas chauffées. On apprenait les économies d'énergie... Cela paraît relever du siècle dernier. J'avais demandé de laisser les cheminées, mais on m'opposait les risques d'incendie. Mais en milieu rural, les gens savent parfaitement se chauffer au bois : cela fait des générations qu'on le fait.
Au ministère, j'avais eu plaisir à relancer la filière du bois de chauffage et la cogénération. Ce sont des filières formidables, et la France a un potentiel forestier très important.
Je me suis dépêchée de faire voter la loi de transition énergétique pour la croissance verte avant la COP21, afin que la France soit exemplaire et anticipe les contraintes de la COP dans notre propre stratégie nationale et dans notre stratégie bas-carbone.
Cette loi visait trois objectifs : lutter contre le réchauffement climatique, réduire la facture énergétique - le déficit de la balance commerciale s'élevait à 70 milliards d'euros - et développer des filières de compétitivité et d'innovation dans ce domaine, avec deux leviers opérationnels - l'international et le local.
Dans cette loi, j'ai proposé les territoires à énergie positive, car la première préoccupation des élus, c'est l'isolation des bâtiments municipaux, en particulier pour réaliser des économies d'énergie, et le crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE), sans condition de ressources, afin que chacun puisse isoler son logement. C'était un crédit d'impôt et non une déduction fiscale : même les personnes non imposables bénéficiaient du reversement de l'équivalent de l'investissement, soit 8 000 euros par personne, 16 000 euros pour un couple.
La performance énergétique concerne au premier chef les bâtiments, car ils représentent les deux tiers de notre consommation énergétique, bien avant les transports et l'industrie ; le potentiel est considérable. Dans ce secteur, les décisions peuvent être individuelles, municipales, départementales, régionales, nationales, industrielles ou commerciales... Honnêtement, il devrait déjà y avoir des centrales solaires sur tous les aéroports, sans parler de la récupération des eaux de pluie pour laver les avions au lieu d'utiliser de l'eau potable. Tout ce processus est un peu trop lent, comme cela avait été dit durant les débats sur le projet de loi. Mais c'est consensuel : ces sujets passionnaient tout le monde, et les votes étaient acquis à l'unanimité.
L'autre objectif de la loi était de ne pas opposer les énergies les unes aux autres. Je passe sur la polémique sur le nucléaire, parce que cela ne concerne pas le bâtiment. Il faut produire des énergies propres, sûres et les moins chères possible. C'est dans ce cadre que se situent les enjeux d'économie d'énergie, de performance énergétique et le grand chantier du bâtiment. Cela permet de faire baisser les factures, de créer des emplois dans le bâtiment, et d'économiser l'énergie au niveau national. Il n'y a que du positif, c'est gagnant-gagnant pour tout le monde.
Vous avez détaillé certains outils dont j'ai inscrit la création dans la loi. D'abord, ce furent de nouvelles règles pour réduire les coûts, avec des bâtiments à énergie positive et à faible empreinte carbone. J'avais comme idée, mais c'était trop audacieux pour l'époque, que tous les nouveaux bâtiments soient à énergie positive. Certains sont déjà construits, notamment des logements. Cela me semblait évident, mais la filière du bâtiment résistait beaucoup. Elle a fait preuve de beaucoup d'inertie, et a fait supprimer l'individualisation des frais de chauffage et de nombreuses autres mesures. Je leur expliquais que ce projet était dans leur intérêt, notamment pour développer des savoir-faire, créer des emplois, conquérir des marchés à l'international... Mais les réticences étaient nombreuses.
Il n'est pas trop tard pour que tous les bâtiments soient à énergie positive, ce qui est mon idéal. Un bâtiment à énergie positive produit au moins autant, voire plus d'énergie qu'il en consomme. La facture des habitants s'élève à 3 ou 4 euros par mois, c'est formidable. Cela suppose la mise en place de panneaux solaires sur le toit quand c'est possible, une performance énergétique exceptionnelle, la récupération de la chaleur le long des circuits et à proximité de la chaudière ou des cuisines, pour éviter toute déperdition. Ces techniques sont maîtrisées et se développent. Désormais, on maîtrise les techniques pour l'isolation des toitures, des portes, des fenêtres, des façades. Il est donc tout à fait possible de construire des bâtiments à énergie positive actuellement.
Ensuite, j'avais prévu une obligation d'isolation en cas de ravalement. On m'a opposé qu'il y avait des bâtiments remarquables ou classés, notamment en Alsace ou en Normandie avec les pans de bois... Mais bien sûr, je prévoyais des exceptions. La filière du bâtiment estimait que c'était trop tôt, trop vite, que les échafaudages coûtaient cher. Cela n'a pas été rétabli. Mais plus on fabriquera d'échafaudages, moins cela coûtera cher. Il faut aussi mettre au point des matériaux intéressants, notamment issus de l'agriculture française, qui a l'un des tout premiers potentiels en matière de production de biomasse, y compris de matériaux d'isolation, comme le chanvre. J'avais développé le chanvre dans ma région, car c'est l'un des matériaux les plus isolants pour l'efficacité énergétique.
Malheureusement, le coût des travaux a augmenté. Désormais, un ravalement coûte encore plus cher. Cela veut dire que nous avions raison, en 2015, d'imposer cela. Difficile désormais de faire à la fois le ravalement et l'isolation. C'est dommage.
Je voulais imposer des compteurs individuels de frais de chauffage. Quelle bataille ! J'avais lu dans des rapports parlementaires, notamment de pays voisins, que le calcul individuel des frais de chauffage dans un logement collectif provoque une réduction de la consommation de 70 %. C'est vrai : les habitants, lorsqu'ils partent au travail ou en vacances, ferment alors le radiateur. Tandis que si le chauffage est collectif, ils ne voient pas l'impact sur la facture. Nous avons des compteurs individuels d'eau, pourquoi pas de chauffage ? Cette disposition a été supprimée sous la pression des syndics de gestion, alors qu'elle était très efficace et beaucoup plus juste.
Pour être exacte, je précise que nous avons fait face à la grande résistance des offices d'HLM. Leur réaction me scandalisait : ils auraient dû être les premiers à réclamer l'individualisation des frais de chauffage, qui permet de diminuer la facture de tout le monde.
Pour ce qui concerne l'habitat collectif, on m'opposait un autre argument : ceux qui vivent au rez-de-chaussée et au dernier étage auraient eu davantage de frais de chauffage que les résidents des étages intermédiaires. Mais on aurait très bien pu prévoir une péréquation, par exemple à hauteur de 10 % de la facture. Il n'y a pas de problème sans solution.
J'avais prévu un bonus de constructibilité pour les constructions exemplaires du point de vue énergétique et environnemental. Je ne sais pas s'il a été maintenu, mais je vous assure qu'il était très efficace. Les constructeurs faisaient valoir qu'en optant pour un bâtiment en bois ils perdaient en mètres carrés habitables et en hauteur sous plafond, les murs et les planchers étant plus épais, notamment du fait de l'isolation ; au total, ils perdaient un demi-étage. Ce bonus, réservé aux bâtiments à haute performance environnementale, permettait de tenir compte du différentiel.
Ensuite, on a déployé le soutien aux particuliers pour financer la rénovation énergétique de leur logement, avec la réforme de l'éco-prêt à taux zéro et le CITE, dispositifs dont j'ai autorisé le cumul.
Aujourd'hui, il y a MaPrimeRénov'. Pour la demander, il faut remplir un dossier de dix pages ; pour obtenir le CITE, il suffisait de cocher trois cases lors de la déclaration d'impôt. C'est dire si j'avais simplifié la procédure.
Le ministère des finances a beaucoup de talent pour inventer des déductions fiscales inapplicables. D'ailleurs, le dispositif antérieur ne comptait que très peu de bénéficiaires, car il fallait obligatoirement faire plusieurs travaux : par exemple, il fallait isoler à la fois les combles et les fenêtres. Or les gens n'ont pas forcément les moyens de faire tout, tout de suite ; ils ont souvent besoin d'étaler sur deux ou trois ans le coût des travaux et les investissements nécessaires.
Avec le crédit d'impôt, c'était très simple : vous faisiez les travaux que vous vouliez et vous aviez votre déduction fiscale. C'était extraordinaire.
Pour que les gens ne se fassent pas rouler par de mauvais artisans, nous avons créé un conventionnement. Les professionnels devaient prouver leur compétence et justifier les prix qu'ils pratiquaient. En effet, il fallait éviter l'effet de cliquet conduisant à une augmentation artificielle des prix. À ce titre, nous avions établi une liste d'artisans homologués pour faire les travaux d'économies d'énergie.
Le crédit d'impôt a été supprimé du jour au lendemain et cette décision a eu des conséquences dramatiques. Les artisans avaient fait l'effort de se former, de former leurs salariés et de recruter, car le nombre de chantiers avait explosé, notamment pour l'isolation des portes, des fenêtres et des combles. L'isolation des murs était un peu plus onéreuse, mais si le CITE avait été maintenu les particuliers l'auraient faite au cours des années suivantes, que ce soit par l'extérieur ou par l'intérieur. Ce sont peut-être 10 000 emplois qui, au total, ont été supprimés dans le secteur de l'isolation des fenêtres.
Dans ces domaines - c'est une réflexion personnelle -, il faut de la continuité. Les changements perpétuels sont insupportables pour les entreprises. Les noms des dispositifs et des dossiers changent sans cesse alors même qu'il faut laisser aux entreprises le temps de s'adapter. Elles ont travaillé en 2016 et en 2017, puis, en 2018, tout s'est effondré. Si les territoires à énergie positive pour la croissance verte (TEPCV) et le CITE avaient été conservés, aujourd'hui, ce sont peut-être 50 % des bâtiments qui seraient isolés. Tous les bâtiments publics l'auraient été, car tous les maires avaient entrepris de refaire leurs écoles, leurs mairies et leurs salles polyvalentes. Les départements refaisaient leurs collèges. J'avais obtenu 750 millions d'euros ; 750 millions d'euros supplémentaires auraient dû être distribués aux collectivités territoriales, pour former un total de 1,5 milliard d'euros, mais cela aussi s'est arrêté.
En tant qu'élue locale, notamment comme présidente de région, j'avais l'expérience de la complexité des subventions d'État. Voilà pourquoi - je le répète -, j'avais simplifié le dispositif au maximum, au point que, dans un rapport, la Cour des comptes a estimé qu'il n'était pas régulier ; elle s'est ensuite rangée à mes arguments.
Vous connaissez vous aussi les tracasseries qu'entraîne la recherche de cofinancements. L'État donne 10 % ; il faut solliciter le conseil départemental, le conseil régional, la Caisse des dépôts et consignations, etc. Or, pour la loi relative à la transition énergétique, je voulais que l'on aille vite. Dans les territoires à énergie positive, on assurait un financement à 100 % ; de belles opérations ont été menées et elles aussi auraient dû être poursuivies.
On a également mis en place des sociétés de tiers financement ; c'était une solution originale. Par dérogation au monopole bancaire, ces sociétés avançaient aux particuliers qui engageaient des opérations de rénovation énergétique. À ma demande, la Banque européenne d'investissement (BEI) avait accordé un financement à hauteur de 400 millions d'euros. Cette idée m'avait été donnée par des collectivités territoriales, en particulier par des départements, qui, malgré les prêts de la Caisse des dépôts, avaient du mal à emprunter : c'est sur le terrain que j'avais trouvé cette idée, qui s'est révélée formidable. Le tiers financement évitait qu'au prix des travaux ne vienne s'ajouter le coût de l'emprunt. Les collectivités territoriales ont également pu y accéder.
Enfin, nous avons lancé des appels à projets pour des réalisations urbaines innovantes et exemplaires. Au total, seize démonstrateurs industriels pour la ville durable ont été désignés le 23 décembre 2015 en application de la loi relative à la transition énergétique ; j'ai ainsi pu valoriser cette initiative à la COP21. Les opérations urbaines conçues dans ce cadre pouvaient obtenir des financements complémentaires.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Merci de cet état des lieux précis.
Nous sommes loin des objectifs ambitieux fixés par la loi de 2015, qu'il s'agisse de la rénovation de 500 000 logements ou de la suppression des passoires thermiques. Selon vous, qu'est-ce qui a péché ? Est-ce la suppression de certains dispositifs ou encore un manque de financements ?
À ce titre, vous insistez sur le rôle des territoires. En tant qu'élu local, j'ai constaté que les plateformes de rénovation thermique fonctionnaient et fonctionnent toujours plutôt bien. Elles assurent un accompagnement de proximité, notamment dans les zones rurales, mais elles sont en difficulté dans bon nombre de territoires. Qu'en pensez-vous ?
De même, pourriez-vous compléter l'avis esquissé au sujet de MaPrimeRénov' ? Je comprends l'intérêt du crédit d'impôt, mais il posait tout de même quelques problèmes, qu'il s'agisse des fraudes ou des effets d'aubaine.
Enfin, en matière d'efficacité énergétique, pourriez-vous revenir sur les exemples étrangers dont vous vous êtes inspirée et qui pourraient encore être mis à profit ?
Mme Ségolène Royal. - Les plateformes de rénovation ont été mises en place avec les collectivités territoriales dans le cadre de partenariats très intéressants et très libres, noués notamment avec l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). D'ailleurs, tous les territoires à énergie positive ont mis en place de telles plateformes.
Lorsqu'ils décident de faire des travaux, les gens sont souvent un peu perdus : à qui s'adresse-t-on ? Comment cela se passe-t-il ? L'intérêt des plateformes - je pense que c'est toujours le cas -, c'était d'offrir des banques de données. Vous voulez installer une chaudière à bois dans un immeuble collectif : vous consultez ces banques en tapant « chauffage bois », vous obtenez la liste des réalisations homologuées et vous pouvez aller les visiter. C'est irremplaçable pour s'informer, d'autant que les ressources artisanales ne se trouvent pas toujours dans votre territoire. Ainsi, beaucoup d'agriculteurs se sont déplacés pour aller visiter des méthaniseurs : ils voulaient voir comment cela marchait et si cela correspondait à leur potentiel. C'est également vrai pour les opérations d'isolation thermique des bâtiments.
L'erreur, c'est l'arrêt des dispositifs mis en place. C'est tellement difficile, c'est un tel combat d'obtenir un crédit d'impôt face au ministère des finances. Pour ma part, je n'ai cessé d'invoquer la COP21 ; j'ai insisté sur la nécessité d'être à la hauteur de ce rendez-vous en faisant des choses exceptionnelles et c'est ainsi que je suis arrivée à arracher les arbitrages. Voir qu'un tel dispositif s'arrête, au-delà des clivages politiques, c'est désolant. Pour que les gens s'approprient ce crédit d'impôt, il fallait qu'il soit connu, que l'on envoie les instructions, que les artisans et entreprises du bâtiment s'y habituent ; beaucoup de personnes ont programmé des travaux, puis tout s'est arrêté du jour au lendemain. C'est tout un potentiel de développement économique qui a été perdu.
Il en va de même des TEPCV, qui assuraient un soutien financier formidable. J'ai vu nombre de maires et de présidents de communautés de communes présenter, au ministère, ce qu'ils avaient réalisé dans leur territoire : c'était merveilleux. La France et ses ressources locales étaient représentées dans toute leur diversité. Nombre d'élus qui, auparavant, ne connaissaient rien à l'écologie se passionnaient tout d'un coup pour ces sujets, avant d'en venir à la biodiversité ou aux expériences éducatives menées dans leurs écoles. Un sujet si vertueux que l'environnement permet de tirer tout le monde vers le haut.
Tout en apprenant, les élus menaient à bien leurs projets : c'était très gratifiant pour eux. Quant à moi, j'apportais l'argent. On m'avait promis 1,5 milliard d'euros : quand je suis partie, la première enveloppe de 750 millions d'euros devait être complétée par une seconde d'un même montant, mais elle n'a pas été défendue et la décision n'a pas été mise en oeuvre. De ce fait, beaucoup de collectivités n'ont pas pu réaliser leurs projets.
Plus un dispositif est simple, plus il est efficace et plus les gens s'en saisissent. On m'objectait effectivement le risque de fraude auquel nous nous exposions. On avançait également que les gens auraient fait les travaux, même sans crédit d'impôt. Je répondais : s'ils ont un peu plus d'argent, ils feront autre chose et cela fera marcher le bâtiment localement. Où est le problème ? On m'opposait alors le risque de factures truquées. J'entendais de tels arguments lors des arbitrages interministériels ; mais on ne met pas en place une action politique en s'occupant des fraudeurs. Comment avance-t-on si l'on commence à soupçonner tout le monde de fraude ? Il vaut mieux une ou deux bonnes sanctions, qui auront un effet dissuasif général.
Telle ou telle entreprise a-t-elle fraudé ? Je ne sais pas. Ce qui est vrai, c'est que, quand vous faites refaire votre fenêtre, vous faites repeindre la pièce : en résulte un effet d'entraînement pour la filière du bâtiment. Avec 1,5 milliard d'euros de déduction fiscale, on a dû créer 8 à 10 milliards d'euros de chiffre d'affaires pour les industries du bâtiment. J'y insiste, après avoir changé vos fenêtres, vous faites refaire la peinture, vous faites l'isolation des combles, puis vous changez de chaudière.
Au ministère des finances, on me disait que ce crédit d'impôt coûtait 1,5 milliard d'euros. Je répondais qu'une telle mesure ne coûte pas, mais qu'elle rapporte. Sur ces 10 milliards d'euros de chiffre d'affaires, il y a des impôts et des cotisations sociales. Il faut prendre en compte tout ce retour sur investissement.
Le crédit d'impôt était de 30 % ; c'était raisonnable. Pour être remboursé de 8 000 euros, il fallait dépenser 24 000 euros en travaux : les gens étaient incités à faire plus de travaux et, surtout, à commencer par l'isolation des fenêtres.
Si vous voulez améliorer votre intérieur, vous pouvez très bien vous dire : « Je n'ai pas les moyens d'isoler les fenêtres, mais je vais donner un bon coup de peinture et acheter des meubles sympas. » Or, en isolant les fenêtres, vous économisez de l'énergie, vous limitez la production de CO2 et vous participez à la protection de la planète. C'était bel et bien un cercle vertueux.
M. Laurent Burgoa. - Si vous reveniez aux responsabilités, rétabliriez-vous le crédit d'impôt ?
Mme Ségolène Royal. - Bien sûr : il y a encore tant à faire. Je rétablirais le crédit d'impôt et les territoires à énergie positive. Donnez à un maire les moyens d'isoler son école : il le fait tout de suite, d'autant qu'il entretient ainsi le tissu d'artisans de son territoire.
Je prendrais également des mesures pour rendre l'isolation obligatoire et instaurer le calcul individuel des frais de chauffage, qui est tellement efficace : quand vous regardez votre facture d'eau, vous faites attention dès lors que votre consommation augmente. Sans compteur, vous ne vous rendez pas compte de l'effort que vous faites en matière de chauffage.
Quand j'étais ministre, on s'étonnait que j'éteigne la lumière en sortant de mon bureau - j'ai été éduquée comme cela. J'avais d'ailleurs donné des instructions pour que chacun fasse de même. Au début on riait sous cape, puis tout le monde en a pris l'habitude. Ne l'oublions jamais, ce sont les contribuables qui paient l'énergie.
M. Michel Dagbert. - Vous relevez que, grâce à un certain nombre de dispositifs créés sur votre initiative, les élus locaux avaient gagné en compétence en matière d'écologie. J'ai eu l'honneur de présider un département qui compte 125 collèges : je vous confirme que, pour ce qui concerne la rénovation énergétique des bâtiments, cette conscience écologique est aujourd'hui acquise.
De même - vous le soulignez avec raison -, nous pouvons aujourd'hui télécharger sur nos téléphones des applications qui facilitent le suivi de nos consommations et donc la gestion de l'énergie.
Enfin, dans le cadre d'un programme d'échanges européens, j'ai eu l'occasion de me pencher sur la géothermie à partir des eaux d'exhaure. Notre pays compte plusieurs territoires miniers, dans l'Est et dans le Nord-Pas-de-Calais notamment : ils permettraient de déployer cette énergie que j'ai pu voir fonctionner en Hollande, certes à titre expérimental, notamment pour alimenter les équipements publics et les logements collectifs. Pourquoi la France freine-t-elle tant ?
Mme Ségolène Royal. - J'ai le plus grand intérêt pour la géothermie - comme l'hydroélectricité, cette énergie a le formidable avantage de résoudre le problème du stockage. Ainsi, lorsque j'étais ministre, j'ai rouvert en Guadeloupe une usine de géothermie à laquelle plus personne ne croyait. En la matière, peut-être avons-nous perdu des savoir-faire et des ingénieurs.
J'ajoute qu'à la COP21 le président islandais m'avait convaincue de créer avec lui une coalition « Géothermie ». C'est par la géothermie qu'il a sauvé son pays de la faillite. Il a eu le génie de se dire : « Nous avons une terre volcanique. Nous allons développer notre pays par la géothermie. » Dès lors, l'Islande a retrouvé une croissance économique incroyable. Ce pays est le premier producteur de bananes par habitant, grâce à ses serres entièrement chauffées par la géothermie. L'énergie, sauf pour les voitures, est gratuite dans toute l'île.
Ainsi, le président islandais et moi-même avons adressé un appel à projets à toutes les délégations étrangères et créé un groupe de recherche scientifique. À notre grande surprise, nous avons vu arriver plusieurs représentants d'États africains, notamment l'Éthiopie. Beaucoup de pays, qui jusqu'alors ignoraient complètement la présence de cette ressource dans leur sol, sont aujourd'hui équipés en géothermie. Vous avez parfaitement raison : cette énergie est rarement en tête des priorités, mais il faut la développer partout où c'est possible. C'est évident.
M. Laurent Somon. - Le programme « Habiter mieux » accuse d'importants retards : que pensez-vous du rôle actuel de l'Agence nationale de l'habitat (Anah) en matière de rénovation thermique ?
Mme Ségolène Royal. - Les programmes de l'Anah sont destinés, non à l'ensemble de la population, mais aux personnes modestes. Mais, dès lors que le crédit d'impôt a disparu, un certain nombre de personnes se sont tournées vers cette agence, car elles n'avaient pas les moyens de mener leurs travaux sans une aide.
Si auparavant l'Anah fonctionnait bien, c'est parce que, grâce au crédit d'impôt, ceux qui pouvaient payer un peu n'insistaient pas pour bénéficier de ses programmes. En parallèle, j'imagine que ses crédits de fonctionnement ont diminué. À mon sens, il faudrait recentrer l'Anah sur les personnes les plus modestes et rétablir un crédit d'impôt, bien sûr en contrôlant les prix des travaux. Un tel dispositif bénéficierait notamment aux classes moyennes.
J'avais refusé d'assortir le crédit d'impôt de conditions de ressources, car, selon moi, il fallait commencer par développer les travaux. Ce choix nous épargnait des opérations de contrôle qui nous auraient fait perdre des mois ; il évitait également des effets de seuil. Mon raisonnement était le suivant : plus il y aura de travaux, plus les artisans et les entreprises du bâtiment pourront se développer grâce aux technologies de performance énergétique. En retour, tout le monde en profitera grâce à la baisse des prix. À l'inverse, si l'on fixe des conditions de ressources très strictes, on ne permet pas au marché de grandir suffisamment pour que les entreprises investissent.
Le but était donc de créer une masse de travaux, un marché solvable au cours de la première année pour que les entreprises puissent investir, former des employés en les payant correctement et faire attention aux matériaux qu'elles utilisent. Peut-être aurions-nous pu ajouter des conditions de ressources deux ou trois ans plus tard, une fois que tout aurait été en place. Ceux qui ont le plus d'argent auraient déjà fait leurs travaux et l'on aurait pu concentrer les investissements sur les autres catégories ; mais il fallait commencer par créer un marché.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Qu'il n'y ait pas de conditions de ressources, je l'entends ; mais, pour les foyers les plus précaires, ce qui bloque, c'est le reste à charge. Aussi, la question du reste à charge zéro se pose quand même. Aviez-vous eu l'occasion d'y réfléchir ?
Mme Ségolène Royal. - Dès lors qu'un crédit d'impôt existe, c'est l'Anah qui a vocation à couvrir le reste à charge et même à avancer les fonds des travaux le cas échéant.
Par ailleurs, nous parlons des propriétaires. Si vous êtes un propriétaire modeste, vous êtes tout de même propriétaire et l'Anah intervient directement pour vous. Mais vous pouvez aussi être propriétaire et louer à une personne modeste - c'est quand même le cas de figure le plus fréquent - sans être pour autant une personne modeste.
Le nombre de personnes modestes, qui sont propriétaires, mais n'ont pas les moyens de faire les travaux, est somme toute relativement restreint. Pour ce qui les concerne, vous avez raison, l'Anah peut prendre en charge la totalité des travaux.
M. François Calvet. - Que pensez-vous de l'installation de panneaux solaires sur les toits plats, notamment ceux des HLM ? Avez-vous une idée de la production d'énergie qui pourrait en résulter pour notre pays ?
Mme Ségolène Royal. - Aujourd'hui, l'hydroélectricité mise à part, les énergies renouvelables produisent à peu près l'équivalent de six réacteurs nucléaires. Une telle mesure pourrait facilement représenter un ou deux réacteurs supplémentaires.
Il existe deux mécanismes distincts : l'autoconsommation et l'alimentation du réseau. Dans le second cas, le propriétaire est remboursé à hauteur de ce qu'il revend. C'est souvent la solution retenue pour les bâtiments collectifs ; elle permet de diminuer les charges énergétiques de l'ensemble des habitants de l'immeuble.
Pour ma part, je voulais que tous les nouveaux bâtiments soient obligatoirement à énergie positive. Certes, il s'agissait d'une révolution, mais l'histoire est ponctuée de sauts technologiques. Quand on est passé du téléphone fixe au téléphone portable, il y a eu un saut technologique : il faut faire de même en matière d'énergie. À un moment, il faut bien se lancer.
À cet égard, ce que vous dites est très juste : on pourrait tout à fait décider que tous les toits pouvant être équipés en panneaux solaires doivent l'être, notamment dans les régions ensoleillées.
On pourrait commencer par équiper les bâtiments des aéroports - j'ai bien des fois proposé au président d'Aéroports de Paris (ADP) d'installer des centrales solaires sur ses toits - ou encore les grandes surfaces : cela devrait être obligatoire, comme la récupération de l'eau de pluie. Les gens renâclent dès que l'on crée une contrainte, même quand c'est dans leur intérêt. Au cours des dernières années, les prix des travaux ont augmenté et, depuis, ils auraient fait des économies d'énergie.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Comment jugez-vous la politique conduite aujourd'hui en faveur de la rénovation thermique ?
Mme Ségolène Royal. - De petites choses sont faites, comme MaPrimeRénov', mais elles ne sont pas à la hauteur. Pourquoi casser ce qui marche ? On pourrait en dire autant dans de nombreux domaines. Pourquoi abîmer ce qui fonctionne ? Cela n'appartient pas au ministre en exercice : cela appartient à la Nation.
Il faut assurer l'application du principe de non-régression, qui est inscrit dans la loi, par exemple, en donnant un droit de veto au Sénat. J'ai eu l'occasion d'appeler Nicolas Hulot lorsqu'il était ministre pour lui dire : « Comment avez-vous pu laisser supprimer tout cela ? » Il me répondait : « Je ne sais pas, ce sont les arbitrages. » De mon côté, j'insistais sur le principe de non-régression.
Ce sont les principes qui nous permettent de tenir : cela vaut aussi pour le législateur, d'autant que les dispositifs en question ont été votés à l'unanimité de l'Assemblée nationale et du Sénat.
M. Michel Dagbert. - Votre proposition est surprenante dans un pays où l'alternance démocratique fait partie de la règle du jeu politique.
Mme Ségolène Royal. - C'est une bonne remarque ; mais je pense qu'il y a une exception dans le domaine environnemental.
M. Michel Dagbert. - En somme, vous souhaitez garantir la durabilité des lois relatives au développement durable.
Mme Ségolène Royal. - Oui. À l'instar de la séquence « éviter, réduire, compenser », le principe de non-régression est au fondement même de la transition énergétique, et il est inscrit dans la loi. De même, l'accord de Paris sur le climat s'impose à tous : en la matière, il ne devrait pas être possible de reculer.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci d'avoir accepté de répondre à nos questions.
Audition de
Mme Cécile Duflot,
ancienne ministre de l'égalité
des territoires et du
logement
(Lundi 13 février 2023)
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Mes chers collègues, nous poursuivons aujourd'hui les travaux de la commission d'enquête sur l'efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique, avec les auditions consécutives de cinq anciens ministres chargés de la transition écologique et de l'habitat durable ou des politiques du logement.
Dans ce cadre, nous commençons avec Mme Cécile Duflot.
Madame, vous avez été élue députée en 2012, puis nommée membre du gouvernement, en qualité de ministre de l'égalité des territoires et du logement, ministère de plein exercice, fonction que vous avez exercée pendant près de deux ans.
Après 2017, vous avez travaillé pour une entreprise de serveurs, Octopuce, puis vous avez pris, depuis l'été 2018, la direction de l'ONG Oxfam France. Je précise que c'est aujourd'hui en votre qualité d'ancienne ministre que nous vous recevons.
Votre expérience gouvernementale a notamment été marquée par la préparation et le vote de deux lois, auxquelles votre nom reste associé, la loi « Duflot 1 », relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social, et la loi « Duflot 2 », pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, appelée aussi « loi Alur ». C'est donc une période particulièrement importante pour la politique du logement, ce qui concerne évidemment directement notre sujet.
Les objectifs de rénovation énergétique que nous nous étions fixés, notamment la rénovation de 500 000 logements par an, ne sont pas atteints, alors que le bâtiment demeure un secteur particulièrement énergivore et émetteur de gaz à effet de serre. La rénovation énergétique reste également une question sociale, puisque de trop nombreux Français sont en situation de précarité énergétique.
La commission souhaite connaître le bilan que vous tirez de votre passage au Gouvernement. Quels sont, en matière de rénovation énergétique, vos principaux motifs de satisfaction ? Quels sont, au contraire, vos regrets, et les sujets sur lesquels vous auriez souhaité aller plus loin ? Pour ces derniers, quels ont été les obstacles que vous avez rencontrés ? Quels verrous avez-vous identifiés ?
Le fait d'être ministre de plein exercice a-t-il été un atout, ou a-t-il, au contraire, représenté une difficulté pour la coordination avec le ministre chargé de l'écologie et de l'énergie ?
Je veux également vous inviter à nous donner votre analyse des raisons pour lesquelles les objectifs visés ne sont pas atteints. Quels jugements portez-vous sur la politique menée en matière de rénovation énergétique depuis votre départ du Gouvernement ? Cette rénovation bute-t-elle sur des questions de financement, de réglementation, de méthode, d'inconstance ou sur une prise de conscience insuffisante des enjeux ?
Avant de vous laisser la parole pour un propos introductif d'une quinzaine de minutes, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et sera disponible en différé sur le site internet du Sénat, et qu'elle fera l'objet d'un compte rendu publié.
Je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Cécile Duflot prête serment.
Vous avez la parole, madame. Le rapporteur et les membres de la commission d'enquête ici présents auront ensuite des questions à vous poser.
Mme Cécile Duflot, ancienne ministre de l'égalité des territoires et du logement. - Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je dois me livrer à un exercice complexe : il se trouve que j'ai été ministre voilà désormais plus de dix ans et que j'ai arrêté toute activité politique depuis juin 2017. L'audition de ce jour m'a donc amenée à me replonger dans les archives. Si je commets quelques approximations, notamment sur les chiffres, ou si je me trompe dans les dates, je m'en excuse bien volontiers. Ce serait uniquement des défauts de mémoire. Au demeurant, mes archives, y compris personnelles, sont restées et sont à disposition au ministère ; elles sont donc parfaitement consultables.
Je veux commencer par vous raconter une anecdote, qui, je pense, est assez illustrative du sujet sur lequel vous travaillez. J'ai été nommée ministre en 2012, juste après l'élection de François Hollande. Quelques semaines plus tard, Louis Gallois, fraîchement nommé à la tête du programme Investissements d'avenir, demande à me rencontrer. Bien évidemment, j'accède à sa demande, et nous avons un échange sur la fonction de ce programme de relance massive, lancé par Nicolas Sarkozy après la crise de 2008 et dont une partie devait être consacrée à la rénovation thermique des bâtiments. Louis Gallois me dit qu'un budget de 500 millions d'euros avait été prévu pour la rénovation thermique des habitations des plus démunis, mais que 5 millions d'euros seulement avaient été engagés. Il souhaitait donc m'informer qu'il souhaitait réattribuer le reliquat, soit 495 millions d'euros, à... Airbus. Vous imaginez que la toute nouvelle ministre du logement, qui plus est écologiste, a accueilli cette annonce plutôt fraîchement ! Je lui ai expliqué que ça n'allait pas être possible, que je pensais que c'était une erreur, mais que cette sous-consommation massive était un vrai sujet. Après enquête - je résume à gros traits -, celle-ci s'expliquait assez naturellement, puisque les publics visés par ce programme devaient à la fois avoir des revenus inférieurs au plafond de ressources permettant d'accéder à un logement prêt locatif aidé d'intégration (PLAI), soit environ 60 % du Smic - là encore, je parle de mémoire -, et engager des montants de travaux très importants, de l'ordre d'une trentaine de milliers d'euros...
À la suite de cela, j'ai organisé une rencontre avec l'ensemble des intervenants dans ce domaine, dont les régions, qui étaient assez largement mobilisées - je rappelle qu'elles étaient alors beaucoup plus nombreuses qu'aujourd'hui. L'échange s'est avéré assez intéressant : autour de la table, tout le monde - représentants du monde HLM, de l'Association des régions de France, autres élus, responsables de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), de l'Agence nationale de l'habitat (Anah) - expliquait que tout allait parfaitement bien, que tout était parfaitement en ordre, et chacun de dérouler le grand talent avec lequel il mettait en oeuvre des politiques. J'ai alors rappelé qu'il y avait tout de même vraisemblablement un sujet, puisque cela ne marchait visiblement pas.
Voilà, pour résumer, ce qui a guidé mon action comme ministre pendant ces deux années et ce qui a justifié une première annonce, en janvier 2013 si je ne me trompe pas, de ce que devait être une évolution des manières d'intervenir en matière de rénovation thermique : il fallait non seulement mobiliser de l'argent, mais, surtout, simplifier.
En effet, s'il y a beaucoup de bonnes initiatives, je crois que l'un des principaux handicaps est le morcellement très important des acteurs chargés du dossier. Surtout, certains acteurs privés utilisent de manière très opportuniste des dispositifs qui, en eux-mêmes, peuvent être intéressants - je pense notamment aux crédits d'impôt -, mais qui ont parfois fait l'objet d'utilisations complètement détournées. Les multiples témoignages de démarchages parfois un peu agressifs et de situations abusives - je pense, par exemple, au changement de fenêtres d'une habitation dont le toit n'était pas isolé, ce qui, sur le plan énergétique, est parfaitement absurde - ont conduit le législateur à une grande prudence, notamment lors de l'examen des lois de finances.
Ce morcellement et ces dispositifs, qui, en soi, pouvaient avoir du sens, mais étaient conçus de manière, disons, « désordonnée », ont conduit au résultat que l'on connaît : une capacité très limitée à mettre en oeuvre un programme de rénovation thermique. J'ai donc fini par obtenir une sorte de pacte politique avec le Premier ministre.
Était-ce un atout d'être ministre de plein exercice ? Oui, mais c'était aussi un atout d'avoir du poids politique. J'en avais, pour deux raisons : je représentais quasiment le seul parti partenaire de la coalition politique qui existait alors ; j'ai été secrétaire nationale du parti écologiste pendant six ans, ce qui, je pense, fait partie des meilleurs entraînements au rapport de forces qui puissent exister sur le marché de la politique. D'ailleurs, à en juger par les autres personnes que vous allez auditionner, cette école a formé un panel politique qui couvre l'ensemble du spectre politique français actuel, quasiment sans exclusion. Cette double qualité me donnait la possibilité d'obtenir des arbitrages, tant en termes organisationnels qu'en termes financiers.
L'histoire a montré que la mise en cohérence du dispositif et l'abondement de manière extrêmement significative des fonds de l'Anah ont donné de très bons résultats, mais cela a duré très peu de temps, puisque, dès 2014, les choses se sont gâtées. Je tiens à le dire de manière la plus ferme qui soit, le décalage entre les annonces financières et la réalité des crédits, notamment du fait des gels qui sont souvent opérés par Bercy dès l'été, fait naître des situations de crispation. D'ailleurs, en consultant mes archives, j'ai retrouvé nombre de questions écrites ou orales de parlementaires interrogeant sur la situation de leur territoire. Les dossiers en souffrance s'empilaient dans les tiroirs de l'Anah parce qu'il n'y avait simplement plus de budget. L'année 2014 a été très marquante de ce point de vue.
Pour tout dire, le pacte que j'avais conclu avec le Premier ministre était simple : le montant, très important, serait abondé si le dispositif fonctionnait. Il se trouve que j'ai quitté le gouvernement pour des raisons politiques qui n'ont rien à voir avec le programme de rénovation énergétique, que l'argent a été dépensé beaucoup plus vite que prévu et qu'il n'y a pas eu d'abondement - le Premier ministre avait changé.
Comme l'a très bien dit Valérie Létard, qui a été présidente de l'Anah et qui connaît parfaitement le sujet, en raison de la restriction de ses crédits, doublée de la diminution, après le Brexit, du prix du carbone, qui a aussi fait baisser ses ressources, et malgré un abondement de 50 millions d'euros - si je ne me trompe pas - pris sur les crédits de ce qui devait déjà s'appeler « Action Logement » - et non plus « 1 % Logement » -, le budget de l'Anah n'était pas suffisant pour tenir les engagements qui avaient été pris.
L'autre élément qui avait rendu la chose très facilitatrice était la création d'un guichet unique, accessible via un numéro de téléphone, et l'obligation, pour l'ensemble des acteurs, dont les collectivités locales, de communiquer leurs données et de renvoyer l'ensemble des interlocuteurs, notamment les personnes physiques, vers ce guichet.
Bien sûr, le morcellement et la complexité rendent le montage des dossiers extrêmement périlleux. Selon moi, il n'est pas besoin d'aller chercher plus loin. Nous disposons de professionnels formés et dotés d'une capacité à monter en puissance si nécessaire. Si l'effet de levier permis par la mobilisation de l'argent public est un vrai sujet, celui-ci est extrêmement bien utilisé à deux titres.
Une étude britannique assez ancienne a évalué les économies sur le financement de l'équivalent de l'assurance maladie résultant de l'investissement dans la rénovation thermique, notamment s'agissant des personnes âgées - on sait très bien que la précarité énergétique, au-delà de ses conséquences sociales et de confort, a des incidences significatives sur la santé. Il se trouve que, pour travailler, depuis presque cinq ans, dans une organisation de culture anglo-saxonne, ce genre d'études, dont nous sommes peu familiers en France, sur le bon usage de l'argent public ne me choque pas : au-delà de l'aspect moral et de la satisfaction d'avancer vers davantage de justice sociale, cela me paraît même très intéressant.
En outre, les travaux de rénovation thermique sont aussi un investissement d'argent public très rentable, puisqu'il s'agit d'une activité parfaitement non délocalisable, qui fournit de l'emploi local. J'ignore si des études ont été réalisées sur l'impact d'un euro d'argent public investi dans la rénovation thermique sur la création de richesses et la diminution du chômage - je ne saurais moi-même l'évaluer -, mais je suis sûre qu'elles seraient fort intéressantes à conduire, parce que les résultats en seraient très frappants.
Autre élément très important, me semble-t-il : le recul de l'investissement des collectivités locales. Si la question des logements est importante, un investissement volontariste dans le tertiaire, notamment dans les bâtiments publics, dans le respect du patrimoine et des prérogatives des architectes des Bâtiments de France, est, pour moi, un levier clé, qui a été sous-utilisé.
À ce sujet, j'ai en mémoire des discussions extrêmement vives sur l'opportunité d'investissements de la Caisse des dépôts et consignations pour aider les collectivités locales à conduire une vraie politique d'économies d'énergie un peu plus larges, mais aussi de rénovation de leur patrimoine. Il faut savoir que de nombreuses collectivités locales possèdent des bâtiments construits dans la pire période, les années 70-80, à savoir des bâtiments consommateurs d'énergie, y compris, parfois, avec des systèmes de chauffage eux aussi très énergivores. La conjonction de ces deux phénomènes était, de mon point de vue, un frein important.
Pourquoi le bilan que je tire de mon expérience est-il nuancé ? Parce que ça s'est arrêté, mais aussi parce que ça a marché : pendant une courte période, il y a vraiment eu un effet considérable au sein de l'Anah. Je pense qu'il serait intéressant que vous entendiez les personnes qui étaient présentes à cette époque, parce qu'elles en ont sans doute un souvenir plus précis que le mien. Quoi qu'il en soit, le bilan qui avait été tiré au bout d'un an était très positif, parce que l'appétence était forte - je pense qu'aujourd'hui, dix ans plus tard, elle serait encore beaucoup plus importante. La rénovation thermique, notamment des bâtiments des particuliers, n'est pas possible sans l'effet de levier du financement public, d'abord parce que celui-ci est un outil de motivation, ensuite parce que l'écart entre le taux d'investissement et le taux de rentabilité peut être beaucoup trop important pour un certain nombre de propriétaires personnes physiques - ce n'est pas le cas pour les personnes morales, que ce soit les entreprises ou les collectivités locales.
Je pense qu'il y a deux angles morts. Le premier est celui des propriétaires bailleurs. Le dispositif qui permet de contribuer aux travaux d'économie d'énergie en échange du conventionnement Anah est un bon dispositif, mais il serait beaucoup plus efficace s'il était plus contraignant. Les avancées législatives permettront sans doute qu'il le soit, mais je crains un angle mort. Je fais écho à un débat, qui, à l'époque, était vif, avec les organisations de protection de l'environnement, qui étaient très volontaristes sur l'éviction des passoires thermiques classées G de l'autorisation de location. Ce débat a été résolu, ces logements étant concernés par le décret relatif aux logements décents. Je me permets d'alerter votre commission d'enquête sur le risque que les logements qui ne peuvent plus être loués ne soient massivement rachetés par des gens qui auront les moyens d'investir pour y effectuer des travaux, donc pas forcément à un tarif très intéressant et avec une concentration du patrimoine locatif qui a déjà été très bien identifiée par l'Insee et qui, à mon avis, est un problème qui dépasse celui de la rénovation énergétique.
En matière de logement, une vision globale des enjeux, tenant compte du prix des loyers, du prix du foncier et de la consommation thermique des bâtiments, me paraît absolument nécessaire, puisque disposer d'un logement est un besoin fondamental de l'être humain : on a besoin d'un abri comme on a besoin de boire ou de manger. Je crois que l'intervention de la puissance publique, sur ces sujets, est absolument essentielle.
Je souhaite porter à votre réflexion un élément concernant les embardées diverses et variées et l'absence de constance. Je trouve très intéressant que vous vous demandiez pourquoi les objectifs annoncés ne sont pas atteints. En l'occurrence, les objectifs que j'avais annoncés quand j'étais ministre ne l'ont pas été parce que l'abondement qui avait été « promis » par le Premier ministre si le dispositif fonctionnait n'a pas été mis en oeuvre. Je pense que ces embardées sont aussi de nature à freiner durablement les initiatives. Monter un dossier est très complexe et demande beaucoup d'énergie, ce qui conduit à une perte en ligne considérable et, au fil des années, à un épuisement des acteurs. Je pense que c'est quelque chose de nouveau.
Je suis désormais convaincue qu'il est absolument nécessaire, pour s'attaquer à ce sujet, d'avoir un service public de la rénovation énergétique qui soit un guichet unique, s'agissant notamment des différents financements possibles par les collectivités locales, mais aussi - j'y tiens - qui soit capable de fournir une expertise honnête. En effet, l'absence d'objectivité sur la priorisation des travaux à effectuer dans un logement peut déboucher sur des aberrations et sur une dépense d'argent qui n'aura pas d'effet en matière d'économies d'énergie.
Si la suppression par le législateur de tout un tas de crédits d'impôt était positive, au sens où elle a permis d'éviter des abus, elle était aussi négative, parce que ces crédits pouvaient être parfaitement utiles.
La nécessité d'un diagnostic objectif et d'une priorisation des travaux doit être beaucoup plus partagée. Je vais lancer une pierre dans le jardin des écologistes : les discussions que j'ai eu l'occasion de mener avec certaines associations écologistes ont été difficiles, car elles considéraient qu'il n'y avait point de salut en dehors d'une rénovation globale aboutissant à un bâtiment basse consommation. Pour certaines, gagner quelques pas n'était pas suffisant, et le résultat ne comptait pas. Je l'entends bien sur un plan théorique. Il est vrai que certains travaux présentés comme relevant de la rénovation énergétique sont absurdes - j'ai mentionné, tout à l'heure, l'exemple du remplacement des fenêtres quand le toit n'est pas isolé. C'est la raison pour laquelle il me semble absolument décisif que le diagnostic énergétique préalable soit établi de manière objective, et non par celui qui a intérêt à réaliser les travaux.
Je fais le lien avec la loi Alur : beaucoup ont considéré que les diagnostics préalables aux ventes de logements étaient abusifs. Je pense, au contraire, qu'ils sont très utiles lorsqu'ils sont bien faits. Avant la loi Alur, des personnes qui venaient d'acquérir des biens se rendaient compte, quelques mois plus tard, qu'elles ne pouvaient pas payer le chauffage de leur habitation et se retrouvaient surendettées...
Ces dispositions font partie de mes fiertés. Je le dis de manière très modeste, parce qu'elles ne sont pas sorties de mon cerveau : elles ont été inspirées par les propositions d'un certain nombre de parlementaires, tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat.
Ce sont de bonnes avancées, mais il faut désormais faire un pas plus loin. De fait, sans le guichet unique, on ne parviendra pas à massifier les objectifs de rénovation thermique. Il faut également un élément de sécurisation financière. Je sais que les lois de programmation ne sont plus à la mode, sauf sur le sujet militaire, mais je pense que, si l'on veut lancer de grands travaux qui nous permettent à la fois d'assurer la transition énergétique, d'essayer de tenir notre stratégie nationale bas-carbone (SNBC), mais aussi de nous préparer à l'adaptation nécessaire pour tenir compte du changement climatique, il faut absolument une loi de programmation qui sécurise, pour l'ensemble des acteurs, comme pour les particuliers, une trajectoire dans la durée. Je suis absolument résolue sur ce point, parce que l'échec de ce qui a été annoncé par la ministre Cécile Duflot en 2013 est écrit dans une réponse à une question du Sénat, qui dit de manière très claire que les crédits de l'Anah ont été gelés au mois de juin de l'année 2014... Par conséquent, les objectifs qui avaient été affichés et même les dossiers qui existaient dans les tiroirs de l'Anah ne pouvaient être mis en oeuvre.
Cela semble complexe, mais c'est finalement assez simple. Comme toutes les politiques d'ampleur, je pense que la rénovation énergétique nécessite une organisation simplifiée et une visibilité dans la durée, de la même manière que, quand on investit dans un grand programme industriel, on élabore un scénario d'investissements sur plusieurs années. Étonnamment, l'État, qui a vocation à être pérenne, n'est pas capable de le faire. Je pense que c'est une faute, une erreur, et que ce n'est pas tellement le fait des ministres qui se sont succédé aux responsabilités.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Vous pensez que la volonté politique y était ?
Mme Cécile Duflot. - Tout le monde est d'accord sur la rénovation thermique des bâtiments ! Contrairement à l'encadrement des loyers, par exemple, cette politique ne fait pas débat.
Pourquoi ne parvient-on pas à mettre en oeuvre une politique qui met tout le monde d'accord ? Pour répondre à cette question, la création de votre commission d'enquête est intéressante. Pour ma part, j'estime que c'est parce que l'on ne tient pas sur l'argent dans la durée. Pour n'avoir travaillé que dans le secteur privé avant de devenir ministre, j'ai été très surprise de la vision court-termiste avec laquelle est piloté le budget d'un grand pays comme la France. Je dois le dire, mes discussions budgétaires avec les différents ministres du budget ont parfois été désespérantes, la « norme de dépenses » étant la chose la plus stupide que j'ai connue de toute ma vie. N'importe quel investisseur signe dans la seconde si vous lui prouvez qu'investir un euro peut rapporter 1,3 euro à l'échéance de cinq ans ! N'importe quel investisseur, sauf l'État...
Je le dis, les règles budgétaires telles qu'elles sont mises en oeuvre aujourd'hui dans la loi de finances me semblent, dans un certain nombre de cas, complètement absurdes et contre-productives, et le bilan que je tire de cette politique est finalement assez rageant - vous me permettrez de m'exprimer avec la franchise qui m'est coutumière, et que mon éloignement des cercles parlementaires a encore renforcée.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci pour ces premiers éléments.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Merci pour vos propos, qui brassent l'ensemble de notre sujet. Tout le monde s'accorde sur la nécessité et les objectifs de cette politique, mais, depuis dix ans, ces objectifs n'ont pas été atteints. Nous piétinons, alors que des actions s'empilent.
En 2012-2013, vous avez été la première à donner l'orientation de 500 000 logements rénovés, avec le projet de Points rénovation info service, sorte de porte d'entrée pour bénéficier d'ingénierie et d'accompagnement. Les premières lignes de cette politique publique étaient là dès 2012. Il y a le sujet financier, mais aussi des ajouts réalisés, créant une sorte d'usine à gaz : on a modifié les dispositifs à de multiples reprises, voulu s'appuyer sur les territoires, puis arrêté ces mesures... Le crédit d'impôt est devenu MaPrimeRénov'... Depuis 2013 jusqu'à aujourd'hui, comment percevez-vous ces changements ?
Vous avez réfléchi à un passeport de la rénovation thermique, initiative intéressante pour connaître les étapes à franchir jusqu'à obtenir un bâtiment basse consommation (BBC). Or ce dispositif a été perdu de vue ; MaPrimeRénov' ne finance qu'un élément, sans cohérence avec le reste... La loi Climat n'a pas repris l'idée de ce « carnet de santé » du bâtiment. Pourquoi ?
Nous avons reçu M. de Rugy et Mme Royal : quels liens doit-il y avoir entre le ministère de l'écologie et celui du logement ? Avez-vous rencontré des difficultés dans vos relations avec le ministre de l'écologie, notamment pour la résorption des passoires thermiques ? Ne pas louer des bâtiments classés G risque de réduire le nombre de logements sur le marché. Les orientations des deux ministères peuvent être contradictoires, avec des enjeux différents.
Mme Cécile Duflot. - Il y a un piège dans lequel sont obligés de tomber les ministres : faire des annonces. Il est quasiment impossible de continuer une politique initiée par d'autres, même si on l'approuve, surtout lorsque la majorité a changé.
Une loi de programmation permettrait d'établir une sorte d'accord général. La loi Alur avait été votée par de nombreux groupes politiques, y compris en dehors de la majorité. Il faut un vrai travail parlementaire sur ces questions, qui touchent tous les élus locaux, de manière transpartisane. Ces derniers le savent bien : la politique du logement ne se résout pas par des coups de menton.
Malgré les divergences sur certains sujets, on peut arriver à des consensus. L'idée d'une garantie universelle des loyers (GUL), abrogée par la loi Évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (Élan), m'a été donnée par Jean-Louis Borloo, car la garantie loyers impayés (GLI) et la garantie des risques locatifs (GRL) - devenue « garantie Visale » (Visa pour le logement et l'emploi) - ne fonctionnaient pas. C'était une idée réfléchie de mon prédécesseur ; je pense que l'on y reviendra. Mais on préfère changer de nom le dispositif et faire une grande annonce pour bénéficier d'une dépêche de l'Agence France-Presse (AFP)...
Certes, il peut y avoir des difficultés entre ministres pour savoir qui fera l'annonce, mais, pour ma part, je n'ai pas eu connaissance de problèmes. J'ai devant les yeux le premier bilan, conjoint, des ministres de l'écologie Philippe Martin et de l'environnement Cécile Duflot du 6 mars 2014, qui ne mentionne aucune tension : 27 000 projets ont été enregistrés par l'Anah au second semestre 2013, contre moins de 4 000 auparavant ; le rythme des rénovations a été multiplié par cinq, avec 1,2 milliard d'euros distribués ; un numéro de téléphone unique était dédié. Cela a bien fonctionné en raison d'un double portage politique au sein du Gouvernement.
Les grandes avancées des lois sur le logement ont eu lieu lorsqu'existait un ministre de plein exercice ayant l'oreille du Premier ministre ou un poids politique personnel, et jamais à d'autres moments.
La loi Alur a réglé des dispositions qui étaient en souffrance depuis vingt-cinq ans : ainsi, les droits de vote dans les copropriétés n'avaient jamais été à l'agenda du ministère de la justice, alors compétent sur ce sujet. Grâce à un accord politique avec Christiane Taubira, je m'en suis occupée, et cela s'est bien passé.
Je crois fondamentalement à la politique et à l'utilité des ministres lorsqu'ils ont une certaine autonomie, qu'ils ne sont pas seulement des porte-voix lisant des éléments de langage, et qu'ils ont un cabinet ministériel suffisamment robuste pour dépasser les habitudes de l'administration. Je suis profondément convaincue de l'efficacité de la politique. Il n'y a pas de contradiction à ce qu'il y ait deux ministères.
Depuis que l'énergie est intégrée au ministère de l'écologie, l'espace de travail de celui-ci est suffisamment vaste pour qu'il soit occupé par d'autres sujets. Avoir seulement un troupeau de secrétaires d'État dont les directeurs de cabinet sont membres de son propre cabinet n'est pas très utile. Mais, si les gens travaillent en bonne intelligence, c'est bien plus efficace. Mon expérience l'a montré. Je n'ai pas eu de difficultés à travailler avec Philippe Martin ni avec Delphine Batho, même si nous sommes toutes deux des personnalités assez fortes et autonomes. Lorsque vous passez des accords politiques avec des personnes solides, vos politiques publiques sont plus efficaces.
Tout cela explique la création de MaPrimeRénov'. Quand on réduit une politique, on essaie de la rhabiller : on a prétendument mis fin au guichet unique pour gagner en souplesse...
Dans l'histoire récente, nous avons eu, durant ces six mois, 1,2 milliard d'euros sur la table, un seul numéro de téléphone, un pilotage par l'Anah. Même si cela n'a pas duré longtemps - cela aurait peut-être pu se maintenir si j'étais restée plus longtemps en poste -, cela a marché. Voilà la bonne méthode.
Le passeport est la même chose que le fonds travaux. En matière de politique publique du logement ou de gestion des travaux, il faut prendre en compte le facteur temps : rien ne se fait instantanément. Alors que l'on peut changer les règles du chômage du jour au lendemain, pour rénover une copropriété, entre la première assemblée générale de copropriété et la fin des travaux s'écoule au minimum deux ans. Il faut un management du temps, et savoir gérer la durée. Peut-être pouvez-vous mettre en lumière ce point. Sans durée et sans constance, cette politique publique ne peut pas fonctionner. Lorsqu'elle est l'otage des annonces ou du rhabillage budgétaire, avec un nouveau nom et une microcampagne de publicité, cela ne peut pas marcher.
S'agissant des travaux uniques, j'entends le discours des écologistes sur la vision globale. C'est pour cela que nous avons eu l'idée de passeports, pour savoir par quoi commencer lorsque l'on ne peut pas tout rénover d'un coup - les fenêtres, le jour sous la porte... Il n'y a pas de règles, et il faut s'adapter à chaque bâtiment. Nous avons besoin de durée, de constance et d'expertise. Certains bâtiments doivent être isolés par l'extérieur, mais, pour d'autres, c'est absurde. L'isolation par l'intérieur peut réduire le nombre de mètres carrés, donc la valeur du patrimoine. Il faudrait peut-être pondérer cette valeur entre la qualité énergétique du bâtiment et le nombre de mètres carrés.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Quelle est la place des territoires dans l'accompagnement de ces politiques ?
Mme Cécile Duflot. - Chaque collectivité veut avoir sa politique. À l'époque, de nombreux écologistes étaient présents dans les conseils régionaux, et chacun avait inventé son dispositif. C'est légitime de vouloir le défendre, mais complexe à appréhender, puisque l'on ne peut pas faire une grande campagne nationale pour annoncer un montant de subvention précis pour des ménages en particulier. Il faut de la visibilité. Avoir un guichet unique avec des spécialistes sachant monter des dossiers de subvention multiples est important.
C'est bien qu'il y ait des initiatives locales, car les besoins de rénovation thermique sont évidemment différents entre Nice et Béthune, que ce soit pour l'humidité ou le confort l'été... Des règles univoques sur tout le territoire peuvent poser problème. Un service public de la rénovation pourrait s'appuyer sur des dispositifs existants.
La loi Alur a mis en oeuvre les observatoires des loyers, afin de comparer et piloter les politiques publiques, territoire par territoire, avec une même méthodologie. En 2012, nous n'avions aucune visibilité sur la réalité du prix du logement et des loyers selon les territoires - un problème pour définir une politique du logement ! Disposer d'une méthodologie commune s'appuyant sur les départements, les régions ou les métropoles, associant les associations de collectivités, suffisamment structurées, serait une bonne chose. La mise en cohérence des interventions des collectivités territoriales est très utile ; en Île-de-France, il n'est pas très compréhensible que l'on bénéficie d'aides différentes d'un trottoir d'une rue à un autre, au seul motif que l'on changerait de commune...
M. Franck Montaugé. - Vous avez évoqué votre relation de travail avec Philippe Martin. L'article 22 de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (TECV) de 2015 prévoyait des plateformes territoriales de rénovation énergétique, avec des artisans, sortes de guichets uniques, afin de rationaliser. Que pensez-vous de ces dispositifs mis en oeuvre après votre départ ? Dans votre poste, éventuellement avec le ministère de l'écologie, aviez-vous déjà conceptualisé ce dispositif opérationnel pour répondre aux demandes d'information et aider à mettre en oeuvre la rénovation énergétique ?
Mme Cécile Duflot. - Honnêtement, je ne peux dire ce qu'il en est aujourd'hui, car j'ai choisi de ne plus être investie sur ces sujets - pour un ancien ministre, cela permet de ne pas être aigri ni de se trouver en conflit d'intérêts... C'était la déclinaison opérationnelle des Points rénovation info service que nous avions mis en place avec Philippe Martin : nous avons créé 450 guichets uniques d'information en utilisant l'existant, comme les Points info énergie, et nous voulions passer à l'étape suivante de guichet unique de mise en oeuvre. C'est le bon chemin.
Il faut avoir non pas un modèle unique en préfecture, mais une méthodologie commune et un accès unique, comme le numéro Azur, que nous avions instauré : on pouvait appeler de n'importe où ; en fonction de votre adresse, on savait où vous renvoyer.
Je ne peux répondre précisément sur la mise en oeuvre, mais c'est cela qu'il faut faire, notamment avec les entreprises reconnues garantes de l'environnement (RGE), un pas intéressant pour créer une task force répondant aux défis énergétiques.
M. Franck Montaugé. - Selon la loi TECV, les collectivités territoriales étaient impliquées par les plateformes territoriales de rénovation énergétique (PTRE), qu'elles pouvaient déléguer par une délégation de service public (DSP), tandis que les régions, avec la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (Maptam), ont aussi été responsabilisées sur ce sujet. C'était un maquis fort complexe, avec une répartition entre collectivités qui interroge...
Mme Cécile Duflot. - C'est ce que je disais : chacun veut avoir sa propre politique, son dossier de subvention avec le nouveau logo qu'il a lui-même créé, pour que chacun sache que c'est telle région et le président Untel qui a donné tant ; le dossier de subvention précédent n'est plus recevable... Ce n'est pas possible ! On pourrait imaginer de prévoir un dossier avec tous les logos et une lettre avec les photos de tous les présidents de collectivité, car il est légitime de savoir quelle collectivité participe, mais cela doit être simple pour les utilisateurs...
Des progrès sont possibles : des situations ont été débloquées avec les copropriétés à Paris, pour un patrimoine ancien, dense, enclavé et complexe. Des évolutions législatives peuvent être réalisées sur les servitudes de cours communes et les autorisations des copropriétés voisines. Cela a avancé, mais vous risquez de vous heurter au droit constitutionnel de propriété.
Voilà la clef ; certains abandonnent des projets de rénovation énergétique faute de connaître toutes les possibilités de subventions. Le guichet unique est essentiel, d'autant plus que différents acteurs sont mobilisés.
M. Laurent Somon. - Il y a un risque d'éviction des passoires thermiques, remises à la vente et qui concentreraient les investisseurs. Ne s'oppose-t-il pas, avec la suppression de certains dispositifs fiscaux, comme le crédit d'impôt, à l'encadrement des loyers, qui n'incite pas les bailleurs à réaliser des travaux de rénovation thermique s'ils n'ont pas de retour sur investissement ?
J'entends qu'il faille un guichet unique, un diagnostic global, une loi de programmation. Pourquoi n'arrive-t-on pas à faire, sur le logement, une politique globale similaire à celle qui a été réalisée en matière de rénovation urbaine avec l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) ? S'il y a des incidences politiques ou personnelles, souvent, on décide de modifier la loi en raison des échecs des précédentes majorités.
Il en est de même pour les collectivités locales, qui, souvent, accompagnent les politiques étatiques lorsqu'elles sont insuffisantes. Désormais, la compétence logement est transférée aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Il faudrait trouver la trame la plus efficiente entre politique globale de l'État et efficience locale. Ne faudrait-il pas plutôt faire appel aux départements, qui soutiennent déjà les personnes en difficulté ? On pourrait, ainsi, trouver des solutions pour un meilleur logement et un meilleur cadre de vie.
Mme Cécile Duflot. - Votre commission d'enquête fera peut-être avancer les choses ! Le renchérissement du coût de l'énergie modifie les priorités. Je vous renvoie aux chiffres de mars 2014. Nous avons mobilisé 1,2 milliard d'euros, ce qui n'est pas énorme : c'est une politique accessible, qui est possible. C'est ainsi que je voyais les choses. Nous n'avons pas eu le temps de faire voter une loi de programmation, mais nous voulions rationaliser et fluidifier, afin que le demandeur ne remplisse qu'un dossier, et non 36, ensuite transmis à tous les acteurs.
Cela ne heurte pas la question de l'encadrement des loyers, car on peut avoir des loyers élevés et des charges très élevées. Comment financer la rénovation de ces logements ? Plutôt que de les vendre, il faut travailler avec les bailleurs.
Certes, en Île-de-France, la société d'économie mixte (SEM) est en voie de disparition. Mais on peut imaginer un portage financier pour réaliser ces travaux pour le compte de tiers. Par exemple, on pourrait rénover plusieurs logements simultanément. L'ouverture du prêt à taux zéro (PTZ) aux copropriétés en 2013-2014 fonctionne plutôt bien. Il permet d'éviter que chaque copropriétaire ne parte en chasse d'un PTZ.
Pour maintenir un parc accessible, mieux vaut financer ces travaux de rénovation plutôt que d'augmenter le prix des loyers. Depuis les années 1960, la part consacrée au logement dans les dépenses contraintes des ménages a énormément augmenté, notamment pour les plus précaires, mais aussi jusqu'au quatrième décile, à la différence des ménages les plus aisés. Cette part ne doit pas être augmentée.
Au travers de la loi Élan, une majorité différente de celle de François Hollande a restauré cette mesure, notamment pour les petits logements et les studios ayant vu leur loyer augmenter fortement, car les élus y vont vu une utilité.
Il est possible de poursuivre une politique du logement poursuivant ces deux objectifs simultanément. La puissance publique est légitime pour intervenir sur ce point et peut créer des outils.
On a confié à l'établissement public foncier d'Île-de-France (EPFIF) le portage pour gérer les copropriétés dégradées. Dans le sud-est de la France, le scénario noir prévu déjà il y a dix ans va se réaliser : nous aurons une nouvelle génération de copropriétés dégradées, avec des bâtiments des années 1970 et 1980 dont les propriétaires vieillissants ne peuvent assurer l'entretien. Beaucoup ont des ascenseurs nécessitant des coûts importants de rénovation.
Il faudra faire un Anru des copropriétés, de la même manière que pour le logement social. Il faut un outil solide. Ces copropriétaires privés n'ont pas les moyens de cet investissement ; si le risque et le coût sont mutualisés plus largement, c'est beaucoup plus simple.
Il existe de nombreux outils, comme les anciens dispositifs Pact (propagande et action contre les taudis), Arim (associations de restauration immobilière), qui pourraient être diversifiés, remusclés, mobilisés. Il faut avoir une politique globale et tenue dans la durée.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Quelle est la bonne répartition des compétences entre les collectivités ? Le logement ne relève plus de la compétence des départements, alors que le coeur de leur action reste le social. Cette organisation territoriale n'est-elle pas un frein supplémentaire ?
Mme Cécile Duflot. - Je suis très tentée de vous répondre sur l'organisation territoriale de la France, mais tel n'est pas l'objet de votre commission. Il faut faire avec le monde tel qu'il existe... Je suis peut-être la « réalo » de service, mais, si l'on attend d'avoir l'organisation territoriale parfaite avant de rénover, rendez-vous lorsque la température sera montée de 4 degrés... Il faut créer de la fluidité. Il faut à la fois fixer une orientation collective claire et laisser aux territoires la latitude de s'organiser dans un cadre défini.
Nous devons fixer des objectifs et savoir quel est le cadre global, puis laisser s'exprimer les initiatives locales. Dans certains territoires, on sait que telle ville s'oppose à sa métropole, alors qu'ailleurs le département fonctionne bien avec telle intercommunalité... Il faut s'adapter à la réalité des territoires, tout en donnant un cap et des moyens clairs.
Mme Sabine Drexler. - Comment doit être appréhendée l'isolation du patrimoine bâti non protégé comme les fermes, les maisons de bourg ou de village ? Actuellement, seuls les monuments historiques et les bâtiments protégés sont protégés dans les documents d'urbanisme et font l'objet d'un traitement spécifique.
Pour les autres, les calculs et les préconisations des diagnostics de performance énergétique restent identiques - ils valent pour une ferme de quatre cents ans et un bâtiment des années 1970 ! Cela conduit à des isolations inadaptées, avec des dégâts irréversibles : on a posé du polystyrène sur des maisons à pans de bois en Alsace. Ou alors on renonce à rénover, et les bâtiments sont abandonnés avant d'être détruits dans le cadre du zéro artificialisation nette (ZAN).
Mme Cécile Duflot. - Je vais me faire de nombreux ennemis... J'ai énormément de goût pour le patrimoine bâti de la France, du fait de sa diversité et de son histoire, mais je suis aussi une écologiste convaincue de la nécessité de diminuer les émissions et d'isoler les bâtiments.
J'ai vu, dans certains cas, des architectes des Bâtiments de France très rétifs, voire fâchés. Résultat, à la fin, on ne fait plus rien, et on laisse les bâtiments s'écrouler. Ce n'est pas tout noir ou tout blanc, mais gris clair ou gris foncé. Sans aller au BBC pour certains bâtiments, on peut faire beaucoup mieux. Il y a une question de formation et de savoir-faire des architectes - certes, la culture change avec les jeunes générations. En France, on aime beaucoup le geste architectural. Les architectes voulaient faire du neuf et publier dans une revue pour exister, tandis que le travail de rénovation et de réhabilitation était délaissé et très méprisé. Restaurer une ferme du XVIIe siècle en laissant respirer les murs semblait moins intéressant.
Justement, nous devons pouvoir parfois isoler par l'extérieur. Il y a plein d'endroits où les bâtiments sont bardés, et ils ont souvent évolué dans le temps. Il faut faire avec professionnalisme. Le rôle et la responsabilisation des architectes sont intéressants. On pense souvent que l'on pourrait passer directement du diagnostic aux travaux, avec des matériaux existants et en lien avec les entreprises. Mais, dans certains cas, le recours aux architectes peut être très utile.
Les parcs naturels régionaux ont beaucoup travaillé sur des guides de rénovation, de même que les conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE). Nous avons une richesse d'informations et les professionnels compétents.
On pourrait organiser de façon plus fluide la mise en oeuvre du financement, et dire que, dans telle région, il est mieux de faire comme ceci pour les bâtiments en brique, et comme cela pour les pans de bois... Mais, actuellement, cela n'existe pas, alors que les compétences techniques existent, sans être mises en oeuvre. De nombreuses solutions sont possibles. Certes, parfois, ce ne sera pas très satisfaisant. Garder certaines formes de fenêtres anciennes, à baïonnette, sera plus compliqué, mais on peut vouloir les garder tout en isolant mieux les combles...
Dans l'histoire de France, il y a eu de nombreux moments où des architectes de l'État ont eu une grande inflexion : cela a abouti aux cités, à des zones d'urbanisation prioritaire, avec plus ou moins de bonheur, mais aussi à de grandes réflexions nationales sur ces sujets.
Il faudrait une grande réflexion sur le patrimoine et la rénovation thermique, avec de vrais spécialistes, des exemples étrangers, et sans crispation des uns ou des autres contre des écologistes qui voudraient rénover avec un bardage uniforme, des fenêtres moches et qui détestent le patrimoine, ou, au contraire, contre les défenseurs du patrimoine qui refusent le moindre panneau solaire en raison d'un demi-huitième de co-visibilité avec l'église Saint-Ambroise, sympathique mais datant du XIXe siècle et dont l'intérêt patrimonial est limité, d'autant que le toit est à moins de 500 mètres, mais dans l'autre sens... On peut trouver des terrains d'entente. Je vais me fâcher avec tout le monde, mais je suis une écologiste attachée au patrimoine architectural, notamment au petit patrimoine non protégé - il ne va rien arriver au grand patrimoine protégé, comme le château de Versailles ou le Sénat... Par exemple, il faut conserver certaines façades de rue à Dieppe, qui reflètent l'histoire, et sur lesquelles il faut travailler intelligemment. On ne pourra pas demander aux propriétaires, voire aux copropriétaires, de tout financer.
Nous n'avons pas non plus des milliers de différences patrimoniales en France : on pourrait créer un guide de bonnes pratiques utiles pour les professionnels, qui pourrait être intégré dans le dispositif RGE. Au-delà des savoir-faire techniques, sur la manière de poser une fenêtre, on pourrait y ajouter des éléments relatifs aux différents patrimoines architecturaux du pays.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Vous-même, vous ne vous êtes pas attelée à régler ce sujet lorsque vous étiez ministre. Mais vous aviez d'autres priorités...
Mme Cécile Duflot. - La supervision des architectes est historiquement confiée au ministère de la culture. Une cotutelle pourrait être vraiment utile. Il faut remettre de l'architecture et de la pensée architecturale dans la politique du logement, et valoriser de jeunes architectes voulant rénover des bâtiments en brique de la fin du XIXe siècle.
Mme Amel Gacquerre. - Oui, il faut une approche globale en matière de logement et poser sur la table tous les dispositifs. Mais il y a, parfois, des effets pervers. Ainsi, l'obligation de ne plus mettre de passoires thermiques sur le marché à partir de 2025 va restreindre le nombre de logements disponibles sur le marché locatif. Compte tenu des conséquences, ne faut-il pas revoir l'échéancier ?
La limite n'est pas seulement économique ou financière : elle se pose en termes de matériaux et de main-d'oeuvre.
Vous avez quitté la sphère politique, mais vous tenez un discours encore très engagé. Demain, si l'on vous redonnait ce ministère, quel budget demanderiez-vous, et quels seraient vos objectifs ?
Mme Cécile Duflot. - Le risque d'éviction est réel, mais je pense qu'il existe aujourd'hui au profit du logement de type Airbnb.
Je rappelle que plus de 80 % des logements dans lesquels nous vivrons en 2050 sont déjà construits. Les logements ont cette particularité de ne pouvoir être délocalisés, même lorsqu'ils subissent l'encadrement des loyers, et de ne pas se construire par génération spontanée. Il faut donc faire avec le patrimoine tel qu'il existe. La question est de savoir ce que l'on en fait.
Je me souviens avoir eu des discussions avec la Fondation Abbé Pierre à ce sujet : tout le monde est résolu au fait qu'il faut rénover ces bâtiments, c'est-à-dire les sortir de la précarité énergétique. Cette solution peut passer par des particuliers, qui achètent moins cher, le coût de la rénovation étant, d'une certaine manière, internalisé.
Sur la question des techniques, ne voyant pas à quoi vous faites référence, je ne peux vous répondre.
Quant au programme général qui serait le mien en tant que néo-ministre du logement, je vous avoue que, étant venue pour rendre des comptes sur ce que j'ai fait il y a dix ans, je ne me suis pas tout à fait préparée à cette question... Quoi qu'il en soit, il est certain qu'il y a des choses que je ferais différemment.
À l'époque, grâce au numéro de téléphone unique, les usagers étaient dirigés vers les bonnes personnes, qui pouvaient leur dire ce à quoi ils avaient droit compte tenu de leur situation financière. Nous avions bien fait, et cela ne nécessitait pas un génie politique particulier ! Il s'agissait juste de se mettre à la place des gens et de constater pourquoi cela ne marchait pas.
J'en viens à la question des moyens : je pense à quelques milliards d'euros. En Allemagne, pour faire baisser le prix du carburant, on a dépensé 100 milliards d'euros l'année dernière. Au reste, l'expérience gouvernementale m'a appris que, dans ce pays, il est plus facile de mobiliser quelques milliards que quelques millions d'euros ! Il y avait 500 millions d'euros dans le programme Investissements d'avenir. On a trouvé des milliards tout à coup... Par ailleurs, c'est de l'argent qui rapporte à l'État : ce n'est pas un don, c'est un investissement, et je ne parle même pas des coûts induits considérables que va provoquer le changement climatique.
Quant à mon engagement, je vous remercie de le saluer, et puis vous assurer qu'il ne faiblira pas.
M. Michel Dagbert. - Merci, madame. J'avais gardé en mémoire la liberté de ton qui est la vôtre.
Je souscris pleinement à ce qu'a dit mon collègue Laurent Somon sur les compétences, notamment au niveau départemental : la part des politiques sociales étant prégnante dans l'activité des départements, il ne me semblait pas absurde que ces derniers puissent conserver cette compétence en matière de logement.
Il existe d'ores et déjà un outil, qui s'appelle la conférence territoriale de l'action publique. Je pense que c'est en son sein que les arbitrages doivent être rendus et que l'on doit faire en sorte que les politiques soient lisibles et accessibles pour le citoyen. À cet égard, il me semble qu'il faut vraiment revenir au numéro unique.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci beaucoup. Vous nous avez dressé un bilan très intéressant et esquissé des pistes de réflexion qui me semblent mériter d'être creusées.
Nous rendrons nos travaux vers la fin juin.
Mme Cécile Duflot. - Merci beaucoup. Je lirai avec intérêt vos travaux, et je vous applaudirai le jour où vous voterez une grande loi de programmation.
Le sujet est absolument essentiel. Je le redis devant vous : s'il faut établir des priorités, il convient de cibler les trois sources d'émissions de gaz à effet de serre que sont le bâtiment, l'agriculture et les transports.
Audition de
Mme Sylvia Pinel,
ancienne ministre du logement, de
l'égalité des territoires et de la
ruralité
(Lundi 13 février 2023)
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous poursuivons notre séquence d'auditions d'anciens ministres du logement avec Madame Sylvia Pinel.
Madame la ministre, vous avez succédé à Madame Duflot, que nous venons tout juste d'auditionner, en avril 2014. Vous avez occupé ce poste jusqu'en février 2016, date à laquelle vous avez retrouvé votre mandat de députée du Tarn-et-Garonne, avant d'être réélue en 2017. Vous avez exercé votre mandat de député jusqu'en 2022. Je précise que c'est aujourd'hui en votre qualité d'ancienne ministre que nous vous recevons.
Votre expérience gouvernementale a notamment été marquée par la préparation et le vote d'un dispositif auquel votre nom reste associé, le dispositif Pinel relatif à l'investissement locatif.
Ce n'est pas sur ce sujet que nous vous questionnerons aujourd'hui, mais sur celui de la rénovation énergétique des bâtiments.
Votre passage au ministère a notamment été marqué par la préparation et le vote de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte du 17 août 2015 qui a fixé un certain nombre d'objectifs importants - on peut par exemple citer la cible de 500 000 rénovations de logements par an ou encore la suppression des passoires thermiques avant 2025 - et de leviers pour inciter à la rénovation - je pense notamment à la mise en place du crédit d'impôt transition énergétique (CITE).
Notre commission souhaiterait savoir le bilan que vous tirez de votre passage au Gouvernement. Quels sont, en matière de rénovation énergétique, vos principaux motifs de satisfaction et quels sont au contraire vos regrets, les sujets sur lesquels vous auriez souhaité aller plus loin ? Dans ce cas, quels ont été les obstacles que vous avez rencontrés ? Quels verrous avez-vous identifiés ?
Est-ce qu'être un ministre de plein exercice a été un atout ou a présenté des difficultés pour la coordination avec la ministre chargée de l'écologie et de l'énergie ?
Je voudrais également vous inviter à nous donner votre analyse des raisons pour lesquelles les objectifs visés ne sont pas atteints. Quels jugements portez-vous sur la politique menée en matière de rénovation depuis votre départ du Gouvernement ? La rénovation énergétique bute-t-elle sur des questions de financement, de réglementation, de méthode, d'inconstance ou sur une prise de conscience insuffisante des enjeux ?
Avant de vous laisser la parole pour un propos introductif d'une quinzaine de minutes, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'elle fera l'objet d'un compte rendu publié.
Je rappelle en outre qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amende.
Avant de vous céder la parole, je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Sylvia Pinel prête serment.
Mme Sylvia Pinel, ancienne ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité. - Votre commission revêt à mes yeux une importance particulière, car lorsque l'on évoque la question du logement, on l'aborde tantôt sous le prisme de la construction, tantôt sous celui de la rénovation, mais il est rare que l'on examine ensemble ces deux aspects pourtant complémentaires Il ne faut pas en effet opposer ces deux dimensions. Lorsque je suis arrivée au ministère du logement en avril 2014, j'ai ainsi souhaité mener une action globale, avec le plan de relance pour le logement qui a d'abord été présenté en juin, puis complété en août 2014 : l'ambition était de traiter la question de la construction, sans oublier la rénovation. Pour résoudre la crise du logement, il faut agir sur ces deux leviers en même temps. Un ministre doit avoir une vision globale de toute la filière et ne pas opposer les acteurs les uns aux autres.
Je ne m'attarderai pas sur la construction aujourd'hui, mais cet aspect est important pour fluidifier les parcours résidentiels : lorsque l'on procède à la rénovation d'une copropriété dégradée par exemple, il convient d'avoir anticipé la question du relogement.
Le plan de relance avait deux priorités : soutenir la construction - je n'y reviens pas - et développer la rénovation thermique et énergétique. Ce plan a permis de donner une impulsion politique forte.
Un premier axe concernait le parc HLM. Nous avons mobilisé avec la Caisse des dépôts et consignations (CDC) plusieurs outils : le prêt à l'amélioration de l'habitat, l'éco-prêt logement social (éco-PLS) destiné à la rénovation thermique du parc de logements sociaux, et le prêt « anti-amiante » pour financer les surcoûts liés à la présence d'amiante en cas de rénovation globale. Un dispositif de mutualisation financière des ressources des bailleurs sociaux a permis de débloquer 750 millions en trois ans pour rénover le parc social.
Notre action s'est aussi dirigée vers le parc privé. Nous avons pris des mesures pour mieux informer et accompagner les ménages désireux de faire des travaux d'économies d'énergie dans leurs logements : le crédit d'impôt transition énergétique permettait de financer les travaux, à hauteur de 30 %, sans les conditionner à la mise en oeuvre d'un plan global de rénovation - cela représentait 1 400 euros par bénéficiaire en moyenne.
Nous avons aussi renforcé le programme « Habiter mieux » de l'Agence nationale de l'habitat (Anah) : les aides ont été augmentées et le champ des bénéficiaires potentiels élargi pour concerner 45 % des propriétaires occupants d'un logement de plus de 15 ans. Le programme « Habiter mieux » avait pour objectif de rénover plus de 50 000 logements par an. Finalement, le nombre de rénovations de logements financés par l'Anah, a été multiplié par 4 par rapport à 2012.
Les ressources de l'Anah ont été augmentées afin de lui permettre de rénover plus de 45 000 logements en 2015. Le fonds d'aide à la rénovation thermique avait été renforcé. De même, 250 millions d'euros ont été mobilisés annuellement dans le cadre du programme « Habiter mieux » à cette fin.
De telles mesures n'ont pas eu d'effets immédiats. Les services de l'Anah n'étaient pas préparés à traiter autant de demandes. Mais cette politique a voulu s'inscrire dans la durée. C'est un point essentiel : pour être efficaces, les dispositifs doivent s'inscrire dans le temps long afin de rassurer les ménages et donner de la prévisibilité aux entreprises. L'octroi du CITE ou de l'éco-prêt à taux zéro (PTZ), dont nous avions d'ailleurs simplifié les modalités, étaient soumis à un critère d'éco-conditionnalité : les travaux devaient être réalisés par des entreprises certifiées RGE (Reconnu garant de l'environnement). Il a donc fallu faire monter en gamme les compétences de notre tissu d'artisans et de PME pour les préparer à faire face au nombre de demandes de rénovations. Or cette montée en compétence de la filière a été lente, en dépit de la présence des financements, et cela a été source de retards.
J'avais aussi souhaité conditionner l'octroi du prêt à taux zéro dans l'ancien à la réalisation de travaux d'amélioration, qui devaient représenter au moins 25 % du coût total de l'opération à financer. Élue locale, je constatais que nos coeurs de ville ou de village abritaient des logements vacants qui nécessitaient des travaux, mais que les primo-accédants préféraient construire un logement neuf, pour bénéficier d'aides qui n'existaient pas dans l'ancien. Ce prêt à taux zéro a initialement été réservé à 6 000 communes, mais cela manquait de clarté et visibilité : pourquoi telle commune et pas telle autre, en effet ? C'est pourquoi j'ai décidé de généraliser le dispositif à tout l'ancien ; celui-ci a facilité la primo-accession dans l'ancien ; ce prêt pouvait être couplé à d'autres aides. L'effet a été positif dans de nombreuses communes et l'artificialisation des sols en périphérie a aussi été réduite.
Pour les copropriétés fragiles, problème qui reste encore d'actualité, nous avons adopté un plan triennal avec l'Anah. La difficulté est que l'enjeu va au-delà parfois de la rénovation énergétique ; il s'agit souvent d'habitats insalubres. Nous avons ainsi mobilisé 60 millions pour accompagner les collectivités territoriales dans le traitement de ces copropriétés, et nous avons créé les opérations de requalification des copropriétés dégradées (ORCoD). La première a eu lieu à Clichy-sous-Bois. Nous souhaitions mener une action globale en mobilisant tous les partenaires.
Pour répondre à votre question sur les obstacles que nous avons rencontrés, je dirai que, si le plan de relance de la construction a fonctionné, c'est parce qu'il a été élaboré en concertation avec tous les acteurs de la filière et avec les collectivités territoriales, dans une logique de partenariat. En termes de méthode, si l'on veut réussir, il est indispensable de parvenir à entraîner toute la chaîne, des propriétaires aux professionnels en passant par les collectivités territoriales, tout en renforçant l'ingénierie. Les copropriétés dégradées restent un problème. Il convient de s'interroger sur le modèle économique. Les opérations de rénovation ont un coût et n'aboutissent pas toujours à une hausse des loyers. Il faut donc définir un modèle financier permettant d'équilibrer ces chantiers. Votre commission pourrait peut-être formuler des propositions à cet égard.
En ce qui concerne l'amélioration de la performance énergétique, il est aussi important de développer l'innovation dans la filière du bâtiment. C'est pourquoi j'ai lancé un plan de transition numérique dans le bâtiment, un plan de recherche sur l'amiante, et un programme d'action pour la qualité de la construction et la transition énergétique, qui comportait notamment un partage de bonnes pratiques et la publication de guides à destination des professionnels, afin de promouvoir l'utilisation de matériaux à faible empreinte carbone. Nous avions aussi lancé un plan bois construction. Nous avons mené également des programmes innovants avec les collectivités territoriales. L'expérimentation concernant la revitalisation des centres-bourgs visait à rénover le bâti ancien en lien avec l'Anah. Le programme « Ville de demain » dans le cadre du programme d'investissements d'avenir (PIA) visait à développer les écoquartiers, et les écocités, en lien avec les métropoles, afin de trouver un modèle de gestion innovante des ressources et des services. Nous avions aussi lancé un appel à projets « Démonstrateurs industriels de la ville durable » afin de promouvoir toutes les innovations urbaines. Cet effort de recherche sur la ville durable et les matériaux biosourcés me semble moins prégnant ces dernières années. C'est dommage.
Le fait d'être un ministère de plein exercice constitue un atout pour peser dans les arbitrages ministériels. Le ministre peut ainsi défendre ses vues plus facilement que s'il était ministre délégué rattaché au ministère de l'environnement, comme c'est le cas aujourd'hui, et avoir un lien direct avec les filières, ce qui permet de porter la parole des professionnels comme des collectivités. N'oublions pas que le ministère du logement est avant tout le ministère du quotidien. On connaît l'importance du logement et de l'énergie dans le budget des ménages.
Enfin, s'agissant des freins que j'identifie, il faut s'interroger sur la méthode - je plaide pour une approche partenariale -, sur le modèle économique, notamment pour les copropriétés dégradées, et sur le reste à charge : il est en effet plus difficile de se loger pour une personne seule ou une famille monoparentale ; or on sait que la décohabitation se développe et que les familles monoparentales se multiplient. L'empilement des aides n'incite pas à procéder à des travaux de rénovation énergétique ; il conviendrait de simplifier. Toutefois, même si on a essayé de recentrer sur les aides sur les personnes plus fragiles, le reste à charge reste trop élevé et cela constitue un frein à la rénovation des logements.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Vous avez été ministre du logement entre avril 2014 et février 2016. Vous avez participé à l'élaboration de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte. L'organisation ministérielle et la répartition des compétences entre ministères a-t-elle contribué à réduire l'ambition du texte ? En particulier, comment le travail s'est-il organisé avec la ministre chargée du texte, Mme Ségolène Royal, alors ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie ? Avez-vous eu des divergences de points de vue ?
Cécile Duflot, que nous venons d'auditionner, plaide pour un point d'entrée du dispositif identifiable, avec un numéro d'appel unique, ce qui permet ensuite d'accompagner les personnes intéressées. Ce serait un gage de réussite, dès lors que le financement est à la hauteur.
Plusieurs lois ambitieuses se sont succédé depuis plusieurs années, mais on constate que tous les objectifs n'ont pas été atteints et que l'on cherche encore la bonne méthode. Comment analyser cet échec ? Cécile Duflot appelle de ses voeux une loi de programmation permettant de donner de la visibilité à long terme. Que pensez-vous d'un service public de la rénovation, afin de fluidifier les politiques et d'aider les territoires tout en conservant une cohérence à l'échelle nationale ?
La loi de 2015 avait comme objectif la mise aux normes « Bâtiment basse consommation » (BBC) de tous les logements avant 2050. Nous en sommes loin. Comment expliquer cet échec ? Même lorsque des rénovations sont menées, leur qualité n'est pas toujours optimale. Le rapport de la Cour des comptes montre la faiblesse en matière de rénovation globale. Quels sont les verrous à la réussite des politiques de rénovation globale ? Quel est enfin votre avis sur le dispositif MaPrimeRénov' qui a remplacé le CITE ?
Mme Sylvia Pinel. - Ségolène Royal a dû vous l'indiquer lors de son audition, c'est elle qui a piloté le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte. En effet, c'est elle qui était chargée de l'environnement.
Les mesures envisagées ont évidemment donné lieu, comme toujours, à des discussions interministérielles, mais, en la matière, nous nous posions les mêmes questions. Nous avions toutes deux la volonté d'accélérer en trouvant des outils simples, lisibles et donc efficaces, qu'il s'agisse de leurs effets concrets sur la rénovation énergétique ou de leur coût sur les finances publiques : quand on est aux responsabilités, on évalue toujours l'efficacité d'un dispositif en comparant ses avantages et ses coûts.
Selon moi, les freins constatés à l'origine n'étaient pas de nature budgétaire ; tel peut être le cas pour d'autres dispositifs en matière de logement et, aujourd'hui, il en est peut-être autrement.
Pour créer le CITE, il a d'abord fallu gagner l'arbitrage face à Bercy. Vous le savez : par principe, le ministère de l'économie et des finances n'aime pas trop les crédits d'impôt. Ces derniers ont l'avantage de toucher tout le monde : on peut en bénéficier, que l'on soit contribuable ou pas. En contrepartie, les chiffrages sont difficiles à établir, ce qui exige une certaine prudence.
Ségolène Royal et moi-même avons plaidé avec force en faveur de cette mesure, parce qu'elle était visible et claire et parce que son impact était certain : elle permettait de donner tout de suite un volume d'activité à la filière du bâtiment, qui, à cette époque-là, connaissait des difficultés économiques et sociales assez importantes.
Les arbitrages ont permis de créer ce crédit d'impôt tout en simplifiant l'éco-PTZ. Grâce à cet outil, il était possible de réaliser ses travaux sans acquitter d'intérêts : c'était un autre moyen de réduire le reste à charge. Certes, il y a quelques années, les taux d'intérêt étaient relativement bas ; mais, dès qu'ils remontent, l'éco-PTZ démontre toute son utilité.
Bien sûr, il peut être intéressant de fixer des objectifs de rénovation quantitatifs et qualitatifs dans le cadre d'un projet de loi de programmation, avec les objectifs budgétaires correspondants. Mais une nouvelle majorité peut toujours détricoter les lois de programmation antérieures ; rien ne l'empêche de revenir en arrière. En fixant un cadre, une loi de programmation peut donner de la visibilité et de la prévisibilité ; en cela, j'y suis assez favorable. Il n'empêche qu'il faut faire preuve de la plus grande prudence quand on touche aux mécanismes qui fonctionnent et se méfier des coups de balancier législatifs.
MaPrimeRénov' traduit une idée intéressante, mais je constate que ce dispositif n'est pas simple. J'ai été députée jusqu'en 2022 : j'ai vu beaucoup de personnes frapper à la porte de ma permanence pour me faire part de leurs difficultés à cet égard, qu'il s'agisse de la complexité des dossiers ou des délais de versement de la prime. Pour ma part, au cours de mon parcours ministériel, j'ai toujours privilégié les mesures pragmatiques et simples dont le but premier était l'efficacité.
Vous constatez que les rénovations globales sont difficilement menées à bien. Selon moi, le blocage ne vient pas des propriétaires privés. On ne peut pas dire que les particuliers n'ont pas envie de faire ces travaux : aujourd'hui, tout le monde a pris conscience de l'urgence. Le sujet, c'est le reste à charge et la solvabilité.
Dans le secteur du logement, l'accompagnement a été beaucoup recentré. Dans certains secteurs, il a même été très réduit. En résultent in fine des charges supplémentaires pour ménages. L'enjeu est donc bien de trouver de nouveaux moyens d'accompagnement, peut-être en adaptant certains dispositifs, pour atteindre un reste à charge beaucoup plus faible.
Avec l'augmentation actuelle du coût des matières premières, la courbe risque de continuer à chuter assez fortement. J'y insiste, nous devons aller vers une rénovation performante en trouvant des outils permettant de traiter la question du reste à charge. Avec l'éco-PTZ simplifié, le CITE et les aides de l'Anah pour les propriétaires les plus modestes, nous garantissions un échéancier de travaux plus clair et une programmation plus efficiente.
Vous évoquez la cohérence des différentes actions menées à l'échelle nationale. À mon sens, l'empilement des dispositifs rend une simplification nécessaire. Les collectivités territoriales apportent leur concours pour accompagner les ménages dans tel ou tel domaine, notamment la rénovation thermique des logements, et c'est très bien ; mais, de son côté, l'État propose ses propres aides et finalement on s'y perd un peu.
À ce titre, l'idée initiale, c'étaient les plateformes et les guichets uniques, qui ont tout leur intérêt pour accélérer l'effort de rénovation et, ainsi, nous permettre d'atteindre nos objectifs de lutte contre le réchauffement climatique. On sait ce que représente l'isolation des bâtiments dans la réduction des gaz à effet de serre : dès lors, il faut s'efforcer d'identifier et de lever les freins et les verrous constatés dans ce domaine.
En ce sens, il faut effectivement assurer un accompagnement individuel ; mais, pour moi, compte tenu du volume de logements considérés, les copropriétés restent le vrai sujet. Il sera toujours plus simple d'accompagner un propriétaire occupant ou un propriétaire bailleur possédant quelques logements que de trouver les outils adaptés aux copropriétés, d'autant que ces dernières exigent des moyens financiers considérables. Il s'agit d'un travail de grande ampleur.
M. Laurent Somon. - Quel bilan tirez-vous du dispositif d'investissement locatif qui porte votre nom, qu'il s'agisse de la rénovation ou de la construction neuve ? N'a-t-il pas été davantage utilisé pour la seconde que pour la première ?
Mme Sylvia Pinel. - Le dispositif dit « Pinel » était clairement fléché vers le neuf, même s'il pouvait financer des rénovations complètes.
Pour ce qui concerne le logement neuf - j'y insiste -, j'ai déployé d'autres mesures : prêt à taux zéro, soutien au logement social, simplification des normes, mobilisation du foncier public et privé, etc.
Pour ce qui concerne la rénovation, je vous renvoie aux dispositions que je vous ai présentées, qu'il s'agisse du logement social ou du logement privé, et notamment au programme « Habiter mieux », levier direct du ministère du logement. Le CITE et l'éco-PTZ, quant à eux, étaient copilotés par le ministère de l'environnement et par le ministère du logement.
J'ai voulu un plan ambitieux pour la construction neuve et la rénovation, conformément à la volonté du Gouvernement et à ma propre philosophie : ne pas délaisser un secteur par rapport à l'autre. On voyait le nombre de demandes de logement social exploser ; dans les zones détendues, on voyait de plus en plus de personnes qui, faute d'outils adaptés, ne pouvaient pas devenir propriétaires ; en parallèle, un certain nombre de propriétaires occupants modestes ne pouvaient pas rénover leur logement. Je n'ai pas voulu être davantage la ministre de la construction ou la ministre de la rénovation : j'ai voulu être les deux à la fois en actionnant tous les leviers à ma disposition. Certes, les volumes budgétaires n'ont pas forcément été les mêmes sur les deux volets, mais le volontarisme était là.
C'est tout l'intérêt, pour le logement, de disposer d'un ministère de plein exercice. Ce choix permet de défendre une vision politique et volontariste pour l'ensemble du secteur au lieu d'opposer les uns aux autres.
La rénovation et la construction neuve sont bel et bien complémentaires. Pensez par exemple aux matériaux biosourcés ou aux différents moyens d'accroître la sobriété foncière : souvent, les innovations développées pour le logement neuf serviront ensuite à la rénovation énergétique des bâtiments.
M. Laurent Somon. - Certes, mais, comme dit l'adage, « qui trop embrasse mal étreint » : ne vaudrait-il pas mieux raisonner par secteur en fixant des objectifs plus ambitieux pour la réhabilitation et la rénovation que pour la construction neuve ?
Mme Sylvia Pinel. - Je n'oppose pas rénovation et construction.
On entendait déjà cette petite musique quand j'étais membre du Gouvernement : « Il faudrait moins construire ; on pourrait même se passer de la construction. » Je crois au contraire qu'il faut réhabiliter l'acte de construire. On en a besoin aussi.
Les professionnels nous le rappellent souvent : même après une rénovation lourde, une ancienne passoire énergétique reste en deçà des standards actuels de la construction neuve. C'est pourquoi le cas des logements classés F ou G est difficile à traiter : même avec des travaux de grande ampleur, par définition coûteux, ces logements n'atteindront pas les classes A ou B. C'est aussi pour cela que je rappelais l'importance de l'innovation dans ce modèle économique.
Pour que le secteur fonctionne, on a bien sûr besoin de rénovations. Cela étant, j'observe que ces dernières s'apparentent parfois à une restructuration profonde, notamment dans certaines copropriétés dégradées, et que les outils des uns servent aux autres.
Si mon action en faveur de la construction a paru plus visible, c'est parce que, lors de mon entrée au Gouvernement, les chiffres de la construction étaient particulièrement faibles. À cet égard, on retient de moi un certain nombre de dispositifs compte tenu de leurs effets. Ils sont peut-être plus connus et l'on m'a peut-être plus entendue à leur sujet ; mais je n'avais pas pour autant délaissé l'autre champ.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - J'abonde dans votre sens : si la rénovation énergétique doit être une priorité nationale, il faut continuer de construire, car, à l'évidence, notre pays n'a pas suffisamment de logements.
Les certificats d'économie d'énergie (CEE) ont été particulièrement critiqués au motif qu'ils donnaient lieu à des effets d'aubaine et, surtout, à des fraudes et à des captations. Selon vous, ces effets pervers pouvaient-ils être anticipés ?
Mme Sylvia Pinel. - Tout dispositif finit par présenter des biais et par être contourné, comme le dispositif d'investissement locatif évoqué à l'instant. À ce titre, on m'a signalé un certain nombre de détournements que je n'avais évidemment pas envisagés lors de son élaboration.
Pour ce qui concerne les CEE, les fraudes ont été démontrées. On ne peut pas les contester. L'objectif était qu'un grand nombre d'artisans s'approprient cet outil ; c'était une question d'efficacité. Ensuite, compte tenu des fraudes constatées, il a sûrement été nécessaire de l'adapter et de le corriger.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - On a certes besoin de constructions neuves, mais encore faut-il garantir la qualité des constructions ; ce n'est pas toujours le cas aujourd'hui et, dans les années à venir, nous serons confrontés à de nouveaux problèmes de rénovation, d'où la nécessité de redoubler d'exigence.
Pouvez-vous revenir sur la certification RGE mise en place en 2011 ? N'aurait-il pas fallu assortir cette labellisation d'un contrôle a posteriori, choix retenu par d'autres pays ?
Mme Sylvia Pinel. - Le label RGE est monté en puissance à un rythme pour le moins modéré, pour ne pas dire très lentement. Le mouvement s'est intensifié lorsqu'est apparue l'écoconditionnalité ; j'ajoute que nous avions mené un travail très soutenu avec la Confédération de l'artisanat et de petites entreprises du bâtiment (Capeb), ainsi qu'avec la Fédération française du bâtiment (FFB), pour étendre le label à un plus grand nombre d'artisans et de très petites entreprises (TPE).
Outre la simplification de l'éco-PTZ et la mobilisation des sociétés du tiers financement, le recours au tiers certificateur a été envisagé.
Tous les modèles ne se valent pas. Certes, seule une minorité d'artisans ont suivi les formations proposées ; mais les mesures déployées parallèlement à la certification, notamment le programme d'action pour la qualité de la construction et la transition énergétique (Pacte), que j'évoquais, et le plan numérique, nous ont permis de mobiliser la filière. J'avais également engagé un tour de France de la construction et de la rénovation pour présenter les dispositifs existants dans toutes les régions du pays. À mon sens - je le répète -, la question n'était pas purement budgétaire ; nous étions aussi face à un problème de connaissance et d'appropriation des dispositifs de la part de tous les acteurs.
Si, dans une certaine mesure, le label RGE se révèle être un frein, d'autres solutions peuvent être mobilisées, mais il faut faire attention au montant des travaux : le coût de l'intervention d'un tiers certificateur peut être assez dissuasif, d'autant plus si le montant du crédit d'impôt ou de MaPrimeRénov' est assez faible.
Voilà pourquoi nous avons opté pour le label RGE, assorti de l'écoconditionnalité et d'autres plans, en espérant une montée en compétence. D'ailleurs, le travail engagé se poursuit, qu'il s'agisse de l'acte de construire ou de la décarbonation, grâce aux matériaux biosourcés ou plus performants qui viennent irriguer l'ensemble de la filière.
L'artisan qui mène aujourd'hui un chantier de rénovation pourra très bien, demain, assurer une opération de construction. Les process qu'il adopte pour la construction neuve peuvent très bien être employés pour la rénovation : il s'agit là d'une passerelle intéressante. On le voit avec l'apport que représentent le BIM (Building information modeling) et les cahiers de chantier numérique. De même, certains matériaux assez peu développés il y a quelques années ont désormais pris beaucoup d'ampleur. Un certain nombre de réticences et de freins peuvent persister ici ou là ; mais, dans son ensemble, la filière a bien compris les enjeux de sobriété foncière et de décarbonation, qui impliquent des constructions et des rénovations plus performantes.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous vous remercions.
Audition de
Mme Emmanuelle Cosse,
ancienne ministre du logement et de l'habitat
durable
(Lundi 13 février 2023)
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Madame la ministre, vous avez été vice-présidente de la Région Île-de-France en charge du logement de 2010 à 2015, ministre du logement et de l'habitat durable de 2016 à 2017 et vous êtes depuis 2020 présidente de l'Union sociale pour l'habitat (USH). Je précise que c'est aujourd'hui en votre qualité d'ancienne ministre que nous vous recevons.
Votre passage au Gouvernement été marqué par la mise en application de la loi de transition énergétique pour la croissance verte du 17 août 2015, l'approfondissement de certaines de ses mesures et le développement d'expérimentations dans le domaine de la rénovation énergétique des bâtiments, notamment les territoires à énergie positive et le label énergie positive et réduction de carbone.
Madame la ministre, je souhaite que vous puissiez nous éclairer sur le bilan que vous tirez de votre expérience notamment dans l'application de la loi transition énergétique pour la croissance verte et le lancement de ces différentes expérimentations. Quels verrous avez-vous identifiés ? Quels sont vos motifs de satisfaction et vos regrets, si vous en avez ? Souhaitiez-vous aller plus loin ? Quels obstacles avez-vous rencontrés dans cette entreprise ?
Est-ce qu'être un ministre de plein exercice a été un atout ou a présenté des difficultés pour la coordination avec la ministre chargée de l'écologie et de l'énergie ?
Les exigences en matière de sobriété énergétique imposés par l'Accord de Paris et inscrits dans la stratégie nationale carbone (SNBC) exigeaient une rénovation profonde du bâtiment en France. C'était l'objectif de la loi pour la croissance verte qui apparaît aujourd'hui comme celle qui a fixé le cadre et les principaux objectifs des politiques menées en la manière, les lois énergie-climat de 2019 et climat-résilience de 2021 venant l'approfondir mais aussi souvent reporter certains objectifs.
Pourtant, aujourd'hui, le bâtiment demeure un secteur particulièrement énergivore et émetteur de gaz à effet de serre, Or, les objectifs de rénovation énergétique que nous nous étions fixés, notamment la rénovation de 500 000 logements par an, ne sont pas atteints. C'est pourquoi je voudrais également vous inviter à nous partager votre analyse des raisons de cet échec. Quels jugements portez-vous sur la politique qui a été menée en matière de rénovation depuis maintenant un peu plus de cinq ans ? Pensez-vous que celle-ci nécessitait plus de continuité et de constance par rapport aux outils déjà en oeuvre, plutôt qu'une refonte des dispositifs ?
Enfin, avant de vous laisser la parole, je dois vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Emmanuelle Cosse prête serment.
Mme Emmanuelle Cosse, ancienne ministre du logement et de l'habitat durable. - Merci pour cette invitation, il est toujours intéressant de répondre de son action au Gouvernement devant le Parlement et je le ferai donc ici comme ancienne ministre - d'autant que vous me dites que je serai entendue un autre jour au titre de mes fonctions actuelles à l'USH.
La politique de rénovation est la part la plus difficile des politiques du logement, parce qu'on s'attaque à l'existant, au stock de logements - donc à des logements habités, ce qui nous fait entrer dans la vie de particuliers, qu'il faut le plus souvent accompagner pour rénover l'habitat. On parle souvent de la construction de logements, mais il est tout aussi important, et plus difficile, d'améliorer le stock de logements, qui sont habités.
Quel bilan est-ce que je tire de mon passage au gouvernement ? Je suis arrivée dans la deuxième partie du quinquennat et je savais que je ne resterais pas en fonction au-delà du mandat présidentiel. Aussi, avec mes équipes, nous sommes-nous concentrées sur l'application des textes de loi, en particulier de la loi de transition énergétique pour la croissance verte et de la loi ALUR, ainsi que sur les priorités du moment, la construction de logements, privés comme sociaux, et l'éradication de l'habitat insalubre. Vous savez que j'ai échoué, sur ce dernier sujet, à prendre l'ordonnance que je voulais, elle a été faite dans le quinquennat suivant. Nous avons travaillé sur la précarité énergétique, mais bien au-delà, sur les publics en difficulté, et nous avions aussi la volonté de moderniser les professions du bâtiment, avec les enjeux de fraude à la TVA, ou encore la mise en place du label « reconnu garant de l'environnement » (RGE). Lorsque j'étais ministre, j'ai aussi eu à mettre en place de nouveaux dispositifs, avec l'encadrement des loyers et le permis de louer, et encore sur des sujets que le Premier ministre avait demandé de traiter en priorité : le logement insalubre et indigne à Marseille, et la revitalisation du bassin minier.
Nos objectifs de rénovation étaient donc inscrits dans une politique du logement plus globale et le Gouvernement s'était effectivement fixé des objectifs chiffrés, sur la construction de logements neufs et sur la rénovation de 500 000 logements par an : je crois que c'est très important de se fixer de tels objectifs, même si l'on ne les atteint pas et qu'on donne matière à critique - je pense qu'il vaut quand même mieux se fixer un tel cap, c'est mobilisateur et cela permet, si l'on n'atteint pas l'objectif, d'examiner pourquoi, en particulier, mais pas seulement, sur le plan budgétaire, et nous en sommes encore là aujourd'hui.
Les questions qu'on se posait alors, sont encore d'actualité : quand on veut massifier, faut-il aider tout le monde, ou seulement les ménages les plus pauvres ? Faut-il se concentrer sur les plus gros émetteurs de gaz à effet de serre ? Je crois, aussi, qu'il faut tordre le cou à cette idée fausse que la rénovation énergétique pourrait se faire à budget constant : en réalité, nous n'avons pas le modèle économique de la rénovation énergétique. Dans bien des cas, des particuliers ne voient pas l'intérêt de rénover parce qu'ils n'auront pas de retour sur investissement et parce que des passoires thermiques ne se vendent pas moins cher que des logements plus efficaces sur le plan énergétique - cela dépend de l'âge des propriétaires, de la valeur de leur bien, et du marché. Les particuliers qui rénovent leur logement n'y sont pas incités, comme le sont par exemple les automobilistes qui achètent un véhicule peu émetteur de gaz à effet de serre, et le fait de ne pas donner un prix au carbone rend les choses plus difficiles. Cela ne veut pas dire qu'on ne puisse rien faire pour diminuer l'impact de la dépense, nous avons des marges de manoeuvre en jouant sur des emprunts long terme et sur les subventions - et nous savons qu'il y a un coût pour l'État à ne pas soutenir la rénovation énergétique des logements.
Parmi les choses qui n'ont guère changé, je citerai aussi le faible intérêt des banques pour le sujet. Le logement social bénéficie du partenariat de la Caisse des dépôts, qui continue d'innover, mais le secteur bancaire privé ne s'engage pas comme il le fait dans d'autres pays européens, c'est dommage. C'est un frein important pour les ménages, j'ai passé bien des réunions avec le secteur bancaire pour le lever, sans grand résultat je dois bien le dire. Autre frein : le régime de la copropriété n'est guère adapté à notre volonté d'accélérer et de massifier la rénovation énergétique ; nous avons pu travailler sur les copropriétés dégradées, suite aux travaux du sénateur Claude Dilain, cela a été très utile parce qu'on partait de très loin et cela nous a permis d'avoir aujourd'hui des outils adaptés aux copropriétés dégradées - mais il reste que les copropriétés en général sont plus difficiles, par leurs règles, à rénover.
Le renchérissement brutal de l'énergie change probablement la perspective, mais nous n'avions pas de modèle économique en 2015-2016. Nous avons cependant avancé, avec la loi de transition énergétique pour la croissance verte, avec l'idée d'aller vers un crédit d'impôt pour ceux qui paient l'impôt et de renforcer le dispositif « Habiter mieux », qui est devenu MaPrim'Renov, pour aider les ménages qui empruntent pour la rénovation énergétique de leur logement.
Je signale que l'Agence nationale de l'habitat (Anah) est un outil qui nous est envié à l'étranger, on m'a souvent interrogée, comme ministre, sur cette agence nationale qui intervient pour l'habitat. Cependant, l'Anah n'a pas la capacité d'engager des fonds sur plusieurs années, comme le fait par exemple l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru), c'est dommage. Les crédits de l'Anah sont fixés et varient chaque année, c'est sur cette base variable et incertaine que le volume de dossiers est réparti par territoires, c'est une limite évidente et cela nourrit une méfiance envers la capacité de l'agence à s'engager durablement, alors que le cofinancement avec les collectivités est nécessaire et, surtout, que la rénovation prend du temps en particulier avec les ménages précaires - il faudrait améliorer ce point, pour éviter les à-coups.
Vous m'interrogez sur le choix que j'ai fait, en mars 2016, de demander à l'Anah de réaliser 70 000 dossiers, au lieu de 50 000 : nous avions débloqué les crédits suffisants, mais l'année s'est terminée... à 41 000 dossiers, ce que j'ai considéré être un échec pour l'État, donc pour mon ministère et mes services. Comment les choses se sont-elles passées ? En mars, nous décidons de passer à 70 000 dossiers, l'Anah se tourne alors vers les services extérieurs de l'État et vers les collectivités territoriales, qui à leur tour doivent instruire, voter leurs cofinancements - tout ceci prend du temps, le système ne peut pas travailler en flux continu, et nous avons aussi subi le fait que des collectivités territoriales avaient changé leur positionnement, au préjudice des ménages. L'accompagnement financier n'a donc pas été suffisant, il est resté un frein, mais aujourd'hui encore l'Anah ne peut pas engager des crédits sur plusieurs années, c'est une limite. Il faut compter aussi avec le fait que le budget du logement est fait avec les quotas carbone, je regardais ce critère tous les mois. En 2017, nous avons envoyé les enveloppes prévisionnelles aux préfets dès le mois de février, nous avons essayé de baisser la part issue des quotas carbone et nous avons pris 50 millions d'euros sur Action logement, tout ceci pour stabiliser le budget de l'Anah.
En 2014-2016, le secteur du bâtiment n'était pas prêt à la massification de la rénovation énergétique des logements. La question était sur l'agenda, j'ai retrouvé une étude de 2013 du Service des données et études statistiques (Sdes) sur le sujet, mais on n'était pas prêt pour le changement d'échelle. Nous avons beaucoup travaillé avec les artisans, avec les PME du secteur du bâtiment, sur la question de la formation, sur la question du geste professionnel, sur la maîtrise des outils numériques, sur le carnet numérique du logement, sur les types de travaux à réaliser, et finalement sur la RGE et sur la garantie - nous avons essayé de travailler sur l'écosystème dans son ensemble pour améliorer la formation et permettre la massification, vous savez bien que c'est encore un enjeu important.
Un ministre du logement qui dirait avoir un bon bilan n'aurait pas compris quelle était sa mission, me semble-t-il, car c'est un domaine où l'on n'a jamais fini - il faut être humble, je dirai que nous avons posé des jalons, mais que nous ne sommes pas allés assez vite, et qu'aujourd'hui encore l'action ne va pas assez vite alors que le marché de l'immobilier est florissant. En réalité, les logements qui sont bien placés sur le marché se vendent très bien même s'ils sont très mauvais énergétiquement, tandis que l'habitat insalubre et indigne reste à un niveau bien trop important dans notre pays. Nous avons fait beaucoup, mais pas assez, je dirai donc que mon bilan est mitigé, et que j'assume d'avoir fixé des objectifs chiffrés.
M. Guillaume Gontard. - Pourriez-vous préciser votre analyse de la situation actuelle ? Vous aviez fixé des objectifs chiffrés que vous n'avez pas atteints, d'autres sont fixés aujourd'hui, qu'en pensez-vous ? Que pensez-vous, également, du maillage territorial qui a été mis en place autour des plateformes territoriales pour la rénovation thermique ? Et de l'idée d'un service public de l'efficacité énergétique - qui ferait le lien entre les politiques locales et une coordination nationale ? Quel bilan feriez-vous du RGE - en particulier par comparaison à d'autres formes de label qui sont utilisées ailleurs, consistant par exemple à se focaliser sur les travaux effectués, plutôt que sur les entreprises ?
Mme Emmanuelle Cosse. - Sur les plateformes territoriales de rénovation thermique et sur ce qui est fait depuis 2017, je commencerai par déplorer l'espèce de maladie des politiques qui consiste à vouloir renommer et réinventer les choses tous les deux ou trois ans et à chaque alternance ; ce que nous avions mis en place méritait certainement d'être approfondi, mais pourquoi tout redéfinir et tout renommer, alors qu'il faut de la continuité dans les politiques du logement en général et la rénovation énergétique en particulier ? Des plateformes ont été installées, mais notre politique n'avait jamais consisté à imposer des dispositifs par le haut, nous avions toujours associé les collectivités territoriales, voyez la loi de transition énergétique : les collectivités territoriales y sont associées à de nombreuses politiques et nous avons voulu nous appuyer sur les politiques locales de l'énergie. D'ailleurs, les dossiers de rénovation ont été plus nombreux quand il y avait des maisons de l'habitat, où l'action était accompagnée - pour nous, l'État fixait des objectifs et la réalisation devait se faire en partenariat avec les collectivités - souvent les agglomérations, mais cela peut aussi être les départements, selon les configurations locales, ce qui est une raison supplémentaire de ne pas s'en tenir aux seules compétences juridiques. Je ne suis donc pas sûre qu'il soit intéressant de tout redéfaire, pour, finalement, contrôler davantage l'action des collectivités : mieux vaut coopérer dans la durée.
Nous nous sommes posé la question d'un service public de l'efficacité énergétique, l'idée étant d'apporter des services utiles à la population. Dans les dispositifs qui ont été mis en place depuis 2017, je crois qu'il y a l'idée d'afficher un tournant avec ce qui se faisait avant, pour dire qu'on fait mieux qu'avant. Mais en réalité, le tournant est dans les obligations nouvelles liées à la loi « Climat et résilience » du 22 août 2021. Les objectifs et les obligations nouvelles que cette loi définit sont intéressants, mais la question posée est celle des moyens pour la mise en oeuvre. Comme ministre, je n'étais pas favorable à l'interdiction de louer les logements de classe énergétivore, parce que les DPE de l'époque n'étaient pas fiables du tout - on pourra discuter pour savoir si ceux d'aujourd'hui le sont, mais il est certain qu'alors, ils ne l'étaient pas - et parce que j'ai toujours craint que les logements interdits de location, se retrouvent sur le marché non déclaré, de la main à la main, à destination des plus précaires. Le débat est ancien, nous l'avions déjà en 2015 ; la loi « Climat et résilience » pose une interdiction, mais son étude d'impact est défaillante sur le point de savoir combien de logements seront concernés. Nous sommes cinq ans plus tard, et le problème est encore devant nous. D'abord, la mise en place du nouveau DPE est un véritable fiasco, il est trop complexe - je vous le dirai plus en détail comme présidente de l'USH, nous manquons toujours d'outils fiables pour évaluer la performance énergétique et la rénovation. Mais il y a aussi le fait que le délai restant, environ 18 mois, est bien court pour faire les travaux nécessaires à passer d'un indice G à E : que va-t-il se passer, concrètement, au 1er janvier 2025, pour les gens qui auront découvert cette année que leur logement est en classe G ? Des objectifs ambitieux créent certes une dynamique, mais il faut aussi du réalisme, on parle d'une révolution qui consiste à sortir de l'indécence des millions de logements. On a besoin d'accompagnement, il faut du temps entre le diagnostic et le terme des travaux de rénovation, c'est aussi pourquoi il faut que les dispositifs d'intervention soient stables et pérennes.
Je n'ai pas de réponse sur la comparaison entre la labellisation des entreprises, comme nous le faisons avec la mention RGE, et la labellisation des types de travaux de rénovation. La mention RGE n'est pas arrivée par hasard, elle résulte du besoin que nous avions de passer par les entreprises, et que les entreprises, qui sont souvent de très petite taille dans le bâtiment, forment leurs salariés, nous avions besoin que les artisans se forment à la rénovation énergétique, nous avions aussi pensé recourir à des plateformes locales pour que les artisans améliorent leur geste et maîtrisent les matériaux de la rénovation, y compris par de la mutualisation. La mention RGE fait débat, moins d'entreprises qu'avant s'y inscriraient, il faut interroger les fédérations professionnelles pour savoir si elles incitent les entreprises à le faire, et sinon pourquoi, en tout cas l'objectif était bien la qualification des professionnels à la maîtrise de la rénovation - c'est un enjeu essentiel, on le voit dans l'augmentation des primes d'assurance en dommages ouvrages, liée au fait que les malfaçons se sont multipliées. Nous allons devoir aussi affronter le fait que, pour massifier la rénovation thermique, il va falloir standardiser certaines pratiques, ce qui est possible pour certains bâtiments mais pas pour d'autres - on le voit dans d'autres pays, où le bâti est plus récent et plus homogène qu'en France -, la massification suppose une répétition du geste, c'est un défi.
M. Philippe Folliot. - L'habitat précaire et indigne concerne tout le territoire national et en particulier nos outre-mer ; pourtant, l'Anah ne consacre que 0,2 % de ses moyens aux outre-mer : pourquoi si peu ? Quelle a été votre action lorsque vous étiez ministre ? Quelle est celle de vos successeurs ? Ne faudrait-il pas mieux associer les outre-mer aux organismes, aux instances de pilotage de la politique du logement ? C'est un élu non ultramarin qui vous interroge...
Mme Emmanuelle Cosse. - La question de l'éradication de l'habitat insalubre reste entière pour tous les territoires, c'est un enjeu dans les outre-mer, où il y a encore des bidonvilles, et c'est un enjeu également dans le tissu faubourien et dans le rural : l'enjeu est énorme. L'Anah intervient peu outre-mer, cela tient à des difficultés administratives, par exemple quand les titres de propriété ne peuvent pas être regroupés, mais cela tient surtout au manque de budget de l'Agence - comme c'est aussi le cas pour son intervention dans les territoires ruraux. En réalité, l'efficacité de l'intervention de l'Anah tient à l'engagement des collectivités territoriales. Il faut signaler aussi le fait que dans les outre-mer, la politique du logement est portée non par le ministère du logement, mais par celui des outre-mer, ce qui peut infléchir la priorité qu'on souhaiterait pour le logement.
J'ai oublié de vous répondre, madame la présidente, sur l'utilité d'un ministre de plein exercice dédié au logement. Oui, je suis formelle : il est très utile d'avoir un ministère de plein exercice, car on assiste alors au Conseil des ministres chaque semaine. J'ai été en cotutelle avec la ministre de la transition écologique, nous étions ainsi deux ministres de plein exercice, cela change tout pour peser dans les arbitrages. Faudrait-il un seul ministère ? Je ne le sais pas, car cela dépend de l'angle choisi : quand on parle de rénovation énergétique, met-on l'accent sur la réduction des gaz à effet de serre, ou bien aussi sur les conditions d'habitat ? Les deux regards sont légitimes, c'est ce qui produit des désaccords entre ministères - mais je dirai que nos freins étaient plutôt liés au manque d'outils et de pluri-annualité de l'action.
Mme Amel Gacquerre. - Vous évoquez une décentralisation fine, quelle forme pourrait-elle prendre ? Pensez-vous à une contractualisation ? Une décentralisation ? Qui paierait ? Songez-vous à un guichet ? Quelle est votre vision ?
Mme Emmanuelle Cosse. - Lorsqu'on se propose de décentraliser, je crois qu'il faut commencer par se poser la question du pourquoi on décentralise : pour une action publique plus efficace, ou bien pour débarrasser d'un fardeau et d'une politique publique en échec ? A-t-on intérêt à décentraliser complètement la compétence logement ? Je suis plutôt convaincue des avantages de la décentralisation, mais à condition que les collectivités territoriales aient les ressources suffisantes, ou bien elles n'y arriveront pas. Sur ces enjeux de rénovation, où les budgets à mobiliser sont très importants, l'échelon national est nécessaire, l'État ne peut s'exonérer de ses engagements à réduire les gaz à effet de serre. Il me semble donc utile qu'une politique soit débattue et décidée à l'échelle nationale, et qu'elle s'appuie sur les collectivités territoriales, dans un partenariat exigeant, où les collectivités territoriales définissent les objectifs locaux en fonction d'une connaissance fine du bâti local, avec la garantie, par l'État, d'un financement pluriannuel. Car la rénovation énergétique coûte cher, il faut de 60 000 à 80 000 euros pour qu'un logement passe de l'indice G à D, et les coûts augmentent depuis deux ans. Les collectivités locales sont mieux situées pour repérer les logements à rénover, mais elles ne pourront pas agir à hauteur des besoins sans la garantie de l'État, d'autant qu'il n'y a pas une grande confiance actuellement entre les collectivités et l'État sur les financements. Je crois beaucoup aux maisons de l'habitat, les ménages y rencontrent des architectes, des agents de l'Anah, peuvent projeter une rénovation énergétique - ces maisons sont très utiles pour stimuler la rénovation, avec des enjeux locaux importants y compris d'emploi - encore faut-il que l'État souhaite travailler avec collectivités territoriales.
M. Michel Dagbert. - Je suis bien d'accord avec l'idée que la décentralisation est intéressante, les collectivités territoriales sont à la bonne échelle pour définir des objectifs locaux à contractualiser, pour nouer des dialogues avec les entreprises - mais elle exige effectivement des moyens pour réussir. Une remarque, ensuite, sur le renouveau du bassin minier, un dossier que j'ai eu à connaître comme élu de ce bassin, et sur lequel je témoigne que vous avez su engager l'État, tenir un bon rythme dans la négociation et parvenir à une signature effective : dans le bâti minier ancien, la rénovation thermique réduit un espace habitable qui n'est déjà pas grand, ce qui pose des problèmes aux habitants, en plus de celui du coût des opérations, très élevé quand il concerne des logements dont la valeur est faible sur le marché.
Mme Emmanuelle Cosse. - Il faut effectivement définir des projets de rénovation adaptés aux situations particulières, même s'il faut essayer de rénover entièrement plutôt que par petits bouts, définir un parcours de gestes qui aide à rénover effectivement. Les bailleurs importants vont dans ce sens, mais ce qui pose problème, et il n'est pas petit, c'est de rénover les logements dont la valeur est faible et dont les résidents n'ont pas les moyens de payer les travaux. Vous dites aussi à raison que le bâti ancien est petit et qu'il se prête mal aux techniques actuelles de rénovation thermique, c'est le cas du bâti individuel classé dans le bassin minier, dans les cités-jardins, ou encore de l'habitat sidérurgique - il y a comme ça un parc important de logements, qu'il faut sortir du fuel et du charbon, et qui sont trop petits pour supporter l'équipement moderne et les techniques de rénovation.
Je vous remercie de votre témoignage sur le travail que nous avons fait pour le bassin minier ; je note que si l'engagement perdure, c'est parce que nous l'avons construit avec les collectivités, nous avons travaillé en profondeur et il le fallait, parce qu'on parle de rénover 100 000 logements en dix ans, dont la plupart sont occupés, c'est très important et très complexe. La rénovation est compliquée également dans le bâti haussmannien, qu'on ne peut recouvrir de l'extérieur. Les opérations sont plus faciles dans le logement collectif plus récent, où l'on peut regrouper les logements quand ils deviennent trop petits, ou encore les reconfigurer complètement, mais cela dépend de la demande locale de logement.
Je n'ai pas de réponse unique pour régler ces problèmes, mais nous pouvons apprendre de ce que nous avons fait dans le bassin minier, par exemple. Nous sommes partis de diagnostics très précis, les bailleurs se sont engagés, et nous avions aussi une garantie de financement dans la durée - on me l'a reproché ensuite, car j'engageais l'État au-delà du quinquennat. On ne pourra pas avoir partout la même configuration, surtout que l'enjeu porte sur l'habitat insalubre dans son ensemble. Mais en tout état de cause, il faut accompagner, on ne peut laisser les gens seuls face à la rénovation énergétique, ou bien ils n'y arriveront pas - les chiffres parlent d'eux-mêmes : la rénovation dépassent souvent 50 000 euros, pour des logements qui valent moins de 100 000 euros. Dans ces conditions, surtout pour les ménages modestes qui sont encore endettés pour leur logement, la rénovation ne se fera pas sans aide et je ne suis pas sûre qu'on prenne bien la mesure des moyens nécessaires. Il faudrait à tout le moins un outil statistique plus précis, qui renseigne mieux sur le coût des travaux, sur les capacités de financement, pour mieux informer sur les besoins d'accompagnement des particuliers.
M. Michel Dagbert. - Pour être élu du bassin minier depuis 40 ans, je peux témoigner que les logements dont on parle valent souvent bien moins que 100 000 euros. Je sais aussi que quand les collectivités locales ont acquis le bâti minier, l'enjeu ne portait pas seulement sur les maisons mais sur le foncier, et qu'aujourd'hui, dès lors qu'on parle de « zéro artificialisation » des sols, la marge de manoeuvre se situe du côté de la démolition-reconstruction, pour parvenir à un parc de logements aux normes d'aujourd'hui.
Mme Emmanuelle Cosse. - C'est une question complexe. Les collectivités locales ont interrogé les organismes HLM sur la possibilité d'utiliser le démembrement pour faire du portage en vue de rénover, mais il faut savoir qu'on évite aujourd'hui de démolir, parce que les démolitions émettent beaucoup de carbone, surtout pour les bâtiments en béton. L'objectif de réduire les gaz à effet de serre pousse aussi à densifier le tissu urbain, donc à faire de l'habitat plus proche, en particulier quand il a peu de valeur marchande. C'est encore une raison qui milite pour la décentralisation, c'est ce qu'on a fait dans le bassin minier, en se mettant tous autour de la table pendant six mois puis en définissant de concert un programme qui se déroulerait sur quinze ans - parce qu'en réalité, quand on rénove, on parle de la ville et de l'habitat, pas seulement du niveau d'une prime : le logement, c'est du vivant. Donc partout où l'on peut éviter de démolir, pour restructurer, on ne démolit pas, et chaque fois que j'évite une démolition je pense aux émissions de carbone évitées et tout ceci incite, je le répète, à s'intéresser aussi à l'économie du carbone.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci pour votre participation, nous vous entendrons de nouveau en votre qualité de présidente de l'USH.
Audition de
Mme Barbara Pompili,
ancienne ministre de la transition
écologique
(Lundi 13 février 2023)
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous poursuivons nos travaux avec l'audition de Mme Barbara Pompili, députée à partir de 2012, devenue ministre de la transition écologique, de juillet 2020 à mai 2022, au sein du gouvernement de M. Jean Castex.
Madame Pompili, l'un des événements marquants de votre ministère fut le vote, en juillet 2021, du projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dit Climat et résilience. Ce texte avait vocation à reprendre et à « incarner » les propositions de la Convention citoyenne pour le climat, qui avait été lancée en octobre 2019. Son titre V, intitulé « Se loger », comporte plusieurs dispositions qui sont aujourd'hui au coeur des débats sur la rénovation énergétique des bâtiments, comme l'interdiction à la location des « passoires énergétiques ».
Vous avez également mis en oeuvre le remplacement du crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE) par la prime de transition énergétique, mieux connue sous le nom de « MaPrimeRénov' ». L'ensemble des crédits dévolus à MaPrimeRénov' a ainsi atteint 1,85 milliard d'euros en crédits de paiement dans la loi de finances pour 2022.
Enfin, vous avez piloté les politiques du plan France Relance qui touchent à la rénovation énergétique des bâtiments.
Il faut aussi rappeler, comme nous l'avons déjà fait à plusieurs reprises au cours de nos auditions, que les objectifs de rénovation énergétique que nous nous étions fixés - je pense en particulier à la cible de 500 000 logements rénovés par an - ne sont pas atteints.
Sur tous ces sujets, la commission d'enquête souhaite connaître le bilan que vous tirez de votre passage au gouvernement. Quels sont vos motifs de satisfaction ? Quels sont vos regrets, et quels sont les sujets sur lesquels vous auriez aimé aller plus loin ? Quelles sont les difficultés auxquelles vous avez dû faire face ? Le fait d'exercer la tutelle sur le ministère du logement a-t-il été pour vous un atout ? Cette nouveauté dans le découpage ministériel doit-elle être conservée ?
Pensez-vous que les propositions de la Convention citoyenne pour le climat ont été suffisamment reprises dans le projet de loi Climat et résilience ? La loi aurait-elle pu aller plus loin ou, au contraire, certaines mesures vous semblent-elles rétrospectivement inadaptées ?
Les crédits qui ont été consacrés à MaPrimeRénov' vous semblent-ils à la hauteur des enjeux ? À ce sujet, quel regard portez-vous sur le budget pour 2023 ? Plus généralement, MaPrimeRénov' fait l'objet de nombreuses critiques, qui portent notamment sur la nature des travaux financés et sur les difficultés que rencontrent nos concitoyens lorsqu'ils cherchent à accomplir les démarches requises pour bénéficier de la prime. Quelle est votre position face à ces critiques ?
Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions et pour un propos introductif d'une quinzaine de minutes, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'elle fera l'objet d'un compte rendu publié.
Je dois en outre vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Barbara Pompili prête serment.
Mme Barbara Pompili, ancienne ministre de la transition écologique. - Je suis heureuse de me retrouver devant cette commission d'enquête, qui a le mérite, de surcroît, de réunir des acteurs du projet de loi Climat et résilience, très impliqués sur ces sujets, en premier lieu vous-même, madame la présidente, qui étiez rapporteure du fameux titre V, sur lequel vous avez presque plus de connaissances que je n'en ai moi-même !
J'ai été nommée au début du mois de juillet 2020, en même temps que le logement - évolution intéressante - était intégré dans le périmètre du ministère de la transition écologique.
Cette évolution, je l'appelais de mes voeux et je l'avais proposée à de nombreuses reprises : au-delà des politiques traditionnelles du logement, on voyait bien que, depuis un certain nombre d'années, notamment après la promulgation de la loi de 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV), la connexion était de plus en plus prégnante entre les questions climatiques et les questions de logement, via les thèmes de la rénovation énergétique du logement existant et des règles applicables aux bâtiments neufs. La législation évoluait en ce sens, sachant que ces questions du climat et du logement ne relevaient pas nécessairement, jusqu'alors, d'une culture commune. Il était donc très intéressant de réunir sous un même ministère les compétences relatives au climat et au logement. Cela s'est révélé, en outre, un vrai plaisir de travailler avec la ministre chargée du logement, Emmanuelle Wargon : la coordination entre nous a été parfaite, même si, l'honnêteté m'oblige à le dire, l'évolution des services et des directions ministérielles vers une culture véritablement commune a pu prendre un peu de temps - j'ose croire que notre travail a permis, en la matière, de faire avancer les choses.
Ainsi ai-je pu, dans le cadre d'un ministère aux compétences considérablement étendues, m'appuyer sur une ministre qui gérait seule toutes les autres affaires relatives au logement, accession à la propriété, logement social, etc., et avec laquelle je partageais la compétence relative à la rénovation des bâtiments et aux normes de construction.
Lorsque j'ai pris mes fonctions, la Convention citoyenne pour le climat venait, quelques semaines auparavant, de rendre publiques ses propositions, qui étaient au nombre de 149. J'ai avec moi l'énorme recueil des propositions de la Convention, dont je salue le travail absolument incroyable. L'objectif qui avait été assigné à ces 150 personnes tirées au sort selon des techniques permettant, autant que faire se peut, de couvrir la diversité de la population française était de définir toutes les mesures susceptibles de nous permettre d'atteindre la neutralité carbone en 2050 dans un esprit de justice sociale. Autrement dit, je le répète souvent, on a demandé à ces citoyens de changer le monde, rien de moins, ce qui explique qu'ils aient formulé tant de propositions.
Ce qui a très bien fonctionné, dans la Convention citoyenne, c'est que les personnes ainsi désignées, qui n'étaient pas toutes sensibilisées aux enjeux climatiques, ont réussi à adopter ensemble, par consensus, ces propositions, alors qu'au départ c'était loin d'être gagné...
Sensibilisés à la question climatique, les membres de la Convention l'ont été, et fortement, dès leur première session, qui a eu lieu fin 2019, pendant laquelle ils ont rencontré des scientifiques du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec), s'enfermant notamment toute une journée avec Valérie Masson-Delmotte, désormais bien connue. Tous racontent qu'à cette occasion ils ont reçu une « claque », une « baffe », certains allant jusqu'à pleurer - tel fut pour eux le moment inaugural décisif. Après plusieurs week-ends de travail en commun, et en dépit de la crise de la covid, qui a causé quelque retard, ils ont pu rendre leur copie et proposer leurs solutions au Président de la République.
Une semaine avant mon entrée en fonction, le Président de la République a reçu à l'Élysée les membres de la Convention, les a félicités à juste titre et leur a annoncé qu'il retenait 146 propositions sur les 149 qu'ils avaient émises, s'octroyant trois « jokers » considérés comme absolument infaisables, l'un sur la modification du préambule de la Constitution, l'autre sur la taxation des dividendes, le dernier sur la réduction à 110 kilomètres par heure de la vitesse maximale autorisée sur l'autoroute.
Quant au reste des mesures proposées, à l'exclusion de ces trois jokers, les citoyens de la Convention avaient compris qu'elles seraient toutes reprises.
Cette situation de départ - je commençais ma tâche là où se terminait celle de la Convention - était en elle-même problématique : à partir du moment où le Président de la République, quelques mois plus tôt, avait dit qu'il reprendrait sans filtre les mesures préconisées par la Convention citoyenne pour le climat, il avait mis tout le monde dans une situation impossible, inextricable. Les citoyens, d'un côté, se sentaient légitimement les gardiens des mesures proposées et les garants de leur mise en oeuvre ; les parlementaires, de l'autre, tout aussi légitimement, pouvaient se sentir dessaisis de leur rôle démocratique de représentants du peuple.
Dès lors, deux légitimités se trouvaient face à face, alors même que la Convention, à l'origine, avait plutôt vocation à apporter des propositions qui devraient être débattues. Il a donc fallu gérer cette situation en jouant les intermédiaires entre les citoyens de la Convention, d'une part, et, d'autre part, les autres représentants de notre société, les corps intermédiaires, syndicats, associations, élus locaux. Certains, parmi les membres de la Convention, avaient bien compris qu'il n'était pas possible d'appliquer à la lettre toutes les propositions qu'ils avaient formulées ; d'autres, considérant que la promesse du Président de la République faisait foi, surveillaient ligne à ligne les modalités de mise en oeuvre desdites propositions.
Je me réjouis, au passage, qu'Emmanuelle Wargon intervienne à ma suite ; son expertise technique sera certainement plus poussée que la mienne.
Le chapitre « Se loger » occupe une cinquantaine de pages dans le rapport final de la Convention. Nous avons décidé de reprendre, dans le projet de loi Climat et résilience, le découpage opéré par les citoyens en cinq thématiques : « consommer », « produire et travailler », « se déplacer », « se loger », « se nourrir ». Peut-être aurions-nous pu écrire une loi plus agile, mais cette option nous semblait la plus simple à comprendre de l'extérieur : nous avons donc dessiné des parties qui permettaient à chacun de s'y retrouver, et notamment aux citoyens de la Convention de retrouver les mesures législatives correspondant à leurs propositions - c'est ce qui s'est passé, d'ailleurs, dans l'ensemble.
Les dispositions du titre « Se loger » de la loi Climat et résilience s'inscrivent dans la lignée de ce qui avait été voté les années précédentes, la loi fondatrice sur le sujet qui nous occupe étant la loi LTECV de 2015, présentée par Ségolène Royal. C'est cette loi, en effet, qui met en place la stratégie nationale bas-carbone (SNBC), qui pose des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES), qui est à l'origine du lancement des programmations pluriannuelles de l'énergie, qui crée les plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET), qui jette les bases de notre « socle » de rénovation des logements, notamment en créant le CITE et en intégrant la performance énergétique dans les critères de décence d'un bâtiment. En résumé, cette loi de 2015 pose les fondements qui sont ensuite réaffirmés dans la loi de 2019 relative à l'énergie et au climat, laquelle, intervenant après l'accord de Paris, nous engage sur la trajectoire de la neutralité carbone en 2050.
Voilà quel est le contexte au moment de ma prise de fonction : un continuum, une trajectoire, une dynamique lancée quelques années plus tôt. De ce point de vue, le regard des membres de la Convention citoyenne pour le climat se révèle très pragmatique : ils cherchent à savoir ce qui a marché et ce qui n'a pas marché.
Parmi leurs propositions, on compte un certain nombre de recommandations emblématiques. Je citerai l'interdiction de la location des logements dont la performance énergétique se situe en deçà d'un certain seuil, qui vise à contraindre les propriétaires occupants et bailleurs à rénover de manière globale. L'accent était mis, justement, sur cette notion de « rénovation globale » : en effet, il avait été constaté à maintes reprises, par le Haut Conseil pour le climat (HCC), par la Cour des comptes, par le Défenseur des droits, que les rénovations effectivement réalisées étaient hélas ! très majoritairement des rénovations par gestes simples - une année on pose de nouvelles fenêtres, l'année suivante on isole les toitures, une autre année on change de chaudière, etc. -, ne permettant pas d'accroître la performance globale du logement.
Des propositions sont formulées également sur le diagnostic de performance énergétique (DPE), sur l'obligation de remplacer les chaudières au fioul et à charbon d'ici à 2030 dans les bâtiments neufs et rénovés ou sur le déploiement harmonisé d'un réseau de guichets uniques. Concernant ce dernier point, les citoyens de la Convention ont beaucoup insisté sur la difficulté d'accéder à une information simple et unifiée sur l'ensemble du territoire en matière d'aide à la rénovation énergétique. Chacun s'accordait en effet à relever la complexité des aides accordées et la persistance de « trous dans la raquette », pour les copropriétés par exemple ; en conséquence, de très nombreux propriétaires n'accédaient pas ou accédaient mal aux aides prévues.
J'ajoute que les membres de la Convention ont porté une attention particulière aux plus démunis, comme le prévoyait leur lettre de mission, et ont émis d'intéressantes propositions sur la formation des professionnels du bâtiment, en vue de répondre à la demande de rénovation globale.
Voilà l'état de la situation quand j'arrive à la tête du ministère. Je rencontre les membres de la Convention citoyenne et nous préparons le texte de loi avec eux. Je les informe immédiatement que nous souhaitons les associer à ce processus - certains considéraient que leur travail était fini, d'autres, à juste titre, pensaient qu'une tâche d'aussi longue haleine devait être poursuivie - en les informant de chaque avancée dans la mise en oeuvre de « leur » loi. Assez vite, nous mettons en place un outil de suivi de l'application des mesures proposées par la Convention - cet outil existe toujours, mesure par mesure.
Il a été difficile de faire comprendre à nos concitoyens que toutes les mesures de la Convention ne se traduiraient pas en mesures législatives, tout simplement parce que notre Constitution distingue les mesures qui relèvent du domaine de la loi et celles qui sont d'ordre réglementaire - je pense, par exemple, à l'interdiction des terrasses chauffées, à des mesures comportementales qu'il est difficile d'introduire dans une loi, ou à des dispositions qui doivent être mises en oeuvre au niveau international. Ainsi avons-nous eu de grands débats sur la question du crime d'écocide : il est évident que l'on ne va pas faire une loi pour que Jair Bolsonaro vienne répondre devant un tribunal installé à Poitiers de ses agissements contre la forêt amazonienne... Certains ont très bien compris ce qu'il en était ; d'autres ont monté ce genre d'épisodes en épingle.
Pour en revenir aux mesures du titre « Se loger », nous avons eu des échanges sur ce point avec les acteurs du monde du logement, collectivités, associations ; cela n'a pas été simple. Le « problème » de la Convention citoyenne pour le climat - c'est aussi une leçon à tirer -, c'est que ses membres ont auditionné les personnes ou les institutions qu'ils avaient envie d'entendre. Compte tenu de l'ampleur des domaines explorés, ils n'avaient pas matériellement le temps de rencontrer tous les acteurs concernés. Dès lors, leurs préconisations ne tenaient pas toujours compte des contraintes rencontrées par lesdits acteurs ; d'où des « frottements » : c'est la raison pour laquelle je n'ai pas pu reprendre intégralement les mesures proposées, pas même celles qui étaient d'ordre législatif.
Il importait, évidemment, de se rapprocher des propositions de la Convention, qui étaient en adéquation avec nos objectifs climatiques. Simplement, il fallait les « mettre en musique » pour qu'elles deviennent applicables ; j'ai tâché d'être le plus fidèle possible aux propositions de la Convention tout en restant pragmatique. Nous avons veillé non pas à coller exactement à la lettre du rapport de la Convention, mais à en respecter l'esprit, en rendant la rédaction du texte aussi opérationnelle que possible.
Je me concentrerai sur une mesure que je jugeais absolument essentielle : l'urgence, selon moi, était de trouver une solution permettant à nos concitoyens de ne pas se perdre dans le maquis complexe des aides et d'y avoir accès plus facilement. Ce sujet revenait sans cesse ! Chacun voit de quoi je parle... Je l'ai expérimenté à titre personnel : ayant fait rénover mon logement, je n'ai pas réussi à obtenir toutes les aides auxquelles je pouvais prétendre ; je compte pourtant plutôt parmi les connaisseurs du sujet...
Nous avons missionné M. Olivier Sichel pour nous aider à élaborer cette disposition absolument essentielle et à trouver le meilleur mécanisme. La mission Sichel a rendu ses conclusions alors que le texte était déjà en cours d'examen par le Parlement et avait déjà été voté par l'Assemblée nationale ; le Sénat a pu en tirer la substantifique moelle. Elle a malgré tout été une réussite : elle nous a permis de défricher le terrain au profit de ce qui allait devenir Mon Accompagnateur Rénov', qui a été intégré dans le texte définitif de la loi Climat et résilience.
Il s'agit selon moi de la mesure phare de cette loi, qui contient d'autres mesures indispensables : j'aurais pu évoquer l'interdiction de la location des passoires thermiques, qui nous a aussi demandé beaucoup de travail, mais Mon Accompagnateur Rénov' est à mes yeux le levier essentiel si l'on veut monter en puissance en matière de rénovation globale.
Pourquoi les gens font-ils des rénovations « par gestes » ? Parce qu'ils ne savent pas qu'ils peuvent faire une rénovation globale, qu'ils en ignorent les conditions et les modalités, et parce qu'ils n'ont pas accès au diagnostic.
Il y a eu, dans certaines régions, des services publics de l'efficacité énergétique qui étaient mieux développés. Je pense, par exemple, au service public de l'efficacité énergétique (Spee) de Picardie, qui était plutôt bien organisé et qui, bien qu'il fût concentré sur les copropriétés, a tout de même eu le mérite d'être le précurseur de Mon Accompagnateur Rénov'. Néanmoins, il était peu connu, disposait de peu de moyens et gérait trop peu de dossiers au regard des besoins. C'est d'ailleurs l'un des problèmes auxquels nous sommes confrontés : comment faire en sorte que Mon Accompagnateur Rénov' ne devienne pas un « super-Spee » doté de trop peu de moyens pour faire face à l'ampleur de la tâche, puisque l'on doit rénover 700 000 logements par an ? Le rapport de 2020 du Haut Conseil pour le climat rappelle que, pour atteindre nos objectifs issus de l'accord de Paris, on doit réaliser 700 000 rénovations globales par an à partir de 2030, c'est dans la SNBC ; aujourd'hui on n'en fait pas le dixième !
On ne peut pas se contenter de confier cette tâche à des opérateurs publics, d'où la nécessité de mettre en place un système de conventionnement ; cela a d'ailleurs fait l'objet d'un décret récent. Et, selon moi, Mon Accompagnateur Rénov' est, s'il est correctement mis en place, l'outil qui permettra de faire avancer les choses.
Pour finir, vous m'avez demandé si j'avais des regrets. Oui, du point de vue des moyens. On a consacré beaucoup de moyens à la rénovation, que ce soit sur les bâtiments privés, via MaPrimeRénov', les certificats d'économies d'énergie (CEE) et les autres aides publiques, ou sur les bâtiments publics, dans le cadre de France Relance, avec un budget de l'ordre de 4 milliards d'euros. Néanmoins, sur une politique de cette envergure, on aurait besoin d'une loi de programmation pluriannuelle du financement de la transition et qui ne soit pas cantonnée au logement. Mon regret, c'est qu'on ne l'ait pas encore. Peut-être après la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) ?
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Nous avons entendu plusieurs anciens ministres de l'écologie ou du logement. Quelle était la relation entre le ministère du logement et celui de l'écologie, même si, dans votre cas, le premier était intégré au second ?
Toutes les personnes entendues nous ont dit qu'il fallait que les dispositifs soient simples, lisibles, stables, inscrits dans la durée. Chacun a également affirmé avoir eu la bonne idée, avoir mis en place le bon dispositif, puis avoir constaté à regret que cela n'était pas maintenu ensuite. J'ai l'impression que cela s'applique à votre cas : la loi de 2015 contenait des objectifs clairs, des moyens spécifiques - Agence nationale de l'habitat (Anah), CITE - et l'appui des territoires, puis tout a été recommencé, avec le remplacement du crédit d'impôt par MaPrimeRénov'. Ce changement était-il réellement justifié ?
Par ailleurs, je m'interroge sur les accompagnateurs Rénov'. Les territoires avaient déjà identifié qu'ils devaient offrir une prestation d'ingénierie, d'accompagnement, pour favoriser la basse consommation des bâtiments. Néanmoins, ces accompagnateurs ont été créés dans le secteur privé, par la création d'une nouvelle profession. Pourquoi ne pas s'être appuyé sur l'existant, avec un bon maillage territorial, en le développant, d'autant que, si l'État prend en charge le sujet, les collectivités risquent de se désengager ?
Enfin, comment voyez-vous l'articulation entre les territoires et la politique nationale ? Ne faudrait-il pas un service public de la rénovation énergétique ? Certains pensent que c'est une bonne idée, d'autres, comme François de Rugy, affirment que c'est une très mauvaise idée.
Mme Barbara Pompili. - Sur le lien entre les deux ministères, votre interrogation renvoie plus largement aux problèmes que rencontre le ministère de l'écologie ou de l'environnement, quel qu'en soit l'intitulé. On parle beaucoup de charge mentale en ce moment et cette notion s'applique assez bien à ce que vit ce ministère.
Traditionnellement, les autres ministères laissent la charge mentale de la politique écologique du pays à ce ministère et cela se traduisait assez nettement dans les réunions interministérielles, qui sont souvent des moments assez durs pour les différentes équipes du ministre de l'environnement : chaque fois que le représentant de ce ministère présente les objectifs ou les mesures à prendre pour les atteindre, les autres se liguent contre lui, en excipant de toutes sortes de raisons pour s'y opposer.
Sans doute, cela évolue, je ne prétendrai pas que rien ne s'est passé en la matière. Au cours des dernières années, notamment à partir de la nomination de Jean Castex, mais cela avait commencé avant, le Premier ministre a imposé à tous les autres ministères de s'approprier la politique de transition écologique et de prendre des mesures en leur sein. Toutefois, la culture des services est longue à faire évoluer. Dans un monde idéal, dans lequel tout le monde partagerait la charge mentale, le ministère de l'écologie présenterait les objectifs à atteindre et les autres expliqueraient comment, dans leur domaine de compétences respectif, ils pourraient contribuer à les atteindre. Malheureusement, pour en avoir été témoin, cela ne se passait pas ainsi.
Dans ce contexte, intégrer au sein du ministère de l'environnement le ministère du logement change tout, car cela permet à ce dernier de prendre sa part de charge mentale. Je ne dis pas qu'il ne le faisait pas du tout auparavant, mais cette configuration l'obligeait désormais, institutionnellement, à le faire, ce qui emporte ensuite la collaboration de ses services. C'était intéressant de ce point de vue. C'est aussi pour cette raison que je me suis battue à la fin de mes fonctions pour que Matignon assume directement, à l'avenir, cette charge mentale. Je suis donc ravie que, désormais, la Première ministre soit dotée d'un secrétariat général à la planification écologique, dont la mission est d'instiller cette charge mentale dans l'ensemble du Gouvernement.
J'en viens au remplacement du CITE par MaPrimeRénov'.
D'abord, un crédit d'impôt pose problème en soi, parce qu'il n'est versé que l'année suivant l'année de réalisation des travaux, avec un délai important. C'est un problème, car certains ménages peuvent ne pas disposer de la trésorerie nécessaire et renoncer à leurs travaux. On n'a pas tout résolu avec MaPrimeRénov', j'en suis bien consciente, mais, en théorie, ce dispositif permet de recevoir assez rapidement la prime, une fois les travaux engagés. Nous nous voulions donc être plus « proactifs ». En outre, MaPrimeRénov' procède non pas seulement du CITE, mais de la fusion entre plusieurs aides ; par conséquent, cela représentait également une simplification.
Je comprends ce que vous voulez dire, monsieur le rapporteur, lorsque vous sous-entendez que chaque nouveau gouvernement réinventerait la poudre. Toutefois, je ne suis pas sûre d'être d'accord. Finalement, tout cela est assez récent. Le lancement, par la loi, des grandes politiques de rénovation des bâtiments remonte à 2015. C'est récent, à l'échelle de la vie politique, même si le Spee de Picardie avait été mis en place bien avant. Mais on est toujours un peu en avance, en Picardie... On doit aussi tenir compte - y compris les parlementaires - des retours d'expérience. Les aides mises en place antérieurement étaient trop compliquées, et on ne pouvait pas faire comme si cela n'était pas vrai ! Aussi, mettre en place un guichet unique, MaPrimeRénov', doté d'un site internet unique visait à rendre le dispositif beaucoup plus simple et beaucoup plus accessible.
Je profite d'ailleurs de cette occasion pour suggérer une révision de ce site internet. Je m'y suis rendue pour préparer votre audition et je pense qu'il y a matière à amélioration. Quand on va sur le site de MaPrimeRénov', on ne tombe pas directement sur France Rénov', qui est le réseau. Le parcours n'est donc pas intuitif. En outre, il faut vraiment chercher la mention de Mon Accompagnateur Rénov' pour la trouver, de même d'ailleurs que sur le site de France Rénov'. Il faudrait que l'on propose, d'entrée de jeu, le renvoi vers Mon Accompagnateur Rénov', d'autant que celui-ci est obligatoire pour certains types de travaux.
Vous évoquiez également les réseaux de service public qui existent actuellement, mais, je vous l'ai dit, ils ne sont pas à l'échelle. Ce qui existe est parfois très bien - c'est inégal selon les territoires - et a vocation à perdurer. Simplement, ce n'est pas du tout dimensionné pour rénover 700 000 logements par an. Vous pourrez dire ce que vous voudrez, mais, pour avoir fait les fonds de tiroir du budget et du personnel public de l'État ou des collectivités, je puis vous certifier que nous n'aurons jamais assez de personnel compétent pour passer à l'échelle. Si l'on veut le faire, il faut recourir à Mon Accompagnateur Rénov'.
Dans cette affaire, nous sommes tous dans le même bateau et nous menons tous le même combat, donc nous avons intérêt à nous unir et à unir nos forces. Nous disposons de professionnels compétents, comme les architectes, qui peuvent nous aider. L'enjeu est donc plutôt de les conventionner sérieusement, afin de restaurer la confiance. En effet, je n'ai pas encore employé ce terme, mais nous souffrons aussi d'un déficit de confiance, car beaucoup de nos concitoyens ont été arnaqués par des professionnels non scrupuleux. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous avons interdit les appels téléphoniques promouvant la rénovation énergétique, même si, malheureusement, nombre de nos concitoyens l'ignorent encore.
Bref, pour passer à l'échelle, les services publics de rénovation énergétique seront insuffisants.
En revanche, vous avez raison sur un point très important : l'association des collectivités. D'ailleurs, il est bien prévu que Mon Accompagnateur Rénov' soit agréé par l'État ou désigné par une collectivité locale. Les collectivités pourront tout à fait organiser leur réseau d'accompagnateurs et je crois que c'est aussi par ce biais que l'on montrera que l'État et les collectivités locales peuvent travailler ensemble pour que le réseau maille le plus finement possible le territoire, afin que tous nos concitoyens y aient tous accès.
Mme Sabine Drexler. - On constate une inadéquation entre les dispositifs d'aide et les principes de rénovation du bâti ayant une valeur historique ou architecturale, mais n'étant pas protégé : vieilles fermes, maisons anciennes, etc. Hormis pour les monuments historiques et les bâtis protégés, tout est possible sur ces bâtiments, y compris de l'isolation par l'extérieur sur des pans de bois.
Par ailleurs, de nombreux propriétaires de ce type de biens renoncent à des rénovations pour des motifs financiers ou techniques, ce qui, conjugué à la contrainte du « zéro artificialisation nette » (ZAN), conduit à l'abandon puis à la démolition de nombreuses maisons traditionnelles. Les études du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) ou des directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) montrent pourtant que ce type de bâti est moins énergivore que les constructions de la seconde moitié du XXe siècle et que leur réhabilitation constitue du point de vue écologique l'avenir de la construction, puisque son empreinte environnementale est faible.
Le nouveau DPE - mode de calcul et qualification des diagnostiqueurs - est-il donc adapté à tous les types de bâtis ? A-t-il été tenu compte des programmes de recherche du Cerema lors de l'élaboration de la loi ? Votre ministère a-t-il travaillé avec le ministère de la culture et celui de l'agriculture ?
Mme Barbara Pompili. - Ces questions sont très importantes. Si je puis me permettre de vous donner un conseil, je vous suggère de les poser également à Emmanuelle Wargon, qui s'est occupée de la réforme du DPE de A à Z.
Bien sûr, quand nous avons élaboré la réforme du DPE et la nouvelle réglementation pour les logements neufs, nous avons d'abord réfléchi aux qualifications et au recours aux techniques traditionnelles, qui avaient été oubliées dans le contexte d'énergie bon marché : fabriquer des passoires ne posait pas problème. On a donc oublié que l'habitat traditionnel - antérieur à 1950 - était bien adapté à son environnement puisque, jadis, il ne fallait pas gaspiller l'énergie. Nous avons beaucoup à apprendre de nos anciens...
Nous avons aussi consacré beaucoup d'énergie à l'identification des techniques et des matériaux biosourcés, et nous avons tâché de les considérer à l'aune de leur efficacité énergétique et de leurs émissions de gaz à effet de serre. Cela nous a d'ailleurs valu bien des difficultés avec le secteur du béton, qui considérait que nous accordions trop de place à la filière bois, laquelle est, du point de vue des émissions de gaz à effet de serre, effectivement très différente.
Les programmes de recherche du Cerema ont été étudiés, j'en suis persuadée, mais il faudra en demander confirmation à Emmanuelle Wargon.
Les autres ministères ont été associés à nos travaux, de manière générale et en particulier lors de l'élaboration de la loi Climat et résilience, notamment pour la partie « Se loger ». Les autres ministères étaient sans doute « proactifs », mais ils venaient plutôt nous voir pour, disons, souligner ce qui les embêtait dans le projet de loi. Ils ont tous essayé de jouer le jeu, et je leur rends hommage pour cela, mais ils devaient tout de même lutter contre la culture de leurs services. De fait, je connais peu d'administrations qui aient intégré la transition écologique dans leurs fondamentaux. Cela a été, pour le présenter de manière optimiste, un moyen de les sensibiliser encore plus et de les faire participer.
Vous avez également mentionné le problème des bâtiments historiques non protégés ou qui ne sont pas dans le périmètre d'un bâtiment historique et qui, par exemple, font l'objet d'une isolation atroce par l'extérieur. Il s'agit d'un problème qui peut, selon moi, être résolu par Mon Accompagnateur Rénov'. Beaucoup de bêtises ont été faites parce que les intéressés n'avaient pas connaissance des autres options possibles. Il y a d'autres moyens d'améliorer la performance énergétique de belles maisons avec des pans de bois qu'une isolation par l'extérieur. Mais cela ne peut se faire que s'il y a des gens formés dans cette perspective. Il faut donc mettre la filière en ordre de marche. Des mesures de formation ou de structuration de la filière ont été prises, mais on n'est pas au bout. Mon Accompagnateur Rénov' ne fonctionnera que si, ensuite, les artisans sont en mesure de proposer des prestations adaptées et si la filière peut fournir les matières premières nécessaires.
C'est d'ailleurs l'un des points que la Convention citoyenne pour le climat n'avait pas bien vu. Elle avait pensé à la formation des professionnels, mais non à toute la chaîne de valeur, à la structuration de la filière, un processus qui est très long. Sans doute, nous devons réduire cette durée au maximum, parce que, pendant ce temps, le climat continue de se réchauffer. C'est ce qui explique les échéances prévues, par exemple, pour la sortie des passoires thermiques du marché de la location. En effet, sans échéance, il est compliqué de faire avancer les choses. Je préfère prévoir des échéances bien claires dans la loi, car cela permet à la filière d'avoir une meilleure visibilité.
La filière bénéficie donc dorénavant d'une bonne visibilité sur les échéances. Il serait bon maintenant qu'elle ait une bonne visibilité des aides disponibles.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je vous remercie, madame Pompili.
Audition de
Mme Emmanuelle Wargon,
ancienne ministre déléguée
chargée du logement
(Lundi 13 février 2023)
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous achevons nos travaux du jour avec l'audition de Mme Emmanuelle Wargon.
Madame Wargon, en octobre 2018, vous avez été nommée secrétaire d'État auprès du ministre de la transition écologique et solidaire, puis, entre juillet 2020 et mai 2022, ministre déléguée chargée du logement. Vous êtes désormais présidente de la Commission de régulation de l'énergie (CRE).
Au ministère de l'environnement, vous avez pu suivre la préparation et l'examen de la loi du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat, dite Énergie-climat, ainsi que le lancement de la Convention citoyenne pour le climat. Au ministère du logement, l'une de vos missions importantes a consisté à porter le volet « logement » de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite Climat et résilience.
Cette loi avait vocation à reprendre et à décliner les propositions de la Convention citoyenne pour le climat, lancée en octobre 2019. Son titre V, intitulé « Se loger », comporte plusieurs dispositions qui sont aujourd'hui au coeur de la politique publique et des débats sur la rénovation énergétique des bâtiments, comme l'interdiction à la location des « passoires énergétiques » ou la fiabilité du diagnostic de performance énergétique (DPE).
Vous avez également été responsable de la préparation et de la mise en oeuvre du volet « rénovation » du plan de relance.
Enfin, votre passage au Gouvernement a aussi été marqué par le déploiement de MaPrimeRénov' en lieu et place du crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE).
Ces dernières années ont donc clairement été une période centrale pour la prise de conscience des enjeux, pour la prise de décision et pour la mise en oeuvre de politiques de rénovation énergétique des bâtiments. Pour autant, les objectifs de rénovation énergétique que la France s'était fixés n'ont pas encore été atteints.
Sur tous ces sujets, la commission d'enquête souhaite connaître le bilan que vous tirez de votre passage au gouvernement. Quels sont vos motifs de satisfaction, vos regrets, et les sujets sur lesquels vous auriez aimé aller plus loin ? Quelles sont les difficultés auxquelles vous avez fait face ?
Dans le déploiement de MaPrimeRénov', les difficultés de mise en oeuvre de l'Agence nationale de l'habitat (Anah), les risques de fraude et l'insuffisance des rénovations globales ont-ils été anticipés ?
Lors de l'élaboration de la loi Climat et résilience, a-t-on suffisamment écouté et associé les professionnels, notamment pour ce qui a trait à leur capacité, d'une part, à lancer les travaux dans les copropriétés et, d'autre part, à les réaliser, alors que l'on s'aperçoit que le nombre d'entreprises qualifiées RGE - reconnu garant de l'environnement - stagne, voire baisse ?
Enfin, croyez-vous vraiment que le calendrier de sortie des passoires thermiques puisse être respecté sans provoquer de très graves conséquences sur le marché du logement ?
Je vous indique que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat, et qu'elle fera l'objet d'un compte rendu publié. Je rappelle en outre qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Emmanuelle Wargon prête serment.
Mme Emmanuelle Wargon, ancienne ministre déléguée chargée du logement. - Je vous remercie de m'entendre sur ce sujet extrêmement important.
Je souhaite d'abord rappeler quelques chiffres, qui démontrent justement l'importance de ce sujet, car la rénovation énergétique des bâtiments est indispensable si l'on veut respecter la trajectoire climatique que nous nous sommes fixée : tout compris, quel que soit son usage, le bâtiment représente quelque 45 % de la consommation finale d'énergie et est responsable d'un quart des émissions de gaz à effet de serre.
Une politique publique dans ce secteur est donc cruciale. J'ai été nommée secrétaire d'État à l'écologie en octobre 2018 et cette question a rapidement fait partie des sujets dont je me suis emparée, sous l'égide de mon ministre de tutelle de l'époque, François de Rugy. J'ai continué d'y travailler avec Élisabeth Borne puis avec Barbara Pompili, en tant que ministre déléguée au logement. Mon action sur ce sujet s'inscrit donc dans la continuité, puisque je m'en suis chargé pendant les presque quatre ans de mes fonctions ministérielles.
Ensuite, je veux préciser que ce sujet ne se règle pas, en tout cas pas majoritairement, par la loi : on peut fixer tous les objectifs que l'on veut dans les textes successifs, la loi n'est pas autoréalisatrice. Il ne suffit pas de dire, dans la loi, que l'on doit rénover 500 000 logements par an ou qu'il ne doit plus y avoir de passoires thermiques d'ici à dix ans pour que cela se produise. C'est un enjeu de moyens, d'exécution et de systèmes.
J'avais élaboré comme ministre un diagramme retraçant la manière dont nous pilotions ce sujet au ministère. C'était extrêmement visuel, les différentes couleurs des blocs exprimant les types d'actions à mener. Je vais vous les détailler brièvement.
Pour mener une politique publique, il faut d'abord la piloter, c'est-à-dire disposer de données chiffrées et y consacrer une équipe. Ensuite, il faut des aides efficaces, c'est-à-dire accessibles et justes. Puis, il faut que la filière soit en mesure de répondre aux besoins, c'est-à-dire d'avoir les compétences requises et de faire face au volume des demandes. Enfin, il faut de l'accompagnement, puisque les aides seules ne suffisent pas. C'est de cette manière que j'ai travaillé avec mon équipe et avec les administrations, en tâchant de travailler sur l'ensemble des éléments du système. Cela s'apparente un peu à de l'horlogerie : si vous voulez qu'une montre fonctionne, il faut que chaque rouage fonctionne individuellement, mais, une fois assemblé, l'ensemble de la mécanique doit également tourner correctement.
Commençons par le pilotage ; ce n'est pas l'aspect le plus connu, mais il est important. Quand j'ai pris en charge cette politique publique, j'ai constaté qu'aucune équipe n'en était spécifiquement chargée et que personne ne comptait quoi que ce fût.
Dire qu'il n'y avait pas d'équipe chargée de cette politique n'est pas faire injure aux équipes ministérielles en place. D'abord, il y avait beaucoup de directions d'administration centrale concernées et, surtout, c'était un sujet interministériel, concernant le ministère du logement, rattaché à l'époque au ministère des collectivités territoriales, et le ministère de l'écologie. Pour avancer, il fallait un accord entre les deux ministres, c'est pourquoi pendant la première période de mon action, j'ai travaillé en grande proximité avec Julien Denormandie, à l'époque ministre du logement. Les deux administrations principales sur cette question - la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) et la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) - devaient donc se coordonner sur ces politiques publiques. Or elles se coordonnaient difficilement : presque toutes les décisions remontaient aux cabinets et aux ministres.
La création d'une délégation interministérielle, chargée du pilotage de la rénovation énergétique des bâtiments, m'a pris un an. Cela a permis qu'il y ait au moins un petit nombre de personnes dans la République se levant le matin avec comme mission de faire progresser la rénovation énergétique des bâtiments, mais cela a été long et compliqué.
J'en viens à la capacité de produire des données et de les analyser. Quand j'ai pris mes fonctions, on ne disposait pas d'un seul chiffre fiable sur le nombre de passoires thermiques ou sur l'efficacité individuelle de tel ou tel geste de rénovation ou de telle ou telle aide. J'ai donc demandé au commissariat général au développement durable (CGDD) de créer l'Observatoire national de la rénovation énergétique. Cela a pris un certain temps également, mais cela nous a permis de disposer d'une étude établissant une fois pour toutes le nombre de passoires thermiques, chiffre qui fait désormais foi. L'Observatoire a aussi mené des travaux sur l'efficacité des différents « gestes ».
Tout cela était très important, parce que l'on ne peut pas mener une politique publique si l'on n'y consacre pas une équipe et si l'on n'a pas un moyen d'observer la réalité.
J'en arrive aux aides. Il y avait à l'époque beaucoup d'aides, relevant de logiques extrêmement différentes et relevant, en gros, de trois grands types.
Premier type : les aides historiques de l'Anah, extrêmement qualitatives, plutôt tournées vers la rénovation globale, très liées aux collectivités territoriales et représentant un volume extrêmement faible, puisque, de mémoire - je n'ai pas les chiffres exacts -, il y avait de l'ordre de 30 000 aides annuelles ressortissant du programme Habiter mieux sérénité, le programme de rénovation globale, et un peu moins sur les aides plus simples. Ces aides relevaient d'une logique de sur mesure, mais il s'agissait de 30 000 ou 40 000 rénovations par an, soit un volume extrêmement faible.
Deuxième type d'aides : les certificats d'économies d'énergie (CEE), qui se développaient sans le moindre pilotage. Quand je suis arrivée, François de Rugy a lancé, sur sa propre initiative, les rénovations à 1 euro, les combles à 1 euro, etc., essentiellement financés par les CEE et très peu pilotés. Nous avons donc assisté à une explosion du volume de certificats, mais pour des gestes qui n'étaient ni suivis, ni pilotés, ni contrôlés.
Troisième type d'aides : le CITE, un crédit d'impôt versé dix-huit mois après les travaux. Il se trouve que la moitié de cette aide était versée aux foyers situés au-dessus du huitième décile de revenus, aux 20 % les plus riches ; c'était donc une aide anti-redistributive. En outre, cette aide finançait principalement les changements de fenêtres, qui n'est pas le geste de rénovation le plus efficace. Enfin, comme elle était versée au bout d'un an et demi, il était difficile d'en déterminer l'efficacité ; il s'agissait assez largement d'un effet d'aubaine.
Ces trois aides relevaient de trois univers de politiques publiques très différents. La première relevait du ministère du logement et était très liée à l'action locale des collectivités, point très positif. Le CEE constituait l'outil du ministère de l'écologie pour faire de la rénovation énergétique, mais reposait sur une confiance à mon avis excessive envers la capacité des acteurs privés à se réguler ; d'ailleurs, il y a eu énormément de fraudes et d'abus et on a fini par arrêter les aides à 1 euro, considérant qu'elles entraînaient trop d'effets pervers. Quant au crédit d'impôt, il n'était pas piloté par le ministère de l'écologie et n'était même pas piloté du tout.
Parallèlement à cela, nous étions dans une période de recherche d'économies budgétaires. Le Premier ministre de l'époque, Édouard Philippe, souhaitait que l'on restreigne beaucoup le montant global du CITE. Aussi, lorsque nous décidâmes de le transformer en prime - le dispositif MaPrimeRénov' -, le budget y afférent fut divisé par deux. Cela n'était pas mon choix et je m'étais battue pour obtenir de meilleurs arbitrages, mais il n'était pas évident de plaider cette cause, car il était difficile de démontrer que le CITE était performant. Le Premier ministre nous proposa donc de démontrer d'abord que la nouvelle aide était efficace, qu'elle ciblait les bons publics et les bons gestes, à la suite de quoi, on envisagerait l'augmentation de son budget. C'est ce que nous fîmes.
Le ministère du logement, toujours avec Julien Denormandie, et le ministère de l'écologie ont ainsi lancé MaPrimeRénov' en 2020.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Étiez-vous favorable ou défavorable à cette transformation du CITE en MaPrimeRénov' ?
Mme Emmanuelle Wargon. - J'ai très vite été convaincue qu'il fallait faire converger les trois types d'aides que j'ai évoqués. Par conséquent, le passage à une aide versée immédiatement après la fin des travaux, ciblant mieux les travaux et plus redistributive me paraissait préférable. En revanche, je voulais conserver le budget du CITE - 2 milliards d'euros - lors du passage à MaPrimeRénov' et la division par deux de ce budget ne correspondait ni à mon souhait, ni à celui de mes services, ni à celui du ministre du logement.
J'ai passé beaucoup de temps à essayer de rapprocher les aides de l'Anah, cette nouvelle aide directe, qui avait l'avantage d'être versée beaucoup plus rapidement, et les CEE, afin de ne pas maintenir trois politiques publiques juxtaposées, chacune avec son outil, ne répondant pas aux mêmes exigences techniques, ne couvrant pas le même type de travaux, et imposant des conditions différentes aux entreprises. Au lieu de trois mini-politiques de rénovation énergétique des logements, j'en voulais une seule. Nous avons créé MaPrimeRénov' au début de 2020, en veillant à mieux organiser le lien entre cette aide, qui ciblait les gestes, et les CEE. Un ménage pouvait donc bénéficier à la fois de MaPrimeRénov' et de CEE sur la même opération, avec les mêmes critères, pour un changement de chaudière, pour de l'isolation ou pour des opérations plurigestes. C'était juste avant le début de la crise du covid et nous nous demandions si cette aide trouverait son public en période de crise. Ce fut le cas, avec 270 000 dossiers en 2020, 700 000 en 2021 et à peu près autant en 2022. Grâce à l'Observatoire de la rénovation énergétique, nous avons mesuré l'économie moyenne d'énergie entre un logement aidé par le CITE et un logement bénéficiaire de MaPrimeRénov', car il s'agit d'un des critères de performance du dispositif. Celle-ci a été multipliée par deux, passant de 2,5 mégawattheures à 5,3 mégawattheures par an et par logement.
Le plan de relance nous a aidés : la première année, MaPrimeRénov' a reçu 1 milliard d'euros de budget, puis nous avons décidé de cibler une partie des crédits du plan de relance sur ce dispositif. Dans une discussion budgétaire, pour limiter une aide, on joue sur les critères, les montants unitaires et l'éligibilité ; plus nous disposions de moyens, mieux les gestes étaient aidés et plus la mesure touchait des catégories différentes de ménages. MaPrimeRénov' est inversement proportionnelle au revenu, avec quatre catégories de ménages, et les plus modestes sont les plus aidés. Il était très important pour moi d'aider tous les ménages, y compris le quart le plus favorisé, avec des montants plus bas, notamment sur les monogestes, pour favoriser la rénovation globale, afin de pouvoir dire que cette aide était universelle. En effet, les émissions de CO2 concernent tous les ménages. Pour autant, MaPrimeRénov' est beaucoup plus redistributive que les dispositifs précédents : plus de la moitié des montants visent les ménages les plus modestes. Voilà pour la partie concernant les aides. Nous avons passé beaucoup de temps à étudier les fiches CEE pour nous assurer que celles-ci étaient alignées sur les fiches MaPrimeRénov' et que les deux mesures étaient bien coordonnées.
S'agissant de l'accompagnement et des guichets, j'ai trouvé en arrivant une situation très éclatée, qui l'est sans doute encore. Nous avons progressé au cours des quatre dernières années, mais il reste des progrès à faire. Deux univers cohabitaient et ne se parlaient pas du tout : les guichets de l'Anah et ceux de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), auxquels pouvaient s'ajouter les guichets des collectivités territoriales qui n'étaient appuyés par aucune des deux agences. J'avais alors coutume de dire qu'il nous fallait être bilingues Anah et Ademe, et tous mes interlocuteurs comprenaient ce que cela signifiait. L'Anah pratiquait l'aide aux ménages très modestes ainsi que des partenariats sur mesure avec des collectivités ; l'Ademe proposait plutôt des aides plus globales, accompagnées par des guichets, mais de façon complètement séparée de l'Anah. J'ai passé ces quatre années à essayer de rapprocher les deux univers et nous nous sommes demandé quelle était la bonne manière d'organiser le champ et quel était l'opérateur susceptible de le porter au mieux. Nous avons d'abord choisi l'Ademe, parce que celle-ci était un interlocuteur naturel des régions, lesquelles étaient chargées, par la loi, du service public de l'efficacité énergétique de l'habitat. Nous avons soutenu les collectivités à travers un programme CEE dédié, le service d'accompagnement pour la rénovation énergétique (Sare), qui était donc porté par l'Ademe. Néanmoins, la connaissance fine à l'échelle communale et intercommunale était vraiment l'apanage de l'Anah, comme l'était la maîtrise des partenariats sur mesure. Après quelques années, nous avons décidé de lui confier l'ensemble du dispositif, au motif qu'elle était l'agence chargée de l'amélioration de l'habitat. Même si sa compétence initiale concernait plutôt l'habitat indigne et les ménages en difficulté, elle était capable de mener une action universelle. En outre, elle portait le guichet MaPrimeRénov', il était donc logique qu'elle porte également les guichets d'accompagnement. Nous avons réalisé un travail de précision, avec le transfert progressif des équipes. La responsabilité intégrale a été confiée à l'Anah et nous avons mis en cohérence les aides et les guichets. À tout cela, nous avons ajouté France Rénov', c'est-à-dire la labellisation de tous les guichets d'appui à la rénovation énergétique, afin que ceux-ci portent la même politique publique nationale au service des politiques locales.
J'avais été très frappée par une visite en Haute-Saône, fin 2019. J'étais allée voir un guichet Anah qui fonctionnait très bien, puis un chantier, un ancien moulin dont la rénovation globale était financée par la région. Ce projet avait bénéficié de l'aide de l'Anah, et ses promoteurs avaient donc dû monter un dossier comportant un certain nombre de diagnostics. Ils avaient ensuite été candidats à une aide de la région appuyée sur l'Ademe, pour laquelle il avait fallu tout refaire, parce que les diagnostics et les experts différaient. Les deux systèmes étaient complètement disjoints, parce que l'entente n'était pas parfaite entre les services du département et ceux de la région. Nous avons donc tenté de mettre en place de la coordination avec le Service d'accompagnement pour la rénovation énergétique (Sare), qui donnait des moyens supplémentaires à l'échelle régionale, et de faire monter l'Anah comme interlocuteur de proximité des collectivités. Cela concernait surtout les communes et les intercommunalités, ainsi que certains départements, l'investissement de ces derniers étant très variable ; s'y ajoutaient les régions, qui exercent la compétence concernée. Ce maillage n'est pas terminé et dans beaucoup d'endroits, la répartition des compétences, et donc des publics, n'est pas très claire. France Rénov' a été bâti sur l'idée que chacun devait avoir accès à un guichet physique, quels que soient sa situation et ses revenus. Mon Accompagnateur Rénov' a suivi, toujours parce que le besoin d'accompagnement était important. Rappelons que le point de départ de ce processus était un crédit d'impôt dans lequel le concept même d'accompagnement n'existait pas. Nous considérions, quant à nous, qu'il fallait adosser les aides à un accompagnement, ce que permet maintenant la montée en puissance de Mon Accompagnateur Rénov'.
Je retrace ici un cheminement qui a été poussé, entre autres, par les lois successives et qui a rencontré la Convention citoyenne pour le climat. Celle-ci a permis de lui faire passer une étape supplémentaire. J'ai évoqué le pilotage, les données, les aides et l'accompagnement. Une politique publique classique balance entre incitation et contrainte, toute la question étant de trouver la bonne mesure. S'agissant des passoires thermiques locatives, j'étais convaincue que l'on ne réussirait pas sans contrainte. En effet, si un propriétaire occupant est directement concerné par l'état d'isolation de son logement, et donc potentiellement motivé pour lancer des travaux, un propriétaire bailleur ne subit pas les inconvénients de la passoire thermique qu'est son bien. Il me semblait donc qu'ouvrir les aides aux propriétaires bailleurs - une des avancées de MaPrimeRénov' - ne suffirait pas et qu'il faudrait en passer par la contrainte. Lors de la Convention citoyenne pour le climat, nous nous sommes demandé s'il fallait faire peser les obligations de rénovation des passoires thermiques sur tout le monde, y compris sur les propriétaires occupants, ou seulement sur les propriétaires bailleurs. J'ai considéré qu'une obligation avait plus de sens pour ces derniers, pour lesquels le simple fait d'être éligibles à une aide n'était pas assez motivant pour engager des travaux, alors même que les factures d'énergies très élevées ou la difficulté à chauffer le bien qu'ils mettaient en location ne les pénalisaient pas directement. Ainsi est née l'obligation de rénovation des passoires thermiques pour la mise en location progressive. Elle a été imposée dans la loi Énergie-climat, puis renforcée dans la loi Climat et résilience. Je défendais l'idée de limiter cette obligation aux biens classés F et G, pour cibler les passoires thermiques, lesquelles me semblaient devoir être traitées en priorité par rapport aux biens classés E. Barbara Pompili vous a sans doute dit qu'elle avait un avis différent, auquel je n'étais pas pour autant hostile. Avons-nous imposé cette obligation trop rapidement ? Les délais étaient-ils tenables ? Nous sortions alors de la crise du covid, avant le début de la guerre en Ukraine et le prix des matériaux n'avait pas encore explosé. Pour mener à bien ce genre de politique, il faut donner un signal clair, et il est déjà arrivé que le Parlement et le Gouvernement décalent de quelques mois des dates d'application, quand celles qui étaient prévues initialement se révèlent impossibles à respecter. Le cas échéant, nous pourrions donc desserrer un peu ces délais. À mon sens, le signal est là et le fait que beaucoup de passoires thermiques soient en vente n'est pas une mauvaise nouvelle. La mauvaise nouvelle serait qu'un bien classé G soit vendu au même prix qu'un bien classé B. Dans ce dernier cas, l'acheteur n'aura pas de travaux à faire, quand, dans le premier, il devra se lancer dans un chantier important pour isoler son acquisition. Le signal doit donc être dans le marché et les biens mal isolés doivent coûter proportionnellement moins cher, car ils nécessitent un investissement complémentaire, que la banque doit également financer. C'est donc une bonne nouvelle si le rythme se maintient et si l'on parvient à faire exécuter les travaux.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Et si le DPE est fiable !
Mme Emmanuelle Wargon. - En effet. La fiabilisation du DPE a été un gros sujet, et c'est sans doute toujours le cas. Cela me donne l'occasion d'aborder la question de la montée en compétence de la filière.
Pour piloter une politique de rénovation énergétique, il faut une équipe qui s'en occupe et des données. Celles-ci découlent des DPE, lesquels doivent donc être fiables et opposables. Or, dans la période précédente, ils étaient indicatifs et donc très peu remplis. Un quart d'entre eux étaient vierges, et les autres reposaient souvent sur la consommation constatée. Ainsi, si un bien était occupé un quart de l'année, son DPE était très bas, car il n'était jamais chauffé. Nous avons donc travaillé à la fiabilisation de cet indicateur. Vous le savez, nous avons rencontré un problème : au moment du lancement du nouveau DPE, il est apparu que cette fiabilisation n'était pas satisfaisante et que quelques curseurs ne fonctionnaient pas et donnaient des résultats bizarres. Nous avons donc été obligés de suspendre le processus, de reprendre la concertation et de créer un « nouveau nouveau DPE ». Pour ce que j'en comprends - mais je suis plus loin du sujet -, la fiabilisation n'est toujours pas parfaite, il faut donc poursuivre dans cette voie.
Cela nous amène aux compétences des diagnostiqueurs et des entreprises qui réalisent les travaux. Il s'agit, à mon sens, d'un des enjeux les plus importants pour mener à bien cette politique. Je ne sais pas pourquoi l'on a autant de mal à fiabiliser le DPE, mais c'est une question qu'il faut traiter le plus vite possible avec les professionnels. Je ne sais pas si c'est la méthode qui pose encore problème ou si la capacité de la filière à former suffisamment de personnes est en cause. Il en va de même s'agissant de la qualification RGE. Il me semble normal d'exiger une qualification pour les professionnels réalisant des travaux subventionnés par l'État ou par les collectivités. Nous devons nous assurer que les entreprises qui interviennent sont qualifiées et compétentes. Ce principe m'apparaît comme un garde-fou, car les aides publiques produisent un effet de levier très important. Nous avons travaillé pour essayer de trouver le point d'équilibre entre exigence et pragmatisme en matière de qualifications, par exemple en ouvrant la possibilité d'une qualification sur le tas, sur chantier. Un artisan non qualifié peut ainsi se lancer dans un premier chantier, qui sera audité pour recevoir le bénéfice des aides, puis en réaliser encore un ou deux selon le même procédé, avant de recevoir éventuellement sa qualification.
Force est de constater que le problème n'est pas réglé, puisque le nombre d'artisans qualifiés stagne à plus ou moins 10 % ou 15 % de son niveau potentiel. Il faut sans doute revenir sur le sujet ; il n'est pas possible de se satisfaire d'un écart aussi important entre le volume de travaux à effectuer, le nombre d'artisans potentiellement disponibles et le nombre d'artisans qualifiés. Les professionnels, à travers la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb) et la Fédération française du bâtiment (FFB), ont toujours soutenu le principe, tout en considérant que ces qualifications étaient lourdes et compliquées. Il faudrait également travailler avec les organismes qualificateurs, comme Qualibat. J'ai essayé de trouver une sortie par le haut, en mettant en place une qualification suffisamment exigeante et permettant d'obtenir suffisamment d'artisans qualifiés, mais nous n'avons pas encore trouvé le bon point d'équilibre. Il est nécessaire de progresser, à la fois pour que le DPE soit fiable et pour que le nombre nécessaire de personnes capables d'assurer les travaux dans de bonnes conditions soit atteint. Cela reste compliqué.
Un autre sujet qui pose problème concerne les copropriétés. Nous avons travaillé pour lancer MaPrimeRénov' Copropriétés et pour simplifier les aides. Le droit de la copropriété est très protecteur des copropriétaires, les quorums de décision en assemblée générale sont élevés, les délais sont importants, et nous n'avons pas encore atteint le point d'équilibre.
Ensuite, nous devons passer progressivement de la rénovation par gestes à la rénovation globale. J'entendais Barbara Pompili dire que cette politique était jeune. Elle a raison, cet effort a été lancé il y a moins d'une dizaine d'années et l'on partait de très loin : il y a encore cinq ans, nous comptions 30 000 rénovations globales, et tout le reste relevait du coup de pouce appuyé sur les CEE ou sur le crédit d'impôt. Il y a maintenant plus de rénovations globales, autour de 100 000, mais ce n'est pas encore assez. Il s'agit essentiellement d'une question de moyens : pour que ça marche, il faut que les aides à la rénovation globale soient plus élevées et plus intéressantes que la somme des aides par geste. Je ne suis pas pour autant favorable à abandonner ces dernières, parce que j'ai vu beaucoup de Français réaliser des gestes de rénovation thermique, à l'occasion de visites de terrain chez des gens qui ont accepté de m'accueillir et qui avaient bénéficié, ou pas, de MaPrimeRénov'. Or ceux-ci ne sont pas toujours prêts à tout faire d'un coup ; j'ai vu beaucoup de ménages qui ont commencé par changer de chaudière quand celle-ci a lâché, sans pour autant être disposés à engager sur le champ 50 000 euros de travaux. Pour autant, une fois qu'ils ont commencé, ils sont dans un parcours de rénovation qui les amène à passer au geste d'après.
Bien sûr, le processus optimal serait de tout faire d'un coup, mais, dès lors que l'on développe l'accompagnement, on peut trouver des solutions pour réaliser un premier geste tout en commençant à préparer le suivant et en s'engageant dans un parcours de rénovation. En la matière, le mieux est l'ennemi du bien. Il ne me semble pas que mettre un terme à la rénovation par gestes entraînerait la mise en oeuvre de 700 000 rénovations globales. Il est sûrement souhaitable que la rénovation globale devienne progressivement le mode de rénovation le plus usuel, que les Français, comme les professionnels, se familiarisent avec ce processus et que l'on rende petit à petit moins attractives les aides consacrées aux gestes par rapport à celles qui ciblent la rénovation globale. Il s'agit toutefois vraiment d'une question de moyens : il faut ajouter 1 milliard d'euros aux aides à la rénovation globale. Nous avons fusionné MaPrimeRénov' avec l'aide précédente de l'Anah - Habiter mieux Sérénité -, qui est devenue MaPrimeRénov' Sérénité. Cette aide est contingentée et ne s'impute pas sur le même budget : MaPrimeRénov' relève du budget du ministère de l'écologie alors que MaPrimeRénov' Sérénité est toujours appuyée sur un budget du ministère du logement. Si l'on destine trois fois plus d'argent à MaPrimeRénov' Sérénité, on réalisera trois fois plus de rénovations ; si l'on rend les aides de MaPrimeRénov' Copropriétés beaucoup plus attractives, on facilitera la prise de décisions positives en assemblée générale de copropriété. Il s'agit donc de consacrer plus de moyens à la rénovation globale et une petite partie de ceux-ci à la rénovation par gestes, qu'il ne faut pas tuer.
Je termine par un mot sur les ratés de MaPrimeRénov'. Comme ministre, je disposais d'un tableau de bord et, avec l'Anah, nous examinions chaque semaine les dossiers en souffrance, pour lesquels nous avions mis en place un plan de résorption. Il est vrai que, dès lors que le canal est exclusivement numérique, certains cas sont problématiques. Le nombre de dossiers en souffrance a culminé à 3 000 par an, quand 700 000 opérations étaient réalisées. Certains d'entre eux ont été difficiles à gérer, parce qu'ils avaient été mal engagés et que personne ne parvenait à rectifier l'erreur initiale. C'était trop lent à mon goût, mais quand je suis partie, il devait en rester 1 200. Bien sûr, l'objectif est de limiter ce nombre et de réduire le temps de résorption, mais il aurait fallu conserver le sens des proportions entre le nombre de dossiers en souffrance et le nombre d'opérations menées à bien. MaPrimeRénov', c'est environ 700 000 chantiers par an avec un taux de satisfaction autour de 80 %. Les dossiers qui rencontrent des problèmes sont les plus visibles, il y a toujours des histoires de grosses difficultés, quelqu'un qui a été baladé de service en service sans jamais obtenir de réponse, mais en termes de volume, de telles circonstances représentent entre 0,3 et 0,5 % des dossiers. À mon départ, ce chiffre était en résorption.
Pour la suite, l'important, à mon sens, est de favoriser la montée en compétence de la filière, de consacrer plus d'argent à la rénovation globale et de stabiliser le dispositif. Revenir à un crédit d'impôt équivaudrait à un retour en arrière : MaPrimeRénov' a trouvé son public, elle est reconnue ; la famille France Rénov', Mon Accompagnateur Rénov', MaPrimeRénov' est connue des Français. On peut améliorer le dispositif pour continuer à travailler ouvrage par ouvrage et faire en sorte que cette politique produise ses effets.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - S'agissant de MaPrimeRénov', le rapport de la Cour des comptes semble indiquer que les 700 000 chantiers évoqués concernent plutôt des gestes uniques et que le nombre de rénovations globales vers des logements à basse consommation est très faible. Nous allons recevoir la Cour des comptes et regarder cela de plus près. Certes, on dépasse les objectifs chiffrés, mais la qualité des réalisations peut ainsi poser question. Comment mieux accompagner ce processus pour favoriser les rénovations globales ? Pour autant, je suis d'accord avec vous : il faut garder une porte d'entrée par geste, tout en privilégiant l'accompagnement, de manière à encourager les gens à poursuivre. Mme Barbara Pompili a, comme d'autres, indiqué qu'il fallait pour cela de la visibilité et du temps et a donc plaidé pour une loi de programmation, laquelle garantirait une visibilité à long terme. Partagez-vous cette idée ?
Vous avez dit qu'il faudrait ajouter 1 milliard d'euros pour la rénovation globale ; à combien estimez-vous le budget annuel idéal par rapport à la capacité de la filière à réaliser les travaux ?
Mme Emmanuelle Wargon. - Le chiffre de la Cour des comptes indiquant que très peu de logements - 5 000 - changeaient de classe en termes de DPE après avoir bénéficié de MaPrimeRénov' a été beaucoup commenté. Pourtant, il s'agit d'un effet de loupe, car il n'est pas obligatoire de faire un DPE avant et après les travaux, sauf pour obtenir un bonus quand le logement a changé de classe. Or très peu de bénéficiaires ont demandé à en bénéficier, parce que la procédure est contraignante. Cependant, si d'aventure un gouvernement décidait de soumettre l'obtention de MaPrimeRénov' à une mesure du DPE avant et après, il bloquerait probablement la totalité du système. En parallèle aux enjeux de fiabilisation du DPE, se posent en effet des problèmes de capacité. Il serait difficile de réaliser un DPE avant et après pour 700 000 dossiers par an ou à chaque changement de chaudière. S'il est donc factuellement vrai que très peu de logements ayant bénéficié de MaPrimeRénov' ont changé de classe de DPE, on ne peut pas en déduire que les travaux financés par ce dispositif ne servent à rien, car on ne mesure pas systématiquement cet indicateur. Le nombre de logements qui ont fait l'objet d'une rénovation globale significative comprend tous ceux qui ont bénéficié de MaPrimeRénov' Sérénité et de MaPrimeRénov' Copropriétés, pour laquelle des gains d'efficacité énergétique sont requis, ainsi qu'une partie de ceux qui ont obtenu MaPrimeRénov', soit quelque chose comme 100 000 logements par an. Cette question souligne combien il est important de disposer d'un Observatoire. Il faut continuer à travailler avec les services pour produire des chiffres permettant d'établir un diagnostic.
Concernant la possibilité d'une loi de programmation, en effet, cela me semble indispensable pour donner aux Français et à la filière de la visibilité quant à ces politiques publiques. Les coups d'accordéon que nous avons subis ont bien illustré une de nos difficultés : le passage du CITE à MaPrimeRénov' s'est accompagné d'une division par deux du budget. Il est alors évidemment difficile de conserver de la visibilité, mais nous sommes parvenus à remonter le budget à 2 milliards d'euros grâce au plan de relance, puis nous nous sommes efforcés de faire de cette somme la base budgétaire du dispositif. Néanmoins, vous connaissez la construction d'un budget et vous savez combien une base budgétaire est fragile. Une loi de programmation serait donc très utile.
En 2016-2017, dans ce champ, il y avait 2 milliards d'euros de CITE, à peu près 500 millions d'euros d'aides relevant de l'Anah et quelques 600 millions d'euros de CEE. Quand j'ai quitté le gouvernement, on comptait 2 milliards d'euros pour MaPrimeRénov', autour de 750 millions d'euros pour les aides de l'Anah, et plus de 3 milliards d'euros de CEE. Ceux-ci sont donc devenus l'un des grands outils de financement de la rénovation énergétique ; ce ne sont pas des outils très faciles à manier et ils exigent de la pérennité, sur les fiches comme sur les aides apportées. On a besoin des deux mesures : la prime budgétaire et le CEE. Une loi de programmation qui donnerait de la visibilité et trouverait la fongibilité entre le « par geste » d'un côté et la rénovation globale de l'autre, imputés sur deux budgets différents, serait donc très utile.
Quel est le volume possible ? Au début du processus, l'Anah avait un objectif de 30 000 rénovations sur mesure et se félicitait d'en réaliser 32 000, soit 8 % de plus. Je n'étais pas d'accord, car le chiffre absolu ne me semblait pas énorme et qu'il fallait selon moi passer à une autre échelle. Ces discussions n'étaient pas faciles : l'Anah faisait de la haute couture, et on lui demandait de faire du prêt-à-porter, pour ouvrir le dispositif. J'ai avancé le chiffre de 1 milliard d'euros, parce que l'on est aujourd'hui à 700 millions d'euros d'aides du type de MaPrimeRénov' Sérénité et que l'on devrait progressivement doubler ce chiffre, selon les capacités à faire et à instruire des services, mais aussi de l'écosystème. Dans le domaine du pilotage et de l'accompagnement, on a évoqué la filière elle-même, mais on trouve aussi la structure de l'État, avec l'Anah et les services déconcentrés qui instruisent encore ces aides. Si l'on veut monter en puissance, il faut aussi recruter dans ces services pour accompagner ces politiques publiques. Si l'on se donne comme objectif de consacrer 1 milliard d'euros supplémentaires à la rénovation globale par le biais d'une loi de programmation comprenant des marches, alors ce budget ne sera pas très éloigné de celui de la rénovation par gestes. On pourra donc transvaser progressivement : plus de rénovation globale et moins de gestes.
Reste le sujet des compétences et des artisans. Malheureusement, les à-coups de la construction neuve ont libéré des compétences disponibles pour la rénovation dans la période intermédiaire. Pour autant, le neuf reste bien un objectif de la politique du logement. Il y a donc un très important problème de filière devant nous.
M. Laurent Somon. - Mme Pompili indiquait qu'elle s'était elle-même un peu perdue sur le site de MaPrimeRénov' et qu'elle n'avait pas obtenu toutes les informations indispensables, s'agissant notamment de Mon Accompagnateur Rénov'. Celui-ci n'apparaît pas immédiatement, alors qu'il s'agit du maillon essentiel pour que les gens s'impliquent et s'engagent dans une rénovation thermique. En entendant cela, je me suis fait la réflexion suivante : plus ça va, plus les politiques se compliquent et plus il est nécessaire d'accompagner les citoyens, mais plus on accompagne, plus on dématérialise. Or cela me semble antinomique.
S'agissant de l'organisation de la sphère d'État, vous êtes parvenue à fusionner plusieurs opérateurs. Le même problème se pose au niveau des collectivités locales : sont impliquées dans le logement les régions, quelques départements, même si ceux-ci ne disposent plus de cette compétence, et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Ne faudrait-il pas trouver le bon échelon ? L'accompagnement de proximité des cas particuliers étant extrêmement important, les départements ne devraient-ils pas piloter ces politiques ?
Enfin, même si les difficultés ne représentent que 3 000 cas sur 700 000, elles débouchent sur des situations très douloureuses, notamment sur des logements qui deviennent indignes et pour lesquels les montants nécessaires sont alors encore plus élevés et les montages financiers encore plus compliqués. Sur ce dernier point, les collectivités locales, comme le département, peuvent mettre en place des régies d'avance, ainsi que nous venons de le faire dans la Somme. En effet, obtenir la subvention ne garantit pas un versement rapide, au risque de mettre en difficulté les particuliers comme les entreprises ; des collectivités s'engagent donc localement pour monter des régies d'avance et récupérer ensuite les fonds de l'Anah. Pour cela, encore faudrait-il leur faire confiance et ne pas prendre prétexte des possibilités de fraude.
Mme Emmanuelle Wargon. - Plus c'est compliqué, plus il faut accompagner, plus on dématérialise, je suis en partie d'accord. Pour le versement de l'aide, nous avons choisi de centraliser et donc de dématérialiser. On ne pouvait pas monter un système pour passer en dix-huit mois de rien à 700 000 chantiers sans une plateforme centralisée. En revanche, l'accompagnement téléphonique est sans doute perfectible, ainsi que la capacité à traiter les dossiers compliqués en dehors du circuit de masse. Ce dernier point a été le sujet de certains de mes échanges avec l'Anah : comment fait-on pour traiter à la main les situations compliquées ? Cela représente entre 1 000 et 3 000 dossiers par an, soit autant de ménages en difficulté. L'idée était que l'aide soit versée nationalement, mais que l'accompagnement soit local et non dématérialisé. Les Accompagnateurs Rénov' et les guichets France Rénov' doivent se trouver partout sur le terrain, y compris par le biais de permanences itinérantes dans les villes petites ou moyennes dans lesquelles on ne peut ouvrir un guichet toute la semaine.
Cela me conduit à votre question concernant les collectivités. Je ne suis pas du tout convaincue que la région soit l'échelon le plus pertinent. Quand je suis arrivée au gouvernement, la loi de 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) avait été votée et avait confié à la région le service public de l'efficacité énergétique et de l'habitat. Nous avons envisagé de revenir sur ce point, mais nous avons considéré que le combat serait compliqué, théorique, que cela risquait de rouvrir le débat sur les compétences décentralisées, et nous y avions renoncé. Il nous fallait donc faire avec. Si nous avions pu choisir, la région n'aurait pas été l'interlocuteur pertinent, comparée au département ou à l'intercommunalité. Certains départements ne se sont pas saisis du dossier et ce sont alors les intercommunalités qui l'ont pris en charge, d'autres mènent une politique efficace. Il faudrait assumer que la région conçoit tous les grands schémas à son échelle, mais qu'elle est trop éloignée des guichets et de la réalité de terrain. Elle est au mieux un relais de subventions abondées par l'État. Ce n'est toutefois pas ainsi que la loi est écrite, il me semble donc que l'on pourrait encore progresser sur ce point.
Concernant votre dernier point, pour les gestes simples et pour les ménages classiques, recevoir l'aide, en théorie, quinze jours après réception de la facture et la réalisation des travaux, ne pose pas problème, notamment parce que nous avons travaillé avec les banques pour que celles-ci développent l'éco-prêt à taux zéro. Pour les rénovations globales et pour les ménages modestes, il est évidemment impossible de sortir 30 000 euros de travaux, quel que soit le montage ; un tiers doit avancer le financement. Je croyais beaucoup dans les sociétés de tiers financement, qui sont encore très insuffisamment développées, et nous avions cherché des moyens de les généraliser. Des collectivités peuvent aussi opérer directement des régies d'avance. Pour revenir à la région, la région Île-de-France vient d'ordonner à sa société de tiers financement de sortir entièrement du financement de la rénovation énergétique des logements pour ne se concentrer que sur le tertiaire. Ces décisions relèvent des collectivités locales, mais, s'agissant d'Île-de-France Énergies, une telle évolution me semble presque criminelle, au vu des besoins. L'outil de tiers financement et d'avance est très utile. Nous avons, quant à nous, essayé de concevoir un outil bancaire dans ce domaine, le prêt avance rénovation (PAR), complémentaire de ces sociétés. C'est alors la banque qui prête, pour une durée longue, qui se résout au moment de la vente du bien ou de la succession.
M. Laurent Somon. - Qui sera habilité pour être Mon Accompagnateur Rénov' ? Nous rencontrons en effet des difficultés à mobiliser les entreprises, notamment pour de grosses réhabilitations concernant des ménages très précaires.
Mme Emmanuelle Wargon. - Nous avons débattu pour savoir jusqu'où aller dans les habilitations pour Mon Accompagnateur Rénov'. Celles-ci visaient évidemment tous les agents des points d'accueil de collectivités locales ainsi que les architectes, mais fallait-il labelliser certains professionnels privés ? Je n'y étais pas hostile, pour des questions de volume. Nous avons probablement besoin de plus de force pour accompagner plus de ménages, il était donc peut-être utile de labelliser certains acteurs du privé. J'imaginais le faire en deux temps : d'abord les acteurs publics et parapublics ou associatifs, ensuite des acteurs privés. Je ne sais pas comment les choses ont évolué depuis lors.
Concernant l'accompagnement des ménages très précaires, notre idée était de développer un accompagnement social en même temps qu'un accompagnement technique, mais nous n'avons pas eu le temps de mettre cela en place. Dans Mon Accompagnateur Rénov', il faudrait imaginer que certains accompagnateurs disposent d'une compétence sociale en plus d'une compétence professionnelle, qui leur permettrait d'aller chercher des sociétés de tiers financement ou d'autres solutions, de mobiliser des aides, voire de demander un soutien particulier à la collectivité référente. De très belles expériences ont été réalisées en la matière au Secours catholique, à travers le Réseau éco habitat (REH), notamment en Picardie, comprenant un accompagnement à la fois technique et social ainsi qu'une avance totale de frais. Notre idée était donc de développer des Accompagnateurs Rénov' spécifiques, financés par des aides complémentaires.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Que pensez-vous des propos d'Esther Duflo lors de sa leçon au Collège de France, qui remettait en question l'efficacité des politiques publiques de rénovation des bâtiments, plaidant plutôt pour l'individualisation des frais de chauffage, qui serait beaucoup plus efficace, beaucoup moins coûteuse et beaucoup plus durable ?
Mme Emmanuelle Wargon. - Je n'ai pas écouté cette leçon, je ne peux donc que répondre à ce que vous indiquez. À mon sens, les deux dimensions ne s'opposent pas, la question centrale étant la rentabilité de l'euro public investi dans ces politiques de transition énergétique. Où est-il le plus utile de mettre un euro en aide ou en accompagnement, tous sujets confondus, au regard de l'impact attendu sur la réduction des émissions de CO2, mais aussi de critères sociaux ? La rénovation énergétique des logements représente, certes, un sujet écologique, mais aussi de qualité de vie dans le logement et de lutte contre la précarité. L'individualisation des frais de chauffage ne concerne pas les logements individuels, par définition. Dans le collectif, il s'agit d'un vieux sujet que l'on a plus ou moins réussi à aborder et qu'il faudrait relancer, c'est vrai. Tant que l'on paie une quote-part au tantième de la taille d'un appartement, on est peu mobilisé pour piloter soi-même son chauffage. Pour autant, est-ce que cela suffit ? Est-il, dès lors, inutile d'investir de l'argent public dans la rénovation ? S'il en était ainsi, nous assisterions à des rénovations massives de logements individuels ; ce n'était pas le cas avant que nous lancions des politiques publiques. L'efficacité de l'euro investi est vraiment la question centrale, c'est la raison pour laquelle j'ai commencé mon propos par aborder les données et le pilotage et c'est pourquoi je vous ai indiqué que l'économie d'énergie moyenne avait été doublée entre le CITE et MaPrimeRénov'. On se rendra peut-être compte que, si l'on veut accélérer la trajectoire CO2, il faut consacrer proportionnellement plus de fonds à la transformation des transports qu'au bâtiment, ou l'inverse. Ce sont des questions fondamentales que nous devons absolument nous poser, mais je n'ai pas le sentiment que la seule individualisation des frais de chauffage suffise.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Ségolène Royal faisait également un totem de cette mesure, qu'elle considérait comme très importante.
Mme Emmanuelle Wargon. - Il me semble que Ségolène Royal prétendait également qu'en maintenant le CITE, on aurait tout réglé ! C'est tout de même elle qui avait proposé d'inscrire des chiffres dans la loi, indiquant qu'il n'y aurait ainsi plus de problème dans dix ans. Ce n'est toutefois pas parce que c'est inscrit dans la loi que le problème est réglé, nous n'avons pas tout à fait la même conception de la mise en oeuvre des politiques publiques !
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous vous remercions de votre participation.
Audition de
l'Observatoire national de la rénovation
énergétique
(Lundi 27 février 2023)
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous débutons nos travaux par l'audition de plusieurs responsables du service statistique du commissariat général au développement durable (CGDD) qui sont en charge de l'Observatoire national de la rénovation énergétique (ONRE) et collaborent étroitement à l'enquête Logement menée périodiquement par l'Insee, à savoir M. Jérôme Harnois, sous-directeur des statistiques du logement et de la construction, Mme Bérengère Mesqui, sous-directrice des statistiques de l'énergie, Mme Béatrice Boutchenik, responsable des études et synthèses sur le logement et la construction à la sous-direction des statistiques du logement et de la construction, M. Ronan Le Saout, expert en économie de l'énergie et en méthodologie statistique à la sous-direction des statistiques de l'énergie et M. Guillaume Rateau, chef du bureau des enquêtes et synthèses sur le logement et la construction.
La commission a souhaité vous entendre pour faire avancer sa compréhension de la gouvernance de la politique de rénovation énergétique, l'état actuel du parc de logements et la mesure de l'efficacité des aides.
Concernant la gouvernance de la politique de rénovation, nous voudrions comprendre comment se positionne l'ONRE dans le dispositif public et savoir quelles missions précises lui sont confiées. Nous avons notamment retenu de l'audition de Mme la ministre Emmanuelle Wargon qu'aucune politique ne pouvait être pilotée sans une connaissance statistique fiable.
Concernant le parc de logements, et alors que la France s'est donné des objectifs ambitieux avec un parc devenu économe en 2050, où en est-on aujourd'hui sachant que, depuis plusieurs années, on souhaite réaliser 500 000 rénovations par an, sans pour autant y parvenir ? De quelles données dispose-t-on alors que le diagnostic de performance énergétique (DPE) reste très critiqué ? Combien y a-t-il de passoires thermiques et, à l'inverse, de logements déjà aux normes souhaitées pour 2050 ?
Enfin, concernant l'efficacité des aides, peut-on mesurer les gains en termes d'émissions de gaz à effet de serre ou d'énergie consommée ? Arrive-t-on à savoir combien de logements sortent du statut de passoire thermique ? C'est évidemment central pour ajuster les moyens, déjà très importants, aux objectifs poursuivis alors que la Cour des comptes a, par exemple, vivement critiqué les résultats obtenus.
L'ensemble de ces données vous permet-il d'identifier des « points noirs », par exemple quant à une surreprésentation des passoires thermiques, des points de blocage pour la réalisation des travaux ou, au contraire, des leviers qui pourraient être actionnés ?
Enfin, pour reprendre les propos du Président de la République dans une récente vidéo postée sur les réseaux sociaux, peut-on mesurer là où est maximale l'efficacité d'un euro public pour atteindre nos objectifs en matière de transition énergétique ? Est-ce exact qu'il vaudrait mieux aujourd'hui investir dans les transports plutôt que dans la rénovation ?
Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions et pour un propos introductif d'une vingtaine de minutes, j'indique que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.
Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jérôme Harnois, Mme Bérengère Mesqui, Mme Béatrice Boutchenik, M. Ronan Le Saout et M. Guillaume Rateau prêtent serment.
Mme Bérengère Mesqui, sous-directrice des statistiques de l'énergie. - Nous allons commencer par vous présenter les résultats de l'enquête Logement, puis nous évoquerons plus largement les travaux de l'ONRE.
M. Guillaume Rateau, chef du bureau des enquêtes et synthèses sur le logement et la construction. - L'enquête nationale Logement a débuté en 1955 et est normalement menée tous les 5 ou 7 ans par l'Insee. La précédente enquête date de 2013 et, exceptionnellement, celle de 2020 a été réalisée par la sous-direction des statistiques du logement et de la construction sur un champ un peu plus restreint, à savoir la métropole. La prochaine enquête aura lieu à l'été 2023 et sera réalisée par l'Insee sur l'ensemble du pays.
Cette enquête couvre un champ assez large de thématiques : le parc du logement, la qualité de l'habitat, les dépenses, les ressources, les taux d'effort, les opinions sur le logement, les mobilités résidentielles, l'équipement énergétique, qui revêt ici un intérêt particulier. Le questionnaire est globalement comparable d'une enquête à l'autre, permettant ainsi de possibles mesures d'évolution.
Par ailleurs, cette enquête fait partie des études les plus importantes dans le cadre de la statistique publique, puisque 37 000 ménages y ont répondu. Elle est également large par le nombre important de questions posées : elle compte environ 1 500 variables. Il y a un besoin administratif sur certains chiffrages, notamment les loyers imputés qui entrent dans le calcul du produit intérieur brut (PIB), construits à partir de cette enquête. Un grand nombre d'acteurs attendent l'ensemble de ces résultats. L'enquête est également majeure dans le sens où elle produit certains indicateurs de référence, notamment sur les conditions de logement et la partie financière supportée par les ménages. Elle produit le taux de surpeuplement et les taux d'effort, lesquels se déclinent en taux d'effort énergétique et en précarité énergétique.
L'enquête a débuté fin 2019 et devait s'achever au printemps 2021, mais elle a donc pris un certain retard à cause des mesures mises en place pour lutter contre le covid-19. Elle devrait donc s'achever au troisième trimestre de cette année.
Une première publication a été réalisée mi-décembre sur les conditions de logement. Dans les quelques mois à venir seront publiés d'autres éléments importants, notamment avec un bilan du parc de logements par rapport à l'étiquette énergie et sur les taux d'effort avec une déclinaison des taux d'effort énergétique. Nous nous sommes également interrogés sur le cas particulier des logements qui se situent dans le cadre des zones de protection patrimoniale, notamment au regard de leur qualité et de leur performance énergétique.
Mme Béatrice Boutchenik, responsable des études et synthèses sur le logement et la construction à la sous-direction des statistiques du logement et de la construction. - Je vais vous présenter quelques résultats préliminaires de l'enquête publiés en décembre 2022 ; des pondérations pourront être faites par la suite. Nous avons choisi de vous présenter les résultats concernant les défauts majeurs de confort, ce qui va au-delà des questions de performance énergétique.
Le graphique présente la part de logements comportant au moins un défaut majeur de confort par statut d'occupation, type de logement - collectif et individuel - et par période d'occupation, les logements les plus anciens étant ceux d'avant 1949 et la période de construction la plus récente commençant en 2010. Nous constatons, quelle que soit la période d'occupation, une proportion de logements présentant un défaut majeur plus élevée parmi les locataires du parc social et, dans une moindre mesure, du parc privé que parmi les propriétaires occupants. Cette proportion diminue nettement avec l'année de construction, même s'il existe une légère stagnation à la période de l'après-guerre et lors de la période allant de 1975 à 1998.
Pour entrer dans le détail de ces défauts majeurs de confort, je m'attarderai sur celui qui a un lien plus direct avec la performance énergétique, à savoir la proportion de logements ayant au moins une fenêtre laissant passer l'air. Celle-ci est bien plus élevée parmi les locataires, aussi bien dans le parc privé que dans le parc social, que chez les propriétaires occupants. Si elle diminue pour les propriétaires occupants et les locataires du parc privé entre 2013 et 2020, il n'en est pas de même pour les locataires du parc social.
Par ailleurs, nous pouvons aussi nous intéresser à un autre ensemble de défauts, qui ne sont pas considérés comme des défauts majeurs, mais dont un certain nombre ont trait à la performance énergétique des logements, c'est-à-dire les logements trop difficiles à chauffer, ceux qui présentent un défaut en termes d'humidité, des problèmes d'isolation du toit ou des murs ou qui manquent d'aération. Dans la plupart de ces cas, nous constatons une nette amélioration entre 2013 et 2020, quel que soit le statut d'occupation, de l'isolation. Par ailleurs, nous demandons aux ménages s'ils ont souffert du froid, ce qui dépend des années en termes de ressenti. En 2020, ce sont les locataires du parc social qui ont déclaré le plus souvent avoir souffert du froid pendant l'hiver précédant l'enquête.
Mme Bérengère Mesqui. - J'évoquerai maintenant les travaux plus généraux de l'ONRE.
Cet observatoire, qui a été créé en septembre 2019 par une lettre de mission d'Emmanuelle Wargon et de Julien Denormandie, a pour vocation d'améliorer la connaissance sur la rénovation des bâtiments à la fois résidentiels et tertiaires.
Cet objectif général s'accompagne de trois missions principales : caractériser l'état du parc de logements, suivre la dynamique de la rénovation et suivre les dispositifs de soutien à la rénovation. L'idée est de diffuser le plus possible des études et de mettre à disposition des données, au niveau national et au niveau territorial pour éclairer l'action publique.
En termes de gouvernance, cet observatoire est piloté par le CGDD et le service des données et études statistiques (SDES) en assure le secrétariat. Il compte deux instances principales : un comité stratégique, interne à l'administration, qui regroupe la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP), la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC), l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) et le CGDD, qui définit les orientations et valide le programme de travail ; et un comité des partenaires, constitué d'environ 25 membres, qui se réunit une à deux fois par an, selon les années, à qui sont présentés les résultats, qui en débat et formule des propositions sur les études à mener.
En parallèle de ces deux instances, des groupes de travail ad hoc peuvent être créés. En ce moment a été mis en place un groupe de travail sur l'évaluation du coût des travaux de rénovation. Des membres externes à l'ONRE peuvent s'y adjoindre.
Permettez-moi de vous présenter trois publications, plus ou moins récentes, qui permettent d'illustrer les travaux que nous menons.
La première publication porte sur le parc de logements par classe de performance énergétique, que nous avons publiée en juillet 2022. L'objet de cette étude est d'estimer la répartition des DPE sur l'ensemble du parc de logements. En termes de données, nous disposons d'une base collectée par l'Ademe, qui répertorie l'ensemble des DPE réalisés. Toutefois, les DPE ne sont pas effectués aléatoirement dans l'ensemble du parc des logements, ils sont produits en général lors des mises en location ou en vente des logements. Il y a donc un biais de cette base en faveur des logements neufs, dont la classe est de fait moins énergivore. Il nous faut donc extrapoler ces données pour estimer la répartition du parc de logements.
Au 1er janvier 2022, sur les 30 millions de résidences principales, 5,2 millions d'entre elles sont des passoires énergétiques (étiquettes F et G) ; 1,5 million d'entre elles auraient des étiquettes A ou B ; l'étiquette D, la plus fréquente, concernerait 32 % du parc.
Les passoires énergétiques sont plus nombreuses dans les résidences secondaires et dans les logements vacants. Ce n'est pas étonnant dans la mesure où celles-ci ne sont pas chauffées toute l'année. Pour l'ensemble du parc, nous comptons 7,2 millions de passoires énergétiques (étiquettes F et G).
En termes de répartition dans le parc, nous dénombrons davantage de passoires dans le parc locatif privé : 43 % de logements sont classés E, F ou G.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Les passoires thermiques correspondent-elles seulement aux étiquettes F et G ?
Mme Bérengère Mesqui. - Oui, les passoires énergétiques sont exclusivement celles qui sont classifiées F et G.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Et G + ?
Mme Bérengère Mesqui. - Oui, la classification G les comprend.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Avant la création de l'ONRE, existait-il un organisme qui accomplissait tout ou partie des missions qui vous ont été confiées ?
Mme Bérengère Mesqui. - En effet, le service des données et études statistiques réalisait des études. L'enquête sur la performance de l'habitat, équipements, besoins et usages de l'énergie (Phébus) avait évalué, en 2013, les performances énergétiques sur un échantillon de logements. Ainsi, même s'ils étaient moins fournis, des travaux existaient déjà.
Concernant les DPE, une évaluation du parc avait déjà été effectuée le 1er janvier 2018. Cependant, la méthodologie du DPE ayant changé depuis, la comparaison est impossible. Ainsi, il nous est impossible d'indiquer si le nombre de passoires énergétiques a baissé ou augmenté.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Vous parlez de 5,2 ou de 7,2 millions de passoires énergétiques ?
Mme Bérengère Mesqui. - On comptabilise 5,2 millions de résidences principales comme étant des passoires énergétiques et 7,2 millions avec les résidences secondaires.
Le parc social compte un peu moins de passoires thermiques que le parc locatif privé ou les maisons individuelles. Les petits logements et les logements chauffés au fioul - l'étiquette DPE combinant une partie énergie et une autre partie climat -, sont également plus énergivores. Les passoires sont plus nombreuses dans l'agglomération parisienne. Les ménages du premier quintile dans le parc privé occupent plus souvent des passoires énergétiques que les autres classes de revenus.
En outre, les réglementations thermiques mises en place progressivement démontrent que les logements les plus récents sont plus performants.
Par ailleurs, l'ONRE a réalisé une étude sur le suivi des aides à la rénovation. Nous venons de publier un rapport relatif aux principales aides à la rénovation entre 2016 et 2020.
Nous avons des données détaillées sur le crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE), qui n'existe plus aujourd'hui, les certificats d'économies d'énergie (CEE), MaPrimeRénov' (MPR) et Habiter mieux sérénité (HMS). Les données MPR sont disponibles assez rapidement, contrairement aux données CEE que nous recueillons avec deux ans de retard, car elles nécessitent un travail important de recodage des adresses, afin d'éviter les doubles comptes.
En 2020, 2,1 millions de logements ont bénéficié en France métropolitaine d'une aide à la rénovation au titre du CEE, du CITE, de MPR et du dispositif HMS, quel que soit le geste de rénovation réalisé. Entre 2016 et 2020, le nombre de logements aidés variait entre 1,7 million et 2,4 millions, selon les années.
En matière d'énergie conventionnelle, en fonction du type de gestes de rénovation, nous calculons des économies d'énergie conventionnelles, c'est-à-dire théoriques, ce qui donne une idée sur l'efficacité des gestes les plus efficaces. En 2020, nos travaux ont montré que des économies d'énergie conventionnelles ont été réalisées à hauteur de 7,7 térawattheures (TWh) par an, ce qui correspond à 1,7 % de la consommation totale d'énergie finale du parc de résidences principales. Entre 2016 et 2020, ce gain énergétique moyen conventionnel s'est accru, passant de 2,8 mégawattheures (MWh) à 3,6 MWh par an par logement.
La plupart des économies théoriques proviennent des travaux réalisés sur le chauffage et l'eau chaude sanitaire (57 %), sur l'isolation de la toiture, des murs et du plancher (38 %), sur les fenêtres, les volets et portes, puis sur la ventilation, dont la part est mineure. La part des économies réalisées avec l'isolation des fenêtres a tendance à décroître dans le temps dans nos statistiques, du fait que le remplacement des fenêtres a été de moins en moins aidé.
Concernant le suivi des aides, nous constatons que ce sont surtout les maisons individuelles qui bénéficient d'aides. Néanmoins, les CEE se distinguent par une part plus importante de logements collectifs, notamment dans le parc social. Les aides MPR et le dispositif HMS ciblent plutôt les ménages modestes ; le versement des CEE est plus équilibré et les ménages aisés bénéficient surtout du CITE.
Les gains énergétiques se retrouvent plutôt concentrés dans une diagonale entre les Pyrénées et le nord-est de la France et sont moins importants dans le bassin méditerranéen, du fait d'un climat moins rigoureux.
Enfin, la troisième et dernière enquête concerne les travaux de rénovation des maisons individuelles (Trémi). Réalisée en 2020 et copilotée par l'Ademe et le SDES, elle visait à mieux connaître les travaux de rénovation réalisés dans les maisons individuelles. Il s'agit de la seule source d'information disponible sur les rénovations non aidées. Cette enquête permet d'avoir des données détaillées sur les travaux, les coûts, la connaissance des dispositifs, les freins à la rénovation et, a contrario, les motivations.
Si l'enquête Trémi de 2020 concerne uniquement les maisons individuelles, nous ne disposons d'aucune information sur la rénovation non aidée de l'habitat collectif - nous essaierons d'y remédier.
Cette enquête montre que, en 2019, 3,1 millions de ménages ont réalisé 5 millions de gestes de rénovation, pour une économie d'énergie conventionnelle de 8,1 TWh par an. Avec les bouquets de travaux, les gains se montrent plus importants : trois postes de travaux ou plus ont représenté 30 % des gains énergétiques en 2019.
S'agissant des gestes, à l'instar des aides, les gains sont d'abord largement liés aux travaux sur les systèmes de chauffage, devant ceux qui portent sur l'isolation des murs, la ventilation, la toiture, le plancher, et enfin l'eau chaude sanitaire.
Nous avons observé également les réductions de gaz à effet de serre selon le poste. Nous retrouvons sensiblement la même classification que pour les économies d'énergie. En revanche, l'impact sur le chauffage est beaucoup plus important. Il s'agit, je le répète, d'économies conventionnelles.
La principale motivation pour les ménages reste la réduction du montant de la facture énergétique. Ainsi, 70 % des ménages qui ont réalisé des travaux de rénovation dans leur maison individuelle déclarent une amélioration du confort thermique ainsi qu'une baisse de leurs dépenses d'énergie.
En ce qui concerne les freins et les blocages, au-delà du fait que certaines maisons sont déjà performantes, le premier d'entre eux demeure la situation financière des ménages au regard du coût des travaux.
Quant à la planification des futurs travaux, il faut savoir que près des trois quarts des ménages qui ont procédé à une rénovation entre 2017 et 2019 estiment qu'ils ont encore des travaux à réaliser, mais ceux-ci n'ont pas été encore planifiés. Là aussi, la question financière pose problème.
En ce qui concerne les travaux que nous avons prévu de mener, le premier concerne l'estimation des gains énergétiques réels. En effet, nous ne calculons pour l'instant que des gains conventionnels, et nous souhaiterions mesurer les évolutions de la consommation des ménages après rénovation. Deux scénarios peuvent en effet modifier les résultats attendus après une rénovation : un effet rebond - on chauffe davantage pour le même prix - et une qualité de travaux moins bonne qu'escomptée.
Dans ce cadre, il est prévu que nous accédions aux données de consommation mensuelles d'un million de ménages qui seront corrélées avec les chiffres des aides à la rénovation. L'objectif est d'évaluer la consommation de ces ménages avant et après rénovation et la comparer à celle des ménages qui n'ont pas rénové.
Un autre projet concerne le renouvellement et l'extension de l'enquête Trémi pour l'étendre aux logements collectifs, c'est-à-dire aux copropriétés de plus de 10 logements - les petites copropriétés sont aujourd'hui sous-représentées dans le registre de l'Agence nationale de l'habitat (Anah) - et aux logements du parc social. Dans le cadre de cette enquête qui aura lieu à l'automne 2023, seront interrogés les occupants des logements, les propriétaires bailleurs, les bailleurs sociaux et les syndics, afin d'avoir une vision des travaux aussi bien dans les parties privées que communes.
M. Ronan Le Saout, expert en économie de l'énergie et en méthodologie statistique à la sous-direction des statistiques de l'énergie. - Les objectifs de l'ONRE concernent également le domaine du tertiaire qui est aujourd'hui relativement mal couvert d'un point de vue statistique. L'enjeu des mois et des années à venir consiste donc à mieux caractériser ce champ des bâtiments et des activités tertiaires. Dans ce cadre, une analyse qualité de la base disponible sur l'outil de suivi des fluides interministériels (Osfi) a déjà été réalisée. Cette base qui permet d'évaluer la performance énergétique des bâtiments de l'État assez finement pourrait être reliée à des actions de politiques publiques déjà mises en oeuvre sur ces bâtiments, mais ne permet pas de diffuser des statistiques agrégées du fait de défauts de couverture ou d'exhaustivité.
Les prochains mois seront donc consacrés à l'analyse des remontées statistiques via l'Observatoire de la performance énergétique, de la rénovation et des actions du tertiaire (Operat), c'est-à-dire les remontées des assujettis au décret tertiaire en termes de consommation et d'obligation de baisse consommation d'énergie, afin d'évaluer si les statistiques agrégées sur le parc tertiaire pourraient être diffusées de manière élargie. Nous envisageons la possibilité à moyen terme de lancer une enquête statistique quant à ce champ du tertiaire sur le modèle de l'enquête visant les travaux de rénovation énergétique dans les logements (Trélo). En conclusion, la connaissance en termes de statistiques est encore insuffisante dans ce domaine, mais nous cherchons à l'améliorer.
Mme Bérengère Mesqui. - Je vous signale que si vous souhaitiez en savoir davantage, vous pouvez consulter le site internet de l'ONRE : nous ne pouvons pas être exhaustifs dans le cadre de cette audition.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Estimez-vous que les données dont vous disposez soient suffisantes ? Je pense notamment aux modifications intervenues pour le DPE et aux impacts que celles-ci peuvent avoir sur votre travail.
S'agissant des résidences secondaires dont 32 % sont des passoires thermiques, contre 17 % pour les résidences principales, avez-vous réalisé une analyse plus précise au regard des taux d'occupation de ces résidences secondaires ? De plus, s'il y a 20 % de passoires thermiques parmi les maisons individuelles et 15 % dans les logements collectifs, on note une prépondérance en zone rurale et dans l'agglomération parisienne, avez-vous réalisé une analyse localement ou par région, notamment au regard des dispositifs mis en place dans certains acteurs locaux ?
Possédez-vous des indicateurs sur la qualité énergétique réelle des rénovations ? De même, avez-vous des données sur le type de matériaux utilisés : matériaux biosourcés ou locaux ?
Enfin, disposez-vous d'informations pour expliquer le non-recours aux aides, notamment en ce qui concerne le CITE ?
M. Jérôme Harnois, sous-directeur des statistiques du logement et de la construction. - S'agissant de la première question, il apparaît assez clairement que, en moins de trois ans, le SDES et l'ONRE ont réalisé des miracles, qui plus est dans un contexte de pandémie. En effet, au moment où Mme Wargon a donné l'impulsion à la création de l'ONRE, nous partions de zéro. Ainsi, un important travail de recensement des sources disponibles a été opéré et des prises de contact avec les producteurs de ces données ont eu lieu, telles que la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC), l'Ademe et l'Anah. De plus, le SDES adapte son système d'information en complétant le dispositif Trémi par le dispositif Trélo pour l'élargir aux logements collectifs.
Nous arrivons néanmoins à une forme de plateau : il nous manque tout d'abord une certaine rapidité de la disponibilité des données. Nous nous appuyons en effet beaucoup sur les données administratives et sommes donc dépendants des organismes producteurs. Ainsi, dans le cadre des CEE, le délai de disponibilité des informations est problématique, puisque tant que nous n'avons pas réceptionné ces données, nous ne pouvons rien produire, ce qui frustre les utilisateurs et pénalise le pilotage.
Un autre sujet d'ordre technique correspond à la capacité à rapprocher les sources et à réaliser des jointures. Nous sommes en effet particulièrement sensibles à ce sujet sur la question des logements et plus généralement des locaux. Il est certain que les travaux qui vous ont été présentés aujourd'hui mobilisent une force assez disproportionnée par rapport aux enjeux. Il faut comprendre que les sources sont assez peu adaptées aux jointures : nous sommes obligés de passer par la notion d'adresse, ce qui ne correspond pas toujours à la structuration des DPE : il nous faut trouver le bon logement pour le bon DPE. En vue d'améliorer ces points, le SDES travaille avec la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP), avec l'Insee et avec la direction générale des finances publiques (DGFiP), afin d'élaborer un système de répertoire des locaux qui serait mis à la disposition d'acteurs chargés d'administrer des données sur les locaux. Ce travail qui a débuté il y a deux ans connaît une accélération en 2023, puisqu'un service d'exposition du référentiel du service des impôts permettra désormais au détenteur de certaines données de consulter le répertoire existant et de rapatrier dans sa base de données l'invariant fiscal, qui sert aujourd'hui à la taxe d'habitation et à la taxe foncière, pour pouvoir rapprocher les sources. Ce service sera mis en place en mode expérimental à la fin de l'année, mais on peut penser que, dès 2024, la plupart des sources évoquées par Mme Mesqui auront pu être rapprochées, ce qui permettra de gagner en qualité et en précision géographique.
Mme Bérengère Mesqui. - S'agissant des résidences secondaires, nous n'avons pas procédé à des analyses spécifiques ; nous les avons introduites pour la première fois et je ne vois pas comment nous pourrions récupérer des données sur leur taux d'occupation. Néanmoins, si ce sujet n'est pas pour l'instant prioritaire, il nous faudra l'examiner un jour.
En ce qui concerne la précision géographique, l'étude que nous avons publiée montre des données à l'échelle départementale, sachant que les méthodes statistiques n'ont pas la capacité d'approcher un niveau très local et que la source première d'informations délivrée par les DPE ne permettra pas de constater des effets signifiants à une échelle locale.
Pour répondre à la question sur les zones rurales et l'agglomération parisienne, il s'agit d'une question de type de bâtis : les maisons individuelles ont davantage de surfaces de déperdition et sont donc plus souvent classées dans la catégorie des passoires énergétiques.
Par ailleurs, nous n'avons pas pour l'instant d'informations quant à la qualité de rénovation et aux types de matériaux utilisés.
Enfin, le non-recours aux aides n'a pas été étudié via le Trémi, et je ne sais pas dans quelle mesure cette question pourrait être ajoutée via le Trélo. Si le CITE correspond à un crédit d'impôt, il est probable que le délai associé à cette aide peut avoir une influence dans le cadre de situations financières plus délicates. Nous pourrions nous pencher sur cette question lors de la prochaine enquête.
M. Ronan Le Saout. - Sur la question des statistiques locales et de la qualité des données, nous alertons sur le fait qu'il y a des incertitudes sur les statistiques relatives aux DPE. Cette incertitude est liée au fait que nous mesurons un concept qui est le fruit d'une mesure administrative conventionnelle pouvant évoluer dans le temps et pouvant être sujet à contestation.
L'incertitude est également liée au fait qu'il s'agit d'un travail de modélisation. En parallèle de l'étude publiée, nous menons conjointement un travail dans le cadre d'une mission Connaissance avec la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) de Normandie qui vise à définir un outil dénommé « la boussole de la rénovation énergétique ». Cet outil délivrerait des statistiques à un niveau local plus fin, notamment à l'échelle des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), statistiques qui porteraient sur les aides à la rénovation énergétique. La question de la fiabilité de ces chiffres à une échelle locale se pose pour l'instant : s'ils offrent une vision théorique de la situation du parc de logements au vu de ses caractéristiques, ils ne peuvent pas tenir compte des politiques spécifiques locales mises en oeuvre. L'expertise des acteurs locaux reste donc nécessaire pour commenter ce type d'analyse.
En ce qui concerne la future enquête Trélo, il existe des cadres sur la connaissance des aides auxquelles ont eu recours les ménages, aides que l'on peut ensuite relier aux situations de revenus ou de composition de ces ménages. Le questionnaire sera donc à étudier pour y ajouter éventuellement l'analyse du non-recours.
M. Jérôme Harnois. - S'agissant de l'analyse des raisons du non-recours, il faut savoir que ce type d'étude est très coûteux techniquement et que l'on ne peut être jamais sûr d'avoir parfaitement traité le sujet : ce champ n'est traitable de manière satisfaisante qu'en ce qui concerne le logement social, en raison de la présence de l'invariant que nous sommes en train d'implémenter au sein du répertoire du parc locatif social (RPLS).
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Avez-vous pu identifier le nombre de logements qui seraient déjà aux normes fixées par la stratégie nationale bas-carbone 2050 ?
M. Ronan Le Saout. - Nous évaluons le nombre de logements par classe DPE, notamment les logements classés A, B et C. S'agissant des normes « bâtiment basse consommation » (BBC) qui correspondent à l'horizon 2050, la question est de savoir quelle définition adopter. Si l'on peut caractériser les logements A et B, je ne sais pas vraiment comment nous pourrions les relier aux normes d'efficacité énergétique des bâtiments à horizon 2050. En outre, une autre difficulté se pose quant aux logements très performants : il existe trois méthodes de calcul du DPE. La première correspond à la méthode de Calcul de consommations conventionnelles des Logements (3CL) et les deux autres concernent les logements neufs, selon la réglementation thermique (RT) 2012 et la réglementation environnementale (RE) 2020. Les DPE des logements neufs ne sont donc pas les mêmes que les DPE-3CL. Nous essayons d'harmoniser les calculs autour de la méthode 3CL, mais il persiste un mélange de concepts pour les logements BBC, ce qui rend la mesure des logements très efficaces d'autant plus difficile.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Vous parvenez néanmoins dans le cadre des logements neufs à mesurer le nombre de constructions RT 2012, BBC, passives ou autres. La vraie question qui demeure est le lien et l'uniformisation avec les données de l'existant des DPE.
M. Ronan Le Saout. - Notre travail de modélisation porte effectivement sur les logements DPE-3CL, c'est-à-dire des logements neufs qui ont fait l'objet d'un DPE-3CL, parce qu'ils ont été construits il y a quelques années et renouvellent leur DPE. En parallèle, nous connaissons la situation du parc des deux dernières années des logements neufs et nous utilisons donc ces informations pour faire vieillir nos statistiques, mais cette méthodologie reste incertaine.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Seriez-vous à même d'évaluer des fraudes ou des effets d'aubaine des différents dispositifs ?
Mme Bérengère Mesqui. - Ce n'est pas le rôle d'un service statistique. Par ailleurs, les effets d'aubaine pourraient être étudiés, mais il faudrait dans un premier temps définir l'effet d'aubaine d'une aide à la rénovation. Il serait très difficile de mesurer le cas des effets incitatifs de l'aide à la rénovation.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - On peut penser à l'effet d'une aide mise en place sur le coût des matériaux. L'exemple des chaudières semble assez facile à mesurer quant à l'évolution des coûts.
Mme Bérengère Mesqui. - Nous avons lancé un groupe de travail pour déterminer la manière de suivre le coût des travaux de rénovation. Nous étudions pour l'instant la pertinence des sources. Les fichiers MPR seront a priori utilisés pour suivre les coûts et identifier, éventuellement, un effet de l'aide sur l'évolution d'un matériau ou d'un dispositif spécifique, mais nous n'en sommes pas encore là.
M. Franck Montaugé. - Les statistiques présentées constituent-elles la base de ce que les cabinets d'études utilisent pour le calcul du coût d'émissions de dioxyde de carbone ? Ces calculs sont notamment utilisés par les collectivités locales eu égard aux politiques qu'elles mettent en oeuvre ou auxquelles elles contribuent.
Par ailleurs, vous avez donné des chiffres bruts des émissions de dioxyde carbone : intègrent-ils la production de carbone des entrants correspondant aux différentes opérations envisageables en matière d'économie d'énergie pour les bâtiments ? Il peut s'agir de matériaux ou d'énergie, puisqu'une rénovation peut donner lieu à des changements de mode de chauffage et parfois des émissions de carbone supplémentaires.
Mme Bérengère Mesqui. - Les émissions présentées correspondent à des émissions en usage et ne prennent donc pas en compte l'empreinte carbone des matériaux. Elles intègrent en revanche les gains d'émission liés à un changement de mode de chauffage.
Pour répondre à la première question, les gains d'émission ont été calculés en fonction des gains théoriques d'énergie et du type de chauffage, c'est-à-dire au regard d'une hypothèse sur chaque type d'émission en fonction du mode de chauffage. Dans la plupart des études réalisées par les collectivités territoriales, la base des calculs est plutôt constituée de ces hypothèses par type. Ainsi, nos calculs ne sont pas forcément réutilisés tels quels.
M. Franck Montaugé. - Je pensais à la possibilité de comparer les chiffres issus d'études différentes.
Mme Bérengère Mesqui. - Cela paraît possible dans la mesure où les bases de calcul sont les mêmes : les facteurs d'émission proviennent essentiellement des bases de l'Ademe.
M. Ronan Le Saout. - Quant au calcul des gains conventionnels, nous nous appuyons sur une modélisation conventionnelle de type DPE et pour certaines hypothèses techniques, sur le travail d'un cabinet de consultants qui définit certaines hypothèses techniques en les associant aux données de l'enquête, afin d'arriver à ces chiffrages. Ainsi, les chiffres sont bien comparables, puisque la plupart des acteurs utilisent la méthodologie DPE pour calculer des gains conventionnels, même s'il peut y avoir des variantes. De plus, les données du Trémi sont utilisées dans le cadre de calcul de consommation ou sous forme de données d'entrées pour des modèles macroéconomiques servant à la définition de politiques publiques de rénovation énergétique.
M. Franck Montaugé. - Avez-vous une vision ou une appréciation de l'efficacité de ces labels dans le temps ? Ce qui fonctionne aujourd'hui pourrait-il donner lieu à une moindre efficacité avec le temps.
Mme Bérengère Mesqui. - Il existe effectivement une durée de vie des équipements : les travaux macroéconomiques fixent la durée de vie des travaux de rénovation à vingt ou vingt-cinq ans. Les gains d'émissions que nous calculons aujourd'hui correspondent au moment où la rénovation est fonctionnelle à 100 %, mais cela peut ne pas durer éternellement. Ce délai dépend des équipements. Ainsi, une chaudière a une durée de vie de quinze ans à vingt ans, une isolation peut durer, selon nos modèles, vingt-cinq ans, mais nous n'avons pas encore assez de recul sur les travaux de rénovation réalisés aujourd'hui pour connaître exactement leur durée de vie, notamment la durée d'efficacité des matériaux.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Ma première question porte sur l'écart entre le calcul conventionnel et le constat : ne faudrait-il pas être plus précis en sélectionnant par exemple 1 000 ménages types, comme on le fait pour comprendre la pollution de l'air intérieur, en étudiant les conditions de vie réelles des populations. En effet, j'ai observé que les accédants à la propriété à qui on annonce un très bon DPE ont un sentiment de frustration lorsqu'ils observent leur consommation réelle par rapport à ce qui leur avait été annoncé. Or la crédibilité du DPE est très importante pour nos concitoyens, en particulier au regard de la faisabilité financière dans le cadre de leur investissement personnel. Cette étape de calcul est-elle prévue dans vos études statistiques ou faudrait-il la prévoir sous une autre forme ?
Par ailleurs, cela fait longtemps que je lis beaucoup d'études et de statistiques et je me demande si celles-ci nous aident vraiment à définir les politiques publiques. Toute connaissance est bonne, mais je n'ai jamais observé que cette obsession de la pensée par les comptes permettait de trouver une solution au problème. Lors de vos études, avez-vous observé des faits saillants qui révéleraient des fragilités, des nécessités ou des sujets qui seraient vraiment nouveaux ? Pour ceux qui sont familiers de ces sujets, il est bien connu que ce sont les riches qui réalisent le plus de travaux, que le pavillon pollue plus que le collectif, que la rénovation du toit a davantage d'impact que celle des fenêtres... Et pourtant les particuliers continuent à rénover leurs fenêtres. Avez-vous découvert la réponse à ce qui nous ramène finalement à un débat philosophique : ce qui compte vraiment se compte-t-il ?
Mme Bérengère Mesqui. - Je commencerai par répondre à votre première question. Nous nous lançons dans un exercice macro puisque nous nous pencherons sur la consommation d'un million de ménages, examinerons l'évolution de leur consommation réelle, que nous apparierons aux aides et aux données fiscales. Nous aurons toutefois des informations relatives à la composition et au type des logements. En comparant les données des ménages qui ont rénové et de ceux qui ne l'ont pas fait, nous pourrons observer, à un niveau macroéconomique, l'impact de la rénovation sur la consommation réelle. Il s'agit d'un premier élément important.
Il pourrait aussi être utile de savoir de façon précise à quels usages les ménages ont recours et à quel moment, pour comprendre ce qui s'est passé quand l'efficacité de la rénovation sur la consommation n'est pas aussi importante que prévu. Cependant, nous n'avons pas prévu de le faire à ce jour. Toutefois, je voudrais mentionner l'existence d'un projet mis en oeuvre autour d'un panel rassemblant, me semble-t-il, Réseau de transport d'électricité (RTE), l'Ademe et les distributeurs d'électricité et de gaz, pour suivre et analyser la consommation d'un petit échantillon de ménages. Il s'agit d'un projet que nous suivons, mais auquel nous ne participons pas, et qui ne semble pas avoir encore rendu de résultats. Les deux types de travaux sont complémentaires, chacun ayant son intérêt.
Concernant votre seconde question, vous avez raison, nos connaissances sont nombreuses. Cependant, je ne maîtrisais pas les données liées au chiffrage des montants d'économies d'énergie, aux données que nous récolterons peut-être sur les économies réelles et à l'ampleur de ce que la rénovation énergétique peut apporter aux politiques publiques, notamment en lien avec les objectifs de la stratégie nationale bas-carbone (SNBC). Si nous n'avions pas mesuré ces éléments à partir de nos enquêtes, nous n'aurions pas développé ces connaissances. Les statistiques sont donc assez intéressantes afin de définir les politiques publiques.
M. Jérôme Harnois. - Si Mme Wargon nous a demandé de produire des statistiques sur la rénovation énergétique, c'est précisément parce qu'il n'en existait pas. Nous n'avons probablement rien découvert de fondamental, mais il n'existait pas de mesures et notre mandat consistait à créer des indicateurs afin d'y remédier. Il me semble que nous l'avons plutôt bien rempli, dans un temps assez court.
Ce qui compte se compte-t-il ? Il s'agit effectivement d'un débat philosophique et cette question me fait penser au recensement de la population, qui repose sur ce principe : tout le monde compte. Nous serons sans doute tous d'accord pour dire que le recensement, notamment en matière de finances des collectivités locales, reste un outil fondamental.
M. Philippe Folliot. - Je voudrais aborder la question de la certification des différents produits en partant d'un exemple concret. Dans la région Occitanie, plus particulièrement dans le Sud-Aveyron et surtout dans l'est du Tarn, le cheptel ovin, lié à la filière roquefort, est important. Toutefois, la laine reste un sous-produit assez mal valorisé, pour différentes raisons. L'isolation représente pourtant une opportunité intéressante puisqu'elle permet de valoriser ce sous-produit tout en ayant un impact environnemental zéro par rapport à d'autres isolants, fabriqués à partir de pétrole par exemple. Cependant, la labellisation de ce type d'isolation demeure particulièrement complexe et il serait irréaliste de demander à un agriculteur qui livre sa laine de se lancer dans ces démarches de certification.
Dans ce cadre, serait-il possible de faire en sorte que l'on puisse utiliser des matériaux locaux et bio-sourcés qui répondent à un besoin, sans rentrer dans le cadre des éléments purement statistiques puisqu'ils n'obtiennent pas de label ?
Pour être plus concret encore, dans mon village, nous mettons en oeuvre un projet qui consiste à bâtir des maisons à l'ossature de bois, dans lesquelles nous avons décidé d'utiliser la laine comme isolant. Cependant, il apparaît que nous ne rentrons pas dans les cases, y compris pour bénéficier du fonds d'accélération de la transition écologique dans les territoires dits « Fonds vert ». Quel est votre sentiment à ce sujet ?
Mme Bérengère Mesqui. - En tant que statisticiens, nous sommes souvent dépendants des fichiers administratifs, qui comptent ce qui est labellisé. Ainsi, dans les fichiers d'aide, nous comptons les éléments ayant droit à cette aide. Parfois, cela limite notre champ de vision et c'est pourquoi nous conduisons aussi des enquêtes en population générale, comme l'enquête Trémi, qui permettent de capter ce qui ne rentre pas dans les cases de l'administration, n'est pas labellisé et ne donne pas forcément droit à une aide. Cependant, la labellisation des méthodes ne relève pas du service des statistiques. Nous comprenons les difficultés rencontrées, mais, en tant que statisticiens, nous mesurons plus facilement ce qui est déjà labellisé.
Mme Sabine Drexler. - Vous avez évoqué la motivation des ménages pour effectuer des travaux d'isolation. Cette motivation va forcément évoluer puisque le DPE va devenir obligatoire et opposable pour continuer à louer son bien. Envisagez-vous d'évaluer le nombre de propriétaires-bailleurs qui décideront de ne pas effectuer des travaux d'isolation, notamment dans le bâti patrimonial datant d'avant 1948, qui nécessite des gestes et des matériaux particuliers ? Allez-vous évaluer le nombre de biens qui seront délaissés puis démolis à ce titre ?
De plus, dans le cadre du zéro artificialisation nette (ZAN), les terrains vont devenir rares et chers. Nous risquons d'être confrontés à une forte spéculation foncière et le bâti patrimonial pourrait être en danger. À cet égard, envisagez-vous d'évaluer le nombre de maisons qui vont être démolies pour que les terrains puissent être remis sur le marché ?
Enfin, questionnez-vous l'objectivité des DPE et la qualification des diagnostiqueurs ?
Mme Bérengère Mesqui. - En ce qui concerne votre première question, nous n'avons pas de travaux prévus quant à l'impact sur le marché du logement de l'interdiction à la location de certains logements, en fonction de leur DPE. Cependant, nous réfléchissons au sujet et, si aujourd'hui le SDES n'a pas prévu de conduire des travaux, nous échangeons avec la DHUP, qui s'interroge sur ces questions, et avec le conseil d'analyse économique, qui souhaite évaluer cet impact. Rien n'est encore précis, mais des études seront lancées.
M. Ronan Le Saout. - La mission de coordination sur la rénovation énergétique coordonne des travaux relatifs à la feuille de route pour la mise en place de la rénovation énergétique dans le parc locatif privé, vis-à-vis des propriétaires-bailleurs. Une demande politique forte émane du ministre du logement sur cette thématique.
Dans ce cadre, l'ONRE ne mesure pas le nombre de logements qui ne seront plus mis en location et sortiront du parc. Cependant, nous publierons un document de travail complémentaire sur les DPE spécifiques au parc locatif privé. De plus, nous avons conduit des échanges avec des acteurs privés comme la société Meilleurs agents, qui a publié des études basées sur d'autres données. Certes, on peut questionner la qualité de ces travaux, mais ils n'en demeurent pas moins sérieux et ils complètent nos données sur certains aspects conjoncturels. L'ONRE ne travaille donc pas directement sur le sujet, mais échange avec d'autres acteurs pour tenter de mesurer ce phénomène.
En ce qui concerne l'objectivité des DPE, nous nous basons sur des concepts administratifs préexistants pour faire nos statistiques. Nous essayons d'être prudents quand nous valorisons nos analyses et diffusons nos statistiques. Cependant, nous suivons l'actualité et savons que les débats sur ce sujet ont été nombreux. Dans le document de travail, nous avons mis en avant des effets de seuil. Par ailleurs, nous n'avons pas nié que la chaîne informatique de remontée de l'information des DPE n'était pas encore tout à fait stabilisée. Depuis, nous constatons une amélioration en termes de remontée de l'information et de prise en compte par les diagnostiqueurs de certaines hypothèses. Toutefois, nous ne pouvons juger directement de la qualité de la méthode utilisée et il peut rester des biais sur certains points, comme les petits logements. À cet égard, des améliorations pourraient être apportées pour la mesure des DPE. En effet, ces petits logements sont très représentés parmi les passoires thermiques, en raison de critères de consommation par mètre carré.
M. Jérôme Harnois. - J'en reviens aux biens démolis. En termes d'observation, nous avons accès au Système d'information et de traitement automatisé des données élémentaires sur les logements et les locaux (base de données Sitadel), souvent présenté comme le répertoire des permis de construire. Cependant, elle engrange aussi des permis de démolir, mais pas tous, car, historiquement, l'intérêt pour cette source était plutôt lié au fait qu'elle suivait les projets de constructions neuves, de logements ou de locaux. Toutefois, on observe depuis quelques années un grand intérêt pour les données liées à des projets de démolition et une volonté de disposer de statistiques pérennes, sous forme de séries chronologiques. Aujourd'hui, nous ne sommes pas complètement armés pour le faire, mais nous avons bien identifié le besoin.
J'ajouterai une précision à ce sujet. Si un certain nombre de projets de démolition sont engrangés dans la base de données, on oublie souvent que de nombreuses constructions neuves se font à partir de structures anciennes qui ne sont pas nécessairement démolies. Beaucoup de constructions et de reconstructions partent de l'existant, qu'il ait ou non une vocation résidentielle. Nous avons bien ces sujets en tête, mais, aujourd'hui, le système d'informations statistiques est plutôt en fragilité à cet égard.
Par ailleurs, le ZAN ne concerne pas seulement le résidentiel et on peut observer, par exemple, le recyclage de friches industrielles. À ce sujet aussi nous sommes encore en fragilité d'observation.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - En parlant de démolition, vous faites une différence entre le nombre de passoires thermiques parmi les résidences principales, que vous estimez à 5,2 millions, et les 7,2 millions de passoires que vous recensez sur l'ensemble du parc, en prenant en compte les résidences secondaires et les logements vacants. Avez-vous conduit une étude spécifique pour estimer la part de passoires thermiques dans les logements vacants ? En effet, la mauvaise qualité énergétique d'un logement pourrait être l'une des raisons de sa vacance. Il faudrait peut-être chercher comment inciter alors à la rénovation, car aucun outil n'existe. On taxe - et je suis très favorable à la taxe -, mais quand de nombreux travaux sont nécessaires, les logements restent vacants. Nous devrions nous interroger sur la représentation tendancielle des logements vacants parmi les passoires thermiques, surtout en zone urbaine, où les logements sont taxés.
M. Ronan Le Saout. - La notion de logement vacant repose sur la vacance au sens fiscal et on observe donc aussi une vacance frictionnelle. Cette notion regroupe un ensemble de situations diverses. Il est aussi difficile d'étudier les résidences secondaires ; la connaissance de ces parcs est moindre.
J'en reviens à ce sujet à l'utilité des statistiques. Nous avons souhaité mettre ces chiffres en avant parce que les débats sont nombreux sur le nombre de passoires et il s'agissait d'alerter sur la part des résidences principales. De plus, nous voulions poser la question de la réallocation des parcs.
M. Michel Dagbert. - Vous avez évoqué une expérimentation conduite par la Dreal. Je suis toujours très attentif à l'État déconcentré et à la manière dont les élus se saisissent de ces problématiques dans les territoires. Comment considérez-vous les remontées de données des différentes structures intercommunales ? Je pense notamment aux communautés urbaines et aux communautés d'agglomération, qui commencent à se structurer d'un point de vue administratif et technique. Les communautés de communes sont peut-être moins outillées. Quels partenariats votre structure pourrait-elle nouer dans le futur avec ces entités afin de permettre une remontée plus fine des informations, notamment sur les sujets que nous venons d'évoquer, comme les démolitions à l'heure où nous nous apprêtons à entrer dans le ZAN ?
Mme Bérengère Mesqui. - À ce stade, nous n'avons pas forcément accès à des remontées venant des communautés de communes, sauf dans des bases déjà cadrées.
M. Ronan Le Saout. - Le CGDD comprend une mission « Connaissance », qui vise à coordonner des pôles de statistiques locales à visée nationale au sein des Dreal. La Dreal Normandie héberge un pôle portant sur la rénovation énergétique, d'autres pôles se préoccupent de l'artificialisation des sols ou d'autres sujets. Le projet est en train de se monter. En termes de gouvernance, il doit être porté par la Dreal et, dans un premier temps, l'outil doit être mis à la disposition interne de l'administration, des directions départementales des territoires (DDT), des Dreal et des préfectures, ce qui nous permettrait d'engendrer une remontée de la qualité statistique, par rapport à ce que nous avons dit plus tôt de la pertinence des statistiques locales.
Par ailleurs, nous avons reçu des questions émanant de communautés de communes sur nos statistiques, mais il s'agissait de demandes ponctuelles. L'idée est plutôt que nous fournissions des éléments statistiques à la Dreal Normandie, qui pilotera la relation avec les acteurs. Il n'est pas prévu que nous interagissions avec l'ensemble des intercommunalités.
Mme Bérengère Mesqui. - Dans l'ensemble, nous essayons plutôt de décliner des statistiques nationales plutôt que d'agréger des remontées locales. D'expérience, l'agrégation de statistiques locales, qui ne sont pas au même format et ne sont pas collectées de la même façon, n'est pas évidente.
M. Jérôme Harnois. - Par ailleurs, nous travaillons avec un réseau de statisticiens régionaux en Dreal. Notre système est assez jacobin et le partage des rôles l'illustre. Les deux sous-directions travaillent dans une approche plutôt nationale-territoriale : les indicateurs sont normés à l'échelle nationale et déclinés progressivement, pour s'assurer de la qualité des indicateurs aux différents échelons. Ensuite, à partir d'un certain moment, nous serons en capacité de mettre à disposition de nos collègues des Dreal les indicateurs établis au niveau national, de manière fluide.
Je terminerai par un petit rappel. Nous travaillons en collaboration assez étroite avec le réseau des cellules économiques régionales de la construction (Cerc), qui ont aussi une structure nationale, en partie subventionnée par le CGDD, qui vise à harmoniser les méthodologies et à coordonner. Les fédérations professionnelles au niveau national et le groupement d'intérêt économique (GIE) réseau des Cerc travaillent, de manière parallèle à nous, mais de façon coordonnée, à MonSuiviRénov', qui a pour objet de mettre à la disposition des acteurs locaux un outil commode.
M. Michel Dagbert. - J'insiste sur cette question parce que le ZAN risque d'avoir des effets induits, y compris parfois des effets pervers. Du point de vue de la méthode, je comprends la nécessaire sécurisation des données. Néanmoins, un accompagnement des EPCI pourrait avoir lieu en matière de méthodologie, ce qui pourrait permettre d'observer l'évolution de la situation dans les années à venir. La Fédération nationale des agences d'urbanisme pourrait notamment donner des indications utiles quant au suivi de la mise en oeuvre du ZAN.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous avons donc ouvert quelques pistes de réflexion et vous avons soumis certaines propositions. Je vous remercie pour ces échanges et votre présentation. Nous suivrons les résultats des études à venir.
Mme Bérengère Mesqui. - L'étude sur les consommations réelles sera terminée fin 2023 et l'enquête Trélo en 2024.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je vous remercie de votre participation.
Audition de
M. Simon Huffeteau, coordinateur interministériel
du plan de
rénovation énergétique des
bâtiments
(Lundi 27 février 2023)
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous poursuivons nos travaux avec l'audition de M. Simon Huffeteau, coordinateur interministériel du plan de rénovation énergétique des bâtiments.
Vous exercez ces fonctions depuis juin 2022 et pour une durée de trois ans. Vous êtes polytechnicien et ingénieur des ponts. Vous exerciez précédemment des responsabilités au sein de l'entreprise Dassault Systèmes.
Votre audition a lieu après celle des représentants de l'ONRE et doit nous permettre de mieux appréhender le pilotage de cette politique publique.
Julien Denormandie et Emmanuelle Wargon ont été à l'origine de la création de cette mission de coordination, ayant pris conscience que les grandes administrations ne se coordonnaient pas d'elles-mêmes et que la plupart des décisions remontaient pour être soumises à l'arbitrage de leurs deux cabinets. C'est ce qu'Emmanuelle Wargon a indiqué à notre commission lors de son audition.
La commission a souhaité vous entendre pour mieux comprendre la gouvernance présidant à cette politique publique. Cela sera d'autant plus utile qu'en juillet 2022, soit un mois après votre prise de fonction, la Cour des comptes a émis un certain nombre de critiques et a demandé, dans son référé sur la rénovation énergétique des bâtiments, que ce pilotage soit renforcé.
La Cour notait notamment : « Dotée de faibles moyens, cette mission de coordination n'est pas équipée pour assumer le pilotage national de la politique de rénovation énergétique et en particulier le suivi des actions en lien avec les collectivités locales. » En outre, elle recommandait l'adoption d'outils pour évaluer l'efficacité des aides publiques attribuées. Cependant, le maintien d'une logique d'aide par geste est-il compatible économiquement et administrativement avec la systématisation d'une évaluation avant et après les travaux de rénovation ? Est-ce tout simplement possible alors que la fiabilité des DPE reste questionnée ?
Enfin, la Cour demandait le renforcement de l'accompagnement des ménages. La commission souhaiterait donc que vous fassiez un point d'étape sur le déploiement du réseau France Rénov', dont vous être maître d'ouvrage délégué.
Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions et pour un propos introductif d'une vingtaine de minutes, j'indique que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.
Je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Simon Huffeteau prête serment.
M. Simon Huffeteau, coordinateur interministériel du plan de rénovation énergétique des bâtiments. - Je commencerai par des rappels d'ordre général au sujet de la rénovation énergétique des bâtiments avant d'évoquer la structuration et le rôle de la mission. Enfin, je partagerai quelques éléments afin de dresser un état des lieux.
Avant de commencer, je souhaiterais rappeler que j'ai été nommé le 15 juin dernier et que je n'ai pas connaissance de l'intégralité de l'historique de la politique publique ni de celui de la coordination ministérielle. Je vous éclairerai du mieux que je le pourrai, au regard de mes connaissances et des recherches que j'ai effectuées.
En premier lieu, je souhaiterais revenir sur le parc des bâtiments, qui comprend un parc résidentiel et un parc de secteur tertiaire, chacun étant décomposé entre public et privé. Ainsi, le résidentiel compte un parc social, mais aussi un parc de résidences privées et, de la même manière, il existe un tertiaire public - relevant notamment de l'État et des collectivités - mais aussi un tertiaire privé.
S'il existe des segments spécifiques, leur objectif reste commun. Cet objectif est connu et a été formulé dans la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) : assurer une réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) de 49 % en 2030 par rapport à 2015 et une réduction de 23 % de la consommation d'énergie finale sur la même période. Ces objectifs représentent des efforts importants, mais ne constituent que des étapes vers la neutralité carbone, prévue à l'horizon 2050.
Lorsque l'on considère ces objectifs en même temps que le nombre de logements - environ 30 millions - et de mètres carrés - 1 milliard dans le secteur tertiaire -, on fait le constat que chaque progrès compte, qu'il faut agir vite et même accélérer. Toutefois, il faut garder en tête que la rénovation reste un sujet très complexe. Pour le logement, on touche à l'espace de vie des ménages et en ce qui concerne les entreprises, elles peuvent avoir d'autres priorités, économiques notamment. Par ailleurs, le bâtiment constitue un objet complexe. Structurellement, l'acte de rénovation découle donc de décisions complexes et demeure un acte compliqué. Cette réalité explique aussi le besoin d'une action publique s'appuyant à la fois sur des dispositifs incitatifs et sur des outils réglementaires - obligations et interdictions.
À ce titre, la politique publique choisit des approches différentes selon les segments. Pour le secteur tertiaire, l'approche est davantage basée sur des obligations règlementaires quand, du côté du logement privé, un ensemble d'incitations est déployé, en plus des obligations.
Je souhaite souligner que la coordination gouvernementale a vocation à porter un regard d'ensemblier sur cette politique publique. Cependant, je ne peux pas être derrière chaque action et l'essentiel de mon rôle consiste à m'assurer que l'objectif que je mentionnais, en matière de réduction des GES et de consommation énergétique, reste l'objectif principal poursuivi dans chacun des segments.
Quand on mentionne les objectifs, on se dit que la tâche est urgente. Mais quand on mentionne les échéances, on se dit aussi qu'il s'agit de mener une politique publique de long terme et qu'il faut que les dispositifs mis en place soient suffisamment puissants pour avoir des effets de long terme.
J'en viens à la coordination gouvernementale. La personne qui m'a précédé a été nommée par une lettre de mission cosignée par Emmanuelle Wargon et Julien Denormandie le 1er octobre 2019. Je n'étais pas présent lors de cette création et me base donc sur le contenu de cette lettre. En termes de contexte, les résultats en matière de rénovation énergétique étaient alors jugés comme n'étant « pas à la hauteur ». Il était également fait mention d'une demande d'accélération de la rénovation énergétique provenant des citoyens eux-mêmes et les remontées du grand débat national étaient notamment évoquées. Le contexte de 2019 était bien différent de celui d'aujourd'hui.
En ce qui concerne son rôle, la mission est chargée de mobiliser les acteurs publics dans un cadre mieux coordonné. Les lettres identifient explicitement l'Agence nationale de l'habitat (Anah), l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) et les filières du bâtiment et de l'énergie. Par ailleurs, l'objectif mentionné est clair et explicite : il faut permettre une accélération significative du rythme des rénovations. Voilà le mandat confié à la mission de coordination. Il s'agit de piloter et de suivre la politique publique, de mettre en place une organisation de manière à produire des résultats de court et moyen termes en matière de rénovation énergétique.
Toutefois, il est bien précisé que ces activités ont vocation à être exécutées sans se substituer à l'action des administrations centrales. À ce titre, la mission de coordination n'est pas une délégation interministérielle et ne s'ajoute pas aux administrations travaillant à la rénovation. Elle constitue un complément et vise à assurer un collectif de travail au sein de l'administration centrale.
Une seconde lettre de mission a été signée le 26 avril 2021 et décrit de manière plus précise les objectifs des mois qui suivent.
Aujourd'hui, la coordination gouvernementale pour le plan de rénovation énergétique des bâtiments est une direction de projet de l'administration centrale. Elle est doublement rattachée à la direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature (DGALN) et à la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC). De façon concrète, je rapporte à la directrice générale de la DGALN et suis rattaché d'un point de vue opérationnel au directeur général de la DGEC. Ce rattachement formel s'est fait à l'occasion de la réorganisation de la DGALN et notre mission figure bien dans l'organigramme de cette direction. Cela a été clarifié début 2022.
Nous nous inscrivons dans une démarche de collectif de travail et il ne s'agit pas d'ajouter une couche d'administration ni de faire travailler les administrations contributrices. Nous sommes dans une logique d'animation et faisons partie du collectif DGALN et DGEC qui, au sein de l'administration centrale, élabore et met en oeuvre la politique publique en matière de rénovation énergétique. Nous sommes au carrefour des mondes de l'énergie et de l'habitat, et l'un de nos objectifs consiste à nous assurer que le monde énergie est bien aligné avec celui de l'habitat et que les décisions prises de part et d'autre sont pleinement cohérentes.
Outre l'effectif de mon équipe, il faut compter les dizaines de personnes travaillant à la rénovation énergétique des bâtiments au sein de la DGALN-DHUP - la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages - et de la DGEC - service climat et efficacité énergétique. Il faut aussi ajouter les dizaines de personnes oeuvrant à ces sujets au sein de l'Anah et de l'Ademe, avec lesquelles nous sommes également en relation.
Mme Wargon souhaitait qu'une structure soit consacrée au pilotage de la politique de rénovation énergétique. Tel est bien le mandat de mon équipe !
Nous avons un rôle transversal. Notre mission est organisée en fonction des types d'usagers, et non par types d'outils ou d'aspects de la réglementation, comme le sont classiquement les directions d'administration centrale. Outre mon poste, la mission en compte six : un sur le parcours des usagers au sein du service public ; un sur la rénovation du parc locatif privé et des copropriétés ; un sur l'offre de travaux et la lutte contre la fraude ; et trois sur les bâtiments tertiaires, dont deux sont des créations récentes à la suite du lancement du fonds d'accélération de la transition écologique dans les territoires dit « Fonds vert ». Cet effectif est à comparer avec celui des différentes sous-directions avec lesquelles nous travaillons au quotidien. Nous n'avons évidemment pas la capacité de piloter intégralement la politique publique de rénovation énergétique : notre rôle est de nous inscrire dans un collectif et de l'animer pour atteindre les objectifs assignés.
Depuis la création de la mission en 2020, la politique publique de rénovation énergétique a évolué.
La création de MaPrimeRénov', en lien avec les certificats d'économies d'énergie (CEE), a permis de massifier les gestes de rénovation. En 2019, l'objectif était d'accélérer le rythme des rénovations énergétiques. La politique publique de rénovation énergétique a été érigée en chantier prioritaire du Gouvernement. Le nombre de gestes de rénovation fait partie des indicateurs de suivi. C'est sur cette base que nous sommes évalués.
La loi « Climat et résilience » a instauré de nouvelles obligations.
La création de la bannière unique France Rénov' renforce le service public. Il s'agit de garantir aux ménages une information et un conseil neutres et indépendants. Cette politique publique se fait évidemment en lien avec les collectivités territoriales.
La création du secrétariat général à la planification écologique (SGPE) vise à renforcer la coordination, dans une logique de planification de long terme. L'apparition de ce nouvel acteur change la donne même si, comme elle est récente, nous n'en avons pas encore perçu toutes les conséquences sur le plan opérationnel.
Les dossiers sur lesquels nous intervenons sont nombreux.
Je citerai tout d'abord la mobilisation de la filière afin de respecter les obligations définies par la loi « Climat et résilience » concernant le parc immobilier privé. Un groupe de travail destiné à élaborer une feuille de route sur la rénovation du parc locatif privé est en cours de constitution, sous la présidence de M. Olivier Klein, pour mobiliser la filière et définir les mesures à prendre afin que les interdictions de mise en location puissent être effectives. Il revient à mon équipe de définir les indicateurs de suivi.
Nous sommes associés au dispositif Mon Accompagnateur Rénov', qui est entré en vigueur le 1er janvier 2023, assorti de dispositifs transitoires qui seront valables en 2023 et 2024.
Nous sommes aussi impliqués dans la lutte contre la fraude et l'éco-délinquance ; nous animons un groupe de travail interministériel sur ce sujet.
Enfin, il nous revient de rédiger le chapitre relatif à la rénovation énergétique des bâtiments des collectivités dans le cadre de la mise en place du Fonds vert.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - En ce qui concerne la rénovation énergétique, les anciens ministres du logement que nous avons auditionnés ont tous mis l'accent sur la simplicité d'accès au dispositif, sur la nécessité d'un accompagnement. Ils plaident pour des politiques publiques visibles et pérennes.
La mise en place de France Rénov' est présentée comme une simplification. Pourriez-vous faire le point sur son déploiement ? Quel est le rôle de Mon Accompagnateur Rénov' ? Quels sont les liens avec les collectivités ? Certaines avaient déjà mis en place des plateformes de rénovation. Elles ont l'impression que l'on modifie à nouveau le dispositif, avec de nouveaux mécanismes d'aides et de subventions. Le nouveau service public de la performance énergétique de l'habitat (SPPEH) manque encore de visibilité. Comment pourrait-on simplifier ?
Quel est le rôle de votre mission en matière de pilotage du label « Reconnu garant de l'environnement » (RGE) ? De même, votre mission est-elle compétente pour coordonner un nouvel ajustement technique du diagnostic de performance énergétique (DPE) ?
M. Simon Huffeteau. - Pour répondre à vos questions, je commencerai par vous expliquer comment nous travaillons. La mission est à la jonction entre la DGALN et la DGEC. Nous intervenons de trois manières. Nous pouvons piloter des projets qui ne sont pas portés par une autre organisation : c'est le cas par exemple du reporting sur les politiques prioritaires du Gouvernement, de la rédaction du chapitre consacré à la rénovation énergétique dans le cadre du Fonds vert, ou encore du déploiement de France Rénov'. Notre pouvons aussi jouer le rôle d'animateur d'équipe, comme nous le faisons pour définir la feuille de route destinée à garantir l'adaptation du parc locatif privé aux nouvelles normes ou encore dans le cadre du groupe de travail de lutte contre la fraude, qui réunit plusieurs administrations. Enfin, nous pouvons intervenir en appui : dans ce cas, nous exprimons la voix de l'usager auprès des autres directions de l'administration centrale.
La décision de créer le réseau France Rénov', sous l'égide de l'Anah, a été prise en 2021. Le déploiement opérationnel du réseau et du service public multicanal a commencé en 2022 : site internet, numéro de téléphone national unique, guichets, etc. Force est de constater que, sous cette bannière, le nombre de conseillers est passé d'un millier à plus de 2 500, répartis dans 550 espaces-conseils France Rénov', grâce notamment aux collectivités territoriales. Il ne s'agit pas de dire que rien n'existait auparavant, différentes initiatives avaient été prises et des dispositifs fonctionnaient, mais l'esprit du nouveau mécanisme est de créer un dispositif unique, sous une bannière nationale, afin d'inciter les Français à engager des travaux de rénovation énergétique tout en leur donnant un point d'accès simple au parcours de rénovation.
L'accompagnement existait déjà avant, notamment dans l'aide à la pierre de l'Anah. L'objet du service Mon Accompagnateur Rénov' n'est pas de reprendre sous un autre nom ce qui existait déjà, mais de multiplier les opérations de rénovation. Les collectivités territoriales peuvent devenir des accompagnateurs Rénov'. Il leur suffit de demander un agrément. Il en va de même pour les opérateurs privés. L'objectif est non pas d'empêcher les collectivités territoriales d'intervenir, mais plutôt d'augmenter la capacité globale d'accompagnement. Le choix a été fait de s'appuyer à la fois sur des acteurs associatifs, publics, comme les collectivités, et des acteurs privés. Cette articulation entre différents acteurs crée des difficultés opérationnelles, car la mise en oeuvre de l'agrément suppose des textes réglementaires complexes. C'est ce qui explique la phase d'adaptation actuelle.
La simplification de l'accès pour les ménages au service public de la rénovation de l'habitat risque de se traduire, de manière passagère, par un accroissement de la complexité opérationnelle pour les collectivités et pour les acteurs du service public. Cette phase transitoire est inévitable si l'on veut créer un parcours simple et accessible. L'objectif est d'instaurer un service public de la rénovation de l'habitat, qui ne soit pas centré sur la rénovation énergétique, mais qui réponde à toutes les problématiques de l'habitat. Là encore, certaines collectivités avaient déjà créé des maisons de l'habitat. Nous voulons étendre et généraliser ces dispositifs à l'échelle nationale, tout en tenant compte des spécificités locales. Cela ne peut pas se faire sans le concours des collectivités. Dans tous les cas, une phase de transition est nécessaire pour réunir tous les acteurs sous le label France Rénov' afin, in fine, que le parcours des ménages soit plus simple.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Combien de temps cela prendra-t-il ?
M. Simon Huffeteau. - Le dispositif Mon Accompagnateur Rénov' entre en vigueur progressivement depuis le 1er janvier. Les conventions de financement du service public de la performance énergétique de l'habitat par le programme Service d'accompagnement pour la rénovation énergétique (Sare) prennent fin le 31 décembre 2023. Nous devrons donc avoir des discussions sur la suite. Il est évident que le service public continuera. Reste à définir le schéma cible, la date de sa mise en oeuvre. Au 1er janvier 2024, le financement est garanti, même si les modalités restent en discussion ; le schéma cible et sa date d'entrée en vigueur dépendront des discussions avec les collectivités. La réglementation comporte déjà certains jalons, comme la jonction entre Mon Accompagnateur Rénov' et les opérations programmées de rénovation de l'habitat à partir du 1er juillet 2024. D'autres jalons pourront faire l'objet d'une discussion avec les collectivités territoriales.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Des discussions ont donc lieu avec les collectivités sur la mise en oeuvre de cette procédure ?
M. Simon Huffeteau. - Les collectivités attendent de connaître les modalités de financement du SPPEH à partir du 1er janvier 2024. C'est normal, nous y travaillons d'arrache-pied. Il y aura un financement. Nous essaierons de faire en sorte que le nouveau mécanisme soit le moins disruptif possible, mais nous voulons aussi discuter du schéma cible.
Le label RGE est piloté par la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP). Mon équipe a un rôle d'appui, c'est-à-dire que nous exprimons la voix de l'usager dans les travaux de l'administration. Nous sommes principalement dans une démarche de veille et de suivi du dispositif. Nous intervenons dans les réflexions internes concernant l'évolution du dispositif, la formation, l'augmentation du nombre d'entreprises RGE - qui stagne -, l'attractivité de la filière, etc. Nous avons ainsi contribué à une campagne de communication en 2022 visant à renforcer l'attractivité de la filière.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - La mise en place du label RGE vous semble-t-elle positive ? D'autres pays n'ont pas de label, mais préfèrent un contrôle a posteriori sur le résultat des travaux.
M. Simon Huffeteau. - Nous avons bien connaissance des dispositifs alternatifs que vous évoquez, et qui existent d'ailleurs en France dans d'autres domaines : je pense par exemple aux contrôles a posteriori sur les installations de gaz ou d'électricité. À ce stade, il n'y a pas de remise en cause du dispositif ; l'objet de nos réflexions est plutôt de l'améliorer.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Les entreprises se plaignent de la complexité des démarches.
M. Simon Huffeteau. - En effet, mais les fédérations professionnelles peuvent aussi jouer un rôle moteur dans ce label. La DHUP est à l'écoute des remontées de la filière. On entend les appels en faveur de plus de simplification, mais il n'a pas été possible de donner suite à certaines demandes, notamment sur la fusion des contrôles liés au RGE, aux CEE ou à MaPrimeRénov' : chaque contrôle a, en effet, un objet spécifique ; on ne contrôle pas les mêmes personnes ni les mêmes points.
Sur le DPE, nous intervenons là encore en appui de la DHUP, qui est chargée de définir les textes réglementaires. Je précise d'ailleurs que nous n'avons pas de compétence réglementaire ni budgétaire, nous nous appuyons sur la DGALN ou la DGEC.
Le choix a été fait en 2021 de faire reposer le DPE sur les caractéristiques physiques du logement. Une méthode a été définie pour obtenir une description aussi fiable que possible. Les diagnostiqueurs doivent justifier les données qu'ils renseignent. Le temps n'est plus, comme cela pouvait encore arriver il y a deux ans, aux DPE vierges ou sur facture. L'essentiel de nos efforts consiste aujourd'hui à fiabiliser les diagnostics, homogénéiser la méthode, en approfondissant la logique de justification des données inscrites. Je vous invite à interroger la DHUP pour en savoir plus sur les réflexions en cours mais, à ma connaissance, la méthodologie consistant à se baser sur les caractéristiques physiques du logement n'est pas remise en cause.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - La mission intervient-elle dans la possible extension des interdictions de location des passoires thermiques aux meublés de tourisme ?
M. Simon Huffeteau. - Le cabinet du ministre de la ville et du logement étudie la possibilité d'étendre l'interdiction de louer aux meublés touristiques ; des réflexions sont en cours, mais ma mission n'a pas été sollicitée.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Une telle interdiction vous semble possible ?
M. Simon Huffeteau. - Compte tenu de la complexité juridique du sujet, il devrait être confié à la DHUP. De notre côté, nous serons mobilisés sur un sujet connexe : comment éviter les effets d'éviction et la raréfaction de l'offre locative privée ? Nous travaillons ainsi à la feuille de route relative à la rénovation énergétique du parc locatif privé. Il s'agit de définir des indicateurs permettant de suivre l'effet des mesures d'interdiction de mise en location. Nous devons apprendre à analyser les données - le risque étant de les surinterpréter -, car elles peuvent participer d'un mouvement plus général. Nous allons travailler avec les professionnels ou les associations de locataires pour voir comment nous pouvons, collectivement, éviter une réduction du parc locatif privé.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Quel est le rôle de votre mission dans la lutte contre la fraude ?
M. Simon Huffeteau. - Lors de l'opération proposant des offres d'isolation à 1 euro, de nombreuses situations frauduleuses ont été signalées, et notre mission de coordination s'est vu confier un rôle d'animation d'un groupe de travail de lutte contre la fraude à la rénovation énergétique. Nous n'avons pas le pouvoir de sanction ni celui d'élaborer une politique de contrôles, mais nous mettons en relation les services de l'État qui ont ces prérogatives.
Ce groupe de travail se réunit toutes les semaines ; il rassemble la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), la DGALN, l'Anah, l'Ademe, le pôle national des CEE de la DGEC, le service central de renseignement criminel de la gendarmerie nationale, et le service d'information, de renseignement et d'analyse stratégique sur la criminalité organisée (Sirasco) de la police nationale.
Nous nous concentrons sur des chantiers structurels : si nous pouvons ponctuellement échanger des informations opérationnelles sur des fraudes en cours, lorsque la réglementation nous le permet, l'essentiel de nos travaux consiste à élaborer des messages de prévention auprès du grand public, rédiger des conventions de partage d'informations entre services pour faciliter la transmission des données en cas d'identification d'une fraude, définir des outils pour permettre aux ménages de signaler des fraudes, etc. Nous avons donc une mission d'études sur des chantiers structurels ; nous n'avons pas d'autre mandat, même si nous sommes bien placés pour faire des propositions, ce que nous faisons à destination des cabinets ministériels.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Quand ce groupe de travail a-t-il été mis en place ?
M. Simon Huffeteau. - Il a été créé en 2019.
Mme Sabine Drexler. - La Cour des comptes a déploré l'absence d'une doctrine claire pour articuler protection du patrimoine et transition écologique. Ma question portera sur le patrimoine non protégé, non les monuments historiques ou le patrimoine protégé dans les documents d'urbanisme, mais bien les maisons traditionnelles de nos villages. Les préconisations des DPE ne tiennent pas compte des spécificités de ce type de bâti. Existe-t-il un travail conjoint entre les ministères de la transition écologique, de la culture et de l'agriculture à ce sujet ?
M. Simon Huffeteau. - Lorsqu'un ménage demande la réalisation d'un DPE, des préconisations standards peuvent être proposées par le diagnostiqueur. Mais les préconisations de travaux relèvent plutôt de l'audit qui a vocation à formuler des propositions plus précises, en donnant des indications plus complètes aux propriétaires.
Il existe un groupe de travail entre les ministères de la culture et de la transition écologique : il travaille non pas sur le DPE, mais sur les typologies de préconisations.
Par ailleurs, des bonnes pratiques ont déjà été formulées. C'est le rôle du centre de ressources pour la réhabilitation responsable du bâti ancien (Creba) au sein du centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), de les diffuser. Elles concernent le patrimoine non protégé, les corps de ferme, les logis ruraux non classés, etc. Je ne crois pas que le Creba préconise en priorité l'isolation thermique par l'extérieur dans ces cas. Un effort est à faire pour diffuser ces bonnes pratiques et éviter les préconisations qui vont à l'encontre du bon sens dans nos villages.
M. Franck Montaugé. - Cela concerne aussi le patrimoine urbain.
M. Simon Huffeteau. - Absolument.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Parfois, des personnes se trompent en toute bonne foi en remplissant leur dossier MaPrimeRénov'. Il semble difficile de corriger ses erreurs par la suite et de faire valoir son droit à l'erreur. Avez-vous des éléments à ce sujet ?
Enfin, observe-t-on un renchérissement du coût des travaux, des effets d'aubaine en raison de l'existence d'aides publiques ?
M. Simon Huffeteau. - Sur les dossiers mal renseignés, sur le droit à l'erreur et sur le cas des personnes qui ne sont pas parvenues à aller au bout des démarches, il convient de mettre en rapport le nombre de dossiers engagés - c'est-à-dire les dossiers ayant atteint la fin de la première phase du processus, l'obtention d'un accord de principe pour l'obtention de l'aide MaPrimeRénov' -, qui est très élevé puisqu'il atteint 650 000 en 2021 et plus de 600 000 en 2022, avec les quelques centaines de dossiers qui se sont trouvés dans une impasse. Sur ce sujet, je vous engage à solliciter l'Anah mais, de notre côté, nous suivons précisément et régulièrement le traitement des dossiers en difficulté - l'Anah va jusqu'à appeler des ménages pour les aider à achever la rédaction de leur dossier - et, sans entrer dans le détail, même si certains dossiers ne peuvent être clos pour diverses raisons, les cas concernés représentent un volume limité.
Par ailleurs, dans un objectif de massification, on a choisi de recourir à une plateforme nationale. L'Anah travaille à une convention avec France Services pour accompagner individuellement les ménages souffrant d'illectronisme et les aider à aller au terme de leur dossier mais, en pratique, c'est déjà fait par certains des guichets de service public que j'évoquais. Donc, il existe déjà des actions ; il y a sans doute des efforts à faire pour aller plus loin, mais beaucoup a été fait sur ce sujet, qui reste un point d'attention à nos yeux.
Sur le lien entre les aides et le coût des travaux, je n'ai pas la liste complète des dossiers, mais la DGEC et la DGALN suivent, avec mon équipe, sur un document A3 de 90 lignes, les actions des opérateurs de l'État sur la rénovation énergétique. Chaque ligne d'indicateur recèle des heures de travail. L'un des indicateurs suivis rapporte le montant des aides de MaPrimeRénov' au coût des travaux, récupéré par l'Anah. On a donc la possibilité de vérifier si le montant de l'aide est approprié au montant moyen des travaux et d'ajuster les dispositifs pour éviter ou minimiser les effets d'aubaine. L'objectif est de les identifier le plus tôt possible pour corriger les dispositifs mais aussi, réciproquement, de proposer des ajustements à la hausse en cas d'inflation. On a ainsi rehaussé, à compter du 1er janvier 2023, des plafonds de MaPrimeRénov' Sérénité, afin que l'aide soit corrélée à l'augmentation du coût des travaux et que les propriétaires soient sensibilisés à la nécessité d'engager ces travaux plutôt que des gestes unitaires.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Travaillez-vous sur la question des copropriétés ?
M. Simon Huffeteau. - Nous n'avons pas encore commencé, mais nous allons le faire. Notre objectif en la matière est analogue à celui que nous avons pour les propriétaires bailleurs et les transformations du parc locatif privé : mobiliser les professionnels, notamment les syndics, pour aider les copropriétaires à s'engager dans la rénovation énergétique. Aujourd'hui, cette mission est essentiellement prise en charge par la DHUP et par l'Anah, dont c'est le coeur de métier. J'appréhenderai pour ma part cette thématique sous l'angle de la rénovation énergétique.
M. Franck Montaugé. - Selon vous, la notation d'un DPE peut-elle se dégrader dans le temps ?
M. Simon Huffeteau. - Du fait de la dégradation du bâti ou de l'évolution des objectifs de politique publique ?
M. Franck Montaugé. - Du fait de la qualité des matériaux, des processus, du vieillissement du bâti.
M. Simon Huffeteau. - D'abord, nous souhaitons que les notes moyennes des DPE s'améliorent, puisque l'objectif est de rénover.
Ensuite, le DPE est une note conventionnelle : la note est déterminée par convention, à partir de ce que le diagnostiqueur a observé et renseigné. S'il sait qu'il y a telle épaisseur de laine de verre dans un mur en 2023 et qu'elle est toujours là en 2030, la note du DPE ne peut changer.
En réalité, l'analyse est d'ordre physique. Le DPE est une description conventionnelle du logement, c'est un proxy de la réalité physique de la consommation d'énergie. Si votre question est : « la performance énergétique des bâtiments dans le temps va-t-elle se dégrader ? », je ne suis pas expert, mais je dirais : « très probablement. » Si l'isolation des combles, par exemple, est soumise à une certaine humidité, son niveau réel de performance va baisser. On craignait naguère le tassement de certains isolants, conduisant à ce que l'enveloppe du bâtiment ne soit pas hermétiquement fermée, ce qui pouvait entraîner des fuites d'air ou une diminution de l'isolation ; c'est moins le cas aujourd'hui, mais il peut y avoir un effet de vieillissement du bâti. C'est ce qui justifie la maintenance régulière des bâtis. Cela vaut bien évidemment pour les systèmes, de chauffage par exemple - on estime qu'une chaudière dure quinze ans -, mais aussi sur le bâti. Un bâtiment a une durée de vie très longue, certes, mais il n'est pas éternel.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous vous remercions de votre participation.
Audition de
M. Nicolas Hulot,
ancien ministre de la transition écologique et
solidaire
et de Mme Michèle Pappalardo, ancienne directrice de
cabinet
(Lundi 27 février 2023)
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous poursuivons les travaux de la commission d'enquête sur l'efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique avec l'audition de M. Nicolas Hulot, ancien ministre de la transition écologique et solidaire. Votre audition s'inscrit dans la série d'auditions d'anciens ministres par laquelle nous avons débuté nos travaux et qui s'achèvera la semaine prochaine avec celle de Julien Denormandie. En effet, il nous semble à la fois utile de bénéficier de vos retours d'expérience et il est de la responsabilité des ministres de répondre de leur action devant le Parlement. C'est ce que vous faites aujourd'hui en répondant à la convocation de notre commission d'enquête.
Monsieur le ministre, vous avez été, de mai 2017 à septembre 2018, ministre d'État, en charge de la transition écologique et solidaire.
Vous êtes accompagné de Mme Michèle Pappalardo, qui était alors votre directrice de cabinet. Madame, je précise que vous avez également été, auparavant, présidente de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, l'Ademe, et commissaire général au développement durable, puis présidente de chambre et rapporteure générale du rapport public et des programmes à la Cour des comptes.
Monsieur le ministre, dès juillet 2017, vous avez présenté un « plan climat » ambitieux, suivi en avril 2018 d'un plan d'aide à la rénovation énergétique des bâtiments, dont l'objectif de 500 000 logements rénovés par an visait à massifier et à accélérer la dynamique des travaux, en mobilisant 14 milliards d'euros sur cinq ans.
Qu'est devenu le plan de rénovation que vous aviez lancé ? A-t-il été victime de votre départ et de l'obligation pour un ministre de faire des annonces plutôt que d'appliquer les décisions de son prédécesseur ?
Avec le recul qui est le vôtre aujourd'hui, quel bilan tirez-vous de cette expérience gouvernementale ? Lors de votre départ du Gouvernement, vous aviez dénoncé la présence excessive des lobbies dans la décision publique. Était-ce le cas en matière de rénovation énergétique ? Avez-vous identifié d'autres difficultés qui vous auraient empêché d'aller aussi loin et aussi vite que vous le souhaitiez ?
Vous n'exerciez pas la tutelle du ministère du logement. Était-ce un handicap pour mener la politique que vous souhaitiez ?
Aujourd'hui, le bâtiment demeure un secteur particulièrement énergivore et émetteur de gaz à effet de serre. Les objectifs de rénovation énergétique que nous nous étions fixés, notamment la rénovation de 500 000 logements par an, ne sont pas atteints. Les résultats contrastent avec les ambitions assignées.
Il nous sera donc intéressant que vous puissiez, avec votre expérience, nous partager votre jugement de la politique menée depuis votre départ du Gouvernement. La rénovation énergétique bute-t-elle sur des questions de financement, de réglementation, de méthode, d'inconstance ou sur une prise de conscience insuffisante des enjeux ?
Avant de vous laisser la parole pour un propos introductif d'une quinzaine de minutes, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.
Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite donc tous les deux à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Nicolas Hulot et Mme Michèle Pappalardo prêtent serment.
M. Nicolas Hulot, ancien ministre de la transition écologique et solidaire. - Merci pour cette invitation. Une remarque pour commencer : ayant pris de la distance avec ce sujet complexe, il est possible que je manque de précision sur certaines données ou dates, je vous prie d'en tenir compte et je me réjouis que Mme Pappalardo m'accompagne, pour compléter et corriger mon propos quand il y a lieu.
Plutôt qu'un bilan de mon passage au gouvernement, qui serait très vite fait étant donné sa brièveté, je vous proposerai un enseignement. J'ai gardé de ce passage une réflexion, qui me semble s'appliquer à toutes les politiques publiques qui achoppent et à l'échec desquelles on cherche un coupable, alors que les raisons de l'échec sont bien plus complexes. C'est particulièrement vrai dans le domaine de l'écologie, où les objectifs se combinent, où l'on prend des engagements, avec des objectifs fixés dans la loi, puis des plans d'action ; prenez le cas des pesticides : on s'engage à en diminuer la consommation dans un calendrier, mais arrivé au délai fixé, on constate que cette consommation, loin de diminuer, a augmenté - que s'est-il passé entre temps ? Il faut examiner précisément les choses, nos concitoyens s'interrogent. Alors il y a toutes les raisons que vous avez dites, la complexité des sujets, l'écart entre le déclaratif et les moyens effectivement engagés, mais ce qui m'a frappé surtout, et c'est l'enseignement que je crois pouvoir en tirer, c'est le manque de méthode et de stratégie, pour agir sur le temps long. Car à cette échelle, nous parlons de mutations profondes de notre société, vous le savez bien comme parlementaires. Dans ces changements, la rénovation thermique est la clé de voûte de la transition énergétique, après une période longue pendant laquelle la préoccupation était l'accès à l'électricité pour le plus grand nombre, alors que nous n'avions pas idée de la crise climatique et que nous avions l'illusion que l'énergie serait à bon marché pour toujours, ou presque. Les initiatives n'ont pas manqué depuis vingt ans, entre le Grenelle de l'environnement, la loi de transition énergétique, le plan climat, la stratégie bas-carbone, et bien d'autres lois encore ; je ne crois pas que leur raison d'être ait été de tromper nos concitoyens, de jouer les apparences, même si chaque ministre aimerait avoir sa loi à soi, sa solution pour « éradiquer » les problèmes - ce terme me vient à propos, encore un mot plus gros que le ventre...
Dans le fond, il me semble que la transition énergétique, qui s'impose désormais clairement avec la raréfaction de l'énergie et la gravité de la crise climatique, demande qu'on mette en oeuvre quatre principes dans l'action publique. D'abord, la prévisibilité, c'est-à-dire le fait de fixer des objectifs clairs, en fonction d'impératifs scientifiques et sociaux ; c'est ce que nous avons fait par exemple lors de la Cop 21 - et il faut aussi tenir compte de la difficulté de ces politiques. Deuxième principe, la progressivité : il est très important de ne laisser personne sur le carreau. C'est bien pourquoi j'ai voulu accoler l'adjectif « solidaire » à l'intitulé de mon ministère, nous avons besoin d'une transition écologique et solidaire. L'alignement du prix du diesel sur l'essence est justifié, mais on ne peut changer de pied, sur un sujet qui touche tant de ménages, sans accompagner le mouvement, il fallait de la progressivité, avec des moyens d'accompagnement spécifiques. Troisième principe, l'irréversibilité, cela vaut particulièrement pour la rénovation thermique : pour que tout le monde s'engage, s'il faut certainement des adaptations pour tenir compte des situations particulières, il faut aussi tenir le rythme de la transition, donc cranter l'objectif. Enfin, quatrième objectif, il faut de la visibilité et du suivi, pour savoir ce qu'on fait année après année. Le temps long est un intrus dans notre vie démocratique, il nous faut de l'évaluation active pour adapter les moyens mis en oeuvre ; j'ai trop vu de promesses énoncées avec sincérité, alors même qu'on savait que les moyens de la mise en oeuvre ne suivraient pas, il faut hiérarchiser les priorités. Un exemple récent : le Gouvernement consacre 45 milliards d'euros au bouclier tarifaire pour l'électricité, c'est 18 fois plus que pour la rénovation énergétique du bâti.
Votre sujet est central, la rénovation énergétique est la clé de voûte de la transition écologique, car toute politique énergétique est conditionnée par la sobriété et l'efficacité énergétiques. Cela vaut quel que soit le mix énergétique, l'efficacité énergétique, qui est d'ailleurs un objectif fixé par la loi, est prioritaire. On découvre bien tard notre précarité énergétique, le mouvement s'aggrave et le bâtiment occupe une place centrale, représentant 44 % de notre consommation d'énergie primaire et 27 % de nos émissions de gaz à effet de serre. Enfin, il faut prendre en compte l'enjeu économique, l'énergie compte éminemment dans notre balance commerciale, nous dépendons du gaz russe, de l'uranium, de ressources venues de loin et les métiers de l'énergie représentent des emplois nombreux qui ne sont pas délocalisables.
Un mot sur les lobbies : la rénovation énergétique n'est pas un sujet où j'ai souffert des assauts de lobbies. Je dirai plutôt que, pendant longtemps, le métier d'EDF a surtout consisté à vendre de l'énergie et que l'efficacité énergétique n'était pas dans ses priorités.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Mme Pappalardo, avez-vous un propos liminaire ?
Michèle Pappalardo, ancienne directrice de cabinet. - Non, je n'ai pas de déclaration liminaire et j'interviendrai en complément des réponses du ministre.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - La rénovation thermique fait consensus, politiquement et, d'après ce que l'on nous dit, la question des lobbies n'est pas prégnante sur le sujet : il devrait donc être plus simple d'aboutir, mais ce n'est pas le cas. Des objectifs très ambitieux sont posés, vous aviez regretté il y a plus de dix ans, comme président d'une ONG, qu'on n'aille pas plus loin - cependant nous sommes encore loin d'atteindre les objectifs qu'on avait alors fixés : que pensez-vous du fait de poser des objectifs toujours plus importants, qu'on n'atteint pourtant pas ?
Devant notre commission d'enquête, Mme Ségolène Royal nous a dit qu'en 2018, tout ce qu'elle avait mis en place - en particulier les territoires à énergie positive pour la croissance verte (TEPCV) et le crédit d'impôt transition énergétique (CITE) - avait été balayé par ses successeurs, donc vous en l'occurrence : pourquoi avoir changé les dispositifs qui avaient été mis en place sous le quinquennat précédent ?
Vous avez été ministre d'État mais sans tutelle sur le logement : était-ce un problème dans la conduite de votre action ? Quel a été le dialogue avec votre collègue du logement ?
En 2010, l'idée avait été émise de rendre obligatoire la rénovation énergétique des logements au moment de leur vente - cette idée n'a toujours pas été retenue, pourquoi est-ce si difficile, à votre avis ?
Enfin, s'agissant du budget, Emmanuelle Wargon nous a dit qu'il manquerait 1 milliard d'euros à la rénovation globale, qu'en pensez-vous ?
M. Nicolas Hulot. - Quand nous sommes arrivés au ministère, il y avait eu l'annonce du grand plan d'investissement, d'un montant de 57 milliards d'euros, dont 30 milliards pour notre ministère, sur lesquels 9 milliards étaient fléchés vers l'efficacité énergétique, en particulier pour accompagner les ménages modestes. C'est une somme, et je vous avoue qu'il m'est arrivé de me demander où était passé cet argent - je le dis sans esprit de soupçon, bien sûr. Et à chaque réunion interministérielle, il nous fallait batailler contre le fameux « rabot ». D'autant que, contrairement à ce que laisse penser Ségolène Royal, nous avions besoin de plus de fonds qu'elle n'en avait obtenus, pour mettre en place ce qu'elle avait engagé : ainsi, elle avait engagé 750 millions d'euros de l'État en direction des territoires à énergie positive pour la croissance verte, mais lorsque nous sommes arrivés, nous nous sommes aperçus qu'elle n'avait obtenu que 400 millions d'euros, et nous n'avons pas ménagé notre peine pour combler le déficit de 350 millions, et tenir ainsi les engagements pris avec les collectivités territoriales. Il y a eu ici ou là des projets qui ont été arrêtés, mais nous nous sommes attachés à tenir les engagements pris par l'État et nous nous sommes beaucoup investis à cette fin.
Sur le CITE, ensuite, les experts sont venus nous expliquer que ce crédit d'impôt était peu efficace, parce qu'il ne suffisait pas de changer ses portes et fenêtres pour être efficace sur le plan énergétique, qu'il fallait aussi isoler les combles ; comme d'autres, j'en ai été surpris, mais j'ai entendu ce qu'on me disait, et nous avons remplacé le crédit d'impôt par la prime forfaitaire MaPrimeRenov'. Ce à quoi je me suis attaché alors, c'est à faire que ce remplacement ne soit pas brutal, parce que la suppression qu'on m'avait proposée initialement m'était apparue trop rapide et qu'elle se traduisait par un sacré coup de rabot sur les dépenses de rénovation énergétique.
Mme Michèle Pappalardo. - Effectivement, le projet de suppression rabotait 700 à 800 millions d'euros, sur un CITE d'environ 1,8 milliard d'euros. Nous avons recherché à étaler dans le temps cette modification, pour atténuer les effets sur les filières professionnelles, mais nous voulions aussi que ces 700 à 800 millions d'euros puissent financer d'autres opérations de rénovation, ce qui n'était pas dans le projet initial. On voit que, par la suite, avec le mouvement des gilets jaunes et le plan de relance, nous sommes revenus aux 2 milliards d'euros initiaux, mais il a fallu des allers-retours, qui sont peu compréhensibles pour le public, même si, en l'occurrence, le changement se justifiait pour des raisons d'efficacité énergétique.
M. Nicolas Hulot. - Chacun sait ici que Bercy a sa logique propre, avec l'objectif de maîtriser les finances publiques : c'est ce qui a conduit le ministère des finances à passer d'une enveloppe de 1,8 milliard à 800 millions d'euros pour la rénovation énergétique. C'est ainsi que les choses se passent : on présente un plan ambitieux, bien ficelé - je le dis parce que c'est le résultat d'un travail collectif -, mais on réduit les moyens budgétaires, on réduit les effectifs alors que les DPE demandent du personnel et qu'il faut de l'accompagnement. Je crois donc que le problème est moins le fait que chaque ministre chercherait à laisser sa marque, qu'une tendance à aller trop vite - et l'application de cet adage : le mieux est l'ennemi du bien. Passer d'un crédit d'impôt à une prime pour des travaux d'ensemble, c'était une bonne chose pour rehausser le niveau de la rénovation thermique, on ne peut plus se contenter d'aider à passer d'une catégorie énergétique E à D, il faut entrer dans des rénovations globales, en conditionnant l'aide publique au résultat une fois les travaux achevés. Et ce soutien doit aussi être la partie d'un ensemble bien plus large, il faut rénover les DPE, il faut parler des matériaux, en particulier le fait que les matériaux bio-sourcés soient insuffisamment développés, il faut parler des démarches trop complexes, il faut mieux former les professionnels, il faut aussi parvenir à créer un choc de la demande comme on l'a fait pour le solaire, donc débloquer des aides importantes pour donner un signal fort - or, la comparaison avec le bouclier tarifaire parle d'elle-même.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Quid de l'absence de tutelle sur le ministère du logement : a-t-elle été un frein à votre action ?
M. Nicolas Hulot. - Après mon départ, le logement est revenu dans le périmètre de mon ministère. Dans le fond, si le regroupement est intéressant, les choses ne changent pas tant qu'il n'y a pas de feuille de route commune, tant que l'efficacité énergétique n'est pas un objectif commun. Dans la pratique, je m'entendais bien avec Jacques Mézard, avec Élisabeth Borne, mais cela n'a pas fait faire de progrès au ferroutage. Dans l'exercice de mes fonctions, j'ai demandé ce qu'un ministre pouvait décider seul : c'est bien peu ! Vous arrivez avec une vision, une ambition, puis il y a ce que vous pouvez faire effectivement. J'ai, par exemple, annoncé un « plan hydrogène » sur les crédits de mon propre ministère, mais j'ai aussitôt été démenti par une dépêche de Matignon, c'est ainsi que les choses se passent et c'est pourquoi il faut une planification pour coordonner tous les niveaux d'action gouvernementale, car la transition énergétique concerne tous les secteurs. La confrontation avec le ministère de l'agriculture a pu être caricaturale, alors qu'il y a des points de concordance et d'intérêt commun, et cet état des choses perdurera tant que les secteurs ministériels seront en confrontation, sans planification. L'organisation ministérielle change peu les choses : j'avais plaidé pour l'institution d'un poste de vice-premier ministre chargé de la transition écologique et solidaire, j'ai obtenu le titre de ministre d'État, cela a été un symbole beaucoup plus qu'un moyen d'action...
Mme Michèle Pappalardo. - Les choses se passaient bien avec le ministère du logement, même si l'introduction de normes supplémentaires augmente les prix, ce qu'on nous opposait régulièrement. Le fait qu'il y ait deux ministères a pu ralentir un peu l'action, mais sans complication insurmontable.
Pourquoi l'obligation de rénover pour la vente n'a-t-elle pas été retenue ? Cette piste a été examinée lors du Grenelle, avec l'idée de retenir une partie du prix de vente pour faire les travaux de rénovation, ce qui serait utile en particulier pour les copropriétés, où les ventes successives font qu'on ne dispose pas des moyens de rénover. Cette piste était donc intéressante, même si celle de la contrainte sur la location l'est également, je crois même que les deux sont complémentaires. Cependant, on avait imaginé des calendriers longs, pour que les travaux aient le temps de se faire, mais on décide finalement dans des calendriers bien plus raccourcis, ce qui complique encore les choses.
Nous nous étions demandé également s'il était bien légitime que les dispositifs d'aide soient identiques sur tout le territoire, alors que la valeur des biens, selon que le marché soit tendu ou non, change considérablement les choses : les travaux valorisent les biens là où le marché est tendu, mais pas toujours lorsque la demande de logement est faible. Il n'y a pas de solution simple en la matière. Manque-t-il un milliard d'euros à la rénovation énergétique ? Cela dépend beaucoup des mesures que l'on choisit, de leur mise en place sur le territoire, de leur caractère plus ou moins social. Cependant, je crois qu'il ne faut pas changer trop souvent les règles ; on veut constamment améliorer les dispositifs, je le sais pour travailler sur ce sujet depuis des années, l'équilibre est difficile à trouver entre l'amélioration qu'on veut apporter, et l'avantage de la stabilité pour que les règles soient comprises, c'est une dimension du sujet.
Je signalerai aussi qu'on ne sait jamais bien de quel point on part, alors que c'est important de le savoir. Nous fixons des objectifs sans savoir précisément où l'on en est, c'est un problème. C'est pour avancer qu'a été installé l'Observatoire de la rénovation énergétique ; il fait un très bon travail, mais à partir de données qui ont nécessairement quelques années, les études qu'il publie actuellement se fondent sur des chiffres de 2020. Nous savons donc qu'il y a des progrès mais nous les mesurons mal, il y a toujours un décalage dans le temps, et nous mesurons mal aussi comment ces progrès sont vécus par les gens eux-mêmes.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - On n'arrive pas à lever la défiance de nos concitoyens à l'égard de ces politiques publiques, bon nombre renoncent à rénover ou bien s'en tiennent à une rénovation limitée.
M. Nicolas Hulot. - Oui, d'autant qu'on ne peut ignorer qu'il y a eu des malfaçons, que des artisans n'ont pas toujours été bien formés et que les changements de mesures n'ont pas facilité les choses... Et il est clair que la rénovation globale est facile pour certains bâtiments, mais pas pour tous.
Je signale aussi que, parmi les difficultés de mise en oeuvre, il y a aussi l'application des lois : un tiers des décrets d'application de la loi « Climat et résilience » ne serait pas pris, c'est un problème.
Nous devons clarifier ce qu'est une rénovation énergétique performante pour protéger les consommateurs face à l'augmentation des prix de l'énergie, et pour faire face à la crise climatique. La rénovation énergétique est la priorité des priorités en matière de transition énergétique, alors qu'elle en a été le parent pauvre. Quelle que soit la stratégie du mix énergétique, il faut baisser la consommation ; c'est un peu l'angle mort. J'espère que vos travaux amélioreront les choses. Les gens y trouveront du pouvoir d'achat, en particulier pour l'alimentaire ; c'est très concret et important.
M. Franck Montaugé. - Vous dites qu'on manque de méthode et de stratégie opérationnelle, avez-vous recouru à un ou des cabinets de conseil pour vous aider sur cet aspect de la question ? Si oui, ce recours a-t-il fait faire des progrès, en particulier sur la rénovation énergétique ? Ou bien, comment avez-vous traité cet aspect stratégique en interne ? Ou peut-être n'en avez-vous établi les faiblesses qu'a posteriori...
M. Nicolas Hulot. - Non, aucun cabinet de conseil n'a été sollicité sur ce sujet. Le plan d'action pour la rénovation énergétique, que nous avions fait après de nombreuses consultations, préconisait un suivi de l'action par l'Ademe et par le ministère, mais nous n'avons pas eu le temps de mettre en place ce suivi. Quand le ministre passe, tout ne reste pas ; il n'y a pas de tuilage, c'est dommage pour l'action qui s'inscrit dans le temps long. En réalité, il faudrait être garants de l'application des lois - et nous sommes un peu hors la loi, à ne pas appliquer entièrement les lois... Si l'on avait duré au Gouvernement, notre vigilance aurait-elle suffi ? Ce serait prétentieux de le dire. Je me souviens d'ajustements que nous avons dû faire, par exemple sur une aide à la voiture électrique, où nous avions dû en rabattre. À qui, finalement, confier le monitoring de la rénovation thermique, pour la rendre irréversible ? Je n'ai pas la réponse, alors que ce suivi est nécessaire, j'en suis convaincu. Pourquoi, par exemple sur les pesticides, avoir attendu l'échéance de l'objectif pour constater que la consommation avait augmenté, alors que l'objectif était de la diminuer ? Que s'est-il passé entre l'énoncé de l'objectif et l'échéance du calendrier ? Nous sommes dans du temps long, il faut évaluer les alternatives, les impasses - est-ce que cela a été fait ? Je n'en ai pas le sentiment. Il me semble qu'on se concentre sur l'énoncé des objectifs et qu'on s'en contente, on fait comme si les objectifs allaient s'auto-réaliser. J'ai le sentiment qu'on se débarrasse du problème en faisant un plan très élaboré, remarquable, très bien communiqué, puis qu'ensuite, on ne cherche pas assez à voir comment les choses se passent.
Mme Michèle Pappalardo. - Il y a quand même une continuité, on le voit avec l'action de l'Ademe, qui travaille dans le même sens depuis des années. Nous n'avons pas travaillé avec un cabinet de conseil sur le sujet de la rénovation énergétique. La stratégie a été d'en faire une priorité nationale qui s'est traduite par un plan d'action, dont certains éléments venaient du programme présidentiel - par exemple la transformation du crédit d'impôt en prime pour la rénovation. Les mesures ont changé, mais elles sont allées le plus souvent dans le même sens. On le voit aussi pour le décret tertiaire : les choses ont pris du retard, mais elles se sont faites progressivement - mais nous sommes alors dans des calendriers d'application trop courts, c'est un problème. Les certificats d'économie d'énergie, les DPE, la formation des professionnels, toutes ces mesures ont été lancées il y a près de deux décennies et elles sont encore au fondement de nos politiques actuelles, il y a une continuité.
Pourquoi, alors, est-ce si difficile d'aboutir ? D'abord parce que la rénovation énergétique des logements est très complexe, il faut que 20 millions de ménages rénovent leur logement, c'est énorme quand on sait ce qu'il en coûte d'efforts pour rénover chez soi, les gens le savent bien. Ce qui nous manque aussi, c'est de mesurer précisément les gains que l'on a faits. Si la consommation a tendance à diminuer alors que la population augmente, c'est bien que l'on est plus efficace. Ces gains d'efficacité énergétique ont-ils été faits au bon coût ? On ne le sait pas précisément, mais on peut tout de même se rassurer en disant qu'on fait quelque chose d'utile, qui va dans le bon sens.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Je partage votre diagnostic sur la méthode. Ne pensez-vous pas qu'une loi de programmation pluriannuelle sur six ans serait un bon outil pour agir avec plus de continuité et avoir un impact sur le temps long ?
Ensuite, je ne comprends pas qu'en matière de rénovation énergétique, on ne commence pas par « le plus facile », c'est-à-dire les bâtiments publics - les écoles, les hôpitaux par exemple : l'État et les collectivités territoriales ont la décision, ils peuvent définir des objectifs précis pour avancer avec des moyens assortis, non pour tout régler en un an, mais pour avancer : pourquoi n'est-ce pas le cas ? Il est également plus facile de commencer par un plan précis dans le logement social où l'on a des interlocuteurs bien identifiés, qui peuvent s'engager sur des objectifs et des moyens précis.
Ensuite, je me souviens que dans la planification gaullienne, où tout n'était pas à jeter, il y avait des groupes de suivi des politiques publiques qui examinaient le déroulement de l'action, avec une évaluation active des politiques publiques, de la mise en oeuvre : qu'en pensez-vous ?
Il ne faut pas oublier, enfin, que la France est décentralisée : il faut donc trouver une nouvelle articulation entre les engagements de l'État et ce que les collectivités territoriales estiment devoir faire chez elles. Pourquoi ne pas adosser une loi à une programmation opérationnelle, avec l'obligation pour les collectivités de faire le point tous les deux ans par une délibération précise ? Une telle planification revisitée ne serait-elle pas un bon outil pour avancer ?
M. Nicolas Hulot. - Je ne peux qu'adhérer à ce propos. On fait la programmation pluriannuelle de l'énergie dans cet esprit - et je suis aussi d'accord avec cette idée qu'il faut des points d'étapes et de la norme. J'ai vu revenir le Commissariat au plan avec espoir. Nous avons besoin d'une planification juste et performante. Il faut l'organiser ; notre démocratie a été prise de court par le long terme. Le sujet de la rénovation énergétique est prépondérant, les outils dont vous parlez seraient effectivement très utiles.
Mme Sabine Drexler. - M'intéressant de près au patrimoine non protégé, je suis très inquiète du nouveau DPE et des préconisations de rénovation qui ne prennent pas du tout en compte les particularités des bâtiments anciens. On risque des altérations définitives et, littéralement, du saccage patrimonial. On recommande par exemple d'isoler avec du polystyrène des structures en bois : elles vont pourrir, et on n'aura bientôt pas d'autre choix que de démolir des maisons devenues inhabitables. Lorsque vous étiez ministre, avez-vous travaillé sur ces questions avec le ministère de la culture qui est chargé de protéger le patrimoine ? Avez-vous tenu compte des travaux du centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) ? Avez-vous envisagé des alternatives à certaines pratiques qui détruisent le patrimoine ancien, ou bien à faire dépendre les aides de la prise en compte de certains critères qui protégeraient le patrimoine ?
M. Nicolas Hulot. - Non, nous n'avions pas pris de position commune avec le ministère de la culture alors que c'est décisif, effectivement, pour la protection du patrimoine. La réflexion mérite d'être lancée, il faut examiner les alternatives, les matériaux bio-sourcés, il faut de la souplesse pour trouver les meilleures solutions. C'est aussi le cas pour les énergies renouvelables, personne ne veut d'une éolienne au sommet d'une cathédrale, il faut aussi de l'intelligence pour ne pas sacrifier un objectif - et je crois aussi très utile de travailler avec les architectes, qui n'ont pas toujours été formés à ces questions.
M. Michel Dagbert. - Vous parlez à raison de la dimension sociale de la rénovation énergétique ; la précarité énergétique est croissante. Vous rappelez aussi que les constats font consensus. Dans ces conditions, que pensez-vous du fait de donner la priorité aux bâtiments publics ? On sait que les contrats de plan État-Régions vont être renégociés bientôt : la clé de la rénovation énergétique des logements n'est-elle pas dans le dialogue entre l'État et les territoires ?
M. Nicolas Hulot. - Oui, je le crois également et certains territoires ont déjà bien avancé. Je suis convaincu qu'il faut avancer dans les deux directions, climatique et sociale ; ce n'est pas l'un ou l'autre, mais les deux simultanément. Je crois à l'outil de la fiscalité, dès lors qu'elle est incitative et progressive. Il est décisif de clarifier l'objectif de la performance après travaux, et d'indexer la fiscalité sur cette performance.
Mme Michèle Pappalardo. - La rénovation des bâtiments publics est sur la table depuis des années, surtout quand on demande aux Français de faire des efforts. Cependant, les moyens financiers manquent car ils vont d'abord à l'action ministérielle, et les économies de fonctionnement réalisées grâce à l'efficacité énergétique sont réintégrées au budget général, le gain échappant au ministère : ainsi vont les choses dans l'action publique, ce n'est guère incitatif. Il y a donc un très gros travail à faire pour rendre possible la rénovation énergétique des bâtiments publics, en y intégrant d'ailleurs l'adaptation au changement climatique. Les sujets se croisent et il n'y aura pas plusieurs vagues de travaux.
Sur le logement social, l'intervention est plus facile et on a mis en place des mesures efficaces contre les passoires thermiques.
M. Guillaume Gontard. - Avez-vous un regret sur la taxe carbone, sur le fait qu'il aurait été possible de la relier clairement à la rénovation thermique, en disant par exemple que ses recettes financeraient un reste à charge zéro pour la rénovation thermique ?
M. Nicolas Hulot. - Oui, un regret. J'ai, en vain, essayé d'organiser une réflexion globale sur la fiscalité écologique, qu'on traite toujours à part et dans sa dimension punitive plutôt qu'incitative. Or, il faut taxer non pas ce qui peut l'être, mais ce qui doit l'être. Et il faut de la progressivité. Or, j'ai eu le sentiment que la taxe carbone, que je défendais depuis longtemps, a été utilisée un peu brutalement pour abonder les caisses de l'État plutôt que pour l'écologie. Il était légitime de faire rattraper le prix du diesel, il fallait donner un signal, mais pas avec cette brutalité, il fallait de la progressivité dans la mise en oeuvre. J'espère qu'on aura un jour une réflexion globale sur la fiscalité écologique.
Vous allez recevoir Esther Duflo et je tiens à préciser, sachant les propositions qu'elle serait à même de vous présenter, que nous avions fait évaluer l'individualisation des frais de chauffage : le gain serait d'environ 10 %, aussi me paraît-elle utile, mais pas au détriment d'autres mesures car ce n'est pas réalisable dans tous les immeubles.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci pour votre participation à nos travaux.
Audition de
M. Julien Denormandie,
ancien ministre chargé de la ville et du
logement
(Lundi 6 mars 2023)
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous avons débuté nos travaux il y a près d'un mois et avons auditionné la quasi-totalité des ministres de la transition écologique et/ou du logement.
Monsieur le ministre, vous avez été secrétaire d'État auprès du ministre de la cohésion des territoires de 2017 à 2018, puis ministre délégué chargé de la ville et du logement à partir d'octobre 2018 et jusqu'en 2020. Vous avez ensuite été ministre de l'agriculture et de l'alimentation jusqu'à la fin du premier quinquennat d'Emmanuel Macron. C'est bien entendu en votre qualité d'ancien ministre chargé du logement que nous vous recevons aujourd'hui.
Dans le cadre de ces fonctions, vous avez préparé et suivi l'examen de la loi du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat. Le volet logement de cette loi comportait des mesures de lutte contre la fraude aux certificats d'économies d'énergie (CEE) et un plan de lutte contre les passoires thermiques ciblé sur la vente et la location de ces biens. Vous avez également mené la refonte du crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE) et du dispositif Habiter mieux Agilité pour créer MaPrimeRénov'(MPR).
Monsieur le ministre, je souhaite que vous puissiez nous faire partager le bilan que vous tirez de votre expérience. Quels sont vos motifs de satisfaction, vos regrets, et les sujets sur lesquels vous auriez aimé aller encore plus loin ? Quelles sont les difficultés auxquelles vous avez fait face ?
Les objectifs de distribution de MPR que vous aviez annoncés ont été atteints et même dépassés : environ 650 000 logements ont bénéficié de la prime en 2021. Cependant, les rénovations globales restent faibles : l'Agence nationale de l'habitat (Anah) annonce avoir financé 51 967 rénovations globales en 2021, avec Habiter mieux Sérénité - désormais MaPrimeRénov' Sérénité - et MaPrimeRénov' Copropriétés. Comment massifier le recours à ces rénovations plus performantes pour parvenir à notre objectif de 500 000 logements réellement rénovés globalement par an, un objectif pour l'heure jamais atteint ?
Par ailleurs, dans le cadre du déploiement de MPR, les difficultés de mise en oeuvre de l'Anah et les risques de fraudes ont-ils été suffisamment anticipés ? Le recours à un cabinet de conseil, en l'occurrence Cap Gemini, pour près de 28,5 millions d'euros au total, était-il justifié ?
Assumez-vous d'avoir privilégié la quantité des ménages aidés à la qualité des rénovations ?
Comment expliquez-vous que les fraudes, qu'il s'agisse d'arnaques pures et simples ou de malfaçons, soient si nombreuses et si peu sanctionnées ? Quelles mesures avez-vous prises en la matière ?
La loi Climat et résilience d'août 2021 a fixé un calendrier d'interdiction de location des passoires thermiques locatives. Est-il, selon vous, adapté pour ne pas gravement perturber le marché du logement, compte tenu des insuffisances, voire du manque de fiabilité du diagnostic de performance énergétique (DPE) et des rénovations globales ?
Enfin, avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions et pour un propos introductif d'une quinzaine de minutes, j'indique que cette audition est diffusée en direct ainsi qu'en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.
Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Julien Denormandie prête serment.
M. Julien Denormandie, ancien ministre chargé de la Ville et du Logement. - Je vous remercie de vous être saisis de ce sujet ô combien important d'un point de vue climatique, puisque vous avez tous en tête le rôle du logement au regard du réchauffement climatique, mais aussi d'un point de vue social. Le changement climatique constitue l'un des plus grands vecteurs d'inégalités sociales et il revêt un enjeu humain, le logement étant le lieu où nous passons la majeure partie de notre vie. Dans un logement mal isolé, les enfants ne peuvent pas bénéficier des mêmes chances de réussite que les autres. Il s'agit donc d'un sujet absolument essentiel, et l'efficacité des politiques publiques constitue un objectif transpartisan ; et c'est effectivement là l'une des missions du Sénat que de s'interroger sur cette question.
Vous m'interrogez sur mon bilan, ma satisfaction et mes regrets.
Permettez-moi, tout d'abord, de citer un ancien sénateur qui fut aussi ministre du logement, à savoir Edgard Pisani. Pour décrire l'efficacité de l'action politique, celui-ci soulignait que la politique représentait deux choses : la vision et le quotidien - la bonne politique reposant sur la vision et les effets du quotidien, la mauvaise politique se focalisant uniquement sur les outils. Cette paraphrase résume assez bien ce qu'il faut faire en matière de politique du logement. En effet, vous en conviendrez, dans le cadre de cette politique, on parle beaucoup et essentiellement des outils, des outils parfois fort complexes, que nous aimons à modifier ou à créer dans chaque loi de finances. Mais il est essentiel de revenir à la vision et au quotidien.
La vision correspond à cette impérieuse nécessité d'accélérer encore la rénovation énergétique des bâtiments, au regard des enjeux climatiques, sociaux et humains. Le quotidien représente, quant à lui, la possibilité d'évaluer le nombre de rénovations réalisées année après année - je reviendrai sur ce sujet essentiel.
Au regard de cette première considération, je vous ferai part de cinq grandes conclusions nécessaires pour avoir une vision et se préoccuper du quotidien.
Premièrement, nous devons retrouver le temps long, c'est la grande difficulté en politique. Nous sommes tous confrontés à ce problème en tant que membres de l'exécutif ou parlementaires. Il importe de ne pas tomber dans la politique de l'émotion. Je sais que vous vous posez la question de la mise en place d'une loi pluriannuelle : j'ignore s'il s'agit du bon outil, mais je sais ô combien que la planification est importante. Je me souviens avoir, par exemple, tenté de faire perdurer la garantie Visa pour le logement et l'emploi (Visale), alors que beaucoup me conseillaient de changer son nom, afin que celle-ci soit attachée à mon nom ou au Président de la République en place. J'ai toujours considéré que ce changement aurait constitué une faute, puisque l'enjeu est bien de s'inscrire dans la durée, y compris en ce qui concerne les dénominations des dispositifs.
Deuxièmement, il faut absolument remettre l'humain au centre de la réflexion. En effet, dans le cadre des auditions que vous avez menées sur la question de la rénovation énergétique des bâtiments, un terme n'a pas été encore suffisamment mentionné : le reste à charge. La question du reste à charge zéro est essentielle. Faut-il arriver à un reste à charge zéro et pour qui ? Le reste à charge représente souvent une barrière pour beaucoup de nos concitoyens dans la mise en oeuvre des travaux de rénovation.
Troisièmement, la gouvernance doit être adaptée à la vision de la politique énergétique. Je suis de ceux qui considèrent qu'il est totalement pertinent que le ministère du Logement soit rattaché au ministère de la transition écologique. Lorsque le ministère du logement était en charge de l'Anah et celui de la transition énergétique des CEE, il existait forcément une perte d'efficacité. Emmanuelle Wargon vous a également parlé de la façon dont certaines questions s'étaient posées dans le cadre du pilotage de France Rénov' entre la gouvernance de l'Anah et celle de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), cette gouvernance étant forcément différente si le ministère du logement est dissocié de celui de la transition écologique.
Quatrièmement, il n'existe pas de politique publique efficace sans monitoring : nous devons être capables de dire à chaque instant, chaque fin d'année, combien de logements ont été rénovés, selon quelle qualité en vue de comparer ce chiffre avec l'objectif à atteindre. Lorsque j'étais ministre délégué au logement et à la ville, je me souviens avoir demandé que les chiffres de la rénovation soient publiés au même rythme que celui des constructions neuves. Or, alors que j'avais fixé la rénovation des bâtiments comme l'une des principales priorités, il m'était impossible de publier ces résultats et de les évaluer par rapport à mes engagements, ne rendant ainsi que plus difficile votre rôle de parlementaires de contrôler l'action du Gouvernement. C'est pourquoi nous avons créé l'Observatoire national de la rénovation énergétique (ONRE). Même si des décalages dans le temps demeurent, il me paraît essentiel que le ministère de la transition énergétique soit en capacité de publier les chiffres de la rénovation ; je pense d'ailleurs qu'il faudrait le faire à l'échelle départementale et pas seulement nationale, avec une granulométrie géographique.
Cinquièmement, une politique publique pour qu'elle soit sociale et efficace doit bénéficier d'un accompagnement. C'est folie de croire que, sous prétexte que nous aurions inventé un bon outil, celui-ci pourrait être déployé partout sur le territoire. C'est faux ; il faut un accompagnement même si celui-ci s'avère ardu. En effet, certaines familles m'ont rapporté qu'elles avaient dû s'adresser à quatre ou parfois cinq guichets différents pour pouvoir bénéficier de l'ensemble des aides, celles du département, de la région, de l'intercommunalité et de l'État, afin d'avoir un reste à charge le plus bas possible. Des associations accompagnement même les ménages les plus précaires pour constituer ces dossiers extrêmement complexes. Nous avons oeuvré depuis pour simplifier les démarches, Emmanuelle Wargon ayant beaucoup travaillé sur ce sujet, comme elle vous l'a précisé.
À titre personnel, je ne crois pas au guichet unique. Un guichet unique n'est en définitive qu'un guichet additionnel qui s'ajoute aux guichets existants. En revanche, je pense que l'ensemble de ces guichets doivent être en capacité de proposer la même offre à l'ensemble de nos concitoyens. Lorsqu'un guichet est sollicité, celui-ci devrait s'adresser aux autres pour permettre aux citoyens de bénéficier in fine de la totalité de l'offre. Que divers guichets proposent une offre unique et unifiée est l'un des meilleurs systèmes possible.
Concernant mes retours d'expérience, j'évoquerai tout d'abord la transformation du crédit d'impôt en MPR. J'insiste sur le fait qu'il s'agit, pour moi, de la meilleure décision. C'est un dispositif que nous avons élaboré de concert avec Emmanuelle Wargon, à la demande du Premier ministre Édouard Philippe, et qui a été créé au début de l'année 2020, juste avant la pandémie de covid-19. Si cela était à refaire, je le referais, pour une seule raison au moins, qui justifie à elle seule la démarche : la question de l'accessibilité de ces aides aux ménages les plus précaires. En effet, un crédit d'impôt diffère d'une année le versement de cette aide. Or la question de la trésorerie est absolument essentielle pour ces ménages - un crédit d'impôt n'est pas un outil social, contrairement à MPR.
Le deuxième élément porte sur la question de la rénovation globale au regard des du financement des gestes de rénovation. Il est primordial d'aller vers cette rénovation globale sans jamais nier la réalité, c'est-à-dire l'existence d'un parcours de rénovation. Il est donc essentiel de continuer à financer les gestes de rénovation, quitte à prévoir un accompagnement sur l'intérêt de procéder à une rénovation globale.
Le troisième point sur lequel je souhaite insister porte sur la question de savoir s'il faut privilégier l'interdiction ou l'incitation, ce qui me permet également de répondre à votre question sur l'interdiction de louer. Je fais partie de ceux qui considèrent que l'incitation vaut toujours mieux que l'interdiction. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas procéder à des interdictions, mais celles-ci ne sont jamais suffisantes, sauf dans certains cas très précis - en témoigne le combat que nous avions mené ensemble contre les marchands de sommeil. À ce titre, j'ai des regrets quant au dispositif que nous avions créé - le dispositif Denormandie dans l'ancien qui porte toujours mon nom. Comme je l'avais résumé à l'époque : « Ayez la défiscalisation heureuse. » En effet, il s'agit de défiscaliser grâce à la rénovation des bâtiments et des centres-villes plutôt qu'à l'urbanisation périurbaine. Je ne porte pour autant pas de jugement sur la nature de l'habitat, mais je parle de l'utilisation de la défiscalisation. Nous devons continuer à promouvoir de tels dispositifs incitatifs pour faire en sorte que cette défiscalisation contribue à la rénovation, et donc à la revitalisation, des centres-villes.
Concernant cette question de l'interdiction, il faut aussi s'interroger sur l'interdiction locative au regard d'autres dispositifs. Le Président de la République s'était engagé, en tant que candidat en 2017, à interdire les passoires thermiques à la location, engagement qui a été depuis lors tenu en raison des lois que vous avez évoquées. Il y a là un impact social évident, d'où la nécessité de placer le curseur au bon endroit pour ne pas créer d'autres problèmes. Le ministre François de Rugy avait proposé de conditionner la vente d'un bien à une forme de séquestration du montant des travaux, déduit du montant de la vente. J'ai toujours été fermement opposé à ce mécanisme pour une raison simple : ce mécanisme favorise l'assignation à résidence. Si un propriétaire possédant un pavillon en zone détendue trouve un travail en zone tendue et souhaite vendre son bien pour acheter en zone tendue, la valeur de sa maison sera totalement diminuée en raison du montant du séquestre des travaux, alors que ce différentiel serait bien moindre en zone tendue. Ce mécanisme crée donc une assignation à résidence. Je ne dis pas que le dispositif adopté est parfait, mais il est meilleur que celui-ci.
Le calendrier proposé aujourd'hui est-il le plus adapté ? Ayant quitté mes fonctions, je ne saurais le dire. Il vous faudra poser la question au ministre actuel.
S'agissant toujours de la question de l'incitation ou de l'interdiction, j'estime que l'ouverture de MPR aux bailleurs, après de longs débats, a constitué une très bonne mesure qu'il faut faire perdurer. Cette question de l'information renvoie finalement au débat sur la fiabilisation du DPE, qui est un sujet complexe, mais ô combien important.
Enfin, je souhaiterais vous faire part de quelques points relatifs à mon retour d'expérience.
S'agissant tout d'abord des outils de financement, je pense que, contrairement à ce que certains ont pu affirmer lors des débats publics, la rénovation énergétique des bâtiments n'est pas quelque chose de rentable sur un temps court, c'est-à-dire sur le temps total d'habitation du bâtiment pour un occupant. En effet, on estime que la durée moyenne d'occupation d'un bâtiment par un propriétaire est de huit ans et demi. Or, très rares sont les opérations de rénovation énergétique qui ont une rentabilité sur une telle période. Nous devons prendre en compte ce postulat. Du fait de cette temporalité dans le logement, il convient d'assumer la subvention d'une partie de ces travaux.
À mes yeux, la rénovation thermique sans subvention n'est pas économiquement viable, en tout cas pas suffisamment rapidement. J'ai un regret au sujet de la question de la rénovation thermique des copropriétés.
Quelques semaines avant le drame de la rue d'Aubagne, à Marseille, nous avions lancé le plan Initiative copropriétés, pour traiter des copropriétés dégradées. S'agissant de la rénovation thermique des copropriétés, si nous ne l'avons pas encore trouvée, j'estime que la meilleure solution serait de faire en sorte que ce ne soit pas le propriétaire qui s'endette, mais la copropriété. Ainsi, lors d'une mutation dans le logement, un portage de la dette de l'ancien propriétaire vers le nouveau serait pertinent. Nous avions tenté de porter un tel dispositif avec le réseau Procivis. C'est une solution à laquelle il convient de réfléchir.
Je veux attirer votre attention sur trois derniers points.
Les bailleurs sociaux sont partie intégrante du volet logement, avec le doublement des financements de l'Anru.
Lorsque je suis entré en fonctions, le ministère du logement n'avait pas la tutelle ni la mise à disposition de la direction de l'immobilier de l'État (DIE), laquelle dépend du ministère du budget. J'avais alors obtenu la mise à disposition de la DIE, ce qui, à mon sens, est essentiel. Certains s'interrogent sur la rénovation des bâtiments publics. En effet, la DIE ne doit pas être perçue comme un organe avec le seul prisme budgétaire, mais il doit être également doté d'une politique d'habitat et de logement.
Enfin, j'évoquerai une vaste question, celle de la décentralisation. Je suis favorable à la décentralisation de la politique de logement. C'est le maire ou le président d'intercommunalité qui détermine les politiques d'habitat. C'est pourquoi j'ai toujours été opposé au retrait du permis de construire dans la main des maires.
La question de la décentralisation des politiques de logement est très compliquée, car de nombreux outils fiscaux sont en jeu. Si le fonctionnement d'une agence, au niveau national, qui fixe les outils, le cadre, le budget, apparaît fort utile, l'accompagnement ou la distribution des aides, en revanche, peuvent être beaucoup plus déconcentrés. Il conviendrait de donner la compétence aux départements en matière de rénovation énergétique au titre des politiques sociales. En Grande-Bretagne, je crois savoir que les médecins auraient le droit de prescrire la rénovation des bâtiments. Si c'est vrai, c'est formidable ! En tout état de cause, la territorialisation de nos politiques de rénovation est probablement un enjeu essentiel, et c'est une direction à emprunter. C'est le sens de l'histoire.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Monsieur le ministre, vous n'avez pas répondu à la question ayant trait à l'anticipation des problématiques de fraudes, d'arnaques, voire d'effets d'aubaine.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Notre difficulté est justement de mettre en place ce type de politique sur un temps long, ce qui est lié à notre fonctionnement politique. En matière de réflexion sur ce temps long, une loi de programmation pourrait devenir un outil.
Par ailleurs, pourriez-vous nous apporter quelques précisions au sujet du dispositif MPR, que vous approuvez, en faisant le lien avec certains outils et leurs impacts, positifs ou négatifs comme la fraude ?
Sur la question du pilotage, vous avez plaidé pour un lien entre le ministère de la transition écologique et le ministère du logement et que ce dernier soit effectivement distinct. En outre, la question du logement reste évidemment liée à celle de la santé : le lien avec le ministère des affaires sociales revêt également une certaine importance.
En matière d'accompagnement, comment mettre en place des outils qui fonctionnent au sein d'intercommunalités dans d'autres territoires, sachant qu'ils viennent parfois en contradiction avec des politiques nationales ?
Pouvez-vous faire le lien entre le fait d'interdire les locations des passoires thermiques en faveur d'une rénovation à la vente des biens et le reste à charge zéro ? Pour les plus faibles revenus, ce reste à charge zéro est essentiel. Quel mécanisme pouvons-nous mettre en place ?
Pour une rénovation globale performante et plutôt rapide, une enveloppe supplémentaire de 1 milliard d'euros serait nécessaire. Quel est votre avis ?
En tant qu'ancien ministre de l'agriculture, quel est votre sentiment sur le lien entre la rénovation énergétique et les matériaux biosourcés ? Actuellement, la rénovation est réalisée avec 90 % de produits issus de la pétrochimie. Dans quelle mesure le développement en faveur de ces matériaux est-il possible ?
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Plutôt que de parler de reste à charge zéro, ne conviendrait-il pas de parler de reste à charge minimum.
M. Julien Denormandie. - Le temps long est d'abord une volonté politique et une capacité de l'exécutif à planifier. C'est le sens de la planification écologique voulue par le Président de la République et le sens du décret d'attribution des fonctions de la Première ministre, qui est aussi responsable des politiques écologiques et du Secrétariat général à la planification écologique (SGPE).
C'est aussi ensuite une hygiène collective. Nous sommes beaucoup à souhaiter cette vision à long terme. Nous avons été les premiers à modifier des dispositifs dans le cadre de lois de finances : c'est une réalité qu'il nous faut admettre. Je soulève dès lors la question de la pluriannualité dans les dispositifs et les outils, comme la fiscalité sur les prêts à taux zéro (PTZ) ou sur le dispositif Pinel. Quoi qu'il en soit, la déconcentration est peut-être un facteur de temps long.
Quant à MPR par rapport au CITE, un dispositif pluridistributif, plus social et plus accessible revêt évidemment davantage d'intérêt qu'un crédit d'impôt. La question du montant avait fait l'objet d'un débat : lors de la transformation du CITE en MPR, les montants des politiques d'efficacité énergétique avaient été rabotés du fait d'un recentrage de la politique. Il me semble que les budgets ont été finalement rehaussés, revenant à des niveaux comparables à ceux qui existaient auparavant.
S'agissant de la fraude, pour le crédit d'impôt, la simplicité de la déclaration d'impôts n'est pas un gage de sécurité par rapport au dispositif MPR, pour lequel il faut monter un dossier. Concomitamment à la mise en place de MPR, nous avons beaucoup oeuvré contre le démarchage téléphonique, un véritable fléau. Ainsi, je souligne l'importance de la formation de l'ensemble du réseau, notamment d'artisans. À l'évidence, la main ne doit jamais trembler lorsqu'il s'agit de fraude. Il peut toujours y avoir quelques effets d'aubaine. Pour ma part, je préfère que le dispositif ait un véritable impact social même s'il crée quelques effets d'aubaine. Tout est question d'équilibre.
Je suis très favorable à l'existence d'un lien entre le ministère du logement et le ministère des affaires sociales, et un autre avec le ministère de la ville, qui a une mission en termes de politique sociale. Ne l'oublions jamais, la politique du logement n'est rien sans politique de l'habitat. La véritable politique est celle de l'habitat.
L'objectif de « zéro artificialisation nette » (ZAN) est un sujet intrinsèquement lié à la rénovation : le fait de ne plus pouvoir construire autant que certains le souhaitaient renforce la rénovation et amoindrit le différentiel de coût entre la construction neuve et la rénovation. L'attractivité des villes entraîne, de fait, moins d'artificialisation des sols.
M. Franck Montaugé. - L'attractivité des villes et des villages.
M. Julien Denormandie. - Vous avez tout à fait raison. La démarche ZAN doit rester un objectif dynamique, pour laisser la possibilité à tout village de se développer. Qui serions-nous pour figer en 2023 l'état de notre pays pour les décennies à venir ?
Concernant la place des collectivités locales, l'accompagnement va de pair avec l'« aller vers », la proximité. Cela ne signifie pas que les plateformes numériques ne sont pas importantes, au contraire. Dans un monde idéal, la collectivité locale devrait être au plus près des citoyens, pouvoir distribuer l'aide de l'Anah, et la compléter le cas échéant. Il importe qu'une collectivité ou qu'une agence de l'État indique que c'est la solidarité nationale via l'impôt qui apporte le financement.
Concernant le reste à charge, vous avez raison, madame la présidente, il s'agit plutôt d'un reste à charge minimum ou acceptable. Dans ce cadre, je souligne et je salue les associations qui accompagnent les ménages précaires pour les aider à établir leurs dossiers d'aides.
Sur le financement, je ne saurais vous confirmer cette enveloppe de 1 milliard d'euros.
Enfin, je suis très favorable aux matériaux biosourcés en matière de rénovation. Dans la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (Élan) ou dans le cadre de la réglementation environnementale RE2020, j'ai énormément incité à la construction bois et à l'utilisation des matériaux biosourcés qui concourent à la rénovation.
Mme Marta de Cidrac. - Nous vous sentons très attaché à une approche très sociale. Toutefois, vous avez aussi partagé le souhait d'une affiliation du ministère du logement au ministère de la transition écologique. Aviez-vous déjà manifesté ce souhait lorsque vous étiez ministre, et pourquoi l'arbitrage ne s'est-il pas réalisé de cette manière ?
Vous avez indiqué qu'une politique de rénovation énergétique ne peut s'opérer sans subvention. Ma question porte sur les classes moyennes. Aujourd'hui, un certain nombre de dispositifs existent pour les classes les plus modestes. En revanche, de quelle manière l'ensemble des Français pourraient-ils bénéficier d'aides, de dispositifs qui permettraient à tous de parvenir à une rénovation énergétique, sans monter une usine à gaz ? Dans le cadre de la décentralisation, il serait intéressant d'avoir différents guichets qui permettent de rendre accessible un certain nombre de dispositifs à l'ensemble de nos concitoyens plutôt qu'un seul guichet décliné différemment dans nos territoires.
M. Julien Denormandie. - Sur la question de l'approche sociale et celle du périmètre ministériel, je considère qu'il n'y aura pas de politique de transition écologique si elle n'est pas très fortement axée sur son caractère social. Le changement climatique est l'un des principaux éléments de fracture sociale. Il ne fait qu'accélérer les inégalités sociales. Dès lors que le ministère du logement est en lien avec le ministère de la transition écologique, il devient un ministère profondément ancré dans les politiques sociales. Sinon, cela ne fonctionnera jamais. Les personnes les plus aisées ont les bilans carbone les plus élevés et la capacité de payer des taxes carbone, tandis que les moins aisées souffrent le plus des conséquences du changement climatique. Cette politique écologique est consubstantielle à une politique sociale.
Lorsque j'étais en fonctions, la structure gouvernementale était déjà ainsi : avec pour ministre de tutelle, Jacques Mézard, qui était lui-même ministre de la cohésion des territoires, avec un très fort impact social. Il a toujours eu à coeur de lutter contre ces fractures territoriales, dont le logement faisait partie. Au moment de la nomination d'un nouveau gouvernement, j'avais plaidé pour que le ministère du logement soit rattaché au ministère de la transition écologique. C'est la décision qui fut prise, et je pense que c'était la bonne décision. N'oublions pas les politiques de l'habitat : je serais favorable à la création d'un ministère de l'habitat. Remettre de l'humain, c'est parler de l'habitat et pas du logement.
S'agissant de la trésorerie des classes moyennes, Emmanuelle Wargon et moi-même nous étions battus sans obtenir tous les arbitrages en ce sens pour que MPR soit ouvert aux déciles plus élevés. Pour davantage d'efficacité et de rapidité, accompagner les classes moyennes est un élément important. C'est aussi dans cette optique que nous avions ouvert MPR aux bailleurs : contrairement aux idées reçues, certains d'entre eux peuvent se trouver dans des situations de précarité et avoir besoin du loyer de leur bien comme complément de retraite.
Le guichet unique est une fausse bonne idée. Dès le moment où n'importe quel guichet distribuant l'ensemble des aides accepte de dire d'où elles proviennent, il s'agit d'une bonne politique.
M. Joël Bigot. - Vous évoquez le temps long nécessaire, et donc de la vision, pour envisager une rénovation énergétique performante des bâtiments. La Suède a mis vingt ans pour réaliser cette opération. Pour ce faire, vous indiquez qu'il conviendrait probablement d'utiliser des matériaux biosourcés. Dans cette optique, certains professionnels doivent être soutenus pour accomplir cette transition énergétique des bâtiments. Comment envisagez-vous d'accompagner le vivier de la ressource qui permettrait de l'envisager ?
M. Julien Denormandie. - C'est une question de réconciliation. Il y a vingt ans, durant mes études, j'entendais : « En France, la forêt avance, mais le bois recule. » En effet, si les forêts ne cessaient de croître, l'utilisation du bois, dans son secteur industriel, n'avançait pas du tout à la même vitesse. Il en est de même dans le débat sociétal. Tout le monde plaide pour les rénovations en bois, mais que n'ai-je pas entendu lorsque j'ai indiqué : « une forêt, ça se protège, mais ça se cultive ? » Il existe une forme de cohabitation des contraires, qu'il conviendrait de réconcilier. Le courage en politique, c'est d'affronter le temps - le plus difficile - et la complexité des choses. Si nous voulons effectuer de la rénovation avec des matériaux biosourcés, le bois, le chanvre, nous sommes contraints de les cultiver. Si le développement de la culture du bois est évident, il est nécessaire de protéger la forêt en France, de mieux l'exploiter.
Bientôt, les constructeurs devront faire le bilan carbone de leur structure. Lorsque les bilans carbone des différents projets utilisant des matériaux biosourcés prendront en compte les analyses de cycle de vie, ils deviendront peut-être meilleurs que les bilans carbone de bâtiments n'utilisant que du « tout béton ». La publication des bilans carbone sera un accélérateur de l'utilisation de ces matériaux biosourcés.
M. Franck Montaugé. - Vous inscrivez le volet social au coeur des politiques publiques. Or, dans quelle mesure la réforme des aides personnelles au logement (APL), que vous avez conduite, a-t-elle une dimension sociale, même si vous n'étiez pas seul décideur à l'époque ? Des spécialistes de l'économie de l'habitat et de la construction ont alors considéré que le modèle du logement social avait été déséquilibré. Quelle part ces décisions ont-elles dans l'effondrement de la production de logement social aujourd'hui ?
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Cette réflexion va au-delà de la rénovation énergétique.
M. Franck Montaugé. - Je reste néanmoins dans le sujet.
M. Julien Denormandie. - Les bailleurs sociaux sont confrontés à la rénovation des bâtiments de façon massive. Conformément à l'engagement du président de la République, nous avions doublé l'enveloppe de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru), laquelle a, depuis lors, encore été augmentée.
Je distingue deux pans s'agissant de la réforme des APL : la baisse de cinq euros, qui était une mauvaise décision, et celui, au coeur de la loi Élan, qui équilibre le dispositif de réduction de loyer de solidarité (RLS), le regroupement des bailleurs sociaux et la vente d'un certain nombre de logements sociaux. Finalement, le regroupement mis en place par cette réforme était-il nécessaire et pertinent ? Je serais heureux de lire un rapport du Sénat sur l'efficacité de cette réforme. Je reste très attaché au modèle du logement social. Dans un tel cadre, je me souviens de longues discussions portant sur la vente des logements sociaux, qui n'est pas antisociale : nous avions ainsi évoqué la possibilité de donner un parcours résidentiel à ceux qui le souhaitaient et de donner des capacités de fonds propres aux bailleurs en permettant d'agir selon un cadre très réglementé. La loi Élan permet, par exemple, au nouveau propriétaire de revendre au bailleur en cas de difficulté, de laisser à celui-ci la gestion directe du bien. La réforme est complexe. L'avenir nous dira si nous avons atteint les objectifs escomptés.
Par ailleurs, les politiques du logement ont fait l'objet de réductions budgétaires. Ce n'est d'ailleurs pas propre au dernier quinquennat : la question du soutien budgétaire aux politiques de logement revient systématiquement année après année, parce que bon nombre considèrent qu'elles ne sont pas assez efficaces, quand bien même un budget consacré est significatif. Il est alors légitime de se demander si certains budgets peuvent être utilisés à d'autres desseins. Ainsi est né notre débat sur l'efficacité énergétique des changements de portes et de fenêtres. Au-delà de l'efficacité, il y a le signal que l'on envoie : après avoir commencé à changer les fenêtres, nos concitoyens peuvent entreprendre ensuite d'autres travaux de rénovation. En tout état de cause, les politiques du logement demeurent liées à la pluriannualité et la lisibilité. Plus la politique sera efficace, moins la question des changements budgétaires, année après année, sera posée.
M. Franck Montaugé. - Pensez-vous que nous mettions en oeuvre les bonnes démarches et que nous consacrions suffisamment de moyens à l'évaluation de cette politique ?
M. Julien Denormandie. - Une loi doit représenter la vision, le sens. Ensuite, le rôle du Parlement reste, incessamment, l'évaluation. J'ai conscience que j'ai péché également, la loi Élan est une loi bavarde à certains égards, parfois très technique. Pour rendre hommage à Montesquieu, ayons à l'esprit d'un côté, le sens et l'évaluation et, de l'autre, la vision et le quotidien.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je vous remercie de votre participation, monsieur le ministre.
Audition de
Mme Corinne Le Quéré,
présidente du Haut
Conseil pour le climat
(Lundi 6 mars 2023)
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous poursuivons nos travaux par l'audition de Mme Corinne Le Quéré, présidente du Haut Conseil pour le climat (HCC).
Madame, vous exercez depuis 2018 la présidence de cet organisme indépendant chargé d'émettre des avis et recommandations sur la mise en oeuvre des politiques publiques pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) de la France. Vous êtes également climatologue et professeure en science du changement climatique à l'université d'East Anglia. Vous avez précédemment été auteure du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) et coprésidente du Global Carbon Project.
Votre audition doit nous permettre de mieux comprendre la position du HCC sur l'efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique, alors que vous avez publié en novembre 2020 un rapport sur le sujet, intitulé Rénover mieux : leçons d'Europe.
Dans ce rapport, qui fait suite à une saisine du Gouvernement, vous insistez sur le retard pris par la France, qui apparaît comme ayant les logements les moins performants par rapport à la Suède, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni et à l'Allemagne, les quatre pays que vous avez étudiés. Vous identifiez les blocages qui expliquent ce retard observé, alors que les politiques mises en oeuvre sont, selon vous, inadaptées aux besoins de rénovation profonde, au temps long nécessaire à la rénovation et à la structuration de la filière et que les capacités de financement des ménages apparaissent trop faibles.
Plus de deux ans après la publication de ce rapport, ce retard est-il, selon vous, toujours aussi important ? Dans quelle mesure la loi Climat et résilience de 2021 a-t-elle répondu à vos préconisations ?
Parmi celles qui n'ont pas été encore mises en oeuvre, lesquelles vous paraissent les plus importantes ? La focalisation des aides sur les rénovations les plus performantes ? La suppression du taux de TVA à 5,5 % pour transférer les crédits alloués sur les rénovations globales ? Augmenter les contrôles ? Porter à 120 000 euros le montant de l'éco-prêt à taux zéro (éco-PTZ) ?
Enfin, vous insistez dans votre rapport sur la nécessité d'une plus grande planification et d'une visibilité en matière de rénovation énergétique. Pour assurer cette stabilité, la ministre Barbara Pompili, que nous avons auditionnée, a évoqué l'adoption d'une loi de programmation de la rénovation énergétique, qui permettrait une planification pluriannuelle. L'adoption d'une telle loi vous semble-t-elle pertinente ou une annexe à la prochaine programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) serait-elle suffisante ?
Avant de vous laisser répondre à ces premières questions et pour un propos introductif d'une vingtaine de minutes, je vous indique que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.
Je vous rappelle également qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Corinne Le Quéré prête serment.
Mme Corinne Le Quéré, présidente du Haut Conseil pour le climat. - Le HCC est en effet un organisme indépendant inscrit dans la loi Énergie-climat de 2019. Il est chargé d'évaluer la stratégie du Gouvernement en matière de climat et sa cohérence avec l'accord de Paris. Il compare les actions de la France par rapport à celles des autres pays et émet des avis et des recommandations indépendants et objectifs.
Le HCC doit rendre chaque année un rapport sur le respect de la trajectoire de baisse des émissions au regard du budget carbone de la France. Dans ce cadre, il effectue un suivi des émissions provenant des bâtiments. Le rapport prend aussi en considération l'impact socio-économique des actions. Le Gouvernement doit répondre à ce rapport dans les six mois. Ce cycle vertueux vise à rehausser le niveau des actions et à suivre leur évolution.
Le HCC a également publié, après une saisine du Gouvernement, un rapport de parangonnage sur la rénovation énergétique du bâtiment dans lequel nous avons comparé les actions de la France avec celles de la Suède, de l'Allemagne, des Pays-Bas et du Royaume-Uni.
Notre dernier constat énonce que le secteur du bâtiment est responsable de 18 % des émissions directes en France. Avec le chauffage au fioul et au gaz, poste qui génère le plus d'émissions, et le secteur des transports, le bâtiment est l'un des grands secteurs émetteurs, quasiment au même niveau que l'agriculture et l'industrie. Les demandes en énergie pour se chauffer sont d'autant plus importantes que les bâtiments sont mal isolés : des pertes d'énergie pourraient être évitées. En outre, lorsqu'on prend en compte les émissions qui sont associées à l'électricité et aux réseaux de chaleur, la part des bâtiments s'élève à environ 28 %, soit un peu plus d'un quart des émissions.
Ce secteur peut et doit parvenir au « zéro émission » pour que la France atteigne la neutralité carbone en 2050 et réponde au changement climatique. Si nous n'atteignons pas cette neutralité carbone au niveau global, le réchauffement de la planète se poursuivra. L'objectif est donc très important, pour la France et pour le secteur du bâtiment.
Le secteur peut atteindre cet objectif de neutralité - ou presque - grâce à une rénovation thermique globale de l'ensemble du parc des bâtiments, à une augmentation de l'efficacité énergétique et au développement du chauffage bas-carbone, qui passe par la création de pompes à chaleur électriques ou sur des réseaux de chaleur. Nous pourrions penser qu'il suffirait de substituer au chauffage au gaz et au fioul le chauffage bas-carbone, mais la demande supplémentaire qui pèserait alors sur le réseau électrique serait trop forte compte tenu de la hausse anticipée de la demande émanant des autres secteurs, en particulier de ceux des transports et de l'industrie. L'amélioration de la performance énergétique des logements demeure donc essentielle. Par ailleurs, celle-ci entraine plusieurs co-bénéfices, dont la réduction de la facture énergique, l'amélioration du confort thermique et la réduction des externalités liées à l'énergie. Enfin, la rénovation énergétique constitue un gisement d'emplois important.
Pour atteindre la neutralité carbone dans le secteur du bâtiment le plus rapidement possible - ou parvenir à un résultat approchant -, il faut développer en France une planification à long terme, grâce à laquelle nous amplifierons les efforts déjà fournis et les maintiendrons dans la durée, jusqu'à ce que la neutralité carbone soit atteinte. En effet, les tendances observées ne permettront pas d'atteindre les objectifs de réduction inscrits dans la stratégie nationale bas-carbone (SNBC).
Avant de donner quelques chiffres, je souhaiterais souligner que le secteur du bâtiment figure parmi les trois secteurs émetteurs qui voient leurs émissions diminuer, avec ceux de l'énergie et de l'industrie. Les efforts fournis payent donc déjà et nous observons cette diminution depuis plus d'une décennie. La baisse est structurelle puisqu'elle s'appuie sur la réglementation environnementale 2020 (RE2020), qui donne des critères pour les bâtiments neufs, sur de nouveaux financements, débloqués en particulier dans le cadre du plan de relance, mais aussi sur le travail de l'Observatoire national de la rénovation énergétique (ONRE), qui produit des données permettant de guider l'action, en plus des instruments déjà existants.
Toutefois, le niveau de cette baisse n'est pas suffisant. Nous observons ce phénomène en France, mais aussi ailleurs : la tendance à la baisse est bien présente, mais celle-ci demeure trop faible. Si les émissions produites s'élèvent à 75 millions de tonnes de CO2 par an, elles ont diminué de 1,9 million de tonnes par année pendant la période 2015-2018, couverte par le premier budget carbone. Cependant, cette baisse a ralenti pendant les deux dernières années, en raison des mesures prises dans le cadre de la crise sanitaire et de la progression du télétravail. Cette baisse annuelle des émissions devrait se situer entre 3 et 4 millions de tonnes pour correspondre à la trajectoire fixée par la SNBC pour la période 2022-2030. Par ailleurs, le nouvel objectif européen de réduction à l'horizon 2030 nous engage à dépasser ces objectifs inscrits dans la loi. Nous n'y sommes pas et le premier budget carbone a été dépassé. Il nous faut augmenter le rythme annuel de baisse de ces émissions.
Comme l'a confirmé le bilan de l'ONRE, le nombre d'opérations de rénovation a, quant à lui, fortement augmenté depuis 2016. Cependant, malgré leurs évolutions récentes, nos dispositifs de subvention et de financement encouragent peu les rénovations globales et profondes, qui permettent pourtant d'obtenir plus de gains que la rénovation par gestes, grâce au chauffage bas-carbone et à la rénovation de l'enveloppe.
À titre d'exemple, selon les données de l'Agence nationale de l'habitat (Anah), les rénovations globales ne représenteraient que 0,1 % des travaux financés par le dispositif MaPrimeRénov'. De la même façon, le ciblage des autres aides encourage davantage des rénovations partielles aux gains énergétiques limités et de nombreux instruments encouragent ces gestes : la TVA à 5,5 %, l'éco-prêt à taux accessible et sans condition, mais aussi certaines dispositions ponctuelles de certificats d'économies d'énergie (CEE). Les travaux ainsi financés sont pour l'essentiel immédiats et ne permettent pas d'atteindre une performance globale satisfaisante. L'objectif est donc de s'ancrer dans une trajectoire de massification de la rénovation énergétique complète performante.
La RE2020 structure les stratégies des acteurs de la construction, ce qui représente une avancée très positive. Mais cette réglementation doit déjà s'adapter à la révision de la directive européenne sur la performance énergétique du bâtiment, notamment à l'exigence de constructions neuves à émission nulle d'ici à 2030, voire avant.
Afin d'améliorer la situation et de favoriser le développement de cette trajectoire de massification, le HCC a formulé plusieurs recommandations.
En premier lieu, il faut réorienter la rénovation des bâtiments vers des parcours de rénovations globales performantes. Dans cet objectif, mettre en cohérence et unifier nos dispositifs d'aide paraît essentiel, afin de faciliter et d'accroître l'ambition des parcours, en gardant à l'esprit une trajectoire claire et en définissant des objectifs intermédiaires, en termes de nombre de rénovations, mais aussi de qualité attendue. De plus, il s'agit de réorienter les dispositifs pour privilégier les parcours de rénovation maximisant les économies d'énergie et de planifier les parcours de rénovation dans la durée, notamment à l'aide de maîtres d'ouvrage et de feuilles de route.
En deuxième lieu, il faut renforcer l'accompagnement des ménages en situation de précarité énergétique. À ce titre, nous proposons d'organiser le subventionnement des rénovations globales profondes, soit en visant un reste à charge nul pour les ménages les plus précaires, soit à l'aide de dispositifs d'accompagnement tels que des prêts ou des parcours de rénovation, pour les autres ménages.
En troisième lieu, nous recommandons le conditionnement des aides publiques à l'exigence de résultats. À la suite de l'étude de parangonnage, nous avons constaté que c'est l'un des éléments de l'approche allemande qui fonctionne bien. Nous suggérons de réaliser une évaluation annuelle de l'efficacité des dispositifs d'aide, en prenant en compte une estimation des réductions attendues, pour conditionner les aides à l'obtention de résultats. Il nous faut passer du remboursement de factures au financement de la performance et à la maîtrise de l'ouvrage, pour faire en sorte que l'argent public finance des rénovations vraiment performantes.
En quatrième lieu, afin de massifier ces rénovations et d'inscrire le processus dans la durée, il faut renforcer la formation des professionnels de la filière. Pour ce faire, nous proposons de mieux structurer la filière du bâtiment en mettant en place des formations et en assurant la montée en compétences des professionnels du secteur. Il s'agira aussi de développer une programmation pluriannuelle des financements publics, qui doit s'intégrer dans le cadre budgétaire de l'État et chiffrer les coûts des orientations de la SNBC, en matière de rénovation des bâtiments notamment.
En cinquième lieu, le HCC recommande de mettre en oeuvre et de consolider la RE2020. À cet égard, il faut dès maintenant anticiper les dispositions de prise en compte de l'adaptation au changement climatique dans la définition et l'application du label associé à la RE2020.
En sixième et dernier lieu, nous proposons d'accroître fortement le potentiel des réseaux de chaleur. Si la Suède a avancé de manière profonde en matière de rénovation énergétique des bâtiments, c'est en partie grâce au développement des réseaux de chaleur, qui semblent très efficaces aussi aux Pays-Bas, où des feuilles de route régionales permettent d'encourager leur développement.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - En ce qui concerne les exemples étrangers, je voudrais d'abord revenir sur le cas de l'Allemagne où, pour bénéficier d'aides publiques, il est nécessaire d'avoir recours à un expert en énergie certifié. Ce procédé paraît intéressant, notamment pour développer la rénovation globale et permettre d'avoir une bonne visibilité avant d'engager des travaux. Lors de son audition, Mme Wargon a expliqué que ce procédé lui semblait difficilement transposable en France et a évoqué le risque d'un blocage du système ; quel est votre avis sur la question ?
Dans le cas des Pays-Bas, la dimension locale nous intéresse. Nous nous interrogeons sur la manière de relier la politique de rénovation thermique aux collectivités et aux élus. Pourriez-vous revenir sur cet exemple et partager votre analyse de ce qui se passe en France en la matière ?
S'agissant de la Suède, l'implication des ministères sociaux en matière de rénovation énergétique retient mon attention. Nous avons évoqué cette question avec l'ancien ministre Julien Denormandie, notamment le lien entre le ministère de l'écologie et celui du logement. La question sociale me semble particulièrement importante.
Dans votre rapport, vous évoquez la création de l'ONRE, que vous aviez souhaitée. Que pensez-vous de cet organisme, deux ans après sa création ?
Dans l'objectif de privilégier la rénovation globale, vous préconisez de supprimer d'ici à trois ans les aides aux gestes individuels, notamment dans le cadre du dispositif MaPrimeRénov'. Les différents ministres que nous avons entendus livrent à ce sujet des avis différents. Julien Denormandie vient de nous expliquer qu'il était important de conserver les gestes uniques, parce qu'ils constituent un premier pas vers une rénovation potentiellement plus importante. Ce qui manque vraiment est peut-être cet accompagnement et cette vision globale de la rénovation, qui peut se faire pas à pas.
Par ailleurs, vous avez plutôt critiqué le manque de fiabilité du nouveau diagnostic de performance énergétique (DPE) ; quel constat faites-vous aujourd'hui, quelques mois après sa mise en place ?
Parmi les propositions formulées par la Convention citoyenne sur le climat n'ayant pas été retenues, certaines vous paraissent-elles essentielles ?
Enfin, lors de sa dernière leçon au Collège de France, Esther Duflo émettait des doutes sur la rénovation thermique, en raison de son coût et de ses effets limités. Elle suggérait qu'on pouvait agir de façon plus efficace en se concentrant sur le fonctionnement des habitants, notamment au moyen de compteurs d'énergie. Nous avons prévu de la recevoir, mais quel est votre avis sur cette déclaration ?
Mme Corinne Le Quéré. - L'Allemagne a eu recours à une ingénierie financière pour encourager les aides aux rénovations profondes. Ainsi, plus la rénovation tend vers le niveau profond, plus les aides sont importantes. En ce qui concerne la transposition de cet effort en France, un travail a déjà été accompli avec les banques et les opérateurs de rénovation allemands. Cependant, la France est confrontée à un problème que la ministre a évoqué : les opérateurs français sont beaucoup plus petits qu'en Allemagne, où le fonctionnement est plus centralisé, ce qui a rendu les choses plus faciles avec les banques.
Ces difficultés n'empêchent pas de travailler à un parcours de financement de la rénovation et l'important est bien de reconnaître que la rénovation énergétique des bâtiments coûte cher. Il faut trouver des financements. Prévoir des aides qui ne financent qu'une partie de la rénovation ne se révèle pas très utile et entraîne des craintes, le reste à charge demeurant assez élevé. Le Gouvernement doit trouver de quoi couvrir l'ensemble des coûts de la rénovation, au moyen de subventions ou de prêts, organisés soit avec l'aide du Gouvernement, soit directement entre les usagers et les banques.
C'est au niveau de cette ingénierie financière que l'Allemagne a réussi à avancer. Par ailleurs, ce pays peut compter sur deux éléments importants. D'une part, leurs rénovations sont toujours accompagnées de maîtres de rénovation, qui sont des architectes qui suivent les rénovations du bâtiment dans leur ensemble. D'autre part, ils ont recours à des vérifications, une fois les travaux achevés. Tous ces éléments leur ont permis d'aller plus loin.
Quant aux Pays-Bas, ils ont développé une approche reposant sur des feuilles de route, et ce à deux niveaux. D'abord, ils ont recours à des feuilles de route claires en matière de bâtiments publics, ce qui a aidé à renforcer les filières et à donner une perspective dans le temps. Ensuite, ils ont établi des feuilles de route au niveau régional, notamment pour définir le zonage et déterminer où développer des réseaux de chaleur et où installer des pompes à chaleur. Ce procédé a permis d'engager les acteurs régionaux et de développer une approche mieux coordonnée dans le temps.
J'aurai moins à dire sur la question de la coordination entre les différents ministères dans le cas de la Suède. En revanche, parmi les pays que nous avons observés, la Suède est le seul pays dans lequel les bâtiments sont presque entièrement décarbonés. Les Suédois ont atteint le niveau que nous visons, et ce grâce à l'utilisation de ces trois leviers : l'efficacité énergétique, la rénovation et le chauffage bas-carbone, reposant sur un mélange entre pompes à chaleur et réseaux de chaleur. Il leur a fallu des décennies pour parvenir à ces résultats, ces développements ayant commencé dans les années 1970, avec l'adoption d'une réglementation stricte sur le neuf. Ce statut bas-carbone a été atteint grâce à une politique coordonnée menée pendant plusieurs décennies. En France, la politique est beaucoup plus jeune. Elle doit encore se coordonner et donner une visibilité d'ensemble au secteur. Le processus prendra aussi plusieurs décennies. La nôtre doit voir le niveau des rénovations remonter et il faudra ensuite une vingtaine d'années pour rénover l'ensemble du parc.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Je me permets de vous interrompre un instant sur l'exemple de la Suède, qui a obtenu de très bons résultats en agissant à deux niveaux : le chauffage bas-carbone et la rénovation thermique. On se demande souvent en France lequel des deux il faut d'abord privilégier ; savez-vous par quoi le processus a commencé en Suède ?
Mme Corinne Le Quéré. - Je n'ai pas plus de précisions sur l'exemple suédois, mais nous avons besoin du chauffage bas-carbone et de la rénovation thermique, qui doivent se développer en parallèle. La SNBC prévoit une trajectoire en parallèle pour les deux et il ne s'agit pas de privilégier l'un ou l'autre.
J'en viens à la création de l'ONRE, qui a constitué une excellente nouvelle. Cependant, à ce stade, je ne peux pas vous dire grand-chose des résultats déjà obtenus. L'Observatoire a soumis un rapport en juillet dernier, mais le HCC est entre deux rapports, le précédent ayant été soumis en juin. Nous n'avons pas encore consulté les données produites par l'ONRE, mais, pour relever un défi tel que celui de la rénovation de l'ensemble du parc de bâtiments, cet organisme semble crucial. Il doit apporter des données de suivi très fines et permettre de dire si, dans l'ensemble, le parc de bâtiments répond aux attentes et devient plus efficace en matière énergétique, de manière structurée.
En ce qui concerne les gestes individuels, le rapport du HCC préconise surtout la rénovation globale performante. Cependant, les actions mises en place doivent être pratiques et il ne s'agit pas de viser un ensemble de gestes parfaits. Il faut pousser les instruments actuels le plus possible, afin que les dépenses soutiennent les rénovations les plus profondes, performantes et globales possible. Les principaux obstacles que nous rencontrons actuellement sont constitués par le coût des rénovations et des problèmes de disponibilité en matière de réalisation des travaux. Développer les instruments actuels pour encourager les travaux globaux pourrait permettre de relever le niveau d'efficacité du parc.
Dans quel ordre doit-on faire les choses ? Doit-on procéder à toutes les rénovations de manière parfaite tout de suite ? Non. Nous pouvons produire des feuilles de route pour la planification des rénovations globales. Le danger, c'est qu'une personne rénove les fenêtres de son bâtiment et se dise ensuite qu'elle n'a plus de budget et qu'elle a fait sa part. Les uns et les autres doivent se rendre compte qu'il y a tout un travail à fournir, une route à parcourir et que, si l'on fait des gestes individuels et uniques, ceux-ci doivent s'inscrire dans une trajectoire prévoyant la rénovation des bâtiments, jusqu'à ce qu'ils atteignent un niveau plus performant. Nous ne parviendrons pas à une rénovation globale parfaite de l'ensemble des bâtiments avant 2050. Cependant, en combinant des mesures incitatives qui poussent le plus possible à cette rénovation globale et une décarbonation de la chaleur, grâce au chauffage bas-carbone, le secteur du bâtiment pourra atteindre la neutralité carbone dans les temps. Les feuilles de route et la planification du financement pour payer les factures, ou donner aux ménages les options pour ce faire, deviennent donc très importantes.
Au sujet du nouveau DPE, je rappelle que nous sommes entre deux rapports et je ne peux pas vous donner beaucoup d'éléments quant à sa performance. Cependant, nous avons identifié une difficulté puisque nous ne voyons pas bien comment relier ce DPE avec les objectifs de la SNBC. Cette stratégie est en cours de révision et il s'agira sans doute, avec une combinaison du DPE actuel et de la SNBC, de dire quels objectifs on doit atteindre avec quel nombre de bâtiments.
En ce qui concerne la Convention citoyenne pour le climat, je n'ai pas beaucoup d'éléments à apporter. Je voudrais juste noter que, dans le secteur du bâtiment, comme dans bien d'autres, on sous-estime les mesures de sobriété, ce qui est lié aussi à votre dernière question. Peut-on réduire l'utilisation d'énergie dans le bâtiment grâce à ces mesures ? Oui. Des mesures de sobriété sont adoptées dans le parc actuel, notamment en matière de réduction de l'utilisation du chauffage, par exemple dans les pièces qui ne sont pas utilisées ou pendant certaines plages horaires. Ces efforts peuvent être fournis de manière structurelle. En effet, il ne s'agit pas seulement de dire aux gens de baisser la température, mais de développer des guides directeurs ou le zonage dans les immeubles. Toutefois, nous ne pouvons miser uniquement sur ces mesures de sobriété puisque nous aurons toujours besoin de chauffage et, si les bâtiments perdent leur énergie, un problème énergétique global se posera.
Les rénovations énergétiques sont essentielles. Elles constituent l'une des actions menées en réponse au réchauffement climatique qui coûte le plus cher. Pour cette raison, la planification de ces actions et leur financement dans le temps sont très importants.
Mme Marta de Cidrac. - Des normes et des indicateurs existent lorsqu'il s'agit de concevoir un bâtiment neuf et, avec la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (Agec), nous avons recours à des diagnostics lorsque le bâtiment arrive en fin de vie et devient un déchet, pour identifier les matériaux qui le composent et pouvoir ainsi les réutiliser.
Ici, nous nous intéressons à la vie des bâtiments, entre leur création et leur mort. J'ai cru comprendre, à travers vos propos, que le sujet de la pathologie du bâtiment vous intéressait. Il s'agit de savoir quelle solution correspond à quel diagnostic. Nous allons voir le médecin de temps en temps pour vérifier que tout va bien, plutôt que d'attendre de devenir très malade et d'avoir recours à un traitement très lourd. Ne faudrait-il pas imaginer, dans le cadre de nos politiques publiques, une sorte de check up pour notre patrimoine immobilier ? Ce diagnostic périodique permettrait de préconiser des interventions plus ou moins légères. Si cette approche émerge dans certains pays - on le voit au travers des parangonnages -, elle n'a pas encore été adoptée en France. Il faudrait mener une réflexion à ce sujet, d'autant que lorsque nos concitoyens ont envie de se lancer dans une rénovation, ils se retrouvent parfois un peu démunis parce qu'ils ne sont pas spécialistes. À titre d'exemple, nous savons que pour avoir un chauffage efficace, il faut s'interroger sur la qualité de la ventilation des logements et sur d'autres éléments techniques. Quid d'un check up périodique adapté à nos bâtiments ?
Mme Corinne Le Quéré. - Nous n'avons pas approfondi cette question, mais pourquoi pas ? Un des problèmes que nous rencontrons, en effet, est que l'on connaît mal les bâtiments. C'est pourquoi l'ONRE a un rôle important à jouer pour faire des retours d'expérience et diffuser les connaissances.
S'agissant des diagnostics, les éléments d'information sur la rénovation énergétique du bâtiment sont très importants pour guider les ménages dans leurs démarches. Leur réalisation suppose une bonne connaissance des bâtiments et des dispositifs d'aide. En filigrane se pose la question de la formation de tous les acteurs de la filière afin qu'ils maîtrisent bien ce qu'il convient de faire pour réaliser une rénovation énergétique performante, notamment en ce qui concerne la ventilation - sujet très important en effet -, le confort en été, le chauffage bas-carbone, etc. Le Gouvernement doit soutenir cet effort de formation.
M. Franck Montaugé. - Vous avez insisté sur la nécessité de définir des programmations pluriannuelles de financement public pour la rénovation énergétique. Mais la question se pose aussi pour les investisseurs privés et les organismes de prêt : le Haut Conseil a-t-il travaillé sur la dimension économique de la rénovation énergétique ? Je pense en particulier aux effets du prix du carbone et des taux d'actualisation. Ces derniers sont très utilisés pour évaluer l'opportunité et le coût d'un investissement à moyen terme, notamment pour déterminer le taux des prêts destinés à financer les opérations de rénovation énergétique.
Mme Corinne Le Quéré. - Vous avez raison, il importe de disposer d'une programmation des financements publics, mais il convient aussi de tenir compte des possibilités de financement privé. Nous n'avons pas étudié les conséquences de l'évolution des paramètres qui motivent les décisions financières. Le gel de la taxe carbone a eu un effet sur la mise en place de la trajectoire définie dans la stratégie nationale bas-carbone : la hausse anticipée du prix du carbone n'a pas eu lieu, si ce n'est l'année dernière avec la crise énergétique, et cela n'a sans doute pas contribué au respect de la trajectoire. Mais une réforme du système d'échange de quotas d'émission de l'Union européenne (SEQE) est en cours ; les secteurs du bâtiment et du transport seront visés par ce nouveau mécanisme, qui remplacera la taxe carbone en France. Il constituera un facteur incitatif à la rénovation énergétique. Ce mécanisme ne sera toutefois opérationnel que dans plusieurs années. Cette perspective ne doit donc pas nous dispenser de travailler en parallèle sur d'autres instruments qui visent à donner un prix indirect au carbone, notamment la réglementation.
M. Jean-Jacques Michau. - La formation est cruciale. Les artisans jouent souvent un rôle de prescripteur à l'égard des propriétaires. Toutefois, ils sont critiques à l'égard de la certification RGE - reconnu garant de l'environnement. Doit-on faire évoluer celle-ci ? Comment accompagner la profession pour l'aider à jouer un rôle de conseil ?
Mme Corinne Le Quéré. - Nous n'avons pas examiné ce point en détail. Je ne peux que plaider de nouveau pour l'instauration de contrôles à la fin des travaux pour vérifier que les résultats sont bien là. C'est d'ailleurs une demande des artisans, qui craignent que les abus observés ici ou là n'entraînent un doute généralisé. Un système de vérification ne pourrait que valoriser les artisans qui travaillent bien.
Mme Amel Gacquerre. - En ce qui concerne la gouvernance, vous avez souligné le besoin d'une meilleure coordination entre les acteurs. La complexité des dispositifs explique certaines difficultés : le manque d'accompagnement des ménages, le manque d'évaluation, etc. Quelles sont vos préconisations ? Quel est le meilleur échelon pour conduire cette politique ? Comment peut-on renforcer la gouvernance territoriale ?
Mme Corinne Le Quéré. - La répartition entre les niveaux national, territorial et local est importante. Le niveau national doit déterminer la trajectoire et les objectifs, mais ceux-ci doivent être déclinés au niveau régional. Il existe des aides au niveau national, mais aussi au niveau régional ; toutefois leur mise en oeuvre varie fortement selon les lieux ; certaines régions sont en avance, mieux organisées, disposent d'un observatoire de suivi des émissions de gaz à effet de serre, entre autres, tandis que d'autres sont en retard. Je ne sais pas quel est le meilleur échelon, mais il existe des financements régionaux qui pourraient être mieux mobilisés pour accompagner les acteurs locaux. On manque de coordination à cet égard. Conformément à la loi Climat et résilience, le Haut Conseil doit rédiger un rapport sur la gouvernance en 2024.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Avez-vous travaillé sur la question des matériaux biosourcés : le bois, le chanvre, la paille, etc. ? Ils constituent un moyen de stocker durablement du carbone dans les bâtiments. La filière s'interroge sur la manière de valoriser ce carbone afin de financer le développement de la filière.
Mme Corinne Le Quéré. - Un petit peu. La stratégie nationale bas-carbone comporte un volet qui vise à développer le recours au bois comme matériau de construction afin de réduire les émissions de GES, mais on observe parallèlement un dépérissement des forêts à cause du réchauffement climatique ou du manque de plantations. La gestion des forêts n'est pas assez active. L'idée est d'utiliser davantage le bois de construction dans la mesure où les forêts stockent le carbone, mais le bilan n'est pas encore équilibré. Des discussions ont eu lieu lors des Assises de la forêt et du bois l'année dernière pour améliorer la gestion de la forêt et faire en sorte que les prélèvements soient compensés par des plantations.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je vous remercie.
Audition de
M. Vincent Aussilloux, directeur du département
Économie
et finances de France Stratégie, et Mme Sylvie Montout, responsable
de projet en charge de l'évaluation du plan de
relance
(Lundi 6 mars 2023)
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous poursuivons nos travaux aujourd'hui par l'audition de M. Vincent Aussilloux et de Mme Sylvie Montout.
Monsieur Aussilloux, vous êtes économiste, responsable du département Économie et finances de France Stratégie depuis plus de huit ans. Vous exerciez précédemment des responsabilités au sein de cabinets ministériels ainsi qu'à la Commission européenne et au ministère de l'économie. Madame Montout, vous êtes, vous aussi, économiste, responsable de projet chez France Stratégie, en charge de l'évaluation du plan de relance. Vous étiez auparavant économiste auprès de Business France, précédemment Agence française pour les investissements internationaux.
Votre audition doit nous permettre de comprendre le bilan que France Stratégie dresse des politiques publiques en matière de rénovation énergétique. Il s'agit aussi de vous entendre quant à vos analyses au titre du Comité d'évaluation du plan de relance présidé par Benoît Coeuré. Vous avez en effet participé à la rédaction de son rapport récent, rendu public en décembre 2022, dont un chapitre est dédié à MaPrimeRénov'. Vous aviez aussi préparé en 2021 une note sur la rentabilité économique des rénovations énergétiques, et, en 2020, une autre intitulée : Comment accélérer la rénovation énergétique des logements.
Dans ces différents documents, qui sont de nature différente, mais que je regroupe pour faciliter la discussion, vous insistez sur la faible part des travaux de rénovation globale. Le dispositif MaPrimeRénov' par exemple soutient essentiellement des rénovations mono-gestes avec 83 % des dossiers validés en 2021, ce qui représentait 55 % du montant des primes accordées. Vous notiez aussi que les travaux de rénovation financés par les aides publiques sont marqués par la prédominance des travaux liés au chauffage, avec ce chiffre marquant de 70 % des dossiers MaPrimeRénov' en 2021. Comment expliquer de tels résultats ? Dans quelle mesure des dispositions législatives et réglementaires pourraient infléchir ces résultats ?
Vous expliquez, par ailleurs, que l'évaluation précise des politiques de rénovation énergétique est parfois difficile, vous nous expliquerez pourquoi et quels sont les moyens mobilisables pour améliorer le suivi et l'évaluation de ces dispositifs. Les économies d'énergie engendrées restent en réalité très « théoriques », de même que les réductions de carbone émis, puisque les comparaisons entre consommations réelles avant et après travaux font défaut. Comment améliorer les statistiques sur les économies d'énergie, les émissions de gaz à effet de serre (GES) et les coûts d'abattement des solutions retenues, c'est-à-dire leur coût rapporté aux émissions évitées ?
En outre, nous voudrions que vous nous présentiez vos propositions pour massifier, rendre plus efficace et accélérer la rénovation énergétique des logements alors que les obstacles à dépasser sont si grands : problème des logements collectifs, question de rentabilité économique des travaux, difficultés spécifiques des ménages les plus modestes ou encore risque d'effet rebond, c'est-à-dire de changements de comportement après travaux, certains ménages choisissant par exemple d'augmenter leur température de chauffage.
Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions et pour un propos introductif d'une vingtaine de minutes à vous répartir, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.
Je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Vincent Aussilloux et Mme Sylvie Montout prêtent serment.
M. Vincent Aussilloux, directeur du département Économie et finances de France Stratégie. - La France est très en retard par rapport à ses voisins en ce qui concerne les émissions de carbone des bâtiments et les rénovations énergétiques performantes. Il s'agit pourtant d'un enjeu important, car le secteur du bâtiment représente 27 % des émissions de gaz à effet de serre et 45 % de notre consommation d'énergie. Il est absolument essentiel de faire des rénovations énergétiques performantes si l'on veut tenir notre objectif de zéro émission nette en 2050. Nous sommes en dessous de la trajectoire de la stratégie nationale bas-carbone (SNBC). Le Haut Conseil pour le climat estime qu'il faudrait réaliser 370 000 rénovations énergétiques performantes chaque année à partir de 2023, or nous n'en avons réalisé que 50 000 en 2021 et 2022. À partir de 2030, il sera nécessaire de réaliser 700 000 rénovations énergétiques performantes par an. On en est loin.
Nous avons étudié la question des obstacles à la massification et à la montée en qualité des opérations de rénovation énergétique. La question centrale est celle du financement. On mobilise déjà beaucoup d'argent public ou d'épargne des ménages en faveur de la rénovation énergétique - environ 15 milliards d'euros chaque année -, mais selon l'Institut de l'économie pour le Climat (I4CE), il faudrait dépenser 10 milliards d'euros supplémentaires chaque année pour tenir les objectifs de la SNBC. Or chacun sait les contraintes qui pèsent sur nos finances publiques et sur les budgets des ménages. Les ménages hésitent à s'endetter. Ceux qui s'endettent pour acheter un logement sont souvent à la limite de leurs capacités d'emprunt, et ils n'ont pas toujours les moyens de faire des travaux de rénovation.
La question du financement est donc essentielle. Nous avons cherché à déterminer un nouveau vecteur de financement : nous proposons d'utiliser les économies d'énergie réalisées grâce aux rénovations comme sources de financement : elles pourraient être estimées en amont et être considérées comme des ressources ou un apport des ménages, ce qui réduirait de facto le montant qu'ils auraient à emprunter.
Un autre obstacle tient à la multiplicité des acteurs avec lesquels doivent traiter les ménages : en dépit de la création du guichet unique France Rénov' ou de l'existence de sociétés de tiers financement, les démarches de rénovation énergétique restent complexes. Les particuliers doivent gérer des relations avec plusieurs entreprises ; on manque d'acteurs qui réaliseraient des opérations de rénovation globales. Comme les rénovations énergétiques réalisées à une époque étaient peu performantes, on observe aussi un manque de confiance envers les acteurs de la rénovation. Il est donc essentiel de rétablir la confiance en alignant les intérêts des particuliers qui réalisent les travaux, de la collectivité et des entreprises si l'on veut parvenir à multiplier les rénovations énergétiques performantes au meilleur coût. De même, si un propriétaire bailleur réalise une opération de rénovation, il doit en supporter le coût alors que le résultat bénéficie d'abord aux locataires. Là encore, il faudrait parvenir à aligner les intérêts en présence.
Nous avons travaillé sur la notion d'« opérateur ensemblier », une entreprise qui assurerait à la fois la conception des travaux, la maîtrise d'oeuvre, en pilotant les sous-traitants, et le financement du projet ; elle se rembourserait sur la baisse de la facture énergétique des résidents du logement rénové en récupérant le montant des économies réalisées. Les particuliers ne dépenseraient donc pas plus, n'auraient pas à puiser dans leur épargne ou à s'endetter, tout en améliorant leur confort. Plusieurs acteurs se sont déclarés intéressés. Une bonne partie des rénovations énergétiques pourraient être réalisées de cette manière. Avant la hausse du prix de l'énergie, on avait calculé qu'un tiers des opérations de rénovation énergétique performante pouvaient être financées grâce aux économies d'énergie réalisées. Ce chiffre a encore augmenté avec la hausse de l'énergie.
Les aides publiques pourraient être mieux utilisées en les mobilisant, tout en tenant compte des revenus des ménages, vers les bâtiments dont la rénovation ne peut pas être financée par les économies réalisées sur la facture d'énergie : les bâtiments historiques ou en centre-ville, haussmanniens par exemple, pour lesquels les rénovations sont plus chères.
Un tel mécanisme serait gage de simplification. Les ménages n'auraient qu'un seul interlocuteur, l'opérateur ensemblier, qui financerait et superviserait l'ensemble de l'opération et se rembourserait grâce aux économies d'énergie. Ce mécanisme alignerait aussi les intérêts des locataires et des propriétaires dans les copropriétés. La performance serait améliorée, car si les travaux sont peu performants ou mal réalisés, c'est l'ensemblier qui en supporterait le coût. Les collectivités territoriales pourraient aussi recourir à des ensembliers pour rénover des quartiers : les coûts seraient réduits grâce aux économies d'échelle, incitant les propriétaires à passer par cet opérateur, dans un climat de confiance retrouvée. Cette démarche peut aussi inciter à doter les bâtiments d'équipements produisant de l'énergie, afin de développer l'autoconsommation d'énergie ou la géothermie, etc. Ces opérateurs pourraient aussi intervenir sur la gestion de l'eau par exemple.
Mme Sylvie Montout, responsable de projet en charge de l'évaluation du plan de relance. - Je vais vous présenter les résultats de notre évaluation de MaPrimeRénov' qui montre que nous devons aller vers davantage de rénovations énergétiques globales performantes, et pas seulement des opérations mono-gestes.
Le dispositif évolue, avec la mise en place depuis la fin de l'année dernière de la plateforme France Rénov' et de Mon Accompagnateur Rénov'. On avait noté, lors de notre première évaluation en 2021, le manque d'accompagnement des ménages, lequel aboutissait à privilégier les mono-gestes. Les ménages modestes sont les principaux bénéficiaires du dispositif, mais, si l'on se fonde sur les déclarations des ménages auprès de l'Anah, le reste à charge reste important, même s'il ne s'agit que d'une estimation, car nous n'avons pas accès à toutes les primes que touchent les ménages. C'est pourquoi, en mars 2022, un décret met en oeuvre le nouvel éco-prêt à taux zéro. J'espère que nous pourrons en voir les effets lors de notre prochaine évaluation.
Les rénovations mono-gestes sont prépondérantes. La plupart des travaux demandés par les ménages sont liés au chauffage et à la ventilation. En 2021, les travaux engagés par MaPrimeRénov' auraient permis d'obtenir un gain théorique supérieur à celui du crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE) en 2019. Par logement, les gains de MaPrimeRénov' sont 40 % supérieurs à ceux du CITE.
Mais on constate que ce ne sont pas les travaux les plus efficients en termes de gains énergétiques par euro investi qui sont subventionnés. Les taux de subvention moyens de la pompe à chaleur air-eau, de la chaudière gaz très haute performance énergétique (THPE), ou encore de l'isolation des murs par l'intérieur sont modestes comparé à leur gain énergétique par euro de travaux investi. À l'inverse, les installations de chauffe-eau solaires individuels et de ventilations à double flux ont des taux de subvention moyens parmi les plus élevés et des gains énergétiques moyens par euro de travaux relativement modestes.
Néanmoins, MaPrimeRénov' a un impact important pour la réduction de l'émission de GES, grâce notamment à l'installation de poêles à granulés ou de pompes à chaleur air-eau.
Nous avons également vérifié si MaPrimeRénov' était sollicité par des territoires ayant des besoins en termes de rénovation énergétique ; c'est bien le cas, à l'exception de la région Île-de-France où le recours à MaPrimeRénov' s'avère faible par rapport au nombre de passoires thermiques. Cela s'explique par le fait que les propriétaires bailleurs ont fait peu appel à MaPrimeRénov' et que le recours à MaPrimeRénov' Copropriétés est encore peu répandu. Au-delà des difficultés liées aux procédures, des villes comme Paris sont très fournies en bâtiments historiques, avec des réglementations strictes à respecter.
MaPrimeRénov' Sérénité - le dispositif qui s'est substitué à « Habiter Mieux Sérénité » - a permis, en 2021, d'engager environ 60 000 rénovations globales. Cela dit, même avec des rénovations induisant des gains énergétiques importants, ceux-ci ne sont pas toujours suffisants pour garantir des sorties de l'état de passoire thermique. Ainsi, certains logements avec des gains énergétiques moyens parmi les plus importants sont encore considérés comme des passoires thermiques. L'enjeu est d'arriver à identifier les bons gestes. Un audit réalisé avant les travaux permet d'estimer le gain attendu. Cependant, même si le gain attendu est significatif, l'ensemble de ces rénovations globales n'a permis des sorties de passoires thermiques que pour 57 % des logements concernés.
En conclusion, il s'agit de noter la massification des travaux de rénovation. Les économies en matière d'émissions de CO2 sont importantes, en adéquation avec les attentes de la stratégie nationale bas-carbone (SNBC). En revanche, le dispositif a montré ses limites - mais peut-être n'était-ce pas son ambition première - dans le déclenchement des rénovations d'ampleur, ces rénovations « performantes » et « globales » qui doivent être réalisées dans un temps déterminé - pas plus de 18 mois -, en vérifiant la cohérence et la simultanéité de certains gestes et, bien sûr, en atteignant un gain énergétique significatif.
La difficulté consiste à massifier les travaux de rénovation dans les copropriétés, qui représentent plus de la moitié des résidences principales. Or, MaPrimeRénov' concerne essentiellement des maisons individuelles. On observe un faible accès des ménages à MaPrimeRénov' Copropriétés ; il semblerait que l'on assiste à une légère progression pour l'année 2022, mais cela reste très en deçà des attentes. L'horizon de temps est le principal problème ; afin de pouvoir enclencher les travaux, il faut que se tienne une assemblée générale réunissant les copropriétaires et que soit obtenu un vote à la majorité. La difficulté du processus peut expliquer le faible recours, outre le fait de composer avec de fortes contraintes dans les métropoles.
Vous avez évoqué le fait que l'ensemble des travaux étaient basés sur des estimations théoriques, notamment l'enquête sur les travaux de rénovation énergétique dans les maisons individuelles (TREMI) du Commissariat général au développement durable (CGDD). Nous en avons conscience et, dans un premier temps, avons réalisé une première évaluation afin de vérifier l'impact des travaux de rénovation sur un échantillon ; le nombre de réponses étant insuffisant, nous n'avons pu établir une estimation.
Cette année, le service statistique du CGDD prévoit d'évaluer la consommation de 1 million de ménages, soit l'ensemble des ménages ayant réalisé des travaux de rénovation énergétique, et non seulement ceux qui ont bénéficié de MaPrimeRénov'. D'ici fin 2023 ou début 2024, il devrait être possible d'estimer l'impact de ces travaux de rénovation, en prenant en compte la consommation réelle et l'effet rebond.
L'enjeu est aussi important, d'un point de vue environnemental et sociétal, pour les bâtiments publics. Beaucoup de bâtiments sont, en effet, de vraies passoires thermiques...
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous avons axé notre débat sur le logement privé, mais le sujet des bâtiments publics a été également évoqué lors des auditions.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Ma première question concerne le financement. Vous avez évoqué les 15 milliards d'euros déjà investis et les 10 milliards supplémentaires qu'il conviendrait d'engager. Pensez-vous qu'en engageant ces milliards supplémentaires, les travaux pourraient être réalisés ?
Vous avez présenté un système vertueux, avec cet opérateur ensemblier à même de faire converger les intérêts et qui se rembourse sur les économies d'énergie. Mais comment, dans votre dispositif, intégrez-vous l'augmentation du coût de l'énergie ? Car l'on s'aperçoit que la facture d'énergie, même après une rénovation, s'avère parfois plus élevée, car le prix de l'énergie augmente...
Il faut tenir compte aussi des changements de comportement après les travaux. Certains ménages, par exemple, choisissent d'augmenter la température de leur chauffage pour accroître leur confort, ce qui limite le véritable impact énergétique. Comment réagir devant ces comportements ?
Il m'a semblé comprendre que plus les investissements en matière de rénovation étaient lourds, moins ils s'avéraient rentables, car il est plus difficile de se rembourser avec les économies d'énergie. Qu'en pensez-vous ?
Je souhaite connaître votre avis sur les différents moyens à notre disposition pour intervenir. Au niveau législatif, il a été décidé d'interdire la location de passoires thermiques ; des discussions ont également porté sur le fait d'agir sur la vente.
Une proposition de loi citoyenne préconise, afin que chacun puisse investir, la création d'un fonds de rénovation qui ressemble à votre système. Seule différence : ce fonds ne se rembourserait pas à partir des économies d'énergies, mais via une hypothèque, au moment de la vente du bâtiment. Avez-vous connaissance de cette proposition ?
La fiabilité des diagnostics de performance énergétique (DPE) est essentielle. Que pensez-vous des nouveaux DPE et de leur place dans les politiques mises en oeuvre ?
Enfin, ma dernière question porte sur les matériaux biosourcés. On estimerait qu'environ 90 % des matériaux utilisés pour la rénovation énergétique sont liés à l'industrie pétrochimique. Il s'agit donc de se tourner vers les matériaux biosourcés et de soutenir financièrement la mise en place de filières. Je pense, par exemple, à la valeur du carbone stocké que l'on retrouve ensuite dans les bâtiments.
M. Vincent Aussilloux. - Les 15 milliards d'euros investis pour la rénovation énergétique des logements privés - dont 6 milliards d'aides publiques - ne sont pas mobilisés de façon performante. L'Institut de l'économie pour le climat estime que, sur ces 15 milliards d'euros, 8 milliards ne génèrent pas d'économies d'énergie.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Pouvez-vous nous donner des exemples ?
M. Vincent Aussilloux. - Cela correspond à des gestes de rénovation qui ne sont pas performants ni réalisés de façon indépendante. L'intérêt d'une entreprise n'est pas aligné sur celui du particulier quand elle réalise des travaux. Ces cas de rénovations qui n'ont pas abouti à des économies d'énergie ont dégradé la confiance des particuliers.
L'augmentation du coût de l'énergie n'est pas un problème pour mettre en oeuvre l'opérateur ensemblier. L'idée est de calculer l'écart entre la facture dont il aurait fallu s'acquitter sans rénovation et celle, effective, après la rénovation ; le montant de l'écart est ensuite partagé entre les particuliers et l'opérateur ensemblier qui finance l'investissement. Cela ne veut pas dire que la facture énergétique des ménages n'augmentera jamais, mais celle-ci augmentera beaucoup moins qu'en l'absence de rénovation ; il est donc important de mobiliser ces économies d'énergie pour la financer et la réaliser. Si les prix de l'énergie baissent fortement - ce qui n'est pas exclu pour les énergies carbonées en cas de récession mondiale -, ce serait toujours intéressant car une des clauses du contrat de l'opérateur ensemblier autorise le prolongement automatique de la durée de celui-ci en cas de plus faible retour sur investissement.
Il serait intéressant que la puissance publique mobilise un fonds de garantie afin de couvrir une partie des pertes éventuelles - 50 % par exemple - de l'opérateur ensemblier. Les intérêts des particuliers et de l'opérateur resteraient alignés. On serait sûr alors que celui-ci conserve la maîtrise des travaux et anticipe bien les économies d'énergie réalisées. Cela permettrait à la puissance publique de mieux mobiliser les fonds afin que les aides soient plus efficaces, et de davantage développer les investissements réalisés par les acteurs privés plutôt que par les particuliers.
Il existe plusieurs moyens de contrôler l'évolution de la consommation d'énergie post-rénovation et de faire le tri entre ce qui est dû à la rénovation énergétique et ce qui est dû au changement de comportement du ménage. Une première technique consiste à développer des diagnostics performants ; des initiatives de ce type émergent, notamment dans le cadre du projet Sereine (Solution d'Évaluation de la peRformance Énergétique INtrinsèquE des bâtiments). Le diagnostic pourrait être établi par un acteur tiers, autre que l'opérateur ensemblier ; il interviendrait avant et après la rénovation afin de déterminer, à comportement inchangé, la part de baisse de la consommation énergétique.
Parmi les autres techniques possibles, une entreprise a développé un système simple et peu coûteux de capteurs. Avec un capteur à l'intérieur du bâtiment et un autre à l'extérieur, il est possible de distinguer la part liée à un comportement dispendieux d'utilisation du chauffage. Il existe également, combinés au compteur Linky, des systèmes de compteurs intelligents qui permettent de faire la part entre les différents équipements en cas d'achat de nouveaux équipements.
C'est un des avantages de l'opérateur ensemblier : comme, dans un premier temps, les gains sur la facture énergétique ne reviennent pas directement aux ménages, mais, en priorité, à l'opérateur qui paie les travaux, cela entraîne moins d'effets rebonds. Souvent, quand la baisse de la facture énergétique est importante, le réflexe est de consommer davantage. La facture baissant peu, cela n'incite pas à consommer plus.
Par ailleurs, l'opérateur ensemblier, restant en contrat avec les particuliers sur une longue période, peut intervenir auprès d'eux s'il observe des comportements mal adaptés en termes de consommation énergétique. La décision, en dernier ressort, appartient aux particuliers, mais l'opérateur ensemblier peut aider, conseiller, accompagner dans le choix d'équipements, en matière de domotique par exemple.
Actuellement, lorsqu'une entreprise a réalisé les travaux et qu'on lui a payé sa facture, elle n'est plus partie prenante.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Des expérimentations de ce système ont-elles été menées ?
M. Vincent Aussilloux. - Ce système n'a encore jamais été mis en place, ni en France ni à l'étranger. À France Stratégie, nous avons étudié des systèmes proches, comme les sociétés de tiers financement, de manière à ce que l'opérateur ensemblier puisse répondre aux problèmes déjà rencontrés. Parmi les différences, les sociétés de tiers financement mobilisent des prêts et ne sont pas responsabilisées sur la performance dans la mesure où leur financement ne dépend pas d'elle.
Plusieurs sociétés de tiers financement sont aujourd'hui intéressées pour devenir des sociétés de tiers-investissement. Ces sociétés font actuellement en sorte que le financement du prêt n'excède pas l'économie que le ménage va faire sur sa facture d'énergie, mais le processus n'est pas intégré. En passant par les sociétés de tiers financement, le choix des artisans et la relation qu'ils entretiennent avec eux s'avèrent souvent compliqués pour les ménages.
Les aides pour réaliser une rénovation énergétique performante sont également compliquées à mobiliser. Ainsi, certains ménages ont dû patienter plus de six mois pour savoir s'ils allaient bénéficier des aides, alors qu'ils venaient d'acheter une maison et voulaient réaliser des travaux de rénovation énergétique en même temps que d'autres travaux de rénovation. Il est important, au moment des ventes, de pouvoir réaliser ce financement par les économies d'énergie. Une obligation de rénovation énergétique au moment des ventes serait un geste fort, notamment pour les maisons individuelles avec un classement énergétique DPE faible. Cela inciterait les propriétaires à l'intégrer dans leur prix de vente, ou bien à la réaliser avant la vente, via un opérateur ensemblier, sachant que le contrat liant le propriétaire à un opérateur ensemblier peut se transmettre au prochain propriétaire.
Concernant les hypothèques à la vente, il existe déjà un système de prêts. Concrètement, il est aujourd'hui peu mobilisé. Nous n'avons pas d'explication claire à ce sujet. Nous savons, d'après les enquêtes, que les particuliers sont réticents à l'idée de solliciter des prêts. Par exemple, les parents qui réalisent des travaux et anticipent la transmission de leur logement à leurs enfants ne veulent pas que le remboursement s'effectue au moment de la transmission.
Les banques expriment leur volonté de financer les rénovations énergétiques, mais, dans la réalité, peu de prêts sont contractés ; même la distribution du prêt à taux zéro s'avère faible par rapport au potentiel estimé. Les institutions bancaires n'ont pas d'actifs à adosser au prêt de rénovation énergétique, contrairement, par exemple, à la construction d'une maison ou d'un bâtiment. Par ailleurs, il est complexe pour ces institutions d'analyser la situation financière des particuliers alors qu'il serait plus simple pour elles de financer des opérateurs ensembliers. Les banques pourraient évaluer plus aisément la situation financière de l'opérateur ensemblier, ainsi que sa performance en termes de réalisation des rénovations énergétiques.
Mme Marta de Cidrac. - Madame Montout, vous avez indiqué que MaPrimeRénov' bénéficie pour l'essentiel aux ménages modestes. Vous avez également insisté sur le fait qu'en dépit des investissements, les bâtiments ne sortaient pas toujours du statut de passoire thermique. Je m'interroge donc sur le cas des ménages modestes qui vont solliciter un prêt et effectuer des travaux ne leur permettant pas de sortir leur logement du statut de passoire énergétique. Or, si j'ai bien compris la manière dont se financerait l'opérateur ensemblier, le critère de progrès énergétique est indispensable. Pouvez-vous nous donner des précisions ?
Je m'interroge également sur la durée de vie des bâtiments. L'opérateur ensemblier pourrait-il également apporter à nos concitoyens une sorte de diagnostic global sur la pathologie de leur logement ?
M. Vincent Aussilloux. - Pour les ménages modestes, l'opérateur ensemblier est un vecteur permettant d'obtenir des rénovations énergétiques globales et performantes, dans la mesure où ils n'ont pas besoin de s'endetter et de solliciter un prêt. L'opérateur ensemblier porte seul l'investissement. Et pour que la rénovation énergétique ne se limite pas à générer des économies d'énergie, mais améliore aussi le confort des particuliers, la puissance publique pourrait définir des seuils à atteindre obligatoirement : catégorie C pour les passoires thermiques, catégorie A ou B pour les autres. Après en avoir discuté avec les entreprises, cela est tout à fait réalisable.
La puissance publique pourrait également fixer une obligation supplémentaire et demander à l'opérateur ensemblier d'évaluer la qualité du bâtiment indépendamment de la rénovation énergétique. Nous avons un intérêt collectif à mieux anticiper les risques liés à la durée de vie d'un bâtiment, d'effondrement par exemple. Naturellement, cela ajouterait un coût et la puissance publique devrait apporter des aides financières spécifiques afin de ne pas plomber l'investissement dans les rénovations énergétiques.
Comme je l'ai mentionné précédemment concernant la gestion de l'eau, l'opérateur ensemblier pourrait également prendre en charge l'adaptation des logements au vieillissement de la population. Cela ne serait pas financé par les économies d'énergie, mais il serait possible de mobiliser des aides publiques déjà existantes, ou bien de trouver d'autres types de financement afin que cette partie des travaux soit réalisée en complément de la rénovation énergétique. En réalisant tous les travaux en même temps, on baisserait le coût unitaire de la rénovation énergétique.
Vous avez évoqué les matériaux biosourcés. Il s'agit, en effet, d'un enjeu majeur pour le pays et pour la planète. Dans un premier temps, il serait préférable de ne pas fixer de contraintes plus élevées aux opérateurs ensembliers qu'aux opérateurs classiques de la rénovation énergétique. Dans un second temps en revanche, des contraintes supplémentaires aideraient à développer l'offre pour ces matériaux biosourcés. S'agissant du chanvre par exemple, l'enjeu est de faire baisser les prix, de produire davantage, et que les professionnels sachent également mieux utiliser le matériau.
La formation et la montée en compétences des professionnels est également un enjeu. Beaucoup d'artisans qui travaillent aujourd'hui dans la construction devraient se réorienter dans la rénovation énergétique des bâtiments. Outre la puissance publique et les collectivités territoriales, les opérateurs ensembliers peuvent jouer un rôle afin de réorienter et de former. Ces acteurs vont réaliser des investissements importants et développer des relations avec de nombreux corps de métiers ; il semble donc légitime qu'ils puissent former ces artisans et structurer l'écosystème.
Mme Marta de Cidrac. - Évoquant le rôle de ces opérateurs ensembliers, vous décrivez des architectes ou des maîtres d'oeuvre qui devront se préoccuper des compétences, former éventuellement, prendre en charge la réalisation des travaux de la conception jusqu'à la fin du chantier, et même au-delà. Ne se dirige-t-on pas vers une usine à gaz ? Et qui va contrôler tout cela ?
M. Vincent Aussilloux. - C'est précisément pour éviter l'usine à gaz qu'une entreprise, dont c'est le métier et la compétence, est mobilisée afin de gérer la conception du projet et de s'assurer de la qualité des travaux. Comme elle se rembourse sur les économies d'énergie, son intérêt est lié à la performance de la rénovation énergétique. Si l'opérateur ensemblier se trompe dans le choix des corps de métiers et maîtrise mal le suivi des travaux, c'est lui qui supportera les pertes.
Il existe déjà des entreprises qui disposent de ces compétences, assurent un accompagnement de qualité dans la rénovation énergétique. Ce sont des PME, des grandes entreprises, des fédérations d'artisans, des sociétés d'économie mixte comme les sociétés de tiers financement. Dans la mesure où la rentabilité de ces entreprises dépend des travaux et des économies d'énergie réalisées, les risques de malfaçon sont plus faibles et il sera facile pour la puissance publique d'assurer le suivi, avec une transmission d'informations automatique ex ante, avant la rénovation énergétique.
En même temps que sa proposition de contrat à un particulier ou une copropriété, l'opérateur ensemblier transmet à l'agence en charge de la régulation une estimation du coût des travaux et des économies d'énergie qu'il anticipe. L'agence donne son avis et, après la rénovation, l'opérateur ensemblier lui transmet le coût effectif des travaux et les économies effectives d'énergie ; l'agence peut donc voir si un opérateur a tendance à se tromper trop souvent ou si son prix, par exemple pour la rénovation d'un bâtiment, est plus élevé que celui des autres opérateurs.
Mme Amel Gacquerre. - Ce système d'opérateur ensemblier est théoriquement intéressant, dans la mesure où il répond à la complexité que rencontrent aujourd'hui les ménages dans leur projet de rénovation. En revanche, vous faites fi du contexte de pénurie de matériaux et de main-d'oeuvre dans certains secteurs de la rénovation. Tenez-vous bien compte, dans vos propositions, de ces difficultés ?
Vous avez évoqué le fait que ce système existait ailleurs sous d'autres formes. Pouvez-vous nous en dire davantage ?
M. Vincent Aussilloux. - Les sociétés de tiers financement sont des structures très proches de l'opérateur ensemblier, ainsi que certains délégataires de certificats d'économies d'énergie (CEE) qui assurent un accompagnement dans la rénovation énergétique. Mais ces structures ne portent pas l'investissement. L'opérateur ensemblier permet un meilleur alignement des intérêts et apporte une réponse à la difficulté de mobiliser des financements. Le gain en qualité et en efficacité permettra de regagner la confiance de la population. Aujourd'hui, le bouche-à-oreille est plutôt négatif, les gens ont peur de ne pas obtenir une rénovation de qualité.
La disponibilité de la main-d'oeuvre est un enjeu essentiel. L'Assemblée nationale a confié à France Stratégie la mission d'identifier les besoins en main-d'oeuvre et en compétences pour la rénovation énergétique, avec l'idée d'atteindre l'objectif fixé de zéro émission nette de CO2 d'ici à 2050. En aidant à mieux structurer l'écosystème autour d'acteurs de confiance, on le rendra plus attractif pour des personnes désireuses de se lancer dans ces métiers, pour attirer des jeunes et les former. Dans le secteur du bâtiment notamment, des ressources pourraient être davantage mobilisées dans le sens de la rénovation énergétique et moins dans celui de la construction neuve.
L'opérateur ensemblier aura pour mission d'accompagner l'artisan dans sa reconversion et d'assurer un suivi de sa formation. Des aides publiques seront sans doute nécessaires pour augmenter le nombre d'organismes de formation dans le domaine de la rénovation énergétique et inciter nos jeunes travailleurs à s'orienter vers ce domaine. Mais le facteur essentiel reste de mieux structurer l'écosystème, avec des acteurs qui assurent l'investissement, le recrutement et la performance de la rénovation. Car les artisans ou les salariés se démobilisent si les rénovations ne sont pas performantes et les particuliers craignent d'être victimes d'arnaque.
M. Jean-Jacques Michau. - Si j'ai bien compris vos propos : les locataires ou propriétaires de ces immeubles rembourseront la différence entre ce qu'ils payaient avant les travaux et après les travaux en termes de consommation d'énergie. Dans la mesure où un locataire occupe un ou deux ans un logement et qu'un propriétaire garde son logement pendant huit à dix ans, le remboursement sera-t-il lié au bâtiment ou aux personnes ? Ce remboursement constituera-t-il une servitude notariée ? Comment avez-vous pensé cette relation ?
M. Vincent Aussilloux. - Il existe plusieurs cas de figure. Dans le cas d'une copropriété, qui comprend des bailleurs et des locataires, c'est la baisse de la consommation d'énergie qui financera la rénovation énergétique sur les parties communes. Quant aux parties privatives, il existe un engagement selon lequel le locataire paiera le même tarif, comme si la rénovation énergétique n'avait pas eu lieu, tout en bénéficiant d'un logement beaucoup plus confortable et sain.
Dans le cas d'un propriétaire qui laisserait vide son appartement, il existe une clause qui fixe un montant minimum à payer par mois, ce qui constitue une incitation supplémentaire à louer son bien.
Par ailleurs, la clause stipule également qu'un propriétaire souhaitant vendre son logement fait face à deux options : intégrer le restant dû à l'opérateur ensemblier dans son prix de vente, ou intégrer au sein du contrat de vente l'obligation pour le nouveau propriétaire de reprendre le contrat passé avec l'opérateur ensemblier. Le dispositif est donc facile à transmettre : il s'agit d'une simple clause inscrite au contrat.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Avez-vous déjà eu des retours de la part des différents ministères quant à l'intérêt porté à ce système ? De même en ce qui concerne les organisations professionnelles du secteur ?
M. Vincent Aussilloux. - Il existe effectivement un fort intérêt pour ces dispositifs de la part des différents ministères. Un appel à projets doit d'ailleurs être lancé dans le cadre de France 2030, afin d'expérimenter ce dispositif dans quelques semaines. Par ailleurs, les fédérations et beaucoup d'acteurs du secteur du bâtiment sont intéressés et souhaitent se lancer en tant qu'opérateurs ensembliers, car ceux-ci perçoivent bien l'opportunité et l'ampleur du marché. Bouygues, par exemple, a affirmé vouloir passer de 80 % de constructions neuves et 20 % de rénovation, à 20 % de constructions neuves et 80 % de rénovation énergétique. Ainsi, beaucoup d'acteurs savent que la partie la plus dynamique du marché correspondra à la rénovation énergétique dans les prochaines années, puisque celle-ci devient obligatoire et qu'elle représente également un enjeu essentiel pour notre planète.
De plus, grâce à ce concept, la France aurait l'opportunité de développer des entreprises qui pourraient ensuite intervenir à l'étranger. En effet, beaucoup de pays se demandent comment financer leur rénovation énergétique.
J'ajoute qu'il est essentiel de simplifier la capacité de décision des copropriétés de ce point de vue. L'intervention des opérateurs ensembliers permettrait de créer une offre globale ne nécessitant qu'un seul vote pour valider le principe de la rénovation énergétique, sachant que les propriétaires n'auraient rien à payer de plus que la facture énergétique habituelle. Les opérateurs ensembliers présenteraient leurs offres à la copropriété et celle-ci n'aurait qu'à voter ensuite pour choisir l'opérateur, là où aujourd'hui la procédure nécessite une multiplicité de votes pour chaque opération.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je vous remercie.
Audition de
M. Maxime Combes, M. Daniel Ibanez
et Mme Françoise
Verchère, auteurs d'une proposition de loi
visant à diminuer
la consommation d'énergie pour le
bâti
(Lundi 20 mars 2023)
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous reprenons les travaux de notre commission d'enquête en recevant M. Maxime Combes, M. Daniel Ibanez et Mme Françoise Verchère, auteurs d'un projet de proposition de loi visant à diminuer la consommation d'énergie pour le bâti qui a été adressé, en juillet dernier, aux députés de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes).
Madame Verchère, vous avez été maire de Bouguenais, en Loire-Atlantique, vous avez combattu le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes et avez également été membre d'Anticor, une association de lutte contre la corruption. Monsieur Combes, vous êtes économiste spécialisé sur les sujets de politique climatique, membre d'Attac et coauteur de plusieurs essais sur la crise climatique et environnementale. Monsieur Ibanez, vous êtes économiste et consultant, cofondateur des Rencontres annuelles des lanceurs d'alerte.
Nous vous recevons car vous avez tous les trois adressé, en juillet 2022, une lettre ouverte aux parlementaires de la Nupes accompagnée d'une proposition de loi visant à engager une politique de rénovation énergétique du bâti privé français, sans reste à charge pour les propriétaires. La contrepartie de ce financement serait une obligation pour les propriétaires de logements et de bâtiments tertiaires à usage de bureaux d'entreprendre des travaux d'isolation et de modification du mode de chauffage, quand les conditions l'exigent et le permettent. Ces travaux seraient pris en charge via un fonds, financé grâce à une inscription des dépenses sur le registre des hypothèques.
Avec cette proposition vous soulevez une question majeure pour l'accélération de la rénovation énergétique : celle du zéro reste à charge. Les chiffres le prouvent : la situation financière des ménages face au coût estimé des travaux, qu'ils soient partiels ou globaux, est déterminante dans leur décision de procéder ou non à la rénovation de leur logement. Vouloir supprimer ce frein du reste à charge est une intention louable, mais difficile à mettre en oeuvre ; vous nous expliquerez comment vous pensez pouvoir y parvenir.
Sur quel modèle de financement repose ce dispositif ? Vous êtes favorables à la création d'un fonds qui financerait ces opérations de rénovation en payant les entreprises chargées des travaux grâce à une inscription, comme garantie, sur le registre des hypothèques : pouvez-vous nous expliquer en détail le fonctionnement de ce fonds ?
Enfin, je souhaiterais obtenir votre avis sur les politiques gouvernementales actuelles d'aide à la rénovation énergétique : l'existence d'un reste à charge est-elle la seule cause de l'échec à atteindre les objectifs de rénovation de logements selon vous ? Quels autres dysfonctionnements identifiez-vous, et quelles seraient les alternatives à mettre en place pour y remédier ?
Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions et pour un propos introductif d'une quinzaine de minutes, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.
Je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Maxime Combes, M. Daniel Ibanez et Mme Françoise Verchère prêtent serment.
Mme Françoise Verchère, coauteure d'une proposition de loi sur la rénovation du bâti. - Vous avez rappelé le contenu de notre proposition de loi. Nous avons écrit à de nombreux parlementaires de sensibilités politiques différentes, ainsi qu'à la Première ministre qui a transmis notre texte au ministre chargé de la ville et du logement, M. Olivier Klein. Notre proposition s'adresse donc à tous les décideurs, car ce sujet dépasse les clivages partisans.
Avec Maxime Combes et Daniel Ibanez, nous avons des parcours différents, mais nous constatons que nous peinons collectivement à avancer sur ces sujets, en dépit des multiples dispositifs de soutien qui existent. Si nous voulons être à la hauteur des enjeux, il convient de repenser notre angle d'approche de la question de la rénovation énergétique. C'est pourquoi notre proposition de loi adopte un autre point de vue.
Les dispositifs de financement existants sont très compliqués, encadrés par de multiples clauses et conditions d'accès, et leur efficacité est limitée.
La mauvaise isolation des bâtiments a des conséquences directes : augmentation de la consommation d'énergie en hiver comme en été ; émissions accrues de CO2 ; dégradation de la santé en raison de la pollution liée aux particules fines ; hausse de la facture énergétique et baisse du pouvoir d'achat des ménages ; augmentation des charges pesant sur les entreprises ; fragilisation de l'indépendance énergétique du pays, etc.
Le secteur du bâtiment représente 44 % de l'énergie consommée en France, loin devant le secteur des transports, dont la part s'élève à 31,3 %. Chaque année, ce secteur émet plus de 123 millions de tonnes de CO2. La rénovation des bâtiments est donc cruciale si l'on veut lutter contre le réchauffement climatique et réussir la transition énergétique. Pour rendre les bâtiments plus économes en énergie, il faut rénover massivement l'existant et instaurer des normes plus strictes en termes de consommation d'énergie pour les constructions neuves.
L'isolation est un impératif. Selon un rapport de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) de 2021, « l'ordonnancement des travaux est crucial pour le bon fonctionnement des systèmes de production de chauffage. La première étape doit préférentiellement viser les travaux d'isolation et de ventilation pour éviter des pathologies et un surdimensionnement des systèmes de production de chauffage ». En effet, changer de système de chauffage n'a de sens que si les bâtiments sont correctement isolés.
L'OCDE, dans son rapport The Future of cooling de 2018, expliquait aussi que la priorité devait aller à l'isolation des bâtiments.
De même, le comité d'évaluation du plan France Relance indique dans son rapport de 2022 qu'« un système de chauffage ne peut être performant sans isolation adéquate, l'isolation étant un prérequis dans un parcours de rénovation cohérent et optimisé ».
L'isolation est donc, selon nous, l'enjeu prioritaire, avant même la recherche de nouvelles sources d'énergie.
Nous avons étudié les systèmes de financement en vigueur. MaPrimeRénov' est un dispositif de subventions : le montant de l'aide à la rénovation énergétique est calculé en fonction des revenus du demandeur, les dossiers font l'objet d'un contrôle minutieux. Finalement, il s'avère que monter un dossier est une démarche complexe, à tel point que des cabinets de conseil prospèrent pour aider les particuliers à le faire !
La loi actuelle ne prévoit pas d'obligation d'isoler, mais une interdiction de louer les biens mal isolés. La contrainte ne porte donc pas sur l'isolation, mais sur l'interdiction de louer.
Quelles sont les conséquences du système actuel de subventions ? Les propriétaires qui bénéficient de MaPrimeRénov' ont un reste à charge important, ce qui exclut de fait ceux qui ne peuvent l'assumer. Ceux qui sont bailleurs sont conduits souvent à augmenter les loyers pour rentabiliser leur investissement. On estime qu'il faudrait mobiliser au moins 300 milliards d'euros de subventions publiques pour isoler les seuls logements. Les propriétaires doivent financer le solde, ce qui freine la décision d'investir. Les bâtiments à usage commercial ou tertiaire ne sont pas intégrés dans le dispositif, alors que ce sont également des gouffres énergétiques. Pour rénover et isoler les 25 millions de bâtiments existants, dont 30 millions de logements, le budget nécessaire est d'environ 1 000 milliards d'euros, soit 40 000 euros par bâtiment en moyenne - un bâtiment pouvant abriter plusieurs logements. Il convient donc de dépenser entre 300 et 500 milliards d'euros d'argent public, tandis que, parallèlement, les propriétaires doivent mobiliser entre 500 et 700 milliards d'euros de financement. Ces montants sont colossaux. Cela montre que le système de la subvention n'est pas adapté à l'enjeu de la rénovation massive.
M. Daniel Ibanez, coauteur d'une proposition de loi sur la rénovation du bâti. - On compte, en France, 37,2 millions de logements : on estime que 30 millions d'entre eux ont besoin d'être rénovés. Il existe de même 30 millions de bâtiments, dont 25 millions ont besoin d'être rénovés.
M. Maxime Combes, coauteur d'une proposition de loi sur la rénovation du bâti. - Nous vous proposons de rompre avec le système existant de la subvention aux propriétaires. Nous suggérons d'intervenir sur le bâti des immeubles, ce qui permet d'utiliser d'autres dispositifs de financement. Seules 21 % des primes versées dans la cadre de MaPrimeRénov' sont utilisées pour des travaux d'isolation, et 6 % seulement vont à la rénovation globale des bâtiments.
Notre proposition repose sur trois principes. Les pouvoirs publics s'engagent à financer la totalité du montant des travaux de rénovation de tous les propriétaires, sans condition de ressources ni reste à charge. La contrepartie est l'instauration d'une obligation de rénovation. Enfin, nous proposons d'intervenir sur le bâti, ce qui permet de recourir non pas à des subventions, mais à des prêts, qui sont garantis par une inscription hypothécaire égale au montant des travaux réalisés. Le bouclage économique se fait simplement par le remboursement du prêt à la première mutation du bien - cession, succession, etc., -, au plus tard trente ans après.
Ce dispositif apparaît plus simple, souple et efficace, davantage en mesure de faire face aux enjeux. Il permet de remédier à un certain nombre de défauts du dispositif actuel. Il instaure une forme d'obligation de moyens et de résultats pour les professionnels. Les crédits consacrés à MaPrimeRénov', qui sont parfois gaspillés, pourraient être réutilisés afin de financer en amont les filières de matériaux ou la formation des professionnels.
Notre mécanisme permet aussi de se prémunir contre la hausse des loyers après la rénovation, qui est souvent observée dans le dispositif actuel. Les pouvoirs publics auront toute latitude pour choisir les chantiers à mener en priorité. Beaucoup de particuliers hésitent à se lancer dans une opération de rénovation, craignant qu'elle ne soit à fonds perdu. Notre proposition permet de régler cette question, ainsi que celle du reste à charge. Cette proposition permet aussi de résoudre la question de la complexité des procédures pour obtenir des subventions. Les locataires bénéficieront d'économies de fonctionnement, dès la rénovation effectuée, tandis que les loyers seront maîtrisés.
Nul dérapage financier important n'est à craindre, grâce à un bouclage économique relativement aisé, par le biais du prêt, de l'hypothèque et du remboursement à terme. Un des principaux facteurs de blocage, celui du financement, est donc levé. Il restera à régler les questions de la mise en place de filières de matériaux et de la formation des professionnels.
M. Daniel Ibanez. - Notre proposition poursuit un triple objectif : participer à la lutte contre le dérèglement climatique en rénovant notre parc de bâtiments ; traiter la question sociale, en s'attaquant aux charges et à la facture énergétique des locataires et des entreprises ; et enfin, renforcer notre indépendance énergétique à l'égard des puissances étrangères.
Une passoire thermique, c'est un peu comme un réservoir d'essence de voiture qui fuit. Dans ce cas, on peut changer le moteur pour moins consommer, rouler moins vite, ou utiliser du biocarburant. Mais dans tous les cas, la fuite demeure !
Il en va de même pour les passoires thermiques. Si l'isolation est mauvaise, on a beau changer la chaudière pour moins consommer - c'est d'ailleurs ce qui se fait avec MaPrimeRénov', dispositif qui est largement utilisé pour acheter des pompes à chaleur -, chauffer moins fort et régler la température à 19 degrés, la fuite dans la toiture, les portes et les fenêtres est toujours là ! Si l'on veut résoudre le problème, il faut donc isoler.
Je voudrais revenir sur les pompes à chaleur. Une question méconnue, mais directement liée à la question de l'isolation des bâtiments, est celle de la chaleur l'été. Les pompes à chaleur sont souvent des climatisations réversibles. On estime que la consommation d'énergie pour alimenter les pompes à chaleur et les climatisations devrait tripler d'ici à 2050. Il faut donc traiter ensemble les questions du chauffage l'hiver et du refroidissement l'été. Le rapport de l'Agence internationale de l'énergie (AIE) montre que l'influence des climatiseurs est beaucoup plus importante dans les centres-villes qu'en milieu rural et que la demande de climatiseurs, et donc d'énergie, va encore s'accentuer avec le réchauffement.
Le mécanisme de financement envisagé par France Stratégie semble complexe : des opérateurs ensembliers, bénéficiant de subventions, de fonds obligataires et d'une garantie de l'État à hauteur de 75 % de leur engagement, feraient eux-mêmes travailler des artisans et seraient rémunérés sur les économies d'énergie réalisées.
Nous proposons un autre système. Un établissement public, qui pourrait se financer auprès de l'État, de la Caisse des dépôts, de la Banque européenne d'investissement (BEI), etc., paierait directement les travaux, ou indirectement par le biais des propriétaires après un contrôle des travaux. Le documentaire Complément d'enquête montre la nécessité de réaliser un contrôle et une évaluation des travaux. Il se rembourserait lors de la prochaine mutation - cession ou succession -, au plus tard trente ans après. Ce dispositif respecte les dispositions de l'article 40 de la Constitution et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, car il ne modifie pas l'équilibre budgétaire. Le mécanisme repose sur un prêt ; le reste à charge disparaît à court terme, mais il est remboursé à la prochaine mutation. L'État ne fait donc que prêter de l'argent, en contrepartie d'hypothèques. Ainsi, des travaux de 20 000 euros sur un appartement sont assis sur une hypothèque de valeur équivalente. Cela permet de réutiliser les 5 milliards d'euros de subventions annuelles pour développer la formation et les filières de matériaux ou d'isolation.
Je propose quatre cas concrets pour illustrer : le pire est celui d'un couple âgé qui loue une passoire thermique pour compléter sa retraite. Je rappelle que 97 % du parc privé est détenu par des personnes physiques.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - De plus en plus sont multipropriétaires...
M. Daniel Ibanez. - Ce couple âgé, actuellement, a une difficulté à emprunter pour des raisons d'âge, et n'a pas accès au prêt avance rénovation, parce qu'il est bailleur. Quand bien même il obtiendrait une subvention, il n'y a pas d'obligation à rénover. Actuellement, si un locataire souhaite faire rénover son logement il faut passer par une commission de conciliation avec le propriétaire. Dans notre système, il y a obligation à rénover, le couple se verra prêter la totalité du montant des travaux avec une hypothèque, et remboursement à la cession, à la transmission ou après 30 ans. En revanche, il ne peut augmenter ses loyers, mais tout cela se fait sans dégradation de revenu.
Deuxième cas, celui d'un multipropriétaire louant des passoires thermiques : certes, il a des revenus, mais rien n'assure qu'il disposera des fonds suffisants, parce que les travaux coûtent plus. Avec MaPrimeRénov', son reste à charge lui fera augmenter les loyers ou l'empêchera d'isoler. En revanche, un prêt sur l'ensemble des travaux est garanti par l'hypothèque, bien inférieure à la valeur du foncier.
Le troisième cas est celui d'une copropriété, où il est souvent difficile de faire voter des travaux, à plus forte raison lorsqu'elle est détenue à la fois par des propriétaires résidents et des bailleurs : mission impossible, selon des syndics que nous avons rencontrés, subventions ou non. L'obligation d'isolation - constitutionnelle en vertu de l'article 2 de la Charte de l'environnement - financée à 100 % ne nécessite plus de décision de l'assemblée générale, qui n'aura donc à se positionner que sur le choix du prestataire et des matériaux.
Enfin, le propriétaire occupant d'une maison bourgeoise, plutôt que de payer 100 000 euros de travaux, préfère souvent continuer à payer le chauffage plus cher : dans ces conditions, on ne lutte pas contre le réchauffement climatique. La simplification ouvre les vannes.
Nous parlions de 1 000 milliards d'euros pour 25 millions de bâtiments : même un taux de subvention, déjà élevé, de 50 % laisse 500 milliards d'euros à payer par les propriétaires - c'est inatteignable. Ni un budget de 5 milliards d'euros ni celui de 12 milliards d'euros évoqué à l'Assemblée nationale ne sont à la hauteur, alors que le point bloquant reste le déséquilibre budgétaire. Nous proposons, plutôt que la collectivité ou les propriétaires, que ce soient les bâtiments eux-mêmes qui paient.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Nous avons dressé des constats similaires : des ambitions fortes, mais des résultats qui, même avec de l'argent public, ne sont pas à la hauteur. Au cours des auditions, il est apparu clair qu'un simple changement de chaudière ou passage à l'électrique ne prend pas en compte toutes les dimensions : confort, santé, coût de l'énergie.
On a besoin de simplicité et d'accompagnement
financier de tous ceux qui souhaitent rénover. Le reste à charge
zéro est important. Tout le système actuel
d'aides
- MaPrimeRénov', Anah - est-il exclu de votre
dispositif, ou celui-ci déduit-il les aides déjà
prévues ? Je déduis de la fin de votre intervention que ces
financements seraient redéployés vers d'autres politiques.
Ensuite, comment voyez-vous l'accompagnement et l'ingénierie : quelle isolation, quel type de chauffage ? Comment guider le choix des matériaux biosourcés ? À ce service public de la rénovation doit être accolé un service d'ingénierie.
De plus, sur les matériaux biosourcés, on sera vite confrontés aux capacités de la filière. Comment étaler dans le temps et faire face aux effets d'un tel appel d'air ?
Par ailleurs, pourquoi insistez-vous tellement sur le solaire thermique et sur son obligation ? Par exemple, le bois ou les réseaux de chaleur sont plus pertinents pour certaines régions.
Enfin, le propriétaire occupant d'une maison qu'il achète à 30 ans devra rembourser ses travaux après 30 ans, par exemple à 60 ans, en arrivant à la retraite, avec un moindre revenu. N'y a-t-il pas un risque de non-remboursement, malgré les économies d'énergie qu'il réalise ? Sans oublier qu'on n'arrive pas toujours à provisionner durant 30 ans, parce que l'on compense souvent, au moins en partie, les économies par plus de consommation.
M. Daniel Ibanez. - Sur l'accompagnement, nous avons prévu un contrôle à l'article 8. Sans être diagnosticiens, nous considérons que les entreprises effectuant les diagnostics de performance énergétique (DPE) peuvent et doivent progresser - j'en reviens, à nouveau, à Complément d'enquête... Cela étant, on peut, par thermographie - 500 euros pour un pavillon - repérer les ponts thermiques et les prises d'air. Selon nous, ce diagnostic de contrôle - qui déclenche l'assurance décennale des installateurs, laquelle dépend aussi de l'obligation de contrôle créée par la puissance publique - a un coût epsilon par rapport à celui des travaux et doit donc être intégré au montant. Cela permet aussi de détecter les malfaçons. Nous l'avons prévu à l'article 8 : « Afin de garantir la bonne exécution des travaux d'isolation, il est effectué, dès la fin de la mise en oeuvre des travaux, ou dès que possible quand les conditions techniques le permettent, un contrôle de l'efficacité énergétique des travaux. »
Notre religion n'est pas arrêtée sur les matériaux biosourcés, mais, ayant été nous-mêmes confrontés à des travaux d'isolation, nous savons bien que la laine de verre, qui s'affaisse, est moins durable que la laine de bois compressée. Le temps de déphasage des matériaux diffère aussi : à même épaisseur, il faut 4 heures pour laisser passer la chaleur à travers la laine de verre, huit heures pour la laine de bois non compressée, et quatorze heures si elle est compressée. Ces huit heures permettent de ne pas climatiser entre 10 heures et 18 heures si l'on a ouvert ses fenêtres la nuit. À l'inverse, en hiver, les huit heures ou les quatorze heures bloquent efficacement le froid. C'est la valeur ajoutée de ces matériaux biosourcés, avec l'ouate de cellulose et la fibre de chanvre par exemple.
En revanche, il y a bien un manque de main-d'oeuvre spécialisée. Le budget des subventions - 5 milliards d'euros - devrait, en plus de la compensation des taux d'intérêt des travaux - 8 % des 60 milliards d'euros estimés chaque année - être réaffecté à la formation et au développement de la production. Cela développerait certains territoires et leur redonnerait la main. J'y connais votre attachement, en tant que sénateurs. Ce serait, par exemple, le cas à Chambéry, dont je suis issu, si l'on y produit de la laine de bois plutôt que des pellets.
Mme Françoise Verchère. - En effet, la demande sera considérable. Ce sera au législateur et à la puissance publique de prioriser : notre proposition, modeste, ne demande qu'à être affinée.
La durée moyenne de conservation d'un bien est de 14 ans, ce qui serait donc l'échéance moyenne de remboursement du prêt. Nous proposons un maximum de 30 ans, mais cela ne concernerait que des cas très particuliers - une personne qui rénove sa maison à 60 ans, et qui continuerait d'y vivre jusqu'à 100 ans, par exemple. La loi saura régler ces cas. Finalement, 14 ans, c'est peu.
M. Maxime Combes. - On nous présente souvent des cas limites pour disqualifier notre propos général. Cependant, nous n'avons pas de dispositif national efficace à la hauteur nécessaire. Il y a 4,8 millions de passoires thermiques en France : avec l'objectif de l'exécutif de 80 000 passoires rénovées par an, il faut 60 ans. Selon la Cour des comptes, 2 500 logements perdant le label de passoire thermique chaque année : cela représente 1 900 ans. Enfin, si l'on tient compte des 45 000 rénovations globales faites chaque année, il faut un siècle. On peut évoquer le risque d'emballement, mais aujourd'hui, le système est à plat.
De plus, sur l'articulation avec les aides existantes, quiconque s'est attelé à rénover son habitation a fait face à leur complexité. N'en rajoutons pas. Même avec la simplification de MaPrimeRénov' on reste face à des interlocuteurs multiples. Nous ne souhaitons pas ajouter un système aux précédents, mais l'y substituer, même si cela implique pour le législateur et l'exécutif de reconnaître que ce qui a été fait n'est pas satisfaisant et qu'il faut repartir sur quelque chose de différent.
Selon moi, il faut bien un service public de l'isolation du bâti, totalement renouvelé. Pour être efficace il doit articuler tous les échelons de l'intervention publique, du national au local, et impliquer les acteurs privés, ce qui est nécessaire.
Sur les matériaux biosourcés, je vous invite à rencontrer les responsables des filières - j'en connais. La paille est une partie de la solution, qui fonctionne très bien et sans problème de ressources. Il y a une filière à construire, mais notre pays sait le faire.
Nous recommandons le solaire thermique lorsqu'il est efficace : c'est aberrant de chauffer ou de climatiser alors que le soleil tape sur les maisons. C'est simple de chauffer de l'eau à 50 degrés, avec ces dispositifs qui sont peu techniques.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Votre proposition est séduisante, mais dans notre pays, il y a une crainte historique des prêts hypothécaires, notamment au vu de ce qui s'est passé aux États-Unis. Pensez-vous à un taux fixe, variable, ou zéro ? Avec une hypothèque, paie-t-on, à terme, le triple du montant ? Le taux fixe suppose aussi une garantie. Comment envisagez-vous cette dernière, alors que presque tous les prêts hypothécaires sont adossés à une financiarisation, avec le risque afférent en cas de crise financière ?
En tout cas, il manque à votre proposition l'effet des taux et la différence de coût pour le propriétaire par rapport à un prêt normal, sans oublier la résistance culturelle au prêt hypothécaire, notamment du point de vue de la succession, même s'il est vrai qu'un bien est souvent transmis plusieurs fois avant héritage.
Avez-vous sollicité la Caisse des dépôts et consignations (CDC) ? Mille milliards d'euros de dette supplémentaires, cela devra être expliqué aux marchés financiers, même si je n'en suis pas, personnellement, traumatisée...
M. Daniel Ibanez. - J'ai eu à connaître, de près, de la crise des subprimes. Or, une rénovation thermique, c'est 20 000 euros en moyenne, environ 10 % de la valeur du bien, là où les subprimes concernaient des montants bien supérieurs. Nous proposons une hypothèque à due concurrence. Certes, la crise a traumatisé, avant tout, les marchés financiers, mais l'enjeu est ici bien moins significatif compte tenu de la valeur des biens.
Quant au taux d'intérêt, le retour de 5 milliards d'euros dans le budget de l'État représente 8,33 % des 60 milliards d'euros de dépenses annuelles. Cette somme pourrait bonifier les prêts avec, notamment, des prêts à taux zéro ou des prêts garantis par l'État.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - On le fait déjà, d'ailleurs.
M. Daniel Ibanez. - Sans oublier la valeur pour le changement climatique.
M. Maxime Combes. - Ne confier ce mécanisme qu'aux banques privées supposerait des risques. En revanche, un établissement public dont les ressources viennent de la Banque publique d'investissement (BPI) et de la CDC aura les capacités pour réduire au plus bas tout risque d'emballement.
Par ailleurs, les cas de défection que j'évoquais tout à l'heure sont amortis sur la masse des financements et des transactions. Le taux de défaut devrait être très faible. Toutefois, simples citoyens, nous n'avons pas de chiffrage précis, mais nous serions heureux d'entrer dans le dur et d'y travailler. Il devrait y avoir obligation d'informer des risques : ce travail, à Bercy, on sait le faire.
M. Daniel Ibanez. - À l'échelle de l'État français, 60 milliards d'euros, c'est acceptable pour les marchés.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Alors que 13 milliards d'euros, sur les retraites, préoccupent déjà...
M. Daniel Ibanez. - Nous n'avons pas pris contact avec la CDC.
En revanche, nous vous remercions d'avoir reçu les trois citoyens que nous sommes - selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, « la Loi est l'expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation ». Nous sommes à votre disposition pour approfondir ces éléments.
Nous avons rencontré des hauts fonctionnaires, des professionnels du bâtiment, des propriétaires : tous ont eu votre réaction, madame Lienemann, sur l'hypothèque et son effet à la succession.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Cela dit, vous avez raison, sur 20 000 euros...
M. Daniel Ibanez. - Certes, sur une grande maison bourgeoise, les enfants toucheront 100 000 euros de moins, mais si la maison vaut un million d'euros...
Mme Marta de Cidrac. - Vous avez présenté votre dispositif comme étant simple. Cependant, en cas de malfaçon ou d'inefficacité constatée des travaux, qui paie ? Les assureurs, au prix de primes plus élevées ?
M. Maxime Combes. - Les malfaçons, aujourd'hui, ne sont pas traitées. Nous élargissons le dispositif : développer la filière et la formation tout en réduisant le nombre d'intervenants diminue les risques de malfaçons telles qu'on les a vues dans Complément d'enquête. Il y aura toujours des malfaçons, mais elles seront résiduelles du fait de la massification. À nouveau, ces cas limites n'invalident pas le dispositif. Tout comme aujourd'hui, il faudra les gérer.
M. Daniel Ibanez. - Les entreprises effectuant les travaux sont soumises à la garantie décennale, qui n'est pas employée aujourd'hui parce que les propriétaires n'en sont pas capables. C'est pourquoi il faut un contrôle par un organe extérieur, qui y fera appel. Il faut donc mettre les assureurs autour de la table.
Mme Françoise Verchère. - Nous proposons de changer fondamentalement de perspective en rompant avec le logiciel de la subvention. MaPrimeRénov' est un échec, car le nombre de rénovations globales est trop faible.
Un dernier mot, en conclusion, sur la solution avancée par France Stratégie : des opérateurs ensembliers assurent une prise en charge totale des travaux, sans reste à charge, et se remboursent ensuite en récupérant sur les factures le montant des économies d'énergie réalisées. Mais les investisseurs seront tentés de privilégier les projets les plus rentables. De plus, ce mécanisme s'inscrit toujours dans la logique de la subvention, en dépit d'une clause de retour à meilleure fortune. Les prêts sont garantis par l'État, ce qui peut s'avérer coûteux pour les finances publiques. Finalement, on peut craindre que ce dispositif n'ait un effet inflationniste sur le coût des travaux. Enfin, le mécanisme reste complexe, la procédure est lourde, et cela peut donner lieu à des effets de niche.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je vous remercie.
Audition
d'associations
agissant dans le domaine de la rénovation
énergétique
(Lundi 20 mars 2023)
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous poursuivons nos travaux par une table ronde réunissant des associations qui agissent dans le domaine de la rénovation énergétique.
Nous recevons ainsi les représentants de cinq associations.
L'association négaWatt est représentée par M. Olivier Sidler, porte-parole de l'association et expert en bâtiment, et M. Raphaël Claustre, expert en bâtiment lui aussi et membre de la Compagnie des négaWatt, le collège exécutif de l'association. Votre association, créée en 2001, a mis au point un scénario énergétique à l'horizon 2050 qui traduit une évolution possible de notre système énergétique s'appuyant sur la sobriété, l'efficacité énergétique et le recours aux énergies renouvelables.
L'association Dernière Rénovation est représentée par son porte-parole, M. Bertrand Caltagirone, et par M. Pierre Taieb, responsable communication et médias. Votre mouvement militant, qui prône la résistance civile, dénonce, selon vos mots, la « trahison » de la promesse du Gouvernement de reprendre les propositions de la Convention citoyenne pour le climat et plaide pour un nouveau plan de rénovation énergétique qui serait « à la hauteur de l'urgence ».
Le Conseil national des associations familiales laïques (Cnafal) est représenté par Mme Françoise Thiébault, coordinatrice du secteur de l'énergie et représentante du Cnafal au Conseil supérieur de l'énergie et au sein du groupe de travail sur la rénovation énergétique du Conseil national de la consommation. Votre organisation, créée en 1967, est agréée association de consommation et a pour but l'étude et la défense des intérêts moraux et matériels des familles.
L'Association nationale des Compagnons bâtisseurs est représentée par Mme Suzanne de Cheveigné, présidente. Votre association milite pour la dignité de l'habitat et des personnes en organisant des chantiers d'auto-réhabilitation accompagnée et des chantiers d'insertion.
L'association Agir pour le climat, enfin, est représentée par M. Lucas Chabalier, responsable plaidoyer. L'objectif de votre organisation, cofondée par le député européen Pierre Larrouturou et par le climatologue Jean Jouzel, est de contribuer à l'élaboration de solutions concrètes pour financer la transition écologique et solidaire en Europe. Plus spécifiquement, vous proposez une solution de financement globale de la transition écologique intitulée « Pacte finance-climat européen ».
Mesdames, messieurs, dans vos diverses fonctions, que je viens de rappeler, vous avez eu l'occasion d'agir dans le domaine de la rénovation énergétique, que ce soit en militant, en élaborant des scénarios alternatifs ou en menant directement des chantiers de rénovation. Votre audition, dans le cadre de cette table ronde, doit nous permettre de mieux comprendre vos positions respectives sur le sujet.
Quel bilan, à votre échelle, faites-vous de la politique de rénovation énergétique en France ? Considérez-vous que les politiques publiques de rénovation soient efficaces ? Si tel n'est pas le cas, comment pourraient-elles être améliorées ?
Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions et pour un propos introductif d'environ cinq minutes, je vous indique que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu en sera publié.
Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite donc à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Raphaël Claustre, M. Olivier Sidler, M. Pierre Taieb, M. Bertrand Caltagirone, Mme Françoise Thiébault, Mme Suzanne de Cheveigné et M. Lucas Chabalier prêtent serment.
M. Raphaël Claustre, expert bâtiment et membre de la Compagnie des négaWatt. - Il existe sans doute un malentendu sur la définition même de la rénovation énergétique. Qu'est-ce que la rénovation énergétique ? S'agit-il de changer de fenêtres ou de système de chauffage, d'isoler des combles ? Pas uniquement : il s'agit bien plutôt de transformer des passoires énergétiques, bâtiments plus ou moins anciens, en bâtiments basse consommation (BBC). Il n'est donc pas question de faire du bricolage à coups de petits travaux : ce qui est en jeu, c'est la véritable transformation, à l'échelle du pays, d'un parc de bâtiments.
Ce sont à la fois, en la matière, les lois de la physique et des constats de politique publique qui nous obligent : aucun scénario ne nous permet d'atteindre nos objectifs climatiques sans un parc entièrement composé de bâtiments basse consommation ; on ne saurait éradiquer la précarité énergétique sans un parc entièrement composé de bâtiments basse consommation ; on ne saurait se passer entièrement des énergies importées depuis des pays dont on aimerait être indépendant sans un parc entièrement composé de bâtiments basse consommation. Tel est l'enjeu.
Pendant des années, la rénovation énergétique a consisté à faire du petit bricolage - il y a dix ans, on remplaçait les fenêtres ; aujourd'hui, on installe des pompes à chaleur. Tout cela est utile, mais ne sert pas à grand-chose si on sépare ces actes : c'est dans le cadre d'un projet global que de tels travaux ont du sens.
Si les objectifs de politique publique sont alignés sur ce principe - la loi française dispose que d'ici à 2050 le parc bâti doit être entièrement au niveau basse consommation -, les politiques de court terme, qui incitent les maîtres d'ouvrage, autrement dit les ménages, à faire tel ou tel choix, ne le sont pas du tout : là est le véritable problème. On entend parfois que les objectifs seront atteints en plusieurs étapes. Il est vrai que procéder à une rénovation globale - isoler les murs, installer des fenêtres performantes, isoler la toiture, isoler le sol, donc transformer l'enveloppe du bâtiment, et l'équiper de systèmes de ventilation et de chauffage performants - et s'assurer que l'interface entre ces six postes de travaux est bien cohérente, c'est un peu complexe et c'est un peu cher. Mais il est très complexe et très cher de faire autrement !
Oui, il est possible de faire du BBC par étapes, mais cela est plus complexe et plus cher : cela exige une programmation préalable. En d'autres termes, ce n'est vraiment pas la voie royale : si l'on veut guider correctement les ménages, il faut leur dire que la voie royale, c'est-à-dire le moyen de tenir nos objectifs de politique publique, c'est la rénovation globale. Toutes les politiques publiques en ce domaine doivent être alignées sur ce principe : la communication, l'information, les aides, les obligations, les interdictions.
M. Olivier Sidler, expert bâtiment et porte-parole de l'association négaWatt. - Les textes nous indiquent que d'ici à 2050 la totalité du parc de bâtiments devra être au niveau BBC. Or 22 millions de logements construits avant l'an 2000 ne sont pas au niveau et il faudrait les rénover, ce qui fait, en vingt-sept ans, 804 000 logements chaque année.
La stratégie nationale bas-carbone (SNBC), d'une part, et la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), d'autre part, nous donnent également la direction à suivre : il était prévu, dans la SNBC, de commencer par un rythme de rénovation au niveau BBC de 500 000 logements par an, effort censé être porté très vite à 700 000 logements rénovés par an ; dans la PPE, qui est la feuille de route de la France, il était précisé qu'entre 2015 et 2030 il faudrait rénover au niveau BBC 370 000 logements par an en moyenne, soit 5,55 millions de logements sur quinze ans. Or, entre 2015 et 2020, si l'on se réfère aux chiffres de l'observatoire de l'association Effinergie en y ajoutant les quelques logements qui n'ont pas obtenu de label, on a rénové 250 000 logements au niveau BBC : il en reste 5,3 millions à transformer en sept ans, soit 750 000 rénovations à effectuer chaque année...
Quelle que soit l'approche adoptée, on voit que nous sommes très loin de notre feuille de route : 60 000 logements ont été rénovés au niveau BBC l'an dernier, avec certes une légère accélération ces dernières années.
Pourtant, l'Agence nationale de l'habitat (Anah) dénombre, au titre de l'année dernière, 718 555 rénovations réalisées ; le Président de la République lui-même a repris ce chiffre dans sa communication - « on y est ! », se félicitait-il. Mais vous voyez que, de part et d'autre, on ne parle pas du tout de la même chose !
La politique menée a-t-elle été efficace ? La réponse est non. Nous rénovons treize fois moins que nécessaire. Il est vrai qu'il est possible de procéder en trois fois à défaut de faire des rénovations d'un seul tenant ; mais, le cas échéant, si l'on retient le geste plutôt que la rénovation globale comme fondement de la méthode de calcul, il faut multiplier par trois les chiffres que j'ai cités : de 700 000, chiffre donné par l'Anah, il faut passer à 2,5 millions de « rénovations ».
Voilà en tout cas le constat qu'il faut poser comme point de départ de cette réunion : on n'y est pas du tout ; ni à la bonne vitesse ni au bon niveau.
M. Bertrand Caltagirone, porte-parole de l'association Dernière Rénovation. - Dernière Rénovation est une campagne de résistance civile qui vise, par des actions de perturbation répétée, à mettre l'État sur la voie du respect de ses propres engagements en matière climatique - l'État a été condamné par deux fois pour inaction climatique -, condition essentielle pour nous épargner l'enfer d'un monde à 2 degrés ou plus de réchauffement. Notre revendication reprend la proposition qui avait été faite par la Convention citoyenne pour le climat en matière de rénovation énergétique, qui comprenait notamment un agenda d'obligation de rénovation performante à destination des propriétaires ainsi qu'un système d'aides déchargeant les plus modestes de la quasi-totalité des coûts afférents.
Si le choix de la rénovation énergétique s'est imposé à nous comme premier pas essentiel à engager, c'est d'abord parce que le bâtiment est l'un des secteurs les plus émetteurs de gaz à effet de serre, consommant près de 45 % de notre énergie, ensuite parce que la crise énergétique actuelle nous rappelle combien notre dépendance envers les énergies fossiles peut nous être fatale, sachant de surcroît que 12 millions de personnes, en France, vivent dans la précarité énergétique.
La précarité énergétique, c'est l'impossibilité de se chauffer ; c'est devoir choisir entre remplir son frigo ou faire fonctionner sa chaudière ; c'est être exposé à des maladies chroniques responsables de près de 2 200 décès chaque année ; c'est l'impossibilité de mener une vie sociale normale en accueillant des gens chez soi. Le coût social des passoires thermiques a ainsi été évalué à près de 10 milliards d'euros par an, soit plus que l'ensemble des aides actuellement affectées aux politiques de rénovation.
La rénovation est donc un chantier gagnant pour tout le monde ; ne donnant lieu à aucun enjeu idéologique véritablement clivant, elle est susceptible de faire consensus, à condition de ne pas faire dans la demi-mesure et de se donner tous les moyens de réussir. Les conditions nécessaires à une politique réussie de rénovation sont connues, expertisées, chiffrées, s'agissant d'un des chantiers les plus vitaux pour notre avenir, dont l'échec nous condamnerait tous, à plus ou moins long terme, à la précarité énergétique. Ce sujet n'est plus le domaine réservé de quelques experts : des citoyens et des citoyennes ordinaires s'en emparent et sont prêts à risquer leur intégrité et leur liberté pour qu'il soit pris en charge à bras-le-corps. Il vous revient maintenant à vous, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, de vous en emparer à votre tour à bras-le-corps.
Mme Françoise Thiébault, coordinatrice du secteur de l'énergie au Conseil national des associations familiales laïques. - Je partage très largement, au nom de mon mouvement, tout ce qui vient d'être dit. Si les ménages ne s'engagent pas autant que nécessaire dans la voie de la rénovation énergétique, c'est qu'ils ont perdu confiance après que l'on a constaté énormément de fraudes, d'arnaques, de malfaçons, dans le domaine des rénovations par gestes, financées à grand renfort de certificats d'économies d'énergie (CEE) et de coups de pouce « isolation » à 1 euro. On a vu le mal que tout cela a produit quant à la perception par les ménages de ce qu'est une rénovation énergétique - et je ne parle pas de la stérilisation à grande échelle de gisements d'efficacité énergétique gigantesques.
La question du financement reste en suspens : chacun se demande s'il va gagner quelque chose à faire réaliser des travaux ou si cela risque de lui coûter très cher. Pour ce qui est des malfaçons imputables aux entreprises qui ont bénéficié d'effets d'aubaine absolument considérables, l'enquête sur les travaux de rénovation énergétique dans les maisons individuelles (Trémi) de 2019 montrait que 700 000 personnes avaient fait un ou plusieurs gestes de rénovation sans aucun changement sur leur facture à la clef - 240 000 personnes avaient constaté des malfaçons et s'en étaient plaintes.
L'accompagnement est prévu dans la loi, mais les choses ont beaucoup de mal à « décoller », faute de conseillers en nombre suffisant. Nonobstant Mon Accompagnateur Rénov', dispositif qui vient tout juste d'être lancé, les gens ne savent pas vers qui se tourner. Ils ont accès à des plateformes de demande d'aides sur internet, mais on sait que 13 millions de Français sont en grande difficulté là où il s'agit d'effectuer des démarches numériques ; certains, pour cette raison, renoncent à percevoir la prime à laquelle ils ont droit.
Mon association a notamment vocation à traiter les réclamations, à aider les gens à accéder à leurs droits, à les informer et à les éduquer. On voit bien quels sont les méfaits causés par le développement exagéré d'un marché de la rénovation par gestes trop peu contrôlé, dans lequel il est extrêmement difficile, une fois les travaux réalisés, de faire valoir que la rénovation n'a pas été bien faite.
Nous préconisons nous aussi une rénovation globale, si possible en un seul geste, le cas échéant par étapes, si vraiment il est impossible de faire autrement - mais ces étapes doivent être planifiées selon une approche systémique. Nous demandons, comme la loi le dispose, que des financements pour tous soient mis en place : des aides d'État prioritairement adressées aux ménages modestes et très modestes.
À observer les évolutions pour 2023 de MaPrimeRénov' et des aides distribuées par l'Anah, on constate l'augmentation des plafonds des forfaits travaux pour les ménages aux revenus intermédiaires et supérieurs, ce qui nous semble anormal. Les aides de l'État doivent prioritairement aller à ceux qui en ont le plus besoin ! En revanche, à supposer que l'on oblige tous les ménages à rénover globalement leur logement, qu'ils en soient propriétaire occupant ou propriétaire bailleur, il faudra mettre à leur disposition des systèmes de financement divers et variés ; je pense aux financements de France Stratégie, mais également au tiers financement, qui est très sécurisant, ou aux prêts hypothécaires, qui peuvent être intéressants. On a su mettre en place une obligation analogue pour les systèmes d'assainissement, avec le service public d'assainissement non collectif (Spanc) : en cas de mutation ou de décès, il y a obligation de mettre en place un Spanc. Pourquoi n'y arriverait-on pas dans le domaine de la rénovation énergétique ?
Nous plaidons aussi pour une progressivité dans les approches, afin de répondre aux inquiétudes que suscite le constat suivant : en la matière, on peine à recruter des opérateurs qualifiés et compétents. Il existe donc un véritable enjeu de formation et de montée en compétences de tous ceux qui oeuvrent dans le secteur de la rénovation énergétique.
J'ai été rapporteure, en 2005, d'un groupe de travail du Conseil national de la consommation sur la sécurité des installations électriques intérieures des particuliers. Nous avions constaté, avec les professions du secteur, que cela poserait problème de prévoir une obligation applicable tout de suite à tout le monde. Nous avons donc choisi de lancer le mouvement en commençant par les mutations et par les immeubles de plus de quinze ans, recommandant de réserver à ces situations, dans un premier temps, l'obligation de joindre au dossier fourni au notaire, dans le cadre d'une vente, le diagnostic d'état de l'installation intérieure d'électricité. Désormais, lorsqu'il ressort d'un état des lieux que des travaux de sécurité sont nécessaires, soit le vendeur se décide à les réaliser, soit cela fait baisser le prix du logement.
Pourquoi ne pas suivre cet exemple pour engager une rénovation énergétique progressive, en commençant par les mutations et les successions et par les passoires, avant éventuellement d'aller plus loin ? De cette façon, il nous paraîtrait possible d'atteindre nos objectifs, à condition que les financements nécessaires soient mobilisés pour couvrir les restes à charge et que des professionnels compétents soient en mesure d'intervenir. L'enjeu d'une rénovation de bonne qualité est de ne pas laisser derrière nous ces gisements d'efficacité énergétique : cela serait bon pour le climat comme pour le porte-monnaie de nos concitoyens.
Mme Suzanne de Cheveigné, présidente de l'Association nationale des Compagnons bâtisseurs. - Je vais vous apporter des nouvelles du terrain : les Compagnons bâtisseurs sont des opérateurs de la lutte contre le mal-logement, présents dans la plupart des régions métropolitaines et en outre-mer. Notre public est composé de ménages du premier et du deuxième décile, qui se trouvent en situation de grande précarité. Nous attachons autant d'importance à la dignité des habitants qu'à celle du logement.
L'auto-réhabilitation accompagnée (ARA) désigne les situations où les habitants travaillent eux-mêmes à rénover leur logement pour l'améliorer, accompagnés par des Compagnons bâtisseurs armés de techniques très solides, professionnels du bâtiment, bénévoles, volontaires en service civique. Cette méthode implique un partage des techniques maîtrisées par les Compagnons bâtisseurs avec les habitants. Lorsque ces derniers ont réussi à modifier leur logement, c'est le sentiment de leur pouvoir d'agir qui se trouve remobilisé ; en outre, cela crée du lien social, puisqu'ils sont désormais en situation, par exemple, d'« embarquer » leurs voisins. L'impact est donc à la fois technique et social.
Dans le cas de la rénovation énergétique, un tel mouvement a de multiples effets positifs : si l'habitant, ou l'habitante - les femmes concernées sont nombreuses -, travaille lui-même, ou elle-même, sur son bâtiment, l'apport en industrie ainsi créé est l'équivalent d'un apport financier - cet apport n'est d'ailleurs pas bien pris en compte dans les budgets et dans les demandes de subvention. Quand les gens participent au chantier, ils s'approprient aussi les équipements : ils comprennent l'importance d'entretenir les systèmes de chauffage ou de ventilation.
Il faut noter qu'en impulsant ce type de démarches nous sommes complètement en phase avec les pratiques réelles : l'enquête Trémi montre que 60 % seulement des chantiers sont pris en charge entièrement par des professionnels ; dans tous les autres cas, les habitants interviennent plus ou moins. Il y a là un fait massif, qu'il faut accompagner.
J'insiste sur un point : lorsque nous accompagnons des familles dans le cadre d'importants chantiers de rénovation, l'idéal étant toujours la rénovation globale, nous sollicitons des artisans. L'auto-réhabilitation accompagnée ne « retire» donc à ces derniers aucun chantier, bien au contraire : notre intervention permet à des familles en difficulté, qui n'y auraient jamais songé, de faire appel à des artisans.
J'en viens à une prise de position sur la rénovation globale et performante : nous sommes absolument d'accord sur le principe. Nous expérimentons avec l'entreprise Dorémi, filiale de négaWatt, et sommes partie prenante du nouveau programme de certificats d'économies d'énergie. Mais, il faut le souligner, les logements peuvent ne pas se prêter à la rénovation et les habitants ne pas y être prêts. Il arrive qu'un logement soit dans un tel état d'indécence qu'il y ait beaucoup à faire avant d'engager la rénovation proprement dite. Quant aux personnes, elles peuvent avoir des difficultés, qu'elles ne soient pas éligibles aux aides de l'Anah, qu'elles soient frappées d'interdit bancaire, ou qu'elles vivent en outre-mer, où l'Anah n'intervient pas.
Par ailleurs, un chantier à 90 000 euros peut faire très peur à des personnes qui sont en grande difficulté : nous avons beau les rassurer quant aux financements, ils sont échaudés par la récurrence des récits d'arnaques. Il est donc indispensable d'élaborer un accompagnement social spécifique à l'attention de ces publics fragiles.
Il faut bien entendu financer cet accompagnement et stabiliser les dispositifs - d'où la nécessité d'un plan pluriannuel. Et il faut renforcer les obligations applicables aux bailleurs afin notamment que les travaux soient réalisés selon un plan cohérent.
M. Lucas Chabalier, responsable plaidoyer et membre du conseil d'administration de l'association Agir pour le climat. - Je suis d'accord avec tout ce qui vient d'être exposé. J'insiste, des objectifs ont été fixés, il s'agit d'atteindre la neutralité carbone en 2050 via une réduction draconienne de notre consommation d'énergie. Or il se trouve que c'est dans le bâtiment que cette consommation d'énergie est la plus importante - 45 % du total ; de surcroît, les solutions techniques existent pour réussir une telle diminution de consommation dans ce secteur. J'ajoute qu'il existe, en la matière, un consensus très large : les différents scénarios convergent - négaWatt, Shift Project, Pouget Consultants, Réseau de transport d'électricité (RTE), SNBC, Agence de la transition écologique (Ademe). Chacun sait que la neutralité carbone passe par une massification de la rénovation performante ; et par « rénovation performante » on entend rénovation BBC.
L'objectif est clair, la trajectoire est claire, le mode d'emploi est clair - il faut traiter en une fois les six postes -, mais on ne dispose d'aucun outil de politique publique aligné sur cet objectif et sur cette trajectoire. Tout l'enjeu est donc d'orienter nos politiques vers l'objectif que l'on a fixé et vers la trajectoire que l'on veut tenir.
Agir pour le climat cherche à dégager des solutions de financement pour la transition écologique et coordonne actuellement la campagne Unlock, qui réunit de nombreux partenaires, dont négaWatt, le Shift Project, l'Institut Rousseau, le Cler ou l'Institut Veblen. Cette coalition défend notamment une intervention de la Banque centrale européenne qui soit cohérente avec cet objectif de réduction de la consommation énergétique dans les bâtiments, via l'application d'un taux duel permettant d'accorder des facilités de refinancement aux banques qui octroient des prêts finançant des rénovations énergétiques complètes et performantes, autrement dit BBC, de sorte de massifier les prêts à taux zéro auprès des particuliers.
Il faut en parallèle un engagement bien plus important de l'État, qui s'ajouterait à la réorientation des différentes aides dont il est question en ce moment. Sur la rénovation énergétique, l'État met déjà environ 5 milliards d'euros si l'on additionne le taux réduit de TVA à 5,5 %, MaPrimeRénov' Sérénité et MaPrimeRénov' Copropriétés - j'ose à peine parler du crédit d'impôt « éco-PTZ », dont le poids budgétaire, 42 millions d'euros, est ridicule. Avec ces 5 milliards d'euros, on multiplie les gestes, mais on ne va nulle part. Si l'on se décidait à réorienter l'intégralité de cette enveloppe vers la rénovation BBC, les choses sérieuses pourraient commencer. Dans le périmètre budgétaire actuel, il serait ainsi possible, sur la base d'une hypothèse médiane - le coût de la rénovation BBC serait pris en charge à 50 % par l'État -, de rénover très rapidement 250 000 maisons au niveau BBC.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Je partage le constat général : on a des objectifs élevés, on investit de l'argent - 5 milliards d'euros, ce n'est pas rien -, mais les résultats sont très faibles, alors qu'il faudrait aller vite. Ainsi, les choses n'avancent pas, alors même que ce sujet fait consensus politiquement.
À vous entendre, on a l'impression que le système d'aide à la personne fondé sur des objectifs, que ce soit par gestes ou via une rénovation globale, est complexe. Pensez-vous que notre acharnement à vouloir conserver un système qui ne fonctionne pas soit la source du blocage ? Des citoyens suggèrent de sortir complètement de ce système au travers de prêts hypothécaires, en instaurant une obligation de rénovation globale, avec un reste à charge différé, en récupérant l'argent des subventions pour accompagner la filière. Qu'en pensez-vous ? Faut-il sortir du cadre actuel ?
Par ailleurs, quels sont les principaux problèmes que vous rencontrez sur les aides à la rénovation, sur les différentes normes et sur les questions d'assurance ?
M. Olivier Sidler. - Pour donner du poids à mes propos, je précise que j'ai présenté, en 2003, mon premier projet de rénovation des logements de France à un conseiller du Président Jacques Chirac puis à tous ses ministres. Par ailleurs, j'ai dirigé pendant quarante ans le bureau d'études Enertech, qui ne fait que de la rénovation et des bâtiments très performants. Enfin, je suis l'inventeur de la méthode Dorémi - Dispositif opérationnel de rénovation énergétique des maisons individuelles -, à laquelle j'ai formé les 200 premiers artisans spécialisés en la matière.
Nous avons demandé aux étudiants de Sciences Po de faire une étude comparative européenne sur le sujet il y a quelques années et il en ressort que tout le monde fait la même chose : de l'incitation. Chaque pays le fait selon son orientation, le Royaume-Uni de façon plus libérale, l'Allemagne de façon très encadrée et très subventionnée. C'est l'Allemagne qui s'en sort le mieux, mais, malgré des aides élevées et un accompagnement important, elle ne rénove que quelques dizaines de milliers de logements au bon niveau par an, alors qu'elle devrait en rénover 1 million. Ce n'est rien !
Ainsi, l'incitation, que nous pratiquons tous, car elle correspond à notre sentiment de liberté, nous mène dans le mur ; c'est terrible à dire, car nous sommes dans un pays de liberté, mais on ne peut pas continuer ainsi : il faut passer à l'obligation. Pour que cette obligation soit acceptée, il faut trois conditions : tous les ménages sans exception doivent bénéficier d'un financement - j'y reviendrai - ; il doit y avoir, dès la première année, un reste à charge nul ou négatif - les ménages ne doivent pas perdre d'argent et si possible doivent en gagner - ; et il faut un vrai guichet unique.
Sur le financement, la meilleure solution - je l'avais recommandée aux conseillers de Nicolas Hulot voilà cinq ans - est un prêt à taux zéro (PTZ) massif et ne reposant pas sur une vérification de l'usage des fonds par les banquiers. Avec un prêt à taux zéro, on n'a que du capital à rembourser, cela permet d'arriver à un équilibre. Si on n'arrive pas à l'équilibre, ce qui peut se produire dans certains logements, on peut imaginer en complément une subvention liée au décile de revenu du ménage. Ce système bicéphale est très simple et il permet d'engager une obligation sur le long terme, ce que demandent tous les artisans, qui souffrent d'un manque de visibilité à long terme.
Il y a une deuxième critique du système actuel : nous avons un système « par étapes » et on espère qu'en 2050 tout le monde aura fait les gestes requis. Enertech a montré que le système « par étapes » est 20 % à 25 % plus cher et qu'il entraîne une perte d'efficacité, en raison d'un manque d'interfaces, de défauts d'étanchéité, etc. Au-delà de trois étapes, on a trop perdu, on a tué le gisement d'économies.
Ce sont les deux points à régler. Le prêt à taux zéro ne doit être destiné qu'à des rénovations complètes et performantes, car c'est le type de rénovation conduisant à un équilibre en trésorerie ; les opérations Dorémi reposent là-dessus et cela fonctionne. Tout l'enjeu est de définir le financeur de ce prêt. L'État n'est pas très favorable, pourtant cela ne lui coûterait pas cher : j'avais estimé en 2018 que, pour rénover 700 000 logements par an, cela lui coûterait 2 milliards d'euros, certes avec les taux négatifs de l'époque. Même si cela coûtait 5 milliards d'euros aujourd'hui, on pourrait le financer en supprimant toutes les aides - TVA, crédit d'impôt pour la transition énergétique, etc. - et en les convertissant dans le PTZ. Il faut envisager cette piste, qui est très rentable. Pour le particulier, cela permet d'équilibrer la trésorerie, avec des annuités inférieures aux économies d'énergie.
M. Raphaël Claustre. - Pour poursuivre sur la notion d'obligation - le terme peut faire peur, d'autant que ce sont des opérations complexes et coûteuses -, il faut différentes conditions. Notamment, il faut aider les ménages à ne pas rater la bonne étape pour conduire leur rénovation. Typiquement, si le ravalement vient d'avoir lieu, c'est trop tard, on a raté l'étape et il faut attendre vingt-cinq ans. Les copropriétaires concernés sont en vraie difficulté ! La non-obligation fait peser un risque collectif - le changement climatique - mais aussi un risque pour les copropriétaires, qui regrettent qu'on ne les ait pas aidés à voir la bonne voie, au bon moment.
En copropriété, le bon moment est le ravalement et, en logement individuel, c'est la mutation, car, lorsque l'on acquiert un logement, il est vide - c'est plus simple pour faire les travaux -, on engage presque toujours des frais pour refaire la cuisine ou la salle de bains et on mobilise déjà un emprunt. On peut également imaginer, pour les copropriétés, de profiter des mutations individuelles pour mobiliser l'abondement du fonds travaux. En effet, il arrive que l'on achète un logement plus grand que prévu tout en étant à son endettement maximal, parce qu'il y a une décote liée à un déficit d'investissement. Puis, au moment de faire les investissements nécessaires, on est bloqué. Là encore, l'absence d'obligation peut mettre les ménages en difficulté.
Obliger ne met donc pas les particuliers en difficulté, c'est le contraire.
M. Bertrand Caltagirone. - Nous sommes également pour l'obligation et pour un système d'aide incitatif simple avec un guichet unique. La Convention citoyenne pour le climat avait proposé un financement de l'État de 13 milliards d'euros par an ; ce chiffre peut effrayer, mais le coût social annuel des passoires thermiques est estimé à 10 milliards d'euros. En prenant en compte les économies d'énergie sur plusieurs années, on est donc vite gagnant. Nous n'avons, pour ce qui nous concerne, pas de religion en matière de système de financement, mais le prêt hypothécaire remboursable au moment de la transmission ou de la revente du bien est un bon système, qui permet en outre d'être rassurant du point de vue des finances publiques.
Mme Françoise Thiébault. - Le principe d'un prêt hypothécaire nous paraît constituer une très bonne piste, mais il ne doit pas y avoir qu'un seul dispositif. Le financement de la rénovation doit aussi tenir compte de la situation du demandeur. Dans les maisons individuelles, rendre la rénovation obligatoire en cas de mutation est la bonne solution, car le capital libéré permet de payer la rénovation.
Pour notre part, nous avons un doute sur la mobilisation des banques. Il n'y a que deux banques qui offrent un prêt hypothécaire aux petits propriétaires occupants ayant de faibles ressources - la Banque postale et le Crédit Mutuel - et seulement quatre, me semble-t-il, qui offrent le prêt à taux zéro et elles font la grimace face à la hausse des taux. Il y a donc un problème d'acceptation, par les banques, de ces dispositifs.
Quant au bouclier tarifaire, nous en approuvons le principe, sans doute, mais il faut le cibler davantage et cela ne doit pas nuire au financement d'autres dispositifs. Ce bouclier aura coûté 45 milliards d'euros au 30 juin prochain, sans compter le prolongement probable, allégé, jusqu'à la fin de l'année. Aujourd'hui, tous les consommateurs résidentiels en bénéficient, alors qu'il n'est pas indispensable pour tous. Le système d'aide n'est donc pas assez ciblé.
Il faut également examiner les économies possibles en rendant d'autres mesures plus équitables, en fonction des revenus.
Je plaide également pour un guichet unique, ouvert, mais avec de l'humain, non une énième plateforme. Enfin, il faut favoriser la stabilité des dispositifs. C'est un magma incompréhensible pour la majorité des consommateurs.
Mme Suzanne de Cheveigné. - Oui, ce magma est même incompréhensible pour les accompagnants !
Par ailleurs, quand on est interdit bancaire, on n'a pas accès au prêt à taux zéro. De même, si la valeur hypothécaire du bien n'est pas élevée, on peut avoir des difficultés à obtenir ce prêt ; en outre, que laisse-t-on à ses enfants ? Il faut prendre en compte la situation des gens en difficulté.
Nous sommes souvent amenés à faire dans la dentelle pour le financement de la rénovation, car beaucoup de gens sont hors des critères de l'Anah. On doit donc cumuler les aides de la région, du département, de la commune, de divers organismes, ce qui prend beaucoup de temps.
Enfin, il y a une idée intéressante au Royaume-Uni, où l'on a envisagé de lancer des rénovations de quartiers entiers ou de pâtés de maisons entiers.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Aux Pays-Bas.
Mme Suzanne de Cheveigné. - C'est un peu différent aux Pays-Bas. Le fait de rénover tout le pâté de maisons évite de différencier, de stigmatiser, et entraîne d'importantes économies d'échelle.
M. Lucas Chabalier. - L'obligation peut porter sur le propriétaire ou sur le financeur - la banque -, via des normes. Dans la directive européenne sur les normes de performances énergétiques minimales, le mortgage porfolio standard impose aux banques d'améliorer la performance énergétique médiane de leur portefeuille de crédits immobiliers.
Cela étant dit, que l'obligation porte sur le propriétaire ou sur le financeur, elle a des effets de bord. Il y a d'abord un risque d'exclusion de ménages modestes ou intermédiaires de l'accès à la propriété, parce que, quand on est au maximum de sa capacité d'endettement lors de l'acquisition, on ne peut pas s'endetter davantage pour une rénovation performante coûtant plusieurs dizaines de milliers d'euros. Par ailleurs, puisque le marché immobilier repose à 95 % sur le prêt immobilier et que l'on emprunte généralement au maximum de ses capacités, une obligation de rénover peut entraîner un effondrement du marché de l'immobilier à hauteur de la valeur de la rénovation énergétique. L'investissement public doit corriger ces effets de bord. On n'arrivera pas à atteindre nos objectifs avec une obligation sans un soutien ferme de la puissance publique. On ne réglera pas tout en généralisant le PTZ. L'investissement public est central. On ne peut pas rénover le parc en BBC à moindre coût pour l'État.
Le crédit mis en place par la commission Sichel ne fonctionne pas bien, il n'a été mis en place que par deux banques, parce qu'il y a un problème culturel : on n'a pas d'hypothèque en France. Les prêts immobiliers sont cautionnés sur le bien, mais il ne s'agit pas de prêts hypothécaires. Des gens ont envie de transmettre un bien à leurs enfants et si les enfants doivent rembourser le prêt lors de la mutation, cela pose problème. Par ailleurs, pour des personnes modestes âgées en milieu rural et sans enfants, l'avance rénovation est une très bonne solution, mais les banques n'ont pas accès à ce public, qui est en dehors du réseau bancaire.
Sur le financement du reste à charge par un
prêt, cela peut fonctionner s'il y a un équilibre en
trésorerie, c'est-à-dire si l'on peut lisser son investissement
sur vingt-cinq ans et si le remboursement est inférieur aux
économies d'énergie, mais encore faut-il que l'on puisse
emprunter en fonction des critères de solvabilité en vigueur.
Aujourd'hui, pour emprunter
- sauf expérimentation -, on ne
considère que le ratio entre la mensualité et le revenu
récurrent et ce taux ne doit pas dépasser 35 %. Si l'on
intégrait les économies d'énergie dans les critères
de solvabilité, on pourrait inclure plus d'emprunteurs potentiels. Il ne
faut pas faire n'importe quoi, car le prix de l'énergie peut augmenter,
mais on parle tout de même de factures très
écrasées. Du reste, on n'est pas obligé de financer un
prêt intégralement par les économies d'énergie, on
peut viser une couverture de 50 % à 70 % par les
économies d'énergie.
En tout état de cause, on ne doit pas croire que l'investissement public sera modeste. Il faudra mettre plus que les 5 milliards d'euros actuels.
M. Philippe Folliot. - Monsieur Caltagirone, vous dites que vous êtes prêts à risquer votre liberté et votre intégrité physique. Qu'est-ce à dire ? Cela me gêne. On peut défendre toutes les idées, mais il y a des limites aux méthodes.
Il y a des rénovations plus faciles que d'autres ou ayant un impact plus important. La rénovation doit-elle être un tout ou les choses peuvent-elles être séquencées pour aller au plus efficace, en fonction de ses moyens ?
M. Bertrand Caltagirone. - Je comprends que mes propos choquent ici, mais, de fait, les citoyens qui s'engagent dans la campagne de Dernière Rénovation participent à des actions mettant en risque leur liberté et leur intégrité physique. Nous tâchons de réduire ce risque, mais celui-ci est tout de même pris parce que nous sommes à la veille du dépassement de 1,5 degré de réchauffement à l'échelle du globe, qui peut entraîner des points de bascule climatiques, donc une situation incontrôlable, rendant inhabitables des régions entières de la planète, aujourd'hui habitées, et transformer notre avenir en enfer. Face à ce risque, il nous paraît légitime de prendre ces risques, qui sont minimes par rapport à ce qui est en train de se passer. D'ailleurs, dans l'histoire, nombre de personnes l'ont fait avant nous, avec succès.
M. Philippe Folliot. - Dans une démocratie, l'État de droit est central. Malgré la légitimité de certains combats, notamment pour l'environnement, si l'on s'en affranchit pour faire valoir ses convictions, on met le doigt dans un engrenage qui peut mener loin.
M. Bertrand Caltagirone. - Les recours de l'État de droit ont été utilisés - l'État a d'ailleurs été condamné par deux fois pour inaction climatique par le juge administratif -, mais qu'est-ce qui a changé ? Pas grand-chose. L'État ne s'est pas mis en conformité. Ainsi, ces recours ne suffisent pas face à un risque vital.
Sans doute, nous sommes en démocratie, mais nos démocraties sont imparfaites, donc la vieille distinction entre légalité et légitimité s'applique aussi en démocratie.
Mme Françoise Thiébault. - J'ai vécu mai 1968. C'est le propre de la jeunesse de réagir et de manifester son indignation quand elle sent que quelque chose n'est pas à la hauteur de ses attentes. J'ai cinq petits-enfants, dont une travaille sur l'intelligence artificielle et le développement durable. Nous avons des discussions intéressantes, mais j'observe le découragement croissant. Des jeunes ne veulent plus avoir d'enfants parce qu'ils ne savent pas ce que vivra leur descendance. Aussi, ce que dit M. Caltagirone est révélateur de ce que pense notre jeunesse. Il ne faut pas y voir un manque de respect pour l'État de droit et pour les institutions. Il faut y voir une réelle indignation et je la partage.
Sur la priorisation des gestes, la réponse est non. Nous sommes tous ici convaincus de la nécessité d'une rénovation globale, si possible en une fois : c'est la meilleure garantie d'arriver à de bons résultats pour la personne et pour le climat.
Je reviens d'une table ronde du comité de la prospective de la Commission de régulation de l'énergie sur la biomasse. On développe le chauffage au bois, mais la directrice de l'Office national des forêts (ONF) nous disait que la fonction de stockage de CO2 de la forêt et du bois d'oeuvre serait anéantie via le chauffage au bois. C'est une question d'équilibre. Les interactions sont terrifiantes et on ignore ce que vivront nos petits-enfants.
M. Olivier Sidler. - Nous avons étudié l'impact des éléments non traités dans une rénovation : c'est catastrophique, car toute l'énergie s'échappe par le seul trou que l'on ne bouche pas... Le centimètre supplémentaire d'isolant coûte un demi-euro par mètre carré. Ce qui coûte, c'est essentiellement la main-d'oeuvre, l'isolant lui-même ne coûte presque rien.
Au départ, la logique, nous la comprenons bien, était de gagner de l'argent, mais en réalité ce n'est pas le cas.
Ma démarche est de simplifier les processus. L'objet du dispositif Dorémi est de rendre les artisans indépendants - ils choisissent eux-mêmes les matériaux d'isolation et de résistance -pour atteindre les bons résultats.
Il existe deux façons d'atteindre, à l'échelle de la France, l'objectif de 50 kilowattheures par mètre carré et par an, lequel équivaut quasiment au label BBC. La première, c'est de calculer la consommation individuelle, mais les méthodes de calcul sont simplifiées et relativement fausses - les opérateurs ne sont pas très bons. La deuxième, c'est d'imaginer des combinaisons de solutions de sorte que, si toutes étaient mises en oeuvre à l'échelle nationale, le parc serait en moyenne à 50 kilowattheures - à Strasbourg, le parc serait à 70 kilowattheures et à Marseille, à 25 kilowattheures, par exemple. D'ailleurs, nous avons fait, en utilisant les solutions techniques de rénovation, pour reprendre notre terminologie, quelque 6 000 simulations numériques - je vous adresserai les résultats -, qui nous ont permis d'atteindre de bons résultats.
Cela nous conduirait à abandonner les calculs - toujours faux, si je puis me permettre - réalisés selon la sempiternelle méthode simplifiée et à opter pour des obligations de moyens. Selon notre méthode, il faut choisir entre dix combinaisons possibles, selon que l'on isole par l'intérieur ou par l'extérieur, selon le niveau d'étanchéité à l'air qu'il serait possible d'atteindre, et selon des degrés de résistance thermique, qui varient selon les murs, les fenêtres ou la nature de la ventilation. Nous avons déjà vérifié cette méthode au cours de campagnes de mesure qui ont duré un an : elle fonctionne parfaitement ! Les artisans l'ont adoptée, car elle très simple à utiliser et les résultats sont toujours bons. Par exemple, dans la Drôme, les artisans ont réussi à atteindre l'objectif d'une consommation de 40 kilowattheure par mètre carré et par an, pour leurs constructions.
Ainsi, nous proposons de passer d'un système de calcul très incertain à une obligation de résultat. Je vous adresserai une note détaillant cette méthode.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - À l'époque où j'ai été poursuivie pour avoir créé une radio libre - j'ai ensuite été amnistiée -, toutes les méthodes violentes étaient condamnées. La méthode employée doit donc convaincre l'ensemble de nos concitoyens. Nous ne réussirons pas cette révolution culturelle sans l'adhésion de tous, notamment des plus modestes.
Tout d'abord, pour mettre en place une rénovation globale, il faut avoir confiance dans celui qui indique quels sont les travaux à effectuer chez soi. Cela peut être un spécialiste, qui éclaire avec une certaine neutralité, ou une personne dont la labellisation l'engage sur le résultat final, ce qui suppose qu'elle soit multiactivité. C'est bien de dire qu'il faut dégager de l'argent pour la rénovation globale, encore faut-il que celui qui l'engage et celui qui la finance se fondent sur un diagnostic fiable. Que préconisez-vous ?
Ensuite, quel serait l'arbitrage sur les prêts ? Je suis sensible à l'argumentaire de l'hypothèque, à condition qu'elle ne pèse qu'une faible part de la valeur du bien. Les conditions d'octroi du prêt à la personne sont liées à la fiabilité de cette dernière, à moins que des systèmes de garantie automatique soient mis en place, car même pour un prêt à taux zéro, il faut correspondre aux critères de la Banque de France.
Est-ce que vous avez imaginé des garanties assurant qu'il n'y ait pas d'éviction bancaire dans le cadre du prêt ?
M. Olivier Sidler. - En nous appuyant sur les artisans, nous avons voulu simplifier le dispositif et faire en sorte qu'ils jouent le rôle de conseil, de prescripteur et réalisent les travaux de façon correcte. Grâce à la méthode Dorémi, nous les formons à travailler en groupement - nous permettons que chacun se parle -, afin de garantir une cohérence. Il reste la question de la qualité du travail. Si même ceux qui sont formés et agréés ne veulent pas finir correctement leur chantier pour aller plus vite, cela ne fonctionnera pas.
D'où l'intérêt d'une personne d'accompagnement, dotée d'une mission au large périmètre. Celui-ci doit aller de l'aide à la constitution du dossier financier, au suivi des travaux et à la réception, qui est l'acte juridique par lequel on constate que ce qui a été préconisé a bien été réalisé. Sans cela, il y aurait une défaillance.
Les prêts pourraient être attachés à la personne ou à la pierre. Le prêt pour la rénovation n'est pas un prêt comme les autres, puisqu'il fait gagner de l'argent ! Nous cherchons donc à faire en sorte que ce prêt ne soit pas soumis à règle bancaire, selon laquelle le taux d'endettement maximal équivaut à 35 % des revenus.
M. Raphaël Claustre. - Le rôle de l'assistance à maîtrise d'ouvrage (AMO) est essentiel pour travailler en amont sur le projet. Les sociétés de tiers financement, instaurées par la loi de 2015 relative à la transition énergétique et à la croissance verte, ne font pas que du financement. Les accompagnateurs s'occupent des questions sociales, techniques et financières. Cela existe encore dans cinq territoires, qui représentent 40 % de la France.
Nous considérons qu'il existe cinq critères pour qu'un prêt soit adapté à la rénovation énergétique. Le premier, c'est de fixer un montant élevé. Le second, c'est d'avoir une longue durée - au moins vingt ans. Le troisième, c'est que son taux soit bas - proche d'un prêt immobilier. Le quatrième, c'est de prendre en compte les économies d'énergie dans la solvabilité du client - la règle du 35 % du Haut Conseil de stabilité financière n'est pas adaptée à ce type de prêt, il faut donc la faire évoluer pour rendre plus largement accessible ce type de prêt aux ménages. Le cinquième, c'est de distribuer l'éco-prêt à taux zéro largement et facilement, alors qu'il est actuellement distribué de façon insuffisante et complexe.
Mme Françoise Thiébault. - NégaWatt nous dit qu'il est possible de savoir quelles seront les économies d'énergie ; or j'ai insisté précédemment sur l'importance de la confiance dans les diagnostics, parce que lorsque les organisations de consommateurs demandent une garantie de résultats, on leur rétorque que ce n'est pas possible.
Il faut tordre le cou à l'idée selon laquelle il serait impossible de garantir les résultats, alors que c'est un enjeu essentiel.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Je travaille avec des opérateurs du logement social qui offrent la possibilité d'accéder à un parc « zéro émission ».
Le calcul théorique est souvent erroné, mais celui que vous préconisez semble plus rationnel et plus proche des économies réellement faites. Mais l'économie monétaire n'est pas toujours au rendez-vous. Nous avons comparé les budgets de familles, avant et après l'aide à la rénovation. Nous nous sommes aperçus qu'elles dépensaient plus après, car elles utilisent des objets électroniques - des smartphones, etc. La masse de consommation électrique n'est pas mesurable, contrairement à celle du gaz. Les banques disent qu'il n'y a pas d'économies réelles sur le pouvoir d'achat, mais seulement virtuelles. Or, ce qui intéresse les banques - c'est également ce qui intéresse le ministère des finances -, c'est de dépenser moins tout de suite.
Aussi, la thèse selon laquelle faire des économies financerait la rénovation énergétique ne résiste pas, à mon avis, à l'épreuve du réel, selon les financiers et les familles.
M. Olivier Sidler. - Nous avons mené durant un an une campagne de mesures très importante sur plus de cent logements rénovés selon le label BBC. Résultat : la consommation sur l'ensemble du panel s'est élevée à 47 kilowattheures par mètre carré et par an, ce qui est mieux que ce que l'on avait imaginé.
Dans une récente intervention, l'économiste Esther Duflo s'est appuyée sur une étude américaine, mais cela n'a rien à voir avec le contexte français - c'est assez dommage et nous allons le lui dire -, car, techniquement, nous atteignons bien ces très bas niveaux de consommation.
En revanche, je me suis toujours opposé à garantir un objectif de consommation, car celle-ci diffère selon que l'on se chauffe à 15 ou 17 degrés et selon l'utilisation des équipements électrodomestiques, qui produisent de la chaleur. Je préfère parler d'obligation de moyens.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nombre de pratiques frauduleuses entachent la confiance. Comment améliorer l'efficience des dispositifs de lutte contre les différents types de fraudes ?
Mme Françoise Thiébault. - Le nombre le plus élevé de fraudes a été constaté à propos des gestes uniques, des CEE et des primes « coups de pouce ».
La rénovation globale réduirait le risque de fraudes, car elle s'appuie sur un accompagnement qui va d'un bout à l'autre de la démarche.
Le décret réglementant le démarchage téléphonique, entré en vigueur le 1er mars dernier, n'a pas réussi à régler le problème, alors que nous avions lancé une pétition visant à réécrire le texte. Au contraire, il légitime le droit d'embêter les ménages à certaines heures et certains jours.
Cela soulève nombre de problèmes. Il y a des tromperies caractérisées, qui ont pour objet d'envoyer quelqu'un faire une proposition commerciale, sous prétexte de vérifier l'isolation thermique. Aussi, les personnes âgées, en province, qui perdent l'usage des téléphones mobiles, ne décrochent même plus leur téléphone fixe. Les intérêts commerciaux ont été préservés, mais la vie privée de nombre de personnes est gâchée !
C'est un véritable sujet de société, même si ce n'est pas directement lié à celui de la rénovation énergétique.
M. Raphaël Claustre. - En plus des contrôles, les aides à la rénovation globale vont limiter les arnaques, car celles-ci sont plus nombreuses pour la rénovation lot par lot.
Il y a aussi un effet inflationniste. Si l'on dit que l'on va subventionner à hauteur de 30 % les pompes à chaleur, leur prix va augmenter de 29,5 %, ce qui est moins flagrant si l'on dit que l'on va subventionner à hauteur de 30 % la rénovation globale.
L'AMO, qui facilite la relation entre le maître d'ouvrage et les entreprises, permettrait également d'éviter les arnaques.
Les aides ne doivent pas être liées à l'état initial. Les opérateurs des CEE, qui font très bien leur travail, s'inquiètent des arnaques sur l'état initial : celui-ci est artificiellement dégradé, afin de faciliter l'atteinte de l'objectif d'économie d'énergie. Or ce qui compte c'est de faire l'ensemble des travaux de performance et non les gains liés à l'état initial.
Mme Suzanne de Cheveigné. - Ces propositions individualisent le problème. L'habitant ou le propriétaire sont donc seuls face à la question, alors qu'ils doivent être accompagnés. Nous devons cesser de faire peser les problèmes sur les épaules des simples propriétaires.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Monsieur Chabalier, pouvez-vous nous en dire plus sur le service public de l'efficacité énergétique ?
M. Lucas Chabalier. - Cette proposition a été faite voilà quatre ans par des experts avec qui nous avons travaillé. Les espaces-conseils France Rénov' semblent répondre à cette question.
Mais le périmètre de Mon Accompagnateur Rénov' n'est pas très clair : est-ce une AMO ? Tout l'enjeu réside dans la définition de l'accompagnement, qui est un mot fourre-tout. Est-ce qu'il consiste simplement à recevoir des conseils initiaux, prodigués par des artisans agréés ? Est-ce que l'accompagnateur peut élaborer le plan de financement et chercher les différentes aides auxquelles les propriétaires peuvent prétendre ?
Demeure également la question du niveau d'accompagnement sur le chantier qu'a abordée M. Sidler précédemment. Il ne pourra pas y avoir un maître d'oeuvre pour chaque chantier de rénovation de maison, soit 60 % du parc à rénover. Il n'y a pas les moyens, cela ferait augmenter des prix déjà élevés, et dans les copropriétés il existe déjà une maîtrise d'oeuvre, qui comprend des architectes et des ingénieurs, qui peuvent s'appuyer sur les solutions techniques mises en place par Enertech. Il faut évaluer plus précisément le coût de l'accompagnement, selon son périmètre. La question de la formation coûtera moins, car il s'agit d'une réorientation en formation initiale, continue ou en reconversion.
M. Olivier Sidler. - Nous rencontrons de gros problèmes avec les architectes des bâtiments de France (ABF). À Lyon, par exemple, nous menons une opération sur trois cents logements qui datent des années 1920, recouverts de moisissures, où logent des personnes très pauvres et qui payent cher. L'ABF a tout bloqué pour des raisons, si je puis dire, idéologiques, alors même que l'architecte d'opération a cherché plusieurs solutions.
Nous proposons que l'avis conforme des ABF - cela bloque tout, personne ne s'y oppose, hormis le ministre de la culture - devienne un avis simple. Les architectes d'opération ont autant de respect pour les bâtiments que les ABF. Ils chercheront des solutions pour en respecter l'esprit, mais les projets avanceront.
M. Franck Montaugé. - Nous ne réussirons pas à relever le défi de cette façon.
Comment les obligations d'aujourd'hui et de demain sont transcrites dans les prescriptions et les objectifs de préservation du patrimoine, qui constituent le cadre de travail des architectes du patrimoine ? Tel est le véritable sujet.
À ma connaissance, cette façon d'aborder les choses n'a pas été mise en oeuvre. Ce point pourrait d'ailleurs faire l'objet d'une proposition de la part de notre commission d'enquête.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Il y aura une table ronde relative à ce sujet, que nous avons bien identifié.
M. Raphaël Claustre. - Les avis rendus par les ABF varient trop selon leur personnalité.
Il faudrait une négociation entre les services du ministre de l'agriculture et de la culture pour établir un référentiel définissant ce qui est acceptable ou non, afin que les architectes d'opération sachent si leur proposition est cohérente.
Mme Françoise Thiébault. - L'arrêté du 10 février dernier, qui prendra effet à partir du printemps 2023 - nous y sommes -, qui a pour objet de croiser les données d'un million de consommateurs de gaz et d'électricité de GRDF et Enedis au service des données et études statistiques (Sdes) du ministère chargé de l'énergie, avec les fichiers de bénéficiaires d'aides publiques de ses services, de façon à examiner le niveau d'efficacité énergétique permis par les travaux. Un million de consommateurs sont concernés. Après plusieurs avis du Conseil supérieur de l'énergie, le Sdes a fini par mettre en place un opt-out pour ceux qui ne souhaitent pas communiquer leurs données de consommation.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je vous remercie de cette table ronde particulièrement enrichissante. Nous devrions rendre nos travaux à la fin du mois de juin.
Audition des
représentants
du Comité de liaison pour les énergies
renouvelables
(Lundi 20 mars 2023)
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous poursuivons nos travaux avec l'audition du Cler - Réseau pour la transition énergétique. Votre association a été créée en 1984 dans l'objectif de promouvoir les énergies renouvelables, ce dont témoigne votre premier nom, le « Comité de liaison pour les énergies renouvelables ». Même si vous restez fortement impliqués sur ce sujet en particulier, vous vous êtes rapidement positionnés sur l'ensemble des questions de transition énergétique.
Vous êtes ainsi connus pour avoir fondé en 2011 le réseau des Territoires à énergie positive. Cette idée a été ensuite reprise en 2014 par Ségolène Royal, alors ministre de l'écologie, que nous avons auditionnée le mois dernier. L'idée derrière les territoires à énergie positive est de réussir à penser de manière systémique la transition énergétique, en parvenant à la mettre en oeuvre au niveau de plusieurs territoires pilotes.
Concernant le sujet de notre commission d'enquête, vous vous êtes positionnés à plusieurs reprises en faveur d'une accélération des politiques de rénovation des bâtiments. Vous écriviez ainsi, dans l'éditorial du magazine Notre Énergie paru en automne 2022 : « profitons du bouleversement de la politique énergétique française et de la révision de la Stratégie française énergie-climat en cours pour faire enfin de l'efficacité énergétique une réelle priorité ! ». Vous faites un travail d'information sur la question, et vous participez à la réalisation d'études sur la rénovation énergétique.
Dans les derniers mois, vous avez notamment consacré deux notes sur la rénovation énergétique des bâtiments. Dans la plus récente, parue en janvier 2023, et réalisée avec l'association négaWatt, que nous venons d'entendre, vous vous concentrez sur le sujet des pompes à chaleur. Vous soutenez que l'installation d'une pompe à chaleur (PAC), sans isolation thermique en parallèle est inutile, dans la mesure où elles ne peuvent pas fonctionner si la chaleur requise des radiateurs est trop élevée. Qu'est-ce qui vous a poussé à vous intéresser à ce sujet en particulier ? Quel jugement portez-vous à ce titre sur le dispositif MaPrimeRénov', qui, en excluant MaPrimeRénov' Sérénité, finance majoritairement des changements de chauffage ?
Dans une note de mai 2022, vous vous êtes également intéressés au service public de la rénovation de l'habitat. Vous faites le constat que l'articulation entre les différents acteurs est complexe, et qu'elle est globalement insuffisante pour accompagner efficacement les personnes faisant des démarches de rénovation énergétique. Pouvez-vous nous rappeler les raisons qui vous ont poussé à formuler ce constat ?
Entre-temps, un arrêté relatif à la mission d'accompagnement du service public de la performance énergétique de l'habitat a été pris le 21 décembre 2022. Il précise les missions de l'accompagnateur, ainsi que les conditions de délivrance de l'agrément et ses modalités de contrôle. Les dispositions de l'arrêté vous semblent-elles suffisantes ? Quels sont les points de blocage qui demeurent dans le déploiement du service public de la rénovation de l'habitat ?
Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions et pour un propos introductif d'une quinzaine de minutes, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.
Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».
Mme Marie-Laure Lamy, M. Danyel Dubreuil et Mme Isabelle Gasquet prêtent serment.
Mme Marie-Laure Lamy, vice-présidente du Cler. - Je suis directrice d'une agence locale de l'énergie et du climat, qui couvre la Bretagne-Sud. À la présentation que vous avez faite, j'ajoute que le réseau du Cler est à l'initiative du réseau des conseillers info-énergie mis en place dès 2001 avec l'Ademe, qui a formé bien des conseillers qui oeuvrent aujourd'hui auprès des habitants.
Le premier point d'attention que je veux porter à votre connaissance concerne le rôle d'accompagnateur à la rénovation énergétique dans le service public d'efficacité énergétique de l'habitat. L'État n'abonde pas le service d'accompagnement à la rénovation énergétique, qui doit se financer par les certificats d'économie d'énergie et par les collectivités. Or, ce service a besoin de visibilité et de pérennité. Il est composé de conseillers de niveau bac+ 3 à bac+ 5, qui se forment régulièrement, qui font de la veille, et qui réalisent le très précieux premier contact avec les particuliers, constituant un tiers de confiance. Les conseillers France Renov' accompagnent les habitants, ils les sécurisent, les aident à définir les travaux les plus efficaces ; en partant de la demande initiale, ils permettent de réaliser des projets bien plus ambitieux et efficaces, en mobilisant des informations techniques et financières difficiles d'accès. Or, leurs postes ne sont pas stabilisés - et comme directrice d'agence, à la tête de 30 salariés dont 8 conseillers France Renov', je suis inquiète, car je n'ai aucune visibilité sur le budget au 1er janvier 2024, et je ne sais pas quelle réponse apporter à ces techniciens de haut niveau, qui font leur métier avec passion mais qui craignent pour leur avenir - et c'est le cas dans toutes les agences locales de l'énergie et les associations. Je relaie leur inquiétude, sachant que le Cler représente le quart des espaces France Renov' du territoire et que le service est plébiscité par quatre usagers sur cinq. Nous pratiquons ce service depuis trois ans et sommes désormais en mesure de bien évaluer nos besoins en la matière, mais le manque de visibilité et le paiement à l'acte rendent les choses très complexes et fragiles. Les conseillers passent beaucoup de temps à faire entrer les demandes dans les cases prédéfinies de la grille tarifaire. Il est dommage de ne pas valoriser mieux la globalité - les conseillers travaillent dans ce sens et ils sont appréciés aussi parce qu'ils n'ont rien à vendre, ce qui est essentiel pour la relation de confiance avec les habitants.
Deuxième point d'attention, le financement des études préalables. Ces études sont décisives, mais les ménages n'ont pas le réflexe de les faire réaliser et, en l'état actuel, le dispositif d'accompagnement ne nous paraît pas suffisant pour stimuler une activité économique, donc inciter le marché privé à y investir. Dès lors, si les espaces de conseil se limitent aux actes d'information et de conseil, et que le privé ne s'engage pas sur les études préalables, on risque d'affaiblir cette étape déterminante pour l'efficacité de la rénovation énergétique - et il est déjà clair qu'on ne pourra, nous, rémunérer les conseillers pour faire ce travail dans la grille tarifaire proposée. Je pourrai documenter plus avant ce point si vous le désirez.
Mme Isabelle Gasquet, responsable de projets efficacité énergétique au Cler. - Il est important d'attirer l'attention sur l'écosystème de l'accompagnement, qui a connu des bouleversements ces dernières années et qui se trouve sans horizon financier à neuf mois, ce qui est inédit depuis le lancement de ce programme il y a trois ans - ceci alors même que la demande progresse avec la crise énergétique. La mise en concurrence crée de l'incertitude, surtout dans le contexte de crise énergétique et d'inflation. Nous avons besoin de personnes en première ligne pour rassurer les ménages et les conseillers - c'est pourquoi nous demandons de renforcer et pérenniser ce volet d'accompagnement dans le service public. Il faut que les structures puissent se situer, entre l'information et l'accompagnement, c'est nécessaire pour leur viabilité économique, parce qu'on ne peut pas financer de l'accompagnement avec les moyens alloués à la seule information.
Nous alertons également sur le volume du financement. Il nous semble important d'inclure dans le service des missions qui n'y sont pas actuellement, alors qu'elles prennent beaucoup de temps aux structures - en particulier la communication, l'organisation du service, ou encore le conseil à la sobriété. Il faut voir comment inclure ces missions dans le service, parce qu'elles lui sont attachées et nécessaires.
Mme Marie-Laure Lamy. - Deux chiffres intéressants, témoins du rôle des conseillers : les particuliers arrivent avec un projet représentant, en moyenne, 1,3 acte de rénovation et repartent de leur rendez-vous de conseil avec un projet passant, en moyenne, par 3 actes de rénovation ; et on estime que, pour 1 euro d'argent public investi dans le conseil, 12 euros de travaux sont engagés. Ces chiffres montrent bien qu'en plus de rassurer les ménages, les conseillers aident à ce que davantage de travaux soient engagés, et que l'argent public soit mieux utilisé.
Mme Isabelle Gasquet. - Dans la consultation réalisée l'an passé sur le dispositif Mon Accompagnateur Renov', nous avons souligné que la neutralité et l'indépendance des conseillers étaient décisives. Or, nous ne sommes pas rassurés sur ce point, car le décret autorise en réalité des entreprises à créer des filiales qui peuvent se faire agréer, pour vendre ensuite des produits. Nous avons aussi demandé que la réglementation fixe un niveau de prérequis, avec un référentiel métier et de formation. Tout ceci a une incidence sur le conseil et sur le niveau de performance énergétique de la rénovation.
Mme Marie-Laure Lamy. - Les conseillers France Renov' sont également très précieux pour l'accès aux aides financières, qui sont devenues très complexes. Nous n'opposons pas le public et le privé, mais soulignons leur complémentarité, dès lors que chacun travaille à sa place. Nous connaissons très bien les réseaux locaux pour les avoir stimulés, c'est un acquis de notre longue expérience, nous connaissons également les bonnes et moins bonnes entreprises pour réaliser les travaux - nous ne le disons pas comme tel aux ménages, mais nous savons faire les liens les plus utiles.
M. Danyel Dubreuil, responsable de l'initiative Rénovons ! au Cler. - À la présentation de notre association, j'ajoute que nous sommes aussi engagés dans la lutte contre précarité énergétique puisque nous animons le Réseau des acteurs de la pauvreté et de la précarité énergétique dans le logement (Rappel). Nous veillons à insérer les ménages fragiles dans les dispositifs, pour qu'il n'y ait pas d'oubliés de la transition énergétique - nous y sommes très vigilants aussi en raison des risques politiques qu'emporte l'accélération de la transition énergétique.
Nous pensons qu'il y a un grand risque à poursuivre des politiques d'aide dont le seul indicateur est la décarbonation du chauffage dans le logement, car cet angle d'approche est bien trop restrictif. Les bénéfices de la transition énergétique sont en réalité très nombreux, qu'il s'agisse de protéger de la flambée des prix, des impacts sur la santé - autant de co-bénéfices sociaux de la rénovation énergétique qui sont très difficiles à prendre en compte financièrement, alors qu'elle en est un levier. Nous nous sommes aussi spécialisés sur le logement privé, parce qu'il nous a semblé le plus à risque, mais il y a bien sûr beaucoup à dire aussi sur les bâtiments publics et sur le logement social.
Pour renforcer les effets des politiques publiques de rénovation, il nous paraît essentiel de conforter l'accompagnement des projets, de mieux orienter les aides publiques vers les projets les plus performants, de mieux communiquer sur la rénovation énergétique, en expliquant ce qu'elle est, et de faire évoluer notre droit et notre réglementation pour qu'ils viennent en support de la rénovation énergétique des logements - on le voit en particulier dans le débat qu'il y a eu sur les obligations faites aux propriétaires de rénover, lors de la vente ou de la location.
Les aides sont déséquilibrées et favorisent les gestes dispersés de rénovation, au détriment de l'accélération recherchée. Il est notable que c'est l'inverse dans le discours public, qui met en avant l'importance d'une rénovation globale - ce décalage témoigne d'une certaine incidence de la parole des politiques et des acteurs publics, qui sont prescripteurs. Notre dernière étude montre qu'un tel déséquilibre comporte des risques pour la rénovation énergétique globale elle-même, et même si la dernière loi de finances corrige un peu les choses, la dispersion est encore un danger. De fait, les aides actuelles ne sont pas alignées sur l'objectif de rénovation, aucune n'est fléchée vers le label « BBC rénovation », alors qu'il est utilisé dans bien des documents-cadres. Le détail de MaPrimeRenov' fait l'objet de controverses qui nous paraissent décalées et peu intéressantes, dès lors qu'elles jouent contre les progrès des politiques publiques de rénovation énergétique. Il faut regarder l'échelle globale, pour constater que les moyens ne suffisent pas. Il y a un problème de viabilité économique - même si la flambée des prix de l'énergie accroit l'intérêt pour rénover, à ceci près que les ménages ont moins de moyens à y consacrer.
Mme Marie-Laure Lamy. - Nous constatons aussi que des ménages ne parviennent pas à récupérer toutes les aides, en particulier sur les certificats d'économie d'énergie, car des courtiers spéculent sur ces aides et mettent parfois plusieurs mois à les restituer, ce qui peut obliger les ménages à réduire leurs travaux. Sur le terrain et très concrètement, on voit que les certificats d'économie d'énergie ne sont pas toujours utilisés comme ils le devraient, c'est aussi à prendre en compte.
Mme Isabelle Gasquet. - L'accompagnement est indispensable : ce qu'on nous dit souvent, c'est que sans accompagnement, les ménages ne déposeraient tout simplement pas de dossiers, car le montage est difficile.
M. Danyel Dubreuil. - Les aides sont trop dispersées, ce qui les rend plus difficiles à inscrire dans les bons projets. De plus, les coûts de transaction sont trop importants - il faudrait articuler les aides aux projets de rénovation globale, mieux lier les aides de MaPrimeRenov', les certificats d'économie d'énergie et les aides locales. C'est une arlésienne...
Ensuite, le reste à charge est trop important pour les ménages modestes, alors qu'ils ont le plus besoin de la rénovation énergétique, et il n'y a aucune raison de leur proposer du « moins-disant énergétique » au motif qu'ils manqueraient de moyens. En réalité, le montant cumulé des avantages pour la collectivité dépasse ce que coûterait une prise en charge de la rénovation, les études le montrent. Il faut regarder aussi du côté de l'aide au paiement des factures, qui peut venir concurrencer la rénovation énergétique, mais c'est un sujet connexe à celui de votre commission.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Nous avons bien identifié que si l'objectif de la rénovation énergétique était très largement partagé, la façon d'y arriver était débattue, entre le fait de commencer par une rénovation globale, ou d'entrer par un geste isolé. À ce sujet, Julien Denormandie a justifié une aide au geste en disant que c'était une bonne façon d'entrer dans une rénovation plus large : qu'en pensez-vous ?
Il y a eu, également, un débat sur l'alternative entre l'obligation à rénover lors de la vente, ou pour la location : quelle est votre position sur le sujet ?
Enfin, les plates-formes territoriales de rénovation ont bien fonctionné, permettant un accompagnement de proximité, dans la confiance, y compris avec les entreprises. Or, les modifications des aides les ont fragilisées, avec pour résultat une baisse du nombre de logements rénovés. Vous proposez que les régions animent la politique publique de rénovation énergétique des logements, il est intéressant qu'on raisonne aussi avec les intercommunalités : qu'en pensez-vous ?
Mme Marie-Laure Lamy. - Les aides à la rénovation globale sont complexes à mobiliser et on voit que l'isolation intéresse moins. Or, c'est une catastrophe à bien des égards. Les ménages, par exemple, vont acheter une nouvelle chaudière adaptée à leur logement avant isolation, qui deviendra trop puissante une fois le logement isolé, ce qui est un gaspillage d'énergie et d'argent. Nous pensons qu'on peut garder des financements à l'acte, mais en ayant d'abord priorisé l'isolation.
Il faudrait aussi favoriser bien plus les matériaux biosourcés, ils ont des avantages en matière climatiques, ils sont locaux, transformés en France, ils sont performants... On parle à tort d'un objectif de « confort d'été », en fait c'est l'habitabilité même des logements l'été qui est en jeu, et la comparaison donne l'avantage, de loin, aux matériaux biosourcés.
Les plates-formes locales de la rénovation de l'habitat ont rapproché les services logement et habitat. Cela a été une source d'efficacité et de confiance, et c'est ce dont nous avons besoin. Nous savons comment organiser les acteurs locaux, en leur laissant des marges d'organisation ; cette organisation, qu'il serait possible de remettre en place, a bien plus d'avantages que la concurrence. Un mot encore sur la complexité des aides : elles ne sont plus lisibles, en tout cas je ne parviens plus à en faire un tableau clair, alors que je connais le secteur depuis une douzaine d'années - c'est dire l'utilité des conseillers qui, eux, sont au fait de tout cet enchevêtrement d'aides. Le service d'accompagnement à la rénovation énergétique a aussi permis de rechercher systématiquement la contribution des collectivités territoriales. Elles investissent désormais bien plus qu'avant, alors que leur contrainte financière est forte, ce qui est encore un facteur d'incertitude. Tout ceci appelle à conforter ce service.
Mme Isabelle Gasquet. - Nous proposons effectivement une compétence obligatoire pour la région sur la rénovation énergétique des logements, avec une gouvernance partagée avec les départements et les intercommunalités, cet échelon nous semble le plus pertinent.
Ensuite, si nous sommes plutôt défavorables aux aides aux gestes isolés, elles peuvent être utiles mais pour entrer dans une rénovation par étape. Les chiffres sont édifiants : l'an passé, les deux tiers des travaux engagés pour MaPrimeRenov' sont allés au changement du système de chauffage, et à peine le cinquième pour de l'isolation. Nous avons voulu comprendre la baisse des travaux d'isolation et nous avons fait le lien avec l'électrification des dispositifs de chauffage, liée à l'objectif de décarbonation.
Les pompes à chaleur ont un rôle majeur à jouer dans la décarbonation, surtout si leur installation est liée à une rénovation performante. Nous avons modélisé ce lien et constaté une corrélation directe sur tous les indicateurs, qu'il s'agisse du coût, de la pointe énergétique, ou encore de l'émission de gaz à effet de serre. Dès lors, nous recommandons d'encadrer le déploiement des pompes à chaleur sur le territoire en les liant, justement, à une rénovation performante.
Nous faisons à cette fin quatre recommandations. D'abord, privilégier l'installation des pompes à chaleur les plus efficaces, dans le cadre d'une rénovation globale ; nous proposons d'introduire dans les aides un critère technique de température minimum des émetteurs de chaleur ; d'adosser l'aide à l'installation de pompes, à l'isolation de l'enveloppe et à la ventilation ; de limiter l'installation de pompes à haute température ou par chaleur hybride, sauf cas où la rénovation performante est trop difficile. Ensuite, nous proposons de rendre obligatoire le passage par un espace-conseil France Renov' avant le changement du système de chauffage, en particulier pour mettre en garde les ménages contre le démarchage commercial abusif.
Mme Marie-Laure Lamy. - Cette obligation nous est même demandée par des plombiers chauffagistes, qui en ont assez de devoir défaire ce qui a été installé à la suite de mauvais conseils...
Mme Isabelle Gasquet. - Troisième recommandation, nous proposons de revoir le référentiel « reconnu garant de l'environnement » (RGE), avec une méthodologie harmonisée. Enfin, nous recommandons de communiquer sur l'obligation d'entretenir les équipements, ce qui n'est pas assez su par les ménages.
M. Danyel Dubreuil. - Nous sommes pragmatiques, parce que nous sommes des praticiens de la rénovation énergétique. Et ce que nous voyons, c'est qu'il faudrait d'abord encourager la rénovation énergétique globale et performante, puis les briques de gestes, tout en laissant la porte ouverte pour aider des gestes isolés - alors qu'actuellement, c'est l'inverse qui se produit. Nous ne pensons pas que les choses puissent changer en un jour, mais nous essayons de trouver un ensemble de mesures qui permettrait, en 2030, de proposer dans un calendrier raisonnable l'extinction des aides à des gestes isolés. Ce serait aussi un avantage très intéressant sur les fraudes, dont on parle beaucoup et qui jettent un discrédit sur l'ensemble de cette politique publique : la fraude a beaucoup moins de place dans la rénovation globale et bien conseillée, que dans le financement de gestes isolés - et ce serait aussi beaucoup de contrôles en moins, qui en pratique gênent surtout les gens honnêtes puisque les fraudeurs, eux, intègrent les contrôles dans leur triche.
Sur les évolutions réglementaires, nous avons soutenu, en 2019, l'interdiction de location puis, en 2021, l'obligation de rénovation énergétique lors de la vente. Il y a eu aussi les propositions de la convention citoyenne. Pourquoi vouloir interdire les passoires énergétiques ? D'abord parce que la plupart appartiennent à des gens qui ont les moyens de rénover mais qui ne le font pas - et qui louent à des gens qui n'ont pas les moyens de payer le surcoût des factures énergétiques. Nous tirons donc un coup de chapeau au Gouvernement d'avoir su poser une obligation. Elle a d'ailleurs eu pour effet rapide qu'un tiers des propriétaires de passoires thermiques se disent désormais prêts à rénover, alors qu'il n'y en avait pas avant l'obligation...
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Cependant, des propriétaires en sont venus à devoir vendre...
M. Danyel Dubreuil. - Il y a une contrainte et c'est pourquoi nous sommes très favorables à ce que les propriétaires modestes et très modestes soient davantage aidés qu'ils ne le sont : l'Anah soutient 5 000 dossiers par an de propriétaires bailleurs modestes, il faut aller plus loin - ces bailleurs détiennent 10 % des passoires thermiques, c'est beaucoup de logements, mais cela veut dire aussi que 90 % des propriétaires de passoires thermiques peuvent être en mesure de faire la rénovation.
Il nous semble que l'obligation de rénovation viendra un jour et ce que nous cherchons à faire, c'est de prévoir ce qu'il faut faire avant, pour que ce soit réaliste, et pour qu'on n'en reste pas au constat de l'impossible. Cibler l'obligation de rénover les passoires thermiques lors des mutations, cela paraît une solution, parce que c'est le moment où l'on peut faire les travaux, quand le logement est vide le plus souvent - l'ensemble représente entre 100 000 et 150 000 logements, c'est important, c'est un signe politique fort. Encore faut-il que les financements suivent, en particulier les banques, qui ne sont pas au rendez-vous et qui laissent les pouvoirs publics et les ménages se débrouiller, oubliant leurs propres missions.
M. François Calvet. - En entendant ce qu'on nous dit depuis le début des travaux de notre commission, j'en viens à me dire que si j'avais su qu'on en arriverait là, je n'aurais pas voté les lois qui ont ajouté des contraintes, car je ne m'attendais pas à ce qu'elles produisent de tels résultats ! On vote des lois sans rien savoir de leurs conséquences pratiques ; lorsque nous avons décidé d'établir des catégories énergétiques, j'étais loin de savoir ce qu'on allait y mettre, et les conséquences pour nos concitoyens... Or, ce qu'on voit aujourd'hui, c'est que si l'on continue avec ces normes de plus en plus sévères, on va faire s'effondrer le marché immobilier ! Ces normes ne sont pas applicables dans des pays de montagne, je vous parle de chez moi ; ces normes valent peut-être pour la ville, mais pas pour les territoires que je connais. On nous les impose de trop loin du terrain, de la géographie. Dans la réalité, on ne va pas reconstruire ces logements, ni les rénover comme on nous le demande, parce qu'ils n'en ont pas la valeur : je le dis à ma façon, mais je voudrais pouvoir relever la tête et sortir de cette situation...
M. Franck Montaugé. - Cela pose la question de l'évaluation des lois, en particulier de savoir à partir de quelles connaissances on légifère. Notre commission d'enquête pourrait-elle regarder les études d'impact qui ont accompagné les lois dont nous parlons, pour comparer à ce qu'il en est devenu ? Cela vaut pour ce sujet comme pour d'autres... Je ne discute pas le fond de ces mesures, qui vont dans le bon sens, mais la façon dont nous légiférons. Le comment prime sur le quoi, on met la charrue avant les boeufs : ce n'est pas bon pour les parlementaires ni pour les acteurs. Quand nous avons légiféré, qu'est-ce qu'on nous promettait, et où en est-on aujourd'hui ? Il faut compter aussi avec les moyens que nous sommes en mesure de mobiliser - il ne faut pas rêver, il faudra choisir entre les priorités : dans quelle mesure pouvons-nous garantir que la rénovation énergétique des logements passera devant ?
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - On ne peut pas dire qu'il n'y ait pas eu d'action politique, des objectifs forts, des moyens importants, sur plusieurs années - mais nous en sommes là où nous en sommes aujourd'hui, et nous cherchons à comprendre ce qui s'est passé. Nous avons encore un consensus politique fort sur les objectifs, c'est assez rare. Nous sommes d'accord pour y mettre des moyens, mais il faut mieux définir notre façon de faire, de légiférer : l'examen des études d'impact est intéressant, sachant que la notion même d'étude d'impact fait trop souvent défaut, et on ne parle pas ici de faire rêver, mais de mieux définir l'action, d'autant que l'argent public investi dans le domaine, on l'a dit, a un fort effet de levier.
M. Franck Montaugé. - Attention, quand je dis qu'il ne faut pas faire rêver, c'est pour dire qu'il ne faut pas se raconter d'histoire sur les moyens d'y arriver... Les a-t-on bien mesurés ?
M. Danyel Dubreuil. - Nous militons nous aussi pour l'efficacité de la dépense publique, il faut que les bénéfices soient au rendez-vous pour éviter les déconvenues. Ce que je peux dire, c'est que l'on a progressé ces dernières années. Ce domaine est technique, et la connaissance publique a progressé grâce à des données statistiques et des outils proposés par le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) et l'Observatoire national de la rénovation énergétique. La décision est désormais établie sur des connaissances plus fines. Les objectifs sont définis en moyenne, même s'il faut bien sûr des adaptations aux territoires. Cependant, si la rénovation énergétique demande plus de moyens en montagne, il faut quand même penser qu'elle y est nécessaire comme ailleurs, ne serait-ce que pour le bien-être des habitants.
Nous sommes bien d'accord, également, sur l'importance d'évaluer les politiques publiques. Le suivi n'a pas été suffisant, et nous proposons d'élargir les critères d'évaluation et les objectifs des politiques publiques, pour mieux prendre en compte la portée et les effets de la rénovation énergétique.
M. Franck Montaugé. - Nous avions débattu sur le passeport numérique du bâtiment ; c'est un outil utile au diagnostic et au suivi.
Mme Marie-Laure Lamy. - En tant qu'économiste, je sais qu'il faut regarder de très près les critères de l'évaluation, car la rénovation énergétique a des effets et des implications très larges.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci pour votre participation et toutes ces informations.
Audition de
M. Philippe Pelletier, président du plan bâtiment
durable
et de Mme Marie Gracia, directrice du collectif
Effinergie
(Lundi 20 mars 2023)
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous poursuivons nos travaux avec l'audition de M. Philippe Pelletier, président du Plan Bâtiment durable, et de Mme Marie Gracia, directrice du collectif Effinergie.
Monsieur Pelletier, vous êtes avocat spécialisé en droit de l'immobilier et en droit des affaires. Après avoir été président de l'Union nationale de la propriété immobilière (UNPI), vous êtes devenu en 1998 président de l'Agence nationale de l'habitat (Anah) et ce pendant dix ans jusqu'en 2008. Vous avez ensuite présidé le comité opérationnel sur les bâtiments existants, à l'occasion des premières réflexions autour du Grenelle de l'environnement. Votre rôle s'est ensuite élargi au sein du comité stratégique du Plan bâtiment Grenelle, dont le Premier ministre vous a nommé président en janvier 2009. Vous avez été, depuis, reconduit dans vos fonctions à la tête de ce Plan, rebaptisé « Plan Bâtiment durable » il y a dix ans. C'est à ce titre que nous vous avons convié aujourd'hui. Le Plan que vous présidez a pour but de mobiliser les acteurs du bâtiment et de l'immobilier en vue de l'atteinte des objectifs d'efficacité énergétique et environnementale assignés à ce secteur. Vous nous présenterez l'historique, le fonctionnement et le bilan de ce plan tout à l'heure.
Madame Marie Gracia, vous avez été chargée de mission puis cheffe de projet au sein du Plan Bâtiment durable. Vous vous êtes en particulier attachée à développer des actions de communication et surtout à animer les réseaux d'acteurs des filières concernées par le Plan. C'est donc assez naturellement que vous êtes devenue, il y a un an, directrice du collectif Effinergie, association qui se propose d'accompagner ses membres dans la conception, la rénovation et la construction des bâtiments précurseurs, à faible impact énergétique et environnemental. C'est votre collectif qui anime par exemple l'« Observatoire BBC », pour Bâtiment basse consommation énergétique, ou qui élabore, notamment, les labels BBC (pour « Bâtiments basse consommation et bas carbone »), BEPOS et BEPOS+ (pour « Bâtiments à énergie positive » ), « Effinergie patrimoine » et « Effinergie RE 2020 ». Vous nous en direz plus sur le détail de vos actions dans un instant.
Madame, monsieur, outre la présentation des activités des structures que vous représentez, nous souhaitons aussi vous entendre en tant que forces de proposition. Vous partagerez ainsi avec nous vos analyses des politiques publiques actuelles en matière de rénovation énergétique, en en soulignant les qualités mais aussi les défauts et vous nous ferez part, en outre, de vos préconisations pour l'avenir : vous nous expliquerez comment procéder pour massifier, rendre plus efficace et accélérer la rénovation énergétique des logements.
Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions et pour un propos introductif d'une quinzaine de minutes, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.
Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du Code pénal, qui peuvent aller de trois ans à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Philippe Pelletier et Mme Marie Gracia prêtent serment.
Je vous en remercie et vous cède la parole. Notre rapporteur ne manquera pas ensuite de vous poser un certain nombre de questions complémentaires.
M. Philippe Pelletier, président du Plan Bâtiment durable - Merci, madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs, je vous expliquerai brièvement ce qu'est le Plan Bâtiment durable. J'espère en effet que quatorze ans de déploiement des travaux commencent à lui donner un début de notoriété. Ce projet rassemble aujourd'hui entre 18 000 et 20 000 personnes sur l'ensemble de la France. Nous les réunissons autour d'un seul objectif : faire en sorte qu'à l'horizon 2050 les bâtiments soient basse consommation et assurent la neutralité carbone.
Le Plan s'organise autour de trois fonctions principales.
Il constitue d'abord une force de proposition. Cette fonction a nourri de manière intense nos premières années d'existence. Nos groupes de travail sont à l'origine d'une grande part des dispositifs repris dans de nombreux projets et propositions de lois ou de textes règlementaires. La règlementation environnementale en constitue l'exemple le plus spectaculaire. Dès 2012, nous avions ainsi indiqué que le cycle des règlementations thermiques devait cesser. Nous avons alors ouvert la voie au couple énergie-carbone qui caractérise la règlementation environnementale. Le Gouvernement a aussi mis en oeuvre une autre de nos idées, la nécessité d'une expérimentation pour toute règlementation, avec le référentiel « E+C- » institué par Emmanuelle Cosse.
En deuxième lieu, le Plan agit comme force de mobilisation, notamment sur les territoires. Avec l'aide du président et du préfet des régions concernées, nous avons inventé des Plans Bâtiment durable régionaux. Le premier concernait la Bretagne, le dernier en date l'Occitanie. Ces Plans ont permis de rassembler à l'échelon local les réseaux habituellement mobilisés au niveau national. Ils prennent en compte les particularismes locaux afin d'atteindre en 2050 l'objectif général déterminé par le Grenelle de l'environnement puis la loi de programmation Grenelle I de 2009. Comme le savent bien les sénateurs, proches des réalités territoriales, il existe autant de chemins que de zones régionales pour parvenir au même objectif. En effet, les cultures, l'architecture ou le climat ne sont pas identiques. Ils conduisent à déterminer des priorités différenciées.
Le troisième mode d'action consiste à organiser des concertations. En ce moment, nous sommes extrêmement sollicités à cet effet. Dans le cadre de l'article 301 de la loi Climat et résilience de 2021, j'ai ainsi été chargé d'animer la préparation de la feuille de route de la décarbonation du secteur économique du Bâtiment. La ministre de la Transition énergétique m'a également confié l'animation de l'écriture « l'acte II » du plan de sobriété dans le parc résidentiel et le parc tertiaire à l'horizon 2050. Par expérience, la réunion de personnes différentes permet de parvenir à des consensus.
Pour clore ce propos liminaire, je vous ai apporté la série des petits ouvrages de sensibilisation que nous publions et je vous remets aussi une liste de rapports susceptibles d'éclairer votre commission et que nous mettons en ligne sur le site www.planbatimentdurable.fr.
Mme Dominique Estrosi Sassone. - Je vous remercie, ces éléments nous seront très précieux.
M. Philippe Pelletier - Je propose de reprendre la parole pour vous faire partager mes propositions après la présentation de Marie Gracia.
Mme Marie Gracia, directrice du collectif Effinergie - Le collectif Effinergie est une association créée en 2006. Elle est aujourd'hui reconnue d'intérêt général. Elle regroupe une soixantaine d'adhérents, à commencer par certaines collectivités, notamment des Régions, à l'initiative de la création d'Effinergie. Elle réunit aussi des acteurs de la filière du bâtiment engagés sur ces sujets, tels que des fédérations, des organisations professionnelles, des acteurs de la recherche et du financement, des entreprises ainsi que des associations. Notre objectif consiste à porter collectivement une ambition en matière de performance énergétique et environnementale des bâtiments. Nous cherchons à généraliser les constructions et les rénovations les plus performantes possibles.
En termes d'actions, nous portons des labels préfigurateurs. Ainsi, le label règlementaire « BBC rénovation » existe depuis 2009. Un arrêté définit une partie des conditions requises. Effinergie a complété celles-ci avec des exigences techniques. L'arrêté fixe les objectifs de rénovation à l'horizon 2050. Il est en cours d'évolution, je pourrai y revenir.
À travers ces labels, nous visons le développement de bâtiments démonstrateurs exemplaires. Nous cherchons aussi à faire émerger des thématiques innovantes, à anticiper les futures règlementations et à orienter la politique publique.
Par ailleurs, nous mettons notre expertise au service des retours d'expérience. Vous évoquiez l'Observatoire BBC. Créé il y a plus de dix ans, il permet de faire remonter l'ensemble des projets labellisés, mais aussi certains projets de construction et de rénovation accompagnés par les collectivités territoriales. Il vise à mettre ce retour d'expérience à la disposition des acteurs concernés. Ce site gratuit et accessible à tous vient alimenter des enseignants lors de formations, mais aussi les pouvoirs publics.
Nous appliquons également notre expertise dans le cadre de projets de recherche et d'innovation. Parmi les sujets en lien avec la rénovation, figure le « BBC par étapes ». Nous menons depuis plusieurs années cette expérimentation avec divers partenaires. Elle nous permet aujourd'hui de définir une méthodologie de rénovation. Elle ne se résume pas à la rénovation par geste. Je reviendrai sur cette distinction. Nous avons aussi conduit une expérimentation relative à la réhabilitation du patrimoine. Elle vise à concilier un niveau élevé de performance avec la préservation des qualités patrimoniales. Depuis trois ans, cette expérimentation nous permet d'élaborer des recommandations et orientations sur le sujet. Il s'avère en effet possible d'intervenir sur le patrimoine sans le détériorer.
Enfin, certaines interventions portent sur la mesure de la performance réelle des rénovations énergétiques et sur l'accompagnement de sociétés de tiers financement, afin de les aider à développer leur offre sur tout le territoire.
Les labels représentent la partie la plus connue de notre activité. Cependant, l'éventail de nos actions nous permet d'alimenter ce travail de référentiel.
M. Philippe Pelletier - Je reprends rapidement la parole pour développer sur le fond l'idée que je souhaite transmettre à votre commission. Elle s'articule en deux temps : d'abord, une appréciation sur la situation actuelle, que j'ai appelée l'état existant ; ensuite, un effort de prospective, que je qualifie d'état projeté. Je reprends ainsi des termes familiers au monde du bâtiment. Je fais circuler une version écrite de mes analyses.
Je n'adhère pas du tout aux propos, trop souvent entendus, relatifs au ratage de la rénovation énergétique, à l'absence de réalisations ou à la gabegie. Je m'attacherai d'abord aux lumières, mais aussi aux ombres qui caractérisent la situation actuelle. Je présenterai ensuite deux façons d'envisager l'avenir. Je qualifie la première d'ajustement. Elle consiste à aménager et améliorer l'existant. La seconde voie consiste en un « changement de braquet ». J'appelle une telle transformation de mes voeux. En effet, la question de la rénovation du bâti occupera plusieurs dizaines d'années. Elle justifie de mener une politique industrielle. Telle serait ma proposition.
Sur l'état existant, je relève des éléments de stabilité intéressants.
Tout d'abord, le cap annoncé en 2007 et posé en 2009 à l'horizon 2050 demeure. Il a résisté à toutes les majorités, même si certaines périodes furent plus favorables que d'autres. L'objectif n'a pas dévié, ce qui donne de la force à notre sujet.
En deuxième lieu, la prise de conscience est généralisée. En une année, 650 000 personnes ont ainsi sollicité MaPrimeRénov' auprès de l'Agence nationale de l'habitat. Cela témoigne d'une évolution considérable des esprits. La question de la rénovation énergétique est maintenant répandue. Elle ne concerne pas seulement les ménages. Les grandes enseignes de distribution perçoivent elles aussi que leurs clients ne supportent plus les gaspillages d'énergie. Elles envisagent en conséquence des efforts considérables. La société a donc changé.
Dans le même temps, les programmes menés ont continué à manifester une attention prioritaire au soutien des plus fragiles. Ainsi, les ménages modestes se révèlent les principaux bénéficiaires de MaPrimeRénov'. Notre premier groupe de travail, constitué en 2009, était consacré à la lutte contre la précarité énergétique. Nous avons inventé ce qui est devenu le programme Habiter mieux. La situation des plus fragiles doit constituer une priorité toujours réaffirmée de toute politique publique de rénovation.
Le Plan Bâtiment durable a aussi inventé l'écoconditionnalité des aides. Il s'est alors inspiré des pratiques de la Région Basse Normandie, qui subventionnait les seuls travaux réalisés par des artisans qualifiés. Nous nous en sommes inspirés pour élaborer cette certification garante de l'environnement, en dépit de ses faiblesses actuelles.
Par ailleurs, la fin du crédit d'impôt transition énergétique (CITE) se révèle positive. En effet, ce dispositif encourageait à mon sens un effet d'aubaine excessif.
Enfin, il convient de mentionner d'autres éléments positifs comme la mise en place de France Renov' et de ses 550 espaces conseil ou la mise en oeuvre d'une collaboration interministérielle et administrative en matière de rénovation.
Je m'arrêterai là sur les lumières et évoquerai quelques ombres : le fait que les aides se révèlent trop compliquées et versatiles ou que le statut de la copropriété constitue un chantier permanent. Ces éléments ne favorisent pas une dynamique de l'action. De fait, la complexité et le changement des règles incitent à l'attentisme.
Par ailleurs, j'ai toujours émis d'assez fortes réserves sur les rénovations par geste. Je ne crois pas qu'un geste en appellerait un autre. À mon sens, cette idée de départ ne se traduit pas dans les faits. J'estime que deux ou trois actions permettent de conduire vers la rénovation globale sans présenter la même rigueur.
Le pilotage public apparaît également trop morcelé entre plusieurs ministres et secrétaires d'État. La coordination interministérielle demeure insuffisamment dotée et ne peut peser fortement. Enfin, l'intervention des collectivités territoriales demeure trop faible.
Concernant l'état projeté, je passerai rapidement sur la première branche de l'alternative, qui concerne les ajustements. Les axes d'amélioration sont en effet visibles. J'évoquerai juste deux points rapidement.
Tout d'abord, il paraît difficile de réduire la complexité des aides, en raison de la multiplicité de leurs émetteurs : les aides locales viennent s'ajouter à celles de l'État et aux programmes spéciaux. Il convient à mon sens de renoncer à l'idée d'une aide unique. En revanche, un dossier unique serait imaginable, avec un seul interlocuteur et une harmonisation des critères permettant l'accès aux aides.
En second lieu, j'estime impératif d'accompagner sans attendre les bailleurs privés. En effet, la loi Climat et résilience a créé à leur égard une obligation de rénovation des logements énergivores, dont le tempo est soutenu, pour ne pas dire ambitieux. La mise en oeuvre d'un amortissement accéléré des travaux viendrait notamment compléter le doublement du déficit foncier imputable décidé dans le cadre de la loi de finances pour 2023. En effet, le déficit foncier ne me semble pas répondre à tous les cas.
Je terminerai avec mon dernier axe, en abordant une question essentielle : qu'attend-on pour bâtir une politique industrielle et une véritable filière industrielle de la construction et de la rénovation ? J'illustrerai le sujet par deux observations.
D'une part, l'offre de travaux et de service n'est pas suffisamment performante sur l'ensemble du territoire. Cela ne remet aucunement en cause la qualité des personnes qui animent cette offre. J'imagine une politique immobilière couvrant toute la chaîne des acteurs. Elle irait des industriels jusqu'aux gardiens d'immeuble. Elle associerait les financeurs, les assureurs, les gestionnaires, les personnes en charge de la maintenance, etc. La filière immobilière n'a pas réalisé la mue opérée par d'autres industries.
D'autre part, il conviendrait de changer la maille d'intervention. Nous n'atteindrons pas les objectifs fixés en continuant à raisonner au niveau du logement ou de l'immeuble collectif, mais à celui d'une ville, d'un quartier ou d'un pâté de maisons. La réussite des opérations programmées d'amélioration de l'habitat représente à cet égard un modèle. La direction de terrain, opérée par le maire ou le président de l'intercommunalité, assure l'unité de temps, de lieu et d'action qui emporte tous les acteurs concernés. Un maillage élargi permettrait de sortir d'un accompagnement sectorisé. Avec une telle politique, des opérateurs nouveaux, comme les acteurs importants du BTP ou les promoteurs, s'intéresseront à la rénovation de l'existant.
De même, la construction hors site, c'est-à-dire la construction modulaire en site protégé, permettra d'accélérer le rythme de construction sur des chantiers propres. Ce grand mouvement donnera une garantie de performance aux ménages et aux entreprises qui assureront la rénovation de leurs locaux. Cependant, cela suppose l'implication de tous les acteurs.
Enfin, la mobilisation des réseaux bancaires ou à défaut la mise en place d'une banque dédiée sur le modèle allemand sont indispensables. À cet égard, la dilution du Crédit foncier de France dans l'ensemble BPCE a freiné le développement des éco-prêts collectifs auprès des copropriétaires. Le secteur des assurances est également concerné. Il conviendrait d'assurer plus rapidement les produits innovants qui émettent une garantie de performance au bénéfice des maîtres d'ouvrage.
En conclusion, je crois à la possibilité de ce grand saut industriel. J'espère que votre commission le suggèrera. Un pilotage politique unique et une incarnation du sujet seront alors nécessaires.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Merci pour vos exposés et la vision assez large que vous avez pu développer.
J'émettrai une remarque sur les zones d'ombre et de lumière. Je partage en partie votre opinion sur la force des orientations, les objectifs fixés ou les moyens affectés. La mise en oeuvre d'une politique publique ne peut être niée. En revanche, les résultats demeurent très éloignés des attentes et des objectifs. La poursuite de cette trajectoire risque de s'avérer trop longue.
Par ailleurs, il me paraît intéressant que vous développiez votre vision de la place des collectivités territoriales. L'action en proximité me semble fondamentale, d'autant qu'elle diffère selon les territoires. L'intérêt des plateformes de rénovation en témoigne.
Je formulerai également deux questions plus techniques. La première porte sur l'évolution du diagnostic de performance énergétique (DPE), sur lequel se fondent les politiques publiques. La seconde concerne le label « reconnu garant pour l'environnement » (RGE). Le choix de privilégier la labellisation des entreprises présente des limites, liées à la complexité de son obtention. Beaucoup d'entreprises ne sont pas labellisées et ne cherchent pas nécessairement à l'être, alors qu'elles pourraient aller sur ces marchés-là. Dans ces conditions, une obligation de résultat ne serait-elle pas préférable ? Un contrôle en fin de chantier permettrait de s'assurer que les travaux sont correctement réalisés. Aujourd'hui, la démarche est inverse. Elle part du principe qu'une entreprise labellisée réalisera correctement les travaux.
Enfin, je tends à partager votre idée d'une politique industrielle et de filières globales à mettre en place. Les matériaux posent des questions spécifiques, quant à leur source et à l'amélioration de leur production locale. Les matériaux biosourcés constituent un réel enjeu de développement économique, d'emploi et de production. En effet, environ 90 % des matériaux utilisés sont actuellement issus de l'industrie pétrochimique. Les matériaux biosourcés (paille, chanvre ou bois) sont une manière de capter le carbone. Leur rémunération permettrait d'alimenter la filière.
M. Philippe Pelletier - Si vous le permettez, je laisse le soin à Marie Gracia de vous répondre.
Mme Marie Gracia. - Je suivrai l'ordre de vos questions pour vous répondre.
Les collectivités territoriales jouent un rôle central en matière de politique publique sur la rénovation énergétique. Elles ont mis en place des dispositifs bien avant que l'État ne fixe des objectifs. Elles ont lancé à l'échelle de leurs territoires des politiques assorties d'objectifs ambitieux. Les plateformes territoriales de la rénovation énergétique, et plus largement le service public, ont favorisé les réalisations. L'accompagnement financier a constitué un levier incitatif, avec un réel impact sur la performance énergétique.
Le service public de la rénovation agit comme un tiers de confiance à l'égard des ménages. Il est d'autant plus nécessaire que des éco-délinquants font du tort à la filière. Il accompagne les ménages lors de leur prise de décision, mais aussi pendant la durée des travaux. Il se déploie, la multiplication des espaces-conseil en témoigne. Toutefois, son financement demeure incertain. Le dispositif actuel, cofinancé par les collectivités territoriales, s'arrête à la fin de l'année. Les collectivités attendent les orientations de l'État afin d'enclencher les cofinancements adéquats. L'outil, construit progressivement, a fait ses preuves. Une stabilisation dans le temps serait nécessaire.
Je relierai ce volet accompagnement à votre question relative aux résultats des travaux. Les projets de rénovation accompagnés montrent que la performance est au rendez-vous : les choix des travaux sont les bons ; les financements ont pu être trouvés et complétés ; surtout, l'accompagnement se prolonge jusqu'à la réception des travaux et prouve ainsi sa nécessité.
Le DPE est un outil formidable. Tous les Français le connaissent. Il remplit pleinement son rôle initial de sensibilisation à la performance énergétique. Il a été fiabilisé. Une réforme a harmonisé la méthode applicable à tous les bâtiments, quelle que soit leur année de construction. Aujourd'hui, il remplit donc pleinement son rôle initial : il sensibilise et permet de situer la performance de son logement. En revanche, le rôle qui lui a été attribué par la suite dépasse la simple sensibilisation des ménages. Lui faire jouer un rôle pivot dans la politique publique de rénovation énergétique est peut-être trop lourd à porter pour cet outil. Le DPE n'a pas été conçu pour élaborer des projets de travaux. Il convient de ne pas faire reposer sur lui toute notre politique publique.
En matière de RGE et de qualité de l'offre, nous ne sommes pas au niveau. Le RGE a permis d'enclencher une dynamique de formation. Cela demeure insuffisant. Il conviendra de mener une réflexion afin d'enrayer la diminution du nombre de professionnels qualifiés RGE. On ne dénombre qu'environ 300 artisans RGE assurant une offre de rénovations globales dans toute la France. De plus, le RGE ne concerne que les artisans qui effectuent les travaux. Or l'accompagnement, l'assistance à la maîtrise d'oeuvre et à la maîtrise d'ouvrage ne doivent pas être oubliés. L'offre est également insuffisante sur l'ensemble du territoire. Il est aujourd'hui difficile de trouver un bureau d'études assurant le bon audit. À cet égard, la possibilité offerte aux diagnostiqueurs immobiliers de réaliser l'audit énergétique règlementaire ne me paraît pas répondre à la question.
Les matériaux biosourcés sont un sujet à déployer. Beaucoup de collectivités soutiennent déjà le développement d'une filière locale en la matière. Ainsi, la Région Normandie a institué un bonus sur l'utilisation de matériaux biosourcés pour la rénovation énergétique. Il conviendra d'accompagner le sujet dans le cadre de la montée en puissance des rénovations.
Je me permettrai d'apporter un complément pour élargir la question. Aujourd'hui, l'État affiche à juste titre une volonté forte en matière de décarbonation à l'horizon 2050. Il est essentiel que la filière du Bâtiment y réponde. Pour autant, l'objectif ne doit pas occulter celui de l'efficacité énergétique en termes de rénovation. Les deux sujets doivent aller de pair, comme nous le faisons avec Effinergie. La rénovation énergétique ne peut se résumer à décarboner les énergies utilisées pour le chauffage.
M. Philippe Pelletier - J'ajouterai qu'à mon sens nous évoluerons assez vite dans notre acception du mot « rénovation ». Il y a dix ans, vous auriez probablement parlé de rénovation thermique ; aujourd'hui, vous évoquez une rénovation énergétique ; dans quelques années, nous parlerons sans doute de rénovation environnementale. En effet, la question du carbone cheminera peut-être plus vite que les politiques publiques.
Je crois que le sujet est même encore plus ample. Le couple construction-rénovation est en fait assez proche. Il conviendrait de jouer sur l'ensemble. De même, la qualité et la sobriété énergétiques doivent prendre en compte la santé et le vieillissement des occupants. En somme, il faut élargir le champ de vision. La rénovation énergétique est une partie du sujet. J'ai même l'intuition que Ma Prime Adapt' peut constituer une opportunité pour embarquer la performance énergétique. L'adaptation du logement me semble le bon axe. En effet, la complexité de la rénovation d'un bien en site occupé croît avec l'âge. Il faudra donc penser différemment la politique du logement.
M. François Calvet. - Vous avez évoqué l'instabilité du statut de la copropriété. Quelles solutions proposeriez-vous pour résoudre ce problème ?
Par ailleurs, le développement d'une filière industrielle me paraît une excellente idée. Elle stimulerait non seulement notre industrie, mais aussi la recherche sur les matériaux et les procédés.
M. Philippe Pelletier - Je répondrai d'abord sur le second point. La recherche & développement est d'une pauvreté insigne dans ce secteur. À l'exception des plus gros industriels, les acteurs se placent dans une logique de récurrence et de reproduction. Il devrait cependant être possible de s'engager dans des approches plus innovantes tout en ménageant l'expérience des anciens. Un regard plus accueillant sur l'innovation serait nécessaire.
S'agissant de l'instabilité des règles en matière de copropriété, c'est un fait. Certains syndics se retranchent d'ailleurs derrière cet argument pour ne pas engager de travaux. Pour autant, certaines copropriétés, quelle que soit leur taille, parviennent à réaliser des gains d'économies d'énergie d'environ 50 ou 60 %, grâce aux travaux qu'elles parviennent à financer. La clé du succès réside alors dans la constitution d'une équipe projet autour du syndic. Par conséquent, je considère que l'arsenal juridique existant - notamment la loi du 12 juillet 2010 et les lois ALUR et ELAN - permet en l'état d'assurer la rénovation d'une copropriété.
Mme Dominique Estrosi Sassone. - Merci beaucoup, monsieur le président, madame la directrice. Vous nous avez présenté l'état actuel de la situation ainsi que vos préconisations. Nous utiliserons à bon escient ces informations dans le cadre de nos travaux.
Audition de
M. Thierry Repentin, président,
et Mme Valérie
Mancret-Taylor, directrice générale,
de l'Agence nationale de
l'habitat (Anah)
(Lundi 27 mars 2023)
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous recevons cet après-midi le président et la directrice générale de l'Agence nationale de l'habitat (Anah).
Monsieur Repentin, vous présidez l'Anah depuis 2020. Vous êtes également maire de Chambéry depuis la même année. Par le passé, vous avez présidé le Conseil supérieur de la construction et de l'efficacité énergétique. Vous avez été ministre délégué à la formation professionnelle et à l'apprentissage, puis ministre aux affaires européennes, sous la présidence de François Hollande. Vous avez été sénateur entre 2004 et 2012, ainsi qu'en 2014.
Madame Mancret-Taylor, vous avez été nommée directrice générale de l'Anah en 2018. Vous travailliez auparavant au cabinet du ministre de la cohésion des territoires. Vous êtes architecte urbaniste en chef de l'État.
Votre présidence et votre direction ont été marquées par la mise en oeuvre, en 2020, de la transformation du crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE) en prime de transition énergétique, mieux connue sous le nom de MaPrimeRénov', dont la distribution est assurée par l'Anah.
Dans la continuité des programmes « Habiter mieux », MaPrimeRénov' subventionne des travaux de rénovation énergétique pour les ménages, avec une aide modulée selon les revenus. Outre le dispositif de base, il existe également MaPrimeRénov' Sérénité, qui finance des opérations de rénovation globale pour les ménages modestes, et MaPrimeRénov' Copropriétés, à destination des syndicats de copropriétaires.
Il est indéniable que MaPrimeRénov' connaît un succès populaire : 416 000 primes ont été attribuées sur la seule période de janvier à août 2022, et le nom de MaPrimeRénov' est désormais bien connu d'une grande partie de nos compatriotes. MaPrimeRénov' est rapidement devenue la politique phare de la rénovation énergétique des logements privés.
Cependant, la prime fait aussi l'objet de nombreuses critiques et interrogations, qui sont au coeur de notre commission d'enquête. S'il y a bien 700 000 rénovations grâce au dispositif, il ne s'agit pas de rénovations globales. C'est toute la différence et, sans être réductrice, l'objet de notre commission d'enquête. L'Anah indique que le nombre de rénovations globales financées était de 66 000 en 2022, en prenant en compte MaPrimeRénov' Sérénité, auquel il faut ajouter le petit nombre de celles effectuées par MaPrimeRénov' Copropriétés.
Les chiffres pour le dispositif de base, qui concentre la majorité des financements, sont encore plus faibles. Un indicateur de performance rattaché au plan de relance indique que seuls 2 200 logements sont sortis des classes F et G grâce à MaPrimeRénov' sur un objectif de 80 000. Certes, il ne s'agit que du nombre de ceux qui ont fait les démarches pour obtenir un bonus de subvention, mais la réalité est-elle significativement différente ?
De nombreuses personnes auditionnées dans le cadre de cette commission d'enquête ont ainsi accusé MaPrimeRénov' de trop favoriser la rénovation par geste au détriment des rénovations globales. À cet égard, on estime que 80 % des rénovations permises par la prime sont monogestes - essentiellement, des changements de chauffage. Faudrait-il conditionner progressivement l'octroi de la prime à la réalisation de travaux de rénovation globale ?
Les démarches requises pour bénéficier de MaPrimeRénov' ont également fait l'objet de critiques. En particulier, la Défenseure des droits a rendu en octobre 2022 une décision qui fait état de « dysfonctionnements aux conséquences lourdes pour les usagers ». Parmi les griefs qui ont été soulevés à l'encontre du dispositif, les dégrèvements d'impôts ne seraient pas pris en compte pour apprécier la situation fiscale des personnes, alors que la direction générale des finances publiques (DGFiP) aurait indiqué que c'est techniquement possible, et des usagers ne seraient pas parvenus à enregistrer leur demande avant le début de leurs travaux, bien qu'ils aient entamé leurs démarches des mois auparavant. Que répondez-vous aux critiques de la Défenseure des droits ? Où en êtes-vous du règlement des dossiers problématiques depuis votre audition devant la commission des affaires économiques du Sénat en décembre ?
Enfin, des controverses ont porté sur la fraude à la rénovation énergétique. Les arnaques étaient courantes lors de la mise en place du dispositif, si bien que le démarchage téléphonique pour la rénovation a été interdit par la loi du 24 juillet 2020. Pouvez-vous faire un état des lieux en la matière, et nous expliquer le rôle de l'Anah dans la lutte contre la fraude ?
Ces séries de difficultés montrent l'importance de l'accompagnement des ménages à la rénovation énergétique de leur logement. Depuis son lancement le 1er janvier 2022, l'Anah est ainsi chargée du pilotage de France Rénov', un service public de conseil et d'orientation sur les travaux de rénovation. Par ailleurs, un arrêté du 30 décembre 2022 définit les missions et les conditions d'agrément des « accompagnateurs Rénov' », qui ont vocation à devenir une pièce maîtresse de ce service public.
Toutefois, le Cler-Réseau pour la transition énergétique, que nous avons auditionné la semaine dernière, indique que ce service public manque encore de « visibilité et de pérennité ». Son financement ne serait pas garanti au-delà du 31 décembre 2023. Pensez-vous que le service public de rénovation de l'habitat est à la hauteur des enjeux ? Quelles seraient les pistes d'amélioration ?
Cette audition est diffusée sur le site internet du Sénat et un compte rendu sera publié. Un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende. Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Thierry Repentin et Mme Valérie Mancret-Taylor prêtent serment.
M. Thierry Repentin, président de l'Anah. - L'Anah s'engage depuis 50 ans aux côtés des ménages modestes et des collectivités territoriales pour améliorer l'habitat.
Plus que jamais, la transition énergétique des logements passe par la rénovation du parc existant. En effet, 80 % des logements de 2050 existent déjà. La rénovation énergétique est au coeur de l'actualité, et l'Anah au coeur de ces enjeux, avec le succès de MaPrimeRénov'. L'État fournit des moyens inédits : 4,2 milliards d'euros, dont 1,5 milliard d'euros d'aides à la pierre auprès des collectivités territoriales.
MaPrimeRénov' est une première étape. Quelque 82 % des ménages qui ont sollicité cette aide en sont satisfaits et 53 % disent qu'ils n'auraient pas lancé de travaux sans elle. Cette prime a engendré une dynamique de massification des travaux de rénovation énergétique. Depuis 2020, plus de 1,5 million de ménages en ont bénéficié, dont 68 % appartiennent aux quatre premiers déciles, c'est-à-dire les plus modestes. La cible sociale est donc atteinte.
Cette prime a permis à ses bénéficiaires de s'inscrire dans une dynamique vertueuse, avec la réalisation d'un premier geste. La moyenne d'économies finales par logement et par an est passée de 3,9 mégawattheures (MWh) avec le CITE à 5,6 MWh avec MaPrimeRénov', soit un gain de 44 %. L'ensemble des rénovations énergétiques soutenues par l'agence depuis 2020 ont permis une économie de 12,2 térawattheures (TWh), soit la consommation annuelle des habitants de Paris et Lyon cumulés.
Pour autant, pour certains usagers, le parcours peut être compliqué. La Défenseure des droits a fait part de dysfonctionnements dans près de 500 dossiers. Nous en sommes conscients, et avons mis en place une équipe pluridisciplinaire spécifique pour accompagner les personnes affectées.
Le sujet de la performance est souvent revenu dans les travaux de votre commission. La rénovation globale est la rénovation idéale -personne ne peut le contester. Néanmoins, il n'y a pas de recette miracle pour les ménages, qui doivent faire un choix technique et financier majeur. Il est dangereux d'opposer rénovation globale et rénovation par geste, car il faut offrir des choix sur mesure. Chaque cas est particulier. MaPrimeRénov' répond à chaque situation. Le traitement des ménages en forte précarité énergétique peut engendrer des coûts majeurs, en moyenne de plus de 60 000 euros par logement. L'Anah apporte également des solutions de financement via la lutte contre l'habitat indigne, notamment la résorption de l'habitat insalubre (RHI).
Depuis 2011, l'Anah a accompagné 600 000 propriétaires modestes vers des rénovations globales, dont 176 000 ces trois dernières années. MaPrimeRénov' Copropriétés progresse, malgré la crise sanitaire, passant de 7 000 logements en 2020 à 12 000 en 2021 et 25 000 en 2022.
Face à des enjeux énergétiques et climatiques sans précédent, la réussite ne peut être que collective. L'État a fait de la rénovation énergétique des bâtiments un axe prioritaire de France Relance, avec 6,2 milliards d'euros. Nous devons pouvoir compter sur les collectivités territoriales, qui jouent un rôle moteur dans le déploiement de France Rénov'. Ensemble, nous devons accompagner toujours plus de Français. Grâce aux accompagnateurs de France Rénov', ils bénéficient désormais de conseils gratuits, fiables, indépendants, au plus près de leur domicile.
Toute la filière de la rénovation énergétique doit être mobilisée. Il faut l'aider à recruter, à former, et à mieux se structurer. Les banques ont aussi un rôle essentiel dans le financement des restes à charge, afin qu'ils ne constituent pas un obstacle.
Une dynamique sans précédent est lancée, même s'il y a certainement des améliorations ou des adaptations à apporter.
Mme Valérie Mancret-Taylor, directrice générale de l'Anah. - L'Anah intervient dans le cadre de l'habitat privé uniquement. La politique de rénovation énergétique connaît de profondes évolutions depuis une dizaine d'années. Grâce au programme « Habiter mieux », plus de 600 000 rénovations globales ont pu être financées, dont 176 000 ces trois dernières années sous une nouvelle appellation, MaPrimeRénov' Sérénité.
MaPrimeRénov' a marqué un basculement, en transformant un crédit d'impôt en aide directe. En 2020, elle était essentiellement centrée sur les ménages modestes et très modestes. Depuis début 2021, elle est ouverte à tous les propriétaires occupants et copropriétaires quelles que soient leurs ressources et, depuis l'été 2021, à tous les propriétaires bailleurs.
En trois ans, l'Anah comptabilise plus de 1,5 million de ménages accompagnés, soit plus de 7 milliards d'euros d'aides versées et 21 milliards d'euros de travaux générés grâce à ces aides publiques. Ces résultats montrent le chemin parcouru, mais il est encore en construction. Cette politique publique est jeune et connaît des évolutions. Ainsi, par exemple, l'inflation est désormais prise en compte.
La prise de conscience des citoyens est réelle : ils sollicitent très fortement nos aides. Soulignons aussi l'action des territoires. Les élus locaux s'engagent de plus en plus dans des politiques locales en faveur de l'habitat privé notamment.
Cette politique publique s'inscrit dans un temps long.
Le dispositif « Mon Accompagnateur Rénov' » est entré en vigueur le 1er janvier de cette année. Des équipes de suivi et d'animation sont désignées par les collectivités territoriales, ou se trouvent dans les espaces de conseil France Rénov'. D'ici quelques semaines, nous ouvrirons l'agrément, de façon à démultiplier le nombre d'accompagnateurs sur le territoire. L'objectif est que les ménages aient confiance, afin de s'engager dans des travaux.
La politique de rénovation énergétique concerne 20 millions de ménages, de toutes catégories socioprofessionnelles. Ils se posent de multiples questions. C'est pourquoi il est très important de les faire bénéficier d'un diagnostic solide et de les mettre en contact avec des entreprises de qualité.
Un travail important a été mis en place depuis plusieurs années pour faire converger l'ensemble des aides existantes, c'est-à-dire aligner leurs critères d'attribution, sur la base d'un même objectif, pour un reste à charge le plus faible possible.
Vous m'avez interrogée sur la fraude et l'escroquerie. Il est nécessaire de distinguer les deux. La fraude est très organisée : elle désigne l'usurpation d'identité d'usagers et d'entreprises, entrée dans les systèmes d'information et les plateformes de demandes d'aides publiques. L'escroquerie en revanche concerne des entreprises conduisant des ménages à demander des subventions plus élevées que ce qui correspond aux travaux effectués dans le logement.
L'Anah versant des subventions extrêmement importantes, elle lutte contre la fraude via un plan de contrôle et de maîtrise des risques. Nous effectuons un contrôle sur pièces systématique de l'ensemble des dossiers et sur place de 10 % des dossiers, avant le versement de la subvention. Nous sommes amenés dans certains cas à augmenter nos contrôles, lorsque nous observons des dérives.
Nous participons au groupe de travail de la mission de coordination interministérielle du plan de rénovation énergétique des bâtiments, dont M. Simon Huffeteau a dû vous parler.
Nous sensibilisons aussi les ménages, par des campagnes de communication. Nous rappelons que l'Anah ne fait jamais de démarchage, et qu'il n'est jamais nécessaire de se précipiter pour signer un devis. Il faut au contraire prendre le temps de réfléchir avant de s'engager dans des travaux sur son patrimoine.
Nous avons renforcé nos contrôles depuis l'été 2022, après avoir relevé des fraudes et escroqueries sur certains équipements. Cela a allongé des délais de paiement, sur lesquels nous avons communiqué à l'automne dernier, en fin d'année, et plus récemment.
Vous m'avez interrogée sur les propos d'Emmanuelle Wargon, selon laquelle le nombre d'artisans qualifiés stagne à plus ou moins 10 % ou 15 % de son niveau potentiel. Il est difficile de partager cette analyse. Nous sommes convaincus que la rénovation énergétique est l'affaire de tous. Il faut une aide de l'État de qualité, d'autres aides, mais aussi un réseau bancaire capable de permettre à tous les ménages d'accéder à des prêts, et des entreprises de qualité. La Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb) et la Fédération française du bâtiment (FFB) sont plutôt confiantes. Le nombre de dossiers déposés à ce jour suit les tendances des deux années précédentes et les entreprises ont la capacité d'y répondre. En revanche, l'appareil économique mériterait un examen approfondi -la Capeb et la FFB seront plus à même de vous répondre.
L'Anah est financée annuellement par le budget de l'État. Le budget de l'Anah a été multiplié par plus de cinq, pour répondre à la mise en place des politiques locales de l'habitat, et à la demande de subventions pour rénover les logements. Ce budget est de 4 milliards d'euros par an, dont 2,5 milliards d'euros pour MaPrimeRénov' par geste, et 1,5 milliard d'euros dédiés aux aides à la pierre. Le nombre d'opérations programmées, contractualisées entre l'Anah et les collectivités territoriales, ne fait qu'augmenter. L'Anah et l'État prennent, avec les collectivités territoriales, des engagements pluriannuels, sur de l'aide aux travaux et de l'ingénierie.
Depuis 2019, l'État renouvelle sa confiance à l'Anah en augmentant son budget. Il nous donne des moyens de fonctionnement et d'investissement. Nous augmentons nos effectifs de plus de 30 équivalents temps plein (ETP) chaque année. D'une centaine de collaborateurs en 2018, nous passerons à 250 fin 2023.
Mais on ne peut pas se limiter aux moyens de l'agence. Il faut aussi regarder les moyens des collectivités territoriales et des services déconcentrés de l'État.
Les prestations de conseil réalisées par des cabinets auprès de l'Anah sont de natures différentes. Nous avons sollicité Capgemini pour nous accompagner dans la mise en place d'un nouveau système d'information et d'un nouveau système d'instruction. En effet, 25 000 décisions sont prises chaque semaine sur MaPrimeRénov' dont la moitié relève d'engagements, c'est-à-dire des subventions, et l'autre moitié de paiements, après réalisation de travaux. Nous avons fait appel à Capgemini pour nous aider à élaborer une feuille de route sur le développement de notre système d'information, la construction de notre plateforme et l'ensemble des process. Capgemini est intervenu dans le cadre des marchés publics de l'État.
Nous avons aussi mis en place une relation usagers. Nous recevons 8 000 appels par jour, dont le taux de décroché oscille entre 85 % et 90 % depuis deux ans. Nous sommes « APIsés », c'est-à-dire que notre plateforme a des liens avec d'autres plateformes telles que celles de l'Ademe (Agence de la transition écologique) ou de la DGFiP, ce qui peut engendrer des problèmes lors de mises à niveau.
Les cabinets de conseil nous apportent une expertise sur des domaines très spécifiques, dans un contexte d'objectifs de résultats. Je veux rappeler qu'il n'y a jamais eu d'interruption de service de MaPrimeRénov', qui fonctionne 365 jours par an.
Nous avons transmis l'ensemble de nos données à la commission d'enquête sénatoriale sur le rôle des cabinets de conseil, il y a un an, mais nous restons à votre disposition.
Enfin, les missions que nous confions à Capgemini sont extrêmement techniques, dans un contexte de très forte tension du marché des compétences en informatique. L'apport de ce prestataire est tout à fait précieux.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Quel type de contrôles effectuez-vous ? Que vérifiez-vous exactement ?
Si l'on peut se satisfaire du nombre de bénéficiaires de MaPrimeRénov', on peut aussi s'interroger sur le faible taux de rénovations globales. Le remplacement de chaudières par de l'électrique non carboné pose des problèmes, surtout dans un bâtiment non isolé. Ne commence-t-on pas par ce par quoi on devrait conclure ?
La Défenseure des droits a révélé des difficultés. Certaines personnes de bonne foi qui se sont trompées dans leur dossier peuvent se retrouver dépassées, sans pouvoir revenir en arrière. Des questions de lisibilité et de droit à l'erreur se posent.
Quid de l'articulation avec les collectivités territoriales ? Des intercommunalités qui avaient mis en place des plateformes plutôt simples, qui fonctionnaient bien, disent ne plus rien comprendre et se plaignent de devoir tout remettre en place. Des taux de rénovation se sont totalement effondrés, par perte de lisibilité.
Mme Valérie Mancret-Taylor. - Nous contrôlons 100 % des dossiers sur pièces, et 10 % sur place, au moment de la demande de paiement, tant pour les aides à la pierre que pour MaPrimeRénov'. Certains contrôles sont aléatoires et d'autres sont réalisés au regard du contrôle sur pièces. Quelque 90 % des contrôles sur place révèlent que le paiement peut être effectué, tandis que 10 % montrent au contraire des travaux non réalisés ou moindres par rapport à ce que le devis et la facture prévoient. Dans ce cas, nous bloquons le paiement, mais nous faisons en sorte que le ménage concerné retrouve un parcours de travaux, pour pouvoir bénéficier pleinement de la subvention.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Le contrôle est-il visuel ? La qualité des travaux est-elle vérifiée ?
Mme Valérie Mancret-Taylor. - Pour ce qui est des aides à la pierre, les contrôles sont effectués sur place par les agents des services déconcentrés ou des collectivités territoriales ; pour MaPrimeRénov', ils sont réalisés par le bureau de contrôle Veritas, avec lequel nous avons passé un marché, qui s'assure que l'équipement signalé est le bon.
M. Thierry Repentin. - Ces contrôles constituent aussi pour les bénéficiaires l'assurance que les travaux ont été réalisés dans les règles de l'art.
La difficulté à les mener tient, parfois, au refus des ménages d'ouvrir leur porte au cabinet mandaté par l'Anah, qu'ils ne connaissent pas. Or, tant que les vérifications n'ont pas été faites, il y a suspicion de travaux non faits ou mal faits. Quand personne ne répond, le retard peut atteindre plusieurs jours, voire davantage. Nous sensibilisons donc les entreprises à la nécessité d'expliquer aux ménages que des contrôles pourront être menés au nom de l'Anah.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Le système actuel est fondé sur la labellisation d'entreprises, sans contrôle systématique en fin de chantier - vous avez parlé de 10 % de travaux contrôlés. Que pensez-vous de la logique inverse, consistant à privilégier le contrôle du résultat, comme en matière d'assainissement ?
Mme Valérie Mancret-Taylor. - Vous mettez le doigt sur l'enjeu de la confiance des ménages dans les travaux exécutés. Une des réponses, c'est Mon accompagnateur Rénov'.
En matière d'aides à la pierre, l'accompagnement est obligatoire depuis l'origine. Pour MaPrimeRénov', il est optionnel - et peu utilisé. En application de la loi « Climat et résilience » et du décret paru en fin d'année dernière, l'obligation d'accompagnement va s'étendre à toutes les opérations un peu ambitieuses.
De fait, le tiers de confiance est indispensable pour garantir un travail conforme à la prescription initiale et au devis.
Vous m'avez interrogée sur la rénovation globale. En la matière, la Cour des comptes fait état de 2 200 dossiers par an : ce chiffre ne porte que sur l'aide versée au niveau national, donc les forfaits sollicités par les ménages de catégories intermédiaire et supérieure ; il n'inclut ni MaPrimeRénov' Sérénité ni MaPrimeRénov' Copropriétés. En réalité, depuis trois ans, 176 000 dossiers ont été traités - et depuis 2011, plus de 600 000.
Pour bénéficier de ces subventions, les ménages doivent réaliser un gain énergétique d'au moins 35 % ; en moyenne, le saut constaté est de 50 %.
Le président de l'Anah a parlé de cette rénovation globale, « une fois une seule », comme du parcours idéal. C'est en effet la démarche que l'on peut souhaiter pour l'ensemble des ménages du parc privé. Néanmoins, elle n'est pas toujours possible, notamment du fait d'un reste à charge substantiel - même compte tenu d'éventuels certificats d'économies d'énergie (CEE). De ce point de vue, la complémentarité entre l'aide de l'État et les aides des collectivités territoriales fait la différence. Par ailleurs, certains ménages ne souhaitent pas s'engager dans une rénovation globale, qui représente parfois plusieurs mois de travaux : ils préfèrent une démarche par étapes. Il est important que les deux parcours soient proposés.
La décision d'entreprendre une rénovation globale dépend donc des aides financières - nationales, locales et liées aux CEE -, de l'appétence du ménage, de l'accompagnement qui lui est proposé et de l'existence d'un réseau d'entreprises de qualité et de confiance. Or l'artisanat dans le secteur du bâtiment est éparpillé et compte très peu d'entreprises générales accessibles aux petits particuliers. L'accompagnement permet une coordination des différents corps d'état, mais la coordination doit aussi s'organiser en leur sein, au niveau des entreprises, pour que l'offre de rénovation globale soit démultipliée et efficace en temps - rappelons que le logement est occupé le temps des travaux.
Le premier objectif de cette politique publique est la décarbonation. L'année dernière, 60 % des aides de MaPrimeRénov' ont concerné un changement de chauffage et 20 % des travaux d'isolation ; cette dernière proportion progresse, mais reste insuffisante. Idéalement, il faudrait des réseaux organisés au niveau territorial qui se renvoient les ménages pour bien les conseiller. Ainsi, constatant qu'une demande risque de ne pas être performante pour le logement considéré, un artisan devrait pouvoir renvoyer le ménage vers un espace conseil France Rénov'. Créer des liens entre les acteurs : tel est l'objectif que nous visons à travers le réseau France Rénov'. Il s'agit de s'assurer que les professionnels correspondent entre eux et convergent pour offrir au ménage le meilleur parcours possible.
La Défenseure des droits a signalé un certain nombre de situations difficiles : 500 dossiers sur 25 000 décisions hebdomadaires, dont la moitié étaient déjà résolus au moment de l'annonce publique de la Défenseure des droits. Nous sommes en contact avec ses délégués territoriaux et résolvons les dossiers au fur et à mesure.
Pour autant, ces 500 dossiers en difficulté sont 500 dossiers de trop. Nous avons donc mis en place une équipe dédiée, qui, dès qu'il y a signalement, prend en charge le ménage et le replace dans un parcours normalisé, ce qui peut être compliqué - blocage informatique ou incompréhension sur la pièce que nous attendons dans le cadre d'un contrôle renforcé.
Nous avons mis en place plusieurs outils demandés par la Défenseure des droits - qui étaient déjà en cours de réalisation : dossier de régularisation, accès au compte sécurisé par FranceConnect, fonctionnalités pour annuler une demande et demander une prorogation de dossier.
L'ensemble des observations de la Défenseure des droits ont été prises en compte.
S'agissant des avis de dégrèvement, ils n'étaient pas pris en compte dans les fonctionnalités mises à notre disposition par la DGFiP pour vérifier l'identité fiscale du demandeur. Depuis le 1er janvier dernier, grâce à une nouvelle interface de programmation d'application, ces avis sont automatiquement pris en compte, ce qui nous simplifie fortement la tâche. Les avis qui étaient en attente sont régularisés ou en voie de l'être.
Le service public France Rénov', en place depuis le 1er janvier 2022, regroupe les espaces conseil France Rénov' et les équipes de suivi-animation des opérations programmées d'amélioration de l'habitat et des programmes d'intérêt général ; il couvre aujourd'hui 98 % du territoire, au moyen d'espaces fixes ou, dans les secteurs ruraux, déambulants - souvent selon les jours de marché. L'Anah anime ce service public avec le souci de rapprocher deux cultures qui étaient très différentes : rénovation énergétique d'un côté, amélioration de l'habitat de l'autre. Nous voulons que tous les accompagnateurs de terrain travaillent dans cette double logique : la décarbonation comme premier geste, l'amélioration de l'habitat comme objectif principal à terme.
Le nombre de conseillers France Rénov' est passé d'un peu moins de 1 000 en 2019 à plus de 2 200 aujourd'hui ; le nombre d'Opah et de PIG de 700 à 950. L'engagement des collectivités territoriales en faveur des politiques de l'habitat privé a fortement augmenté au cours des trois dernières années.
Je ne pense pas que la complexification vienne de la plateforme France Rénov', qui regroupe les services existants. En revanche, il y a une évolution régulière des aides, pour correspondre de plus en plus aux attentes des ménages. La complexification vient plutôt de là.
Dans les chiffres nationaux, on ne voit qu'une progression des demandes d'aides. Pas d'effondrement, donc, ni sur MaPrimeRénov', ni sur MaPrimeRénov' Sérénité, ni sur MaPrimeRénov' Copropriétés. En revanche, nous sommes très attentifs aux effets de l'inflation, qui renchérit les travaux et pourrait entraîner des questionnements plus profonds chez les ménages avant de s'engager dans une démarche de travaux.
M. Thierry Repentin. - La constitution du réseau France Rénov', entité unique présente sur 98 % du territoire, a fait comprendre à nos concitoyens qu'un service public se mettait en place, d'autant qu'elle s'est accompagnée d'un plan de communication substantiel.
C'est sans doute ce qui explique le succès de notoriété que nous constatons : après un an, 64 % des Français identifient France Rénov', qu'ils associent au produit MaPrimeRénov'. Il est assez remarquable que, en une année, 6,8 millions de nos compatriotes se soient connectés sur la plateforme et que, chaque semaine, 35 000 appels téléphoniques soient reçus.
Il manquait une telle entité spontanément identifiable. Nous engageons une nouvelle campagne de communication pour conforter ce progrès.
Autre chiffre éloquent : plus de 50 % des personnes qui poussent la porte de France Rénov' avec un projet en ressortent avec un projet différent. L'accompagnement permet ainsi d'amener les ménages à s'interroger sur ce qui est réellement pertinent.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Pourriez-vous dresser un bilan de MaPrimeRénov' Copropriétés ?
Mme Valérie Mancret-Taylor. - En 2020, 7 000 logements ont bénéficié de MaPrimeRénov' Copropriétés ; ils étaient 12 000 en 2021 et 25 000 en 2022. Il y a donc eu doublement chaque année.
Au début, les demandes émanaient surtout de copropriétés dites fragiles. Depuis 2022, la moitié des demandes proviennent de copropriétés saines.
L'aide a fortement évolué au 1er janvier dernier : le plafond de travaux a été rehaussé de 15 000 à 25 000 euros et les primes aux ménages modestes et très modestes ont été doublées, de 750 à 1 500 euros et de 1 500 à 3 000 euros. Les quatre premiers déciles de la population bénéficient ainsi d'un soutien supplémentaire, dans le cadre d'un dispositif qui, je le rappelle, concerne tous les copropriétaires.
Au cours du premier trimestre, nous avons constaté un quasi-doublement du nombre de comptes créés par rapport à la même période l'année dernière - mais il ne s'agit pas, à ce stade, de demandes de subventions, celles-ci se produisant en général au début de l'été et surtout à l'automne, après les assemblées générales.
Même si notre règlementation évolue, la subvention notifiée au conseil syndical reste inchangée - elle ne peut varier que si le programme de travaux évolue. C'est un facteur de sécurisation des collectifs de copropriétaires et un grand changement par rapport au crédit d'impôt, qui pouvait évoluer et dépendait de la situation de chaque ménage.
Enfin, seules des rénovations globales sont soutenues dans ce cadre : elles incluent des travaux dans les parties communes, une amélioration de l'isolation, une transformation du système de chauffage collectif et, souvent, une ventilation. Lorsque le chauffage est individuel, MaPrimeRénov' Copropriétés est combinée avec des aides par ménage.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Avez-vous des données géographiques permettant de voir si certains territoires sont plus allants que d'autres ? Si oui, pour quelles raisons, d'après vous, certains sont-ils plus engagés ?
Mme Valérie Mancret-Taylor. - Nous disposons de données géographiques, mais je ne suis pas sûre qu'elles soient très parlantes. En revanche, il apparaît que, dans les zones urbaines où les collectivités territoriales se sont engagées dans des opérations programmées d'amélioration de l'habitat tournées vers les copropriétés, l'effet de levier associé est important. Ces territoires assurent la plus grande partie de la dynamique observée.
M. Thierry Repentin. - J'insiste : il s'agit de rénovations globales - avec, donc, un gain énergétique d'au moins 35 % à la clé.
Lorsque la collectivité territoriale participe, l'effet est réel, d'autant que, dans ce cas, l'Anah majore ses propres subventions. C'est parfois ce qui provoque le déclic dans les assemblées générales de copropriétaires.
Pour 2023, nous avons anticipé plus de 40 000 logements ; cet objectif sera probablement dépassé, compte tenu de la prise de conscience environnementale, de la hausse des prix de l'énergie, qui contribue aux prises de décision, des mesures votées par le Parlement pour interdire la location puis la vente de logements ne remplissant plus des critères énergétiques et de la sortie de la période covid, préjudiciable aux prises de décision dans les copropriétés.
Audition de
M. Olivier Sichel,
directeur général
délégué de la Caisse des dépôts et
consignations (CDC)
(Lundi 27 mars 2023)
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous poursuivons nos travaux par l'audition de M. Olivier Sichel, directeur général délégué de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), accompagné de M. Pierre Laurent, responsable du département développement à la direction des prêts de la Banque des territoires.
Monsieur Sichel, vous êtes depuis 2020 directeur général délégué de la CDC. Vous êtes également directeur de la Banque des territoires, qui regroupe les offres de la CDC et de ses filiales au service des territoires.
En décembre 2020, le ministre de l'économie et des finances Bruno Le Maire et la ministre du logement Emmanuelle Wargon - que nous avons auditionnée - vous ont confié une mission visant à proposer des solutions concrètes permettant l'émergence d'offres adaptées à la massification de la rénovation ambitieuse des passoires énergétiques, en particulier celles qui sont occupées par des propriétaires modestes, que ce soit en maison individuelle ou en copropriété.
Cette mission a débouché sur la publication en mars 2021 d'un rapport, dont certaines préconisations ont été intégrées à la loi de 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets. Votre audition doit nous permettre de mieux comprendre les conclusions de votre rapport ainsi que les conditions de leur mise en oeuvre.
La recommandation phare de votre mission est la création de Mon Accompagnateur Rénov', effective au 1er janvier 2023. Vous avez proposé d'ouvrir l'agrément d'accompagnateur à des acteurs privés à but lucratif. Cette proposition, reprise par le Gouvernement, a pu faire débat, notamment au sein du secteur privé à but non lucratif, en raison de craintes pour l'indépendance et la neutralité du conseil en rénovation énergétique et, pour tout dire, de l'écodélinquance dont souffre le secteur de manière récurrente. Pourquoi avoir fait ce choix ? Quelles sont les solutions pour ramener la confiance ? Par ailleurs, comment jugez-vous le déploiement de ce dispositif ?
Votre rapport proposait également, comme solution de financement, non pas le développement du tiers financement, que vous jugiez trop complexe si mon souvenir de votre audition de l'époque est juste, mais la création d'un prêt hypothécaire, qui a été introduit dans la loi. Où en sommes-nous de la distribution de ce prêt ? Quelles sont les banques impliquées ? Quels sont les ménages bénéficiaires ? Combien sont-ils ? Pour quels types de travaux ?
Je voudrais aussi vous entendre sur les actions de financement, par la CDC, de la rénovation énergétique, plus particulièrement du logement social. Quels sont selon vous les enjeux dans ce secteur au regard de la santé financière des opérateurs ? Quelle est votre approche sur la proposition de seconde vie des bâtiments par l'Union sociale pour l'habitat ?
Enfin, la rénovation est aussi une question de politique industrielle et de construction d'une filière économique. Quelle est la vision de la CDC en la matière ? Comment s'engage-t-elle pour relever ce défi ?
Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions par un propos introductif d'une vingtaine de minutes, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu en sera publié.
Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Olivier Sichel et Pierre Laurent prêtent serment.
M. Olivier Sichel, directeur général délégué de la Caisse des dépôts et consignations (CDC). - Je suis heureux de m'exprimer aujourd'hui devant votre commission. Vous vous en souvenez peut-être, nous avons déjà eu l'occasion d'échanger lors de débats législatifs antérieurs. Il est très gratifiant de pouvoir donner suite à mon rapport, dont les préconisations ont été mises en oeuvre assez rapidement, et de manière efficace.
Que font la CDC et la Banque des territoires pour la rénovation thermique ? Même si la mission portait sur les logements privés, ce secteur ne fait pas partie des mandats confiés à la CDC - comme vous le savez du reste, puisque deux sénateurs siègent à la commission de surveillance. Pour autant, la CDC a depuis des années en charge la rénovation, notamment thermique, du logement social. Notre activité en la matière est un succès, à en juger par l'état du parc du logement social par rapport à celui du parc privé : le premier est très en avance. Il est vrai que les bailleurs sociaux sont des professionnels de l'immobilier : leurs équipes savent prendre en charge un parc immobilier, un patrimoine, et l'entretenir.
Depuis 2009, la CDC a réalisé 500 000 réhabilitations de logements sociaux en mobilisant 20 milliards d'euros, essentiellement par le fonds d'épargne, c'est-à-dire le livret A. Je parle ici des opérations qui ont réalisé un gain énergétique d'au moins 40 %, ou permis d'obtenir au moins un classement en étiquette D.
La CDC, qui s'est engagée très résolument vers la transition écologique depuis le nouveau mandat du directeur général Éric Lombard, agit pour la rénovation thermique des logements sociaux, mais aussi des bâtiments publics que sont les écoles, les bâtiments communaux, les collèges et les lycées. En cinq ans, nous avons rénové un million de mètres carrés de bâtiments publics.
Pour atteindre ces objectifs, nous essayons d'être aussi innovants que possible. Ayant auparavant travaillé dans le secteur du digital, j'avais plaidé pour la mise en place d'une plateforme. Nous nous efforçons de mobiliser l'innovation numérique pour favoriser la rénovation thermique. Par exemple, nous avons mis gratuitement Prioréno à la disposition des collectivités locales. Cet outil collecte en temps réel toutes les consommations d'électricité et de gaz, chez Enedis et GRDF, pour aider les élus à prioriser les rénovations. Il a remporté un grand succès, puisque plus d'un millier de collectivités locales l'utilisent.
Comme vous l'avez rappelé, madame la présidente, la première des recommandations du rapport était de mettre en place un accompagnement des ménages. Nous avions constaté combien ceux-ci étaient démunis, en effet, ce qui est la porte ouverte à tous les abus et à l'écodélinquance. J'ai considéré que, pour des politiques de rénovation relativement coûteuses - 3 milliards d'euros environ -, l'accompagnement financier devait être pris en charge par la puissance publique, à hauteur de 10 %. Comme il doit respecter un standard national, quel que soit le point du territoire - outre-mer, en milieu rural, métropolitain, en quartier ou en milieu montagnard -, cet accompagnement doit être pris en charge par l'État.
Sur le fond de l'aide, c'est-à-dire la rénovation elle-même, les collectivités territoriales pouvaient avoir toute liberté. Très légitimement en effet, selon leur mandat, leur politique et leur programme, les élus ont des objectifs différents. Je me souviens d'une discussion avec Pia Imbs, présidente de l'Eurométropole de Strasbourg, qui souhaitait favoriser les matériaux biosourcés, par exemple, ou d'un échange avec Patrick Vergriete, maire de Dunkerque, qui souhaitait faire surtout des rénovations de quartier. Chacun avait son programme. Si l'État prenait en charge 10 % du financement, je pensais que les 90 % restants devraient être laissés à la libre disposition de chaque collectivité locale pour orienter les politiques, non pas sur le conseil, mais sur le fond de la rénovation et l'essentiel de l'aide.
Mon rapport évaluait ce marché à 300 millions d'euros environ. J'ai pensé qu'il fallait l'ouvrir autant que possible à des prestataires, mais agréés et contrôlés par l'État. J'ai donc été étonné de voir émerger la problématique du conflit d'intérêts : il est assez facile de faire contrôler les prestations a posteriori par les services de l'État, qui donnent leur agrément et, de plus, rémunèrent. On a dit que, si EDF entrait sur ce marché, seule l'électricité serait priorisée - ou seul le gaz si c'était Engie. Il me semble pourtant que ce serait assez facile à contrôler : si 99 % des rénovations étaient faites en utilisant du gaz, il serait facile de le détecter et de corriger le problème. Plutôt que de faire un procès d'intention, donc, il m'a semblé plus intéressant d'ouvrir le plus largement possible le métier d'accompagnateur de rénovation, car les besoins sont considérables.
Ma première proposition était donc de généraliser Mon Accompagnateur Rénov' et de le rendre obligatoire, ce qui a été fait depuis le 1er janvier.
Cette mesure a pour but d'accompagner les ménages dans trois domaines critiques.
La phase du diagnostic, d'abord, pour comprendre ce qu'il faut faire pour rénover et trancher entre les avis divergents. Les ménages sont souvent perdus, en effet : par exemple, faut-il changer le système de chauffage, comme proposé par un chauffagiste, ou refaire d'abord l'isolation ? Ils ont besoin de pouvoir s'appuyer sur un conseiller fiable et indépendant.
Le plan de financement, ensuite. Beaucoup d'aides existent. Nous aurions pu préconiser de simplifier tout le dispositif de financement. Mais chacun veut aider, et l'existence d'une multitude d'aides est une bonne chose. Il faut simplement que cette complexité soit prise en charge par une instance capable de faire un plan de financement après recensement des aides.
Les modèles de tiers financement, recommandés notamment par France Stratégie, reposaient sur l'idée qu'il existerait une espèce de martingale : que les économies d'énergie obtenues financent les travaux. Nous n'avons pas trouvé cette martingale. Certes, les rénovations permettent de faire baisser la facture en diminuant la consommation. Mais la crise actuelle a bien montré que le prix du kilowattheure n'est pas fixe. Vous pouvez réaliser 20 % d'économies, si le prix de l'énergie augmente de 20 %, cela ne suffira pas à compenser le coût des travaux. De plus, les comportements changent : il suffit de s'équiper d'une voiture électrique, ce qui n'a rien à voir avec la rénovation thermique, pour que la facture d'électricité augmente. Ces modèles de tiers financement ne m'ont donc pas convaincu. Ils sont adaptés à certains cas, comme des copropriétés, ou à des systèmes où les performances peuvent être encadrées par des contrats de performance énergétique, mais ils ne peuvent pas répondre à la problématique majoritaire, qui est la rénovation de la maison individuelle.
Troisième mission : accompagner durant la phase des travaux, souvent angoissante. Où en est le prêt avance rénovation ? Seuls la Banque postale et le Crédit Mutuel le distribuent. Et seuls quelques dizaines de prêts ont été signés. J'ai interrogé les réseaux bancaires, qui m'ont signalé un blocage que je n'avais pas vu : il est conçu pour des ménages âgés, qui n'ont plus accès au crédit, mais pour une rénovation globale, qui implique de déménager pendant la période de travaux. Or, même si la solution de financement existe, il peut être angoissant de déménager pendant les travaux. Bien souvent, les ménages, passé un certain âge, se résignent à ne pas faire la rénovation. Nous devrions donc prévoir aussi un accompagnement à l'hébergement temporaire durant la durée des travaux.
Il faut envisager deux éléments de structuration de la filière. D'abord, la formation à Mon Accompagnateur Rénov' et à ces métiers. La Banque des territoires y participe et finance quelques écoles de rénovation, notamment l'École de la rénovation énergétique à Bordeaux, initiée par Thomas Cazenave, dont on connaît l'engagement sur ces sujets. Je pense que c'est extrêmement important, car ce sont des métiers techniques, dans lesquels il y aura beaucoup de besoins. Puis, le développement de la filière industrielle. Paradoxalement, nous avons de grands acteurs dans les matériaux de rénovation, comme Saint-Gobain, mais pas dans les métiers en proximité de l'usager, où nous sommes plutôt dans le monde de l'artisanat.
Enfin, je termine par votre question sur la seconde vie. Nous soutenons cette initiative et le Gouvernement a autorisé une expérimentation sur 900 logements, en donnant une aide de 16 000 euros par logement, qui transitera par le Fonds national des aides à la pierre (Fnap). Notre pays connaît actuellement une vraie carence dans la construction de logements. Tous les indicateurs sont au rouge. Donner une seconde vie au bâtiment permet de construire des logements sans artificialiser. C'est une idée très prometteuse.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Monsieur le directeur général délégué, je vous remercie pour vos explications et le balayage du sujet. En matière d'accompagnement à la rénovation, les collectivités locales ne sont-elles pas incitées à se désengager ? Les dispositifs existants peuvent être très différents selon les territoires, mais ils avaient le mérite d'exister. Avec Mon Accompagnateur Rénov', l'intervention de l'État peut conduire à un désengagement des collectivités. Vous aviez parlé d'un guichet unique. Pourquoi cette proposition n'a-t-elle pas été retenue ? Julien Denormandie y était opposé, considérant que cela n'empêcherait pas l'existence de dispositifs différents mis en place par les collectivités territoriales.
Vous évoquez dans votre rapport le risque de zones blanches, où l'on ne trouverait pas d'accompagnateur. Est-ce un problème aujourd'hui, ou bien le déploiement de ce dispositif se fait-il de manière égale sur l'ensemble du territoire ?
La neutralité et l'indépendance des conseillers soulèvent aussi des questions dans ce dispositif. Une confiance totale est indispensable. Constate-t-on qu'elle s'établit sur le terrain ?
M. Olivier Sichel. - Vous parlez des collectivités locales. À la page 17 du rapport, je propose que, « sur la base du cahier des charges d'agrément, il soit procédé à une consultation nationale et locale ». Mon idée était que l'accompagnateur étant agréé par l'État, il devait passer une convention avec la collectivité locale où il opère.
Concrètement, un architecte, un bureau d'études, une filiale d'Engie, s'il répond au cahier des charges de l'État, peut devenir Accompagnateur Rénov'. Il devrait alors se présenter à la collectivité locale et passer avec celle-ci une convention afin que son action s'articule bien avec les dispositifs existants. L'accompagnement est pris en charge par l'État de manière uniforme dans toutes les collectivités locales mais, pour les travaux, il faut avoir cette discussion avec la maison de l'Habitat. À Amiens, par exemple, nous venons de financer le réseau de chauffage urbain. Si la collectivité territoriale peut recommander un raccordement au réseau de chauffage urbain, nous pouvons nous mettre d'accord sur une subvention. Autre exemple, s'il existe une école de la rénovation énergétique, la collectivité territoriale peut souhaiter qu'interviennent surtout les entreprises du quartier.
L'accompagnement, en tous cas, doit être républicain et équilibré pour tout le monde. Les aides, elles, doivent être modulées localement pour tenir compte des réalités territoriales : la rénovation énergétique n'est pas la même en Martinique et en Savoie. D'ailleurs, il y a de la place pour tous les acteurs : nous parlons de plusieurs milliards d'euros d'aides et de subventions...
Sur la plateforme, par rapport aux montants engagés, nous ne disposons que de peu de données de pilotage. Nous avons les montants accordés sous forme de MaPrimeRénov', le nombre de rénovations effectuées, mais nous ne savons pas combien de tonnes de CO2 ont été évitées ni de combien la facture du ménage s'est réduite. Il serait pourtant utile de centraliser l'information, pour un meilleur pilotage.
C'est l'Agence nationale de l'habitat (Anah) qui était chargée de cette mission. Elle a informatisé en priorité le dispositif MaPrimeRénov'. Même ainsi, les délais d'instruction sont longs, et beaucoup de dossiers sont en attente de paiement. Ce n'est pas anormal, l'Agence a été complètement submergée par un afflux considérable de demandes, et je salue la capacité de montée en charge dont elle a fait preuve, sans que cela occasionne de problème de sécurité : il n'y a pas eu de détournement, contrairement à d'autres dispositifs.
Pour autant, le projet de plateforme n'est pas abandonné.
Mon rapport s'accompagnait d'un petit film qui expliquait comment les choses se passeraient dans un monde idéal. Nous partions d'un usager. Celui-ci appelait son Accompagnateur Rénov', qui lui posait un certain nombre de questions pour dégrossir le sujet : combien de mètres carrés ? Quelle facture énergétique ? Est-il propriétaire ou bailleur ? Rendez-vous était pris, et l'Accompagnateur Rénov' venait réaliser un diagnostic à domicile. Ce diagnostic était communiqué sur la plateforme et, suivant la recommandation du rapport, deux propositions étaient faites : une pour atteindre le niveau BBC (bâtiment basse consommation) et une autre plus modeste. Un plan de financement était également proposé, interconnecté avec les grands financeurs, notamment l'Anah, afin d'éviter les blocages liés au préfinancement de l'entrepreneur. Enfin, un modèle de suivi de la consommation était élaboré. Cette vision était assez ambitieuse, et correspondait plutôt à de la prospective pour 2030 qu'à une mise en oeuvre immédiate.
J'ignore s'il y a des zones blanches dans la couverture. Nous avons déjà 2 100 conseillers et 450 espaces France Rénov' recensés.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous avons auditionné tous les ministres qui, depuis 2012, ont été en charge de la transition écologique ou du logement. Mme Wargon a souligné que Mon Accompagnateur Rénov' proposait surtout un accompagnement technique, et indiqué qu'il était important d'avoir aussi un accompagnement social, à destination des ménages les plus précaires. Qu'en pensez-vous ?
Mme Pompili a fait état d'un déficit de communication. Mon Accompagnateur Rénov' serait difficilement repérable sur le site internet. Est-ce exact ?
M. Olivier Sichel. - Mme Wargon a raison, comme le montre le bilan décevant du prêt avance rénovation. Celui-ci a pour cible les ménages âgés, car 62 % des passoires thermiques sont occupées par des ménages de plus de 60 ans. C'est un âge où l'on n'a plus accès au crédit, mais où la maison est remboursée.
J'ai pris le sujet - comme trop souvent dans la rénovation thermique - sous l'angle financier. Quels financements ? Dans la réalité, les gens vous disent que, même avec un prêt, même s'il ne faut payer que les intérêts, le problème est ailleurs : manque de confiance dans les travaux, refus de déménager pendant quelques mois... Sur ce point, ce qui est valable pour les personnes âgées l'est aussi pour les personnes les plus démunies et les plus fragiles. Il y a donc vraiment un volet social.
C'est une chose qu'on maîtrise très bien dans le logement social, où la rénovation s'accompagne d'un fort accompagnement social. Par exemple, dans la tour Cézanne à Arras, située dans un quartier défavorisé, vivent une centaine de ménages. Nous y avons fait un magnifique projet de rénovation par l'extérieur, qui étend de quelque 11 mètres carrés chacun des logements. Frédéric Leturque m'a dit qu'il y a eu six mois de consultations, et un travail avec chacun des locataires. Certains, assez âgés, n'avaient qu'une préoccupation : comment cela va-t-il se passer pendant les travaux ? Pour une rénovation devant durer plus de deux ans, il faut communiquer, prendre le temps d'écouter, de construire un consensus. Il faut rassurer, aussi, sur le fait qu'il n'y aura pas d'augmentation des loyers, et démontrer que les économies d'énergie seront bien au rendez-vous. Cet accompagnement, on ne sait pas le faire dans le parc privé.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Je reviens sur la question des filières industrielles en matière de rénovation énergétique et sur la manière dont la Caisse des dépôts et consignations intervient. Certains matériaux viennent à manquer pour réaliser les travaux de rénovation énergétique. La question de la formation des entreprises se pose également. Quid des matériaux biosourcés (paille, chanvre, bois...) ? Leur utilisation est encore largement insuffisante, alors que l'on mesure bien l'intérêt qu'il y a à les développer à l'échelon local. Cela implique un travail substantiel de mise en place. Y accordez-vous une importance particulière ?
Tout à l'heure, vous avez parlé des opérateurs ensembliers et indiqué que l'idée de France Stratégie n'était pas forcément la meilleure, puisque le principe est de se rembourser sur l'économie d'énergie. Or cela a deux limites, à savoir l'augmentation des prix de l'énergie et le passage à des comportements différents une fois que le logement est isolé.
Des citoyens ont formulé la proposition suivante : pour véritablement avancer en matière de rénovation thermique, il faut en passer par l'obligation de réaliser les travaux nécessaires, mais cela signifie une prise en charge totale, c'est-à-dire un reste à charge zéro. Cela suppose par conséquent la mise en place d'un fonds national de la rénovation, qui attribuerait des prêts pour réaliser les travaux, lesquels seraient remboursés via une hypothèque sur l'habitation - le prêt serait remboursé à la cession du logement ou au bout de trente ans, si le logement n'est pas cédé. Quel est votre avis sur un tel montage ?
M. Olivier Sichel. - De nouveau, je pense qu'il ne faut pas appréhender ce sujet uniquement via le prisme financier.
Je prendrai l'exemple de la rénovation des bâtiments publics, qui sont à la charge des collectivités locales - les lycées pour les régions, les collèges pour les départements, les écoles pour les communes. L'argent ne manque pas, puisque c'est le livret A qui finance ; la durée ne manque pas, puisque nous pouvons prêter sur vingt, trente ou quarante, voire cinquante ans. Nous avons des dispositifs dits d'intracting qui nous permettent d'identifier les économies d'énergie dans le budget. Pour autant, le parc public est très en retard. Pourquoi ? Quand je discute avec les élus, je m'aperçois que le problème n'est pas tellement d'ordre financier : c'est la conduite de projets qui est assez lourde. En effet, il faut avoir une connaissance du patrimoine, passer des appels d'offres avec parfois des contraintes sur l'emploi - on sait bien que l'offre des entreprises n'est pas suffisante. Les interlocuteurs sont assez « purs », dans la mesure où ils savent très bien faire : ils connaissent le budget pour la rénovation thermique et le montant de la dépense d'énergie.
Quand il s'agit des logements, on est dans le diffus. Un fonds est un dispositif où l'on imagine se retrouver grâce aux économies d'énergie sur une longue durée - on sait bien que les amortissements dureront quinze ou vingt ans. Pour autant, il faut aller au bout de la démarche et je l'ai fait avec les équipes de France Stratégie : cela suppose de s'assurer de l'engagement du ménage à avoir le même comportement pendant toute la durée du prêt. Ainsi, il faut que M. et Mme Sichel, dont les travaux de rénovation s'élèvent à 80 000 euros, s'engagent à avoir la même facture énergétique chez Engie, c'est-à-dire le même type de consommation pendant les vingt prochaines années. On dit que ce sera garanti par Engie et EDF, mais cela dépend du prix du kilowattheure ! Pensez-vous qu'Engie et EDF ont été en mesure de contrôler le prix du kilowattheure ces deux dernières années ?
Si la construction intellectuelle de ce dispositif est attractive et intéressante, sa mise en oeuvre opérationnelle me paraît difficile et je n'imagine pas non plus de fonds capable d'encaisser les variations du prix de l'énergie. Dans le rapport que nous avons rédigé, nous avions déjà écarté ces scénarios-là avant de connaître l'explosion des tarifs de l'énergie. Cela ne me semble donc pas répondre à la problématique.
J'en viens à la filière. Chaque fois qu'on le peut, on est dans l'encadrement des filières. Maisons & Cités assure la gestion de 65 000 logements du bassin minier du Nord. Ce patrimoine ayant été classé par l'Unesco, les rénovations ne peuvent se faire que par l'intérieur, elles sont donc coûteuses : alors qu'une rénovation thermique coûte 40 000 euros, elle est ici estimée entre 80 000 et 120 000 euros. Vous imaginez le montant du fonds qu'il faut créer pour amortir une telle somme par l'économie d'énergie.
L'une des démarches de structuration de la filière - par exemple, le chanvre -, qui n'a pas donné tous ses succès parce qu'elle est tombée en plein dans la crise inflationniste et de l'énergie, est celle d'EnergieSprong, qui vient des Pays-Bas. C'est une approche de massification de la commande pour atteindre l'objectif d'un bâtiment à un niveau zéro énergie, en baissant les coûts de la rénovation et en étant systématiquement en recherche d'une consommation nulle.
Avec l'Union sociale pour l'habitat des Pays de la Loire,
on a regroupé une dizaine de bailleurs sociaux en leur demandant de
classer les différents logements par type
- logements
éclatés, logements des années 70, passoires
thermiques -, de façon à passer des appels d'offres
massifiés et ne pas faire de la rénovation immeuble par immeuble
en recourant à un artisan. Il s'agit au contraire de passer des
marchés de 500 logements à rénover qui ont tous les
mêmes caractéristiques, pour essayer de structurer une
filière qui fera de la fabrication hors site, après avoir pris
les métrés et qui les posera ensuite de façon
industrielle. Ainsi, au lieu de commander 20 pompes à chaleur, on
en commande 400 du même type, ce qui a des effets de structuration
et de massification de la filière. La démarche a bien
fonctionné : on a eu des appels d'offres et plusieurs logements y
ont participé - malheureusement pas à la hauteur de ce que
l'on attendait, parce que la filière a été très
touchée par l'augmentation des coûts de construction et par
l'inflation.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Le dispositif Mon Accompagnateur Rénov' est encore tout récent, il a été mis en place au 1er janvier 2023. Malgré le peu de recul dont vous disposez, vous semble-t-il conforme à ce que vous préconisiez ? La dotation budgétaire vous semble-t-elle suffisante ?
M. Olivier Sichel. - Franchement, je n'ai pas pu suivre l'évolution des dotations budgétaires - c'est de la responsabilité du Gouvernement -, mais j'ai été invité par l'Anah au congrès de tous les Accompagnateurs Rénov'. J'ai été frappé du très fort engagement de la profession, qui est très animée d'une mission d'intérêt général et de service public et qui était plutôt submergée par la tâche en demandant à être en plus grand nombre pour répondre aux besoins des clients. Elle était plutôt en faveur des recommandations que j'avais formulées : il faut vraiment un accompagnement du ménage dans le temps pour être efficace.
Il en est ressorti que l'efficacité dans la rénovation énergétique ne pouvait se faire uniquement par le monogeste - isoler ses fenêtres, changer sa chaudière... - sans appréhender le problème globalement pour obtenir une véritable performance dans la rénovation énergétique du logement. Ils privilégiaient beaucoup la rénovation énergétique globale, laquelle ne peut se faire qu'avec un accompagnement global d'intervenants qui ont le niveau et l'expertise nécessaires pour le faire.
M. Pierre Laurent, responsable du département développement à la direction des prêts de la Banque des territoires. - Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2023, les ambitions et les moyens de MaPrimeRénov' ont été revisités à la hausse, avec un budget de près de 2,5 milliards d'euros, soit une croissance de 25 %. On peut donc se féliciter des efforts consentis en faveur de ce dispositif.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Dans le rapport, vous évoquez des contrôles plus complets sur les travaux de rénovation thermique. L'Anah, que nous avons auditionnée, indiquait que seuls 10 % des contrôles avaient lieu sur site, la plupart se faisant sur dossier, à partir des devis.
Je souhaite avoir votre avis à ce propos, car on peut s'interroger. On accorde aux entreprises le label RGE (reconnu garant environnement) et l'on estime par conséquent que les travaux réalisés seront corrects. Pourtant, on pourrait inverser les choses, sur le modèle de ce qui se passe pour l'assainissement, à savoir procéder à un contrôle systématique de la réalisation des travaux en fin de chantier qui déclenchera le versement de l'aide. On constate qu'en termes de qualité et d'objectifs à atteindre certaines rénovations laissent à désirer.
M. Olivier Sichel. - Dans le film dont j'ai déjà parlé, se rendre sur place et s'assurer que tout a été fait conformément à ce qui était prévu faisait partie du rôle de Mon Accompagnateur Rénov'. C'était également une aide pour le ménage, qui pouvait s'appuyer sur un spécialiste, lequel confirmait que l'isolation avait été bien faite, que la chaudière était conforme, et pouvait dénoncer les éventuelles malfaçons. Pour ce qui est du contrôle de Mon Accompagnateur Rénov', je pensais qu'en cas de dérive ce serait le ménage lui-même qui signalerait à l'Anah que celui-ci n'avait pas donné satisfaction ou qu'il avait été malhonnête.
Pour ma part, j'étais favorable à ce qu'une visite systématique de Mon Accompagnateur Rénov' ait lieu à la fin des travaux du dispositif.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Messieurs, je vous remercie.
Audition de
M. Boris Ravignon, président et de M. José
Caire,
directeur villes et territoires durables
de l'Agence de la
transition écologique (Ademe)
(Lundi 27 mars 2023)
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Après l'Agence nationale de l'habitat (Anah) et la Caisse des dépôts et consignations, nous recevons M. Boris Ravignon, président, et M. José Caire, directeur villes et territoires durables de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe).
Monsieur le président, vous exercez depuis décembre 2022 la présidence de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, établissement public industriel et commercial participant à la construction des politiques nationales et locales de transition écologique. Vous êtes également maire de Charleville-Mézières et président d'Ardenne Métropole depuis 2014 et vous étiez, jusqu'à votre nomination à l'Ademe, vice-président de la région Grand Est.
Votre audition doit nous permettre de mieux comprendre les missions, les objectifs et le bilan de l'Ademe en tant qu'acteur de la politique de rénovation énergétique des bâtiments : est-elle suffisamment associée aux politiques de rénovation énergétique ? Le partage des responsabilités avec l'Anah vous semble-t-il suffisamment clair ou doit-il encore évoluer ?
Cette audition doit aussi nous permettre d'examiner les préconisations effectuées par votre agence dans différents rapports au titre de sa mission d'animation de la recherche dans le domaine de la transition écologique.
Votre agence a ainsi publié en janvier 2021 un rapport sur la rénovation performante détaillant les inconvénients d'une rénovation partielle pour la performance énergétique des bâtiments, mais aussi pour le confort de l'habitant. Deux ans après, le Gouvernement a-t-il pris en compte les conclusions dudit rapport ? Les politiques publiques de rénovation énergétique favorisent-elles suffisamment les rénovations globales ? Le dispositif Mon Accompagnateur Rénov' permettra-t-il, selon vous, d'encourager les ménages à généraliser les rénovations globales ? À cet égard, certains ont plaidé devant nous pour un guichet unique, d'autres pour préserver la diversité des accueils, mais unifier le back office en ayant un dossier et une offre uniques pour les ménages. Qu'en pensez-vous ?
Par ailleurs, avec votre regard d'élu local, comment percevez-vous ce dispositif d'accompagnement et l'association des collectivités à la rénovation énergétique ? Avec votre expérience de maire, de président de communauté d'agglomération et d'élu régional, quel est selon vous le meilleur niveau d'intervention ?
Plus récemment, en 2022, l'Ademe a publié un rapport sur le financement de la rénovation énergétique performante des logements. Vous y faites de très nombreuses propositions pour les logements individuels et pour les copropriétés, afin de répondre au déficit de financement actuel. Pourriez-vous nous indiquer les propositions qui vous semblent les plus urgentes pour améliorer le financement des travaux de rénovation ?
Cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et un compte rendu sera publié. Un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Boris Ravignon, président, et M. José Caire, directeur villes et territoires durables de l'Agence de la transition écologique, prêtent serment.
M. Boris Ravignon, président de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie. - Je vous remercie de cette invitation, qui me permet d'évoquer un sujet fondamental pour l'atteinte du grand objectif de la neutralité carbone à l'horizon 2050.
L'Ademe mène des politiques de soutien et d'accompagnement, mais elle se prête aussi, depuis de nombreuses années, à un exercice de prospective pour éclairer le débat public, notamment au Parlement, sur les trajectoires permettant de remplir notre engagement. Nous avons construit plusieurs scénarios fondés sur différentes solutions, mais tous consacrent le rôle central de la rénovation énergétique des logements et des bâtiments tertiaires.
Pour remplir nos objectifs, il faudrait que soient menées 700 000 rénovations de logements de niveau BBC (bâtiment basse consommation) par an - ce label équivaut à une consommation de 80 kilowattheures par mètre carré et par an, contre une consommation moyenne des logements de 200 kilowattheures actuellement, peut-être plus. Il reste donc du chemin à parcourir : il n'y a aujourd'hui que 40 000 à 60 000 rénovations BBC par an. Un doute subsiste sur le nombre exact, car certaines rénovations remplissent les critères, mais les propriétaires ne demandent pas le label.
Nous avons besoin d'aligner l'ensemble des instruments de politique publique sur la performance BBC. C'est central pour les équipes de l'Ademe. Un rythme de 700 000 rénovations BBC par an permettrait d'avoir, en 2050, 90 % du parc de logement à ce niveau de performance énergétique.
Pour y parvenir, il faut un accompagnement. Depuis quelques années, les politiques publiques ont évolué sur ce point. L'accompagnement n'était pas considéré comme une politique publique. Certains - collectivités et administration - en faisaient sans le dire, mais l'idée d'un service public de l'accompagnement n'est apparue que récemment.
M. José Caire, directeur villes et territoires durables de l'Ademe. - La première apparition du terme date de 2015, mais la mise en oeuvre est postérieure.
M. Boris Ravignon. - La mise en place de ce service public de l'accompagnement à la rénovation énergétique a été une vraie avancée. Le financement ne suffit pas, il faut aussi aider les ménages. Nous reparlerons peut-être du bon quantum entre aide publique et financement privé, qui est encore en débat. Il faut un accompagnement pour faire passer le message qu'un geste unique ne suffit pas et qu'il faut les cumuler pour obtenir une vraie performance énergétique.
Les aides financières sont utiles, mais elles ne sont pas le seul outil. MaPrimRenov', les certificats d'économies d'énergie (CEE) devraient être plus tournés vers la performance. Mais n'oublions pas l'outil réglementaire : interdire à la location les logements classés F ou G est utile pour provoquer la rénovation des logements les plus énergivores.
Près de 20 milliards d'euros sont dépensés chaque année pour des travaux de rénovation, souvent pour plus de confort ou pour une mise au goût du jour : il faudrait doubler ce montant et l'orienter vers la rénovation thermique BBC.
Nous devons penser collectivement cette politique pour ce qu'elle est : le chantier du siècle. L'expression ne me semble pas galvaudée. Les conséquences économiques sont très importantes. En amont, il faut de nouvelles entreprises, l'apparition de nouveaux métiers... Je pense à des ensembliers capables de faire réaliser les travaux avec le niveau de performance attendu, de les financer et de s'engager sur l'atteinte de la performance. Cela existe très peu dans le secteur de la rénovation des logements pour les particuliers.
Nous avons besoin de former plus d'artisans et de compagnons du bâtiment à ces gestes. Des filières doivent émerger dans les savoir-faire et dans les matériaux, qu'il s'agisse de nouveaux matériaux ou de plus anciens qui sont redécouverts - ceux que la bioéconomie peut fournir. La politique de rénovation énergétique doit être soutenue par une filière qui reste encore à structurer.
Quel doit être le rôle de l'Ademe ? Éclairer l'avenir pour que la représentation nationale puisse faire ses choix de planification écologique. Nous considérons, par exemple, que nous n'avons pas encore trouvé les bons produits financiers.
Plus concrètement, l'Ademe doit concevoir le service d'aide à la rénovation énergétique. Une transition a lieu avec l'Anah sur ce sujet, sans oublier les collectivités. L'Ademe tient la compatibilité des rénovations des bâtiments tertiaires avec l'observatoire de la performance énergétique de la rénovation et des actions du tertiaire (Operat) et apporte une expertise auprès des collectivités locales.
L'Ademe est-elle suffisamment associée ? Nous sommes au coeur des réflexions ; sur l'aide à la rénovation énergétique, nous sommes en liaison constante avec l'Anah ; nous sommes consultés sur le diagnostic de performance énergétique (DPE) et la labellisation des travaux, par exemple. Nos travaux sur le financement sont lus avec intérêt par l'administration centrale. Notre expertise est au service de l'État, qui s'en saisit.
Nous avons beaucoup insisté en 2021 sur le fait qu'une rénovation performante résultait de la combinaison de plusieurs gestes. Rénover n'est pas sans inconvénient pour les occupants ; c'est ce qui explique qu'il y ait peu d'occasions de faire des rénovations complètes. Les mutations sont sans doute le moment propice autour duquel il faudrait concentrer notre approche. Faut-il passer par l'incitation ou l'obligation ? Peut-être faut-il privilégier l'incitation, puis après un certain temps, l'obligation... Mais il est difficile de demander aux occupants d'un logement d'effectuer une rénovation complète qui touche les murs, le toit, les huisseries... Il faut donc cibler le peu d'occasions dont nous disposons.
Comment se présente notre trajectoire ? Les choses avancent, mais il y a encore des marges de progrès pour atteindre les 700 000 rénovations BBC dont nous avons besoin. Qui peut faire ce type de rénovations performantes ? Comment accompagner ? Comment donner des garanties de performance ? Car ce sont bien ces garanties qui peuvent débloquer le financement. À quel moment doit-on placer l'incitation ? De nombreux sujets restent à trancher.
Faut-il un guichet unique ? MaPrimRénov' semble aller dans ce sens. Mais si le guichet unique se traduit par une réduction de l'accompagnement, ce n'est pas une bonne idée. Nous avons mis en place un service, mais d'autres, créés par des associations ou des collectivités, continuent d'exister... Cela ne favorise certes pas la lisibilité du système, mais l'accompagnement des ménages est plus complet.
La politique de rénovation énergétique procède d'engagements internationaux et nationaux de notre pays. Cela empêche à mon sens une décentralisation, c'est-à-dire le transfert en un bloc de la responsabilité et des moyens de cette politique. Il faut garder une forte implication de l'État, tout en offrant aux collectivités qui ont des compétences voisines, comme le logement, la possibilité de s'articuler avec cette grande politique d'État.
Comme maire, je considère que la politique du logement, qui consiste à s'assurer que chacun puisse se loger dans un bassin de vie, y compris par l'urbanisme, pourrait faire l'objet d'une décentralisation globale. Mais pas la politique de rénovation thermique.
Je laisserai José Caire vous répondre sur l'étude de 2022 portant sur le financement de la rénovation des logements individuels et des copropriétés. Nous ne sommes pas au bout du chemin : il nous reste des concepts à forger. Ces investissements sont rentables, certes à long terme, entre vingt et trente ans, mais ils ont du mal à se réaliser. Nous devons nous interroger collectivement et continuer notre travail avec la place bancaire - je sais que la fédération bancaire française (FBF) se penche sur cette question. Nous ne sommes pas loin de la faille de marché : en économie de marché, en principe, il ne peut exister d'investissements rentables qui ne soient pas financés.
M. José Caire. - Concernant le financement, souvenons-nous de l'apparition, au début des années 1990, d'un contrat de construction de maison individuelle comportant la garantie d'un délai, d'une qualité et d'un prix. Il faudrait transposer cette façon de faire à la rénovation. C'est compliqué, car il s'agit de travailler sur un bâtiment existant et d'être capable de garantir une performance énergétique.
Dans le cadre de France 2030, l'Ademe lancera très prochainement un appel à projets pour trouver des solutions auprès de groupements qui comporteraient des concepteurs et des réalisateurs de travaux ainsi que des assureurs et des banquiers... Il faut en effet être très ouvert pour favoriser l'apparition d'opérateurs ensembliers capables de garantir un prix, une qualité, un délai, un résultat énergétique et une assurance contre le risque de défaillance financière du maître d'ouvrage. Nous espérons trouver suffisamment de groupements pour expérimenter et voir ce qui bloque. Nous accompagnerons cela d'une étude permettant de concevoir et de dimensionner un fonds de garantie pour ces opérateurs ensembliers. Après, il faudra du temps pour expérimenter le fonctionnement de ces groupements sur des cas réels, avant de généraliser et, le cas échéant, d'actionner la réglementation.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Cela existe-t-il dans d'autres pays ?
M. José Caire. - Pas à ma connaissance, même si nous n'avons pas procédé à un benchmarking dans tous les pays du monde.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Y a-t-il une différence entre votre initiative et les propositions de France Stratégie autour du tiers financeur, qui financerait les travaux et se rembourserait sur les économies d'énergie ?
M. José Caire. - Je pense que c'est globalement la même chose, même si je pourrai vous répondre plus précisément par écrit : peut-être les modalités de mise en oeuvre sont-elles un peu différentes. Le principe est le même : pour attirer les investisseurs, il faut des garanties.
M. Guillaume Gontard. - Nous avons reçu en audition Mme Wargon, qui nous a fait part de difficultés de coordination entre l'Anah et l'Ademe. Avez-vous le même sentiment ? Cela a-t-il évolué ? Mme Wargon a indiqué que le pilotage de France Rénov' avait été confié à l'Anah pour éviter l'éparpillement. Qu'en pensez-vous ?
Nous avons reçu l'Observatoire national de la rénovation énergétique (ONRE). Quatre ans après sa création, qu'en retirez-vous ? Permet-il de disposer d'éléments fiables ?
Vous avez plaidé en faveur de la rénovation globale et de l'incitation à atteindre le label BBC. Comment voyez-vous les choses ? Certains disent qu'il faut une rénovation globale ou rien. D'autres considèrent au contraire la rénovation par gestes comme une porte d'entrée et indiquent qu'il est possible, avec un bon accompagnement, de mener une rénovation globale en plusieurs temps.
Vous avez évoqué les filières : celle du bâtiment doit monter en compétence et aura besoin de formations. L'Ademe mène-t-elle des travaux sur les matériaux biosourcés ? Avez-vous une visibilité sur ce qui se passe dans les territoires ? Les normes doivent permettre à ces nouveaux matériaux - qui ne sont pas si nouveaux que cela - d'être utilisés dans de la rénovation, ce qui n'est pas toujours possible.
M. Boris Ravignon. - L'Ademe et l'Anah sont deux agences en charge de politiques publiques certes voisines, mais assez différentes. L'Anah était initialement centrée sur l'amélioration qualitative du logement quand l'Ademe s'occupait davantage des politiques environnementales.
Depuis quelques années, nos deux agences articulent leurs actions autour d'une problématique devenue commune. La décision de faire porter le dispositif France Rénov' par l'Anah, par exemple, suppose une coopération accrue entre nos deux agences. L'Ademe a ainsi logiquement transféré les services d'aide à la rénovation énergétique sur lesquels elle avait commencé à travailler. Il s'agit d'une décision cohérente, qui vise à clarifier les différents champs d'intervention.
Je sais que tels n'étaient pas vos propos, monsieur le rapporteur, mais nous entendons parfois dire qu'il faudrait fusionner l'Ademe et l'Anah, parce qu'elles travaillent sur des sujets voisins. À cet égard, je voudrais souligner que nous travaillons aussi avec le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) sur les questions d'ingénierie des collectivités ou encore avec le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) sur la question de la réhabilitation des sols et leur valorisation. Cela fait tout de même beaucoup à fusionner, au risque de devenir illisible.
Nous continuons d'agir sur des politiques quelque peu différentes. Il nous reste à mettre en oeuvre le partage des compétences qui a été mis en place et qui me semble à la fois clair et pertinent. À chacun de trouver ses marques désormais. Nous continuerons d'accompagner les collectivités locales dans une réflexion plus globale. La doctrine qui prévaut est simple : le métier de l'Anah, qu'elle est seule à réaliser, est d'accompagner les ménages ; l'action de l'Ademe porte davantage sur l'évolution des bâtiments dans la perspective d'atteindre la neutralité carbone.
M. José Caire. - La question est surtout de savoir comment rapprocher les branches énergie-climat et habitat-logement au sein des politiques publiques.
Cette question concerne tout le monde : d'abord les ministères, mais aussi les administrations, les agences d'État et les collectivités. Nous devons donc travailler ensemble, ce qui pose nécessairement des questions d'arbitrage entre les priorités de chacun. Une fois les curseurs positionnés, tout le monde doit opérer cette jonction.
Je tiens à souligner que l'Ademe était tout à fait consentante à la décision de confier France Rénov' à l'Anah. Cela participe d'un besoin de simplification et de clarification. Il s'agit de politiques extrêmement complexes, qui comptent beaucoup d'intervenants. Tout ce qui peut contribuer à davantage de visibilité est le bienvenu.
M. Ravignon a décrit la vision d'ensemble qui prédomine : l'Anah est en charge du parcours des ménages dans la rénovation et l'Ademe de celui du bâtiment. Notre problématique consiste à savoir comment disposer d'un parc de niveau BBC d'ici à 2050.
L'Anah se consacre au parcours des ménages. Il s'agit d'un sujet très compliqué, qui doit devenir un point d'entrée majeur. La question est d'ailleurs moins celle du guichet unique, que vous avez évoquée voilà quelques instants, que celle du parcours des ménages, c'est-à-dire de savoir comment les informer et les accompagner dans leur projet. Celui-ci comporte une problématique énergétique, mais pas seulement. Tout dépend des parcours de vie - handicap, vieillissement... Il est important que cet ensemble de problématiques soit intégré dans un seul service public, piloté par l'Anah.
Notre coopération avec cette agence se fait de manière constructive, et c'est tant mieux dans la mesure où il s'agit d'un travail au très long cours. Nous lui fournissons des éléments d'expertise technique sur différents sujets. Aujourd'hui, notre principal chantier commun est le co-portage du service d'accompagnement pour la rénovation énergétique (programme SARE), qui va être prolongé. Il reste des relais de financement à trouver. Nous y travaillons main dans la main.
M. Boris Ravignon. - Il était important de créer l'Observatoire national de la rénovation énergétique. Les politiques publiques concernées sont parfois à cheval sur plusieurs ministères et impliquent des acteurs aussi bien publics que privés. Les différents échelons des collectivités territoriales sont aussi concernés. Essayer de forger des données réconciliées pour tous ces acteurs afin de donner une image précise de ce qui reste à accomplir en termes de rénovation énergétique à la fois en données agrégées nationales, mais aussi à l'échelon territorial, exigeait la création de cet observatoire.
Nous y participons un peu sur le modèle de ce que nous faisons avec l'Observatoire national de la précarité énergétique, qui s'occupe de ces problématiques sous un angle différent. Avec l'ensemble des organismes publics et privés d'importance et les collectivités, nous essayons de fournir des statistiques permettant ensuite de concevoir les politiques publiques.
En ce qui concerne les rénovations globales, vous avez raison, monsieur le rapporteur, faire tout le temps et tout de suite peut s'avérer compliqué. Nous n'excluons pas qu'il y ait plusieurs gestes ou plusieurs étapes. Cela étant dit, il ne faut pas qu'il y en ait trop : deux, trois au maximum. Il faut pouvoir combiner ces étapes assez rapidement. À défaut, il faudra dépenser beaucoup d'argent pour un résultat qui risque de se révéler assez déceptif pour les ménages.
M. José Caire. - La rénovation énergétique n'est pas aussi simple qu'elle paraît. Pour le grand public, les maisons, les appartements, les relations avec les entreprises, c'est concret. En réalité, la physique d'une enveloppe est une science assez complexe. On en est encore au stade des découvertes et de la recherche, notamment sur les matériaux. Assez peu d'entreprises maîtrisent la question de la migration de la vapeur d'eau à travers une paroi, par exemple.
Nos investigations ont permis de mettre en évidence de manière concrète la question de l'enchaînement de gestes qui ne sont pas efficaces. Très concrètement, au moment de changer des fenêtres positionnées à l'intérieur du mur, par exemple, on pose la nouvelle fenêtre au même endroit. Ensuite, on s'attaque à l'isolation qui, elle, doit être à l'extérieur du mur. Résultat : si on isole, on encombre la fenêtre ; si on n'isole pas, on crée un pont thermique. En définitive, au moment de faire l'isolation par l'extérieur, il faut enlever les fenêtres pour les positionner au même niveau que l'isolation.
Cette situation assez commune illustre toute la question des interfaces : un geste en lui-même ne se critique pas ; par contre, faute d'y avoir pensé en amont, l'interface entre les gestes fait perdre son efficacité à l'ensemble. Cela vaut aussi pour l'isolation d'un toit, celle d'un mur ou encore le dimensionnement de la chaudière... L'Ademe a publié environ 70 fiches pour traiter les interfaces soit matérielles soit conceptuelles.
Nous avons conclu qu'une rénovation de plus de trois étapes était à peu près vouée à l'échec - à la rigueur quatre, mais dans des conditions extrêmement précises. Il faut également avoir élaboré une vision d'ensemble dès le début pour suivre ces étapes dans le bon ordre.
Vous pouvez faire une isolation performante de votre enveloppe, mais si vous réalisez la ventilation après coup, votre maison ou appartement ne sera pas ventilé entre les étapes, ce qui implique de l'humidité et donc des pathologies et pour les habitants et pour le logement.
Ces connaissances ne sont pas si anciennes. La question est de savoir comment transformer cette vision technique en politique opérationnelle, comment la financer, comment mettre en place les compétences du côté des professionnels, comment accompagner les particuliers... Il y a encore du chemin à faire.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Lors l'audition de l'Anah, le discours était quelque peu différent : l'idée était qu'une rénovation en un seul geste, c'est déjà mieux que rien. Trois étapes, selon moi, c'est compliqué à mettre en oeuvre... Les politiques mises en place au travers de MaPrimeRénov' ou l'Accompagnateur Rénov' vous paraissent-elles bien calibrées pour aller dans votre sens ?
M. José Caire. - Comme je le soulignais, la technique ne suffit pas à elle seule pour mettre en place une politique publique qui fonctionne. Cette prise de conscience est récente et de plus en plus présente dans l'esprit des acteurs. La question de la rénovation globale performante est devenue un vrai sujet.
Les choses ne pourront se faire que progressivement. On voit aujourd'hui combien toute modification des politiques d'aide peut bouleverser la filière. Le chantier est ouvert. Nous verrons de quelle façon MaPrimeRénov' évoluera pour aller vers plus de rénovation globale. Bien évidemment, l'Ademe apportera sa contribution.
La prise de conscience est là et les choses vont évoluer. Il y aura forcément des exceptions ; je pense notamment aux publics les plus modestes dont les priorités sont différentes.
M. Boris Ravignon. - En ce qui concerne la question de la structuration de la filière, une mission de formation des professionnels nous incombe. Nous avons pris un certain nombre d'initiatives pour permettre la formation la plus large possible, mais le travail à accomplir est immense.
En ce qui concerne les matériaux nouveaux, nous avons lancé des appels à projets pour sélectionner non seulement des matériaux, mais aussi des conditions de mise en oeuvre.
M. José Caire. - La fonction de soutien à l'innovation de l'Ademe se déploie dans ce champ des matériaux et des filières. Je pense aux matériaux bois et biosourcés, aux combinaisons de matériaux - nous avons lancé voilà quelque temps un appel à projets « mixité » pour utiliser le meilleur de chaque matériau dans le cadre de combinaisons optimisées.
Nous menons beaucoup de travaux sur le bois et sur les autres matériaux biosourcés tels que le chanvre et le lin, par exemple. L'Ademe soutient la structuration des filières, notamment au travers d'accords-cadres avec les organismes professionnels pour soutenir le déploiement de ces filières biosourcées.
La normalisation relève davantage du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB). On peut y contribuer en soutenant, par exemple, le développement des fiches déclaratives environnementales et sanitaires des matériaux. Quand un nouveau matériau est mis sur le marché, il faut savoir ce qu'il a « sous le capot ». L'Ademe cofinance avec le promoteur l'élaboration de ces fiches qui permettent aux matériaux concernés de rentrer dans les moteurs de calcul au même titre que les matériaux classiques.
Nous soutenons le développement de ces filières très ancrées dans les territoires. C'est de la proximité, donc du bas-carbone.
Mme Sabine Drexler. - Monsieur le président, le 1er février dernier, à l'occasion d'une table ronde organisée par la commission de la culture du Sénat, vous nous disiez combien il était important à vos yeux d'accompagner la transition écologique du bâti tout en respectant sa valeur patrimoniale, historique ou architecturale. Avec la mise en oeuvre du nouveau DPE et l'arrivée du ZAN, on sent vraiment l'urgence de valider ces matériaux que vous venez d'évoquer, qui sont respectueux de ce type de bâtiments. Il s'agit de créer des labels, de diffuser des règles de bonne pratique pour éviter un saccage patrimonial et une banalisation du bâti de notre pays.
Vous avez aussi déclaré que l'Ademe concentrait son travail sur la recherche. L'Agence considère en effet que le bâti ancien dans toute sa diversité n'est pas encore suffisamment documenté en termes de caractéristiques thermiques, hygrothermiques et architecturales.
En 2011 déjà, un rapport sur la modélisation du comportement thermique du bâti d'avant 1948 avait été demandé par l'Ademe au Cerema. Il a été réalisé dans le prolongement d'études menées entre 2005 et 2007. Cela fait donc très longtemps qu'un travail est conduit sur ces particularités.
J'aurais voulu en savoir un peu plus sur ces matériaux biosourcés qui sont aujourd'hui validés ou en cours de validation et sur les possibilités de développement de filières locales de production et de transformation. À quelle échéance pourraient-elles voir le jour ?
Se pose également un problème de coût pour les particuliers qui préfèrent se tourner vers des solutions standards, qui ne sont pas adaptées. Fait-on suffisamment aujourd'hui pour promouvoir, soutenir financièrement et accompagner les filières locales et les particuliers ?
En vous écoutant, j'ai l'impression que l'on découvre encore comment fonctionne le bâti, alors qu'on est entré dans une phase d'injonction, notamment en termes d'isolation, pour les propriétaires bailleurs. Ne demande-t-on pas aux acteurs d'agir, alors même qu'ils ne sont pas véritablement informés des spécificités du bâti patrimonial ?
M. Boris Ravignon. - Après l'audition que vous évoquez, je m'étais de nouveau penché sur cette question avec mes équipes. J'avais été assez inquiet de constater qu'un tiers environ du bâti est antérieur à 1948. Dans une telle situation, on risque d'en venir à opposer la logique de rénovation énergétique, avec tout ce qu'elle implique en termes d'amélioration des conditions de vie, à la logique de conservation du patrimoine. J'avais transmis ces inquiétudes sur l'application du DPE au bâti pré-1948, dont il ne fallait pas négliger les spécificités. Il m'a été confirmé qu'un certain nombre de valeurs standards sont difficiles à apprécier en raison de la très grande diversité de ce bâti, ce qui pose parfois de vraies difficultés d'évaluation de la performance énergétique. Nous allons nous appliquer à avancer sur ces questions, qui avaient été identifiées depuis un certain temps déjà.
L'animation de la filière, qui est une vraie question, n'est pas vraiment du ressort de l'Ademe. Toutefois, nous devons pouvoir trouver des alliés pour travailler plus localement et donner envie à un certain nombre de collectivités et d'organismes, notamment aux chambres des métiers ou aux fédérations professionnelles du bâtiment, de s'engager dans une démarche de formation de leurs personnels et de leurs entrepreneurs sur cette question de la rénovation énergétique performante du bâti ancien.
M. José Caire. - La maîtrise physique de ces enveloppes spécifiques ne relève pas tant de la question des matériaux biosourcés que de celle des parois existantes. Entre un mur en granit, en tuffeau, en pisé, en colombage, en pierre - grosses ou petites - ou maçonné en terre ou en mortier de chaux, on fait face à une infinie variété de situations. Dès lors, la modélisation n'a plus rien à voir avec un béton parfaitement normé à la sortie de la centrale.
Cette variété implique de passer du temps pour aller chercher ces matériaux, les tester, les modéliser et les intégrer à un moteur de calcul. Cela a posé problème pour le DPE. Nous menons un travail avec le CSTB qui doit aboutir à la création d'un moteur de calcul thermique unique pour le neuf et l'ancien.
La physique de l'ancien, c'est aussi la physique du neuf. Les matériaux sont différents, mais les règles physiques sont les mêmes. Il devrait donc être possible d'avoir un moteur de calcul commun, avec des valeurs différentes selon les matériaux. C'est un peu le rêve de l'unification.
Il faudra encore quelques années pour arriver à l'unicité de ce moteur de calcul. Cela étant dit, le problème reste compliqué. Il faudra nécessairement faire des compromis. Pour une maison paysanne classique avec des murs en pierre de 50 ou 60 centimètres d'épaisseur, l'idéal d'un point de vue physique, c'est l'isolation par l'extérieur. Rien ne sortira, à condition que les matériaux d'isolation respirent. C'est là que les biosourcés sont extrêmement utiles. Le problème est qu'on change alors complètement le cachet de la maison.
Par contre, si l'on isole de l'intérieur, avec des murs qui font aussi 50 à 60 centimètres d'épaisseur entre la cuisine et la chambre, par exemple, on se trouve face à un pont thermique de 60 centimètres d'épaisseur contre lequel on ne pourra rien faire. De même, la poutre de 30 centimètres de côté qui supporte le plancher de l'étage rentre dans le mur. Or vous ne pouvez l'isoler sur toute sa longueur dans la cuisine et on se trouve de nouveau face à un pont thermique de 30 centimètres par 30 centimètres... Il faudra faire des compromis, sauf à accepter de sacrifier en partie l'aspect extérieur. La question se posera sans doute avec plus de force lorsqu'il fera très chaud chaque été...
Il n'existe pas de solution miracle, même si les techniciens, les scientifiques ont fait pas mal de progrès pour mieux appréhender ces questions d'isolation et de rénovation du bâti ancien.
M. Boris Ravignon. - En affinant les performances de chaque type de matériaux au sein du DPE on va pouvoir rendre justice à certains modes constructifs d'avant 1948 et montrer qu'ils offrent une vraie protection thermique en été avec de la fraîcheur comme peu de bâtiments modernes en sont capables et, à l'inverse, une inertie thermique intéressante en hiver. Il faut apprécier précisément le travail qu'il reste à faire pour atteindre les meilleurs objectifs. On est en droit de penser qu'un bel immeuble haussmannien, eu égard à la qualité des matériaux employés, offre tout de même certaines qualités thermiques que beaucoup de bâtiments plus récents n'auront jamais, tout du moins pas avant rénovation.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - On évoque assez peu la question du confort thermique d'été, alors même que les projections montrent toutes que des épisodes de 50 degrés en ville vont se reproduire. Le DPE prend-il en compte cette question des performances thermiques d'été ? Selon les techniques mises en place, en toiture ou en façade, les résultats sont très différents. On peut ainsi être très bon sur le confort thermique d'hiver et très moyen sur celui d'été. Êtes-vous attentifs à ces questions ?
M. José Caire. - La question du confort d'été n'est pas concrètement mise en oeuvre dans le DPE. Cela a récemment été introduit dans la réglementation du neuf. Il s'agit d'une première étape.
Actuellement, dès lors qu'un audit est réalisé avec des préconisations de travaux, en particulier dans les régions les plus sensibles, le professionnel doit se pencher sur cette question du confort d'été - choix de l'isolant pour la toiture, déphasage, type de ventilation... Mais il ne s'agit pas encore d'un critère de notation au sein du DPE.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous vous remercions pour cette audition très intéressante. N'hésitez pas à nous transmettre tout élément complémentaire sur le questionnaire ou sur d'autres questions que nous aurions pu ne pas évoquer aujourd'hui.
Audition de
M. François Adam,
directeur de l'habitat, de l'urbanisme et des
paysages (DHUP)
(Lundi 3 avril 2023)
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous recevons cet après-midi M. François Adam, directeur de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages, accompagné de M. Simon Huffeteau, coordinateur interministériel du plan de rénovation énergétique des bâtiments, que nous avons déjà entendu il y a quelques semaines.
Monsieur Adam, depuis 2018, vous dirigez la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP), direction du ministère de la transition écologique chargée de répondre aux besoins en logement de nos concitoyens. Auparavant, vous avez notamment été directeur général adjoint de Paris Habitat, office public de l'habitat de la Ville de Paris de 2006 à 2010, puis directeur général adjoint de l'Agence nationale de la cohésion sociale jusqu'en 2012, ainsi que directeur de cabinet du secrétaire d'État chargé du budget et des comptes publics de 2015 à 2017.
Votre audition doit nous permettre de mieux comprendre le rôle de la DHUP dans la rénovation énergétique des bâtiments, alors que votre direction est chargée de l'élaboration, de l'animation et de l'évaluation des politiques publiques en matière de rénovation énergétique des bâtiments et a pour ambition de faire du bâtiment un levier effectif du développement durable, en oeuvrant à l'amélioration de ses performances énergétiques.
Après presque cinq ans à votre poste, vous êtes particulièrement qualifié pour avoir une vision d'ensemble de cette politique, de la manière dont sont fixés les objectifs et dont elle est pilotée. Il nous serait précieux que vous puissiez nous faire part de votre diagnostic et des améliorations que vous souhaiteriez voir aboutir.
Comment l'action de la DHUP s'articule-t-elle avec les autres acteurs de la rénovation énergétique ? Cette gouvernance est-elle perfectible ?
Comment passer de la massification des gestes de rénovation à la massification des rénovations globales ?
De plus en plus de voix demandent une dissociation entre la décarbonation de l'énergie consommée - pour atteindre la neutralité carbone et protéger le climat -, et l'isolation des bâtiments afin de lutter contre la précarité énergétique et de limiter la consommation, et donc la production d'énergie. Cette dissociation vous semble-t-elle pertinente ?
Plus en détail, comment analysez-vous les débats actuels autour de la fiabilité du diagnostic de performance énergétique (DPE) et le calendrier des obligations établies par la loi Climat et résilience en termes d'interdiction de louer ou de réalisation d'audits énergétiques ? Ces objectifs sont-ils réalistes sans conséquences graves pour le marché du logement ?
Sur ce sujet, votre direction a publié en octobre 2022 une feuille de route contenant plusieurs propositions d'amélioration de la qualité du DPE, alors que son manque de fiabilité a été dénoncé par plusieurs acteurs de la rénovation énergétique. Pouvez-vous nous détailler les objectifs de cette feuille de route et éventuellement en dresser un premier bilan ?
Cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.
Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amende. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. François Adam prête serment.
M. François Adam, directeur de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages. - Je vous remercie de votre invitation. Je suis accompagné de M. Simon Huffeteau que vous avez déjà auditionné et qui pourra compléter mon propos.
Au sein du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, deux des compétences de la DHUP vous intéressent tout particulièrement.
Tout d'abord, j'évoquerai sa responsabilité dans la préparation de la législation en matière de construction, et donc de performance énergétique du bâtiment - notamment le DPE et l'audit énergétique. À ce titre, la DHUP est responsable de la préparation des positions françaises dans le cadre des négociations européennes, avec plusieurs sujets importants en cours.
Nous participons aussi à la préparation des textes et au pilotage financier des aides à la rénovation énergétique, conjointement avec la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) : la DGEC est responsable du dispositif des certificats d'économies d'énergie (CEE), mais nous pilotons conjointement MaPrimeRénov' et assurons la cotutelle de l'Agence nationale de l'habitat (Anah) qui distribue MaPrimeRénov', MaPrimeRénov' Sérénité et MaPrimeRénov' Copropriétés. Nous nous coordonnons donc très étroitement avec la DGEC et l'opérateur Anah. Ce besoin de coordination fine a conduit à la création de la mission dont M. Huffeteau a la charge, rattachée aux deux directions. Il s'agit d'un sujet éminemment interministériel, qui requiert un dialogue constant avec le ministère de l'économie et des finances sur les aspects budgétaires et fiscaux, mais aussi sur l'impact économique de nos politiques, spécifiquement suivi par la direction générale du Trésor.
Notre rôle est plus limité s'agissant des bâtiments publics. Les bâtiments de l'État relèvent de la direction immobilière de l'État, rattachée au ministère de l'économie et des finances. Les bâtiments des collectivités territoriales et de leurs opérateurs relèvent de la direction générale des collectivités locales (DGCL), et au premier chef des collectivités territoriales elles-mêmes, bien entendu.
Mais les intervenants autres que l'État sont nombreux. Je pense tout d'abord aux collectivités territoriales et tout particulièrement au bloc communal. Certains établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) ou certaines communes sont très actifs en matière d'accueil et d'orientation sur la rénovation énergétique, certains étant même délégataires des aides de l'Anah ou ayant développé leur propre dispositif d'aide à la rénovation énergétique.
Je pense aussi à l'ensemble des professionnels, au sens large, les entreprises qui réalisent les travaux, mais aussi tous les professionnels qui jouent un rôle d'expertise aux différents stades de la chaîne immobilière : les diagnostiqueurs immobiliers ; les professionnels qui réalisent des audits ; les notaires, qui procèdent à des vérifications à l'occasion des transactions immobilières ; les professionnels qui réalisent diverses études, par exemple pour des immeubles en copropriété ou du logement social ; les fournisseurs d'énergie, dont le rôle est essentiel dans le fonctionnement des CEE ; les fabricants d'équipements - chauffage performant, pompes à chaleur, équipements de production d'énergie renouvelable, etc. Il s'agit d'un secteur économique large, diversifié et dynamique. Même si les concertations sont parfois compliquées, sur la réglementation ou le financement, le secteur adhère globalement aux objectifs de cette politique publique. Il s'agit d'un écosystème large et complexe, avec lequel nous entretenons une relation constructive.
Nous sommes conscients que l'intervention publique ne peut pas tout, au regard des quelque 30 millions de résidences principales à rénover. Car il s'agit d'abord de décisions de propriétaires, que nous pouvons contraindre, ou plutôt inciter, à réaliser des travaux. Nous cherchons à les convaincre, en les aidant financièrement et en mettant à leur disposition les compétences de professionnels. Il s'agit donc d'un ensemble de décisions dispersées, du grand bailleur social gestionnaire de plusieurs centaines de milliers de logements jusqu'au propriétaire d'un lot de copropriété ou d'une maison individuelle. C'est un véritable facteur de difficulté et de complexité.
La politique de rénovation énergétique s'est construite sur la dernière décennie, par étapes successives. Les premiers outils - réglementation thermique, DPE, premiers textes européens fixant des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre - ont été adoptés à la fin des années 1990 et au début des années 2000. Au début des années 2010, des outils financiers ont fait leur apparition, avec les aides de l'Anah - comme le programme Habiter mieux - et le crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE), qui a joué son rôle.
Les années 2019 à 2021 ont vu une profonde réforme du dispositif d'aide, avec la disparition du CITE et la création de MaPrimeRénov' dans la loi de finances pour 2020, ainsi que l'adoption de la deuxième stratégie nationale bas-carbone (SNBC) au début de l'année 2020. Les travaux de la Convention citoyenne pour le climat ont débouché sur la loi Climat et résilience de 2021, qui définit une nouvelle notion, celle d'indécence énergétique des logements locatifs, qui prévoit une obligation d'audit réglementaire et qui instaure un DPE collectif obligatoire dans certains immeubles. Nous pouvons donc en faire le bilan en 2023.
J'identifie plusieurs facteurs d'évolution de notre politique publique de rénovation énergétique.
Je pense, en premier lieu, aux objectifs européens fixés par le paquet Fit for 55, présenté par la Commission européenne en 2021. Il est en cours d'adoption au travers de plusieurs directives. L'objectif est une réduction de 55 % de nos émissions nettes de gaz à effet de serre entre 1990 et 2030, au lieu de 40 %. La France doit donc revoir sa stratégie globale, avec la préparation d'un projet de loi de programmation sur l'énergie et le climat qui devrait être déposé en milieu d'année 2023, associé à une nouvelle SNBC, un nouveau plan national d'adaptation au changement climatique (PNACC) et une nouvelle programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). Plusieurs directives sont en cours de négociation et auront un impact direct sur notre politique de rénovation énergétique : l'une sur la performance énergétique du bâtiment, l'autre sur l'efficacité énergétique.
Je pense, en second lieu, à la démarche de planification écologique lancée par le Président de la République au début de son second mandat et pilotée par la Première ministre. Cette mission a été confiée au secrétariat général à la planification écologique, directement rattaché à la Première ministre. Celui-ci joue un rôle très important dans la préparation de la déclinaison des objectifs européens de la France et prépare un projet de loi de programmation. Notre ministère est très régulièrement associé à ses travaux, présidés par la Première ministre, concernant notamment la décarbonation du secteur du bâtiment, et donc la rénovation énergétique.
L'année 2023 est donc une année de réflexion, en vue de préparer une nouvelle étape de la politique de rénovation énergétique en 2024. Il est encore trop tôt pour en tracer les contours précis, mais ce sera un élément important lors de l'examen de la loi de programmation et des futurs textes financiers.
Vous avez évoqué la massification des rénovations performantes. Nous devons adopter une approche nuancée. Les rénovations par geste ont connu une vraie massification depuis la création de MaPrimeRénov' en 2020 : en 2021, comme en 2022, 600 000 gestes ont été aidés. Mais les volumes d'aide à la rénovation globale ne sont pas négligeables : 40 000 dossiers en 2022 pour MaPrimeRénov' Sérénité - à destination des ménages modestes et très modestes - et 22 000 logements aidés en 2022 par MaPrimeRénov' Copropriétés, créée en 2021. La volumétrie n'est certes pas la même, mais on ne part pas de rien et l'impact est non négligeable. Il existe un consensus sur le fait que nous devons faire davantage de rénovations performantes, en modifiant l'équilibre actuel : faut-il poursuivre la hausse des aides par geste, les stabiliser, ou les réduire ? Il faudra beaucoup plus de rénovations performantes.
Je rappelle toutefois qu'il s'agit avant tout de décisions des propriétaires. Par rapport au remplacement d'une chaudière à gaz par une pompe à chaleur dans une maison individuelle, une décision de rénovation globale est plus lourde pour le propriétaire, plus coûteuse - l'aide est certes supérieure, mais le reste à charge est plus élevé - et aussi plus contraignante d'un point de vue opérationnel - les travaux sont plus longs, une partie du logement peut être inhabitable quelque temps. Il ne s'agit pas d'une décision facile pour un particulier. D'où l'importance de l'information et surtout l'obligation d'accompagnement posée par la loi Climat et résilience.
Nous devons donc rester prudents sur le rythme de développement des rénovations performantes : ainsi, il paraît difficile de doubler d'une année sur l'autre, et même de déterminer un rythme de progression réaliste. Nous partageons votre objectif, mais nous sommes soucieux de maintenir un équilibre entre les aides par geste - ils ont leur intérêt et l'impact sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre et les économies d'énergie est avéré - et la montée en puissance, aussi rapide que possible, des aides à la rénovation performante. Nous avons besoin d'un système d'aide attractif, avec un accompagnement rassurant, mais le rythme de progression sera nécessairement limité par la demande des ménages, que nous ne contrôlons pas complètement.
Vous avez mentionné un possible découplage entre décarbonation et isolation. Il est vrai que les objectifs européens pour 2030 sont tellement ambitieux qu'ils pourraient nous conduire à donner la priorité, dans cette première décennie, à des travaux de changement d'énergie avec un impact immédiat sur les émissions de gaz à effet de serre. Mais l'effet est plus important si l'on traite aussi l'enveloppe, par l'isolation du bâti, des combles et des planchers. Nous devons donc combiner davantage de rénovations performantes avec des changements d'énergie et garder en tête l'objectif européen de neutralité carbone en 2050. En outre, la loi nous impose d'amener l'ensemble du parc au niveau BBC (bâtiment bas-carbone) en 2050.
Il s'agit d'un équilibre délicat entre l'atteinte de l'objectif de 2030 et la préparation de l'étape suivante. C'est encore plus compliqué dans l'habitat collectif que dans l'habitat individuel. Les acteurs du logement social font valoir que leurs travaux sont planifiés sur le temps long et qu'ils évitent d'intervenir de manière répétée dans les mêmes logements pour des questions opérationnelles et pour préserver les locataires. Nous l'entendons, mais les objectifs européens sont en deux temps... L'objectif de 2030 matérialise l'urgence de l'action climatique. Il n'est donc pas certain que nous puissions suivre complètement le raisonnement patrimonial et technique des gestionnaires. Cela crée un problème opérationnel supplémentaire. Le débat que vous indiquez existe bien, mais il faut prendre la mesure des objectifs de 2030, fixés en émissions de CO2. Cela orientera nécessairement nos choix politiques nationaux.
On a coutume de dire que le DPE est le thermomètre qui mesure la performance énergétique d'un logement. Au-delà de l'étiquette, le DPE mesure la consommation d'énergie conventionnelle et les émissions de gaz à effet de serre. La méthodologie de la première génération des DPE, créés dans les années 2000, s'appuyait sur l'examen des factures d'énergie. Nous avons changé de méthode à la mi-2021 pour passer à un calcul conventionnel appréciant la performance de l'enveloppe et des systèmes de chauffage, ce qui permet de comparer techniquement les logements, indépendamment de leur usage par l'occupant. Cette réforme a été mise en place dans des délais relativement contraints pour les professionnels, entre la publication de la méthode et son entrée en vigueur le 1er juillet 2021. Des corrections ont été opérées à l'automne 2021, compte tenu des premiers retours des diagnostiqueurs via leurs fédérations. Depuis, il ne semble plus y avoir de discussion sur la méthode elle-même.
En revanche, nous rencontrons un problème de qualité et d'homogénéité dans la réalisation des DPE. C'est ce qui nous remonte d'enquêtes, d'articles de presse, de sollicitations d'élus et de parlementaires, et même de contentieux devant les juridictions civiles pour engager la responsabilité de diagnostiqueurs. Se pose donc un problème d'homogénéité dans la qualité du service rendu par les diagnostiqueurs. À l'automne 2022, nous avons engagé un travail avec leurs représentants, autour d'une feuille de route. Nous y évoquons la question de la sensibilisation des professionnels de l'immobilier. Les propriétaires ont aussi un rôle à jouer afin de fournir au diagnostiqueur un maximum de données exactes et vérifiées. Nous nous attachons aussi à la formation et au contrôle des diagnostiqueurs et envisageons un renforcement substantiel de leurs obligations de formation initiale et continue, ainsi que de la fréquence et de l'efficacité des contrôles. Sachez que les diagnostiqueurs sont contrôlés par des organismes de certification privés, eux-mêmes accrédités par le Comité français d'accréditation (Cofrac), association placée sous le contrôle du ministère de l'économie. Il s'agit donc de renforcer les exigences vérifiées par cette dizaine d'organismes de certification avec lesquels nous travaillons. Les quelque 10 000 diagnostiqueurs ne sont pas placés sous le contrôle direct de l'État, ce qui a des avantages et des inconvénients. La certification nous semble adaptée, à condition que le niveau d'exigence soit rehaussé. Le ministre délégué chargé du logement devrait très prochainement, probablement demain matin, annoncer ce renforcement, pour une entrée en vigueur dans le courant de l'année 2024, sur la base d'un texte réglementaire publié en milieu d'année 2023, afin de laisser aux professionnels le temps de s'adapter. Nos exigences à l'égard des diagnostiqueurs seront donc nettement renforcées et nous en attendons des DPE plus homogènes et de meilleure qualité. Les représentants des professionnels ont entendu le message et savent qu'il est de l'intérêt de leur profession d'évoluer. Les effets de cette démarche seront progressifs.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Monsieur Huffeteau, je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Simon Huffeteau prête serment.
M. Simon Huffeteau, coordinateur interministériel du plan de rénovation énergétique des bâtiments. - S'agissant de la dissociation entre décarbonation et isolation, en complément de ce qu'a dit M. Adam, nous prenons également en compte la capacité des filières économiques : il faut l'utiliser au mieux pour atteindre nos objectifs, et aussi la renforcer. C'est l'un des paramètres de l'équation, qui peut parfois se révéler limitant.
M. François Adam. - Les vendeurs et acquéreurs de logements classés F et G, hors copropriété, doivent désormais réaliser un audit énergétique, en plus du DPE. Il appartient aux notaires de vérifier systématiquement l'existence de ces documents lors des transactions. Si vous faites le choix d'acheter une passoire énergétique, vous saurez en détail, grâce à cet audit, comment le rendre plus performant. C'est un signal fort adressé par le législateur pour inciter à la réalisation de travaux.
Mais il s'agit d'une analyse plus technique et approfondie que le DPE, nécessitant une qualification particulière. Compte tenu du nombre de professionnels disposant de la qualification requise, le Gouvernement a été amené à décaler à deux reprises la date d'entrée en vigueur. Le dispositif est désormais en vigueur depuis le 1er avril dernier.
Nous incitons les professionnels qui disposent des prérequis à se former afin qu'ils soient plus nombreux à réaliser ces audits. Avec une formation spécifique, les diagnostiqueurs pourront les réaliser pour les maisons individuelles. S'y ajoutent quelque 2 000 professionnels, dont les architectes, qui détiennent déjà la qualification nécessaire. À ce jour, 1 500 diagnostiqueurs se sont déjà formés. Les reports d'entrée en vigueur ont permis d'organiser les formations et de développer le vivier. Le nombre de professionnels formés nous semble suffisant, même si l'on constate des écarts importants entre départements, avec notamment des départements ruraux peu dotés. C'est un sujet que nous continuons de suivre avec les représentants des professionnels. Le Conseil supérieur du notariat (CSN) ne nous a pas fait remonter de blocage particulier. Il s'agit d'une expertise complémentaire apportée au propriétaire, afin de l'inciter à réaliser des travaux, mais il est encore trop tôt pour en tirer un bilan.
S'agissant des règles de décence sur les passoires énergétiques, la loi Énergie-climat de 2019 a tout d'abord acté la disparition des logements F et G en 2028, mais il s'agissait d'une disposition de principe, sans outil juridique particulier. La loi Climat et résilience a posé un cadre juridique beaucoup plus exigeant pour le secteur locatif, privé et social, mais qui ne touche pas les propriétaires occupants. Il s'agit de responsabiliser le propriétaire bailleur, en lui fixant des échéances et en l'invitant à profiter des régimes d'aide existants. Quant au locataire qui constaterait qu'il occupe une passoire énergétique, il doit pouvoir se tourner vers le juge, qui enjoindra au propriétaire de réaliser des travaux, voire réduira le loyer. C'est un cadre exigeant à l'égard du propriétaire.
Seul élément de souplesse, la loi n'a pas prévu l'application de ces dispositions aux contrats en cours : celles-ci s'appliquent aux nouvelles locations ou au renouvellement du bail, exprès ou tacite, au bout de deux ou trois ans. Dès le 1er janvier 2025, le propriétaire d'un logement classé G ne pourra pas le relouer au départ de son locataire s'il n'a pas réfléchi en amont à des travaux. Les bailleurs sociaux, compte tenu de leurs missions et de la place des représentants des locataires dans leur conseil d'administration, seront dans une situation encore plus exigeante au regard de l'interdiction de louer des logements G au 1er janvier 2025 et F au 1er janvier 2028.
L'application de ces dispositions peut rencontrer des obstacles techniques. C'est le cas lorsqu'il s'agit de bâtiments anciens présentant un caractère patrimonial. La loi a prévu un tempérament les concernant : le juge civil pourra certes réviser le loyer, mais ne pourra pas ordonner de travaux portant atteinte au caractère patrimonial du bâtiment. Ces bâtiments sont toutefois bien inclus dans le champ du dispositif prévu par la loi Climat et résilience.
L'application de ces dispositions rencontre également des obstacles juridiques, notamment dans les copropriétés, en raison des règles de majorité. Or, dans une même copropriété, tous les logements n'ont pas la même performance énergétique, selon la taille du logement ou son étage. Les copropriétaires n'ont donc pas tous les mêmes intérêts, aux mêmes échéances.
Il n'existe pas de solutions simples, d'où l'importance de l'accompagnement. Dans les bâtiments patrimoniaux, il y a certes ce que l'on ne peut pas faire - l'isolation par l'extérieur -, mais on peut néanmoins améliorer sa performance. Dans les copropriétés, l'enjeu est de réunir les copropriétaires autour d'objectifs communs. Les régimes d'aide jouent un rôle, d'où l'amélioration substantielle de MaPrimeRénov' Copropriétés, au 1er janvier 2023, avec une hausse des plafonds de travaux qui peuvent donner lieu à une aide en pourcentage. Nous poursuivons notre réflexion sur les copropriétés, car les outils ne sont peut-être pas encore adaptés. Faut-il faire évoluer le droit applicable aux copropriétés ? C'est un sujet délicat, au regard notamment du droit de la propriété. Faut-il encore faire évoluer les aides ? Comment mieux financer le reste à charge ? C'est un sujet complexe sur lequel nous réfléchissons avec le secteur bancaire, autour de prêts directs aux syndicats de copropriété.
M. Simon Huffeteau. - Il s'agit de réfléchir aux bons signaux à adresser aux propriétaires. Pour inciter à la rénovation globale, on peut s'interroger sur l'opportunité de réviser les dispositifs, voire de renforcer les obligations. Quels signaux complémentaires incitatifs envoyer pour sortir d'éventuelles situations de blocage ?
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Je vous remercie pour ces éléments. Vous l'avez dit, 2023 est une année de réflexion et de transition. Quelle serait, selon vous, la mesure prioritaire à mettre en oeuvre ?
L'amélioration de la qualité des DPE est un enjeu important. Il est encore un peu tôt pour savoir si les évolutions récentes sont satisfaisantes.
Je regrette que le confort d'été ne soit pas pris en compte dans les DPE, alors que les pics de chaleur et les canicules se multiplient, notamment en ville. Ne nous focalisons pas sur l'amélioration de l'habitat pour le confort d'hiver, en oubliant le confort d'été. Il serait dommage d'avoir à élaborer des politiques publiques pour le confort d'été...
S'agissant de la construction neuve, la réglementation environnementale RE2020 met en avant les matériaux biosourcés. Cette réglementation, qui a du mal à se mettre en place, vous semble-t-elle suffisamment performante ? On construit des bâtiments qui ne sont pas assez performants et sur lesquels nous devrons intervenir à nouveau. Qu'en pensez-vous ? Comment voyez-vous la constitution d'une filière de matériaux biosourcés, en matière aussi de formation et de réglementation ? Ces matériaux sont également intéressants sur le plan du confort d'été et en termes de développement local.
Comment rénover les bâtiments patrimoniaux, notamment urbains, sans isolation extérieure ? Avec quels matériaux ? Quid du label expérimental BBC rénovation patrimoine ?
Pouvez-vous nous apporter des éléments sur l'intelligence des bâtiments en matière d'efficacité thermique ? Ainsi que sur le répertoire des locaux ?
S'agissant des passoires thermiques, le choix a été fait de les interdire à la location. Mais certains ministres nous ont laissé entendre qu'une réflexion serait en cours sur des obligations de rénovation au moment de la vente. Cette piste vous semble-t-elle intéressante ?
M. François Adam. - Je citerais deux mesures emblématiques pour 2023.
Tout d'abord, le déploiement de l'accompagnement prévu par la loi Climat et résilience. Une campagne d'agrément d'accompagnateurs, au-delà de ceux qui interviennent déjà dans le cadre de l'Anah, va être lancée. Nous avons besoin d'accompagnateurs compétents, en nombre suffisant et bien répartis sur le territoire. C'est indispensable si nous voulons développer les rénovations performantes. Il faut des accompagnateurs intéressés et que la phase administrative d'agrément se déroule dans des délais raisonnables, ce qui n'est pas toujours simple pour les services déconcentrés de l'État. Notre objectif est de disposer de suffisamment d'accompagnateurs en 2024.
Notre deuxième sujet est la progression des volumes. Au regard de nos objectifs de décarbonation, nous atteignons déjà des niveaux substantiels d'économies d'émissions de gaz à effet de serre : 1,6 million de tonnes pour une année de travaux aidés par MaPrimeRénov', à comparer aux 45 millions de tonnes annuelles émises par l'ensemble du secteur du bâtiment résidentiel. Ce n'est pas négligeable, mais c'est encore insuffisant au regard des objectifs très ambitieux du paquet Climat européen. Nous devons accélérer, avec des rénovations plus performantes et plus nombreuses. Nous avons donc un enjeu de volume.
Le confort d'été n'est pas pris en compte dans le calcul de l'étiquette du DPE, mais il figure en tant qu'indicateur complémentaire, sans toutefois jouer de rôle dans la trajectoire d'indécence fixée par la loi Climat et résilience. Le confort d'été est un sujet dont l'importance va croître. Il fait partie des exigences réglementaires prévues par la RE2020, mais il n'est pas, pour l'instant, au coeur de la réglementation sur la performance énergétique. C'est probablement lié au fait que la climatisation n'est pas encore une habitude généralisée en France, son impact reste donc modéré sur nos émissions de gaz à effet de serre, même si elle pose des questions de santé publique. Ce sujet n'est donc pas encore au coeur de la réglementation, peut-être à tort... Il ne fait pas vraiment l'objet d'une réflexion à notre niveau. Tout dépendra des comportements et de l'impact des appareils de climatisation.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - MaPrimeRénov' risque d'inciter à l'installation de pompes à chaleur réversibles, avec climatisation. La consommation d'électricité risque donc d'augmenter l'été.
M. François Adam. - Vous avez raison. Néanmoins, la climatisation n'est pas encore un facteur majeur d'émissions de gaz à effet de serre et de consommation d'énergie. Mais je reconnais que ce sujet mériterait d'être davantage approfondi.
M. Simon Huffeteau. - Techniquement, la plupart des pompes à chaleur installées ne permettent pas de générer facilement du froid dans les logements. L'effet rebond que vous mentionnez existe, mais il ne s'agit pas d'un ratio un pour un, car toutes les installations ne le permettent pas. Cette problématique est suivie par l'administration, mais à ce stade, il n'existe ni obligation ni incitation particulière concernant la climatisation.
M. François Adam. - La RE2020 est une réglementation très ambitieuse en comparaison internationale, et elle le sera encore plus en 2025 et en 2028. Elle suppose des calculs sur l'ensemble du cycle de vie, avec des exigences en matière d'énergie, de carbone, de confort d'été et de performance intrinsèque du bâtiment. Nous n'en sommes qu'au tout début : elle concerne les permis de construire déposés à compter du 1er janvier 2022 et nous avons connu une vague de dépôts juste avant. Nous manquons encore de recul, mais les retours sont globalement positifs : cette première étape a été surmontée par les professionnels. Elle semble donc correctement dimensionnée, et il serait délicat de la rendre encore plus ambitieuse avant 2028. Je rappelle qu'elle ne s'applique pas encore à la totalité du secteur tertiaire, mais uniquement aux bureaux et aux bâtiments scolaires. La réglementation antérieure continue de s'appliquer aux autres bâtiments tertiaires, extrêmement disparates.
M. Simon Huffeteau. - En matière de rénovation, la question du score carbone des matériaux utilisés se pose, mais, à ce stade, il n'est pas envisagé d'incorporer un calcul carbone dans la réglementation applicable à la rénovation, comme cela est le cas dans la RE2020.
M. François Adam. - Le label expérimental BBC rénovation patrimoine est issu d'une démarche de l'association Effinergie en lien avec nous et avec le ministère de la culture. Un bilan est en cours de finalisation. L'expérimentation a concerné, entre 2020 et 2022, une vingtaine de sites. Les premières leçons qui peuvent en être tirées sont les suivantes : il s'agit toujours de bâtiments uniques en leur genre, nécessitant une grande adaptation aux situations particulières ; dans la plupart des cas, il est possible d'atteindre des niveaux de performance très intéressants, équivalents au label BBC rénovation, à condition de réaliser un diagnostic patrimonial spécifique - il est plus poussé que pour les bâtiments standards - et de bien identifier les travaux compatibles avec le caractère patrimonial du bâtiment. Il est donc possible d'améliorer la performance des immeubles anciens - c'est un message à faire passer -, mais ils doivent être traités au cas par cas, avec des compétences spécifiques.
La question de l'intelligence des bâtiments, notamment l'adaptation du chauffage des bâtiments à leurs conditions d'usage, a fait l'objet de travaux dans le cadre du plan gouvernemental de sobriété énergétique d'octobre dernier. Des évolutions réglementaires sont en cours pour imposer, dans tous les logements, des dispositifs de régulation de la température à un horizon relativement court, probablement au 1er janvier 2025. Cela constituera une obligation non négligeable pour les propriétaires, car cela a un coût, mais aussi un véritable impact sur la consommation. Les Français qui quittent leur logement pour se rendre à leur travail économiseront sur leur facture, sans s'apercevoir que la température a baissé pendant leur absence. Un décret analogue est en cours de préparation pour le secteur tertiaire. C'est le premier niveau d'intelligence des bâtiments.
Il existe des approches plus sophistiquées, au travers de l'indicateur SRI (Smart Readiness Indicator), prévu par la directive européenne sur la performance énergétique des bâtiments, et introduit en 2018. Il ne s'agissait pas d'une obligation pour les États membres. La France l'a expérimenté sur une trentaine de bâtiments tertiaires et résidentiels. Nous en ferons un bilan en juin et adresserons un rapport à la Commission européenne au cours du second semestre 2023. Cela nous permettra de savoir très précisément ce que l'on peut gagner, grâce à quels dispositifs. C'est un potentiel important pour le neuf, mais aussi pour l'existant. Cela pourrait constituer un troisième levier, lorsque l'on ne peut agir ni sur l'enveloppe ni sur le changement d'énergie, à un coût moindre que des travaux.
Le répertoire des locaux peut aider au suivi de la politique de rénovation énergétique. Les données concernant la performance du parc sont encore assez imprécises, basées sur des DPE qui ne sont pas tous obligatoires. Nous travaillons à partir de simples hypothèses pour une partie du parc. Il faut aussi tenir compte de la suppression de la taxe d'habitation. Nous allons donc nous appuyer à l'avenir sur l'identification fiscale du local, réalisée par la direction générale des finances publiques. Dès cette année, tous les propriétaires vont devoir faire une déclaration de nature fiscale, mais qui présente aussi un intérêt pour la connaissance du parc immobilier. Nous nous appuierons sur cet identifiant, notamment pour le suivi des DPE et des audits réglementaires, que nous collecterons également. Cette utilisation n'est toutefois pas encore opérationnelle, en raison de difficultés techniques et informatiques ; nous espérons qu'elle le sera en 2024.
La question d'une obligation de rénovation au moment de la vente a fait l'objet d'études et de débats parlementaires au cours des dernières années. Nous avons réalisé des travaux juridiques et techniques sur cette question, qui n'a pas encore fait l'objet d'une position du Gouvernement. C'est un sujet complexe, qui peut sembler envisageable pour des maisons individuelles, mais jusqu'à quelle performance, et avec quel contrôle ? La question est encore plus délicate pour les lots de copropriété, car l'essentiel de l'amélioration de la performance énergétique relève de décisions collectives d'engagement de travaux sur les parties communes - par exemple sur le système collectif de chauffage. Comment imposer de tels travaux à un copropriétaire ? Ce sujet fait partie de nos réflexions, mais il est techniquement et juridiquement difficile. Il est de surcroît sensible, car il ferait peser une importante obligation sur les propriétaires. C'est probablement un sujet de débat parlementaire ; il n'est pas complètement abouti.
Mme Daphné Ract-Madoux. - Il est important de penser au confort d'été au moment d'engager une rénovation énergétique. Il existe des solutions qui permettent de répondre aux deux enjeux. Mieux vaut y penser avant qu'après... N'oublions pas qu'il existe d'autres solutions que la climatisation, comme la couleur des volets.
Pourquoi ne pas envisager de faire peser les obligations de rénovation sur les futurs acquéreurs ou futurs locataires, par analogie avec les baux réels solidaires (BRS) ?
Dans la perspective de l'atteinte de nos objectifs pour 2030, les bailleurs sociaux veulent éviter un saucissonnage de leurs travaux, qui s'inscrivent dans le temps long. Nous comptons 35 millions de bâtiments à rénover, mais quid du logement collectif ? Faudra-t-il saucissonner pour espérer atteindre nos objectifs ? Les bailleurs sont actuellement dans des processus de fusion : les objectifs seront-ils calculés au niveau du parc ou opération par opération ? Comment aider le logement social à faire sa mue ?
En cas de travaux portant sur la seule rénovation énergétique, il n'existe pas d'obligation d'avoir recours à un architecte, qui pourrait pourtant apporter son expertise. La tour Pleyel pourrait ainsi être rénovée sans intervention d'un architecte... N'y a-t-il pas là un trou dans la raquette ?
Ne faudrait-il pas élaborer une charte nationale afin que les avis rendus par les architectes des bâtiments de France (ABF) sur la rénovation énergétique et les énergies renouvelables soient cohérents ? Il s'agirait d'atteindre nos objectifs tout en préservant le patrimoine. Il me semble qu'il existe des marges de progrès.
M. François Adam. - Rassurez-vous, je ne cherchais pas à inciter au développement de la climatisation. Je me félicite, au contraire, que peu de Français y aient recours, car la climatisation consomme beaucoup d'énergie et émet du CO2. De nombreuses autres solutions existent pour améliorer le confort d'été : aération, isolation des murs, occultation, etc. Mais c'est encore mieux si les travaux réalisés pour diminuer le besoin de chauffage améliorent aussi le confort d'été. C'est presque toujours vrai en cas d'isolation ; à l'inverse, un changement d'énergie n'a pas toujours d'impact. Cette réflexion sur la cohérence de deux enjeux n'est pas encore suffisamment systématique, ni dans la réglementation ni dans le contenu des audits.
M. Simon Huffeteau. - Les recommandations de travaux pourraient mentionner cette dimension. Mais aucun dispositif d'aide n'existe encore sur ces équipements techniques.
Mme Daphné Ract-Madoux. - Un toit-terrasse peut être refait avec des matériaux clairs, plutôt que foncés...
M. Simon Huffeteau. - Exactement. Des stores extérieurs peuvent également être posés et des matériaux isolants à meilleure inertie thermique privilégiés.
M. François Adam. - Cette dimension n'est pas encore prise en compte de façon systématique, mais il y a des évolutions, comme en témoigne la RE2020. Une revue globale sur la partie rénovation serait utile.
Quel objectif pour le logement social à l'horizon 2030 ? Les dispositions législatives sur les passoires thermiques s'appliquent de la même façon que dans le secteur privé. Mais cela ne sera pas suffisant en termes de décarbonation. Les objectifs du secteur seront-ils choisis par le secteur lui-même, définis contractuellement avec l'État ou fixés obligatoirement ? La question reste ouverte. Nous menons des travaux techniques sur cette trajectoire et échangeons avec l'Union sociale pour l'habitat. Mais nous en sommes à un travail très agrégé. Les positions des organismes sont très différentes, selon l'âge de leur parc et leur taux de passoires - jusqu'à 20 voire 30 %. Je ne sais pas encore quelle sera la trajectoire du logement social, qui a un rôle d'entraînement à jouer. Des discussions plus larges entre le Gouvernement et le secteur sur la conclusion d'un pacte de confiance sont en cours : la question de la rénovation en sera probablement l'un des éléments.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Et que pensez-vous du concept de seconde vie des bâtiments ?
M. François Adam. - Il s'agit d'un concept de rénovation très performante, poussé par les représentants des bailleurs sociaux. Nous l'avons expérimenté dans le cadre des aides à la pierre pour 1 000 logements. C'est un concept intéressant pour un sous-segment : il ne pourra concerner qu'une partie des rénovations énergétiques du parc social. Nous envisageons la prolongation de l'expérimentation en 2024.
Les architectes participeront à l'obligation d'accompagnement sur une partie importante des rénovations, car ils peuvent être agréés comme accompagnateurs. Faut-il renforcer l'obligation de recours à un architecte pour les immeubles collectifs ? Nous n'avons pas encore mené cette réflexion et ne l'envisageons pas particulièrement.
S'agissant des ABF, nous travaillons dans le cadre de la loi, qui donne compétence au ministère de la culture pour protéger le patrimoine. Nous sommes en dialogue régulier avec la direction générale du patrimoine pour informer le réseau des ABF de nos problématiques : rénovation énergétique et énergies renouvelables. À la suite de la loi relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables, une instruction interministérielle a été publiée afin d'harmoniser la doctrine des services du ministère de la culture sur l'installation de panneaux solaires sur des bâtiments patrimoniaux. Ce n'est pas un sujet simple : des précautions doivent être prises et la doctrine doit être homogène. Faudra-t-il aussi une doctrine harmonisée sur la rénovation énergétique ? Pourquoi pas. La question se pose : nous proposons de le faire en bonne intelligence avec le ministère de la culture. Nous nous efforçons de démontrer que la rénovation énergétique est possible dans ces bâtiments, tout en respectant leur caractère patrimonial. Il faut concilier les deux. Un trop fort assouplissement des contraintes patrimoniales ne serait ni accepté au niveau local ni souhaitable.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je vous remercie pour cette audition très intéressante, très complète et très précise. N'hésitez pas à nous transmettre les réponses à notre questionnaire que vous n'auriez pas eu le temps d'aborder.
Audition de
MM. Guillaume Dolques, chargé de recherche - adaptation
et
collectivités et Maxime Ledez, chargé de recherche -
investissement
et financement public, à l'Institut de
l'économie pour le climat
(I4CE)
(Lundi 3 avril 2023)
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation. Nous continuons les travaux de notre commission d'enquête en vous recevant aujourd'hui.
Monsieur Dolques, vous êtes ingénieur en énergie et en environnement. Vous avez travaillé dans le domaine de l'industrie avant de rejoindre l'Institut de l'économie pour le climat en 2020 où vous étudiez l'efficacité des aides à la rénovation énergétique et les enjeux d'accélération de l'adaptation au changement climatique. Vous êtes notamment l'auteur de plusieurs « Études climat » portant sur la rénovation énergétique des bâtiments.
Monsieur Ledez, vous être chargé de recherche à l'Institut de l'économie pour le climat dans les domaines de l'investissement et des financements publics depuis 2018. Vous travaillez notamment sur le panorama des financements pour le climat, dont l'édition 2022 a été publiée en octobre dernier. L'Institut de l'économie pour le climat a récemment publié deux études sur la rénovation énergétique. L'une porte sur des aides à la rénovation et leur inadéquation aux objectifs de rénovation globale, l'autre porte sur le nécessaire investissement dans la rénovation pour limiter les impacts du réchauffement climatique. En effet, dans un monde à + 2 degrés où les canicules seront de plus en plus fréquentes, les passoires thermiques seront des logements surchauffés et mal ventilés : là où le froid s'engouffre en hiver, s'infiltrera la chaleur l'été. La rénovation énergétique doit donc prendre en compte le confort d'été afin de proposer une solution durable dans les décennies à venir et d'éviter l'installation de climatiseurs, consommateurs d'énergie et participant au réchauffement de nos villes. Selon vous, comment mieux intégrer le confort d'été dans les rénovations ? Faut-il revoir les référentiels de la RE2020 et les cahiers des charges ? Faut-il réviser le DPE pour y intégrer ce critère ?
Comme de nombreuses personnes auditionnées, vous vous positionnez en faveur d'une réorientation des aides vers des rénovations globales performantes, à l'opposé de la politique actuelle favorisant la rénovation « au geste », sans doute moins efficace, mais choisie pour permettre d'embarquer dans des opérations de rénovation un plus grand nombre de ménages. Afin de diminuer le reste à charge des ménages, principal frein à la rénovation globale, vous préconisez dans votre étude un financement dual cumulant aides d'État et prêt plus accessible, tout en augmentant le prix du carbone. Concrètement, combien cela va-t-il coûter ? Quel est le montant d'aides nécessaire ? Quels taux et quelle durée pour les prêts préconisez-vous ? Quel prix de carbone serait adéquat ?
Le besoin d'accompagnement des usagers revient fréquemment dans nos auditions, comme un impératif afin de restaurer la confiance et d'orienter les particuliers vers des rénovations efficaces. Quel est votre point de vue à ce sujet ? Comment évaluez-vous le récent dispositif Mon accompagnateur Rénov' ? Comment améliorer le service public de la rénovation énergétique aujourd'hui ? Faut-il selon vous un guichet unique ? Ou doit-on plutôt proposer une offre unifiée ?
Quel regard portez-vous sur les solutions alternatives de financement de la rénovation par prêt hypothécaire et sur la solution, proposée par France Stratégie, d'opérateur ensemblier se finançant sur les économies d'énergie réalisées ?
Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces questions et pour un propos introductif d'une quinzaine de minutes, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'elle fera l'objet d'un compte rendu publié. Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du Code pénal qui peuvent aller de trois ans à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende. Je vous invite à prêter serment et de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Dolques et Ledez lèvent la main droite et disent « Je le jure ».
M. Maxime Ledez, chargé de recherche - investissement et financement public, à l'Institut de l'économie pour le climat. - L'I4CE est un think tank fondé en 2015 par la Caisse des dépôts et consignations, ainsi que l'Agence française de développement. Nous sommes une association à but non lucratif et nous comptons environ 44 collaborateurs. Notre mission est d'apporter une expertise sur les politiques publiques en matière d'atténuation et d'adaptation au changement climatique grâce à des travaux d'analyse et de recherche appliquée. En matière de rénovation énergétique, nous avons mené ces dernières années plusieurs travaux avec des angles différents, soutenus par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) et le ministère de la transition écologique.
Nous avons trois messages clés à vous exposer. Pour respecter les objectifs de la stratégie nationale bas carbone (SNBC), il faudra davantage investir en faveur de la rénovation énergétique des bâtiments avec une réorientation des investissements en faveur des rénovations globales. Deuxièmement, les rénovations énergétiques globales ne sont actuellement pas viables sur le plan économique. Enfin, il ne faut pas oublier l'enjeu de l'adaptation au changement climatique dans le cadre de la rénovation énergétique globale. Nous pouvons déjà mener des actions à court terme. Nous devons intégrer l'atténuation et l'adaptation dans tout projet de rénovation afin d'éviter une double rénovation.
M. Guillaume Dolques, chargé de recherche - adaptation et collectivités à l'Institut de l'économie pour le climat (I4CE). - Bien qu'elle soit en cours de révision, la SNBC actée en 2020 vise un parc de logement entièrement décarboné (au niveau basse consommation - BBC - en moyenne) à l'horizon 2050, accompagné d'une baisse drastique des consommations énergétiques du secteur à la même échéance. Pour atteindre cet objectif, il est nécessaire de recourir à des constructions neuves très performantes. Cependant, la majorité du parc disponible en 2050 est à rénover et non à construire : cela implique un effort important de rénovation énergétique sur la quasi-totalité des parcs existants afin de réaliser des économies d'énergie substantielles et de réorienter les énergies utilisées pour le bâtiment vers des énergies bas carbone.
L'atteinte de l'objectif de niveau BBC en moyenne en 2050 implique d'accroître le rythme de rénovations effectuées tous les ans pour atteindre 500 000 à 700 000 rénovations par an. Il est également nécessaire d'accroître la qualité des rénovations effectuées sur le territoire.
Plusieurs études, dont certaines de l'Ademe, préconisent une rénovation en une seule fois ou en plusieurs gestes coordonnés afin d'atteindre ce niveau BBC. Toutefois, la majorité des rénovations actuelles visent un poste ou parfois plusieurs postes de travaux, mais de manière insuffisamment coordonnée pour atteindre les objectifs fixés. Nous considérons que seules les rénovations globales permettront d'atteindre les objectifs de la SNBC.
Le sujet de l'adaptation au changement climatique est de plus en plus prégnant. En effet, les bâtiments publics commencent à être impactés par les effets du climat. Ce fut le cas lors de la session 2022 du baccalauréat où des conditions dégradées pour les étudiants ont été observées. De plus, des logements mal isolés provoquent parfois des problèmes sanitaires, notamment pour les populations les plus précaires.
La meilleure manière d'adapter les bâtiments au changement climatique ne consiste pas à réinvestir pour adapter, mais à profiter des opérations de rénovation. En effet, il n'est ni techniquement, ni économiquement souhaitable d'investir à deux reprises pour l'adaptation et pour la rénovation. Dès lors, nous préconisons d'intégrer des exigences d'adaptation dans l'ensemble des opérations de rénovation réalisées aujourd'hui.
Nos travaux n'ont pas vocation à déterminer si la SNBC constitue le moyen le plus efficace économiquement pour atteindre les objectifs de neutralité carbone de la France. Nous nous basons sur les travaux de la SNBC, desquels nous déduisons des besoins d'investissements, des freins et des retards d'investissements en lien avec cette stratégie.
M. Maxime Ledez. - Nous estimons les besoins d'investissement associé à la SNBC dans les secteurs du bâtiment, des transports et de la production d'énergie.
Au sein du secteur du bâtiment, nous estimons un retard d'investissement dans la rénovation énergétique. Une augmentation de 16 milliards d'euros d'investissements en moyenne est nécessaire sur la période 2021-2030, par rapport au niveau historique observé en 2019.
Les investissements doivent croître sur tous les segments du parc : résidentiel - privé et social - et tertiaire - public et privé. Les collectivités territoriales doivent doubler leurs investissements dans la rénovation de leur parc tertiaire. À cette question de volume s'ajoute également la question de la qualité. Aujourd'hui, les 18 milliards d'euros utilisés dans la rénovation énergétique financent en majorité des rénovations partielles. L'enjeu est de réorienter les investissements vers des rénovations globales afin d'atteindre le niveau BBC.
Au cours de la dernière décennie, 8 milliards d'euros d'aides (certificat d'économie d'énergie, TVA à taux réduit, MaPrimeRénov') ont été attribués pour la rénovation énergétique des logements privés et près de 500 millions d'euros d'éco-prêts à taux zéro ont été versés. Or, ces instruments de financement permettent de financer des rénovations à geste unique. Plus de 600 000 ménages ont bénéficié de MaPrimeRénov' en 2021, la part de rénovation à geste unique est de l'ordre de 83 %.
Des rénovations permettent de réduire de manière significative les consommations énergétiques de l'ordre de plus de 35 % dans le cadre des dispositifs Sérénité et Copropriété. Ces dispositifs ne sont toutefois pas nécessairement alignés avec les objectifs de la SNBC d'atteinte du niveau BBC. Cela concerne également les certificats d'économie d'énergie, dont l'approche geste par geste n'a pas pour objectif d'atteindre une rénovation globale, ainsi que l'éco-prêt à taux zéro, principalement souscrit pour financer des travaux de rénovation monogeste.
Le manque d'investissement dans la rénovation globale s'explique également par la méconnaissance des ménages sur la qualité thermique des logements. 32 % des ménages habitant dans une maison considèrent qu'ils n'ont pas besoin de travaux alors que seulement 5 % des logements sont classés A ou B sur le DPE. La SNBC vise à ce que plus de ménages soient conscients de cet impératif de travaux.
De plus, la réglementation est peu connue, peu contrôlée et peu respectée. C'est le cas de la réglementation thermique sur l'existant, notamment dans le cadre de travaux de ravalements de façade ou de réfection de toiture.
Les coûts de rénovation énergétique sont estimés comme importants par les ménages (déménagement lors des travaux de rénovation globale, rencontre de nombreux interlocuteurs). Les coûts de transaction engendrés sont considérés comme supérieurs aux gains apportés par une rénovation énergétique par les propriétaires.
Par ailleurs, l'insuffisance d'offre sur les territoires en matière de rénovation constitue un autre frein. Aujourd'hui, peu de professionnels sont formés à la rénovation globale du bâtiment. Les entreprises sur le territoire travaillent peu en groupement ; les interactions entre les différents corps de métier pour mener des travaux de rénovation globale sont limitées. Des initiatives comme Dorémi ou les sociétés de tiers financement visent à faire travailler des artisans ensemble, mais elles sont limitées.
Des freins spécifiques sont à relever sur certains segments du parc. Par exemple, pour les copropriétés, la prise de décision est assez complexe, notamment dans les délibérations d'assemblée générale. Pour les logements locatifs privés, les propriétaires bailleurs sont peu incités à rénover, car ils ne perçoivent pas directement les gains procurés par les économies d'énergie. Le locataire a quant à lui peu d'intérêt à rénover un logement pour lequel il n'est pas certain de demeurer plusieurs années.
M. Guillaume Dolques. - Dans le cadre de ce projet, notre constat de départ était que peu de rénovations globales étaient entreprises et que l'offre de financement proposée était probablement inadéquate aux besoins des ménages. Nous avons essayé de mieux comprendre la manière dont les différents systèmes d'aide et contextes économiques influent sur le raisonnement économique d'un ménage et sa perception du système lorsqu'il souhaite se lancer dans un travail de rénovation.
Nous avons ainsi développé un outil qui analyse la viabilité économique d'un projet de rénovation. Il évalue les conditions économiques qui permettraient au ménage d'être favorable à se lancer dans des travaux de rénovation. Ce concept de viabilité économique est articulé autour de trois notions :
Abordable : le ménage ne doit pas utiliser l'intégralité de sa trésorerie mais doit pouvoir financer ses travaux de rénovation grâce à des subventions ou des prêts ;
Profitable : le ménage doit pouvoir percevoir un bénéfice, les économies d'énergie. Les montants de rénovation globale sont assez élevés, si le ménage ne perçoit pas des économies d'énergie en un temps de retour suffisamment court, il risque de se décourager ;
Solvable : Les ménages les plus modestes ne peuvent pas s'endetter à des taux trop élevés, ce qui les exposerait à un risque de surendettement. Il n'est pas non plus souhaitable que les mensualités des prêts soient plus élevées que les économies d'énergie perçues dans le cadre des projets de rénovation. Dans ce cas, le risque est de grever les dépenses courantes des ménages.
Nous avons utilisé en exemple une rénovation globale classique et l'avons passée au prisme des conditions actuelles. Nous avons considéré comme cas de figure un ménage aux revenus modestes qui souhaite rénover sa maison pour passer de l'étiquette E à l'étiquette B. Les travaux de rénovation s'élèvent à 55 000 euros. Dans les conditions actuelles, ce ménage ne peut prétendre qu'à 35 % de subvention. Le reste à charge s'élève donc à 36 000 euros. À ce niveau de revenu, il risque de se décourager avant de considérer des solutions d'emprunt ou de financement.
Le ménage va comparer les montants à sa charge avec ses économies d'énergie. Ici, les économies d'énergie ne sont rentabilisées qu'après un temps supérieur à dix ans. Ce facteur risque également de décourager le ménage.
Si ce ménage veut contracter tout de même un emprunt, le taux d'endettement est relativement élevé, à hauteur de 5 %. Le ménage risque de s'éloigner du crédit, car les banques risquent d'être réticentes à lui octroyer le prêt. Si les banques lui octroyaient, le ménage serait en risque de surendettement.
Lorsque nous étudions plusieurs catégories de ménages et plusieurs projets de rénovation, ces conditions se répètent de manière régulière. Par conséquent, nous sommes face à un véritable frein économique pour lancer un programme ambitieux de rénovation globale, alors que plusieurs centaines de milliers de rénovations annuelles doivent être effectuées.
M. Maxime Ledez. - Dans le débat public, nous distinguons deux types de propositions.
D'abord, certaines propositions visent à lisser le coût de la rénovation grâce à l'endettement et aux économies d'énergie. L'idée est de développer une ingénierie financière avec des prêts qui permettent d'assurer l'équilibre en trésorerie des ménages et de maîtriser la dépense publique. À titre d'exemple se trouvent les propositions formulées par l'association négaWatt et le réseau CLER sur l'obligation conditionnelle de rénovation énergétique, l'opérateur ensemblier de France Stratégie ou encore le fonds pour la diminution de consommation d'énergie des bâtiments de MM. Combes, Ibanez et Mme Verchère.
Nous avons repris l'exemple du ménage modeste avec l'hypothèse qu'il peut contracter un éco-prêt à taux zéro sur trente ans. Un équilibre de la trésorerie est alors assuré. Les économies d'énergie permettent de rembourser les mensualités de remboursement et le taux d'endettement est relativement limité. Cependant, le reste à charge reste assez élevé et peut décourager le ménage de contracter un prêt de l'ordre de 30 000 à 40 000 euros. De plus, les conditions de rentabilité ne sont toujours pas respectées. Le temps de retour sur investissement demeure assez long et la valeur actuelle nette n'est pas positive avant quinze ans.
Deux interrogations s'imposent à nous face à cette proposition.
Comment faire en sorte que les prêts soient distribués par les établissements de crédit ? Les établissements bancaires considèrent que distribuer des éco-prêts à taux zéro n'est pas suffisamment rentable ou que les marges sont très faibles. Les coûts administratifs engendrés par la justification des dossiers sont trop lourds par rapport à l'aide proposée par l'État en matière de crédit d'impôt pour financer ces pertes d'intérêt. Les auteurs proposent souvent plusieurs solutions. D'une part, la question de la réglementation : la hausse de la demande en raison des obligations sur les mutations immobilières incitera les banques à se positionner sur le marché. D'autre part, le recours à une banque publique : en l'absence de prêteurs, les ménages peuvent se réorienter vers une banque publique, qui aurait l'obligation de financer cette opération.
Des risques peuvent être liés à des coûts de travaux qui ne seraient pas maîtrisés. La question des économies d'énergie se pose également. L'équilibre en trésorerie peut donc varier.
Le modèle économique des opérateurs ensembliers repose sur une inscription à leur actif des contrats de fourniture d'énergie sur une durée assez longue. Les ménages souhaiteraient-ils avoir de tels contrats sur un temps long ? Quels acteurs souhaiteront financer les opérateurs ensembliers ? En effet, il est possible de considérer que l'actif est risqué. Cela suppose un dispositif de garanties publiques ; donneront-elles lieu à des dépenses publiques ? Les opérateurs ensembliers devront-ils solliciter l'État pour compenser les pertes ?
Une deuxième série de propositions est davantage centrée sur les subventions. L'idée est de disposer d'un dispositif de subventions avantageux pour rendre plus incitatives les rénovations globales et limiter l'endettement des ménages, en particulier les plus modestes. Parmi les propositions figurent celles de la Convention citoyenne pour le climat, de la mission Sichel ou celle de l'initiative Rénovons !.
Nous reprenons l'exemple du ménage modeste. En supposant un taux de subvention de 85 % comme proposé par la mission Sichel, les travaux sont alors plus abordables. Les économies d'énergie permettent de financer les mensualités de prêts grâce au grand niveau de subvention. Le taux d'endettement est limité et le projet est désormais rentable. Le temps de retour sur investissement est court et attractif.
En revanche, la question du reste à charge demeure. Un montant de 8 000 euros doit être financé par un prêt. Se pose alors la question de la solvabilité pour les budgets publics. La mission Sichel a estimé que la rénovation de toutes les passoires thermiques vers un niveau BBC nécessitait un budget de 116 milliards d'euros d'aides, soit 11 milliards d'euros d'aides par an pour un plan sur dix ans. Il ne s'agit pas nécessairement d'aides publiques, mais également de certificats d'économie d'énergie.
Des modèles macroéconomiques estiment une augmentation des dépenses publiques sur le temps court pour la rénovation énergétique des logements. Il y aurait un retour en termes de recettes fiscales, avec une augmentation des assiettes fiscales, notamment les recettes issues de la TVA.
N'existe-t-il pas des frictions au niveau macroéconomique ? Si nous réalisons beaucoup de dépenses publiques, aurons-nous nécessairement un report effectif des artisans des rénovations partielles vers des rénovations globales ?
Ensuite, se pose la question des pressions inflationnistes. Si les subventions augmentent, les entreprises pourraient capter ces subventions et proposer des travaux à des tarifs plus onéreux.
M. Guillaume Dolques. - Les bâtiments ne sont pas conçus pour faire face au changement climatique. Les conditions seront amenées à se répéter et à empirer : vagues de chaleur, inondation, retrait-gonflement des argiles. Les bâtiments conçus aujourd'hui ne tiennent pas compte de cette nouvelle donne. Chaque année, le marché du bâtiment représente 125 milliards d'euros. Cette somme est investie dans des projets sans s'interroger sur les nouvelles conditions climatiques, alors même que les bâtiments rénovés et construits aujourd'hui connaîtront en 2050 des conditions d'exploitation probablement plus difficiles. Pour les constructions neuves, la RE2020 comporte des indicateurs de confort d'été, mais ne prend pas en compte l'évolution du climat et est basée sur un aléa passé, obsolète.
En rénovation, il n'existe aujourd'hui pas de réglementations ni d'incitations pour prendre en compte le changement climatique. La plupart des travaux entrepris concernent un poste et ne posent pas la question de l'adaptation au changement climatique. À terme, le risque est de devoir réinvestir massivement pour adapter le parc de bâtiments.
Le plus grand risque est la matérialisation d'un recours massif à la climatisation. La climatisation de confort évolue chaque année de manière quasi exponentielle au sein des logements. Nous devons donc intégrer des exigences de confort d'été et d'adaptation au changement climatique lors de la réalisation des projets.
Certains gestes isolés permettent d'améliorer le confort d'été comme la mise en place de volets, de protections extérieures ou le remplacement de systèmes de ventilation. Ils ne suffiront probablement pas à garantir un confort intérieur pour les prochains étés où les canicules seront certainement plus importantes.
Rénover de manière globale permet de traiter de nombreux postes de rénovation énergétique en même temps. Il y a un intérêt véritable à effectuer les travaux de confort d'été conjointement. À ce titre, l'étanchéité à l'air d'un bâtiment est essentielle. Pour les grands bâtiments et les bâtiments publics, la rénovation globale permet de s'interroger sur des simulations thermiques dynamiques et une maîtrise d'oeuvre plus poussée afin d'intégrer ces considérations. Des guides techniques sont déjà disponibles pour l'adaptation des bâtiments. Il existe déjà des démarches exemplaires qui mériteraient d'être davantage diffusées. Par exemple, la démarche Envirobat Bâtiments durables méditerranéens (BDM) oeuvre à faire avancer la filière du bâtiment sur l'ensemble des notions de bâtiment durable : l'efficacité énergétique, l'adaptation des bâtiments ou le recours aux matériaux biosourcés. Cependant, ces démarches sont encore isolées et devraient être mieux déployées sur le territoire. Néanmoins, elles se fondent sur le climat actuel, car les données sur le climat futur ne sont pas encore opérationnelles pour être prises en compte dans la réalisation des projets.
Nous préconisons de faire de la commande publique un levier d'exemplarité pour adapter les bâtiments : la commande publique exploite des bâtiments qui hébergent parfois des populations sensibles. Par exemple, les collectivités hébergent lycées, collèges et écoles. C'est une très bonne opportunité pour embarquer l'adaptation et l'atténuation avec les projets de rénovation énergétique.
Il est également nécessaire de progressivement réorienter les aides à la rénovation vers les projets les plus performants pour mieux tenir compte de l'adaptation. Des accompagnateurs formés à ces enjeux seront nécessaires, il peut s'agir des accompagnateurs France Rénov' mais également des artisans, qui sans formation spécifique risquent de passer à côté de ces objectifs.
Le troisième levier est d'accompagner la montée en compétence de l'ensemble de la filière : la recherche fait partie des pistes. Par exemple, le programme Prebat a été porté par l'Ademe au sujet de l'efficacité énergétique des bâtiments. Il y a aujourd'hui une opportunité de porter un programme de recherche pour intégrer ces nouveaux enjeux. En effet, malgré les solutions techniques, nous manquons aujourd'hui d'expérience : ce programme permettrait de réaliser des bâtiments démonstrateurs qui prendraient en compte ces nouveaux leviers. L'ensemble de la maîtrise d'ouvrage (publique et auprès des particuliers) doit être sensibilisée à l'adaptation au changement climatique. Les professionnels ne sont pas incités à inclure les enjeux d'adaptation dans leurs cahiers des charges, car les surcoûts d'adaptation ne sont pas justifiés si aucune demande n'est émise.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Merci pour votre exposé.
Dans les différentes auditions, nous nous interrogeons souvent sur deux aspects : l'incitation (via les aides et subventions) et l'obligation de rénovation (lors de la vente, comme cela se fait pour l'assainissement ; sans reste à charge et financé par un prêt hypothécaire). Quel est votre avis entre les solutions fondées sur de l'aide directe et celles centrées sur l'obligation ?
Derrière la question financière se pose celle du développement de la filière, de la formation des entreprises, de la disponibilité des matériaux, de la mise en place d'une filière plus locale, notamment sur le biosourcé, avantageux pour le confort thermique et le stockage du carbone. Avez-vous réfléchi sur le lien entre l'argent à investir et la possibilité à faire monter en gamme la filière ?
Si nous nous focalisons uniquement sur l'objectif 2050 de neutralité carbone, une dérive inquiétante serait de penser qu'il suffit de remplacer l'ensemble de nos moyens de chauffage par du chauffage électrique en partant du principe que la production électrique est nucléaire notamment, et donc décarbonée. Le besoin d'isoler disparaîtrait alors.
Il en est de même pour la question de la climatisation et du confort thermique d'été. Comme les vagues de chaleur seront très fortes, certains peuvent penser que le temps manquera pour agir sur les bâtiments en matière d'isolation. La climatisation serait alors elle une solution. Comment faire attention à cette dérive ? Par ailleurs, la rénovation des bâtiments concerne également d'autres aspects, comme la santé et le confort.
M. Maxime Ledez. - Nous n'avons pas d'avis particulier sur le guichet unique. Nous comprenons les arguments pour et contre. D'une part, le guichet unique pourrait faciliter le pilotage de la politique publique. D'autre part, des guichets adaptés à différents types de ménages pourraient être plus adéquats. En particulier, certains ménages en situation de précarité consultent des acteurs comme Soliha, des ménages en situation de copropriété ont pour interlocuteur privilégié le syndicat. Ces acteurs peuvent réorienter les ménages vers des accompagnateurs Rénov' qui proposeront par exemple une offre de financement.
Le point le plus important concerne le déploiement de Mon accompagnateur Rénov' et le processus de redirection des ménages vers Mon accompagnateur Rénov' en cas de besoin de rénovation.
M. Guillaume Dolques. - Nous avons étudié dans quelle mesure l'instauration d'une fiscalité carbone ambitieuse pourrait permettre de déclencher des rénovations globales pour les ménages. Nous avons effectué une simulation : nous avons coupé l'entièreté du système d'aide et avons proposé un prêt à un taux très faible sur un temps très long. Ce prêt couvrirait les économies d'énergie pour permettre aux ménages de s'engager dans des projets de rénovation sans grever ses dépenses. Nous avons ensuite ajouté une composante carbone qui monte rapidement jusqu'à 250 euros la tonne. Nous avons vérifié si, dans ces conditions, le projet était rentable pour le ménage. Autrement dit, la fiscalité carbone peut-elle se substituer au système d'aide actuel ? Les conclusions de cette simulation montrent qu'avec la composante carbone seule, les projets de rénovation gardent des valeurs actuelles nettes très faibles s'ils ne sont pas subventionnés. De fait, les économies d'énergie ne sont pas suffisantes, et ce, même pour des montants de factures qui augmentent tous les ans.
Ensuite, nous nous sommes demandé quel devrait être le montant de la facture énergétique pour qu'un ménage se lance dans un projet de rénovation énergétique si celui-ci n'est pas subventionné ? Les niveaux de composantes carbone devraient atteindre des niveaux extrêmement élevés de l'ordre de 1000 euros la tonne, ce qui est insoutenable par ailleurs.
En conclusion, la fiscalité carbone à elle seule ne permettra pas de rendre rentables des projets de rénovation globale. En revanche, lorsque ce mécanisme est couplé avec des subventions ou avec des prêts, dans un mix de politiques publiques, il peut trouver un terrain d'intérêt. En effet, il accroît la rentabilité des projets de rénovation. Si un ménage sait par avance que sa facture augmentera, il aura de plus en plus intérêt, à mesure que la composante carbone croît, à se lancer dans des projets de rénovation énergétique.
M. Maxime Ledez. - Notre outil suppose que l'information est parfaite et que le ménage anticipe l'augmentation de la composante carbone et comprend son impact sur sa facture énergétique. L'outil prend également en compte l'hypothèse que l'accès au crédit est illimité et que les éco-prêts à taux zéro sont facilement distribués. Nous ne constatons pas une telle situation pour l'instant.
Ensuite, combien de dépenses publiques supplémentaires sont nécessaires ? Cela dépendra en grande partie du mix. Nous n'avons pas réellement formulé de recommandations. À travers notre publication, nous disposons d'un panel de six logements, qui n'a pas vocation à être représentatif de l'ensemble du parc de logements. Les copropriétés ou les logements locatifs privés constituent des cas particuliers. En revanche, la proposition de la mission Sichel de 11,6 milliards d'aides peut donner un premier ordre de grandeur. Certaines propositions visent également à atténuer la dépense publique ou à l'augmenter.
S'agissant de l'accompagnement, nous trouvons les propositions énoncées par la mission Sichel très intéressantes, notamment avec la plateforme digitale. Toutefois, intégrer les propositions de financement des banques et les offres de travaux constituent un projet complexe.
L'accompagnement humain est primordial. L'accompagnateur Rénov' devra être très compétent en matière technique et financière mais également capable d'accompagner les ménages dans une démarche commerciale. De tels profils sont malheureusement rares, l'enjeu de la formation de la filière de la rénovation réside également dans la formation des futurs accompagnateurs. Le dispositif Mon accompagnateur Rénov' permettra de renforcer cette filière d'accompagnateur en rendant obligatoire le dispositif pour certains types de travaux. Il sera ensuite nécessaire de se demander comment orienter ce dispositif vers l'accompagnement des rénovations globales. Pour l'instant, à ma connaissance, les pouvoirs publics n'ont pas donné d'éléments de réponse à ce sujet.
M. Guillaume Dolques. - À propos du DPE et notamment de son adaptation dans un monde qui évolue, nous ne disposons pas aujourd'hui de travaux sur le sujet. D'après nos retours, il nous semble que le DPE constitue un outil assez complexe pour les particuliers. Il demande un certain temps d'appropriation, car les informations sont nombreuses. De premières estimations de confort d'été y sont déjà incluses, mais elles pourraient être améliorées.
Quasiment l'ensemble des diagnostics livrés au moment de la mutation pourraient évoluer. Au moment d'une mutation, le diagnostiqueur transmet l'ensemble de la carte des risques d'un logement ou d'un bâtiment. Il s'agit des risques tels qu'ils sont aujourd'hui inscrits dans les différents documents d'urbanisme de la ville. Cependant, un bâtiment en risque faible d'inondation ou en retrait-gonflement des argiles pourrait très bien se retrouver en risque fort d'ici quelques années, voire quelques décennies. Les implications économiques peuvent être radicalement différentes : aujourd'hui, une maison fissurée par du retrait-gonflement des argiles a perdu toute sa valeur sur le marché.
En ce qui concerne les diagnostics de performance, d'autres outils commencent à être développés. En particulier, le diagnostic de performance résilience, porté par le groupe CDC Habitat, passe au crible les aléas et les risques physiques de l'ensemble de son parc immobilier. Ce type d'outil permet à l'échelle d'un parc, d'un bailleur social, de créer une véritable stratégie d'adaptation sur le long terme. Elle permet de coupler l'ensemble de ces opérations prévues, comme des opérations de rénovation énergétique et de maintenance, afin d'accroître l'adaptation.
Ce type d'outil permet également d'ordonnancer les travaux en fonction des poches de vulnérabilité les plus importantes. Pour définir le cadre d'un diagnostic de performance idéale en matière de résilience, nous pourrions nous rapprocher de ce type de démarche. L'association Envirobat BDM a également développé un label avec des critères, lequel fait déjà référence dans la zone géographique de son implantation. Ce type de démarche pourrait être davantage diffusé et partagé par les acteurs de la filière.
Bien qu'elle concerne le logement neuf, la RE2020 a changé la donne en matière de confort d'été, notamment avec des exigences plus élevées et des modes de calcul construits avec l'interprofessionnel de la filière. Cependant, le référentiel choisi pour les calculs thermiques, la canicule de 2003, risque très probablement d'être obsolète. Il s'agit en quelque sorte d'une opportunité manquée d'avoir mieux intégré l'adaptation dans les bâtiments neufs dans le cadre de cette RE2020.
Pour autant, à la suite de cette réglementation, des actions commencent à se mettre en place. Par exemple, des labels accompagnent ces réglementations. Dans ce cadre, nous pourrions essayer de mieux traiter cette information. Des acteurs techniques ont travaillé sur l'intégration des risques dans les opérations. Par exemple, le Centre européen de prévention des risques d'inondation (Cepri) a récemment publié un rapport sur la manière de mieux intégrer le risque inondation au moment des opérations de construction et de rénovation. Un appel à projets « Comment mieux bâtir en terrain inondable » a également produit des projets intéressants à l'aune de ces nouveaux risques.
M. Maxime Ledez. - Quelle solution privilégier entre incitation et obligation ? Nous n'avons pas d'avis sur le sujet. Les deux seront certainement nécessaires et ne sont pas exclusifs. La question repose sur la nature des incitations et des obligations à mettre en oeuvre. Elles doivent permettre de développer la filière et de s'assurer de la disponibilité des matériaux.
Nos prochains travaux s'intéresseront au possible scénario de financement pour la rénovation énergétique des logements et aux interactions avec la réglementation. Nous défendons l'idée d'une programmation pluriannuelle des financements en faveur de la rénovation énergétique des bâtiments et d'autres sujets de la transition énergétique. Il s'agit de donner de la visibilité aux acteurs (maîtres d'ouvrage, filière du bâtiment, structures d'accompagnement) pour pouvoir se positionner sur les marchés. Aujourd'hui la SNBC n'est pas jugée comme un signal crédible par les acteurs. En effet, peu de professionnels se forment à la rénovation globale. Des moyens adaptés à cette stratégie sont nécessaires : il est nécessaire de donner de la visibilité sur le temps long sur les subventions, les offres de prêts, les dispositifs d'accompagnement et les réglementations.
Nous engageons actuellement des travaux pour savoir comment intégrer davantage les matériaux biosourcés dans la rénovation énergétique des bâtiments. Ces travaux seront disponibles cet été. Il s'agit d'un sujet gagnant-gagnant : nous avons besoin de débouchés pour la filière bois, qui favorise la séquestration du carbone. Par ailleurs, certains de nos voisins européens ont décidé de subventionner davantage les matériaux biosourcés que d'autres matériaux. Cela peut être une piste intéressante pour développer la filière forêt-bois et la rendre plus locale.
En ce qui concerne les dérives à se focaliser uniquement sur la décarbonation, le sujet doit être traité dans le cadre de la stratégie française énergie-climat en cours de préparation. Ce doit être un sujet de débat entre pouvoirs politiques. J'espère que c'est un vrai point de vigilance pour les personnes qui préparent cette stratégie. Nous n'avons pas de stratégie privilégiée au sein de notre institution, nous cherchons à implémenter une stratégie actée et décidée par plusieurs acteurs.
M. Guillaume Dolques. - Nous ne pourrons pas nous passer partout de la climatisation. Certains usages devront être privilégiés, notamment pour les bâtiments qui hébergent des populations les plus vulnérables. Pour autant, il n'est pas souhaitable de déployer massivement la climatisation. Cela impose d'une part, d'investir dans la rénovation des bâtiments. D'autre part, nous pouvons, en tenant compte de l'évolution du climat, prévoir dans les opérations de rénovation des solutions pour intégrer du froid a posteriori si les conditions actuelles ne sont pas réunies pour imposer cette climatisation. Des choix techniques permettent d'attendre des évolutions techniques ou réglementaires pour mieux prendre en compte cet aspect. D'importants garde-fous doivent être mis en place pour éviter les dérives et les consommations énergétiques et d'émissions de gaz associées.
M. Franck Montaugé. - Merci. Je salue de manière générale les travaux de votre institut.
Dans le cas pratique de la famille modeste, intégrez-vous en plus des contraintes en matière de rénovation énergétique de leur habitat, les contraintes supplémentaires liées au climat et qui touchent à des postes contraints (transport, alimentation, etc.) ? Je pense qu'il n'est pas possible d'étudier la question de la rénovation et du post-rénovation, indépendamment de ces autres postes. Les coûts augmenteront probablement. Par conséquent, l'engagement d'investissement se complexifiera, notamment en matière de rénovation énergétique.
Selon vous, peut-on espérer des économies d'échelle sur les coûts de la mise en oeuvre des techniques nécessaires au respect de la réglementation en matière de rénovation énergétique ?
Au sujet des prêts, des spécialistes comme Christian Gollier travaillent sur la question du prix du carbone, mais également sur les taux d'actualisation utilisés dans les modèles décisionnels. Ces derniers peuvent toucher les particuliers, le secteur bancaire et tous les organismes de prêt potentiels. Cet aspect peut influer sur les décisions prises et sur la facilitation de l'engagement d'investissement.
Estimez-vous que l'ambition posée avec des objectifs très clairs, notamment à échéance 2050, soit réalisable ? La SNBC devrait-elle être ajustée et reconsidérée à l'aune des moyens publics et privés qu'il est possible de consacrer à la rénovation énergétique ?
Nous sommes tous d'accord sur l'urgence de la situation. Mais il ne suffit pas de souligner l'urgence pour y arriver au vu de la complexité du sujet. Avez-vous des recommandations à adresser aux politiques sur le plan législatif et à l'exécutif sur le plan réglementaire ? Sommes-nous allés trop loin ? Il faut trouver un optimum entre l'exigence technique et la faisabilité économique et financière.
M. Guillaume Dolques. - Au sujet de l'outil et de sa modélisation, nous ne prenons pas en compte les contraintes techniques du bâtiment. Nous observons simplement le frein économique. Nous résolvons donc seulement une partie de l'équation. Nous n'étudions pas les contraintes techniques, si ce n'est que nous nous basons sur des rénovations globales qui ont eu lieu sur le territoire.
Pour les contraintes de trésorerie, le reste à vivre fait partie des indicateurs retenus pour définir la viabilité économique. L'idée est de tendre vers un reste à charge nul pour les ménages, pour ne pas grever ce reste à vivre. Nous étudions également l'équilibre en trésorerie. Selon nous, un projet doit globalement ne rien coûter ou très peu à la trésorerie du ménage lorsqu'il débourse pour ces travaux. Il doit disposer de subventions ou pouvoir emprunter. Le prêt doit être au moins couvert par les économies d'énergie. Le ménage doit forcément avoir une opération positive à la fin, même si le retour sur investissement peut être très long. Dans tous les cas, des conditions devraient permettre de déclencher certaines rénovations pour les ménages modestes.
M. Maxime Ledez. - À propos des économies d'échelle liées à la mise en oeuvre des techniques de rénovation énergétique, une étude a été conduite par l'Ademe autour du dispositif « Perf in mind ». Des groupements d'artisans ont travaillé ensemble pour essayer d'optimiser l'offre de travaux de performance énergétique et ont réussi à réduire les coûts à hauteur de 20 % par rapport à la facture initiale.
Ensuite, des dispositifs intéressants comme EnergieSprong visent à industrialiser les travaux de rénovation énergétique. Des actions peuvent donc être menées pour atténuer l'augmentation, voire réduire les coûts de la rénovation énergétique pour les logements.
Par ailleurs, le plan France 2030 vise à proposer une offre industrielle assez soutenue dans plusieurs secteurs, notamment dans le secteur énergétique et des transports. Nous avons été étonnés de voir que rien ne visait à développer une offre de rénovation énergétique des bâtiments, à industrialiser, à financer des investissements dans la recherche et le développement. Il s'agit peut-être d'une opportunité manquée ou d'un tir à rectifier. En effet, il est nécessaire de soutenir la filière et de réussir à réduire les coûts dans le temps long au vu du volume d'investissement à engager d'ici 2050.
M. Guillaume Dolques. - L'actualisation dégrève dans le temps les économies d'énergie : plus les économies d'énergie sont réalisées tardivement dans la vie d'un projet, moins elles sont intéressantes pour le ménage. Cela joue grandement sur les calculs de rentabilité. En effet, pour modéliser l'aversion des ménages à se lancer dans ces projets, nous actualisons les économies d'énergie, de l'ordre de 5 % pour les ménages aux revenus les plus élevés et jusqu'à 15 % pour les ménages aux revenus les plus modestes. Par 15 %, nous exprimons le fait que les ménages aux revenus les plus faibles sont d'autant plus averses à se lancer dans des projets de rénovation énergétique s'ils ne perçoivent pas des économies d'énergie très rapidement.
Cependant, nous n'observons qu'une partie de la rentabilité. Les calculs de valeur actuelle nette, actualisés à des taux assez élevés, sont des calculs complexes à réaliser et en pratique peu développés dans les calculs des ménages. En effet, les ménages se tournent davantage sur le temps de retour sur investissement brut. Ils regarderont leurs économies d'énergie pour la première année, sans prendre en compte l'évolution du prix des énergies ou éventuellement une composante carbone. Ils diviseront le coût des travaux par ces économies d'énergie pour calculer leur temps de retour sur investissement.
M. Franck Montaugé. - Quel est le point de vue des prêteurs ?
M. Maxime Ledez. - Nous n'avons pas étudié la question du point de vue des prêteurs. Nous nous sommes concentrés sur le point de vue des ménages. À travers la question de la rénovation énergétique, nous observons un manque d'alignement entre les taux d'actualisation par rapport à la collectivité à l'échelle nationale et par rapport aux acteurs privés engagés (les ménages, les acteurs bancaires et les professionnels de travaux). Un mode d'intervention publique sera nécessaire, mais je ne sais pas lequel.
Ensuite, selon nous, l'ambition des objectifs de 2050 est faisable sur le plan technique.
M. Franck Montaugé. - Pensez-vous que la question de cette faisabilité doive faire l'objet d'une réflexion et d'études dès à présent ? Au fur et à mesure des auditions, nous nous apercevons que nous sommes engagés dans une question qui nous dépasse largement.
M. Maxime Ledez. - Je pense que cette question doit être traitée dans le cadre des travaux de la stratégie française énergie-climat. La question de la programmation est centrale si vous avez une stratégie pour déterminer les moyens nécessaires.
Des travaux ont été déjà menés au sujet d'une rénovation performante par étape. Nous savons comment nous y prendre sur le plan technique. Cependant, sur le plan organisationnel et financier, il reste du travail.
Enfin, si vous décidez d'abandonner l'objectif relatif à un parc à niveau moyen BBC, vous reporterez les exigences de réduction des consommations d'énergie ou de réduction des émissions de gaz à effet de serre sur d'autres secteurs, ou vous viserez une production d'énergie supplémentaire en France. Mais cela présente également un coût.
M. Franck Montaugé. - Cette question appliquée à la rénovation énergétique doit être élargie à tous les domaines qui ont un impact sur le climat. Du point de vue de la puissance publique, les sujets se cumulent. Par exemple, l'accès au véhicule électrique se pose dans des termes similaires. Il n'est pas possible de raisonner en silo.
M. Maxime Ledez. - En effet, nous ne pouvons pas définir une stratégie pour le bâtiment indépendamment des autres stratégies. Le secrétariat général à la planification écologique (SGPE) ou bien la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) en ont conscience dans le cadre de leurs travaux. Si un curseur bouge, il aura forcément des répercussions sur d'autres secteurs. Il est donc très difficile de définir une stratégie, car cela dépend beaucoup des stratégies inhérentes aux autres secteurs.
En termes de recommandations politiques, une programmation est nécessaire. Nous ne possédons pas toutes les clés pour établir ce qu'il faudrait faire en termes de politiques publiques. Il s'agit de montrer la voie aux ménages et à la filière du bâtiment et de proposer des outils. Après la stratégie française énergie-climat, il sera nécessaire d'engager directement des travaux.
M. Guillaume Dolques. - Cette question de programmation des financements publics pour le climat résout également le paradoxe entre les préconisations en faveur d'une réorientation des aides à la rénovation globale et le besoin de constance des aides à la rénovation pointé par de nombreux acteurs. L'idée est de ne pas perturber les ménages déjà assaillis d'informations sur la rénovation énergétique. Cette idée de programmation des financements climat constitue la bonne manière de se réorienter en douceur en faisant vivre des systèmes d'aides différents pendant un temps, que ce soit pour les rénovations à geste unique ou pour la rénovation globale. Peu à peu, un effet de vases communicants permettra de tendre vers ce type de rénovation globale. Cela permettra également à la filière de s'adapter plus facilement et de créer l'offre nécessaire, aujourd'hui relativement inexistante. La demande pourra anticiper et comprendre que les objectifs concernent la rénovation globale et qu'il ne s'agit pas simplement d'un objectif de la SNBC déconnecté de la réalité.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous avons compris que la visibilité, de la pérennité et de la stabilité sont nécessaires pour s'inscrire dans les objectifs et dans cette SNBC. Nous vous remercions.
Audition de
M. Andréas Rüdinger, coordinateur - transition
énergétique France à l'Institut du développement
durable
et des relations internationales (Iddri), et de Mme Albane
Gaspard, animatrice de secteur - prospective du bâtiment et
immobilier
à l'Agence de la transition écologique
(Ademe)
(Lundi 3 avril 2023)
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Monsieur Rüdinger, vous êtes coordinateur pour les questions de transition énergétique à l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) depuis l'année dernière mais vous avez rejoint l'institut il y a douze ans en tant que chercheur sur les questions d'énergie et de climat. Vos travaux portent notamment sur la gouvernance des politiques climatiques en France et sur les enjeux de la transition énergétique. Depuis 2020, vous coordonnez également la plateforme des experts sur la rénovation énergétique en France, en partenariat étroit avec l'Ademe. Nous vous recevons donc avec ces deux casquettes. Je précise que vous êtes aussi chargé d'enseignement à Sciences-Po Paris et à SupAéro Toulouse.
Madame Gaspard, vous pilotez depuis un peu plus de cinq ans la réflexion prospective de l'Ademe sur le bâtiment et l'immobilier. Vous étiez auparavant au sein de l'agence, sociologue des comportements en matière d'énergie et de bâtiments après avoir été chargée de mission sur les questions de concertation. Vous avez également été consultante à Londres il y a une quinzaine d'années sur les questions d'impact socio-économique, de changement climatique et de planification urbaine.
Vous avez tous les deux rédigé le rapport de la plateforme d'experts pour la rénovation énergétique des logements en France, intitulé Réussir le pari de la rénovation énergétique. Ce rapport a été publié en mai 2022. Ce travail a motivé votre audition, même si chacun d'entre vous a réalisé de nombreuses autres recherches autour du thème de la rénovation des bâtiments. Vous pourrez bien entendu sortir du cadre de ce rapport pour nous faire partager vos analyses. La plateforme d'experts pour la rénovation énergétique des logements souligne que « malgré son abord consensuel, la politique de rénovation énergétique des logements français ne parvient pas à atteindre ces objectifs ». Ce rapport interroge les blocages sous-jacents et comment les dépasser. Vos interrogations sont donc proches de celles de notre commission d'enquête.
Votre rapport relève un ensemble de controverses autour de ce sujet, controverses souvent liées aux objectifs mêmes de la politique de rénovation et qui sont génératrices de tensions. La première de ces tensions résulte de la cohabitation entre la poursuite d'objectifs climatiques selon une logique de décarbonisation et la poursuite d'objectifs énergétiques autour d'une logique d'amélioration de l'efficacité énergétique et d'isolation.
La deuxième tension participe de la poursuite d'objectifs sociaux au sein de la politique de rénovation. En effet, vous vous interrogez dans les termes suivants : faut-il privilégier la massification des gestes de travaux les plus rentables pour lutter rapidement contre la précarité énergétique ? Faut-il cibler les aides publiques sur les ménages modestes uniquement ou fournir également des aides généreuses pour les classes moyennes et aisées en mesure d'investir plus rapidement et massivement afin de structurer rapidement le marché des rénovations performantes ? Ce sont des questions fondamentales.
Vous déplorez également que les politiques mises en oeuvre - politique d'urbanisme, politique de rénovation urbaine, d'accès au logement et d'amélioration de l'habitat - fonctionnent le plus souvent en silo avec des objectifs, des acteurs et des logiques d'action différents. Bien qu'ayant comme point commun le même objet physique, à savoir le logement, chacune de ces politiques l'aborde sous des angles différents. Ce constat plaide pour une plus grande coordination de la gouvernance des politiques de rénovation énergétique.
Vous relevez ensuite d'autres types de controverses davantage liées aux outils de mise en oeuvre de la politique de rénovation : la viabilité économique et financière des travaux de rénovation, l'approche globale ou par étapes de la rénovation, le point d'équilibre entre incitation et obligation ou encore la structuration de l'offre, qui implique une stratégie pour le secteur du bâtiment, filière professionnelle dont l'offre doit être en capacité d'absorber la hausse massive de la demande, avec un niveau de qualification élevé.
Quelle feuille de route proposez-vous pour le futur de la rénovation énergétique des logements ? Comment articuler les deux principes directeurs que vous proposez, à savoir, d'une part, l'accélération et, d'autre part, la performance ? Dans quel sens faire évoluer les dispositifs existants et quels nouveaux dispositifs nous faut-il mettre en place ?
Avant de vous laisser la parole pour répondre à ses premières questions, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié. Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-4 et 434-15 du Code pénal qui peuvent aller de 3 ans à 7 ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende. Je vous invite donc, madame, monsieur, à prêter serment, de dire toute la vérité et rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Rüdinger et Mme Gaspard prêtent serment.
M. Andreas Rüdinger, coordinateur transition énergétique France à l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri). - Nous avons créé cette plateforme d'experts et mené ce travail à partir d'un point de départ : les politiques de rénovation énergétique sont consensuelles. Cet enjeu est partagé de façon transpartisane au niveau politique avec des objectifs extrêmement ambitieux.
Pourtant, nous rencontrons des difficultés à avancer dans nos objectifs. Malgré ce consensus, des blocages, parfois difficiles à identifier, sont présents. Le point de départ de ce travail a été de s'interroger sur la réalisation d'une cartographie des controverses politiques, parfois implicites, mais qui peuvent présenter autant de points de blocage.
Par ailleurs, dépasser une controverse ne signifie pas forcément amener un consensus parfait. Des divergences peuvent demeurer, mais elles ne doivent pas empêcher l'action. Nous avons mené ce travail pendant deux ans avec une vingtaine d'experts venus du monde de la recherche, des bureaux d'études et d'agences publiques pour essayer de recueillir plusieurs points de vue différents.
Nous avons également constaté un retard face à des objectifs extrêmement ambitieux au niveau national. L'enjeu aujourd'hui consiste à concilier l'effort d'accélération des rénovations énergétiques et de massification avec l'effort d'approfondissement d'une meilleure performance. La bonne nouvelle est que nous avons peut-être déjà réalisé la moitié du chemin. En termes d'accélération, les résultats sont plutôt très encourageants ; aujourd'hui, environ 700 000 gestes de rénovation sont réalisés chaque année, mais en termes d'approfondissement, la performance atteinte des rénovations reste un enjeu important puisque seules 40 000 à 60 000 rénovations performantes sont réalisées chaque année. De plus, ces dernières sont extrêmement difficiles à suivre.
Selon les chiffres de l'Observatoire national, le gain moyen par projet de rénovation se situe aujourd'hui autour de 3 600 kilowattheures (kWh). Pour un logement moyen du parc de 91 mètres carrés, avec 180 à 190 kWh par mètre carré de consommation, le gain de performance s'élève par exemple à 20 %. En revanche, si nous appliquons ces mêmes volumes d'économie d'énergie à une passoire thermique, nous nous situons plutôt sur un ordre de 10 %. Ce n'est clairement pas suffisant pour amener l'ensemble du parc au niveau basse consommation d'énergie (BBC).
Ce retard dans la mise en oeuvre des politiques présente évidemment un coût. Dans un précédent article, nous avions notamment signalé que si la France avait atteint les objectifs fixés pendant le Grenelle de l'environnement de 2008, à savoir réduire de 38 % la consommation d'énergie dans les bâtiments et atteindre 500 000 rénovations performantes par an, nous n'aurions plus été dépendants du gaz russe depuis 2020. Cela montre l'importance de la rénovation énergétique en termes de résilience sur le plan climatique, mais également géopolitique et économique.
Le bouclier tarifaire mis en place pour répondre à l'urgence sociale et économique de la crise de l'énergie a consommé environ 30 milliards d'euros de dépenses publiques en 2022 et jusqu'à 45 milliards d'euros budgétés en 2023. Il est à comparer aux 3 milliards d'euros de budget pour MaPrimeRénov'. Nous nous situons sur un rapport de 1 à 10 qui interroge sur la gestion de la crise.
La première controverse concerne l'opposition entre une logique de décarbonation, liée au climat, et une logique d'efficacité, liée à l'énergie. Cette controverse est directement liée à deux autres controverses. L'une concerne la faisabilité technique et la pertinence économique des rénovations performantes. Tant que cette controverse ne sera pas débloquée, il sera difficile d'avancer sur la controverse inhérente à la décarbonation et à l'efficacité énergétique. L'autre controverse concerne la vision du parc de logements dans les scénarios prospectifs à l'horizon 2050. Cela renvoie à la possibilité d'atteindre la neutralité carbone en jouant uniquement sur la décarbonation de l'énergie, plutôt que sur l'isolation. En théorie, dans la stratégie politique de la France, cette controverse a déjà été dépassée. En effet, l'objectif BBC en 2050 figure dans le code de l'énergie. Le plan de rénovation énergétique des bâtiments de 2018 indiquait que l'objectif de rénovation de l'ensemble du parc de bâtiments au niveau BBC d'ici 2050 ne pourra qu'être confirmé, voire renforcé, en insistant sur le fait que c'était la clé pour décarboner.
D'autres objectifs que la décarbonation sont poursuivis à travers la performance des logements : l'obsolescence face aux impacts du changement climatique et la précarité énergétique. Ces questions doivent donc être appréhendées de manière plus large.
Nous appelons également à la vigilance sur le fait de ne pas succomber aux solutions un peu trop simples en apparence, comme l'idée d'installer des pompes à chaleur partout.
Attention également aux risques de déplacer l'effort de décarbonation. En effet, miser sur davantage de production d'énergie décarbonée signifie mécaniquement un accroissement de la pression en matière de décarbonation sur le secteur énergie. Nous serons forcément limités à ce niveau.
Il faut rester attentif au fait que le cadre des objectifs à l'horizon 2030 est en train d'être renforcé dans le contexte du paquet européen « Fit for 55 ». L'objectif actuel est de réduire 50 % des émissions dans le secteur des bâtiments d'ici 2030. A priori, ces objectifs seront renforcés et mettront encore plus l'accent sur la décarbonation. Dans ce contexte, la massification des rénovations performantes est importante.
La deuxième controverse concerne la rentabilité des rénovations énergétiques. Il est important de ne pas se focaliser sur les résultats des études économiques. En effet, certaines personnes présentent les rénovations performantes comme un optimum économique à long terme en tenant compte de l'ensemble des objectifs à atteindre. D'autres estiment que les rénovations performantes ne rapportent que très peu et que les durées d'amortissement sont supérieures à 30 ans.
Il est surtout important d'étudier les méthodologies et les hypothèses utilisées, ainsi que les périmètres de coûts et de bénéfices considérés dans les différentes études. Certaines s'intéresseront uniquement à la rentabilité financière directe des travaux pour le ménage. D'autres essaieront de chiffrer les gains en matière de confort, de valorisation du patrimoine, de bénéfice pour la santé publique, etc.
Les études n'ont pas nécessairement les mêmes objectifs. Certaines s'intéresseront à l'efficacité économique optimale pour l'État et les politiques publiques. D'autres s'intéresseront à la question de la rentabilité au niveau des ménages.
Nous proposons pour dépasser cette controverse de cesser de parler de rentabilité financière, car les ménages aujourd'hui ne réfléchissent pas en ces termes. Cela ne signifie pas que le paramètre économique n'est pas essentiel. Mais nous proposons d'y substituer la notion des conditions de viabilité économique des travaux de rénovation. La viabilité économique inclut notamment le critère d'équilibre en trésorerie.
Le deuxième enjeu essentiel est la solvabilité. Il est bienvenu d'avoir des prêts à taux préférentiels ou à taux zéro, mais pour des ménages déjà très endettés est-ce une solution ? Comment trouver des mécanismes de financement alternatifs ?
Les dispositifs politiques considèrent peu la perception des risques et de la garantie de qualité des travaux. Cela pose des questions de mutualisation des risques : des tiers de confiance pourraient assurer ce risque à la place des ménages.
Nous incitons à exiger une meilleure transparence sur la méthodologie des études économiques, de faire également attention au fait que beaucoup d'études économétriques ne précisent pas le type de rénovations énergétiques étudié.
De plus, les retours d'expérience en France sur le bilan économique des rénovations performantes sont peu nombreux. La majorité des études ne démontrent pas l'absence de rentabilité de la rénovation énergétique pour l'État ou les ménages, mais elles affirment que les outils politiques déployés aujourd'hui ne sont pas efficaces. Il est important d'appréhender les aspects économiques dans une vision dynamique et de ne pas uniquement regarder vers le passé, en partant du principe que la rénovation énergétique n'est pas rentable aujourd'hui. Nous devons nous demander quelles seraient les conditions qui permettraient d'assurer la viabilité économique des rénovations performantes et ainsi les massifier.
Mme Albane Gaspard, animatrice de secteur prospective du bâtiment et immobilier à l'Agence de la transition écologique (Ademe). - La troisième controverse concerne la notion de performance (rénovation, logement). Plusieurs politiques ont pour même objet physique le logement, mais leurs objectifs diffèrent. Par exemple, on distingue l'adaptation au vieillissement, les questions de consommation d'énergie, la décarbonation ou, encore, la lutte contre la précarité énergétique. Il existe des politiques à l'échelle du quartier : régénération des coeurs de ville, rénovation urbaine, etc. Tous ces objectifs ne prennent pas forcément en compte les autres. Ainsi, les occasions manquées se multiplient.
Il est possible de dépasser cet aspect en adoptant explicitement une vision large de la performance. Ainsi lorsqu'un processus de rénovation est entrepris, il concernerait simultanément des rénovations énergétiques, d'adaptation au changement climatique, de décarbonation, de confort, de régénération urbaine, etc. Ainsi, nous pourrions commencer à rompre avec cette logique de silo des politiques publiques.
Ensuite, il est nécessaire d'arbitrer et d'identifier les potentiels points de friction entre ces objectifs. Par exemple, agir contre la précarité énergétique peut signifier fournir des aides ponctuelles à des travaux d'urgence. Il est nécessaire de donner une place à ces aides, car elles ont un objectif social, pourvu qu'elles soient conditionnées à des audits énergétiques qui permettent de mieux comprendre les travaux. Si ces points de friction ne sont pas arbitrés, ils deviendront des blocages.
Enfin, il convient d'aligner ces dispositifs de politiques publiques autour d'un objectif de performance, qu'il s'agisse des aides financières, de la communication ou de l'accompagnement. Ils pourraient devenir davantage multithématiques. En effet, lorsqu'un ménage entreprend une rénovation, qui plus est, importante, il le fait tous les dix ou quinze ans. Il en profite alors pour appréhender des points autres que l'énergie pour son logement.
En résumé, à chaque fois que nous agissons sur un logement, nous pourrions nous donner comme objectif de viser un objectif global de performance et d'adapter les politiques publiques en conséquence. Cela peut être entrepris dès à présent en observant où est investi l'argent public en matière de rénovation du logement et en cherchant ces réorientations.
La quatrième controverse concerne l'opposition entre obligations et incitations parmi les outils de politiques publiques. Certains pensent qu'au vu de l'ampleur de la tâche, il est nécessaire d'obliger. D'autres considèrent qu'obliger serait synonyme d'écologie punitive et invoquent des questions de respect de la propriété privée.
Pour dépasser cette controverse, nous mettons en évidence que les outils ne s'opposent pas. Au regard de la politique actuelle, il existe déjà un mix entre obligations et incitations. L'enjeu concerne davantage leur point d'équilibre.
De plus, ce n'est pas tant la nature de l'outil qui compte, que sa force et la crédibilité du signal qu'il envoie aux acteurs. En effet, nous pouvons trouver des incitations fortes et bien conçues qui fonctionnent correctement ou des incitations faibles et mal calibrées. De même, des obligations peuvent être fortes si elles sont accompagnées, contrôlées et sanctionnées ou des obligations peuvent être faibles si elles ne remplissent pas ces conditions.
L'obligation de travaux embarqués lors du ravalement en copropriété constitue un exemple d'obligation faible. Cette obligation devait permettre d'effectuer de nombreuses rénovations, mais elle est peu suivie et sanctionnée. Ainsi, les conditions ne sont pas réunies pour que l'outil porte ses fruits.
La crédibilité du signal repose sur la qualité de la conception des outils. Les processus de conception des outils de politiques publiques, notamment d'évaluations ex ante, pourraient être largement améliorés. En l'absence de réelles évaluations en amont des travaux, il est difficile de trancher sur la question du point d'équilibre entre obligations et incitations. Parmi les priorités figurent deux aspects importants :
- l'évaluation ex ante de l'obligation à la mutation. Il est nécessaire d'étudier les impacts énergétiques et en termes de marché immobilier. À l'heure actuelle, personne n'en est capable, à notre connaissance, en ce qui concerne le marché immobilier ;
- le suivi de la loi Climat et résilience, l'interdiction de location des passoires constituant en effet une forme d'obligation.
La dernière controverse concerne la structuration de la filière professionnelle. Comment aider la filière à se structurer ? Cette question présuppose que le problème de structuration de la filière constitue un constat partagé. Or, ce n'est pas le cas. Certaines personnes évoqueront le manque de ressources humaines pour passer de 40 000 à 700 000 rénovations par an. Des représentants de la profession affirmeront que la filière s'est toujours adaptée et que l'appareil productif du bâtiment est résilient et a toujours fait face aux modifications d'activité.
Pour dépasser cette controverse, l'enjeu consiste d'abord à produire un chiffrage partagé avec les organisations professionnelles. Il doit être réalisé de telle sorte que les organisations professionnelles puissent faire valoir leur point de vue, mais également écoutent celui des autres. Ce chiffrage doit concerner l'ensemble des métiers de la rénovation, et pas seulement des travaux. En effet, la rénovation entraîne de nombreux services : accompagnement, contrat de garantie, performance et assurance. Cette matière grise doit être planifiée, car les besoins en main-d'oeuvre seront importants.
Ainsi se dessine une nouvelle filière industrielle de la rénovation. Elle présente un poids économique potentiel important et une forte valeur ajoutée au niveau local. Sa productivité a peu évolué sur ces trente dernières années. Il s'agirait d'une opportunité d'inscrire la rénovation dans la stratégie d'industrie verte de la France pour en faire un des piliers de notre stratégie industrielle.
En conclusion, nos travaux montrent la nécessité d'une programmation pluriannuelle qui répondrait à plusieurs objectifs :
- organiser le changement d'échelle en mettant en cohérence les besoins et les ressources, pour le financement, les ressources humaines, etc. Il est nécessaire d'identifier les grandes dimensions clés sur lesquelles l'offre doit égaler la demande ;
- organiser une gouvernance qui explicite et dépasse les controverses et les silos de politiques publiques ;
- organiser un travail de fond d'évaluation ex ante et ex post ;
- organiser les décisions à prendre à court terme. L'alignement des aides financières sur la performance, l'évaluation ex ante de l'obligation à la mutation et la structuration de la filière.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Vos prédécesseurs évoquaient que l'année 2023 constituait un stade de réflexion sur l'orientation des politiques publiques en matière de rénovation thermique. Selon vous, quels sont les éléments qui fonctionnent ou non dans les politiques publiques actuelles ? Quels sont les axes d'amélioration ? Peut-être faudrait-il rester sur un système d'aides financières avec un accompagnement. Certaines propositions seraient en faveur d'une obligation avec un reste à charge nul ou un dispositif de prêts à long terme.
Des dispositifs comme le diagnostic de performance énergétique (DPE) et la labellisation des entreprises avec le RGE (label Reconnu garant de l'environnement) ont été mis en place. Nous pouvons faire confiance à une entreprise à travers un label, mais il existe peu de dispositifs pour vérifier la qualité des travaux et les performances obtenues. Quel est votre point de vue en termes d'évolution des politiques publiques ?
M. Andreas Rüdinger. - Des cadres crédibles à un horizon suffisamment lointain, propices à une anticipation des acteurs, constituent un point positif. Des politiques publiques qui changent année après année, sans visibilité et sans cap, constituent un point négatif. Aujourd'hui, les politiques publiques relèvent davantage de ce dernier cas de figure. Des évolutions plutôt favorables ont eu lieu dans les dispositifs d'aides (orientation vers des rénovations performantes, introduction d'obligations nouvelles), mais il n'existe pas de cap.
La programmation pluriannuelle répond à cet enjeu. En effet, nous n'avons pas su produire lors de ces quinze dernières années une feuille de route, une programmation sur un horizon de dix ans, année après année, qui détaille quelles seront les évolutions structurantes des dispositifs d'aide, de la réglementation, des dispositifs d'accompagnement, de la stratégie de filière et d'offre...
Nous pouvons comprendre les professionnels qui n'en peuvent plus et qui souhaitent être laissés tranquilles. Par exemple, avec l'ancien crédit d'impôt transition énergétique, nous avons connu ce système d'un pas en avant et deux pas en arrière, avec des règles changeantes. Il est impératif d'éviter une telle situation. Le point d'équilibre entre incitation et obligation répond à cette même problématique. Nous devons réussir à décliner une stratégie, idéalement partagée avec les acteurs, année après année, dotée de ressources budgétaires et de moyens humains.
De plus, il existe une sorte d'effervescence autour des enjeux de rénovation énergétique comme le montre votre commission d'enquête. La nouvelle feuille de route de décarbonation des bâtiments sera prochainement publiée. Le groupe de travail du Conseil national de l'information statistique (Cnis) doit également rendre sa copie. Si de nombreuses démarches sont en cours, j'ai l'impression qu'elles définiront de grands axes stratégiques, se dirigeront vers la rénovation globale, proposeront d'augmenter les aides, mais sans s'orienter vers le niveau d'opérationnalité requis, sans être suffisamment déclinées.
En outre, nos travaux montrent que des aides avec davantage d'accompagnement ou des obligations sans restes à charge vont de pair. Des aides correctement structurées justifient des obligations associées. Une obligation déployée à grande échelle n'est acceptable qu'à condition d'être mise en oeuvre avec des conditions adéquates en termes de financement et d'accompagnement. Nous devons nous demander comment y arriver progressivement lors des dix prochaines années.
En ce qui concerne la structuration de l'offre et de la qualité, tant qu'aucune feuille de route partagée avec les acteurs de l'offre n'existe, nous n'avancerons pas. Lors du débat national sur la transition énergétique (DNTE), nous avons débattu de ces sujets. Nous avions abouti à un consensus sur la fusion de l'ensemble des aides de manière à aboutir à une aide unique indexée sur la performance énergétique atteinte après travaux. Cet aspect figure dans la synthèse du DNTE et la loi sur la transition énergétique de 2015. En 2017, un rapport de l'Inspection générale des finances a affirmé qu'en dépit de sa pertinence, un tel dispositif restait impossible à mettre en oeuvre car, les experts thermiciens nécessaires, les tiers de confiance qui nous permettraient d'évaluer la qualité des travaux, faisaient défaut.
Mme Albane Gaspard - L'organisation de la phase de transition constitue peut-être l'élément le plus difficile à réaliser à l'horizon 2030. L'ensemble des scénarios prospectifs évoquent des chiffres de l'ordre de 700 000 rénovations en moyenne annuelle à l'horizon 2030. Personne n'a réellement détaillé cette phase de transition ni les types d'acteurs qui seront nécessaires. Lorsque des dispositifs d'accompagnement sont pensés, il est difficile de trouver des moyens si les ressources nécessaires ne sont pas anticipées. Il s'agit d'un problème similaire à celui de la poule et de l'oeuf, qui perdurera tant que la programmation ne sera pas résolue.
L'évaluation de la performance est déjà en place dans le tertiaire avec les contrats de performance énergétique. Nous pouvons imaginer transposer les outils, leurs méthodes et leur philosophie, et les adapter notamment aux ménages. Nous ne sommes pas loin de savoir et de pouvoir le faire. Positionner cette garantie de performance dans la phase de transition permettra d'entraîner la filière et de lui envoyer un signal clair.
L'aide financière a deux fonctions : inciter ou solvabiliser. Un dispositif d'obligations ne signifie pas que les aides ne sont plus nécessaires. La solvabilisation sera toujours nécessaire. Un dispositif d'obligations ne coûtera donc pas moins cher. Les ménages face à une obligation et qui ne disposent pas de moyens seront aidés. Dans tous les cas, les montants d'investissement seront importants.
M. Franck Montaugé. - Vous vous êtes placés du point de vue de l'État dans la conduite de la gestion des politiques publiques, or l'État n'est pas seul, il y a également les échelons infranationaux : les régions, les départements, les communautés de communes, etc. La complexité augmente en conséquence. Comment intégrez-vous cette dimension territoriale dans votre réflexion ?
Mme Albane Gaspard. - Il est hors de notre périmètre de conseiller sur le bon niveau de gouvernance de la rénovation énergétique. En revanche, l'échelon local, sur ces 30 dernières années, a été un terreau d'innovation particulièrement important. Nous n'aurions pas mis en place les démarches BBC en région, si des régions pionnières, comme la Normandie, ne s'étaient pas engagées. Des territoires se positionnent également d'ores et déjà en faveur d'aides en faveur du biosourcé. Il est impératif de prendre en compte cet aspect et de laisser la possibilité au local d'innover. Toutefois, les ménages ne doivent pas être confrontés à une diversité trop importante d'interlocuteurs et de dispositifs.
Ensuite, il est nécessaire de simplifier l'action publique pour le ménage. Il existe un déficit de design de politique publique. Très peu de dispositifs permettent de tester l'outil de politique publique avec des personnes qui représentent la diversité de la cible. Si davantage de dispositifs de design de politique publique existaient, nous nous rendrions compte par exemple que douze formulaires ne sont pas gérables dans le parcours de rénovation d'un ménage.
M. Franck Montaugé. - Vous en appelez donc à des démarches conceptuelles en matière de politiques publiques, comparables à des mises au point de produits, de tests quantitatifs et qualitatifs, en regardant les ressentis, etc.
Mme Albane Gaspard. - Pour être provocatrice, je dirais que davantage de design passe dans un yaourt que dans le dispositif de politique publique de rénovation. Des acteurs économiques ont besoin de vendre leurs yaourts, alors que le dispositif de politique publique peut vivre sans que nous y ayons recours.
M. Franck Montaugé. - Vous en appelez à du participatif au stade de la conception comme à celui de la révision ou de l'adaptation des politiques publiques ?
Mme Albane Gaspard. - Tout à fait. De nombreuses méthodologies existent. Par exemple, l'association La 27e région constitue un centre d'innovation en politique publique. Elle a pour objectif de confronter des prototypes à l'utilisateur final. Ils ont en général conscience de la diversité de ménages français. Ils visent cette diversité pour s'assurer que le prototype fonctionne. Ils le retravaillent ensuite. Lorsque le produit fonctionne, il est possible d'en faire une politique. Chaque concepteur de politique publique a des idées préconçues et a conscience d'un jeu de contraintes, lesquels donneront une forme spécifique à notre objet. Par conséquent, certaines personnes pourraient ne pas entrer dans le dispositif. Ainsi, l'évaluation ex ante et le design de politiques publiques constituent deux piliers pour réussir à concevoir des politiques qui ne manquent pas leur cible.
M. Andreas Rüdinger. - Dans notre groupe d'experts se trouvait notamment le premier réseau des acteurs régionaux du tiers financement de la rénovation énergétique : le réseau des services territoriaux de rénovation, accompagnement et financement (Serafin). Ils ont beaucoup d'éléments intéressants et de retours d'expérience sur la structuration des différents outils de tiers financement en région.
À ma connaissance, la région Occitanie, dans le développement de son service public intégré de la rénovation énergétique (SPIR), a mobilisé une approche en termes de design de politique publique pour essayer de coller davantage aux besoins des usagers.
De manière générale, il existe deux façons de gérer la multitude de dispositifs et réglementations :
- fusionner les aides en une aide unique, sans être certain que cela marche ;
- créer un guichet unique, qui, pour pouvoir opérer, doit fonctionner idéalement avec un portail unique. Le dossier unique d'aides doit permettre de combiner directement les CEE, MaPrimeRénov', les aides régionales, etc. Les critères techniques seraient idéalement harmonisés.
Nous pourrions réussir à mettre en place de telles actions, mais pour cela nous devons sortir des silos de gouvernance.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Un poste de coordinateur interministériel du plan de rénovation énergétique du bâtiment a été créé. Selon vous, cela va-t-il dans le bon sens ? Comment appréhendez-vous l'évolution de son rôle ?
Mme Albane Gaspard. - Cette piste va dans le bon sens, car un besoin de coordination est nécessaire mais un dispositif plus large de coordination de la performance du logement pourrait advenir. Elle permettrait de faire dialoguer les acteurs qui travaillent sur le vieillissement, l'adaptation au changement climatique, l'énergie, etc. Ce dispositif serait plus compliqué à mettre en place, mais sans doute beaucoup plus efficace pour réussir à traiter les occasions manquées de la rénovation énergétique.
Par ailleurs, la chance de remanier la rénovation énergétique ne se représentera pas avant longtemps. Dans une logique d'efficience de l'argent public investi, peut-être est-il nécessaire d'investir davantage pour atteindre les objectifs de BBC, plutôt que de devoir déposer un isolant insuffisamment épais et d'en ajouter ensuite un autre, ou de devoir surdimensionner un générateur de chauffage qui perdra en performance.
M. Andreas Rüdinger. - Les besoins de coordination sont considérables pour faire le lien avec l'industrialisation. Aujourd'hui, en France et au niveau européen, des actes législatifs pour l'industrie verte sont sur la table. On y trouve essentiellement les questions d'hydrogène, de nucléaire, de véhicules électriques et de renouvelables, mais pas de bâtiment ou de rénovation énergétique : cela est stupéfiant au regard des besoins d'investissements additionnels dans ce secteur.
De plus, le secteur du bâtiment possède la plus forte intensité en termes d'emploi par million d'euros investis et une des plus fortes intensités en termes de valeur ajoutée locale. Il s'agit d'un des seuls secteurs qui n'a pas vu sa productivité augmenter depuis des décennies. Il est plus que nécessaire de penser les questions de stratégies industrielles dans un secteur, qui, par ailleurs, présente des potentiels d'innovation extrêmement importants, en termes de standardisation de nouvelles solutions, de préfabrication hors site, d'utilisation de maquettes numériques, etc. Beaucoup d'initiatives sont lancées, mais elles ont des difficultés à être intégrées, car le secteur est considéré comme moins attractif sur le plan de l'innovation.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous vous remercions.
Table ronde sur
la précarité
énergétique
(Mardi 11 avril 2023)
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous poursuivons nos travaux par une table ronde autour d'acteurs du logement et de l'habitat particulièrement engagés dans la lutte contre la précarité énergétique.
Nous recevons les représentants de cinq organismes et associations. L'observatoire national de la précarité énergétique (ONPE), d'abord, représenté par Mme Isolde Devalière, cheffe de projet précarité énergétique à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) et coordinatrice à l'ONPE, et par Mme Lise-Marie Dambrine, chargée de mission à l'ONPE. L'ONPE, créé en 2011, assure un suivi de la précarité énergétique en France afin d'observer et d'analyser les politiques publiques de lutte contre ce phénomène. Il a notamment publié fin mars le tableau de bord et les chiffres de la précarité pour 2022.
L'association « Stop à l'exclusion énergétique », ensuite, représentée par son délégué général M. Gilles Berhault, réunit de nombreuses associations et collectivités territoriales afin de proposer des solutions pour lutter contre la précarité énergétique, notamment en rénovant les logements sans reste à charge grâce à des ensembliers solidaires.
Le réseau Procivis, représenté par son directeur général, M. Guillaume Macher, et par Mme Claire Dagnogo, directrice de l'engagement sociétal et des relations institutionnelles, est un acteur de l'économie sociale et solidaire (ESS). Composé de nombreuses coopératives, il est présent sur toute la chaîne du logement. Ses missions sociales s'attachent notamment à la rénovation énergétique du parc privé, à destination des plus précaires.
La fédération Soliha est représentée par Mme Juliette Lagagnier, directrice générale, et par Mme Cécile Guérin-Delaunay, responsable du pôle réhabilitation. Cette fédération est également un acteur de l'ESS pour l'habitat privé à vocation sociale. Composée de 135 associations, elle accompagne les collectivités territoriales et les habitants afin de favoriser l'accès et le maintien dans l'habitat des personnes précaires et vulnérables.
Enfin, on ne présente plus la Fondation Abbé Pierre, que représentent aujourd'hui M. Manuel Domergue, directeur des études, et Mme Maïder Olivier, chargée de plaidoyer et de mobilisation. La fondation est un acteur historique de la lutte contre le mal-logement. Elle mène des actions de sensibilisation, de conseil et d'accompagnement et soutient financièrement de nombreuses initiatives afin d'améliorer les conditions de logement, notamment par le biais de la rénovation énergétique.
Mesdames, messieurs, dans vos diverses fonctions, que je viens de rappeler, vous agissez dans le domaine de la lutte contre la précarité énergétique en accompagnant les publics les plus précaires et en proposant des solutions de logement adaptées. En 2021, 11,9 % des ménages - soit 3,4 millions de ménages - se sont trouvés en situation de précarité énergétique, et 22 % d'entre eux ont souffert du froid, surtout pour des raisons économiques. Comment la rénovation énergétique peut-elle contribuer à réduire, sinon éliminer, ces situations ? Nous avons conscience que la précarité énergétique dépend de causes structurelles - revenus, situation de vie - et conjoncturelles - hausse des prix de l'énergie - qui ne sont pas toutes liées à l'état dégradé du logement et à sa faible performance énergétique. Toutefois, en ce qui concerne cette commission d'enquête, c'est sur l'aspect de la rénovation énergétique comme levier de sortie de la précarité que nous souhaitons échanger avec vous. Votre audition, dans le cadre de cette table ronde, doit nous permettre de mieux comprendre vos positions respectives sur ce sujet.
Quel bilan, à votre échelle, faites-vous de la politique de rénovation énergétique en France ? Considérez-vous que les politiques publiques de rénovation soient efficaces pour lutter contre la précarité énergétique et pour orienter les plus précaires vers des rénovations globales ? Si tel n'est pas le cas, comment pourraient-elles être améliorées ? Enfin, le confort d'été est-il suffisamment pris en compte dans la détermination de la précarité énergétique, au regard des températures que nous aurons à affronter dans les années à venir ?
Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions et pour un propos introductif d'environ quinze minutes, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu en sera publié.
Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mmes Claire Dagnogo, Lise-Marie Dambrine, Isolde Devalière, Cécile Guérin-Delaunay, Juliette Lagagnier et Maïder Olivier, MM. Gilles Berhault, Manuel Domergue et Guillaume Macher prêtent serment.
Mme Isolde Devalière, cheffe de projet précarité énergétique à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) et coordinatrice à l'Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE). - Lise-Marie Dambrine et moi-même représentons l'ONPE. Je suis cheffe de projet précarité énergétique à l'Ademe depuis sept ans et j'assure le suivi et l'analyse de la précarité énergétique sur l'ensemble du territoire. L'ONPE est un outil d'aide à la décision, qui formule des propositions.
Au vu des indicateurs que nous suivons, on peut s'interroger sur l'efficience des politiques publiques, même si celles-ci évoluent dans le bon sens. Le taux d'effort énergétique, c'est-à-dire la part des dépenses d'énergie dans les revenus, comme la déclaration du froid au regard d'un certain nombre de modalités liées aux conditions d'habitat et de ressources, est en hausse cette année, comme les années précédentes. Les outils mobilisés par l'ONPE ont permis de constater l'augmentation du phénomène de précarité énergétique, sous le double effet de la crise sanitaire et de la crise énergétique.
Pour dresser un bilan du Grenelle de l'environnement après dix ans, un colloque a été organisé à Lille en 2021, où a été pointé l'empilement de différents dispositifs, qui causait une certaine confusion chez les opérateurs. Les seuils, de plus, varient au fil des années, ce qui rend difficile l'évaluation de l'efficacité des dispositifs mis en oeuvre. Ce premier bilan nous a montré qu'il n'y avait pas eu de politique nationale de lutte contre la précarité énergétique à proprement parler, mais plutôt des politiques différentes traitant, d'une part, les impayés d'énergie, qui sont l'une des conséquences de la précarité énergétique et, d'autre part, les politiques de rénovation du bâtiment.
Les trente partenaires membres de l'ONPE - dont Soliha et la Fondation Abbé Pierre - ont formulé un certain nombre de propositions communes, disponibles sur notre site internet. Ils soulignent la nécessité de disposer d'un référent sur la précarité énergétique : il s'agirait d'un délégué interministériel, qui nous donnerait l'assurance qu'une politique ambitieuse est menée, avec des objectifs à atteindre et des moyens qui leur sont consacrés. La guerre en Ukraine a mobilisé un certain nombre de ministères sur la hausse des prix, avec la mise en oeuvre d'un bouclier tarifaire, ce qui a peut-être reporté le lancement d'une politique de lutte contre la précarité énergétique claire et ambitieuse. Il est donc temps de poser ce problème et d'adopter une politique plus claire et plus lisible en la matière, avec des moyens adaptés.
M. Gilles Berhault, délégué général de l'association « Stop à l'exclusion énergétique ». - Merci de vous intéresser aussi directement au sujet qui nous réunit aujourd'hui, et face auquel nous ne sommes pas à l'aise : il est totalement insupportable que, dans un pays comme la France, des personnes soient en situation de très grande précarité. Parmi les propriétaires occupants de maisons individuelles, qui sont notre cible prioritaire, plus de 500 000 personnes vivent dans des passoires thermiques et dans des conditions économiques terribles. Il vaut la peine de se mobiliser sur ce sujet, car, quand on agit en matière sociale, pour les plus précaires, cela procure des gains pour le climat, améliore la santé des gens et crée de l'emploi local. Dit ainsi, cela semble extrêmement simple ; dans la réalité, c'est infiniment complexe.
Certes, on peut avoir le sentiment que l'on n'a jamais autant fait dans ce pays, qu'il s'agisse des collectivités territoriales, des territoires, des entreprises ou de l'État. Pour autant, au vu de ce qui se passe, des évolutions du prix de l'énergie et des dérèglements climatiques, les problèmes sont plus graves. Qu'il s'agisse du constat ou des modes de résolution, les approches sont désormais transversales et complexes. Nous devons parvenir à ce que les courbes se croisent, surtout pour les personnes qui plongent dans des situations de très grande précarité énergétique. Nous nous focalisons, d'ailleurs, sur ceux qui vivent avec moins de 10 euros par jour et par personne, qui souffrent du froid, dont les enfants sont plus malades que les autres.
Sur quoi faut-il travailler en priorité pour éradiquer la grande exclusion énergétique d'ici à 2030 ? Cette date se réfère, évidemment, à l'agenda des objectifs de développement durable. Nous venons de publier ce scénario. Nous devons renforcer, d'abord, la capacité à créer des alliances locales entre plusieurs acteurs. C'est en effet de la collaboration entre collectivités territoriales, entreprises et ONG que peuvent naître les résultats. Au niveau national, nous regroupons 60 organisations membres, qui coopèrent tous les jours : il faut faire la même chose au niveau local - j'y travaillais aujourd'hui même avec la mairie de Tourcoing. Une telle approche systémique n'a que peu été mise en place au niveau territorial. Le sujet de la précarité énergétique est encore assez nouveau. Nous avons monté il y a trois ans une campagne de mobilisation sur le sujet avec Emmanuelle Béart. Bien sûr, il y a longtemps que la Fondation Abbé Pierre, et d'autres, nous expliquent que les gens ont froid et souffrent, mais dans ce mode de résolution, le sujet est complètement nouveau, ce qui explique certaines difficultés que nous rencontrons pour créer des alliances locales.
Ensuite, il faut mettre l'accent sur l'accompagnement. Ce métier est reconnu et nous attendons beaucoup d'un Mon Accompagnateur Rénov' renforcé. Nous collaborons aussi avec l'Agence nationale de l'habitat (Anah). Accompagner une famille en très grande précarité, c'est un métier : nous l'appelons ensemblier solidaire, et la première promotion vient de sortir, la semaine dernière. Elle ne compte que dix membres, mais nous allons en former plus de 300 dans les deux prochaines années, car le dispositif donnera une pérennité économique à ce métier. Nous venons de gagner un appel à programme Certificats d'économie d'énergie (CEE), centré sur la création de territoires « zéro exclusion énergétique », qui permettra de financer l'accompagnement de 3 000 familles. Ce chiffre peut sembler faible, mais, par comparaison, l'année dernière, l'Anah a financé 1 700 rénovations globales performantes chez de grands précaires en France. La difficulté est grande, et il faut parfois un ou deux ans aux ensembliers solidaires qui accompagnent le Secours catholique, ATD Quart Monde, les centres communaux d'action sociale (CCAS), et d'autres, pour entrer chez les gens et créer un climat de confiance. Ce n'est pas affaire de technicité ou de technologie, il s'agit d'abord de l'humain. C'est pourquoi le rôle des collectivités territoriales est également important ; encore faut-il l'outiller et le financer. Nous verrons quel montant est prévu pour Mon Accompagnateur Rénov' renforcé : s'il est inférieur à 5 000 euros, nous n'y arriverons pas.
Concernant le financement, nous militons pour une prise en charge quasi intégrale des coûts, y compris pour les propriétaires. Certains disent que nous allons augmenter la valeur capitalistique de biens familiaux : non, le logement de résidence n'a pas de valeur marchande, il s'agit avant tout de conditions de vie, et non de valeur d'héritage. ATD Quart Monde insiste cependant sur le fait qu'il ne faut pas proposer un financement à 100 %, car il y va de la dignité des personnes. L'Anah mène des politiques d'accélération dans six départements, dont certaines sont très efficaces. Les montants ne sont pas du tout les mêmes pour les ménages en très grande précarité. Ces démarches doivent être généralisées. Il faut aussi privilégier les caisses d'avance pour mieux gérer les trésoreries et rassurer les familles : quand 2 000 euros venant du conseil départemental arrivent sur le compte, on ne dort plus, l'obsession devient de savoir à qui les reverser pour ne pas les perdre. Beaucoup reste à faire sur la compensation carbone ; il faut inventer des dispositifs pour concilier à la fois économies d'énergie et économies de carbone - cette question est très complexe. Il faut encourager les auto-réhabilitations accompagnées, démarche portée par les Compagnons Bâtisseurs au sein de notre organisation.
Concernant la qualité des travaux, le problème est réel et les politiques publiques se doivent d'être plus pérennes : les certificats d'économies d'énergie sont remis en cause parfois au bout de cinq ans. Certes il faut lutter contre l'escroquerie, mais si nous voulons impliquer plus de personnes, il faut plus de visibilité ; ainsi, les périodes de validité des certificats d'économies d'énergie pourraient être plus longues, pour qu'entreprises et artisans s'engagent. Les territoires « zéro exclusion énergétique » permettent aux artisans de se projeter dans un grand nombre de chantiers sur une période donnée. De plus, il faut augmenter l'obligation des certificats d'économies d'énergie. En effet, la baisse actuelle des coûts est dangereuse pour la lutte contre la précarité énergétique et l'une des solutions est d'augmenter cette obligation, même si certaines entreprises ne sont pas très enthousiastes.
Enfin, des questions techniques se posent : il faut simplifier des processus, par exemple d'agréments d'entreprises, tout en évitant des effets d'aubaine et d'escroquerie. Autre exemple : les seuils de la maîtrise d'oeuvre devraient être revus. Un vrai projet de rénovation globale, qui coûtait 75 000 euros en 2020, coûte aujourd'hui 100 000 euros, un seuil qui déclenche l'obligation de maîtrise d'oeuvre, ajoutant 10 % de coûts supplémentaires. Des acteurs de qualité comme Dorémi, Éco Habitat, les Compagnons Bâtisseurs ou Soliha doivent pouvoir bénéficier d'adaptations au regard de l'inflation.
Nous n'avons jamais autant fait, mais il faut accélérer. La situation des plus en difficulté se dégrade en raison des crises successives ; ainsi, lors de la crise du covid, tandis que certains se réjouissaient de la baisse des émissions de carbone, d'autres qui restaient chez eux étaient soumis encore plus longtemps à la mauvaise qualité de l'air intérieur, au risque de tomber malade.
M. Guillaume Macher, directeur général de Procivis. - Procivis est un réseau de 46 coopératives en métropole, qui opèrent sur tous les métiers du logement. Nous sommes le septième ou le huitième promoteur national, le deuxième constructeur de maisons et le quatrième administrateur de biens ; nous sommes aussi bailleur social, et l'une des cinq familles constitutives de l'Union sociale pour l'habitat. Voilà pour notre activité économique. Nous sommes un acteur de l'économie sociale et solidaire (ESS), la deuxième branche de notre activité est donc sociale. L'essentiel des richesses que produit notre activité économique est réemployé à des fins d'utilité sociale, dans des activités d'intérêt général. Nous sommes conventionnés par le ministère du logement pour préfinancer un certain nombre d'aides publiques nationales et locales. Nous proposons, par exemple, des caisses d'avances de trésorerie pour les ménages modestes et très modestes : nous faisons le joint pour que la décision de rénovation soit prise par le ménage, indépendamment de sa situation économique.
Nous saluons la prise de conscience politique sur la question de la rénovation énergétique ; la tenue de cette commission d'enquête en témoigne, au-delà de l'argent investi par la puissance publique à différents niveaux. La situation du marché du logement est très détériorée au regard d'un grand nombre d'aspects ; or la rénovation énergétique semble surnager dans le débat public - d'autres questions relatives à l'accès au logement sont traitées avec moins d'énergie.
Je distingue pour autant deux difficultés majeures : le financement et la prise de décision, notamment en copropriété. S'agissant du financement, nous pourrions certes accroître notre action, pour massifier ce système de préfinancement - nous en discutons avec le ministère du logement et avec la Banque des territoires. Cependant, nous constatons un défaut d'argent privé : le secteur bancaire semble être de bonne volonté, mais semble avoir du mal à déployer une offre ad hoc qui fasse mouche. Les dispositifs existent, tels que l'éco-prêt à taux zéro (éco-PTZ) ou le prêt avance mutation (PAM), mais les volumes ne sont pas au rendez-vous. Nous avons des propositions à vous faire, pour améliorer les dispositifs existants et créer un dispositif ad hoc. Il faudrait, par exemple, créer une banque de place, dédiée à la rénovation énergétique ; les banques commerciales pourraient en être les principaux actionnaires : ainsi celles-ci répondraient aux exigences de la taxonomie européenne, en titrisant un certain volume de créances vertes. Cela répondrait à une problématique bancaire, comme à une problématique sociale, car une telle banque permettrait de financer des rénovations, même pour de petits montants, sans passer par des prêts à la consommation, dont les taux trop élevés ne permettront pas de résoudre les questions de financement des projets de rénovation énergétique. Quant aux PAM, les conditions sont trop restrictives, en matière de ressources comme de statut du demandeur. Il faudrait lever ces restrictions. De plus, un certain nombre de demandeurs sont des personnes âgées alors que les banques ne savent pas traiter ces situations. La prise de décision pose aussi problème, notamment dans le logement collectif. Les absents lors des assemblées générales de copropriété sont décisifs dans la non-prise de décision : en l'espèce, les absents ont toujours raison, et il faudrait examiner les modalités de prise de décision, peut-être en revoyant les articles 24 et 25 de la loi de l965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis. La question est de savoir qui est responsable de la situation actuelle. Les propriétaires doivent ainsi corriger le tir, mais le coût est considérable ; nous devons donc trouver un équilibre entre des formes d'obligation et des formes d'incitation, car nous ne pouvons tout faire porter sur les propriétaires actuels du logement. Il faut envisager le temps long, tandis que le logement collectif devrait être pensé comme une personne morale. Pour inciter les propriétaires à réaliser des travaux, il faudrait surtout que les travaux de rénovation énergétique créent de la valeur. Les logements pourraient être dotés de nouvelles sources d'énergie - panneaux solaires, chaudières à hydrogène. Nous pouvons aussi imaginer de mieux exploiter la surélévation, permise par les plans locaux d'urbanisme (PLU) : les copropriétaires pourraient peut-être trouver ainsi une équation économique tenable. Enfin, se pose la question d'un appareil productif suffisamment solide. Si 350 000 logements nouveaux sont nécessaires par an, simultanément à la rénovation du parc existant, il faudra trouver les bras disponibles pour répondre à ce défi considérable.
Mme Juliette Lagagnier, directrice générale de la fédération Soliha. - Notre fédération est opérateur historique de l'Agence nationale de l'habitat (Anah). Nous partageons le constat de l'ONPE et de Stop exclusion énergétique, mais nous tenons aussi à saluer le virage pris par les pouvoirs publics et le changement d'échelle opéré ; pour autant, il faut accélérer le mouvement et lever des freins. Nous sommes inquiets, car les ménages modestes et très modestes semblent ne pas bénéficier des dispositifs qui sont censés les concerner. Ils doivent pouvoir bénéficier de rénovations globales performantes et non de rénovations par gestes, qui restent les plus couramment mises en oeuvre. MaPrimRénov' Sérénité (MPRS) a fait ses preuves en matière de gain énergétique, mais les volumes ne sont pas au rendez-vous. La rénovation par gestes ne permet pas d'atteindre nos ambitions en matière de justice sociale comme de justice climatique. L'enjeu est de mettre l'accent sur le dispositif MPRS.
À ce titre, nous avons plusieurs inquiétudes - ou plutôt plusieurs leviers d'action. La réussite de la massification passera par un accompagnement non standardisé, personnalisé. Nous n'avons toujours pas de réponse sur le financement de cet accompagnement, à moins de six mois de la mise en place du dispositif Mon Accompagnateur Rénov'. Cela impacte très directement les ménages qui frappent à la porte de nos associations. Nous sommes en difficulté pour leur proposer des plans de financement adéquats. Les arbitrages doivent être connus. Ensuite, les outils financiers pour solvabiliser les ménages, comme ceux que propose Procivis, ne sont pas encore généralisés. Le reste à charge doit aussi rester supportable pour les ménages, de manière proportionnée et proportionnelle aux revenus. Par ailleurs, le dispositif MPRS doit être rendu plus attractif et plus avantageux que le dispositif MPR, pour qu'il devienne l'outil de nos ambitions partagées. Un autre levier serait de redonner une dynamique aux certificats d'économies d'énergie, en réintégrant leur gestion et leur valorisation au sein de l'Anah. Les potentialités de financement de projets sont là. Il faut les remobiliser le plus largement possible. Il faut enfin disposer d'une vision pluriannuelle des crédits de l'Anah. C'est le seul moyen d'offrir de la stabilité et de la visibilité aux ménages. J'ajoute qu'il faudrait rééquilibrer les moyens financiers, pour que les propriétaires bailleurs et les copropriétés se sentent concernées, et pas seulement les propriétaires occupants.
Pour conclure, il nous faut marteler à l'unisson que l'objectif partagé est celui d'une rénovation à la fois globale et performante. Sans convergence de l'ensemble des acteurs et des financements, nous aurons du mal à atteindre nos objectifs.
Mme Maïder Olivier, chargée de plaidoyer et de mobilisation de la Fondation Abbé Pierre. - Nous saluons les efforts réalisés pour encourager la rénovation thermique, mais tous les moyens possibles doivent désormais cibler la rénovation globale. Outre le dispositif MPRS, il existe le forfait rénovation globale au sein du dispositif MPR, qui ne représente que 2 000 dossiers par an, alors que les rénovations par gestes se comptent par plusieurs centaines de milliers par an : malgré un léger rattrapage en 2022, 86 % des dossiers sont des monogestes. Or les rénovations globales sont les plus efficaces, et permettent au moins 55 % de réduction de consommation d'énergie. La Fondation Abbé Pierre souhaite que toutes les incitations soient fléchées vers les rénovations globales. Il s'agit donc de lever les obstacles existants. Par exemple, nous pourrions exiger que le changement d'un système de chauffage ne soit subventionné qu'à condition que l'isolation du logement soit déjà réalisée. Les aberrations de la rénovation énergétique sont possibles, car l'accompagnement est insuffisant. La Fondation Abbé Pierre avait mené une étude auprès des guichets « Faire », qui sont devenus FranceRénov' ; les résultats sont alarmants : 40 % des appels étaient non décrochés, 62 % des contacts établis n'aboutissaient à aucun conseil, les délais de réponse pouvaient être de plusieurs mois, des erreurs étaient constatées et le lien avec l'Anah était parfois difficile.
Mon Accompagnateur Rénov' donne beaucoup d'espoir, mais ce dispositif ne sera efficace que s'il est gratuit. Il faudra engager les moyens nécessaires pour ne pas reproduire les précédentes erreurs de l'accompagnement, qui n'a pas permis de résoudre les problèmes. La Fondation Abbé Pierre prépare une étude sur le confort d'été. Des barèmes manquent dans MaPrimRénov' sur cette question. Les rénovations réalisées sont parfois des occasions manquées pour rendre les logements plus habitables durant l'été. Un risque de mauvaise adaptation du logement existe ; froid et chaleur sont deux facettes de la précarité énergétique. Ce sujet inquiète et mobilise ; il manque des études, des évaluations et des indicateurs, et nous espérons que certains acteurs pourront combler ce manque.
Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation Abbé Pierre. - Nous pourrions mettre l'accent sur ce qui est déjà efficace. MPRS fonctionne bien, il répond à nos attentes en matière d'accompagnement, de bouquets de travaux, de contrôle de la performance, d'objectif de gain de performance énergétique et de ciblage social satisfaisant. Or depuis 10 ans, le nombre de logements rénovés grâce à MPR et MPRS stagne ; il a même fortement baissé en 2022, passant de 41 000 à 34 000. Ce trou d'air, très important, nous inquiète. Nous avons multiplié les petits gestes, et les rénovations les plus efficaces sont en baisse. Les petits gestes ne doivent pas détourner l'attention, sinon ils seront contre-productifs. La rénovation fonctionne bien, en revanche, dans le secteur HLM. Nous savons que les milliards dépensés pour les HLM sont bien dépensés, alors que nous avons des doutes pour le secteur privé. Cependant, nous nous inquiétons de la situation financière du secteur, avec la hausse drastique du taux des livrets A, la réduction de loyer de solidarité (RLS) qui continue et l'augmentation de la TVA. Nous ne savons pas si l'action des HLM pourra continuer à monter en puissance. Le Fonds national des aides à la pierre (Fnap) prévoit une aide de 4 000 euros par logement rénové : nous finançons moins des ménages aux revenus modestes que des ménages intermédiaires ou aisés. Enfin, le reste à charge de MPR est important. Certains travaux coûtent entre 50 000 et 80 000 euros, alors que le reste à charge pour les ménages très modestes est de 35 %, et de plus de 50 % pour les ménages modestes : les sommes sont démesurées et bloquent le passage à la rénovation globale. Isoler ses murs, pour un ménage au Smic, implique un reste à charge de 9 000 euros : qui a 9 000 euros d'épargne à consacrer à l'isolation de ses murs ? Notre programme SOS Taudis essaie de faire de la rénovation énergétique comme de la lutte contre l'habitat indigne. Souvent les deux problématiques se rejoignent dans un même logement, augmentant les coûts de rénovation. Or il est très difficile aujourd'hui de cumuler les aides. Il faut donc choisir entre rénovation énergétique ou sortie de l'insalubrité, ce qui conduit à des rénovations incohérentes, où la performance énergétique du logement est très bonne, alors que le logement est indigne. La Fondation Abbé Pierre met au pot, et ajoute 15 000 ou 20 000 euros au tour de table, mais nous ne pouvons pas généraliser cette aide à tous ceux qui en ont besoin.
J'espère que cette commission d'enquête aura le mérite de porter un message unanime : la nécessité de financements pluriannuels, pour aider la filière à se former et à recruter des jeunes, à l'instar de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru). Au 1er janvier 2024, nous ne savons pas encore quel sera le financement pour l'accompagnement. Des propositions ont été faites : nous pourrions ainsi financer entièrement la rénovation énergétique par l'anticipation des gains de performance énergétique. Or la hausse des coûts de construction fait que ce financement ne sera pas intégral. Il faut assumer que la rénovation énergétique des passoires énergétiques coûtera de l'argent public ; mais des gains sont aussi attendus, par exemple en matière de réduction des dépenses de soin, justifiant que l'État investisse des milliards supplémentaires, sans que les sommes soient extravagantes - elles seraient à peu près équivalentes à celles du programme national de rénovation urbaine (PNRU) de l'Anru. L'État est garant du temps long, alors que les ménages n'ont pas la capacité de se projeter. Avec l'initiative « Rénovons ! », nous avons montré que l'État trouvera des gains sur le long terme en matière de recettes fiscales et de dépenses de soin. Nous avons aussi plaidé pour l'obligation de rénovation du parc en location, et nous avons obtenu gain de cause, malgré les vents contraires. Pour les bailleurs privés, la simple incitation ne suffit pas, car si le bailleur finance, c'est le locataire qui en profite. Les normes doivent augmenter, pour passer à l'action. Dans les copropriétés, les failles de la rénovation énergétique viennent du fait que les bailleurs privés n'avaient pas intérêt à rénover. Désormais, les bailleurs s'intéressent à la rénovation énergétique et contactent les acteurs ; or les aides de l'État sont très importantes, mais encore peu connues. Enfin, 90 % des bailleurs appartiennent aux couches les plus aisées de la population, et peuvent donc assumer une partie des coûts. Pour les 10 % de bailleurs qui sont les plus modestes, nous plaidons pour des rénovations avec des restes à charge modiques. Il est temps que l'État reprenne la main, avec un vrai contrôle parlementaire, qui a manqué concernant les certificats d'économies d'énergie et l'Anah. Assumons que la rénovation énergétique implique des coûts et des contrôles !
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Avec la rénovation énergétique, nous parlons à la fois de réduction des émissions de CO2 et de confort. Nous devons nous intéresser à ces deux aspects et nous interroger sur la manière dont nous pouvons intervenir. J'ai cherché sur internet FranceRénov' 2023 : la première page trouvée, affichant le logo de l'État, propose de remplacer sa chaudière par une pompe à chaleur - il s'agit du site d'une entreprise. On incite donc à installer des pompes à chaleur, ce qui ne règle en rien les problèmes de précarité énergétique.
Quelle distinction faites-vous entre précarité et exclusion énergétiques ?
Disposez-vous d'éléments sur l'impact des passoires thermiques et du logement indigne sur la santé ?
Quant aux dispositifs existants, que faut-il faire ? Tout le monde a fait le constat d'une nécessaire plus grande visibilité. Faut-il en revanche modifier les outils ? Faut-il agir très rapidement pour encourager les rénovations globales, en adaptant le dispositif ? Ou faut-il au contraire refonder tout notre système d'aides ?
Les retours d'expérience sont-ils différents en fonction des territoires, notamment entre zones rurales, périurbaines et urbaines ? Existe-t-il de bonnes pratiques notables, par exemple en matière d'accompagnement des ménages en grande précarité ?
L'auto-réhabilitation pourrait répondre à certains problèmes. Avez-vous des retours d'expérience sur la question ? Il n'est pas toujours facile de toucher des aides en la matière.
Mme Cécile Guérin-Delaunay, responsable du pôle Réhabilitation de la fondation Soliha. - Il faut effectivement aborder la rénovation énergétique sous l'angle des économies d'énergie et sous l'angle du confort. Il faut conjuguer ces deux approches pour encourager la rénovation globale - rénovation « globale » ou « performante », il faudrait clarifier les termes. L'un des grands enjeux des évolutions législatives entre 2019 et 2021 est la reprise du pilotage du service d'accompagnement pour la rénovation énergétique (Sare) par l'Anah. L'Anah et l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) devraient fonctionner en synergie ; or des logiques de concurrence existent sur le terrain. Construire une synergie territoriale est l'enjeu principal. Mon Accompagnateur Rénov' commence le 1er septembre, c'est demain ! Nous craignons des ruptures d'accompagnement, alors que nous ne connaissons pas encore les financements. Comment construire ainsi une synergie territoriale, avec les collectivités ? Est-ce un bon dispositif ? Nous croyons au rôle de l'assistance à maîtrise d'ouvrage (AMO), selon un concept de conseil technique neutre et objectif, pour faire les diagnostics sur les aspects techniques du bâti et conseiller les ménages sur les aides auxquelles ils peuvent prétendre.
Soliha est spécialisée sur les publics modestes et très modestes, appartenant aux quatre premiers déciles ; à nos yeux, il est essentiel que ceux-ci puissent bénéficier d'un conseil financier adapté à leur situation afin de ne pas passer à côté d'aides ou de dispositifs de solvabilisation auxquels ils auraient droit. Dès les premiers conseils, il faut leur apporter un accompagnement vers la performance globale, car commencer par réaliser un premier geste peut grever leur capacité de financement et conduire à des travaux qui ne seraient pas cohérents avec le reste des opérations nécessaires pour parvenir à la rénovation. Même s'il est possible de réaliser ainsi des rénovations performantes, on ne saurait enchaîner plus de deux ou trois gestes et ceux-ci doivent être conçus, par cohérence, dans l'optique d'une rénovation globale.
Concernant le futur dispositif Mon Accompagnateur Rénov', nous avons soutenu l'accompagnement neutre des ménages, de A à Z, comprenant une assistance administrative allant jusqu'au paiement des factures. Lors de la présentation du décret au Conseil national de l'habitat (CNH), nous avions toutefois exprimé de fortes réserves quant à l'implication et à l'agrément d'entreprises privées, en raison de notre attachement à la neutralité : l'accompagnateur ne saurait être juge et partie au regard d'un équipement proposé, d'une solution, voire d'entreprises elles-mêmes. Nous considérons également qu'il est nécessaire de prévoir des instruments de suivi et d'exercer un contrôle parlementaire sur ce dispositif. Nous connaissons un changement d'échelle, avec plus de moyens financiers que jamais ; comment dépenser ces fonds pour une véritable performance énergétique et une transition écologique du parc de logements ?
Il y a plusieurs défis à relever pour réussir la transition énergétique via Mon Accompagnateur Rénov' : le volume d'accompagnement est tel que l'enjeu est collectif, chacun doit y prendre sa part. Il faudra d'abord optimiser localement le système existant en générant des synergies entre les acteurs qui savent et qui peuvent déjà faire. L'organisation d'un tel système d'acteurs ne peut être menée qu'au niveau local, par les collectivités territoriales. Ensuite, cela implique également de travailler sur le développement des compétences, par de la formation. À ce titre, disposer d'une vision pluriannuelle des crédits de l'Agence nationale de l'habitat (Anah) permettrait à l'ensemble de la chaîne de production de se projeter sur le volume de personnes à former pour accompagner ces ménages.
À notre sens, au croisement des interventions écologiques sur le parc et des politiques sociales et de l'habitat, il est essentiel de mettre l'accent sur les ménages modestes et très modestes et donc de prévoir un parcours usagers lisible et sans complexité excessive, avec des acteurs en qui les ménages puissent avoir confiance, à travers des parcours fléchés entre types de ménages et accompagnateurs aux compétences reconnues. De cette manière, les ménages modestes et très modestes seront accompagnés dès le départ par des acteurs possédant les compétences requises.
Mme Isolde Devalière. - Véronique Ezratty, médecin à EDF, a travaillé sur le lien entre précarité énergétique et santé. Il est désormais clair que la rénovation des passoires thermiques éviterait des coûts de santé considérables. Selon une étude du Commissariat général au développement durable (CGDD) parue en 2022, la rénovation du parc immobilier d'ici à 2028 permettrait d'éviter 10 milliards d'euros par an de coûts de santé, un chiffre vertigineux. L'étude Rénov'Santé, menée notamment par Soliha et le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) vise à identifier les dépenses de santé avant et après travaux, afin de déterminer les gains potentiels, qui apparaissent comme un argument en faveur d'un renforcement des aides à la rénovation, dont les montants actuels ne sont pas suffisants. Les résultats sont attendus pour fin 2024.
La précarité énergétique est un sujet distinct de la rénovation énergétique, même si les deux sont liés : la seconde est un levier pour sortir les ménages de la première. Selon les dernières statistiques, en attendant l'enquête nationale logement (ENL) pour 2020, 59 % des ménages en situation de précarité énergétique étaient locataires. Nous nous préoccupons donc des aides aux propriétaires bailleurs. Pour autant, je suis d'accord avec Manuel Domergue : la majorité des propriétaires connaît une situation plutôt favorable ; néanmoins, il est nécessaire de revoir le montant de l'aide accordée à une frange non négligeable - entre 10 % à 15 % - d'entre eux. Seulement 2 % des 605 669 dossiers financés par MaPrimeRénov' concernent les propriétaires bailleurs, pour une aide moyenne de 3 841 euros, alors que le coût d'un chantier de rénovation globale performante a été évalué par l'Ademe à 80 000 euros. On comprend donc l'importance de revoir le montant du reste à charge. L'Ademe considérait que si l'on exigeait une performance énergétique précise, le reste à charge pour les ménages très modestes devait être pris en charge par les pouvoirs publics ; à défaut, le risque est d'empiler des gestes contradictoires.
Vous aviez posé des questions sur Géodip - pour « géolocaliser et diagnostiquer la précarité énergétique ». Cet outil performant mis en oeuvre par l'ONPE permet de repérer les ménages en précarité énergétique en fonction de leurs dépenses liées à l'habitat et à la mobilité, à la maille des îlots regroupés pour l'information statistique (Iris). Il permet à de nombreuses collectivités territoriales d'effectuer un pré-diagnostic de la précarité énergétique. Nous cherchons des financements complémentaires pour le confier au réseau des agences régionales de l'énergie (Rare), afin que notre ingénieur mobilité se consacre à la question de la mobilité, qui est peu explorée. Géodip sera bientôt actualisé avec les dernières données d'enquêtes.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Peu de collectivités l'ont adopté ?
Mme Isolde Devalière. - Au contraire, cet outil est utilisé à son maximum. Nous le livrons à 500 usagers simultanément, soit sa capacité maximale, en renouvelant les connexions tous les trois mois. Plus de 1 500 collectivités territoriales en ont déjà bénéficié.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je présume qu'il s'agit de collectivités de tailles différentes, dans des territoires diversement concernés ?
Mme Isolde Devalière. - Une analyse a été menée par le réseau des acteurs de la pauvreté et de la précarité énergétique dans le logement (Rappel) : cet outil permet un partage de l'état des lieux entre techniciens et élus pour mobiliser des financements sur des territoires particuliers, mais aussi une évaluation de l'impact du Service local d'intervention pour la maîtrise de l'énergie (Slime), un dispositif porté par le Réseau pour la transition énergétique (Cler), et de la modification de son territoire. Il est donc essentiel d'équiper ce type d'acteurs pour identifier les zones en situation de précarité énergétique et y mobiliser des acteurs.
Concernant le reste à charge nul, si nous voulons réussir une rénovation, il nous semble nécessaire de viser au plus haut ; à défaut, nous n'y parviendrons pas.
Enfin, veillons à ne pas oublier les locataires : la rénovation est très axée sur les propriétaires, alors que ceux-ci sont moins nombreux à être concernés que les locataires.
M. Manuel Domergue. - Une étude menée avec Pierre Madec, économiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), avait montré que des personnes vivant dans des logements difficiles à chauffer avaient 50 % de risque supplémentaire de se déclarer en mauvaise santé. Cela constitue donc un déterminant de santé majeur. Dans une étude réalisée il y a une dizaine d'années, nous avions chiffré à 800 millions d'euros par an les dépenses de soins économisées si les passoires énergétiques étaient éradiquées. D'autres évaluations plus récentes, réalisées notamment pour le ministère de la transition écologique, aboutissaient à des chiffres plus importants, car elles prenaient en compte le prix de la vie et les décès évités, lesquels sont estimés autour de 2 à 3 millions d'euros par personne : cela fait donc gonfler très fortement les bénéfices. Les gains de performance énergétique et les économies d'énergie peuvent être investis, mais la santé préservée ou les décès évités ne se monétisent pas dans la vraie vie, c'est pourquoi la collectivité a intérêt à intervenir.
M. Gilles Berhault. - Concernant la santé, nous manquons effectivement de chiffres et nous souhaitons évaluer davantage la situation ; en particulier, les experts en santé environnementale sont trop peu nombreux : il en existe une centaine en France, et leur présence sur certains territoires nous aide à comprendre ce qui se passe et à faire le lien avec les autorités de santé.
La différence entre précarité et exclusion énergétiques réside, selon nous, dans le besoin d'accompagnement. Certains peuvent s'en sortir seuls quand d'autres en sont incapables. C'est pourquoi nous recommandons la mise en place d'une mission d'ensemblier solidaire, quelle que soit la terminologie utilisée. Un accompagnement prend du temps, il faut créer un climat de confiance, élaborer le projet avec la famille et suivre un ensemble d'étapes nécessitant une compétence humaine. Nous avons étudié les formations existantes en matière d'accompagnement social, lequel doit compléter les accompagnements financier et technique, celles-ci sont malheureusement très peu nombreuses. Nous nous sommes rapprochés de l'Association pour la formation professionnelle des adultes (Afpa) et d'autres acteurs pour les multiplier.
Une étude réalisée l'année dernière a estimé à 500 000 le nombre de propriétaires occupants vivant dans des passoires thermiques avec moins de 10 euros par jour et par personne. Nous avons calculé qu'il faudrait 11 000 personnes pour les accompagner. Le dispositif Mon Accompagnateur Rénov' renforcé pourrait permettre de financer cet accompagnement, sans lequel il n'y aura pas de rénovation massive chez les grands précaires.
Je ne suis pas un expert en matière d'auto-réhabilitation accompagnée, mais les Compagnons Bâtisseurs mènent des missions de ce genre, il serait judicieux de vous rapprocher d'eux. Ces processus posent des problèmes techniques et juridiques qui divergent de l'accompagnement classique dans le bâtiment. Les Compagnons Bâtisseurs travaillent aussi sur le confort d'été, dont nous n'avons pas beaucoup parlé, mais qui représente un problème majeur. Certaines entreprises fournisseurs d'électricité ont décidé de ne plus couper les compteurs : en période de canicule, même un réfrigérateur consommant 1 kilowatt peut sauver des vies. Enfin, les Compagnons Bâtisseurs travaillent beaucoup sur les territoires d'outre-mer, tandis que nous commençons tout doucement à y financer deux ou trois maisons. Les questions liées aux saisons s'y posent de manière très différente.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous sommes tous convaincus qu'il faut tendre vers des rénovations globales performantes, sans pour autant abandonner les gestes. Se pose alors le problème de l'occupation des sites de chantier. Il est souvent compliqué, sinon impossible, de mener ces travaux en site occupé. Y avez-vous réfléchi ?
M. Gilles Berhault. - Pour l'instant, nous sommes encore dans l'expérimentation. Nous explorons plusieurs pistes, mais nous ne pouvons pas proposer de mesures majeures aujourd'hui, en dehors du financement ou de la fiscalité. Nous sommes en discussion avec différentes organisations possédant des parcs immobiliers, notamment l'Afpa, ainsi qu'avec de grandes compagnies hôtelières qui seraient prêtes à mettre des logements à notre disposition. Cela devrait se concrétiser. Par ailleurs, nous collaborons avec des fabricants de Tiny Houses pour apporter des logements à proximité. Dans la métropole de Lille, par exemple, une entreprise fabrique des Tiny Houses qu'elle amortit pour le tourisme avant de les mettre à disposition d'associations oeuvrant contre la précarité énergétique. Cependant, nous sommes encore en phase d'expérimentation, il ne s'agit pas d'un levier de massification. L'option la plus simple serait d'envisager du mécénat pour des locaux : nous-mêmes, nous sommes hébergés par une entreprise qui bénéficie d'avantages fiscaux, mais il pourrait être intéressant d'organiser une défiscalisation avec un hôtel qui nous prêterait des chambres. Nous ne sommes pas encore tout à fait mûrs sur ce sujet.
Mme Cécile Guérin-Delaunay. - Sur ce point, nous nous rapprochons des enjeux liés à la lutte contre l'habitat indigne, et par conséquent, des outils mis en oeuvre dans ce cadre, comme les logements-tiroirs, qui permettent d'héberger les ménages pendant les travaux. Nous avons également travaillé avec l'Union sociale pour l'habitat (USH) sur la manière de mieux mobiliser un parc de logements pour des opérations programmées, par exemple dans le cadre de copropriétés. Pour autant, même en matière de lutte contre l'habitat indigne, nous peinons à mettre en place ces solutions. J'ajoute que la lutte contre la précarité énergétique n'est pas identifiée comme un motif de réservation potentiel du parc de logements éventuellement disponible. Cela se fait généralement au cas par cas, en mobilisant des solutions familiales ou en faisant appel aux collectivités, qui peuvent disposer de tels logements. Nous parvenons donc à mettre en place ces solutions pour certains chantiers ambitieux, au prix de négociations au cas par cas, mais cela complexifie considérablement le processus. Cependant, il est important de réfléchir à cette question des logements occupés, notamment dans le parc locatif : soit nous considérons que les rénovations se font uniquement lors de la relocation, mais alors une vigilance très forte est requise, soit nous devons nous donner les moyens de développer des solutions de logements-tiroirs. Cela constitue un véritable défi à relever.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Vous avez évoqué la création d'un certificat d'économies d'énergie (CEE) spécifique aux personnes en situation de précarité énergétique. Pouvez-vous développer cette idée ?
M. Gilles Berhault. - Nous sommes lauréats d'un des projets de 2022 concernant les CEE, qui doivent nous permettre de créer des territoires « zéro exclusion énergétique » agissant comme des démonstrateurs, avec un objectif de quatorze territoires et 3 000 accompagnements sur trois ans ; nous toucherons cent territoires dans les deux années suivantes, puis nous accélérerons en vue d'une éradication à l'horizon 2030. Cependant, pour y parvenir, il est nécessaire d'élargir les sources de financement ; or, si les CEE devaient rester un moyen de financement, nous ne serions plus à la bonne échelle pour une démarche globale d'accompagnement. Il n'est question ici que des 500 000 familles de propriétaires occupants, qui représentent une partie de la difficulté qu'il ne faut pas sous-estimer.
La différence entre précarité et exclusion énergétiques tient également aux nombreux autres problèmes qui découlent de la seconde, notamment en matière de santé et de handicap. C'est la raison pour laquelle une technicité spécifique est requise : un ensemblier solidaire ne saurait être seulement compétent pour obtenir une prime de l'Anah, il doit monter des dossiers plus complexes, tels que ceux qui sont liés au handicap. Cela requiert une compétence très pointue. L'enjeu est donc de simplifier et d'élargir les sources de financement. Cela vaut le coup, pour la première fois, je me consacre à un enjeu gagnant dans toutes les dimensions : santé, précarité, environnement, climat, etc. La précarité énergétique donne lieu à une injustice sociale profonde : les familles aimeraient participer aux efforts pour le climat, mais ne le peuvent pas. Agir sur la précarité énergétique relève donc de la justice sociale, dans un contexte d'augmentation des difficultés avec les prix.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Les fraudes, les arnaques, voire les dossiers mal remplis qui débouchent sur des abandons, suscitent encore plus de précarité. De quels éléments disposez-vous à ce sujet ?
Mme Isolde Devalière. - L'ONPE mène des enquêtes sociologiques auprès des ménages et nous collectons donc des retours concernant, notamment, ces chantiers d'isolation à un euro, dont une partie n'a pas donné satisfaction. La principale difficulté, selon les travailleurs sociaux, est qu'une fois qu'un ménage a été trompé, il est difficile de rétablir une relation de confiance et de l'accompagner vers de nouveaux travaux. Or c'est l'absence d'accompagnement qui explique que l'on se lance dans des chantiers douteux : les ménages concernés sont souvent très sollicités et généralement présents à leur domicile. Nous plaidons donc en faveur d'un accompagnement avec un référent unique. L'enquête longitudinale que nous avons menée nous a montré que la multiplicité des interlocuteurs était un facteur de complexité pour une personne en difficulté et pouvait entraîner l'abandon du projet de travaux. Lorsque la relation de confiance est rompue, la personne disparaît ; il est donc essentiel d'assurer un parcours d'accompagnement dans la durée avec un seul référent suivant l'ensemble du dossier, depuis le premier diagnostic jusqu'au contrôle des travaux. Cela permet d'éviter que les ménages soient confrontés à des démarcheurs peu scrupuleux.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Procivis a évoqué la création d'une banque dédiée à la rénovation énergétique. Pouvez-vous détailler ce projet ?
M. Guillaume Macher. - Nous faisons le constat que les acteurs bancaires n'ont pas trouvé de modèle pour financer la rénovation énergétique : il n'y a pas beaucoup de prêts distribués. Nous nous interrogeons sur les raisons de cette situation. On a tenté de confier ce rôle à une seule banque, mais cela soulève des problèmes de concurrence. Nous nous retrouvons donc dans un statu quo concernant le financement privé de la rénovation énergétique alors que l'enjeu social est important et que des aspects financiers découlent du positionnement de Paris comme une place verte au sein de l'Union européenne. Nous réfléchissons donc à la création d'un véhicule unique dédié, qui ne soit pas public, mais que des fonds publics pourraient abonder, et qui permettrait aux banques de remplir leurs obligations de créances vertes et de les valoriser, consacré uniquement à la distribution de ce type de produits. L'État pourrait lui apporter sa garantie et disposerait d'un droit de veto au sein de son conseil d'administration ; une telle garantie pourrait rassurer les banques, pour un coût mesuré pour l'État au regard de l'intérêt politique et social très élevé du dispositif. Cette réflexion est nouvelle, nous n'avons pas encore fait de benchmark, mais nous en avons discuté avec quelques acteurs, de manière confidentielle. Désormais, nous le faisons de manière plus publique. Il nous reste une étape importante : parler aux banques elles-mêmes, qui seraient les premières concernées. Du côté de la sphère étatique, nous avons reçu des retours très positifs et nous aimerions creuser cette piste.
Celle-ci rejoint d'ailleurs la question du rapporteur sur l'amélioration des dispositifs existants. Nous constatons que des financements existent qui ne trouvent pas leurs cibles ou qui ne sont pas à la hauteur des volumes attendus. Peut-être devrions-nous envisager un véhicule adéquat pour résoudre ces problèmes, et, par la suite, améliorer chacun des outils qui seraient distribués ? Ainsi, le prêt avance mutation (PAM), devrait être ouvert aux propriétaires bailleurs ; à défaut, les locataires ne seraient pas concernés. La question des ressources ne nous semble pas centrale, surtout si elle débouche sur une méconnaissance de la situation sociale des occupants du logement. Se pose également la question de l'après-Pinel et du statut du bailleur privé. Des propositions sont avancées sur ce sujet, notamment en termes d'amortissement et de déduction d'impôt au moment de l'accession à la propriété. Cela pourrait également inclure les travaux de rénovation. De plus, il convient de se pencher sur la question des plans pluriannuels de travaux. Actuellement, 2,5 % des travaux sont financés de manière obligatoire par les copropriétaires, et il faudrait peut-être augmenter ce niveau, voire en imaginer une autre partie, volontaire, encouragée par des déductions fiscales sur les revenus fonciers.
Nous souhaitons également partager quelques réflexions sur le diagnostic de performance énergétique (DPE) : il est nécessaire d'assurer une intelligibilité du dispositif, en plus de sa qualité technique. Aujourd'hui, seul le DPE individuel est opposable, mais il pourrait être pertinent de se poser la question du DPE collectif. La copropriété doit être considérée comme un ensemble : même si un appartement est moins concerné en raison de sa position au sein de l'immeuble, les travaux sont nécessaires dans une perspective collective. Nous sommes donc favorables à un DPE collectif comme outil de sécurisation et de lisibilité.
M. Manuel Domergue. - Pour aborder la question des arnaques, il est vrai que celles-ci concernent davantage les gestes individuels. Le passage à la rénovation globale avec un accompagnement adéquat devrait, par définition, les réduire considérablement. Une discussion sur le rythme de passage des gestes individuels à la rénovation globale pourrait être bénéfique, bien qu'elle puisse sembler impopulaire. Cette transition est difficile, car le Président de la République s'est engagé sur 700 000 rénovations par an. Actuellement, ces 700 000 rénovations recèlent surtout des gestes individuels ; pour accepter de passer rapidement à la rénovation globale, il faudrait, selon nous, accepter de réduire temporairement ce chiffre, car il ne sera pas possible de réaliser 700 000 rénovations globales en 2024. Dans la politique actuelle, cette position est sans doute difficile à entendre, alors qu'elle nous semble raisonnable.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Être plus réaliste permettrait ensuite de monter en charge progressivement. Il est évident qu'il ne sert à rien de fixer des objectifs très ambitieux si nous savons qu'ils ne pourront pas être atteints. Cela peut être décourageant pour tous et les résultats ne seront pas au rendez-vous, rendant la situation insatisfaisante. Jusqu'à présent, les objectifs ont toujours été très élevés, avec une forte ambition affichée, mais ils n'ont jamais été atteints. C'est le propos même de cette commission d'enquête.
Je vous remercie tous de votre participation.
Table ronde sur
les fraudes à la rénovation
énergétique
(Mercredi 12 avril 2023)
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous poursuivons nos travaux aujourd'hui par une table ronde sur les fraudes à la rénovation énergétique. Nous recevons ainsi cinq acteurs concernés, à différents titres, par la fraude et l'escroquerie dans la rénovation énergétique des bâtiments.
La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), chargée notamment de réprimer la fraude à la rénovation énergétique, est représentée par M. Romain Roussel, sous-directeur industrie, santé et logement, et Mme Miyako Guy, chef du bureau immobilier, bâtiment et travaux publics.
L'entreprise Spekty est représentée par son président et cofondateur, M. Oussama Djeddi. Monsieur Djeddi, votre entreprise, créée en 2001, est un tiers de confiance dans la rénovation énergétique disposant de l'accréditation du Cofrac (comité français d'accréditation). Dans le cadre du dispositif des certificats d'économies d'énergie (CEE), vous réalisez des inspections d'opérations standardisées d'économie d'énergie.
La revue Le Moniteur, hebdomadaire du bâtiment et de la construction, est représentée par M. Pierre Pichère, journaliste et rédacteur en chef du Moniteur des artisans, revue spécialisée dans l'actualité des artisans du bâtiment. À ce titre, monsieur Pichère, vous avez mené au début de cette année une large enquête sur la fraude à la rénovation énergétique, qui a souligné la diversité des méthodes frauduleuses employées.
L'association de consommateurs UFC-Que choisir, est représentée par M. Michel Debiais, administrateur national et Mme Lucile Buisson, chargée de mission environnement, énergie et transports.
Et enfin l'association nationale de défense des consommateurs et usagers Consommation, logement et cadre de vie (CLCV), est représentée par M. David Rodrigues, juriste secteur habitat.
Mesdames, messieurs, dans vos diverses fonctions que je viens de rappeler, vous avez eu l'opportunité de constater l'ampleur de la fraude à la rénovation énergétique et même, concernant la DGCCRF, de concevoir et de mener des politiques de lutte contre la fraude. Dans un contexte d'accélération de la rénovation énergétique, la fraude et l'escroquerie jettent un discrédit sur l'ensemble de la politique publique, en remettant en cause le bien-fondé de la dépense publique et en entraînant une perte de confiance chez le consommateur. Votre audition, dans le cadre de cette table ronde, doit nous permettre de mieux comprendre ce phénomène ainsi que les solutions qui peuvent être apportées.
Comment expliquez-vous que les fraudes, qu'il s'agisse d'arnaques pures et simples ou de malfaçons, soient si nombreuses et, apparemment, si peu sanctionnées ? Quel doit être l'équilibre entre massification des rénovations et lutte contre la fraude ? Doit-on se résigner à la multiplication des cas de fraudes, au nom de l'accélération de la rénovation énergétique ? Enfin, comment, selon vous, peut-on améliorer l'efficience des dispositifs de lutte contre les différents types de fraudes ?
Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions et pour un propos introductif d'environ cinq minutes, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié. Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45000 euros à 100 000 euros d'amende. Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Romain Roussel, Mme Miyako Guy, MM. Oussama Djeddi, Pierre Pichère, David Rodrigues, Michel Debiais et Mme Lucile Buisson prêtent serment.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je vous remercie très sincèrement et je vous laisse la parole : la DGCCRF pourrait débuter et nous suivrons ensuite l'ordre d'installation autour de cette table.
M. Romain Roussel, sous-directeur industrie, santé et logement à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). - Je vais vous présenter un panorama de la fraude à la rénovation énergétique, telle que nous pouvons la constater à la DGCCRF et telle qu'elle évolue au fil des années, car nous constatons qu'il s'agit d'un phénomène assez changeant. Ce rapide tableau incorpore également les priorités de la politique publique ainsi que les différents types d'actions que nous pouvons mener à la fois de manière préventive et répressive avec les instruments dont nous disposons dans le cadre de la loi.
Tout d'abord, le secteur de la rénovation énergétique est fortement générateur de plaintes et de signalements sur la plateforme « SignalConso » que nous avons lancée en 2021 et qui permet aux consommateurs de signaler leurs litiges avec un certain nombre de professionnels. C'est un des secteurs qui ressort le plus fortement avec plus de 10 000 plaintes enregistrées l'année dernière, qui génère de lourds contentieux ainsi que des difficultés d'une certaine gravité. Nous avons pu constater au fil des différentes enquêtes, intensifiées au fil des années, qu'il s'agissait d'un phénomène assez massif et difficile à endiguer, car il s'adapte à l'évolution des politiques publiques.
La rénovation énergétique fait partie des priorités de la DGCCRF dans le cadre de son plan national d'enquête. Celui-ci est élaboré chaque année par notre directeur ou notre directrice générale : il définit un programme de travail et d'action aux services déconcentrés dont nous disposons sur le terrain, à la fois en région et dans les départements, sur l'ensemble du territoire français et ultramarin pour combattre ces schémas de fraude de manière concertée avec d'autres acteurs de la sphère publique. C'est d'autant plus prioritaire dans le cas de la transition écologique que le bâtiment, comme vous l'avez souligné, est un des secteurs les plus consommateurs et les plus émetteurs de gaz à effet de serre. La rénovation énergétique a été identifiée par les pouvoirs publics comme étant un des leviers d'action à crédibiliser, dans lequel il est important de susciter la confiance des consommateurs et des rénovations de qualité pour pouvoir atteindre nos objectifs climatiques. Très concrètement, la rénovation énergétique donne lieu à un nombre de contrôles important avec des enquêtes souvent assez lourdes sur le terrain. On est passé d'un peu moins de 500 établissements visités en 2018 à un objectif de 1 200 pour l'année 2023, avec une montée en charge assez forte au cours des cinq dernières années, accompagnée par une formation permanente de nos enquêteurs assurée par le réseau qui relève du bureau de ma collègue Miyako Guy : il s'agit de former spécifiquement les enquêteurs à ces fraudes qui sont de plus en plus complexes.
Le taux d'anomalie dans ce secteur est élevé. Ce terme recouvre en pratique, tout d'abord, des manquements qui se rattachent à une connaissance insuffisante, de la part d'un certain nombre de professionnels, des exigences du code de la consommation avec, par exemple, le non-respect de certaines dispositions précontractuelles. Il peut s'agir également d'une application insuffisante du droit de rétractation. Enfin, ces anomalies recouvrent des faits beaucoup plus graves qui confinent à des escroqueries en bande organisée nécessitant l'intervention de différents services de l'État en partenariat avec la gendarmerie, les services territoriaux en charge de la fraude fiscale, sociale et de la coopération transfrontalière.
Dans le domaine de la rénovation énergétique, ce taux d'anomalie, tel que je viens de le définir concerne, selon les années, entre 50 et 56 % des établissements visités. Je précise que ce pourcentage porte sur des opérateurs ciblés en amont par la DGCCRF sur la base des signalements à travers SignalConso ou grâce à la prospection commerciale, en particulier quand les sites internet des professionnels semblent présenter des anomalies.
Ce chiffre élevé n'est donc pas représentatif d'un taux moyen relatif à l'ensemble du secteur de la rénovation : nous ne connaissons pas ce dernier, mais il n'atteint sans doute pas le taux par nature majorant des établissements faisant l'objet d'une enquête. Néanmoins, ce pourcentage est important avec des faits d'une certaine gravité qui se traduisent, chaque année, par des avertissements et des mesures plus sévères : par exemple, en 2021, notre dernier bilan complet recense 131 avertissements, 111 injonctions administratives, 34 procès-verbaux administratifs et 89 procès-verbaux au pénal. Il s'agit là d'un taux de verbalisation administrative et pénale très supérieur à la moyenne des autres secteurs.
Cela s'explique par le fait que les pratiques constatées sont souvent graves et peuvent mener à des difficultés sérieuses pour les personnes qui en sont victimes. Celles-ci peuvent basculer dans des situations de surendettement avec, dans certains cas, des crédits souscrits sans le savoir pour financer des travaux mal faits et qui leur ferment le droit à des aides publiques ultérieures. Nous prenons très au sérieux, au niveau des sanctions, les situations de détresse que subissent un certain nombre de ménages. Les évolutions législatives ou réglementaires intervenues ces dernières années nous aident à durcir notre politique répressive. Je pense en particulier à la loi du 24 juillet 2020 en matière de démarchage téléphonique qui a prohibé cette pratique dans le secteur de la rénovation énergétique - sauf cas exceptionnel lorsqu'un contrat est déjà en cours avec l'entreprise. Ce texte a multiplié par cinq les plafonds des amendes en cas de manquement, ce qui nous a amenés à en prononcer un certain nombre pouvant dépasser les 100 000 voire les 300 000 euros dans les cas les plus graves, et à généraliser les saisies pénales de biens qui complètent les poursuites judiciaires. De plus, nous nous attachons à saisir certains biens détenus par les malfaiteurs avant qu'ils ne puissent fermer leur entreprise, ce qui est souvent le cas, avec des entités éphémères qui, après leur courte durée de vie, filent à l'étranger ou se déclarent en faillite pour ensuite recommencer une activité similaire sous un autre nom : la saisie pénale est donc un outil efficace que nous utilisons de plus en plus.
Néanmoins, nous sommes bien conscients de nos limites, car les fraudeurs ont beaucoup d'imagination : en permanence, dès qu'un nouveau système d'aides publiques est créé, cela génère un nouveau type de fraude, ce qui exige une adaptation constante de nos méthodes ainsi que de la formation de nos enquêteurs tout en développant les coopérations interservices. Ces dernières sont très utiles et sont montées en puissance depuis quelques années, en particulier depuis la loi relative à l'énergie et au climat de 2019, qui nous a permis de renforcer les échanges d'informations entre les principales administrations concernées par la lutte contre la fraude, à savoir le pôle national des certificats d'économie d'énergie (PNCEE), la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI), les services fiscaux de la direction générale des finances publiques (DGFIP), l'Agence nationale de l'habitat (Anah), l'Ademe et Tracfin. Sur le plan local, la gendarmerie, la police nationale et les polices municipales, lorsqu'il y en a, concourent bien entendu à cette coopération qui permet d'accroître la rapidité et l'efficacité des suites à donner aux manquements et anomalies.
Il faut être conscient des limites de notre action, liées au fait que les fraudeurs ont beaucoup d'imagination et contournent les obligations légales à travers des mécanismes trompeurs pour les consommateurs : il n'y a donc pas, à ce stade, de décrue du nombre d'anomalies constatées. Tel est particulièrement le cas en matière de démarchage téléphonique avec un certain nombre de sociétés qui contournent la réglementation en n'indiquant pas l'objet véritable de leur appel ou en procédant à d'autres subterfuges comme la dissimulation de leur identité ou la confusion volontaire avec un certain nombre de services publics. S'y ajoutent d'autres formes de prospection au porte-à-porte ou lors de salons afin de contourner l'interdiction sectorielle édictée par la loi. Cela nous amène à durcir les sanctions et à intervenir également en amont : ma collègue va vous présenter les actions de formation, de sensibilisation et de prévention auprès des consommateurs et des professionnels qui accompagnent notre action répressive.
Mme Miyako Guy, chef du bureau immobilier, bâtiment et travaux publics à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). - Je vais compléter le panorama qui vient de vous être présenté sur le renforcement significatif de nos actions au cours des dernières années face à l'ampleur des fraudes constatées.
S'agissant tout d'abord du volet répressif, je précise que la DGCCRF utilise deux modes d'action.
Le premier se situe le plus en amont possible avec des saisies pénales qui permettent d'immobiliser juridiquement des avoirs ainsi que des biens de manière conservatoire pour neutraliser de façon très réactive les opérateurs concernés. Un certain nombre de procédures ont pu effectivement aboutir avec des suites administratives que nous utilisons beaucoup pour sanctionner, en particulier, les pratiques liées à des manquements relatifs à l'information précontractuelle ou au démarchage téléphonique - et, sur le terrain, des sanctions assez percutantes ont été prises dans ce domaine.
S'y ajoutent des poursuites pénales : nous constatons que les parquets sont de plus en plus mobilisés et que des sanctions significatives, qui peuvent aller jusqu'à des peines d'emprisonnement avec ou sans sursis éventuellement complétées par des sanctions pécuniaires, sont prononcées.
De plus, conscients de la nécessité de sensibiliser les consommateurs aux risques qui peuvent se présenter sur leur chemin, nous avons travaillé, avec le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, au montage d'une campagne de sensibilisation déployée en novembre 2019 en réponse à l'afflux important de plaintes. Celle-ci a été complétée par des fiches pratiques, élaborées et régulièrement actualisées par la DGCCRF, que nous publions sur notre site internet : elles expliquent très simplement aux consommateurs leurs droits ainsi que les pièges à éviter. Par ailleurs, nous réfléchissons avec le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires aux moyens d'amplifier les efforts de communication de proximité auprès des consommateurs, en mettant l'accent sur les plus vulnérables en raison de leur isolement géographique. Je signale qu'un assez grand nombre d'opérateurs sévissent en zone rurale et profitent effectivement de la fragilité de certains résidents. Nous essayons ainsi d'améliorer la prise de conscience et de diffuser les réflexes utiles : nous préconisons aux consommateurs de s'orienter en priorité vers le service public de la rénovation énergétique France Rénov' pour pouvoir obtenir de premières indications sur la démarche à suivre pour effectuer des travaux ; puis, en cas de concrétisation du projet, le consommateur est invité à solliciter le dispositif Mon Accompagnateur Rénov.
Parallèlement à cet accroissement des actions destinées au consommateur, nous avons, au sein de notre réseau, appuyé la montée en charge des services d'enquête en renforçant la formation. Le programme annuel qui est proposé associe un certain nombre de services comme l'Ademe, l'Anah et également le Cerema qui nous apporte un appui technique particulièrement utile pour expertiser les caractéristiques techniques et les performances des équipements de rénovation énergétique. Cela nous permet d'apprécier la véracité des allégations des opérateurs sur les économies d'énergie générées par leurs installations. Nous avons ainsi accompagné le déploiement des travaux de rénovation énergétique par une amplification de la surveillance avec un doublement du nombre d'établissements, qui est passé de 352 en 2017 à 679 en 2021.
Je souligne que pour articuler massification des travaux et lutte contre la fraude, le principal enjeu se situe en amont, dans les mesures d'appui et de sensibilisation des consommateurs que j'ai évoquées. Dans le secteur de la rénovation énergétique, on constate une importante asymétrie d'information entre les consommateurs et les professionnels. Les consommateurs doivent également faire face à une grande diversité d'opérateurs et le paysage des entreprises de ce secteur a très sensiblement évolué au cours des dernières années avec une division des tâches entre de multiples opérateurs : on retrouve au début du processus des sociétés purement commerciales qui collectent des données ou se livrent à du démarchage téléphonique en sollicitant les prospects et, à l'autre bout de la chaîne, des professionnels qui réalisent des travaux. Cette séparation des tâches peut complexifier la situation des consommateurs qui, en cas de difficulté, ne savent plus exactement vers qui se retourner dans ce mécanisme de dilution volontaire des responsabilités. J'ajoute que de telles structures sont pour une bonne partie éphémères et qu'une partie du réseau n'est pas localisé en France : les donneurs d'ordre peuvent ainsi agir en dehors des frontières nationales et générer des flux financiers extrêmement rapides qui transitent vers des comptes situés dans des pays tiers, y compris en dehors de l'Union européenne. Ces facteurs expliquent la complexité des enquêtes.
Le marché de la rénovation énergétique, encore en phase transitoire, n'a pas encore atteint un degré de maturité suffisant. Il en résulte une inadéquation entre, d'une part, une demande de travaux fortement stimulée par les autorités publiques grâce à des aides et, d'autre part, une offre de services fiable qui demeure aujourd'hui limitée. Cette situation appelle le développement de plans de formation massifs pour professionnaliser les acteurs de marché. Ce sujet est suivi par le ministère du travail, du plein emploi et de l'insertion. De notre côté, nous souhaitons que s'ajoutent aux compétences techniques acquises par les professionnels - qui sont absolument indispensables à la bonne réalisation des travaux - un volet consacré aux principes essentiels du droit de la consommation, car nous constatons dans ce domaine, au cours de nos enquêtes, des lacunes récurrentes qui sont de nature à fragiliser la relation de confiance entre consommateurs et professionnels. Nous sommes donc très soucieux que le processus de qualification reconnu garant de l'environnement(RGE) puisse incorporer un module relatif au droit de la consommation adapté aux besoins et aux contraintes des entreprises. Ce travail est en cours dans le cadre du groupe qui doit définir les contenus de la formation aux économies d'énergie dans le bâtiment (Feebat) à l'intention des entreprises candidates au label RGE ou qui le détiennent.
Il nous semble également important que les programmes d'aides publiques soient conçus de manière à ne pas être trop attractifs pour les professionnels indélicats et je signale que, par le passé, le programme d'isolation à un euro avait été fortement générateur de plaintes.
Nous poursuivons nos efforts en liaison étroite avec les autres services de l'État pour bien articuler nos contrôles. En effet, nos expertises complémentaires renforcent l'efficacité des moyens d'action en permettant d'appréhender un opérateur sous différents angles comme les pratiques commerciales et de fraude fiscale ou sociale. Nous avons souligné la mobilisation des parquets sur cette thématique et il est important que cette dynamique se poursuive afin que les contrôles puissent être prolongés par des sanctions percutantes, de façon à lancer un message aux opérateurs sur les risques encourus en cas de fraude ou de manquement.
M. Oussama Djeddi, président et cofondateur de Spekty. - Nous sommes un bureau de contrôle qui s'inscrit dans le cadre du dispositif des certificats d'économie d'énergie (CEE). Notre mission, qui est de contrôler les travaux de rénovation énergétique après leur réalisation par les entreprises, porte sur quatre thématiques principales.
La première concerne la clarté de l'offre : bien que le rôle du bureau de contrôle soit limité dans ce domaine puisque nous intervenons en fin de chantier, nous vérifions que les délais ont été respectés et que le particulier a bénéficié d'une information claire sur ses devis ainsi que sur le « cadre contribution CEE » - il s'agit d'un document qui spécifie le montant des aides attribuées - et sur les autres documents techniques relatifs à l'opération.
Le deuxième volet de notre contrôle concerne les critères d'éligibilité au dispositif CEE : par exemple, s'agissant des travaux d'isolation, nous vérifions que la résistance thermique minimale exigée par une fiche d'opérations standardisées est respectée. Nous examinons ensuite les paramètres de calcul des CEE pour déterminer le volume de certificats qui sera attribué à l'opération : pour reprendre l'exemple précédent, cela correspondra à la surface concernée par les travaux d'isolation. Nous vérifions également la pérennité des performances et le respect des normes de sécurité pour l'ouvrage et les personnes.
Je rappelle que le rôle du bureau de contrôle, dans le cadre des CEE - en complément de l'action des différents organismes de l'État pour traquer les fraudes - a été imaginé en 2017-2018 pour intervenir avant la phase de dépôt des demandes de certificats d'énergie. Ce rôle avait été conçu avec la garantie d'un degré élevé d'indépendance et d'impartialité puisque l'État a exigé que les organismes soient accrédités par le Cofrac avec un niveau que l'on appelle « type A » : il s'agit du niveau le plus élevé des trois paliers que comporte le référentiel Cofrac et il interdit tout lien d'intérêt. Notre contrôle avait été mis en place dans un contexte de hausse de la fraude, au moment de l'application du dispositif d'isolation à un euro.
Cette mesure salutaire a ensuite été relayée par un renforcement des politiques de contrôle. Cependant, le bémol que je signale ici modestement réside dans l'apparition de conflits d'intérêts, avec des liens qui ont pu se nouer entre certains bureaux de contrôle, d'une part, et des entreprises de travaux ou des demandeurs de CEE, d'autre part. Dans d'autres cas, certains bureaux de contrôle se sont adonnés à de la fraude pure et simple. Partant initialement d'une exigence d'intégrité maximale, une telle dérive a pu se développer en raison de flous réglementaires, d'absence de textes clairs et de la sophistication des fraudes.
Une enquête du magazine Le Moniteur a très bien documenté ce phénomène et M. Pierre Pichère va sans doute vous en faire un exposé détaillé : je note simplement qu'au final, les bureaux de contrôle ont été conçus pour éliminer la fraude, mais qu'une partie d'entre eux est peu regardante ou complaisante, voire même frauduleuse délivrant des tampons de validation de fraudes. Cela génère des corridors de fraude qui vont de l'auditeur peu scrupuleux - et impliqué dans des liens avec d'autres entités - à l'entreprise qui bâcle les travaux, en passant par un demandeur de CEE qui veut s'acquitter à bon compte de ses obligations avec, parfois, l'aide d'un bureau de contrôle peu strict qui va tamponner les justificatifs parce qu'il fait partie du même écosystème. En fin de compte, le consommateur a l'impression d'avoir vu cinq acteurs différents et en retire un faux sentiment de sécurité. De son côté, le pôle national des certificats d'économies d'énergie (PNCEE) a également l'illusion que ses exigences ont été respectées, mais le résultat global n'est visiblement pas un succès.
J'attire l'attention sur un risque de dérive similaire dans le processus qui confie un rôle central à l'Accompagnateur Rénov' : si aucun dispositif de contrôle n'est mis en place, des pratiques équivalentes pourraient demain se reproduire. À mon avis, c'est là que se situe l'enjeu crucial : le contrôle antérieur aux travaux est un des outils de la lutte contre la fraude - ce n'est pas le seul - et il faut exiger de sa part le même niveau d'indépendance que celui des agents de l'État qui sont bien représentés ici. Il ne faut pas laisser se développer des liens d'intérêts qui sont de nature à atténuer, voire annihiler l'efficacité du contrôle en donnant l'illusion trompeuse d'une rigueur qui n'est pas effective sur le terrain.
Nous avons mené une étude, en tant que bureau de contrôle, en effectuant un retour d'expérience sur 36 000 inspections que nous avons réalisées en 2021 et 2022. Ces inspections couvrent un périmètre global d'environ 400 000 chantiers sur lesquels nous avons prélevé un échantillon aléatoire et représentatif pour effectuer ces 36 000 visites sur site. Quel que soit le niveau de travaux, nous avons constaté un taux de non-conformité d'environ 25 %. Le niveau de conformité se situe autour de 50 % et, pour le reste, je signale l'existence d'une proportion de chantiers non vérifiables et impossibles à comptabiliser dans la catégorie conforme ou non conforme - ces chantiers correspondent par exemple à des combles, des compteurs inaccessibles ou des travaux d'isolation réalisés en passant par le toit.
S'agissant des 25 % de non-conformité, nous avons constaté une multitude de problèmes avec des fraudes liées soit à la quantité d'isolant, dans le but de gonfler artificiellement les primes CEE, soit au fait de ne pas avoir effectué les travaux ou de les avoir réalisés dans des zones non éligibles aux aides. Je cite également l'exemple des travaux d'isolation dans un garage ou une grange qui ne sont pas habités. Nous avons également constaté des problèmes de qualité liés à un manque de formation ou de maîtrise du travail, et de tels travaux peuvent parfois être dangereux.
On rencontre aussi des problèmes dans la maîtrise de la documentation liée au dispositif : tel est typiquement le cas si l'on constate que le formulaire « cadre de contribution CEE » n'est pas transmis ou si les critères d'éligibilité ne sont pas respectés ; je qualifierais ces situations en employant le terme de non-maîtrise du dispositif plutôt que de fraude ou de défaut de qualité. Enfin, certaines difficultés sont imputables à des artisans peu scrupuleux qui font traîner en longueur les travaux ou les font mal.
M. Pierre Pichère, journaliste au Moniteur. - J'ai publié entre janvier et février 2023 une série d'enquêtes dans Le Moniteur des artisans, sur le site internet du Moniteur et dans Le Moniteur hebdomadaire. Ces enquêtes ont démarré en décembre 2022, lorsque des industriels, des négociants et des entreprises de travaux artisanales, m'ont alerté sur le fait que l'Anah avait cessé de leur verser les sommes dues au titre de MaPrimeRénov' : ces entreprises avaient le statut de mandataire leur permettant de recevoir les subventions directement. Or, ces paiements s'étaient arrêtés depuis plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Beaucoup d'élus locaux et de parlementaires ont alors été saisis par ces entreprises locales.
J'ai cherché à en savoir un peu plus et je note que la situation n'est toujours pas réglée. S'agissant des montants concernés, j'ai gardé en mémoire le cas d'une entreprise qui évoquait 2 millions d'euros en attente de paiement pour une quinzaine de millions d'euros de chiffre d'affaires, ce qui pèse sur sa santé financière dans un contexte économique difficile de hausse des coûts. Pour les entreprises artisanales, le chiffre d'affaires était plus restreint, mais le ratio était à peu près similaire. On parle donc de sorties d'argent qui mettent en péril des opérateurs qui, de bonne foi, s'étaient engagés dans un dispositif public.
L'Anah n'a pas souhaité justifier l'arrêt de ces paiements autrement qu'en invoquant la lutte contre la fraude. Je me suis donc demandé quelles irrégularités pouvaient justifier le fait de mettre à ce point en difficulté des entreprises que je savais honnêtes : cela ne veut pas dire qu'elles n'ont jamais commis d'erreur, mais, en tout cas, elles ne méritaient pas un tel traitement.
Mes recherches ont conduit à sortir une première enquête en cinq volets ; je précise ici que Le Moniteur étant un journal professionnel, je ne me suis pas intéressé aux fraudes du point de vue des consommateurs évoquées par les représentants de la DGCCRF. J'ai ciblé mes investigations sur les professionnels de la fraude qui, parfois, portent atteinte aux consommateurs, mais pas systématiquement, soit parce que ces fraudes interviennent dans le secteur non résidentiel où il n'y a pas de consommateur cocontractant, soit dans des cas comme l'isolation d'une grange qui n'est pas éligible aux aides. De tels travaux ne nuisent pas aux consommateurs et ils peuvent même parfois en profiter.
Ce premier volet d'enquête a mis en lumière une série de mécanismes de fraude, non exhaustive, mais qui donne un panorama de ma compréhension du phénomène, en mettant en évidence, tout d'abord, l'importance majeure des « leads » ou « contacts qualifiés ». Des groupes WhatsApp d'escrocs de la rénovation énergétique - qui utilisent bien entendu des appellations moins stigmatisantes - témoignent d'une très grande réactivité aux dispositifs publics et échangent des conseils stratégiques comme celui de privilégier encore, pendant deux mois, la pose de chaudières avant de se préparer à une offensive sur le poêle à bois... - ils échangent donc - disons plutôt leurs mauvaises pratiques que leurs bonnes pratiques qui recouvrent tout un tas de procédés. S'agissant des faux comptes à l'Anah, dont vous avez été, je pense déjà saisis, on a ici affaire à des acteurs qui ont, pour certains d'entre eux, déjà oeuvré dans le compte personnel de formation (CPF) ou d'autres dispositifs publics : ils investissent dès lors le secteur de la rénovation énergétique avec des bases solides, en disposant des identifiants France Connect, qui sont le sésame pour aller se porter mandataire sur le site de l'Anah au nom de particuliers qui ne sont même pas au courant qu'ils ont déposé une demande de dossier. Par la suite, l'argent disparaît dans les circuits qu'ont décrits les représentants de la DGCCRF.
Dans mon enquête, un sérieux problème est apparu avec certains produits et, en 2022, je disposais surtout d'informations sur la ventilation mécanique contrôlée (VMC) double flux qui a fait l'objet d'une bonification de MaPrimeRénov'. Plusieurs acteurs ont trouvé les moyens d'inonder le marché avec des produits extrêmement non conformes en provenance d'Italie, d'Espagne ou d'ailleurs, qui étaient installés à toute vitesse. Évidemment, on n'a jamais pu les rattraper, car l'imagination des fraudeurs va toujours plus vite que les possibilités de les contrôler. Je signale que certains industriels ayant pignon sur rue dans le domaine de la ventilation m'ont indiqué que leurs parts de marché avaient baissé, alors que le dispositif rencontrait un succès incroyable. Cela signifie que les produits installés n'ont pas profité aux industriels sérieux qui avaient investi en France et en Europe.
Depuis, j'ai appris beaucoup de choses sur le solaire thermique, qui subit exactement le même genre de dérive, en particulier avec l'installation de « thermosiphons », qui sont ces ballons à la grecque ou à la méditerranéenne qu'on voit sur les toits. Ils sont probablement très bien adaptés au climat dans le bassin méditerranéen, mais quand on met un ballon d'eau chaude sur un toit en Auvergne, l'eau n'y reste pas chaude.
Le dernier sujet que j'ai abordé concerne la fiche d'opération standardisée CEEBAR-TH-164 « Rénovation globale d'une maison individuelle (France métropolitaine) » utilisée pour financer la rénovation globale. Ce dispositif, qui détermine un volume de certificats en fonction de l'état initial du bâtiment et de son point d'arrivée après travaux, était particulièrement attractif avant décembre 2021 et a suscité trois niveaux de fraude. Le premier consiste à antidater les devis : l'État ayant rendu possible jusqu'au 31 mars dernier le dépôt de devis antérieurs à décembre 2021, on voit affluer en ce moment des volumes considérables de rénovation globale dont, à vrai dire, personne ne pense qu'elles soient réelles. Le deuxième moyen frauduleux consiste à dégrader l'état initial de la maison dans l'évaluation thermique : il n'y a alors pas besoin de beaucoup d'efforts pour générer un maximum de CEE. On m'a ainsi montré des études thermiques à La Rochelle basées sur une altitude de 1 900 mètres d'altitude, ce qui crée un vrai différentiel, ou encore des communes qui étaient artificiellement situées dans le département du Doubs qui est le plus froid de France. L'inventivité est remarquable dans ce domaine. Enfin, il y a une fraude technique sur la pompe à chaleur (PAC) : celle-ci est toujours considérée comme installée en basse température, avec un fonctionnement à 35 degrés, alors qu'en réalité, elle fonctionnera à 60 degrés, et donc, sa performance est surestimée.
J'ai consacré une deuxième série de recherches, en février dernier, sur les 51 bureaux de contrôle CEE accrédités par le Cofrac, dont la grande majorité est composée de personnes honnêtes et très compétentes - je ne jette pas l'opprobre sur cette profession. Je me suis livré à un travail d'identification de ces structures, de leurs dirigeants et de leurs liens d'intérêts et je précise qu'à mon avis ces liens ne semblent ni particulièrement légaux, ni nécessairement illégaux, compte tenu du flou réglementaire que je n'ai pas pu élucider. Il est apparu que 27 % de ces bureaux de contrôle - soit une quinzaine sur 51 - présentaient des liens soit avec les entreprises de travaux, soit avec le monde des CEE. Cela signifie qu'on retrouve le phénomène décrit par M. Oussama Djeddi, c'est-à-dire un système qui peut fonctionner en vase clos en impliquant un énergéticien, un délégataire de ces CEE, des entreprises de travaux, un bureau de contrôle et un évaluateur thermique. Une telle collaboration peut s'avérer très utile, en particulier pour valider la fiche d'opération globale 164 dont je vous ai parlé : une fois qu'on a réuni toutes les pièces du puzzle, on peut produire du CEE à tour de bras.
M. Oussama Djeddi. - Juste une précision : cette fiche est contrôlée par le bureau de contrôle, ce qui n'a pas empêché la fraude de se développer allègrement.
M. Pierre Pichère. - Je précise que le Cofrac fait mention, dans les critères d'accréditation des bureaux de contrôle, de la compétence technique requise. Il m'a semblé très difficile d'évaluer la compétence technique d'un bureau de contrôle, mais je garde le souvenir de l'un d'entre eux qui a le même gérant qu'un magasin de scooters à Paris avec la même adresse et aucune plaque sur le bâtiment. De plus, le profil du gérant ne laisse pas supposer qu'il en sache plus que moi sur les travaux, et même probablement moins - je vous livre ces informations avec toutes les précautions d'usage.
En conclusion, cette enquête, à laquelle j'ajouterai sans doute d'autres volets, me laisse un sentiment partagé. Du côté de l'Anah, je ne crois pas du tout à la pertinence des réponses qu'ils essaient d'apporter à la fraude, mais j'ai l'impression qu'ils essaient de réagir, par exemple en suspendant les paiements, le temps d'effectuer des contrôles. Cet arrêt reste à mon avis très problématique, mais il témoigne en tout cas d'une volonté de mobilisation contre les fraudes.
Du côté des CEE, je n'ai pas eu le même sentiment. En effet, j'ai écrit un article en mars dernier pour décrire les volumes importants de formulaires 164 litigieux, mais, à ma connaissance, le pôle national des certificats d'économies d'énergie (PNCEE) n'a toujours pas ordonné de contrôle systématique a posteriori de ces formulaires, alors que toute la filière estime qu'ils sont à 90 ou 95 % frauduleux. Je n'ai donc pas senti qu'il y avait du côté des CEE une volonté de s'attaquer au problème aussi forte qu'à l'Anah.
J'ai également été assez surpris de constater, mais peut être la DGCCRF pourra-t-elle me contredire, que le fichier centralisé des chantiers en France qui était semble-t-il prévu par la loi de 2019 n'existe pas. Les organismes de qualification comme Qualibat sont extrêmement conscients du problème et ne sont pas associés par l'administration à la mission interministérielle de coordination antifraude (Micaf) : celle-ci a souligné sa nature administrative alors que Qualibat relève du secteur privé, mais je fais observer que la contestation des décisions de Qualibat doit être portée devant les tribunaux administratifs, ce qui témoigne de sa proximité avec le service public.
Au final, l'État, dans son ensemble, reste encore loin d'être en mesure de doubler les fraudeurs dans leur inventivité. Des inquiétudes subsistent sur Mon Accompagnateur Rénov ainsi que sur Ma Prime Adapt' qui sort du champ de la rénovation énergétique, mais qui arrive dès l'année prochaine dans le domaine de l'accessibilité et qui promet, si le dispositif est calqué sur MaPrimeRénov', quelques désagréments majeurs, essentiellement pour les consommateurs.
M. David Rodrigues, juriste secteur habitat à l'association Consommation, logement, cadre de vie (CLCV). - Je ne vais pas revenir sur la protection du consommateur puisque la DGCCRF est intervenue longuement à ce sujet.
À titre de cadrage introductif, j'indique que, de manière générale, la réalisation de travaux quels qu'ils soient donne lieu, de façon très importante, à des litiges. Ce n'est pas spécifique à la rénovation énergétique. Dès lors qu'un professionnel ou un artisan intervient, vous avez très régulièrement des malfaçons ou différents problèmes qui génèrent des insatisfactions comme les retards, ou les abandons de chantier, ou dans le meilleur des cas, des travaux réalisés avec des malfaçons. Les litiges liés à la mauvaise organisation des travaux de rénovation ou à la mauvaise performance des économies d'énergie par rapport aux attentes ne sont donc pas surprenants étant donné la nature générique de cette problématique.
Les difficultés peuvent se rattacher à la signature à la va-vite de contrats d'adhésion ou même de simples devis signés et tout juste datés sans que soient fournies les informations légalement requises sur la durée du chantier ou sa date d'achèvement. Il serait souhaitable de cadrer tout cela avec un contrat-type clairement formalisé et, en ce qui concerne les travaux d'économie d'énergie, une obligation pour le professionnel de fournir toutes les informations utiles permettant aux consommateurs, le cas échéant, de procéder aux contrôles pertinents.
Ensuite, nous estimons que les litiges sont grandement favorisés par la très grande complexité des différentes aides existantes. Je défie quiconque, y compris parfois les spécialistes, de s'y retrouver entre les aides de l'Anah, les aides locales qui complètent les subventions nationales et les crédits d'impôt. Dans ce contexte, il est facile pour les professionnels ayant suffisamment de bagou - et ce sont les plus redoutables - d'indiquer au consommateur qu'il n'aura rien à débourser si ce n'est une avance remboursable de 3 000 à 5000 euros : le consommateur appose sa signature, mais ne verra jamais son chèque de remboursement arriver.
Malgré les efforts de communication consentis par les pouvoirs publics, l'Ademe et l'Anah, le consommateur moyen a du mal à s'orienter dans le maquis des aides disponibles : il faudrait donc intensifier l'information et peut-être simplifier les aides. Il est censé exister un guichet unique de la rénovation énergétique, mais il est peu connu et il faut sensibiliser les consommateurs à son sujet. S'agissant du démarchage à domicile, qui est normalement interdit, nous conseillons régulièrement au consommateur d'attendre avant de s'engager et de vérifier les qualifications professionnelles de son démarcheur ; nous rappelons que c'est le professionnel qui, dans ce cas, cherche à conclure une opération - et pas l'inverse.
La plupart de nos actions sont centrées sur la sensibilisation du consommateur ainsi que des copropriétaires ; les syndicats de copropriété n'ont cependant pas la qualité de consommateur et nous les renvoyons vers les organismes existants comme l'Anah ou France Rénov'. Nous signalons également l'existence du label RGE, mais celui-ci n'est pas toujours bien compris par le consommateur qui peut faire l'amalgame avec d'autres types de labels à connotation commerciale. Il n'est pas non plus simple pour le consommateur de savoir quelle est la portée de sa garantie dans le cas où une entreprise labellisée RGE sous-traiterait les travaux à une entreprise qui ne l'est pas, et, au total, nos efforts de sensibilisation restent insuffisants.
En ce qui concerne votre interrogation sur le lien entre la lutte contre la fraude et la massification des travaux d'économie d'énergie, on peut tout d'abord souligner que la priorité est de réprimer la fraude, quelle que soit son incidence. Je m'interroge cependant sur l'impact de l'accentuation de la lutte contre les fraudes sur le volume des travaux de rénovation. J'observe à cet égard que la fraude est généralement plus fréquente dans les maisons individuelles que dans les immeubles en copropriété où les témoignages concernent surtout les malfaçons. Les travaux ponctuels à un euro comme le calorifugeage ou l'isolation ont sans doute généré des abus avec des travaux réalisés plus ou moins bien. Cependant, il me semble que les grosses opérations de rénovation sont conduites avec plus de sérieux.
Bien souvent, le consommateur engage des travaux d'économie d'énergie en raison de la contrainte liée à la décence du logement : c'est le cas du propriétaire bailleur qui veut échapper à l'interdiction de mettre son bien en location. Il y a également le motif prédominant de l'amélioration du confort ainsi que celui du pouvoir d'achat lié à la hausse de l'énergie. La réalisation des travaux d'économies énergie est donc ressentie comme une nécessité et la crainte de la fraude n'est pas nécessairement un frein. Il faut dès lors protéger le consommateur contre les mauvais professionnels en améliorant les contrôles et les sanctions, en particulier pour le démarchage téléphonique, avec le dispositif Bloctel. Je rappelle la souplesse qui a été accordée dans ce domaine et il convient d'être attentif à la façon dont les professionnels vont investir ces possibilités dérogatoires d'appel téléphonique en semaine à certaines heures ouvrables. Enfin même si les brebis galeuses continueront sans doute à conserver une longueur d'avance en se localisant à l'étranger, il faut à mon sens également apporter quelques correctifs juridiques pour anticiper les fraudes avec des contrats normés assortis de clauses obligatoires et éventuellement des pénalités de retard qui pourraient être imposées automatiquement, comme c'est le cas pour les contrats de construction de maisons individuelles. Certains travaux d'économie d'énergie peuvent être extrêmement coûteux et, par conséquent, les pénalités de retard pourraient avoir un effet dissuasif. Enfin, il convient de sensibiliser les consommateurs sur l'intérêt du label RGE qui ne me semble pas encore bien compris.
M. Michel Debiais, administrateur national de l'association de consommateurs UFC-Que choisir. - Nous sommes d'accord, dans les grandes lignes, avec toutes les observations que l'on vient d'entendre. Nous soulignons également les avantages de la rénovation énergétique pour le consommateur de base qui peut ainsi obtenir une réduction de ses factures, un meilleur confort thermique en hiver ou en été et moins de risques en cas de crise et de hausse du prix de l'énergie. La rénovation énergétique est également bénéfique pour la collectivité et l'État, puisqu'une consommation moins élevée permet de diminuer notre dépendance aux fournisseurs d'énergie étrangers.
Toute la difficulté est de trouver un dispositif efficace et depuis un demi-siècle que j'observe attentivement les questions d'énergie, je suis étonné que malgré le consensus sur les bienfaits des économies d'énergie et de la rénovation des logements, on se soit tout de même retrouvés en difficulté au moment de la crise très grave de l'hiver dernier. Nous n'avons pas non plus de solution miracle à vous proposer, mais nous pouvons formuler quelques suggestions malgré tout.
Nous demandons d'abord, depuis très longtemps, que le consommateur puisse disposer d'une source d'information fiable et indépendante. Tout le monde l'a souligné et c'était le cas autrefois des points Info-Énergie, qui ont changé de nom trois ou quatre fois - et c'est un peu dommage. Nous constatons, comme n'importe qui peut le faire en interrogeant les personnes autour de soi, qu'elles sont confrontées au démarchage téléphonique - qui existe toujours - et à la publicité omniprésente dans tous les médias. En revanche, rares sont ceux qui connaissent la seule source d'information fiable, c'est-à-dire France Rénov' : de ce fait, il y a de fortes chances qu'ils tombent dans le panneau dès qu'un opérateur veut profiter de la situation, comme cela a été largement évoqué. La priorité est donc de disposer d'une source d'information indépendante, compétente, connue de tous et dotée de moyens appropriés. Comme en ont témoigné les associations que votre commission a entendues, les organismes en charge de l'accompagnement sont débordés, avec plus de demandes et moins de moyens pour y répondre. Les associations vous ont également signalé le besoin d'accompagnement de préférence indépendant par rapport aux artisans et aux entreprises. Nous sommes conscients du déséquilibre entre l'offre et une demande qui s'amplifie et nous savons très bien que les artisans n'ont pas bénéficié d'une mise à jour de leurs connaissances ou des formations permettant de faire face à la situation. De plus, en matière de DPE, nous avons réalisé une enquête dont ma collègue Lucile Buisson va vous parler et dont il ressort très nettement que les résultats sont en retrait par rapport aux attentes.
Mme Lucile Buisson, chargée de mission environnement, énergie et transports de l'association de consommateurs UFC-Que choisir. - Pour l'association UFC-Que Choisir, le secteur de la rénovation énergétique est particulièrement pourvoyeur de litiges dont le nombre avoisine 10 000 par an. Cela va du démarchage à la malfaçon en passant par l'abandon de chantier ou la non-obtention de l'aide promise par les professionnels. Ces litiges se polarisent sur les pratiques de commercialisation ainsi que sur des équipements particuliers.
S'agissant des pratiques de commercialisation, je souligne que les contrats souscrits dans les foires et salons sont problématiques. Je rappelle que ces contrats relèvent d'un régime juridique particulier qui leur permet d'échapper à l'obligation de prévoir un délai de rétractation. Des pratiques illicites sont également observées au sein des foires et salons avec des affichages frauduleux du label RGE. Par ailleurs, deux tiers, à peu près, des réclamations que nous recevons sont liées au démarchage physique. Nous avons accueilli l'interdiction du démarchage téléphonique comme une première avancée salutaire, mais le démarchage physique reste un fléau qui justifierait, à notre sens, une interdiction sectorielle.
En ce qui concerne les équipements, on recense des litiges particulièrement nombreux dans le domaine des pompes à chaleur et de l'isolation. Nous relions ce phénomène aux campagnes d'information dédiées à ces installations qui partent, bien entendu, d'une bonne intention, mais suscitent des effets d'aubaine ou des appels d'air largement exploités par des entreprises peu scrupuleuses. Pour ces deux produits, nous constatons une forte proportion de malfaçons et de non-achèvements de travaux. Nous estimons que ces arnaques ont contribué au développement d'une défiance des consommateurs vis-à-vis du secteur de la rénovation énergétique, qui exige des investissements importants pour le consommateur pour des gains en économie d'énergie qui ne sont pas toujours garantis.
Le parcours d'un consommateur lambda souhaitant faire exécuter des travaux de rénovation énergétique soulève avant tout la question de la définition des travaux à réaliser. Nos attentes à l'égard du dispositif Mon Accompagnateur Rénov sont ici importantes, et il en va de même pour France Rénov' qui assure un accompagnement à la fois administratif, financier - en particulier pour clarifier les différentes temporalités des aides - et technique. À notre sens, les objectifs des pouvoirs publics ainsi que les attentes des consommateurs en matière de rénovation énergétique doivent conduire à systématiser l'accompagnement en basant celui-ci sur un premier bilan proposant différents scénarios de rénovation globale. Nous faisons ici référence aux enquêtes Tremi - Travaux de rénovation énergétique des maisons individuelles - qui ont montré que les gains énergétiques proviennent majoritairement de rénovations globales. Celles-ci sont plus efficaces pour réduire la consommation énergétique et donc les émissions de gaz à effet de serre ainsi que les factures acquittées par les consommateurs. Au-delà de ces prérequis en matière d'accompagnement, il est, pour nous, essentiel d'assortir ces travaux d'un engagement portant sur les économies d'énergie : celui-ci peut se baser sur le DPE mesuré avant et après les travaux pour attester de leur validité et permettre au consommateur, si besoin est, et en cas de malfaçons par exemple, de faire valoir ces promesses contractualisées auprès du professionnel.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Merci d'abord pour l'ensemble de vos interventions très précises sur un sujet complexe. Elles font bien apparaître les problématiques liées à l'application de la politique de rénovation sur le terrain et les fraudes ou dérives qui peuvent se produire.
Ma première question s'adresse à la DGCCRF : vous avez globalement fait apparaître un grand nombre de fraudes liées à la rénovation thermique. Cependant, au cours de son audition, la ministre a semblé porter une appréciation très modérée sur cet aspect, en indiquant qu'au regard du nombre élevé de dossiers MaPrimeRénov', le niveau des fraudes était limité. Quel est votre avis à ce sujet et, objectivement, analysez-vous la fraude comme un phénomène plus massif que ne le font ressortir les propos de la ministre ?
Ensuite, vous soulignez que le contrôle sur place est important, à la fois pour détecter les fraudes, mais aussi pour vérifier que les travaux sont correctement faits. Estimez-vous que la DGCCRF dispose d'un effectif dédié suffisant ? Faudrait-il, par exemple, doubler ou tripler le nombre d'interventions dans ce secteur ?
Plus globalement, pouvez-vous citer des exemples de dispositifs en vigueur dans d'autres pays qui pourraient permettre de générer moins de fraudes et de contrôler plus efficacement le système ? Je pense en particulier au cas de l'Allemagne qui me semble intéressant. En France, on a, conformément à notre habitude, créé une signalétique RGE en estimant que les travaux réalisés par une entreprise labellisée sont réputés corrects et ne nécessitent que peu de contrôles, voire pas du tout, en fin de chantier : la prime est donc versée, quelle que soit, en réalité, la qualité des travaux. Il me semble qu'en Allemagne, peu importe la qualification de l'entreprise : ce qui compte avant tout, c'est le bilan qui est fait des travaux et leur conformité par rapport aux exigences qui ont été annoncées ; ensuite seulement la prime est versée. Avez-vous des indications et des remontées d'information sur ce sujet ?
Par ailleurs, en règle générale, on verse la prime et les aides aux particuliers ou à la personne qui fait les travaux. On pourrait aussi imaginer des aides qui soient versées à l'entreprise...
M. Oussama Djeddi. - Telle est la situation quand l'entreprise est mandataire de son client...
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Certes, mais dans un grand nombre de cas, des consommateurs qui font exécuter des travaux ne parviennent pas à toucher leur prime, car ils ne disposent pas de l'ensemble des justificatifs. Au final, il leur arrive de ne jamais percevoir l'aide financière soit parce que les travaux n'ont pas été achevés, soit parce qu'ils n'ont pas obtenu de facture. Vous nous apporterez les précisions utiles sur le mécanisme du mandat, mais, pour avoir utilisé MaPrimeRénov', il me semble bien que celle-ci soit versée par principe au commanditaire et non pas à l'entreprise de travaux.
S'agissant de la transmission de données et du démarchage : pour avoir récemment effectué un test en constituant sur le site de France Rénov' un dossier d'isolation d'un logement, j'ai constaté qu'une demi-heure après, on reçoit un certain nombre d'appels, proposant notamment des pompes à chaleur. Cela signifie donc que les données introduites dans le fichier sont aussitôt transmises. Quelles sont vos informations à ce sujet et comment renforcer la protection des données ?
Dans le même sens, quand on entre dans un moteur de recherche, par exemple MaPrimeRénov' 2023, le premier site qui est proposé affiche le logo du Gouvernement, mais c'est tout simplement un vendeur de pompes à chaleur qui hameçonne les clients. Le parcours classique d'un consommateur qui se renseigne sur les travaux de rénovation peut rencontrer ce type de confusion de nature à le désorienter : la DGCCRF a-t-elle des parades à ce sujet ?
Enfin, pourriez-vous faire le point sur la mise en oeuvre de la loi du 24 juillet 2020 relative au démarchage téléphonique qui interdit ce dernier, sauf si la personne a donné son consentement préalable et exprès ? Je m'interroge sur l'impact réel et le bilan d'application de ce texte : des procès-verbaux ont été dressés, mais le démarchage téléphonique a-t-il vraiment reculé et je m'interroge également sur le démarchage physique qui semble plus difficile à contrôler.
M. Romain Roussel. - En réponse à votre question concernant l'ampleur de la fraude à MaPrimeRénov' et l'efficacité du contrôle en général, je fais observer que nous avons encore peu de recul sur ce dispositif récent et a fortiori sur Mon Accompagnateur Rénov : les remontées d'enquêtes ne nous ont pas encore permis de dresser un bilan global. Nous constatons très souvent un certain nombre d'anomalies qui sont transversales à différents dispositifs, ce qui ne permet pas d'élaborer un système statistique suffisamment fin pour quantifier les différents types de fraudes par compartiments ou types de gestes, tels que l'isolation, les panneaux photovoltaïques, etc. Néanmoins, nous avons pu quantifier la fraude en nous basant sur les types de manquements et d'anomalies que nous avons pu détecter. En particulier, nous avons établi un chiffrage de l'indu généré par la fraude à la rénovation énergétique en utilisant les informations générées dans nos enquêtes annuelles. Sur la base de notre méthodologie, nous avons estimé que le montant de l'indu lié aux pratiques litigieuses décelées par nos contrôles avoisinait 22 millions d'euros pour l'année 2020 et plus de 92 millions d'euros pour l'année 2021. Toutefois, il ne faut pas interpréter ces chiffres comme un quadruplement des fraudes entre 2020 et 2021, car cela traduit également la montée en charge de nos contrôles. Ces montants doivent également être interprétés comme des minorants de la fraude globale, car nous ne pouvons pas faire d'extrapolation entre ce que nous détectons grâce à nos contrôles et le marché global, puisque nos enquêteurs ciblent en priorité les professionnels et les pratiques les plus problématiques ou faisant l'objet de signalements.
En ce qui concerne les effectifs déployés sur le terrain, nous avons presque doublé le nombre de contrôles entre 2017 et 2021 et ce mouvement se poursuit d'année en année avec l'objectif que j'ai mentionné de contrôler environ 1 200 établissements en 2023. L'efficacité du contrôle ne dépend pas seulement des moyens, mais aussi de la possibilité d'accompagner les enquêteurs sur le terrain, en leur proposant des formations et des actions de sensibilisation aux nouvelles techniques d'enquête et aux nouveaux types de fraudes. Je souligne cependant que la rénovation énergétique reste parmi nos priorités de développement stratégique.
S'agissant de la facilité ou de la difficulté du contrôle, il est vrai qu'un système qui permettrait de sécuriser davantage, en amont, le versement des aides publiques serait sans doute moins attractif pour un certain nombre de fraudeurs et permettrait de limiter l'ampleur de la fraude telle qu'on peut la constater sur le terrain. C'est pourquoi, à travers des campagnes de sensibilisation que nous avons pu développer par le passé et que nous souhaitons reproduire de nouveau, en lien avec les services du ministère de la transition écologique, de l'Ademe et l'Anah, il est important d'arriver à faire mieux connaître le dispositif France Rénov' et de mieux orienter les consommateurs vers ce tiers de confiance indépendant, ce qui contribuerait également à limiter la fraude.
Enfin, s'agissant de l'impact de la loi du 24 juillet 2020, je vous indique à nouveau que nous constatons, de la part des professionnels, des détournements et des contournements dont l'ampleur explique que la fraude n'a sans doute pas autant diminué qu'on aurait pu l'espérer. Je précise que le démarchage se poursuit via différents canaux puisque le démarchage téléphonique est interdit, mais pas le démarchage par SMS ni le porte-à-porte : ces voies détournées permettent aux professionnels peu scrupuleux de continuer à atteindre des marchés et des publics parfois fragiles pour leur vendre des travaux de rénovation plus ou moins inutiles et qui ne sont pas nécessairement les gestes les plus efficients pour effectuer des sauts de classe énergétique. Nous sommes sensibles à ce phénomène qui pourrait appeler de nouvelles avancées réglementaires ou législatives si l'on arrive à bien cerner effectivement ces difficultés ainsi que leur périmètre. À travers nos différents contrôles, on a pu constater une irrégularité dans 41 % des cas de démarchage téléphonique : cela continue d'être un irritant du quotidien pour les consommateurs et nous les incitons très fortement à faire des signalements via le site SignalConso, ce qui nous aide à enclencher des contrôles et des ciblages plus en amont.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Avez-vous des informations sur la vente ou la cession de données à l'occasion des dépôts de dossier MaPrimeRénov' ?
Le site d'un vendeur de pompes à chaleur que vous avez mentionné et qui utilise le logo du Gouvernement relève probablement de la pratique commerciale trompeuse interdite par la loi. Si vous avez des doutes sur un site ou une entreprise, vous pouvez contacter la DGCCRF pour signaler cette pratique.
Mme Miyako Guy. - L'incident que vous mentionnez relève, de façon générale, de la collecte de données ou « leads » par le biais de sites internet concernant des domaines variés. Il n'est pas rare que des opérateurs demandent à des consommateurs leurs coordonnées téléphoniques sans les informer de la manière dont ces données seront utilisées. On a donc des cas où des consommateurs sont sollicités pour des travaux énergétiques parce que leurs coordonnées, qu'ils avaient laissées sur d'autres sites, ont été récupérées. Pour cette raison, nous sommes particulièrement vigilants, notamment dans le cas de l'interdiction du démarchage téléphonique, sur l'argumentaire mis en avant par les professionnels pour recueillir les coordonnées téléphoniques : il est important que l'appel téléphonique soit en lien direct avec la prestation de service pour laquelle les coordonnées ont été recueillies.
M. Pierre Pichère. - J'ai oublié tout à l'heure de mentionner qu'une partie de mon enquête avait aussi porté sur l'évolution des offres de travaux à zéro ou un euro : le Gouvernement avait annoncé vouloir y mettre fin en raison des fraudes constatées par les associations de consommateurs. Le Gouvernement a indiqué qu'il y aurait désormais un reste à charge d'au moins 10 % pour éviter les abus. Pourtant, les offres du type « pompe à chaleur à un euro » sont encore proposées sur internet : j'ai identifié un montage qui consiste à abaisser jusqu'à zéro le coût du chantier en proposant, par exemple, aux particuliers d'héberger pendant un an une publicité de l'entreprise sur leur façade moyennant 1 000 euros. Une fondation reconnue - je crois - d'utilité publique a été créée pour recueillir des dons d'installateurs : elle se pare sous un discours émouvant de lutte contre la précarité énergétique, mais sert en fait à financer ce reste à charge. Il reste donc des mécanismes assez inventifs et dans ce cas précis, il n'est pas certain que la fraude soit avérée.
S'agissant du versement direct des primes aux entreprises, c'est exactement ce que le Gouvernement a introduit en 2019 avec MaPrimeRénov', via une possibilité faite aux particuliers de désigner un mandataire : celui-ci est potentiellement un artisan, mais peut aussi être un négociant ou un industriel. On retrouve ici le problème que j'ai soulevé en début d'exposé : l'Anah a cessé de les rémunérer pour tenter d'identifier les fraudeurs. Ce dispositif est également à l'origine des faux comptes créés sur le site de l'Anah, puisque c'est en se déclarant mandataire et en récupérant des identifiants France Connect que certains fraudeurs ont pu faire verser sur leurs comptes des sommes qui auraient dû revenir à des artisans.
Quant à l'efficacité du dispositif CEE, la liberté de ce marché est totale et la créativité s'exprime à travers différents procédés : certains opérateurs vont faire des offres groupées diminuant les prix, d'autres vont choisir de remettre une prime à un particulier et d'autres vont rémunérer l'artisan. Je ne suis pas sûr que ce dispositif ait fait la preuve de son efficacité dans la lutte contre la fraude et j'ai même envie de dire, au contraire, qu'il y en avait beaucoup moins à l'époque du CITE qu'il n'y en a aujourd'hui.
Je voulais également attirer votre attention sur le nombre de contrôles qu'un même chantier est susceptible de connaître. En dehors d'un contrôle DGCCRF potentiel - a posteriori ou sur dénonciation d'un consommateur - un même chantier peut faire l'objet d'un audit RGE, d'un contrôle Bureau Veritas mandaté par l'Anah pour vérifier la conformité des travaux réalisés avec les critères de MaPrimeRénov', auquel s'ajoute le contrôle d'un bureau agréé par le Cofrac pour le volet CEE. On va donc payer trois contrôles à peu près sur le même référentiel, ce qui n'a pas à mon sens beaucoup d'efficacité : il est probable que l'on devrait songer à fusionner ces trois contrôles. Cela permettrait à un même inspecteur de s'assurer de la conformité CEE ainsi que du dispositif MaPrimeRénov' et éventuellement faire un signalement à un organisme de qualification sur l'audit RGE. L'inspecteur pourrait peut-être disposer de trois à quatre heures à examiner un chantier, si cela s'y prête, alors que certains tarifs incitent évidemment à limiter la durée de la vérification, car le bureau de contrôle reste une entreprise privée qui doit être profitable, ce qui est normal.
Enfin, je n'ai pas de connaissances particulières sur les mesures prises à l'étranger, mais nous avons quand même en France, et peut-être ailleurs, des compteurs communicants Linky ou Gazpar qui, en temps réel, informent de la consommation énergétique : ce sont des outils incroyables pour savoir si des économies d'énergie ont été réalisées. Or il est probable qu'un jour, la rénovation énergétique doive sortir de son obligation actuelle de moyens pour en arriver à une obligation de résultat qui conditionnerait les aides à une réduction effective de la consommation d'énergie. La fraude deviendrait alors beaucoup plus compliquée et le dispositif beaucoup plus efficace, mais peut-être un peu plus lent, car évidemment, il faudra attendre pour analyser les résultats.
Mme Lucile Buisson. - Je souligne la corrélation entre les entreprises pratiquant le démarchage physique et les problèmes d'achèvement des travaux. S'agissant du démarchage téléphonique, son interdiction, bien qu'elle soit contournée, a une certaine efficacité puisqu'on a enregistré une baisse du nombre de signalements, même s'il en existe toujours. On pourrait donc supposer qu'une interdiction du démarchage physique produirait des effets similaires. Je rappelle que les pratiques de porte-à-porte sont particulièrement agressives : j'utilise ce terme, car on se retrouve avec des consommateurs qui ont l'impression d'avoir signé un bon de passage, par exemple, et qui en réalité ont signé un bon de commande, voire un prêt et peuvent ainsi se retrouver dans des situations difficiles. J'ajoute que les prix pratiqués dans le cadre des contrats souscrits en porte-à-porte sont également prohibitifs tandis que les installations, notamment les pompes à chaleur, sont parfois sous-dimensionnées par rapport aux besoins. Clairement, les entreprises qui utilisent le démarchage physique ont de mauvaises pratiques, il faut recourir à un moyen simple et efficace de limiter les fraudes en la matière.
M. Oussama Djeddi. - Je vous apporte quelques précisions pour clarifier la distinction entre les versements directs de primes et les versements intermédiés, tant pour les CEE - avec une remise en bas de facture - que pour MaPrimeRénov' en passant par un mandataire.
Sans pouvoir apporter de chiffres précis, je souligne qu'il y a moins de risques de fraude avec les versements directs, car ce sont généralement les consommateurs avertis qui ont recours à ce dispositif. En revanche, ce sont souvent les consommateurs démarchés par des intermédiaires qui sont mal informés et victimes d'arnaques : l'intermédiaire démarcheur vante la « gratuité » des travaux, mais bien évidemment quelqu'un va payer la prime intermédiée ; la situation est alors propice au brouillage de l'information il est difficile de comparer des offres gratuites.
En ce qui concerne les solutions, je fais observer qu'un certain nombre de textes en vigueur sont encore frappés d'une certaine naïveté et créent des conditions propices à la fraude. Je m'étonne un peu qu'on accorde tant d'intelligence et d'imagination aux fraudeurs : ils n'en sont pas totalement dénués, mais les normes comportent des lacunes qui leur facilitent la tâche. Avec l'aide d'un auditeur enserré dans des liens de dépendance, on peut facilement falsifier les dates ainsi que les audits sur les économies d'énergie - en exagérant le montant des économies d'énergie puisqu'on en a la possibilité - et au total obtenir plus d'argent que prévu pour les installations en endettant le consommateur au-delà du montant des travaux. De telles opérations sont moralement frauduleuses, mais j'en viens parfois à me demander si l'on peut les qualifier juridiquement de fraudes, mis à part le cas du démarchage qui enfreint la loi et mérite une sanction. En poussant les investigations, une anomalie pourra être détectée, mais les fraudeurs dont on parle profitent d'un dispositif et je me demande, quand ils se regardent devant la glace, s'ils ont l'impression de frauder ou d'optimiser un dispositif.
À mon sens, il y a vraiment un sujet de rétro-ingénierie des textes pour anticiper les possibilités de fraude. Quand on produit des normes sur le dispositif Mon Accompagnateur Rénov, on doit évidemment prévoir le cas où certains d'entre eux seront à la solde d'entreprises et valideront les travaux réalisés par ces dernières. On le sait pertinemment et ça ne sert à rien de se dire que potentiellement ça n'arrivera pas. Il en va de même avec Ma Prime Adapt' : on parle ici de personnes âgées d'une vulnérabilité extrême qu'on veut maintenir à domicile. Plutôt que de présumer une morale exemplaire de la part des accompagnateurs, il faut prendre conscience du potentiel de fraude et se préparer à y faire face avec des textes adaptés.
Deuxièmement, nous constatons que les moyens de contrôle mis en place aujourd'hui sont colossaux : à lui seul, notre seul bureau réalise 30 000 contrôles par an, le nombre total de contrôles se situe probablement entre 150 000 et 200 000 par an dans notre profession. Les données ainsi recueillies sont une matière première qui n'est pas - à ma connaissance - exploitée par la DGCCRF ou Qualibat, par exemple. Aujourd'hui, l'organisme Qualibat vous permet de renouveler votre RGE en choisissant trois chantiers ; bien évidemment, l'opérateur évalué ne va pas présenter les plus catastrophiques et l'évaluateur de Qualibat va ainsi pouvoir visiter ces trois chantiers exemplaires pour en constater la merveilleuse efficacité. C'est tout de même problématique. On dispose d'un ensemble monumental de données de contrôle depuis 2019 qui est peu utilisé. Je pense donc qu'il faut coordonner les efforts de l'État et du secteur privé - ce n'est pas un tabou - pour faire reculer le niveau de fraude à ce niveau-là.
De plus, quand on crée des garde-fous ou des tiers de confiance, deux solutions sont envisageables. La première, dans l'hypothèse où le guichet France Rénov' pourrait s'offrir les moyens d'être disponible à proximité pour tous les citoyens, serait de conditionner l'aide accordée à un consommateur à une sorte d'attestation de passage par le guichet France Rénov' - étant entendu que je ne parle pas ici de l'Accompagnateur Rénov. Ce guichet informerait le consommateur sur les fraudes potentielles dont il pourrait être victime s'il accepte un devis alléchant, mais éventuellement frauduleux. En revanche, si France Rénov' ne dispose pas de suffisamment de moyens, il faut s'appuyer sur le secteur privé avec une extrême vigilance sur l'indépendance réelle - et pas seulement supposée ou affichée - de ces acteurs, que ce soit l'Accompagnateur Rénov, l'auditeur énergétique ou le bureau de contrôle. C'est vraiment, à mon sens, un élément central, car en créant de faux tiers de confiance, on produit de fausses espérances et l'on tourne en rond dans la lutte contre la fraude.
Par ailleurs, je m'inscris en faux par rapport à l'affirmation selon laquelle la rénovation globale générerait moins de fraudes. Bien au contraire, la rénovation globale - en particulier dans sa version dite de 2021 - c'est le boulevard de fraude. En effet, ce n'est plus le Pôle national des certificats d'économies d'énergie (PNCEE) qui détermine le niveau des aides, mais l'auditeur. Je vous l'explique par un exemple. Dans le cas d'une maison répertoriée sur Géoportail avec une surface de 100 m2, si vous en avez isolé 50 m2 et que vous prétendez en avoir isolé le double, on peut vous croire - sous réserve d'un contrôle qui détectera facilement l'anomalie - et votre fraude sera limitée à 50 m2 d'isolation. En revanche, dans un audit, si vous prétendez générer 80 % d'économies d'énergie en basant les calculs sur une situation initiale fausse - par exemple en affirmant que le logement est une passoire thermique de niveau G et en demandant 8 GWh de CEE soit environ 60 000 euros d'aide - il est possible que la fraude soit validée si l'artisan en charge des travaux et le contrôleur sont complaisants. Par ailleurs, je signale l'explosion du nombre d'auditeurs qui sont passés d'à peu près une centaine à 1 100 ou 1 200 : il y a donc un véritable développement de cette filière.
Il y a donc un vrai boulevard de fraude dans le domaine de la rénovation globale et, en réalité, l'approche qui est aujourd'hui présentée comme globale ne l'est pas : elle se limite la plupart du temps, selon nos observations statistiques, à une combinaison de deux éléments à savoir une pompe à chaleur et une isolation obligatoire. On est loin de la définition stricte de la rénovation globale qui suppose le traitement des interfaces et des ponts thermiques : la plupart du temps, l'opération se résume au cumul de deux aides avec une multiplication par un facteur de deux à quatre. Si l'on avait maintenu l'isolation à un euro avec une pompe à chaleur à un euro, cela coûterait moins cher à l'État et l'on se raconterait moins d'histoires sur la prétendue rénovation globale qui n'en est pas une en réalité.
Il est donc essentiel d'encadrer le rôle de prescripteur dans la rénovation globale qui revient à l'auditeur et demain à l'Accompagnateur Rénov. À mon avis, il faut leur retirer la capacité de calculer les aides qui s'élèvent parfois à plusieurs milliers d'euros, car trop décentraliser ce décompte me semble dangereux, comme pourrait sans doute le démontrer une enquête sur la rénovation globale.
J'en termine en évoquant le thème de la massification versus la lutte contre la fraude. Si l'on veut massifier la fraude, il suffit de diminuer la lutte contre celle-ci et elle se développera tout naturellement. En revanche, si l'on veut réellement massifier la rénovation énergétique, il faut absolument lutter farouchement contre la fraude. J'attire votre attention sur le fait qu'aujourd'hui, un opérateur économique normal ne peut pas recourir au démarchage téléphonique, ce qui entraîne des coûts d'acquisition plus élevés. Les vraies entreprises commerciales, qui souhaitent devenir attractives en installant une marque doivent consacrer des budgets en publicité importants et perdent en compétitivité par rapport aux opérateurs, qui se contentent d'utiliser des centres d'appels à l'étranger. S'y ajoutent d'autres handicaps à surmonter pour les entreprises sérieuses qui n'optimisent pas les aides, réalisent de bons travaux et mettent en place des contrôles internes pour garantir la qualité ainsi qu'un service après-vente digne de ce nom.
Parfois, et c'est un paradoxe, l'écosystème défavorise l'opérateur économique sérieux par rapport au fraudeur. Une entité frauduleuse peut faire brutalement varier ses effectifs, par exemple, de 100 personnes, pour profiter du boom d'une isolation à un euro, à trois employés dans un bureau. De son côté, une entreprise sérieuse recrute et forme ses collaborateurs sur le long terme : elle est donc plus facilement mise à mal en cas de stop and go sur une aide, comme cela a été évoqué à propos de l'Anah, qui a interrompu ses paiements. Il faut lutter de façon acharnée contre les fraudeurs pour permettre aux acteurs sérieux de bénéficier d'une certaine égalité des chances et je leur souhaite par la suite d'être favorisés par rapport aux tricheurs.
M. Pierre Pichère. - Beaucoup d'artisans - que l'on peut classer dans la catégorie de l'excellence et du sérieux - avec lesquels j'ai pu communiquer par téléphone m'ont indiqué, d'une part, qu'ils n'étaient plus labellisés RGE, ce qui peut être constaté dans les statistiques, et, d'autre part, qu'ils avaient renoncé aux aides. Ces artisans réalisent les travaux avec tout leur coeur, leur excellence, leurs savoirs et toute l'estime qu'ils ont pour leurs clients. Ces artisans ayant quitté le dispositif RGE, leurs clients n'ont plus droit à MaPrimeRénov' : cela ne gêne pas particulièrement la clientèle aisée qui est peu éligible à MaPrimeRénov' et, pour ceux qui sont sensibles aux aides, l'artisan peut consentir une remise sur le devis. Vous avez évoqué le risque de perte de confiance des consommateurs, qui est bien réel, et je mentionne aussi le risque de perte de confiance du tissu économique sérieux et impliqué qui se détache des dispositifs publics parce qu'il ne croit plus dans sa vertu ou son efficacité.
M. Franck Montaugé. - Les observations que vous venez de formuler risquent de relativiser voire d'annihiler la question que je voulais vous poser, si ce n'est la proposition que je souhaite faire.
Je m'interrogeais, à partir de la présentation du représentant de la DGCCRF, sur la question de la normalisation du contrôle. Le processus de rénovation énergétique - je ne parle pas du RGE ou des normes qui l'accompagnent - est-il susceptible d'une normalisation qui permettrait, à certains points critiques, de procéder à du contrôle externe, dont vous avez cité les trois catégories, ou du contrôle interne - de type audits internes, comme cela existe dans certaines entreprises certifiées sur des référentiels ISO ou autres - pour produire de la confiance et pouvoir attester du respect d'une qualité de prestation ainsi que des normes qui vont avec. J'ai cru, en effet, comprendre, selon la documentation, qu'il y a une norme technique de recommandations et, d'autre part, une norme ISO qui compose le référentiel RGE. Ma question est donc de savoir si, à travers des audits propres à l'entreprise elle-même ou produits par l'extérieur, on est susceptible de maîtriser un peu mieux le processus global de la rénovation énergétique.
Mme Sabine Drexler. - Le représentant de l'association UFC-Que Choisir a évoqué le déficit de compétence des artisans ou des diagnostiqueurs. J'aimerais recueillir votre avis sur la prise en compte par les DPE des caractéristiques du patrimoine bâti à valeur historique ou architecturale. Celui-ci présente des spécificités hydrothermiques et requiert des matériaux particuliers ainsi que des interventions techniques adaptées. Ce type de bâti est-il, selon vous, correctement pris en compte et ne pourrait-on pas considérer que le DPE, dans sa configuration actuelle, relève d'une forme de tromperie puisqu'il ne reflète pas la réalité des performances de ce bâti et risque de générer des préconisations qui vont provoquer des dégâts - je pense ici notamment aux polystyrènes sur le pont de bois - ou même des démolitions. En effet, certains propriétaires vont renoncer à faire des travaux et, par la suite, on sait que dans le cadre du zéro artificialisation nette (ZAN), des promoteurs vont s'efforcer de racheter les terrains et démolir les maisons en leur affectant une moins-value. En vous écoutant, je m'inquiète en me disant que tous les excès deviennent possibles.
M. Michel Debiais. - Nous n'avons pas traité de dossiers particuliers concernant les bâtiments qui ont une valeur architecturale. En revanche, s'agissant de la confiance dans le DPE, je précise que malgré son appellation, il s'agit plutôt d'une « étiquette » énergie que d'un diagnostic au sens médical du terme. Pour les consommateurs, il y a souvent une difficulté à comprendre la différence entre ce DPE et un vrai diagnostic qui comporterait des projets de travaux.
Quand nous traitons des litiges, nous voyons surtout le bas de l'échelle dans les résultats. La fraude et l'arnaque représentent pour nous environ 10 000 dossiers. Je précise qu'il ne faudrait pas penser qu'il y a uniquement deux catégories de travaux avec l'arnaque, et puis, tout à fait en haut, les travaux parfaitement réalisés dont l'association négaWatt nous dit qu'ils ne représentent que 5 % des travaux de rénovation globale susceptibles d'atteindre les objectifs fixés pour 2050. Entre les deux, il y a tous les échelons, entre le zéro et le 10, avec souvent un problème d'efficacité des travaux et de confiance des consommateurs. En effet, il n'y a pas jusqu'à présent de garantie de résultat associée aux travaux. Quand on confie sa voiture au mécanicien pour régler le moteur, on aimerait bien qu'à la sortie, la voiture consomme cinq litres au cent comme prévu sans quoi on n'est pas satisfait. Pour le bâtiment, on rencontre une difficulté pour mesurer les résultats et nous comprenons tout à fait ce que vous a dit Olivier Sidler au cours d'une table ronde des associations organisée par votre commission : ce professionnel ultra-sérieux refuse la garantie en s'appuyant sur le fait que selon l'usage du bâtiment, d'énormes différences - de 50 à 100 %, voire plus - vont apparaître dans les factures. Il faudrait donc mettre au point un instrument de mesure permettant d'apporter cette garantie de résultat, avec par exemple, un DPE plus fiable qu'aujourd'hui qui serait réalisé avant travaux et après. Des travaux plus efficaces permettraient d'améliorer la confiance des consommateurs ainsi que la sobriété énergétique collective.
M. Oussama Djeddi. - Quand on évoque les contrôles internes menés par des entreprises certifiées, par exemple, ISO 9001, on traite moins de la fraude que de l'amélioration de la qualité, réelle ou perçue, de la part des clients : on se situe alors sur la partie vertueuse de l'iceberg.
Par ailleurs, les contrôles réalisés par des tiers indépendants et impartiaux sont efficaces. Cela permet d'améliorer la qualité, y compris en incitant, de façon pédagogique, les opérateurs honnêtes à mieux s'informer des évolutions techniques.
Ensuite, vous avez, dans la panoplie des contrôles, des labels qui comme le RGE permettent de certifier une entreprise, mais pas chacun de leurs chantiers. Il ne faut pas se tromper sur le sens de la dénomination : le « Reconnu garant de l'environnement » signifie que l'entreprise met en oeuvre un système de management de la qualité, mais ça ne veut pas dire que l'entreprise ne fait que de la qualité.
M. Franck Montaugé. - Entendons-nous bien. Les textes indiquent que le RGE repose sur deux normes : une norme française est une norme ISO. Plus en détail, ces normes portent sur la conduite d'un chantier, y compris l'accompagnement du maître d'ouvrage du diagnostic de départ jusqu'à la livraison finale.
M. Oussama Djeddi. - Le parallèle avec l'ISO 9001 est pertinent, car le RGE cible la capacité de l'entreprise à disposer d'un processus censé générer de la qualité, avec de la formation et des contrôles internes, mais on ne certifie pas les chantiers.
M. Franck Montaugé. - Selon les textes, le renouvellement quadriennal du label est consenti sur la base de chantiers en cours ou achevés.
M. Oussama Djeddi. - ... de trois chantiers que l'entreprise choisit elle-même en général.
M. Franck Montaugé. - Donc on est vraiment dans un processus de déroulement des chantiers : d'où la question - un peu difficile à formuler - de savoir si l'on peut identifier des points critiques sur lesquels pourraient s'appuyer vos contrôles pour améliorer les déroulements de chantiers.
M. Oussama Djeddi. - D'où la proposition que je formule : quand un chantier est contrôlé par un acteur privé ou public, il faut pouvoir en informer tous les acteurs de la chaîne et en particulier Qualibat - en charge du RGE - et les différents services de l'État qui luttent contre la fraude. Cela rejoint mon propos précédent sur la nécessaire coordination des efforts. Aujourd'hui, si, en contrôlant 50 entreprises je détecte la moitié de cas de non-conformité, Qualibat n'en est pas informé et cela me paraît poser un problème.
M. Franck Montaugé. - Le client ou le maître d'ouvrage, en cours de travaux, est-il en mesure de diligenter un contrôle ?
M. Oussama Djeddi. - Il peut déposer une plainte en tant que consommateur ou alors s'adresser à des experts du bâtiment. Je rappelle cependant qu'il s'agit la plupart du temps de chantiers éclair qui se déroulent en une journée, voire deux jours dans le cas de rénovations supposées globales, ce qui ne laisse guère le temps de réagir.
Mme Miyako Guy. - Je précise que la DGCCRF intervient sur les pratiques commerciales, mais nous ne contrôlons pas la bonne réalisation des chantiers : c'est le ministère de la transition écologique qui est compétent dans ce domaine. Toutefois, si un consommateur n'est pas satisfait de la réalisation des travaux, il peut le signaler à l'organisme de certification Qualibat qui a délivré le label RGE, ou à un autre organisme, pour qu'un audit soit effectué. Ces dernières années, les organismes de qualification se sont mobilisés pour prononcer des sanctions contre les opérateurs mal intentionnés. Par ailleurs, le dispositif Mon Accompagnateur Rénov est déployé pour permettre aux consommateurs de disposer d'une expertise tout au long de leur parcours et de signaux d'alerte de la part de cet accompagnateur s'il y a des difficultés dans la réalisation.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je vais céder la présidence de cette réunion au rapporteur pour que vous puissiez continuer vos derniers échanges. Je vous remercie très sincèrement d'avoir participé à cette table ronde dont la durée témoigne de son vif intérêt. N'hésitez pas non plus à nous retourner vos réponses au questionnaire que nous vous avons adressé.
- Présidence de M. Guillaume Gontard, rapporteur -
M. Guillaume Gontard, président. - Juste une précision complémentaire sur les contrôles : l'Anah nous a indiqué qu'elle effectuait environ 10 % de contrôles sur la masse des chantiers bénéficiant de ses aides. Avez-vous une idée globale du nombre de contrôles portant sur les 600 000 à 700 000 dossiers financés par MaPrimeRénov' et qui peuvent concerner divers travaux comme l'installation d'une pompe à chaleur ou une rénovation complète ? Combien de chantiers échappent à tout contrôle ?
M. Pierre Pichère. - Je n'ai pas d'informations particulières sur ce point, mais l'Anah effectue des vérifications téléphoniques auprès des particuliers ainsi que des contrôles de chantier. Le chiffre de 10 % me semble être un maximum : tout dépend du budget disponible, car chaque contrôle est effectué par un bureau Veritas avec un tarif fixé par appel d'offres et l'Anah n'a que les moyens qu'on lui donne.
Encore une fois si un contrôle CEE critique ou avec des points d'alerte était transmis à l'Anah - je crois que cela commence à se faire - et que Qualibat en était également informé - ce n'est pas le cas - des audits complémentaires pourraient être diligentés et les contrôles pourraient également être mutualisés pour plus d'efficacité.
M. David Rodrigues. - Dans l'idéal, il faudrait que tous les chantiers soient contrôlés, mais c'est matériellement impossible sauf à disposer de moyens quasi illimités et il faut rappeler que les chantiers peuvent être de très courte durée. On pourrait également prospecter auprès du consommateur, mais au final cela risque de tourner à son désavantage et l'obliger à rembourser l'aide financière qu'il a perçue si l'on constate a posteriori que les travaux ne sont pas conformes. Cela nous ramène au choix entre les versements intermédiés ou directs, ces derniers permettant d'éviter davantage la fraude. Cependant, j'ai en mémoire plusieurs cas avec MaPrimeRénov' où des consommateurs sont approchés par les professionnels : un devis est établi et validé par l'Anah. Puis les travaux sont réalisés et payés par le consommateur qui envoie la facture au même contrôleur de l'Anah qui, cette fois, détecte une anomalie soit dans la facture soit dans le devis initial : au final, le consommateur est privé de son aide financière. Il y a donc un système qui est moins mauvais que l'autre, mais on n'a pas la panacée.
Sur le RGE, vous avez évoqué les expériences à l'étranger où il n'existe pas de label et où l'on réalise les contrôles a posteriori : pourquoi pas, si tant est que la plupart du temps le problème ne vient pas de l'outil lui-même, mais de la personne qui l'utilise. Si l'on doit contrôler que les entreprises ont bien le label RGE puis contrôler leurs chantiers, il est peut-être tout aussi efficace de contrôler directement le chantier. Il serait intéressant de voir effectivement comment ça se passe en Allemagne ou dans d'autres pays. De toute façon, le label RGE est, en France, assez invisible pour le consommateur qui ne sait pas réellement de quoi il s'agit - et même si on le sensibilise sur le sujet ce n'est pas forcément d'une grande utilité.
Je fais observer que la défiance vis-à-vis des artisans ne concerne pas uniquement les travaux d'économie d'énergie, mais aussi la plupart des métiers, avec la crainte de l'arnaque, ne serait-ce que vis-à-vis des plombiers ou des électriciens. Il y a en effet aujourd'hui pléthore de personnel qui se dit expert en rénovation ou en travaux de dépannage à domicile, dès lors qu'ils arrivent à coller du papier peint à peu près droit et quand vous discutez avec des syndics, ils disent avoir de très grandes difficultés à trouver du personnel compétent pour faire des travaux d'entretien courant dans les immeubles qu'ils gèrent et je ne parle pas ici de rénovation globale ou de grosses opérations. Cette défiance donc est généralisée.
S'agissant du DPE, on en est à la troisième réforme et celui-ci est censé progresser chaque fois, mais je redis que l'important c'est la personne qui l'utilise. Or comme les enquêtes l'ont bien démontré, on continue à avoir parfois trois ou quatre étiquettes différentes pour un même bien. Il est vrai que la problématique réside dans l'appréciation et l'utilisation que va faire le professionnel des éléments en sa possession ainsi que de sa connaissance des éléments techniques sur l'immeuble.
Dans l'exemple que vous soulevez sur les immeubles classés monuments historiques, je vous renvoie aux critères de décence : ces logements sont déjà considérés indécents depuis le 1er janvier 2023 s'ils ont une performance énergétique et une consommation supérieure à 450 kWh d'énergie finale - c'est ce qu'on appelle le G +. Au 1er janvier 2025, c'est l'intégralité de l'étiquette G qui va être concernée et au 1er janvier 2028, c'est l'intégralité de l'étiquette F qui rentrera dans la catégorie indécente. Même si vous démontrez que vous êtes dans l'incapacité de procéder à ces rénovations énergétiques, vous allez quand même être considérés comme indécents. Que faire ? Certains professionnels indiquent que les logements situés sous les combles - comme les chambres de bonne - ne peuvent absolument pas être améliorés parce que le zinc ne permet pas de déposer des revêtements. Si l'on choisit de réaliser une isolation thermique par l'intérieur - ce qui peut être possible dans certains bâtiments historiques même si c'est déconseillé en raison de problèmes techniques - vous allez empiéter sur la surface habitable et il y a un risque que la superficie de la chambre de bonne passe en dessous du seuil de 9 m2 et qu'elle ne puisse plus être louée.
En ce qui concerne cette obligation de rénovation énergétique, un décret en préparation apporte une réponse très partielle aux difficultés : le juge ne pourra pas imposer la réalisation de travaux dans un logement indécent dès lors qu'il se situe dans un immeuble classé monument historique et que les travaux pourraient porter atteinte à la solidité de la structure du bâti - ce qui vise à éviter que l'isolant crée une pathologie sur l'immeuble. Ce texte n'institue pas, pour autant, une dérogation d'une portée considérable à l'obligation de réaliser des travaux d'économie d'énergie.
M. Guillaume Gontard, président. - Merci pour l'ensemble de vos interventions et de vos réponses à nos questions.
Audition de
Mme Claire Hédon, défenseure des
droits
(Jeudi 13 avril 2023)
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux avec l'audition de la Défenseure des droits.
Madame Hédon, vous avez été nommée Défenseure des droits le 22 juillet 2020. Vous êtes la troisième personne à occuper cette fonction, après Dominique Baudis et Jacques Toubon.
Le 14 octobre 2022, vous avez rendu une décision sur MaPrimeRénov' qui a eu un retentissement important. Vous y dressiez le constat de « dysfonctionnements aux conséquences lourdes pour les usagers », et vous formuliez plusieurs recommandations pour y remédier.
Ainsi, vous aviez souligné qu'un grand nombre de dossiers pour lesquels la Défenseure des droits avait été saisie relevaient des difficultés d'ordre technique : les demandeurs ne parvenaient pas à enregistrer leurs demandes, d'autres n'ont pas réussi à téléverser leurs pièces justificatives, certains, enfin, n'ont pas pu modifier leurs dossiers, qui comprenaient des informations erronées, ce qui a entraîné leur annulation.
Tous ces dysfonctionnements ont empêché des personnes de réaliser leurs travaux avant l'hiver ou de faire financer les travaux réalisés, ce qui a « augmenté l'état de précarité financière dans lequel ces ménages, appartenant aux catégories de revenus modestes, voire très modestes, se trouvaient déjà ». En conséquence, vous préconisez de résoudre au plus vite les difficultés techniques, de permettre aux usagers de modifier leurs dossiers et de régulariser les dossiers qui n'auraient pas abouti en raison des dysfonctionnements.
Durant son audition, la directrice générale de l'Agence nationale de l'habitat (Anah) a indiqué que la moitié des dossiers problématiques avaient déjà été réglés au moment où vous aviez rendu votre décision. Quelle est la situation aujourd'hui ? Des dossiers continuent-ils de poser des difficultés ? C'est ce que semblent faire remonter un certain nombre de nos collègues... L'Anah a-t-elle suivi vos recommandations ?
Dans votre décision, vous mettiez également l'accent sur le défaut d'information des personnes qui effectuent les démarches, et l'absence d'interlocuteurs lorsque celles-ci rencontrent des difficultés. Vous avez qualifié les motivations de refus d'octroyer une aide ou de diminution du montant versé de « succinctes, voire confuses ».
Enfin, vous dénonciez l'absence de solutions alternatives à la procédure dématérialisée, alors que la possibilité d'entamer et de poursuivre des démarches de manière « physique » est un droit consacré par la jurisprudence administrative. Ce point a-t-il été corrigé ?
Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions et pour un propos introductif d'une quinzaine de minutes, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.
Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Claire Hédon prête serment.
Mme Claire Hédon, défenseure des droits. - Je vous remercie de votre invitation. La question de l'accès aux droits, de l'accès aux services publics est au coeur des missions de l'institution du Défenseur des droits, autorité administrative indépendante dont l'existence a été consacrée dans la Constitution. Au cours de l'année 2022, nous avons reçu 126 000 réclamations - notre rapport annuel, qui détaillera ces chiffres, sortira en début de semaine prochaine. Sur ces réclamations, 90 000 concernaient la relation avec les services publics et les difficultés liées à leur éloignement. Je sais que ce sujet préoccupe particulièrement le Sénat. Ce motif de saisine relève de l'une de nos cinq compétences et est, de loin, le premier motif des réclamations que nous recevons. De façon générale, ces réclamations témoignent d'un manquement dans le fonctionnement des services publics, lié à une forme de déshumanisation de l'administration, d'éloignement lié à la dématérialisation, dont je dirai toujours qu'elle peut être une chance, mais qu'elle peut aussi éloigner des services publics.
Votre commission d'enquête s'intéresse en particulier aux politiques publiques en matière de rénovation énergétique. Vous le savez, nous avons eu à travailler, dans ce cadre, sur MaPrimeRénov'. Nous avions reçu 500 réclamations lorsque nous avons rendu notre décision, au mois d'octobre. Depuis, 900 nouvelles réclamations nous sont parvenues, ce qui prouve bien que, quand on médiatise un sujet, les personnes concernées par le problème, mais ignorant qu'elles pouvaient nous saisir, en ont alors l'idée. Sur ces 900 réclamations supplémentaires, 600 n'ont toujours pas reçu de réponse. Il me paraît optimiste de considérer que la moitié des 500 réclamations que nous avions déjà reçues au moment de notre décision seraient réglées. En effet, nous avons aussi été alertés par des réclamants qui avaient reçu un courrier sans que le problème soit réglé : ils n'avaient obtenu qu'une partie de réponse. Ils nous ont ressaisis, car nous avions considéré que le problème était clos, alors qu'il ne l'était pas.
Je souhaite successivement, dans ce propos introductif, revenir sur le contenu des réclamations, vous présenter de manière un peu plus détaillée nos recommandations et vous indiquer celles qui ont été suivies et celles qui ne l'ont pas été.
Pour illustrer mon propos, je vais commencer par un exemple : celui d'une femme âgée qui devait changer sa chaudière et qui pouvait, pour ce faire, bénéficier de MaPrimeRénov'. Elle a créé un compte sur le site de l'Anah, mais, malgré plusieurs tentatives, elle n'est pas parvenue à compléter son dossier. Entre-temps, sa chaudière a cessé de fonctionner et elle s'est donc retrouvée privée à la fois d'eau chaude et de chauffage en plein hiver. Elle s'est donc résolue à procéder aux travaux avant la réponse de l'Anah, ce qui, en principe, a pour conséquence de la priver du bénéfice de MaPrimeRénov'. On est donc face au cas d'une femme âgée qui se trouve privée de l'aide financière à laquelle elle a droit en raison d'un dysfonctionnement technique de la plateforme dans une procédure intégralement dématérialisée. Cette personne a saisi le Défenseur des droits et a pu, au final, obtenir le versement de l'aide. Voilà à quoi servent nos interventions. Nous parvenons à résoudre une partie des problèmes, mais pas tous - j'y reviendrai.
De manière générale, les problèmes techniques affectant la plateforme, le défaut d'information, les délais de traitement, les difficultés liées à la dématérialisation totale de la procédure sont autant d'obstacles auxquels nos concitoyens sont confrontés et qui peuvent conduire les usagers les plus précaires à se retrouver dans une situation difficile. MaPrimeRénov' a été mise en place pour les foyers les plus démunis, mais ce sont aujourd'hui encore ces derniers qui pâtissent des dysfonctionnements du service, du manque d'interlocuteurs et du défaut d'information.
Nous avons constaté de nombreux écueils dans le traitement, comme l'impossibilité de créer un compte ou un dossier, de déposer en ligne des pièces justificatives ou encore de modifier des éléments du dossier et, finalement, d'engager les travaux. Je vous rappelle que, sur le site des impôts, on peut à tout moment modifier ses déclarations : cela doit aussi être possible pour les autres démarches. Toutes ces entraves ont emporté des conséquences importantes pour les usagers : ces blocages précarisent les demandeurs les plus fragiles économiquement et, face à la nécessité de se chauffer l'hiver et dans l'attente du versement de MaPrimeRénov', certains foyers ont été dans l'obligation de contracter des prêts bancaires ou des prêts familiaux pour financer leurs travaux et payer les artisans - il y va, dans certains cas, de plusieurs milliers d'euros.
Pour le traitement des réclamations individuelles que nous avons reçues, nous avons systématiquement saisi les services de l'Anah. Si certains dossiers ont pu aboutir favorablement, ce n'est pas du tout le cas de tous. Les difficultés ont persisté pour bon nombre d'entre eux, toujours à cause de dysfonctionnements de la plateforme et de délais de traitements anormalement élevés. Je répète que, s'il y avait 500 saisines en octobre, il y en a eu 900 depuis.
Je veux maintenant évoquer les recommandations que nous avions formulées.
J'y insiste, la réalisation des démarches administratives dématérialisées doit demeurer une possibilité ouverte à l'usager, et non une obligation. En aucun cas, cela ne doit conduire à priver certains bénéficiaires potentiels d'une aide. Notre objectif est de remédier durablement à des défaillances structurelles. Nous avons adressé cinq recommandations à l'Anah : mettre en place les mesures de nature à résoudre définitivement les difficultés techniques affectant sa plateforme de dépôt des dossiers de demande d'aide ; diminuer les délais de traitement des dossiers confrontés à des difficultés ; améliorer l'information des usagers, notamment par la mise en place d'interlocuteurs qualifiés voués à assurer un meilleur suivi des dossiers et des réclamations et la communication dans les décisions d'éléments d'analyse de nature à les justifier - par exemple, quand il y a eu une baisse du versement prévu ou un non-versement ; prendre l'attache de ses ministres de tutelle afin de mettre en place un canal de dépôt des demandes en complément de la procédure dématérialisée ; régulariser l'ensemble des demandes d'aide n'ayant pu aboutir en raison de difficultés imputables à la mise en oeuvre du dispositif, telles que des dysfonctionnements techniques rencontrés sur la plateforme, les délais de traitement des dossiers ou l'absence de prise en compte des avis de dégrèvement des impôts.
Quelles ont été les évolutions et les suites données à ces recommandations ?
L'Anah a bien répondu à notre décision, par un courrier en date du 10 janvier 2023, et nous a fait part de ses observations. Des améliorations dans la gestion des dossiers ont indéniablement été constatées, notamment avec la mise en place d'un service dédié à la relation avec les usagers. Cependant, les usagers rencontrent encore de nombreux problèmes dans le traitement de leurs dossiers et le Défenseur des droits continue d'être régulièrement saisi - avec les 900 saisines supplémentaires, le nombre total de saisines est de 1 400. En outre, nous continuons le suivi des dossiers individuels sur lesquels nous avons saisi l'Anah et qui n'ont toujours pas abouti. Les délais de traitement sont très longs pour certains dossiers, qui peinent à être résolus, malgré les relances régulières de mes services.
Par ailleurs, de nouvelles difficultés nous ont été remontées pour les entrepreneurs remplissant le rôle de mandataire financier et sur lesquels pèsent les contraintes financières liées à l'absence de versement de l'aide. Cette situation met en difficulté de petites entreprises et de petits entrepreneurs. Nous sommes toujours pleinement mobilisés sur les dossiers MaPrimeRénov', et nous assurons, en parallèle, le suivi de la décision du mois d'octobre.
Je veux revenir sur les différents sujets sur lequel nous avons formulé des recommandations.
Sur la quantité de dossiers rencontrant des difficultés, l'Anah indique que, si des anomalies, erreurs ou lacunes ont été constatées, leur proportion est sans commune mesure avec les volumes de décisions d'octroi de la prime et de paiement délivrées chaque jour par l'agence. Bien évidemment, comme je le répète toujours, l'institution du Défenseur des droits ne voit que ce qui ne va pas et nous sommes un bon observatoire de cela ! Au reste, tout dysfonctionnement qui engendre une atteinte aux droits ne peut être toléré, quel que soit le nombre d'usagers concernés. Je continue à dire que, notre institution n'étant pas forcément bien connue du grand public, elle ne voit qu'une partie des dysfonctionnements. Toutes les difficultés ne nous sont pas remontées. Je pense qu'il faut y remédier au plus vite et rétablir les usagers dans leurs droits, sans attendre.
Pour ce qui concerne les dysfonctionnements techniques de la plateforme, nous avons observé une certaine amélioration de la qualité du service rendu aux usagers. Cependant, l'ensemble des difficultés sont loin d'être résolues. Certains de nos réclamants dont les dossiers sont en souffrance depuis longtemps ne parviennent toujours pas à accéder à leur compte ou à déposer des pièces.
Quant à la prise en compte de la situation des demandeurs ayant connu une difficulté à déposer leur demande, elle ne permet malheureusement pas de répondre à l'ensemble des situations. Il est désormais prévu que le bénéficiaire de la prime puisse obtenir un délai supplémentaire dans certains cas, lorsque des circonstances extérieures à sa volonté ont fait obstacle au commencement ou à l'achèvement des travaux et prestations. Mais, d'une part, la durée de cette prorogation n'est pas toujours suffisante pour certains dossiers, confrontés à des difficultés persistantes et, d'autre part, la prorogation ne répond pas à l'ensemble des difficultés, en ne prenant notamment pas en compte les cas dans lesquels les demandeurs n'ont pas pu attendre pour exécuter l'entièreté des travaux, comme dans l'exemple que je vous ai donné tout à l'heure.
Concernant l'absence de prise en compte des avis de dégrèvement fiscal, l'Anah indique que ses services utilisent, depuis le 1er janvier 2023, l'AP Impôt particulier de la direction générale des finances publiques (DGFiP), qui leur permet de prendre en compte les avis des dégrèvements des usagers dès le dépôt de la demande. Cette évolution permet l'instruction des demandes d'aide conformément à la situation fiscale réelle du potentiel bénéficiaire, mais l'Anah ne s'est pas engagée à régulariser les demandes n'ayant pas pu aboutir en raison de l'absence de prise en compte des avis de dégrèvement.
J'en viens au défaut d'information. Selon l'Anah, « afin de faciliter la lecture et la compréhension des motifs des décisions par les usagers, un travail d'amélioration de la documentation de l'agence est actuellement mené pour accroître la compréhension des décisions prises, notamment lorsqu'elles relèvent de rejets ou de retraits ». C'est une bonne nouvelle. Pour autant, cette mesure n'est pas suffisante pour permettre aux usagers de comprendre spécifiquement et individuellement les motifs de la décision qui leur est opposée et de former, le cas échéant, un recours pertinent contre celle-ci.
Cette absence d'explication est assez générale et concerne l'accès à l'ensemble des services publics. Une évolution serait importante, car elle permettrait plus de fluidité.
Au sujet des délais de traitement des réclamations, l'Anah relève que certains dossiers complexes, anciens, qui n'ont pas encore pu être complètement résolus bénéficient d'un double dispositif spécifique, via à la fois un accompagnement par téléphone et une détection proactive. Sur ce point, nous avons bien constaté que certains usagers ont confirmé avoir été contactés par l'Anah, mais ce n'est pas du tout le cas de tous. Les usagers et nos délégués continuent ainsi de déplorer l'absence d'interlocuteurs clairement identifiés, facilement joignables pour fluidifier les échanges et améliorer le traitement de leurs demandes.
Enfin, pour ce qui est de l'absence de procédures alternatives à la dématérialisation de la demande, l'Anah n'a pas souhaité mettre en place un canal alternatif de dépôt des demandes en complément de la procédure dématérialisée. Je le regrette, compte tenu des dysfonctionnements persistants. De façon plus générale, les dysfonctionnements et les bugs informatiques existeront toujours, et il faudra toujours pouvoir joindre quelqu'un. Cela vaut pour l'ensemble des démarches réalisées auprès des services publics.
Plusieurs dispositifs d'accompagnement des usagers sont en cours de mise en place, notamment la possibilité de recourir à un mandataire, qui peut être un proche, un conseiller France Rénov' ou un artisan, mais ces dispositifs sont insuffisants, pour plusieurs raisons.
En premier lieu, la création du compte demeure une prérogative du demandeur de l'aide. Les difficultés intrinsèques liées à toute procédure dématérialisée nécessitant d'accéder à du matériel informatique, à une connexion internet, à une compétence particulière restent donc entières.
En second lieu, de nombreux artisans remplissant le rôle de mandataire financier pour leurs clients nous ont fait remonter des difficultés qu'ils rencontrent. Ils pointent notamment du doigt le fait que l'Anah entre directement en contact avec les clients et qu'il leur est, dès lors, impossible de savoir ce qui leur a été demandé. Certains clients très âgés ont créé une adresse e-mail uniquement pour créer leur compte, mais ne l'utilisent pas en réalité. Les mandataires relèvent également qu'ils ont avancé le montant des frais correspondant aux aides de l'Anah à leurs clients, ce qui met leur activité en péril, puisque les versements se font attendre. Cette situation particulièrement préjudiciable pour les artisans ayant endossé ce rôle nécessite que l'Anah prenne des mesures de nature à remédier au plus vite à ces difficultés.
Telles sont les observations que je souhaitais faire en introduction. De manière générale, je veux rappeler qu'il ne peut y avoir de transformation numérique sans que soient réellement garantis l'accès aux services publics et, par là même, l'accès aux droits. Derrière cela, c'est la question de l'égalité des droits qui est posée. Les services publics incarnent les droits, ils ont pour mission de les rendre concrets et accessibles ; lorsque ce rôle n'est pas assuré, des personnes sont laissées de côté et exclues. La distance des services publics signifie le recul des droits, qui accentue les vulnérabilités, au détriment de la cohésion sociale.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Vous avez rappelé dans votre exposé très complet les difficultés que rencontraient les utilisateurs de MaPrimeRénov' : nous les connaissons bien pour être régulièrement sollicités dans nos territoires et les précédentes auditions les ont également mises en lumière. Les exemples sont nombreux de personnes qui, estimant de bonne foi avoir droit à la prime, ont engagé des travaux sans finalement pouvoir en bénéficier, avec les conséquences financières qui s'ensuivent.
J'ai constaté que les difficultés à faire valoir le droit à l'erreur pouvaient être démesurées pour des problèmes aussi mineurs que celui d'avoir coché la mauvaise case. Souvent, aucun retour en arrière n'est possible. Quelles sont vos préconisations pour que le droit à l'erreur s'applique plus facilement, comme dans d'autres domaines ? Les fraudes sont rares et, dans la plupart des cas, les gens sont de bonne foi.
L'utilisation de la plateforme numérique pose en effet le problème de la précarité numérique et il apparaît nécessaire de prévoir un accompagnement. Peut-on confier ce rôle d'interlocuteur à Mon Accompagnateur Rénov' ?
La consultation de la plateforme France Rénov' donne lieu, après coup, à de nombreuses sollicitations de la part d'opérateurs qui ne sont pas toujours de bonne foi - j'en ai fait l'expérience. Les données que l'on y entre semblent donc être diffusées. Avez-vous des informations sur ce sujet ?
Enfin, avez-vous mené une analyse territoriale permettant, par exemple, de savoir si les difficultés sont liées à un milieu rural ou urbain ?
Mme Claire Hédon. - Les erreurs que nous avons pu observer sont très banales : elles portent sur le numéro fiscal ou sur une case mal cochée. Tout le monde peut les commettre ; on peut d'ailleurs corriger ce type d'erreur sur le site des impôts. En l'occurrence, même s'il est tout à fait normal de lutter contre la fraude, cette crainte empêche l'accès au droit. Il faut simplement veiller à ne pas entraver le droit à l'erreur.
Nous n'avons pas encore de retour sur les accompagnateurs de MaPrimeRénov'. Le rôle d'interlocuteur que vous suggérez de leur donner correspond à l'une de nos préconisations, pour autant, ont-ils vraiment accès aux dossiers ? Les espaces France Services sont un plus, mais les agents qui interviennent dans ce cadre ne sont pas issus de tous les différents services publics, de sorte que toute une partie des dossiers leur échappe. Celui qui joue le rôle d'accompagnateur doit pouvoir accéder à tous ces dossiers pour résoudre les problèmes.
Sur la divulgation des données, nous manquons d'information. Si un demandeur a des difficultés à utiliser les technologies numériques, on procède en général en lui créant une boîte mail, dont il faut conserver le code, ce qui est en réalité déjà très difficile pour certaines personnes qui savent à peine ce qu'est une boîte mail.
Nous n'avons pas classé les difficultés en fonction des régions ; en revanche, nous savons qu'elles concernent plutôt des personnes d'origine sociale modeste.
Le dispositif MaPrimeRénov' a d'abord été traité par notre équipe de 250 juristes, qui ont rendu publiques leurs préconisations et les informations nécessaires, puis il a été confié à nos 500 délégués bénévoles, répartis sur le territoire, qui perçoivent 400 euros d'indemnités par an pour au moins trois ou quatre jours de travail par semaine. J'ai rencontré ces délégués dans les collégiales de Bourges, Rennes et Toulon, ces derniers jours. Tous m'ont alerté sur les difficultés qu'ils rencontraient dans le cadre du dispositif MaPrimeRénov', car ils n'arrivaient pas à obtenir de réponse de l'Anah. Ces gens travaillent bénévolement et leur travail perd tout son sens dès lors que les services publics ne leur répondent pas, d'autant que les difficultés des réclamants peuvent être lourdes à porter.
M. Michel Dagbert. - La lutte contre la fraude ne doit pas être un frein au recours au droit, et nos concitoyens ont souvent des difficultés face aux procédures uniquement dématérialisées : tels sont les deux points que j'ai retenus de votre intervention.
Les maisons France Services ont pour rôle d'aider les requérants à surmonter ce type de difficultés. Toutefois, les agents en charge de ces maisons n'ont pas accès aux données des différentes administrations pour lesquelles ils servent de point d'entrée auprès de l'usager. Le rapporteur vient de mentionner le problème de la diffusion des données qui donne lieu à des sollicitations à caractère commercial. Même s'il faut veiller à protéger les données des usagers, ne pourrait-on pas mettre en place un système d'accréditation jusqu'à un certain niveau d'information pour chacune des administrations ? Ce serait une voie possible pour améliorer le service rendu par les maisons France Services.
Mme Claire Hédon. - J'ai constaté à plusieurs reprises que les difficultés qui vous sont signalées dans vos permanences correspondent parfaitement à celles que nous observons au travers des réclamations qui nous sont adressées.
En ce qui concerne celles qui sont liées à la dématérialisation, nous avions recommandé que les agents des maisons France Services soient directement issus de la caisse d'allocations familiales (CAF) ou de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM). Des centaines de nos délégués sont dans les maisons France Services, de sorte que nous pouvons savoir lesquelles fonctionnent bien et pourquoi. Les agents de ces lieux cherchent à faire au mieux, mais la CAF et la CPAM sont souvent débordées dans bien des endroits, de sorte qu'ils n'arrivent pas à obtenir de réponse à leurs questions. L'idée d'une accréditation pour avoir accès aux dossiers serait sans doute une bonne solution. En outre, certains agents opérant dans les espaces France Services sont formés en une journée ou une journée et demie. Nos délégués le sont pendant une semaine complète et bénéficient d'une formation continue, notamment dans le cadre des collégiales.
Dans le dernier rapport de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), qui n'a pas encore été rendu public, on estime que les personnes éloignées du numérique, c'est-à-dire celles qui sont en difficulté par rapport à cette technologie et celles qui n'ont pas accès à internet, représentent 16 millions de nos concitoyens, soit 31,5 %, presque un tiers, de la population française. C'est une réalité dont il faut tenir compte. Quand un tiers de la population est en difficulté, il n'est pas possible d'imposer la dématérialisation des démarches administratives. Celle-ci peut avoir des avantages ; le problème est surtout lié au fait d'avoir supprimé les accueils physiques et téléphoniques, ainsi que la possibilité de déposer un dossier papier. L'avis que le Conseil d'État a rendu au mois de juin dernier au sujet des préfectures est très clair sur ce point.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Avez-vous eu des échanges directs avec la directrice générale de l'Anah et son président ? Comment collaborez-vous avec eux ?
Mme Claire Hédon. - Si l'on veut résoudre les problèmes, il faut travailler en bonne intelligence. Nous avons donc des échanges réguliers avec les dirigeants de l'Anah. Je viens à nouveau d'écrire à la directrice générale de l'agence pour lui faire part des obstacles que nous rencontrons, notamment de l'absence de réponse aux demandeurs. Certes les cas non résolus sont de loin les moins nombreux, mais nous défendrons toujours les personnes qui n'ont pas accès à leurs droits. En outre, si ces cas sont très peu nombreux, pourquoi ne pas choisir de les résoudre pour qu'ils le soient tous ? Il est délétère, pour les gens, d'observer que leur voisin a obtenu de l'aide, mais pas eux. C'est un enjeu de cohésion sociale, d'autant plus que je suis convaincue que le nombre des dossiers non résolus est en réalité bien plus important que celui qui nous est communiqué.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Pour avoir été présidente d'un office public de l'habitat pendant plus de dix ans, je sais combien il est dramatique pour les demandeurs de ne pas obtenir de réponse. Le principal est de tenir les gens informés et de leur expliquer, le cas échéant, pourquoi leur demande n'a pas abouti.
Mme Claire Hédon. - Pour cela, il faut un interlocuteur, auquel le demandeur pourra s'adresser et qui sera capable de régler le dossier. Nous avons expérimenté la médiation préalable obligatoire (MPO) dans certains départements, sur le revenu de solidarité active (RSA) et les aides personnelles au logement (APL). Dans ce cadre, nous avons demandé aux usagers d'évaluer cette expérimentation, comme il faut toujours le faire, me semble-t-il, lorsque l'on met en place une politique publique. Deux tiers d'entre eux se sont dits satisfaits, ceux qui avaient obtenu l'aide à laquelle ils avaient droit comme ceux à qui l'on avait expliqué pourquoi ils n'avaient pas pu l'obtenir. Ce travail d'explication est essentiel. En ce sens, nous avons entrepris depuis quelques mois un travail de clarification de toutes nos démarches. Les services publics doivent le faire. Une réclamation concernant la caisse d'allocations familiales (CAF) était particulièrement intéressante : notre délégué ne comprenait pas pourquoi le réclamant n'était pas satisfait, alors que la remise de dette lui avait été accordée. En réalité, celui-ci ne connaissait pas le sens du terme juridique de « remise ». Une explication simple a ainsi pu lui être fournie. Cela me semble vital.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - En tant que défenseure des droits, avez-vous étudié les différences sur ce plan entre le dispositif de crédit d'impôt précédent et MaPrimeRénov' ?
Mme Claire Hédon. - Je ne suis pas en mesure de vous répondre sur ce point, mais je souhaite aborder la question des recours contre les décisions de l'État lorsque les particuliers n'ont pas pu bénéficier de MaPrimeRénov'. Dans ces cas, aucune explication n'est fournie, et les demandeurs se tournent parfois vers nous pour comprendre pourquoi leur demande a été rejetée. Il nous faut être attentifs à ces problèmes dans le cadre des aides à la rénovation énergétique, car celles-ci vont concerner de plus en plus de monde. Apprenons de ces situations pour améliorer les choses !
Enfin, l'accueil physique est indispensable, et il en va de même de la mise en place d'une cellule pour gérer les bugs informatiques, que l'on ne peut jamais complètement éviter. Il est essentiel que l'usager qui en est victime puisse obtenir des informations sur le suivi de son dossier.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - J'espère que les choses vont s'améliorer, car les enjeux liés à la rénovation énergétique sont importants. Les aides sont nombreuses et cela rend leur compréhension difficile pour les usagers, il faut simplifier.
Mme Claire Hédon. - Pour revenir sur votre question, je pense que les étapes de la procédure pour MaPrimeRénov' sont plus complexes que celles du crédit d'impôt, qui est plus simple, parce qu'il est postérieur. J'ai déjà développé l'exemple de cette femme qui devait faire les travaux au risque de se retrouver sans chauffage ni eau chaude et qui, du coup, n'a pas respecté la procédure et a peiné à obtenir l'aide à laquelle elle avait droit.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je vous remercie.
Audition de
fédérations de diagnostiqueurs
immobiliers
(Jeudi 13 avril 2023)
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous poursuivons nos travaux par une table ronde avec plusieurs représentants des diagnostiqueurs :
- M. Yannick Ainouche, président de la CDI-Fnaim, qui est la Chambre des diagnostiqueurs immobiliers de la Fédération Nationale de l'Immobilier, structure créée en 2007. Vous représentez environ 1 600 adhérents, qui sont des diagnostiqueurs aux profils variés, petits indépendants comme entreprises de plusieurs centaines de salariés. Vous êtes, par ailleurs, vous-même PDG du groupe Ex'im, qui compte 118 agences de diagnostics, et vous êtes également administrateur du premier bailleur social français, 3F, filiale d'Action Logement ;
- M. Lionel Janot, président de la fédération interprofessionnelle du diagnostic immobilier (FIDI), créée en 2004 et devenue en 2014 un syndicat professionnel. Vous représentez un peu plus de 1 500 diagnostiqueurs. Vous aussi rassemblez des entreprises de toute taille. Vous êtes, par ailleurs, vous-même président de la société de diagnostiqueurs L3A, basée à Malakoff ;
- M. Jean-Christophe Protais, président de Sidiane - ce qui signifie syndicat interprofessionnel du diagnostic immobilier, de l'analyse et de la numérisation de l'existant -, votre syndicat étant en quelque sorte le « petit nouveau » du secteur puisque qu'il s'est constitué il y a un peu plus d'un an, à la toute fin de l'année 2021, en réunissant un collectif de six entreprises fondatrices. Vous êtes, par ailleurs, vous-même consultant après avoir été dirigeant de plusieurs entreprises dont Qualiconsult et Apave ;
- et enfin, M. Frédéric Mirabel-Chambaud, président de l'association LDI, soit « Les Diagnostiqueurs indépendants ». Créée en 2016 contre ce que vous appelez les « re-certifications », ou certifications à répétition, votre association a réduit son activité depuis un an.
Dans vos diverses fonctions, vous représentez toute la diversité du secteur des diagnostiqueurs. Vous pourrez nous préciser ce qui distingue vos organismes et nous expliquer où vous en êtes sur le chemin de l'unité à travers une intersyndicale, proposée tant par la FIDI que par la CDI-Fnaim. Votre expertise ne se réduit pas aux diagnostics énergétiques, toutefois, c'est sur les questions de rénovation énergétique que notre commission d'enquête souhaite échanger avec vous aujourd'hui. Votre audition, dans le cadre de cette table ronde, doit nous permettre de mieux comprendre vos positions respectives sur les diagnostics et audits énergétiques ainsi que sur la professionnalisation des métiers de diagnostiqueurs et d'auditeurs énergétiques.
Quel bilan, à votre échelle, faites-vous du DPE ? Le nouveau DPE apporte-t-il réellement des améliorations ? Doit-on encore améliorer sa méthode, son mode de calcul et son évaluation ? Si oui, comment ? Faut-il davantage prendre en compte le confort d'été ? Et surtout comment assurer une plus grande qualité et une plus grande fiabilité des DPE ? Cette question en appelle une autre : elle soulève en effet l'enjeu de la formation des diagnostiqueurs et de leur responsabilité, vous pourrez y revenir.
Par ailleurs, ne fait-on pas jouer au DPE un rôle trop grand dans la politique de rénovation énergétique en France ? N'est-il pas utilisé, à tort, comme un instrument d'audit énergétique, au regard duquel sont mis en oeuvre les outils de cette politique publique ?
Enfin, alors que vous réalisez déjà plus de 3 millions de diagnostics par an, comment assurer un maillage fin de nos territoires afin de garantir que tous nos compatriotes puissent bénéficier de vos offres de services ? Comment ce maillage permettra de relever le défi de la montée en charge de vos activités dans les années à venir ? Nous sommes au Sénat, cela ne vous a pas échappé, or ces questions d'égalité entre nos territoires nous importent tout spécialement.
Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions et pour un propos introductif d'environ cinq minutes chacun, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.
Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende. Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Yannick Ainouche, Lionel Janot, Frédéric Mirabel-Chambaud et Raphaël Eulry prêtent serment.
M. Yannick Ainouche, président de la Chambre des diagnostiqueurs immobiliers de la Fédération Nationale de l'Immobilier (CDI-Fnaim). - C'est un honneur d'être devant vous aujourd'hui et une belle reconnaissance pour notre filière : l'enjeu est celui du positionnement du diagnostiqueur en qualité de tiers de confiance. Nous avons été créés il y a une vingtaine d'années pour être précisément le tiers de confiance entre les acteurs de l'immobilier et les particuliers qui achètent ou louent un bien. Tout le monde connaît la loi du 18 décembre 1996 dite Carrez - améliorant la protection des acquéreurs de lots de copropriété - qui vise à certifier la surface des logements faisant l'objet d'une transaction et les pouvoirs publics nous ont mandaté pour cette mission. Nous sommes également à la manoeuvre pour vérifier la mise aux normes des installations de gaz, d'eau ou d'électricité, afin de ne pas mettre pas en péril la santé des acquéreurs ou des locataires. S'y ajoutent nos compétences portant sur les pathologies du bâtiment comme les termites, le plomb dans les peintures et l'amiante dans les murs. Ce mille-feuille d'obligations introduites ces vingt dernières années, que complète aujourd'hui le diagnostic de performance énergétique (DPE), nous a conduits à créer une offre de services qui nous place au coeur de la réflexion des particuliers quand ils achètent ou louent un bien : le diagnostiqueur est ainsi devenu un maillon important dans la connaissance du bâti.
S'agissant du sujet traité par votre commission d'enquête, je fais observer que le DPE a été introduit assez brutalement dans les politiques publiques de rénovation énergétique avec la loi dite climat et résilience. Je pense que cette loi est fondatrice de nouveaux modes de transports et de logements avec une prise en compte de sujets autrefois assez négligés comme la consommation d'énergie ou la gestion des espaces. La profession de diagnostiqueur a été projetée dans ce changement global de paradigme et il me semble, sur le plan purement technique, que les pouvoirs publics ont commis deux erreurs, dans le séquençage des évolutions. La première, à mon sens, est que la réforme du DPE a été introduite après la loi climat et résilience, ce qui a pénalisé cette dernière. Certes, nos fédérations avaient souhaité la création du DPE et, à présent, sa méthodologie est unique, invariable et beaucoup plus fiable que précédemment. Toutefois, les controverses qui ont émaillé la mise en oeuvre du DPE pendant 18 mois ont télescopé le message sociétal et éco-citoyen diffusé par la loi climat et résilience : il aurait été préférable que le changement méthodologique majeur que constitue le DPE intervienne avant les débats sur cette loi car nos collègues auraient ainsi pu être formés et les acteurs publics ou journalistes s'y seraient familiarisés.
En second lieu, on a donné un rôle colossal aux diagnostiqueurs : comme vous l'avez opportunément souligné, madame la présidente, nous sommes aujourd'hui le bras armé de la politique publique de rénovation énergétique ; aucun bien ne se loue ou ne se vend sans DPE et pas une copropriété ou un bâtiment public ne peut se rénover sans DPE ou audits énergétiques. La position du diagnostiqueur a ainsi radicalement changé de nature : alors qu'auparavant les diagnostics étaient réalisés à titre indicatif, l'opposabilité du DPE et les exigences de la loi climat ont transformé l'activité des propriétaires-bailleurs, avec des interdictions de louer et un changement de leur relation avec les locataires différentes, si bien qu'aujourd'hui, notre responsabilité est très grande. Nous percevons bien que le ministre en charge du logement, son cabinet, la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) et les parlementaires sont attentifs à ce phénomène. C'est ici que se situe la deuxième erreur législative : celle de ne pas avoir réformé notre filière et de ne pas nous avoir suffisamment donné les moyens d'exister réellement. En effet, aujourd'hui nous restons souvent une profession de reconversion dont l'accès est soumis à une formation assez légère qui débouche sur une certification et un agrément. Il me semble aujourd'hui que l'ambition du Gouvernement et peut-être du législateur est de créer une véritable filière beaucoup plus organisée avec une convention collective, un accès à la formation continue ainsi qu'à son système de financement et peut-être à un véritable diplôme d'état. Aujourd'hui les jeunes ne se projettent pas dans le métier de diagnostiqueur alors qu'il manque plus de 1000 collègues sur le territoire et même 2000 selon la façon dont on imagine le futur de l'audit énergétique.
Notre métier est extrêmement valorisant : il participe à la transformation de la société, comporte un véritable intérêt écologique ou sociétal et diffuse de l'information ainsi que de la confiance. Je pense donc que nous méritons, au-delà de la simple certification existante, une vraie filière, un vrai diplôme et peut-être - même si je sais que le sujet fait parfois un peu grincer des dents - une vraie reconnaissance par le biais d'une carte professionnelle qui nous identifie auprès du consommateur. Enfin nous devrions être soumis à des sanctions spécifiques car - il ne faut pas s'en cacher - certains de nos confrères ne répondent pas aux attentes et les médias ont puissamment oeuvré ces derniers mois pour le prouver. Notre existence et notre offre professionnelle résultent d'une décision du législateur, ce qui nous impose une rectitude comportementale qui doit être sanctionnée et matérialisée par une carte professionnelle. Tout ceci renvoie également à une exigence de bon emploi des fonds publics puisque, comme vous l'avez précisé, nous réalisons trois millions de diagnostics par an, ce qui représente un budget de 200 à 250 millions d'euros pour le consommateur.
M. Lionel Janot, président de la FIDI. - Je vais essayer d'éviter les redondances avec l'intervention précédente. La FIDI a été créée en 2004 avec un ADN bien particulier que nous avons maintenu, à savoir la représentativité de l'ensemble des acteurs, quelle que soit leur taille. Je rappelle que, dans le secteur du diagnostic 70 à 80 % des acteurs sont des entreprises individuelles ou des petites entreprises de moins de 10 diagnostiqueurs. Le reste est constitué de sociétés de 10 à 100 - ou plus - diagnostiqueurs organisées selon le modèle économique du salariat d'entreprise ou des réseaux de franchises couvrant tout le territoire. À travers cette spécificité du marché du diagnostic et des objectifs poursuivis par les uns et les autres, il faut faire émerger un intérêt commun dans ce métier qui existe depuis 25 ans. Ce métier qui porte sur la protection des vices cachés dans les transactions immobilières et le DPE doit évoluer en termes d'obligations et d'exigences à l'égard des attentes - nous y reviendrons par la suite.
Un autre élément crucial est le cheminement de l'intersyndicale, car notre profession est encore jeune et il est important que l'ensemble des acteurs puissent travailler ensemble. En effet, aujourd'hui, les pouvoirs publics, ont besoin de disposer, de notre part, de propositions issues d'un travail collectif afin de prendre les bonnes décisions face aux difficultés qui ont été évoquées et dans l'intérêt commun des professionnels ainsi que du consommateur final - locataire, acquéreur ou propriétaire puisque nos métiers accompagnent la vie un immeuble. Notre travail intersyndical collectif doit porter sur la professionnalisation, la formation la certification et les sanctions, ces différents volets faisant l'objet d'une réflexion, en particulier à la DHUP.
Le DPE, institué en juillet 2021, constitue un élément très important pour la rénovation énergétique et la neutralité carbone à l'horizon 2050 : il participe à la prise de conscience de chacun d'entre nous du poids du logement dans les émissions de gaz à effet de serre. Le dispositif DPE est aujourd'hui fiable mais il nécessite des ajustements et le premier reproche qu'on peut lui adresser est l'insuffisance des délais de préparation dont il a bénéficié. Les pouvoirs publics et les différents acteurs ont désormais besoin d'avoir des retours d'expérience pour affiner le système et le rendre plus pertinent.
M. Frédéric Mirabel-Chambaud, président de l'association nationale Les Diagnostiqueurs indépendants (LDI). - Je vais rentrer plus directement dans le sujet en vous présentant une synthèse rapide de l'analyse réalisée par notre association, ce qui nous permettra de répondre à plusieurs de vos questions posées.
À notre avis, la rénovation énergétique se présente comme une approche vertueuse mais elle n'est absolument pas en adéquation avec la réalité du terrain.
Tout d'abord, l'objectif de 2050, qui est de rendre tous les bâtiments énergétiquement performants - avec le label basse consommation énergétique (BBC) - est techniquement inatteignable. C'est d'autant plus vrai qu'en général, et comme vous le savez, les objectifs politiques qui programment 100 % de réussite ne fonctionnent pas souvent. Afin d'illustrer mon propos, je rappelle le cas de l'architecte qui part d'une feuille blanche pour concevoir un bâtiment d'habitation ou une villa : malgré toutes les possibilités qui s'offrent à lui pour obtenir un bâtiment énergétiquement performant ou BBC, il est fréquent qu'il ne parvienne pas au résultat souhaité. En fin de construction, lorsque nous venons effectuer des infiltrométries, c'est-à-dire des tests d'étanchéité à l'air, et des contrôles finaux, nous constatons souvent que les efforts de l'architecte n'ont pas permis au bâtiment d'être tout à fait conforme à la norme BBC mais nous parvenons, la plupart du temps, à apporter les correctifs nécessaires. Par conséquent, même si on démolissait pour ensuite les reconstruire en BBC toutes les villes et les bâtiments de France, nous ne serions pas certains d'atteindre les 100 % de conformité à la performance énergétique : cet objectif théorique est donc irréalisable techniquement et financièrement.
Soyons réalistes : certains bâtiments peuvent être très facilement améliorés pour obtenir le label BBC ; pour d'autres, cela nécessite des coûts relativement importants ; enfin, un certain nombre de bâtiments n'y parviendront jamais. On peut faire le parallèle avec le parc automobile qui, pour sa part, se renouvelle avec le temps : les véhicules évoluent, mais on ne peut pas transformer une Renault 4 CV ou une Citroën Traction en une voiture moderne.
Je signale également la forte dichotomie entre, d'une part, la vision de notre profession ainsi que la représentation du réel qu'a le ministère en charge de notre secteur et, d'autre part, le vécu de terrain. En témoigne une visioconférence organisée le 4 avril dernier avec les professionnels, la DHUP et l'Anah qu'il serait très instructif de consulter. Il y avait, d'un côté, des représentants du ministère qui estimaient que le DPE est robuste et, de l'autre, tous les diagnostiqueurs de France qui était conviés et pouvaient afficher des commentaires écrits. Parmi les messages qui défilaient, certains évoquaient par exemple le monde des Bisounours de façon humoristique et d'autres étaient beaucoup plus sérieux : la certitude est que le DPE n'est pas fiable si on écoute les acteurs de terrain. Une des preuves de ce problème de fond est qu'en Allemagne on avoisine 5 % d'efficacité. Ce ne sont ni les politiques précédentes ni l'actuelle qu'il faut mettre en cause : la difficulté est générale.
Le DPE est la pierre angulaire de la rénovation énergétique mais je souligne que celui-ci n'est pas équitable. Le traitement d'une passoire thermique située sur la Côte d'Azur ou dans les Hautes Alpes fait apparaître une vraie différence que ne compense pas la petite aide introduite dans les calculs et les algorithmes en faveur des bâtiments situés au-dessus de 800 mètres pour qu'ils soient moins pénalisés. Il reste très difficile d'expliquer à l'habitant d'une commune de moyenne montagne pourquoi le DPE de sa maison située en basse altitude et en bord de rivière ne lui permettra plus de la louer ou de la vendre tandis que son parent localisé à un peu plus de 800 mètres d'altitude dans la même commune, verra sa passoire thermique rentrer dans les clous. De plus, le DPE ne prend pas en compte la dimension patrimoniale du bâti : la seule prise en compte de la règlementation thermique conduirait presque à raser tel ou tel magnifique bâtiment. Lors d'une réunion avec la ministre Emmanuelle Wargon, j'avais évoqué la problématique de l'efficience énergétique pour les bâtiments haussmanniens : il faudrait abaisser les hauteurs de plafond à 2,5 mètres et surtout faire ce que l'on appelle une unité E, c'est-à-dire une isolation thermique par l'extérieur ce qui impliquerait des façades lisses esthétiquement discutables dans une ville comme Paris. L'application du DPE conduirait également à une hérésie architecturale pour les maisons traditionnelles si on en venait à cacher des beaux murs en pierre de taille derrière un placo efficace en isolation thermique : certaines exceptions méritent donc d'être prises en considération.
Je réaffirme, en divergeant par rapport à certains de mes collègues, que le DPE pas fiable. Je rappelle mon intervention devant le Conseil d'État, il y a deux ans - j'ai transmis le document à vos services : j'ai plaidé au mois de mai 2021 en démontrant que l'algorithme et le logiciel prévus pour être mis en oeuvre au 1er juillet ne fonctionnaient pas et que nous allions au-devant de graves difficultés. Probablement au terme de certaines transactions avec les ministères, nous n'avons pas été écoutés et, à peine trois mois plus tard, le ministère a lui-même reconnu que c'était une véritable catastrophe et qu'il fallait refaire tous les DPE réalisés en juillet, août et septembre 2021. Cette bagatelle a coûté a priori 3 millions d'euros à l'État qui, pour avoir imposé un outil inopérant, a financé la rectification. Je fais observer que ce logiciel ne fonctionne toujours pas sans difficultés : ainsi tous les jeudis après-midi, depuis la pandémie de covid, nous organisons une visioconférence avec les éditeurs de logiciels, les fédérations et les interlocuteurs vraiment représentatifs de la profession pour améliorer le DPE. Les dysfonctionnements subsistent désormais principalement à la marge mais il y a encore quelques mois et encore aujourd'hui, le logiciel fournissait des résultats complètement aberrants pour les petits logements d'une surface de 10, 12 ou 15 m2 - attribués aux étudiants par exemple - ou les grandes maisons de 700 à 900 m2. Le travail de mise au point doit donc se poursuivre et - je le redis - on ne peut pas, en pratique, garantir la fiabilité du DPE.
Avant de vous proposer des solutions dans la suite de notre conversation, je formulerai quelques remarques en indiquant tout d'abord que la problématique est organisationnelle avec des changements trop fréquents dans les aides et les avantages fiscaux : les clients sont perdus dans la complexité, comme nous, à ceci près que cela ne relève pas de notre mission. Nous avions proposé à la DHUP de mettre en place, à la fin des opérations de DPE, un QR code pour faciliter les démarches financières des clients. Il me semble que France Rénov' devrait tenir ce rôle d'accompagnement et prendre le relais après notre travail d'expertise technique.
S'agissant de la tendance à employer les fonds publics de manière non optimale, je mentionne une publicité de MaPrimeRénov' entendue il y a à peine dix jours sur une radio périphérique. D'autres, beaucoup plus sensées, portent sur le bouquet de rénovation mais celle où on entend « je voulais changer ma chaudière, un conseiller MaPrimeRénov' m'a annoncé la possibilité de bénéficier d'une prime de 6000 euros : j'ai donc changé ma chaudière et je suis très contente » comporte un risque de gaspillage financier. En effet, installer une chaudière neuve dans une passoire thermique est un non-sens complet : inversement, à la limite on peut chauffer un bâtiment bien isolé avec une simple bougie.
De plus, on se trompe parfois de cible : il en va ainsi de certaines associations - entendues par votre commission - qui soulignent, de façon très vertueuse sur le plan social, la nécessité de privilégier les personnes à faibles revenus ; d'autres défendent l'idée de soutenir ceux qui disposent de revenus moyens leur permettant d'engager plus rapidement des travaux. On fait ici fausse route car l'objectif est de financer non pas les personnes mais la rénovation efficace des bâtiments. Il faut en revenir à une logique d'efficacité énergétique en ciblant les bâtiments et en y appliquant des méthodes adéquates pour limiter la consommation. Depuis plusieurs années on persiste dans l'erreur fondamentale qui consiste à se fixer sur la lettre du DPE - qui s'affiche dans les agences immobilières comme un signal alarmiste pouvant empêcher la vente ou la location d'un bien - plutôt que sur sa cohérence d'ensemble et son objectif. Depuis 20 ans, je réalise à titre personnel des mesures de consommation d'énergie dans mon logement à l'aide d'un tableau Excel et je recherche, à travers les fluctuations annuelles du climat ou de l'occupation des lieux, les moyens de réduire de façon structurelle la dépense énergétique moyenne : dans cet exercice les diagnostiqueurs parviennent à obtenir des résultats convenables.
Nos préconisations doivent par exemple alerter sur l'effet limité d'un changement isolé de fenêtres dans un logement de petite surface et orienter vers un bouquet de mesures globalement plus efficaces. Au moment où une version améliorée du DPE avait été mise en place, il a fallu organiser des formations de mise à jour pour les diagnostiqueurs ; j'avais alors téléphoné à des représentants de régions qui disposaient de retours de financements importants en suggérant de nous accorder un petit supplément d'allocations pour renforcer le volet recommandations des stages conformément au but ultime du DPE. Plusieurs de mes interlocuteurs ont trouvé le l'idée excellente, mais cette recommandation n'a jamais été suivie d'effets.
Je termine en rappelant que, sur le terrain, ce n'est pas tant MaPrimeRénov' ou l'État qui incitent les particuliers à engager des travaux de rénovation : la force motrice est souvent exercée par les banques ou le secteur privé, en particulier quand le bien immobilier sert de gage à un prêt et que l'établissement financier souhaite, en cas de défaillance du débiteur, se prémunir contre l'impossibilité de vendre une passoire thermique.
M. Jean-Christophe Protais, président de Syndicat interprofessionnel du diagnostic immobilier, de l'analyse et de la numérisation de l'existant (Sidiane). - Il n'est pas facile d'intervenir en dernier après mes confrères. Je rappelle que le Syndicat interprofessionnel du diagnostic immobilier, de l'analyse et de la numérisation de l'existant (Sidiane) a été créé il y a un plus d'un an maintenant : les membres qui y ont adhéré avaient besoin de se regrouper dans une entité indépendante du monde de l'immobilier pour permettre au diagnostiqueur d'exercer son métier en toute liberté : c'est un point fondamental pour nous et qui figure d'ailleurs dans le code de la construction. Ensuite, comme vous l'avez sans doute remarqué, nos membres fondateurs ont été rejoints par six adhérents ainsi que des membres partenaires représentant l'intégralité de la filière, y compris des grands laboratoires, des organismes de formation, des organismes de certification et des fabricants de matériel liés au monde du diagnostic. Enfin, nous avons mis en place une gouvernance simple et efficace rassemblant nos douze membres et notre dizaine de partenaires, ce qui nous permet d'être une force de proposition en préservant notre liberté de parole.
Je souligne que Sidiane choisit ses membres : en effet, nous n'avons pas besoin de membres complémentaires pour assurer notre viabilité financière et cela nous donne une grande liberté. Néanmoins, l'intersyndicale est une nécessité et Sidiane n'est pas une fédération autonomiste ou indépendantiste. La preuve en est que - sans l'avoir formalisé - nous travaillons avec deux des représentants assis à cette table sur de nombreux sujets et en particulier sur le diagnostic de performance énergétique (DPE). Nous avons organisé deux réunions qui nous permettront d'aboutir à une contribution commune des diagnostiqueurs, des organismes de formation et de certification sur l'évolution du DPE.
J'estime que le DPE est absolument nécessaire et j'en suis un grand supporter : en effet, père d'une grande famille, avec de nombreux enfants et petits-enfants, je souhaite léguer à ces derniers une planète où ils pourront vivre en harmonie. Je ne reviens pas sur la phase de lancement du DPE ni sur sa phase de tâtonnement ; je dirai que nous sommes aujourd'hui en phase 3 qui comporte indéniablement la nécessité d'améliorer sa fiabilité, bien qu'il ait considérablement progressé. Nous avons donc engagé un dialogue somme toute constructif avec la DHUP, parfois émaillé de quelques frictions légitimes ; nous allons, je pense, aboutir dans les semaines ou les mois à venir sur un dispositif efficace, pragmatique et supportable économiquement pour le monde du diagnostic. Ce dernier volet financier constitue aujourd'hui un point d'achoppement parce qu'il faut aussi que le diagnostiqueur puisse supporter la charge d'un nouveau DPE avec de la formation revisitée, des examens unifiés, de la surveillance et du contrôle permanent.
Néanmoins, je me fais ici l'interprète de la Sidiane pour souligner la nécessité d'une phase 4 à venir sous forme d'un schéma directeur pour enclencher un changement systémique garantissant une fiabilisation absolue. Je m'explique brièvement : pour réussir un DPE, le rôle du diagnostiqueur est bien évidemment important, et nous n'allons pas fuir nos responsabilités ; mais il fait partie d'un triptyque incontournable dont le deuxième angle est le propriétaire. Celui-ci a un rôle déterminant dans la réussite du diagnostic de performance énergétique car il doit apporter le maximum de données ; or trop souvent, nos diagnostiqueurs sont confrontés à l'absence du propriétaire. Une telle situation est absolument à proscrire : non seulement le propriétaire doit s'engager à fournir des données au diagnostiqueur mais il doit également s'abstenir d'exercer une pression quelconque sur ce dernier - comme l'illustrent les émissions télévisées à scandale sur le DPE. Enfin, les prescripteurs indirects que sont l'agent immobilier, le mandataire et le notaire doivent également être intégrés dans cette logique. Nous proposons ainsi la mise en place d'un indice de complétude qui permettrait de mesurer les données fournies par le propriétaire par rapport aux exigences requises pour réaliser un diagnostic de qualité. Nous avons également suggéré de revoir la certification des personnes et d'introduire en parallèle la certification d'entreprise ; ce dernier sujet ne fait pas l'objet d'un consensus parmi l'ensemble des fédérations de diagnostiqueurs mais la certification d'entreprise me semble impérative pour garantir un DPE de qualité.
M. Yannick Ainouche. - Je rebondis sur cette intéressante proposition de triptyque pour insister sur la nécessité pour les notaires de mieux remplir leur mission de contrôle de nos certifications, des numéros d'Ademe qui sont enregistrés et des assurances souscrites par les diagnostiqueurs. Force est de constater, et je le dis sous serment, que ce rôle de vérification imparti à l'officier public n'est pas toujours parfaitement exercé et nous appelons à plus de rigueur dans ce domaine.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Merci pour vos interventions assez précises. Vous avez surtout formulé un certain nombre de critiques en particulier sur le fonctionnement du DPE et la difficulté de tenir ses objectifs à l'horizon 2050, ce qui conduit à se demander quelles sont les voies de progrès ou, à la limite, quel dispositif pourrait remplacer le DPE. J'ai bien entendu votre suggestion de cibler les opérations sur les bâtiments où elles ont le plus d'efficacité et je souhaite vous interroger plus généralement sur les solutions que vous préconisez.
Vous avez évoqué à juste titre le rôle désormais central du diagnostiqueur dans la politique de rénovation thermique en abordant le sujet de la carte professionnelle qui pourrait se prolonger par une assermentation. On recense aujourd'hui des cas de mise en cause judiciaire de la responsabilité du diagnostiqueur et de façon générale, je souhaite vous interroger sur votre vision de l'évolution de votre profession. Cela recouvre d'abord la question de la formation : faut-il mettre en place une filière spécifique qui permettrait de définir très précisément le métier de diagnostiqueur ? Ensuite, je souhaite recueillir votre avis sur le lien entre le DPE et l'intervention du conseiller de « Mon accompagnateur rénov' » : devrait-on autoriser les diagnostiqueurs à pouvoir jouer le rôle d'un conseiller en rénovation sous réserve de l'interdiction d'être, pour le même bien, diagnostiqueur au titre du DPE ?
S'agissant des phases d'évolution du DPE, quelles modifications vous paraissent aujourd'hui souhaitables pour en renforcer la fiabilité ? Vous paraît-il nécessaire - et si oui comment - de mieux prendre en compte le confort thermique d'été qui est quasiment absent du dispositif DPE actuel ?
Les auditions que nous avons conduites sur la rénovation énergétique amènent également à nous interroger sur l'équilibre entre son caractère incitatif et obligatoire et nous avons recueilli des avis différents sur ce sujet. Est-il, selon vous, opportun d'empêcher des locations, voire des transactions, en fonction des résultats obtenus lors du DPE ? Ne devrait-on pas rendre obligatoire la rénovation thermique lors de la vente d'un bien ?
Enfin, nous avons pris connaissance de l'importance du rôle des notaires et avons prévu de les entendre prochainement.
M. Jean-Christophe Protais. - Vous nous interrogez sur un champ de questions très large et je vais essayer d'en cibler quelques-unes. Tout d'abord, je reviens sur la notion qui m'est chère de tierce partie indépendante. Le sujet très important est de tenter de nous dédouaner de la pression naturelle d'un propriétaire ou d'un agent immobilier en position de vendeur : une telle pression est naturelle et j'agirais de la même façon à leur place ; ils veulent accélérer la procédure et, autant que faire se peut, que le résultat du DPE soit favorable. Face à cette situation, il nous semble important de mettre en place des diagnostics immobiliers périodiques, tous les 10 ans, et décorrélés de la transaction, un peu à l'image du contrôle technique automobile. Cela diminuerait la pression exercée sur le diagnostiqueur et permettrait en outre de cartographier tous les biens immobiliers y compris le nombre important de ceux qui ne sont ni loués ni mis en vente.
En ce qui concerne la surveillance du diagnostiqueur, et compte tenu de mon expérience dans le secteur du contrôle technique ainsi que dans des entreprises de l'immobilier, j'indique que les cinq paramètres permettant de garantir un service de qualité sont les suivants : la formation, la qualification, le tutorat, la surveillance et la sanction. Dans le système actuel on va certainement parvenir à uniformiser les formations en enclenchant le mouvement dès cet automne et en veillant à sa soutenabilité financière. La qualification relève pour sa part des organismes de certification de personnes : dans ce domaine, quelques améliorations sont nécessaires avec des examens unifiés ainsi que des questions standardisées et renouvelées - je considère qu'il faut s'atteler à cette tâche importante dès le mois de septembre. En troisième lieu, le tutorat, c'est-à-dire le compagnonnage, me semble un point majeur mais très difficile à développer dans la situation actuelle. Cela existe dans tous les métiers du monde comme l'artisanat, l'art, la médecine et les métiers qui débouchent sur un diplôme. Cependant, je ne vois pas comment on peut l'organiser dans les dispositifs existants. J'en viens au volet essentiel de la surveillance et permettez-moi, à titre illustratif, une analogie : le meilleur pilote de Formule 1 du monde obtiendra facilement son permis de conduire mais il faut néanmoins le surveiller car il pourrait conduire trop vite sur la route et mettre en danger les autres usagers. Il en va de même pour le meilleur diagnostiqueur du monde qui peut, s'il n'est pas surveillé, déraper à un moment de sa carrière : je vous rassure, madame la présidente, il ne s'agit que d'une infime minorité dans notre profession mais qui malheureusement alimente la presse ou les émissions à scandale. Ce système de surveillance est aujourd'hui mal adressé dans les dispositifs existants, y compris les plus récents, et malgré les mesures compensatoires qui se traduisent par des contrôles documentaires ou sur ouvrage plus fréquents. L'impérieuse nécessité est d'organiser un contrôle longitudinal en continu permettant à un organisme de certification d'être à tout moment alerté de la dérive d'un diagnostiqueur. Pour arriver à ce résultat, le dispositif n'est pas simple à mettre en place mais les outils existent. On a ainsi la chance de disposer de la base de données de l'Ademe qui est le réceptacle de tous les diagnostics de performance énergétique : utilisons-la dès à présent pour détecter des anomalies évidentes de premier niveau comme la triste histoire qui est arrivée dans une société extrêmement sérieuse mais dont un collaborateur a dérapé en enregistrant 450 ou 1200 diagnostics le même jour.
Enfin, la sanction existe mais elle est appliquée de manière disparate selon les organismes de certification ; ces derniers sont payés pour exercer le rôle de censeur et ils disposent d'un référentiel ainsi que d'une accréditation par le Comité' français d'accréditation (Cofrac) composé de gens sérieux. Nul besoin de dispositifs complémentaires par rapport à l'existant qui doit, en revanche, être mobilisé par tous les organismes de certification. Je précise que nous ne sommes pas favorables à l'idée évoquée par M. Yannick Ainouche de créer une carte D de diagnostiqueur car elle ne servirait à rien, mais chacun est libre de s'exprimer sur ce point.
Quand on aura réglé ces cinq difficultés et intégré le triptyque que j'ai évoqué, on entrera dans ce que j'appelle le DPE phase 4 avec une garantie de fiabilité absolue du DPE - mais procédons par étapes avec d'abord la phase 3 à réussir dès le début de l'automne.
M. Frédéric Mirabel-Chambaud. - Je rappelle que le socle de notre profession est l'indépendance du diagnostiqueur et il s'agit, comme le précise la loi, d'une indépendance financière : il nous est, par exemple, interdit de posséder une entreprise de chauffage ou d'isolation.
De plus, dans une opération de rénovation, les compétences sont dispersées : si votre plombier intervient, il ne va pas changer les fenêtres et encore moins poser du « placo » sur les murs ou isoler vos combles. En revanche, le diagnostiqueur a une vision globale et indépendante : c'est lui qui arrive en premier sur le terrain, rencontre le propriétaire et peut lui apporter des conseils utiles en contredisant les préjugés ou l'inconscient collectif qui amènent le propriétaire à se contenter de modifications ponctuelles ou à croire qu'un simple changement de fenêtres suffit à isoler un logement.
Nous sommes quasiment les seuls à exercer ce rôle de synthèse puisque, par exemple, les conseillers MaPrimeRénov' ne vont pas sur le terrain. Ces derniers se focalisent sur le volet administratif de la rénovation, les aides ainsi que les avantages fiscaux et il s'agit là d'une lourde tâche.
Je fais observer que, sans prendre la place du conseiller MaPrimeRénov', le diagnostiqueur pourrait prolonger sa mission technique par une analyse des devis pour détecter d'éventuelles arnaques, surfacturations ou incohérences : ce sujet revient souvent dans les débats et il est vrai que les diagnostiqueurs ont souvent une expérience professionnelle aguerrie qui leur permettrait de remplir ce rôle. Une telle avancée nous permettrait également de conseiller les clients sur le meilleur ratio entre l'isolation et le coût des travaux : en effet, plus de 40 % des demandes de prêts sont refusées parce que les emprunteurs présentent des estimations de travaux trop élevées. L'État ne peut pas à lui seul organiser la rénovation énergétique : tous les acteurs de la chaîne doivent agir conjointement sur la base de normes pérennes et adaptées aux réalités de terrain. Pour relever ce défi, le diagnostiqueur peut, en élargissant son rôle, permettre au DPE d'atteindre ses véritables finalités, au-delà de la lettre du dispositif. Il nous arrive souvent de faire découvrir aux personnes qui habitent un logement depuis des dizaines d'années des mécanismes thermiques auxquels elles n'avaient jamais pensé ; notre intervention est beaucoup plus efficace que la simple consultation de formulaires, de sites en ligne ou de publicités pour la rénovation.
Nous pouvons enfin, sur la base de nos analyses, nourrir la concertation et apporter des retours d'expérience à l'État pour qu'il puisse prendre les mesures d'adaptation adéquates. Les diagnostiqueurs veulent faire avancer les choses car il n'y a rien de plus démoralisant, pour nous, que de constater qu'un bien immobilier faisant l'objet d'une transaction est truffé de plomb, d'amiante sur le toit et de défaillances électriques sans que personne n'enclenche des travaux : l'ADN du diagnostic et la mission qui nous a été confiée est de remédier à ce genre de situation.
M. Lionel Janot. - J'enchaîne rapidement avec des indications relatives à la pédagogie, le rôle des propriétaires, la responsabilité des diagnostiqueurs et leur place dans le secteur de la rénovation énergétique.
La prise de conscience des propriétaires, directe ou par le biais des professionnels de l'immobilier, a été assez rapide et j'en ai été le premier surpris. Je précise que les professionnels de l'immobilier font de la pédagogie auprès des particuliers pour leur expliquer les tenants et les aboutissants du DPE. Comme on le constate, tant que le propriétaire n'a pas sous ses yeux le DPE, il n'écoute pas, n'entend pas et ne réagit pas à nos demandes d'information. En revanche, quand le document arrive dans les mains du propriétaire ou de son représentant, tout s'éclaire et les doutes sont écartés. De ce fait, les professionnels de l'immobilier, qui jouent un rôle d'intermédiaire, sont désormais très informés des arcanes du DPE, de ses conséquences et des documents requis pour son élaboration. Cependant, quand les diagnostiqueurs doivent aller sur place et directement au contact du propriétaire - ce qui est souvent le cas - il faut alors consacrer un temps phénoménal à l'accompagnement pour lever ses doutes sur la nécessité de disposer des factures d'énergie ou autres. Je rebondis donc sur l'idée intéressante d'un indice de complétude qui permettrait au propriétaire de prendre conscience plus rapidement de la nécessité de sa participation au DPE, en nous apportant les documents utiles et en nous aidant au quotidien.
Il ne faut pas oublier que le DPE est un outil d'application générale institué par les pouvoirs publics et par l'Europe, destiné à ce que tous les logements soient comparables, quel que soit leur type ou leur année de construction, tout en générant des travaux économiquement abordables pour les propriétaires. Par conséquent, le diagnostic doit être réalisé assez vite et efficacement mais avec un coût limité. Comme nous l'avons tous dit, le DPE nécessite encore quelques ajustements en termes de fiabilité et, chaque jeudi, nous nous réunissons avec la DHUP pour y travailler. Je mentionne à mon tour le cas des petites surfaces en rez-de-chaussée ou au dernier étage qui sont encore pénalisées dans le calcul du DPE : des améliorations sont nécessaires à ce sujet même si, je le signale, les solutions techniques font défaut.
En termes de responsabilité, vous avez mentionné les décisions de la troisième chambre civile de la Cour de cassation qui incriminent les diagnostiqueurs sur différents sujets : ce type d'évènement n'est pas souhaitable mais je dirai que c'est un mal nécessaire. Vous savez probablement mieux que moi que les jurisprudences évoluent en moyenne tous les dix ans, comme le font observer les avocats : tel est le cas dans le secteur du diagnostic où les décisions de justice après avoir eu tendance à être à charge commencent à devenir plus pragmatiques. En matière de DPE, compte tenu de la façon dont les choses ont commencé, on risque de voir surgir d'autres condamnations mais je rappelle que le diagnostic est opposable et que nous devons y faire figurer des informations précises. Il faudrait relier la certification, à la problématique des assurances : celle-ci est obligatoire pour notre profession mais le nombre d'acteurs en charge de l'assurance de responsabilité civile professionnelle se réduit considérablement et il n'y a plus que deux acteurs sur le marché du diagnostic, pas tant sur l'activité de performance énergétique que sur le volet amiante sur lequel les appétits des acteurs ont reculé. Pour autant, les diagnostiqueurs se sont professionnalisés et sur le DPE, il devient nécessaire de relier la mise en cause de la responsabilité des diagnostiqueurs, les assurances, la certification et les possibilités de sanctions plus drastiques de la part des organismes de certification.
Je ne reviens pas sur les propos du président de la Sidiane qui a souligné l'importance de la formation et surtout du tutorat ; en pratique, on constate effectivement qu'un DPE bien fait nécessite d'assimiler les bons réflexes pour rentrer les bonnes informations factuelles et, sur ce point, le compagnonnage est plus efficient que les formations à distance. Par ailleurs, le contrôle statistique longitudinal par le biais de l'Anah me paraît tout à fait réalisable et permettrait de repérer, dans un premier temps, les abus ainsi que les diagnostiqueurs qui se contentent de répliquer toujours la même note de DPE.
S'agissant du positionnement du diagnostiqueur, je souligne tout d'abord que le monde de la rénovation énergétique foisonne et, pour le propriétaire, c'est devenu compliqué - entre le DPE, « Mon accompagnateur Rénov' », les CEE... - et ils ne savent plus à quelles aides ils peuvent prétendre. Certes les choses se mettent en place mais je pense que le plus important, c'est de pouvoir gérer les fonds publics en évitant le saupoudrage et sans perdre de vue la pertinence des travaux qui sont réalisés. Je n'aborderai pas ici l'aspect financier du contrôle - en particulier celui des CEE qui nous paraît nécessaire - mais j'estime souhaitable que certains diagnostiqueurs puissent se spécialiser dans la logique énergétique. Je rappelle que la communauté du diagnostic s'est orientée vers trois métiers : tout d'abord, le diagnostic immobilier d'ensemble en cas de vente ou de location ; ensuite, les problématiques avant travaux sur l'amiante et le plomb ; et plus récemment, l'énergie, sur laquelle le secteur s'organise au fil du temps, avec des compétences souvent acquises en amont par leur expérience antérieure.
Je termine en abordant le DPE collectif qui va devenir un sujet majeur : on ne dispose pas pour l'instant de recul sur cet outil qui est en phase de lancement et nous dialoguons beaucoup avec les syndics. Le DPE collectif est obligatoire et autonome mais sa logique le situe également dans le cadre du projet de plan pluriannuel de travaux avec le Diagnostic technique global (DTG). Notre participation est prévue pour le DPE collectif et nous avons demandé à la DHUP de créer, comme c'est le cas pour le DPE individuel, une commission pour y remonter les informations, affiner l'outil et améliorer la pertinence du DPE collectif.
M. Yannick Ainouche. - Je vais m'efforcer d'éviter les redondances, d'autant que je m'associe à l'essentiel des interventions de mes collègues. Néanmoins, je souhaite apporter une note d'optimisme car votre commission d'enquête a pour sujet principal l'efficacité de la politique publique : le DPE en est un des maillages et les diagnostiqueurs en sont le bras armé. Le rapport de la Cour des comptes, consacré en particulier à l'efficacité de MaPrimeRénov', décrit le processus de déroulement des travaux de rénovation - qu'ils soient gérés par un organisme public ou un particulier - en soulignant à juste titre que, très souvent, quand vous faites appel à un artisan ou un menuisier, il vous vend des fenêtres ; pour sa part, le chauffagiste vous recommande de changer la chaudière et le maçon vous parle d'isolation par l'extérieur. La Cour des Comptes constate au final que plus de 70 % des sommes allouées par l'État au titre de MaPrimeRénov' financent des éléments de confort plutôt que des économies d'énergie permettant de diminuer l'empreinte carbone du logement : je fais ici observer qu'on pourrait utiliser le DPE non seulement dans les transactions immobilières mais aussi comme un indicateur absolu à chaque fois qu'on effectue des travaux. Dès lors qu'une enveloppe est prévue par l'État, il faudrait qu'un tiers de confiance puisse préciser le panel de travaux qu'il convient de réaliser sans se limiter à des opérations ponctuelles dont mes confrères ont montré la relative inefficacité. Il me semble important que votre commission d'enquête puisse s'interroger sur la pertinence de l'allocation de l'argent du contribuable à la rénovation énergétique et je pense que le diagnostiqueur peut être un acteur clé pour améliorer la performance dans ce domaine. J'entends moi aussi les critiques des medias mais nous constatons tous que le DPE est en train de progresser et le regard de la DHUP sur notre filière évolue positivement car l'administration ressent également la pression qui accompagne la mise en oeuvre de cette politique. Il est fondamental que notre filière évolue et nous comptons sur le législateur pour accompagner nos efforts de transformation en un vrai métier reconnu par tous.
Je rappelle que nous avons 34 centres de formation agréés ainsi que 13 organismes de certification - avec une possibilité de passage de l'un à l'autre en cas de difficulté : notre filière et, par ricochet, la politique publique de rénovation méritent mieux. Faut-il que nous soyons assermentés ? Je laisse le soin au législateur d'en décider mais, à tout le moins, notre profession doit être beaucoup mieux organisée avec un vrai métier identifié par un diplôme, assorti de responsabilités et structuré par une entité fédérale - le mécanisme du Conseil de l'ordre n'étant désormais plus d'actualité en droit européen.
Je trouve aberrant que notre filière nous forme dans une économie exclusivement marchande. Dans nos multiples centres de formation, on paye non pas tant pour apprendre le métier de diagnostiqueur que pour maximiser ses chances de certification. De plus, parmi les nombreux organismes de certification, on choisit parfois celui qui - sans me livrer à un propos blessant - semble le plus attractif. Le décalage entre ce système marchand et nos activités qui sont au coeur de l'efficacité de la politique publique me paraît anormal. Il nous faut absolument un vrai diplôme et une vraie organisation de la filière. Nous avons également besoin, comme les autres métiers, de formation continue obligatoire - d'une durée de 14 à 21 heures par an - pour nous adapter aux évolutions législatives, technologiques et professionnelles, ce qui suppose que nous puissions avoir accès aux financements auxquels les filières professionnelles peuvent prétendre.
Je rappelle aussi, pour rester optimiste, que le DPE est un formidable outil que beaucoup nous envient. C'est la tendance à la réduction de la consommation d'énergie qui anime la philosophie historique du DPE : une signalétique comportant sept classes ou « ranking » de A jusqu'à G a ainsi été définie, par laquelle le législateur a signifié sa volonté de progresser dans la sobriété énergétique. Par analogie, le contrôle technique automobile a relégué dans le passé les véhicules qu'on apercevait capot ouvert et émettant des fumées noires. Comme vous le savez, l'État impose également, depuis le 1er janvier 2023, la tenue d'un carnet d'information du logement (CIL) qui s'inscrit dans le changement de paradigme souhaité par la loi climat résilience. Le CIL sera également un formidable outil dont l'utilité se manifestera progressivement dans le temps - étant entendu que la rénovation énergétique du pays se déroulera pendant 30 ans - et dont la philosophie est proche du DPE périodique.
Certes, en 2050, tout ne sera pas réglé et le DPE subira inéluctablement quelques critiques, principalement de la part des propriétaires désormais contraints de faire des travaux. N'oublions pas cependant que ces mesures sont protectrices du locataire et combattront les abus auxquels se livrent certains bailleurs. Je souligne d'ailleurs, devant la commission d'enquête, qu'aujourd'hui notre filière est de plus en plus sollicitée par des locataires qui se plaignent du froid et de l'absence de DPE.
On perçoit donc des grincements de dents de la part des propriétaires mais il faut assumer le changement de législation. Demain, la commission d'enquête pourra peut-être formuler des recommandations pour encourager fiscalement les dépenses de travaux, éventuellement en perfectionnant la loi dite Balladur qui autorise l'imputation du déficit foncier sur le revenu global. On peut également envisager de sanctionner la non réalisation par le bailleur des travaux requis en plafonnant les loyers ou en les réduisant. On peut imaginer un recours à de nombreux outils dissuasifs et, sans nier les tiraillements, je ne suis pas de ceux qui pensent que les logements seront vides d'ici deux ans. Les banques sont également des acteurs majeurs pour accompagner la rénovation énergétique et pourraient proposer de nouveaux véhicules financiers : je mentionne ici l'existence de l'Éco-prêt à taux zéro dit « éco-PTZ » et l'obligation de verdissement des investissements à hauteur de 30 % imposée par le régulateur bancaire. Les banquiers prêteurs doivent pouvoir se fonder sur des éléments très précis et le DPE répond à cette exigence car ce petit outil de diagnostic est abordable, rapidement élaboré et fiable : ce n'est pas un audit énergétique complet mais le DPE donne une première indication et on ne peut pas négliger son importance pour les 22 millions de biens immobiliers de France. À mon sens, on ne devrait pas pouvoir bénéficier d'aide publique ou de financements bancaires sans DPE préalable au lancement de travaux de rénovation énergétique.
En conclusion, nous travaillons intensément et nous avons étés projetés au coeur de l'actualité alors que nous étions invisibles. Nous sommes parfois devenus un point de crispation ou d'échauffement et on nous fait porter beaucoup de torts. Cependant, notre filière est consciente des enjeux : on avait coutume de dire que l'immobilier est avant tout une question d'emplacement, il faut également aujourd'hui prendre en compte le DPE.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Vous nous avez indiqué qu'il manque aujourd'hui environ 1000 diagnostiqueurs sur le territoire. Or la demande de DPE suit une courbe ascendante. J'entends bien vos suggestions sur l'amélioration du dispositif de formation et l'organisation de la filière mais, dans l'immédiat et à court terme, comment répondre aux demandes de DPE qui vont continuer à augmenter avec ce déficit de main-d'oeuvre, si j'ose dire, et en tout cas de diagnostiqueurs sur l'ensemble du territoire ?
Par ailleurs, comment s'établissent les liens entre les professionnels que vous êtes en matière de diagnostic immobilier ou de DPE et les auditeurs énergétiques ?
M. Jean-Christophe Protais.- S'agissant de votre première question, il manque effectivement 1000 diagnostiqueurs mais la filière s'adapte. Je ne connais pas de clients ayant besoin aujourd'hui d'un diagnostic de performance énergétique et qui ne soient pas adressés : ça n'existe pas.
Par ailleurs, il est prévu que les diagnostiqueurs de performance énergétique, avec une formation complémentaire et une certification - qu'elle soit personnelle ou d'entreprise - puissent également réaliser des diagnostics, mais pas seulement : vous connaissez comme moi le décret et le projet de décret sur l'information et la compétence et je ne suis pas inquiet sur la capacité à trouver des personnes pour réaliser des DPE et des diagnostics énergétiques.
Je souhaite aborder le point numéro 11 du questionnaire écrit que vous m'avez transmis et qui m'interpelle. Il s'agit de se demander si la certification d'entreprise va améliorer ou dégrader la qualité par rapport à la certification de personne. Je suis pour ma part convaincu que la certification d'entreprise va dans le sens de l'amélioration de la qualité parce qu'elle apporte une réponse aux cinq points que j'ai évoqués, contrairement à la certification de personnes qui n'en traite que trois et ne résout pas les deux volets portant sur le tutorat et la surveillance. Il est vrai que la certification d'entreprise n'a pas été une très grande réussite dans le cas du label RGE - « reconnu garant de l'environnement » - mentionné dans votre document mais on trouve aussi de vrais succès et je pense ici à la certification d'entreprise mise en place par nos amis et clients désamianteurs. Le monde du désamiantage est ainsi passé en l'espace de dix ans d'une profession d'artistes - pour être courtois - à de vrais professionnels aujourd'hui grâce à la certification d'entreprise.
Vous nous interrogez aussi sur la capacité des grandes entreprises de diagnostic à répondre aux besoins en ruralité et je rappelle que, par chance, notre profession est protéiforme : elle se divise en quatre catégories avec des indépendants, adossés ou pas à des réseaux de franchise, des « pure players » et des bureaux de contrôle. C'est la typologie des acteurs dans le monde du diagnostic. Que ce soit pour des gros, des petits ou des moyens projets, en zone urbaine ou rurale, il y aura toujours une réponse à la demande de diagnostic. Il en va de même dans d'autres métiers et j'observe sur la base d'exemples concrets que dans les zones isolées on ne trouve pas facilement d'indépendants et ce sont parfois de grandes structures qui s'organisent pour répondre à la demande. Je refuse de mettre en opposition les gros et les petits car la richesse de notre profession est d'être plurielle. Je ne sais pas si le secteur évoluera dans un sens ou une autre et ce n'est pas le rôle d'une fédération de s'en préoccuper. Je me demande également si les pouvoirs publics doivent s'intéresser à la taille des entreprises car la seule contrainte est de fournir un travail de qualité. Je réaffirme donc haut et fort que selon moi, comme le prouvent d'autres métiers, les entreprises grosses ou moyennes peuvent intervenir en milieu rural.
M. Lionel Janot. - Le maillage national de diagnostiqueurs est satisfaisant et apporte une réponse avec des temps d'attente assez réduits. Cependant, il est parfois difficile d'expliquer au propriétaire que notre intervention nécessite un délai d'une semaine plutôt que de deux jours quand il n'y a pas d'urgence particulière. Si on acceptait ce schéma d'intervention, il n'y aurait plus aucun problème de pénurie car l'estimation du déficit de 1 000 diagnostiqueurs reste relative et varie d'une région à une autre et les temps d'attente pour les différents diagnostics restent relativement réduits. Le problème n'est donc pas véritablement le manque de ressources en diagnostiqueurs et en tout cas pas dans l'immédiat. Il faut ici faire le lien avec la formation car on constate l'arrivée de candidats issus d'univers qui n'ont rien à voir avec celui du diagnostic et qui ne sont pas en capacité d'être formés rapidement ni a fortiori de travailler conformément aux exigences de qualité. Nos besoins en diagnostiqueurs sont donc permanents mais pas urgents.
S'agissant de la certification, je rappelle tout d'abord que notre écosystème s'est essentiellement constitué avec des indépendants et des petites entreprises sur l'ensemble du territoire. La certification n'est intervenue que dans un second temps, quand il a fallu professionnaliser et organiser le métier. La certification de personnes est un mécanisme bien particulier qui présente à la fois des avantages et des défauts et nous essayons de l'améliorer. La mettre en parallèle de la certification d'entreprise ou instituer un double système de certification de personnes et d'entreprises va certainement modifier l'écosystème des diagnostiqueurs. Il est difficile d'affirmer que l'un des modes de certification est meilleur que l'autre car ils sont différents et tout dépend des individualités. J'affirme que si le chef d'entreprise ne privilégie pas la qualité du travail, l'activité en subira les conséquences, quelles que soient les personnes qui interviennent. La certification de personnes a le mérite, pour sa part, même en l'absence de sanctions, de s'accompagner de contrôles permanents mais ça ne règle pas tout. Le choix entre la certification d'entreprise ou de personnes dépendra de la volonté du législateur : il s'agit de savoir si on souhaite une offre de marché composée d'entreprises différentes ou alors concentrée sur quelques entreprises de taille nationale. Dans d'autres domaines d'activité, un petit nombre d'entreprises certifiées employant un grand nombre de salariés se partagent le marché. Tel est le cas pour l'organisation de l'offre dans le contrôle technique automobile et il faut être conscient que le choix par le législateur de la certification d'entreprise conduirait notre écosystème à évoluer dans le même sens.
M. Frédéric Mirabel-Chambaud. - Je précise tout d'abord que notre association n'est pas opposée à la certification mais qu'elle souhaite plutôt la remplacer par un dispositif plus efficace.
S'agissant du risque de pénurie de diagnostiqueurs, je partage l'avis de mes confrères : aujourd'hui, on s'adapte sans difficulté.
Par ailleurs, j'attire votre attention sur la nécessité pour les diagnostiqueurs de repasser ces certifications tous les sept ans. Personne n'imagine d'imposer une telle exigence aux médecins aux avocats ou à n'importe quelle profession. Cela risque d'aggraver l'hémorragie de diagnostiqueurs qui se profile dans les prochaines années. En effet, beaucoup de nos adhérents sont simultanément à un an ou deux de la retraite et en fin de certification ; ils vont certainement hésiter ou renoncer à repasser une certification - d'ailleurs coûteuse - dans 6 ou 7 domaines pour continuer leur activité pendant un an en se disant « ça me coûte trop cher ; j'arrête ». Les difficultés surgissent également en milieu de carrière pour les salariés, voire pour les indépendants. Je rappelle, en effet, que l'on doit réussir six examens - plomb, amiante, électricité, DPE gaz et termites pour les régions qui en sont infestées - : dans le cas où on échoue à l'un d'entre eux, il est difficile d'expliquer au client qu'il doit s'adresser à un confrère pour une seule des composantes du diagnostic et le salarié, quant à lui, risque de perdre son emploi.
Aujourd'hui nous parvenons à répondre à la demande mais l'avenir est très incertain : aujourd'hui, comment attirer un jeune vers notre métier en lui disant que s'il débute à 20 ou 25 ans et qu'il cesse son activité à 64 ans, il devra réussir tous les 7 ans, 6 modules et donc passer plus de 30 fois des examens couperets ; s'il est à son compte, il risque de perdre son travail, pouvant ainsi mettre en danger sa famille. Comment voulez-vous faire rentrer des jeunes dans cette profession-là ? Face à cette situation, nous préconisons depuis plusieurs années - comme nous vous en avions informée, madame la présidente, il y a déjà deux ans - une certification renforcée au départ, incluant une vérification sur le terrain qui fait défaut aujourd'hui. Je mentionne que j'ai dirigé une entreprise de 70 personnes en maçonnerie mais que quand je me suis retrouvé seul sur le terrain pour effectuer ma première expertise, je me suis senti réellement inquiet. Un an après cette certification renforcée, il faudrait aménager un contrôle pédagogique - qui ne soit pas une sanction - mais dont le but serait d'ancrer les bonnes habitudes méthodologiques, par exemple en conseillant d'inspecter le tableau électrique avant les prises de courant. Par la suite, le dispositif que nous proposons serait complété par des formations adaptées aux évolutions normatives et techniques. C'est une logique similaire à celle dont témoigne un ami chirurgien en indiquant qu'il repasse pas ses diplômes de médecine tous les 7 ans mais doit suivre des formations régulières sans quoi ses connaissances seraient obsolètes au bout d'un ou deux ans. Il faut donc remplacer le bachotage actuel par des formations continues efficaces.
Nous avons également besoin d'organiser notre profession qui est encore jeune - elle est née voici une vingtaine d'années - et le défi est aujourd'hui énorme, en particulier pour monter en compétence, comme en témoigne l'intérêt de votre commission d'enquête sur ce sujet.
M. Yannick Ainouche. - Je m'associe pleinement aux interventions précédentes et je constate que nous sommes globalement d'accord, avec des temporalités un peu différentes. Il n'est pas souhaitable que notre filière qui a été créée dans une logique marchande de la formation et de la certification ne puisse se maintenir en activité qu'en repassant des certifications. C'est une hérésie, car nos collaborateurs connaissent très bien leur métier ; la formation continue est en revanche très importante pour muscler la formation initiale et peut-être même faut-il créer un vrai diplôme. Pour que l'État puisse demain continuer à jouer son rôle catalyseur dans la rénovation énergétique, il faut qu'il puisse s'appuyer sur une filière d'opérateurs à la fois très bien formée, intègre et indépendante vis à vis à des aléas marchands.
Nous sommes bien conscients de ne représenter qu'un tout petit maillon de la grande chaîne de l'efficacité énergétique et nous donner la parole, c'est aussi nous responsabiliser encore plus pour nous réformer et nous adapter à la nouvelle ère initiée par la législation.
Je souligne l'importance de l'allocation des fonds publics doit être soigneusement contrôlée pour garantir l'efficacité économique et politique, sans quoi les équilibres ou déséquilibres anciens vont perdurer. Certaines associations de propriétaires contestent la fiabilité des diagnostics ou des travaux, vilipendent certaines normes éco-citoyennes, et critiquent le fonctionnement de la DHUP ou de l'Ademe. Face à ces lobbies, la force de la loi climat et résilience nous entraîne et nous responsabilise tous. Comptez sur nous pour être au rendez-vous et nous structurer car nous n'existons que parce que vous l'avez décidé et pour appliquer les normes sur les territoires ruraux et urbains.
En réponse à votre question sur la nécessité de recruter 1 000 nouveaux diagnostiqueurs, je souligne que notre profession doit faire face à la difficulté soulevée par sa pyramide des âges. À 80 %, nos effectifs sont issus d'une reconversion professionnelle : souvent, ils ont décidé de changer de vie à 45 ou 50 ans pour se lancer dans une activité indépendante ou donner plus de sens à leur parcours et se sont formés pour devenir diagnostiqueurs. Je signale qu'une grosse partie de cette première vague de diagnostiqueurs des années 2000 va partir à la retraite : heureusement - et pour terminer sur une note un peu plus humoristique - les deux années supplémentaires introduites par la réforme des retraites vont nous donner un peu de souffle. Très clairement, je pense que le gouvernement doit aussi réfléchir aux formations et aux budgets de formation de Pôle emploi pour permettre à d'autres candidats au métier de diagnostiqueur de se former. Enfin, on ne doit pas se limiter à la reconversion et l'Éducation nationale doit nous aider à créer un titre professionnel pour donner de la visibilité à nos métiers et les rendre plus attractifs pour nos enfants et petits-enfants : j'espère bien qu'avant de partir à la retraite à 64 ans, j'entendrai un jeune dire lors d'un dîner en ville la phrase : « je veux devenir diagnostiqueur, parce que c'est un beau métier ».
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Au terme de ces paroles optimistes et encourageantes, je vous remercie tous très sincèrement d'avoir participé à cette intéressante table ronde. Vous pourrez par la suite suivre, si vous en avez l'occasion, nos travaux et nous devrions rendre notre rapport assorti de recommandations à la fin du mois de juin, sur notre thématique à large spectre
Audition
d'acteurs de la certification et de la
qualification
(Mercredi 3 mai 2023)
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Mesdames, messieurs, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous poursuivons aujourd'hui nos travaux par une table ronde sur la certification des entreprises de rénovation énergétique des bâtiments. Nous recevons aujourd'hui les trois organismes qualificateurs accrédités pour attribuer aux entreprises la mention RGE : l'organisme Qualifelec, représenté par Mme Alexandra Del Medico, déléguée générale, l'organisme Qualibat, représenté par son président, M. Gérard Senior, et par son directeur général, M. Éric Jost, enfin l'organisme Qualit'EnR, représenté par M. Richard Loyen, président de la commission communication et délégué aux affaires publiques, et M. Teddy Puaud, délégué général.
Madame, messieurs, vous représentez ainsi les trois organismes accrédités par le comité français d'accréditation (Cofrac) et chargés d'attribuer aux entreprises la mention « reconnu garant de l'environnement » (RGE).
Vous jouez un rôle clé dans la fiabilisation des travaux de rénovation énergétique, alors que cette mention, qui distingue les professionnels du bâtiment engagés dans une démarche de qualité, est une condition indispensable pour l'obtention d'un certain nombre d'aides publiques.
Lors de nos auditions, de nombreux acteurs de la rénovation énergétique ont dénoncé les imperfections du label RGE. Alors que ce label est censé garantir la compétence de l'entreprise rénovatrice, ces critiques semblent dénoter une forme de perte de confiance chez le consommateur dans la qualité des rénovations et la compétence des intervenants.
Du côté des professionnels, notamment des artisans, la critique paraît également vive et nous avons reçu plusieurs témoignages d'entreprises ayant choisi de faire sans, leur clientèle n'étant pas dépendante des subventions pour l'organisation de leurs travaux.
Globalement d'ailleurs, le nombre d'entreprises certifiées est stable, voire décroît légèrement.
Plus généralement, et je sais que notre rapporteur y reviendra, l'équilibre a-t-il aujourd'hui été trouvé entre une certification a priori des entreprises et le contrôle a posteriori de la bonne réalisation des travaux ?
Partagez-vous ces constats ? Quel bilan tirez-vous du label RGE ? Atteint-il ses objectifs ? Est-il efficace contre l'« éco-délinquance » ? Comment peut-on améliorer l'efficience de la qualification et redonner confiance dans la rénovation énergétique ? Enfin, quel bilan tirez-vous de la réforme RGE par l'arrêté du 3 juin 2020 ? A-t-elle permis de répondre à ces difficultés ?
Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions et pour un propos introductif d'environ cinq minutes chacun, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.
Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois ans à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « je le jure ».
Mme Alexandra Del Medico, MM. Gérard Senior, Éric Jost, Richard Loyen et Teddy Puaud lèvent la main droite et disent « Je le jure ».
Madame, messieurs, je vous remercie. Vous avez la parole.
Mme Alexandra Del Medico, déléguée générale de Qualifelec. - Qualifelec est un organisme de qualification qui représente les professionnels du génie électrique, énergétique et numérique. Nous existons depuis plus de soixante ans. Notre métier consiste à reconnaître la compétence professionnelle, l'expertise technique et le sérieux des entreprises du bâtiment, plus particulièrement du métier d'électricien. Notre vocation est d'évaluer sur une base documentaire la capacité d'une entreprise et de son personnel à réaliser des travaux dans le respect des règles de l'art.
Le RGE est venu soutenir le marché de la rénovation énergétique. Dans ce cadre, notre organisme a été autorisé à porter la mention RGE en complément de la qualification métier des entreprises du génie électrique, énergétique et numérique.
Vous avez évoqué l'éco-délinquance. Nous constatons à cet égard que les entreprises concernées constituent une très faible proportion. Elles ne sont pas représentatives du monde de la construction.
Concernant l'évolution du CEE, les entreprises disposant d'une structure nationale redéfinissent le marché du monde de la construction. Elles mettent à mal des professionnels sérieux qui ne s'y retrouvent pas. En effet, les CEE ajoutent des exigences - pertinentes - à une qualification professionnelle. Cependant, toutes les entreprises n'ont pas les moyens de les mettre en avant et souffrent donc d'un manque de visibilité. Il convient de comprendre et de respecter le désarroi de ces professionnels qui ont à coeur de montrer leur compétence.
Le dispositif RGE repose essentiellement sur des éléments administratifs. Il s'ajoute à la compétence métier vérifiée par Qualifelec. De ce fait, nous constatons à ce jour très peu d'éco-délinquants parmi les entreprises que nous qualifions avec la mention RGE.
M. Gérard Senior, président de Qualibat. - L'association Qualibat a été créée en 1949 afin d'identifier les entreprises compétentes pour assurer la reconstruction du pays. Elle regroupe les principales organisations professionnelles du secteur : les entreprises, la maîtrise d'oeuvre, la maîtrise d'ouvrage, les contrôleurs techniques. À travers ses différentes qualifications et certifications, Qualibat valorise, comme Qualifelec, une sélection d'entreprises qui ont fait preuve de leur compétence et de leur savoir-faire.
Il convient de rappeler que la mention RGE est toujours rattachée à une qualification métier. Les exigences additionnelles du critère RGE comportent le rattachement à un établissement et l'existence d'un référent RGE par établissement, formé Feebat ou EnR. De plus, un contrôle de réalisation doit être effectué dans les 24 mois suivant l'attribution du signe. Un second contrôle doit intervenir lorsque la catégorie de travaux est considérée comme critique.
La procédure d'obtention de la qualification RGE consiste d'abord à choisir un métier. Un dossier est ensuite constitué. Il comprend des éléments généraux (régularités fiscale et juridique, inscription au métier, assurances, chiffres d'affaires, effectifs...). S'y ajoutent des éléments techniques (personnel, références de chantiers, attestations de clients...) destinés à attester de la compétence de l'entreprise.
Qualibat vérifie alors la complétude de ce dossier avant de le soumettre à une commission d'examen constituée de professionnels représentant l'ensemble de la filière : entrepreneurs, artisans qualifiés, maîtres d'ouvrage, bailleurs sociaux, architectes, bureaux d'études, contrôleurs techniques... Cette commission décide de l'attribution de la qualification et de la mention RGE. 130 commissions se répartissent ainsi sur l'ensemble du territoire. 2 700 membres bénévoles y participent.
Qualibat dispose de 35 agences en métropole et à La Réunion. Elles sont nationales ou départementales. 160 personnes y sont employées. Elles examinent tous les dossiers de demandes de qualification et les rapports d'audit RGE.
M. Richard Loyen, président de la commission communication et délégué aux affaires publiques de Qualit'EnR. - Qualit'EnR est née en 2006 pour prendre en main la gestion de Qualisol. Cette première qualification avait été créée par l'Ademe en 1999 afin de distinguer les professionnels compétents pour installer des chauffe-eau solaires. Nous avons élargi le champ de nos qualifications au bois-énergie, à la pompe à chaleur, à la géothermie, au photovoltaïque et plus récemment à la recharge des voitures électriques.
Aujourd'hui, 18 000 entreprises sont concernées pour environ 30 000 qualifications actives.
Le dispositif RGE constitue à mon sens un bon outil. Il nous permet de recevoir des réclamations de clients mécontents d'une entreprise. À cette occasion, nous nous apercevons souvent que l'entreprise visée n'est pas - ou plus - qualifiée chez nous. Ainsi, nous mettons régulièrement en demeure des entreprises qui usurpent notre marque. Aujourd'hui, très peu de réclamations concernent des entreprises qualifiées Qualit'EnR. Cependant, lorsque l'entreprise est bien qualifiée chez nous, nous pouvons réaliser un audit et n'hésitons pas à suspendre, voire à radier, la qualification RGE.
L'exemple du photovoltaïque illustre l'intérêt du dispositif RGE. Avant 2017, il n'était pas exigé. Aujourd'hui, les professionnels en subissent encore les conséquences et paient des polices d'assurance élevées. Depuis 2017, le marché s'est assaini grâce à l'exigence de la mention RGE pour bénéficier de la prime à l'autoconsommation et de la vente de surplus. Ce d'autant plus que le secteur est contrôlé de façon récurrente, avec l'obligation de réaliser un audit toutes les quatorze installations. Dès lors, les éco-délinquants tendent à déserter le marché.
Par ailleurs, le dispositif RGE permet de détecter des signaux faibles d'éco-délinquance, comme de faux centres de formation. Nous avons pu engager des poursuites et suspendre les centres concernés. Le « stagiaire-clone » constitue une autre forme d'éco-délinquance : une même personne suit la formation et réussit l'examen sous des identités différentes. Nous avons travaillé avec les pouvoirs publics pour exiger désormais une carte d'identité dans les centres d'examen.
En conclusion, le dispositif RGE est certes perfectible, mais il permet d'intervenir lorsque des clients subissent un préjudice du fait d'entreprises qualifiées. Par ailleurs, une action concertée avec les pouvoirs publics doit permettre de lutter contre celles qui ne le sont pas.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Avant de laisser la parole à notre rapporteur, pourriez-vous rappeler la différence entre qualification et certification ?
M. Éric Jost, directeur général de Qualibat. - La qualification relève généralement d'un régime d'accréditation. À ce jour, il s'agit de la norme NF X50-091. Cette norme ne sera bientôt plus utilisée par le Cofrac. Cela pose d'ailleurs la question de nos propres accréditations qui s'achèveront en fin d'année.
Les certifications relèvent quant à elles de la norme ISO EN 17065.
Dans le domaine de la RGE existent des qualifications et des certifications. Nos trois organismes disposent de qualifications RGE. Qualibat délivre également une certification « offre globale de rénovation ».
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Merci pour vos premières explications.
Notre commission d'enquête s'intéresse en effet à la qualité des travaux et par conséquent aux qualifications comme aux modalités de contrôle. Le label RGE se trouve ainsi au centre de nos réflexions. Certains dispositifs, comme MaPrimeRenov', réorientent vers ce type de qualifications. Dès lors, il convient de s'assurer qu'ils garantissent la qualité des travaux.
Ma première question porte sur le type de RGE dont doit disposer une entreprise générale. À titre d'illustration, un RGE en électricité permet-il à une entreprise d'effectuer l'ensemble de travaux d'isolation, par exemple, sans disposer d'ouvriers spécialisés sur ce sujet ?
M. Éric Jost. - Cela dépend du domaine de compétence des différents organismes qualificateurs. Tous les corps de métier du bâtiment sont représentés chez Qualibat, sauf les électriciens qui sont chez Qualifelec. Cela étant, il n'existe pas de qualification globale, mais des qualifications par métier. Les qualifications métier permettent d'être labellisé RGE dans une catégorie de travaux donnée. Ces catégories sont déterminées par le décret du 3 juin 2020.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Une entreprise générale devra donc faire appel à Qualifelec pour l'électricité et à Qualibat pour les autres travaux. Pour ceux-ci, elle devra répondre à toutes les catégories.
M. Éric Jost. - En effet. Un plombier-électricien peut être labellisé RGE chez Qualifelec dans la catégorie « émetteur électrique » et chez Qualibat dans la catégorie « isolation thermique par l'intérieur ».
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Une question plus générale concerne les résultats.
Différentes études - UFC Que-choisir, rapport du CGEDD... - témoignent de faibles taux de conformité sur les travaux réalisés. Les contrôles ne révèlent pas le résultat escompté. Or, comme l'indiquait Mme Del Medico, la défaillance de quelques entreprises rejaillit sur l'ensemble de la profession.
Par conséquent, ne faudrait-il pas davantage de contrôles a posteriori ? De nombreuses entreprises plaident en ce sens. Quelles sont vos réflexions à cet égard ? Dans le domaine de l'électricité, la démarche du Consuel peut-elle constituer un exemple ? Un dispositif de ce type pourrait-il s'appliquer aux autres aspects d'un chantier et assurer un contrôle a posteriori de la qualité de travaux ?
De plus, certaines personnes auditées ont souligné que la labellisation ne présentait pas une garantie absolue de qualité. De fait, le nombre de RGE est stable, voire en baisse. Nos auditions révèlent que certaines entreprises de qualité choisissent délibérément de ne pas s'inscrire dans le dispositif, car elles estiment ne pas en avoir besoin.
Ainsi, un contrôle a posteriori n'assure-t-il pas une meilleure garantie de qualité qu'un label ? Ce type de système semble pratiqué en Allemagne. Disposez-vous de retours d'expérience d'autres pays ?
M. Gérard Senior. - Les statistiques issues du rapport annuel de Qualibat illustrent la situation. Sur 56 000 entreprises qualifiées, environ 44 000 sont des professionnels RGE. 16 000 chantiers par an sont audités. 83 % des auditions ne révèlent pas de non-conformité et 9 % concluent à des non-conformités mineures, soit 92 % de qualité des travaux réalisés par nos entreprises qualifiées.
L'appréciation négative du RGE repose souvent sur une confusion entre divers dispositifs : RGE, CEE, MaPrimeRenov'... Or ils sont bien différents. Le CEE est un produit financier. Le modèle économique de certains industriels repose sur ce dispositif, puisqu'il repose sur la mobilisation d'aides. Les travaux à un euro ont beaucoup endommagé la réputation du secteur. De nombreux éco-délinquants se sont implantés sur ce marché. De même, les contrôles CEE ne sont pas comparables aux audits RGE. Ceux-ci appliquent une grille définie par décret.
Nous enregistrons 300 réclamations « brutes » par an, avant instruction par nos services et suivi par le Cofrac. Il convient donc de souligner l'écart entre le volume de réclamations et le nombre de chantiers. Des politiques publiques orientées vers la répression et les sanctions pénaliseraient les 92 % d'acteurs compétents.
De plus, elles ne favoriseraient pas la montée en compétences de la filière. En effet, organismes de qualification et organisations professionnelles constituent un écosystème. Lorsque nous repérons des manques, nous les signalons aux organisations professionnelles qui s'attachent à former leurs adhérents.
M. Teddy Puaud, délégué général de Qualit'EnR. - Je souhaiterais intervenir sur plusieurs points.
La conditionnalité des aides à une qualification RGE a représenté un grand pas en avant. Auparavant, la qualité des matériaux était prise en compte, mais non celle du professionnel qui effectuait les travaux.
Or la qualification reflète la capacité d'une entreprise à assurer une prestation donnée. Cette capacité se traduit par le contrôle de diverses exigences que le RGE a renforcées : présence d'un référent technique, réalisation d'un audit après qualification de l'entreprise...
La qualification dans un domaine donné permet de tirer la filière vers le haut. En effet, les dossiers reçus sont rarement bons dès l'origine. Une entreprise qui engage une démarche de qualification devra s'assurer, si elle ne l'est pas, et former son personnel à des systèmes qui, dans notre cas, sont souvent nouveaux. À titre d'exemple, tous les plombiers-chauffagistes n'ont pas suivi de formation sur les pompes à chaleur lors de leur cursus initial. De fait, le taux d'échec lors des formations des référents techniques n'est pas neutre. De telles formations sont exigeantes.
Pour autant, l'action sur les moyens ne garantit pas nécessairement un résultat, d'où peut-être la déception ressentie par certains particuliers.
Cependant, les contrôles réalisés tendent à démentir les critiques fréquemment colportées. Je rejoins Qualibat à cet égard. Les audits sont effectués par des organismes accrédités dans le domaine de l'inspection. Ils s'appuient sur une grille de contrôle plus étoffée que pour une inspection CEE et constatent peu d'écarts de conformité. Chez Qualit'EnR, 80 à 85 % des audits concluent à l'absence d'écart ou à des écarts jugés mineurs.
Les écarts signalés sont corrigés dans une logique d'amélioration continue. En l'absence de correction, le professionnel est systématiquement suspendu. Lorsque les écarts se révèlent importants, l'entreprise est systématiquement réauditée. Si des écarts majeurs devaient persister, le référent technique serait renvoyé en formation.
Concernant le développement du RGE, les réalités apparaissent différentes selon les domaines et les dispositifs incitatifs mis en oeuvre au cours du temps. Dans le domaine des énergies renouvelables, nous enregistrons une croissance constante depuis la mise en place du RGE. Elle s'est même accélérée ces dernières années. Nous constatons un afflux de nouvelles entreprises. Dès lors, certaines se trouvent au début de la courbe d'apprentissage. Les entreprises présentes depuis plus longtemps commettent moins d'écarts. Le dispositif tire vers le haut. Les entreprises amélioreront d'autant plus leurs pratiques que les contrôles seront effectués rapidement.
Comme Qualibat, nous enregistrons un très faible volume de réclamations, alors que tout particulier peut en émettre sur le site de France Rénov' ou s'adresser à nos services. Sauf erreur, les réclamations concernent moins de 2 % des entreprises qualifiées sur une année. De plus, toutes ne concernent pas des erreurs. Elles peuvent résulter par exemple de difficultés relationnelles entre le client et l'entreprise. Cela étant, les résultats des audits sur signalement sont globalement moins bons que ceux des audits aléatoires réalisés dans le cadre de la qualification. Dans le premier cas, la moitié des audits révèle un écart majeur, contre environ 20 % dans le second cas.
Il convient donc de prendre du recul par rapport aux critiques. La situation n'est pas si mauvaise. Bien au contraire, le dispositif tire la profession vers le haut.
Un renforcement des critères peut être étudié, de même que la fiabilisation des contrôles. En effet, la volonté de contourner les critères existants peut témoigner a contrario de leur pertinence. Les contrôles de la formation ou le renforcement de la capacité à rechercher des références à la source (échanges avec le PNCEE, assurances...) sont des axes à développer. Ils permettraient d'éviter les tentatives de faux constatées sur certains documents.
L'accompagnement de la filière constitue un enjeu. Nous pourrions être aidés dans la collecte de documents ou d'informations à la source. En cas de contrôles supplémentaires, il conviendrait de ne pas punir les professionnels qui travaillent déjà bien, comme le démontrent les audits successifs.
M. Richard Loyen. - Je souhaiterais ajouter que Qualit'EnR est parvenue à industrialiser le contrôle qualité des installations d'énergies renouvelables. Environ 14 000 audits ont été réalisés l'an dernier. Ils sont conformes à 80 %.
L'échange de données avec le PNCEE est réellement important, car il peut permettre de contrôler des installations non déclarées par les entreprises.
Par ailleurs, nous aurions besoin d'une task force contre l'éco-délinquance avec les services de l'État. Comme organisme de qualification, nous ne disposons pas de pouvoirs de contrôle. Or nous pourrions travailler ensemble sur des signalements. Ainsi, nous avons beaucoup de retours liés à des publicités d'éco-délinquants sur internet. Ceux-ci bernent les particuliers en toute impunité.
Enfin, il convient de renforcer l'information des consommateurs. Ainsi, nous avons élaboré une note juridique avec Enerplan sur la possibilité de se dédire d'une commande dans le délai de quatorze jours, sauf achat sur foire.
Mme Alexandra Del Medico. - Les certificats RGE ne représentent que 12 % des certificats Qualifelec. Nous ne sommes donc pas les mieux placés pour porter un avis sur le fonctionnement du label RGE et des CEE. Néanmoins, nous délivrons 5 000 certificats IRVE (Infrastructure de recherche pour véhicule électrique) dans un contexte réglementaire. À ce jour, nous n'avons pas eu de cas de non-conformité ni de cas de radiation d'une entreprise à la suite d'une réclamation ou d'un audit.
Aujourd'hui, 1 667 entreprises sont qualifiées RGE. Nous avons réalisé 800 audits de performance en 2022. Trois non-conformités ont été levées après la production du rapport d'audit. Elles n'ont engendré ni suspension ni radiation.
De façon générale, nous n'avons pas de retour de l'Ademe sur des non-conformités majeures qui poseraient un problème sur le marché. Nous ne disposons que de nos propres chiffres.
Vous évoquiez l'Allemagne, monsieur le rapporteur. La production de diplômes y encadre l'accès au métier. En France, en revanche, un boulanger peut créer une entreprise dans le monde de la construction.
De ce fait, le rôle des organismes de qualification est de réaliser une analyse sur une base documentaire. En matière de qualification, la démarche est portée par des pairs, qui peuvent demander des pièces complémentaires destinées à s'assurer de la compétence métier. La démonstration de cette compétence s'établit sur la base de CV, de diplômes et d'une analyse complète de l'écosystème de l'entreprise.
Cette analyse documentaire est adaptée au monde du bâtiment. Un système de certification serait trop complexe et trop axé sur la notion de service. La démarche serait jugée trop intrusive par les nombreuses entreprises artisanales du secteur, très attachées à leur indépendance. L'analyse documentaire, portée par les pairs, permet au système de fonctionner à l'échelle de Qualifelec.
Un contrôle a posteriori ne serait valable qu'en cas d'encadrement de l'accès au marché, ce que permet aujourd'hui le système de qualification.
À propos des contrôles aléatoires, vous avez évoqué Consuel. Les électriciens ont l'habitude de subir des contrôles sur la sécurité et la conformité aux normes de la part de Consuel ou de bureaux de contrôles lorsque leurs activités sont orientées tertiaire. Ces contrôles sont fondés sur la sécurité et le respect des règles de l'art. Or les contrôles a posteriori vérifient également la performance. Toutefois, une telle mission pourrait s'ajouter à celles des organismes de contrôle et constituer ainsi un système de contrôle unique.
Ainsi, dans le domaine solaire photovoltaïque, Qualifelec ne fait appel qu'à Consuel. Dans ce cadre, le contrôle de la performance s'ajoute à celui de la sécurité. Compte tenu de l'arrêté autoconsommation de 2017, Consuel a pour mission de vérifier la sécurité selon un système qu'il maîtrise. Nous lui avons demandé de réaliser les 7 % d'audits de performance. Dans ce cadre, il nous adresse un rapport en cas de non-conformité. En effet, Consuel ne peut pas empêcher lui-même le professionnel de continuer son activité, comme il peut le faire en matière de sécurité. Il appartient alors à Qualifelec de tenter de suspendre cette entreprise. Nous sommes ainsi conduits à rompre frontalement avec des entreprises, alors que nous devons faire appel à des sous-traitants pour réaliser ces audits de performance.
Une réflexion sur l'évolution serait possible. Le parallèle avec l'arrêté autoconsommation est intéressant. Le parallèle avec le décret IRVE l'est également. Il s'inscrit dans une logique de cohérence où chacun intervient dans son domaine d'expertise : une association pilote les CEE ; une autre encadre les programmes de formation ; les centres délivrent des formations répondant aux attendus de leur population ; enfin, Qualifelec agrée ces centres de formation pour sa qualification et de ses électriciens. De son côté, Consuel a pour mission de contrôler certaines installations IRVE, en toute indépendance par rapport à Qualifelec.
M. Richard Loyen. - Consuel assure également un contrôle des installations photovoltaïques. Lorsque son rapport signale des non-conformités majeures, nous agissons. Nous demandons alors à l'entreprise de procéder à des corrections. À défaut, elle est suspendue.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Vous soulignez tous les bons résultats des contrôles. Pourtant, l'Anah relevait lors de son audition des taux significatifs de non-conformité. Certes, elle n'effectue que 10 % de contrôles sur site. Cependant, comment analyseriez-vous ce décalage de perception ?
Par ailleurs, comment intégrez-vous les matériaux biosourcés (paille, chanvre, etc.) dans vos réflexions ? Envisagez-vous un dispositif RGE spécifique, adapté à ce type de matériaux ? La question apparaît importante dans le cadre d'une montée en charge en matière d'isolation thermique.
M. Gérard Senior. - Je souhaite revenir sur les éléments demandés au cours de la procédure. Ils sont d'abord d'ordre administratif : une inscription au registre des métiers, un code Insee, des attestations de régularité Urssaf, d'assurance décennale, d'affiliation à jour à la Caisse de congés payés du bâtiment, ainsi que des informations complémentaires déclaratives permettant d'apprécier l'activité économique de l'entité (chiffre d'affaires, montant de la sous-traitance, moyens humains et matériels).
Nous demandons aussi des éléments d'ordre technique destinés à apprécier le métier : diplômes, formation, effectifs, chantiers de référence, devis et factures, notes de dimensionnement, etc. Ces éléments sont évalués par des professionnels. En effet, conformément à la norme NF X50-091, la qualification est attribuée par les pairs. En outre, la mention RGE, attribuée par Siret, exige une formation Feebat ou EnR et un contrôle de réalisation.
Il semble difficile d'enlever tel ou tel élément. Cela recadre à mon sens le débat relatif à une simplification du dispositif RGE. En revanche, il est possible de l'améliorer. Si nos contrôles sont suffisamment probants, il convient cependant d'agir à l'encontre des éco-délinquants, qui affectent la réputation du signe RGE.
Ainsi, une entreprise doit aujourd'hui fournir cinq références de chantier. Le décret impose cette exigence à toutes les entreprises, indépendamment de leur taille et du nombre de chantiers qu'elles assurent chaque année. Est-ce logique ?
Un accès à la base de données de tous les chantiers déclarés permettrait de connaître le volume par entreprise et de dimensionner les audits en conséquence. Or l'Ademe ne permet pas cet accès, invoquant le RGPD et la protection des données personnelles.
Par ailleurs, il convient de rappeler, face aux critiques sur la complexité des audits, que la grille d'analyse est fixée par décret. Nos grilles d'audit ont été élaborées pour disposer d'une bonne vision du travail. Les contrôles CEE ne poursuivent pas le même objectif. Nous contrôlons la qualité des travaux, alors que les CEE apprécient la conformité selon des critères plus réduits que les nôtres.
M. Laurent Somon. - Je souhaiterais poser trois questions. La première concerne la possibilité d'accéder aux entreprises qualifiées Qualibat, Qualifelec ou Qualit'EnR. En effet, les particuliers ne savent pas nécessairement où se renseigner.
M. Éric Jost. - Les entreprises qualifiées figurent dans l'annuaire de France Rénov'. La base de données est actualisée quotidiennement.
M. Laurent Somon. - La qualification est-elle bien accordée métier par métier ?
M. Éric Jost. - Tout à fait. Une entreprise générale peut disposer de plusieurs qualifications. Si elle n'est pas qualifiée dans une discipline, elle sous-traite à une entreprise qualifiée RGE dans l'activité concernée.
M. Laurent Somon. - Quels sont le rôle et les compétences du référent qualité ?
M. Éric Jost. - Il convient de distinguer le référent technique du référent RGE. Le référent RGE a suivi une formation adaptée à la catégorie de travaux.
Mme Alexandra Del Medico. - Le référent technique détient la compétence métier. Cette compétence est analysée par un comité de qualification.
Le référent RGE a suivi une formation spécifique. Il s'agit soit d'une formation spécifique à la catégorie d'énergies renouvelables, soit d'une formation commune « Feebat Rénove » en matière d'efficacité énergétique. Cette dernière est en cours de révision.
M. Richard Loyen. - Chez Qualit'EnR, le référent technique est également référent RGE. Il dispose de la compétence métier dans la filière renouvelable dans laquelle il a suivi une formation. Par ailleurs, l'entreprise doit respecter l'ensemble des exigences en matière d'assurances, de métier, etc.
Je souhaiterais revenir sur les positions de l'Anah relatives à la non-conformité, mentionnées par M. Gontard. Nous serions intéressés par les statistiques de l'Anah concernant spécifiquement les énergies renouvelables. La base est plus restreinte.
Par ailleurs, les énergies nouvelles ne sont pas concernées stricto sensu par les éco-matériaux. En revanche, il conviendrait de mener une vraie réflexion sur les besoins en ressources humaines de notre filière. Ainsi, 20 000 installateurs sont nécessaires d'ici 2025. Où, quand et avec qui seront-ils formés ? Des compétences sont indispensables à la réussite de l'accélération de la transition énergétique.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je souhaiterais poser une question à Qualibat. Vous avez évoqué la proportion - 8 % - d'audits non conformes. Pourriez-vous nous communiquer le nombre d'entreprises radiées ou suspendues sur la base de ces audits ?
M. Éric Jost. - En cas de non-conformité, l'entreprise est immédiatement suspendue. Un deuxième audit est déclenché sur un autre chantier. Tous les rapports sont transmis à la commission d'examen. Celle-ci procède au retrait de la qualification ou demande une mise à niveau en matière de formation.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Combien d'entreprises ont-elles été radiées ou suspendues en 2022 après ces deux contrôles ?
M. Éric Jost. - Environ un tiers des 8 % perdent leur signe RGE.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci. Les entreprises disposant d'une liberté totale dans le choix d'un organisme de qualification, existe-t-il un risque de distorsion ? Une entreprise peut-elle être tentée de privilégier celui de vos organismes qui délivre la qualification ou la certification le plus rapidement ?
M. Éric Jost. - Une entreprise peut s'adresser indifféremment aux uns ou aux autres. Pour autant, nous ne disposons pas d'une base de données commune qui permettrait de savoir si une entreprise est qualifiée chez tel ou tel organisme. De même, nous ne pouvons pas connaître les retraits de signe RGE ni les motifs de ces retraits.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - En cas de changement d'organisme de qualification, les entreprises en indiquent-elles les motifs ? Le leur demandez-vous ?
M. Teddy Puaud. - Tous les organismes de qualification ne couvrent pas l'ensemble des activités. Les possibilités de changement d'organisme s'avèrent donc limitées. Ainsi, seul Qualibat intervient en matière d'isolation. Cela étant, la tentation pourrait exister dans les domaines où les organismes se trouvent en concurrence.
Les sanctions liées aux audits donnent lieu à peu de communication. En revanche, les organismes de qualification échangent sur les entreprises identifiées et sanctionnées comme éco-délinquantes, notamment lorsqu'elles ont été radiées.
Le volume de ces sanctions demeure très faible, en comparaison de celles qui peuvent être prises dans le cadre des audits. En 2022, Qualit'EnR a notifié plus de 1 500 suspensions à la suite d'audits. 347 étaient encore actives le 29 mars 2023. Dans leur majorité, les entreprises corrigent donc les défauts. Les autres sont suspendues. Elles perdent leur label RGE chez nous et sans doute assez vite de façon générale, puisque peu de qualifications sont communes aux différents organismes.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - M. Bruno Le Maire a énoncé un objectif de 250 000 entreprises RGE en 2025. Combien sont-elles aujourd'hui ? Cette ambition vous semble-t-elle réaliste ? Les délais sont très courts.
M. Éric Jost. - Actuellement, les entreprises RGE sont environ 70 000. Lors du pic de 2017, 90 000 entités professionnelles étaient labellisées RGE. Les 45 000 structures qualifiées RGE chez Qualibat emploient plus de 550 000 salariés. De fait, les entreprises RGE ont assuré davantage de travaux en 2020, alors que le total de professionnels RGE est inférieur à celui de 2017. Il importe donc de considérer le volume des effectifs dans l'activité rénovation, mais également leur formation, leur accompagnement et leur montée en compétences.
M. Gérard Senior. - Les entreprises qualifiées Qualibat emploient 821 000 salariés sur 1,2 million, soit 69 %. Leur chiffre d'affaires global s'élève à environ 140 milliards d'euros sur 150 milliards pour le BTP. Les entreprises qualifiées par notre organisme représentent donc une très grande majorité des acteurs.
Il ne nous appartient pas de commenter la volonté d'un ministre. En revanche, nous avons pris des mesures au sein de Qualibat afin de nous dimensionner en conséquence. Cela étant, le recrutement ne concerne pas que nous.
M. Éric Jost. - La baisse des professionnels RGE n'affecte que les plus petites entités, qui emploient moins de cinq salariés. Les entreprises de plus de vingt salariés demeurent stables et s'engagent même en plus grand nombre dans une démarche RGE. Leur activité est en effet orientée B to B.
À l'inverse, les plus petites entreprises sont davantage sujettes aux fluctuations des aides. Ainsi beaucoup de chauffagistes ont abandonné fin 2022 le signe RGE « chaudière ».
M. Gérard Senior. - Pour autant, il existe des contre-exemples. Ainsi, malgré la baisse des aides, les clients demandent le signe RGE pour les fenêtres. Cela démontre la valeur du label.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Ne conviendrait-il pas de rendre le RGE obligatoire lors de l'installation ?
M. Gérard Senior. - À mon sens, il conviendrait de substituer le seul signe RGE aux trois existants (RGE, CEE et MaPrimeRénov'). En effet, le cumul des trois dispositifs peut se présenter pour certains chantiers et la même entreprise. C'est absurde. Une référence unique clarifierait la situation pour les entreprises comme pour les clients. Le label RGE est le plus complet.
M. Richard Loyen. - Dans le domaine des énergies renouvelables, nous ne constatons aucune régression, mais une progression constante, y compris chez les petites entreprises.
Progressivement, le marché sera moins aidé. Dans ces conditions, la régulation devra s'opérer de façon plus naturelle. Dans un marché mature, les banquiers et les assureurs seront les plus susceptibles de demander une qualification. Dès lors, il conviendrait de partager nos résultats d'audit.
Je milite en ce sens concernant le photovoltaïque depuis 2017. En effet, les assureurs ne regardent pas les résultats des audits devenus obligatoires toutes les quatorze installations. Un travail doit donc être mené auprès des secteurs bancaire et assurantiel afin de susciter la confiance à l'égard des professionnels RGE.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Ces secteurs montrent-ils aujourd'hui de la frilosité ? De la volonté ?
M. Richard Loyen. - Concernant le solaire, le secteur assurantiel devrait modifier ses pratiques à compter de mai 2027. Les technologies ont changé en 2017, mais la garantie décennale s'applique encore. Auparavant, n'importe qui pouvait effectuer les travaux. De plus, la technique dite de « l'intégré bâti » imposait de casser les toits. Dès lors, des désordres peuvent se manifester plusieurs années après l'installation. Depuis 2017, les risques sont limités.
M. Gérard Senior. - Dans le cadre de notre devoir de service auprès de nos qualifiés, nous avons développé un partenariat avec SMABTP. Cet organisme intègre désormais la qualification dans sa cotation des risques. La qualification présente donc une valeur pour cet assureur.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Concrètement, comment se décline le principe de qualification ? Vous nous avez exposé les éléments demandés, mais comment le contrôle s'opère-t-il ?
M. Éric Jost. - Je ne reviendrai pas sur les documents demandés. Je préciserai toutefois que nous sommes partenaires du dispositif Marché public simplifié (MPS). Nous pouvons donc rechercher directement les données auprès des services de l'État. La partie administrative s'en trouve allégée.
Sur la partie technique, l'entreprise doit prouver qu'elle dispose des compétences, du savoir-faire, des moyens matériels et humains adéquats. Nous lui demandons des références de chantiers, des attestations de travaux signées par des clients, des devis, des factures, les fiches techniques de produits mis en oeuvre, la liste de son personnel, son ancienneté et ses classifications, ainsi que le CV et les diplômes du référent technique.
La commission d'examen, composée de tous les acteurs du secteur, étudie ensuite cet inventaire des moyens matériels, des ressources humaines et des réalisations de l'entreprise. Sur cette base, elle décide d'attribuer ou de ne pas attribuer la qualification RGE.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Aucun contrôle sur site n'intervient donc à ce stade ?
M. Éric Jost. - Non. Néanmoins, nous devons effectuer un contrôle sous 24 mois. Dans ce cadre, nous demandons à l'entreprise de nous déclarer cinq chantiers dans les six mois suivants l'attribution du label. Nous choisissons l'un d'entre eux pour réaliser l'audit.
Cette donnée est essentielle pour nous. Si nous disposions des retours de contrôles de l'Anah et des résultats des contrôles obligés, nous aurions une meilleure visibilité sur les professionnels RGE. L'accès à la base de données commune de tous les chantiers aidés nous permettrait de sélectionner aléatoirement les chantiers.
La sélection aléatoire de cinq chantiers différents parmi plusieurs milliers nous permet ainsi d'identifier les éco-délinquants, lorsque cinq audits différents mettent en évidence des non-conformités majeures.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Quelle évolution envisageriez-vous concernant ces cinq chantiers ? Imaginez-vous un choix aléatoire sur l'ensemble du parc ?
M. Gérard Senior. - Il faudrait dimensionner en fonction du volume. Pour cela, les organismes de qualification devraient pouvoir accéder à la base de données commune des déclarations. Cet accès nous permettrait d'abord de procéder à un dimensionnement et de faire évoluer le décret. Nous sommes prêts à en discuter avec les services de l'État. En fonction de ce dimensionnement, nous pourrions ensuite cibler et renforcer les contrôles en fonction des signalements. Nous devrions pouvoir échanger en commission de coordination avec la DGCCRF. Aujourd'hui, celle-ci ne nous signale rien.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Cela, au nom du RGPD ?
M. Éric Jost. - Tout à fait, même s'il existe certaines collaborations (sollicitation des DDPP, requêtes de procureurs...). Toutefois, nous souhaiterions être mieux accompagnés.
M. Richard Loyen. - Un véritable chantier est à conduire avec le PNCEE pour exploiter directement ou indirectement la base de données des clients finaux qui ont demandé une aide. Une extraction de clients semblerait compatible avec le RGPD. De même, l'extraction de cinquante chantiers des professionnels les plus importants constituerait une base.
Une autre solution consisterait à assurer un même niveau de contrôle pour les CEE et une communication des résultats.
M. Teddy Puaud. - À mon sens, les délégataires et les obligés se voient confier des contrôles qui ne relèvent pas vraiment de leur ADN. En effet, il appartient aux organismes de qualification de s'assurer que l'entreprise dispose des moyens nécessaires et réalise correctement ses chantiers.
L'accès à la base de données des clients finaux nous permettrait d'assurer les contrôles aujourd'hui réalisés par des organismes tiers. Ces contrôles seraient certes sous-traités. Néanmoins, à la différence des obligés et les délégataires, nos organismes de qualification disposent de capacités de sanction à l'encontre d'éco-délinquants. Or, aujourd'hui, nous manquons d'informations sur le mauvais comportement d'un professionnel.
Une simplification des démarches serait intéressante : l'entreprise n'aurait qu'un seul interlocuteur, la coordination des contrôles permettrait de corriger les écarts et les capacités de sanction seraient accrues. Une redistribution des rôles fluidifierait le dispositif et améliorerait la qualité des audits comme les suites en cas de malfaçon.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je vous remercie de ces échanges très intéressants. N'hésitez pas à communiquer d'éventuels éléments complémentaires en réponse au questionnaire que vous avez reçu.
Audition de
M. Antoine Pellion,
secrétaire général à la
planification écologique
(Jeudi 4 mai 2023)
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous poursuivons nos travaux avec l'audition d'Antoine Pellion, secrétaire général à la planification écologique (SGPE). Monsieur le Secrétaire général, vous occupez ce poste depuis sa création, le 7 juillet 2022. Auparavant, vous étiez déjà en charge des questions d'énergie et d'environnement auprès du Premier ministre, et vous étiez conseiller environnement, énergie et transport à l'Élysée de 2017 à 2019. Enfin, vous êtes ingénieur du corps des mines.
La création du SGPE prend son origine dans l'une des annonces de campagne du candidat Emmanuel Macron de renforcer la planification écologique, afin notamment d'atteindre les objectifs de gains énergétiques et de réduction des gaz à effet de serre. Ses attributions, décrites dans le décret du 7 juillet 2022, comprennent notamment la coordination de l'élaboration des stratégies nationales en matière de climat, d'énergie, de biodiversité et d'économie circulaire, en s'assurant du respect des engagements européens et internationaux de la France ; le contrôle de la cohérence de l'ensemble des politiques publiques avec les stratégies mentionnées et enfin le contrôle attentif de la mise en oeuvre de ces stratégies par l'ensemble des ministères concernés et à leur déclinaison en plans d'action.
Toutefois, le SGPE n'est pas la seule instance de coordination et planification en matière d'écologie. Il existe également un Haut-Commissariat au plan, et un commissariat général au développement durable. Pour le sujet qui nous intéresse, il y a également un coordinateur interministériel du plan de rénovation énergétique des bâtiments, Simon Huffeteau, que nous avons auditionné dans le cadre de cette commission d'enquête. La répartition des missions et des attributions entre ces différentes fonctions peut donc être difficile à démêler. Ma première question porte donc sur vos attributions. Quel est le rôle exact du SGPE en matière de coordination et de planification de la politique de rénovation énergétique des bâtiments ? Comment vous répartissez-vous les missions avec le coordinateur interministériel du plan de rénovation énergétique des bâtiments ? Avez-vous des instances de concertation ?
Sur le fonds, votre fonction présente une dimension stratégique dans le contexte de l'élaboration de la prochaine programmation pluriannuelle de l'énergie. Un document du SGPE, publié dans la presse, indique que l'atteinte des objectifs européens d'émission de gaz à effet de serre en 2030, c'est-à-dire une diminution de 55 % des émissions par rapport à 1990, supposerait un effort cumulé de 190 millions de tonnes de CO2 à cet horizon. Le secteur du logement résidentiel devrait diminuer ses émissions de 27 millions de tonnes de CO2, dont 17 millions par le remplacement des chaudières fioul et gaz, et 10 millions par la rénovation et la sobriété résidentielle. Pouvez-vous détailler comment ces chiffres ont été déterminés, et quelles sont leurs implications sur la politique de rénovation énergétique des logements ?
À l'heure actuelle, les politiques de rénovation énergétique ont surtout connu un succès pour le premier aspect, le remplacement des chaudières. Le dispositif de base de MaPrimeRénov', qui représente près de 2,5 milliards d'euros en 2023, finance en grande majorité des changements de systèmes de chauffage. Or, l'installation d'une pompe à chaleur, sans avoir réalisé les travaux d'isolation nécessaires, peut avoir des effets contreproductifs en termes de gains énergétiques. Dès lors, estimez-vous que l'équilibre entre les mesures visant au changement de systèmes de chauffage et celles privilégiant l'isolation des bâtiments est satisfaisant ? Comment peut-on l'améliorer ?
Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions et pour un propos introductif d'une quinzaine de minutes, il me renvient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié. Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Antoine Pellion prête serment.
M. Antoine Pellion, secrétaire général à la planification écologique. - Merci pour cette audition que je trouve importante car le sujet de la rénovation des bâtiments est très structurant pour notre politique de réduction de nos émissions de gaz à effet de serre.
Je vous propose d'abord quelques mots de présentation sur la planification écologique ainsi que sur les actions menées par le secrétariat général. Le terme « planification écologique » englobe plusieurs sujets comme la réduction des émissions de gaz à effet de serre, l'adaptation au changement climatique, la protection de la biodiversité, l'économie circulaire et les problématiques liées aux ressources stratégiques comme le lithium, le cuivre, et d'autres matériaux essentiels pour notre souveraineté. Il intègre également les préoccupations de santé et d'environnement comme la pollution atmosphérique. La prise en compte de ces cinq enjeux nécessite de notre part une vision transversale de nombreuses politiques publiques portant sur le logement, le transport, l'industrie, l'agriculture et la production d'énergie. Notre équipe, actuellement composée de 15 personnes, travaille sur ces questions et nous renforçons nos effectifs avec l'ouverture de 10 postes supplémentaires.
Dans un premier temps, nous avons principalement concentré nos travaux sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre et la gestion durable des ressources, comme l'eau. Nous y avons consacré un travail important au cours des premiers mois de l'année pour préparer les annonces du Président de la République sur la gestion de l'eau. En matière de gaz à effet de serre, je vous transmettrai le document qui avait fuité dans la presse pour vous procurer les chiffres précis ; notre démarche part de notre engagement européen et français de réduction de nos émissions de gaz à effet de serre de 55 % net - c'est-à-dire en soustrayant les puits de carbone - d'ici 2030 et nous cherchons à définir les actions concrètes et les leviers à mobiliser pour atteindre cet objectif. Par rapport à la situation actuelle - l'année dernière, la France a émis 408 millions de tonnes de CO2 - nous devons baisser de 50 % les émissions brutes et simultanément accroitre les puits de carbone comme les sols ou les forêts pour atteindre le chiffre de 55 %.
Nous avons donc un effort important à faire pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre : vous avez cité le chiffre de 190 millions de tonnes qui cumule les baisses d'émissions et les augmentations du puits de carbone ; la marche à franchir d'ici 2030 est très importante dans tous les secteurs. Le rôle du secrétariat général est ici de mettre en cohérence les prévisions dans chaque secteur et de vérifier que les actions engagées sont à la hauteur des objectifs de réduction de 50 % des émissions brutes d'ici 2030. Chacun doit faire sa part en termes de « bouclage physique », de matériaux, d'électricité ou de biomasse disponibles, d'utilisation des sols, etc., et il faut que les actions proposées dans chacun de ces segments soient cohérentes et adaptées aux moyens disponibles.
La politique de rénovation énergétique des bâtiments est l'un des aspects de cette stratégie mais, dans mon équipe, je n'ai pas une personne dédiée uniquement à ce secteur car le découpage des responsabilités est un peu plus large. L'articulation avec le délégué interministériel à la rénovation énergétique se fait assez naturellement : nous vérifions que la rénovation énergétique des bâtiments fait bien sa part dans la répartition de l'effort entre chaque secteur. Nous sommes garants de l'ensemble des politiques proposées en matière de rénovation énergétique et nous nous assurons de leur efficacité, par exemple en matière de changement de vecteur de chauffage, tout en vérifiant si elles sont suffisantes au regard de nos ambitions. En revanche, nous ne gérons pas opérationnellement la coordination quotidienne des équipes ministérielles, car cela relève du rôle du délégué interministériel. Notre rôle consiste à vérifier que cette coordination est bien réalisée et que tous les ingrédients nécessaires sont présents et cohérents afin de sécuriser notre trajectoire de réduction globale des émissions.
Lorsque nous répartissons notre objectif global de réduction de 50 % des émissions, nous constatons que les défis à relever sont importants pour chaque secteur et nous aboutissons à une cible de diminution d'au moins 60 % dans le bâtiment, ce qui correspond au gain de 27 millions de tonnes de CO2 assigné au logement. Je précise que le secteur du bâtiment recouvre deux tiers de logements et un tiers de bâti tertiaire, le secteur tertiaire relevant pour moitié du privé et pour moitié du public. Il est politiquement important de noter que l'effort de rénovation et de décarbonation des bâtiments doit avoir la même intensité pour l'ensemble des secteurs, aussi bien pour le tertiaire que pour le logement. En effet, il ne s'agit pas de faire porter tout l'effort de la rénovation sur le logement et le secteur tertiaire doit donc contribuer de manière équivalente, voire légèrement supérieure, à ce que nous demandons aux ménages.
En ce qui concerne les leviers d'action, la répartition qui a été mentionnée dans la presse distingue un peu trop artificiellement la contribution spécifique de tel ou tel élément comme les chaudières au fioul ou le gaz dans la rénovation. En réalité, dans un logement donné, le remplacement d'une chaudière s'accompagne souvent de gestes de rénovation. En revanche, il est assez clair qu'un effort important sera déployé pour éliminer l'utilisation du fioul comme vecteur de chauffage. Or on a encore un assez grand nombre de chaudières au fioul, à la fois dans le tertiaire et dans le logement. Le précédent gouvernement a interdit l'installation des nouvelles chaudières au fioul et cela conduit à un rythme d'attrition régulier des chaudières, mais ce rythme ne concerne que le renouvellement et laisserait subsister de nombreuses chaudières fioul dans le parc en 2030. Nous recherchons donc les moyens d'accélérer ce mouvement car notre objectif est de remplacer, d'ici 2030, 75 % des chaudières fioul actuellement en fonctionnement, ce qui correspond à une réduction de 9 millions de tonnes de CO2 par an.
Les autres émissions sont principalement liées au gaz naturel, ce qui impose un travail d'efficacité énergétique pour le remplacer ainsi que des efforts de substitution avec des alternatives comme les pompes à chaleur - y compris les pompes à chaleur hybrides qui utilisent une petite quantité de gaz pour fonctionner - ou l'utilisation de la biomasse sous forme de biogaz ou de bois de chauffage. Nous constatons que pour atteindre nos ambitions de réduction des gaz à effet de serre, il faut réduire la consommation de gaz naturel dans le chauffage, ce qui correspond à une diminution de 8 millions de tonnes de CO2 selon nos estimations. De plus, il est essentiel de mener des travaux de rénovation qui ne se limitent pas seulement au remplacement des systèmes de chauffage car, au-delà d'atteindre nos objectifs de réduction des émissions, il nous faut également progresser en souveraineté énergétique en veillant à diminuer la consommation d'énergie globale.
Aujourd'hui, on a des rénovations qui sont majoritairement des changements de chauffage ainsi que des gestes simples, et minoritairement des rénovations performantes. Notre philosophie consiste à augmenter significativement ces dernières et un simple changement de chaudière accompli dans une passoire énergétique ne doit pas être possible sans l'accompagner systématiquement d'une rénovation. Cependant, nous pensons qu'en termes d'efficacité et de rythme, la rénovation lourde nécessite une accélération significative mais cela ne concernera pas l'intégralité du parc de logements du jour au lendemain, car elle implique des travaux très importants. Par conséquent, pour pouvoir atteindre notre objectif de 2030, il nous semble important, pour les logements qui sont d'ores et déjà raisonnablement isolés, de pouvoir changer plus vite uniquement le chauffage sans réaliser de rénovation plus performante. En cumulant un premier plan d'action qui consiste à changer rapidement les chauffages dans les logements classés de A à D et à effectuer la rénovation la plus performante possible sur le reste du parc, on parviendra à réorienter dans le bon sens l'effort de rénovation de nos logements. Cela suppose de faire évoluer un certain nombre de dispositifs, comme MaPrimeRénov', de monter en puissance sur des outils comme le prêt avance rénovation ou le prêt avance mutation, et d'avoir un accompagnement personnalisé pour un certain nombre de concitoyens avec Mon Accompagnateur Rénov'. Cela suppose aussi d'avoir une filière qui fonctionne et nous examinons l'enjeu majeur que constitue la planification dans ce domaine qui recèle à la fois de bonnes et de mauvaises nouvelles. On a un besoin très important de personnes formées et de salariés dans des métiers qui sont d'ores et déjà en tension. Pour satisfaire les besoins dans le logement et le secteur tertiaire, il nous faudrait former environ 200 000 personnes de plus et c'est un vrai défi. Une réorganisation est très probablement nécessaire pour qu'un certain nombre d'acteurs qui sont très présents uniquement sur la construction neuve puissent progressivement basculer un peu plus sur les activités de rénovation. La bonne nouvelle pour le secteur, c'est une perspective d'augmentation de son chiffre d'affaires compte tenu de l'ampleur de la rénovation.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Merci, monsieur le Secrétaire général pour vos premières explications. Je voulais revenir sur l'objectif de réduction des émissions de carbone qui pourrait être atteint si, dans l'absolu, on remplace par exemple l'ensemble des chaudières fonctionnant avec des énergies fossiles par des pompes à chaleur, en présupposant que l'électricité est une énergie non carbonée. Même si on atteint ce but en termes de CO2, on se heurte à d'autres objectifs en termes de rénovation thermique globale, de confort, de santé et surtout de sobriété, puisque le Président de la République a insisté sur la nécessité de réduire notre consommation de façon globale, quelle que soit l'énergie utilisée. On se pose beaucoup de questions sur la façon de suivre cette trajectoire vertueuse en évitant la dérive qui consisterait à se contenter d'un seul geste comme un changement de chaudière, sachant qu'en l'absence de rénovation globale d'un bâtiment, la nouvelle chaudière ne sera certes plus alimentée en fioul ou en gaz mais nécessitera de développer une puissance bien supérieure aux besoins minorés qui résulteraient d'une isolation efficace. Pouvez-vous préciser comment on peut mener de front ces deux objectifs ? Beaucoup d'intervenants que nous avons auditionnés ont exprimé des doutes sur l'efficacité d'un geste unique et préconisent de privilégier les rénovations globales ; le Haut Conseil pour le climat, France Énergie partagent cette vision et je souhaite recueillir la vôtre. Il est vrai que Julien Denormandie, à l'inverse, a estimé souhaitable de ne pas décourager la rénovation ponctuelle car un geste rénovateur en amène d'autres et peut servir de « porte d'entrée » à la rénovation globale. Il me semble tout de même nécessaire, quel que soit le nombre d'opérations ponctuelles, de réaliser des études complètes pour donner une vision d'ensemble du processus de rénovation et des priorités tout en prévoyant un accompagnement en termes d'ingénierie. Quelle est votre vision sur ce point ?
Ensuite, avez-vous conduit des réflexions sur le confort d'été ? Ce sujet semble avoir été un peu mis de côté - en particulier dans le diagnostic de performance énergétique (DPE) - alors qu'il va devenir de plus en plus problématique : l'enjeu porte sur le confort dans les bâtiments mais aussi sur la sobriété énergétique parce qu'un éventuel recours à la climatisation est énergivore.
Je fais le lien avec les matériaux biosourcés qui peuvent améliorer le confort d'été des bâtiments et avec la problématique de la structuration de notre filière de rénovation. Vous avez évoqué les enjeux « classiques » que sont la formation et l'emploi dans ce secteur ; je trouve également intéressant d'insister sur la dimension territoriale et innovante de la filière avec de nouvelles productions locales de matériaux biosourcés et le nécessaire accompagnement des entreprises ainsi que des artisans pour les utiliser.
Au cours des auditions, plusieurs des intervenants ont souligné le besoin de planification et d'une loi de programmation pour donner plus de visibilité à la rénovation des bâtiments : quel est votre avis sur ce point ?
Enfin, vous avez évoqué le réflexe qui consiste à affirmer qu'il faut arrêter systématiquement le recours au fioul et au gaz pour faire fonctionner les chaudières car ce sont des énergies carbonées. Je mentionne cependant l'existence de spécificités locales avec, par exemple, la méthanisation qui alimente des réseaux de gaz locaux qu'il serait dommage d'abandonner : d'où l'idée de mieux cibler les aides en fonction des spécificités de la production d'énergie dans chaque territoire. Quelle est votre vision à ce sujet ?
M. Antoine Pellion. - S'agissant de votre première question, je vous confirme que nous ne sommes clairement pas sur une stratégie qui serait uniquement limitée aux changements de chaudière pour atteindre nos objectifs. En effet, comme vous l'avez indiqué, le sujet de la sobriété comportementale est important en tant que première étape. Globalement, le calcul des effets induits par un simple remplacement des chaudières montre l'insuffisance de ce seul procédé pour atteindre nos objectifs de réduction de la consommation d'électricité. De plus, dans le cadre d'une utilisation raisonnée de la biomasse, on n'a pas suffisamment de ressources en bois ou en biogaz et, en termes d'électricité, on peut avoir des difficultés pour gérer les pics de consommation. Il est donc impératif de combiner la rénovation globale et le changement de vecteurs de chauffage : cela ne fait aucun doute pour nous.
En ce qui concerne la méthode, nous sommes totalement alignés sur la nécessité de privilégier les rénovations performantes mais notre approche est réaliste : ces rénovations lourdes sont surtout envisageables à certains moments de la vie des bâtiments, comme la cession ou le réaménagement car ces opérations sont compliquées à réaliser quand les personnes vivent dans les logements. Lorsque l'on fait des projections sur les conséquences de cette analyse, on voit que nous sommes bien en deçà de ce que nous devrions faire en termes de rénovation performante. Par conséquent, les efforts principaux que nous allons engager pour faire monter en puissance les rénovations performantes consistent à augmenter l'accompagnement individuel pour privilégier ces dernières et à augmenter un certain nombre d'aides comme MaPrimeRénov' ainsi que le prêt à taux zéro pour pouvoir les financer. Cependant, notre analyse montre que même en poussant ces curseurs au maximum, cela sera insuffisant pour atteindre l'ampleur de la baisse d'émissions de gaz à effet de serre requis à l'horizon 2030. D'où l'idée de favoriser les actions complémentaires : il s'agit là de changer les chaudières - ce qui peut s'accompagner d'un ou deux gestes complémentaires - en ciblant les logements qui sont déjà les plus performants. Tel était le sens de mon propos introductif : un logement qui a une étiquette A,B,C ou D peut certes être amélioré dans sa performance globale mais s'il ne relève pas de la catégorie des passoires énergétiques, il est raisonnable, à ce stade, pour ceux qui se chauffent au gaz naturel ou même au fioul, de ne pas hésiter à changer de chaudière pour réduire rapidement les émissions de gaz à effet de serre. Il faut ainsi cumuler ces deux approches pour parvenir à des résultats et MaPrimeRénov' est un bon outil car elle permet de financer les deux types de travaux. Toutefois, il est important de noter que MaPrimeRénov'est un guichet ouvert et il faut donc aller à la rencontre des propriétaires de logements énergivores pour les engager dans un parcours de rénovation : il convient de leur proposer, dès le début, une rénovation performante et d'envisager des travaux sur plusieurs années. C'est la stratégie que nous essayons de déployer et qui nous amènera à proposer des évolutions dans les semaines ou les mois à venir pour intensifier les rénovations performantes.
S'agissant du confort d'été, je suis tout à fait d'accord avec vous sur le fait que c'est un élément important, surtout dans le contexte du changement climatique qui s'accompagne de températures de plus en plus élevées et d'épisodes de sécheresse. Dans les constructions neuves, cette problématique est déjà bien intégrée, notamment à travers la réglementation environnementale RE2020 ; il faut également incorporer ce volet « confort d'été » dans les diagnostics des logements, dans la notion de rénovation performante et dans les parcours de travaux.
En ce qui concerne les filières et les matériaux, je partage totalement vos propos sur la nécessité de développer les produits biosourcés et la construction en bois. Cela renvoie à la mobilisation de notre biomasse à travers des filières agricoles pour un certain nombre de produits - chanvre et produits isolants, par exemple - ou forestières en perfectionnant l'intégration de notre filière bois, dans laquelle nos scieries ont un rôle important à jouer, pour augmenter l'incorporation de ce matériau dans notre construction. Nous menons cette réflexion en lien avec la thématique forestière et, dans ce domaine, on a clairement des marges d'amélioration compte tenu de notre assez faible taux de recours aux matériaux biosourcés qui permettent d'ailleurs d'améliorer le stockage du carbone.
Je fais observer que notre discussion porte ici sur des transformations très profondes, à la fois en termes de travaux chez nos concitoyens, de filières économiques qui montent en puissance, donc la notion de programmation est indispensable à trois points de vue. Elle doit d'abord donner de la visibilité quantitative sur le nombre de rénovations et les moyens à mobiliser pour que les acteurs puissent s'organiser. Ensuite, la programmation nécessite un volume très important d'investissements publics et privés. Cette programmation concerne enfin les matériaux biosourcés et les filières industrielles comme celle des pompes à chaleur qu'il faut développer car aujourd'hui on a des acteurs en France qui les assemblent - plus qu'ils ne les construisent - à partir de composants dont beaucoup sont fabriqués en Chine. Nous avons à coeur, dans cette programmation, de donner des signaux clairs aux acteurs industriels qui produisent les chaudières tout en leur laissant le temps nécessaire pour monter en puissance : il convient, en effet, d'éviter que l'effet immédiat de notre politique ne se limite pas à un afflux de chaudières produites dans des pays asiatiques. Voilà donc les contraintes que nous prenons simultanément en compte pour renforcer l'efficacité de la transition énergétique.
Faut-il, comme vous en évoquez l'hypothèse, une loi de programmation ou un autre vecteur pour la rendre plus visible ? Je ne suis pas en mesure de vous répondre précisément sur ce point mais il est certain qu'il faut que cette programmation soit explicite, discutée et partagée.
Sur la question du gaz et du fioul, je vous rejoins totalement sur la nécessité de prendre en compte de nombreux cas particuliers. Je rappelle que le principe de l'interdiction d'installation de nouvelles chaudières au fioul a été posé par un texte qui prévoit des dérogations très ciblées, par exemple dans des zones non raccordées au gaz et à l'extrémité d'un réseau électrique sur lequel on a des problèmes de puissance et donc pas vraiment d'alternative. Il faut donc persévérer dans cette approche très pragmatique : dans 95 % des cas, il est possible d'écarter les énergies fossiles mais il faut tenir compte des situations particulières et ne pas placer nos concitoyens dans une impasse.
Par ailleurs, la production de biogaz repose sur notre capacité à mobiliser de la biomasse. Or quand on additionne tous les besoins en bioénergie de l'industrie, du transport et de chauffage, on constate l'insuffisance de la disponibilité en biomasse pour remplacer en grande partie les énergies fossiles et pouvoir décarboner massivement notre économie. Nous ne souhaitons pas - et c'est aussi une des missions de la planification - remplacer la dépendance aux énergies fossiles importées par une dépendance vis-à-vis de la biomasse que l'on importerait également. Cela nous renvoie à nouveau sur la capacité d'organisation de notre gestion forestière, de nos terres agricoles et aussi de récupération de déchets de biomasse pour alimenter nos moyens de production. Je rappelle que la biomasse fait l'objet d'utilisations concurrentes par les secteurs de l'énergie, de la construction et de l'alimentation, entre autres. Il faut réconcilier ces usages dans un écosystème global où le choc climatique va globalement réduire les rendements de notre production de matières agricoles et de bois. Je signale par exemple que la forêt, depuis 10 ans, pousse beaucoup moins vite qu'avant et subit une mortalité bien supérieure si bien qu'on enregistre deux fois moins de production de bois en 2020 qu'en 2010 -je parle ici de la croissance naturelle des arbres en soustrayant la mortalité des peuplements forestiers. Cet exemple illustre la nécessité d'une grande vigilance sur les usages de la biomasse et des bioénergies. La France ne produisant pas aujourd'hui suffisamment de biomasse pour satisfaire l'ensemble des usages, il va donc falloir prioriser un certain nombre d'entre eux où on n'a pas de possibilités de substitution : il en va ainsi pour certaines industries qui ne peuvent pas se passer de gaz, ce qui oblige à recourir au biogaz. Il en va de même pour certains déplacements ou secteurs économiques dans les territoires insulaires. On ne peut pas donc affirmer que dans les territoires qui disposent de biogaz, la bonne solution est de l'injecter dans le réseau et de l'utiliser pour le chauffage ou pour la cuisson : une partie du biogaz sera utilisée de cette façon mais on ne peut pas massivement verdir le réseau de gaz.
M. Laurent Burgoa. - N'y a-t-il pas, à votre avis, trop de normes et de labels en matière de rénovation énergétique ; cela pourrait-il nuire à l'efficience des politiques publiques dans ce domaine ?
M. Antoine Pellion. - Effectivement, la question se pose, mais je pense qu'en matière de rénovation nous n'avons pas un nombre excessif de labels ou de normes. En réalité il faut distinguer plusieurs sujets. S'agissant des constructions neuves, l'encadrement est très strict et on rencontre des difficultés pour mettre en oeuvre cette réglementation, en particulier pour pouvoir, dans une période d'inflation sur les matériaux de construction, maîtriser les coûts : nous regardons ce point avec attention.
Au contraire, la rénovation est soumise à beaucoup moins de normes et je pense qu'on a besoin de plus d'encadrement dans ce secteur. C'est d'ailleurs l'un des problèmes que nous rencontrons aujourd'hui : comment peut-on garantir aux particuliers qui font appel à des artisans que la qualité des travaux sera suffisante en termes d'efficacité énergétique ? Une partie de la difficulté de la montée en puissance de la rénovation est liée à cette incertitude, car, à travers notre excellent tissu artisanal, il est difficile de repérer certaines contre-performances importantes. De plus, il est difficile de mesurer immédiatement l'efficacité de ces travaux et nous devons progresser sur ce point. Je ne suis pas sûr que cela passe par plus de normes et de réglementation : il faut plutôt une exigence de qualité plus forte sur les labels existants, comme le label reconnu garant de l'environnement (RGE). Il est également nécessaire de mieux former les 200 000 nouvelles personnes qui doivent arriver dans le secteur de la rénovation pour atteindre nos objectifs. En outre, il est important de mieux matérialiser le lien entre la mesure de nos consommations d'énergie dans le logement - facilitée par les compteurs qui ont été déployés - et les travaux qui ont été réalisés pour en évaluer l'efficacité.
Le secteur de la rénovation n'est donc pas bloqué par un excès de normes, contrairement au secteur du neuf qui est beaucoup plus encadré. Nous avons pris globalement un bon départ et les acteurs de la rénovation sont plutôt à l'aise avec les évolutions de la réglementation qui ont été retravaillées. Cependant, il faut arriver à progresser en qualité sur la rénovation.
M. Franck Montaugé. - J'aurais voulu savoir, parce que je ne l'ai pas trouvé sur le site internet du Gouvernement, comment s'organise le « management » de l'action au niveau de votre secrétariat général, sachant que vous n'avez, en propre, la main sur aucun secteur et que vous vous appuyez sur l'ensemble des ministères qui déclinent la politique générale. Avez-vous, par thématique ou par chantier, des objectifs planifiés dans le temps et, si oui, peut-on en avoir connaissance car cela nous permettrait d'y voir plus clair sur l'avancée et l'efficacité des politiques publiques qui sont menées dans les différents secteurs.
En complément de cette question globale, je souhaite vous interroger sur l'accès aux moyens de financement dans le domaine de la rénovation énergétique de l'habitat et du logement. J'ai lu que vous aviez entrepris des travaux sur ce sujet : où en êtes-vous ?
Un peu en marge de la principale cible de cette commission d'enquête, je m'interroge également sur les sols, qui ont cependant un rapport avec l'habitat. Je pense au zéro artificialisation net (ZAN) ou à l'agriculture : quel est votre regard dans ce domaine ?
M. Antoine Pellion. - Tout d'abord, le secrétariat général à la planification écologique est placé aux côtés de la Première ministre et je dispose pour ma part d'une double casquette en tant que secrétaire général et membre du cabinet de la Première ministre. Nous avons un rôle d'ensemblier et d'aiguillon, c'est-à-dire que nous ne remplaçons pas les ministères, mais nous nous assurons que les leviers concrets d'action et le calendrier qu'ils proposent sont en adéquation avec nos objectifs et suffisamment crédibles. Nous avions par exemple constaté que les équipes chargées de préparer la stratégie nationale bas-carbone avaient parfois retenu des paramètres très optimistes en matière de déplacements alors que la direction qui était en charge des mobilités n'avait pas du tout les mêmes hypothèses : notre rôle consiste à remédier à ces incohérences. Nous devons nous assurer que ces politiques s'inscrivent dans les limites physiques réalistes - en termes d'électricité ou de biomasse et de financement global. Nous devons également tenir compte des contraintes en emplois, en compétences ou en formation et sommes donc les agrégateurs des productions des ministères. Nous ne nous substituons absolument pas à ces derniers mais nous vérifions que le bouclage final est adéquat. Tel est notre mode d'action et nous utilisons les outils classiques de gestion interministérielle, c'est-à-dire des réunions avec les services ou les cabinets ministériels. S'y ajoutent les réunions avec les ministres concernés, autour de la Première ministre, pour prendre des décisions politiques qui, comme l'avait annoncé le Président de la République en juin dernier, serviront à présenter concrètement nos leviers d'action pour atteindre notre trajectoire de baisse de 50 % des émissions de CO2 d'ici 2030.
M. Franck Montaugé. - En tant que législateur, nous souhaitons savoir où en est l'action publique au regard des objectifs qui sont définis. Notre mission est d'en évaluer l'efficacité, secteur par secteur, domaine par domaine, en lien avec le sujet de notre commission d'enquête. Ma question est de savoir si le processus que vous exposez est clairement rendu public : les données sont-elles publiées et portées à la connaissance du public ? Pouvons-nous, en tant que législateur, y accéder pour pouvoir faire notre travail ? Il ne s'agit pas de critiquer le système mais de savoir où nous en sommes. Ma question est donc très concrète : je suppose que vous effectuez ce que les entreprises appellent des revues de processus et que vous avez un système de management qui vous permet de mener les actions que vous nous décrivez. Peut-on avoir accès aux résultats et à l'avancement de celles-ci ?
M. Antoine Pellion. - Les travaux que nous avons réalisés sont assez récents et se concentrent principalement sur la façon de documenter les nouvelles mesures pour pouvoir faire de la prospective, en partant de la situation actuelle, pour atteindre les objectifs carbone fixés pour 2030. Nous disposons d'un certain nombre de documents de travail qui comportent encore beaucoup d'incertitudes liées aux différentes options envisagées. Dans le cadre de la commission d'enquête, nous pouvons vous transmettre certains de ces éléments encore confidentiels. Conformément à leur statut, ces documents de travail contenant plusieurs hypothèses ne sont pas encore diffusés : une fois finalisés, nous prévoyons de les rendre publics d'ici le mois de juin. Je précise que ces documents concernent principalement la façon dont nous envisageons d'évoluer entre 2023 et 2030 pour atteindre nos objectifs, plutôt qu'une analyse historique des politiques antérieures. Le coeur de notre démarche, c'est notre action transformatrice.
Il est également nécessaire de financer la rénovation des bâtiments et je diviserai cette problématique en plusieurs segments. Dans le secteur tertiaire privé, nous considérons que l'investissement privé doit couvrir intégralement la rénovation énergétique et le décret tertiaire fixe des obligations de réduction de la consommation ainsi que des émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030. Dans le secteur tertiaire public - qui représente 50 % des coûts de rénovation énergétique - nous travaillons activement sur la façon dont l'État peut rénover ses propres bâtiments, ce qui nécessite une trajectoire d'investissement et une amplification des actions conduites dans le cadre du plan de relance. En ce qui concerne le secteur tertiaire des collectivités, j'indique que le ministre Christophe Béchu va présenter le 9 mai prochain un plan d'accélération de la rénovation du bâti scolaire en collaboration avec les collectivités concernées et en mobilisant les financements de la Caisse des dépôts ainsi qu'un accompagnement de l'État. Sur la partie logement du parc relevant des collectivités, on doit combiner les aides et aménager des extensions aux outils classiques : l'accompagnement des ménages à travers MaprimeRénov' mérite à mon sens un soutien plus important, en particulier pour les déciles de revenus les plus bas afin de ne laisser personne dans l'impasse. On dispose également d'un complément de financement en certificats d'économies d'énergie (CEE) qu'il faudra mobiliser plus intensément. Subsiste enfin la question du reste à charge, et je souligne ici le rôle des prêts avance mutation (PAM) et avance rénovation (PAR) qui permettent de ne rembourser, dans un premier temps, que le capital de façon à dégager des marges de financement pour les travaux. Pour l'instant, ces prêts sont d'ampleur trop limitée car on les a trop fortement conditionnés pour bénéficier aux revenus les plus faibles : il faut élargir le dispositif pour le déployer plus massivement. Enfin, un certain nombre de ménages peuvent supporter le reste à charge, notamment en l'adossant à des économies de factures énergétiques. J'observe, dans le secteur financier, une conjonction assez intéressante : les banques, soumises à des obligations de faire figurer des proportions d'investissements verts toujours plus importantes dans leurs bilans, pourraient trouver dans la rénovation énergétique des projets à financer leur permettant de satisfaire ces exigences. Cette possibilité se heurte pour l'instant à une difficulté : au titre de la réglementation bancaire, il faut documenter extrêmement finement ce qui a été réalisé pour réduire les émissions. Or, les banques, au titre des crédits immobiliers ou finançant des travaux, ne parviennent pas à collecter des informations et des évaluations suffisamment précises des réductions d'émissions liées aux prêts qu'elles ont consentis pour pouvoir les classer dans la part verte prévue par la réglementation. Si on arrive à déverrouiller ce mécanisme - en recueillant les données à partir des compteurs et en les agrégeant - on donnera probablement l'opportunité aux banques de financer plus massivement les travaux de rénovation.
Enfin, la question des sols - sans ouvrir le débat sur le ZAN - porte essentiellement sur les constructions neuves. Du strict point de vue de l'occupation des sols, la rénovation énergétique est très pertinente et nous sommes favorables à son développement massif car elle permet de refaire « la ville sur la ville » en rénovant les logements dans des zones qui sont déjà artificialisées. La construction neuve, en revanche, va artificialiser les sols mais notre conviction est que les collectivités avaient d'ores et déjà engagé une trajectoire de baisse de l'artificialisation des territoires. Quand on additionne les constructions neuves, la réindustrialisation, le développement du photovoltaïque, l'extension de la forêt et le maintien de la surface agricole utile, j'estime que la bonne nouvelle est qu'on pourra concilier ces divers usages du sol au regard des surfaces globales. Toute la difficulté réside dans la bonne répartition géographique et la gestion locale du coût de ces enjeux avec des questions extrêmement complexes, territoire par territoire, pour opérer les bons ajustements. Ce n'est pas à l'État central de gérer cette problématique : l'intervention des communes et de leurs établissements publics est ici absolument indispensable.
M. Franck Montaugé. - Merci pour vos réponses. Je reviens tout de même sur le ZAN et ses conséquences sur le logement et l'habitat. La question qui va se poser très vite est celle de l'accompagnement des collectivités et des particuliers pour la réutilisation de logements parfois très anciens et inoccupés depuis très longtemps. Il faut en effet, malgré les contraintes du ZAN, poursuivre l'accueil des populations, surtout dans les zones rurales et les coeurs de village. Examinez-vous ce sujet - qui est lié à celui de la finance verte - dans votre rôle d'agrégateur des politiques publiques menées par les ministères concernés ?
M. Antoine Pellion. - Notre approche part du principe qu'il faut satisfaire la demande de logements en activant différents leviers comme le réaménagement de bâtiments existants ou la réduction de la vacance. Au-delà de cette vision macro-nationale, les difficultés réelles se situent dans l'offre de logements en zone tendue : on rentre ici dans une dimension territoriale où les compétences sont entre les mains des collectivités locales avec un sujet de court terme d'offre disponible et des enjeux de long terme d'aménagement, d'urbanisme, de développement du territoire et de densification des villes moyennes. Il s'agit non seulement d'aménagement du territoire mais aussi de répondre aux problématiques environnementales de qualité de vie et de mobilité. Ce sont des actions à long terme pour lesquels des programmes comme Action coeur de ville ont été lancés de façon à préparer le futur, mais leurs effets tangibles en volume ne se manifesteront qu'après 2030.
Mme Daphné Ract-Madoux. - Je rappelle que la planification peut se révéler antinomique avec l'efficacité de la mise en oeuvre sur le terrain. Comment travaillez-vous pour essayer, au plus près des territoires, de proposer des mesures réalistes et opérationnelles ?
S'agissant du financement, je souligne que les travaux de rénovation, s'amortissent sur des durées en général plus longues que la moyenne du « turnover » de cessions de logements. Quels outils vous paraissent pouvoir répondre à cette difficulté ? Je mentionne ici le bail réel solidaire (BRS) qui pourrait favoriser une transmission de la charge de la dette, en particulier pour les copropriétés.
Je souhaite également vous interroger sur le réemploi et la déconstruction des bâtiments qui soulèvent des difficultés assurantielles et de certification qu'il conviendrait de débloquer.
Enfin, je rappelle que les Agences locales de l'énergie et du climat (Alec), au nombre de 40 en France, sont des structures extrêmement performantes pour objectiver les diagnostics de performance énergétique, ce qui est extrêmement utile pour les particuliers ou les copropriétés : comment relier leur action à celles des Accompagnateurs Rénov' pour renforcer le pragmatisme des démarches ?
M. Antoine Pellion. - Je précise tout d'abord avec beaucoup d'humilité que notre travail de planification a consisté, dans une première étape, à améliorer la cohérence d'ensemble des multiples briques dont on disposait pour en améliorer la crédibilité, clarifier la trajectoire d'ensemble et la mettre en regard des ressources en emplois ou en financements.
Cette démarche doit être assortie de deux importants caveat. La première réserve est que nous ne sommes pas en train de prescrire à tous une façon de faire uniforme : nous essayons d'identifier un chemin possible et chacun - entreprises, collectivités et ménages - doit pouvoir participer, selon ses compétences, à la mise en oeuvre de ce schéma illustratif. Nous abordons une deuxième phase et avons pour l'instant plutôt dialogué avec des associations d'élus locaux pour commencer à les intégrer dans cette démarche, sachant que certains territoires ne nous ont pas attendus pour commencer à travailler sur le sujet. Le secrétariat général s'efforce ainsi de nouer des échanges avec les collectivités sur la base des travaux qu'elles ont déjà engagés pour identifier les leviers les plus efficaces en matière de baisse de gaz à effet de serre et nous arriverons certainement à la conclusion qu'il faut différencier la vision nationale en indiquant que tel ou tel territoire devra consentir des efforts plus importants en matière de transport ou de logement. Cette discussion est encore largement devant nous et le même type de concertation est nécessaire avec les filières industrielles et économiques. Ce dialogue a commencé dans le cadre de l'article 301 de la loi Climat et résilience que vous avez votée et qui prévoit des contrats de filières industrielles : les opérateurs ont commencé à travailler sur ce sujet et nous intégrons leurs propositions - sans être toujours d'accord celles-ci. Au-delà des filières, l'engagement individuel de chaque entreprise est indispensable.
S'agissant du financement de la rénovation, je crois beaucoup aux dispositifs de prêts avance rénovation ou mutation qui permettent d'engager des travaux, même si on a prévu de vendre le bien concerné dans les cinq ou six ans, en se limitant à payer les intérêts pendant la période où on l'habite. Au moment de la cession du logement, on rembourse le principal du prêt et, d'une certaine manière, c'est l'acheteur qui reprend l'intégralité des travaux. J'estime que cette solution ne résout pas toutes les difficultés mais qu'elle facilite un certain nombre de rénovations. En copropriété, la situation est un peu différente et on peut avoir recours au dispositif de fonds travaux, rendu obligatoire par la loi Climat et résilience : ce fonds mutualisé est abondé régulièrement et permet de faciliter le déclenchement des travaux ainsi que leur vote en assemblée générale.
Le réemploi des bâtiments et sa dimension assurantielle renvoient à un enjeu plus général d'économie circulaire dans le secteur du BTP et je crois beaucoup dans ce domaine à la mise en place - même si elle rencontre des difficultés - de la filière à Responsabilité élargie des producteurs (REP) permettant un réemploi des matériaux. Je vous avoue ne pas être totalement au clair sur le sujet assuranciel mais je reviendrai vers vous sur ce point.
Mme Daphné Ract-Madoux. - J'illustre ma question avec un exemple : lorsque vous déconstruisez un bâtiment et démontez les fenêtres pour les réutiliser, la garantie décennale n'est pas, sauf exception, opérationnelle et donc on rencontre ici un frein.
M. Antoine Pellion. - Il faudrait effectivement travailler sur ce sujet.
Je termine en évoquant, en trois axes, le tissu d'accompagnateurs pour aider concrètement les ménages dans la rénovation énergétique. Nous avons tout d'abord le réseau des guichets physiques présents sur le territoire et, pour le densifier, nous encourageons beaucoup le développement du réseau France Rénov' qui fusionne les entités préexistantes : notre objectif est qu'on puisse trouver dans chaque Établissement public de coopération intercommunale (EPCI) un point de contact physique globalement, si je devais résumer les choses. Cependant, un tel guichet ne dispose pas toujours de toutes les compétences pour assurer un accompagnement personnalisé de qualité pour réaliser des diagnostics et recommander des travaux. Ce guichet physique doit donc pouvoir aiguiller les personnes vers des accompagnateurs de qualité certifiés. Il faut donc développer simultanément ces deux catégories d'acteurs en progressant en compétences et en volume : nous venons d'ouvrir le guichet de certification des Accompagnateurs Rénov, avec une montée en puissance tout au long de l'année 2023, pour qu'au 1er janvier 2024, on dispose d'un réseau suffisamment dense et opérationnel.
Parallèlement les opérateurs de tiers financement doivent continuer à se déployer car ils offrent un « package » intéressant qui porte à la fois sur la qualité des travaux et des solutions de financement : les volumes traités sont pour l'instant trop limités dans ce secteur.
Mme Christine Lavarde. - Je souhaite vous interroger sur un sujet connexe à celui des assurances. L'ordonnance très récemment publiée sur le risque de retrait-gonflement des argiles pourrait aboutir à injecter un montant considérable de fonds publics dans des passoires thermiques avec une obligation d'utilisation par les sinistrés des indemnités pour réparer les dommages. Il pourrait être beaucoup plus judicieux d'utiliser ces sommes, qui peuvent atteindre 150 000 à 160 000 euros, pour aller se loger ailleurs, ou carrément tout raser et reconstruire des bâtiments à la fois performants d'un point de vue thermique et pour prévenir le retrait gonflement des argiles : or la rédaction du texte interdit ces solutions alternatives. Comment analysez-vous cette situation qui me paraît un peu absurde au plan micro et macro ?
Oui, effectivement, le sujet encore autrement retrait gonflement d'argile a été abordé récemment.
M. Antoine Pellion. - À ma connaissance, les indemnisations prévues sont destinées à la stabilisation des sols, avec par exemple la pose de micropieux. Je suis preneur d'informations sur des cas concrets dans ce domaine mais il me semble que des subventions de l'ordre de 100 000 euros ne permettent pas de se racheter une maison. L'indemnisation n'a donc pas pour cible un changement d'habitation mais la stabilisation du sol : 10 millions d'habitations sont potentiellement concernées par un risque de retrait-gonflement des argiles que la solution des micropieux permet d'éliminer totalement.
Mme Christine Lavarde. - Mon récent rapport d'information sur le financement du risque de retrait gonflement des argiles et de ses conséquences sur le bâti a recensé plusieurs cas d'indemnisations qui étaient supérieures à celui du coût de construction d'une maison, selon les données récentes.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Monsieur le Secrétaire général, je vous remercie pour cette audition.
Table ronde sur
la construction immobilière
(Mardi 9 mai 2023)
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux avec une table ronde sur la construction.
La fédération française du bâtiment (FFB) est représentée par son vice-président M. Franck Perraud, également président du conseil des professions de la FFB, accompagné par M. Éric Durand, directeur des affaires techniques. Constituée de fédérations territoriales et de chambres syndicales, la FFB défend ses 50 000 entreprises adhérentes - dont 70 % d'entreprises artisanales -, qui représentent les deux tiers de la production annuelle du secteur.
La confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb) est représentée par M. Jean-Christophe Repon, son président, et M. Henry Halna du Fretay, secrétaire général. La Capeb est une organisation patronale représentant l'ensemble du secteur du bâtiment, mais qui défend particulièrement les intérêts des très petites entreprises (TPE) et des petites et moyennes entreprises (PME). Elle fait partie des quatre confédérations composant l'Union des entreprises de proximité (U2P).
Le Conseil supérieur de la construction et de l'efficacité énergétique (CSCEE) est représenté par son président, M. Christophe Caresche. Créé en 2015, le CSCEE est placé sous l'autorité du ministre de la ville et du logement. Il a pour mission de conseiller les pouvoirs publics dans la définition, la mise en oeuvre et l'évaluation des politiques publiques relatives à la construction et dans l'adaptation des règles relatives à la construction aux objectifs de développement durable.
Messieurs, dans vos fonctions respectives, vous intervenez aussi bien sur des sujets concernant des constructions neuves que des interventions de rénovation énergétique. Bien que la construction neuve ne soit pas dans le champ de notre commission d'enquête, elle joue un rôle très important à long terme dans la performance énergétique globale des bâtiments et dans l'atteinte des objectifs de neutralité en 2050. Par ailleurs, que ce soit en termes de technologies, de matériaux, de filières, de formations et d'entreprises, les deux sujets sont intimement liés. Beaucoup d'entreprises font les deux.
Pour répondre au besoin de logement, la construction neuve conserve toute sa place à côté de la rénovation. À ce titre, il nous serait utile d'avoir votre retour d'expérience sur la mise en oeuvre progressive de la réglementation environnementale 2020 (RE2020) et votre position sur les discussions en cours à Bruxelles sur la future directive sur la performance énergétique des bâtiments.
Concernant la rénovation énergétique, qui est notre coeur de sujet, nous aimerions connaître votre position sur les dispositifs d'incitation mis en place par la puissance publique - MaPrimeRénov' et les certificats d'économies d'énergie (CEE) - et d'accompagnement - France Rénov' et Mon Accompagnateur Rénov'. Quel a été l'impact de cette politique, tant en termes d'offre que de demande, sur le secteur du bâtiment ?
Enfin, nous avons conscience que la mise en place d'une nouvelle réglementation et l'atteinte d'objectifs de rénovation globale nécessitent une formation du secteur : quels besoins identifiez-vous ? Comment transformer la contrainte et l'objectif de décarbonation et de sobriété énergétique en opportunité économique et industrielle pour la filière du bâtiment et pour l'emploi ?
Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions, je vous informe que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.
Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Jean-Christophe Repon, Henry Halna du Fretay, Christophe Caresche, Franck Perraud et Éric Durand prêtent serment.
M. Christophe Caresche, président du Conseil supérieur de la construction et de l'efficacité énergétique. - Je dirai quelques mots d'introduction sur l'ensemble du dispositif mis en oeuvre dans le cadre de la transition écologique.
L'activité réglementaire dans le domaine de la construction a été très intense au cours des trois dernières années. Je pense en premier lieu à la réglementation structurante que constitue la RE2020, mais également à la filière à responsabilité élargie des producteurs (REP) déchets dont l'impact sera également très important pour le secteur. Il y a aussi d'autres réglementations, mais ces deux-là sont les plus importantes.
En matière de rénovation énergétique, une architecture a été bâtie avec, au premier plan, le diagnostic de performance énergétique (DPE), mais aussi les accompagnateurs et l'ensemble du dispositif MaPrimeRénov'.
Ce socle réglementaire a été mis en place à la faveur d'une activité réglementaire extrêmement intense : au cours des dernières années, le CSCEE a rendu une trentaine d'avis chaque année ; c'est tout à fait considérable. C'est aussi paradoxal : alors que nous sommes garants de la simplification énergétique, l'activité réglementaire n'a jamais été aussi élevée. Ce socle réglementaire a donc été mis en place dans un temps extrêmement contraint.
Les débats ont été très importants. Je salue à cet égard le travail remarquable réalisé par les fonctionnaires de la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP), même si le CSCEE a émis un certain nombre de réserves sur certains dispositifs.
Le sujet, maintenant, c'est la mise en oeuvre de ce dispositif réglementaire, qui suscite des inquiétudes et des interrogations que les organisations exprimeront beaucoup mieux que moi. Les pouvoirs publics doivent faire en sorte que ce dispositif réglementaire performant soit désormais mis en oeuvre.
M. Franck Perraud, président de la fédération française du bâtiment. - En matière de réglementation de la construction neuve, la RE2020 a constitué un grand changement : pour la première fois, on prend en compte la dimension carbone dans l'acte de construire, alors que jusqu'alors nous n'avions qu'une réglementation thermique. Cette réglementation nouvelle a été assez vite assimilée : les produits biosourcés sont de plus en plus présents. Nous observons une montée en compétences au sein de nos entreprises, sur le suivi, la gestion des interfaces, les nouveaux matériaux, et nous apprenons à travailler ensemble. Cela a constitué la grande révolution sur le neuf.
On ne rappelle pas assez que la RE2020 prévoit une clause de revoyure tous les trois ans, afin d'évaluer notre capacité à atteindre les objectifs, ce qui est très important.
En matière de rénovation énergétique, les mesures que vous avez évoquées - MaPrimeRénov', les CEE, etc. - ont pour objectif de massifier les rénovations, essentiellement en direction des passoires thermiques.
Premier constat : nous sommes au rendez-vous, mais pas à la hauteur, avec environ 70 000 rénovations lourdes, pour un objectif de 700 000.
Deuxième constat : MaPrimeRénov' a été orientée vers les ménages les plus modestes, voire modestes, alors que le crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE) bénéficiait à des foyers aisés via la défiscalisation.
On constate aussi des différences, avec des coups de pouce assez forts sur l'isolation des combles ; le CITE pour les fenêtres ; avant que l'on revienne dessus... Les entreprises du bâtiment ont besoin d'un peu de visibilité sur les aides.
Nos entreprises ont dû suivre des formations pour devenir RGE (reconnu garant de l'environnement), mais je reviendrai plus tard sur la mise en place de ce RGE et son contrôle.
Enfin, nous assistons à l'irruption d'écodélinquants, avec l'arrivée d'acteurs qui ne sont pas des entreprises du bâtiment.
M. Jean-Christophe Repon, président de la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment. - La Capeb représente l'artisanat du bâtiment et ses 62 000 adhérents.
Avec MaPrimeRénov', un signal important a été envoyé aux particuliers. Mais je rejoins la FFB : le CITE permettait d'attirer d'autres ménages dans la démarche, grâce la défiscalisation. L'effet est donc contrasté : avant la hausse des prix de l'énergie, la question des économies d'énergie pures n'avait pas encore été intégrée à la réflexion des ménages.
Tout ce qui est sorti de la RE2020 est plutôt positif, mais elle a plus complexifié que simplifié, en dépit de ses objectifs louables. La décarbonation est également un sujet à traiter. D'importantes strates ont donc été ajoutées et le coût des chantiers a augmenté en conséquence.
Les médias nous parlent de la crise du logement, mais avec la hausse des prix de l'énergie et des matériaux depuis plus d'un an - 26 % d'augmentation pour les matériaux -, la contrainte supplémentaire en matière de transition écologique a fait augmenter la facture globale et a conduit les ménages à revoir leurs investissements. C'est un frein à l'investissement et au crédit.
On ne peut que louer l'effort réalisé par le secteur du bâtiment sur la transition écologique : nous devons y participer, avec de l'innovation et des prises en charge. Mais la facture pour le client final n'a cessé d'augmenter plus depuis deux ans, avec un effet boomerang sur la crise du logement.
MaPrimeRénov' n'est pas encore une réussite. Il faudrait plus de moyens pour la dynamiser et simplifier définitivement le marché afin que les entreprises soient plus nombreuses à entrer dans la démarche.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Merci pour ces premières explications.
La RE2020 est le changement le plus important depuis la réglementation thermique 2012 (RT2012). Elle a modifié la façon d'appréhender la construction, avec les matériaux biosourcés, mais elle est axée sur le neuf, alors que l'objet de notre commission d'enquête porte sur la rénovation.
Comment la RE2020 a-t-elle modifié les pratiques, sur les formations, les matériaux, etc. ? Ces modifications se retrouvent-elles sur les chantiers de rénovation ? Je pense aussi au confort thermique d'été, peu pris en compte dans les analyses, notamment dans le DPE - qui n'en tient presque pas compte -, et les chantiers.
De nouvelles filières se mettent en place. Comment pourrez-vous les intégrer ?
Compte tenu de l'objectif de 700 000 rénovations globales annuelles, comment envisagez-vous d'absorber ce nouveau marché ? Il y a certes la question financière, mais aussi celle de la réalisation technique, avec le sujet de la main-d'oeuvre. Comment les dispositifs vont-ils monter en charge pour absorber ces chantiers ?
Mon Accompagnateur Rénov' en est à ses débuts. Quelle vision en avez-vous ? Comment s'intègre-t-il dans la chaîne ? Son pendant, Mon Accompagnateur Pro, pourrait être une solution envisageable pour assister au mieux les artisans et les petites entreprises.
Enfin, nous nous apercevons au fil des auditions que de nombreuses entreprises - souvent des entreprises compétentes, qui, ayant leur propre réseau, ne voient pas l'intérêt de ce label - se détournent du RGE. Que pensez-vous de cette qualification ? Une formation de départ plus aboutie serait-elle suffisante pour s'y substituer, comme cela se fait à l'étranger ? Comment faire en sorte que des entreprises qualifiées se positionnent sur ce type de chantiers, notamment de rénovation ?
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Pouvez-vous nous indiquer la part du marché de la rénovation dans vos secteurs d'activité ? Ce marché est-il en forte progression ?
M. Christophe Caresche. - La RE2020 est plus qu'une évolution ; c'est presque une révolution ! Cela étant, s'agissant d'une réglementation évolutive, elle se mettra en place en dix ans : le seuil de 2022 a surtout concerné la construction de maisons individuelles, le prochain seuil, en 2025, commencera à impacter fortement la construction de logements collectifs, il sera suivi par deux seuils, en 2028 et 2031.
Cette réglementation est très exigeante, notamment parce qu'elle intègre la dimension carbone à tous les stades d'évolution du bâtiment, de la construction à la fin de vie. On prend donc en compte le stade de la construction, qui représente à lui seul au moins 50 % des émissions de carbone d'un bâtiment. C'est là un point très novateur.
En outre, cette intégration se fait avec une méthodologie propre à la France, qui a été débattue et contestée, mais que je trouve plutôt intéressante : l'analyse de cycle de vie (ACV) dynamique. Selon cette méthode, on privilégie dans l'analyse du cycle de vie les matériaux émettant leur carbone en fin de vie. De ce fait, la RE2020 favorise très nettement les matériaux biosourcés et le bois, et on peut penser que, en 2031, plus une maison ne sera construite en béton et, pour le logement collectif, on passera probablement d'une part du bois de 7 % à 40 % ou 50 %, voire plus.
Pour l'heure, je constate que les permis sont déposés et que commencent à apparaître des constructions respectant le seuil de 2025. La filière semble donc s'approprier assez positivement le dispositif.
Comme indiqué, le CSCEE a été chargé du suivi de la RE2020, avec des rendez-vous d'étape avant chaque passage de seuil. Le prochain est prévu pour 2025 : sur le fondement des données recueillies par la DHUP, nous verrons comment faire évoluer la réglementation - j'insiste, celle-ci peut évoluer à la baisse ou à la hausse.
Sur le plan économique, la RE2020 implique certes un surcoût, mais, alors que la DHUP avait évalué celui-ci à 4 % d'emblée et à 10 % à la fin de la mise en oeuvre, l'Union nationale des économistes de la construction (Untec) vient de sortir une étude plus optimiste, estimant l'impact dans une fourchette comprise entre 0 % et 4 %.
Dernier point, très important, la RE2020 est territorialisée, comme le diagnostic de performance énergétique, le DPE, avec 8 secteurs géographiques pour l'une comme l'autre. Les deux réglementations sont voisines, reposant sur la même méthodologie de calcul. S'il n'y a que peu de prise en compte du confort d'été dans le DPE - prise en compte qui est effective dans la RE2020 - il y a une prise en compte géographique et climatique.
M. Franck Perraud. - En 2022, la part de la rénovation énergétique, tous types de bâtiments confondus, a atteint 14 % de l'activité du secteur du bâtiment, soit 23,5 milliards d'euros. La part se réduit à 10 % pour le logement. L'activité de rénovation énergétique a progressé de 1,9 % en volume, soit une progression de 1,8 % pour le logement et de 2,4 % pour le non résidentiel. Malheureusement, les premiers trimestres de l'année 2023 laissent apparaître une hausse plus faible de 1,3 %.
Le confort d'été est certes pris en compte dans la RE2020 pour les bâtiments neufs, mais ce n'est pas forcément le cas dans la rénovation. Il faut travailler sur ce sujet, car, comme l'ont démontré, notamment, des expérimentations réalisées dans des écoles, c'est une vraie solution.
S'agissant du RGE, les entreprises sont bien prêtes à répondre à ce nouveau marché, surtout avec la crise du logement qui s'annonce et les 100 000 emplois que, d'après nos estimations, nous allons perdre dans les deux ans à venir. Il y a, en effet, une nette baisse des déclarations de permis de construire, les particuliers n'ayant plus les moyens de contractualiser des prêts. S'ajoutent à cela l'accroissement du coût des constructions dû à la RE2020 ainsi que l'envolée des prix des matériaux, cette dernière étant liée autant aux pénuries à l'échelle internationale qu'au reflet, dans les tarifs, de l'engagement massif de nos industriels dans la décarbonation de leur production, notamment pour le béton et l'acier.
La RE2020 a favorisé une prise de conscience - et nous sommes actifs en tant que présidents du conseil des professions - sur la nécessité pour les entreprises du bâtiment de moins travailler en silo et de s'adapter à de nouveaux supports, tant dans le neuf que dans la rénovation.
Par ailleurs, nous regrettons que l'on n'ait pas laissé le choix aux entreprises du secteur du bâtiment d'accomplir la mission Mon Accompagnateur Rénov'. Celles-ci savent mieux que quiconque ce qu'il convient de faire. Dont acte ! Pour autant, nous nous inquiétons de la capacité à disposer d'un nombre suffisant de rénovateurs énergétiques et rappelons que, dans le cas d'une rénovation avec architecte, par exemple, il n'est pas forcément utile d'ajouter une couche supplémentaire d'intervention, en outre coûteuse en argent.
La RE2020 a effectivement provoqué un séisme assez fort : nous avions travaillé sur l'expérimentation du dispositif E+ C-, qui n'intégrait pas la méthode dynamique précédemment évoquée, et, du jour au lendemain, on nous a imposé une nouvelle réglementation. Il nous a donc fallu le temps de l'assimiler, ce qui est désormais chose faite.
Je reviens un instant sur le RGE. Pour nous, le principal problème dans ce domaine est de savoir comment lutter efficacement contre la fraude. On parle beaucoup de malfaçons, mais celles-ci sont le fait, non pas de nos entreprises vertueuses, mais de structures tout à fait nouvelles dans le secteur, qui travaillent beaucoup par marketing direct, ce que nous ne savons pas faire ou faisons mal. La baisse constatée en matière de RGE est plus liée, comme je l'indiquais en introduction, aux primes coups de pouce données. Il y a plus de 500 000 salariés dans les entreprises RGE, nous sommes bien tous en train d'orienter nos entreprises vers la rénovation : s'il y a un marché et des fonds disponibles, nous serons en mesure de répondre à la demande.
M. Éric Durand, directeur des affaires techniques de la Fédération française du bâtiment. - Les aides ont été ciblées sur les ménages modestes et très modestes. Or, en province, un foyer de 2 personnes n'est plus considéré comme modeste à partir de 31 000 euros de revenus ; il est même aisé au-delà d'un seuil de 43 000 euros. De nombreux ménages ont donc été exclus des dispositifs d'aides et, de ce fait, les entreprises habituées à travailler avec eux n'ont plus besoin du RGE.
M. Jean-Christophe Repon. - Au niveau des entreprises artisanales du bâtiment, la part de la rénovation représente 60 % à 70 % de l'activité.
Par ailleurs, tel que le dispositif du RGE a été conçu, l'entreprise a une qualification, indépendamment du nombre de ses salariés. Autrement dit, la contrainte est la même pour une TPE que pour une entreprise de 500 personnes, ce qui nous pose tout de même problème. Nous ferons donc des propositions allant plutôt dans le sens d'un audit en fin de chantier. Il faut se rappeler, à cet égard, qu'indépendamment des produits posés, la performance dépendra plus de l'interface entre les métiers que de la stricte application des règles de l'art, déjà intégrées dans les formations initiales, qui comprennent toutes une formation à la transition énergétique. Rappelons également qu'on ne transforme pas en une seconde un chauffagiste en climaticien : il y a un temps pour la formation et l'acquisition de compétences. La Capeb, au moment où une étude évoquait la nécessité de créer 200 000 emplois en rénovation énergétique pour relever le défi de la transition énergétique, s'est engagée sur le dossier, le nombre d'apprentis dans notre réseau étant passé de 40 000 en 2018 à 100 000 aujourd'hui. Nous avons une attractivité - nous ne sommes plus uniquement des bâtisseurs, mais aussi des sauveurs de planète - et des entreprises à taille humaine, autant de moyens de parler aux jeunes générations et les inviter à nous rejoindre. Pour cela, il est important de ne pas nous exclure du marché.
Pour ces raisons, j'y insiste, nous sommes favorables à ce que l'on procède à une évaluation en fin du chantier, plutôt que l'on exige une qualification ou une formation préalable pour pouvoir y accéder.
M. Henry Halna du Fretay, secrétaire général de la confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment. - S'agissant de France Rénov' et des accompagnateurs, j'évoquerai plusieurs points de vigilance.
Premièrement, les anciens réseaux de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) et de l'Agence nationale de l'habitat (Anah) étant encore bien distincts, il faut une mise en cohérence des différentes missions. Deuxièmement, l'accompagnateur doit évidemment intervenir dans l'accompagnement des particuliers, dans la recherche des financements et la délivrance d'informations, mais il n'a pas les compétences pour s'avancer jusqu'au champ des préconisations, de la conception ou du suivi de chantier. Troisièmement, le dispositif entraînera, dans une certaine mesure, une délégation de missions à des opérateurs privés. Il faut être particulièrement vigilant sur ce point, du fait des risques d'absence de neutralité.
Le dispositif d'accompagnateurs pro part d'une idée simple : les règles changent continuellement et les différents dispositifs sont très complexes. On ne cesse notamment d'ajouter des couches d'exigences, en général pour lutter contre les fraudes - et ce, en vain. Pourquoi, comme cela vient d'être indiqué, ne pourrait-on pas abandonner toutes ces exigences administratives, au bénéfice d'une évaluation en fin de chantier ?
Pour les professionnels, l'accompagnateur vise à aider les entreprises de petite taille - elles concluent quelques contrats par an, non pas parce qu'elles sont incompétentes, mais parce que le marché n'en demande pas plus - à monter les dossiers, répondre aux exigences administratives et respecter les délais. Je rappelle que ces petites entreprises de moins de dix salariés représentent 96 % du secteur. Nous souhaiterions une généralisation assez rapide, car c'est, à nos yeux, un bon moyen d'augmenter le nombre d'entreprises labellisées RGE.
M. Franck Perraud. - Aujourd'hui, dans un dossier RGE, il faut mentionner cinq chantiers. C'est aberrant ! D'une part, le nombre de chantiers contrôlés doit être en rapport avec le nombre de chantiers réalisés ; d'autre part, les contrôles doivent être aléatoires. Par ailleurs, une entreprise peut tout à fait passer un contrat auquel vient s'adosser une aide MaPrimeRénov' sans avoir pour autant le label RGE.
M. Jean-Christophe Repon. - En matière de sécurité électrique, il n'est pas nécessaire d'être qualifié pour réaliser une installation visant une attestation Consuel. Les audits se font a posteriori : si je ne réalise qu'une installation par an, elle sera vérifiée ; si j'en réalise plus, il y aura des contrôles aléatoires. La proposition nous semble de bon sens.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Vous préconisez donc l'abandon d'une labellisation, au profit d'un contrôle en fin de chantier...
M. Jean-Christophe Repon. - On peut tout à fait conserver la labellisation pour les entreprises qui veulent vraiment faire du RGE leur coeur de métier, sans interdire le coup par coup. Il ne faut pas opposer les deux, et l'on pourrait envisager de financer les audits via les fonds dédiés aux certificats d'économies d'énergie.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Le RGE a-t-il vraiment fait monter les entreprises en compétence ?
M. Jean-Christophe Repon. - Environ 300 000 formations aux économies d'énergie dans le bâtiment (FEEBat) ont été suivies. Les entreprises ont fait cet effort de montée en compétence dans le domaine de la transition énergétique. Nous le soulignons auprès de nos adhérents. Cependant, ils nous répondent que cela représente beaucoup de contraintes pour trop peu de chantiers et des difficultés de paiement par l'Anah. C'est pourquoi les entreprises hors RGE changent tout de même des chaudières, notamment pour des clients ne bénéficiant pas d'une aide : beaucoup d'actes ne sont ainsi pas comptés dans les efforts des particuliers.
M. Henry Halna du Fretay. - La montée en compétence s'est aussi faite avec divers programmes, dont les règles de l'art Grenelle environnement (Rage), le programme d'action pour la qualité de la construction et la transition énergétique (Pacte) ou encore le programme de la filière pour l'innovation en faveur des économies d'énergies dans le bâtiment et le logement (Profeel). Leur utilisation croissante conduit à mieux travailler ensemble.
M. Jean-Christophe Repon. - Elle facilite aussi les autodiagnostics en fin de chantier. Profeel est utile à la montée en compétence.
M. Franck Perraud. - Avec la refonte du RGE, les audits de qualification ont davantage un rôle d'accompagnement et de pédagogie que de sanction.
J'insiste : toute entreprise peut travailler dans le bâtiment sans formation. C'est par la qualification qu'on assure un minimum de formation, même si nos retours d'expérience et les guides que nous produisons constituent autant de points de vigilance pour les entreprises.
M. Éric Durand. - Les audits doivent avoir lieu sur la base non des chantiers déclarés, mais des retours de chantier faits par l'Anah ou par les obligés : malgré des discussions avec les pouvoirs publics, ce n'est toujours pas en place.
M. Jean-Christophe Repon. - De même, il faut rapprocher CEE et RGE car leurs audits sont différenciés. C'est pourquoi notre outil Profeel les réunit. En outre, la direction interministérielle de la transformation publique (DITP) a produit un rapport en ce sens.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - C'est ce que nous ont dit les organismes de qualification : entre MaPrimeRénov', les CEE et le label RGE, il faudrait un label commun.
M. Éric Durand. - Il s'agit aussi de s'assurer que celui qui réalise effectivement le chantier est bien labellisé RGE.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous sommes tous convaincus qu'il faut encourager les rénovations globales, plus performantes, mais la rénovation par geste a au moins l'avantage d'être accessible. Faut-il la maintenir ?
M. Jean-Christophe Repon. - On ne peut opposer les deux. Certes, la rénovation globale est vertueuse, et avoir plus de travail plaît aux artisans que nous sommes. Mais au quotidien, les particuliers doivent rénover des sites habités. Le diagnostic initial est l'occasion de viser un résultat final global avec plusieurs gestes effectués sur autant d'années. Ce parcours de rénovation est essentiel, mais doit être bien défini, avec un état initial et la détermination des gestes à effectuer pour une amélioration de 30 % à 40 %.
Le secteur bancaire, avec l'État, doit proposer un modèle financier pertinent, comme pour les achats de voitures hybrides. De plus, nous parlons d'emprunter pour des travaux qui valorisent logement, contrairement à un achat de véhicule qui perd tout de suite de la valeur.
Il ne faut pas opposer rénovation globale et rénovation au geste. L'élément déclencheur est souvent une panne, qui est l'occasion de remplacer l'équipement défectueux par un modèle plus vertueux. Ce premier geste peut aboutir à une rénovation globale.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Que pensez-vous du prêt avance mutation (PAM) ?
M. Christophe Caresche. - L'objectif est de porter le parc immobilier français, résidentiel et tertiaire, au niveau du label bâtiment basse consommation (BBC) d'ici à 2050. Comment y parvenir ? La rénovation par geste doit en faire partie. Il ne s'agit pas de l'opposer à la performance, mais d'avoir une vision globale, dès le départ de la rénovation. Il ne faut pas gaspiller l'argent, public comme privé : reconnaissons que certaines rénovations par geste n'améliorent pas la performance.
L'objectif est très ambitieux : selon l'inspection générale de l'environnement et du développement durable (Igedd) - anciennement Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) -, il revient à rénover 20 millions de logements privés, dont 11 millions de maisons individuelles, avec, au minimum, 50 000 euros de travaux pour chacune, soit 550 milliards d'euros. S'ajoutent 9 millions de logements collectifs, pour un coût d'environ 20 000 euros chacun, soit 180 milliards d'euros. Le coût total atteindrait donc 730 milliards d'euros, soit 27 milliards d'euros par an jusqu'en 2050, ou 15 milliards d'euros par an jusqu'en 2070 pour respecter l'objectif de la stratégie nationale bas-carbone (SNBC). L'État peut beaucoup, mais peut-il consacrer 1 % du PIB chaque année à la seule rénovation ? Il faut donc trouver un modèle économique.
C'est pourquoi je suis opposé à l'idée de service public. Dans ce secteur, mis à part l'argent, peu de choses sont publiques... le risque serait de déresponsabiliser les acteurs. C'est une raison de la fraude : quand on ne paie pas, on est moins regardant. Souvenez-vous du Pinel...
Quant au modèle économique, il doit passer par un signal prix. Il faut réexaminer la taxe carbone. Les investisseurs, notamment particuliers, ont du mal à trouver un retour sur investissement, même si le coût de l'énergie a augmenté. La seule satisfaction d'agir pour le climat ne suffit pas pour engager 70 000 euros dans une rénovation. Je renvoie aux travaux de Jean Pisani-Ferry. Dans les pays qui ont le mieux réussi, la taxe carbone a été un levier.
M. Franck Perraud. - La rénovation globale ne doit pas mettre brutalement fin au geste parce que de nombreuses entreprises se retireraient du RGE. De plus, la rénovation globale est intrusive pour un ménage. Nous plaidons pour un passeport de rénovation globale comportant des gestes successifs.
La FFB a fait 500 simulations : isoler les murs, c'est un gain de consommation d'énergie de 30 %. Installer une pompe à chaleur (PAC) hybride dégage une économie de 45 %. Ces seuls monogestes éliminent les passoires thermiques F et G. Les négliger serait dramatique, d'autant qu'il faut prendre en compte les ménages modestes.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous sommes passés des crédits d'impôt à MaPrimeRénov'. Qu'en pensez-vous ?
M. Franck Perraud. - Le CITE ne ciblait pas les ménages modestes et très modestes, désormais MaPrimeRénov' cible à 100 % ces ménages. D'autres solutions pourraient être envisagées, comme l'incitation aux travaux au moment d'une mutation. Nous pourrions combiner les approches.
Mme Sabine Drexler. - Les spécificités du bâti patrimonial sont-elles suffisamment prises en compte ? Les techniques d'isolation respectent-elles ses particularités architecturales et hygrothermiques ? Les artisans sont-ils suffisamment informés des matériaux et techniques spécifiques à ce type de bâti ?
M. Jean-Christophe Repon. - L'artisan est diplômé, mais se forme toute sa vie. C'est notre rôle d'organisation patronale que d'inciter à le faire, parce que les techniques de pose et les matériaux ne cessent d'évoluer, comme pour le biosourcé. Si le marché est porteur, l'artisan se forme sans difficulté.
Le risque est, en revanche, de développer ses compétences quand il n'y a pas de marché : durant nos assemblées générales, on nous le reproche pour le RGE. Coller dix autocollants de qualification sur son camion ne sert à rien. Sur le bâti patrimonial, les artisans du territoire se formeront pour satisfaire le client. En effet, l'artisan vertueux veut continuer à exercer au même endroit.
M. Franck Perraud. - En effet, nos entreprises sont passionnées par la technique, mais il faut un marché. C'est notre rôle, avec nos guides et nos projets de recherche, que d'accompagner les artisans. Les évolutions techniques sont dans leurs gènes.
M. Christophe Caresche. - La rénovation énergétique la plus efficace se fait par l'extérieur, ce qui suppose un bâti récent. Rénover par l'intérieur, ce qui est nécessaire pour l'ancien, est plus coûteux et réduit les surfaces et la performance, même si la réglementation est moins exigeante pour cette dernière.
Le DPE est dans la continuité de la RE 2020, mais il a été créé bien plus rapidement que celle-ci, qui avait fait l'objet d'une expérimentation de deux ans. L'administration a d'ailleurs accepté qu'on sorte de la contrainte de temps prévue par la loi... S'il y a eu quelques déconvenues, l'essentiel est désormais réglé, mais nous suggérons de continuer à travailler, sur le plan technique, sur le DPE. Celui-ci, par exemple, semble pénaliser les petites surfaces.
De plus, le DPE est par logement. La RE 2020 devrait garantir une certaine classe de DPE, mais tel n'est pas le cas. La raison en est que des logements, dans un même immeuble, sont parfois fort différents. Une grande surface sera réputée moins consommatrice qu'une petite. Reconnaissons que cela n'encourage pas l'industrialisation, d'autant que, en copropriété, celui qui a un DPE convenable n'a aucun intérêt à accepter des travaux, qui n'ont de plus aucune garantie de changement de classe de DPE. Ce n'est manifestement pas une science exacte, il faut le sécuriser.
Enfin, sur le BBC rénovation, l'interdiction d'une chaufferie au gaz a été retirée, car elle est superfétatoire : la performance BBC rénovation implique que le gaz ne passe plus. Il y a toutefois débat au sein du CSCEE : beaucoup d'organisations souhaitaient que l'on conserve les hybrides PAC-gaz. En effet, la PAC a ses limites, notamment lorsqu'il fait froid, et est bruyante.
Alors que le gaz devait être interdit pour la seule construction nouvelle à partir de 2025, et réservé à la rénovation, il est en train d'en sortir. Or la question se pose de la capacité à passer au tout électrique. C'est une question de sécurité et de souveraineté énergétiques. En outre, la filière gaz développe le gaz propre. L'exclure complètement, alors que les réseaux existent déjà, est-il bien raisonnable ?
Cela étant, au niveau européen, il y a, manifestement, la volonté d'interdire toutes les énergies carbonées, dont le gaz.
M. Henry Halna du Fretay. - Certains logements, notamment en immeubles collectifs, sont sans solution technique si l'on interdit le gaz.
M. Christophe Caresche. - L'alternative, c'est la PAC ou le réseau de chaleur. Il y a aujourd'hui, lors de la construction, une obligation de raccordement aux réseaux de chaleur s'ils sont à proximité. Or les trois quarts de ces réseaux ne sont pas décarbonés. Il faut travailler à leur décarbonation, ce que l'Europe devrait encourager.
En outre, la PAC n'est pas une technologie française - tout vient de Chine - alors que nous avons des acteurs très performants dans le chauffage au gaz. Ne négligeons pas l'enjeu industriel.
M. Franck Perraud. - Pour ce qui concerne le gaz, l'objectif est d'atteindre la classe de consommation B, mais il ne faut restreindre aucune technologie. Il y a des innovations, notamment le biofioul ou le biogaz, c'est-à-dire le gaz vert. Or, avec l'interdiction complète du gaz, non seulement on n'a pas de solution de remplacement, mais on coupe l'élan de toutes ces technologies, souvent françaises et qui font des progrès importants. Comme pour le matériau, il faut le bon produit au bon endroit.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Que pensez-vous du CEE ? Comment pourrait-il évoluer ?
M. Franck Perraud. - Pour la rénovation énergétique, le CEE représente 2,5 milliards d'euros, un montant comparable à celui de MaPrimeRénov' - dont le financement devrait selon nous augmenter chaque année de 1 milliard d'euros. Il faudrait un dispositif transparent et commun à toutes les mesures existantes. Le CEE est une corde supplémentaire à l'arc de la rénovation, mais il faudrait que tout soit fléché de la même manière et que l'on mette fin à l'existence de deux mondes parallèles, aux fonctionnements différents.
En outre, les entreprises qui travaillent sur un même projet n'obtiennent pas toutes le même montant de CEE. D'où cette exigence de transparence...
M. Éric Durand. - Ce qui était intéressant avec les CEE, c'étaient les coups de pouce accordés au-delà du montant de travaux ; c'était un montant fixe et clair pour l'entrepreneur et le client. Un CEE dont le prix varie en permanence ne facilite pas les choses, d'autant que les règles, elles aussi, changent constamment. On l'a vu avec le marché de l'isolation des combles, qui a fortement chuté quand les fiches ont été modifiées ; les entreprises ayant investi dans ce secteur en ont beaucoup souffert.
M. Henry Halna du Fretay. - Nous partageons cette analyse, c'est d'une très grande complexité, et c'est sans cohérence avec le dispositif RGE. On a ajouté sans cesse de nouvelles exigences. Je prendrai deux exemples pour vous faire comprendre l'absurdité du système.
Le client d'une entreprise qui a été contrôlée dans le cadre des CEE et qui a obtenu un bon résultat n'est pas forcément payé, parce que l'entreprise d'à côté a eu un problème sur son chantier et que tout le paquet de dossiers est bloqué lorsqu'une entreprise a un problème. Pour une entreprise dont le chantier a été validé, il est incompréhensible de ne pas être payé sous prétexte que d'autres n'ont pas fait bien le travail. Second exemple : lorsque l'adresse du client n'a pas de numéro de rue ou de route, il faut fournir un extrait cadastral de la parcelle, afin de lutter contre la fraude. C'est très complexe.
Les exemples de ce type sont nombreux. Nous espérons que le programme Oscar permettra de simplifier tout cela, car ces obstacles bloquent les initiatives, alors que l'argent issu des CEE représente la moitié du marché ; on en a besoin pour dynamiser le secteur.
M. Franck Perraud. - Le programme Oscar est bon, mais il consiste à expliquer des textes compliqués ; autant simplifier les textes...
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - On entend souvent parler des lourdeurs administratives et du temps passé à monter des dossiers plutôt que sur les chantiers. Quel dispositif plus simple recommanderiez-vous, puisque, dès lors qu'il y a une aide publique, il faut bien du contrôle ?
M. Henry Halna du Fretay. - Le dispositif RGE doit être conservé pour les entreprises qui ont une activité importante ; pour les autres - les entreprises de deux ou trois salariés -, il faut un contrôle en fin de chantier, comme le fait Consuel. C'est la bonne manière d'englober le maximum d'entreprises. Cela éliminerait la fraude dans le secteur et cela apporterait la garantie que l'argent est investi dans des travaux de qualité.
M. Franck Perraud. - Il faut des mesures concrètes pour lutter contre les fraudes des entreprises RGE. Les médias font des reportages à charge, en affirmant que la plupart des travaux aidés sont mal faits, alors que 90 % des chantiers contrôlés sont satisfaisants. On parle de ce qui ne va pas, notamment sur le travail illégal. Cela instille le doute chez les personnes qui seraient prêtes à s'engager dans une rénovation énergétique.
Les organismes de qualification retirent la certification RGE à des entreprises qui sont hors des clous, mais des avocats spécialisés obligent ces organismes à redonner cette qualification à leur client et exigent des dommages et intérêts !
Par conséquent, les autorités renforcent les critères de RGE, mais ce n'est pas en renforçant les critères pour les entreprises vertueuses qu'on luttera contre le travail illégal ! C'est un enjeu important. Nous avons fait des propositions, comme l'établissement d'un fichier commun entre l'Anah, le CEE et MaPrimeRénov'. Surtout, il faut faire des contrôles aléatoires et s'assurer que les entreprises qui font des centaines ou des milliers de chantiers aient un nombre suffisant d'audits.
Ces fraudes polluent le marché, parce que la réputation des entreprises vertueuses en souffre et que cela freine la rénovation énergétique. On doit être sévère. L'entreprise qui bénéficie des aides doit être RGE et, si elle sous-traite, on doit limiter le rang de sous-traitance et savoir qui réalise les travaux.
M. Christophe Caresche. - Il existe, de ce point de vue, le dispositif de l'accompagnateur, qui fait office de tiers de confiance. Attendons de voir comment ce dispositif nouveau se met en place. Le CSCEE a eu un long débat sur ce sujet, car ce dispositif est parfois mal perçu par les artisans, qui donnent aussi du conseil et qui ne veulent pas être sous-traitants de l'accompagnateur.
L'État a permis à des entreprises de travaux de créer des filiales pouvant être accompagnateurs. Le CSCEE a décidé, à une très faible majorité, que, dans cette hypothèse, un accompagnateur ne pourrait pas intervenir sur un chantier si sa maison mère est opérateur. On voit ainsi la difficulté, valable aussi pour les diagnostiqueurs, à créer un service public avec des opérateurs privés que l'on rémunère, mais peu. Un DPE coûte 150 euros, donc le diagnostiqueur ne se déplace généralement pas et fait son diagnostic par téléphone. S'il n'a pas les bonnes indications, il saisit des données par défaut, ce qui dégrade considérablement le DPE ; cela peut empêcher le propriétaire de vendre ou de louer son bien.
Il faut renforcer les diagnostiqueurs et les accompagnateurs, pour que le système soit bien contrôlé. Du reste, les accompagnateurs pourraient être ceux qui fournissent l'attestation en fin de chantier.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je vous remercie de cette table ronde très intéressante. Si vous avez des éléments complémentaires à nous communiquer, n'hésitez pas à nous les envoyer.
Audition
d'acteurs de la rénovation du parc
social
(Mercredi 10 mai 2023)
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous reprenons les travaux de notre commission d'enquête par une table ronde consacrée aux enjeux de la rénovation du parc de logements sociaux. Nous recevons ainsi les représentants de trois organismes : tout d'abord, Mme Emmanuelle Cosse, dans ses fonctions, non pas d'ancienne ministre, mais de présidente de l'Union sociale pour l'habitat qui rassemble le mouvement HLM, et M. Alban Charrier, adjoint au directeur de la maitrise d'ouvrage et des politiques patrimoniales de l'USH, ensuite Mme Anne-Claire Mialot, directrice générale de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine, créée il y a vingt ans pour la restructuration et la réhabilitation des quartiers prioritaires et enfin M. Simon Molesin, directeur du patrimoine de la Régie immobilière de la ville de Paris qui est un acteur local important et dont certaines réalisations apparaissent emblématiques. Je pense notamment à la tour Bois-Le-Prêtre sous la direction des architectes Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal.
Mesdames, monsieur, je souhaite que cette audition nous permette d'avoir une vision plus claire des enjeux de la rénovation énergétique du parc social qui est soumis au même calendrier que le logement privé. Quelle est la situation du parc en France, dans les quartiers et à Paris ? Les bailleurs sociaux, éventuellement avec l'appui de l'Anru, sont-ils en mesure de relever le défi du calendrier de la loi Climat-résilience ? Quels sont les montants d'investissement à programmer ? Le chiffre de 8,6 milliards d'euros par an a été évoqué, le confirmez-vous ? Est-ce réalisable dans un contexte de RLS, de hausse du taux du livret A et de l'endettement global du secteur, et de hausse des coûts des travaux ? Nous avons pu visiter en Isère, à L'Isle-d'Abeau, une rénovation HLM menée par Action Logement, d'un coût de plus de 60 000 euros par logement. Je sais que cette équation financière, sans être générale, n'est pas isolée. Est-ce soutenable ? Ce besoin de rénovation peut-il se conjuguer avec le besoin de construire de nouveaux logements sociaux, qui n'est pas dans le champ de la commission d'enquête mais que je ne peux et ne veux pas occulter ?
Par ailleurs, comme l'a souligné Antoine Pellion, le secrétaire général à la planification écologique, devant notre commission d'enquête, et comme nous y incite la directive européenne sur la décarbonation des bâtiments en cours de discussion, n'est-on pas conduit à faire un choix stratégique entre une décarbonation rapide et une recherche de sobriété sur plus long terme compte tenu du coût, de la complexité et du temps nécessaire à des rénovations globales. Dans ce cadre, comment évoluent les réflexions en matière de seconde vie du parc social et de stratégie de patrimoine ? Du côté de l'Anru, comment s'insèrent ces enjeux entre rénovation très profonde et reconstruction neuve qui était davantage dans l'ADN de l'Agence ? En quoi l'initiative « quartiers résilients » constitue-t-elle une inflexion ? L'Agence conserve-t-elle les moyens nécessaires à son action - définis de manière forfaitaire - dans le contexte inflationniste que nous connaissons ?
Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié. Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite donc à prêter serment, de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Emmanuelle Cosse, M. Alban Charrier, Mme Anne-Claire Mialot et M. Simon Molesin prêtent serment.
M. Emmanuelle Cosse, présidente de l'Union sociale pour l'habitat. - Tout d'abord, je vous remercie pour cette table ronde et ce focus spécifique sur le logement social car l'enjeu de la rénovation énergétique des bâtiments y est crucial. Les loyers pratiqués ainsi que le public qui vit dans le parc social soulèvent des questions spécifiques et il nous semble important de pouvoir vous les présenter ainsi que notre stratégie relative à l'enjeu de décarbonation.
Le parc résidentiel porté par les organismes HLM et les sociétés d'économie mixte (SEM) se compose d'environ 5,5 millions de logements, dont 4,8 millions de logements familiaux et 500 000 logements accompagnés ou gérés, dans lesquels on trouve des logements étudiants, des résidences pour personnes âgées et des foyers. Je souligne l'importance de ces 500 000 logements qui sont totalement absents des statistiques et nous menons une bataille pour les inclure alors qu'ils ont été complètement oubliés du calendrier de rénovation.
Le deuxième constat, établi à plusieurs reprises par l'Ademe et le Plan Bâtiment - sur la base de l'ancien diagnostic de performance énergétique (DPE) - est que le parc social est en général plus performant d'un point de vue énergétique que l'ensemble du parc privé. Nous ne disposons pas encore de statistiques assez consolidées avec le nouveau DPE mais il est important de signaler que les passoires énergétiques les plus énergivores sont moins nombreuses dans le parc social que dans le parc privé. En revanche, la difficulté pour le parc social est que le patrimoine ultra-performant, c'est-à-dire classé A ou B, est assez rare et nos résidences se composent principalement de bâtis relevant des classes E, D et C.
Il est important que vous gardiez en mémoire ces données qu'il faut mettre en relation avec l'ancienneté du parc social : quasiment un tiers a été construit avant les années 1975, un gros tiers entre 1975 et 1990 et donc deux tiers datent d'avant les années 1990 avec une partie construite avant 1945. Ces patrimoines qui sont plutôt anciens ont déjà fait l'objet de rénovations car il y a dans le parc social une culture de la réhabilitation - pas nécessairement énergétique jusqu'à présent mais qui s'est traduite par des changements de composantes, comme l'installation de salles de bain, et de travaux depuis bien plus longtemps que beaucoup d'autres patrimoines. Cela explique certainement que les logements soient moins énergivores et, par ailleurs, le parc social a parfois bénéficié d'avancées technologiques plus ou moins efficaces mais je souligne le recours à la géothermie très utilisée dans les quartiers d'habitat social depuis les années 1950 à 1960, et aux réseaux de chaleur urbaine. Plus récemment, les premières centrales biomasse ont également été installées dans le parc social puis dans le parc privé résidentiel. Cela explique notre sensibilité particulière sur les questions de rénovation par rapport au reste du parc résidentiel.
Néanmoins, lorsque la loi Climat et résilience a pour la première fois fixé un calendrier d'obligations de rénovation, le mouvement HLM a pris position en indiquant majoritairement qu'il partageait l'ambition de décarboner son parc et qu'il était prêt à relever ce défi, ce qui s'explique pour plusieurs raisons. La première est que nous gérons ce patrimoine sur des décennies voire sur des siècles et que nous souhaitons l'améliorer en permanence, y compris pour limiter les charges locatives individuelles. De plus, les bailleurs sociaux qui gèrent un patrimoine avoisinant 5,5 millions de logements - soit environ 18 % des résidences principales - ont un poids significatif dans la politique du logement et estiment devoir jouer un rôle leader dans la décarbonation du secteur. J'ai moi-même été, dans les discussions ministérielles, une des seules actrices du logement à défendre le calendrier de rénovation - non pas que j'estime qu'il soit bon ou mauvais mais parce qu'il est de notre devoir d'essayer d'y répondre sans a priori négatif. De plus, l'avantage - entre guillemets - de ce calendrier assez exigeant est de créer une dynamique qui nous permet de voir loin et de nous mobiliser à partir des jalons - 2025, 2028, 2034 - qui sont fixés. En toute franchise, nous sommes prêts à relever le défi d'un point de vue politique ou social et à franchir la marche de 2025 et de 2028 mais la difficulté réside dans les outils à notre disposition. Je rappelle que la réforme prévue par la loi Climat et résilience s'appuie sur deux principes tout à fait nouveaux dans le logement. Le premier est qu'elle fixe une obligation de rénovation basée sur le nouveau DPE qui recouvre deux dimensions : l'étiquette énergétique, c'est-à-dire la consommation du bâtiment et l'étiquette carbone qui est liée au vecteur énergétique utilisé. Cependant, le nouveau DPE, n'existait pas quand la réforme a été lancée en juillet 2021 ; un premier arrêté modificatif sur le DPE est intervenu en octobre 2021 et on nous a ensuite indiqué que les logiciels de calcul utilisés par les diagnostiqueurs ne seraient validés qu'au 31 mars 2022. On nous a donc demandé de lancer une stratégie de rénovation sans pouvoir disposer des outils appropriés pour fournir des données juridiquement opposables conformément à l'innovation introduite par la réforme.
Je ne vous cache pas que ces deux ans d'atermoiement nous ont placés dans une situation compliquée avec l'obligation de relancer les marchés de diagnostics et des bailleurs sociaux qui n'ont pas encore pu obtenir les résultats définitifs de leurs campagnes de nouveau DPE. Aujourd'hui, en 2023, le fait de ne pas pouvoir encore mesurer grâce aux DPE le défi que doit relever notre patrimoine complique singulièrement la définition de notre stratégie pour 2025-2028 car une réhabilitation ne se fait pas en un an.
Par ailleurs, une partie du patrimoine social - et en particulier celui qui date d'avant la Première Guerre mondiale - n'était pas soumise au DPE avant cette réforme. Ce parc, essentiellement classé en G, n'était pas non plus comptabilisé dans les statistiques et par conséquent, les études d'impact transmises aux parlementaires pour qu'ils statuent sur la réforme reposaient sur les anciens DPE ainsi que sur une base statistique erronée, ce qui n'a sans doute pas permis de préparer les décisions de façon optimale.
De plus, au-delà de l'obligation de rénovation, le DPE devient le critère permettant de classer le logement comme décent ou indécent, ce qui est une problématique très nouvelle pour les bailleurs sociaux dont le patrimoine est habité. Je souligne également que l'indécence d'un logement entraîne l'arrêt des allocations familiales, des aides personnalisées au logement (APL) et peut-être des négociations sur la minoration de loyer. Je ne vous cache pas les difficultés actuelles à réaliser des DPE fiables : certains locataires n'ouvrent pas la porte aux diagnostiqueurs et les bailleurs ont engagé des procédures contentieuses pour les y contraindre, sinon, le diagnostiqueur estime qu'il n'a pas assez d'éléments probants, et peut inscrire des données assez éloignées de la réalité de la performance du bâtiment.
Dans les statistiques dont nous disposions au 1er janvier 2022 - que je vous livre avec beaucoup de prudence - sur plus de 4 millions de logements, 3 % du parc était considéré comme relevant de l'étiquette G, 7 % en F, 21 % en E, 33 % en D et 34 % en C. Le patrimoine relève donc majoritairement des classes C ou D. Je précise que les 30 % de logements en catégorie E, F et G se répartissent en 20 % d'étiquette E et 10 % de catégorie Fet G et il reste 5 % du patrimoine en A ou B. Je précise que le logement social n'est pas réparti de manière homogène sur le territoire et le parc le plus ancien - avec des étiquettes les plus dégradées - se trouve principalement dans les anciennes régions industrielles : le Grand Est, les Hauts-de-France, l'Île-de-France, et un peu en Rhône-Alpes ou en PACA. Les bâtiments les plus énergivores ne sont pas situés dans les zones Anru mais plutôt dans les quartiers d'habitat social construits dans les années 50, 60 et 70. On les réhabilite avant tout dans une optique urbaine bien que la question énergétique puisse être prise en compte. Pour nous permettre d'avancer dans la trajectoire de rénovation, je constate que les outils de diagnostic ont été perfectionnés mais nous ne disposerons qu'à la fin de l'année 2023 d'une image assez exhaustive du patrimoine social.
S'agissant des travaux, deux priorités doivent être prises en compte. Il faut d'abord remédier à la précarité énergétique qui frappe surtout les locataires des logements classés F et G en rénovant ce parc pour le rendre plus sobre et alléger les factures énergétiques. La décarbonation implique surtout de changer le vecteur énergétique, ce qui soulève une difficulté spécifique pour le patrimoine social : selon nos statistiques, celui-ci n'est équipé de chauffage à l'électricité qu'à hauteur de 20 % ; le bois représente 3 %, 54 % du parc est chauffé au gaz, 2 % au fioul - ce qui représente tout de même 100 000 logements - et 20 % au chauffage urbain où se conjuguent des réseaux très peu carbonés et d'autres qui le sont encore beaucoup.
Au total, le parc social est beaucoup plus chauffé au gaz que la moyenne nationale et que le parc privé, ce qui s'explique par les politiques publiques incitatives conduites dans le passé auprès des bailleurs sociaux. La récente augmentation du prix de l'énergie encourage encore plus les bailleurs sociaux à se désengager du gaz et à diversifier leur mix énergétique. La principale difficulté - au-delà des travaux de rénovation - est de choisir une alternative décarbonée au gaz. Or, très franchement, je ne suis pas certaine que l'entreprise Réseau de transport d'électricité (RTE) soit prête à absorber 2,5 millions de logements supplémentaires sur le réseau électrique. Étant entendu que la décarbonation ne passera pas par une substitution intégrale du gaz par l'électricité, la triple question est plutôt de savoir, d'abord, si on peut raccorder plus de logements aux réseaux de chaleur - c'est un combat essentiel que nous menons car ces réseaux se décarbonent très rapidement. Ensuite, le parc HLM aura-t-il accès à une quantité plus importante de biogaz dans la future programmation pluriannuelle de l'énergie ? Enfin, le patrimoine social pourra-t-il être un acteur important du développement des énergies renouvelables et je pense ici aux chaufferies biomasse mais aussi au solaire, entre autres.
Ces évolutions soulèvent parfois de considérables difficultés réglementaires et en voici un exemple à propos des réseaux de chaleur dont je souligne qu'ils évoluent tous les ans, sous l'impulsion des collectivités qui font des efforts très importants pour les verdir. Le diagnostiqueur, pour élaborer le DPE, se réfère à un arrêté - dont on a attendu pendant 18 mois la publication - qui fixe les paramètres de calcul correspondant à tel ou tel réseau de chaleur en fonction de son vecteur énergétique. Si cet arrêté n'est pas suffisamment bien actualisé et omet de prendre en compte les évolutions des réseaux de chaleur, certains DPE risquent de se baser sur des calculs erronés, ce qui peut placer un bailleur social dans une situation catastrophique avec un patrimoine classé en indécence sur la base de données périmées.
Dans ces conditions, nous préconisons d'abord une stabilité du cadre de la trajectoire de rénovation énergétique et de son calendrier. Nous on ne militons pas pour une détente du calendrier mais pour disposer des moyens permettant de le respecter ce qui implique plus de visibilité financière. Aujourd'hui la difficulté que nous rencontrons consiste à établir un plan de rénovation à 5 ou 10 ans sans disposer d'informations sur nos ressources annuelles en aides, subventions, CEE et encouragements fiscaux. De plus, le taux du Livret A impacte non seulement nos opérations de construction neuve mais aussi de réhabilitation car nous les finançons par l'emprunt. Aux besoins de visibilité et de stabilité s'ajoute la nécessité d'un appui technique et de disponibilité de la filière qui doit pouvoir répondre à l'ensemble des marchés que nous devons lancer pour accélérer - d'au moins un tiers, voire de la moitié - le rythme de la rénovation dans le logement social. La mobilisation de la filière doit être planifiée et coordonnée avec la capacité des bailleurs à présenter les plans de charge prévus au niveau régional ou départemental car nous parlons ici de réhabiliter un million de logements dans les dix prochaines années.
Je signale également le débat extrêmement vif que nous avons avec les services du ministère du logement. Il s'agit de déterminer la portée des travaux de réhabilitation : doit-on les limiter à la stricte rénovation énergétique pour permettre au parc d'atteindre la classe D et de s'éloigner du risque d'indécence, ou peut-on saisir l'occasion pour adapter les salles de bain, refaire les cuisines, rénover les zones humides, ce qui n'a pas été fait depuis 30 ou quarante ans, ainsi que les parties communes dans une démarche d'évolution du patrimoine.
Financièrement, le coût de 60 000 euros par logement pour permettre un gain de deux classes énergétiques est, d'après nos données, une moyenne et je vous transmettrai les résultats de l'enquête flash lancée par l'Union sociale pour l'habitat auprès des opérateurs sur les coûts des travaux en 2022. En se limitant strictement à la partie énergétique des travaux on peut réduire la somme à 30 000 euros mais tout dépend du nombre de classes que l'on veut gagner et de la structure du bâtiment. Les coûts varient considérablement - de 20 000 euros à 100 000 euros selon les projets - selon l'emplacement du bien et selon qu'il s'agit, par exemple, d'une tour à quatre faces moins chère à traiter que des résidences de petite taille à deux étages ou de résidences individuelles, ces dernières représentant 12 % de l'ensemble des biens immobiliers de notre parc. Le coût des travaux de rénovation énergétique permettant un gain de deux classes étant souvent supérieur à la moitié de la valeur du bien estimée par l'administration des Domaines, on peut se demander s'il est judicieux de réhabiliter ces logements plutôt que d'en acheter d'autres ou de ne plus les proposer à la location : c'est un débat en cours.
La seconde vie des bâtiments fait l'objet d'un appel à projets lancé par le ministère du logement mais l'idée a été inventée et portée par l'Union sociale pour l'habitat ainsi que par la Caisse des dépôts : il s'agit, en s'inspirant des pratiques utilisées dans l'immobilier de bureau, de « désosser » les structures existantes et en ne conservant que les éléments porteurs, tout le reste ayant vocation à être refait à neuf, y compris les planchers, en limitant les émissions de carbone.
Cela nécessite de mettre en place un mode de financement qui combine un allongement au-delà de 25 ans des prêts liés à la rénovation ainsi que des aides qui correspondent à du logement neuf et qui nous permettent de répondre à des programmes d'habitat très particuliers. Il existe de nombreux exemples de projets de seconde vie, principalement à Paris et dans l'Anru mais ils ont été réalisés avec des modèles économiques peu viables.
Notre idée, aujourd'hui, consiste à vider une partie de notre patrimoine, à le rénover, à changer sa composition en substituant des surfaces plus petites aux anciens T5 et à lui assurer une nouvelle vie, pour 50 à 100 ans, le tout en évitant les inconvénients de la démolition très émissive en CO2 et en déchets. Je précise que cette seconde vie ne permet de réhabiliter qu'une petite partie de notre patrimoine, à savoir principalement le parc collectif qui date essentiellement des années 1950 à 1980 ou le parc ancien parisien. Ce nouvel outil va nous permettre de proposer une offre de bâtiments quasiment neufs mais il ne va pas satisfaire l'ensemble des besoins. Nous avons lancé une expérimentation pour évaluer les coûts des travaux de seconde vie, leur faisabilité en fonction de l'année de construction des bâtiments et le niveau de performance de ce patrimoine une fois réhabilité. Je signale que si on n'a pas de visibilité sur les moyens qui seront alloués au secteur HLM pour financer ces travaux, nous nous limiterons à sortir les logements de l'indécence. Par exemple, on amènerait des logements en classe D mais pas en C faute de pouvoir disposer de 10 000 euros supplémentaires par logement et vous pourrez estimer à juste titre qu'il est absurde de limiter cette performance énergétique pour une somme aussi modeste.
Par ailleurs, dans la situation financière actuelle du logement social, nous nous interrogeons très sérieusement sur la pertinence d'investir 90 000 euros pour réhabiliter un logement. Nous y sommes a priori favorables mais la question mérite d'être posée et un certain nombre d'élus locaux nous demandent si ce patrimoine réhabilité va pouvoir être mis en location pendant encore 50 ans. Je fais ici observer que ne sont pas seulement les loyers qui financent les travaux mais aussi les emprunts, les subventions des collectivités locales, la fiscalité et les dégrèvements de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB).
En conclusion nous voulons être leader de la rénovation en nous conformant au calendrier prévu mais il faut nous en donner les moyens financiers, sachant que nous sommes à la fois techniquement compétent et propriétaire du patrimoine, ce qui nous évite de rencontrer les mêmes difficultés que dans le parc privé ou dans les copropriétés. Cependant nous pâtissons d'une absence de visibilité et, par exemple, je ne peux pas aujourd'hui construire la maquette financière des programmes de réhabilitation pour 2024.
Mme Anne-Claire Mialot, directrice générale de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru). - Voici tout d'abord quelques éléments pour préciser le périmètre d'intervention de l'Anru : nous intervenons sur 450 des 1 500 quartiers de la politique de la ville, ce qui représente à peu près 850 000 logements sociaux, c'est-à-dire une échelle moins importante que celle de l'USH.
L'ADN de l'Anru, conformément à la loi du 1er août 2003, se fonde sur deux grands piliers : la mixité sociale et la construction de la ville durable. Notre marque de fabrique consiste à « refaire la ville sur la ville » en apportant des réponses globales en termes d'habitat et d'aménagement ou d'équipement. Il s'agit de prendre en compte la globalité d'un quartier et pas seulement d'intervenir sur le logement social.
S'agissant de la rénovation de ce dernier, dans le cadre du nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU), nous intervenons pour traiter environ 250 000 logements en finançant 105 000 démolitions de logements sociaux et environ 140 000 réhabilitations lourdes. Par rapport au premier Programme national de rénovation urbaine (PNRU), nous avons choisi, avec le second NPNRU, de financer moins de réhabilitations mais avec un niveau qualitatif beaucoup plus élevé et des restructurations lourdes nécessitant un niveau moyen d'intervention environ six fois plus important que les interventions du PNRU qui relevaient plutôt de l'entretien du patrimoine. Je confirme ici les chiffres fournis par Emmanuelle Cosse car nous constatons que le coût des dernières restructurations lourdes atteint 80 000 à 100 000 euros par logement quand on allie rénovation énergétique - pour atteindre un niveau supérieur ou égal au label BBC Rénovation (Bâtiment basse consommation) - et réhabilitation dans toutes ses dimensions thermiques ou d'habitabilité.
Je précise que sur les 250 000 logements que nous rénovons, environ 8 000 appartiennent au parc privé. Nous participons aussi à la reconstruction de logements sociaux ainsi que de logements en diversification. Au-delà de ces interventions sur l'habitat, l'Anru finance plus de 1 000 équipements publics et l'aménagement d'un grand nombre d'hectares de terrain.
Pour en revenir au logement social, nous sommes beaucoup préoccupés de la question de la sobriété énergétique et de la rénovation thermique. Dans nos financements, nous avons incité les bailleurs à privilégier les rénovations BBC - en leur accordant des financements majorés - plutôt que d'intervenir en Haute Performance énergétique (HPE). Aujourd'hui nous finançons 70 % de nos réhabilitations en label BBC et, dans le cadre de l'abondement de 2 milliards d'euros qui a été décidé en 2021 en faveur du PNRU, nous avons décidé de ne plus financer que des réhabilitations au niveau BBC ce qui témoigne de la force de notre engagement pour la performance énergétique.
En ce qui concerne la mise en oeuvre du NPNRU, tous les crédits sont alloués et la quasi-totalité des quartiers - 440 sur 450 au total - sont en chantier. Je souligne que dans cette phase opérationnelle extrêmement active, nous avons mené avec l'ensemble de nos partenaires - USH, Action Logement, Caisse des dépôts et un certain nombre d'agences d'État - une réflexion pour réexaminer les projets que nous déployons à l'aune de la résilience requise par la loi Climat et résilience. Cela nous a conduits à nous interroger beaucoup plus fortement qu'avant sur le mode d'alimentation en énergie des quartiers et à renforcer notre partenariat avec l'Ademe : celle-ci s'est engagée, dans le cadre du programme Quartiers résilients, à accompagner chaque année, à hauteur d'au moins 50 millions d'euros, nos projets de renouvellement urbain sur ce volet d'approvisionnement en énergie.
S'agissant des diagnostics, et comme l'a indiqué la représentante de l'USH à l'instant, on constate, d'après les chiffres que nous sommes en train d'actualiser, que le parc de logements sociaux dans les quartiers NPNRU est assez bien positionné en matière énergétique ou thermique : il est généralement classé en D, en raison de sa construction assez récente, même si quelques bâtiments relèvent encore des étiquettes E, F et G. En revanche, le chauffage de ce parc est essentiellement assuré par le gaz et le développement des réseaux de chauffage urbain est un enjeu extrêmement important. Je rejoins également les propos de la présidente de l'USH sur les arrêtés de classements des réseaux de chauffage urbain. Certains bailleurs sont venus nous dire qu'ils allaient se déconnecter des réseaux de chauffage urbain non classés verts car ils ne pouvaient pas atteindre les objectifs BBC rénovation en y restant raccordés. Dans l'exemple auquel je fais ici référence, nous avons convenu avec la maire de la ville de suspendre notre projet de rénovation en attendant que le réseau se verdisse. Cet exemple illustre notre démarche sur le programme de quartiers résilients qui comporte deux volets. Le premier est d'analyser tous les projets de renouvellement urbain au regard des grands objectifs de résilience et le second est d'assurer un accompagnement renforcé de 50 territoires pour remédier à leurs dysfonctionnements croisés - urbains, environnementaux et sociaux. Sur ces 50 territoires, nous avons déjà retenu 25 territoires d'intervention renforcée dont un quart nous sollicite sur ces enjeux énergétiques. Le partenariat que nous avons engagé avec les acteurs que j'ai mentionnés témoigne de la réponse globale que nous entendons apporter au défi de la rénovation énergétique des logements sociaux.
M. Simon Molesin, directeur du patrimoine de la Régie immobilière de la ville de Paris. - Notre organisme fête ses 100 ans cette année et gère un patrimoine dont la moyenne d'âge est de 50 ans. Nous sommes volontaires pour nous engager dans la rénovation énergétique et avons dès 2018 formalisé notre stratégie bas-carbone pour nous conformer à la trajectoire nationale jusqu'en 2050. Nous avons également innové en testant des solutions d'énergies renouvelables comme la récupération de chaleur fatale de data centers ou autres et noué des partenariats avec le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) pour explorer de nouvelles solutions de décarbonation.
Pour nous, la principale difficulté n'est pas l'éradication des étiquettes F et G en 2025 et 2028 mais de rénover le bloc des étiquettes E qui représente 25 % de notre patrimoine. Je souligne également les contraintes patrimoniales que nous devons respecter et la nécessité de changer les vecteurs énergétiques pour réussir la décarbonation. Cela m'amène à faire observer, en matière de coût de l'énergie, que nous ne bénéficions plus de tarifs réglementés et nos locataires peuvent difficilement accepter le passage à un réseau de chaleur s'il en résulte une augmentation de leurs charges de 50 %. Je signale également les difficultés que nous rencontrons avec l'empreinte carbone des réseaux de chaleur, qui nous obligent à trouver des solutions alternatives ou à abandonner nos ambitions initiales en termes de décarbonation.
De plus, la stratégie nationale préconise l'utilisation des pompes à chaleur, mais leur installation est complexe en milieu urbain et actuellement mal maîtrisée tant par les industriels que par les personnes en charge de la maintenance. Par conséquent, on risque de ne pas atteindre les résultats attendus ; or nous avons besoin de solutions durables et fiables sur lesquelles nous pouvons nous appuyer, afin d'éviter tout écart par rapport aux calculs théoriques.
Par ailleurs, comme vous l'avez mentionné, le patrimoine ancien d'avant 1948 est fortement pénalisé en termes d'étiquettes DPE. Maintenant que la réglementation s'est stabilisée, nous sommes en train d'établir les nouveaux diagnostics de performance énergétique (DPE) et nous aurons terminé ce processus à la fin de l'année. Mais j'observe que nous avons dû commencer à programmer la rénovation sans pouvoir nous baser sur des outils actualisés. Pour le patrimoine ancien, il semble difficile d'atteindre les objectifs fixés et cela va impliquer des coûts très élevés de travaux ainsi que la mise en place de solutions complexes en recourant à l'isolation par l'intérieur : cela concerne en particulier les immeubles en brique rouge de la ceinture parisienne. L'isolation par l'intérieur implique, d'une part, une perte de surface habitable génératrice de perte de loyers qui s'ajoutera au coût des travaux et, d'autre part, un relogement temporaire au moment où les contrats de relogement sont problématiques dans un contexte de fortes tensions. Par conséquent, si nous appliquons la méthode telle qu'elle est actuellement définie, nous allons au-devant de réelles difficultés pour ces immeubles anciens.
Je m'associe aux constats et aux recommandations de l'USH au plan financier. Lorsque le taux du livret A était à 1 %, nous avions des rentrées annuelles d'environ 40 à 50 millions d'euros. Chaque augmentation de 1 % de ce taux entraîne pour nous une perte de plus de 15 millions d'euros par an, ce qui accentue les difficultés auxquelles nous sommes confrontés pour autofinancer la rénovation tout en continuant à développer notre parc.
De plus, réaliser ces travaux tout en maintenant l'occupation des logements est complexe et souvent mal vécu par les locataires. Les professionnels n'ont pas toujours pris en compte cette dimension sociale et les exigences liées à la gêne occasionnée par les travaux. Il est donc essentiel que l'ensemble de la filière se professionnalise pour réaliser des travaux ambitieux et invasifs de manière efficace.
En général, nous rénovons les logements de façon globale, sans nous limiter à l'aspect thermique et deux sujets nous préoccupent particulièrement. Le premier est le vieillissement de la population qui implique l'adaptation des salles de bains. Près de 30 % de nos résidents ont plus de 65 ans : dans 10 ans, ils auront plus de 75 ans et la prise en compte du vieillissement est donc essentielle pour nous. De plus, la question du confort en été devient de plus en plus préoccupante. Nous recevons presque plus de réclamations en été pour des problèmes de surchauffe qu'en hiver pour le froid. Or l'isolation par l'intérieur est une solution très efficace en hiver mais potentiellement défavorable en été et le DPE ne prend actuellement en compte que les aspects hivernaux, sous-estimant ainsi les enjeux estivaux.
Nous voulons construire et réhabiliter avec des solutions durables ces projets coûteux. Avant la période d'inflation, notre budget moyen de rénovation était de 50 000 euros par logement et aujourd'hui il est plutôt de 60 000 euros et les perspectives sont incertaines : à chaque nouvel appel d'offres, nous sommes surpris par les prix proposés. Nous voulons avancer dans la rénovation mais les contraintes et les difficultés sont nombreuses.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Merci pour les différentes interventions très complètes qui appellent quelques précisions et remarques. Je note d'abord que vous souhaitez vous inscrire dans le calendrier de décarbonation mais que vous restez réalistes : est-il atteignable ?
Ensuite, je vous rejoins sur le fait qu'il faut raisonner à la fois en termes de décarbonation et de rénovation thermique globale car en présence de passoires thermiques ou de logements indignes, il ne suffit pas de changer la chaudière pour régler l'ensemble des problèmes : comment atteindrez-vous tous ces objectifs ?
Cela me permet de faire le lien avec notre intéressant déplacement à L'Isle-d'Abeau où l'opération de rénovation thermique qui a été réalisée s'intègre dans l'aménagement des espaces urbains lancé par la commune pour réduire les îlots de chaleur et diminuer la part de la voiture. Comment mieux articuler les interventions des bailleurs sociaux avec celles des collectivités territoriales, ce qui permet, comme on l'a vu à L'Isle-d'Abeau, d'améliorer le confort thermique d'été ?
Par ailleurs, vous avez rappelé que nous sommes dans la deuxième phase du DPE : pouvez-vous apporter des précisions sur son efficacité et son adaptation aux bâtiments anciens ? Où en sont vos réflexions sur le DPE global qui me paraissent apporter une simplification par rapport au DPE pour chaque logement ?
Je voudrais également avoir votre point de vue sur l'amélioration des leviers de sobriété individuelle de vos locataires. Je rappelle l'opinion d'une économiste comme Esther Duflo qui, schématiquement, estime que la rénovation thermique telle qu'on l'envisage est en toute certitude très coûteuse mais son efficacité est incertaine : il serait donc intéressant d'agir plutôt sur l'individualisation du chauffage et sur la sobriété des comportements.
Quelle est votre méthodologie, au plan financier et du point de vue de l'efficacité technique, pour arbitrer entre la rénovation globale, la démolition ou la deuxième vie des bâtiments ?
Enfin, comment intégrez-vous la problématique du Zéro artificialisation nette (ZAN), avec, par exemple, l'idée que la rénovation d'un complexe immobilier peut être l'occasion d'ajouter des logements ou d'optimiser l'utilisation du foncier ?
M. Emmanuelle Cosse. - Tout d'abord, nous avons pris la décision de respecter le calendrier prévu pour la rénovation énergétique du logement social, même si cela peut être difficile. Cette position est collective, bien que certains opérateurs d'HLM soient plus sensibles à la question que d'autres. Par exemple, en Bretagne, il y a très peu de bâtiments classés E, F ou G : les patrimoines sont plus récents et utilisent beaucoup d'électricité. En revanche, les opérateurs des Hauts-de-France, du Grand Est et d'Île-de-France sont beaucoup plus impactés, avec le cas extrême de l'opérateur qui gère 60 000 logements dans le bassin minier du Nord et du Pas-de-Calais. De plus, les diagnostics de performance énergétique (DPE) varient en fonction des régions. Pour que le calendrier soit respecté, il faut faire jouer le principe de solidarité entre l'ensemble des organismes HLM, surtout en faveur de ceux qui possèdent les patrimoines les plus énergivores - selon la classification introduite par le nouveau DPE - et qui ne sont pas responsables de cette situation puisque le volet carbone n'était pas antérieurement pris en compte.
Nous nous interrogeons également pour savoir si certains patrimoines doivent être démolis ou vendus et je rappelle que depuis cinq ans, on nous demande de vendre du patrimoine pour financer les politiques de logement social.
S'agissant des bâtiments situés dans les quartiers parisiens ou lyonnais et du patrimoine haussmannien, cela fait 15 ans qu'on se demande comment les réhabiliter. Par exemple, l'encapsulage rencontre, d'une part, l'opposition des architectes des bâtiments de France (ABF) et risque, d'autre part, de faire mourir ces bâtiments - en briques, en terre ou en pierre de taille - si on ne choisit pas les matériaux de réhabilitation adéquats pour les laisser respirer. Tout cela explique que nous souhaitons bien entendu réhabiliter le bâti haussmannien mais que nous ne savons pas comment ni à quel prix.
J'attire également votre attention sur le fait que le décret d'application de la loi Climat et résilience qui doit préciser les modalités de rénovation des bâtiments patrimoniaux - en secteur protégé, dans les aires de mise en valeur de l'architecture et du patrimoine (AVAP) ou en zone ABF - n'est, à ma connaissance, pas publié. Je signale qu'une seule réunion à laquelle nous n'étions pas conviés et dont nous n'avons pas le compte rendu a été organisée sur le sujet avec le ministère de la culture, le ministère du logement et les ABF. Quand on ne sait pas quelle solution de réhabilitation peut convenir aux ABF comment fait-on ?
Les bailleurs propriétaires privés peuvent mettre au point une stratégie plus facilement que les bailleurs sociaux dont le patrimoine est habité. Je crains que l'on s'oriente vers des quartiers à deux vitesses : certains bénéficieront de logements sociaux dont on aura amélioré la performance énergétique, ce qui protégera les locataires de la dépense énergétique excessive ; dans d'autres quartiers on ne rénovera pas le patrimoine classé ni les bâtiments dont les copropriétaires n'auront pas accepté de voter les travaux ; dans ce dernier cas, la loi prévoit la possibilité de recours contentieux mais l'inaction reste possible, ce qui maintiendrait dans la pauvreté certains locataires accablés de lourdes factures énergétiques. Or notre choix stratégique est de protéger et de cibler dans le calendrier des travaux les locataires les plus pauvres face à des hausses de prix de l'énergie qui ne seraient pas compensées.
Pa ailleurs, le calendrier actuel de la rénovation du logement me semble réaliste mais je m'interroge sur la trajectoire de décarbonation prévue par le « Fit for 55 » ? Je trouve un peu regrettable qu'on demande un effort considérable au parc résidentiel par rapport aux autres secteurs émetteurs de gaz à effet de serre comme l'agriculture, les transports ou le parc tertiaire. Soyons honnêtes et constatons que les propriétaires privés qui occupent leur logement peuvent choisir de ne pas effectuer les travaux ; les bailleurs privés peuvent renoncer à louer et sortir de l'obligation de rénovation ; en revanche, les bailleurs doivent réaliser des travaux de rénovation quoi qu'il arrive, sauf à réduire le parc locatif. J'alerte sur le fait que nous sommes volontaires et compétents pour rénover le parc social mais on nous demande des efforts presque insurmontables : nous pouvons donc respecter le calendrier prévu mais pas l'accélérer.
Le DPE actuel, sur lequel vous nous interrogez, comporte à la fois un volet consommation et un volet carbone qui invite à choisir des vecteurs énergétiques moins émissifs. Je crains comme vous qu'on se focalise sur la performance thermique ou énergétique en oubliant le reste : l'Anru nous incite, après l'expérience de la pandémie, à installer des balcons à la faveur de la réhabilitation. J'y suis favorable même si techniquement et financièrement c'est assez compliqué et j'observe que le besoin d'espaces extérieurs ne se limite pas aux quartiers de l'Anru.
Je rejoins également vos observations sur le confort d'été qui ne se limite pas aux aménagements intérieurs aux logements mais aussi à la végétalisation et à la renaturation extérieure : nous y travaillons beaucoup et de façon très efficace, en particulier là où les collectivités nous incitent à utiliser notre foncier pour développer des zones d'ombrage. On peut ainsi faire chuter très vite de 5 à 10 degrés la température autour des résidences.
J'en viens aux travaux de rénovation énergétique des logements sociaux dans lesquels le locataire reste en place et je précise qu'une éventuelle augmentation du loyer ne peut intervenir qu'en cas de relocation à un autre occupant. Cependant, une troisième ligne de quittance peut être utilisée non pas pour financer le programme de rénovation mais pour partager les économies de dépenses énergétiques à venir entre le propriétaire et le locataire, à parts égales. Cette troisième ligne de quittance, souvent contestée par les associations de locataires, est mise en place pour une durée de 10 à 15 ans et peut représenter entre 20 et 40 euros par mois, au regard de programmes de rénovation de l'ordre de 50 000 euros par logement. Je rappelle que les programmes de rénovation sont financés par des prêts, des subventions des collectivités territoriales, des prélèvements fiscaux adaptés en fonction des territoires ou encore des allocations du fonds européen de développement régional (Feder) lorsque les bailleurs sociaux y sont éligibles - et je souligne que ces dernières créent de fortes distorsions entre les régions. J'insiste également sur l'importance des certificats d'économies d'énergie (CEE) et j'ajoute que les fonds propres, qui représentent une part considérable du financement de ces opérations, proviennent des recettes locatives générées par les années précédentes. En général, une rénovation d'environ 100 000 euros par logement nécessite un apport de fonds propres de l'ordre de 30 000 ou 40 000 euros de fonds propres, mais les bailleurs sociaux disposent de moins en moins de telles sommes.
Comme vous l'indiquez, les comportements des occupants ont un impact très important sur la sobriété énergétique des bâtiments. Récemment, le Gouvernement a demandé aux bailleurs sociaux de limiter la température de chauffage à 19 degrés et nous avons répondu favorablement à ces consignes qui ont permis de réduire considérablement la consommation énergétique, même si cela a créé des difficultés dans certains endroits. Le même raisonnement s'applique à l'eau et je signale l'intérêt de l'intervention des acteurs associatifs qui dialoguent avec les occupants sur l'électroménager énergivore, la façon de chauffer les pièces ou l'installation de thermostats.
J'en viens à l'individualisation des frais de chauffage qui est un sujet très particulier pour le logement social. Pour être honnête, le secteur social HLM n'a rien contre l'IFC (Individualisation des frais de chauffage), mais se pose beaucoup de questions sur son application réglementaire. En tant que ministre, j'ai pris les décrets concernant l'IFC et j'assume totalement cette décision, même si l'Union sociale pour l'habitat l'a attaquée sans succès devant les instances administratives. La difficulté dans le logement social est que les locataires n'ont ni le choix du logement qui leur est attribué ni celui de son étage ou de son orientation nord ou au sud. Cela crée une iniquité car, dans un même immeuble, à chauffage égal, on peut mesurer une température de 21 degrés d'un côté et 16 degrés de l'autre. J'ajoute qu'aujourd'hui, le modèle de l'IFC tel qu'il est proposé dans le décret est un peu dépassé. Nous trouverions plus intéressant de muscler l'action quotidienne récurrente auprès des locataires sur les usages et je ne vous cache pas que d'aider les locataires à s'équiper en électroménager peu énergivore est, à mon avis, l'une des meilleures façons de faire des économies d'énergie. Il faudrait également intervenir plus souvent, en maintenance, sur les questions de consommation et intensifier les veilles, ce que nous avons d'ailleurs fait avec le plan de sobriété à 19 degrés.
Je pense par ailleurs que certains patrimoines qui aujourd'hui connaissent une seconde vie auraient été démolis il y a plusieurs années car le modèle de financement de la production neuve était plus simple. La technique de la seconde vie présente plusieurs avantages : elle émet moins de carbone, génère moins de déchets que la démolition et préserve un niveau de constructibilité important. Par le passé on pensait que la démolition permettrait de réaménager et de densifier l'habitat social mais, d'après mon expérience récente, partout où on démolit, on perd de la constructibilité, ce qui a contribué à faire évoluer la culture de la démolition.
Mme Anne-Claire Mialot. - Pour donner le point de vue de l'Anru à propos des questions du rapporteur, je commencerai par vous résumer les résultats publiés l'été dernier du sondage auprès les habitants des quartiers de la politique de la ville et qui portait, en particulier, sur la canicule ainsi que leurs réactions face à la crise sanitaire. Nous constatons un enjeu extrêmement fort lié à la précarité sociale lorsque celle-ci se conjugue avec la précarité énergétique : 72 % des habitants se sont dits inquiets de l'évolution du prix de l'énergie, contre la moitié pour la France entière. De même, 70 % des habitants des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) ont indiqué avoir souffert de la chaleur, contre 50 à 55 % pour le reste de la France. Nous considérons donc qu'il nous faut, dans le cadre de nos programmes de renouvellement urbain, tout particulièrement prendre en compte les enjeux d'adaptation au changement climatique.
En deuxième lieu, la prise en compte simultanée de l'ensemble des objectifs de rénovation est un des fondements de l'Anru et c'est la méthode suivie dans le NPNRU, notamment sur le sujet de la mobilité. Nous examinons systématiquement les dessertes de transports en commun avec les porteurs de projets que sont les intercommunalités ainsi que les maires et je constate partout en France un nombre croissant de quartiers reliés par le tramway, une amélioration des dessertes et un travail très important sur les mobilités douces. Tout l'enjeu de notre démarche « quartiers résilients » consiste justement à apporter des réponses globales à la fois sur le logement, la performance thermique ou l'autoproduction d'énergie, les modes d'énergie propres, la renaturation des espaces et les aides à la mobilité.
Dans les quartiers de renouvellement urbain, l'artificialisation des sols est très forte mais la densité n'est pas nécessairement élevée : le potentiel de densification est donc réel dans un certain nombre de quartiers. En revanche, l'enjeu de renaturation est essentiel, d'autant que les quartiers NPNRU sont très souvent positionnés à côté des autoroutes, au bord des voies de chemin de fer ou à proximité d'un site naturel problématique. Cela s'accompagne d'éventuelles difficultés de santé environnementale ou de la nécessité d'établir des plans de prévention des risques inondation (PPRi). Nous insistons beaucoup, auprès des collectivités qui viennent en comité d'engagement, sur notre approche globale - qui intègre les équipements publics de santé, de scolarité et de réussite éducative - même si 70 % de nos financements vont vers l'habitat.
J'ajoute que l'Anru a joué un rôle important de laboratoire pour tester des solutions de ville durable. L'Anru a ainsi financé dans le cadre d'un des programmes d'investissement d'avenir (PIA) qui lui a été confié par le secrétariat général pour l'investissement (SGPI) la réhabilitation des tours Nuages d'Émile Aillaud à La Défense. Un travail de recherche a été effectué pour rénover thermiquement ces tours tout en conservant leur qualité patrimoniale. On m'a expliqué que les procédés constructifs utilisés le long des façades pouvaient également servir en centre-ville ancien pour la réhabilitation thermique de patrimoines remarquables. Je rappelle également que le procédé d'isolation par l'extérieur EnergieSprong - testé par exemple à Vaulx-en-Velin - est une technique extrêmement rapide et utilisable pour les logements sociaux à géométrie simple. L'Anru accompagne ainsi les bailleurs sociaux pour tester des solutions innovantes qui pourront ensuite se diffuser au reste du patrimoine.
Nous finançons également, par l'intermédiaire de notre fonds PIA, des projets d'autoproduction d'énergie, de thalassothermie et de géothermie. Nous accompagnons aussi un projet - labellisé lors du dernier congrès de l'USH à Nantes - d'agriculture urbaine sur un toit d'immeuble ainsi qu'une serre permettant de chauffer le bâtiment. Au titre des expérimentations, je mentionne également notre programme Quartiers fertiles qui vise à développer l'agriculture urbaine en répondant aux objectifs de renaturation et de création d'activités d'insertion économique. Nous travaillons enfin beaucoup sur le réemploi des matériaux pour verdir la déconstruction. Je rappelle que, dans le cadre du PMRU, on démolissait les immeubles par explosion en employant de la dynamite, ce qui n'est plus le cas : aujourd'hui, la déconstruction s'accompagne de l'installation de plateformes de tri dans de nombreux quartiers qui, de façon emblématique, permettent de réutiliser par exemple les baignoires ou les chaînes des logements réhabilités.
S'agissant de notre méthodologie pour choisir les projets, et plus exactement les collectivités qui les portent, nous examinons chaque programme - de démolition, de reconstruction ou de réhabilitation - en tenant compte de l'ensemble des contraintes qui s'imposent à nous en termes de durabilité des projets et de décarbonation. Nous prenons en compte le contexte urbain et examinons les modalités d'implantation des logements en évaluant la capacité des bâtiments à être réhabilités. Je souligne que l'Anru, qui refait la ville sur la ville intervient sur des zones déjà artificialisées, ce qui permet d'économiser du foncier. Nous constatons que les collectivités présentent de moins en moins de projets de démolition et se concentrent surtout sur des projets de restructuration lourde, ce qui reflète l'évolution de la technique de renouvellement urbain vers un traitement des dysfonctionnements plutôt que la destruction systématique des grands ensembles, comme cela se faisait auparavant.
Toutefois, financièrement, le coût de la réhabilitation pour certains bâtiments peut atteindre 170 000 euros par logement tout en sachant qu'on n'atteindra jamais une étiquette énergie B. Nous devons donc tenir compte de la qualité constructive initiale des bâtiments. Certains d'entre eux se prêtent très bien à une restructuration lourde : ainsi à Rennes une tour a été rénovée de façon exemplaire pour 110 000 euros par logement. Dans le cas contraire, j'insiste souvent en comité d'engagement sur notre volonté de recharger les bâtiments pour une durée qui ne soit pas inférieure à 40 ou 50 ans. Il me semble également fondamental de pouvoir traiter non seulement le sujet énergétique, mais aussi le sujet de la sobriété - car l'électricité n'est pas inépuisable - et celui du confort thermique, y compris le confort d'été et la renaturation. Ce dernier devient une préoccupation croissante car les habitants des quartiers populaires partent beaucoup moins en vacances que les autres et ne peuvent pas se réfugier à la campagne quand il fait très chaud.
J'insiste également sur le nécessaire travail sur la restructuration typologique des logements pour les adapter à l'évolution des structures familiales et sur l'amélioration du confort des pièces de vie des locataires. Ces travaux sont très intrusifs : c'est pourquoi ils sont souvent réalisés en site inoccupé mais je souligne que même en site occupé, les locataires ne comprennent pas qu'on intervienne uniquement pour faire l'isolation par l'extérieur sans rénover leur salle de bain qu'ils utilisent quotidiennement. Le coût des rénovations globales est élevé mais elles sont nécessaires.
Je réponds donc à votre question sur les choix que nous privilégions en indiquant que nous n'avons pas de dogmes et faisons des choix contextualisés par rapport aux situations spécifiques dans les quartiers. Avant de mettre 80 ou 90 000 euros par logement, il faut quand même se poser la question de savoir si l'ossature initiale du bâtiment est suffisamment solide et si, au vu du fonctionnement urbain du quartier, le bâtiment est bien positionné ou s'il est préférable de retravailler la trame urbaine. Si on démolit le bâtiment, il faut ensuite reconstruire en trouvant du foncier disponible et nous sommes particulièrement vigilants sur ce sujet.
Je termine en soulignant notre préoccupation majeure de renforcer la mixité sociale : si on démolit des logements sociaux, c'est aussi pour faire baisser la part de logements sociaux dans certains quartiers où ils représentent 70-80 % du parc. Conformément à l'ADN de l'Anru, nous devons travailler, d'une part, sur la démolition-reconstruction de logements sociaux en dehors des quartiers et, d'autre part, sur le changement d'usage, ce qui nécessite également le relogement des locataires.
M. Simon Molesin. - S'agissant du lien entre décarbonation et rénovation, notre conviction est que la sobriété est le facteur prioritaire : nous travaillons donc avant tout sur la rénovation et la question de la décarbonation vient dans un second temps. En ce qui concerne les usages, nous avons réalisé des campagnes d'éco-gestes les uns les autres et on constate que les résultats efficaces sont obtenus quand on prend le temps de personnaliser les réponses aux locataires et les solutions. C'est pourquoi je me demande si l'individualisation des frais de chauffage apporte une réponse bien adaptée, d'autant qu'en arrière-plan on a recours à une méthode de calcul assez obscure qui dépend des matériels installés et qui n'est pas facilement perceptible pour le locataire. Par conséquent nous préférons mobiliser les énergéticiens pour cofinancer avec nous des campagnes de sobriété auprès des personnes en grande précarité. L'individualisation des frais de chauffage se heurte à une seconde difficulté : en, effet, nous avons signé des contrats de performances et d'intéressement avec nos exploitants, ce qui ne serait plus possible si chacun peut régler sa température. Or le travail engagé avec ces exploitants porte ses fruits comme en témoigne l'épisode de l'hiver dernier où notre force de négociation a été bénéfique.
Par ailleurs, nous réalisons des DPE par bâtiment : cela nous permet de ne visiter que 10 % des logements, avec des campagnes de diagnostics dont le coût atteint tout de même 2 millions d'euros. Les DPE par bâtiment sont ensuite déclinés par logement et, par exemple, un bâti global en étiquette E peut néanmoins abriter quelques logements en classe F ou G.
J'indique à mon tour que le choix du niveau d'intervention sur les bâtiments dépend de chaque cas particulier. Au Village Saint-Paul, nous avons pu rénover des logements en ayant recours à l'isolation par l'extérieur et en trouvant le moyen de dialoguer avec les architectes et les ABF, et ça marche. Dans certains cas, où nous n'avons pas encore pu dégager les meilleures solutions avec les ABF, c'est plus compliqué. En tout état de cause, une rénovation doit être poussée au maximum de son efficacité pour éviter d'intervenir deux fois, ce qui saturerait nos moyens financiers et humains. Pour respecter la trajectoire de rénovation dans des limites financières raisonnables, il est crucial d'optimiser le niveau des interventions.
M. Philippe Folliot. - Ma question s'adresse à la présidente de l'USH et porte sur certains bailleurs et collectivités qui se trouvent dans une situation inextricable. Hier, j'étais dans la commune de Saint-Benoît de Carmaux qui comporte 60 % de logements sociaux construits, pour l'essentiel, dans les années 1920 pour accueillir les mineurs et je précise que la situation est similaire dans les communes voisines de Cagnac-les-Mines, Blaye-les-Mines ou Carmaux. On est en présence de logements collectifs horizontaux, pour la plupart classés E, F ou G en termes de performance énergétique, dans des communes qui ont perdu entre le quart et le tiers de leur population au cours des 15 à 30 dernières années. Le bailleur, en l'occurrence 3F, qui a repris les actifs des anciennes houillères des deux communes, rencontre des difficultés pour réhabiliter tous ces logements et les faire passer de la classe F à une classe plus élevée. La loi rend également la cession de ces logements compliquée. À partir de 2025, ils se retrouveront donc dans une situation où ils ne pourront ni réhabiliter ni vendre ces logements.
Ne faudrait-il pas envisager un cadre plus souple pour faciliter des schémas d'accession sociale à la propriété sur ces territoires dont je précise qu'ils restent sous-tendus en matière de logement ? Les personnes ayant acquis des logements pourraient alors effectuer eux-mêmes les travaux de rénovation énergétique sous le contrôle d'artisans ou d'organismes agréés tandis que les organismes pourraient réinvestir le produit de ces ventes dans la réhabilitation du parc existant sur les communes concernées.
Cela mérite un examen attentif car nous sommes ici dans la situation que vous avez décrite où la mise aux normes énergétique coûte presque aussi cher que la valeur des biens qui sont, en l'occurrence, situés dans des secteurs où le prix du foncier est relativement bas. Les attentes de la part des collectivités sont très importantes sur ce sujet et celles-ci voient avec beaucoup d'inquiétude se rapprocher l'échéance de 2025.
Mme Emmanuelle Cosse. - Votre question est extrêmement pertinente car on parle ici d'un patrimoine ancien et qui est occupé, même si on relève un peu de vacance. J'ai évoqué le bassin minier du Nord et du Pas-de-Calais mais il faut prendre en compte l'ensemble du patrimoine des houillères situé dans le Grand Est, en Lorraine et aussi le Sud. Les loyers y sont extrêmement bas et les locataires sont souvent au niveau du seuil de pauvreté. Plusieurs observations doivent être faites. D'abord, ce patrimoine, plutôt individuel, a généralement des qualités architecturales réelles : certains bâtiments sont classés et font partie des cités jardins. Ensuite, leurs modes de chauffage sont plutôt individuels et la réhabilitation de ces logements est plus coûteuse : dans le cas d'une tour on peut abaisser le prix à moins de 40 000 euros mais, pour rénover une maison individuelle, il faut compter au moins 60 000 euros car pour ramener de la sobriété on refait les toitures, les planchers et les sous-sols dans des zones où à certains endroits, il n'y a pas de fondations. Par ailleurs, c'est un patrimoine utile, habité, qui contribue à la revitalisation de certains territoires et qui entre parfois dans les périmètres d'Action coeur de ville. Si ce patrimoine a été identifié par les bailleurs dans leur convention d'utilité sociale (CUS), il peut être vendu même s'il est étiqueté F ou G : c'est paradoxal mais c'est la règle en vigueur. Faute d'identification, il faut faire des travaux, quoi qu'il arrive, pour le vendre. J'estime d'ailleurs normal que le bailleur fasse des travaux pour améliorer la classe énergétique de ce patrimoine, car il ne me semble pas souhaitable que les futurs propriétaires se retrouvent avec un patrimoine aussi complexe à réhabiliter - mais cela ne suffira pas. Je constate que les bailleurs essayent de vendre ces logements mais ne trouvent pas d'acheteurs, dans un contexte où la vente d'HLM est à un niveau qui tend vers zéro. À supposer même qu'on mette en place des programmes d'accession sociale, je pense qu'a minima, il faudrait que les bailleurs puissent construire les programmes de travaux par classe énergétique à gagner. Il me semble même que nos organismes devraient pouvoir réaliser les travaux de rénovation du patrimoine en vente pour le compte des futurs propriétaires individuels pour leur éviter des difficultés. Aujourd'hui, à la demande de certains maires nous rachetons du patrimoine que nous avons vendu il y a 25 ans parce que financièrement, les travaux n'ont pas été faits. Il serait intéressant d'envisager une solution sous la forme d'un plan concerté, en associant l'intervention de l'Anah et des crédits de la rénovation du parc privé. J'ajoute que ce patrimoine se rattache à notre histoire industrielle et procure une très bonne qualité d'habitat, avec des espaces extérieurs, même si les salles de bain sont petites et que le bâti est mal adapté au handicap. Il faut donc trouver des moyens financiers pour le rénover, ce qui me ramène à mes remarques précédentes sur notre absence de visibilité dans ce domaine. Par ailleurs, certains éléments de ce patrimoine se prêtent à une massification des gestes de travaux et donc à des économies de coût en planifiant les interventions.
J'en termine en évoquant la transparence sur les coûts des matériaux. Nous avons obtenu de la part de Bruno Le Maire la mise en place d'un observatoire sur ce thème, depuis deux mois, et le ministre a indiqué que, pour l'instant, les industriels ne jouaient pas assez le jeu de la transparence sur le coût des matériaux. C'est un facteur de surcoûts des travaux de rénovation et d'incertitude pour en chiffrer le montant.
M. Franck Montaugé. - Merci pour la clarté de vos interventions et leur qualité pédagogique sur des sujets complexes. Je voudrais d'abord savoir si vous avez des retours d'expérience sur l'efficacité des travaux de rénovation énergétique dans l'hypothèse où ceux-ci ont été correctement réalisés.
Ma deuxième question est fondée sur mon expérience personnelle dans un quartier, à Auch dans le Gers, qui relevait à la fois dans la politique de la ville et du PNRU. J'ai été témoin, à regret, d'un programme de réhabilitation dont l'aspect qualité de l'habitat a été complètement éludé. Comme vous l'avez suggéré, il faut traiter simultanément les dimensions de rénovation, d'énergie et d'habitabilité qui relèvent d'objectifs distincts mais qui sont, du point de vue des habitants, tous aussi importants les uns que les autres. Dans ces conditions, ne faut-il pas pondérer l'importance de l'objectif climatique en réintroduisant plus fortement dans les programmes la qualité de vie ?
Mme Anne-Claire Mialot. - En ce qui concerne les économies d'énergie générées par la rénovation, nous n'avons pas dans le cadre du NPNRU, de retour d'expérience suffisant pour l'instant, car le programme est encore en phase de déploiement.
Nous souhaitons, avec la présidente Catherine Vautrin, renforcer le monitoring des programmes de renouvellement urbains car nous avons parfois la désagréable sensation quand nous retournons dans des quartiers rénovés que le plan de gestion initial n'a pas été respecté. Une évaluation est en cours sur la mise en oeuvre du PNRU dont les résultats seront publiés cet automne, ce qui permettra de renforcer notre pilotage et notre droit de suite, justifiés par les investissements massifs qui sont alloués.
Par ailleurs, les problématiques d'habitabilité et de confort de vie se manifestent souvent en cas de relogement, quand les locataires quittent des logements assez vastes et à des niveaux de loyer bas, pour habiter des logements neufs, avec des loyers éventuellement plus élevés, une surface moindre et une moins bonne habitabilité parce que les pièces d'eau sont très grandes mais les pièces de vie beaucoup plus petites.
La qualité et le coût des logements sont un sujet dont nous discutons avec le Conseil national de l'ordre des architectes et nous devons renforcer ce travail collectif. Je mentionne qu'après le confinement, nous avons beaucoup insisté sur la mise en place de balcons pour répondre au besoin d'espaces extérieurs. Nous devons également réfléchir à la restructuration de logements de grande taille construits dans les années 1960 et 1970.
Comme cela a été souligné, la question du vieillissement de la population est cruciale dans les quartiers en renouvellement urbain et il est nécessaire d'offrir aux personnes âgées des logements, des espaces extérieurs adaptés, ainsi que des services publics et des commerces à proximité des immeubles. Je pense qu'au-delà de la question énergétique, il est essentiel de travailler sur la qualité de l'habitabilité des logements.
M. Franck Montaugé. - Juste une remarque sur l'habitabilité : je regrette que, dans le cas concret de rénovation que j'ai mentionné, la possibilité technique de créer des baies vitrées n'ait pas été prise en compte. Je pense que la relation entre l'habitant et son quartier est un déterminant fondamental de son rapport de citoyenneté avec sa ville. Agir ensemble, qui est l'essence du politique, passe par de tels aménagements qui n'ont l'air de rien mais qui sont en réalité fondamentaux, y compris pour améliorer l'attractivité des bâtiments ainsi que des quartiers qui l'ont perdue. Cela peut apparaître comme des dépenses supplémentaires mais à plus long terme, ces dépenses apportent des bénéfices sociaux, sociétaux et politiques dans le bon sens du terme. J'exprime donc un regret pour ma ville, tout en rendant hommage aux acteurs du logement social.
M. Emmanuelle Cosse. - Votre question est au coeur du sujet : la réhabilitation touche un domaine très sensible puisqu'on entre chez les gens, qu'ils soient propriétaires ou locataires. Je ne remets bien entendu pas en cause l'objectif de décarbonation, mais le locataire se préoccupe avant tout du chemin piéton pour accéder à son logement, de l'ascenseur qui ne fonctionne pas ou de la boîte aux lettres qui n'est pas à bonne hauteur et, je vais le dire franchement, à la limite, il se moque de savoir si son appartement va contribuer à la décarbonation du pays. C'est pourquoi nous plaidons plutôt pour que nos interventions chez les locataires répondent à la fois aux enjeux énergétiques mais aussi aux désagréments actuels. Je mentionne également ici les questions importantes du bruit, de l'adaptation des logements au vieillissement et les nouvelles demandes concernant par exemple le stationnement des poussettes et des vélos.
De plus, la qualité du logement est très importante et, sur ce sujet, le rapport de 2021 de Laurent Girometti, directeur général d'Epamarne, et François Leclerq, architecte urbaniste, réalisé à la demande de la ministre Emmanuelle Wargon, met en évidence des éléments assez simples : on a besoin de logements traversants pour favoriser les courants d'air ainsi que de cuisines fermées, contrairement à la nouvelle tendance qui consiste à supprimer les cuisines pour gagner de l'espace et qui rend la vie inconfortable pour les familles. Les chambres doivent avoir une taille convenable et, si possible, des placards doivent être intégrés dans la conception du logement, comme c'était le cas dans les logements sociaux jusque dans les années 1980 pour améliorer l'habitabilité. Aujourd'hui, certains de nos locataires HLM quittent d'anciens logements qui, certes, présentent des problèmes urbains mais sont d'une habitabilité bien meilleure - non seulement en termes d'espace, mais aussi de configuration - à celle que leur offre le parc plus récent. Il est important de prévoir une cuisine fermée avec une fenêtre ainsi qu'une salle de bain disposant également d'une fenêtre plutôt que d'une climatisation ou d'une ventilation mécanique contrôlée (VMC) et j'observe que ces éléments contribuent au confort d'été. Ce rapport appelle aussi à repenser la manière dont les immeubles sont implantés, en tenant compte des courants d'air existants ou de leur absence pour améliorer la qualité de l'habitat. Nous essayons d'appliquer ces suggestions lors des réhabilitations. Cependant, je me souviens d'un cas où les locataires ont demandé à un bailleur de changer les boîtes aux lettres : au terme d'une étude de trois mois qui a abouti à une rénovation de 50 000 euros par logement, cette demande n'a pas été prise en compte. Je regrette ce type de situation et j'estime nécessaire de mieux écouter les personnes que nous logeons ainsi que les élus locaux.
De plus, je rejoins les propos de Mme Anne-Claire Mialot sur l'intérêt de mener les programmes de réhabilitation à l'échelle du quartier pour deux raisons. Tout d'abord, de nombreuses collectivités ont aujourd'hui des stratégies énergétiques, climatiques et de renaturation à l'échelle de leur territoire : parfois les bailleurs sociaux y sont associés mais leur participation devrait être plus systématique. Ensuite, il serait dommage de réfléchir à la question de l'énergie uniquement du point de vue résidentiel alors que des écoles ou d'autres bâtiments publics du même quartier pourraient bénéficier de l'énergie renouvelable produite par nos résidences pendant la journée. Or d'un point de vue législatif, il est extrêmement compliqué de réhabiliter à l'échelle du quartier, en dehors des opérations conduites par l'Anru. J'insiste sur ce point car pour respecter le calendrier de décarbonation, il faudrait lever les obstacles à cette généralisation de la rénovation au niveau des quartiers. Compte tenu des fonds publics très importants alloués à cette mission, il nous paraît souhaitable d'adopter une cible plus intelligente et plus large que celle du bâtiment dont on est propriétaire.
M. Simon Molesin. - S'agissant de l'efficacité des travaux dans la durée, nous essayons de mesurer les consommations réelles des bâtiments avant et après rénovation. Tout en sachant qu'un écart existe entre le théorique et le réel imputable à l'utilisation des DPE, nous constatons, pour les rénovations que nous avons réalisées depuis plus de trois ans, des gains sensibles en économie d'énergie. Là où nous sommes intervenus de manière très significative, les économies d'énergie durables, réelles et mesurables atteignent 40 % ou plus.
M. Alban Charrier, adjoint au directeur de la maîtrise d'ouvrage et des politiques patrimoniales de l'USH. - Les bailleurs utilisent beaucoup le contrat de performance énergétique avec leurs exploitants, principalement quand le patrimoine est équipé de chauffage collectif. Dans un tel cas, nos exploitants souscrivent un engagement de consommation et sont intéressés à le respecter dans la durée, avec des contrats qui s'étendent de 4 à 8 ans sur l'exploitation du chauffage. La consommation de base figurant dans le contrat est celle qui est normalement attribuée à la qualité du bâtiment. Ce mécanisme fonctionne assez bien pour les bâtiments collectifs mais c'est plus compliqué pour les bâtiments individuels où l'exploitant ne vient pas régulièrement entretenir le matériel. Dans le parc social, à la différence du parc privé, tous les équipements sont sous contrat de maintenance géré par le bailleur, ce qui permet a minima de maintenir dans la durée la qualité intrinsèque des équipements. Pour améliorer ce système - basé sur des calculs conventionnels théoriques incluant un scénario d'occupation qui diverge souvent de la réalité - on a besoin du meilleur accès possible aux données : on en dispose pour le chauffage collectif mais pas suffisamment pour les logements individuels, ce qui limite nos possibilités d'identifier les bâtiments qui dérivent pour pouvoir cibler les interventions.
Mme Sabine Drexler. - J'aimerais savoir comment est appréhendé le bâti d'avant 1948 qui a une valeur patrimoniale ou architecturale. Comment sont prises en compte ses spécificités, et estimez-vous que sa préservation est garantie ?
M. Emmanuelle Cosse. - Ce patrimoine ancien appelle plusieurs observations. Tout d'abord, nous pensons que le DPE actuel doit être adapté car leur mode de calcul défavorise systématiquement une partie du parc ancien et il est extrêmement difficile pour celui-ci d'améliorer sa classe énergétique. Ensuite, nous devons trouver des solutions qui permettent de concilier sa préservation avec la performance des travaux en utilisant des écomatériaux ou de matériaux nobles. Dans ce domaine, nous rencontrons des difficultés réelles concernant les briques et les pierres. Enfin, s'agissant des bâtiments classés, nous rencontrons un refus par les ABF de l'isolation par l'extérieur des façades et même des difficultés pour la rénovation des cours intérieures. Nous manquons clairement de techniques adéquates dans ce domaine et, de plus, dans certains territoires, il est interdit d'utiliser de nouveaux matériaux.
Je signale cependant des expériences intéressantes comme l'utilisation du béton de chanvre pour la rénovation intérieure du patrimoine classé dans le bassin minier : ce procédé donne des résultats très encourageants dans ces bâtiments que l'on ne peut pas encapsuler mais implique de vider les logements en procédant à deux déménagements. Sur ces sujets très techniques, la recherche, l'innovation et l'approche des architectes peuvent nous être très utiles. Cependant, je tiens à souligner que la loi a prévu qu'un décret fixe des critères de délimitation et de traitement des bâtiments patrimoniaux : à ce jour, ce texte d'application n'a pas été publié. Nous en sommes donc réduits à laisser de côté le patrimoine sur lequel nous ne savons pas comment il faut intervenir : dans cet ensemble, les bâtiments relevant de l'étiquette G aujourd'hui occupés ne pourront donc pas être remis en location. Même si, dans un contentieux futur, la justice nous reconnaissait le droit de ne pas effectuer de travaux sur ce patrimoine, les logements resteraient considérés comme indécents : en tant que bailleur social, cela nous pose un véritable problème de ne pas pouvoir les louer ou de les louer sans pouvoir percevoir de loyers. Ces enjeux patrimoniaux concernent une part importante de notre parc et notre ressenti est que nos questions restent sans réponse.
M. Simon Molesin. - Je constate à mon tour il n'y a pas de réponse uniforme sur le patrimoine ancien. Comme je l'ai déjà mentionné, nous avons réalisé des travaux d'isolation par l'extérieur au Village Saint-Paul ; cependant sur du patrimoine classé en briques rouges, c'est plus compliqué et la difficulté est que le même programme de travaux peut être accepté par certains ABF mais pas par d'autres, avec un aléa qui peut nous placer en position difficile. Nous devons rechercher collectivement des solutions, y compris avec les centres de recherche, pour améliorer les matériaux et la durabilité des rénovations. Des incertitudes subsistent également sur la qualité de l'air des bâtiments que l'on va fortement isoler : il faut réintroduire de la ventilation pour éviter les moisissures et s'adapter à leur densité d'occupation accrue. Par ailleurs, nous sommes confrontés à des défis supplémentaires comme le refus par les ABF de l'isolation par l'extérieur dans des petites courettes de cinq mètres carrés.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous vous remercions sincèrement pour ces informations très intéressantes et complètes. Votre expertise et votre engagement sur ces sujets sont indéniables. Merci beaucoup et bonne soirée.
Audition de
Gilles Vermot Desroches,
directeur du développement durable de
l'entreprise Schneider Electric
(Mercredi 10 mai 2023)
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous poursuivons nos travaux avec l'audition de Gilles Vermot Desroches, directeur du développement durable de l'entreprise Schneider Electric.
Monsieur le Directeur, vous occupez ce poste depuis 2000 et vous êtes, depuis 2021, vice-président Citoyenneté et relations institutionnelles de l'entreprise. Ingénieur de formation, vous êtes également engagé pour l'environnement en dehors de Schneider Electric en tant vice-président de la commission environnement du Conseil économique social et environnemental (Cese) depuis 2021. Votre entreprise est spécialisée dans les solutions numériques d'énergie et d'automatisation. Elle propose notamment, et c'est ce qui intéresse notre commission aujourd'hui, des technologies permettant d'optimiser l'efficacité énergétique des bâtiments. Pouvez-vous, de manière générale, présenter l'action de Schneider Electric dans le domaine de la rénovation énergétique des bâtiments ?
Les solutions que vous proposez permettent de réguler les consommations le plus efficacement possible dans un objectif de sobriété, mais également de prévoir les travaux nécessaires de rénovation énergétique. Quelle place ces solutions doivent-elles selon vous occuper dans l'objectif global de réduction des émissions de gaz à effet de serre dans le secteur du bâtiment résidentiel ? L'optimisation de la consommation d'énergie par la technologie peut-elle compenser le trop faible nombre de travaux de rénovation énergétique entrepris ? Enfin, nous interrogeons également, dans le cadre de cette commission d'enquête, la gouvernance des politiques publiques de rénovation énergétique des bâtiments. Estimez-vous, en tant qu'acteur de la rénovation, être suffisamment associé à la conception et à la mise en oeuvre des politiques publiques de rénovation énergétique ? Quel rôle les acteurs privés doivent-ils selon vous jouer dans l'atteinte des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre du bâtiment ?
Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions et pour un propos introductif d'une quinzaine de minutes, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié. Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Gilles Vermot Desroches prête serment.
M. Gilles Vermot Desroches, directeur du développement durable de l'entreprise Schneider Electric. - Merci pour votre invitation. Je voudrais, avant de présenter en quelques mots les métiers de Schneider Electric, faire deux observations. Tout d'abord, si votre commission avait eu lieu il y a quelques années, elle se serait sans doute appelée « rénovation thermique » et pas « rénovation énergétique ». En effet, la réglementation thermique RT2012 a, pendant un moment, porté le nom de « régulation énergétique 2012 » : cette remarque de vocabulaire est importante, car elle donne une cohérence globale à la notion d'énergie et montre le chemin parcouru depuis une vingtaine d'années. Le deuxième point notable est que, dans le cadre de votre commission, vous invitiez Schneider Electric à répondre à vos questions et, à travers elle, un des acteurs du Groupement des entreprises de la filière électronumérique française (Gimelec) ainsi que de la Fédération des industries électriques, électroniques et de communication (FIEEC). Il n'est pas certain que, dans le passé, on ait pu envisager que ces entreprises puissent apporter un point de vue intéressant sur ce sujet. Ces deux premières observations ont un lien avec la réflexion sur le comportement des habitants et des gestionnaires de bâtiments - j'y reviendrai.
En tant que membre du Conseil économique social et environnemental (Cese), je rappelle la publication, fin 2022, de notre rapport intitulé Pour des bâtiments plus durables grâce à une ambitieuse politique de rénovation. Il a été adopté par l'ensemble des groupes du Cese, il n'est pas facile d'obtenir un tel accord sur un document qui comporte une vingtaine de préconisations. En préparant cette audition, j'ai relu ce rapport consensuel qui s'appuie sur de nombreuses auditions et formule quelques réponses aux questions que vous vous posez.
Au fond, je viens vers vous avec une question préalable plutôt qu'une réponse : aujourd'hui, en 2023, le numérique bouleverse-t-il la performance énergétique du bâtiment et plus généralement du système énergétique français - ou même mondial, puisque Schneider Electric est présent dans tous les pays ? Les solutions que nous mettons en oeuvre dans différents pays varient en fonction de leurs politiques publiques et de leurs réalités énergétiques ou dans le domaine du bâti. En réponse à cette interrogation, Schneider Electric apporte une idée et une contribution en démontrant que le numérique modifie drastiquement le rapport entre les investissements et les performances du bâtiment. Cela ne signifie pas que les gestes de rénovation comme l'isolation, le changement des fenêtres ou les interventions sur les combles sont inutiles. Notre message est différent : nous proposons, pour un logement, un bâtiment tertiaire ou un bâtiment public, d'améliorer la performance énergétique de 20 à 50 % avec un investissement de 10 à 20 euros par mètre carré. Je précise que le gain est de 20 à 30 % pour le bâti résidentiel et atteint son maximum de 50 % dans le cas particulier des bâtiments scolaires à condition d'utiliser un appareillage intelligent de pilotage numérique. Vous conviendrez qu'il y a là une disruption de méthode par rapport à la rénovation classique du bâtiment qui nécessite généralement un investissement de 200 à 2 000 euros par mètre carré pour atteindre une performance habituellement située entre 20 et 30 % de réduction de consommation énergétique.
Le numérique est un outil de pilotage simple : par exemple, avec un simple téléphone mobile, je peux, à distance, contrôler et modifier la température de chaque pièce de mon logement, l'éclairage, les détecteurs de fumée, l'ouverture des portes ou des fenêtres, etc. Le coût total d'installation de ces instruments de pilotage dans un logement normal - chauffé à l'électricité ou par boucle d'eau chaude - est de 700 à 1000 euros : on met en place, par exemple, des vannes connectées au système de régulation du chauffage ou des capteurs sur les prises électriques. Ces outils permettent de téléguider toutes les consommations de votre maison, reléguant ainsi le thermostat au rang d'ancêtre.
Pour montrer l'intérêt de ce procédé, je prendrai l'exemple d'actualité du bâtiment scolaire : la boucle d'eau chaude représente de 3 à 5 % de sa consommation énergétique, uniquement pour assurer en permanence son fonctionnement. La très grande majorité des bâtiments scolaires n'ayant pas de régulation de la boucle d'eau chaude, celle-ci est activée jour et nuit pendant toute l'année. En la stoppant pendant les deux tiers du temps où les bâtiments scolaires sont inutilisés, on peut bénéficier d'un gisement d'économie significatif. De plus, en installant de petits connecteurs, qui coûtent à l'unité moins de 10 euros, sur chaque fenêtre ou chaque porte, le chauffage ou la climatisation peut s'arrêter automatiquement en cas d'ouverture prolongée de ces dernières ou d'inoccupation du local, sauf si on programme une activation avant l'arrivée des élèves.
L'ensemble de ces petits gestes et ce pilotage automatique font passer de la sobriété - qui se limite à des actions ponctuelles au moment où on reprend conscience de la nécessité de consommer moins - à l'efficacité systématique. J'ai piloté pendant l'hiver dernier - où la hausse des prix a donné plus de crédit à la nécessité de l'efficacité énergétique - un groupe de travail du Collège des directeurs du développement durable (C3D), consacré à la sobriété dans les bâtiments tertiaires d'entreprises de toutes tailles. Des systèmes de Gestion technique du bâtiment (GTB) sont maintenant obligatoirement installés dans chacun des bâtiments, publics ou privés, de plus de 1 000 m2, seuil bientôt abaissé à 500 m2. 10 % des GTB françaises sont programmées, c'est-à-dire installées, et l'électricité y passe sans aucun obstacle, comme si elles n'existaient pas. Il suffit donc de les mettre en place ou de les réinitialiser pour générer des économies d'énergie.
Le numérique change donc la donne énergétique dans plusieurs dimensions. En premier lieu, il apporte un remède au point faible de toutes nos politiques d'efficacité énergétique des 20 dernières années : la numérisation produit des données. Je rappelle que les compteurs Linky ont été conçus avec cet objectif, mais l'élaboration des normes ne s'est pas suffisamment appuyée sur des mesures chiffrées. Ainsi, le décret BACS (« Building Automation & Control Systems »), qui détaille en 250 pages les consommations usage par usage, a été construit à l'évidence sans disposer de données initiales suffisantes. Ce manque de données entrave, depuis le Grenelle de l'environnement, les possibilités de définir des outils de régulation efficaces et réalistes.
Le deuxième avantage du numérique est de permettre le contrôle de la consommation en fonction de la présence des occupants, de la température extérieure et des usages de chaque pièce du bâtiment, en individualisant les lieux de consommation. Ce contrôle est possible quel que soit le mode de production de chaleur, mais il est maximisé en cas de chauffage électrique.
Troisièmement, le numérique favorise la flexibilité d'usage, et, en quatrième lieu, il permet de définir l'étape de demain. En effet, si chacun d'entre nous, dans une logique prospective, pouvait dessiner la ville et le bâtiment de 2050, ce dernier aurait, en toute certitude, au moins deux particularités : il serait tout électrique et disposerait d'une capacité autonome de produire une partie de son énergie, en particulier par des moyens solaires. Comme on ne produit qu'un pour cent de notre parc de bâtiments par an, une grande partie des logements vont être rénovés, mais toutes les constructions neuves devraient prendre en compte ces caractéristiques, en positionnant le bâtiment comme instrument central de la flexibilité énergétique. Or, il est regrettable qu'on produise encore certains logements sans équiper le parking souterrain en prises électriques, alors que tout le parc de véhicules légers fonctionnera bientôt avec cette énergie. Il est étonnant que la réglementation n'impose pas l'installation de bornes de recharge dans les constructions neuves.
Parallèlement, on constate aujourd'hui, singulièrement après la pandémie, qu'une grande partie de la population utilise avec aisance le numérique qui devient de plus en plus convivial, conversationnel et facile à utiliser, même pour les grands-parents. Nous estimons donc nécessaire que les rénovations et les constructions anticipent dès à présent les caractéristiques de notre consommation d'énergie de demain dans les bâtiments et placent ces derniers au centre de la flexibilité générale ainsi que de l'interaction entre l'offre et la demande.
Il faut donc penser différemment le bâtiment et mieux articuler les raisonnements aujourd'hui trop cloisonnés sur la production et la consommation d'énergie. Quand on parle de mix ou de politique énergétique du pays, on ne pense généralement qu'à ses vecteurs ou ses modes de production. Si on prenait sérieusement en compte la capacité de baisser de 30 % la consommation énergétique des bâtiments en investissant ce sujet - non pas comme la « cerise sur le gâteau », mais en considérant l'efficacité énergétique comme une production à part entière - on pourrait redéployer les financements vers la réduction de la consommation et on émettrait moins de CO2 tout en qualifiant nos biens immobiliers.
Le logement doit être envisagé dans sa flexibilité d'usage et certains pays mettent d'ores et déjà en oeuvre cette démarche : je rappelle ainsi qu'à l'horizon 2025, la batterie automobile deviendra un pourvoyeur d'énergie pour le logement puisqu'elle pourra se charger et se décharger dans les deux sens. Ce sera particulièrement utile pour gérer le pic de consommation, qui reste la principale difficulté énergétique en France comme ailleurs : il s'agit de 1 000 heures par an de pics de consommation qui représentent entre la moitié et les deux tiers des émissions de carbone issues de la production électrique française. Il est donc essentiel, pour la sécurité énergétique du pays, de réduire en permanence la consommation d'électricité et de façon particulièrement drastique pendant les périodes clefs de pointes qui surviennent par exemple par temps de froid hivernal.
En deuxième lieu, une bonne partie des moyens que se donne la puissance publique pour accompagner la rénovation du bâtiment finance l'évolution des chaudières : plus des deux tiers des montants de MaPrimeRénov' y sont alloués. Nous estimons ici souhaitable de réfléchir à un passage direct au tout électrique - d'autant que la France est en train de se doter de l'appareil industriel ad hoc - et de ne financer que cette démarche-là. Je sais que tous les industriels ne partagent pas ce point de vue, mais je fais observer que notre filière de production de chaudières au gaz, qui est une référence au niveau mondial, est en train elle-même de produire des pompes à chaleur. Il convient d'accompagner cette transition et de l'accélérer : cela permettra de décarboner l'énergie en ayant recours à l'électricité - surtout en France -, de multiplier les possibilités d'autoconsommation ainsi que d'effacement de la pointe, et de nous rapprocher du modèle de la ville de demain en évitant de prolonger la vie des installations du passé.
S'agissant des vertus de l'autoconsommation, je vous invite à examiner l'expérience anglaise où le taux de précarité énergétique était traditionnellement 50 % plus élevé qu'en France, sachant que, selon les mesures, on recense entre 10 et 18 % de nos concitoyens dans cette situation. Au Royaume-Uni, il a été proposé aux personnes en précarité énergétique d'installer des panneaux photovoltaïques, ce qui diminue par deux leur consommation énergétique et les rend plus attentifs à la comparaison entre leur production autonome et leur consommation. On retrouve exactement le même souci d'optimisation chez tous les ménages français qui pratiquent l'autoconsommation et disposent d'instruments de mesure des flux : des études démontrent un engagement accru de ces personnes dans l'efficacité énergétique.
Tout cela invite à rapprocher les politiques publiques françaises de celles du nord de l'Europe qui font confiance à l'efficacité de la logique comportementaliste. En revanche, notre politique de rénovation énergétique ne l'est presque jamais : elle préfère des gestes qu'elle considère d'autant plus efficaces qu'ils sont très lourds alors même que le numérique rebat les cartes en permettant de privilégier des gestes simples, à faible coût et à efficacité immédiate. En investissant simplement 10 à 20 euros du mètre carré pour réduire de 20 % sa consommation énergétique, on dégage un retour sur investissement en moins de 5 ans - voire 2 ou 3 ans dans certains bâtis - permettant de financer la rénovation de son bien et de conserver ou d'accroître sa valeur. S'ajoute à ces 20 % de gain en efficacité énergétique une division par vingt des allocations publiques pour parvenir à ce résultat. Avec le même montant de financements publics, on pourrait donc accompagner vingt fois plus de gestes à visée comportementaliste et intégrer plus de citoyens dans cette démarche. Je souligne également que l'installation de dispositifs de pilotage intelligent n'empêche pas l'usage du logement pendant la rénovation, à la différence des opérations lourdes qui impliquent un déménagement. Au sortir de l'hiver 2022 et de la communication sur la sobriété énergétique, le moment est propice pour généraliser l'approche comportementale que le numérique va permettre d'automatiser à bas coût, dans une logique de confiance avec la puissance publique.
L'autre point qui me paraît important est de penser le bâtiment du futur en dynamique et dans son usage en cohérence avec les politiques énergétiques. En particulier, le bâtiment doit devenir la brique centrale de la relation avec le transport, dans une trajectoire globale vers le tout électrique.
Troisièmement, l'État régulateur doit montrer l'exemple à travers le bâtiment public, qui représente environ un tiers du bâtiment tertiaire et 400 millions de mètres carrés, dont un tiers pour le bâti appartenant à l'État et deux tiers pour celui des collectivités territoriales ou d'autres entités publiques. La puissance publique a un rôle central à jouer pour l'acquisition des compétences, d'une part, en formation initiale pour donner de la noblesse ainsi que de l'attractivité à ces métiers et, d'autre part, pour améliorer l'accompagnement de l'évolution des compétences des salariés, par exemple en permettant à l'employeur de trouver plus facilement un remplaçant au salarié en stage de formation continue. L'attractivité pour les jeunes de ces métiers portant sur le numérique et l'énergie est un enjeu capital pour mener des politiques publiques qui ne s'attachent pas simplement à financer des gestes parce qu'ils sont lourds, mais aussi à accompagner des actions utiles en efficacité énergétique. Je conviens qu'il peut être plus compliqué de financer beaucoup de petits gestes que quelques grosses rénovations, mais, en renforçant les capacités de formation aux métiers dont nous parlons, on pourra éviter de renoncer à des interventions performantes en raison de la pénurie de professionnels compétents dans ce domaine.
Je vous ai ainsi résumé l'apport d'entreprises comme Schneider Electric dans un domaine technique qui, historiquement, a plutôt été réservé aux bâtiments tertiaires, mais qui peut aujourd'hui trouver sa place au coeur des politiques publiques d'efficacité énergétique. C'est d'autant plus vrai que, dans notre pays, les pouvoirs publics sont très influents, voire intrusifs, en matière de politiques énergétiques. Je crois pouvoir affirmer qu'il n'y a pas d'autres exemples que la France où le législateur décide avec autant de précision des cibles et du montant des subventions, avec des choix qui varient souvent chaque année. Par exemple, il y a 12 ans, j'ai refait le chauffage et l'eau chaude dans ma maison. Le législateur avait décidé cette année-là qu'il valait mieux installer séparément à la fois une pompe à chaleur pour l'eau chaude et une chaudière pour le chauffage : une telle installation bénéficiait de 40 % de déduction fiscale contre 30 % pour l'achat d'une seule chaudière affectée aux deux circuits. Cet encouragement fiscal a été ponctuel pendant une seule année et illustre la singularité de notre législation qui va très loin dans le détail des solutions techniques.
Je mentionne également que, pendant un an - et avant d'être réintroduites - les incitations à s'équiper de thermostats de chauffage ont été retirées, car ces appareils n'étaient pas considérés comme assez coûteux. Si la France persiste dans cette méthode, elle doit au moins permettre de financer les outils de changement comportemental des consommateurs d'énergie. J'estime que l'Ademe doit mieux favoriser cette évolution et aurait dû jouer un rôle plus important dans le plan de sobriété lancé l'hiver dernier. On peut cependant comprendre que les salariés de l'Ademe, qui accompagnent les Français dans leurs gestes d'efficacité énergétique, n'osent pas mentionner les solutions que je vous ai présentées, car on les imagine mal expliquer à nos concitoyens le paradoxe selon lequel les subventions ne sont pas allouées aux outils de pilotage bon marché et très performants. Il me semble que notre dispositif incitatif en faveur de la rénovation du bâtiment - plus massif qu'ailleurs - devrait intégrer ces gestes de pilotage numérique même s'il est plus complexe de les financer et s'ils sont moins chers ainsi que plus vite rentables - faute de quoi ces outils ne seront pas installés. L'expérience de Schneider Electric permet de constater que la solution que je vous ai présentée pour le résidentiel, que nous appelons « Wiser », est très répandue dans les pays où il n'y a pas d'accompagnement public à la réduction de la consommation énergétique. En effet, quand le consommateur finance seul un investissement, il choisit l'efficacité à moindre coût. Je pense donc qu'il faut inclure en France les outils numériques dans l'accompagnement de l'efficacité énergétique pour leur permettre plus largement, et autant que dans d'autres pays, de rebattre les cartes de l'efficacité énergétique et de remplir leur rôle pédagogique de sensibilisation en soutenant les professions compétentes pour ces gestes d'installation.
Dans une période transitoire, on pourrait également imaginer de coupler les travaux d'efficacité énergétique passive avec l'installation d'un pilotage actif, tous deux subventionnés avec un accroissement de leur efficacité globale démontrée par des études, sans pour autant alourdir sensiblement la facture de la rénovation.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Merci pour ces explications très riches. Je souhaite formuler plusieurs remarques sur le rôle du numérique dans le système énergétique des bâtiments et je me demande si on ne peut pas apporter certains tempéraments à vos propos.
Tout d'abord, je vous rejoins sur le fait que la maison de 2050 évoluera vers l'indépendance et l'autonomie énergétique, ce qui peut se rattacher à l'atténuation de la confiance à l'égard du service public d'alimentation en électricité. Cependant, le numérique peut également apparaître comme porteur d'une autre forme de dépendance. Vous avez ensuite souligné à juste titre que le fait de produire sa propre énergie favorise la diminution de la consommation ainsi que des comportements plus responsables. Toutefois, je ne suis pas certain que cela soit directement lié au numérique : cette sobriété semble surtout guidée par la capacité d'observer ce que l'on produit soi-même : ma grand-mère, lorsqu'elle utilisait du bois de chauffage, faisait très attention aux quantités qu'elle consommait pour pouvoir en disposer les jours suivants, sans pour autant disposer de technologies numériques.
L'intérêt du numérique pour favoriser les économies d'énergie me paraît, en revanche, incontestable surtout en installant des outils à bas coût et à l'efficacité démontrée. Toutefois, dans une passoire thermique ou un logement indigne, on a beau diminuer la consommation d'énergie en pilotant le chauffage, cela ne suffit pas à régler les problèmes de bâti et de santé liés à l'insalubrité, l'humidité ou la ventilation. Le confort ne peut pas être optimal dans une maison mal isolée, même en chauffant à 22 ou 23 degrés, car des différences de température subsistent entre les différentes pièces. Je pense que les deux types d'interventions sont complémentaires et qu'il ne faut pas se limiter à l'intervention numérique sur des bâtiments très dégradés.
Je souligne l'importance de la maintenance et de l'accompagnement pédagogique autour de ces outils. J'ai vu, par exemple, des groupes scolaires où le pilotage fonctionnait bien au début puis, avec le temps et faute de maintenance, le chauffage s'est complètement déréglé, ce qui a entraîné des consommations d'énergie beaucoup plus importantes. Je cite également l'expérience comparée de deux collèges : l'un avait réalisé une ventilation totalement naturelle - avec une sensibilisation à l'usage - et l'autre disposait d'installations pilotées. Au bout du compte, l'absence de ventilation mécanique génère des économies d'énergie et évite les difficultés d'arrêt ou de redémarrage parce qu'il suffit d'ouvrir une fenêtre donnant sur une coursive.
J'en viens à plusieurs questions : tout d'abord, avez-vous été associés aux travaux de mise au point du DPE, puisqu'il serait intéressant d'y inclure un volet numérique ? Une interrogation similaire peut-être formulée à propos du dispositif Mon Accompagnateur Rénov' qui vient d'être mis en place ; l'entreprise Schneider Electric envisage-t-elle de solliciter une demande d'agrément dans ce secteur ?
M. Gilles Vermot Desroches. - Vos questions, qui expriment l'inquiétude sur le numérique et les doutes quant à son potentiel, appellent plusieurs observations.
Tout d'abord, à mon sens, les personnes qui installent des panneaux photovoltaïques se lancent dans cette démarche non pas tant par manque de confiance vis-à-vis de la puissance publique ou pour s'autonomiser que pour s'inscrire dans le XXIe siècle qui est celui de la montée de l'économie circulaire. Dans beaucoup de secteurs, on invite nos concitoyens à devenir la fois producteurs et consommateurs et les jeunes ménages sont particulièrement sensibles à cette logique.
Par ailleurs, le solaire vient de diviser son prix par dix en 10 ans et devient dans beaucoup de pays l'énergie la moins chère. Je précise que l'entreprise Schneider Electric ne vend pas d'installations solaires, mais sur la base des chiffres de l'Agence internationale de l'énergie (AIE), la majeure partie de la nouvelle production électrique mondiale est solaire depuis plusieurs années. On constate donc l'existence d'une industrie d'autoconsommation très puissante et très efficace qui soulève certaines difficultés, de même que les autres sources ou vecteurs d'énergie.
Les limites du pilotage numérique que vous évoquez sont bien réelles, mais on en trouve aussi dans d'autres domaines à commencer par les changements de chaudière préalables à l'isolation d'un logement qui aboutissent à installer des unités beaucoup trop puissantes.
La précarité énergétique est pour nous une préoccupation constante et Schneider Electric est la seule entreprise qui participe à la démarche « Stop à l'exclusion énergétique », tous les autres adhérents étant des ONG. Je précise que dans environ 10 % des cas, qui correspondent à la moitié des personnes en précarité énergétique vivant dans des passoires énergétiques, la solution de pilotage numérique ne fonctionne pas. Cependant, elle reste efficace pour 80 % des autres personnes et permettrait de réduire fortement le coût de la rénovation pour la puissance publique en réduisant de 20 % la consommation énergétique de la très grande majorité des logements. On dégagerait ainsi des ressources publiques pour rénover les passoires thermiques ce qui résoudrait également les problèmes de sécurité qu'elles posent puisqu'elles sont le lieu de 60 000 départs d'incendie par an en France.
Pour réduire la consommation énergétique, il faut d'abord la mesurer et surtout être attentif aux résultats obtenus sans céder à la tentation de juger de la pertinence d'une politique en fonction du seul critère du volume d'investissement requis. Je partage donc avec vous l'idée que ces solutions qui ont un impact positif à coûts très réduits méritent d'être encouragées à travers plus de maintenance - qu'il conviendrait d'organiser et de mutualiser au niveau des collectivités - et de formations à de nouveaux métiers.
Je rejoins votre constat selon lequel nos grands-parents étaient attentifs à leur consommation, mais je fais observer que le numérique permet à ceux qui aujourd'hui ne s'en préoccupent pas d'en prendre connaissance et d'identifier avec précision l'ustensile, la pièce ou l'acte quotidien le plus énergivore.
En réponse à vos questions, j'indique que Schneider n'a pas vocation à intervenir en tant qu'acteur du dispositif Mon Accompagnateur Rénov'. Notre entreprise est un fournisseur de technologies permettant aux très grands acteurs comme Vinci Energies ou Eiffage, mais aussi à l'électricien de quartier, de disposer de solutions techniques afin de les installer chez les habitants : nous n'allons pas nous substituer à nos clients.
S'agissant du DPE, je rappelle ma longue expérience dans ce métier qui, dans notre pays, se traite en relation avec la puissance publique et je fais observer que le Gimelec - qui est le syndicat des entreprises relevant du même secteur que Schneider Electric - avait produit dès 2013 un document intitulé « Efficacité énergétique : l'outil majeur de la transition énergétique ». C'était probablement trop avant-gardiste pour l'époque et les solutions n'étaient pas aussi matures qu'aujourd'hui. Parallèlement, les choix de politiques énergétiques ou d'efficacité énergétique ont longtemps été essentiellement dictés par le maintien ou l'amélioration de l'emploi - plus encore que leur impact sur la consommation d'énergie. Lorsque je présentais des solutions techniques à la puissance publique, la première question qui m'était posée portait sur le nombre de créations d'emplois induites : c'était parfaitement légitime, car la France subissait une période de chômage bien plus élevé qu'aujourd'hui.
Aujourd'hui, on est probablement en train de redessiner l'emploi différemment pour la décennie à venir et le regard a changé sur l'importance des enjeux de carbone ou de production énergétique électrique française. Les producteurs de technologie et les utilisateurs ont également progressé en maturité. Je fais ici observer que le rappel des dysfonctionnements du passé n'enseigne pas grand-chose sur les usages d'aujourd'hui. Rappelons-nous les limites de nos premiers téléphones portables aujourd'hui relégués dans le passé et il en va de même pour les GTB d'il y a 5 ou 10 ans par rapport à celles d'aujourd'hui. Les utilisateurs de vidéoconférence se souviennent également des difficultés qu'ils rencontraient avant la pandémie et constatent une amélioration des systèmes avec moins de difficultés à se connecter. Le véhicule électrique que je possède aujourd'hui n'a plus rien à voir avec les premiers modèles et il en va de même pour la gestion intelligente du bâtiment résidentiel, collectif ou individuel. Je pense que la mesure de l'impact positif de ce pilotage numérique permettra de dépasser largement les 60 000 logements que nous avons équipés depuis 2017 pour atteindre rapidement une cible de 500 000 à 600 000 logements. Ces solutions à bas coût permettront d'aller plus vite sur les rénovations lourdes en y allouant plus de moyens. N'oublions pas que lorsqu'on subventionne largement la rénovation pour les ménages modestes, un reste à charge assez important persiste pour la plupart d'entre eux et certains ne sont pas en mesure de le payer. Il est souhaitable de leur proposer un premier geste peu coûteux et efficace pour réduire leur facture et ainsi augmenter leur capacité d'acquitter ce reste à charge. Quant à eux, les ménages plus aisés vont effectuer ces travaux non pas tant pour l'efficacité énergétique que pour valoriser leur bien immobilier.
Nous proposons donc un chemin vertueux, à condition de reconnaître que des gains de 20 à 30 % d'efficacité énergétique sont tout autant appréciables qu'ils proviennent de gestes à faible coût ou de lourds travaux de rénovation.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci beaucoup, monsieur le directeur, pour vos explications.
Table ronde sur
le rôle des collectivités territoriales
dans la
rénovation
énergétique
(Jeudi 11 mai 2023)
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Mesdames, messieurs, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête par une table ronde sur le rôle des collectivités territoriales dans la conduite de la politique publique de rénovation énergétique. Nous vous remercions de votre présence et, par avance, des échanges que nous espérons les plus intéressants possible et porteurs d'avancées.
Nous recevons aujourd'hui les représentants de plusieurs associations d'élus. Il s'agit tout d'abord de l'Association des maires des France et des présidents d'intercommunalité (AMF), représentée par M. Guy Geoffroy, vice-président, maire de Combs-la-Ville et président de l'Association des maires et présidents d'intercommunalités de Seine-et-Marne. Nous accueillons ensuite Intercommunalités de France, représentée par Mme Anne Hébert, vice-présidente en charge du développement durable et de la mobilité de la communauté de communes Côte Ouest Centre Manche. L'association France Urbaine est représentée par M. Jean-Patrick Masson, vice-président de Dijon métropole et conseiller municipal délégué de Dijon. Enfin, nous recevons l'Association nationale des collectivités territoriales et de leurs partenaires pour la gestion de l'énergie, des déchets, de l'eau et de l'assainissement, en faveur de la transition écologique et de la protection du climat, dite Amorce, représentée par M. Nicolas Garnier, en qualité de délégué général.
Dans vos différentes fonctions en tant qu'élus locaux et par votre engagement au sein de ces associations, vous participez activement à la politique nationale de rénovation énergétique, notamment en offrant de nombreuses aides locales, à commencer par des dispositifs d'information et d'accompagnement qui permettent le déploiement local et l'adaptation, mais parfois aussi devancent ce qui est décidé à Paris. Ces actions en matière de rénovation s'insèrent, d'ailleurs, dans une politique et des compétences plus larges en matière d'urbanisme et de logement.
Les citoyens ne s'y trompent pas et se tournent, en première intention, vers leurs élus locaux et les services des collectivités pour être guidés et sécurisés dans leur démarche. Nos collectivités conservent des services de proximité et de contact avec les populations, ce que ne font pas - ou plus - les grandes agences nationales ou les services de l'État.
Dès lors, je voudrais vous interroger sur la manière dont vous voyez le devenir de France Rénov' et de l'accompagnateur Rénov' au regard de ce qui existe déjà, de leur financement et de leur déploiement sur l'ensemble du territoire. M. Antoine Pellion, secrétaire général à la planification écologique, auditionné la semaine dernière, a annoncé à notre commission d'enquête, le déploiement d'un guichet d'accueil et d'orientation dans chaque établissement public de coopération intercommunale (EPCI) d'ici à 2025. Qu'en pensez-vous ? Faut-il aller plus loin dans l'accompagnement et l'unicité des démarches ? Il me semble que les dynamiques locales sont particulièrement importantes pour jouer un rôle d'entraînement à travers des rénovations réussies, au risque cependant d'accroître les inégalités entre les collectivités ayant le plus de moyens et les autres, comme nous l'avons vu en Isère.
Dans le cadre actuel, nous avons reçu plusieurs témoignages de collectivités qui déplorent n'avoir aucune prise sur les aides relevant de MaPrimeRénov', n'ayant aucune information ou facilité à en obtenir pour accompagner des citoyens parfois en attente de précisions ou dans une situation d'incompréhension, alors même que ces collectivités peuvent être délégataires d'autres aides de l'Agence nationale de l'habitat (Anah) au titre, par exemple, des aides à la pierre. Comment pourrait-on améliorer cette situation ?
En matière immobilière, je souhaiterais connaître la manière dont vous percevez, au sein de vos territoires, les conséquences du calendrier de la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi Climat et résilience, sur le marché locatif, mais aussi sur les logements les plus énergivores. Observez-vous une tension accrue sur le marché locatif et une augmentation des mises en vente ?
Enfin, la rénovation est également une question de structuration d'une filière économique, allant des matériaux aux hommes et femmes qui réalisent les travaux. Comment vos collectivités s'engagent-elles pour accompagner ce secteur d'activité afin de réussir la transition écologique ?
Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions et pour un propos introductif, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.
Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite donc à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Guy Geoffroy, M. Jean-Patrick Masson, Mme Anne Hébert et M. Nicolas Garnier prêtent serment.
M. Guy Geoffroy, vice-président de l'AMF, maire de Combs-la-Ville et président de l'Association des maires et présidents d'intercommunalités de Seine-et-Marne. - Le sujet est très vaste et fait l'objet d'une très grande diversité d'approches, couvrant des aspects aussi bien philosophiques que très concrets relevant de questions de proximité.
Aussi l'Association des maires de France vous fera-t-elle parvenir tout document, faisant preuve de la plus grande précision possible et émanant de l'ensemble des commissions ou groupes de travail réfléchissant sur l'ensemble de ces sujets. Pour cette raison, mon propos introductif et mes réponses à vos questions s'efforceront d'être aussi précis que possible, mais ne seront pas exhaustifs.
Dans ce propos introductif, je souhaiterais alerter sur ce que sont les dispositions, sur ce qu'elles risquent d'entraîner et sur les mesures éventuellement envisagées, à propos desquelles nous aimerions aujourd'hui formuler des observations et des propositions.
La première remarque a trait aux dispositions de l'article 160 de la loi Climat et résilience issues, pour l'essentiel, des réflexions de la Convention citoyenne pour le climat. Le Parlement a alors décidé de limiter les dispositions que l'on peut qualifier de contraignantes à un calendrier et à un simple, mais parfois complexe, face-à-face entre le propriétaire privé et son locataire. Or, parallèlement à la judiciarisation des relations entre le propriétaire et le locataire, une série de propositions de la Convention citoyenne visait à la mise en place de mesures administratives, à la disposition des représentants de l'État pour ce qui les concerne, mais également des élus locaux dans le cadre de leur pouvoir réglementaire local ; mais ces propositions n'ont pas été retenues.
Il s'agit, en particulier, d'un malus sur la taxe foncière, qui aurait permis aux collectivités et, plus spécialement, aux communes, pour lesquelles la taxe foncière sur les propriétés bâties et non bâties reste la seule recette fiscale sur laquelle ils peuvent agir, de disposer de ressources complémentaires au cas où elles devraient contribuer à l'atteinte des objectifs fixés par la loi.
Nous sommes persuadés que tout n'est pas sanction, mais lorsqu'une sanction existe, celle-ci doit dépasser le cadre - toujours complexe à mettre en oeuvre - des poursuites judiciaires déclenchées par un locataire à l'encontre d'un propriétaire. En effet, la complexité et les méandres - tout à fait nécessaires, par ailleurs - des procédures judiciaires peuvent conduire certains locataires à abandonner toute idée, ou même à ne pas avoir l'idée, d'exiger du propriétaire, par voie de justice, de rendre le logement décent dans le cadre de la mise en oeuvre de la loi.
Cela me permet de formuler une remarque d'ordre général, déjà exprimée à propos d'autres sujets, en particulier le « zéro artificialisation nette » (ZAN) qui n'est pas totalement éloigné de nos préoccupations d'aujourd'hui : oui, il faut fixer un calendrier, des objectifs et ne pas fixer de date butoir pour atteindre ces objectifs est toujours problématique, mais l'établissement d'un calendrier le devient également. En effet, le caractère certes progressif de ce calendrier, mais qui est toujours trop juste pour les premières dispositions concernées, démontre d'emblée la difficulté d'atteindre les objectifs et, par conséquent, fragilise la crédibilité du dispositif.
L'exclusion progressive des logements, issues d'abord des classes d'habitation situées en bas du tableau pour remonter vers la classe A, est intellectuellement compréhensible. Toutefois, nous sommes persuadés, en tant qu'acteurs de terrain confrontés chaque jour aux réalités concrètes, que ce calendrier sera extrêmement difficile à respecter.
La deuxième série de remarques que je souhaite faire au nom de l'AMF porte sur les conséquences potentielles des stratégies de contournement des objectifs, et surtout du calendrier de mise en oeuvre de la loi, qui pourraient être utilisées par certains propriétaires. En effet, les dispositions de la loi s'appliquent aux logements loués à une personne privée et non pas aux meublés. Il existe donc un risque de transformation des habitations en logements meublés, mais aussi en résidence secondaire, même si le logement n'est pas occupé et que cela entraîne le paiement d'une taxe d'habitation au profit de la commune, éventuellement majorée en raison du caractère inoccupé du logement.
La question de la disponibilité du parc locatif au sein de nos communes est un véritable sujet, d'autant plus - vous l'avez souligné, madame la présidente - que la règle, si je puis dire, est l'extrême diversité des situations sur l'ensemble du territoire national, pas simplement entre communes dites urbaines et communes dites rurales, mais également au sein de chacune de ces catégories. En effet, aucune commune urbaine ne ressemble à une autre s'agissant de l'état des lieux des logements non décents du fait de leur caractère de passoires énergétiques ; il en est de même en milieu rural. En outre, en milieu urbain, particulièrement en zone tendue, il est très difficile de développer le logement neuf, surtout dans le parc social, afin d'atteindre les objectifs, par ailleurs tout à fait compréhensibles, de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite loi SRU, et de la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi Alur. Il est clair que certaines dispositions actuellement mises en place par la loi engendrent, par une sorte d'effet pervers, des difficultés en matière de disponibilité de logements. L'objectif d'offrir un logement décent à tout le monde, qui est un problème majeur dans notre pays, est difficile à atteindre et pourrait malencontreusement l'être encore davantage du fait de la difficulté de mise en oeuvre de certaines dispositions.
Le troisième sujet sur lequel nous souhaitons attirer l'attention de votre commission d'enquête est celui des perspectives de décentralisation de compétences relevant de sujets de cette nature, qui ont été ouvertes lors des échanges avec le Chef de l'État et le Gouvernement. L'idée et le principe sont compréhensibles, dans la mesure où la proximité induit une bonne connaissance des choses - ce que nous revendiquons aussi souvent - comme la capacité à prendre les dispositions permettant d'améliorer la situation.
Si une décentralisation des politiques de lutte contre les logements énergivores et donc, plus globalement, contre le logement non décent doit avoir lieu, il faut au préalable que les choses soient très claires. D'abord, il est impératif de dresser un état des lieux - c'est la responsabilité de l'État et je suis persuadé que l'ensemble des collectivités participeront à ce partenariat - avant d'envisager quoi que ce soit.
Ensuite, il faut traiter enfin sérieusement la question du transfert des moyens permettant d'exercer la compétence transférée. Cette remarque de fond reflète la préoccupation considérable des élus locaux à ce sujet. Nous ne savons que trop ce que fait l'État de certains outils liés à la décentralisation. Ainsi, la dotation globale de fonctionnement (DGF), qui est non pas un cadeau, mais un dû de l'État aux collectivités, a été réduite d'environ un tiers, ce qui n'est tout de même pas négligeable, et ce au détriment des politiques publiques pour lesquelles la DGF avait été créée. La tendance est plutôt celle-ci. Or les moyens de mettre fin au gouffre de la dette publique ne sont certainement pas à trouver du côté des collectivités locales.
Je prendrai cette fois seulement l'exemple de la commune que j'administre depuis vingt-huit ans, qui compte 22 000 habitants et qui a perdu la modique somme de 12 millions d'euros, en euros courants, depuis 2014, que nous aurions sinon reçus de l'État en supposant que cette contribution n'ait pas été augmentée d'un seul centime jusqu'à aujourd'hui. En comparant cette somme au montant de la dette de la commune, qui s'élève à 15 millions d'euros, la différence est visible.
Par conséquent, il est absolument inenvisageable que la question de la décentralisation de ces politiques publiques, dont l'atteinte des objectifs - auxquels nous adhérons - est essentielle, puisse être faite dans un cadre où nous aurions plus de pouvoir d'agir, sans disposer des moyens afférents. J'ai évoqué au début de mon propos le malus sur la taxe foncière qui aurait pu constituer une ressource supplémentaire utile à la lutte globale contre les passoires thermiques. Accorder aux pouvoirs publics locaux la capacité de mieux agir, parce qu'ils sont les mieux placés pour le faire, ne peut se dispenser d'un examen sérieux et loyal, réalisé entre l'État et les collectivités locales, des conditions dans lesquelles toute action de décentralisation peut être mise en place de manière intelligible et responsable.
M. Jean-Patrick Masson, vice-président de Dijon métropole et conseiller municipal délégué de Dijon, représentant l'association France Urbaine. - Je mettrai l'accent sur deux ou trois points problématiques aujourd'hui.
Tout d'abord, il existe un degré de complexité est particulièrement grand pour le citoyen, mais aussi pour les collectivités. Lorsque nous devons mettre en place un certain nombre de dispositifs, nous faisons face à leurs modifications constantes, à l'apparition de complémentarités, d'adjonction ou de soustractions d'un certain nombre d'éléments, qui rendent l'exercice difficile.
Par ailleurs, il existe deux façons de parler de ce sujet aux citoyens aujourd'hui : le discours des pouvoirs publics au sens large - collectivités, État -, mais aussi celui des entreprises. Deux canaux existent en parallèle, ce qui engendre une méfiance sans cesse plus grande de ceux qui souhaitent rénover leur habitat. Cela crée de la complexité et suscite une non-action. Une première proposition serait donc d'avoir un système unique, qui obligerait à passer par un dispositif public avant de se lancer dans des rénovations.
S'ajoute à cela la succession des campagnes sur la rénovation à un euro ou sur les pompes à chaleur qui contribuent à la perte de confiance, comme les résultats attendus ne sont pas au rendez-vous. En tant que collectivités, nous recevons des témoignages d'un certain nombre de personnes, un peu désespérées, soulignant par exemple ne pas constater d'amélioration après une isolation un euro. Il est vrai que l'augmentation non négligeable des coûts pèse sur la facture, mais il s'agit aussi d'une absence de baisse de consommation par rapport à la promesse faite. C'est la même chose pour la pompe à chaleur, sachant que changer les moyens de chauffage en premier est la plus mauvaise opération en termes de rénovation.
Les politiques publiques sont donc en contradiction aujourd'hui avec les objectifs à atteindre ; elles sont chères et peu efficaces. Nous souhaiterions avoir l'équivalent des aides à la pierre, c'est-à-dire les aides à la rénovation énergétique, ce qui serait le moyen d'aller vers un guichet unique. Vous nous avez annoncé que M. Peillon envisageait un guichet d'accueil et d'orientation dans les EPCI. Il faut faire preuve d'une certaine prudence afin de ne pas se doter d'un élément supplémentaire difficile à gérer. Je rappelle l'existence de dispositifs déjà financés par les collectivités sur ce sujet, notamment les agences locales de l'énergie et du climat (Alec). Multiplier les guichets uniques serait un contresens pour atteindre l'objectif.
Je souhaitais également insister sur la question de la neutralité de l'information. Le citoyen ne fait pas confiance au système également parce qu'il n'a pas le sentiment que cette neutralité est respectée. Beaucoup d'informations circulent sur les arnaques et le fait que les choix soient très orientés. Cet ensemble aboutit à créer une vraie difficulté, à laquelle s'ajoutent les problèmes de précarité énergétique.
Nous sommes en première ligne sur ce sujet. En dépit de l'existence de l'Anah, le fait d'être relativement démunis, pour résumer, vis-à-vis de ces populations est un problème. L'augmentation du nombre de précaires énergétiques, liée à celle des prix, est importante. S'y ajoute la contrainte pesant sur les logements classés F et G, qui peut engendrer deux effets. Le premier est la non-mise sur le marché de ces logements, ce qui accroît la tension du marché immobilier dans nos territoires. Le second effet est l'absence de réponse financière. Il n'existe aucune visibilité à moyen ou long termes sur les politiques publiques menées en la matière. Certaines personnes souhaiteraient laisser sur le marché leurs biens et ne savent pas ce qui se passera, d'autant que deux ou trois ans sont nécessaires pour réaliser une rénovation énergétique. À cela s'ajoutent des difficultés, dans les territoires, pour trouver des entreprises capables de répondre à la demande, en raison d'un manque de compétences nécessaires ou d'un surcroît de travail.
On est dans un ensemble qui, dans un premier temps, nécessite un renforcement de l'accompagnement. Le guichet unique serait une bonne chose.
On a d'un côté MaPrimeRénov', de l'autre les certificats d'économies d'énergie (CEE) : bien malin qui s'y retrouve ! Les CEE sont calculés de manière complètement hors sol et ces aides sont présentées par les entreprises, ou par le conseil dans le meilleur des cas.
La non-garantie de l'atteinte des résultats constitue un autre point problématique. Cela est dû d'une part à la difficulté des entreprises à être à la hauteur, et d'autre part au fait que le citoyen ne dispose pas d'éléments de vérification neutres de sa situation.
Certes, il y a l'effet rebond : les ménages précaires vont mieux se chauffer, et c'est une bonne chose.
Mais quand elles délivrent un permis de construire ou une autorisation de travaux, les collectivités territoriales ne peuvent pas procéder à des vérifications. La collectivité qui délivre le permis de construire ou l'autorisation de travaux devrait garantir le résultat - mais en réalité elle ne garantit rien. Le citoyen pense être passé sous les fourches caudines d'une institution qui connaît le sujet.
En dernier lieu, je souhaitais insister sur le financement. Le Sénat a voté à deux reprises la territorialisation de la contribution climat énergie (CCE). C'est un élément important pour plusieurs raisons. Tout d'abord, cela donnerait du sens : le citoyen paye cette taxe et a un retour sur sa contribution. Ensuite, cela conférerait de la visibilité sur le financement d'opérations particulièrement longues. Enfin, les collectivités pourraient mettre les moyens pour accompagner de manière sérieuse les porteurs de projets. Même les moyens des grandes collectivités, représentées par France urbaine, ne sont pas à la hauteur des enjeux sur des territoires qui comportent quelques centaines de milliers d'habitants.
En conclusion, il me semble indispensable d'instituer un tiers de confiance dans le dispositif : l'État ? La collectivité elle-même ? Pour être à la hauteur, nous avons besoin de financement et de confiance. Or ni l'un ni l'autre ne sont au rendez-vous.
Mme Anne Hébert, vice-présidente en charge du développement durable et de la mobilité de la communauté de communes Côte Ouest Centre Manche, représentant Intercommunalités de France. - Ce sujet d'actualité nous presse. En dépit de nombreuses années de réflexion, nous avons du mal à avancer.
Intercommunalités de France part de la vision des habitants et des élus qui sont à la manoeuvre et qui ne trouvent pas toujours de réponse à leurs questionnements.
La rénovation énergétique des bâtiments répond à de multiples enjeux environnementaux, financiers, sociaux, etc. Dans les territoires, quand un ménage souhaite s'installer quelque part, il considère tout en même temps : le droit de s'installer à tel endroit et le coût énergétique. De nombreux logements sont vacants, car les propriétaires n'ont pas réalisé les efforts de rénovation nécessaires. Cela pose la question de la revitalisation des centres-bourgs, dans le milieu rural comme en ville : certains logements des centres-villes ne correspondent plus aux attentes, au-delà des seules passoires thermiques.
Cela pose aussi la question des plans locaux d'urbanisme intercommunaux (PLUi) et du zéro artificialisation nette (ZAN). Quand une intercommunalité adopte un PLUi ambitieux en termes d'économies de foncier, elle doit pouvoir proposer des solutions aux artisans, aux particuliers et aux collectivités ; mais ces solutions ne sont pas encore suffisamment accessibles pour être efficaces. Intercommunalités de France accompagne depuis longtemps ses membres en matière de rénovation énergétique, car il s'agit de politiques complexes. Il y a un vrai besoin de simplicité, de transparence du conseil, d'une approche globale et d'exemplarité des collectivités.
Si l'on souhaite entraîner les propriétaires et les habitants, il faut que tout le territoire entre dans la démarche. Pour cela, il n'est pas toujours nécessaire de passer par la case rénovation énergétique.
Je suis vice-présidente - et anciennement présidente - d'une intercommunalité rurale normande dans laquelle se pose la question des logements de la reconstruction dans lesquels les gens ne veulent plus vivre. Quand nous avons choisi, dans le PLUi, de restreindre le terrain constructible, nous avons tâché de proposer une solution simple. Mais cela nécessite des moyens techniques et humains, dans les collectivités, pour animer et garantir la transparence du conseil.
Certains ménages commencent par envisager l'accessibilité de leur logement et aboutissent à un projet de rénovation globale. En commençant par un petit bout de la lorgnette, on parvient à réaliser une rénovation qui tient la route.
Mais nous avons besoin d'agents formés pour faire fonctionner ces guichets uniques d'accueil et d'orientation. Or les collectivités connaissent des difficultés de recrutement. Notre plateforme en est à son troisième agent... Nous avons besoin d'agents compétents, impliqués et qui restent sur le territoire, car il s'agit d'un travail de conviction sur le temps long.
S'agissant des exigences énergétiques qui s'appliqueront à la location, je constate dans mon territoire que de nombreux propriétaires vendent, ce qui crée une pression supplémentaire sur le marché locatif et donc sur l'accessibilité au logement.
Vous évoquez l'unicité des démarches, mais les territoires sont très divers. Pour que ce soit efficace, il faut que la collectivité porteuse du projet élabore un diagnostic fin et une stratégie adaptée à son territoire. Je reprends l'exemple, dans mon territoire, des logements de la reconstruction. Il faut prendre en compte la culture régionale : Normands et Francs-Comtois n'abordent pas la question de la rénovation énergétique de la même manière. Il nous faut de la souplesse pour mettre en place une stratégie efficace. Nous avons besoin d'une co-construction avec l'État, les communes et la communauté de communes sur ce que l'on veut faire sur notre territoire.
Pour montrer que c'est possible, il faudrait un accompagnement particulier pour les communes qui s'engagent à faire du logement locatif, en acquérant des logements vacants par exemple. Chez moi, Manche Habitat se montre très frileux dans ces opérations de réhabilitation. Du coup, ce sont de petites communes qui s'engagent, comme celle dont je suis maire, de 730 habitants, qui loue dix logements. Il faudrait donc des espaces démonstratifs pour que tout le monde s'y mette et que l'on travaille collectivement.
La question de la transparence du conseil est très importante et cette valeur devra être conservée dans les politiques de rénovation.
M. Nicolas Garnier, délégué général d'Amorce. - Permettez-moi d'excuser M. Michel Maya, vice-président délégué à la rénovation énergétique au sein d'Amorce, qui n'était pas disponible aujourd'hui.
La transition énergétique et l'amélioration de l'efficacité énergétique du bâti et du logement - principal poste de consommation énergétique avec les transports - sont en trompe-l'oeil.
J'en veux pour preuve la stabilité de la consommation finale d'énergie du résidentiel depuis vingt ans, autour de 500 térawattheures d'énergie finale. Bien sûr, nous avons de nouveaux usages de l'énergie, avec nos tablettes et nos ordinateurs ; mais on n'assiste pas à une baisse de la consommation d'énergie dans nos logements.
En second lieu, le chiffre officiel de 718 000 rénovations cache une réalité plus préoccupante : il s'agit essentiellement de rénovations dites monogestes. Autrement dit, on ne rénove que très partiellement l'habitat. De surcroît, la plupart de ces rénovations monogestes sont des changements de chauffage. Il s'agit essentiellement de l'installation de poêles à bois et de pompes à chaleur. Vous m'avez demandé de dire la vérité : les pompes à chaleur air-air ou air-eau posent un véritable problème, j'y reviendrai. Or dans le mix de chauffage français, la pompe à chaleur air-air se développe très rapidement. Nous devons nous poser la question de cet outil, sans le diaboliser, mais en le remettant à sa juste place.
La grille de lecture de votre réflexion est complexe, car il faut mener une réflexion sur le neuf et l'existant. La RE2020 est-elle appliquée ou pas ? A-t-elle été bien élaborée ? Elle a probablement été orientée sur les questions de CO2, à juste titre, mais cela a biaisé certains débats, sur le chauffage électrique par exemple.
Les situations sont différentes dans le logement individuel, dans le logement collectif public - sur lequel les élus ont plus de prise via les bailleurs sociaux - et dans les copropriétés privées. Elles le sont également selon que le propriétaire est occupant ou bailleur, ou quand le propriétaire est précaire.
Il faut aborder ce sujet avec méthode et je vous invite à élaborer un grand tableau avec différentes entrées. Se pose aussi la question de l'enveloppe et des usages de l'énergie.
Nous sommes face à des marchés - marché énergétique, marché de la construction -, que l'État et les collectivités, garants de l'intérêt général, essayent d'orienter. D'où ces questions : comment le marché influe-t-il sur la trajectoire ? Comment les pouvoirs publics réussissent-ils à le réorienter pour éviter qu'il ne prenne une mauvaise direction ?
La crise énergétique actuelle - avec l'augmentation des prix et les risques de black-out - est un phénomène de marché qui a conduit à des progrès en termes de sobriété, avec une baisse de la consommation entre 9 et 13 %. Ces phénomènes doivent être pris en compte dans l'élaboration de nos politiques publiques, et notamment dans la régulation.
Je crois que le processus favorable à l'efficacité énergétique dans le logement passe, successivement, par l'information, la sensibilisation, l'accompagnement technique, les aides et les financements, la coercition et enfin le contrôle. Une fois cette chaîne vertueuse mise en place, nous pouvons atteindre notre objectif.
On constate tout d'abord un déficit d'information, notamment en tant qu'usager. Vous savez probablement combien consomme votre voiture, mais pas combien affichait votre compteur électrique hier soir. Moi-même, je ne le sais pas. Certains élus prennent le sujet en main : c'est ainsi que le maire de Belleville-en-Beaujolais a annoncé hier la distribution de petits compteurs visuels en télérelève, liés à Linky, mais plus visibles, que l'on peut placer dans son logement. C'est un premier niveau d'information. Le jour où les Français sauront ce qu'ils consomment et ce qu'ils payent - comme ils le savent pour le carburant -, leur relation à l'énergie changera.
Un pas considérable a été franchi en matière d'information des collectivités avec l'article 179 de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, dite LTECV. Les collectivités territoriales disposent désormais de la liste des consommations de leurs principaux bâtiments. C'est un pas important, mais insuffisant, car limité à dix points de livraison. C'est à la fois beaucoup, car cela nous donne accès aux données d'immeubles R3, R4 ou R5, mais nous n'avons pas les données en dessous, alors que la précarité énergétique concerne aussi le logement individuel. Pour récupérer ces données de consommation, les collectivités doivent passer par le centre communal d'action sociale (CCAS) ou le Fonds de solidarité pour le logement (FSL) et demander à la personne concernée l'autorisation d'utiliser sa donnée pour éviter d'effectuer une demande à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil). Il est donc très compliqué pour une collectivité d'appréhender la consommation d'énergie de son territoire. Il faut aller plus loin dans l'accès à la donnée.
Toujours sur l'information, France Rénov' s'intitule service public d'efficacité énergétique ; je serais plus modeste, il s'agit d'un service public d'information à l'efficacité énergétique. Il ne s'agit que de la première brique de la chaîne vertueuse que j'ai évoquée tout à l'heure.
Cette chaîne fonctionne sur tout le territoire. C'est une vraie réussite collective, mais elle a ses limites. Il serait intéressant de savoir combien de personnes ont été en contact avec France Rénov' et combien ont été démarchées le samedi et le dimanche ? Je crains que le second chiffre ne soit supérieur au premier... Or ces démarcheurs ne disent pas la vérité, eux.
Il faut donc booster la capacité d'intervention de France Rénov', y compris par du contact à domicile. Il faut aller vers les gens, or nous sommes dans une logique de guichet.
France Rénov' a d'abord été créé pour parler d'enveloppe. Il n'est pas question de l'en dessaisir, mais il est temps que France Rénov' parle aussi de chauffage et de comportements. Certains points d'information le font, mais cela ne fait pas partie du cahier des charges. Une fois réglée la question de l'enveloppe, si vous appelez un point d'information France Rénov' pour savoir comment vous chauffer, dans deux cas sur trois vous n'aurez pas de réponse ou une réponse très partielle. Nous l'avons testé : presque aucun n'évoque les réseaux de chaleur, alors qu'il s'agit d'un outil public local à notre disposition, qui procure une énergie moins chère, moins carbonée, renouvelable et locale. Il faut donc élargir le champ d'intervention de France Rénov'.
S'agissant de l'accompagnement, la mise en place des Accompagnateurs Rénov' constitue une avancée. Jusqu'à présent, une fois que vous aviez un professionnel chez vous, il vous orientait vers une solution : une chaudière à condensation gaz dans l'ancien monde, aujourd'hui une pompe à chaleur air-air. L'Accompagnateur Rénov' permet donc d'encadrer la capacité à intervenir. Mais c'est un peu frustrant : d'une part, on a l'impression que l'on va donner le titre d'accompagnateur à tout le monde et d'autre part, il n'y a pas de connexion réelle entre Mon Accompagnateur Rénov' et France Rénov'.
A minima, il faudrait un service après-vente (SAV) afin que le consommateur puisse se retourner vers France Rénov' pour vérifier que ce que lui a dit l'accompagnateur est cohérent.
On peut aussi imaginer, en étant plus ambitieux, que ce soient les collectivités locales qui coordonnent les Accompagnateurs Rénov', car puisqu'il fait l'information, il doit aussi être capable d'accompagner la mise en oeuvre. Mais cela nous mènerait vers des débats plus compliqués, notamment au plan financier.
Un accompagnement très spécifique doit être réalisé auprès des populations les plus précaires. Or l'Accompagnateur Rénov' ne le fera pas naturellement. Amorce a créé un programme, Pacte - 15, qui permet d'identifier des profils très spécifiques : certains peuvent accompagner une rénovation, d'autres ne peuvent pas se permettre le moindre reste à charge ; certains doivent être accompagnés de A à Z, d'autres sont plus autonomes ; certains sont propriétaires, d'autres locataires. Nous devons absolument affiner cet accompagnement et l'Agence nationale de l'habitat (Anah) en a besoin aussi. Ce programme identifie des populations précaires qui sont sous les radars et que l'Anah ne voit pas.
S'agissant des aides et du financement, le dispositif est à la fois bien fait, mais il est aussi très orienté : MaPrimeRénov' aide principalement l'installation de pompes à chaleur et de poêles à bois. Nous n'avons pas encore trouvé un rythme de croisière permettant à MaPrimeRénov' d'accompagner la rénovation énergétique, encore moins dans le logement collectif.
La rénovation énergétique dans le logement collectif ne fonctionne pas ou peu : 25 000 rénovations tout au plus. Cela renvoie à la question de la prise de décision au sein des assemblées de copropriétaires, ne serait-ce que pour changer un paillasson... Il faut donc complètement changer les processus de décision des copropriétés, mais aussi l'accompagnement.
Les aides sont principalement étatiques. Les collectivités n'ont presque aucune prise : il y a certes les aides à la pierre, mais les collectivités n'en sont que les opérateurs, elles n'ont pas le droit de les orienter. Il faut donc trouver d'autres dispositifs. Certains élus réfléchissent à permettre des malus de taxe foncière en fonction des situations.
S'agissant de la coercition, le président d'une grande agglomération m'avait dit il y a quelques années : « sans coercition, les aides, ça finit par coûter très cher ! » D'où l'idée d'un horizon de coercition et notre amendement sur les passoires thermiques adopté dans la LTECV. Cette mesure, que le Conseil constitutionnel avait failli supprimer, a mis dix ans à se mettre en place. Malgré ses défauts, elle va commencer à rendre son office, avec le rapprochement de l'échéance. Le décret sur le tertiaire, qui n'est pas parfait lui non plus, challenge les collectivités. Il faut des horizons de coercition, en particulier pour les copropriétés, sinon ça n'avancera pas. Il faut aussi oser ces périodes intermédiaires, qui ont été plutôt bien faites, avec l'interdiction d'augmentation des loyers qui a constitué un premier coup de semonce. Autrement, on n'arrivera pas à embarquer tout le monde. Mais entretemps, il faut des aides, pour permettre aux gens de faire : si les aides sont insuffisantes, notamment pour les précaires, ils vont prendre de plein fouet l'interdiction de vivre dans ces logements.
Nos outils de planification sont-ils suffisamment efficaces ? La capacité d'un plan climat-air-énergie territorial (PCAET) ou d'un programme local de l'habitat (PLH) à provoquer de la rénovation est proche de zéro. Un plan local d'urbanisme (PLU) n'intervient pas et c'est bien là son drame : il impose à celui qui fait, mais pas à celui qui ne fait pas alors qu'il devrait faire. Nos outils de planification, dont le plus coercitif est le PLU, ont donc peu d'impact sur cette politique.
Le paquet européen Fit for 55 introduit l'idée de plan territorial chaleur : le chauffage pourrait être l'objet d'une planification propre avec des moyens de coercition.
La semaine dernière, la Première ministre a confirmé le dépôt d'un projet de loi de programmation de l'énergie. J'espère qu'il comportera un chapitre consacré au chauffage et un autre sur les transports. Nous devons sortir du débat mortifère sur la manière de produire l'électricité. Je renvoie dos à dos les tenants de l'éolien et ceux du nucléaire : ce n'est pas le sujet. Le sujet, c'est : comment on se chauffe, comment on se déplace et comment on réduit cette consommation. Cela fait vingt ans que l'on se pose la question de la production d'électricité ; résultat : la consommation d'énergie dans le logement n'a pas bougé.
S'agissant du contrôle, la capacité de contrôle d'une collectivité sur ce qui est construit ou rénové est proche de zéro. Celle de l'État n'est guère meilleure. Il faut absolument régler cela.
Pourquoi parlons-nous tous de la pompe à chaleur ? Parce que cela va être un carnage dans les vingt prochaines années. Je ne vise pas les pompes à chaleur eau-eau qui sont de vrais dispositifs efficaces. Le principe de la pompe à chaleur repose sur le cycle de Carnot : vous prenez de l'air dans l'atmosphère et le compressez. Si l'air est à 15 °C, le monter à 25 °C ne consommera pas beaucoup d'énergie ; en revanche, si l'air est à 0° C parce que c'est l'hiver, votre pompe à chaleur va consommer presque autant d'énergie qu'un radiateur électrique, soit un coefficient de performance énergétique (Cop) de 1...
La pompe à chaleur air-air est-elle un outil d'énergie renouvelable ? De notre point de vue, c'est plutôt un outil d'efficacité énergétique, comme l'était la cogénération au gaz. Elle doit permettre d'économiser de l'énergie, mais ce n'est pas un outil d'énergie renouvelable, car il consomme de l'énergie qui n'est, en France, renouvelable qu'à hauteur de 20 %. Dès lors, doit-elle être aidée à ce point ? MaPrimeRénov' a été supprimée, mais il reste des CEE.
Les pompes à chaleur air-eau n'ont pas de bien meilleures performances. Il faut trier le bon grain de l'ivraie, car certaines pompes à chaleur air-eau présentent de très bons Cop, supérieurs à 4 ou 5 : celles-ci doivent être aidées. Mais il faut absolument des critères d'efficacité énergétique sur les pompes à chaleur. On est en train d'équiper la France de l'équivalent des radiateurs électriques, en particulier dans le logement social. On voit déjà des impayés et des dysfonctionnements. Il est temps de réguler cet outil de chauffage qui n'en est pas toujours un bon, contrairement à ce qu'en disent les publicités qui nous promettent monts et merveilles.
L'État français, dans le contexte de la transition énergétique, joue un rôle ambivalent, agissant à la fois en tant que garant de l'intérêt général, soit de la baisse de la consommation, et comme acteur du marché de l'électricité. La loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte ressemble donc à une loi relative à la transition électrique, ce qui est sans doute sain, car l'électricité est en grande partie décarbonée. Pour autant, ne manquons pas le rendez-vous avec l'efficacité énergétique. Or des aides telles que MaPrimeRénov' soutiennent en premier lieu des systèmes de chauffage électrique, avant de favoriser des outils d'efficacité et de rénovation énergétique. Il y a un risque que tout passe à l'électricité, qui pourrait alors être plus coûteuse et dont la production pourrait être insuffisante. Le parc nucléaire à venir arrivera seulement dans quinze ans, nous avons ce laps de temps à combler, et nous devons faire face à des problèmes de pouvoir d'achat et de précarité énergétique. Il est donc essentiel de se concentrer sur la façon dont nous chauffons nos maisons et nous déplaçons, plutôt que sur la production d'électricité.
En 1946, le général de Gaulle a créé deux services publics, EDF, service public de fourniture et de distribution d'électricité, et GDF, l'équivalent pour le gaz, afin de répondre à la nécessité de fournir de l'énergie aux Français lors de la période de redéploiement économique. L'enjeu de la future loi de programmation sur l'énergie et le climat (LPEC), qui sera bientôt débattue dans cet hémicycle, est de redéfinir ce service public de l'énergie. Il faudrait peut-être transformer EDF en « Économie d'énergie de France » et créer ainsi un service public dédié à l'efficacité énergétique, en réponse aux défis climatiques, économiques et énergétiques que nous rencontrons. Il faut sans doute assigner de nouvelles missions à EDF, créer d'autres opérateurs, passer par des opérateurs locaux, mais la priorité est à notre sens ce service public de l'efficacité, qui n'existe pas et qui va au-delà des aides et du service public d'information.
Par ailleurs, le service public de gaz au sens propre - à l'exception, peut-être, du biogaz - n'a pas d'avenir, contrairement aux réseaux de chaleur renouvelables. De très nombreux élus locaux souhaitent créer de tels réseaux, mais nous sommes encore loin de leur généralisation. Près de 300 communes de 10 000 à 30 000 habitants n'ont pas de réseaux de chaleur et sont donc dépendantes du marché de l'électricité et du gaz, y compris des collectivités qui ont l'obligation d'acheter l'électricité sur le marché libre. Il est donc essentiel de mettre en place un service public quasi universel de la chaleur renouvelable, appuyé sur des ressources, locales, qui favorisera l'économie locale et permettra une meilleure maîtrise de la facture énergétique. En dehors du bouclier tarifaire, seuls les réseaux de chaleur renouvelable ont su maîtriser leur facture pendant la crise, malgré quelques difficultés liées, précisément, à l'appoint de gaz.
Enfin, il est nécessaire de déterminer la place du service public dans la résorption de la précarité énergétique. Malgré quelques mesures législatives importantes, nous sommes loin d'avoir éliminé les passoires thermiques ; or il s'agit d'une question majeure pour le futur du service public de l'énergie dans notre pays, qui sera abordée lors des discussions sur la future loi de programmation sur l'énergie et le climat.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Merci de vos explications détaillées sur ce sujet complexe des politiques de rénovation énergétique. Vous avez bien abordé l'ensemble des problématiques que nous avons identifiées, notamment, à travers différents déplacements et auditions. Nous partageons de nombreux avis exprimés, en particulier sur la nécessité d'une politique simple et accessible, d'un conseil indépendant et de confiance, ainsi que de la proximité avec les collectivités.
Ma première question est relative à l'interaction entre les politiques publiques locales et les dispositifs nationaux comme France Rénov' ou MaPrimeRénov' : on observe une certaine évolution vers une meilleure lisibilité, même s'il reste beaucoup à faire ; comment voyez-vous l'intégration des initiatives locales, de ces dispositifs qui, bien qu'indépendants, ont montré des résultats intéressants grâce à leur proximité et leur capacité d'adaptation aux critères locaux ? Veillons à ne pas ajouter une couche de complexité supplémentaire avec les dispositifs d'État. Comment réussir leur intégration ? Cela nécessite peut-être une clarification des compétences entre les différentes échelles de gouvernance : intercommunalité, département, régions, etc. Nous avons abordé d'autres aspects de cette question, notamment l'ambition de « zéro artificialisation nette » (ZAN), dont les enjeux sont du même ordre. J'aimerais donc connaître votre vision sur l'interaction entre les politiques publiques et ce qui se passe réellement sur le terrain.
Cela mène à la question du guichet unique. Comment voyez-vous cela ? L'idée est-elle de disposer de guichets uniques qui varient selon les territoires, ou cherche-t-on une uniformisation, comme le propose France Rénov' ?
Avez-vous des informations sur les disparités d'intervention entre les différentes typologies de territoires : rural, urbain, périurbain, etc. Comment avance-t-on en matière de rénovation thermique en fonction de ces différents contextes ?
Je m'interroge sur Mon Accompagnateur Rénov'. Comment ce dispositif s'intègre-t-il dans les initiatives locales déjà en place ? Les collectivités ne risquent-elles pas de se désengager, en laissant ce rôle à l'État, alors qu'elles pourraient avoir mis en place des solutions efficaces sur leurs territoires ? Comment envisagez-vous donc son intégration avec ce qui se fait déjà ?
Se pose également la question du rôle des collectivités dans l'accompagnement des filières et des entreprises, notamment en termes de formation aux nouvelles techniques et aux nouveaux matériaux du bâtiment. De même, quid du développement de filières locales pour les matériaux, appuyés sur des circuits courts ? Avec l'augmentation de la demande, la disponibilité et la production de matériaux seront de véritables enjeux. Les collectivités pourraient jouer un rôle dans l'accompagnement et la mise en place de ces filières.
Enfin, la question des réseaux de chaleur est importante. Faisons-nous une transition énergétique ou une transition électrique ? Avec une vision uniquement basée sur le carbone, on risque en effet de privilégier l'électricité, ce qui pourrait poser problème. Les réseaux de chaleur constituent une solution intéressante, notamment en collectif, où il n'existe pas beaucoup d'alternatives. Pour autant, les données et les informations manquent à leur sujet, ce qui peut poser problème, notamment dans les diagnostics de performance énergétique (DPE), car leur score pourrait souffrir de l'utilisation de données périmées.
M. Guy Geoffroy. - En ce qui concerne le guichet unique, la question est : pour quoi faire ? S'il s'agit seulement d'informer, c'est déjà fait. En outre, il existe des dispositifs qui permettent de rendre les guichets uniques véritablement uniques : France Services. Je ne trouverais donc pas incongru que ces lieux soient des points d'entrée pour l'information et l'accompagnement initial de nos concitoyens, en accueillant le dispositif France Rénov'. Je parle d'expérience : l'État a mis en place un guichet France Service dans ma commune et ses résultats sont exemplaires. Nos concitoyens veulent avoir un interlocuteur public crédible pour répondre à leurs besoins et à leurs difficultés, qu'il relève de l'État, de la région, du département, de l'intercommunalité ou de la commune, même si le premier interlocuteur public crédible à leur disposition est bien l'élu local du bloc communal. La puissance publique, que tous ces élus constituent, doit offrir une réponse immédiate acceptable : une information et un premier accompagnement. Pour autant, pour que le guichet unique soit efficace, il devra être simple d'accès et perçu comme réellement unique. S'il y a plusieurs guichets uniques pour traiter plusieurs problèmes, il ne s'agit plus d'un guichet unique, mais de plusieurs guichets spécifiques dédiés à une diversité de sujets. J'évoquais précédemment la difficulté issue de la judiciarisation de la relation entre le locataire et le propriétaire. Nos concitoyens nous disent souvent qu'ils trouvent le système complexe ; ils ne remettent pas en cause la volonté des pouvoirs publics de résoudre leurs problèmes, mais ils estiment que même les solutions les plus simples restent difficiles d'accès.
À mon sens, notre économie a la capacité répondre à ces défis, sous réserve de traiter deux questions principales : la première concerne la disponibilité des ressources humaines et matérielles dans un délai forcément court ; la seconde porte sur la lutte contre les effets d'aubaine qui peuvent résulter de ces aides publiques. Nous avons tous entendu parler des excès et des scandales liés aux détournements de ces aides, qui compliquent la lisibilité du système et donc sa crédibilité.
Vous avez également évoqué l'utilisation de matériaux locaux. Mon département, à la fois urbain et rural, produit d'importantes quantités de chanvre et une filière de béton chanvré est en train de s'y développer. De nombreux élus souhaitent favoriser l'utilisation de ce matériau biosourcé et local pour leurs bâtiments publics et, pourquoi pas, pour la construction privée. Cependant, nous devons respecter certaines règles supérieures, comme celles qui concernent les marchés publics. Dans le respect des règles européennes, que nous surtransposons toujours en les complexifiant, nous devons trouver le moyen de permettre aux économies locales de mettre en oeuvre toutes les ressources dont elles disposent. De ce point de vue, la question des matériaux et des personnels, notamment en termes de formation, est un véritable sujet et un des plus grands défis que nous devons relever. La complexité de ces sujets est immense, d'autant plus que les priorités peuvent fluctuer d'un jour à l'autre.
Je terminerai mon intervention avec deux points qui ajoutent à la complexité, mais qu'il faut garder à l'esprit. Quel est l'objectif que nous cherchons à atteindre au travers de cette réflexion et de vos travaux ? Nous cherchons à assurer que chacun, dans notre pays, ait accès à un logement décent, le plus économique possible, permettant une vie quotidienne sans précarité, avec un chauffage convenable, tout en améliorant notre indépendance énergétique. Il faut donc prendre en compte tous ces éléments et y inclure des groupes qui ne sont pas prioritaires aujourd'hui, par exemple les propriétaires occupants. Aujourd'hui, un propriétaire occupant peut être proactif et rechercher les aides dont il peut disposer pour améliorer son logement, le rendre plus confortable et moins coûteux, ou ne pas le faire, s'il n'en a pas les moyens. Pour autant, considérer que les propriétaires sont riches serait une erreur monumentale. Beaucoup d'entre eux peuvent même se trouver en difficulté, notamment à l'approche de l'âge de la retraite. Or le propriétaire occupant n'est pas aujourd'hui perçu comme une cible nécessaire dans la lutte contre les déperditions d'énergie et contre le mal-vivre dans son logement, alors qu'il s'agit d'un enjeu crucial. Des habitants se plaignent auprès des élus locaux que leur propriétaire ne leur permet pas de vivre dans des conditions décentes, nous disposons pour cela de quelques moyens d'action, et j'espère que nous en aurons davantage à l'avenir ; il est rare, pour autant, qu'un propriétaire occupant nous interpelle, peut-être parce que les personnes concernées estiment que ce n'est pas le rôle de la puissance publique ou qu'elles sont gênées de reconnaître que leur propre logement n'est ni confortable ni décent.
Enfin, l'exemplarité des collectivités est un sujet complexe : nous ne pouvons parler aux gens de manière crédible que si nous sommes nous-mêmes exemplaires. Vous évoquez le logement, mais cela concerne tout ce qui caractérise les collectivités locales, en particulier les équipements publics : leur état, leur entretien, leur rénovation et le coût qu'ils représentent pour le budget de la collectivité. Si le cours de choses nous amène à prendre davantage de décisions au niveau local, nous exigerons les moyens nécessaires pour ce faire, mais nous devrons, en parallèle, être en mesure de poursuivre cet effort et de le mener à terme, même si c'est le tonneau des Danaïdes. La situation est inégale sur le territoire, mais les communes françaises n'ont pas attendu les crises actuelles pour commencer à maintenir leurs équipements en bon état et à anticiper leurs besoins énergétiques. C'est d'autant plus vrai que cela coûte cher, comme nous l'avons constaté en 2022 avec l'envolée des prix de l'énergie. Il est important de promouvoir cette exemplarité, mais celle-ci représente un deuxième enjeu en matière de capacité globale de l'économie et de financement nécessaire ; toutefois, elle nous permettra d'être des prescripteurs crédibles, éventuellement de sanctionner, tout en montrant à l'opinion publique que nous avons la capacité de le faire et que nous ne revendiquons pas une autorité sans avoir balayé devant notre propre porte.
M. Jean-Patrick Masson. - Sur la compétence des collectivités, il est absolument nécessaire d'être au plus proche de la population, et à ce titre, le bloc communal est bien armé, dans la limite de ses moyens. Il offre une proximité et un contact direct avec les habitants. Le guichet unique ne devrait pas se limiter à l'accueil et à l'orientation, mais devenir une force proactive allant vers le citoyen. Sur mon territoire, nous avons testé cela avec La Poste : les facteurs sont allés à la rencontre des habitants et cela a bien fonctionné, amenant les gens à se poser des questions et à enclencher des actions, même s'il y a loin, en effet, entre le premier contact et la réalisation. Un guichet unique par étapes ne simplifie pas les choses, il faut bien un guichet unique proactif et qui gère une partie significative de l'opération.
Deuxième point, la diversité dans les territoires est évidente. Pour la caractériser, et pour que les territoires justifient des pratiques différentes, nous devons élaborer des stratégies territoriales. Par exemple, mon territoire dispose d'un important réseau de chaleur concernant 55 000 équivalents logements, mais un grand nombre de logements - 130 000 - restent hors de sa portée. Peut-être est-ce sur ces logements-là qu'il faut insister pour aller vers la rénovation, notamment pour des raisons financières. Nous ne pouvons pas tout faire, il nous faut donc dessiner des stratégies territoriales différenciées ; c'est une nécessité.
Il y a bien un risque de désengagements des collectivités lié à Mon Accompagnateur Rénov'. Si le système est trop compliqué et difficile d'accès pour les collectivités elles-mêmes, alors l'État devra s'en débrouiller seul. Ce n'est pas uniquement une question de financement, mais aussi de posture : si nous ne savons pas quel rôle nous devons jouer dans ce contexte, nous n'en jouerons aucun !
Concernant les dispositifs comme MaPrimeRénov' et les autres, un point doit être pris en compte : le prêt à taux zéro, qui semble de moins en moins courant. Il s'agit d'un élément de complexité supplémentaire évident qui implique un autre acteur fondamental : le financement privé bancaire. Nous rencontrons donc, certes, un problème de compétences, de capacité à agir, mais se pose également cette difficulté relative à la présence de financement privé.
Sur la formation des filières : il est compliqué pour une collectivité de lancer ce type d'initiative, même s'il est toujours possible d'inciter, de financer ou de monter des opérations exemplaires avec les entreprises.
Pour organiser des formations et des filières locales de fourniture de matériaux, une piste est à explorer : la standardisation. Monter des projets uniques fait perdre du temps et de l'argent. Par exemple, pour une zone pavillonnaire des années 1970 avec des maisons identiques, il convient de suivre une logique de groupe : on pourrait attirer les entreprises en leur disant qu'il y a 50, 100 ou 200 pavillons à rénover. Or, en l'occurrence, rien n'est prévu pour ce genre de projet ; il y a un trou dans la raquette. Ces opérations de groupe constitueraient pourtant un levier significatif.
Nous avons une certaine habitude de la différenciation entre zones urbaines et rurales : dans la métropole de Dijon, la commune-centre compte 160 000 habitants et la plus petite commune 145 habitants...
Mme Anne Hébert. - Cette question, complexe, de la rénovation énergétique intéresse les élus et les citoyens. Il faut donc se mettre autour de la table locale pour coconstruire les solutions. L'intercommunalité est le lieu adéquat pour mettre en place une politique de long terme qui soit adaptée et puisse être évaluée. Les élus doivent prendre ce sujet à bras-le-corps !
Sur les énergies renouvelables, il convient que les élus de plusieurs communes réfléchissent collectivement, échangent et débattent. Cet outil de gouvernance locale est important car ce domaine connaît une amélioration continue : si le dossier des éoliennes est aujourd'hui compliqué, il en sera peut-être différemment demain. Le besoin de formation des élus est considérable, du fait de la technicité du sujet. Ces groupes permettraient de dispenser une formation locale. Quant aux plateformes, elles devraient aussi bénéficier d'une formation à l'accompagnement, afin que l'aide qu'elles apportent ne demeure pas extérieure aux territoires. Je rappelle que les intercommunalités ont deux compétences utiles en la matière : l'aménagement du territoire, d'une part, et le développement économique, d'autre part.
Enfin, il convient de travailler sur le long terme, avec une transmission des connaissances d'un élu à l'autre.
M. Nicolas Garnier. - Qu'entend-on par guichet unique : un opérateur unique ou plusieurs opérateurs, qui sont toujours les mêmes - Agence nationale de l'habitat (Anah), collectivités, France Rénov, etc. - au même endroit ? On ne le sait pas vraiment.
Il est incroyable que le dispositif France Rénov soit aussi précaire économiquement : il est susceptible de s'arrêter chaque année ou tous les trois ans, ce qui pose des problèmes de pérennité des emplois. Or la caractéristique d'un service public est la continuité !
S'agissant du dispositif Mon Accompagnateur Rénov', le mot « accompagnement » revêt des réalités très différentes. Il peut s'agir de formation, de pré-diagnostic, d'étude de faisabilité, ou encore d'ingénierie financière ; Île-de-France Énergies a même tenté de financer des travaux et d'en assurer la réalisation. Il faut donc clarifier cette notion ; pour l'instant Mon Accompagnateur Rénov' semble s'apparenter à un maître d'oeuvre ou maître d'ouvrage uniquement. Quant aux situations de précarité énergétique, elles nécessitent un accompagnement renforcé, assurant le pré-financement et la mise en oeuvre des travaux.
Des collectivités, notamment Grenoble, ont tenté d'être Accompagnateur Rénov', dans la mesure où elles ont une expérience d'accompagnement de premier niveau, mais ce processus n'est pas évident. Il faudrait un dispositif Mon Accompagnateur Rénov' dédié aux collectivités.
La rénovation énergétique n'avance pas assez vite parce que se posent des problèmes de financement. L'effort d'investissement dans ce domaine est estimé à 31 milliards d'euros d'ici à 2030, ce qui est énorme ; pour le parc nucléaire, on estime les investissements nécessaires à 51 milliards : c'est le même ordre de grandeur. Le développement de l'éolien représente 19 milliards d'euros. Il faudra mettre tous ces chiffres sur la table.
Pour ce qui est des réseaux de chaleur, l'aide au raccordement a été largement améliorée dans les logements collectifs. Un raccordement coûte 200 euros par logement dans les petits immeubles grâce à un coup de pouce CEE. Cela fonctionne moins bien pour les logements individuels ; or les demandes se multiplient en zone rurale.
Nous avons monté un comité des abonnés des réseaux de chaleur, dont nous recueillons les attentes. Nous préparons des outils de simulation cartographique des réseaux existants pour que les bailleurs sachent où sont les réseaux les plus proches, s'ils peuvent se raccorder et à quel prix. Cela permettra aussi de simuler des réseaux de chaleur là où il n'y en a pas.
Le Club de la chaleur renouvelable, qui réunit notamment Amorce, le syndicat des énergies renouvelables (SER), la fédération des services énergie environnement (Fedene), le syndicat des professionnels de l'énergie solaire (Enerplan), etc., a proposé la semaine dernière à Mme Agnès Pannier-Runacher un « plan Marshall » de la chaleur renouvelable. On est en effet capables d'atteindre un niveau de 50 à 75 % de chaleur renouvelable locale fatale. Pourtant, nous avons découvert que depuis vingt ans plus un seul logement n'était équipé de boucle d'eau chaude, ce qui pose des problèmes de raccordement. Nous avons donc dû opposer de nombreux refus de raccordement, alors que la demande a explosé du fait de la hausse du prix de l'énergie.
La future réglementation environnementale devra prévoir l'installation de ces boucles, y compris pour l'équipement des bas d'immeubles en chaufferies bois et en pompes à chaleur de bonne qualité. La plupart des logements sont aujourd'hui piégés entre chauffage électrique et chaudière à gaz, et ce pour longtemps : c'est problématique ! Nous souhaitons donc que l'État mette en place une aide à l'installation de boucles d'eau chaude dans les immeubles existants, mais cela coûtera cher.
M. Laurent Burgoa. - Lorsque le pays sera apaisé, l'exécutif devra réfléchir à une nouvelle loi de décentralisation qui ne soit pas une autre loi 3DS (loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale), pour dire qui fait quoi...
Madame Hébert, Intercommunalités de France serait-elle prête à discuter d'un transfert de compétence visant à ce que les intercommunalités gèrent le financement de la rénovation énergétique ?
Messieurs Geoffroy, Garnier et Masson, que pensez-vous du Fonds vert ? Dans mon département, de petites communes craignent de ne pas pouvoir en bénéficier.
Mme Anne Hébert. - À Intercommunalités de France, nous sommes prêts à envisager un tel transfert s'il peut renforcer l'efficacité de la rénovation énergétique, mais il faudrait savoir comment le couple commune-intercommunalité peut travailler sur cette question.
M. Guy Geoffroy. - Il s'agit de définir la pertinence du niveau d'intervention, qui n'est pas forcément la commune ou l'intercommunalité puisque tout dépend du tissu humain et territorial. Mieux vaut parler de « bloc communal », lequel est désireux de s'investir dans ce qu'il sait le mieux faire. Je rappelle à cet égard que les intercommunalités sont des établissements publics de coopération intercommunale et non pas des collectivités territoriales : c'est dans ce cadre qu'il faut envisager cette question.
Lorsque le ministre Christophe Béchu a présenté la première fois le Fonds vert à l'AMF, on pouvait croire à une révolution copernicienne : c'en était fini de la verticalité des appels à projets ; désormais, l'échelon local décidait et obtenait... Avec le recul, nous devons modérer notre enthousiasme comme nos critiques. Le volume de ce fonds se réduit de plus en plus, mais c'est toujours bon à prendre. Il ne convient pas de dénigrer un dispositif dont la qualité, ou l'absence de qualité, n'a pas encore été démontrée.
Nous avons obtenu du Gouvernement qu'il recommande aux représentants de l'État d'être le plus souples possible dans le cadre du dialogue avec les associations d'élus locaux et de la mise en place du Fonds vert, articulé avec la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) et la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL). Nous espérons que ce fonds perdurera au-delà de 2024, car une politique publique de cette ampleur doit être conduite sur une certaine durée, qu'il ne se réduira pas comme peau de chagrin et qu'il ne deviendra pas une machine à fabriquer des appels à projets.
Il faudra évaluer le plus rapidement possible la première année d'application du Fonds vert afin de proposer au Gouvernement, avec l'appui du Parlement, les évolutions indispensables. Ce fonds permettra probablement aux collectivités d'atteindre des objectifs d'amélioration de la situation climatique globale. Mais il s'agit de faire preuve de vigilance, laquelle est davantage d'actualité que la confiance ; mais il est possible d'y remédier.
M. Jean-Patrick Masson. - Le Fonds vert permet de recycler de nombreux projets, mais le problème de l'ingénierie se pose. Résultat : il y a beaucoup de saupoudrage. Se posent aussi des problèmes de délais et de pérennité du financement pour des projets dont certains aboutiront en 2025 ou 2026... Malgré ces limites, ce fonds est une bonne chose en ce qu'il crée un appel d'air et du mouvement.
M. Nicolas Garnier. - Au sujet du transfert de compétence, il s'agit avant tout d'une question de modulation : actuellement nous ne faisons qu'appliquer les règles de l'Anah pour les aides à la pierre, et de l'Ademe pour le fonds Chaleur. Nous sommes en quelque sorte un opérateur de l'état, mais il ne s'agit pas d'un transfert de compétence et de moyens.
Habituellement, en matière de financement de la transition écologique, on est très soucieux du bon usage de l'argent. Or le Fonds vert est en quelque sorte un open bar... Et puis, un jour, il n'y a plus d'argent. Cela rappelle le dispositif « territoires à énergie positive pour la croissance verte » dont l'inconvénient majeur était qu'il donnait lieu à une foire d'empoigne, avec un faible niveau de rationalisation des aides publiques. Nous souhaitons donc que des grilles soient prévues et que les opérateurs de l'État, comme l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), instruisent les dossiers.
La transition écologique est à un tournant : beaucoup a été fait, mais nous sommes limités par le manque de moyens juridiques et financiers ; c'est vrai pour la rénovation énergétique ainsi que pour le tri sélectif ou la sobriété en eau. Or les besoins sont beaucoup plus importants que les moyens proposés. Il manque une loi de programmation du financement de la transition écologique, qui réconcilierait les Français avec la fiscalité environnementale, l'idée étant qu'il faut un signal prix sur les usages les moins vertueux et de l'argent pour mobiliser les comportements les plus vertueux. Pour cela, il faut donner une prévisibilité au signal prix, et garantir l'équité et une affectation de la fiscalité environnementale à son objet.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Bon nombre des ministres que nous avons auditionnés ont également appelé de leurs voeux une loi de programmation de la transition écologique et énergétique.
M. Michel Dagbert. - Parce que la population se tourne toujours vers eux et au vu de leurs compétences, qui sont majeures, les élus locaux pourraient représenter ce « point de rencontre » au moment de bâtir une politique en matière d'énergies et de chaleur. Or souvent, à l'échelle communale, on bute sur la question de l'ingénierie ; le bon niveau en la matière est donc sans doute l'intercommunalité.
Il faudrait faire un diagnostic des calories perdues, notamment dans les territoires où sont implantées des industries très consommatrices d'énergies. Dans mon département minier, le Pas-de-Calais, nous récupérons un gaz fatal qui s'échappe et que nous réinjectons dans le réseau de gaz, et donc dans les réseaux de chaleur.
L'intercommunalité est aussi la bonne échelle pour accompagner les élus locaux, étudier la faisabilité des réseaux de chaleur, y compris ceux qui sont de taille modeste, et veiller au retour des bonnes pratiques. Aux Pays-Bas, un réseau de chaleur a ainsi été développé par la géothermie à partir des eaux d'exhaure des puits de mine.
Il s'agit d'établir un schéma d'organisation qui soit lisible, mais surtout de trouver des solutions pour nos concitoyens.
M. Nicolas Garnier. - Il manque effectivement une ingénierie des réseaux de chaleur. L'agglomération de Lorient a embauché un chargé de mission sur ce sujet, dont l'objectif est d'installer un réseau de chaleur par commune de l'intercommunalité, ce qui est en cours de réalisation. Quant à la ville de Bordeaux, elle va multiplier ces réseaux par huit. L'Ademe a augmenté ses aides de faisabilité de ces projets à hauteur de 80 %.
Vous avez évoqué la chaleur fatale. J'ajouterai à vos propos que Dunkerque alimente une grande partie de son agglomération grâce à la chaleur des aciéries. Il existe un immense potentiel insuffisamment exploité permettant de produire de la chaleur à haute, moyenne ou basse température, et de très nombreux projets de récupération de chaleur fatale émergent actuellement. Dans notre « plan Marshall » de la chaleur renouvelable, nous proposons de prévoir un plan national d'évaluation des potentiels de chaleur, avec des financements locaux.
Il y a en France environ 1 000 réseaux de chaleur, dont 700 alimentés avec du bois, 150 par la valorisation énergétique de déchets, de 50 à 60 par la géothermie profonde, quelques dizaines par de la chaleur fatale. Des réseaux de chaleur solaire apparaissent aussi. Il faut citer aussi la récupération de chaleur fatale liée aux datacenters, auxquels il faudrait imposer de prévoir une solution de récupération de leur chaleur. Le potentiel du biogaz est très important. Ce qui est stratégiquement dangereux, selon nous, ce sont la monoénergie et le tout-électrique. Mieux vaut disposer d'un large panel de sources d'énergie, quitte à adapter les réseaux.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous vous remercions pour ces échanges passionnants.
Table ronde sur
l'ingénierie locale en matière de rénovation
énergétique
(Jeudi 11 mai 2023)
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête par une table ronde sur l'ingénierie locale en matière de rénovation énergétique.
Nous recevons, à ce titre, les représentants de deux organismes.
Le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) est représenté par M. Pascal Berteaud, directeur général, et par Mme Annabelle Ferry, directrice Territoires et Ville. Monsieur, vous êtes ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts. Vous avez auparavant exercé les fonctions de directeur général de l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN) et de président de l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (Onema). Le Cerema est un établissement public assez récent : ce centre de ressources et d'expertise en matière d'aménagement, d'urbanisme, de transition écologique et de cohésion des territoires a été créé en 2014, à la suite du Grenelle de l'environnement, afin de regrouper onze composantes de notre réseau scientifique et technique.
La Fédération des agences locales de maîtrise de l'énergie et du climat (Flame) est quant à elle représentée par sa présidente, Mme Maryse Combres, et par son délégué général, M. Franck Sentier. Madame Combres, vous êtes administratrice de l'agence de l'énergie et du climat de la métropole bordelaise et de la Gironde. Vous êtes par ailleurs conseillère régionale de Nouvelle-Aquitaine et, au cours de votre précédent mandat, vous avez été déléguée à l'efficacité énergétique et aux énergies renouvelables. Monsieur Sentier, vous étiez auparavant, notamment, coordinateur de la Flame et directeur de l'agence de l'énergie et du climat du centre et sud Yvelines. En 2004, les agences locales de maîtrise de l'énergie et du climat (Alec) se sont réunies en assemblée constituante afin de créer la Flame. Je rappelle que l'apparition des Alec résulte d'une initiative de la Commission européenne de 1994 et qu'elles sont des structures à but non lucratif, dont le rôle est d'accompagner les collectivités territoriales dans la transition énergétique.
Mesdames, messieurs, dans vos diverses fonctions, vous intervenez à plusieurs titres sur le sujet qui nous réunit aujourd'hui, à savoir l'ingénierie locale des projets de rénovation énergétique. Nous souhaitons connaître vos analyses sur les dispositifs mis en place au titre des politiques publiques. Quel regard portez-vous sur les politiques de rénovation énergétique mises en oeuvre ? Quelle est votre position sur les obligations créées, notamment à la suite de la loi Climat et résilience, comme l'interdiction de la mise en location des passoires énergétiques ? Quelle est votre position sur les dispositifs d'incitation, qu'il s'agisse de MaPrimeRénov' ou des certificats d'économies d'énergie (CEE), et sur les politiques d'accompagnement, avec France Rénov' et, tout récemment, Mon Accompagnateur Rénov' ?
Au Sénat, nous sommes convaincus que les dynamiques locales sont particulièrement importantes pour entraîner des rénovations réussies : comment articuler l'action de l'État et celle des collectivités territoriales ? Quel rôle les collectivités territoriales doivent-elles jouer dans l'avenir ? Quelle ingénierie doit-on déployer au niveau local pour conduire plus efficacement des projets locaux de rénovation énergétique ? Que prévoir, en particulier, pour les logements sociaux ou les copropriétés ? Quelle adaptation des guichets et des accompagnateurs locaux est-elle nécessaire selon vous, alors que l'Agence nationale de l'habitat (Anah) a récemment fait parvenir des consignes aux collectivités pour obtenir le label Mon Accompagnateur Rénov' ?
Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.
Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Pascal Berteaud, Mme Maryse Combres, Mme Annabelle Ferry et M. Franck Sentier prêtent serment.
Mme Maryse Combres, présidente de la Flame. - Avant tout, permettez-moi de vous remercier de cette audition. C'est effectivement en 1994, à la suite d'un programme européen, que les 450 Alec actuelles ont émergé à l'échelle de l'Union, dont une quarantaine en France. Les Alec apportent une ingénierie experte aux collectivités territoriales. Fortes de leurs vingt-cinq ans d'expérience, les agences françaises se sont fédérées au sein du réseau Flame, qui regroupe aujourd'hui une quarantaine d'entre elles et dénombre plus de 600 salariés. Il couvre, de surcroît, un territoire de 23 millions d'habitants, soit un tiers de la population française.
Les agences sont portées par plus de 300 intercommunalités et conseillent 1 100 communes. L'article L. 211-5-1 du code de l'énergie précise qu'elles accompagnent les collectivités territoriales dans leurs politiques relatives à l'énergie et au climat. Les Alec sont un outil privilégié pour les élus. Comme vous l'avez très justement rappelé, elles sont neutres et indépendantes. Elles favorisent l'émergence de projets en réunissant tous les acteurs autour de la table pour prendre un certain nombre de décisions.
Elles exercent une mission d'intérêt général à but non lucratif. J'insiste souvent sur ce point : les Alec ne demandent aucune rétribution de leurs services aux collectivités. Elles contribuent à déployer les actions d'information, de sensibilisation, de conseil et d'assistance technique. Elles assurent également l'accompagnement de la performance énergétique de tout bâtiment, visant à réduire les consommations, à limiter les émissions de gaz à effet de serre, à lutter contre la précarité énergétique et à favoriser l'émergence d'outils de production d'énergies renouvelables. Elles répondent ainsi aux objectifs de la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) et de la neutralité carbone à l'horizon 2050.
Les Alec ont pour particularité de toucher tous les publics, des particuliers aux collectivités en passant par les entreprises. Elles peuvent donc intervenir sur tout format de bâtiment.
Leur ingénierie est généralement mutualisée dans les territoires. Elles agissent souvent à l'échelle d'une métropole, d'un groupe d'intercommunalités, voire d'un pays ou d'un département. Très malléables et très agiles, elles s'adaptent réellement aux besoins des territoires et sont impliquées dans le dossier de la rénovation thermique des bâtiments : toutes sauf une disposent d'un guichet France Rénov'.
La rénovation thermique des bâtiments est un élément clef de la transition énergétique. Le programme des Nations unies pour le développement (Pnud) nous le rappelle, 50 % à 80 % des leviers d'action pour lutter contre le changement climatique se trouvent à l'échelle locale. Il s'agit bel et bien de l'échelon opérationnel.
Le modèle des Alec est donc particulièrement pertinent pour accélérer les transitions au coeur des territoires. Ces ingénieries sont créées par des élus, pour des élus, au bénéfice de l'ensemble des collectivités territoriales.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Parmi les questions abordées, viendront sans doute ensuite la pérennité de vos structures et vos difficultés de financement.
Mme Maryse Combres. - Tout à fait. Sur le terrain, nous souffrons d'un grave manque de lisibilité. En dix ans, trois « marques » se sont succédées : espaces info énergie (EIE), réseau Faire et France rénov'. Ce manque de lisibilité touche également le financement, y compris celui des missions. Aux financements assurés par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) et les régions ont succédé le programme Sare (service d'accompagnement pour la rénovation énergétique), entre l'État et la région ou les départements, quand celle-ci n'a pas souhaité assumer cette compétence. S'y ajoutent les nombreux changements associés à l'émergence d'acteurs très opportunistes. Je pense notamment à la rénovation des combles à 1 euro. Aujourd'hui, de nouvelles démarches se multiplient, par téléphone ou sur les réseaux sociaux : contrairement à ce qu'affirment ces acteurs, elles sont bien de nature commerciale.
Cette succession de changements a provoqué la méfiance de nos concitoyens pour les accompagnements proposés. Ces derniers doivent donc être institutionnalisés et reconnus : c'est indispensable pour restaurer la confiance. Quelle que soit la structure porteuse, les EIE d'autrefois étaient bien identifiés : en s'y rendant, on savait que l'on obtiendrait des conseils avisés. MaPrimeRénov' s'inscrit dans cette logique.
Je précise que, ce matin même, nous avons pris part à la réunion de lancement de la concertation du pacte territorial, entre l'État et les collectivités, sur le service public de la rénovation de l'habitat : l'État entend désormais assurer la coconstruction des futures politiques publiques en la matière.
Nous avons appris à cette occasion que Mon Accompagnateur Rénov' n'oeuvrerait finalement qu'à partir du 1er janvier prochain. Nous avons longuement parlé de ce dispositif, qui relèvera des acteurs privés. De nombreuses questions se font jour à son sujet.
On déplore un manque de visibilité quant aux suites données au programme Sare, qui - nous l'avons appris il y a quelques jours - va être prolongé d'une année. Cette mesure doit nous permettre d'assurer la coconstruction que j'évoquais avec les différents services de l'État. C'était un très grand sujet d'inquiétude pour les collectivités porteuses, qui ne savaient plus si elles devaient inscrire ou non ce dispositif dans leur budget. C'était également une grande source d'anxiété pour les directrices et directeurs d'agence, qui se voyaient déjà licencier leur personnel. Ce manque d'anticipation, qui provoque des troubles à tous les niveaux, n'a pas été de nature à resserrer les liens avec nos concitoyens.
Le cofinancement de travaux performants dans le cadre de rénovations globales est seul à même de limiter les consommations d'énergie et donc les émissions de gaz à effet de serre.
À nos yeux, les projets de rénovation doivent comporter un volet d'adaptation : ce choix permettrait véritablement d'anticiper.
Jusqu'à présent, les financements se sont concentrés sur les équipements. Or, selon nous, ce choix n'est pas le plus judicieux. Financer l'installation d'une pompe à chaleur (PAC) dans un logement non isolé, c'est gaspiller de l'argent public, car une telle formule est techniquement inefficace.
Est-il pertinent de continuer à financer le geste unique ? Nous avons également abordé cette question. À l'évidence, les actions engagées doivent s'inscrire dans un parcours, car à l'heure actuelle le premier geste, qui concerne très souvent le financement d'équipements, n'est que rarement suivi de travaux d'isolation. Dès lors que le logement considéré bénéficie d'un programme d'isolation, l'équipement installé se révèle surdimensionné ; et, tant que cet effort n'est pas consenti, il est en situation de surconsommation, en tout cas pour l'électricité.
Il existe une multiplicité d'aides financières - MaPrimeRénov', MaPrimeRénov' Sérénité, les CEE, les prêts à taux zéro (PTZ), les prêts Avance rénovation (PAR) - et nos concitoyens ont beaucoup de mal à s'y retrouver. Ces aides sont difficiles, non seulement à solliciter, mais à obtenir. En parallèle, le reste à charge demeure trop lourd, en particulier pour les ménages en grande précarité.
La rénovation du patrimoine public doit faire l'objet d'une politique très claire. Or, comme en matière de logement, il existe une multiplicité d'aides, relevant de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL), de la dotation d'équipement aux territoires ruraux (DETR), de France Relance, du Fonds vert ou de l'Action des collectivités territoriales pour l'efficacité énergétique (Actee) : on a l'impression d'être face à un saupoudrage d'argent public. Ne serait-il pas plus pertinent de concentrer ces efforts de financement, pour que les collectivités puissent engager une véritable planification des travaux ?
Je viens de faire un tour de France des agences, je me déplace fréquemment dans les territoires et, en me fondant sur les remontées de terrain, je puis vous assurer que, dans certains endroits, le manque d'ingénierie territoriale est criant.
Nombre d'élus sont désormais prêts à agir en faveur des transitions écologique et énergétique. Malgré la multiplicité des aides, ils sont à même d'obtenir des financements, mais ils ne savent pas par où commencer et comment s'organiser. Dans un tel contexte, une ingénierie territoriale experte fait cruellement défaut. Elle donnerait aux élus une vision plus globale de leur territoire et de son patrimoine en fixant des priorités et en garantissant une planification. Comme chacun sait, la rénovation s'inscrit dans le temps long.
Cette démarche permettrait d'amorcer la transition dont il s'agit, qui - j'y insiste - demeure très incertaine, faute de soutien et d'ingénierie.
Dès lors que les élus le demandent et que le besoin est constaté, nous nous efforçons de mettre en oeuvre une ingénierie mutualisée, surtout dans le tissu rural, qui en a absolument besoin. Cette ingénierie mutualisée est à même de financer le déploiement de conseillers en énergie partagés (CEP), au service des bâtiments publics des collectivités porteuses.
Enfin, pour la rénovation du tertiaire privé, le décret tertiaire pour les bâtiments de plus de 1 000 mètres carrés, tel qu'il est rédigé, est globalement positif. Mais nous manquons encore d'un service public dédié au petit tertiaire non soumis au décret. Le programme Sare en a permis une première ébauche, avec ce que l'on appelle les B1 et les B2, mais il faut aller plus loin en clarifiant et en pérennisant ces initiatives. Les besoins sont réels.
En résumé, l'État doit déployer des politiques publiques de rénovation énergétique via des dispositifs stables, clairs et simples. Les particuliers comme les collectivités ont un grand besoin de simplification. Nous avons besoin de structures de qualité neutres et indépendantes. Nous martelons ces termes, car c'est le seul moyen de retrouver la confiance de nos concitoyens. Il faut, de même, assurer des financements fiables et pérennes. La logique de dispositifs dédiés et d'appels à projets est très difficile à mettre en oeuvre. Les financements apportés, qui s'inscrivent dans le temps court, entrent en contradiction avec notre mission, par définition longue, de rénovation thermique.
M. Pascal Berteaud, directeur général du Cerema. - Le Cerema est certes une structure récente - il va bientôt avoir dix ans -, mais il est l'héritier d'une longue tradition d'ingénierie et d'expertise publiques. Dans notre territoire, les premières routes se sont concentrées autour de Lyon : il s'agit des voies romaines. C'est peut-être ce qui explique que notre siège se trouve dans cette ville.
Aujourd'hui, nous regroupons environ 2 500 agents, dont 2 000 ingénieurs et techniciens, présents dans vingt-trois villes. Ce maillage correspond grosso modo à celui des anciennes régions.
Notre mission est d'assurer une expertise dite « de deuxième niveau ». À cette échelle, nous pouvons travailler à l'élaboration de méthodologies et à l'accompagnement des collectivités territoriales. Cela étant, nous ne saurions avoir l'initiative du premier geste, évoqué par Mme Combres.
L'ingénierie publique fonctionnait assez bien mais elle a été supprimée. N'est-il pas temps de recréer un dispositif plus formel ? Un certain nombre d'acteurs existent et agissent - je pense notamment aux agences départementales -, mais, dans la pratique, on éprouve un grand besoin d'ingénierie de proximité, tout particulièrement dans les départements ruraux.
Bien sûr, de nombreuses personnes interviennent, y compris des chargés de mission suivant diverses politiques financées par l'État. Toutefois, à la base, on a besoin de quelqu'un qui réalise le projet : ce qui manque aux collectivités territoriales, c'est une assistance à la maîtrise d'oeuvre.
Par suite d'une assez forte réduction d'effectifs - ces derniers ont été réduits de 4 000 dans les années 2000 à 2 400 aujourd'hui -, le Cerema a recentré son activité sur ses sujets majeurs, au titre des politiques publiques, et sur les domaines où son expertise nationale est reconnue.
Dans le secteur du bâtiment, nous nous consacrons uniquement à l'efficacité énergétique des bâtiments. Il s'agit principalement du fonctionnement des ventilations et de la perméabilité des ouvrants. À ce titre, nous menons à la fois des travaux de recherche et des activités de développement méthodologique.
Sur le terrain, nous nous efforçons de changer les comportements. Ainsi, avant de lancer des travaux, il faut améliorer l'utilisation des éclairages.
C'est tout le sens des programmes Cube.S élaborés avec nos partenaires. Nous avons commencé par les bâtiments de bureaux avant d'étendre notre action aux bâtiments scolaires - les lycées, les collèges et maintenant les écoles, où les enseignants prolongent d'ailleurs notre démarche par leurs projets pédagogiques.
Les économies d'énergie obtenues sont de l'ordre de 10 % à 30 % : les chiffres sont assez élevés. De surcroît, de retour à la maison, les enfants ont une influence sur leurs parents - nous sommes en train d'en mesurer l'effet avec notre partenaire, l'Institut français pour la performance du bâtiment (Ifpeb) -, ce qui favorise la baisse de consommation dans les logements.
Ces démarches, qui ne coûtent pas grand-chose - en pratique, on se contente souvent d'installer quelques capteurs -, permettent de s'assurer que, lorsqu'on en vient aux investissements lourds, le sujet est bien appréhendé. Il est inutile d'isoler intégralement un bâtiment par l'extérieur si ses occupants continuent de vivre les fenêtres ouvertes.
Nous commençons tout juste à agir dans les logements. En pratique, nous n'avons encore que peu d'activité à cet égard.
J'y insiste, cette démarche prouve son efficacité : on commence par changer les comportements, puis on fait les investissements lourds.
En matière d'investissements, le programme Sereine (pour « Solution d'Évaluation de la peRformance Énergétique INtrinsèquE des bâtiments ») monte en puissance. Il permet la mesure des performances énergétiques des bâtiments, qui est pour nous un sujet majeur. De fait, on fait beaucoup de travaux, on dépense beaucoup d'argent, mais on ne mesure pas forcément le gain à la sortie ! Du coup, entre les promesses et la réalité, se creuse un écart, que le développement des méthodes d'évaluation devrait réduire.
Je me réjouis qu'on observe une prise de conscience très forte par les autorités publiques, au niveau local notamment : les élus veulent agir. C'est d'autant plus notable que c'était moins le cas il y a une dizaine d'années. L'État manifeste aussi une vraie volonté d'accompagner, avec des programmes dotés de montants particulièrement importants.
Il est vrai qu'il y a beaucoup de démarches simultanées, dont la visibilité est parfois faible. Sur ce point, comme cela a été dit, je confirme que les élus ne savent parfois pas trop comment faire : il y a trop d'offres ! Pourtant, le rythme des rénovations n'est pas suffisant par rapport aux enjeux du changement climatique.
Les dispositifs MaPrimeRénov' et Mon Accompagnateur Rénov' semblent être la clef de voûte du système, car ils mobilisent des personnes effectivement capables d'accompagner les propriétaires dans les travaux à effectuer. Il est important de mettre en oeuvre des programmes globaux, afin de mettre sur le terrain, auprès des particuliers comme des maîtres d'ouvrage, des personnes capables de les accompagner.
À destination des entreprises, l'offre pourrait être assez largement améliorée. L'enjeu de la formation des artisans est fondamental, et nous aurions intérêt à monter en puissance. Les artisans sont assez sensibilisés, mais ils ne savent pas toujours comment faire.
Le point positif, c'est que les moyens sont là. Reste à bien les canaliser, pour qu'ils soient mis en oeuvre sur le terrain.
Mme Maryse Combres, présidente de la Fédération des agences locales énergies climat (Flame). - Je suis tout à fait d'accord avec ce qu'a dit M. Berthaud. L'interdiction de louer des passoires énergétiques serait une bonne chose si elle suscitait des rénovations. Mais on constate qu'elle déclenche aussi des mises sur le marché... Un accompagnement plus fort vis-à-vis des bailleurs de tous types devrait être imaginé. Il faudrait leur faire valoir l'intérêt d'une rénovation faisant intervenir le tiers financement.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Merci pour vos premières explications. Je vous rejoins sur le besoin d'ingénierie, notamment auprès des collectivités territoriales. Nous avons justement organisé une table ronde sur ce sujet. Pour agir fortement et rapidement, il faut nous appuyer sur les collectivités territoriales, et celles-ci ont besoin d'ingénierie à l'échelle locale.
Dans le dispositif actuel, on est encore beaucoup sur du monogeste, lié aux aides attribuées et au démarchage existant. Selon vous, comment sortir de ce schéma pour aller vers de la rénovation globale ? Il faudrait au moins veiller à ce que le premier geste soit fait en connaissance de cause, dans la perspective d'une rénovation globale. Et nous devrions veiller à obtenir une vraie visibilité sur l'évolution des logements et les interventions successives. Comment voyez-vous Mon Accompagnateur Rénov' ? Ce dispositif va-t-il remplacer l'existant, ou lui est-il complémentaire ? Il y a des inégalités entre territoires. Mon Accompagnateur Rénov' peut apporter une réponse ; en voyez-vous d'autres ? Sur les nouveaux matériaux biosourcés, par exemple, la mise en place de filières locales commence à émerger. Reste à fixer des normes. Et, à l'échelle d'un territoire, cela demande une ingénierie assez importante. Avez-vous des exemples d'accompagnement pour aller plus vite dans ce domaine ?
M. Franck Sentier, directeur général de la Flame. - Pour commencer, parlons de la problématique du monogeste. L'essentiel est d'éviter un monogeste effectué dans le mauvais sens. Par exemple, il faut éviter de subventionner le changement d'un système de chauffage si le bâtiment n'a pas été isolé au préalable. Il est préférable de procéder en plusieurs étapes si nécessaire, mais le processus doit être fait dans le bon sens : d'abord, isoler l'enveloppe pour réduire les consommations, puis changer de système de chauffage. Si l'on fait les étapes dans le mauvais sens, c'est de l'argent gaspillé.
Mon Accompagnateur Rénov' doit surtout venir en complément de l'existant. Le service public de rénovation doit fournir non seulement de l'information et des conseils personnalisés, mais également un suivi tout au long du projet. Même si le ménage fait appel à une assistance à maîtrise d'ouvrage, avec un cahier des charges bien défini, il doit pouvoir se retourner vers son service public de confiance en cas de problème ou de questions.
Mon Accompagnateur Rénov' coûte cher et concerne les projets ambitieux, avec au moins 10 000 euros d'aides. Les autres projets devraient être accompagnés aussi. Il devrait être possible de le faire dans le cadre du service public, en fonction des besoins des particuliers - le service public jouant le rôle de tiers de confiance.
Mme Maryse Combres. - Ce qu'a dit M. Berthaud concernant la nécessité de prendre des mesures rejoint un peu ce qu'a évoqué M. Sentier sur la nécessité de prioriser de manière cohérente les actions entreprises.
Par exemple, élue régionale, j'étais chargée de la performance énergétique des lycées. Nous avons commencé par les instrumenter, car il était nécessaire d'avoir une mesure de référence pour savoir si toutes les actions que nous allions mener nous permettraient d'atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050. Nous sommes partis de l'objectif et avons fait un rétroplanning.
Après l'instrumentation des lycées, qui atteint désormais 50 %, nous avons travaillé sur leur efficacité énergétique, notamment sur leur rénovation - même s'il reste encore quelques points noirs, car certains lycées ont plus d'un siècle ! Là où les rénovations étaient moins importantes, nous avons procédé à une substitution systématique d'énergies renouvelables, pour atteindre une rénovation extrêmement performante. Cela nous a permis d'obtenir des résultats conséquents, puisque nous avons réussi à faire baisser de 40 % les émissions de gaz à effet de serre entre 2000 et 2023. Il est donc crucial de porter graduellement et de prioriser les actions de rénovation.
C'est le rôle des régions que de proposer et d'organiser la structuration des filières. En Nouvelle-Aquitaine, nous avons structuré la filière chanvre et la filière paille, et nous sommes aujourd'hui en mesure de proposer, grâce à un guide environnemental rigoureux et pointu, des matériaux biosourcés pour les rénovations. Les régions ont donc un rôle d'animation très important pour créer ces filières et ces structures.
Parallèlement, elles ont également un rôle important à jouer dans la formation professionnelle. Il peut y avoir des problèmes importants avec les professionnels du bâtiment, notamment en ce qui concerne la méconnaissance de l'utilisation des biomatériaux. Lorsque la mise en oeuvre n'est pas faite dans les règles, nous n'obtenons pas les résultats escomptés. Mais la formation professionnelle et la structuration des filières relèvent, à mon sens, des régions.
M. Franck Sentier. - Il y a clairement besoin de former plus de personnes... Aujourd'hui, il est parfois difficile de recruter.
M. Pascal Berthaud. - Sur les questions de financement, la bonne nouvelle est que les travaux que l'on veut réaliser entraînent une diminution de la facture énergétique : il y a des gains potentiels. La difficulté, c'est de savoir comment les activer pour arriver à faire les travaux. Nous sommes totalement d'accord avec ce qui a été dit, c'est-à-dire qu'il faut agir dans l'ordre, et commencer par faire ce qui coûte peu cher. Pour l'instant, nos programmes fonctionnent très bien dans le tertiaire et sur le logement. Il y a probablement des choses à apprendre pour trouver d'autres solutions. Mais il nous semble que c'est déjà la première des choses à faire.
Ensuite, il faut avoir des projets globaux et il y a un grand intérêt à activer les économies qui peuvent être réalisées pour aider au financement, à travers du processus de tiers financement ou de contrats de performance énergétique. Les outils existent, y compris le tiers financement, qui peut être étendu aux collectivités territoriales. Il faut travailler avec ces outils. Mais il faut avoir en tête que ces sujets de technique financière sont plus compliqués que ce que l'on avait l'habitude de faire jusqu'à présent, ce qui renvoie immédiatement à des questions de formation.
Les outils existent ou sont en train d'être créés, mais il y a encore beaucoup à faire en matière de formation des accompagnateurs. Les maîtres d'ouvrage, qu'ils soient des entreprises, des collectivités territoriales ou des particuliers, ne sont pas compétents sur ce sujet, et la notion d'accompagnateur est une très bonne chose car cela permet de les prendre par la main. Le travail de l'accompagnateur ne sera pas le même selon qu'il s'agit d'un office HLM ou de particuliers, mais c'est comme cela qu'on arrivera à faire basculer la situation, car sinon, les maîtres d'ouvrage sont seuls face à ces sujets qu'ils ne connaissent pas.
On voit bien ce qu'il faut faire. La difficulté réside surtout dans la formation. Il y a un effort massif à faire pour faire monter en compétence à la fois des accompagnateurs concrets, des entreprises et de nouvelles filières, comme celle des biomatériaux, sur laquelle nous nous sommes investis et où nous voyons que les choses commencent à évoluer. Mais il y a un gros effort de promotion à faire.
Mme Annabelle Ferry. - Effectivement, les questions de formation, de filière locale et de matériaux biosourcés sont essentielles. Nous devons aussi adapter les interventions selon le territoire et le patrimoine. Une rénovation énergétique doit être adaptée au territoire, c'est aussi le cas des constructions neuves. Les filières doivent être en adéquation avec ces paramètres.
Nous travaillons beaucoup sur ces sujets, en partenariat avec le Centre de ressources pour la réhabilitation du bâti ancien (Creba) et l'Observatoire des coûts de la construction. Nous avons par exemple publié des fiches sur le coût des opérations de constructions en matériaux biosourcés. Il nous faut sensibiliser les maîtres d'ouvrage, les maîtres d'oeuvre, les architectes ou encore les artisans.
Nous devons mettre en place des filières locales à la fois pour la construction et la réhabilitation et pour les matériaux, et ce tant en ce qui concerne le thermique que l'acoustique. Nous y travaillons notamment avec l'université Gustave-Eiffel. Nous pouvons déjà valoriser un certain nombre de choses avec des projets que j'appellerai vitrines, par exemple la terre crue en Isère.
En tout cas, notre conviction, c'est qu'il faut absolument partir du local pour pouvoir avancer, même si des échelles plus larges peuvent être pertinentes pour certains aspects. Bien sûr, il existe des disparités entre les territoires, mais il est très important d'avancer sur tous ces chantiers.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Prenez-vous en compte la question du stockage du carbone, lorsque vous travaillez sur les matériaux biosourcés ?
Mme Annabelle Ferry. - Absolument, ces éléments sont complètement corrélés. Les recherches sur les matériaux biosourcés se font aussi sous cet angle. Nous privilégions les matériaux qui permettent d'atteindre une certaine performance, tout en améliorant le stockage du carbone. Et les choses sont différentes selon les territoires.
M. Franck Sentier. - J'ajoute qu'il est très important de faire savoir tout ce qui se réalise concrètement sur le terrain. Cela peut passer par des visites de sites, tant pour des particuliers que pour des représentants de collectivités locales - visiter une école rénovée dans une commune proche peut enclencher un processus vertueux. Les visites font partie de la nécessaire sensibilisation que nous devons mettre en place et cela me semble faire partie du service public. C'est un moyen de faire entrer les gens dans ce type de démarche et d'encourager les économies.
Mme Maryse Combes. - Le coeur de notre métier, c'est bien l'échange d'expériences. C'est par l'animation et l'information que nous pourrons convaincre et avancer. Il n'y a qu'un élu qui peut convaincre un autre élu ; c'est la même chose pour les professionnels.
En ce qui concerne l'ingénierie locale, j'ai adressé fin février une proposition au ministère des comptes publics au sujet de son financement. Il me semble que l'ingénierie doit être mutualisée au travers d'un budget annexe mis en place par l'État et décliné dans chaque intercommunalité. Si nous voulons agir efficacement sur la production d'énergie et la rénovation des bâtiments, nous avons besoin d'une vision globale et de passerelles entre les territoires, notamment entre le rural et l'urbain, comme entre les producteurs et les consommateurs.
Quand on parle d'ingénierie, beaucoup de gens pensent nouvelles dépenses de fonctionnement... Nous devons faire valoir que cela génère du chiffre d'affaires sur le territoire et de l'attractivité. Plus l'État financera de manière simple de l'ingénierie, plus les retombées seront fortes dans les territoires. Il faut engager un cercle vertueux.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Un système gagnant-gagnant !
Mme Maryse Combes. - Exactement. Tout cela génère par exemple des recettes de TVA pour l'État. L'ingénierie est productive et les conseillers sont finalement, même si cette expression est inadaptée s'agissant d'un service public, des « apporteurs d'affaires » au bénéfice des territoires.
M. Pascal Berteaud. - Nous devons réfléchir en termes de complémentarité entre le privé et le public. Au moment de la création du Cerema, les bureaux d'études privés avaient certaines craintes, mais les choses se passent finalement bien. Nous avons d'ailleurs des conventions avec les fédérations Syntec et Cinov, des organisations qui les représentent, et un représentant de Syntec Ingénierie siège à notre conseil d'administration. Il y a certaines choses que le privé ne peut pas faire, notamment auprès des collectivités locales.
L'ingénierie existe partout sur le territoire, mais ce sont souvent de petits bureaux d'études. Nous devons faire monter les acteurs privés en compétence : ils peuvent aisément monter un projet pour refaire la place de l'église, mais il est souvent plus difficile pour eux d'intégrer les enjeux globaux, par exemple les conséquences du changement climatique, ou d'aider la collectivité à se projeter sur les trente prochaines années. Cela nous a amenés à augmenter notre offre de formation ; c'est comme cela que nous réussirons à mobiliser l'ensemble de la communauté.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - La semaine dernière, nous avons entendu M. Antoine Pellion, secrétaire général à la planification écologique. Il nous a annoncé la création d'un guichet unique pour l'accueil et l'orientation dans chaque EPCI d'ici à 2025. Qu'en pensez-vous ?
Mme Maryse Combes. - Nous avons effectivement débattu de ce sujet ce matin avec lui et nous y travaillerons dans le cadre des groupes de travail qui ont été mis en place. La question est de savoir ce qu'on met précisément derrière cette notion de guichet unique. Il faut réfléchir en amont sur les modalités de mise en oeuvre. Autre interrogation : comment en faire bénéficier concrètement les petites communes ?
M. Franck Sentier. - Un guichet unique ne signifie pas nécessairement une structure dans chaque EPCI. Dans les territoires ruraux, il faudra certainement mutualiser. Cela fonctionne déjà pour certains dispositifs : l'échelle est par exemple départementale, mais une permanence est assurée régulièrement dans les mairies pour être au plus près des habitants et des élus.
Mme Maryse Combes. - Dans ce type de situation, nous avons d'ailleurs créé des liens avec les maisons France Services. Au début, il pouvait là aussi y avoir des inquiétudes, mais cela fonctionne très bien. Souvent, une véritable dynamique s'est même enclenchée.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Existe-t-il aussi une articulation avec France Rénov' ?
Mme Maryse Combes. - Oui. Le guichet unique sera fort, s'il constitue un point d'entrée. Mais nous n'en sommes qu'au début du projet...
M. Pascal Berteaud. - Je suis d'accord avec ce qui a été dit sur le guichet unique. Le système est complexe et le guichet unique peut constituer un point d'entrée utile, pas forcément pour simplifier - c'est un objectif difficile à atteindre. Nous avons besoin d'intermédiaires qui soient proches du terrain, tout en connaissant la complexité du système et la manière d'actionner le réseau. Il ne faut pas mettre en place un système centralisé, puisqu'on ne construit pas à partir de zéro - de nombreuses structures existent déjà. Le guichet unique doit aider les gens ou les collectivités à se mouvoir dans le labyrinthe - c'est cela son intérêt.
M. Franck Montaugé. - La loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte de 2015 a créé les plateformes territoriales de la rénovation énergétique (PTRE), qui devaient jouer le rôle de guichet unique. Avez-vous pu observer comment elles fonctionnaient ? Certaines fonctionnent-elles toujours ? D'autres ont-elles cessé leur activité et, si oui, pourquoi ? Ne faudrait-il pas s'inspirer des démarches de ce type qui ont fonctionné, en les actualisant si nécessaire ?
Mme Maryse Combres. - Les PTRE existent toujours. Le problème est que, même à l'échelle d'une région, tous les EPCI ne se sont pas dotés d'une PTRE. Or il faut que les politiques énergétiques nationales soient déployées à toutes les échelles. L'arrêt de ces plateformes est souvent dû à un problème de financement : quand les aides, d'État ou régionales, s'arrêtent, l'engagement des collectivités dans ces plateformes cesse parfois aussi. L'idée aujourd'hui est d'instaurer un guichet unique dans tous les EPCI : c'est ainsi que l'on combattra les inégalités territoriales, mais il faudra y mettre les moyens.
M. Franck Sentier. - Beaucoup d'Alec portent des PTRE, qui permettent une forme d'accompagnement. C'est la même idée qui inspire Mon Accompagnateur Rénov'. Selon l'Ademe, à peu près tous les territoires sont couverts d'une manière ou d'une autre : parfois, ce n'est que de l'information et du conseil par téléphone ; parfois, il y a une présence physique ; parfois, l'accompagnement est plus poussé. Dans certains territoires, ces services sont offerts par les EPCI en régie ; dans d'autres, ce sont les Alec qui s'en chargent, ou encore des associations.
M. Franck Montaugé. - Au vu de la multiplicité des parties prenantes, croyez-vous à la notion de guichet unique ?
Mme Maryse Combres. - Oui. Il faut que chaque niveau institutionnel se saisisse de l'enjeu, avec ses compétences spécifiques.
M. Franck Montaugé. - Je me place du point de vue de l'habitant du territoire.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Le guichet unique doit être un point d'entrée.
Mme Maryse Combres. - Les porteurs de ce guichet peuvent être multiples ; l'important est qu'il soit unique et qu'il soit le même partout, pour favoriser l'égalité territoriale.
M. Pascal Berteaud. - L'expression « guichet unique » peut avoir de multiples sens. Ce ne peut être l'endroit où l'on va tout faire. J'y vois plutôt un réducteur de complexité, un endroit où l'on explique simplement aux citoyens les aides auxquelles ils ont droit et les interlocuteurs auxquels ils doivent s'adresser.
M. Franck Montaugé. - Un aspect me paraît essentiel : le suivi du demandeur de A à Z. La vision globale de son parcours ne doit pas être perdue pour qu'il ait finalement une réponse à son problème, quitte à reformuler celui-ci.
Mme Maryse Combres. - L'important est de recréer de la confiance chez nos concitoyens, qui sont démarchés de partout. Le rôle du guichet unique sera de réorienter le citoyen, ou la collectivité, qui s'adresse à lui vers le bon interlocuteur, qui pourra apporter une réponse fiable à sa question.
M. Franck Montaugé. - Le numérique va sans doute jouer un rôle important dans ce domaine comme dans d'autres. Le rapport aux plateformes va être crucial, notamment dans les territoires où la population est plus âgée.
M. Franck Sentier. - Les plateformes peuvent rendre service, mais tout le monde ne peut pas s'en servir ; c'est pourquoi la présence physique est capitale. Le numérique est surtout un outil essentiel pour les opérateurs des guichets.
M. Pascal Berteaud. - Le numérique peut, s'il est bien utilisé, être un vrai réducteur de complexité. Par ailleurs, si l'on veut offrir plus de sécurité aux citoyens, il faudra aller assez loin, y compris en développant une labellisation des entreprises, pour désigner celles qui sont dignes de confiance. Le nombre de margoulins dans ce secteur est hallucinant !
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Le guichet unique existe déjà largement : nombre de collectivités ont mis en place des plateformes de rénovation, qui offrent accompagnement et orientation au sein d'un réseau local d'entreprises. La vraie question, c'est la généralisation de ces dispositifs.
Mme Maryse Combres. - Absolument ! Il faudra aussi savoir ce que le ministère entend par « guichet unique »...
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Hier, M. Vermot Desroches, directeur du développement durable de Schneider Electric, nous expliquait comment le numérique peut aussi constituer un outil de sobriété énergétique.
Mme Sabine Drexler. - Les matériaux locaux et biosourcés sont ceux avec lesquels on construisait il y a deux ou trois siècles... Les enjeux de protection du bâti patrimonial et ses spécificités, notamment hygrothermiques, sont-ils suffisamment pris en compte dans le DPE et les préconisations de travaux qui en découlent ?
Mme Annabelle Ferry. - Je ne saurais me prononcer précisément sur le DPE, mais ces enjeux sont pris en compte par le Cerema ; le centre de ressources développé vise la rénovation de tout type de patrimoine, même très ancien. Nous y travaillons en lien avec la Fondation du patrimoine. Cette association entre rénovation patrimoniale et rénovation thermique est assez récente.
M. Pascal Berteaud. - Depuis deux ou trois ans, nous rencontrons un engouement croissant pour cette question.
Mme Maryse Combres. - Certaines Alec travaillent sur ce sujet depuis plusieurs années ; elles se sont inscrites dans le programme européen Violet, qui répertorie tous les retours d'expérience fructueux, quand l'amélioration de la performance énergétique du bâti ancien va de pair avec le respect de son intégrité patrimoniale. Un guide a notamment été produit par l'Alec de Bordeaux Métropole. Nous travaillons sur ces sujets en lien très étroit avec les conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE).
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Comment appréhendez-vous la nouvelle formulation du DPE ? Le dispositif est précis, mais son application est complexe, ce qui nuit à la stabilité des résultats. Les Alec que je connais travaillent à la simplification du bouquet de travaux à mener. Ne faudrait-il pas travailler à une telle simplification du DPE lui-même, pour améliorer sa lisibilité, mais aussi son caractère motivant pour le particulier ?
Mme Maryse Combres. - Concernant les DPE, nous ne pouvons vous exprimer que le retour de ce que nous constatons sur le terrain. Ils ont le mérite d'exister et de mesurer la gradation des efforts à accomplir. Le calcul est parfois quelque peu aléatoire : on a vu des logements passer de la classe D à la classe C du fait d'un simple changement de fenêtres, alors qu'ils restent des passoires thermiques. Il faut donc peut-être revoir les critères permettant le passage d'une classe à l'autre, voire simplifier en éloignant plus les classes.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - On a même vu l'inverse : des logements classés C qui, après travaux importants, se retrouvaient en classe E !
M. Franck Sentier. - Il faudrait que les diagnostiqueurs soient mieux formés pour prendre l'outil en main. Il faut rentrer des informations techniques correctes ; sinon, le DPE sera aléatoire et ne reflétera pas la réalité. Il faut éviter que le technicien se contente de cocher la case « Je ne sais pas ».
M. Pascal Berteaud. - Là encore, c'est un problème de formation des acteurs. Il faut une professionnalisation accrue et plus de contrôles. L'enjeu est moins de remettre de nouveau en cause la mécanique du DPE que de mieux appliquer ce qui est déjà dans les textes.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - La préoccupation est que le DPE a été rendu opposable, comme le Gouvernement avait garanti qu'il serait fiabilisé : des contentieux sont probables.
M. Franck Sentier. - Par ailleurs, on n'a pas forcément besoin d'un DPE pour savoir quels travaux faire dans une maison.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci beaucoup pour ces échanges. N'hésitez pas à nous faire parvenir d'éventuelles réponses complémentaires à notre questionnaire.
Table ronde sur
le rôle des architectes dans la rénovation
énergétique
(Jeudi 11 mai 2023)
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous poursuivons nos travaux par une table ronde consacrée à l'architecture, en recevant les représentants de trois organismes :
1. Le Conseil national de l'ordre des architectes, représenté par Mme Marjan Hessamfar, vice-présidente et M. Stéphane Lutard, chargé de mission transition écologique et maquette numérique. L'Ordre des architectes comprend, outre le Conseil national, 17 conseils régionaux. L'Ordre assure plusieurs missions de service public, comme la tenue du Tableau régional des architectes, de manière à protéger et contrôler le titre d'architecte, l'organisation de conciliations en cas de conflits, et la garantie du respect des règles déontologiques. L'Ordre également représente et promeut la profession auprès des pouvoirs publics.
2. Le Collège des directeurs d'écoles d'architecture, représenté par M. Raphaël Labrunye, directeur de l'École nationale supérieure d'architecture de Bretagne. Le Collège rassemble les directeurs des vingt écoles nationales supérieures d'architecture de France, dont le statut est défini par le décret n° 78-266 du 8 mars 1878.
3. La Fédération nationale des conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (FNCAUE), est représentée par sa directrice, Mme Valérie Charollais. Ainsi que Mme Éléonore Chambras Lafuente, chargée de mission à la FNCAUE.
M. Denis Dessus, alors président du Conseil national de l'ordre des architectes, affirmait avec force dans une tribune du 8 octobre 2020 que les architectes sont des « acteurs indispensables de la rénovation énergétique ». En effet, en plus d'être un interlocuteur privilégié des ménages et des acteurs du bâtiment, l'architecte doit posséder une vision globale des enjeux du logement, dont ceux qui touchent à la transition énergétique.
La formation des architectes est donc fondamentale. À ce titre, la rénovation énergétique prend une place de plus en plus importante dans le cursus des écoles d'architecture. Estimez-vous que les efforts réalisés sont suffisants, ou qu'il faille aller plus loin ? Quant aux architectes en exercice, est-ce que les enjeux de rénovation énergétique vous semblent bien intégrés au sein de la profession ? Avez-vous des témoignages de difficultés rencontrées par des architectes relatives à la réglementation et aux dispositifs d'aides à la rénovation énergétique ?
Les architectes peuvent aussi jouer un rôle majeur d'accompagnement des ménages et des entreprises. Dès lors, que pensez-vous de la mise en oeuvre de Mon Accompagnateur Rénov' ? Les architectes ont-ils été suffisamment associés à la conception du dispositif ?
Enfin, l'architecte doit assurer la conciliation entre les exigences de la rénovation énergétique et la préservation architecturale du bâti. Comment les spécificités des bâtiments ayant un caractère patrimonial sont-elles prises en compte ? Est-ce que la réglementation à ce sujet vous semble suffisamment complète et précise ?
Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions et pour un propos introductif d'environ dix minutes, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.
Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».
Mmes Marjan Hessamfar, Valérie Charollais, Éléonore Chambras Lafuente et MM. Stéphane Lutard et Raphaël Labrunye prêtent serment.
Mme Marjan Hessamfar, vice-présidente du Conseil national de l'ordre des architectes. - L'article 1er de la loi du 3 janvier 1977 dispose que l'architecture est l'expression de la culture et qu'elle est d'intérêt public : le législateur a ainsi marqué sa volonté de promouvoir la qualité de l'architecture, et il a confié à l'Ordre des architectes le soin de garantir cette qualité tout en protégeant les usagers et les professionnels. On le sait peu, mais les architectes prêtent serment et leur déontologie leur interdit de travailler en entreprise en tant qu'architectes, le cadre de notre profession protège les intérêts de nos clients et nous permet de jouer aussi un rôle de conseil auprès d'eux - des clauses contractuelles doivent préciser les liens que nous avons avec les entreprises avec lesquelles nous avons déjà travaillé, il y a une obligation d'informer nos clients. Comme élue de l'ordre des architectes, je constate que les architectes ne sont pas beaucoup sollicités dans la rénovation énergétique et que leur utilité n'est pas bien connue, alors qu'ils jouent le rôle de tiers de confiance, à même d'apprécier l'utilité des travaux, c'est très important dans un secteur où les consommateurs se plaignent d'être victimes d'escroqueries.
Le Conseil de l'ordre des architectes est organisé en 17 régions et un conseil national composé d'élus ; nous avons quelque 39 000 architectes inscrits, notre rôle est d'assurer que les architectes soient de bonne moralité, qu'ils disposent d'une assurance professionnelle et qu'ils respectent leurs obligations de formation professionnelle continue.
Mme Valérie Charollais, directrice de la Fédération nationale des conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement. - Institués en 1977, les conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) forment une sorte de service public de l'architecture, de l'urbanisme et de l'environnement, accompagnant les porteurs de projets, publics ou privés, et diffusant une culture de l'architecture et du paysage, grâce leur maillage départemental. Notre rôle se situe en amont, nous aidons à la décision, nous écoutons les besoins des territoires et nous tâchons de faire de la pédagogie sur les politiques publiques de notre secteur, pour aider à la définition du cadre d'intervention - mais nous ne faisons aucune maîtrise d'oeuvre, et nos règles prévoient également qu'un architecte qui intervient dans un CAUE, ne peut exercer en libéral dans le département où ce CAUE est implanté.
Nous assumons cette double fonction aussi pour la rénovation énergétique et je veux souligner, d'emblée, que nous regrettons qu'une partie seulement des CAUE figurent dans la plateforme MaPrim'Rénov', puisque seuls y ont été inscrits ceux qui étaient auparavant « Espace information-énergie », soit 16 CAUE seulement sur les 92 qui forment le maillage actuel. Tous les CAUE ne sont certes pas équipés en ressources comme le sont ceux qui avaient créé en leur sein un tel espace, mais nous recevons tous les publics et nous connaissons les territoires, nous sommes donc tout à fait capables, quand nous n'avons pas les compétences en interne, d'indiquer aux porteurs de projet les structures à même de les accompagner. La rénovation énergétique nécessite du conseil, de l'accompagnement, aussi bien pour les collectivités publiques que pour les particuliers ; nous sommes reconnus par la loi et nous avons un rôle à jouer, j'indique au passage que le nouveau service d'accompagnement pour la rénovation énergétique (Sare), parce que son modèle économique passe par des actes marchands, rend difficile d'effectuer comme il le faudrait ces missions de conseil et d'accompagnement.
Comme réseau national, nous nous félicitons que la mobilisation pour la rénovation énergétique s'accélère, il faut parvenir à massifier la rénovation. On en parle désormais davantage, les acteurs convergent mieux, mais on confond encore trop ce qui relève du public et du privé et nous pensons aussi qu'il faut mettre plus de moyens dans la rénovation, après des années où ce sujet n'était pas prioritaire - mais aussi qu'il faut mobiliser davantage et mieux les ingénieries territoriales en place.
M. Raphaël Labrunye, directeur de l'École nationale supérieure d'architecture de Bretagne. - Je précise qu'en plus de diriger l'école nationale supérieure d'architecture de Bretagne, je suis architecte praticien et enseignant-chercheur, et que mes activités sont principalement liées à l'intervention dans l'existant, ce qui m'en donne une vision large.
Notre pays compte 20 écoles nationales supérieures d'architecture réparties sur le territoire national, elles accueillent environ 20 000 étudiants ; 3 300 étudiants y entrent chaque année, 2 500 diplômes de Master sont délivrés par an et 1 500 habilitations à la maîtrise d'oeuvre ; les écoles comptent 1 736 enseignants et 723 agents administratifs et techniques. Seules deux régions ne comptent pas d'école nationale d'architecture : le Centre-Val de Loire et la Bourgogne-Franche-Comté, tandis qu'en outremer, seule La Réunion accueille une formation à l'architecture - via une antenne de l'école de Montpellier.
D'écoles professionnelles, les écoles nationales supérieures d'architecture se sont transformées considérablement depuis 30 ans pour devenir des établissements de type universitaires, accueillant des équipes de recherche, développant des enseignements académiques indispensables à la formation des architectes. Placées sous la double tutelle du ministère de la culture et du ministère de l'enseignement supérieur elles délivrent, depuis l'adoption du système licence-master-doctorat (LMD) en 2006, des diplômes valant grade universitaire jusqu'au doctorat, selon le même déroulement de cursus que l'ensemble des universités européennes. Sous des formes plus ou moins intégrées, elles participent toutes au mouvement de regroupement universitaire à l`oeuvre depuis quelques années.
La multiplication des doubles diplômes ou des formations conjointes avec des écoles d'ingénieurs, de design, ou des masters spécialisés avec des universités, a permis de développer l'offre de formation et de l'adapter à une réalité multiple. Cependant, même si les écoles d'architecture ont désormais un caractère universitaire plus marqué, elles dispensent des formations professionnalisantes, formant à une profession réglementée, préparant à l'exercice du métier d'architecte, dans toutes ses acceptions. La double nature académique et professionnelle des écoles d'architecture, constitue la richesse de nos formations.
Les textes sont nombreux, depuis vingt ans, à souligner l'importance de la formation à la réhabilitation. C'est le cas des arrêtés de 2005 relatifs aux études d'architecture, du rapport Feltesse, de 2013, sur l'enseignement supérieur et la recherche en architecture, du rapport Bloche, de 2014, sur la création architecturale, de la Stratégie nationale pour l'architecture énoncée en 2015 et en passe d'être renouvelée, du Plan national en faveur des espaces protégés énoncé par le sénateur Yves Dauge en 2016, ou encore de la Stratégie pluriannuelle du patrimoine formulée en 2017 par Françoise Nyssen.
Après deux rapports internes du ministère en 2003 et 2011, une première enquête exhaustive sur la formation à la réhabilitation a été réalisée en 2018 par l'Ensa Normandie, financée par le ministère de la transition ; elle démontrait qu'à des degrés divers, toutes les Ensa forment leurs étudiants à l'intervention dans l'existant, avec 155 enseignements identifiés. Une deuxième enquête menée par le réseau Ensa ECO et financée par le Feebat - un programme d'EDF pour les économies d'énergie - a recensé 285 enseignements comportant des modules spécifiquement sur la question de la rénovation énergétique dans 17 Ensa, en Master et en Licence. Seuls 30 % d'entre eux sont spécifiquement dédiés à cette problématique avec plus de 50 % des contenus identifiés sur la rénovation énergétique. Les enseignants restent globalement attachés à produire des enseignements qui élargissent le spectre de la problématique avec une visée pluridisciplinaire qui ne soit pas uniquement concentrée sur des aspects purement techniques.
Une enquête, à laquelle je participe, est conduite actuellement par le réseau architecture, patrimoine et création, dans le cadre d'un appel à manifestation d'intérêt sur les métiers d'avenir, et financée par la Caisse des dépôts. Elle montre que nous en sommes à 396 enseignements dans les Ensa, soit deux fois plus qu'il y a 5 ans, même si l'école de Chaillot représente à elle seule 142 enseignements. Il y aurait donc, en moyenne, par école, une vingtaine d'enseignements liés à l'intervention sur l'existant. Ce domaine se diffuse, il faut encore le structurer, lui donner sa place dans les enseignements fondamentaux, par exemple sur le relevé de diagnostic, ou encore sur la connaissance du bâti ancien, qui est peu dispensée en école d'architecture. En Master, les écoles ont en général un ou plusieurs domaines de spécialité sur l'existant, à diverses échelles, les étudiants peuvent se spécialiser, je pourrai vous communiquer la liste de ce type de spécialisation.
Les enseignements liés à l'intervention dans l'existant sont souvent articulés à ceux liés à la transition numérique ou à la transition écologique, il y a de quoi structurer des formations, comme c'est le cas dans d'autres pays européens. Nous constatons aussi une forte demande des étudiants dans ce sens, nous le voyons par exemple dans notre école en Normandie, où le Master en réhabilitation, que nous avons depuis une vingtaine d'années, est un motif de candidature. Nous sommes, également, très bien placés pour situer ces formations dans un cadre local, avec les élus et les habitants, et démontrer alors l'importance de l'intervention des architectes dans la rénovation énergétique au sens large. Le terme rénovation énergétique, du reste, n'apparaît que dans 19 des 396 présentations d'enseignement de l'enquête Feebat.
L'enquête à laquelle je participe, et dont nous présenterons les résultats le mois prochain à la Caisse des dépôts, établit aussi un besoin de renforcement de certains modules techniques dans nos enseignements et pose la question de nos moyens, sachant que les ressources humaines et financières des écoles d'architecture n'ont pas progressé depuis vingt ans, depuis que le ministère de la culture a repris la tutelle des écoles.
Je souhaite, ensuite, attirer l'attention de la commission sur trois points.
Le premier concerne la dénomination de votre commission d'enquête. Les termes de « rénovation énergétique » restreignent le sujet et présupposent une orientation qui n'est pas que sémantique, mais qui se traduit par de réelles difficultés. Le terme « rénovation » suppose une remise à neuf, avec toute la matière et le bilan carbone défavorable que cela entraîne, alors qu'il y existe tout un panel d'interventions alternatives ; le terme « énergétique », ensuite, implique une focalisation sur la consommation énergétique de l'édifice, ce qui peut se traduire, par exemple en Normandie, par une isolation extérieure de longères à pan de bois et torchis, avec du polystyrène et du bardage plastique - soit un type de rénovation énergétique très contestable sur le plan environnemental, sans parler de la mise en danger du bâtiment lui-même ou encore de l'impact sur le vivant. Les architectes insistent pour que les politiques publiques ne soient pas segmentaires, mais qu'elles privilégient un diagnostic global intégrant l'usage et ses évolutions, la valeur patrimoniale, les techniques constructives originelles et leur fonctionnement, les techniques modernes d'amélioration des performances énergétiques et de confort des bâtiments et leurs liens avec les ressources.
Le deuxième point concerne la recherche scientifique, qui permet la production de connaissance et l'innovation. Les structures de recherche qui travaillent dans le domaine de la construction, de l'architecture ou du patrimoine sont dispersées, et se trouvent sous la tutelle de ministères différents. Il faut pourtant disposer d'une meilleure connaissance du bâti, mettre en place des bases de données qui caractérisent les constructions. Considérer que les bâtiments construits entre 1948 et 1974 sont des passoires thermiques, c'est partiellement faux et cela conduit à globaliser les solutions, comme le fameux décret sur les travaux embarqués qui impose des isolations thermiques par l'extérieur, comme si on imposait par décret le menu dans tous les restaurants de France. Le laboratoire TSAM de l'école polytechnique fédérale de Lausanne a démontré que, sur un grand ensemble datant des années 1960, une intervention fine et précautionneuse était deux fois moins chère et atteignant 80 % des performances attendues d'une rénovation énergétique aux normes, en préservant la qualité patrimoniale et architecturale de l'ensemble. Nous avons besoin de ce type d'études, mais nos écoles n'ont que très rarement la possibilité de les conduire, contrairement à ce qui se passe dans d'autres pays européens. Alors que pour le spatial, le cancer ou l'agriculture, l'État s'est doté d'instituts nationaux de recherche, il ne l'a pas fait sur la ville ou la construction, la recherche dépend de structures éparses, c'est regrettable. Il y a des exemples, pourtant, montrant que l'intervention de la recherche peut être décisive - je pense à une doctorante impliquée dans l'équipe du bailleur social Habitat-76, qui, en aidant l'organisme à définir une stratégie d'intervention sur le patrimoine individuel, parvient à changer les pratiques, pour mieux faire prendre en compte la qualité architecturale et la qualité d'usage.
Troisième point, l'ingénierie de projet est trop souvent marginalisée dans les dispositifs de financement et de politique publique, en particulier les missions de l'architecte. On estime qu'elle représente 1 % du coût global des opérations, mais elle peut avoir un impact majeur. Je prendrai l'exemple d'une opération à Fontainebleau, où l'étude technique avait préconisé la démolition du patrimoine ; or, l'agence Eliet et Lehmann, missionnée par le bailleur, a permis de trouver une solution qui a sauvegardé le patrimoine et atteint le label BBC Rénovation sans en passer par une isolation par l'extérieur, grâce à des études historiques et des sondages réalisés dans les murs qui ont révélé des qualités que l'étude technique n'avait pas vues. Aujourd'hui, trop de modèles normatifs sont pris en fonction des constructions neuves et appliqués à l'existant sans adaptation et conduisent à des opérations peu pertinentes voire contre-productives, qu'on doit renouveler tous les vingt ans au gré de vagues de financement. Ceci pose la question d'une évaluation architecturale des projets par les financeurs, pour mieux allouer les fonds publics.
Mme Marjan Hessamfar. - Parmi les questions que vous nous avez adressées par écrit, vous nous interrogez sur le rôle de l'architecte dans la rénovation énergétique. L'architecte y joue le même rôle que dans la construction en général, sa première mission est d'accompagner son client pour formaliser son projet, de participer à la sélection des entreprises, d'analyser les devis et de suivre le chantier, jusqu'à sa réception. Il regarde aussi, bien entendu, quel projet est possible dans le budget de son client, et c'est aussi là qu'il est un tiers de confiance, en particulier pour les fonds publics. L'architecte est intéressant parce qu'il apporte une approche globale, il va regarder, à l'occasion de la rénovation strictement énergétique, les améliorations en qualité d'usage et en valeur patrimoniale, il va projeter l'évolution du bâti, c'est très important pour ne pas avoir à refaire des travaux trop rapidement.
Nous préconisons donc un diagnostic global à l'occasion de la rénovation énergétique. Les architectes ont pris le virage des crises successives, 87 % déclarent avoir dirigé un chantier de rénovation depuis 2020, ils se forment, 2 500 ont suivi une formation spécifique sur la rénovation énergétique. Je signale que la formation continue des architectes est obligatoire, à raison de 20 heures par an, nous y veillons.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - J'entends d'autant mieux votre remarque sur le titre de notre commission d'enquête, monsieur Labrunye, que notre objectif est d'interroger les politiques publiques qui aident à la rénovation énergétique, de voir leurs effets et leurs omissions, en particulier sur la qualité de vie, sur les politiques du logement et d'habitat, c'est ce dont nous parlons avec les bailleurs et ce qui remonte de notre enquête, les sujets sont liés.
Une question sur le label « reconnu garant de l'environnement » (RGE) : qu'en pensez-vous, de ses modalités et de ses effets ? Comment regardez-vous les réalisations qui sont faites sous couvert de ce label ? Vous paraissent-elles efficaces, durables ? Et quel peut en être le contrôle, au moins a posteriori, quand il n'y a pas de maîtrise d'oeuvre, donc pour la plupart des rénovations chez les particuliers ? Peut-on s'inspirer de ce qui se passe avec le contrôle des installations électriques et l'attestation de conformité délivrée par le Comité national pour la sécurité des usagers de l'électricité (Consuel) ?
Quelle est votre analyse de l'accompagnateur Rénov' ? Et que pensez-vous de l'idée que ce poste devrait revenir à un architecte ?
Que pensez-vous, ensuite, de la place des matériaux bio-sourcés dans la rénovation thermique, mais aussi dans la formation à la formation thermique ? Nous sommes allés aux Grands ateliers de L'Isle-d'Abeau, en Isère, ce qu'on y a vu est impressionnant, en particulier pour les implications sur la formation des architectes, aussi bien que sur le développement d'activité en lien avec les filières locales : quelle est votre analyse sur le sujet ?
Mme Marjan Hessamfar. - Quand on parle de rénovation énergétique, à l'heure du réchauffement climatique, le prisme n'est pas seulement celui de l'énergie ni du thermique, il inclut bien sûr le confort d'été, et l'analyse que nous conduisons étant globale, nous regardons également le fait par exemple qu'un bâtiment doit continuer à respirer, ces notions de confort et de cohérence font partie intégrante du travail global de l'architecte.
Le label RGE va dans le bon sens, mais le problème, c'est que quand une entreprise de fenêtres est labellisée RGE, il ne faut pas en attendre qu'elle propose autre chose que des fenêtres, ce qui est partiel - c'est ici que se situe notre critique. Un autre aspect est le fait qu'il a fallu débattre pour dispenser les architectes de la mention RGE, étant donné que la formation qu'ils ont reçue est déjà suffisante, que c'est pour eux déjà un acquis. Je crois aussi que sur ces sujets, on ne met pas assez de moyens sur l'ingénierie des projets et qu'on en gâche en finançant des actions partielles, mono-tâches, qui coûtent cher sans améliorer vraiment la situation, le principal problème est là.
Il y a, également, la question de la réception des chantiers. Faut-il un assistant à la maîtrise d'ouvrage qui préconise les actions, puis laisse les particuliers en face-à-face avec les entreprises, avec un contrôle a posteriori par une tierce personne - ou bien un intervenant assermenté, qui suit le chantier de l'amont à l'aval, qui vérifie en particulier que les assurances sont prises, et qui réceptionne les travaux ? Nous pensons que l'accélération de la rénovation, telle qu'on l'envisage désormais, incite à regrouper les aides et à « globaliser » les intervenants, et qu'on aidera mieux les ménages avec une approche plus globale.
L'accompagnateur Rénov' est un dispositif qui va dans le bon sens, mais ses missions sont encore définies de manière partielle, il faut aller plus loin.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - L'idéal serait qu'un architecte puisse intervenir sur tout chantier de rénovation énergétique ; cependant, est-ce réaliste, y a-t-il assez d'architectes formés pour le faire ?
Mme Marjan Hessamfar. - C'est possible, mais il faut que les écoles soient mieux dotées, on ne peut pas en rester aux moyens d'il y a vingt ou trente ans. Nous ne sommes pas assez nombreux, mais il y a des marges de manoeuvre dès lors que la construction neuve ralentit et que la rénovation prend plus d'importance, un tournant a été pris. J'attire l'attention sur le fait que le diagnostiqueur doit être assuré, sinon cela ne pourra pas fonctionner, n'importe qui pourra se faire diagnostiqueur, sans être responsable de ce qu'il fait puisque les particuliers ne pourront pas se retourner contre lui. Les architectes, en tout cas, répondent présents, et s'ils ne sont pas assez nombreux, il faut regarder aussi du côté des ingénieurs, par exemple.
M. Stéphane Lutard, chargé de mission transition écologique et maquette numérique au Conseil national de l'ordre des architectes. - La question du nombre d'architectes se pose, effectivement, mais on pourrait très bien envisager de conditionner les aides de l'Agence nationale de l'habitat (Anah), en cas de rénovation globale, à la présence d'une maîtrise d'oeuvre. On retrouve l'idée de contrôle dans l'attestation délivrée par l'auditeur énergétique : il ne se rend pas sur le chantier, mais il délivre son attestation au vu des factures que le ménage lui présente, il vérifie alors que ces travaux correspondent bien à ceux qu'il a prescrits. Un flou demeure cependant dans la définition du rôle de l'accompagnateur Rénov' : sur le site du ministère, les missions de cet accompagnateur s'apparentent bien à celles d'un assistant à la maîtrise d'ouvrage, - il aide au projet, oriente vers les entreprises, regarde le devis, assiste à la réception des travaux -, mais le Gouvernement ne franchit pas le Rubicon, refusant de faire de cet accompagnateur Rénov' un véritable assistant à la maîtrise d'ouvrage. Ceci, alors même qu'on sait pertinemment que des rénovations partielles ne sont pas efficaces. Des milliards d'euros sont investis dans la rénovation énergétique, cela justifie un contrôle, une régulation.
Mme Valérie Charollais. - Si le recours à l'architecte est utile, la question se pose aussi du budget, c'est la clé d'entrée pour les particuliers, ils nous parlent d'abord argent - ce qui contribue à justifier la présence d'un homme de l'art, qui peut dire mieux que d'autres ce qu'on peut envisager de faire dans le budget déterminé. Reste, cependant, qu'il faut bien préciser que si un architecte intervient en amont du projet en tant qu'accompagnateur Rénov', il ne peut ensuite s'occuper du marché, c'est une question de déontologie.
Les architectes ne sont pas les seuls à ne pas toujours comprendre l'évolution des règles, les élus et les habitants ont eux aussi bien des difficultés à comprendre des règles qui changent souvent, qui en perdent leur lisibilité. Des règles sont définies, mais comment s'y prépare-t-on sur les territoires, comment les élus en sont-ils informés, comment les artisans s'y forment-ils ? Il y a maints décalages en la matière. Et je crois que s'y ajoute aussi une dimension culturelle, du lien qu'on entretient avec son habitat. Lorsqu'on achète une voiture, on sait qu'elle va s'user, qu'il faudra l'entretenir, remplacer des pièces ; c'est moins clair avec sa maison, on ne conçoit pas toujours les choses dans le temps, la rénovation n'est pas anticipée, en particulier sur le plan financier.
Je veux signaler également l'importance de la formation des syndics, c'est un vrai sujet car eux non plus n'anticipent pas bien les rénovations. Le CAUE du Val-de-Marne y travaille, on voit tout ce qu'il y a à faire en la matière.
Il faut aussi stimuler la qualité de la rénovation, c'est le rôle par exemple de l'association Effinergie, reconnue d'intérêt public et qui délivre des labels reconnaissant les bâtiments sobres en énergie et bas carbone, y compris les bâtiments ayant un caractère patrimonial, la méthode fait travailler ensemble architectes et ingénieurs. Je me réjouis aussi de voir que la formation des architectes évolue, il faut que les architectes et les ingénieurs se parlent, au-delà de l'expertise technique, il y a là aussi un enjeu culturel. Je signale que la place de l'architecte reste compliquée dans le comité de pilotage du SAR, c'est aussi le cas au sein des instances de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe).
Je crois, enfin, que nous avons effectivement beaucoup à faire pour construire des filières, en particulier sur les matériaux bio-sourcés. Des initiatives existent ici et là, mais il faut mettre tout le monde autour de la table, localement, il faut rendre les choses plus fluides. C'est un chantier à ouvrir, pour intégrer aussi la dimension économique de ces enjeux.
M. Raphaël Labrunye. - Parmi les modules défaillants dans nos formations, il y a l'économie du bâtiment en général et de la rénovation en particulier. Ces questions doivent-elles être abordées à l'école d'architecture, ou bien en insertion professionnelle ? Les études d'architecture sont relativement courtes, comparées à celle d'un médecin ou d'un compagnon du devoir, cependant ces compétences économiques importent, on le voit par exemple dans le fait qu'un jeune diplômé d'un IUT en économie du bâtiment se voit proposer en moyenne un meilleur salaire qu'un jeune architecte qui a pourtant fait deux ou trois ans d'études en plus. Il faut donc, probablement, conforter ces aspects de l'économie du bâtiment dans nos cursus. Il y a aussi la formation continue, nos écoles peuvent former très largement, sous réserve que nous ayons les moyens de nous développer, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui - et ce sont des organismes privés qui s'en chargent, c'est dommage, nous pourrions faire bien davantage en étant soutenus dans cette direction, nous avons les enseignants, les chercheurs, la pédagogie, mais pas les outils de développement, les ressources administratives pour développer cette offre de formation.
Les Grands ateliers de L'Isle-d'Abeau sont un outil extraordinaire, toutes les écoles d'architecture rêveraient de disposer d'un équivalent, alors que les écoles d'ingénieur, par exemple, sont dotées d'outils approchants. Le problème, en fait, c'est que cet outil ne soit qu'une exception. Il est adossé à une fondation d'université, une association a été montée pour le gérer et aller chercher des financements, ce fonctionnement fait rêver bien des écoles d'architecture.
Pour développer les matériaux bio-sourcés, nous butons sur le fait que notre tutelle, le ministère de la culture, n'a pas la compétence de développer des filières, nous parvenons à soutenir des initiatives, mais guère à aller plus loin et à porter des projets de filière. Il faut structurer le financement, comme les écoles d'ingénieur l'ont fait par exemple pour l'automobile, on pourrait le faire sur le lin, en Normandie, où nous avons un plan de transfert de R&D de l'enseignement supérieur vers les filières industrielles ; nous en sommes pourtant encore très loin.
Mme Sabine Drexler. - Nous déplorons nous aussi, en Alsace, que du bâti patrimonial soit saccagé par des techniques de rénovation inadaptées, les choses commencent à se savoir alors que les injonctions à la rénovation énergétique se font plus fortes depuis la loi « Climat et résilience ». Je me réjouis que les écoles d'architecture se saisissent enfin de cette question, ce que j'entends aujourd'hui me rassure - et je sais que vous pouvez compter sur les collectivités territoriales, qui mettent déjà des moyens à disposition de la rénovation énergétique.
Mme Marjan Hessamfar. - La construction de filières est freinée aussi par le défaut d'homologation de certains matériaux, qui ne sont pas reconnus pour la construction et certains lobbys des matériaux en place ne vont pas dans le sens de l'ouverture, il faut accélérer les choses de ce côté-là.
Certaines règles nouvelles, cependant, améliorent les choses, je pense par exemple à la souplesse sur la hauteur des bâtiments, qui permet d'inclure mieux l'isolation par de nouveaux matériaux : c'est une bonne nouvelle, cette souplesse va dans le bon sens.
Je veux signaler aussi l'importance des architectes des bâtiments de France (ABF), qui sont en quelque sorte les gardiens du temple de notre patrimoine, de sa beauté : ils apparaissent comme des censeurs, alors qu'ils pourraient mieux conseiller en amont s'ils étaient plus nombreux - les ABF sont tout à fait nécessaires et utiles, mais il faut qu'ils puissent travailler dans de bonnes conditions, ce qui n'est pas le cas actuellement.
M. Stéphane Lutard. - Il y a deux types d'audit énergétique : celui qui est fait lors de la vente d'un bien, il est alors réalisé par un diagnostiqueur immobilier, conformément à la réglementation ; le diagnostic incitatif réalisé dans le cadre de MaPrimeRénov', réalisé par des architectes et des bureaux d'études. L'administration réfléchit, apparemment, à les confondre, en les confiant aux diagnostiqueurs immobiliers et ce que nous craignons, c'est un recul des exigences, alors que le diagnostic est la clé d'une rénovation énergétique performante. Des diagnostiqueurs immobiliers font des scénarios irréalistes, avec des dégâts sur le patrimoine, il faut faire attention, en particulier dans les secteurs protégés - où les ABF n'acceptent pas, avec raison, des scénarios irréalistes qui ont été présentés aux particuliers.
Mme Valérie Charollais. - Il faut effectivement mieux sensibiliser les particuliers, nous le faisons avec des visites thermographiques, qui rencontrent un grand succès parce que les participants comprennent mieux comment les choses se passent ; il faut aussi mieux sensibiliser les élus, qui sont des acteurs clés : comment mieux les former sur la rénovation énergétique, afin qu'ils aient les meilleurs outils pour leur territoire ? Le président de l'association nationale des CAUE ne le cache pas, après 15 années passées à la tête des CAUE : il a beaucoup appris ! Cela pose la question d'une formation socle pour les élus, qui intègre les rôles de l'architecte, du thermicien et de l'artisan.
M. Raphaël Labrunye. - Cela montre aussi le caractère essentiel des CAUE et l'importance d'assurer leur financement, ce sont des acteurs incontournables pour informer et former en particulier les élus, et plus largement la population. Une autre piste est du côté de la simplification administrative, par exemple sur les règles relatives au patrimoine remarquable : beaucoup d'élus hésitent à s'y engager parce que les contraintes sont lourdes, alors que c'est un outil formidable pour faire comprendre et connaître les caractéristiques des bâtiments, mais aussi pour le dialogue entre les élus et les ABF. Il est curieux d'ajouter un règlement patrimonial spécifique au règlement urbain déjà en place, il doit y avoir des solutions plus simples pour intégrer ces règles dans le corpus habituel, pour mieux articuler les choses.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Vous avez signé la charte « Faciliter, Accompagner et Informer pour la Rénovation Énergétique » (FairE) en 2019 : quel bilan en faites-vous ?
Mme Valérie Charollais. - Oui, nous l'avons signée, sans avoir le droit de figurer sur la plateforme Faire... Cette charte était déjà dans le réseau, elle a permis de mieux reconnaitre le travail réalisé dans les territoires, où l'on travaille sur ces questions depuis longtemps. Le bilan est difficile à faire dans le détail, mais je suis convaincue qu'il est positif, cette charte a eu un effet d'entraînement.
Mme Marjan Hessamfar. - En tant que co-rapporteurs du groupe de travail n° 3 du Conseil national de la refondation, nous avons proposé de renforcer les moyens pour la thermographie, c'est un bon outil pour prioriser la rénovation thermique, en ciblant d'abord les passoires thermiques - c'est très intéressant en particulier pour les zones pavillonnaires.
Mme Valérie Charollais. - La charte Faire a eu comme effet de rapprocher les structures, la meilleure connaissance du réseau a certainement amélioré les choses ; cependant, les services publics historiques de la rénovation énergétique constatent que le programme SAR ne leur fait pas bénéficier de plus de moyens d'agir.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci encore pour vos témoignages, je dois malheureusement vous quitter, et laisse la présidence à notre rapporteur.
- Présidence de M. Guillaume Gontard, rapporteur -
M. Raphaël Labrunye. - La constitution de données fiables sur l'état du bâti reste problématique, nous n'avons pas de méthode de travail pour les regrouper et les agréger, alors que ces données existent, de manière dispersée : il faut structurer leur recueil et leur analyse, pour mieux cibler le déploiement des moyens et les outils à utiliser.
Mme Marjan Hessamfar. - Ce que nous préconisons aussi, c'est que l'accompagnateur Rénov' n'ait pas le statut d'assistant à la maîtrise d'oeuvre, qui serait alors « à côté » de l'assistant à la maîtrise d'ouvrage, car il s'agit en fait d'un travail d'accompagnement : celui qui fait le diagnostic devrait aussi pouvoir aider à sélectionner les entreprises et vérifier que les travaux ont été faits - ce serait mieux que l'accompagnateur Rénov' fasse l'ensemble de ces missions, plutôt qu'une partie seulement. Attention, aussi, à la tarification de ce service, parce qu'en deçà d'un certain prix, cela ne va plus intéresser d'expert.
M. Guillaume Gontard, président. - Effectivement, en deçà d'un certain, prix, la fonction ne saurait être attractive. Le constat est unanime, aussi, du manque de lisibilité de ce qui se profile, des missions que cet accompagnateur Rénov' devra assumer. En tout état de cause, merci encore pour votre participation à nos travaux.
Audition
d'acteurs de l'isolation thermique des
bâtiments
(Lundi 15 mai 2023)
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous poursuivons nos travaux aujourd'hui par une table ronde sur l'isolation des bâtiments, en recevant les représentants de cinq organisations professionnelles regroupant des acteurs de l'isolation thermique des bâtiments.
Le syndicat national des fabricants d'isolants en laines minérales manufacturées (Filmm), représenté par sa présidente, Mme Élisabeth Bardet, rassemble les industriels français fabricants de laine de verre et de roche.
Le collectif « Isolons la Terre contre le CO2 », représenté par son porte-parole, M. Olivier Servant, regroupe des entreprises fournisseurs de solutions destinées à réduire la consommation d'énergie dans le bâtiment.
L'association Promotoit, représentée par son président M. André Dot, réunit sept entreprises industrielles spécialisées dans la fabrication de matériaux de construction pour la toiture.
L'association du Mur Manteau, représentée par son président M. Philippe Boussemart, regroupe les industriels de l'isolation thermique par l'extérieur.
Enfin, l'association française des industries de matériaux et composants pour la construction (AIMCC), représentée par M. Jean-Christophe Barbant, directeur des affaires publiques, regroupe les syndicats et fédérations qui représentent les industriels fabricants de produits entrant dans la construction.
Vous représentez, à vous cinq, l'industrie de l'isolation, acteur indispensable de la rénovation énergétique des bâtiments. Il nous a naturellement semblé nécessaire, dans le cadre de nos travaux, d'associer les acteurs de la filière.
Alors que l'objectif de notre commission d'enquête est de comprendre les freins à l'efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique, cette table ronde vise notamment à identifier de potentiels blocages dans l'offre de rénovation. La filière de l'isolation des bâtiments est-elle en mesure de répondre aux demandes de rénovation énergétique ? Si ce n'est pas le cas, comment l'expliquez-vous ? S'agit-il par exemple d'une pénurie de matériaux, d'un manque de qualification ou des deux ?
Surtout, alors que l'Europe, à travers une nouvelle directive sur la performance énergétique des bâtiments, semble vouloir accélérer la décarbonation à l'horizon 2030 et que, de fait, MaPrimeRénov' a essentiellement financé des changements de mode de chauffage, la décarbonation ne risque-t-elle pas de prendre le pas sur les objectifs de sobriété et d'isolation ? Même si la rénovation globale d'un logement reste l'idéal, beaucoup s'interrogent aujourd'hui sur sa faisabilité, sur la capacité de la filière à faire face à une hausse brutale de la demande et de la collectivité et des particuliers à les financer.
Plusieurs s'interrogent également sur la pérennité des matériaux employés. Lors d'auditions précédentes, certains ont évoqué 20 à 25 ans de durée de vie, ce qui voudrait dire que l'isolation réalisée aujourd'hui serait à refaire en 2050. Est-ce exact ?
De plus, alors que le confort d'été n'est, selon nous, pas assez pris en compte, certains matériaux d'isolation ne sont-ils pas mal adaptés à l'évolution climatique qui nécessitera de se protéger autant du froid que des vagues de chaleur ?
Enfin, le but de la rénovation énergétique étant tout autant de protéger le pouvoir d'achat que la planète, les matériaux d'isolation peuvent-ils eux-mêmes relever le défi de leur neutralité carbone, de la recyclabilité ou du réemploi ?
Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions et pour un propos introductif, je vous indique que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat, et qu'elle fera l'objet d'un compte rendu publié.
Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite donc, l'un après l'autre à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Jean-Christophe Barbant, Philippe Boussemart, André Dot, Mme Élisabeth Bardet et M. Olivier Servant prêtent serment.
Mme Élisabeth Bardet, présidente du syndicat national des fabricants d'isolants en laines minérales manufacturées (Filmm). - Je vous remercie pour votre invitation. Le Filmm représente cinq entreprises adhérentes : les sociétés Eurocoustic, Knauf Insulation, Isover, Rockwool et Ursa, soit plus de 90 % de la laine minérale vendue en France, et huit sites de production dans notre pays pour environ 3 000 emplois directs répartis sur l'ensemble du territoire. Au cours des quatre dernières années, près de 400 millions d'euros d'investissements productifs ont été engagés par des industriels ; d'autres sont en cours. Nous estimons que les ventes d'isolants en laine de verre et en laine de roche permettent d'isoler chaque année environ un million de maisons ; 98 % de ces isolants sont produits localement.
Les laines minérales sont une filière d'avenir au coeur du quotidien des Français. Ce sont les isolants les plus utilisés en raison de leurs performances thermiques, acoustiques, de protection contre le feu et de leur coût optimisé. L'isolation de la maison en laine minérale est une solution économique et écologique. C'est une industrie motrice des territoires, qui recrute et forme. La filière offre des emplois qualifiés non délocalisables. Notre industrie fait appel à de nombreux savoir-faire et irrigue l'ensemble du secteur de la construction.
Enfin, c'est une industrie engagée dans le développement durable, la décarbonation de ses activités, l'optimisation environnementale, en particulier grâce à l'électrification de ses procédés de fabrication, à la récupération de la chaleur fatale et à l'intégration de 50 à 80 % de contenus recyclés dans les isolants.
Nous saluons la prise de conscience politique sur la question de la rénovation énergétique. L'isolation des bâtiments est l'un des leviers principaux de sobriété énergétique. La rénovation de l'ensemble du parc au niveau équivalent Bâtiment basse consommation (BBC) à l'horizon 2050 dégagerait entre 400 et 500 térawattheures d'économies d'énergie par an, soit environ 1,2 fois la production nucléaire annuelle.
Les défis sont immenses : six millions de ménages sont en précarité énergétique, 700 000 rénovations globales et performantes par an doivent être conduites entre 2030 et 2050.
Pourtant, malgré des objectifs ambitieux et des avancées réglementaires, la rénovation du parc n'avance qu'à petits pas. Nous pensons que la rénovation énergétique globale et par étapes doit être une priorité nationale, car elle permet la réduction des consommations et des factures énergétiques et la décarbonation.
Notre filière est prête à accompagner la massification de la rénovation thermique globale. Nous appelons au renforcement et au rééquilibrage des dispositifs d'incitation à l'isolation, pour réduire efficacement la consommation d'énergie.
Le dispositif des certificats d'économies d'énergie (CEE) est le premier levier de financement, décidé par l'État et assumé financièrement par les obligés. Il faut augmenter l'enveloppe et la valeur des CEE isolation précarité ; il faut rééquilibrer le marché en faveur de l'isolation, car il est aujourd'hui concentré sur le changement des équipements ; enfin, il faut établir un corridor de prix pour stabiliser le dispositif sur le temps long.
Le dispositif MaPrimeRénov' est également clé. L'augmentation des aides en avril 2022 pour le changement des systèmes de chauffage - le remplacement des chaudières au gaz et au fioul - ne suffit pas. Un bâtiment mal isolé reste une passoire thermique. L'efficacité de la lutte contre ces passoires commence par un rééquilibrage des aides : les gestes d'isolation ne représentaient en effet que 21 % des aides publiques en 2022, alors qu'ils constituent quatre des six types de travaux à réaliser dans le cadre d'une rénovation performante. Alors que les objectifs de rénovation énergétique sont constamment réaffirmés, la filière appelle le Gouvernement à prendre urgemment les mesures correctives nécessaires et à stabiliser le dispositif pour tenir les ambitions. Les critères d'éligibilité des aides à la rénovation doivent être alignés et simplifiés pour améliorer leur efficacité, leur lisibilité et l'accessibilité des travaux de rénovation pour les particuliers.
Nous appelons par ailleurs à adopter une vision et une action d'ensemble, plutôt que d'opposer les matériaux - en l'occurrence les isolants. Le basculement vers le tout-biosourcé est un pari risqué à l'heure où cette industrie ne dispose pas d'outils productifs suffisants pour répondre à la demande. La politique doit s'appuyer sur deux jambes complémentaires : les isolants minéraux et les biosourcés. À ce titre, les laines minérales sont les alliés naturels de la construction bois en raison de la protection qu'elles confèrent en matière de risque incendie et d'isolation thermique et acoustique.
Les entreprises de la filière minérale investissent massivement et régulièrement ; ces lourds investissements nécessitent visibilité et stabilité. Face à la concurrence européenne, l'enjeu est de maintenir la capacité à s'approvisionner en matériaux made in France performants et accessibles à tous les portefeuilles.
La filière appelle donc à garantir des conditions de concurrence équitables entre matériaux, fondées sur une approche performancielle et scientifiquement valide, et non sur des choix de matériaux a priori.
À l'heure où les objectifs climatiques vont être renforcés aux échelons national et européen, la mixité des produits de construction est une mesure de bon sens s'inscrivant dans une double logique économique et écologique.
M. Jean-Christophe Barbant, directeur des affaires publiques de l'association française des industries de matériaux et composants pour la construction (AIMCC). - Outre mes fonctions pour l'AIMCC, qui regroupe l'ensemble des fabricants de produits et équipements de construction, je suis délégué permanent du comité stratégique de filière industries pour la construction (CSF IPC) et, si vous me le permettez, j'interviendrai aussi à ce titre.
L'AIMCC regroupe toutes les organisations de producteurs de matériaux de construction : 7 000 entreprises de plus de 20 salariés, 450 000 collaborateurs et 45 milliards d'euros de chiffre d'affaires sur le marché français, sur tous les matériaux intervenants dans la construction : acier, bois, ciment, verre, terre cuite, plastiques, peintures et chimie du bâtiment, isolants minéraux et biosourcés, produits d'étanchéité, produits et équipements électriques, équipements de chauffage et de climatisation, ventilation.
L'AIMCC et le CSF IPC mènent des actions collectives, complémentaires des actions individuelles menées par les entreprises, sur les grandes priorités de la transition écologique de la filière : la décarbonation des procédés de fabrication, des produits et des ouvrages, le développement de l'économie circulaire - recyclage, réemploi en particulier - et la rénovation énergétique performante des bâtiments où les industriels peuvent jouer un rôle clé, en collaboration avec les autres acteurs de la filière que sont les distributeurs, les entreprises de construction et les maîtres d'oeuvre et maîtres d'ouvrage.
Ce rôle clé en rénovation énergétique, ils le jouent en tant que fabricants de produits d'isolation, mais aussi de ventilation, de chauffage et climatisation, et d'instruments de contrôle de ces équipements. Les industriels innovent en permanence pour accroître la performance de ces produits, tout en minimisant leur impact environnemental : les caractéristiques environnementales et sanitaires de ces produits et leurs performances techniques - mécaniques, d'isolation, de durabilité - sont consignées dans des fiches de déclaration environnementale : FDES pour les produits et PEP pour les équipements. Ces fiches sont mises à disposition des acteurs de la construction à travers la base Inies, ce qui leur permet d'optimiser leur ouvrage d'un point de vue technique et environnemental, qu'il soit de construction neuve ou de rénovation.
Deux constats s'imposent aujourd'hui à propos de la rénovation énergétique.
D'abord, même si les innovations sont permanentes, notamment en matière de décarbonation, les solutions techniques existent pour rénover de façon performante toutes les catégories de bâtiments et les capacités de production sont là pour servir les objectifs quantitatifs de la France en la matière.
Ensuite, les industriels, comme l'a souligné Mme Bardet, et les professionnels de la construction demandent que leurs produits soient appréciés objectivement sur la base de leurs performances techniques et environnementales, vérifiées et communiquées régulièrement sur la base Inies. Cette approche performancielle permet au marché de choisir librement entre les produits sans discrimination, en tenant également compte de critères économiques comme le coût et la disponibilité.
La question majeure en matière de rénovation est aujourd'hui la massification, pour tendre vers l'objectif de 500 000 rénovations par an jusqu'en 2050. Nous en sommes loin.
Les enjeux de cette massification sont multiples. Il y a d'abord la réduction massive des émissions de gaz à effet de serre, mais aussi celle des besoins en capacité de production d'énergie électrique : la rénovation de 10 % du parc permettrait d'économiser sept nouvelles tranches nucléaires.
Il y a également des enjeux sanitaires, à travers l'amélioration de la qualité de l'air intérieur et des conditions de travail dans les bâtiments, des enjeux sociaux, et des enjeux économiques avec la création d'activité et d'emplois dans la rénovation qui compenseraient la baisse à long terme de la construction neuve ; d'emplois, également, dans nos industries puisque les produits de la construction, se transportant mal, sont en grande majorité fabriqués dans notre pays pour servir le marché français.
Dans ce contexte, plusieurs points clés doivent être pris en compte dans les politiques publiques de rénovation pour relever le défi de la massification.
Le premier, qui a déjà été développé, est de cibler les rénovations globales et performantes.
Le deuxième, très important, est un accompagnement plus efficace des maîtres d'ouvrage, privés ou collectivités territoriales, de logements ou de bâtiments tertiaires, dans l'acte de rénovation. Cela exige des diagnostics fiables, mais aussi des exécutions professionnelles. L'acte de rénovation est encore trop souvent vécu comme une punition par le maître d'ouvrage, ce qui n'est pas sain ; il est source d'incertitudes, voire d'anxiété, ce qui conduit souvent à reporter la décision de rénover. Il faut donc rassurer les maîtres d'ouvrage, leur apporter l'appui nécessaire dans les diagnostics, la réalisation des plans, le choix des prestataires et l'obtention des financements.
Je ne reviendrai pas sur le défi financier, qui a déjà été exposé.
Le quatrième défi est l'accroissement de l'offre professionnelle de rénovation, en commençant par les capacités de diagnostic et d'audit, mais aussi de réalisation des travaux avec des entreprises ou groupements d'entreprises en mesure de gérer efficacement les interfaces entre les différents lots de la rénovation ; avec une main-d'oeuvre qualifiée renforcée par de nouvelles formations mises en place dans les territoires, notamment au profit des jeunes qui sont en général enthousiastes pour mettre en oeuvre des travaux de rénovation utiles à la société.
Le dernier défi est une implication plus forte des collectivités territoriales dans le projet de rénovation énergétique de notre pays, à commencer par les régions. Celles-ci interviennent en tant que maîtres d'ouvrage de certains bâtiments publics, mais aussi comme accompagnateurs d'autres maîtres d'ouvrage dans les territoires, avec une véritable ingénierie de rénovation adaptée aux terrains et aux typologies de bâtiments, pour apporter des financements complémentaires, et pour développer des formations adaptées aux besoins croissants de compétences en la matière. Les départements sont eux aussi concernés en tant que maîtres d'ouvrage, ainsi que les communes et intercommunalités, organisées pour porter et mettre en oeuvre opérationnellement des projets ambitieux de rénovation énergétique.
Cette implication forte des collectivités territoriales est le sens du projet Rénobati porté par le CSF IPC, aujourd'hui soumis à l'appréciation de l'État et très prochainement de Régions de France. Rénobati suggère une approche territoriale via des projets pilotes concernant le bâti public et privé et portés par les intercommunalités. Dans ce projet, les régions ont vocation à réunir et à structurer, avec le CSF IPC, l'ensemble des acteurs de la filière régionale de rénovation, et à lancer en accord avec l'État des appels à manifestation d'intérêt pour appuyer les intercommunalités dans le montage de leurs projets.
À leurs côtés, les acteurs de la filière, et notamment les industriels présents régionalement, peuvent apporter leur expertise et leurs solutions en matière de rénovation et de décarbonation du bâtiment.
Ce projet est en cours de finalisation avec les équipes de l'État, en particulier le Secrétariat général pour l'investissement (SGPI), et avec certaines régions.
M. Philippe Boussemart, président de l'association du Mur Manteau. - Je vous remercie de votre invitation. Le groupement du Mur Manteau est une association regroupant les industriels de l'isolation thermique par l'extérieur, dont la mission est de contribuer, via la rénovation, à la réussite de la transition énergétique de notre pays. Elle compte trente membres représentant 95 % du marché - grands groupes, TPE, PME, ETI, implantés localement dans les territoires, avec des emplois non délocalisables, et engagés dans la décarbonation de leurs process de production.
Un système d'isolation thermique par l'extérieur consiste en un isolant posé sur la structure d'un bâtiment, recouvert de composants et d'une décoration esthétique qui permet en quelque sorte de raconter une histoire de façade.
L'isolation par l'extérieur apporte aux occupants du confort d'été, comme l'a souligné la présidente à juste titre, et du confort d'hiver : il est fondamental pour nos concitoyens d'habiter des logements décents, dans de bonnes conditions sanitaires.
Le deuxième point est relatif à la sobriété énergétique, laquelle est cruciale, car elle conduit à la souveraineté énergétique. Elle génère une réduction des dépenses pour les occupants, qu'ils soient maîtres d'ouvrage publics ou privés, augmentant ainsi leur pouvoir d'achat ; parallèlement, elle entraîne une diminution des émissions de gaz à effet de serre et de CO2 et apporte des bénéfices sanitaires. Notre association insiste sur le fait que chaque euro investi dans la rénovation énergétique des bâtiments permet 42 centimes d'économie en frais de santé, selon une étude de l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Nous nous mobilisons sur ce sujet au niveau européen, autour de la révision de la directive européenne sur la performance énergétique des bâtiments, dont les trilogues vont bientôt commencer, mais aussi en France, où nous avons publié deux livres blancs sur la qualité de l'enveloppe du bâtiment, dont le dernier est titré : Pas de neutralité carbone sans une isolation globale et performante des bâtiments. Dans ce document, nous proposons des mesures phares pour atteindre les objectifs de la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) fixés par le Gouvernement pour 2050.
Tout d'abord, nous demandons un plan-choc pour éradiquer les passoires thermiques. Nous estimons qu'il faut mettre un terme au saupoudrage des aides publiques et les concentrer pour en amplifier les impacts positifs. Nous appuyons notre proposition sur une étude réalisée en 2021 par le Réseau pour la transition énergétique (Cler), porteur de l'initiative Rénovons, qui a examiné les coûts et bénéfices d'un plan de rénovation des passoires énergétiques sur dix ans.
S'agissant, ensuite, de la rénovation globale et performante, coûteuse et difficile à mener à bien, nous proposons la mise en place d'une prime de travaux combinés pour faciliter la programmation de gestes simples visant à atteindre le niveau bâtiment basse consommation (BBC) en deux ou trois étapes. L'objectif de la SNBC pour 2050 est de porter à ce niveau quelque 27 ou 28 millions de logements à rénover.
Enfin, nous appelons les pouvoirs publics à ne plus considérer la rénovation énergétique comme une ligne budgétaire, une dépense annuelle qui s'additionnerait sans jamais pouvoir être reportée, mais bien comme un investissement bénéfique pour la planète et pour l'avenir de nos enfants. Ainsi, nous préconisons de travailler sur le financement et le tiers financement, avec les banques, afin que les chiffres de la rénovation énergétique ne fassent plus peur, mais envie.
M. André Dot, président de Promotoit. - Merci de cette invitation que nous recevons comme une reconnaissance du rôle de notre filière dans la rénovation énergétique : rappelons que 30 % de la déperdition énergétique se fait par le toit. L'association Promotoit a été créée en 2005 et regroupe sept entreprises spécialisées dans la fabrication en France de matériaux de construction pour toiture - isolation, couverture, panneaux solaires et fenêtres de toit - : Edilians, Isover, Terreal, Unilin Insulation, Velux, VMZinc, Wienerberger. Son objectif est d'alimenter le débat avec les acteurs du bâtiment et les institutions sur le rôle du toit dans les enjeux environnementaux, de logement et d'urbanisme. Nous publions régulièrement des études, notre dernier livre blanc, Le toit au coeur des enjeux sociétaux, est sorti en 2022. Le toit, ou cinquième façade, est une coque protectrice contre le froid et le chaud, un support idéal pour capter l'énergie solaire, et un créateur d'espaces habitables sans consommation foncière, que nous jugeons sous-exploité. Moins de 25 % des gestes aidés par MaPrimeRénov' en 2022 ont concerné des travaux sur l'enveloppe, dont une part négligeable sur le toit ; or il nous paraît fondamental de favoriser la rénovation globale et performante par étapes, en créant des parcours complets de rénovation énergétique dans lesquels la rénovation de la toiture doit prendre toute sa place. Des aménagements simples et concrets en matière d'aides aux ménages permettraient ainsi de traiter le sujet des maisons individuelles, soit quelque 20 millions d'unités en France, dont un tiers possède des combles aménagés, un tiers des combles aménageables, et un tiers des combles non aménageables.
Pour les maisons avec combles aménagés, qui bénéficient actuellement des aides les plus faibles, la couverture pour les ménages les plus modestes atteint au maximum 30 % des coûts totaux pour de l'isolation par l'intérieur, et moins de 15 % pour de l'isolation par l'extérieur. Une solution serait d'établir des barèmes différents pour les toits, comme pour les parois verticales. L'enjeu est d'importance : cette catégorie compte quelque 1,3 million de passoires thermiques.
S'agissant des maisons avec combles aménageables, l'agencement de logements dans le périmètre du bâti existant nous semble être un levier fondamental pour la rénovation énergétique et contre l'artificialisation des sols, avec un gisement potentiel de 90 millions de mètres carrés activables. Toutefois, la création de nouvelles pièces exclut ces travaux de certains dispositifs de financement, comme de l'éco-prêt à taux zéro (éco-PTZ). Enfin, nous avons estimé à environ 400 000 le nombre de passoires thermiques parmi ces maisons.
M. Olivier Servant, porte-parole du collectif Isolons la Terre contre le CO2. - Je vous remercie de nous avoir invités à participer à ce débat sur les politiques publiques de rénovation énergétique. Je représente un collectif qui réunit des industriels leaders du gros oeuvre et du second oeuvre, tant pour les parois opaques que vitrées, ainsi que pour la ventilation. Notre organisation a été créée en décembre 2003, lors du débat national sur les énergies durant lequel le Premier ministre de l'époque avait fixé un objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre des bâtiments existants de quatre à cinq fois d'ici à 2050, dans le prolongement de la signature du protocole de Kyoto. Elle réunit des entreprises leaders de leur secteur, parmi lesquelles Aldes, Eurocoustic, Hirsch Isolation, Isover, LafargeHolcim, Pam, Placoplatre, Saint-Gobain Glass, Unilin et Velux. Ces industriels fabriquent en France une large gamme de solutions pour la décarbonation des bâtiments, la sobriété énergétique, l'amélioration du confort, la réduction de la précarité énergétique et, globalement, la diminution des consommations énergétiques des bâtiments. Depuis sa création, notre collectif contribue activement au débat public et à la montée en expertise technique des acteurs dans le domaine de la construction durable et de la rénovation énergétique. Aujourd'hui, les bâtiments représentent encore 43 % de la consommation nationale d'énergie et 23 % des émissions de gaz à effet de serre. Notre travail est donc utile pour développer des politiques ambitieuses et accompagner les filières en vue du déploiement des meilleures pratiques en matière de construction durable et, surtout, de rénovation énergétique.
Plus de 80 % des bâtiments qui existeront en 2050 sont déjà construits, l'enjeu majeur est donc la rénovation massive et performante de ce parc pour réduire les consommations d'énergie et les émissions de gaz à effet de serre. L'objectif d'atteindre le niveau BBC en 2050 est inscrit dans plusieurs textes, dont la SNBC ; il nécessite la mobilisation de tous les acteurs pour rénover environ 700 000 logements par an, un chiffre loin d'être atteint actuellement.
La stratégie nationale bas-carbone repose sur trois piliers. Le premier est la sobriété énergétique, visant à amplifier massivement les efforts de rénovation pour atteindre le niveau BBC en 2050 ; le deuxième promeut l'usage d'équipements énergétiques à haut rendement ; le troisième s'attache à la décarbonation et incite au remplacement rapide des énergies fossiles par des énergies bas-carbone, renouvelables ou électriques. La combinaison de ces trois piliers est indispensable pour atteindre l'objectif de 2050, comme le rappelle encore le Haut Conseil pour le climat dans son rapport de novembre 2020. Ainsi, le premier pilier, la sobriété énergétique, permettrait d'économiser une quantité d'énergie supérieure à la production annuelle d'électricité nucléaire en France. C'est dans ce cadre que s'inscrivent les actions des membres de notre collectif : la réduction des consommations d'énergie du parc existant, en particulier par le chauffage, qui en représente 70 %, passe par des efforts d'isolation, de manière à limiter considérablement les appels de puissance sur le réseau et à stabiliser la demande d'énergie. La rénovation, en privilégiant la sobriété énergétique grâce à l'isolation, permet à la fois de réduire la consommation d'énergie, d'améliorer le confort et la qualité sanitaire des bâtiments, de diminuer durablement les émissions de gaz à effet de serre et de mieux gérer les réseaux, notamment électriques.
Notre association a contribué à ces enjeux, notamment en créant le collectif Effinergie, avec le soutien de Régions de France. Membre fondateur et actif, nous travaillons étroitement avec les régions pour mettre en place des politiques ambitieuses de rénovation énergétique. Isolons la Terre contre le CO2 propose ainsi une importante base d'études et de contributions au débat public, disponible sur son site et à disposition des politiques, nationaux et territoriaux, pour accélérer la mise en place des plans de rénovation.
Pour autant, comme industriels, nous avons subi des fluctuations importantes et destructrices de valeur, s'agissant de l'aide à la rénovation énergétique. Nous appelons donc à retrouver une constance dans les orientations de politique publique dans ce domaine.
Nous souhaitons, premièrement, redonner une ambition importante aux dispositifs d'aide à la rénovation énergétique, en particulier à MaPrimeRénov' et aux certificats d'économie d'énergie (CEE). MaPrimeRénov', avec ses 2,5 milliards d'euros de dépenses publiques annuelles, apparaît comme étant en décalage avec le coût des compensations de l'augmentation des prix de l'énergie : le bouclier tarifaire est estimé à 44 milliards d'euros pour 2023 et les chèques énergie à un milliard d'euros additionnels. Ces deux dépenses, certes nécessaires, ne préparent pas l'avenir par la réduction de la consommation d'énergie et de la facture énergétique des Français. Nous appelons donc à une augmentation progressive des investissements dans la rénovation énergétique via MaPrimeRénov'. Concernant les CEE, nous rencontrons un problème de calibrage du niveau d'ambition et d'obligation de ce dispositif. Malgré un premier correctif, l'ambition de la cinquième période des CEE reste insuffisante. Alors que l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) prévoyait un objectif de cours au mégawattheure entre 8 et 10 euros pour les CEE standards et entre 10 et 14 euros pour les certificats dédiés aux ménages en précarité énergétique, les cours actuels sont inférieurs à 8 euros, en stagnation, voire en baisse. Le marché des CEE reste atone en matière de production de travaux de rénovation énergétique et ne joue donc pas son rôle de moteur en complément de MaPrimeRénov', contrairement à ce qui s'était produit à la fin de la quatrième période. Nous demandons donc d'abord de redynamiser ces deux dispositifs, qui sont complémentaires et essentiels pour accélérer la structuration des professions et massifier la rénovation énergétique globale et performante.
Deuxièmement, il nous semble primordial de prioriser la réduction du besoin en énergie sur la décarbonation, ce qui se fait principalement par l'isolation des bâtiments. Comme le dit l'adage, l'énergie la plus propre et la moins chère est celle que l'on ne consomme pas. Or l'isolation des parois opaques et vitrées et la ventilation représentent les deux tiers des travaux de rénovation énergétique nécessaires dans une rénovation globale. La loi du 22 août 2021 dite Climat et résilience précise les six gestes de travaux à réaliser : isolation des planchers, des murs et de la toiture, remplacement des menuiseries, mise en place d'un équipement de ventilation et remplacement des équipements de chauffage et de production d'eau chaude sanitaire. Notre collectif est impliqué dans les cinq premières actions, directement liées à la sobriété énergétique. Nous souhaitons donc que ces travaux soient prioritaires dans les dispositifs d'aide à la rénovation énergétique. Ils ne doivent pas, en outre, être menés de manière incohérente. Nous avons également subi les conséquences des actions isolées et nous souhaitons en prendre le contrepied : il s'agit maintenant de déployer des parcours de rénovation énergétique performants sur l'ensemble du parc existant, comprenant les six actions mentionnées précédemment. Ceux-ci doivent, à notre sens, démarrer systématiquement par des travaux d'isolation de l'enveloppe pour tous les bâtiments qui n'en bénéficient pas, avant de conduire au remplacement des équipements existants par les plus performants et les plus décarbonés du marché, comme les pompes à chaleur et les chaudières à bois. Actuellement, 70 % des fonds de MaPrimeRénov' sont attribués à des remplacements d'équipements, ce qui est contraire à l'objectif de rénovation énergétique complète pour 2050. Nous travaillons activement sur ces parcours de rénovation performants qui, selon nous, devraient guider les recommandations des futurs Accompagnateurs Rénov', et à jalonner les étapes de la rénovation en une, deux ou trois phases, accompagnées d'une allocation progressive des aides publiques.
Enfin, troisièmement, nous sommes conscients que les incitations auront leurs limites et que le marché de la rénovation énergétique doit se développer par lui-même. Nous prônons donc un juste équilibre entre incitations et obligations progressives planifiées, afin que chaque propriétaire puisse s'engager à long terme et anticiper les travaux de rénovation. Nous soutenons ainsi le calendrier d'interdiction progressive de la mise en location des passoires thermiques et des logements les plus dégradés, ainsi que l'interdiction progressive de mise en vente, pour inciter les propriétaires à entreprendre des travaux de rénovation dès que possible, avec la conscience de l'obsolescence programmée du parc immobilier énergivore.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Il nous semblait essentiel pour cette commission d'enquête de vous auditionner, ayant déjà entendu les différents ministres en charge ces dix dernières années et d'autres acteurs. Votre expérience en tant que fabricants de matériaux et vos retours sur les politiques publiques sont précieux.
Ma première question concerne votre implication dans lesdites politiques publiques, notamment depuis le Grenelle de l'environnement. Avez-vous été associés à ces orientations et réorientations ? Si oui, comment ? Selon vous, ces orientations vont-elles dans le bon sens ?
Je m'intéresse aussi à votre lien avec les matériaux biosourcés, qui sont le sujet de notre prochaine table ronde. Comment vos entreprises se positionnent-elles par rapport à ces matériaux, notamment dans le contexte de la réglementation environnementale 2020 (RE2020) qui les favorise ? Travaillez-vous sur des évolutions dans ce sens, par exemple sur l'intégration de liants végétaux à la laine de verre ?
Je souhaite également aborder la question du cycle de vie des matériaux que nous utilisons pour l'isolation. Comment considérez-vous leur durabilité, leur impact carbone, leur recyclabilité et leur réutilisabilité ? Comment vous assurez-vous que nous ne nous retrouvons pas avec des matériaux à fort impact environnemental à long terme ?
Cela me conduit à aborder la question des normes et des avis techniques. Comment se déroule le processus pour qu'un procédé comme celui que vous avez présenté soit normalisé ? Quel est votre avis sur cette procédure ?
Ensuite, j'aimerais discuter du DPE, le diagnostic de performance énergétique, un élément central des politiques publiques. Une nouvelle formule est lancée, dont nous attendons de constater l'impact. Le DPE est notamment utilisé pour déterminer les interdictions de location et pourrait l'être pour les ventes. Quel est votre avis à ce sujet ? Avez-vous été associés à l'élaboration et aux études sur le DPE, concernant notamment les caractéristiques d'isolation ?
Enfin, parlons de la qualité des travaux. En tant que fabricants et vendeurs de matériaux, vous êtes sûrement au courant des retours sur la qualité de réalisation. Le label RGE (reconnu garant de l'environnement) joue un rôle important pour qualifier les entreprises ; pour autant, l'isolation d'un bâtiment ne suffit pas, il faut que les travaux soient réalisés correctement. Quel est votre avis sur le contrôle de leur qualité ? Le label suffit-il ou faudrait-il des contrôles plus directs en fin de chantier ?
M. Philippe Boussemart. - S'agissant des contrôles, aujourd'hui, la majorité des travaux sont réalisés par des entreprises de qualité et les maîtres d'ouvrage sont généralement satisfaits. S'il existe malheureusement quelques exceptions, n'oublions pas que 95 % à 97 % des chantiers se déroulent correctement. Nous avions réfléchi aux contrôles au sein de notre association, lors de nos discussions avec le Pôle national des CEE (PNCEE). Nous avions émis une proposition simple : lorsque l'on réalise des travaux électriques à domicile, un contrôle est requis et un Consuel intervient pour remettre en route l'installation électrique ; pourquoi ne pas mettre en place une filière similaire pour la rénovation énergétique, qu'il s'agisse d'une rénovation globale ou d'un geste simple ? Celle-ci permettrait de s'assurer que les travaux ont été réalisés correctement et qu'ils emportent des économies d'énergie ainsi qu'une amélioration de la performance énergétique. On pourrait imaginer un contrôle à la fin des travaux et un autre un an après, pour contrôler la consommation énergétique. Je suis très satisfait de voir cette suggestion revenir à l'ordre du jour, car une telle évolution pourrait aider et rassurer les maîtres d'ouvrage, notamment les particuliers, qui peuvent ressentir une certaine anxiété à ce sujet. Un système de contrôle pourrait rassurer et agir comme un élément déclencheur des travaux.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Pourquoi n'avons-nous pas encore mis en place un tel contrôle ? Existe-t-il des blocages à ce sujet ?
M. Philippe Boussemart. - Cela nécessite la création d'une filière et la mobilisation des acteurs concernés, peut-être dans le cadre du DPE, en impliquant les bureaux de contrôle. On connaît le volume de travaux de rénovation énergétique ; il est donc possible d'évaluer les besoins en main-d'oeuvre pour réaliser un, deux ou trois contrôles par jour ou par chantier, mais nous n'avons pas encore travaillé à dimensionner une telle filière avec les acteurs concernés.
Concernant la recyclabilité, les industriels ont mis en place des processus de recyclage et de récupération des déchets de chantier, en particulier des isolants. Avant même que la loi du 10 février 2020 dite loi Agec les y oblige, ils avaient créé des filières à cette fin. Aujourd'hui, tous les produits et isolants que nous utilisons sont recyclables à l'infini.
Ensuite, depuis le 1er mai 2023, la même loi nous soumet à la responsabilité élargie du producteur (REP) sur les produits de construction et sur les matériaux du bâtiment. Progressivement, toutes les entreprises du bâtiment pourront ainsi déposer gratuitement leurs déchets dans des points de collecte. Cela permettra de recycler plus efficacement les 46 millions de tonnes de déchets générés annuellement par la filière. La mise en place de la REP bâtiments a donc été bien accueillie par les industriels du secteur.
Mme Élisabeth Bardet. - S'agissant de l'isolation et de l'utilisation de laines minérales, ces produits sont constitués à 95 % de matières naturelles. Des liants sont en effet utilisés pour former des panneaux, et les industriels ont depuis longtemps fait évoluer leur composition, passant de produits pétrosourcés à des produits biosourcés. Il s'agit là d'un résultat de la recherche et développement mené par les industries du syndicat, qui ont introduit ces produits sur le marché depuis de nombreuses années.
En matière de recyclabilité, les industriels des isolants en laine minérale proposent déjà le recyclage des déchets générés par les chantiers et des déchets de déconstruction. Nous n'avons pas attendu la loi Agec et nous avons mis en place un cycle de recyclabilité complète. Je disais, dans mon propos liminaire, que la part des contenus recyclés s'établissait entre 50 % et 80 %, cela inclut à la fois des laines de verre et de roche, qui reviennent dans le processus industriel et sont réincorporées dans le processus de fabrication, et d'autres matières premières, issues d'autres filières et qui sont réutilisées dans notre industrie. Le bio, à cet égard, n'apporte pas toutes les garanties, car c'est une matière vivante.
Nos produits sont certifiés par l'Acermi, l'association pour la certification des matériaux isolants, selon un référentiel qui existe depuis 50 ans et qui garantit à nos clients la performance de nos produits. Des tiers indépendants font des prélèvements sur nos sites de production ; ils apprécient les caractéristiques des isolants : la résistance thermique, la compression mécanique, le comportement face à l'eau et la respirabilité, etc. Après cette certification interviennent les avis techniques, qui sont une appréciation globale des produits dans leur système. Tous les isolants en laine minérale manufacturée sont ainsi certifiés et dotés d'un avis technique, selon des référentiels adaptés à chaque catégorie d'isolants.
Je voudrais revenir sur vos propos sur la durabilité des isolants en laine minérale manufacturée : celle-ci est nettement supérieure aux 20 ou 25 ans que vous évoquez. Les industriels garantissent plutôt des durées de vie de 40 ans, voire davantage. Ainsi, les isolants trouvés sur le chantier de rénovation de l'aéroport de Copenhague étaient proches de leur état initial, alors qu'ils dataient de 60 ans environ. Les isolants en laines minérales manufacturées sont donc des produits durables, naturels, sans adjuvants ni additifs, et c'est peut-être d'ailleurs ce qui leur confère leur performance.
M. Olivier Servant. - Je rejoins les propos de Mme Bardet. L'un des membres du collectif Isolons la Terre a mesuré la performance des produits récupérés dans des combles de maisons individuelles datant des années 70 : les isolants en laine de verre étaient toujours aussi performants ! Ces produits ont une durée de vie bien supérieure à 20 ou 25 ans, dès lors qu'il n'y a pas d'agression physique, qu'elle soit mécanique ou liée à l'humidité.
On peut facilement mesurer, avec un moteur de calcul comme celui utilisé pour réaliser le DPE, le bilan carbone d'une isolation, en évaluant la quantité de CO2 nécessaire pour fabriquer les matériaux, qui figure dans les fiches de déclaration environnementale et sanitaire, et la comparer aux économies de CO2 générées. L'isolant est rentabilisé sur le plan du bilan carbone en à peine quelques semaines, alors que l'isolation durera des dizaines d'années ! Pour la décarbonation du bâti existant, l'essentiel est donc de réaliser une isolation performante : le choix du système isolant a une influence très faible sur le bilan carbone du bâtiment en rénovation.
Nous avons salué les évolutions du DPE, qui est resté longtemps insuffisamment fiable. L'évolution était nécessaire. Il reste des axes d'amélioration : sur l'évaluation des performances et sur sa précision, sur l'homogénéité de la réalisation des DPE par les diagnostiqueurs, et sur la formation de ces derniers. La méthode de calcul retenue pour procéder à l'évaluation des biens immobiliers est relativement sommaire : il s'agit d'une évaluation à la louche, qui permet de repérer les deux extrêmes - les bâtiments à basse consommation d'un côté, et les passoires thermiques, d'un autre -, mais qui ne permet pas de fournir des éléments assez précis pour choisir une solution d'isolation technique. Le DPE ne tient pas compte des consommations réelles d'énergie et est empreint de choix méthodologiques, notamment quant aux coefficients de conversion de l'énergie primaire, de conversion du CO2 en énergie. Nous sommes donc dubitatifs sur la capacité du DPE à rendre compte de la réalité du fonctionnement d'une passoire énergétique. Est-il vraiment nécessaire de passer par un tiers diagnostiqueur pour savoir si un mur ou une toiture sont isolés ou non ? Nous avons milité pour que, outre les classes énergétiques, figure sur la 2e page du DPE une évaluation du niveau d'isolation de l'enveloppe du bâtiment, paroi par paroi.
On retrouve ces éléments sur l'isolation de l'enveloppe dans le label Bâtiment basse consommation (BBC), sur lequel le collectif Effinergie a travaillé : une obligation d'isolation en plus d'une obligation de performance énergétique et environnementale globale, comme pour les bâtiments neufs, puisque la RE 2020 comprend trois parties : une partie sur la sobriété énergétique, avec un coefficient qui traduit le besoin en énergie du bâtiment, une autre sur la consommation en énergie du bâtiment, et une dernière partie sur les émissions de carbone et au confort l'été. Il y a donc bien une obligation de sobriété énergétique dans le neuf ; dans l'ancien, celle-ci est plus reflétée par la 2e page du DPE sur l'isolation de l'enveloppe que par la classe énergétique, qui fluctue en fonction du rendement des équipements, des différents coefficients de conversion, etc.
Vous posiez par ailleurs la question de notre implication dans l'élaboration des dispositifs d'accompagnement de la rénovation. Nous avons contribué au débat, mais force est de constater que l'écoute a été faible... Ainsi l'AIMCC et certains délégataires de certificats d'économie d'énergie avaient alerté sur une surproduction des CEE en fin de 4e période, en vain. Cette surproduction n'a pas été prise en compte et il a fallu un mettre en place un retrait de 600 térawattheures à l'été 2022, pour un coût estimé à environ 4 milliards d'euros. Le taux de reprise de nos propositions n'est guère élevé...
Autre exemple, dès 2013, le think tank The Shift Project proposait la mise en place de parcours de rénovation énergétique cohérents, pour rénover et réduire la consommation. Nous proposions qu'il figure dans la 2e partie du DPE. Nous avons créé une association, Expérience P2E, pour expérimenter ces passeports de rénovation énergétique. Elle regroupait The Shift Project, le Cercle Promodul, EDF, Schneider Electric, Saint-Gobain, et des collectivités. Ils ont expérimenté ce mécanisme entre 2016 et 2019 et remis leurs conclusions en 2020. Celles-ci valident l'intérêt de ces passeports pour réaliser des rénovations et des travaux cohérents. Cette expérience a permis de fournir un outil, des formations pour un certain nombre d'auditeurs, de réaliser un guide de bonnes pratiques, etc. Voilà un exemple d'action validée par le terrain que nous souhaitons défendre dans les évolutions des aides publiques.
M. Jean-Claude Barbant. - J'irai dans le sens de mes prédécesseurs. En un mot, je dirai : « Des progrès, mais peut mieux faire ! » Des progrès sont possibles en termes d'écoute et d'association des industriels à la définition des politiques publiques, à la mise en place des outils, des accompagnements. Le DPE reste perfectible. Il conviendrait d'augmenter les contrôles, car un certain nombre de travaux sont déficients. Les labels RGE sont très compliqués à mettre en oeuvre pour les entreprises artisanales. Il conviendrait de les simplifier.
La normalisation évolue, lentement certes, mais il est normal que les normes évoluent moins vite que les techniques, car il faut veiller à la pertinence des solutions. Prenons l'exemple des ciments bas-carbone. De nouvelles normes ont été introduites pour faciliter l'emploi de ciments bas-carbone dans la construction ; on peut sans doute aller plus loin, mais il faut veiller à la solidité des ouvrages avant d'entériner une solution technique.
M. André Dot. - Je rejoins mes confrères. Nous essayons de rencontrer les pouvoirs publics régulièrement. On nous objecte souvent que nos propositions sont complexes, peu lisibles pour les particuliers, mais sous couvert de simplicité, on risque de verser dans le simplisme et de rater la cible. Certes il est simple de comprendre qu'on peut percevoir une subvention si l'on change sa pompe à chaleur, mais est-ce toujours pertinent ? Non. Attention à ce pas passer à côté du sujet. Il faut prendre le temps de la réflexion pour construire des parcours cohérents.
S'agissant de la recyclabilité, nos entreprises travaillent déjà sur la neutralité carbone et ont des objectifs sur les scopes 1, 2 et 3. C'est le sens de l'histoire. La loi, avec la création des filières à responsabilité élargie des producteurs, impose aux fabricants d'atteindre des taux de collecte et de travailler sur le réemploi. Elle contribue à nous faire avancer dans le bon sens.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Pourriez-vous nous donner votre avis sur les isolants en polystyrène ? Comment estimez-vous leur impact global, leur durabilité ?
M. Philippe Boussemart. - Je ne parlerai que de l'isolation thermique par l'extérieur : les isolants en polystyrène sont utilisés pour rénover entre 78 et 80 % des surfaces. En 2022, la surface rénovée s'est élevée à 17 millions de mètres carrés, dont 79 % en polystyrène, 19 % en laines minérales, et le reste avec d'autres produits, comme des isolants biosourcés.
Le polystyrène est l'isolant le plus économique. Les fabricants cherchent à réduire son empreinte carbone ; ils travaillent ainsi à partir de la biomasse pour développer des produits mass balance, mais ces derniers ne sont pas reconnus par la législation française, car on n'arrive pas à tracer exactement la part d'énergie verte qu'ils incluent : c'est problématique, car lorsque le consommateur achète de l'électricité verte, il ne sait pas quelle proportion est réellement verte, et pourtant, la vente d'énergie verte est autorisée. Il conviendrait d'être cohérent. Je ne peux que vous inviter à auditionner l'association des fabricants d'isolants en polystyrène. La durabilité de ces matériaux est de plusieurs dizaines d'années, comme pour les laines minérales : les premières maisons isolées par l'extérieur en polystyrène l'ont été en Allemagne à partir de 1965 et les isolants sont toujours en place.
M. Olivier Servant. - On utilise le polystyrène expansé, le polystyrène extrudé ou le polyuréthane notamment pour isoler les murs par l'extérieur, mais pas seulement. Selon le cabinet MSI Reports, en 2022, 58 % des surfaces isolées l'ont été avec des laines minérales manufacturées, dont 70 % de laine de verre et 30 % de laine de roche. Environ 30 % des surfaces isolées l'ont été avec des plastiques alvéolaires, catégorie qui regroupe des produits en polystyrène expansé, en polystyrène extrudé et en polyuréthane, selon la répartition suivante : 63 % pour le polystyrène expansé, 32 % pour le polyuréthane et 5 % pour le polystyrène extrudé. Ensuite, les produits d'isolation biosourcés sont utilisés dans 9 % des surfaces isolées. Pour le reste, 3 %, diverses solutions sont employées.
Mme Sabine Drexler. - Le bâti patrimonial devrait-il bénéficier de dérogations ? Les techniques adaptées à ce bâti semblent peu connues et peu accessibles.
Monsieur Boussemart, vous avez dit que 95 % des industriels d'isolation extérieure sont membres de Mur Manteau. Quels sont les autres ?
M. Philippe Boussemart. - Il s'agit notamment d'industriels étrangers qui ne souhaitent pas adhérer à notre association.
M. Olivier Servant. - Depuis une dizaine d'années, de nombreux travaux ont été réalisés pour cartographier les différents types de bâtis en fonction des régions et trouver des combinaisons de solutions techniques d'isolation adaptées au bâti ancien au cas par cas, notamment pour tenir compte des propriétés mécaniques et hygroscopiques de la façade. Des guides de solutions techniques adaptées au bâti local ont été élaborés, pour chaque région, mais sont encore insuffisamment connus. Il convient de mener un effort de diffusion et de formation pour que les entreprises connaissent les solutions les plus pertinentes, pour éviter que des travaux d'isolation n'aboutissent à créer des pathologies dans les façades : il n'est pas pertinent d'utiliser des matériaux qui compriment l'humidité dans la façade si celle-ci se détériore avec l'humidité : inversement, d'autres façades anciennes se détériorent si elles demeurent trop sèches. Il faut s'adapter au cas par cas.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Vous n'avez pas parlé du risque de pénurie de matériaux ?
M. Jean-Claude Barbant. - Il n'y a pas de risque à cet égard, même si des problèmes ponctuels peuvent apparaître, mais les industriels ont assez de matériaux pour tenir les objectifs qui ont été fixés.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Vous estimez que la filière peut répondre à la demande de massification des travaux de rénovation énergétique. Il n'y a pas de problème de formation du personnel ?
M. Jean-Claude Barbant. - La filière peut répondre à la demande. Nos entreprises ont le savoir-faire. Les besoins en main-d'oeuvre sont un souci constant, mais qui n'est pas propre à notre secteur. Des pénuries ponctuelles de certains produits importés peuvent sans doute apparaître ici ou là, mais, dans l'ensemble, nous ne sommes pas inquiets.
M. Philippe Boussemart. - Les industriels détenteurs de systèmes d'isolation thermique par l'extérieur disposent de centres de formation certifiés qui sont pleins et dans lesquels ils forment des compagnons ou des ouvriers. Ils interviennent aussi dans des centres de formation pour apprentis ou dans les lycées professionnels. Les syndicats professionnels s'efforcent de rendre le secteur attractif, car il est vrai que, dans le secteur du bâtiment, le nombre d'ouvriers qui partent à la retraite est plus élevé que le nombre de jeunes qui cherchent à y rentrer ; mais la filière réalise un effort important de formation.
Mme Élisabeth Bardet. - Les fabricants d'isolants en laines minérales doivent plutôt, en ce moment, gérer des arrêts de lignes de production, car le marché de la construction neuve baisse. Ils subissent aussi le contrecoup de la politique de stop and go concernant les aides à la rénovation énergétique. Néanmoins ils continuent à investir pour développer leurs capacités. Il n'y a donc pas de pénurie.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Ils ont besoin de stabilité !
Mme Élisabeth Bardet. - Absolument.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je vous remercie.
Audition
d'acteurs de l'isolation par les matériaux
biosourcés
(Lundi 15 mai 2023)
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Mes chers collègues, nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête par une table ronde consacrée à l'isolation par les matériaux biosourcés. Nous recevons ainsi les représentants de trois organismes.
L'Association des industriels de la construction biosourcée (AICB) est représentée par son président, M. Olivier Joreau, et par son secrétaire général, M. Yves Hustache. Elle représente les industries françaises produisant des matériaux à destination du marché de la construction à partir de ressources renouvelables. Elle mène plusieurs actions, comme la rédaction de règles professionnelles relatives à l'utilisation d'isolants en fibres végétales et la réalisation d'études sur les produits de construction biosourcés.
L'association Construire en chanvre est représentée par M. Philippe Lamarque, son président. Elle mène des actions de promotion de l'usage du chanvre pour les bâtiments et a noué des partenariats avec de nombreuses entreprises comme AgroChanvre, InterChanvre ou Lafarge.
Le Réseau français de la construction paille est représenté par Mme Coralie Garcia. L'association, née en 2006, fédère les acteurs de la filière et participe à la définition des règles relatives à la construction paille.
La filière des matériaux biosourcés utilisés dans le secteur de la construction est en forte croissance en France. En 2020, le volume des isolations réalisées grâce à des matériaux biosourcés était équivalent à 84 000 maisons individuelles, ce chiffre représentant une augmentation de 87 % par rapport aux quatre années qui précédaient.
L'utilisation des matériaux biosourcés présente en effet plusieurs avantages. Ceux-ci sont généralement biodégradables, renouvelables et produits en France. Ils affichent de bonnes performances en matière d'isolation, concernant notamment le « confort d'été » ; ils permettent de réduire les émissions de gaz à effet de serre ; ils peuvent être adaptés pour les bâtiments qui présentent un intérêt patrimonial.
Pour toutes ces raisons, les pouvoirs publics ont encouragé le développement des matériaux biosourcés. La loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte dispose que l'utilisation des matériaux biosourcés « est encouragée par les pouvoirs publics lors de la construction ou de la rénovation des bâtiments ». La réglementation environnementale 2020 pour la construction (RE2020) est favorable aux matériaux biosourcés. Dans ce contexte, quel jugement portez-vous sur les politiques menées visant à encourager l'utilisation des matériaux biosourcés ?
Ces derniers présentent toutefois une grande diversité. Quels sont les matériaux dont l'utilisation est la plus susceptible d'être « massifiée » dans l'isolation ? Et quels sont ceux dont le potentiel de développement en France est le plus important ?
Les matériaux biosourcés continuent également de susciter des interrogations dans le débat public. L'une des questions soulevées concerne l'usage des sols : la culture des végétaux utilisés pour la construction pourrait faire concurrence à d'autres cultures, notamment celles qui sont destinées à l'alimentation. Que répondez-vous à cette interrogation ?
Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions et pour un propos introductif d'environ dix minutes, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'elle fera l'objet d'un compte rendu publié.
Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite donc à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Olivier Joreau, Yves Hustache, Philippe Lamarque et Coralie Garcia prêtent serment.
M. Olivier Joreau, président de l'Association des industriels de la construction biosourcée (AICB). - Je précise que les matériaux biosourcés, s'ils sont renouvelables, ne sont pas biodégradables : ils sont durables dans le bâtiment et sont recyclables en fin de vie. Cette filière s'est fortement développée ces dernières années, car nous avons la chance, en France, de pouvoir utiliser des coproduits issus de la forêt ou de l'agriculture. Renouvelables à l'infini, ces matériaux présentent un intérêt considérable eu égard au risque d'épuisement des ressources fossiles. Ils sont disponibles sur tout le territoire et ont l'énorme avantage, du point de vue de notre souveraineté, de n'être pas importés, contrairement aux matériaux issus de la chimie par exemple.
Un autre avantage de ces matériaux issus des connexes végétaux est que leur production consomme peu d'énergie : il s'agit d'industries faiblement émettrices. Pour ce qui est du chanvre, par exemple, les fours tournent à 140 degrés et non à 1 000 degrés. Nos fiches de déclaration environnementale et sanitaire (FDES) traduisent très bien tout l'intérêt de ces matériaux d'origine végétale en matière de stockage du carbone : par l'effet de la photosynthèse, ce sont des puits de carbone. Ils ont certes un impact en fin de vie, cinquante ans après l'isolation, en rejet de carbone, et encore, seulement s'ils ne sont pas recyclés ; mais l'effet immédiat de leur utilisation est bien de stocker du carbone.
Dans le cadre de la rénovation énergétique, la filière des matériaux biosourcés a à traiter trois enjeux majeurs.
Il faut, premièrement, favoriser la rénovation globale. Actuellement, les rénovations se font le plus souvent sur des thématiques précises - changement de chaudière, menuiserie, etc. Or c'est l'enveloppe du bâtiment qu'il faudrait traiter, alors qu'une grande partie du dispositif MaPrimeRénov' est utilisée pour effectuer un ou quelques gestes. Il nous semble donc important de conditionner les aides d'État à une maîtrise d'oeuvre experte en matière de rénovation thermique, comme c'est le cas aujourd'hui dans le cadre de la RE2020 - il existe par exemple une obligation d'être accompagné par un architecte, en tout cas par un maître d'oeuvre, au-delà d'une certaine surface. Aujourd'hui, malheureusement, la rénovation énergétique n'est pas liée à une compétence spécifique.
L'article 39 de la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets prévoit l'obligation que l'usage des matériaux biosourcés intervienne dans au moins 25 % des rénovations énergétiques relevant de la commande publique. Mais aucun décret d'application n'a pour l'instant été publié... Nous souhaitons que cette obligation puisse être mise en oeuvre selon un calendrier précis, en sorte que nous puissions anticiper. La commande publique est un moyen de promouvoir le développement d'un réseau de professionnels qui pourront par la suite être utilisés sur des chantiers moins importants, par les particuliers notamment.
Deuxième enjeu : financer la massification industrielle de la filière à court et moyen terme pour répondre aux enjeux de la rénovation, et non seulement du neuf. L'industrie des matériaux biosourcés existe déjà en France : c'est un motif de satisfaction. À cet égard, la France est plutôt en avance, comme l'Allemagne. En tant que président de l'UICB, je représente des industriels ; nous allons doubler nos capacités dans les cinq ans à venir. On pourrait aller plus vite : plus on a de moyens, plus on peut développer des procédés innovants, s'agissant de produits techniques. Or le constat est que nous sommes peu accompagnés. L'État accompagne beaucoup la décarbonation des industries installées, ce qui est une très bonne chose, mais, quant à nous, bien que nos produits stockent du carbone, nous avons très peu d'aides lorsque nous déposons des projets pour massifier notre industrie et agrandir nos usines : c'est un regret et une demande.
Nous souhaitons également, pour nous aider à nous développer, un aménagement de la « responsabilité élargie du producteur » (REP), dispositif applicable depuis le 1er mai 2023. Il n'est pas très juste que nous soyons soumis à la REP alors que nos matériaux sont beaucoup plus durables que les matériaux traditionnels et stockent de surcroît du carbone : nous exonérer des surcoûts engendrés par la REP serait une façon de nous accompagner.
La diffusion de ces matériaux passe aussi par un accès facilité aux certifications. Les coûts de certification, pour de petites industries comme les nôtres, qui travaillent avec de nouveaux matériaux, représentent souvent un frein.
Troisième enjeu : favoriser l'utilisation et la visibilité des solutions biosourcées dans le cadre d'une nécessaire sobriété énergétique. Les certificats d'économie d'énergie (CEE) existent depuis maintenant plusieurs années ; ils ont donné lieu à de nombreux effets d'aubaine, du fait de la non-stabilité dans la durée des obligations d'économies d'énergie définies en kilowattheures cumac (cumulés actualisés), engendrant une succession d'explosions de la demande et de coups d'arrêt dans le secteur de l'isolation. Ces effets d'aubaine catastrophiques, qui peuvent aller jusqu'à l'écodélinquance, doivent être corrigés via une annualisation des quotas de CEE, afin d'éviter que des artisans tout juste formés ne se retrouvent sur le carreau.
Nous demandons également que les matériaux biosourcés se voient appliquer une bonification de MaPrimeRénov' et des CEE, afin de promouvoir le stockage du carbone dans l'acte de rénovation. Autre demande importante, qui nous semble justifiée par l'enjeu du stockage du carbone comme par celui de notre souveraineté industrielle, s'agissant de matériaux très difficiles à importer : nous plaidons pour la mise en place d'une TVA à taux réduit sur les matériaux biosourcés.
Mme Coralie Garcia, pour le Réseau français de la construction paille (RFCP). - Notre modèle est un peu différent de celui de l'Association des industriels de la construction biosourcée : nous sommes partis du matériau brut botte de paille, qui vient directement du champ. Nous ne passons donc pas à proprement parler par une industrie : peu de transport, pas de transformation par une machine, pas d'ajout d'intrants.
À l'origine, ce sont surtout des maisons individuelles qui ont été construites en paille, mais de plus en plus d'établissements recevant du public sont concernés - écoles, crèches, lycées, casernes de pompiers.
Notre association regroupe 500 entreprises adhérentes. Notre particularité est de faire la promotion d'un matériau agricole que nous transformons, grâce à notre savoir-faire, en matériau de construction. Ce matériau a l'avantage d'être très abondant : de la paille et des champs de blé, on en voit dès que l'on prend la route. Entre le champ et le chantier, une botte de paille parcourt seulement 50 kilomètres en moyenne... Il n'y a donc pas une industrie de la construction paille, mais beaucoup de petites industries présentes partout dans tous les départements : on en trouve toujours à moins de 100 kilomètres.
Nous n'avons pas de problème de concurrence des sols, car, je l'ai dit, la ressource est abondante - la France est exportatrice de paille. Dans l'hypothèse où l'intégralité du marché du neuf serait isolée avec de la paille, on n'utiliserait malgré tout que 10 % de la paille produite en France ! Les chaudières à paille sont en train de se développer ; cela nous attriste un peu qu'il faille brûler de la paille pour chauffer des bâtiments : mieux vaut utiliser la paille comme isolant. J'ajoute que la paille est un sous-produit de l'agriculture : on ne plante pas du blé pour produire de la paille destinée à l'isolation.
Notre travail a commencé sur le marché du neuf, domaine que nous connaissions le mieux. Depuis quelques années, nous essayons de développer l'isolation par l'extérieur, utilisation de la paille la plus pérenne. Nous pouvons nous prévaloir d'un nombre déjà relativement important de chantiers démonstrateurs pour promouvoir l'efficacité de nos techniques d'isolation, mais nos ressources financières sont assez limitées. Je précise que nos bottes de paille font entre 22 et 37 centimètres d'épaisseur : nos isolations en paille ont vocation à tenir au minimum cent ans. Le premier bâtiment isolé en paille, en France, date d'ailleurs de 1920 : ce recul concret, nous l'avons...
Nous manquons d'aides pour développer ces techniques : cela demande du travail de recherche, de formation, d'écriture de documents techniques. Nous avons en particulier des difficultés à faire reconnaître nos formations par France compétences, qui tarde systématiquement à nous répondre. Plus de 5 000 professionnels, dont 2 000 architectes, ont suivi la formation de cinq jours, dite « Pro-paille », que nous avons développée il y a une douzaine d'années.
Une autre de nos particularités est que notre isolant n'est pas certifié, puisqu'il ne passe pas par une usine ; or les aides sont souvent conditionnées au fait que l'isolant soit certifié Acermi (Association pour la certification des matériaux isolants). Ceux qui gèrent les dossiers ne se réfèrent qu'à cette certification, ce qui représente un frein important pour les particuliers qui souhaitent réaliser sur leur logement une isolation par l'extérieur en paille.
Je conclus par un maître-mot : la qualité. Il ne sert à rien de faire des travaux si c'est pour avoir à les refaire dans vingt ans...
M. Philippe Lamarque, président de Construire en chanvre, représentant Interchanvre. - Si tous les marchés biosourcés s'ouvrent, notre filière sera-t-elle capable de suivre le rythme ? Quelque 22 000 hectares de chanvre sont cultivés en France aujourd'hui, contre 180 000 hectares à la fin du XIXe siècle : la marge de progression est énorme, s'agissant d'une plante qui ne concurrence pas la filière alimentaire, puisqu'il s'agit d'une « tête d'assolement » - après le chanvre vient le blé. De surcroît, un agriculteur qui plante du chanvre, même en agriculture conventionnelle, n'utilise pas de produits phytosanitaires pour traiter son champ : quand on plante du chanvre, on réduit la consommation d'intrants.
La filière chanvre est une filière dite intégrée : Construire en chanvre travaille main dans la main avec InterChanvre, qui représente l'amont de la filière et s'occupe de tous les marchés hors construction. La filière a développé depuis une trentaine d'années des règles professionnelles qui permettent d'accéder à tous les chantiers, tous domaines d'emploi confondus, et a développé un label Granulat, le seul label Granulat végétal aujourd'hui disponible en France. Cette spécificité est reconnue à l'international : nous accompagnons la structuration de filières au Québec, au Maroc, en Afrique australe en exportant ce savoir-faire franco-français relatif à la construction.
Nous avons nous aussi des propositions, qui sont complémentaires de celles qui ont été formulées par Olivier Joreau.
L'adaptation de l'arsenal réglementaire, premièrement, est indispensable : actuellement, la réglementation qui régit l'ensemble des rénovations énergétiques est « câblée » sur le coefficient lambda, ou coefficient de conductivité thermique, qui mesure l'évacuation de la chaleur de l'intérieur vers l'extérieur du bâtiment. Il serait possible de pondérer ce facteur par un certain nombre de critères simples, en acceptant notamment des facteurs de résistance thermique plus bas pour les matériaux à perméabilité supérieure ou à inertie de chaleur d'été plus importante - tel est précisément le cas de ces matériaux biosourcés.
Nous militons par ailleurs pour l'intégration, dans la refonte en cours du label Bâtiment biosourcé, d'un chapitre « rénovation » qui bonifierait les aides allouées.
Deuxième orientation, pour ce qui est des dispositifs incitatifs : il faut sortir de la rénovation énergétique « monogeste » pour aller vers une logique de rénovation environnementale. Il existe un dispositif MaPrimeRénov' Sérénité qui permet de globaliser l'acte de rénovation, mais il est très peu mobilisé, car jugé kafkaïen : 60 000 dossiers seulement ont été financés dans ce cadre selon l'Agence nationale de l'habitat (Anah). Comment promouvoir une rénovation environnementale simple ? Il faut commencer par inclure les honoraires des accompagnateurs dans les aides allouées à la rénovation.
Troisième axe : l'accompagnement dans la durée via ce que j'appelle la « boîte à outils ». Il est nécessaire, à cet égard, d'encourager l'effort de formation à la transition écologique à tous les niveaux, formation initiale, formation continue, et pour tous les acteurs, entreprises, notamment celles qui sont labellisées RGE (« reconnu garant de l'environnement »), auditeurs énergétiques, opérateurs « Mon Accompagnateur Rénov' », mais également maîtres d'ouvrage professionnels et, pourquoi pas, corps préfectoraux et élus.
M. Yves Hustache, secrétaire général de l'AICB. - Les solutions biosourcées, on le voit, brillent par leur diversité, ce qui les qualifie particulièrement pour répondre au défi de la rénovation.
Dans le cadre de la stratégie nationale bas-carbone, la RE2020 a introduit l'enjeu du stockage du carbone pour le neuf : cette question du carbone est très importante. Or, aujourd'hui, elle n'apparaît pas dans le cadre réglementaire applicable à la rénovation. Il va donc falloir y pourvoir. Il est en particulier essentiel d'orienter les politiques publiques vers une utilisation accrue des matériaux biosourcés : les industriels y sont prêts, on l'a vu - de 27 millions de mètres carrés en 2020, la capacité de production de la filière va passer à 60 millions de mètres carrés dans les années à venir.
Nous plaidons, à l'appui d'une telle réorientation, pour des CEE bonifiés et pour la création d'un label Bâtiment biosourcé rénovation, afin que les maîtres d'ouvrage s'approprient les matériaux biosourcés - des réflexions très abouties existent déjà sur le sujet. Il a été question également d'un taux réduit de TVA : tout ce qui peut faciliter l'intégration du biosourcé dans l'acte de rénovation est bienvenu, car cela revient à y intégrer la question du carbone.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Je vous remercie pour vos explications, madame, messieurs.
La commission d'enquête s'est penchée sur l'ensemble des politiques publiques menées depuis le Grenelle de l'environnement, afin de comprendre ce qui marche et ce qui ne marche pas. Avec MaPrimeRénov', on commence à deviner comment tout cela pourrait fonctionner...
Avez-vous été associés aux différentes étapes de la mise en place de ces politiques publiques de la rénovation thermique ? Pour ce qui est du coefficient lambda et de l'intégration du biosourcé dans les calculs thermiques - je pense notamment à la question du confort d'été -, avez-vous participé aux travaux sur la réforme du diagnostic de performance énergétique (DPE) via la prise en compte de nouveaux critères qui pourraient permettre de mieux cibler les matériaux biosourcés ?
La massification et la préfabrication sont souvent présentées comme des réponses à l'accroissement des volumes des marchés de construction. Au fil des auditions, il a beaucoup été question de promouvoir des rénovations globales sur un périmètre donné, à l'échelle d'un quartier ou d'un territoire dans son ensemble. Une telle démarche vous paraît-elle intéressante ?
On sait que les questions de normes techniques et d'assurance sont particulièrement saillantes s'agissant de matériaux moins « normés » que les matériaux traditionnels. Comment rendre attractif, à cet égard, le recours aux matériaux biosourcés dans les marchés publics ?
Chacun en a conscience désormais, le carbone a une valeur. Par quel mécanisme pourrait-on rémunérer son stockage ?
Un mot sur l'autoconstruction, qui favorise « naturellement » l'utilisation de matériaux locaux et biosourcés : avez-vous des idées sur l'encadrement des chantiers d'autoconstruction ? Vu la façon dont fonctionnent les systèmes d'aides existants, les autoconstructeurs n'entrent dans aucune case...
Quel peut être le rôle de Mon Accompagnateur Rénov' là où il s'agit d'orienter les rénovations vers les matériaux biosourcés ?
M. Olivier Joreau. - Sommes-nous associés aux réflexions menées sur la rénovation en général et sur l'évolution du DPE en particulier ? Concrètement, non. C'est pour cette raison que nous avons créé des associations : pour que notre industrie, qui a quinze ans, soit représentée au niveau national et puisse porter des projets communs en matière de réglementation.
Nous avons subi la réglementation thermique 2012 (RT2012) ; quant à l'élaboration de la RE2020, nous y avons peu participé. Nous souhaitons qu'à l'avenir des associations comme les nôtres soient systématiquement prises en compte, sachant que le secteur des matériaux biosourcés représente aujourd'hui 10 % des actes de rénovation.
Travaillant dans une coopérative agricole, je suis bien placé pour savoir que rien ne permet actuellement la rémunération du stockage du carbone, étant entendu que les champs retiennent dans le sol 15 tonnes de CO2 par hectare, comme les forêts. Je précise que nous ne faisons aucunement concurrence à l'alimentation - le chènevis est d'ailleurs utilisé à des fins alimentaires, et, de manière générale, comme cela a été dit, le chanvre est une excellente tête d'assolement. Les détracteurs des matériaux biosourcés qui utilisent cet argument le font donc à mauvais escient.
Ces productions sont parfois moins intéressantes, à court terme, pour les agriculteurs, par rapport à des produits comme le blé dont le cours mondial est connu. S'ils les cultivent, c'est parce qu'ils y trouvent un intérêt en tant qu'agriculteurs - rotation des sols, moindre utilisation des produits phytosanitaires, etc. Mais le stockage du carbone n'est pas rémunéré : il existe un label Bas-carbone en agriculture, mais le carbone stocké dans le bâtiment n'est pas valorisé dans le bilan carbone de l'exploitation - c'est dommage. Cela pourrait se faire sur la base du volontariat, mais il n'existe aujourd'hui aucune solution réglementaire.
M. Philippe Lamarque. - Sommes-nous associés aux évolutions réglementaires ? Oui et non. Ces évolutions se font avec nous, sans nous ou contre nous. Et nous passons de toute façon sous les fourches caudines des textes applicables. Nous avons malgré tout participé aux travaux du Conseil national de la refondation (CNR) logement et avons été auditionnés par M. Guy Hascoët, dont le rapport, qui a été remis au ministre du logement, fait la part belle aux matières biosourcées.
Pour ce qui est de la massification des solutions industrielles du type isolation thermique des murs par l'extérieur (ITE), toute la filière s'organise et se tient prête. Je représente un fabricant de panneaux préfabriqués de béton de chanvre et la filière a déposé un dossier France 2030 spécifique sur les ITE ; nous serons auditionnés par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) dans le courant du mois de mai et l'enjeu est considérable : 1 million d'euros, pour nous, c'est beaucoup.
La plupart de nos règles professionnelles, comme de celles de la paille, ont été écrites pour le neuf et non pour la rénovation énergétique : nous avons ce cap à passer.
Un mot sur la formation des opérateurs Mon Accompagnateur Rénov' : il est indispensable qu'ils soient, sinon formés, du moins sensibilisés à l'utilisation des matériaux biosourcés, ce qui n'est pas du tout le cas aujourd'hui.
Quant au stockage carbone, s'il est valorisé, la rémunération doit revenir à l'agriculteur et non, au hasard, au promoteur immobilier : l'enjeu est de taille s'agissant de stabiliser la production de chanvre.
Mme Coralie Garcia. - Nos règles professionnelles ont été validées en 2012, voilà maintenant plus de dix ans ; elles couvrent la construction en paille de bâtiments jusqu'au niveau R+ 2. Or il existe aujourd'hui des bâtiments R+ 9 isolés en paille, et plusieurs bailleurs sociaux ont déjà fait le choix de l'ITE en paille : plusieurs HLM, à Paris, sont ainsi isolés, et des projets d'isolation de HLM R+ 7 et R+ 9 sont en cours à Grenoble.
Aujourd'hui, plus de la moitié des constructeurs qui utilisent la paille font de la préfabrication. La paille est d'ailleurs utilisée sous différentes formes : au départ, on se cantonnait à la botte de paille ; désormais, la paille hachée se développe, ainsi que les bottes à façon, de dimensions particulières, produites à la commande. Vous le voyez, le marché se développe et la demande est forte, motivée par la volonté de faire baisser les coûts énergétiques liés au chauffage.
Dans les bâtiments HLM qui ont été bien isolés, on observe une nette diminution de la rotation des locataires et les économies sont considérables pour les bailleurs sociaux.
Il était question d'isoler par quartier ; je plaide pour qu'on isole aussi par type de bâtiments afin de faire des économies d'échelle.
Pour ce qui est de l'autoconstruction, nous connaissons bien ce sujet : la construction en paille a démarré avec des autoconstructeurs. Il est important d'intégrer à nos réflexions les particuliers qui souhaitent faire eux-mêmes des travaux de rénovation chez eux - ils sont nombreux et savent bricoler sans toujours bien connaître certains problèmes techniques comme celui de la diffusion de la vapeur d'eau. L'autoconstruction est à valoriser, mais aussi à accompagner avec des professionnels compétents. Prenons le cas d'une isolation par l'extérieur : on peut imaginer de laisser faire les travaux par un professionnel jusqu'à la lame d'air, le bardage étant posé par l'autoconstructeur.
Nous avons un rôle à jouer au niveau européen, car la France est très avancée en matière d'utilisation des matériaux biosourcés : elle compte plus de bâtiments en paille que tous les autres pays européens réunis. Nous avons conduit le projet européen UP Straw (Urban and Public Buildings in Straw) et sommes pris en exemple. Nos règles professionnelles ont ainsi été traduites en italien, en espagnol et en anglais : nous avons une impulsion à donner en vue d'une diffusion à plus grande échelle, d'autant qu'il y a dans tous les pays du chanvre, de la paille ou du bois.
M. Yves Hustache. - Pour ce qui est du neuf, nous avions été sollicités au moment de la modification du cadre réglementaire ; pour ce qui est de la rénovation, si toutefois une réglementation était mise en place, il serait important que les filières biosourcées puissent participer.
Reste la question du cadre normatif, celui des avis techniques : c'est ce qui garantit la qualité des bâtiments et des ouvrages. On constate néanmoins, concernant les exigences imposées dans les dossiers d'instruction, une certaine surenchère, qui peut freiner le développement de la filière.
Quant à la place de Mon Accompagnateur Rénov', elle est très importante. Nous sommes favorables à ce qu'un maître d'oeuvre compétent dans le domaine des matériaux biosourcés et connaissant bien l'existant suive les travaux de rénovation, avec une obligation de résultat.
M. Franck Montaugé. - Je souscris tout à fait à la logique qui consiste à rémunérer les agriculteurs pour leurs prestations de services environnementaux. Mais j'ai compris que le stockage de carbone se faisait au champ, non dans le bâtiment lui-même.
M. Olivier Joreau. - Le stockage se fait à l'exploitation.
M. Franck Montaugé. - Quand on compare entre eux les matériaux de construction, on le fait en prenant en compte à la fois la phase d'élaboration de la matière première et le processus de construction : ai-je bien compris ?
M. Olivier Joreau. - Tout à fait.
Mme Coralie Garcia. - En stockant du carbone dans un bâtiment, on décale le rejet du carbone à quarante ou cinquante ans, soit la durée de l'isolation.
M. Philippe Lamarque. - Le carbone est séquestré pendant la durée de vie du bâtiment, mais de surcroît le chanvre ou la paille sont entièrement recyclables. Notre analyse du cycle de vie (ACV) se fait sur un horizon temporel de cent ans : la durée de vie de nos matériaux est exceptionnelle, d'autant qu'en bout de cycle on peut en recycler l'intégralité.
M. Olivier Joreau. - Actuellement, dans la FDES, la fin de vie des matériaux est prise en compte - on considère que le carbone stocké est déstocké en fin de vie -, bien que l'on sache qu'en l'espèce il sera possible de les recycler. Nous sommes donc pénalisés : ce n'est pas très juste. À aucun moment ce stockage du carbone n'est valorisé dans l'analyse.
M. Franck Montaugé. - Vous avez évoqué la problématique de la certification des produits. Quid de l'acceptation de ces matériaux par les assurances ? Est-ce un sujet ?
Mme Coralie Garcia. - Les règles professionnelles que nous avons écrites voilà dix ans ont permis de lever cet obstacle : les entreprises ont accès à une assurance décennale. Reste qu'elles ont été écrites pour le neuf. Pour ce qui est de l'isolation par l'extérieur et de la rénovation, il faut continuer ce travail. J'ai justement engagé cet effort d'aménagement des règles professionnelles et de rédaction d'avis techniques, qui est en bonne voie, mais nous avons peu de moyens, malgré les aides de l'Ademe, pour le mener à bien.
M. Yves Hustache. - Cela reste en effet un sujet. Des produits nouveaux se développent : il faut les faire entrer dans le cadre normatif pour que les assureurs considèrent leur utilisation comme relevant des techniques courantes, ouvrant droit à des assurances décennales, etc.
Aujourd'hui, on peut construire un bâtiment avec les produits biosourcés existants dans un cadre sécurisé reconnu par les assurances. Compte tenu de l'innovation, le travail doit néanmoins continuer.
M. Olivier Joreau. - Je pense aux contraintes liées au risque incendie pour les bâtiments R+ 3 ou R+ 4 : des solutions existent, mais les travaux à mener pour passer les tests de certification sont considérables. Pour des filières jeunes comme les nôtres, les coûts afférents sont énormes : d'où l'intérêt de les soutenir pour qu'elles puissent investir en trouvant des débouchés.
M. Franck Montaugé. - On peut construire avec de la terre crue en y mélangeant éventuellement de la paille. L'utilisation de matériaux biosourcés dans la construction neuve peut-elle avoir des conséquences positives sur la rentabilité de l'ensemble de vos activités, rénovation énergétique comprise, donc sur le modèle économique de vos filières ?
M. Philippe Lamarque. - Grâce à la loi Climat et résilience et à la RE2020, nous avons ouvert en Île-de-France l'usine Wall'up Préfa, première usine au monde de production de panneaux préfabriqués isolés en béton de chanvre : parce que le marché s'ouvrait, nous avons pu industrialiser. Reste la question de la rentabilité initiale pour l'agriculteur, c'est-à-dire de sa rémunération en amont : le cours du chanvre est trop bas, par rapport à celui du blé notamment, pour permettre une explosion des mises en culture - d'où l'enjeu de la rémunération du stockage du carbone.
M. Olivier Joreau. - Lorsque l'État envoie un signe via la réglementation, cela fonctionne : la RE2020 a eu un véritable effet d'accélération pour l'utilisation des matériaux biosourcés dans la construction neuve. Les industriels s'y mettent, car l'importance de l'enjeu du stockage du carbone ne va faire que croître, l'indice carbone étant l'un des trois indicateurs de la RE2020. L'enjeu majeur de demain, c'est la rénovation, sachant que le foncier va manquer.
De manière générale, le potentiel de valorisation de la biomasse agricole doit être exploité.
M. Franck Montaugé. - Le prix du carbone est une question fondamentale...
Mme Sabine Drexler. - Comment expliquer la persistance de ces points bloquants - défaut d'association aux politiques publiques, surenchère normative, complexité et longueur des procédures de labellisation, non-reconnaissance du stockage du carbone -, alors même que tout le monde plébiscite l'utilisation des matériaux biosourcés ?
M. Philippe Lamarque. - Le dépôt d'un dossier MaPrimeRénov' se révèle le plus souvent kafkaïen, et seul le coefficient lambda est pris en compte. Ainsi est-on conduit à privilégier, par exemple, le polyuréthane chinois sur le matériau biosourcé, dont le lambda est dégradé bien qu'il « embarque » un certain nombre de qualités spécifiques qui ne sont pas valorisées dans le cadre réglementaire en vigueur - inertie à la chaleur d'été, hygroscopie, etc. On crée ainsi les conditions de la survenue, demain, de situations pathologiques.
Mme Coralie Garcia. - Les enduits ciment parfois utilisés pour rénover des constructions en pisé posent le même problème : avec des matériaux manufacturés, on empêche l'évacuation de la vapeur d'eau par les parois.
Pour se lancer dans un chantier de rénovation, il faut être propriétaire ; il faut un peu d'argent de côté pour autofinancer une partie des dépenses ; il faut un bac+ 5 pour bien comprendre les enjeux du dossier : cela fait beaucoup de conditions. Comment démêle-t-on le vrai du faux ? Tout le monde n'est pas formé à ces questions. Et le coût est une variable importante : isoler au polystyrène, cela va plus vite - mais il faudra tout refaire dans vingt ans...
M. Olivier Joreau. - Nous n'avons pas abordé le sujet de la compétitivité. Il y a quelques années, l'écart de prix entre matériaux traditionnels et matériaux biosourcés était de l'ordre de 25 % ou 30 % ; il s'est fortement réduit avec l'industrialisation des filières, mais nos coûts de revient restent supérieurs à ceux de l'industrie traditionnelle, dont la massification est achevée.
Le prix étant souvent déterminant, l'enjeu d'une TVA à taux réduit sur les rénovations est essentiel : ainsi gommerait-on le petit écart qui demeure et pourrait-on financer la formation des artisans.
M. Michel Dagbert. - Quel est le surcoût actuel ?
M. Olivier Joreau. - L'écart se situe entre 7 % et 10 % en construction neuve. Accompagnés par un architecte spécialisé, nous avons construit un bâtiment de 370 mètres carrés en matériaux biosourcés, en l'occurrence en béton de chanvre préfabriqué : l'écart est de 70 000 euros sur un marché de 1 million d'euros.
Certaines industries très gourmandes en énergie ont plus fortement augmenté leurs prix que nous ne l'avons fait, car nous sommes peu gourmands en énergie ; cette situation est peut-être conjoncturelle, mais la différence s'est encore réduite.
Globalement, l'écart diminue à mesure que nos filières s'industrialisent. L'avenir est à la préfabrication industrielle.
M. Michel Dagbert. - Vous évoquiez le projet européen UP Straw.
Mme Coralie Garcia. - Il s'agissait de tirer vers le haut les autres pays : nous ne partons pas tous avec les mêmes bases.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Une précision : nous avons déposé à plusieurs reprises un amendement visant à instituer un taux réduit de TVA sur l'utilisation de matériaux biosourcés ; il est même arrivé que cet amendement soit voté par le Sénat !
Comment mieux valoriser les matériaux biosourcés dans le calcul du coefficient lambda ? Actuellement, un matériau biosourcé est pénalisé dans le DPE : ses qualités sont très mal, voire pas du tout, prises en compte. Autrement dit, le mode de calcul est défavorable au choix du biosourcé ; le coefficient lambda ne fonctionne pas.
Or la sensation de confort est très différente en fonction des matériaux : on aura tendance à mettre le chauffage à 25 degrés dans une construction en métal contre 18 degrés dans une construction en chanvre ou en paille. L'économie d'énergie à la clé est énorme...
Mme Coralie Garcia. - Nous avons eu ce projet en commun avec d'autres filières biosourcées : réfléchir à une réforme du coefficient lambda. Cette question est très complexe et très technique - le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB), notamment, s'y est frotté.
On se rend compte en tout cas que les paramètres à prendre en compte sont nombreux. Le phénomène que vous avez décrit est bien connu en physique : c'est l'asymétrie de rayonnement.
Comment intégrer cette question dans le DPE ? Il faudrait avancer sur l'élaboration d'un « équivalent lambda » pour les matériaux biosourcés, calculé en fonction de leurs caractéristiques propres, inertie, densité, hygroscopie, propriété de bloquer les fuites d'air parasites, etc. Nous manquons de budgets pour analyser tout cela de manière plus approfondie, mais nous y travaillons déjà avec le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) et avec l'Institut technologique FCBA (forêt, cellulose, bois-construction et ameublement).
M. Yves Hustache. - C'est un sujet scientifique complexe : nous avons un projet en cours avec le FCBA et le Laboratoire d'études et de recherche sur le matériau bois (Lermab) pour essayer de mieux caractériser les choses.
Le coefficient lambda mesure le confort d'hiver, mais ne prend pas du tout en compte le confort d'été, qui est pourtant l'une des caractéristiques distinctives des matériaux biosourcés, dont la capacité thermique et la densité sont supérieures à celles des matériaux plus conventionnels. Il n'existe aucune traduction réglementaire de cette différence de ressenti qu'expérimentent ceux qui vivent dans des bâtiments biosourcés.
M. Olivier Joreau. - Un projet collectif de R&D est en cours pour prouver ce bénéfice hygrométrique des matériaux biosourcés. Le défi consiste à le modéliser, sachant que l'hygrométrie varie tous les jours.
Mme Sabine Drexler. - Si je comprends bien, vous manquez de moyens pour aller aussi rapidement et aussi loin qu'il le faudrait sur ces questions ? Le patrimoine bâti est actuellement en péril : des maisons isolées avec des matériaux inadaptés commencent à être démolies. Le sujet que nous sommes en train d'évoquer a donc un caractère d'urgence : il ne faut pas perdre de temps, car on se dirige vers un saccage patrimonial.
M. Philippe Lamarque. - Nous avons besoin de moyens supplémentaires, mais le dispositif MaPrimeRénov' Sérénité autorise déjà, depuis 2021, à déroger sous certaines conditions aux diktats du coefficient lambda. Nous attendons désormais la mobilisation d'une maîtrise d'oeuvre susceptible d'accompagner les rénovateurs de tous acabits, assortie d'une obligation de résultat.
M. Olivier Joreau. - Reste que le manque de moyens est patent, s'agissant de sujets de R&D complexes, qui exigent l'installation de chambres d'essai. Le CSTB doit jouer son rôle, mais ses ressources financières ne sont pas illimitées... Comment accompagner cet effort de modélisation ?
Mme Coralie Garcia. - En pratique, nous savons que l'isolation en matériaux biosourcés fonctionne bien, qu'il s'agisse d'utiliser des bétons végétaux, chaux-chanvre, terre-chanvre, ou d'isoler par l'extérieur des murs en pisé avec de la paille ; mais nous manquons de moyens pour le prouver, parce qu'un bâtiment est une réalité complexe : c'est de l'humain et de la physique. Mais, en pratique, cela fait des millénaires que des bâtiments sont isolés en torchis ou en chaux.
M. Olivier Joreau. - Aujourd'hui, les matériaux sont caractérisés et les coefficients lambda mesurés en usine. Ce qu'il faut réussir à modéliser, c'est la complexité d'un bâtiment. Nous souhaiterions la réalisation de tests in situ sur plusieurs années, afin d'évaluer l'influence de nos matériaux sur l'amélioration du confort ressenti par les usagers, mais cela coûte cher.
Mme Coralie Garcia. - Comment recréer ce qui se passe dans une botte de paille ? La réalisation de tests suppose de faire des modèles miniatures...
M. Michel Dagbert. - Il faut de surcroît tenir compte des interactions avec le bâti existant : un même matériau isolant ne donnera pas les mêmes résultats selon qu'il s'applique à un bâtiment dont l'enveloppe est en béton cellulaire ou en brique.
Mme Coralie Garcia. - On nous demande de simuler des effets en laboratoire en utilisant de petites boîtes. Il faudrait pouvoir expertiser à échelle réelle : faire de véritables tests avec de véritables gens et de véritables bâtiments.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Êtes-vous en lien avec les Grands ateliers de L'Isle-d'Abeau, en Isère, structure unique en France qui regroupe architectes, entreprises et artisans travaillant sur des prototypes de bâtiments en matériaux biosourcés de tous types ? Une telle initiative permet de mettre l'accent sur la formation, sur le lien entre les acteurs et sur l'effort de normalisation des procédés.
Mme Coralie Garcia. - Nous les connaissons bien.
M. Philippe Lamarque. - L'État nous accompagne, via la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) ou l'Ademe. Ce qui nous manque, c'est un accompagnement pluriannuel. Un contrat d'objectifs permettrait de sortir de la logique du « coup par coup », qui nous oblige à redéposer un dossier chaque année. Nous passons plus de temps à accomplir des démarches administratives qu'à réaliser des essais et à développer des techniques...
Table ronde
d'acteurs du secteur de
l'énergie
(Lundi 15 mai 2023)
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Mesdames et messieurs, mes chers collègues, je vous remercie d'être venus en nombre pour cette dernière audition de la journée. Nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête par une table ronde réunissant plusieurs acteurs du secteur de l'énergie. Nous recevons les représentants de cinq organismes.
L'Ignes, constituée de trentre-huit entreprises, est l'alliance des industriels proposant des solutions électriques et numériques au service des bâtiments et de leurs occupants. Elle est représentée par M. Bruno Capbordy, vice-président, et par Mme Anne-Sophie Perissin-Fabert, déléguée générale.
Mme Cindy Demichel, présidente et cofondatrice de Celsius Énergie, start-up de géoénergie, et Mme Armelle Langlois, directrice du pôle performance durable de Vinci construction représentent le collectif France géoénergie. Ce jeune collectif, créé en novembre 2022, a pour mission de rendre visibles le potentiel et la pertinence de la géothermie et d'accompagner particuliers et professionnels dans le déploiement de cette solution de chauffage et de rafraîchissement.
La Fédération des services énergie environnement (Fedene) est représentée par son président, M. Pierre de Montlivaut. La Fedene regroupe sept syndicats et cinq cents entreprises engagées pour l'efficacité énergétique, le développement d'énergies renouvelables et la récupération thermique.
Mme Christine Goubet-Milhaut est la présidente de l'Union française de l'électricité (UFE). L'UFE regroupe cinq cents entreprises et représente l'ensemble des acteurs présents sur la chaîne de valeur du secteur électrique français.
Enfin, France Gaz est représenté par son délégué général, M. Thierry Chapuis, également président de France gaz maritime. Ce syndicat professionnel de l'industrie gazière française couvre le gaz naturel, renouvelable, l'hydrogène et le GPL.
Mesdames et messieurs, vous intervenez dans le domaine de l'énergie dans différents secteurs : géothermie, réseaux de chaleur, gaz, énergies renouvelables, électricité et pilotage des consommations.
Afin d'atteindre nos objectifs de décarbonation à horizon 2050, le secteur du logement doit drastiquement diminuer ses consommations d'énergie et réduire ses émissions de gaz à effet de serre. L'optimisation des consommations et le recours à des modes de chauffage décarbonés sont deux solutions communément admises pour y parvenir.
Si l'électrification des modes de chauffage contribue à la décarbonation du secteur, le tout électrique n'est pas une solution envisageable : il s'agit d'une impasse technique, nos capacités de production n'étant pas en mesure d'alimenter un parc de logements massivement chauffés et refroidis à l'électricité. Quelles opportunités peuvent donc offrir les réseaux de chaleur et la géothermie en termes de décarbonation et d'efficacité énergétique ? Ces deux modes de chauffage et de refroidissement semblent insuffisamment développés au regard de leurs qualités telles que de faibles émissions, de chaleur issue de sources d'énergies renouvelables en majorité, de facilités de raccordement, ainsi que de confort d'été. De même, quelles perspectives le biogaz peut-il offrir ? Cette source d'énergie décarbonée peut-elle participer à une diversification du mix de chauffage et d'eau chaude sanitaire du logement ?
S'agissant de la diminution de nos consommations, comment les solutions de pilotage peuvent-elles être massifiées, afin de garantir une optimisation - donc une baisse - des consommations, ainsi qu'une prise de conscience collective de nos usages ?
Finalement, pour assurer une réponse et une adaptation du secteur, quels sont les besoins en termes de formation, tant des jeunes que des professionnels actifs pour vos filières ?
Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.
Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mmes Cindy Demichel, Christine Goubet-Milhaut, Armelle Langlois, Sophie Perrissin-Fabert et MM. Bruno Capbordy, Thierry Chapuis et Pierre de Montlivaut prêtent serment.
Mesdames, messieurs, je vous remercie. Vous avez la parole.
M. Bruno Capbordy, vice-président de l'Ignes. - Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie de donner à l'Ignes l'opportunité de présenter ses solutions de pilotage dans le logement.
L'Ignes est un syndicat de fabricants, présidé par Benoît Coquart, directeur général du groupe Legrand. Il regroupe quarante entreprises françaises et européennes (petites et moyennes entreprises, entreprises de taille intermédiaire et grands groupes), représentant 300 000 emplois en Europe, dont 100 000 en France. Ces entreprises travaillent sur les solutions électriques et numériques du bâtiment, c'est-à-dire l'infrastructure de distribution électrique, numérique et d'énergie dans les logements ou dans les bâtiments inférieurs à 1 000 mètres carrés.
Faute d'équipements, ces bâtiments génèrent de l'inconfort et du gaspillage. Le manque de pilotage des consommations énergétiques - notamment du chauffage pièce par pièce - est la cause principale de cet inconfort. Le déploiement insuffisant de ces solutions de pilotage pièce par pièce ou usage par usage engendre également des pertes d'énergies. Sans équipement de pilotage, une famille de quatre personnes doit effectuer vingt-quatre gestes d'économie par jour pour atteindre les objectifs de baisse de consommation ce qui génère de l'inconfort et une non-opérationnalisation des gestes d'économie d'énergie. De plus, ces solutions de pilotage permettent d'éviter le gaspillage d'énergie lors de l'absence des usagers, et ce à la fois dans les petits bâtiments et dans les logements.
Dans le parc actuel, les solutions de pilotage sont souvent limitées à des thermostats, dont la technologie et l'interface utilisateur sont trop anciennes ce qui obère la capacité des ménages de piloter la consommation de ces bâtiments.
La massification de ces solutions permettra d'apporter de la finesse, de la réactivité et de s'adapter à la nécessité du pilotage de la chaleur dans les logements.
Les chaudières et les pompes à chaleur sont généralement équipées d'un thermostat programmable que les ménages sont réticents à manipuler. Par ailleurs, celui-ci ne régule qu'une seule prise de température et ne permet pas un pilotage pièce par pièce - ce dernier étant grand facteur d'économie d'énergie en s'adaptant au cycle d'utilisation du logement.
Notre objectif est de montrer que tous les déploiements que nous avons réalisés en termes de pilotage des consommation pièce par pièce permettent de réaliser des économies substantielles, en simplifiant les gestes afin de limiter l'inconfort et de faire baisser les charges des ménages. En suivant le cycle de vie du logement, ces solutions de pilotage automatisées limitent la consommation aux heures, espaces et intensité adéquats grâce à une adaptation à l'inertie du logement.
Ces solutions représentent un réel gisement d'économies d'énergie. Une étude publiée par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) démontre que les thermostats connectés permettent de réaliser jusqu'à 15 % d'économie d'énergie. Nos propres observations montrent qu'un pilotage connecté pièce par pièce permet d'atteindre et même de dépasser 20 % d'économie d'énergie.
Ces solutions induisent quatre effets :
- elles limitent l'effet rebond lié aux travaux de rénovation, les ménages ayant tendance à chauffer un peu plus ;
- ces solutions accompagnent les personnes âgées grâce à un système automatisé s'autorégulant ;
- elles garantissent un retour sur investissement rapide en trois à cinq ans, les solutions étant peu onéreuses et rapidement déployables ;
- elles répondent aux besoins de flexibilité des consommations des logements, par exemple en réponse aux alertes Ecowatt rouges.
Aujourd'hui, nous observons que les politiques publiques déployées autour de la rénovation des logements fonctionnent par technologie. Nous pensons que ces technologies doivent être appréhendées dans leur ensemble et qu'il est nécessaire de « désiloter » les différents sujets : isolation, chauffage, pilotage, etc.
Il faut également « désiloter » la notion de confort et de gaspillage d'énergie en été, et en hiver. En effet, le réchauffement climatique induit une accélération des coûts de climatisation ou de ventilation. Les technologies de pilotage permettent de réguler l'apport de calories l'hiver comme l'été, en utilisant les volets roulants pour accroître ou limiter l'entrée de la chaleur et pour faciliter le brassage d'air. Cette régulation de la température permet de mieux vivre dans un logement et de moins subir les effets du réchauffement climatique.
Le pilotage de la climatisation est un facteur d'amélioration de la performance énergétique et de décarbonation, grâce à la réduction du gaspillage d'énergie induite par l'adaptation aux différents usages et aux différentes zones des logements.
Il nous paraît donc essentiel d'introduire cette notion de sobriété et de confort d'hiver et d'été dans les travaux, aujourd'hui inexistante.
Mme Armelle Langlois, déléguée générale de l'Ignes. - Mon intervention a pour objectif de démontrer que les solutions de pilotage ne sont pas suffisamment prises en compte dans les différents dispositifs d'aide publique.
La RE2020 prend significativement en compte les aspects de sobriété d'été, avec des indicateurs dédiés comme les degrés-heures d'inconfort ou le besoin bioclimatique (Bbio), ou la notion de pilotage par pièce : les technologies liées à ces enjeux sont bien couvertes en ce qui concerne la construction neuve.
Il n'en est pas de même pour la rénovation, puisque cette solution n'existe pas dans le dispositif MaPrimRénov'. Depuis longtemps, l'Ignes et d'autres acteurs présents autour de la table plaident pour la mise en place d'un bonus pour l'installation de thermostats lors de gestes de travaux subventionnés par MaPrimeRénov'.
Les certificats d'économie d'énergie (CEE) pour les thermostats sont d'un montant faible, entre vingt et cinquante euros, ils sont par conséquent peu utilisés et distribués. Nous essayons, à travers le programme Oscar, de mettre en place une solution permettant de mieux les distribuer à travers les distributeurs professionnels. Par ailleurs, concernant la sobriété d'été, la réglementation actuelle impose que les bâtiments soient climatisés pour que les solutions mobiles comme les stores ou l'automatisation des ouvertures soient éligibles aux CEE. C'est pour nous une véritable ineptie réglementaire dont nous réclamons la modification car elle incite à la mise en place d'une climatisation avant l'installation de solutions de sobriété.
Par ailleurs, pour adapter les logements au réchauffement climatique, il est essentiel de s'interroger sur les scénarios climatiques utilisés. Nous plaidons pour que le calcul de Cumac soit basé sur des scénarios prospectifs afin de mieux valoriser les solutions déployées.
Nous sommes aussi très maltraités dans le diagnostic de performance énergétique (DPE). Le DPE prévoit une information sur le niveau de confort d'été (rouge, orange et vert), basé sur le caractère traversant des logements, la présence de brasseurs d'air ou de volets. Il ne tient pas compte de la performance de ces solutions ni de leur qualité. Par ailleurs, dans la description des équipements techniques, le diagnostic comporte une case sur la présence de solutions de pilotage du chauffage très élémentaires (mode jour/nuit), sans tenir compte de leur performance. Les solutions de pilotage intelligent ne sont également pas valorisées dans la méthode de calcul déterminant l'étiquette du logement.
Il nous semble donc important de faire évoluer le DPE qui est devenu un élément clé de discussion, de compréhension des enjeux et de propositions pour les professionnels. Il est essentiel d'intégrer ces éléments de sobriété dans le DPE, à la fois de façon informative, avec une description claire des équipements présents dans les logements et une valorisation de leur performance, afin de permettre aux diagnostiqueurs de proposer des solutions.
Les enjeux de sobriété d'été pour l'adaptation des logements et de pilotage des consommations ne sont donc aujourd'hui pas du tout intégrés dans la réglementation concernant l'existant.
Mme Cindy Demichel, collectif France géoénergie. - Nous vous remercions de donner à notre nouveau collectif l'opportunité de présenter son action. Ce collectif est né à la suite de la parution du rapport du Haut-Commissariat au plan Responsabilité climatique. La géothermie de surface : une arme puissante et du Plan d'action géothermie du Gouvernement.
France géoénergie regroupe une quarantaine d'acteurs, des entreprises du bâtiment, des énergéticiens, des sociétés foncières, des promoteurs et des professionnels de la géothermie.
L'Université de la Ville de demain et l'institut Palladio sont à l'origine de la création de ce collectif afin de systématiser le recours à la géoénergie - c'est-à-dire à la géothermie de surface. France géoénergie également soutenu par Celsius énergie, Equans et le bureau de recherches géologiques et minières (BRGM).
La géothermie de surface est une technique millénaire qui capte l'énergie sous les bâtiments, dans les deux cents premiers mètres de terre. Ces calories sont captées en hiver pour chauffer les bâtiments et sont rejetées dans le sol en été pour les refroidir, à l'échelle d'une maison, d'un bâtiment ou d'un quartier.
La géothermie profonde descend à plusieurs centaines ou plusieurs milliers de mètres de profondeur pour rejoindre un aquifère et alimenter des réseaux de chaleur.
Il est également possible de capter de l'électricité dans le sol, cependant cette pratique est surtout développée dans les territoires d'outre-mer.
Depuis 2017, le Sénat, qui était auparavant connecté au gaz, est chauffé et refroidi grâce à la géothermie de surface. Je vous propose à cet effet d'organiser une visite des installations. Sorte de « prise à la terre », deux puits captent les calories présentes dans la terre à l'aide d'une pompe à chaleur afin de chauffer les bâtiments l'hiver. En été, ces puits rechargent le sous-sol avec les calories présentes dans les bâtiments. Alors que la climatisation traditionnelle rejette la chaleur d'un bâtiment dans la rue et participe aux îlots de chaleur urbains, la géothermie la stocke dans le sous-sol pour la réutiliser l'hiver suivant. Avec le remplacement du gaz par la géothermie, la consommation d'énergie du Sénat a été divisée par quatre et ses émissions de carbone par dix.
La géothermie s'inscrit dans une démarche globale de sortie des énergies fossiles pour le neuf et de mise en place de systèmes hybrides pour les rénovations en s'appuyant sur les moyens de chauffage existants.
France géoénergie a vocation à être un bras armé opérationnel pour la systématisation du recours à la géothermie de surface.
En termes d'aides, le fonds Chaleur de l'Ademe peut être mobilisé. J'ajoute que le coût de la géoénergie est imbattable par tonne de carbone évitée.
Cependant, la Suisse fore huit fois plus de puits de géoénergie que la France alors que ce pays est huit fois plus petit que le nôtre. Nous disposons donc des marges de progression très importantes, d'autant plus que 97 % du territoire français sont éligibles à la géoénergie, soit par la captation d'eau, soit en captant directement la chaleur du sol à l'aide d'un échangeur thermique. Le potentiel de la géothermie est gigantesque et a été évalué à au moins 100 térawattheures. Il s'agit d'une technologie écologique et sociale qui permet de réaliser d'importantes économies : le maire de Chartres a ainsi annoncé qu'il avait divisé par dix la facture énergétique de la mairie en la branchant sur la géoénergie.
La direction immobilière de l'État, qui gère des milliers de mètres carrés, s'intéresse de près à cette ressource locale.
La construction d'une installation prend quelques mois mais une fois en place, elle offre une solution low tech de chauffage l'hiver et de rafraîchissement passif l'été, permettant d'éviter les nuisances sonores, visuelles et la contribution aux îlots de chaleur des systèmes de climatisation.
Le retour sur investissement prend, en tenant compte des aides du Fonds Chaleur, cinq à quinze ans. Il existe également des modèles financiers permettant de lisser l'investissement de départ, notamment grâce à des opérateurs ensembliers.
La géothermie de surface est considérée par Nexity comme le « sucre rapide » de la décarbonation, l'étape numéro une dans la sortie du fossile.
Cependant, aujourd'hui, la géothermie ne représente que 1 % de la chaleur en France. Il y a donc un besoin très fort de sensibilisation du grand public mais aussi de formation des bureaux d'études, des services techniques des collectivités et des acteurs de l'énergie, notamment avec la formation de 7 000 foreurs.
Quinze villes « Action coeur de ville » (Sète, Draguignan, Niort, Chartres, etc.) sont actuellement territoires pilotes de la géoénergie, à la fois dans le but de réduire leur facture énergétique mais aussi afin d'être plus attractives.
Je conclus en vous rappelant que l'exposition Urgence climatique, inaugurée hier à la cité des sciences et de l'industrie par monsieur le ministre Christophe Béchu, présente la géoénergie.
Armelle Langlois, collectif France géoénergie. - Le grand public considère généralement que la géothermie nécessite un très gros investissement initial. Les retours sur investissements étant plutôt rapides, il est possible de proposer des solutions sans mise initiale, via des financements structurés comme les contrats de performance énergétique et des opérateurs ensembliers, mis en place par la loi n° 2023-222 du 30 mars 2023 visant à ouvrir le tiers financement à l'État, à ses établissements publics et aux collectivités territoriales pour favoriser les travaux de rénovation énergétique. Dans ce schéma, l'opérateur est rémunéré par les économies générées, ce qui permet de lever le principal frein au déploiement de cette solution : l'investissement initial.
Si les CEE sont des outils formidables sur des gestes rapides, une rénovation globale peut prendre deux à trois ans et ces certificats ne sont plus valorisés de la même manière à la fin de la période. Le changement de période de CEE a un effet rétroactif sur les engagements pris par les constructeurs et les maîtres d'ouvrage.
Une copropriété souhaitant sortir des énergies fossiles va bénéficier d'aides dans le cadre de MaPrimeRénov'. Cependant, si quelques années après elle souhaite engager d'autres investissements, elle ne sera plus éligible. Il serait donc intéressant de mettre en place un parcours coordonné dans le temps permettant d'avoir accès à des aides pour que les travaux soient financièrement soutenables.
M. Pierre de Montlivault, président de la Fédération des Services Énergie Environnement (Fedene). - Je vous remercie de nous avoir invités ensemble car je crois que nous partageons tous des adhérents, à l'exception peut-être de l'Ignes, mais les membres de la Fedene sont de gros consommateurs des solutions commercialisées par ses adhérents.
La Fedene regroupe cinq cents entreprises spécialisées d'une part dans les économies d'énergie et d'autre part dans la chaleur renouvelable et de récupération.
Nous sommes exploitants des solutions que nous avons construites, que ce soit en termes de réduction de la consommation ou de changement de source d'énergie avec l'abandon des énergies fossiles. Ce positionnement nous offre un point de vue particulier, se prolongeant après la fin des travaux et permettant d'observer les économies d'énergie réelles, celles-ci n'étant pas toujours à la hauteur des promesses, comme le montrent plusieurs études de l'Ademe.
La chaleur représente 43 % de la consommation d'énergie du pays et est carbonée à 65 %. C'est la raison pour laquelle la guerre en Ukraine a eu un impact considérable sur le pouvoir d'achat des Français et a mis en danger l'équilibre économique d'un certain nombre d'activités, avec l'envolée des prix du gaz et ses répercussions sur ceux de l'électricité.
Par ailleurs, l'État a dépensé près de 100 milliards d'euros pour les boucliers tarifaires. Ces dépenses auraient pu être évitées si nous avions été moins dépendants aux énergies fossiles, d'autant plus que des solutions techniques existent.
S'agissant les économies d'énergie, vous nous interrogez sur la manière de passer de rénovations mono gestes à une approche globale. Celle-ci est indispensable pour atteindre l'objectif de 40 % d'économie d'énergie dans les bâtiments. Nous ne pouvons pas pour autant traiter de la même manière la maison individuelle, l'appartement avec une chaudière fonctionnant au gaz, les logements avec un chauffage collectif et les bâtiments tertiaires.
L'approche globale nécessite l'intervention d'un bureau d'études pour identifier le « cocktail » de solutions le plus approprié et n'est possible qu'à partir d'une certaine taille de bâtiment, avec une maîtrise d'ouvrage professionnelle.
Le contrat de performance énergétique (CPE) nous semble une bonne solution puisqu'il garantit des économies d'énergie en engageant les professionnels à diminuer la consommation d'un bâtiment. Si l'objectif n'est pas atteint, ce sont les entreprises qui ont mis en place les solutions qui paieront la différence. Il y a donc un vrai retour sur investissement pour le maître d'ouvrage et une garantie de bonne utilisation des subventions publiques.
Je remercie le Sénat d'avoir voté à l'unanimité le texte mentionné plus tôt portant sur le financement différé dans les CPE. Il s'agit d'un outil simple, dont les décrets d'application doivent être rapidement publiés en évitant d'ajouter de la complexité, qui permettra de massifier la rénovation.
Pour la maison individuelle, la situation est plus compliquée en l'absence d'un maître d'ouvrage professionnel. Le mono geste avait le grand avantage de la simplicité, notamment avec le crédit d'impôt développement durable (devenu par la suite le crédit d'impôt transition énergétique). La mise en place d'un parcours nous paraît le bon compromis pour la mise en oeuvre d'un cocktail d'actions fragmenté mais relativement rapide. Cette proposition répond à la problématique du reste à charge : commencer par des actions avec un retour rapide sur investissement permet de dégager des capacités de financement supplémentaires pour les actions ultérieures.
S'agissant de la décarbonation de la chaleur, nous disposons de nombreuses solutions. Depuis l'année dernière, nous observons un bouillonnement d'initiatives. Par exemple, les villes dont les piscines sont chauffées au gaz s'interrogent sur le recours à des réseaux de chaleur, qui existent dans 900 villes françaises. Les demandes de raccordement des copropriétés et des bâtiments tertiaires à ces réseaux ont été multipliées en 2022 entre trois et cinq par rapport aux années précédentes.
L'ambition pour l'industrie doit par ailleurs être bien plus forte que celle discutée dans les ateliers de la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) avant la guerre en Ukraine. Dans nos rêves les plus fous, nous imaginions obtenir 40 % de chaleur renouvelable et de récupération à l'horizon 2030. L'exercice a été refait avec le Club de la chaleur renouvelable, qui comprend le Syndicat des énergies renouvelables, Amorce, mais aussi des associations spécialisées, et nous avons la conviction de pouvoir atteindre, d'ici 2030, 54 % de chaleur renouvelable et de récupération, dans l'industrie comme dans les réseaux de chaleur et dans le bâtiment.
La géothermie à un rôle essentiel à jouer, derrière l'énergie de récupération, insuffisamment développée dans notre pays. En effet, l'énergie produite par un process industriel ou la combustion de déchets « chauffe aujourd'hui les petits oiseaux » : elle doit être récupérée. Nous pouvons par exemple alimenter des réseaux de chaleur à partir de data centers. Nous avons également à notre disposition le solaire thermique, la géothermie profonde et la géothermie de surface, avec laquelle nous pouvons alimenter des réseaux de chaleur par des boucles d'eau tempérée, et la biomasse.
Contrairement à ce qu'affirme Mme la ministre Agnès Pannier-Runacher, qui craint que la biomasse soit insuffisante pour tous les usages, nous sommes confiants à l'horizon 2030. En revanche, elle a raison à l'horizon 2050 si nous cumulons toutes les feuilles de route de décarbonation. Selon les études que nous avons menées avec le comité interprofessionnel bois-énergie, la baisse de la consommation domestique induite par des poêles plus efficaces devrait libérer des volumes de bois pour chauffer des industriels ou des réseaux de chaleur.
Enfin, le biométhane est très important pour les réseaux de chaleur. En effet, les besoins de chaleur, comme les besoins en électricité, varient en fonction de la température extérieure. Si les chaudières bois ou la géothermie sont parfaites pour assurer les besoins de base, les chaudières gaz permettent de répondre aux pointes de demande. Aujourd'hui, les réseaux de chaleur sont dimensionnés à 80 % en chaleur renouvelable et de récupération et à 20 % en gaz. Pour les décarboner à 100 %, nous avons besoin du biométhane.
Nous avons donc de très belles perspectives, avec des technologies mâtures. Cependant, le fonds Chaleur de l'Ademe, qui coûte, d'après la direction générale du trésor, la somme imbattable de 32 euros par tonne de CO2 économisé, stagne à un niveau totalement insuffisant. Les 500 millions d'euros prévus pour 2023 seront entièrement engagés au mois de juin alors l'Ademe a identifié des projets à hauteur de 750 millions d'euros. Il faut donc envisager un projet de loi de finances rectificatif ou des réaffectations de crédit pour éviter que de nombreux projets soient reportés. Pour atteindre l'objectif de 54 % de chaleur renouvelable et de récupération d'ici 2030, le fonds Chaleur doit être porté à un milliard d'euros par an sur la durée du quinquennat. Il me semble que certains se sont engagés sur ce niveau de financement. J'espère que cette promesse sera honorée et que le Sénat pourra faire bouger les lignes, le ministère de la transition énergétique étant contraint par la direction du budget. Ce sont pourtant des chiffres ridicules au regard des 100 milliards d'euros dépensés pour le bouclier tarifaire.
Mme Christine Goubet-Milhaut, présidente de l'Union française de l'électricité (UFE). - Je salue l'initiative du Sénat d'évaluer l'efficacité des politiques publiques en termes d'efficacité énergétique avec la création de cette commission d'enquête.
L'UFE agit au niveau national et au niveau européen. De grands textes, très structurants pour le bâtiment, sont en discussion à Bruxelles dans le cadre du « Fit for 55 », l'un sur l'efficacité énergétique, un autre sur les performances des bâtiments.
Le bâtiment est l'un des secteurs les plus émetteurs de gaz à effet de serre. C'est un sujet climatique mais aussi un sujet social, notamment en termes de factures d'énergie. Il est donc essentiel d'engager la rénovation des bâtiments pour réduire les émissions et les factures des ménages, des entreprises et des collectivités et diminuer notre dépendance énergétique.
Nous convenons tous qu'il n'existe pas de solution unique mais que nous devrons segmenter notre stratégie par type de bâti - résidentiel, tertiaire et industriel - avec un mix de solutions, de l'électricité, qui aujourd'hui n'est pas majoritaire dans le bâtiment, des pompes à chaleur performantes, de l'autoconsommation, des réseaux de chaleur et de froid décarbonés, de la biomasse, du solaire thermique ; toutes ces solutions étant combinées avec l'accroissement du pilotage des consommations.
Pour investir dans ces solutions, les acteurs économiques doivent disposer d'une vision pluriannuelle des dispositifs d'aide, notamment le dispositif MaPrimeRénov'.
Ces dispositifs sont importants. MaPrimeRénov' bénéficie de 2,4 milliards d'euros, les CEE de 4 à 5 milliards d'euros. Il est essentiel que ces dépenses soient optimisées en termes d'efficacité énergétique et d'émission de CO2, c'est-à-dire alignées sur les objectifs inscrits à l'article 100-4 du Code de l'énergie.
L'UFE est favorable à la massification des CPE, notamment pour la décarbonation des bâtiments tertiaires et publics. L'UFE appelle également au développement de rôles d'ensemblier afin industrialiser le processus à la maille d'une commune ou d'un quartier en croisant les données. Ces données peuvent aider les décideurs à identifier les actions prioritaires de rénovation en croisant des éléments sur les bâtiments détenus par les collectivités locales avec des données de consommation fournies par les compteurs Linky. Cette démarche permettrait d'identifier les gisements de décarbonation potentiels dans le bâtiment.
L'UFE est également favorable au parcours de rénovation de 18 à 24 mois, anticipant une rénovation performante par étapes, au regard des dispositifs d'aide. Ces rénovations sont souvent complexes et coûteuses et dépenser de l'argent public sur des gestes simples n'offre pas de garantie de performance sur l'efficacité énergétique et sur la baisse des émissions de CO2. Nous proposons une bonification des aides de MaPrimeRénov' dès lors que les gestes sont engagés dans une logique de parcours de rénovation par étapes, dans un temps limité.
Dans la logique d'évaluation qui est la vôtre, nous suggérons que MaPrimeRénov' encourage le passage d'une catégorie de DPE à une autre.
Le dispositif des CEE est assez complexe et assez onéreux. Notre interrogation porte sur la qualité des travaux réalisés et sur la lutte contre les éco-délinquants à la recherche d'effets d'aubaine. En effet, plus le dispositif est complexe, plus il y a de moyens d'interférer dans son mécanisme et de nuire à la confiance des ménages et des entreprises.
L'accompagnement est très important et une consultation est en cours pour le modifier en associant l'Agence nationale de l'habitat (Anah) et les collectivités locales. Il est aujourd'hui assez complexe à appréhender pour les ménages.
Les dernières évolutions législatives et réglementaires sur les CEE se sont plutôt attachées au contrôle des demandeurs de CEE qui n'ont pas les moyens de vérifier la qualité des travaux réalisés. Nous recommandons que le contrôle touche les premiers maillons de la chaîne de valeur, c'est-à-dire les artisans qui réalisent les travaux, pour écarter les éco-délinquants, par le renforcement du label Reconnu garant de l'environnement (RGE) et par des politiques de contrôle avant et après travaux.
Nous redoutons un goulet d'étranglement sur la formation. L'UFE a signé un Engagement de développement de l'emploi et des compétences (EDEC) avec l'État. Le bâtiment représente près de 220 000 emplois sur les 600 000 emplois de la filière électrique et l'application de la PPE actuelle créera de 80 000 à 100 000 emplois d'ici 2030. Il est donc essentiel d'investir dans la formation initiale et continue et de travailler sur l'attractivité de certains métiers. Nous devrons former tous les chauffagistes sur de nouveaux équipements bas carbone comme les pompes à chaleur ou la géothermie. Par ailleurs, la pilotabilité des équipements se traduira par une numérisation croissante, le digital doit être intégré dans toutes les formations. Nous devons également les adapter à la traçabilité des opérations de travaux, avec le datage numérique, les photos post-travaux, les signatures électroniques, etc.
Il existe déjà plusieurs programmes de formation (CEE Feebat ou QualiPAC) mais nous pensons que le secteur a besoin d'une ambition plus intégratrice et d'une meilleure visibilité des programmes.
Enfin, en combinant plusieurs dispositifs, MaPrimeRénov', l'aide « Habiter Mieux Sérénité » de l'Anah ou les CEE Précarité, il est possible de supprimer le reste à charge pour les ménages les plus modestes. Cependant, nous pensons que les barèmes d'aide doivent être renforcés pour soutenir les ménages aux revenus intermédiaires.
M. Thierry Chapuis, délégué général de France Gaz. - Je vous remercie, madame la présidente et monsieur le rapporteur de nous laisser la parole.
France Gaz, qui regroupe l'ensemble de l'industrie gazière, fait face la baisse des consommations, notamment celle de gaz fossile, mais aussi à la hausse du gaz renouvelable, comme le biogaz et les gaz issus des déchets sur lesquels nous commençons à travailler et qui ont un bel avenir.
En termes de chauffage, pour avoir un parc plus performant, il nous semble important de lever les freins auxquels sont confrontés les ménages, notamment celui du reste à charge.
Par ailleurs, le bouclier tarifaire gaz prend fin avec la baisse des prix du gaz, qui sont revenus à un niveau acceptable.
Comme l'a dit Mme Goubet-Milhaut, il est important d'augmenter le nombre de rénovations globales. Nous pensons aussi que les bâtiments les moins performants, classés F ou G, doivent être ciblés, avec pour objectif de les passer en C et D. Nous appelons aussi à la fiabilisation des DPE, à la simplification des CEE et à la mesure de leur efficacité. En effet, l'Ademe a montré qu'il y a souvent des écarts importants entre les TWh Cumac annoncés et effectifs.
Nous sommes également partisans de ne pas mélanger l'efficacité énergétique avec la décarbonation des bâtiments.
Sur le bâtiment, comme vous l'avez dit, madame la présidente, les recettes faciles sont souvent impossibles. Il n'est pas envisageable de tout électrifier. Les rumeurs que nous avons entendues sur l'interdiction du gaz dans le bâtiment ont disparu et se sont transformées en proposition de le limiter fortement. Il y a pourtant des situations où nous avons peu d'options pour le remplacer.
Par exemple, dans les immeubles collectifs de type haussmannien, avec des toits en zinc, il n'est pas simple d'envisager d'autres installations que le gaz. De même, en milieu rural, quand le fioul est interdit et que le réseau électrique n'est pas suffisamment dimensionné, des solutions trop rapides pèseraient sur l'ensemble des ménages. Je précise que 25 000 communes ne sont pas raccordées au réseau de gaz mais utilisent quand même du gaz. Enfin, dans l'ancien mal isolé, les solutions ne sont pas simples.
Parallèlement à l'enjeu de financement, il y a aussi un enjeu d'entretien des systèmes de chauffage dans la durée. Les chaudières gaz à très haute performance énergétique s'entretiennent très facilement. Nous notons aussi que les aides ne couvrent pas tous les mécanismes d'entretien, ce qui provoque des charges d'entretien assez conséquentes.
Nous sommes convaincus que la question de la sécurité d'approvisionnement énergétique globale se posera au moins jusqu'en 2035 et la mise en service des nouveaux réacteurs nucléaires.
Dans l'hypothèse où le chauffage au gaz serait complètement interdit, la Commission de régulation de l'énergie (CRE) a estimé qu'il faudrait disposer de 35 Gigawatts supplémentaires de production d'électricité en hiver. Par ailleurs, 8 GW supplémentaires seraient nécessaires pour remplacer le gaz utilisé hors réseau. Ces 43 GW représentent l'équivalent de plusieurs réacteurs nucléaires. L'électrification doit donc se faire à un rythme raisonnable.
Les effets climatiques doivent être étudiés en cycle de vie, notamment en cas de remplacement d'un système de chauffage au gaz par un système électrique.
La filière des gaz renouvelables se développe et répond à l'enjeu du made in France. C'est une filière très agricole, qui s'appuie sur les méthaniseurs. Si à ces débuts cette filière a utilisé des technologies allemandes, elle exporte aujourd'hui son savoir-faire et certains acteurs envisagent de se consacrer exclusivement à l'exportation. Notre pays dispose de 500 méthaniseurs, pour une capacité de production de 10 TWh. La filière est néanmoins confrontée à la hausse de ses coûts, notamment parce que les mélangeurs sont alimentés par de l'électricité. Parallèlement, ses tarifs ne sont pas indexés sur l'inflation ou sur les prix de l'électricité, ce qui conduit certains acteurs comme Prodeval à envisager d'installer ses unités en Italie.
La filière estime qu'une proportion de 20 % de gaz renouvelables est atteignable à l'horizon 2030 avec une capacité de 50 TWh en méthanisation - soit dix fois plus qu'aujourd'hui -, 10 TWH pouvant être produits à partir de technologies innovantes de traitement de déchets solides ou liquides ou de méthanation, qui recombine de l'hydrogène et du CO2 pour produire du méthane de synthèse.
Pour les maisons individuelles, nous estimons que les pompes à chaleur hybrides, fonctionnant essentiellement avec la géothermie avec un complément gaz, devraient être installées par défaut. En effet cette technologie permet de répondre au problème de la pointe.
Pour les immeubles, en absence de solutions alternatives, nous pensons que les pouvoirs publics doivent encourager le remplacement des chaudières gaz classiques par des appareils à très haute performance énergétique qui permettent une économie de consommation de l'ordre de 30 %. Sur 30 millions de logements, 10,8 millions de logements, sont chauffés au gaz, dont 3,3 millions sont situés dans des immeubles collectifs et chauffés individuellement et 2,5 millions chauffés collectivement.
Enfin, la rénovation énergétique ne doit pas négliger les problèmes de voisinage.
France gaz est convaincue que la transition énergétique ne peut être que progressive et accompagnée. Les Français sont prêts à fournir des efforts comme l'ont montré les résultats en termes de sobriété, la transition doit rester socialement acceptable sur tout le territoire. Notre parc de chauffage doit intégrer toutes les solutions pour permettre aux Français de se chauffer le plus efficacement possible tout en s'inscrivant dans le processus de décarbonation de l'énergie.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Merci pour ces interventions très précises.
La maintenance du pilotage me paraît essentielle.
Les coûts de la géothermie sont importants, même si les retours sur investissement sont rapides. Réalisez-vous des études systématiques sur l'intérêt de recourir à des équipements collectifs par rapport à des installations individuelles, même si le système d'aides favorise actuellement l'individualisation ?
Est-il pertinent de développer des réseaux de froid pour répondre à la problématique du confort thermique d'été, aujourd'hui mal intégrée dans le DPE et dans la réflexion globale sur la rénovation thermique ?
Concernant le gaz, il me semble important d'apporter de la cohérence entre le développement des méthaniseurs et la fin des subventions des chaudières à gaz au profit des pompes à chaleur. Les méthaniseurs sont souvent développés à l'échelle locale et je m'interroge sur l'opportunité de définir des orientations et d'allouer des financements à l'échelle locale en fonction des ressources et des moyens de chauffage locaux.
Mme Anne-Sophie Perrissin-Fabert. - S'agissant de la maintenance et du pilotage, nous avions, avec l'UFE, dans le cadre du Plan de sobriété énergétique, poussé une mesure pour l'intégration des solutions de pilotage dans les entretiens annuels du chauffage et de la climatisation. Les techniciens vérifient désormais que les systèmes de pilotage fonctionnent correctement et ont été mis à jour.
La performance demande aussi du capital humain et nous sommes favorables à l'intégration dans les dispositifs d'aide de tout ce qui concerne le commissionnement, les energy managers - c'est-à-dire les personnes garantes de la stratégie de réduction des consommations énergétiques - et la maintenance. Prolonger la durée de vie des équipements est en effet essentiel en termes d'économie circulaire et d'économies de carbone.
M. Bruno Capbordy. - Tous les appareils sont aujourd'hui connectés et sont mis à jour en temps réel. Par ailleurs, les interfaces ont été programmées pour informer les consommateurs en cas de dérive de consommation. L'objectif est de renforcer les interactions avec les usagers pour que les applications vivent avec leurs évolutions.
Mme Cindy Demichel. - Nous estimons que 195 000 logements individuels et entre 200 000 et 300 000 logements collectifs sont aujourd'hui connectés à la géoénergie.
Le nombre de maisons connectées a baissé à partir de 2008 en raison de la suppression des aides, le nombre d'installations par an passant de 22 000 à 3 000. Aujourd'hui, la géoénergie concerne de plus gros bâtiments, avec une puissance installée plus importante.
Nous installons aussi des boucles d'eau, notamment le réseau Euromed à Marseille. Une des conditions d'installation de ce réseau était que ce confort climatique d'été ne devait pas se faire au détriment de l'espace public ni contribuer aux îlots de chaleur. En insérant cette condition dans le cahier des charges, la collectivité a clairement indiqué qu'elle attendait une solution de géothermie.
Le village olympique à Saint-Denis Pleyel sera également équipé en géothermie.
Les objets de géothermie s'agrandissent et une boucle d'eau unique permet de mutualiser les besoins entre les bâtiments qui ont besoin de chaud et ceux qui ont besoin de froid, avec une sous-station par ensemble de bâtiment.
La géoénergie est régie par le décret du 8 janvier 2015 portant sur la géothermie de minime importance (GMI) - que j'appellerais « géothermie de maximum impact » - qui permet de limiter les démarches administratives à une télédéclaration, valable jusqu'à 500 kW d'énergie sortie du sol, les risques étant considérés comme minimes. Or, les installations géothermiques importantes ont besoin de plus de 500 kW d'énergie et les projets doivent être instruits selon les règles du code minier, ce qui prend dix-huit mois ou plus. C'est un délai trop long, qui conduit parfois à l'abandon de projets. Or, les études montrent que le risque est minime, notamment pour les technologies sur sonde.
Mme Armelle Langlois. - En géoénergie, nous cherchons à équilibrer la prise de terre, nous ne prenons pas que du chaud ou que du froid. Ce sont les sondes qui sont les plus coûteuses dans la mise en place d'une installation : nous avons ainsi intérêt à saturer le sous-sol pour capter le plus de calories et de frigories possibles, même si cela ne correspond pas forcément aux besoins du bâtiment en surface. C'est pourquoi, structurellement, nous avons tendance à construire des microgrids pour proposer de l'énergie aux bâtiments voisins. Ces structures ne sont pas bloquées sur une technologie, elles peuvent être complétées par de la chaleur fatale produite de manière intermittente. Ceci constitue un frein, dans la mesure où les propriétaires de ces calories fatales intermittentes qui ne veulent pas s'engager sur une production continue.
M. Pierre de Montlivaut. - La Fedene prône le collectif dans la mobilisation de ces énergies techniques : celles-ci sont plus faciles à amortir sur un ensemble de bâtiments que sur un seul. Tout dépend de la typologie urbaine et ce sont les élus qui maîtrisent la planification territoriale. Le décret du 26 avril 2022 relatif au classement des réseaux de chaleur et de froid permet aux maires, aux maîtres d'ouvrage d'un réseau de chaleur vertueux, de planifier les zones où ils souhaitent développer ces technologies. Ils peuvent ainsi imposer aux bâtiments neufs ou aux bâtiments qui bénéficient d'une rénovation énergétique globale un raccordement au réseau. En revanche, le maire peut décider de ne pas le développer dans les zones pavillonnaires, où le réseau a moins de sens économique. Ce dispositif est décrié par certains qui estiment qu'il impose une technologie. À l'inverse, nous rejetons ces critiques car les maires ne sont pas obligés de classer leurs réseaux.
Je pense qu'il faut profiter des travaux de génie civil nécessaire à l'installation d'un réseau de chaud pour construire en même temps un réseau de froid. Il existe 33 réseaux de froid en France. Ils ont été essentiellement développés sur des zones tertiaires, notamment à La Défense et dans le centre de Lyon, parce que l'Ademe considérait que la climatisation représentait un gâchis d'énergie. Ce qui était compréhensible il y a quelques années ne l'est plus alors que les modèles prévoient un réchauffement climatique de 4°C. Les ventes de climatiseurs de base explosent, ils consomment beaucoup d'électricité et renforcent les îlots de chaleur. Il y a donc un potentiel pour le développement des réseaux de froid, en partant des bâtiments qui en ont vraiment besoin, comme les hôpitaux.
Il est possible de s'appuyer sur la géothermie mais aussi sur la thalassothermie. Un réseau de chaleur et de froid vient d'être mis en service à Annecy à partir des eaux du lac. À Paris, c'est l'eau de la Seine qui alimente le réseau Fraîcheur de Paris. Nous disposons donc d'une belle palette de sources renouvelables pour la fabrication du froid.
Mme Christine Goubet-Milhaut. - Les choix qui sont faits aujourd'hui sur les bâtiments ont des effets de lock-in. Ce sont des choix de très long terme, qui ne doivent pas s'appuyer uniquement sur la technologie et qui doivent prendre en compte la sociologie et les besoins des populations.
Nous avons parlé du confort d'hiver et du confort d'été et de la fonction d'adaptation des bâtiments au réchauffement climatique. Nous devons également prendre en compte le vieillissement de la population dans nos perspectives d'investissements.
Enfin, nous sommes attachés à la reconstruction de nos filières stratégiques, notamment pour les panneaux solaires, pour capter la valeur et les emplois et limiter les importations. C'est vrai aussi pour les pompes à chaleur sur lesquelles nous disposons d'une avance technologique : afin d'atteindre les objectifs européens fixés dans le plan RepowerEU, nous devons nous attacher à créer les conditions nécessaires à la valorisation de ces équipements.
M. Thierry Chapuis. - Nous sommes convaincus que les solutions de gaz doivent être appréhendées au niveau régional. Nous appelons aussi à la cohérence des règles. Le gaz renouvelable produit par les méthaniseurs doit être consommé localement. Certains méthaniseurs produisent de l'électricité et de la chaleur, sans injecter de gaz dans le réseau et chauffent quelques maisons par réseau de chaleur. Il y a une vraie histoire humaine et sociétale à raconter et il est essentiel qu'elle soit comprise par nos concitoyens.
Enfin, il faut envisager de prendre des décisions sur la rénovation énergétique en fonction du potentiel local de production de telle ou telle énergie.
M. Pierre de Montlivaut. - À l'horizon 2030, les économies d'énergie et la chaleur renouvelable et de récupération devraient permettre la création de 60 000 emplois.
M. Thierry Chapuis. - Nous avons conclu avec l'État un Edec gaz et réseaux de chaleur associés qui générera la création d'environ 100 000 emplois.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je vous remercie pour ces échanges très intéressants et je vous souhaite une très bonne soirée.
Audition de
Me François Devos, directeur des affaires juridiques,
et de
Me Frédéric Violeau, notaire associé,
membre de la
section droit immobilier
de l'Institut des études juridiques, du
Conseil supérieur du notariat
(Mardi 16 mai 2023)
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Maîtres, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous reprenons les travaux de notre commission d'enquête avec l'audition du Conseil supérieur du notariat, qui est représenté par deux notaires, Me François Devos, directeur des affaires juridiques, et Me Frédéric Violeau, membre de la section droit immobilier de l'Institut des études juridiques du Conseil supérieur du notariat.
La loi Climat et résilience a imposé, il y a deux ans maintenant, un calendrier très exigeant pour conduire à la rénovation des logements. La mesure la plus connue est l'introduction de l'indécence énergétique, qui s'impose aux logements locatifs les plus énergivores, les G+, depuis cette année, puis en 2025, 2028 et 2034 aux logements G, F et E. À partir de cette année, s'impose également l'audit énergétique pour les immeubles en monopropriété classés G et F, avant de s'étendre, là aussi, dans un avenir proche. Ce calendrier se fonde sur l'opposabilité du diagnostic de performance énergétique (DPE), qui suscite pourtant beaucoup d'interrogations quant à sa fiabilité. D'autres mesures modifient la prise en compte de la rénovation dans les copropriétés à travers le DPE collectif, l'instauration d'un diagnostic technique global et d'un programme pluriannuel de travaux.
La commission voudrait donc savoir comment, en tant qu'experts de l'immobilier et du patrimoine, vous appréhendez ce calendrier et l'ensemble de ces obligations.
Cette nouvelle réglementation conduit-elle les propriétaires à retirer leur bien de la location en les vendant ou en les consacrant à la location saisonnière ? S'agit-il d'un phénomène d'ampleur, qui doit susciter l'inquiétude pour la stabilité du marché du logement ? Doit-on craindre la création d'un marché gris de la location ?
Quel est l'impact de ces mesures sur le marché immobilier ? Voyez-vous un signal prix significatif à la hausse ou à la baisse selon l'étiquette énergétique ? Est-ce que cela dépend de la typologie des biens ou des zones géographiques ?
Comment peut-on aider les propriétaires bailleurs et quelles seraient, selon vous, les mesures fiscales les plus efficaces ?
Il semble que la rénovation soit en panne dans les copropriétés. Certains pointent les modalités de décision en assemblée générale. Comment, selon vous, le cadre législatif pourrait-il évoluer ?
Enfin, la loi Climat et résilience a voulu relancer le financement de travaux via des prêts hypothécaires, en l'espèce le prêt avance rénovation. Quel est votre avis sur ce dispositif ? Pourquoi ne fonctionne-t-il pas ?
Je précise que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié. Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Me François Devos et Me Frédéric Violeau prêtent serment.
Me Frédéric Violeau, notaire associé, membre de la section droit immobilier de l'Institut des études juridiques du Conseil supérieur du notariat. - Madame la présidente, nous sommes très honorés d'être parmi vous. Vous avez évoqué l'opposabilité du DPE et son évolution rapide. Il existe depuis 2006. Pendant quinze ans, il fut peu coercitif, mais les choses ont évolué subitement, au 1er juillet 2021, puisqu'il a été considérablement réformé. Sur le terrain, les notaires ont constaté des incidences notables sur le marché et sur les comportements du consommateur immobilier. Des journalistes nous ont sollicités rapidement, pour savoir si le marché risquait d'être bloqué ou si les ventes de logements énergivores allaient accélérer de manière invraisemblable, au risque de les brader. La date du 1er janvier 2023 est retenue pour les logements dont la consommation énergétique en énergie finale est supérieure à 450 kilowattheures d'énergie primaire par mètre carré par an.
Déterminer les conséquences de ce calendrier sur le marché a pris du temps. Nous analysons nos statistiques immobilières grâce à l'Insee. Le nombre de transactions de biens classés F ou G a augmenté de manière significative : entre le troisième trimestre 2021, date d'entrée en vigueur du nouveau DPE, et la fin de 2022, le volume des ventes des biens classés G est passé de 3 % à 8 % du volume total, et celui des biens classés F de 8 % à 11 %. Cette approche statistique impose la prudence, car elle est mise à mal par le droit transitoire. Nous comparons des éléments qui ne sont pas comparables. Il est encore possible de muter des biens immobiliers avec des DPE d'ancienne génération, datant d'avant le 1er juillet 2021, ce jusqu'à la fin de l'année prochaine. Ce droit transitoire parasite la qualité de l'analyse, car nous associons des données qui ne sont pas encore homogènes.
Les paramètres ayant changé, le nombre de biens énergivores est potentiellement plus important. Cette augmentation des volumes peut traduire un comportement des vendeurs, mais peut aussi être liée à l'augmentation du nombre de biens dans telle catégorie. Nous ne sommes pas capables de quantifier ce qui relève du premier et du second phénomène. Toutefois, nous avons des impressions, nous constatons des tendances dans nos études. Il nous semble que beaucoup de vendeurs, faute de moyens ou d'envie, préfèrent ne pas réaliser les travaux et donc muter les biens en question, mais nous ne pouvons en déduire, en volume absolu, une augmentation des volumes de transactions. Il faudrait neutraliser les diagnostics d'ancienne génération - et donc raccourcir la période de droit transitoire - pour obtenir des données plus précises et déterminer le nombre de passoires énergétiques avant et après la réforme.
Selon le ministère de la transition écologique, nous comptions, avant 2021, 4,8 millions de passoires énergétiques sur 36 millions de logements. Ces chiffres ont probablement augmenté à la suite du nouveau DPE, ce qui n'était pas l'intention première des pouvoirs publics, dont l'objectif était de conserver environ le même nombre de passoires énergétiques, en faisant passer 800 000 logements énergivores vers des catégories non énergivores. La translation ne s'est pas opérée de cette façon. Il nous faudrait des chiffres à jour.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Vous avez parlé des logements à la vente. Les propriétaires décident-ils aussi de louer de manière saisonnière ?
Me Frédéric Violeau. - L'analyse des chiffres locatifs ne fait pas partie de nos prérogatives. Nous ne pouvons pas agglomérer des statistiques pertinentes. Nous constatons toutefois que nos clients envisagent cette possibilité. La proposition de loi visant à homogénéiser la réglementation en transposant la décence énergétique aux locations meublées, y compris de courte durée, serait un bon moyen d'endiguer cette déviance.
Le marché gris peut provenir de cette volonté de se soustraire à la législation de la location, mais il pourrait aussi naître du fait qu'une fois un logement déclaré indécent, et donc non louable, des bailleurs ne se priveraient pas pour autant de louer - des locataires seront toujours prêts à louer, car c'est pour eux le moyen d'accéder à un logement. Les sanctions attachées à l'indécence ne sont pas de nature à répondre à ce nouveau critère d'indécence qu'est le caractère énergivore du logement. Les sanctions pour indécence sont rattachées au droit commun des contrats : possibilité de demander à un juge de revoir le loyer, possibilité de remise en cause du bail. Or, par définition, celui qui louera dans ces conditions sera privé de cette possibilité, car ce qui l'intéresse est de louer aux conditions qui lui sont proposées. Le marché gris inclut ces deux comportements.
Nous étudions l'incidence de la classification des biens sur les prix depuis longtemps. Nous étions précurseurs sur la valeur verte ; nous avons communiqué sur ce point bien avant la réforme du DPE, et avons des chiffres à disposition. Dans l'ancien, nous prenons comme référence la classe D, qui représente 40 % des biens à la vente, et nous examinons quel est le différentiel avec les autres classes. Les écarts types sont symétriques : 9 ou 10 % voire 15 %. Cette indication de marché devient un vrai marqueur pour les acheteurs. C'est un outil de négociation avéré. Le caractère plus objectif et l'opposabilité du DPE y contribuent.
Cette incidence sur les prix doit être modulée en fonction de la zone géographique - la situation n'est pas la même à Cambrai ou à Nice. L'incidence ne porte que sur la capacité à chauffer, et l'on ne s'intéresse au confort d'été que depuis le 1er juillet 2021. Il faut aussi moduler cette incidence en fonction de la tension du marché : plus le marché est tendu et moins l'incidence de la performance énergétique sera forte. Enfin, corréler la performance énergétique au prix est un raccourci un peu rapide : les logements aux bonnes performances énergétiques sont des logements rénovés, qui présentent donc d'autres attraits. Pour une maison individuelle, les prix peuvent aller du simple au double entre les moins et les plus performants.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Que pensez-vous du calendrier de la loi Climat et résilience ? Quelles mesures fiscales seraient les plus efficaces pour encourager les travaux ?
Me Frédéric Violeau. - Les choses vont vite, mais l'intégration du calendrier ne nous choque pas : c'est une question d'intérêt général.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Même pour les logements classés E, qui constituent la majeure partie du parc ?
Me Frédéric Violeau. - La majeure partie du parc relève de la classe D. La classe E sera concernée en 2034. L'année 2025 est bien réelle pour nos clients, mais 2034, c'est de la science-fiction. Un tel calendrier semble nécessaire pour nous donner les moyens de nos ambitions.
Nous déplorons cependant un manque de pédagogie dans la présentation du DPE, qui n'a été corrigé que très récemment. La distinction entre énergie primaire et énergie finale va susciter des incompréhensions, voire des erreurs de jugement. Il faut aller jusqu'à la page 3 du DPE pour connaître exactement la valeur de l'énergie finale du logement. Les notaires doivent expliquer les choses clairement aux clients, pour remédier au défaut de présentation. L'écart entre énergie finale et énergie primaire est d'autant plus important que le logement est chauffé à l'électricité.
Concernant les mesures d'accompagnement, nous avions imaginé l'émergence du statut d'un bailleur privé, la généralisation du dispositif Denormandie, en le majorant grâce à une augmentation du taux d'amortissement sous conditions d'engagement de rénovation globale, et donc performante, ou de mise en location à des tarifs sociaux, à l'instar du dispositif « Borloo ancien - Investissement locatif ».
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous l'avions proposé lors de l'examen du projet de loi Climat et résilience, mais cela n'a pas été retenu.
Me Frédéric Violeau. - Je le sais bien. Le prêt à taux zéro pourrait aussi être un outil très fort en matière de communication. Sa généralisation permettrait de financer des travaux plus importants, avec une durée d'emprunt plus longue.
Nous avons vu d'un bon oeil le doublement du déficit foncier, mesure très parlante pour le contribuable. L'intention est louable, mais le dispositif engendre une difficulté technique : le doublement du seuil imputable au revenu global n'est pas une option, c'est-à-dire qu'il n'est pas possible, à l'inverse, de ne pas en faire usage et de proroger la déduction des travaux uniquement à concurrence de ses revenus fonciers sur les années ultérieures. Il est possible que, pour certains contribuables, ce calcul soit plus satisfaisant. Cette solution alternative éviterait des effets de bord.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Le congé donné au locataire pour réaliser des travaux d'économie d'énergie a été censuré par le Conseil constitutionnel, au titre de l'article 45 de la Constitution, comme cavalier législatif.
Me Frédéric Violeau. - À notre grand désarroi ! Cela faisait partie des propositions de la profession relayées par les notaires du Grand Paris en 2021. Les garanties juridiques avaient pourtant été apportées, en matière de relogement pendant les travaux puis de réintégration du logement rénové, pour protéger le locataire et rendre les travaux possibles. Nous souhaitions transposer la logique des processus de déconstruction/reconstruction. Toutefois, cela suppose que les entreprises soient au rendez-vous et que les devis soient produits rapidement. Nos clients éprouvent des difficultés à trouver des entreprises pratiquant des prix raisonnables et qui soient compétentes en matière de rénovation.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Quant aux copropriétés, la rénovation est en panne.
Me Frédéric Violeau. - La difficulté est importante, l'incompréhension est grande - les difficultés concernent notamment la mobilisation des fonds. Des mesures ont été prises, par l'intermédiaire du plan pluriannuel de travaux et du fléchage du fonds travaux vers les travaux de rénovation énergétique. Toute mesure susceptible de diminuer les seuils de majorité serait bienvenue, mais les points de blocage sont importants. Les problèmes sont générationnels, ou entre propriétaires occupants et propriétaires non occupants. Les copropriétés sont en train de prendre beaucoup de retard. Le portage serait très consommateur de finances publiques ; le problème est très délicat.
La possibilité pour le locataire de proposer à son bailleur de réaliser les travaux d'amélioration, mesure portée par la loi Climat et résilience, est excellente. Le mode opératoire est pertinent, les droits du bailleur sont préservés et le sens des prérogatives de chacun est respecté. Le dispositif serait plus efficace si le locataire pouvait bénéficier des mêmes aides d'État que le propriétaire qui réaliserait les travaux, d'autant plus que ce locataire se montre alors particulièrement diligent et vertueux.
Me François Devos, directeur des affaires juridiques du Conseil supérieur du notariat. - Éventuellement avec une garantie de maintien dans les lieux pour le locataire. Nous pourrions travailler sur la durée du bail ou sur les modalités de résiliation du bail de la part du bailleur, surtout dans les zones tendues.
Me Frédéric Violeau. - Sur le droit de surplomb, nous avons sans doute été trop timorés. Les notaires voulaient en faire une sorte de servitude d'utilité publique. Cela aurait permis d'imposer à un voisin des travaux d'isolation. Une telle systématisation serait un moyen pertinent pour fluidifier les aspects réglementaires du droit de surplomb. L'isolation par l'extérieur est une question récurrente, notamment dans les copropriétés.
Le prêt avance rénovation ne fonctionne pas. Nous essaierons de déterminer les causes et de revenir vers vous. Sur ce point, c'est le désert !
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Est-ce le secteur bancaire qui est frileux ?
Me Frédéric Violeau. - Cela est possible, mais il n'existe pas d'analyse des points de blocage. Il faudrait interroger les banques. Ces dernières sont devenues sensibles au DPE, qu'elles nous réclament et qui fait partie intégrante de la mesure des risques : le banquier analyse la réalité de sa créance en regard de la valeur de son gage. Attribuer le prix fort à une passoire thermique peut s'apparenter à un risque de recouvrement de la dette. Toutefois, nous n'avons pas de retour du marché.
Me François Devos. - Il s'agit d'impressions.
Me Frédéric Violeau. - Nous n'avons pas de données tangibles à vous fournir, mais nous constatons que c'est le désert : je n'ai pas vu passer un seul prêt avance rénovation.
Me François Devos. - Nous devons interroger les acteurs.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Quel est votre avis sur l'obligation de rénovation thermique au moment de la vente ou de la location, à l'instar de ce qui se fait pour l'assainissement individuel ?
Nous avons reçu des propositions sur les prêts hypothécaires ; des prêts à long terme, de la valeur du bien immobilier, avec des remboursements à la vente ou au bout de trente ans, permettraient de financer beaucoup de travaux, tout en sortant du système des subventions.
Me Frédéric Violeau. - La mécanique est comparable au Pass foncier : on diffère le transfert de propriété du sol, et donc le paiement de son prix, au remboursement primitif du bien immobilier.
La question est d'autant plus d'actualité que l'Union européenne s'en est emparée. L'interdiction de vendre si un niveau de performance énergétique n'est pas atteint, avec une sanction sous forme de décote appliquée au prix de vente, est envisagée. Effectivement, la mécanique est similaire à celle de l'assainissement individuel.
Nous ne sommes pas favorables à ce qui serait de nature à bloquer une vente, à cause d'un seuil de performance énergétique insuffisant. Cela cause des problèmes économiques, des problèmes de marché ou encore juridiques, au regard de ce qu'est le droit de propriété. De telles mesures avaient été évoquées pour l'assainissement individuel, mais c'est un dispositif plus souple qui a été retenu : quand une non-conformité est constatée, l'acquéreur dispose d'un délai d'un an pour réaliser les travaux de mise en conformité prescrits par le rapport. Une certaine souplesse d'application existe, de la part des services publics d'assainissement collectif et des collectivités locales, mais cette souplesse cessera bientôt, mettant les acquéreurs face à leurs responsabilités.
Comme professionnels, nous devons appréhender ces problématiques avec toutes les garanties requises. Demander à l'acquéreur de faire son affaire d'une installation non conforme, c'est demander un chèque en blanc ; or c'est parfois ce que nous sommes obligés de suggérer à nos clients. Nous devons donc sécuriser les contrats en appelant l'attention de l'acquéreur sur le fait que tôt ou tard il lui sera demandé de se mettre aux normes, ce qui aura un coût ; l'acquéreur serait donc bien inspiré de quantifier ce coût de manière précise avant de délivrer son accord sur la chose et sur le prix.
L'approche pourrait être tout à fait comparable pour la performance énergétique. Il me semble délicat de bloquer ou séquestrer un montant forfaitaire, mais il est tout aussi délicat de dire à l'acquéreur qu'il doit se débrouiller seul, sans pouvoir chiffrer la mise en conformité énergétique. Le DPE sert à cela ; dans une moindre mesure, c'est un simple outil d'alerte, qui ne va pas assez loin. L'audit énergétique permet, lui, de fournir des chiffrages plus précis. Cet audit énergétique pourrait être généralisé, pour garantir la sécurité juridique de l'acquéreur. La performance énergétique et le coût de la rénovation énergétique pourraient ainsi devenir des paramètres de discussion du prix.
Il sera difficile de faire autrement. Il existe des obstacles juridiques : séquestrer une partie du prix pour imposer au vendeur de réaliser les travaux avant de vendre impose au vendeur de disposer des fonds nécessaires ; de plus, cela s'apparente à une vente d'immeuble à rénover, ce qui nous fait entrer dans un cadre réglementaire et législatif d'ordre public qui est sans rapport avec le problème en question.
Séquestrer un montant forfaitaire nous laisse aussi pantois. Nous risquons de piper les dés du marché. Un vendeur augmentera automatiquement le prix de son logement énergivore de 5 ou 10 points. Nous ne pourrons résoudre les problèmes ainsi. Des obligations de quantification des travaux de rénovation énergétique dès le stade des discussions de l'accord sur la chose et sur le prix seraient de nature à équilibrer le rapport de force et à contraindre le vendeur à la réalité économique. Des obligations de travaux corrélées à un chiffrage précis imposeraient des discussions en amont dans la détermination du prix.
Comme pour l'assainissement individuel, il faut mettre l'acquéreur en capacité de disposer d'un moyen de pression clair : la généralisation de l'audit énergétique en est un moyen. Personnellement, je n'y vois pas d'inconvénient majeur. On nous dira que cela coûtera cher, mais il faut savoir ce que l'on veut ; si c'est un objectif d'utilité publique, il faut se donner les moyens de le satisfaire.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Le DPE reste encore perfectible. Avez-vous des recommandations ? Voyez-vous émerger un contentieux sur les DPE ? Un même logement peut parfois être inscrit dans deux ou trois catégories différentes.
Me Frédéric Violeau. - La presse s'en est fait l'écho de manière tonitruante, ce qui m'avait quelque peu agacé. Certes, c'est une réalité, mais il faut souligner que l'exercice consistant à normaliser 37 millions de logements tous hétérogènes est extrêmement périlleux. Actuellement, nous n'avons rien de mieux à proposer que ce DPE. Il s'est renforcé et il devient de plus en plus objectif : nous allons dans le bon sens.
Le temps imparti pour réaliser le DPE est très contraint. Il se facture environ 150 euros, le nombre de points de contrôle est de 150 : l'équation économique du diagnostiqueur, c'est d'aller très vite. S'il veut éviter de déposer le bilan, il se doit d'être particulièrement efficace. D'ailleurs, le risque d'un tel modèle économique est une dégradation artificielle du parc ; comme le DPE est opposable, en cas de doute, un diagnostiqueur aura tendance à dégrader tel ou tel paramètre. Le mieux est alors l'ennemi du bien. L'audit énergétique est certes un autre document et représente un autre coût, mais c'est aussi un complément logique.
En ce qui concerne le droit transitoire, la situation est aujourd'hui complexe. En raison de l'utilisation des diagnostics de l'ancienne génération, il est difficile de connaître le champ d'application des mentions obligatoires dans les annonces des biens à louer ou à vendre. En cas de monopropriété, avec un DPE d'ancienne génération, nous ne savons pas si la catégorie est la bonne, et nous ne savons donc pas s'il est nécessaire de produire un audit énergétique. Il est impossible de définir précisément l'obligation d'information dans les baux. Nous prônons donc un raccourcissement de la période transitoire et l'obligation de refaire le DPE. C'est un problème d'utilité publique, c'est un souci majeur pour l'État, une telle conséquence peut tout à fait s'entendre.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Que pensez-vous du prêt hypothécaire ?
Me Frédéric Violeau. - Cette idée est intéressante, elle rejoint l'allongement dans le temps du prêt à taux zéro. Est-ce que les banques s'en empareront ? Je ne sais pas.
Me François Devos. - C'est une question de contrainte.
Me Frédéric Violeau. - Le blocage de vente n'est pas pertinent, mais d'autres formes efficaces de contrainte existent.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Vous parlez en fait de contraintes dans le temps, notamment pour les copropriétaires.
Me Frédéric Violeau. - Absolument. Des contraintes lors de la vente seraient très compliquées à imposer. Le droit de propriété est très important, le droit au logement fondamental. Un bien immobilier est souvent le bien de toute une vie. Évitons des situations très anxiogènes et difficiles pour les propriétaires.
En matière fiscale, nous avions pensé à une ristourne sur les droits de mutation ; il s'agirait d'une restitution de tout ou partie des sommes au regard de l'ampleur des travaux réalisés par rapport au prix d'acquisition, sous conditions de validation des travaux dans un délai déterminé.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - N'était-ce pas l'une des propositions de Conseil national de la refondation (CNR) ?
Me François Devos. - Les notaires du Grand Paris l'avaient aussi proposé.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Il était question de geler les droits de mutation.
Me François Devos. - Il s'agit non pas de geler les droits de mutation, mais d'accorder une ristourne : les droits seraient payés, puis, en fonction des travaux réalisés, tout ou partie des sommes seraient remboursés. Symboliquement, ce serait une contribution intéressante de la collectivité, dans une logique donnant-donnant.
Me Frédéric Violeau. - L'enjeu de communication est de taille. La presse a tendance à présenter les dispositions destinées à favoriser la rénovation énergétique du bâti uniquement sous l'angle coercitif. Nous, notaires, rappelons au quotidien qu'il ne s'agit pas que de sanctions. Le système présente une certaine virtuosité, il faut en avoir conscience.
Me François Devos. - Nous travaillons encore à des propositions sur les donations, notamment avec un allégement des droits de donations et des abattements plus importants pour ceux qui sont vertueux et qui s'engagent à des travaux de rénovation globale. Ces donations auraient ainsi une valeur verte.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Avez-vous observé une montée en puissance du viager ?
Me Frédéric Violeau. - Non, c'est un micromarché.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Le président de l'Union nationale des propriétaires immobiliers (UNPI) avait mis en avant cette possible conséquence.
Me François Devos. - C'est une piste intéressante, mais le viager reste rare.
Me Frédéric Violeau. - Cette option reste très marginale.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je vous remercie de vos réponses.
Audition de
M. Benoit Bazin, directeur général de
Saint-Gobain
(Mardi 16 mai 2023)
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête par l'audition de M. Benoit Bazin, directeur général de Saint-Gobain. Vous avez commencé votre carrière au ministère de l'économie et des finances au sein de la direction du trésor. Vous avez rejoint Saint-Gobain il y a 25 ans. Au sein du groupe Saint-Gobain, vous avez été - entre autres - directeur du plan, directeur financier, directeur général adjoint en charge notamment du pôle Distribution bâtiment puis du pôle Produits pour la construction. Plus récemment, vous avez été directeur général délégué avec des fonctions opérationnelles pour l'ensemble du groupe ainsi que sur l'innovation, et depuis un peu moins de deux ans vous êtes directeur général du groupe.
Saint-Gobain est un acteur majeur de la filière de la construction et de la rénovation et, c'est à ce titre que nous avons voulu vous entendre. Le groupe Saint-Gobain conçoit, produit et distribue en effet des matériaux et propose des services dans les secteurs des infrastructures, de l'habitat et du bâtiment ainsi que de l'industrie, notamment des transports. Vous pourrez d'ailleurs revenir sur l'ensemble des activités de Saint-Gobain qui sont précisément liées à la rénovation énergétique des logements. Comment à cet égard votre entreprise entend relever le défi de la massification et de l'accélération des rénovations de logement ? Quel regard portez-vous sur l'organisation de la filière et sur sa capacité d'absorber la hausse du nombre de rénovations ? Comment les pouvoirs publics peuvent-ils favoriser une montée en puissance de la filière ? Jugez-vous les dispositifs de soutien à la rénovation énergétique des logements pertinents et efficaces ? Dans quelle direction faudrait-il selon vous les faire évoluer ? Dans une interview récente à France Info282(*), vous avez ainsi préconisé une nouvelle politique stratégique de la rénovation énergétique, accompagnée d'un changement d'ordre de grandeur dans la lutte contre les passoires thermiques, en demandant à « faire quatre ou fois cinq plus pour MaPrimeRenov' et à la cibler sur les logements F et G ». Vous nous préciserez votre vision, notamment en termes d'impact financier.
Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.
Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».
M. Benoit Bazin lève la main droite et dit « Je le jure ».
Monsieur, vous avez la parole, puis le rapporteur et les membres de la commission pourront vous poser des questions.
M. Benoit Bazin, directeur général de Saint-Gobain. - Je vous remercie d'offrir au groupe Saint-Gobain l'opportunité de témoigner devant votre commission d'enquête. Depuis deux ans, j'ai également pris la responsabilité du contrat stratégique de la filière Industrie de construction. Il est vrai que l'essentiel de notre activité est autour de la construction, notamment résidentielle. Une part importante, d'environ 50 %, porte sur la rénovation des bâtiments qui n'est pas seulement énergétique. Saint-Gobain s'est transformé il y a quatre ans sous ma responsabilité passant d'une organisation par ligne de produits mondiale à une organisation par pays, chacun ayant la capacité de mettre en oeuvre un ensemble de systèmes, une solution et non plus un produit isolément. Nous disposons d'une offre large pour répondre aux enjeux de construction durable et notamment de rénovation. Désormais organisés par pays et dans un monde de la construction qui est par nature locale, les produits ne voyagent pas. Ce que nous fabriquons en France est distribué en France. La présence du groupe est importante en France, de l'ordre de 38 000 salariés et 2 000 points de vente auprès des artisans du bâtiment (Point.P, Cedeo...). Nous sommes ainsi dans le B to B auprès des professionnels et nous disposons de 88 usines de fabrication de matériaux en France pour le marché français. Je suis, comme mes prédécesseurs à Saint-Gobain, très attaché à la souveraineté industrielle et au poids économique de notre pays.
En propos liminaire, je vais vous donner ma vision du monde de la construction et notamment de la rénovation. Aujourd'hui, le sujet du logement en France est une préoccupation cruciale et urgente de millions de Français. C'est vrai à cause des factures d'énergie dont l'explosion a été en partie contenue par le bouclier tarifaire. C'est vrai également avec le manque de logements neufs, pour des raisons notamment liées aux taux d'intérêt. Il y a 2,3 millions de Français sur des listes d'attente pour un logement social. Il y a une urgence que les différents acteurs de la construction font remonter depuis bientôt deux ans auprès des différents responsables. Dans ce contexte, il faut tout faire pour redonner aux Français un pouvoir d'habiter. Il faut éviter d'opposer la transition écologique avec la capacité de se loger. Il faut réconcilier la France avec tous ces enjeux. Je vois un risque majeur remonter. Le logement est un élément essentiel de la transition écologique et climatique. Et, si on sort les gens du marché du logement, on va créer de l'angoisse. Il faut rappeler qu'un logement, un bâtiment n'est pas qu'une question technique. C'est un lieu d'habitation, de travail, d'éducation, de soins... C'est un lieu de bien-être où l'on va pouvoir gagner en productivité et assurer la croissance de notre pays. En fait le bâtiment est la pierre angulaire du quotidien de tous nos concitoyens. Le bâtiment est un lieu qui a une très forte utilité sociale. Aujourd'hui, nous sommes en crise mais nous connaissons les solutions qui peuvent apporter beaucoup en termes de travail, de plein emploi, de réindustrialisation, de transition écologique. Ce contexte est au coeur d'une triple crise sociale, énergétique et écologique.
J'ai à plusieurs reprises parlé d'un « Plan Marshall » de la rénovation énergétique. Tout d'abord, je pense qu'il faut se projeter sur dix ans. Puis, il faut commencer par traiter les gens qui en ont le plus besoin, je donnerai la priorité aux logements classés F et G, soit 5,2 millions de logements ou « passoires thermiques ». Les propriétaires ou locataires de ces logements sont souvent en situation de précarité sociale à cause de la précarité énergétique. Ils représentent, d'un point de vue climatique, 70 % des émissions de CO2. Le comité scientifique et technique du bâtiment en a fait la carte. L'identification de ces logements a été réalisée. Le but d'une entreprise est de cibler les efforts là où il y en a le plus besoin.
Deuxièmement, il est souhaitable de se positionner dans une relation globale et performante dès que c'est possible et de s'engager dans le bon ordre dans un parcours multi-étapes de rénovation globale. On ne peut pas imposer à tout le monde d'avoir les moyens et la capacité de faire instantanément une restauration globale mais il est possible d'utiliser un passeport rénovation précisant les étapes et les échéances avec aussi éventuellement une progressivité des aides.
Il faut naturellement de la stabilité et de la visibilité. Pour MaPrimeRenov', il serait souhaitable de dégager plutôt 10 milliards que 2 milliards et s'engager sur dix ans. Cela donnerait de la visibilité à tous les acteurs. Cela permet aux artisans de s'engager sur des créations d'emplois locaux. On en a créé 100 000 au cours des deux dernières années. Il est dès lors possible d'avoir une visibilité sur les mécanismes pendant dix ans. De la même façon, je pense qu'il faut coordonner MaPrimeRenov' avec le dispositif des certificats d'économie d'énergie (CEE), mécanisme relativement indolore car il fait appel aux « obligés » énergéticiens. Il n'y a pas eu de hausse des CEE d'une phase à l'autre. On avait pris de l'avance. Il vaut mieux multiplier par deux le montant que d'ajouter 30 % à une somme dont l'essentiel a déjà été consommé dans la période antérieure. En résumé, une plus grande stabilité et visibilité sur d'autres ordres de grandeur et se donner les moyens à raison de 500 000 bâtiments F ou G par an de traiter sur 10 ans les 5 millions de passoires énergétiques ! Se pose également la question des DPE (diagnostics de performance énergétique) avec cette nouvelle obligation que l'on va voir arriver en 2025 ou en 2028 sur les locations. Si on ne fait rien, ce sont potentiellement des logements qui deviendront « hors marché » ou en difficulté d'ici quelques années. Je suis favorable à un ciblage très fléché et à une stabilité avec des moyens plus importants. Je crois que le logement rapporte à l'État environ 100 milliards d'euros par an. Si on considère que le logement est une priorité car c'est la quotidien des Français, c'est la productivité du pays, c'est un outil de croissance, on devrait passer à d'autres ordres de grandeur sur certains mécanismes, que ce soit MaPrimeRenov' ou le CEE. Naturellement, il faut que les bâtiments publics soient exemplaires.
Voilà les paramètres que je voulais mettre en avant dans ce plan Marshall avec toute une filière qui est capable de s'engager.
Le bâtiment représente 40 % des émissions de gaz à effet de serre. La meilleure énergie est celle que l'on ne dépense pas. Le bâtiment est un élément clé de la souveraineté énergétique de notre pays. 44 % de l'énergie de notre pays est dépensé pour les bâtiments publics et privés. Si on économise 10 %, c'est sept tranches nucléaires que l'on économise instantanément. En plus du sujet social, il y a un sujet de stratégie énergétique et d'indépendance énergétique.
Il faut prendre en compte la notion de confort d'usage des bâtiments. L'utilité sociale que j'ai évoquée avec les passoires thermiques, c'est la santé, la qualité de vie. C'est vrai également pour les bâtiments publics. On a édité un Livre blanc au Benelux où on a corrélé l'absentéisme des professeurs avec l'acoustique d'une salle de classe. C'est également le cas pour les hôpitaux publics. Le bâtiment doit être également perçu en termes d'utilité sociale comme une forme de respect et de dignité de l'outil de travail que l'on met à la disposition de professions comme les soignants et les enseignants, leurs bâtiments représentant 70 % des dépenses d'énergie des bâtiments publics. En outre, on connaît la difficulté que l'on a à attirer des compétences dans ces professions exigeantes.
Concernant la rénovation globale et performante des bâtiments, il est possible de diviser par cinq la consommation énergétique d'un logement et par 12 l'émission de CO2. Nous avons lancé pour nos collaborateurs un programme concernant la neutralité carbone. Saint-Gobain s'est engagé à être neutre en carbone en 2050. Nous avons baissé de 42 % notre intensité carbone en cinq ans de 2017 à 2022, et de 23 % l'émission totale de gaz à effet de serre dans le monde. La construction durable est au coeur de la stratégie du Groupe. Nous avons mobilisé nos équipes et sur les 1 000 collaborateurs qui ont eu accès à ce programme « Agir durablement », on a baissé de 60 % leur facture énergétique. Donc, la solution technique existe. Pour autant, cette rénovation globale n'est pas toujours accessible à tout le monde, pour des raisons financières ou de compétences. Dans les soutiens financiers, il faut à la fois préserver des « mono gestes » et les inscrire dans un parcours de rénovation « multi-gestes », dans un passeport rénovation. Il faudrait une gradation des soutiens selon les gestes effectués, avec une incitation à continuer le parcours de rénovation. Même s'il est critiqué, il faut s'appuyer sur le DPE. Beaucoup de pays européens nous envient ce mécanisme avec cette notion de minimum energy efficiency, ou principe de diagnostic de performance énergétique minimale d'un bâtiment. C'est un mécanisme qui a une bonne visibilité mais qu'il faut encore améliorer. Cela reste un bon outil sur lequel s'appuyer. Je suis favorable au parcours de rénovation énergétique. Il existe des recommandations. Les principales déperditions d'énergie sont dues aux toits et aux combles. Il faut commencer par cela. Cela représente 30 % des déperditions. Ensuite, il faut traiter la façade et les menuiseries. Cela représente 20 %. Puis, on termine par le sol et enfin le système de chauffage. Il faut faire les choses dans le bon ordre. Une pompe à chaleur dans une maison mal isolée ne sert à rien. C'est comme rouler les fenêtres ouvertes avec la climatisation à fond ! Malheureusement les politiques publiques ont tué près de 80 % des soutiens aux mécanismes d'isolation et 70 % de MaPrimeRenov' est partie en effet d'aubaine sur la pompe à chaleur. Il faut le corriger vite. Nous avons fermé une usine d'isolation car les volumes se sont effondrés alors qu'il faudrait commencer par isoler le bâtiment. Certains prônent de mettre des capteurs mais il faut le faire quand on a déjà une bonne enveloppe. Le meilleur capteur est, selon moi, le thermomètre quand on est malade. C'est la meilleure approche. Il faut d'abord traiter l'enveloppe du bâtiment, puis changer le système de chauffage et à la fin on optimise les derniers 10 ou 15 %. Il faut de l'éducation sur ces bons parcours.
Concernant la filière, les matériaux de construction existent, ils sont fabriqués en France. En termes d'enjeux de souveraineté industrielle nationale, on a tous les industriels sur notre territoire qui contribuent pour environ 80 milliards d'euros nets de recettes fiscales du pays. Les produits ne voyagent pas. Nous sommes pleinement engagés dans le recyclage des matériaux. La responsabilité élargie des producteurs (REP) est un bon dispositif. On a eu le temps de s'y préparer. La laine de verre de Saint-Gobain est composée à 70 % de matériaux recyclés. Nous avons lancé le premier verre bas carbone, et la première production de plaques zéro carbone a été inaugurée la semaine passée en Norvège.
Les produits biosourcés sont des compléments à des solutions à distance. Il faut les analyser de façon exhaustive sur l'ensemble du cycle de vie au niveau environnemental, à partir des mêmes critères scientifiques que l'on utilise sur tous les produits industriels. Ce sont des compléments d'isolation. Je précise qu'ils doivent recourir à de nombreux produits chimiques, notamment des antifongiques. Leur développement n'est pas la panacée en termes d'empreinte environnementale, surtout la filière bois au regard de la non-compétitivité de la forêt française. Nous n'avons pas de scierie compétitive, donc il n'y a pas de construction de bois compétitive en France. Favoriser le biosourcé sans avoir de filière bois compétitive, pose d'autres problèmes car il faudra aller chercher le bois en Scandinavie ou en Pologne.
Nous côtoyons les artisans et les entreprises du bâtiment. Nous avons 400 000 artisans en compte chez Point.P, Cedeo... qui achètent des produits Saint-Gobain. Je fais confiance à nos clients. Une grande majorité est travailleuse et compétente. Il faut leur permettre d'être qualifiés sur le chantier. Je pense souhaitable de recevoir la qualification RGE sur le chantier plutôt que sur une étude théorique. De même, nous serons déqualifiés en cas de pont thermique ou de malfaçon. Il y a matière, en gardant le principe du RGE, de fluidifier le dispositif de qualification des artisans qui est encore très chargé.
Concernant la filière, il y a une clarification urgente et indispensable à effectuer sur les missions et des responsabilités des différents organismes publics et de l'État. Je pense qu'il faut un guichet unique. À l'heure actuelle, il est impossible de s'y retrouver dans le maquis des aides. Le plus simple serait de passer par la mairie où chacun peut s'identifier facilement. Ça doit être le point d'entrée. Dans le monde médical et fiscal, tout est digitalisé depuis longtemps. Il faut se donner les moyens de digitaliser les aides dans ce domaine. J'ai suggéré, dans le cadre de France 2030, « Rénov'lib » en matière de rénovation énergétique, sur le modèle de Doctolib. Un particulier ou un artisan a trop de mal à s'y retrouver. Il faudrait une plateforme numérique pour toutes ces aides avec une entrée unique par la mairie. Les intercommunalités et les régions disposent de beaucoup de puissance en regroupant la rénovation de quartiers entiers et peuvent entrer dans une logique d'investissement en rendant la ville plus attractive.
Au total, je suis très positif. Il faut un pilotage ferme, de long terme et stratégique des politiques publiques. S'agissant des financements, le logement et la construction rapportent 100 milliards d'euros à l'État. J'ai été choqué par le bouclier tarifaire l'année passée qui était le même pour tout le monde, une partie de la population pouvant payer son énergie plus chère. Ce bouclier ne respectait pas une logique d'investissement. On aurait pu prendre 10 des 40 ou 50 milliards d'euros et les mettre sur MaPrimeRenov' pour les ménages en précarité énergétique et les bâtiments F ou G. Cela aurait été du vrai investissement.
Enfin, il ne faut pas oublier le secteur bancaire. En France, un prêteur immobilier ne s'intéresse pas à ce qu'il finance. Il s'intéresse à votre âge, à votre état de santé et à votre profession. Il ne s'intéresse pas à la qualité du bâti ! Il pourrait se poser la question de la facture énergétique. Si elle est multipliée par cinq dans un bâtiment qui a une consommation énergétique G, la capacité de remboursement de l'emprunteur va s'amoindrir. Dans une logique d'hypothèque, il va de soi que le prêteur aurait intérêt à un changement de catégorie de G à C ou de D à A car le bâtiment pourra être revendu plus facilement. Je pense qu'il faut mobiliser les banquiers pour que dans de leur portefeuille de prêts immobiliers, une quote-part des emprunts portent sur des biens qui changent de catégorie. Il ne faut pas financer que des biens de catégorie A, B ou C. On pourrait imaginer, si le remboursement se déroule normalement, que le banquier puisse proposer à son client de faire un nouveau geste écologique dans son parcours énergétique, si sa capacité de remboursement est intacte. On pourrait également imaginer pour les ménages des classes moyennes, une déduction des taux d'intérêt sur du financement de rénovation énergétique. Cela s'est déjà fait il y a une quinzaine d'années. Aujourd'hui, la hausse des taux met hors marché de financement un certain nombre de personnes. L'État pourrait abonder sous forme de crédit fiscal sur la déduction de taux d'intérêt fléché sur la rénovation énergétique avec une recharge proposée par le banquier. Si on vise la neutralité carbone en 2050, il faut faire contribuer l'ensemble des acteurs privés solvables, de la même façon que la Caisse des dépôts le fait sur le logement social. La loi du 30 mars 2023 sur le tiers financement apporte aussi des mécanismes nouveaux pour favoriser les travaux de rénovation énergétique. On ne peut pas ignorer le portefeuille immobilier des banquiers en France.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Je vous remercie pour vos explications. Il est évident qu'il faut avancer sur la question de la rénovation thermique avec tous les intérêts que cela présente. Malgré une volonté politique avec des ambitions très fortes, un certain consensus depuis le Grenelle de l'environnement et un secteur du bâtiment plutôt volontaire, on constate que cela ne fonctionne pas totalement. Qu'est-ce qui bloque ? Il est nécessaire de mieux cibler les aides sur les bâtiments qui sont des passoires thermiques E, F et G. Cela me semble important. Je partage également l'idée d'une meilleure lisibilité locale afin de mieux orienter les ménages sur le financement et l'accompagnement technique. Il faut aussi simplifier les aides.
Vous avez évoqué le regroupement des CEE et de MaPrimeRenov'. Comment l'imaginez-vous ? Ces deux systèmes sont assez différents et peu lisibles. Comment simplifier les choses ?
Sur la question des matériaux, nous sommes en effet plutôt sur des matériaux locaux, avec un bémol pour le bois que l'on importe en grande quantité et le sable. Que pensez-vous de la mise en place de filières, notamment sur les matériaux biosourcés car ils répondent à un besoin en termes de rénovation, notamment sur le confort d'été. Quelle est votre approche sur ces matériaux ? Avez-vous d'autres filières, parfois très locales qui se mettent en place ? Ça peut être des partenariats très intéressants.
Comment peut-on massifier, appliquer une rénovation importante sur un secteur, raisonner à l'échelle d'un quartier ou sur une typologie de bâtiments ? Comment appliquer des réponses techniques permettant de faire baisser le coût et faciliter l'intervention ?
Enfin, vous nous avez parlé du RGE. Sur la qualité des travaux, notre système actuel donne une labellisation à l'entreprise et à partir de là on considère que les travaux sont correctement réalisés. Nous avons très peu de contrôles en fin de chantier sur le résultat. Or, ce qui est important, c'est le résultat final. Avez-vous un avis sur cette question ?
M. Benoit Bazin. - Pour revenir sur la question fondamentale de lisibilité, je pense que la lisibilité et la stabilité des politiques publiques sont essentielles. Or, on oublie souvent que le bâtiment touche des centaines de milliers de chantiers et d'acteurs. Les solutions techniques existent. Dans l'innovation de rupture, ce qui est difficile, c'est d'agréger toute cette filière. On ne peut pas faire des zigzags tous les deux ans sur la politique énergétique. Et c'est ce qu'on a fait depuis 10 ans ! On fait une nouvelle réglementation et deux ans après on s'étonne que cela ne marche pas. Mais, il faut un an et demi pour déposer un permis de construire, ensuite un financement, ensuite un chantier. On voit le terme de l'opération quatre à cinq ans plus tard. Or, on change les fléchages tous les deux ans. Même s'il y a beaucoup de bonne volonté, d'énergie et de compétence, cela ne suffit pas. La lisibilité et la stabilité sont indispensables. Nous avons une RE2020 qui va nous emmener jusqu'en 2032 et au-delà. Ne changeons surtout pas. Il faut du temps pour que cette filière se mette en branle. J'ai parfois beaucoup de mal à l'expliquer aux décideurs publics, on parle de centaines de milliers de rénovations chaque année. Le bâtiment a une forte inertie. Nous l'avons vécu. On propose un soutien pour l'isolation des combles, il faut créer une usine, c'est un processus long. Nous avons créé cette usine puis elle a été fermée deux ans après ! Cela a représenté 40 millions d'investissements ! Tout cela parce qu'on fait des zigzags.
Concernant les CEE et MaPrimeRenov', il me semble souhaitable que ce soit le même ministre qui soit en charge des deux aides. Or, ce n'est pas le cas ! Cela semble pourtant tellement évident. Les systèmes de financement ne sont pas les mêmes. Nous n'avons pas les mêmes fléchages. MaPrimeRenov' est partie à fond sur les pompes à chaleur, et à une époque, les CEE n'ont plus pris en charge l'isolation des toits. Dans les recommandations de ces deux dispositifs, on a en fait des injonctions contradictoires. C'est à l'État de résoudre cette question. Politiquement on annonce une augmentation des CEE, mais dans la réalité il n'y a pas eu d'effet d'accélération des CEE entre 2022 et 2025, 30 % ayant été déjà consommé, ces mêmes 30 % n'étant déjà pas à la hauteur du défi de décarbonation des bâtiments sur les 30 prochaines années. Les « obligés » avaient de surcroît déjà accompli ce qu'il fallait dans le précédent système. Pour rendre tout cela lisible, il faut que ce soit sous la responsabilité d'une seule personne. Quand on a transformé Saint-Gobain, là où il y avait six ou sept directeurs par ligne de produits par pays, il y a maintenant un directeur général par pays.
Sur les différents matériaux, je vous rappelle que la laine de verre est un matériau minéral. Les matériaux biosourcés n'existent qu'en France, cela n'existe pas dans les pays nordiques où l'on fait de l'isolation minérale. En fait, nous n'avons pas les mêmes critères techniques et scientifiques pour analyser ces matériaux. Il y a une analyse de cycle de vie dynamique qui favorise les biosourcés parce qu'on ne regarde pas le recyclage de ces matériaux en fin de vie et on favorise, dans le calcul, l'absorption carbone. Veut-on couper du bois, qui est un puits de carbone ou analyser des fiches de déclaration environnementale et sanitaire (FDES) de nos produits ? Quand on fait une analyse scientifique complète, il n'y a rien en faveur des biosourcés. C'est plus un biais, une affinité dans le choix des matériaux qu'une analyse scientifique environnementale en prenant les mêmes critères du début jusqu'à la fin de vie et le recyclage. Sur tous ces sujets, on avance puisque nous avons doublé notre capacité de fibres de bois. Nous sommes très ouverts à toutes ces perspectives. Nous analysons cela comme étant plus une question de goût du marché et selon les localités. Pour nous, ce n'est pas une question de performance et n'oublions pas que dans les biosourcés, il y a beaucoup de matériaux chimiques ! Pour autant ces matériaux existent et se développent. Je regrette, concernant la filière bois, que la forêt française n'ait pas été remembrée et qu'elle ne soit pas compétitive. Je serai très heureux d'avoir des usines de fabrication de matériaux en bois en France. Mais si on doit aller chercher le bois en Pologne ou en Scandinavie, avec les risques de change, d'approvisionnement et tout le CO2 que cela représente, ce n'est pas intéressant. Il faut être factuel et technique sur ces sujets. J'attache beaucoup d'importance à l'économie circulaire. Nous avons toujours plaidé pour que la REP ne soit pas différée. Nous avons de nombreuses innovations dans l'industrie sur le recyclage des matériaux. La difficulté n'est pas tant la solution technique mais il faut trouver les effets d'échelle de ces filières de recyclage. Elles se mettent en place. Nous avons 170 points de collecte dans les Point.P avec six ou sept big bags pour permettre aux artisans de mettre le PVC, l'aluminium, le plâtre... Sur l'empreinte environnementale des matériaux de construction, il vaut mieux s'attacher à l'économie circulaire que favoriser tel ou tel matériau, sans parler que cela pourrait provoquer de l'inflation. Aujourd'hui, les biosourcés représentent entre 5 % et 7 % des isolants en France. Je ne connais pas de pays, hormis la Belgique, qui conditionne les aides publiques à la partie biosourcée des matériaux. Mais il y a beaucoup de choses à faire sur les multi-matériaux et le recyclage. Je pense que les filières peuvent s'entraider. Il faut garder à l'esprit que la matière d'isolation va consommer entre un et trois mois de CO2 pour sa fabrication versus 50 ans d'économie de CO2 quand il est inséré dans le bâtiment. La nature de l'isolant ne va pas avoir beaucoup d'incidence par rapport à la performance d'isolation qu'il doit apporter pendant la durée de vie du bâtiment.
Sur la question de la massification, je pense qu'il ne faut pas exagérer la possibilité de massifier la rénovation. Autant il faut le faire sur des bâtiments publics, des écoles, des universités, des hôpitaux où il y a des effets de taille, autant je suis moins favorable dans le résidentiel particulier où chaque logement est différent et où on ne fait pas forcément appel au même professionnel qui est en général un artisan. Seuls un maire ou une intercommunalité peuvent envisager la rénovation d'un quartier dont les logements ont été construits aux mêmes époques et avec une même typologie, décider des incitations à mettre en oeuvre et offrir ce programme de rénovation d'une centaine de logements à une trentaine d'artisans. C'est possible de raisonner comme ça quand on a des quartiers assez homogènes mais en général, massifier dans le résidentiel n'est pas simple. Dans ce registre, nous avons toujours regardé la préfabrication, la construction modulaire hors site afin de voir ce qu'elle peut apporter. C'est courant dans les pays nordiques où cela représente de 25 à 30 % de la construction neuve. Je pense que cela peut capter 10 à 15 % du marché, un peu plus dans le neuf que dans la rénovation. Il ne faut pas trop porter d'ambitions sur la massification de la rénovation car on ne sait pas industrialiser la rénovation. Et nous, au quotidien, avec les 2 000 agences de Point.P, nous avons 400 000 artisans qui viennent s'approvisionner pour des chantiers différents. Pour moi, l'idée de massification, c'est plutôt dans la fluidité des aides. C'est ça l'innovation industrielle de rupture massifiée. Une formule simple avec un guichet unique.
Enfin, concernant la qualité des travaux, je pense qu'il faut garder le label RGE. Nous pourrions faire des qualifications sur site. Par exemple, au bout du troisième chantier bien réalisé, vous seriez qualifié RGE. Il y a cette nouvelle profession de diagnostiqueur qui est une bonne idée. Il y a beaucoup de formations à mettre en oeuvre pour établir le parcours d'une rénovation performante. On apprend en marchant. Ces diagnostiqueurs sont précieux, ils font une recommandation avant les travaux. À eux de revenir après les travaux pour vérifier. Il faut qu'ils soient bien formés. La vérification in situ est très intrusive car il faut aller chez les gens. C'est difficile à mettre en oeuvre. Là, je fais appel au bon sens des gens. Après une rénovation, la facture énergétique diminue même s'il y a toujours un effet rebond quatre à cinq ans plus tard. Aujourd'hui, on a froid dans certaines écoles où il fait 12° C ! Une fois isolée, le passage de 12° à 19° C fait dépenser plus d'énergie et tant mieux. L'effet rebond a toujours existé. Quand les antibiotiques n'existaient pas, on mourait à 50 ans, maintenant on a les maladies du grand âge. Je vois l'effet rebond comme une utilité pour notre pays en termes de productivité, de confort, d'attractivité... Je pense que l'on peut capitaliser sur ces diagnostiqueurs pour vérifier que les travaux ont bien été réalisés comme prévu.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Pouvez-vous nous parler du confort d'été ?
M. Benoit Bazin. - C'est un sujet qui varie selon les régions ! Il s'agit d'une composante importante. Je me réjouis que le plan de rénovation énergétique des écoles annoncé par le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, Christophe Béchu, réponde, en partie, au problème de canicule. Il faut analyser et raisonner multi-matériaux. Le béton a une inertie beaucoup plus forte que le bois qui transmet la chaleur. Sur cette question, nous avons lancé la construction en terre crue. Nous avons quelques chantiers en région PACA. Cela est favorable au confort d'été. Si on construit en bois, il faut des isolants pour améliorer l'inertie thermique. Le confort d'été introduit une dimension supplémentaire pas toujours simple à gérer. Là aussi, il faut stabiliser le dispositif existant pour que tous les professionnels puissent se l'approprier. Il est possible de rendre le béton bas carbone, lui qui a déjà une bonne inertie thermique. Nous avons investi 4 milliards d'euros sur les quatre dernières années sur la chimie du bâtiment qui permet avec des adjuvants dans le béton de diviser par trois ou quatre la teneur en CO2 du béton.
Mme Sabine Drexler. - Le bâti patrimonial requiert des matériaux souvent biosourcés qui ont été utilisés à l'époque de la construction. On se rend compte que ce sont souvent ces matériaux qui sont le plus adaptés pour permettre au bâtiment de respirer.
M. Benoit Bazin. - La rénovation des bâtiments patrimoniaux est encore un autre sujet pas toujours facile à appréhender avec l'aspect sur le patrimoine et les bâtiments historiques. Plus simplement sur les bâtiments haussmanniens, l'épaisseur du mur en pierre fait l'inertie thermique, mais il faut changer les fenêtres en reprenant la menuiserie en bois et en mettant du double vitrage performant et isoler les combles. Il existe maintenant du vitrage avec contrôle solaire et du verre électrodynamique. Si un pignon de l'immeuble n'est pas en pierre, il faut une isolation par l'extérieur. Il existe maintenant des matériaux haut de gamme d'isolants sous vide qui permettent de faire une isolation par l'intérieur. Enfin, il faut changer le système de chauffage collectif pour avoir un système plus performant type pompe à chaleur. Puis, si c'est autorisé, on peut toujours végétaliser la façade. Concernant les bâtiments historiques, ce n'est pas le coeur de gamme de Saint-Gobain. Les exigences sont plus élevées et ponctuelles. Si on veut une énergie verte, je pense qu'il faut accepter certains changements ! Je pense que l'urgence climatique est très importante et donc il faut accepter parfois de changer le cadre tel qu'il était il y a 400 ou 500 ans ! Nous avons créé les ateliers Hermès en Normandie. Nous avons fait fabriquer par un artisan local 500 000 briques à partir d'une carrière d'argile. On ne peut pas le faire pour tous les lycées de la région construits il y a un siècle. Il faut trouver un bon compromis économique.
Mme Sabine Drexler. - En vous écoutant, je comprends qu'il existe des matériaux mais nous n'en avons pas toujours connaissance. Il y a un enjeu de communication. Je vois autour de moi des gens qui, pensant bien faire, font en fait n'importe quoi avec des matériaux inadaptés, faute d'information.
M. Benoit Bazin. - Nous sommes présents dans le négoce de matériaux sur toute la France, on vend de l'ardoise en Bretagne et des tuiles en céramique en Paca. On s'adapte aux spécificités locales en termes d'offre et d'esthétique du bâti. On remet en puissance la chaux par exemple qui permet de faire respirer les murs. La stratégie de Saint-Gobain est la construction légère ou frugale, respectueuse de l'économie circulaire locale. Nous nous éloignons des modes de construction traditionnelle avec des blocs béton et des murs en ciment. Dans beaucoup de pays comme aux États-Unis, au Japon ou en Suède, on a des constructions de type poteau-poutre, respectueux en termes d'acoustique et de thermique. En faisant cela, on divise par deux le poids des matériaux ce qui diminue encore plus le CO2 de cette construction neuve. Les matériaux sont en plus recyclables. La difficulté est de récupérer le verre ou la laine de verre pour le recycler. Mais c'est recyclable à l'infini. Ce n'est pas le cas de beaucoup de matériaux biosourcés. Je ne sais pas recycler du chanvre, de la laine de mouton ou de la fibre de bois aujourd'hui. Il faut convaincre toute la filière de la construction qui a été formée il y a 30 ans, cela prend du temps.
Un autre sujet porte sur la garantie décennale. On ne peut pas réemployer les matériaux de construction car on n'a pas les assurances. Là on est face à des injonctions contradictoires, faites du réemploi mais on n'a plus de garantie.
Quand on pense rénovation globale, plusieurs artisans interviennent mais aucun ne peut être tenu responsable du travail de l'autre pour passer d'une classification F à C. Il faut peut-être favoriser des groupements d'entreprises provisoires en édictant une coresponsabilité de la bonne qualification du diagnostic. Je suis plutôt optimiste car tout le monde en est conscient. Il faut ensuite garder du bon sens. Le réemploi est possible sous certaines conditions. Ces réflexions sont en cours aujourd'hui.
M. Laurent Burgoa. - Vous avez évoqué un plan Marshall pour les passoires énergétiques. Quel est votre point de vue sur les logements en copropriété ? Malgré les dispositifs existants, il est compliqué pour les pouvoirs publics d'intervenir sur les copropriétés. Avez-vous des propositions pour que l'on soit plus efficient ?
M. Benoit Bazin. - Il faudrait simplifier les règles de majorité au sein de la copropriété. Personnellement, je n'ai pas eu la force de conviction suffisante pour convaincre ma copropriété de changer les fenêtres de la cage d'escalier ! Il est choquant de voir qu'il faut se mettre aux normes pour l'ascenseur tous les trois ans, je caricature, et que pour la partie énergétique, nous n'avons pas ces mêmes contraintes. On bute sur des règles de majorité. Les copropriétés comme les collectivités butent également sur une logique annuelle. Or, on devrait raisonner à cinq ou dix ans. On va être en cash négatif pendant quatre ans puis on va économiser pendant 20 ans sur les charges d'exploitation. Dans les copropriétés, on raisonne souvent en charges annuelles. Il faut rentrer dans une logique pluriannuelle. Il faudrait aussi peut-être établir des normes ou des contraintes à respecter à tel ou tel horizon. Cela valoriserait le bien. On fait souvent le calcul de retour sur investissement de la rénovation d'une maison. Pour une maison type, l'offre de Saint-Gobain comprend environ 32 produits différents livrés par Point.P, on va tourner autour de 250 à 300 euros du m2 post-aide. Compte tenu du coût de l'énergie, on a un retour sur investissement de quatre ans sans parler de la revalorisation patrimoniale s'il change de classe. La revalorisation de l'ensemble des appartements est aussi à faire valoir dans une copropriété.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Quand on agit sur la rénovation thermique, d'autres questions se posent sur d'autres aspects. Comment donner une seconde vie à un bâtiment ? Est-il possible de surélever un bâtiment dans le cadre de la réflexion Zéro artificialisation nette ? Avez-vous une réflexion sur ces sujets qui touchent à l'ingénierie du bâtiment ?
M. Benoit Bazin. - Donner une seconde vie à un bâtiment n'est pas simple sauf à le concevoir dès le départ, comme le Village olympique. Changer l'usage d'un bâtiment n'est jamais simple. Et cela peut être coûteux. Les architectes le font de plus en plus. Dans la conception, le numérique est une aide appréciable. Les maquettes numériques peuvent rendre ces opérations abordables en termes de coût et offrir une évolution progressive du bâtiment en termes de destination.
Nous avons observé en Allemagne beaucoup de projets de surélévation. Cela arrive en France pour des contraintes d'artificialisation que vous évoquiez et cela se fait avec une construction légère supportée par des poteaux-bois. On réfléchit à ces rénovations-extensions pour les grandes métropoles et à l'amélioration de l'ensemble de l'habitat. C'est un marché en cours de développement.
Il est très important de continuer à voir le bâtiment comme quelque chose d'essentiel. Les compétences et l'attractivité du bâtiment sont très importantes. Les métiers de la construction sont des métiers modernes qui attirent des jeunes. Saint-Gobain a embauché 6 500 personnes en France. On a un programme de « génération artisan » chez Point.P, on a des écoles du toit, des CFA... Il faut valoriser, auprès de l'Éducation nationale et des jeunes, l'image du bâtiment qui est un métier local dans lequel on vit correctement même si ce sont des métiers très exigeants et engagés, qui apportent beaucoup de bien-être collectif à notre société. La construction est considérée par le Gouvernement sous un angle de réinsertion professionnelle. Or, le bâtiment est bien plus que cela. On observe une image plus moderne, innovante et attractive dans d'autres pays.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Monsieur le Directeur général, je vous remercie de cet échange.
Audition de
M. Olivier David,
chef du service du climat et de l'efficacité
énergétique
à la direction générale de
l'énergie et du climat (DGEC)
(Lundi 22 mai 2023)
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous reprenons nos travaux aujourd'hui en recevant M. Olivier David, chef du service du climat et de l'efficacité énergétique à la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC).
Monsieur, depuis 2018, vous dirigez ce service, qui est une division de la DGEC, que vous représentez aujourd'hui. Auparavant, de 2015 à 2018, vous avez été sous-directeur du système électrique et des énergies renouvelables, au sein de la direction de l'énergie, également intégrée à la DGEC.
Votre audition doit nous permettre de mieux comprendre le rôle de la DGEC dans le pilotage de la rénovation énergétique des bâtiments, afin d'atteindre les objectifs que notre pays s'est fixés. Votre direction, placée sous la tutelle conjointe du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et de la ministre de la transition énergétique, est chargée d'élaborer et de mettre en oeuvre la politique relative à l'énergie, aux matières premières énergétiques, ainsi qu'à la lutte contre le réchauffement climatique et la pollution atmosphérique.
Plus spécifiquement, la DGEC a pour mission de proposer des mesures favorisant la maîtrise de la demande et l'utilisation rationnelle de l'énergie pour l'ensemble de ses usages, ce qui inclut l'amélioration de l'efficacité énergétique des bâtiments, pour ce qui relève de notre commission d'enquête.
À ce titre, la DGEC est l'administration chargée du suivi des certificats d'économies d'énergie (CEE), qui concentrent les critiques relatives à la fraude et aux malfaçons. Nous aimerions connaître vos positions sur ces critiques ainsi que les améliorations qui ont été mises en oeuvre ou que vous envisagez de déployer à l'avenir.
Après presque cinq ans passés à votre poste, vous êtes particulièrement qualifié pour avoir une vision d'ensemble de la politique de rénovation énergétique des bâtiments, de la manière dont sont fixés ses objectifs et dont elle est pilotée. Il nous serait précieux que vous puissiez nous faire part de votre diagnostic et des améliorations que vous souhaiteriez voir aboutir.
Comment la DGEC agit-elle pour favoriser la rénovation énergétique des bâtiments ? Comment cette action s'articule-t-elle avec celle des autres acteurs de la rénovation énergétique ? Cette gouvernance est-elle, selon vous, perfectible ?
Par ailleurs, j'observe que de plus en plus de voix s'élèvent pour demander une dissociation entre la décarbonation de l'énergie consommée, pour atteindre la neutralité carbone et protéger le climat, et l'isolation des bâtiments, afin de lutter contre la précarité énergétique et de limiter la consommation, donc la production d'énergie. Cette dissociation vous semble-t-elle pertinente ?
Enfin, plus généralement, quelle analyse faites-vous des politiques publiques actuelles en matière de rénovation énergétique ? Des améliorations peuvent-elles, selon vous, être apportées afin de rendre plus efficace et d'accélérer la rénovation énergétique des bâtiments ?
Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.
Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Olivier David prête serment.
Monsieur, vous avez la parole pour un propos introductif afin de répondre à ces premières questions. Notre rapporteur ainsi que les membres de notre commission ne manqueront pas, ensuite, de vous en poser d'autres.
M. Olivier David, chef du service du climat et de l'efficacité énergétique à la direction générale de l'énergie et du climat. - Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de votre invitation.
La politique de rénovation énergétique a plusieurs objectifs, ce qui fait toute sa complexité.
Le premier objectif est la baisse des émissions de gaz à effet de serre. Le bâtiment représentant 18 % des émissions de gaz à effet de serre en France, il est essentiel d'agir sur ce secteur afin de réduire les émissions.
Le deuxième objectif est la baisse des consommations d'énergie, objectif qui rejoint celui de réduction des factures d'énergie des ménages, mais aussi des entreprises et des collectivités pour ce qui relève de leurs propres bâtiments.
Un troisième objectif, important et complémentaire des deux précédents, est de lutter contre la précarité énergétique. En la matière, la rénovation des bâtiments des ménages très précaires peut conduire à une augmentation de la consommation énergétique. En effet, ces ménages habitant dans des passoires thermiques ou des logements peu isolés ne consomment que très peu d'énergie avant la rénovation de leurs bâtiments.
Enfin, un dernier objectif de cette politique est celui qui a trait au confort et à l'adaptation au changement climatique des logements. Souvent, le moteur principal des rénovations est non seulement la baisse des émissions des gaz à effet de serre, mais également l'amélioration du confort des logements.
Pour remplir ces objectifs, nous utilisons l'ensemble des outils disponibles. Il s'agit, tout d'abord, d'outils financiers, qui sont très importants. Ainsi, l'ensemble des composantes de MaPrimeRénov' - MaPrimeRénov' pour les propriétaires occupants, MaPrimeRénov' Sérénité, MaPrimeRénov' Copropriétés - représente 2,8 milliards d'euros d'aides par an. Les certificats d'économies d'énergie, dispositif relatif à l'efficacité énergétique, qui est non pas propre à la rénovation des bâtiments, mais universel, représentent 3,7 milliards d'euros dans le secteur du bâtiment, pour les logements et les locaux du secteur tertiaire. Enfin, une aide dont on parle peu est la TVA réduite à un taux de 5,5 % sur les travaux de rénovation, qui représente un coup fiscal de 2 milliards d'euros.
Ces trois outils financiers sont donc divers : un outil fiscal, un outil budgétaire, MaPrimeRénov', et un dispositif extrabudgétaire, les certificats d'économies d'énergie.
Nous disposons ensuite d'outils réglementaires. Ainsi, le décret relatif aux obligations d'actions de réduction de la consommation d'énergie finale dans des bâtiments à usage tertiaire, dit décret tertiaire, rend obligatoire des baisses de consommation d'énergie. Des outils récents sont également disponibles : l'interdiction de location des passoires thermiques, introduites par la loi Climat et résilience, qui entre en vigueur progressivement, ainsi que l'interdiction d'installer de nouvelles chaudières au fioul, selon un décret entré en vigueur le 1er juillet 2022.
Enfin, une politique d'information, de conseil et d'accompagnement existe également. En effet, les aides et les obligations ne suffisent pas, des questions relatives à l'accompagnement se posent aussi.
Au sujet de la dichotomie entre baisses des émissions de gaz à effet de serre et baisse des consommations d'énergie, ces deux objectifs sont selon nous liés. L'objectif que nous devons atteindre est bien celui de la neutralité carbone en 2050, qui est en quelque sorte le phare de notre politique énergétique et climatique. Toutefois, pour ce faire, la baisse des consommations d'énergie et la sortie des énergies fossiles - en 2050, l'objectif est de ne plus recourir au fioul ou au gaz naturel pour se chauffer dans le bâtiment - sont indispensables. En effet, réduire les émissions de gaz à effet de serre, cela implique de baisser les consommations d'énergie et, en priorité, celles d'énergies fossiles. Notre politique est donc fondée sur ces deux piliers.
Les objectifs ont, quant à eux, été fixés au niveau européen, déclinés au niveau national, puis récemment revus à la hausse par le paquet Fit for 55. Notre précédent objectif, qui était de réduire de 40 % les émissions de gaz à effet de serre en 2030 par rapport à leur niveau en 1990, est significativement renforcé, puisqu'il consiste à réduire de 55 % les émissions nettes, ce qui nécessite d'accélérer notre politique de rénovation des bâtiments.
Celle-ci porte ses fruits en matière de baisse des émissions de gaz à effet de serre. Ainsi, dans le bâtiment, 65 millions de tonnes de CO2 ont été émises en 2022 et une baisse continue de ces émissions a été observée au cours des dernières années : depuis 2017, ces émissions ont diminué de 22 %, soit à un rythme de 4,5 % par an, proche de celui de 4,6 % nécessaire pour atteindre le précédent objectif. En revanche, la redéfinition à la hausse de l'objectif 2030 nous oblige à accélérer la baisse des émissions de gaz à effet de serre dans le bâtiment, puisque nos émissions doivent être réduites de 45 %, et à atteindre un rythme de réduction de 5,6 % par an.
La politique française est similaire à celle de nos voisins européens et repose sur l'isolation ainsi que sur la sortie des énergies fossiles. Cette politique est difficile à mettre en oeuvre dans l'ensemble des États membres de l'Union européenne. Le Haut Conseil pour le climat avait publié, voilà un ou deux ans, un rapport comparatif sur ces politiques mises en place au sein des pays européens. Tous les États européens connaissent une même difficulté pour inciter les ménages à engager des travaux de rénovation énergétique et utilisent les mêmes outils d'incitation, d'obligation et d'accompagnement. En France, dans le secteur du logement, nous recourons surtout à l'incitation et peu à l'obligation. Nous étions aussi un peu en retard en matière d'outils d'accompagnement par rapport à l'Allemagne, dotée de dispositifs d'accompagnement des ménages pour une rénovation globale sans doute plus performants que les nôtres. Toutefois, nous essayons d'améliorer cette situation grâce à Mon Accompagnateur Rénov'.
À la différence d'un certain nombre de pays européens, une spécificité marquée de la politique française a trait à son caractère social particulièrement fort, qui a été renforcé depuis 2017. Cela concerne le CEE et MaPrimeRénov'. Selon les objectifs poursuivis, ce n'est pas forcément le moyen le plus efficace pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, car le niveau d'aides nécessaire au déclenchement d'opérations de rénovation est plus important pour les ménages très modestes que pour les ménages aisés.
Le logement représente deux tiers des émissions de gaz à effet de serre du secteur du bâtiment et 80 % de ces émissions sont dues au chauffage. En outre, un tiers de ces émissions proviennent du chauffage au fioul et deux tiers d'entre elles du chauffage au gaz. Le chauffage au fioul est réalisé par 2,5 à 2,8 millions de chaudières et engendre 30 % des émissions de gaz à effet de serre, tandis que le chauffage au gaz naturel concerne 12,5 millions de chaudières et produit 60 % des émissions. Dans le secteur du bâtiment, un gisement d'émissions de gaz à effet de serre important est donc lié au chauffage au fioul. Par conséquent, une priorité forte de la politique de rénovation est de sortir du fioul. Nos deux piliers sont de sortir du fioul et d'isoler les bâtiments, en concentrant notre action sur les passoires thermiques classées F et G, qui représentent 17 % du parc de logement. Nous avons donc essayé d'orienter nos systèmes d'aides vers la rénovation de l'ensemble des passoires thermiques, où les gains d'émissions de gaz à effet de serre et d'économies d'énergie sont les plus importants, et vers la sortie du chauffage au fioul.
Notre système d'aides compte d'abord MaPrimRénov', qui est un dispositif récent, créé en 2020, en faveur des ménages modestes et très modestes, avant d'être élargi à tous les ménages en 2021. Ceux qui critiquent ce dispositif ont tendance à oublier son caractère récent. Ce dispositif est monté en puissance très rapidement, en raison du nombre extrêmement élevé de demandes dès l'origine. Il a remplacé le crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE), en permettant de toucher l'aide plus rapidement : avec le CITE, les travaux étaient effectués une année et déclarés l'année suivante ; douze à dix-huit pouvaient donc s'écouler avant de percevoir l'aide. Avec MaPrimeRénov', si des critiques existent concernant le délai toujours trop long pour toucher l'aide, celui-ci a été néanmoins réduit à quelques mois. Ensuite, ce dispositif a été recentré sur les ménages modestes : 70 % de MaPrimeRénov' sont consacrés aux ménages modestes et très modestes, ce qui n'était pas le cas du crédit d'impôt pour la transition énergétique, surtout perçu par les ménages aisés.
MaPrimeRénov' a permis de réaliser plus de 700 000 rénovations en 2022 au travers de plusieurs piliers : MaPrimeRénov' Sérénité, qui est un dispositif d'accompagnement permettant d'effectuer des rénovations plus profondes et qui a fait l'objet de 35000 dossiers en 2022 ; MaPrimeRénov' Copropriétés, qui accompagne les copropriétés pour des rénovations profondes et qui monte en puissance fortement avec 25 000 dossiers en 2022 ; MaPrimeRénov' par geste, qui a concerné 630 000 dossiers en 2022 et a permis des changements de chauffage au fioul ou au gaz au profit des pompes à chaleur, y compris hybrides, ou du chauffage biomasse, mais aussi en faveur de l'isolation des murs.
Le principal enjeu de MaPrimeRénov' réside dans l'augmentation de la proportion de rénovations globales par rapport aux rénovations par geste, via l'accompagnement. Cela passe par la meilleure information des ménages, afin de les accompagner vers des rénovations plus profondes. La DGEC n'oppose pas systématiquement rénovation par geste et rénovation profonde. Il peut parfois être utile de faire certains gestes : isoler son logement ou changer sa chaudière par exemple. Ainsi, remplacer sa chaudière au gaz par une pompe à chaleur hybride permet de diviser par trois sa consommation de gaz, donc sa facture et ses émissions de gaz à effet de serre. Simplement, il est préférable d'avoir aussi une bonne isolation lorsque l'on installe une pompe à chaleur.
Notre deuxième pilier réside dans les CEE, dont le financement est extrabudgétaire, puisqu'il repose sur les fournisseurs d'énergie. Il s'agit d'encourager les économies d'énergie. Ce dispositif a deux caractéristiques. La première est le rôle actif et incitatif, qui consiste à faire de l'« aller vers », non pas à octroyer le certificat une fois les travaux faits, mais à accorder une aide qui doit déclencher les travaux. La seconde est sa dimension redistributive, puisque le CEE est financé par prélèvement sur la facture des Français, mais il bénéficie beaucoup plus aux ménages précaires qu'aux autres : les ménages précaires sont bénéficiaires nets des CEE alors que les ménages plus aisés sont contributeurs nets, via leur facture. C'est un dispositif important pour la rénovation. En 2022, il a permis 625 000 isolations de combles, 170 000 isolations de plancher, 150 000 isolations de murs et 155 000 installations de pompes à chaleur. C'est massif.
La valeur du CEE est liée à l'économie d'énergie réalisée, mais on accorde aussi des bonifications, appelées « coups de pouce » : il y a le coup de pouce « chauffage », qui répond à la priorité de la sortie des énergies fossiles - on a ainsi plus de ménages passant du chauffage au fioul ou au gaz à un chauffage fondé sur des énergies renouvelables, la pompe à chaleur, la biomasse ou le réseau de chaleur -, et le coup de pouce « rénovation globale », qui permet au ménage qui s'est engagé dans une rénovation globale de toucher un CEE plus important que ce qu'il aurait touché sur le seul fondement des économies d'énergie.
Vous me posez aussi la question de la fraude, mais cela recouvre des situations très diverses, tant pour le dispositif des CEE que pour celui de MaPrimeRénov'.
Il y a d'abord les fraudes purement liées au dispositif, sans implication des ménages : il s'agit de demandes des CEE pour des travaux qui n'ont jamais été réalisés. Il y a ensuite des fraudes liées aux opérations de rénovation, soit à la consommation - lorsque des professionnels vendent des travaux sans l'accord exprès du client, souvent en vendant un crédit associé -, ce qui est courant même en dehors du champ de la rénovation, soit à des malfaçons, qui s'étendent sur un spectre très large, de la petite malfaçon aux travaux très mal faits. Cela recouvre donc des situations très diverses, mais la lutte contre la fraude est une préoccupation constante pour nous.
Les CEE ont connu une forte montée en puissance entre 2018 et 2020, qui s'est accompagnée d'un afflux important de fraudeurs, car ces derniers repèrent les dispositifs qui montent en puissance pour s'y engouffrer. On observe au contraire une forte baisse des fraudes depuis un an ou deux. Cette baisse est liée à l'augmentation forte du niveau des contrôles. Nous demandons deux types de contrôle. D'une part, les énergéticiens doivent procéder, avant le dépôt des demandes de CEE, à un contrôle sur site, qui doit concerner au minimum 10 % des opérations, afin de vérifier que les travaux ont été réalisés et de s'assurer de leur qualité. D'autre part, en sus de ces 10 %, 20 % des travaux doivent être contrôlés par point de contact, c'est-à-dire par téléphone ou par courrier avec réponse ; il s'agit de demander si les travaux ont bien eu lieu et si les clients en sont satisfaits. Les contrôles faisant état de points négatifs doivent bien évidemment donner lieu à correction. Par conséquent, presque un tiers des CEE font l'objet d'un contrôle.
Par ailleurs, il y a aussi les propres contrôles de l'administration, qui sont non pas aléatoires, mais ciblés : sur le fondement d'une série d'indices, on procède aux mêmes contrôles, en envoyant des bureaux de contrôle sur place ou en faisant des contrôles par point de contact.
Nous avons en outre interrogé 10 000 ménages titulaires d'un CEE et nous avons obtenu une note médiane de neuf sur dix, pour la qualité des travaux et pour le dispositif du CEE ; les ménages sont donc globalement très satisfaits. Bien sûr, il y a toujours des problèmes et il y en aura toujours. Nous essayons de les repérer, notamment grâce à des signalements que l'on nous envoie, lorsque des clients ne sont pas satisfaits de leurs travaux. En outre, nous avons renforcé la coordination des services de l'État qui luttent contre la fraude : la DGEC, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), la police et la gendarmerie, Tracfin pour les fraudes purement au CEE, l'Agence nationale de l'habitat (Anah), qui pilote MaPrimeRénov', et les organismes de certification, qui accordent les certifications RGE (reconnu garant de l'environnement). Les échanges d'informations se font grâce aux lois dites Énergie-climat de 2018 et Climat et résilience de 2021. Nous échangeons maintenant de façon fluide tout en respectant le secret des informations de chaque service.
Vous posez également la question du reste à charge. Le dispositif de l'éco-prêt à taux zéro (éco-PTZ) monte en puissance - on en a accordé 80 000 en 2022 -, de même que le prêt avance rénovation, instauré par la loi Climat et résilience.
Au-delà des incitations, il y a l'information-conseil, que l'on distingue de l'accompagnement. Les ménages reçoivent l'information ou le conseil dans des lieux ou lors de points de contact. L'Anah pilote le dispositif, qui est cofinancé par les collectivités à 50 %, le reste étant financé via les CEE du programme Sare (service d'accompagnement pour la rénovation énergétique). Ce programme est monté en puissance, du point de vue tant du nombre de conseillers que du nombre d'espaces France Rénov'. Ainsi, nous couvrons aujourd'hui 98 % du territoire ; il reste simplement quelques sujets à traiter dans certains départements d'outre-mer. Nous sommes passés de 700 conseillers en 2019 à 2300 aujourd'hui. En 2022, 450 000 ménages ont reçu une information dans ces espaces et, parmi eux, 225 000 ont été conseillés.
Ce dispositif est bâti sur un programme qui s'arrête fin 2024. Nous avons donc engagé une large concertation avec les collectivités pour définir le dispositif France Rénov' de 2025. L'objectif est de garder le copilotage et le cofinancement avec les collectivités et de passer, du côté de l'État, à un financement budgétaire.
Ce qui débute, c'est la mission d'accompagnement. L'idée est d'accompagner le ménage concrètement dans ses travaux, dans le choix des entreprises, le suivi et la réception des travaux. Cet accompagnement est essentiel si l'on veut aller vers plus de rénovation globale, car, en la matière, un ménage doit être accompagné. Il existe déjà un accompagnement, via MaPrimeRénov' Sérénité pour les ménages modestes et MaPrimeRénov' Rénovation globale pour les ménages intermédiaires ou supérieurs, mais aussi dans les espaces France Rénov'. Simplement, nous souhaitons accélérer fortement l'accompagnement par le dispositif Mon Accompagnateur Rénov', profession que nous voulons développer. Ces accompagnateurs sont agréés par l'Anah. À partir de 2023, les aides de rénovation globale devront forcément faire l'objet d'un accompagnement. L'objectif est d'augmenter fortement le nombre de ces accompagnateurs, afin que l'on puisse conseiller utilement les ménages qui veulent faire de la rénovation par geste, soit, si une rénovation globale n'est pas nécessaire, pour les conseiller dans leur rénovation par geste, soit, si c'est pertinent, pour leur conseiller une rénovation globale. Tel est notre principal enjeu pour les six à douze mois qui viennent : augmenter le nombre de ces professionnels.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Merci de vos explications.
Vous participez à la gouvernance de l'Observatoire national de la rénovation énergétique (ONRE) ; que pensez-vous de son fonctionnement ? Quelles sont ses premières analyses ? Est-ce un outil intéressant ?
Il existe plusieurs dispositifs de soutien à la rénovation, notamment MaPrimeRénov' et le CEE. Cela n'est pas forcément très lisible, il n'est pas facile de savoir à qui s'adresser. Réfléchissez-vous à l'hypothèse d'une fusion de ces deux dispositifs ? Ou au moins à l'idée d'un guichet unique ?
Il y a parfois des orientations qui paraissent contradictoires : MaPrimeRénov' favorise la rénovation globale, mais le CEE oriente parfois vers un seul geste via les combles à un euro ou l'encouragement au changement de chaudière. Quelle est la cohérence ?
On parle beaucoup de confort d'hiver, mais quel est l'état de vos réflexions sur le confort d'été ? Quel regard portez-vous sur les pompes à chaleur réversibles ? Les dispositifs de confort d'été ne sont pas éligibles au dispositif MaPrimeRénov', alors que la question se pose avec de plus en plus d'acuité...
Nous n'avons pas eu de chiffres sur le dispositif Mon Accompagnateur Rénov' et nous nous posons des questions sur ses missions. Une étude poussée sur la rénovation globale peut coûter cher, disons 2000 à 3000 euros, mais on entend parler de prestations qui seraient facturées à 150 ou 200 euros, ce qui n'est pas du tout la même chose et qui ne peut déboucher sur le même niveau de prestation. Quel est l'objectif ? Le coût de cet accompagnateur serait-il pris en charge totalement ?
M. Olivier David. - Nous nous intéressions déjà à la rénovation énergétique avant la création de l'ONRE, qui a été institué à partir de travaux préexistants. Le but est d'éclairer nos travaux, avec la mise en place de tableaux de bord et d'études spécifiques sur la rénovation énergétique. Tous les travaux sont publics, disponibles sur le site du ministère ; certains portent sur l'état du parc de logements, mais aussi, plus spécifiquement, sur celui des logements locatifs, avec un suivi des consommations et des émissions de gaz à effet de serre. L'intérêt de ces travaux est qu'ils s'inscrivent dans la durée, nous voulons conduire ces analyses tous les ans. Notre objectif est également d'avoir des données le plus vite possible, car, en général, nous avons les données au bout d'un ou deux ans. Or il est compliqué de piloter une politique quand on ne connaît ses effets qu'au bout de deux ans. Ces études nous donneront une idée provisoire de l'effet de nos actions, même si elles reposent sur des méthodes moins fiables que les méthodes statistiques, qui s'appuient sur la très longue durée.
L'ONRE s'appuie sur les économies d'énergie réelles engendrées par les rénovations, en utilisant Linky et Gazpar, qui fournissent des mesures fiables sur un pas de temps réduit - le mois -, grâce au relevé des consommations d'électricité et de gaz. L'idée est d'étudier les consommations avant et après la rénovation, pour mesurer les effets réels des travaux. Il faut être attentif aux nombreux biais statistiques - la consommation d'énergie d'un logement vide qui a été rénové et qui est ensuite occupé augmente nécessairement même si la rénovation est efficace, le changement de taille du foyer influe, etc. -, mais c'est très satisfaisant et très précieux pour nous.
Les CEE sont un outil extrabudgétaire, au contraire de MaPrimeRénov'. Sa force réside dans le fait que l'on évite le démarchage abusif de la part des énergéticiens. Les deux dispositifs ont leurs avantages et leurs inconvénients. Notre but est que le passage de l'un à l'autre soit le plus fluide possible pour les ménages et que les critères soient exactement identiques dans les deux cas. Des textes seront publiés d'ici à l'été prochain pour corriger certains défauts.
Le rôle de Mon Accompagnateur Rénov' pourra inclure l'accompagnement des ménages pour une demande d'aide dans le cadre des CEE, comme le font déjà à l'inverse les professionnels de ces certificats, qui proposent en général aux ménages, pour les gros travaux, un package d'aides incluant les CEE, MaPrimeRénov' et les éco-PTZ. L'Anah a créé les « mandataires MaPrimeRénov' », dont la plupart sont des professionnels des CEE. Le rapprochement entre les deux dispositifs contribue à la fluidité de leur fonctionnement.
Le dispositif Mon Accompagnateur Rénov' répond à notre volonté de faire en sorte qu'un professionnel puisse aider les ménages à sélectionner les entreprises qu'ils engageront, puis à suivre et à réceptionner les travaux. Le coût de la prestation sera entre 1500 et 2000 euros, auquel il faudra ajouter celui d'une prestation complémentaire, en quelque sorte, dans le cas des ménages très précaires qui auront aussi besoin d'un accompagnement social. Ceux qui interviendront au titre de Mon Accompagnateur Rénov' devront être formés à ce type d'intervention à caractère social, ou tout au moins devront être capables d'en détecter la nécessité.
Notre objectif est que l'État prenne en charge le coût de Mon Accompagnateur Rénov'. Il faudra tenir compte du fait que le pourcentage d'accompagnement sera plus élevé dès lors qu'il portera sur les ménages les plus modestes. Nous devrons donc prévoir un plafond de dépenses entre 1 500 et 2 000 euros, ainsi que la prise en charge par l'État d'un pourcentage d'interventions plus important pour les ménages modestes. Des réflexions sont en cours pour rendre le dispositif opérationnel à l'été prochain.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Il sera donc obligatoire de recourir à Mon Accompagnateur Rénov' dans le cadre d'une rénovation globale ?
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Ne risque-t-on pas de rendre moins attractive la solution d'une rénovation globale ? En effet, il y a aura forcément un reste à charge avec pour conséquence que les ménages choisiront de faire l'économie de la maîtrise d'oeuvre.
M. Olivier David. - Ce qui compte pour les ménages, c'est le coût de l'opération globale, donc le reste à charge dont ils devront s'acquitter une fois pris en compte l'aide de MaPrimeRénov' et le coût des travaux.
Quant à la possibilité de prendre en charge à 100 % le dispositif Mon Accompagnateur Rénov', la problématique est la même que pour les combles à un euro. Cette opération a été rendue possible grâce à une bonification importante des CEE et a permis l'isolation de plus de 2 millions de maisons individuelles. Toutefois, on a constaté que, quand les ménages ne payaient rien, ils étaient beaucoup moins attentifs à la qualité et à la nature des travaux effectués.
Dans le cadre de Mon Accompagnateur Rénov', la prestation sera très complexe à vérifier, car elle est de nature intellectuelle. Certes, l'immense majorité des professionnels fera sérieusement son travail, mais nous créons tout de même une niche adossée à un système d'aides, et le dispositif n'est pas exempt d'un risque de fraude. C'est la raison pour laquelle nous préférons prévoir un reste à charge, la prise en charge restant très importante pour les ménages modestes.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Si l'on veut favoriser la rénovation globale, il faut compenser la difficulté initiale du manque d'information des ménages. Il suffira pour cela d'une étude simple qui renseignera les propriétaires sur leurs options pour conduire les interventions et pour définir les prestations. Cette première phase est essentielle. Plusieurs collectivités ont déjà travaillé sur la question.
M. Olivier David. - Il faut distinguer trois étapes : l'information, le conseil et l'accompagnement. Les deux premières passent par le réseau France Rénov', l'enjeu étant de faire en sorte que toute personne qui décide de se lancer dans des travaux de rénovation puisse trouver un point de contact dans un espace France Rénov', au moins pour s'informer. Il faut donc massifier le réseau. L'information pourra aboutir à du conseil si le ménage le souhaite et l'on passera ensuite à l'accompagnement. Pour l'instant, une personne sur deux qui fait appel au réseau pour de l'information lui demande ensuite du conseil.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Dans quelle proportion faudrait-il massifier le réseau France Rénov ? Que prévoyez-vous en ce sens ?
M. Olivier David. - Le réseau dispose d'une agence par établissement public de coopération intercommunale (EPCI), ce qui est pour nous le niveau minimal.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - N'est-ce pas un objectif que vous vous étiez fixé pour 2025 ?
M. Olivier David. - Nous l'avons quasiment atteint, du moins si l'on met à part le cas de l'outre-mer. Une concertation a été lancée au début du mois de mai avec les collectivités territoriales pour fixer de nouveaux objectifs et massifier encore davantage le réseau.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous vous remercions et recevrons avec intérêt les éléments complémentaires que vous voudrez bien nous faire parvenir.
Audition de
sociétés d'accompagnement à la rénovation
énergétique
(Lundi 22 mai 2023)
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête par une table ronde consacrée aux sociétés d'accompagnement à la rénovation énergétique.
Nous sommes heureux de recevoir le Groupement des professionnels des certificats d'économie d'énergie (GPCEE), qui est représenté par Mme Florence Lievyn, membre du bureau et responsable des affaires publiques chez Sonergia. L'entreprise Hellio est représentée par M. Pierre-Marie Perrin, son directeur des affaires publiques. L'entreprise Effy est représentée par sa directrice des affaires stratégiques, Mme Audrey Zermati, ainsi que par son directeur des affaires publiques, M. Romain Ryon. L'entreprise Teksial est représentée par son directeur général, M. Jean-Baptiste Devalland. Le syndicat Symbiote est représenté par Mme Sylvie Charbonnier, sa secrétaire générale. Enfin, l'entreprise Dorémi est représentée par M. Vincent Legrand, son président, ainsi que par Mme Leana Msika, sa responsable des affaires publiques.
Vous pratiquez tous une activité de conseil à la rénovation et à l'efficacité énergétiques, ou bien vous représentez des sociétés positionnées dans ce secteur. Nous avons pu constater, au cours des auditions, le rôle crucial que joue l'accompagnement non seulement des ménages, mais aussi des entreprises, dans la politique de rénovation énergétique des logements. L'accompagnement est souvent indispensable pour se repérer dans le maquis des aides, pour réaliser les opérations les plus adaptées à la situation, ainsi que pour éviter les fraudes.
À cet égard, le nouveau dispositif clé Mon Accompagnateur Rénov' s'est progressivement déployé depuis le début de l'année. Dans quelle mesure avez-vous été associés à sa conception ? Quel regard portez-vous sur ce dispositif, et avez-vous des propositions pour l'améliorer ?
Si l'accompagnement permet d'éviter les fraudes à la rénovation énergétique, des personnes mal intentionnées peuvent néanmoins se faire passer pour des accompagnateurs à la rénovation énergétique. C'est la raison pour laquelle des mesures ont été prises, au cours des dernières années, pour renforcer la lutte contre la fraude, par exemple l'interdiction du démarchage téléphonique dans le secteur de la rénovation énergétique. Ces politiques ont-elles eu un effet sur vos activités ? Selon vous, faudrait-il prendre des mesures différentes pour assurer une meilleure protection face à la fraude ?
L'accompagnement à la rénovation énergétique est souvent associé à MaPrimeRénov', mais il ne faut pas oublier le dispositif plus ancien des certificats d'économies d'énergie (CEE). Or, les CEE sont souvent mis en cause pour leur complexité, y compris pour les publics avertis. Partagez-vous ce constat, et le cas échéant, comment appréhendez-vous cette complexité ?
Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions et en commençant par le GPCEE, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat. Elle fera aussi l'objet d'un compte rendu publié.
Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Florence Lievyn, M. Pierre-Marie Perrin, Mme Audrey Zermati, M. Romain Ryon, M. Jean-Baptiste Devalland, Mme Sylvie Charbonnier, M. Vincent Legrand et Mme Leana Msika prêtent serment.
Mme Florence Lievyn, membre du bureau et responsable des affaires publiques chez Sonergia. - Depuis dix ans, le GPCEE oeuvre comme association représentative du groupement des professionnels des certificats d'économie d'énergie, tout particulièrement des délégataires en économie d'énergie.
Les délégataires sont le trait d'union entre le bénéficiaire et l'obligé. Ils constituent donc un acteur incontournable dans la chaîne de traitement des certificats d'économies d'énergie.
Les CEE ont été le premier mécanisme financier d'accompagnement de la rénovation énergétique à être mis en place en France. Ils représentent entre 5 milliards et 6 milliards d'euros de financement par an, consacré à l'efficacité énergétique. Le mécanisme couvre six secteurs et s'étend donc au-delà de la rénovation énergétique ; toutefois, quelque 3 milliards d'euros sont consacrés à celle-ci chaque année.
Ce dispositif apparaît souvent complexe et est parfois associé à la fraude et à l'éco-délinquance. Pourtant, nos voisins ne s'y sont pas trompés et l'Espagne a très récemment fait le choix de ce même mécanisme pour financer sa politique publique d'accompagnement à l'efficacité énergétique.
Le premier sujet qu'il convient d'aborder pour répondre à vos questions porte sur la lisibilité du dispositif. En tant que professionnels, nous sommes régulièrement perdus, à cause de la trop grande fréquence des changements qui sont opérés dans les mécanismes d'aide à la rénovation énergétique. Pour accroître l'efficience de la politique de rénovation énergétique, il faudrait limiter à deux changements ou évolutions par an l'ensemble de ces dispositifs et prévoir que les mécanismes entrent en vigueur ou s'arrêtent au 1er janvier et au 1er juillet de chaque année.
Le deuxième sujet concerne l'harmonisation des différents mécanismes. En effet, il n'existe pas moins de sept aides à la rénovation énergétique. Elles sont nécessaires ; dans la mesure où elles ont des sources de financement et des fonds différents, elles ne peuvent pas se substituer l'une à l'autre. En revanche, elles doivent être complémentaires et se rejoindre dans leurs critères d'éligibilité, de délivrance et de contrôle.
Le troisième sujet est celui de l'égalité de traitement. Pour que la politique de rénovation énergétique soit efficace, il faudrait que tous les acteurs concernés soient soumis aux mêmes exigences. Ainsi, les délégataires sont l'une des composantes des producteurs de CEE : ils génèrent 30 % à 40 % des certificats, le reste étant le fait des mandataires et des obligés. Or, à ce jour, le code de l'énergie ne prévoit des contraintes que pour eux, alors que rien ne justifie que les autres producteurs de CEE en soient exemptés. Il y aurait là un changement à opérer, qui aurait un effet significatif, notamment en matière de lutte contre la fraude.
M. Pierre-Marie Perrin, directeur des affaires publiques de Hellio. - L'entreprise Hellio compte 300 salariés, son siège social est à Paris et nous avons une quinzaine d'agences en région. La particularité de l'entreprise est d'être multisectorielle, ce qui signifie que nous accompagnons non seulement les ménages pour la rénovation énergétique de leur maison individuelle, mais aussi l'habitat collectif - les copropriétés et les bailleurs sociaux -, ainsi que les entreprises du tertiaire - l'industrie et les exploitations agricoles. Notre spectre d'intervention, très large, nous permet de mesurer les difficultés dans tel ou tel secteur.
Je souscris aux constats de Florence Lievyn et je veux insister sur la planification. En effet, les délégataires et les acteurs de la rénovation énergétique se retrouvent souvent à attendre une enveloppe financière, que ce soit dans le cadre de MaPrimeRénov' ou des CEE. Une planification pluriannuelle permettrait de connaître l'ensemble des budgets alloués à la rénovation énergétique. La filière doit se structurer et a besoin pour cela d'avoir une visibilité dans le temps. En outre, les fraudes sont liées à des effets d'opportunisme contre lesquels la planification permettrait de lutter efficacement. Il suffirait d'une planification à deux ou trois ans pour rassurer et structurer la filière.
L'anticipation législative et réglementaire doit également être améliorée. Les entreprises délégataires qui accompagnent la rénovation énergétique ont la faculté de s'adapter, mais elles ne peuvent pas le faire du jour au lendemain.
Il faut aussi travailler sur la lisibilité des dispositifs, car l'on confond encore trop souvent l'accompagnement social et l'accompagnement vers une meilleure efficacité énergétique. Qu'il s'agisse de MaPrimeRénov' ou des CEE, les dispositifs ont dépassé leur cible initiale et pratiquent les deux types d'accompagnement, de sorte que l'on ne distingue plus vraiment les missions de chacun. MaPrimeRénov', en tant que dispositif public, devrait principalement s'attaquer au problème des passoires thermiques, pour lequel l'enjeu social et sociétal est fort.
L'efficacité de la politique de rénovation énergétique doit être contrôlée. Or on manque d'outils de mesure pour comprendre où va l'argent public. En effet, comment mesurer les économies d'énergie réelles post-chantier ? L'entreprise Hellio travaille sur ce sujet, car sans outil de mesure pertinent, on avance à l'aveugle. Cela fonctionne déjà dans le secteur tertiaire.
Enfin, le dernier enjeu est celui de la responsabilité. Mon Accompagnateur Rénov' représente un maillon supplémentaire dans le dispositif, qui est essentiel pour aider les gens dans leurs démarches. Toutefois, Mon Accompagnateur Rénov' ne porte pas la responsabilité des économies d'énergie réelles et personne ne le fait dans la chaîne de valeur. MaPrimeRénov' contribue à rénover 700 000 logements par an, mais d'un point de vue qualitatif la responsabilité de la réussite de cette rénovation énergétique n'échoit à personne. Cette question est pourtant fondamentale.
Mme Audrey Zermati, directrice des affaires stratégiques d'Effy. - L'entreprise Effy compte 300 salariés et son champ d'intervention est concentré sur l'accompagnement des particuliers dans la rénovation énergétique du secteur résidentiel : nous intervenons auprès de 100 000 familles par an. Grâce à nos 3 600 partenaires, qui oeuvrent partout en France, nous sommes l'un des leaders dans notre domaine. Nous accompagnons les particuliers de A à Z, depuis la définition du projet jusqu'à la mobilisation des aides, puis à la réalisation et au contrôle des travaux.
Les décisions que vous prendrez à l'issue de cette commission d'enquête pourront faire date. En effet, à l'issue des auditions, il vous reviendra de choisir entre deux voies : faut-il laisser faire les entreprises véreuses qui abusent du système ou bien faut-il encadrer efficacement le système pour qu'il soit vertueux et au service de la collectivité ? Ce choix engagera toute la société en matière de rénovation énergétique.
Les principaux freins à la rénovation énergétique tiennent à la méfiance des particuliers et au dysfonctionnement des aides à cause des abus auxquels elles donnent lieu.
Les dispositifs d'aides ont permis de mettre en mouvement les filières. Ainsi, entre 2019 et 2021, quelque 700 000 chaudières ont été remplacées et plus de 2 millions de logements ont bénéficié de travaux d'isolation ; depuis 2020, des centaines de milliers de travaux ont été réalisés dans le cadre de MaPrimeRénov'.
Toutefois, l'on continue de s'interroger sur le bon calibrage des aides. En effet, quand les aides sont trop faibles, elles ne sont pas assez incitatives, mais quand elles sont trop généreuses, cela finit par coûter trop cher ou par attirer des écodélinquants. Nous ne savons donc pas piloter la politique publique de rénovation énergétique autrement que dans un mouvement de stop and go. On distribue des milliards d'euros, soit 10 milliards d'euros si l'on cumule tous les dispositifs, mais l'on ne sait ni piloter ni contrôler finement la politique publique de rénovation énergétique.
En 2010 déjà, on avait institué un moratoire sur le crédit d'impôt pour développer l'énergie solaire. En 2020, on a interdit le démarchage téléphonique et tenté de mettre fin à l'arnaque sur les CEE pour l'isolation des combles à un euro. Désormais, les arnaques portent sur MaPrimeRénov' et sur les aides à la rénovation globale. Le phénomène n'a rien de récent et on ne peut pas continuer de l'ignorer.
En réalité, les abus ne sont pas liés aux dispositifs ou à la typologie des travaux, mais au manque d'ambition que l'on s'est donné pour piloter et contrôler la politique de rénovation énergétique. Nous n'avons eu de cesse de lancer l'alerte depuis dix ans au sujet de toutes ces fraudes. Nous le faisons encore aujourd'hui encore sur la rénovation globale. On nous a systématiquement opposé la complexité du système, le trop grand nombre d'acteurs et le manque de moyens.
Voilà pourquoi nous tenions à vous faire des propositions sur le renforcement de la coordination interministérielle pour un meilleur pilotage des aides, de leur redistribution et des boucles de rétroaction pour mieux les contrôler. Il faudrait mettre en place une task force interministérielle pour piloter la politique de rénovation énergétique.
Nous souhaitons aussi que l'on crée une police de la rénovation énergétique, dotée d'un budget à la hauteur des enjeux : sur les 10 milliards d'euros d'aides allouées, il suffirait de prélever le 1 % contrôle.
Le dispositif Mon Accompagnateur Rénov' est intéressant, mais ne suffira pas à enrayer le fléau. Il faut mettre un terme au laisser-faire pour ne pas devenir complice des entreprises véreuses.
M. Vincent Legrand, président de Dorémi. - L'entreprise Dorémi n'accompagne pas les ménages, mais les artisans. C'est une entreprise de l'économie sociale et solidaire qui travaille depuis 2011 à la mise en place de rénovations performantes. Le calage du curseur pour distinguer la rénovation performante de la rénovation énergétique est important.
Notre entreprise a été pionnière, il y a une douzaine d'années, en structurant des formations sur chantier pour les artisans. Ce travail a été majeur pour que les différents corps de métier puissent échanger entre eux et mettre en oeuvre de manière pratique des solutions pour diminuer la consommation énergétique dans les bâtiments : les menuisiers ont ainsi pu parler aux plaquistes, aux ventilistes ou bien encore à ceux qui travaillent sur les toitures.
En outre, il fallait renforcer la confiance des ménages. Pour ne pas mélanger les genres, nous avons préféré intervenir en amont pour former des accompagnateurs au niveau local, dans le cadre du dispositif Mon Accompagnateur Rénov'. Il nous est alors apparu que l'un des enjeux principaux était d'orienter les ménages dans le maquis des aides. Nous avons donc créé des outils de simplification à destination des ménages.
Enfin, nous avons mis en place un suivi qualité sur les chantiers pour nous assurer que les travaux prévus initialement ont abouti à rendre la maison performante.
Notre entreprise se positionne sur la rénovation performante et principalement globale.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - La rénovation performante a donné lieu à des débats nourris lors de l'examen du projet de loi Climat et résilience.
M. Vincent Legrand. - Une rénovation performante permet aux ménages d'avoir un logement de classe A ou B, et éventuellement C dans le cas des passoires énergétiques. La rénovation globale permet d'atteindre ce niveau de performance en une seule fois, c'est-à-dire en moins de dix-huit mois.
Ce type d'approche contribue à réduire la consommation de chauffage des ménages en la divisant par quatre, voire par dix. Grâce aux aides appropriées et aux réductions de consommation, nous parvenons à construire un modèle économique vertueux pour les ménages. Le coût des rénovations se situe autour de 70 000 à 80 000 euros, les montants ayant fortement augmenté après la période de la crise covid.
Par conséquent, de notre point de vue, pour que la politique publique de rénovation énergétique soit efficace, il faut veiller à bien caler le curseur des aides pour le bon niveau de performance.
Or, les mécanismes financiers de l'État font référence à des niveaux de consommation qui ne sont pas cohérents avec les critères des classes A, B et éventuellement C, tels qu'ils sont définis dans le code de la construction. Cela crée de la confusion : il faut donc simplifier le dispositif et adopter les critères fixés dans le code de la construction.
S'agissant des aides, le choix des dispositifs est vaste, mais s'il s'agit de mobiliser l'écoprêt à taux zéro, les ménages très modestes n'y ont pas accès, la démarche est très complexe pour les ménages modestes et elle exige, pour les ménages aisés et intermédiaires, plusieurs mois de négociation. La question se pose donc de savoir dans quelle mesure la politique publique peut inciter davantage les acteurs bancaires à s'orienter vers cette approche. En tout cas, il faut travailler sur l'harmonisation des aides, pour offrir une continuité et une lisibilité aux ménages. Ce n'est pas l'orientation qui semble retenue pour le projet de loi de finances (PLF) pour 2024, celui-ci comprenant une nouvelle évolution de MaPrimeRénov', mais pas de l'ensemble des dispositifs.
Par ailleurs, l'accompagnement est insuffisamment orienté vers la performance énergétique. Si l'on ne montre pas aux ménages l'intérêt d'avoir un niveau de consommation correspondant au label BBC - bâtiment basse consommation - et le cheminement pour y parvenir, ceux-ci continueront de demander des changements de fenêtres ou de chaudières. Alors qu'il faut orienter le référentiel des accompagnateurs Rénov' vers la performance, nous sommes inquiets de voir qu'aucune formation n'est prévue, aujourd'hui, pour ces accompagnateurs.
Autre difficulté, le fait de devoir débourser de l'argent avant même le début des travaux est encore mal accepté en France. Pour que l'accompagnement puisse décoller, il faudra donc, en tout cas au démarrage, assumer une intervention forte des pouvoirs publics pour aider les ménages. Or cela ne semble pas être la logique retenue à l'heure actuelle.
J'en viens au choix du volume de travaux financés par les aides. Le fait que trois quarts des CEE concernent l'installation de pompes à chaleur - alors que, selon un rapport de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) de 2021, consacrer la première étape de la rénovation à un changement de chaudière est le plus mauvais choix que l'on puisse faire - démontre un problème de positionnement. Les certificats d'économies d'énergie doivent pouvoir être utilisés sur des bouquets de travaux orientés vers le besoin véritable, à savoir l'effondrement des factures de chauffage. Ayant constaté que les calculs conventionnels utilisés dans les audits réalisés en lien avec le diagnostic de performance énergétique (DPE) aboutissent à une infinité de solutions, qui ont tendance à perdre les artisans, les ménages, voire les accompagnateurs, nous avons, pour notre part, fait le choix de nous appuyer sur des bouquets de travaux précalculés. Ces derniers facilitent grandement la préconisation de travaux par l'auditeur et leur appropriation par tous. Il faudrait faire en sorte que les aides s'appuient sur de tels bouquets.
S'agissant, enfin, de la problématique des fraudes, nous travaillons avec un réseau de 70 à 80 formateurs experts, répartis sur le territoire national et qui, avec le temps, deviennent contrôleurs. D'après nous, il est possible de faire d'une pierre deux coups, en menant une politique publique de formation et de montée en compétences des opérateurs de travaux d'une part, et, d'autre part, en faisant en sorte que les formateurs puissent devenir contrôleurs à l'échelon national. Il nous semble que l'enjeu, ici, est de s'assurer que les suivis qualité participent bien à l'atteinte de l'objectif de performance des rénovations.
M. Jean-Baptiste Devalland, directeur général de Teksial. - Teksial est une société de services en efficacité énergétique, forte de 300 collaborateurs, délégataire CEE, mandataire de l'Agence nationale de l'habitat (Anah) pour MaPrimeRénov' et membre du GPCEE. Nous proposons un accompagnement de bout en bout des projets de rénovation énergétique, en apportant des services à chacune des grandes étapes de ces projets : l'évaluation initiale de la performance thermique du logement ; l'expertise technique des travaux ; la recherche de solutions de financement ; le respect de la qualité et de la conformité des travaux.
Je voudrais évoquer trois enjeux clés, à mes yeux, pour accélérer le mouvement actuel, le premier visant à améliorer le dispositif existant, le deuxième à mieux l'accompagner et le troisième à le compléter.
Premier enjeu, il faut garantir aux ménages des rénovations réellement efficaces. C'est indispensable pour atteindre les objectifs fixés, tant à l'échelle nationale qu'à l'échelle européenne, et renouer avec la confiance des ménages. Pour atteindre ce premier objectif, il faut intégrer progressivement des obligations de résultat en matière d'économies réelles - et réellement mesurées. On pourrait, par exemple, étendre aux ménages le principe de rénovation performante ou de contrat de performance énergétique existant dans le domaine industriel. Autre piste, afin de bien s'assurer que les travaux sont adaptés à chaque logement, il faut recourir plus systématiquement aux audits ou évaluations thermiques des logements, ce qui suppose que ceux-ci soient de qualité et que, par le biais d'aides, ils ne soient pas à la seule charge des ménages. Enfin, il faut redonner confiance aux Français dans le dispositif : si les pouvoirs publics ont déjà beaucoup fait dans la lutte contre la fraude, avec un accroissement des contrôles, on peut aller plus loin en renforçant les contrôles sur les habilitations et les renouvellements d'accréditation des acteurs de la rénovation énergétique.
Deuxième enjeu, il faut une offre d'accompagnement à la fois claire et complète pour inciter les ménages à réaliser les travaux. Je vous livre à cet égard deux chiffres issus du baromètre de la rénovation énergétique que nous réalisons chaque année : 78 % des Français sont incapables de citer une offre de rénovation et 73 % d'entre eux souhaiteraient la mise en place d'un guichet unique. La demande est donc réelle. Cette lisibilité de l'offre d'accompagnement nécessite une stabilité de l'ensemble du dispositif, qu'il s'agisse des aides à strictement parler ou du cadre réglementaire.
Troisième enjeu, il faut compléter le dispositif pour améliorer le financement du reste à charge. Nous nous accordons tous sur le fait que les dispositifs d'aide ne peuvent pas tout faire, et même qu'ils ne le doivent pas, des restes à charges trop faibles créant des contextes extrêmement « fraudogènes ». Cela étant, il faut tout de même pouvoir financer le reste à charge, très élevé dans certaines opérations. Or le nouvel écoprêt à taux zéro (éco-PTZ) ou le prêt avance rénovation ont du mal à décoller. Nous attendons donc des avancées des discussions actuellement en cours entre les pouvoirs publics et le secteur bancaire.
Améliorer l'efficacité, proposer un accompagnement clair tout au long du projet et renforcer le financement du reste à charge, tels sont donc les trois enjeux qui me paraissent essentiels.
Mme Sylvie Charbonnier, secrétaire générale du syndicat Symbiote. - Symbiote est un syndicat multibranche regroupant les acteurs de la filière avale : installateurs, industriels, entreprises, artisans, délégataires, bureaux d'études et architectes. Nous pouvons donc, me semble-t-il, vous livrer un retour de terrain pertinent.
Sans revenir sur ce qui a déjà été dit, je pense que la fin brutale des aides, sans délai ni planification, a été un coup d'arrêt pour l'ensemble de la filière. Nous avions demandé, afin de pouvoir structurer économiquement cette dernière, à bénéficier d'un délai d'un an dans le cadre de la bascule des aides par geste vers la rénovation globale. Malheureusement, il a été mis fin aux aides dès le mois suivant et nous sommes en train de vivre la même chose, avec un changement de pied prévu sous moins d'un mois pour le « coup de pouce » lié à la rénovation globale. L'instabilité quasi permanente, soit des montants d'aides, soit des arrêtés sur les dispositifs de CEE, est incompréhensible pour le public, mais aussi pour les entreprises, les uns comme les autres étant découragés et ne comprenant plus vraiment l'importance de la sobriété énergétique. Pourquoi, si tel est le cas, a-t-on mis fin, dans le cadre de MaPrimeRénov', à toutes les aides à l'isolation pour les revenus dits « supérieurs » à compter de janvier 2023 ? Pourquoi n'avons-nous pas été entendus lorsque nous avons demandé, à l'arrêt des « coups de pouce » pour les combles et planchers, une réintégration dans MaPrimeRénov' ?
Nous pensons, nous aussi, qu'il faut une cohérence entre MaPrimeRénov' et les CEE, mais nous militons également depuis plusieurs années pour que ce que l'on appelle « rénovation globale performante » corresponde bien à ce qui a été retenu dans le code de la construction et de l'habitation, c'est-à-dire le niveau BBC.
Nous estimons par ailleurs, en particulier pour les maisons individuelles - on en dénombre environ 15 millions en France et elles sont très présentes en milieu rural, où il y a peu de bureaux d'études et peu d'architectes -, que des combinatoires de travaux précalculés sont de nature à permettre des rénovations globales performantes, tout en apportant de la simplicité et une bonne lisibilité. Les entreprises sont parfaitement capables d'effectuer une bonne évaluation technique du bâtiment, mais les combinatoires de travaux, la feuille de route couvrant l'ensemble des travaux d'une maison peut être écrite d'entrée de jeu, avec le DPE.
Cela permettra, comme cela a été souligné, d'arrêter de réaliser des travaux isolément et à l'envers. Aujourd'hui, 70 % des primes délivrées par l'Anah concernent des pompes à chaleur et il n'y a plus de travaux d'isolation, alors que, on le sait, ceux-ci permettent de réduire les consommations d'énergie et les émissions de gaz à effet de serre pour plusieurs décennies. Nous militons donc pour que l'on puisse établir des fiches de rénovation globale performante par bouquets de travaux, en moins de trois étapes, avec des financements à la hauteur des enjeux.
S'agissant du financement, les calculs sur le site MaPrimeRénov', c'est juste cornélien ! J'ai encore eu récemment l'exemple d'un particulier qui en est à 20 mois d'attente pour le remboursement d'aides : il a attendu 6 mois qu'un Accompagnateur Rénov' passe constater les travaux et, maintenant que son dossier a été déposé sur la plateforme, il ne connaît toujours pas la date ni le montant du règlement à venir. En attendant, l'entreprise lui a avancé l'argent, cette pratique d'avance de trésorerie étant très fréquente en milieu rural, avec le risque que, si l'aide ne correspond pas à ce qui était prévu, l'entreprise ait à endosser l'écart.
Donc, MaPrimeRénov', c'est un guide de 45 pages pour comprendre le dispositif, des calculs tout à fait terribles, et tout cela pour aboutir à un reste à charge oscillant entre 16 000 et 28 000 euros, que les plus précaires ne peuvent absolument pas supporter. On ne peut pas s'en sortir ! Il faudrait trouver un mécanisme de financement par avances remboursables, peut-être par le biais de la Caisse des dépôts et consignations, de la Banque des territoires, voire d'une structure ad hoc. Sans cela, il faut que les banques jouent le jeu de l'éco-PTZ !
J'insiste sur cela : il n'y a pas de financement de la rénovation globale, alors même que la conduite de projets de rénovation globale performante est le seul moyen d'atteindre les objectifs de réduction des consommations et des émissions de gaz à effet de serre, tout en redonnant à long terme du pouvoir d'achat aux ménages.
Parallèlement, il faut des dispositifs corrects de contrôle et de lutte contre la fraude. Aujourd'hui, plus de 20 mois sont nécessaires pour traiter un dossier ; plusieurs personnes interviennent pour comparer des signatures, des papiers à en-tête, des rubriques du label « reconnu garant de l'environnement » (RGE) ou des numéros Siret, autant de tâches qu'il est parfaitement possible d'accomplir par le biais de l'intelligence artificielle et de systèmes de chaînes de blocs. Pourquoi ne recourt-on pas à ces systèmes pour « assouplir » la surveillance administrative et employer l'argent ainsi économisé à financer les audits énergétiques et les évaluations techniques préalables ou mener de véritables contrôles de qualité ?
Je voudrais par ailleurs évoquer un dispositif qui fonctionne très bien, celui des maisons France Services, hébergées dans les mairies. Les particuliers qui se présentent sont accompagnés par une personne du village ou de l'intercommunalité qu'ils connaissent : ils sont donc en confiance ; les accompagnateurs sont tout à fait compétents pour aider à remplir les dossiers, notamment sur les plateformes ; ils connaissent également très bien les entreprises locales, qu'ils distinguent parfaitement d'autres venues d'ailleurs. Pourquoi, donc, ne pas faire intervenir ces maisons France Services dans l'élaboration des dossiers, l'évaluation du niveau d'aide nécessaire et le suivi ? Je précise, en passant, que l'aide ne doit plus évoluer une fois le dossier accepté...
Vous l'aurez compris, mesdames, messieurs les Sénateurs, nous sommes prêts à participer à toutes les commissions que vous souhaiterez et à être force de propositions.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Vous êtes nombreux à avoir évoqué la planification et la lisibilité. Sachez que c'est un point très partagé ; il est ressorti de la plupart de nos auditions, y compris dans la bouche de différents ministres ayant été en exercice au cours des dix dernières années.
Vous avez soulevé la question de savoir comment s'orienter vers la rénovation globale - une « véritable » rénovation globale -, quand, aujourd'hui, les aides sont plutôt dirigées vers une rénovation par geste. Vous avez également tous parlé d'un accompagnement qui permettrait aux ménages d'avoir une bonne lisibilité sur ce qui est à faire, sur les différentes étapes. Sur ce point, l'idée de bouquets de travaux précalculés m'apparaît tout à fait intéressante. Elle m'évoque notre déplacement, voilà quelques semaines, dans la métropole grenobloise où l'on développe un dispositif - le dispositif Mur Mur - s'inscrivant dans ce même type de démarches.
Cette observation m'amène à l'outil incontournable qu'est devenu le DPE. On pourrait aussi penser à un système plus simple, dans lequel on chercherait, en s'appuyant sur ce genre de bouquets de travaux, comment passer d'un niveau de classement DPE à un autre. Quels sont vos retours sur cet outil ?
S'agissant du contrôle de la qualité et du suivi des réalisations, on nous a beaucoup parlé d'un contrôle en fin de chantier qui se rapprocherait du dispositif de l'attestation Consuel dans le domaine de l'électricité. Pourrait-on envisager de recourir à un tel mécanisme pour valider des travaux de rénovation en vue du versement d'aides ?
Par ailleurs, tel qu'on nous l'a décrit en audition, Mon Accompagnateur Rénov' apporterait un véritable service de maîtrise d'oeuvre, pour des prestations allant de 1 500 à 2 000 euros. Cela pose la question du financement et du reste à charge, mais il me semble aussi que des acteurs remplissent déjà ces fonctions de maîtrise d'oeuvre et, donc, qu'il manque plutôt un niveau intermédiaire, capable, notamment, d'assurer cette orientation vers les bouquets précédemment mentionnés. Cela rejoint les propos sur les maisons France Services : oui, celles-ci présentent beaucoup d'intérêt, mais au Sénat, nous avons bien conscience qu'elles sont aussi le fruit d'un transfert de charges de l'État vers les collectivités territoriales, ce qui soulève des questionnements en termes de financement.
Mme Leana Msika, responsable des affaires publiques de Dorémi. - Jusque récemment, les bouquets de travaux précalculés étaient assez confidentiels et assez peu connus. Pour nous, ils constituaient avant tout un outil d'atteinte de la performance : il s'agissait de s'assurer que, indépendamment de la solution choisie, la rénovation permettait bien au bâtiment d'atteindre une classe A ou B. On voit désormais que ces bouquets peuvent, de manière transversale, répondre aux différents enjeux, notamment ceux qui concernent le calibrage des aides et l'éviction des fraudes. C'est le retour que nous avons eu, par exemple, de la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC), qui le perçoit comme pouvant apporter une aide majeure dans la lutte contre les fraudes, notamment par falsification des étiquettes DPE ou des économies d'énergie réalisées.
Le fait de combiner ces éléments sécurise vraiment l'efficacité de la politique de rénovation. C'est majeur : beaucoup d'argent est mis sur les DPE et les audits ; or nous constatons que nous réussissons à faire des rénovations BBC sans audit. Les bouquets précalculés permettent de réaliser des économies publiques majeures. On est obligé de passer par les audits pour bénéficier des aides, mais ils ne guident malheureusement pas vers les bouquets de travaux les plus performants. Bien souvent, les préconisations des DPE et des audits tombent à côté de la performance.
S'il est difficile de faire table rase de ces outils, il est en revanche assez facile de former les diagnostiqueurs, les auditeurs et les Accompagnateurs Rénov' à ces bouquets de travaux. Rien ne les empêche de faire des calculs, mais il faut que les préconisations soient valides au regard des bouquets de travaux. Cela limitera, dès l'amont, les fraudes.
Si l'on sait quel bouquet de travaux on a choisi, on saura quoi contrôler. Les contrôles doivent aussi avoir lieu pendant le chantier, et pas seulement à la fin. C'est ainsi que nous réalisons des tests intermédiaires d'étanchéité à l'air avant finition et pose du placoplâtre et des enduits. Cela permet aussi aux artisans d'apporter des correctifs. C'est aussi l'enjeu d'un contrôle qui n'est pas qu'une sanction, qui permet également la montée en compétences de la filière. Les contrôles intermédiaires permettent ainsi d'identifier avec le contrôleur les points à améliorer, d'en faire bénéficier les ménages et d'aboutir à une rénovation plus performante.
Les différents types de bouquets peuvent donc vraiment simplifier et fiabiliser les rénovations.
Mme Sylvie Charbonnier. - Quand on parle de bouquets de travaux, il s'agit de combinatoires de performances - parois, système de chauffage, production d'eau chaude sanitaire, étanchéité à l'air des logements, etc. Il s'agit d'une performance que l'on retrouve dans l'étiquetage des produits, dans leur normalisation ou dans leur certification.
On peut commencer par la toiture, ou par les planchers ; on peut ainsi élaborer des parcours qui traitent toutes les parois. Si l'on isole les murs, il faut isoler aussi les fenêtres et mettre en place une ventilation. Des combinatoires précalculées de travaux par zone climatique existent avec deux, trois ou quatre postes de travaux. Je suis contente de constater que la DGEC approuve désormais ces combinatoires ; tel n'était pas le cas il y a cinq ans...
Il serait souhaitable de supprimer la valeur limite de 330 kilowattheures d'énergie primaire de MaPrimeRénov' et de la fiche CEE sur la rénovation globale. Aujourd'hui, on considère qu'une rénovation performante doit se situer en dessous de cette valeur par mètre carré, c'est-à-dire en dessous de la classe E. C'est la valeur retenue par la loi pour interdire la location des logements qui dépasseraient cette norme. Mais quand on fait une fiche de rénovation globale avec comme limite la classe E, le signal n'est pas très positif.
On nous dit aussi qu'il faut gagner 35 % d'économies d'énergie. Mais si l'on part de 700 kilowattheures, on arrive entre D et E. Nous militons pour que la fiche sur la rénovation globale performante puisse comporter plusieurs niveaux, dont la classe C, qui est parfois le mieux que l'on puisse faire pour certains bâtiments, et la classe B. Il faut donner la possibilité soit de faire des calculs - toutes les méthodes sont conventionnelles -, soit d'appliquer des combinatoires de travaux. Si les niveaux de performance en kilowattheures attendus et les moyennes atteintes avec les combinatoires étaient inscrits dans un arrêté, nous saurions quoi contrôler et cela serait plus pédagogique.
Il conviendrait aussi de faire un copier-coller de MaPrimeRénov', car ses critères ne sont pas les mêmes que ceux des CEE. On pourrait simplifier. Publier des combinatoires précalculées avec les niveaux de performance devrait permettre aux entreprises de savoir quelles subventions pourront être demandées. Les entreprises du bâtiment ne sont pas des voyous. N'attendons pas que les entreprises Qualibat aient leur RGE - il y a deux ans de retard pour obtenir le label !-, sinon elles auront mis la clé sous la porte avant. Ensuite, faisons des contrôles pertinents et des audits.
Pour 500 000 rénovations annuelles, nous devrions former et installer plus de 50 000 maîtres d'oeuvre supplémentaires : cela prendra du temps ! Il nous faut donc trouver d'autres solutions. Je ne suis pas contre la maîtrise d'oeuvre, au contraire. En ville et en zone suburbaine ça va, mais à une heure de là, plus rien...
Il va donc nous manquer 50 000 Accompagnateurs Rénov', à la disposition de l'Anah locale, pour réaliser 500 000 rénovations annuelles, alors que l'objectif est de 700 000... Avec les combinatoires de travaux et une feuille de route fiable, on peut surveiller. La méthode de calcul des consommations conventionnelles des logements (3CL) n'est pas plus mauvaise qu'une autre...
Mme Audrey Zermati. - Je ne comprends pas ce vieux débat entre rénovation globale et rénovation par geste : cela nous enferme dans une opposition systématique et dangereuse. Une rénovation qui ne serait pas globale ne serait-elle pas performante ? On voit pourtant qu'en ayant traité les combles perdus chez les ménages très modestes à l'époque du un euro, on a réussi à leur faire faire 30 % d'économies, c'est performant pour le ménage, qui sent la différence.
En revanche, nous devons mesurer l'efficacité des aides : la situation est-elle meilleure avec l'aide que sans ? Or aujourd'hui il n'y a pas de véritable cohérence dans les aides par rapport au parcours. Dans un projet par geste - changement de chauffage, isolation -, on peut conseiller de réaliser un audit, d'isoler les combles, les sols, les fenêtres, les murs, toute l'enveloppe, avant de changer le système de chauffage.
Malheureusement, rien dans les aides n'encourage à s'engager dans un tel parcours cohérent. Notre système est donc concentré, d'une part sur la question du changement de chauffage - essentiellement des pompes à chaleur -, car nous avons un objectif de massification, et d'autre part sur des rénovations globales - avec des enveloppes budgétaires conséquentes. Mais entre les deux, il n'y a rien. Certains peuvent pourtant vouloir procéder par étape, dans l'ordre, et le résultat sera performant. Il est rare que quelqu'un se réveille un beau matin en se disant qu'il va se lancer dans une rénovation globale...
Le meilleur moment pour proposer une rénovation globale, c'est la transaction : soit la mutation - 800 000 ventes par an -, soit la mise en location. En effet, le prêt ou le déficit foncier permettent alors le financement et le bien n'est pas encore occupé. Avec l'audit obligatoire au moment de la vente et l'interdiction de location des passoires thermiques, on commence à opérer un tel ciblage.
Gaz, électricité, pompe à chaleur, rénovation globale : les gens sont perdus par ces raisonnements trop binaires et dogmatiques. Il faut de la complémentarité.
Nous accompagnons des rénovations globales : cela prend plus de temps et nous en faisons beaucoup moins - une cinquantaine actuellement. Mais nous proposons aussi des gestes et incitons fortement les ménages à les réaliser dans le bon ordre.
Nous avons observé une dérive ces dernières années : les contrôles - notamment des CEE - ont été privatisés. Les entreprises privées financent les contrôles via les bureaux de contrôle et sont donc juges et parties. Cela explique les dérives que vous connaissez. Il faut renationaliser les contrôles et la puissance publique doit reprendre la main. Cela suppose des budgets. Il faut donc un opérateur public de contrôle et réaliser beaucoup plus de contrôles, notamment sur site pour vérifier la qualité des travaux, sans se contenter d'appeler les particuliers pour vérifier qu'ils existent bien et qu'ils ont bien réalisé des travaux.
S'agissant de Mon Accompagnateur Rénov', nous avons été très associés aux travaux de M. Sichel. Cela va dans le bon sens, mais cela pose une question de périmètre, car il a été décidé que Mon Accompagnateur Rénov' serait obligatoire dans le cas des rénovations globales débouchant sur des économies d'au moins 35 % et réalisées par les ménages modestes et très modestes. Cet accompagnement est nécessaire, car il s'agit des personnes les plus vulnérables face aux écodélinquants. Mais cela existait déjà avec l'Anah Sérénité.
Il y a ensuite les ménages aux revenus intermédiaires et hauts revenus qui souhaitent réaliser une rénovation globale : ils n'ont pas forcément besoin du même type d'accompagnement. La loi prévoit donc que Mon Accompagnateur Rénov' n'est pas obligatoire dans ce cas.
Enfin, Mon Accompagnateur Rénov' serait obligatoire à compter de septembre dès lors que l'on sollicite 10 000 euros de MaPrimeRénov' pour des travaux simultanés ou étalés sur moins de trois ans. Cette nouvelle condition complexifie énormément le parcours du particulier. Imaginons un particulier qui isole ses murs par l'extérieur pour 7 500 euros - 100 mètres carrés à 75 euros du mètre carré -, sans Mon Accompagnateur Rénov', car il est en dessous des 10 000 euros ; moins de trois ans plus tard, s'il sollicite une aide pour une pompe à chaleur, cette deuxième aide va être conditionnée au parcours Mon Accompagnateur Rénov', avec un audit, un contrôle de cet audit, un contrôle post-travaux, etc. On entre alors dans un système très complexe ; or le premier frein à la réalisation de travaux par les particuliers, c'est la complexité. En entrant dans le parcours Mon Accompagnateur Rénov', des travaux qui initialement auraient pris un ou deux mois, vont durer trois à cinq mois supplémentaires, car ce n'est pas Mon Accompagnateur Rénov' qui exécute les travaux. On va complexifier, là où on avait voulu massifier. Certes, la massification fait apparaître des dérives, mais attention cependant à ne pas rendre beaucoup plus complexe ce qui l'est déjà suffisamment pour le particulier.
M. Pierre-Marie Perrin. - N'oublions pas un acteur clé de la chaîne de valeur : le notaire, qui a une connaissance très fine des particuliers qu'il accompagne. Son rôle est crucial, au moins dans la validation et le stockage des documents. Il existe déjà une blockchain notariale pour le suivi des dossiers des particuliers. Les notaires, qui sont officiers publics assermentés, ont la légitimité pour accompagner la rénovation énergétique.
Énormément de contrôles sont réalisés a posteriori. Les délégataires CEE sont extrêmement soumis à ces contrôles, mais il faudrait les étendre aux diagnostiqueurs et aux auditeurs et que les filières professionnelles comme Qualibat puissent diligenter des contrôles sur leurs propres professionnels afin de les encadrer et d'éviter les dérives.
Sur le suivi des réalisations, nous avons besoin d'outils de calcul et de suivi des consommations dans les logements afin de garantir une rénovation globale performante.
Nous risquons un surcoût financier avec Mon Accompagnateur Rénov'. Il doit être en même temps expert financier, expert social, psychologue et entrer dans l'intimité des ménages. Comment former 50 000 personnes ? Qui, in fine, portera la responsabilité des économies réelles d'énergie ? Les ménages ne pourront pas se retourner vers l'Accompagnateur Rénov' si les travaux ont été mal réalisés ou si les économies d'énergie attendues ne sont pas au rendez-vous... Quelle est la meilleure personne pour porter la responsabilité de l'efficacité de ces chantiers ?
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - L'avez-vous identifiée ?
M. Pierre-Marie Perrin. - Oui, nos entreprises qui accompagnent et qui connaissent l'ensemble de la chaîne de valeur engagent leur responsabilité financière et sur les réseaux sociaux. Toutes les entreprises présentes ici jouent cartes sur table, avec des avis vérifiés sur Google. L'opinion nous regarde et peut nous noter. Nous faisons des préconisations, que nous assumons, et si cela ne fonctionne pas, nous subissons des pénalités financières. Nous assumons cette responsabilité, nous nous engageons et nous sommes payés pour ce service.
Un encadrement et des contrôles fins, stricts et précis sont nécessaires, sans forcément aller jusqu'à une police de la rénovation énergétique.
Faisons confiance aux entreprises du privé pour la rénovation énergétique. Nous avons besoin d'être considérés. Les délégataires CEE pourraient être labellisés Mon Accompagnateur Rénov', mais nous ne constatons aucune réelle volonté de nous accompagner dans cette labellisation. N'ayez pas peur du privé et travaillons ensemble ! Le partage des connaissances et des données nous permettra d'avancer dans le bon sens.
Mme Florence Lievyn. - Les Français font des travaux de rénovation une à deux fois dans leur vie. Attention à ne pas décevoir : si on ne trouve pas d'Accompagnateur Rénov', si ses délais d'intervention sont trop longs, si les entreprises ne sont pas disponibles, si la prime met du temps à être versée... Méfions-nous des effets d'annonce qui feraient miroiter à partir du 1er septembre un dispositif dont on n'aurait pas cerné toutes les conséquences, y compris psychologiques, pour les Français.
De nombreux particuliers attendent encore le retour des offres à un euro, qui ont profondément marqué les esprits. Les ménages vont être accompagnés de A à Z, et c'est une bonne chose : ainsi, nous allons arrêter de faire croire que la réalisation des travaux c'est la fin de l'histoire : non, au contraire, c'est le début de la nouvelle histoire ! Des gestes de sobriété vont découler de cet accompagnement.
Sommes-nous prêts pour le lancement ? Sinon, il faut envisager le report. Il nous manque encore des informations sur le coût de la prestation et du soutien, à quelques mois du début de la prestation... Dans ces conditions, comment des acteurs économiques peuvent-ils être en mesure de construire une offre adaptée ?
Le point crucial, c'est l'état des lieux. Sans une bonne photographie de la situation initiale, il est malheureusement assez facile de tricher. Sur les CEE, l'état de lieux va conditionner le montant de l'aide. Il faut arrêter de conditionner les aides aux résultats des audits et des DPE, ou alors il faut organiser beaucoup plus de contrôles.
Il demeure une importante mésinformation sur le DPE, qui ne correspond pas toujours à la consommation énergétique. Les ménages nous le disent. Le DPE donne une image de la consommation conventionnelle : ne lui faisons pas porter ce qu'il n'est pas.
Le carnet d'information du logement (CIL) est un outil fondamental. Il est entré en application cette année, mais on en parle peu et les Français ne le connaissent pas. C'est pourtant un outil utile dans les parcours de travaux. La loi avait des ambitions, perdues en cours de route, mais une nouvelle loi de programmation se profile. C'est peut-être l'occasion d'en rehausser les ambitions, car nous avons besoin de suivi et de traçabilité.
Nous devons aussi aller jusqu'au bout de la démarche de digitalisation, ce qui rejoint la question des contrôles. Alors qu'un même chantier peut être contrôlé cinq fois - au titre du RGE, du CEE, de MaPrimeRénov', par le pôle national des certificats d'économies d'énergie (PNCEE), par Habitat Plus...-, d'autres ne le sont jamais. Nous avons interrogé les organismes concernés en suggérant une rationalisation. Il nous a été répondu que les systèmes informatiques n'étaient pas compatibles...
M. Jean-Baptiste Devalland. - L'accompagnement est le facteur clé de l'accélération. C'est un métier nouveau, qui reste à structurer, et un métier complet, qui agrège plusieurs briques de service. Il s'appuie sur un engagement de qualité, de satisfaction client et de respect de la réglementation, ce que font déjà nos sociétés d'accompagnement à la rénovation énergétique.
Bien sûr, nous devons encore renforcer nos garanties. Un cadre réglementaire très strict existe, sur le statut de délégataire, sur la qualification en matière d'audit, sur les organismes de contrôle... Pour rassurer les Français, il faut renforcer le contrôle de ces qualifications, au moment de leur obtention, mais aussi au moment de leur renouvellement - par exemple pour le RGE. On peut donc imaginer des contrôles plus fréquents et des sanctions plus importantes en cas de non-respect du cadre réglementaire. C'est un élément clé de la confiance des Français.
Mon Accompagnateur Rénov', le DPE et l'audit sont des briques de cet accompagnement. Ces professions sont extrêmement réglementées ; encore faut-il s'assurer que ces réglementations soient respectées.
M. Franck Montaugé. - Vous parlez d'efficacité, voire d'efficience, énergétique. Vous engagez-vous à l'égard de vos clients ? Le prix de vos prestations est-il indexé sur la performance finale ? Comment élaborer un engagement de performance réparti entre tous les acteurs de la rénovation énergétique ?
J'ai fait partie des premiers à parler de blockchain, il y a bien longtemps. Avez-vous des exemples ?
M. Vincent Legrand. - Nous travaillons depuis une dizaine d'années sur des rénovations performantes et suivons les consommations. Un rapport d'Effinergie, publié l'an dernier et élaboré dans le cadre d'un projet de recherche lancé par l'Ademe sur le suivi des consommations, confirme que l'on atteint les consommations prévues.
Il faut cependant faire attention au type de bâtiment : la politique publique et l'engagement de performance ne peuvent pas être de même nature que l'on considère le grand tertiaire ou la maison individuelle.
Les outils de politique publique pour la maison individuelle, le grand collectif ou le grand tertiaire doivent être dissociés : c'est ce que montre le rapport d'il y a quelques mois de l'Ademe sur le financement de la performance des logements. Or la politique publique actuelle ne différencie pas suffisamment entre les parcs.
Le parc de maisons individuelles est le plus consommateur : 10 % de la consommation énergétique française concerne le chauffage des maisons construites avant 1975 ; c'est un gouffre énergétique. Nous ne savons pas encore nous engager au même niveau que sur le tertiaire, car les pratiques de consommation sont très différentes selon les ménages. En revanche, nous savons nous engager sur l'outil livré aux ménages à la fin des travaux.
M. Franck Montaugé. - Vous prenez donc des engagements de performance ? Cela vous paraît-il une voie de progrès intéressante ?
M. Vincent Legrand. - Exiger dans les deux ou trois prochaines années des niveaux de performance en maison individuelle, avec la sociologie actuelle de nos entreprises artisanales, c'est la garantie de ne plus avoir d'entreprise qui fasse de la rénovation...
Nous sommes donc face à un enjeu pédagogique : il faut donner confiance aux 550 000 entreprises artisanales qui ont, à 98 %, moins de vingt salariés. Elles n'ont pas d'outil de recherche-développement, pas d'outil de suivi-qualité, pas d'outil de formation. Nous devons accompagner ces entreprises qui constituent le tissu artisanal français. Sachons leur donner confiance, car elles réussissent à faire de la performance. C'est aussi un enjeu de formation qui relève de la politique publique, car on constate - pour parler trivialement - un trou dans la raquette. Je préfère parler de suivi-qualité que de contrôle : il faut montrer aux artisans ce qu'ils font bien.
Un fonds de mutualisation doit également être créé pour compenser les ménages dont la maison serait moins performante. Un rapport de Deloitte publié en novembre 2021 formule des propositions assurantielles en ce sens.
La blockchain est un outil précieux pour établir ce qui a été fait dans un logement donné et ce qu'il reste à faire. Mais elle ne fait pas les travaux... Il faut accompagner les acteurs de terrain. Il n'y a pas de règle de l'art pour la performance. Les entreprises ne sont pas engagées d'un point de vue réglementaire dans la performance, mais n'attendons pas quinze ans...
M. Franck Montaugé. - Vous semble-t-il envisageable de faire évoluer le label RGE dans ce sens ? Pas forcément de manière obligatoire, mais de façon optionnelle et graduelle, afin de créer un mouvement général vers une véritable performance de l'ensemble des acteurs et notamment des intervenants ?
M. Vincent Legrand. - Je ne pense pas que cette approche permettra de monter en puissance. Les aides doivent être suivies en qualité avec des experts sur le terrain. Je suis plutôt favorable à une logique d'accompagnement terrain. Le RGE est vu comme une formation et des dossiers administratifs.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - C'est contraignant.
M. Vincent Legrand. - Pour nos 550 000 entreprises artisanales, c'est une contrainte.
La loi du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d'oeuvre privée, dite loi MOP, prévoit qu'un maître d'ouvrage est une personne physique ou morale responsable du chantier au plan réglementaire. Aujourd'hui, il n'existe pas de maîtrise d'oeuvre performance, car il n'y a pas de règle de l'art. L'engagement de performance est minimal et ne passe pas en premier.
Mon Accompagnateur Rénov' n'est pas de la maîtrise d'ouvrage : il assiste le maître d'ouvrage, mais sans prendre la responsabilité des préconisations. L'Anah n'utilise d'ailleurs pas ce terme de « préconisation ». La maîtrise d'ouvrage suppose en effet une assurance, avec de très lourdes responsabilités.
Une étude de la région Alsace a montré que le prix moyen en rénovation globale d'une maîtrise d'oeuvre normale était de 9 350 euros, en raison des responsabilités afférentes. Les dossiers suivis par Mon Accompagnateur Rénov' vont tourner autour de 1 000 à 2 000 euros, or nous ne savons pas accompagner en rénovation globale en dessous de 2 000 à 2 500 euros, hors maîtrise d'oeuvre, sur le simple conseil aux ménages. Pour accompagner une simple isolation ou la mise en place d'une pompe à chaleur, 1 500 euros sont probablement suffisants.
Avec 1 000 ou 1 500 euros, nous ne réussirons jamais à accompagner une rénovation globale. Les opérateurs que nous formons doivent consacrer quatre heures et demie de travail au montage financier d'une rénovation globale, alors qu'ils ne sont rémunérés que pour une heure et demie...
S'agissant du financement par les collectivités territoriales, je crains que si l'on éclate encore les financements, certaines collectivités financeront, et d'autres pas. Pour les ménages, cela risque d'être terriblement complexe.
Nous avons aujourd'hui des milliards d'euros avec peu d'accompagnement et presque aucun contrôle. Il y a un enjeu majeur à ce qu'une part significative de ce financement soit mise, dans les deux ou trois prochaines années, sur l'accompagnement des ménages, par des gens formés.
Mme Florence Lievyn. - Monsieur Montaugé, non, il n'y a pas d'engagement de performance, faute de demande et par construction des aides : MaPrimeRénov' est un forfait qui ne tient pas compte des kilowattheures économisés, et le CEE est calculé sur des kilowattheures théoriques et non pas réels. Qu'est-ce que cela apporterait de plus aux ménages ?
Pour aller vers cet engagement de performance, ne faudrait-il pas conditionner les aides à l'atteinte de résultats ? Tant que les aides seront forfaitaires et sans contrôle des économies réalisées, quel est l'intérêt à aller sur de la performance ?
Dans quelques jours, devrait être annoncé l'appel à projets France 2030 de l'Ademe sur les opérateurs ensembliers, qui permettra à des acteurs privés de prendre des responsabilités sur l'ensemble de la chaîne de valeur de la rénovation énergétique, avec l'obligation d'aller vers de la performance, car l'opérateur ensemblier fera l'avance du coût des travaux et sera rémunéré sur les économies.
Le contrat de performance énergétique (CPE), démocratisé dans les bâtiments tertiaires, est encore peu connu dans le résidentiel - un peu dans le collectif, mais quasiment pas en maison individuelle. Des aceurs vont s'engager pour tester ce nouveau modèle. Il sera intéressant d'en faire un bilan.
M. Franck Montaugé. - La question se pose pour l'ensemble des filières.
Mme Sylvie Charbonnier. - Méfions-nous quand même des CPE, car dans le tertiaire, ils consistent essentiellement à se payer sur les économies faites, qui intéressent l'efficacité des équipements, mais absolument pas les travaux d'isolation des enveloppes. Les CPE portent d'abord sur le réglage des installations. Il est inutile de les déployer dans les maisons individuelles, car 70 % des aides sont pour des pompes à chaleur. Privons-nous d'une approche systémique qui va être l'hallali de la rénovation globale dans les maisons individuelles. On n'a pas besoin de CPE pour installer des pompes à chaleur qui ne fonctionnent pas.
S'agissant de la garantie de résultats, la performance énergétique finale dépend des interfaces des métiers. La réglementation française est très bien faite pour les logements neufs et les logements existants, mais elle n'est pas appliquée dans les aides.
Les mesures d'étanchéité à l'air une fois les travaux terminés sont un très bon juge de paix pour vérifier si les artisans ont bien travaillé ensemble. Plutôt que de donner 1 500 euros pour une maîtrise d'oeuvre qui n'existe pas dans le rural, offrons plutôt une aide pour réaliser une mesure d'étanchéité à l'air. Quand les artisans savent que cette mesure sera réalisée, ils respectent scrupuleusement leurs documents techniques unifiés (DTU). Sans l'annonce d'une telle mesure, on n'y arrive jamais.
On peut aussi mesurer des débits de ventilation en bouche d'extraction et la vitesse du ventilateur. Cela ne coûte pas très cher, mais cela permet de vérifier que la ventilation fonctionne. Des mesures très simples peuvent être réalisées et font l'objet de labels BBC Rénovation ; des contrôleurs sont formés ; les opérateurs de la mesure sont certifiés : les dispositifs existent, il suffit de les adjoindre aux aides, comme cela se fait en Allemagne. En Allemagne, tous les équipements installés sont contrôlés, l'étanchéité à l'air est mesurée et un suivi des consommations énergétiques est réalisé pendant trois ans. Cela fonctionne.
M. Franck Montaugé. - Faut-il pour cela une réglementation spécifique ?
Mme Sylvie Charbonnier. - Tout existe déjà, y compris les qualifications et les méthodologies. Il suffit d'adapter les aides. Plutôt que de prévoir 1 500 euros pour un accompagnement, instaurons une mesure d'étanchéité de la maison qui coûte 600 euros - 350 euros si vous en réalisez plusieurs. Idem pour la mesure de débit de ventilation. Tous les labels et toutes les certifications nécessaires existent. Allez sur le site www.effinergie.org et sur celui de l'association HQE. Allouer 1 000 ou 1 500 euros pour l'audit d'une maison, et des mesures d'étanchéité à l'air et de ventilation, voilà qui serait pertinent.
Mme Audrey Zermati. - Une des raisons que nous avons de rester optimistes tient à ce que la garantie de performance sera une garantie d'étiquette. Dès lors que les propriétaires auront l'obligation d'afficher une étiquette D, C, A ou B pour pouvoir louer ou vendre leur bien, ils se montreront exigeants envers les entreprises afin de justifier de cette étiquette. La demande tirera l'offre vers un engagement de performance.
M. Pierre-Marie Perrin. - La formation reste le maître mot et la clé du succès de la politique publique de rénovation énergétique. Ainsi, un travail très important est mené pour sensibiliser les notaires à la réglementation. De même, les élus des communes rurales n'ont pas forcément les services adéquats pour s'occuper de ce type de sujet. Les journalistes peuvent également jouer un rôle dans la lutte contre la fraude. La clef est dans la formation.
M. Jean-Baptiste Devalland. - Il faut en effet conditionner l'octroi des aides à une exigence d'efficacité. Les cahiers des charges et les méthodologies de mesure restent encore trop indirects, de ce point de vue. Il reste à mettre en oeuvre un effort de structuration pour établir des règles de l'art en ce qui concerne la mesure des performances énergétiques. Dans le cas où une entreprise passe un contrat de performance énergétique, elle pourra facilement se rémunérer a posteriori sur les économies réalisées ; pour les ménages, la situation sera plus compliquée. Il faudrait donc un cahier des charges et des règles de l'art qui permettent d'anticiper les mesures d'économies d'énergie.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous vous remercions pour ces échanges très intéressants et nous recevrons avec intérêt toute contribution supplémentaire que vous voudrez bien nous envoyer.
Table ronde sur
la rénovation énergétique en
outre-mer
(Lundi 22 mai 2023)
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous accueillons l'Union sociale d'organismes HLM outre-mer (Ushom), représentée par sa directrice, Mme Sabrina Mathiot, l'Union sociale pour l'habitat, représentée par M. Brayen Sooranna, directeur aux outre-mer, et M. Rémy Vasseur, responsable du département énergie et bas carbone au sein de la direction de la maîtrise d'ouvrage, ainsi que le Centre d'innovation et de recherche du bâti tropical (Cirbat), qui est représenté par son directeur, M. Frédéric Chanfin. Le Cirbat est un pôle d'innovation porté par la chambre de métiers et de l'artisanat de La Réunion. Il mène des recherches sur l'adaptation des matériaux de construction et des normes aux réalités des milieux tropicaux. Enfin, le Conseil régional de l'ordre des architectes de La Réunion-Mayotte est représenté par son président, M. Maxence Lefèvre.
Madame, messieurs, le travail de notre commission d'enquête ne saurait être complet sans que nous évoquions les enjeux de la rénovation énergétique des logements dans les outre-mer. En effet, ces collectivités présentent une situation spécifique : leur climat, tropical, à l'exception de Saint-Pierre-et-Miquelon, est distinct de celui de la métropole. On pourrait croire dès lors que la rénovation énergétique n'y est pas un enjeu fort. Au contraire, il s'agit d'un sujet qui concerne au premier plan les outre-mer.
Nous avons souligné à plusieurs reprises au cours de nos auditions que le « confort d'été », c'est-à-dire la protection face à la chaleur, est un aspect fondamental des politiques de rénovation énergétique. Les outre-mer sont par ailleurs tout aussi concernées par les enjeux de précarité énergétique et de réduction des émissions de gaz à effet à serre. Pouvez-vous ainsi nous présenter les principaux enjeux de la rénovation énergétique des logements dans les outre-mer ?
De plus, les matériaux utilisés dans la construction dans les outre-mer sont spécifiques aux milieux tropicaux. Leurs caractéristiques en termes de durabilité et d'isolation nécessitent des recherches adaptées. Ainsi, pouvez-vous nous faire un état des lieux de l'utilisation des matériaux biosourcés dans les outre-mer dans la rénovation énergétique ? Y a-t-il des contraintes à leur développement ?
Enfin, la rénovation des bâtiments dans les outre-mer doit répondre à des contraintes propres. En particulier, ils doivent pouvoir résister à des événements météorologiques extrêmes, comme des cyclones. Est-ce qu'il y a des synergies entre ces travaux et ceux de rénovation énergétique ou, au contraire, privilégier l'un peut-il se faire au détriment de l'autre ?
Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.
Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Mathiot, MM. Chanfin, Vasseur, Sooranna et Lefèvre prêtent serment.
M. Brayen Sooranna, directeur aux outre-mer à l'Union sociale pour l'habitat (USH). - Permettez-nous tout d'abord de vous remercier pour votre invitation à cette table ronde. Comme vous l'avez indiqué, madame la présidente, le sujet de nos échanges portera aujourd'hui sur les départements et régions d'outre-mer.
L'Union sociale pour l'habitat, qui représente près de 600 adhérents en France hexagonale et dans les outre-mer, assure depuis trente ans l'organisation et l'animation du dossier de la politique nationale du logement social en faveur des acteurs du secteur dans les départements et régions d'outre-mer (Drom), aussi bien que dans les collectivités d'outre-mer (COM), quand nous sommes invités à y travailler.
Ce travail est conduit en vue d'une action concertée en matière d'affaires publiques et d'élaboration de propositions législatives et réglementaires, la relation, l'appui et l'animation de l'action professionnelle dédiée aux organismes HLM dans les outre-mer, la communication et la diffusion des actions de l'USH auprès des organismes dans les territoires ultramarins, le développement du partenariat avec les instances professionnelles et associatives partenaires - services de l'État ou Parlement - et les associations régionales des maîtres d'ouvrage sociaux dans l'océan indien, la Guadeloupe et en Guyane pour l'organisation d'activités telles que des séminaires dédiés aux bailleurs sociaux.
Aujourd'hui, le secteur reste marqué par une forte baisse de l'offre de logements neufs en locatif et en accession, la persistance de l'habitat indigne, estimé à 155 000 logements, soit 16 % du parc total des Drom, un fort besoin de réhabilitation du parc locatif social et la hausse des coûts de revient du logement social, exacerbée par la forte évolution de l'inflation.
Pour rappel, le parc de logement social est d'environ 172 000 logements dans les Drom et environ 19 000 logements dans les COM. Tous Drom confondus, le nombre de demandes de logement social atteint en 2022 près de 80 000.
Enfin, sur la programmation de logements neufs pour l'année 2022, 4 800 logements sociaux en locatif en accession ont été financés, mais 2 800 logements seulement issus des programmations des années précédentes ont été livrés. On estime que cela représente une baisse de 12 % en nombre de logements sociaux financés, 11 % en nombre de logements sociaux livrés.
S'agissant des principaux enjeux de la rénovation énergétique dans les outre-mer, sujet de notre échange d'aujourd'hui, nous rappellerons en préambule ce que disait la présidente de l'USH, Emmanuelle Cosse : le secteur HLM veut être au rendez-vous des enjeux de la décarbonation du parc résidentiel.
Ainsi, les principaux enjeux de la rénovation en outre-mer rejoignent les enjeux globaux, à savoir lutter contre le dérèglement climatique en participant à la décarbonation du secteur du logement résidentiel et celui du logement social en particulier, en réduisant les consommations énergétiques afin d'inscrire le patrimoine dans les objectifs de la loi Climat et résilience, en protégeant les occupants de la hausse des prix de l'énergie et en améliorant l'autonomie énergétique dans nos territoires d'outre-mer.
La réussite de ces enjeux doit impérativement passer par une prise en compte sérieuse et concertée des spécificités climatiques et géographiques, ainsi que des usages propres aux populations des Drom-COM.
Ces grands objectifs sont confrontés à une difficulté opérationnelle, qui devient l'enjeu majeur pour les outre-mer. En effet, l'ensemble des politiques de rénovation énergétique doit s'appuyer sur une démarche d'état des lieux, de programmation, de mise en oeuvre et de contrôle.
L'outil réglementaire pour la mise en oeuvre d'une stratégie de rénovation est aujourd'hui le diagnostic de performance énergétique (DPE). Or bien que la loi Climat et résilience prévoie l'entrée en vigueur du DPE opposable dans les territoires d'outre-mer à compter du 1er juillet 2024, ce dernier n'est pas encore finalisé.
Pour rappel, le DPE s'applique uniquement aux bâtiments régulés en termes de température interne, que l'on soit en chauffage ou en climatisation. Des dispositifs existent aussi bien en Guadeloupe avec le DPEG, qu'en Martinique avec le DPEM. Les autres territoires n'en possèdent pas. Or une directive européenne impose aujourd'hui cette étiquette énergétique sur les bâtiments et l'ensemble des territoires.
Concernant l'état des lieux énergétique des logements dans les outre-mer, comme indiqué précédemment, il n'est pas possible de faire un état des lieux aussi exhaustif que vous le souhaiteriez, car l'outil n'est pas encore finalisé, tant au niveau de la méthode de calcul qu'au niveau des seuils définissant les classes énergétiques des logements.
Nous précisons cependant qu'un groupe de travail de la Direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) et de la Direction générale des outre-mer (DGOM) a lancé, en avril 2023, une étude qui porte sur deux objectifs, une phase d'analyse comparative des outils existants, avec une prise en compte des outils et des premiers retours attendus pour septembre, et une phase de modélisation du parc résidentiel ultramarin afin de disposer de données sur la performance énergétique du parc de chaque Drom. La fin de cette deuxième phase serait pour début 2024.
Concernant les réglementations spécifiques qui sont applicables dans les outre-mer en termes de rénovation énergétique des logements, en premier lieu, le DPE sera spécifique afin de prendre en compte les spécificités des territoires d'outre-mer. Il est indispensable que cet outil intègre au mieux les spécificités de chaque territoire, au risque d'imposer des solutions inadaptées. Le confort des bâtiments à la chaleur nécessitera une attention particulière et un développement spécifique.
Au sujet des spécificités du parc social en outre-mer, et d'un point de vue énergétique, les constructions dans les Drom doivent respecter une réglementation thermique, acoustique et en matière d'aération. Elles doivent donc disposer, par exemple, d'une eau chaude dans tous les logements neufs, sauf dans certaines communes de Guyane et de Mayotte, recourir à l'énergie solaire pour satisfaire au moins 50 % des besoins en eau chaude sanitaire pour toutes les installations de production, réduire les dépenses énergétiques des bâtiments et améliorer le confort hygrothermique des habitants, améliorer la qualité de l'air, optimiser le confort acoustique des logements, réduire la consommation d'énergie des bâtiments, avec des enjeux prioritaires au niveau de la transition écologique.
Des travaux de concertation ont été lancés avec les acteurs de la filière. L'application de la future réglementation thermique, acoustique et aération (RTAADOM) se concentrera dans un premier temps sur l'habitation. Pour le moment, l'objectif est de définir uniquement des obligations de résultat sur la partie thermique, et cela via un indice de confort thermique de référence sur la base de simulations. C'est cet outil thermique qui est développé en ce moment par le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB), qui a été inspiré par des outils existants. Il est en cours de test et a encore besoin du concours de nos organismes de logements sociaux ultramarins.
Pour rappel, la version actuelle du RTAADOM repose sur des critères de moyens. La loi du 10 août 2018 pour un État au service d'une société de confiance, ambitionne de modifier le code de la construction et de l'habitation (CCH) en intégrant la notion d'obligation de résultat via la mise en place d'indicateurs de performance adaptés.
Concernant les synergies entre ces travaux et la résistance à des événements météorologiques extrêmes, comme les cyclones dans le cadre de la rénovation énergétique, nous pensons qu'il ne faut pas opposer les deux enjeux, qui sont finalement très liés, car ils sont très importants pour l'avenir de nos outre-mer et, plus largement, pour la France dans son ensemble.
Peut-être le Conseil national de l'ordre des architectes (CNOA) pourra-t-il donner plus d'éléments sur le sujet. En effet, la rénovation énergétique se mêle avec bien plus de force que dans l'Hexagone à d'autres problématiques qui, parfois, passent pour prioritaires - risques naturels, mal-logement, foncier. Il nous faudra donc développer plus d'études, avec des financements pérennes, pour pouvoir avoir une plus grande lisibilité sur ces enjeux.
Nous ajouterons qu'il faudra des appuis sur la structuration des expertises qui existent, mais qui sont peu interconnectées d'un territoire à l'autre dans les Drom-COM, et mettre en place de référentiels nécessaires à la mise en oeuvre des travaux de réhabilitation énergétique en milieu tropical.
Enfin, nous vous invitons à voir les travaux de programmes comme Ombree, pilotés par l'Agence qualité construction (AQC), qui participe à la résolution de ces problématiques en créant du lien entre les territoires, en cherchant des moyens pérennes de produire et d'adapter les référentiels et en développant la connaissance pour répondre à des besoins spécifiques - études et retours d'expérience sur la pose d'isolant en climat tropical ou sur les façades, toitures végétalisées.
M. Rémy Vasseur, responsable du département énergie et bas carbone au sein de la direction de la maîtrise d'ouvrage de l'Union sociale de l'habitat. - J'ajoute à propos des financements que si les deux thématiques ne s'opposent pas, il faudra aussi les financer. Cela veut dire que certains financements à date, qui ne s'intéressent qu'aux sociétés coopératives et participatives (Scop) de l'énergie, peuvent ne pas être adaptés pour régler ces problématiques, qui peuvent être spécifiques au parasismique, au para-cyclonique et autres sujets connexes qui entrent dans les spécificités de ces territoires. Il faudra peut-être également dépasser certains clivages financiers.
Mme Sabrina Mathiot, directrice de l'Union sociale d'organismes HLM outre-mer (Ushom). - Je tiens à vous remercier d'avoir réservé un moment au logement social ultramarin et à la question de sa rénovation et de sa décarbonation dans le cadre de la loi Climat-énergie.
Compte tenu des solutions qu'ils représentent, la nécessité que le logement social évolue et s'adapte est importante sur nos territoires eu égard à la spécificité des ménages, en ce sens qu'il existe une population un peu plus fragile qui nécessite un plus grand accompagnement. Vous le savez, 80 % des familles sont éligibles au logement social. Il s'agit donc de leur dégager des marges de manoeuvre dans leur vie de tous les jours et d'améliorer leurs conditions de vie en leur permettant d'avoir le moins de dépenses possible liées notamment à l'énergie. J'aimerais inscrire mon propos dans ce contexte.
L'outre-mer représente un peu plus de 170 000 logements sociaux, soit 15 % du parc social. C'est pourquoi il est important que les politiques et les enjeux financiers liés à l'accompagnement intègrent bien l'importance du parc social, mais également du parc privé. Je me veux assez impartiale à ce propos, même si je suis là pour représenter le secteur public.
Il est nécessaire de préciser qu'il reste encore à bien des égards des statistiques à compléter, à fiabiliser et à consolider. J'en veux pour preuve la dernière enquête nationale sur le logement réalisée par l'Observatoire national de la rénovation énergétique (ONRE), qui n'intègre pas nos territoires. Je pense qu'on manque encore de data.
Ces éléments me permettent d'inscrire mon propos dans sa limite, puisqu'on n'a pas véritablement de connaissances très accrues des taux d'effort des ménages ultramarins en matière de dépenses énergétiques et de précarité énergétique. On arrive à en sentir le pouls à travers d'autres indicateurs de suivi, comme notre dialogue continu avec les organismes HLM et les SEM adhérentes mais, pour autant, je pense nécessaire d'en fiabiliser et d'en consolider les données.
Enfin, s'il existe des similitudes entre nos territoires, je tiens à rappeler que Saint-Pierre-et-Miquelon bénéficie d'un climat subarctique. Au-delà, l'île de La Réunion, par rapport aux autres îles, dispose d'une petite partie qu'on pourrait qualifier de climat tempéré, qu'on pourrait assimiler à l'Hexagone en termes de dispositions techniques ou d'accompagnement dans la décarbonation et la rénovation.
La loi Climat et résilience a initié cette obligation de rénovation en s'appuyant sur le DPE. La RTAADOM a intégré cette dimension du diagnostic, mais la notion de confort dans les outre-mer doit absolument être appréciée différemment. Le zonage climatique est la base de la définition même du confort thermique.
Or à ce jour, s'agissant des climats tropicaux et équatoriaux, on ne dispose pas d'une définition conventionnelle du confort thermique. Par voie de conséquence, les nouveaux DPE ne peuvent pas traduire grand-chose sur ces territoires. On ne peut concevoir un confort thermique par rapport à la chaleur comme dans l'Hexagone. On parle aujourd'hui d'un écart type de température à quatre degrés. Il faut absolument que cette notion soit prise en compte.
Un mot de l'état du parc social outre-mer en matière de critères verts pour préciser que le parc social reste plus performant que le parc privé. C'est assez naturel, parce que la politique de l'habitat social, dans ces territoires, a démarré à peu près avec vingt ans de retard. Par voie de conséquence, le parc est un peu plus jeune. D'ailleurs, les bailleurs sociaux ultramarins sont deux fois plus endettés que leurs homologues de l'Hexagone.
Au-delà de ce démarrage tardif, une dynamique avait été impulsée dans le secteur du logement social avec l'instauration de la défiscalisation. Aujourd'hui, environ un tiers de notre parc date de 2010. Les chiffres sont approximatifs, mais les études sur la défiscalisation et le logement en notre possession, ainsi que notre connaissance du parc, nous conduisent à confirmer cet ordre de grandeur.
Ce tiers de parc ayant été construit après 2010, il était assujetti à la réglementation RTAADOM, qui avait déjà intégré une notion de confort thermique, notamment à travers la ventilation naturelle. Nous allons naturellement épouser cette dynamique de décarbonation, mais je pense que le constat est déjà fait à ce niveau.
Un deuxième élément participe à un parc performant : les bailleurs sociaux, dans les outre-mer, n'équipent pas les bâtiments d'équipements de refroidissement, la RTADM appelant à la ventilation par des ouvertures. Toutefois, il existe des locataires qui, à leur arrivée dans le parc, décident d'installer une climatisation. Or la prime Agir plus accorde des financements aux locataires pour poser sa climatisation. Cela s'inscrit en dissonance absolue avec la dynamique impulsée techniquement par la RTAADOM, le bailleur construisant des logements qui sont faits pour être ouverts sur l'extérieur. Même si nous nous félicitons des interventions d'EDF, qui sont d'ailleurs très importantes dans les outre-mer pour ce qui est du parc privé, il faut absolument revoir notre façon de fonctionner par rapport à ces éléments.
L'eau chaude sanitaire, pour ce qui est des ménages individuels, est intégrée depuis la RTAADOM, et on utilise des panneaux solaires. D'après les retours de nos bailleurs, c'est assez rentable sur le plan environnemental mais, sur le plan financier, il y a quelque chose à repenser, l'entretien de ces équipements pour le bailleur, avec les charges récupérables, pesant lourd dans les charges des locataires.
Le photovoltaïque, qu'on pourrait porter autrement, serait moins coûteux et pèserait moins sur les ménages. L'idée, pour le bailleur, est à la fois de répondre aux exigences réglementaires sans jamais peser sur le locataire, qui est déjà fragile.
Cela nécessite aussi une coordination. En matière de financement, la notion de confort thermique est importante. Il faut une définition conventionnelle, avec un DPE qui soit cohérent avec ces climats et une différenciation entre les territoires.
En second lieu, s'agissant des financements, on va privilégier des financements qui ne s'inscrivent pas toujours dans la dynamique sociale et écologique, alors que l'idée est de s'inscrire dans les deux et de prévoir la coordination. Les travaux de réhabilitation sur le parc des outre-mer, au même titre que ceux qui sont en lien avec le renforcement sismique et para-cyclonique, en association avec des dispositifs et des outils de financement adéquats, peuvent aider à créer une dynamique très positive, y compris dans le parc social.
Il faut savoir que les certificats d'économie d'énergie en outre-mer représentent 1,2 %, alors qu'il y a encore une marge de manoeuvre à ce niveau. EDF finance en partie le programme ECCO-DOM destiné à changer les usages, que nous portons. On peut agir sur l'enveloppe d'une façon moins importante. Quand on pose des équipements, il faut un accompagnement financier pour le parc social, qui est inexistant aujourd'hui, alors qu'on finance des équipements qui, certes, créent du confort mais, ce faisant, engendrent aussi des passoires thermiques. Il faut un consensus à ce niveau.
Le troisième élément concerne les changements comportementaux. On peut agir en outre-mer sur les usages et avoir un impact plus important. Peut-être est-ce pour cela qu'on avait fait le choix de créer un dispositif permettant la formation des ménages aux économies d'énergie. Cela peut être très rentable.
Pour finir, je voudrais dire qu'EDF y dépense 8 millions d'euros par an à Saint-Pierre-et-Miquelon, alors que son chiffre d'affaires est de 4 millions d'euros. Ces éléments datent de 2021. Saint-Pierre-et-Miquelon est un territoire très important, classé aujourd'hui en zone H1. C'est le seul territoire d'outre-mer qui se retrouve dans le classement hexagonal, alors qu'on devrait permettre des accompagnements beaucoup plus importants au regard de la dépense. Fin 2022, l'État a dépensé un million d'euros pour aider les ménages de Saint-Pierre-et-Miquelon. Cet argent a servi à payer l'augmentation du fioul, alors qu'il aurait pu servir à accompagner le parc prévu. On aurait pu convenir d'une coconstruction énergétique avec le Canada ou un pays voisin - bien qu'il s'agisse de souveraineté. C'est d'autant plus important pour Saint-Pierre-et-Miquelon que c'est un territoire d'outre-mer (TOM) qui n'ouvre pas droit aux fonds verts européens - sauf peut-être le Fonds européen de développement (FED).
M. Frédéric Chanfin, directeur du Centre d'innovation et de recherche du bâti tropical (Cirbat). - Je vous remercie de votre invitation à cette table ronde autour de la question de la rénovation énergétique.
Nous traitons de la rénovation énergétique depuis 2009, au moment où la réglementation RTAADOM a été publiée pour une mise en application en 2010. Cette année correspond à la création de notre pôle. Nous sommes un service de la chambre des métiers. Nous travaillons avant tout pour les TPE et les PME du secteur du bâtiment, où nous intervenons en appui technique en offrant à ces entreprises des outils et en développant de la formation autour de la question de la réglementation. Au fil des années, nous nous sommes structurés pour développer pas mal de choses, notamment autour des matériaux.
Au-delà du Cirbat, les enjeux concernent la mobilisation des acteurs de la construction à La Réunion, que ce soit les architectes, les bureaux d'études, les assureurs. Nous sommes tous conscients de ce qu'il faut mettre en oeuvre pour traiter de cette question et améliorer la rénovation énergétique de nos bâtiments. Le foncier, à La Réunion, est de plus en plus réduit, avec des demandes de logement de plus en plus importantes. Il faut prendre également en compte le vieillissement de la population, dont une part est dans la précarité. Nous essayons, à travers notre activité de tous les jours, d'apporter des solutions à cette problématique et d'accompagner au mieux les professionnels.
Aujourd'hui, le Cirbat, en réponse à une orientation stratégique de la région, travaille à mettre en oeuvre des schémas régionaux dans le cadre de la directive SRDII et de la stratégie de spécialisation intelligente, qui a permis de développer de nouveaux matériaux pour prendre en compte la vulnérabilité de notre territoire par rapport aux importations à La Réunion. C'est sur ce genre de projets que nous intervenons dans le cadre de la rénovation énergétique.
M. Maxence Lefèvre, président du Conseil régional de l'ordre des architectes de La Réunion-Mayotte. - Merci à la commission d'enquête de nous donner la parole sur le sujet de la rénovation énergétique.
La principale différence avec la métropole réside dans le fait que, dans une zone intertropicale, les critères qui influencent le confort ne sont pas limités à la seule température. L'amélioration du confort réside dans la maîtrise de nombreux éléments comme l'hygrométrie, la vitesse de l'air, l'activité, l'habillement, les vis-à-vis, la porosité des façades, etc. C'est parfois contradictoire.
À noter que l'indépendance énergétique des DOM est loin d'être acquise, l'éloignement des circuits logistiques d'approvisionnement créant une énergie chère à produire et fortement carbonée, même si des solutions sont en cours d'élaboration, comme le solaire, le Sea Water Air Conditioning (SWAC), etc.
La loi de transition énergétique pour la croissance verte impose aux outre-mer d'atteindre l'autonomie énergétique en 2030. On en est encore loin.
L'ensemble des réglementations thermiques et énergétiques métropolitaines sont fondées sur l'amélioration de la performance des systèmes actifs, tels que le chauffage et la climatisation, car il est présupposé - au moins pour le chauffage - qu'une installation préexiste. Ce n'est pas le cas dans les outre-mer, hors Saint-Pierre-et-Miquelon, car contrairement aux États-Unis, où plus de 95 % des constructions sont équipées de climatisation, l'équipement des habitations avec de tels dispositifs est faible à La Réunion.
L'usage de la climatisation peut représenter 50 % de la consommation électrique d'un foyer. Les enjeux résident donc davantage à orienter la politique publique vers une conception bioclimatique des logements visant prioritairement à réduire l'usage de la climatisation, plutôt que d'en améliorer la performance.
Pour rappel, la consommation des ménages représente 45 % de la consommation énergétique de l'île de La Réunion. La consommation moyenne annuelle d'un foyer réunionnais représente 3 500 kWh, soit 650 euros par an, contre 5 000 kWh par an en France métropolitaine, soit 1 000 euros environ par an. La généralisation des chauffe-eau solaires et l'absence de chauffage dans les foyers expliquent cette situation.
Comme l'ont rappelé mes collègues, la RTAADOM mise en place en 2010 à La Réunion a modifié considérablement la configuration des logements collectifs, la double orientation des façades pour la ventilation, la pose de brasseurs d'air dans les chambres, les protections solaires, etc. Cependant, il faut savoir que les maisons individuelles, qui représentent 60 % des constructions, ne respectent pas en général la réglementation RTAADOM, qui est pourtant obligatoire - et encore plus dans le secteur informel, notamment à Mayotte.
L'enjeu réside donc dans l'habitat individuel et dans la simplification des dispositifs d'aide et d'accompagnement à la rénovation, par la mise en place d'un dossier administratif unique pour toutes les aides à la rénovation, avec un seul service instructeur pour la collecte des financements, le but étant d'encourager la rénovation énergétique dans les logements individuels. Les architectes et les bureaux d'études ont toute leur place dans ces audits.
On parle de passoires thermiques dans la loi Énergie-climat. Je pense que ce terme n'est pas adapté aux zones intertropicales telles que La Réunion. Vous l'avez rappelé, les classements DPE ne sont pas obligatoires dans les DOM.
Concernant les matériaux biosourcés, il existe différents matériaux utilisables pour améliorer la performance des bâtiments, pas seulement en termes d'isolation. On peut citer la brique de terre comprimée, les parpaings de pouzzolane, qui sont plutôt des matériaux géosourcés mais qui se heurtent au système normatif et assurantiel classique, comme le marquage CE ou les normes de construction.
D'autre part, les matériaux pour l'isolation tels que la paille de coco, la ouate de cellulose ou la bagasse sont sensibles aux insectes xylophages, très présents dans les DOM.
Étant donné le caractère limitant de la filière locale, nous pensons qu'il convient de poursuivre les négociations avec la Commission européenne pour la mise en place d'une procédure de normalisation simplifiée pour l'importation des produits en provenance d'États sans système comparable à celui de l'Union européenne, en dérogation du marquage CE. Nous proposons donc un marquage « régions ultrapériphériques » (RUP), afin de s'approvisionner en matériaux biosourcés dans l'environnement régional.
Il existe bien sûr des interférences en matière de synergie entre les cyclones et la rénovation énergétique. Par exemple, un volet anticyclonique très étanche ne répond pas à ce que demande la RTAADOM, qui impose quelque chose de très poreux. Il y a là une interférence. Il conviendrait de faire converger davantage les réglementations en privilégiant les objectifs plutôt que des règles prescriptives.
Pour nous, il n'existe pas vraiment de synergie dans le sens où la mise en conformité aux règles de résistance cyclonique d'un habitat améliorerait l'efficacité énergétique. L'inverse pourrait être vrai, car revoir l'isolation en toiture ou en façade et ajouter des protections solaires serait l'occasion d'améliorer le comportement d'un bâtiment face à un cyclone. Encore une fois, la résistance para-cyclonique passe avant tout par le savoir-faire des entreprises et des maîtrises d'oeuvre.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Il serait intéressant que vous nous fassiez un point sur la couverture de l'ensemble des départements et territoires d'outre-mer par rapport à France Rénov'. On a cru comprendre que si, dans la métropole, le territoire était couvert quasiment à 98 %, ce n'est pas le cas des territoires et départements d'outre-mer.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Comment êtes-vous associés à tout ce qui peut être mis en place à travers France Rénov' ? Y a-t-il des exemples de travaux de rénovation sur un axe de rénovation thermique et d'adaptation climatique, ou est-ce à chaque fois dans le cadre de travaux de rénovation globale que l'on commence à penser à ce qu'on pourrait améliorer sur le plan thermique ?
J'ai participé à un rapport sur le logement avec la délégation aux outre-mer, plus précisément sur les matériaux locaux nécessitant moins de transports. Cela faisait sens en matière de rénovation thermique. On a parlé de la terre, mais il existe d'autres matériaux, la question des normes étant ressortie à cette occasion.
Vous avez également parlé de matériaux en provenance de pays voisins, mais qui ne disposent pas du marquage CE. Je me rappelle que Saint-Pierre-et-Miquelon ne peut utiliser de bois canadien pour des questions de réglementation. C'est un frein important. Pouvez-vous nous préciser les besoins qui existent pour limiter les déplacements ?
Enfin, vous avez dit que les chauffe-eau thermiques présentaient un coût de fonctionnement plus élevé par rapport aux charges. Je n'en ai pas bien compris la raison.
Mme Sabrina Mathiot. - S'agissant des chauffe-eau, les choses sont très techniques. La tuyauterie s'oxyde très rapidement. On n'est pas dans le même contexte d'humidité. L'eau chaude sanitaire (ECS) produite par les panneaux solaires est chauffée par toute une tuyauterie avant d'être amenée jusqu'à l'usager. L'entretien de cette tuyauterie coûte plus cher aux bailleurs, étant entendu qu'une part importante revient au locataire. C'est le décret qui l'arrête, et il est donc tout à fait naturel que ce soit refacturé au locataire, qui se retrouve avec une charge qu'il n'avait pas auparavant.
Avant la RTAADOM, le bailleur social n'installait pas l'eau chaude dans le logement. Je parle des Antilles et de la Guyane. C'est peut-être un peu moins vrai à La Réunion, même si une bonne partie n'est pas équipée.
Pour ce qui est des matériaux, certaines initiatives locales sont prises pour réaliser un vrai travail d'études. La Guadeloupe a créé le symposium du Conseil régional de l'ordre des architectes de Guadeloupe (CROAG), qui en est un véritable exemple. Je crois d'ailleurs qu'il bénéficie de financements d'Action Logement et de l'État. Nous sommes présents au Comité de pilotage (Copil) et essayons de trouver des matériaux biosourcés, mais aussi sur lesquels on a un retour d'expérience qui permet de jeter un regard neuf sur ces matériaux pour en avoir un usage intelligent tenant également compte du coût. Le travail est engagé pour avoir des équivalences européennes. Ce sera nécessairement lent, la question touchant l'Europe. Je reste donc prudente sur ce sujet.
Je reviens sur le financement et la planification pour ce qui relève du parc social : le plan de relance proposait 15 millions d'euros pour l'ensemble des territoires ultramarins. Il fallait respecter trois critères liés à l'environnement pour en bénéficier. Cinq millions d'euros ont été absorbés en Guadeloupe en très peu de temps, les bailleurs ayant saisi cette occasion pour conduire des travaux de réhabilitation touchant aux trois critères. Il faut réaliser des pools pour que ce soit pertinent et élargir le sujet aux questions de réhabilitation, notamment nécessaires aux Antilles, particulièrement du fait de la question du vieillissement de la population, de la nécessité d'adaptation aux personnes à mobilité réduire (PMR) et de la réhabilitation, car il s'agit d'un parc vétuste. Quand on arrive à lier les enjeux et qu'on les couple avec des questions énergétiques, l'action publique prend une dimension extrêmement efficiente.
Ceci pourrait être reproduit. On a beaucoup milité, pour atténuer l'effet ciseau que l'on rencontre dans les territoires d'outre-mer, les revenus des ménages étant plus bas et le coût des travaux plus élevés, en faveur de subventions ou à tout le moins d'une action publique plus importante pour soutenir ces investissements. Au bout 22 ans en moyenne, les bâtiments commencent à avoir besoin d'une réhabilitation. Si on arrive à lier la nécessité de remise aux normes tout en ayant d'autres objectifs et qu'on déploie le crédit d'impôt, on pourrait être très efficace. Les coûts sont plus élevés et les ménages plus nécessiteux.
Dans les outre-mer, la ligne budgétaire unique (LBU) était en vigueur jusqu'en 2021, notamment en faveur des propriétaires privés très modestes alors que, dans l'Hexagone, c'est l'Anah qui s'adressait aux ménages modestes et très modestes. Les éléments constitutifs de la construction, comme la défiscalisation, étaient intégrés. On peut donc considérer que cette aide publique touche aussi l'équipement « éco » du bâtiment.
EDF intervient également, mais il s'agissait plutôt d'une politique d'équipement ou de gain de confort plus que d'autre chose, sauf peut-être pour la partie isolation, où on est dans la performance. Les aides d'EDF ont changé les usages des locataires dans le parc HLM. Aujourd'hui, 20 % de nos locataires demandent un équipement, alors qu'il n'existe pas d'équipements de refroidissement en temps normal. On se contente de l'application de la RTAADOM.
Certains ménages qui souhaitent un confort acoustique plus important ferment leur logement et isolent avant d'installer la climatisation.
Quant aux certificats d'économie d'énergie, on y gagnerait en effet, mais je crois que leur cadre est plus limité que dans l'Hexagone.
M. Frédéric Chanfin. - Je voudrais revenir sur les questions du rapporteur, qui évoquait l'utilisation des matériaux locaux. À ce titre, j'aimerais rappeler l'historique de cette question pour La Réunion, les travaux ayant été engagés à partir de 2017, au travers d'une étude appelée ISOBIODOM. L'étude remise en 2019 a démontré des caractéristiques très intéressantes de ressources locales - cryptomeria, vétiver, bois de goyavier et bagasse - au niveau des performances thermiques. Ceci a été le point de départ d'une dynamique autour de la question des matériaux biosourcés à La Réunion. Elle a intéressé un certain nombre d'entreprises. Globalement cela permet, comme je l'ai dit, d'orienter la stratégie du développement autour de cette question.
L'étude a également mis en avant un certain nombre de difficultés que nous avons rencontrées. Bénéficiant du programme d'amélioration de la construction transition énergétique (Pacte), elle avait mobilisé le CSTB et l'institut technologique FCBA. Suite à cette étude, nous travaillons en ce moment à structurer davantage la filiale des matériaux biosourcés. On a pu mettre en évidence des points positifs, mais également des points négatifs, notamment sur la question de la durabilité des matériaux vis-à-vis des termites, insectes que l'on retrouve sous les climats tropicaux. À La Réunion, nous avons un climat très ensoleillé sur le littoral mais, dès qu'on monte en altitude, nous souffrons d'une augmentation de l'humidité, de risques de condensation et de développement des moisissures. Or les matériaux biosourcés sont affectés par ces contraintes.
Au-delà, on a pu également mettre en évidence que, localement, il était nécessaire de mettre en oeuvre davantage de recherches, notamment en termes de moyens d'essai. Nous sommes très loin de la métropole. Lorsque l'on réalise ce type d'études, il faut mobiliser un certain nombre de matières grises et d'équipements scientifiques. L'idée, dans cet accompagnement qu'on souhaite offrir à des entreprises locales pour s'inscrire dans le développement des matériaux biosourcés, est de proposer un suivi au plus juste afin de répondre au mieux aux besoins.
Des partenariats sont développés avec l'université de La Réunion pour acquérir des équipements afin de pouvoir bénéficier des prototypes. Se posera ensuite la question de la normalisation : comment faire reconnaître ces nouveaux matériaux localement, notamment si on souhaite les inscrire dans des programmes de rénovation voire de constructions neuves - je pense à des nouveaux isolants par exemple ? Se posera également la question de la certification pour générer la confiance dans ces nouveaux matériaux.
Un projet est porté par la Fédération des entreprises d'outre-mer (Fedom), qui travaille à la mise en place d'une cellule locale de validation de la conformité sur la base des travaux réalisés à la suite de la recherche, en vue d'obtenir une certaine porosité entre le monde de la recherche et celui de l'économie.
Le rapporteur a également demandé comment nous mettons en oeuvre MaPrimeRénov'. Des conventions de partenariat sont menées entre la chambre des métiers et EDF. Nous déployons, au travers de nos centres de formation, des formations autour de la RTAADOM et de l'accompagnement des entreprises pour obtenir la mention « reconnu garant de l'environnement » (RGE). Des intervenants d'EDF peuvent présenter aux entreprises les aides associées à MaPrimeRénov' dans le cadre territorial de compensation.
Enfin, d'autres partenaires, comme SPL Horizon, oeuvrent également à déployer ces dispositifs sur le territoire. Instruire les dossiers de MaPrimeRénov' est d'une très grande complexité. Par ailleurs certains bouquets de travaux de MaPrimeRénov' ne sont pas en adéquation avec les spécificités que nous retrouvons, notamment à La Réunion. Quelques-uns n'apportent pas forcément une réponse directe aux besoins locaux.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Êtes-vous également confrontés à des problématiques de fraudes ou des malfaçons, tant du côté des entreprises que des particuliers ?
M. Frédéric Chanfin. - À mon niveau, je n'ai pas de retour d'information, mais je pourrais éventuellement questionner mes partenaires et vous apporter une réponse ultérieurement.
M. Maxence Lefèvre. - S'agissant du chauffe-eau solaire, en tant qu'architecte, je confirme que le coût est plus élevé qu'un chauffe-eau électrique, la technologie mise en place nécessitant beaucoup plus de travail de plomberie et générant plus de sinistres. Or qui dit sinistre dit intervention du bailleur pour réparer la panne ou le dégât.
Il se développe également en ce moment une alternative grâce à des chauffe-eau alimentés par les panneaux solaires, qui réduisent le nombre de sinistres du fait de l'absence de plomberie dans le logement.
Concernant la rénovation des logements collectifs sociaux, je constate trois stades dans les niveaux de rénovation des appels d'offres des bailleurs locaux. Le stade 1 concerne les équipements intérieurs - mise en accessibilité PMR, salles de bains, etc. Le stade 2 concerne la rénovation énergétique - pose de volets, installation d'ECS, de bardages. Le stade 3 est celui de la création de surfaces. Les stades 1 et 2 sont souvent réunis pour créer un marché plus conséquent qui intéresse davantage les entreprises et les architectes.
Concernant France Rénov', sur 5 400 architectes référencés dans la rubrique correspondante du site, 45 se trouvent dans les outre-mer. C'est effectivement peu. L'ordre des architectes communique sur le sujet pour solliciter les architectes et les faire entrer dans ce marché. La question est également celle de la formation. Je sais que l'école d'architecture propose depuis peu dans sa formation initiale du cycle master, enseignement qui va s'étoffer à la rentrée. Il aborde aussi bien la réhabilitation que la rénovation, la mutualité, la réversibilité, l'adaptabilité ou le réemploi, la décarbonation.
Cela va plutôt dans le bon sens. Pour l'instant, la situation ne peut que s'améliorer.
M. Rémy Vasseur. - L'eau chaude sanitaire a également été un sujet dans l'Hexagone, en lien avec la RT2012. Le développement massif de cette solution a amené à de mauvaises prescriptions et à des déboires en termes d'entretien. C'est donc un sujet que l'on rencontre un peu partout.
Un des projets d'évolution de la RTAA dans sa nouvelle version est de proposer au moins 50 % de chaleur renouvelable. À date, les pompes à chaleur semblent cependant déjà exclues. J'ai un doute pour ce qui est des panneaux photovoltaïques. On ouvre donc le champ des possibles, mais peut-être pas tant que cela.
Par ailleurs, on peut englober dans les matériaux biosourcés les matériaux géosourcés et les matériaux de réemploi. L'ensemble permettra de répondre aux besoins d'approvisionnement, évitant de faire venir de manière très coûteuse en carbone et en capitaux de la ressource extérieure.
Le logement social, au sens large, est un berceau d'innovation assez fertile. Les bailleurs, qui sont très friands d'innovation, échangent beaucoup entre eux sur ces thématiques, s'associent à des dispositifs expérimentaux, à des industriels qui veulent tenter d'innover et d'entrer dans ces cycles d'innovation. Plusieurs solutions ont été déjà été évoquées, comme la brique ou l'IOSBIODOM à La Réunion. On pourrait ajouter d'autres recherches, aux Antilles, autour des sargasses, qui permettent de gérer la prolifération des algues et trouver des ressources supplémentaires en matériaux.
Dès qu'on envisage de créer des matériaux innovants, il faut trouver quelqu'un en amont pour produire la matière, la transformer, éventuellement la qualifier et la prescrire efficacement. Il faut ensuite qu'elle soit correctement mise en oeuvre sur chantier et réceptionnée, éventuellement entretenue, voire, à la fin, déposée et revalorisée. Tout cela constitue un cycle, sachant qu'on a en face de nous des clients qui attendent l'offre et, d'un autre côté, des industriels qui attendent la demande pour construire l'offre. Comment réussir à amorcer la machine ?
Comme on l'a dit, le logement social peut être un bon allié pour lancer ces mécaniques et ces filières. Des initiatives existent déjà dans l'Hexagone et dans les territoires. Les partenariats pour monter une filière ad hoc et répondre à un besoin spécifique sont assez courants.
Parmi les limites, on n'a peut-être pas assez insisté sur les notions de coût et de surcoût. On veut non seulement produire local, mais aussi bas carbone et social en parvenant à maîtriser les coûts de production pour les bailleurs sociaux, sachant qu'ils ont tendance à être encore supérieurs dans ces territoires, alors que les bailleurs y sont plus récents et encore plus endettés.
On a également évoqué le sujet des assurances. Il faut auparavant que des architectes, des maîtres d'oeuvre, des bureaux qui les connaissent sachent les mettre en oeuvre et que les contrôleurs techniques les acceptent. Il faut aussi pouvoir produire des dérogations techniques en temps et en heure. La plupart des matériaux n'utilisant pas des techniques courantes, ne faut-il pas enfin envisager un autre type de marquage que le marquage CE ?
On n'a pas non plus accès à toutes les compétences techniques, comme dans l'Hexagone. Comment qualifier rapidement ces matériaux et être sûr de leur réplicabilité en termes de qualités intrinsèques ?
Avec le logement social, on est généralement dans une logique de parc, avec des acteurs du temps long, qui planifient souvent à distance et sont capables de traiter plusieurs sujets en un. La réhabilitation, généralement, ne s'arrête pas à la rénovation thermique, mais traite aussi de l'accessibilité, du vieillissement, de la biodiversité. Ce sont souvent des enjeux inscrits dans ces cycles, qu'il va falloir continuer à soutenir pour éviter de négliger d'autres sujets capitaux lors du cycle suivant.
Si l'on veut être capable de réemployer les matières, il va falloir les stocker. Qui dit stockage dit surfaces foncières disponibles. Peu sont déjà disponibles pour faire ce que l'on veut faire à date : les sécuriser, les requalifier, être capable de les réassurer, les remettre en oeuvre. Dans l'Hexagone, des bailleurs montent leur propre plateforme de réemploi pour être eux-mêmes producteurs et consommateurs de matières. Cela permet d'éviter les intermédiaires et d'avoir une meilleure vision sur la temporalité des différents projets, voire être capable de mieux anticiper des phénomènes de glissement ou d'attente d'un projet à un autre.
Je n'ai pas de chiffres sur les aides et les dispositifs qui existent. On sait que le logement social a l'avantage d'être très souvent associé à la création et à la mise à jour des dispositifs de financement et à l'évolution de l'appareil législatif et réglementaire. On l'a vu pour l'évolution de la RTAADOM, le logement social est associé, évolution qui va principalement toucher le neuf.
Les bailleurs sociaux se sont également engagés dans la DPE pour être sûrs d'obtenir un outil pertinent sur l'ensemble des territoires, avec des mises à jour des outils et des leviers de financement qui lui sont propres, autour des éco-prêts, associés à des contreparties de performances qui englobent beaucoup d'autres sujets que la vision hexagonale de la performance énergétique dans un bâtiment.
M. Brayen Sooranna. - Concernant France Rénov', je vous propose de vous remettre une note complète.
M. Maxence Lefèvre. - Un logiciel est en cours de constitution à La Réunion, qui s'appelle, ART-NURE, porté par la SPL Horizon, Imagine et EDF. Il va aider à créer une modélisation thermique de l'existant pour appliquer les améliorations énergétiques et permettre une classification DPE.
Un autre projet dénommé Culture et climat, porté en partie par le Conseil de l'ordre des architectes Réunion-Mayotte, propose un outil d'aide aux concepteurs, sous format BIM, qui vérifie le confort thermique des projets au stade de la conception.
M. Rémy Vasseur. - Le dispositif de DPE et de RTAADOM se veut unifié, dans le sens que le but consiste à obtenir une vision unique du neuf et de l'existant, qui pourrait potentiellement avoir quasiment dix ans d'avance sur ce qu'on a prévu de faire dans l'Hexagone. Cet outil fait partie de ceux qui vont être étudiés par la DHUP dans cet exercice d'unification des modèles et des dispositifs. Il faut que cela s'adapte à l'ensemble des territoires, sans potentiellement prendre en compte les ajustements sur les moteurs.
Enfin, s'agissant de Saint-Pierre-et-Miquelon, nous devions entrer en contact avec le Point info énergie, qui voulait échanger avec nous sur ce sujet. Cela n'a pas pu se faire à temps, mais nous abonderons avec les éléments que nous pourrons récupérer auprès d'eux sur le sujet.
La seule chose que l'on sait, sans en connaître la portée ni l'efficacité, c'est que des aides sur l'isolation existent sur le territoire depuis déjà de nombreuses années. Je pense donc qu'ils doivent disposer de retours chiffrés sur l'efficacité de leurs mesures.
Par ailleurs, beaucoup d'efforts sont faits, même si l'énergie est encore massivement fossile, pour passer par des réseaux collectifs urbains afin de gagner du rendement grâce à la cogénération. On progresse sur ce sujet, mais nous ne disposons pas des chiffres. Nous espérons avoir un peu plus d'éléments d'ici l'envoi du document que nous vous ferons parvenir.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci. N'hésitez pas à nous faire remonter tous les types d'informations qui nous seraient nécessaires.
Audition de
M. Franck Lacroix, directeur général adjoint d'Engie,
en
charge des activités Energy solutions, et de Mme Florence
Fouquet, directrice du marché des particuliers
d'Engie
(Mardi 23 mai 2023)
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous débutons aujourd'hui les travaux de notre commission d'enquête par l'audition d'Engie représenté par M. Frank Lacroix, directeur général adjoint, et par Mme Florence Fouquet, directrice du marché des clients particuliers.
Monsieur Lacroix, vous occupez ces fonctions auprès de Catherine MacGregor depuis février 2023 et êtes également membre du comité exécutif du groupe. Avant de rejoindre Engie, vous avez exercé de nombreuses fonctions dans l'énergie et les services, notamment chez Dalkia et EDF, mais aussi à la SNCF et chez Elior.
Madame Fouquet, en tant qu'ingénieur des mines vous avez développé une première partie de carrière au sein du ministère de l'économie et des finances dans le domaine de l'énergie. Chez Engie, vous avez été en charge des clients professionnels, puis, à partir de 2018, des clients particuliers, soit 5,5 millions de clients et 8 millions de contrats de service.
Engie est l'un des principaux acteurs de l'énergie en France, et de plus en plus à l'étranger. Historiquement acteur du gaz, l'entreprise se diversifie vers d'autres sources d'énergie. Engie est aussi fournisseur direct des particuliers et a développé une branche de services qui est labellisée RGE (Reconnu garant de l'environnement). C'est à ces différents titres que nous vous auditionnons aujourd'hui.
En premier lieu, nous voudrions savoir quelle est la vision d'Engie sur la trajectoire de décarbonation et la sortie des énergies fossiles. N'est-ce qu'un chemin vers l'électrification des usages ? Cette trajectoire est-elle soutenable et à quelles conditions ? Plus particulièrement dans le logement, notamment sous pression européenne, il semble que la décarbonation prenne le pas sur l'isolation et la sobriété. Est-ce une bonne chose ? Le « tout-pompe à chaleur », sans isolation, ne va-t-il pas entraîner des déconvenues pour les ménages, pour la gestion du réseau électrique, mais aussi pour la planète avec, comme effet secondaire, le développement de la climatisation ?
Acteur central de l'énergie, Engie est donc aussi l'un des principaux obligés en matière de certificats d'économies d'énergie (CEE). Nous voudrions savoir quelle est votre vision du dispositif. Est-il suffisamment cohérent et articulé avec les autres aides ? Les délégataires et les opérateurs qui réalisent les travaux sont-ils suffisamment contrôlés ? Peut-on simplifier et unifier ces dispositifs ? Enfin, comment lutter contre une fraude qui, sans être générale, est tout de même très répandue.
Je voudrais enfin que vous nous présentiez le volet services aux particuliers qu'Engie a développé pour favoriser la rénovation énergétique. Quel est votre retour d'expérience à ce sujet ? Comment peut-on inciter les ménages à la rénovation globale de leur bien ? Quel regard porte Engie sur Mon Accompagnateur Rénov' ? Enfin, Engie est labellisé RGE. Quelle est votre vision de ce label ? Comment pourrait-il évoluer pour apporter plus de garanties aux ménages et concerner un plus grand nombre d'entreprises, notamment artisanales ?
Cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.
Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Franck Lacroix et Mme Florence Fouquet prêtent serment.
M. Franck Lacroix, directeur général adjoint d'Engie, en charge des activités Energy solutions. - Engie intervient bien au-delà de son rôle historique de fournisseur et de distributeur de gaz puisqu'il a centré sa stratégie sur la transition énergétique. Sa raison d'être depuis 2020, inscrite dans ses statuts, est d'accélérer cette transition vers une économie neutre en carbone. La trajectoire propre du groupe est d'atteindre cette neutralité carbone à l'horizon 2045. Nous intervenons en France et dans une trentaine de pays dans le cadre d'une démarche intégrée que je trouve très originale, compte tenu de mon histoire dans le monde des services et de l'énergie en général, laquelle aborde la mutation du système énergétique au travers de trois volets.
Premier volet : la production d'énergies renouvelables - solaire, éolien, offshore, onshore, etc. - sur laquelle nous investissons fortement pour passer, à l'échelle du groupe, d'une puissance actuelle de 38 gigawatts à 80 gigawatts à l'horizon 2030.
Deuxième volet : la transformation des infrastructures de transport, de distribution et de celles qui contribueront à la flexibilité indispensable du système énergétique. Celui-ci devenant de plus en plus électrique, cela nécessite de trouver un équilibre permanent entre production et consommation, car l'électricité ne se stocke pas. Notre conviction est que la résilience de ce système passe par l'alliance de la molécule de gaz - elle a aussi vocation à se décarboner, avec le biométhane aujourd'hui et l'hydrogène demain - et de l'électron. La molécule de gaz offre à un système de plus en plus complexe et interconnecté la flexibilité et la fiabilité indispensables à son fonctionnement.
Troisième volet : décarboner les infrastructures et les équipements énergétiques des consommateurs, en agissant sur trois leviers distincts et complémentaires.
Le premier de ces leviers est l'efficacité énergétique : réduire les pertes et améliorer les rendements des équipements, tout en délivrant l'énergie et les services associés - principalement le chauffage, l'eau chaude et la climatisation -, avec un niveau de qualité et de confort conforme aux attentes des occupants des bâtiments.
Le deuxième volet est la sobriété énergétique : il faut supprimer le gaspillage, par exemple en ne chauffant pas un bâtiment inoccupé. Pour ce qui concerne les usages intermittents de bâtiments tels que les écoles, il convient de modifier les comportements des occupants. Ainsi, pour les boucles d'eau chaude sanitaire, on pourrait supprimer le préchauffage. Le fait que l'eau sorte chaude du robinet représente environ 5 % de la consommation d'un bâtiment ; or, si l'eau arrive tiède avant de se réchauffer, ce n'est pas si grave ! On doit aussi faire évoluer nos critères de confort, par exemple en diminuant la température d'un degré ; car si la loi dispose que les bâtiments doivent être chauffés à 19 degrés, la pratique est souvent différente...
Le troisième volet est le recours prioritaire aux énergies renouvelables. Engie est intéressé par la rénovation énergétique des bâtiments en tant qu'acteur de la transformation des systèmes énergétiques - une activité en tant que telle qui existe depuis longtemps -, et en tant que fournisseur d'énergie dans le cadre des certificats d'économie d'énergie (CEE) - une obligation qui représente pour le groupe environ 500 millions d'euros par an.
En 2020, les bâtiments résidentiels et tertiaires représentaient 47 % de la consommation d'énergie et 23 % des émissions de gaz à effet de serre (GES). La rénovation énergétique de ces bâtiments est donc fondamentale pour atteindre les objectifs de décarbonation de la France, et il est légitime de s'interroger sur l'accompagnement des démarches de rénovation.
Du point de vue d'un énergéticien, le bâtiment est une notion très large regroupant des réalités très différentes, que nous abordons à partir de la configuration des équipements. Les bâtiments ayant des installations énergétiques collectives - le bâtiment tertiaire public ou privé, et l'habitat collectif social ou privé - représentent 45 % des consommations d'énergie. L'ensemble restant est constitué de tous les autres bâtiments : maisons individuelles et bâtiments collectifs dotés d'équipements individuels.
Le premier ensemble - la partie « collective » - est géré au sein d'Engie par Energy solutions, que je dirige, avec une orientation forte donnée aux économies d'énergie sur la durée au travers des contrats de performance énergétique (CPE). Le deuxième ensemble relève du marché des particuliers d'Engie, dirigé par Florence Fouquet, dont la mission est de vendre aux clients particuliers de l'électricité ou du gaz ainsi que des services associés, notamment les équipements d'accompagnement de la performance énergétique. Les approches de ces deux catégories de bâtiments sont très différentes, car elles concernent des écosystèmes distincts : le B to B pour la partie collective ; le B to C pour la partie individuelle.
La rénovation énergétique des bâtiments doit s'intégrer dans une vision générale du système énergétique et de sa trajectoire, qui combine la réduction de l'intensité énergétique et le choix des vecteurs les plus appropriés. J'insisterai sur trois points.
Concernant l'intensité énergétique, le contexte géopolitique a eu pour conséquence de sensibiliser aux efforts nécessaires de sobriété énergétique. Nous avons constaté cette année une baisse de 7 à 10 % des consommations d'énergie dans l'ensemble des bâtiments que nous gérons, ce qui est significatif. Nous pouvons progresser encore dans ce domaine qui est pour nous absolument prioritaire.
Sur les vecteurs énergétiques, nous nous préparons à une croissance programmée des besoins en électricité, et le bâtiment y prendra sa part. Le parc nucléaire français est certes un outil précieux, mais il vieillit. Il est donc crucial d'accompagner cette transition par un développement massif des énergies renouvelables ; la loi du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables est à cet égard très importante.
S'agissant de la résilience de notre système énergétique, les textes européens ont posé une ambition très forte, soit une part des énergies renouvelables de 42 % en 2030 et une réduction de 55 % des GES. Ces objectifs impliquent d'utiliser, en complément de l'électricité, les gaz verts et décarbonés - biométhane, hydrogène -, ainsi que la chaleur et le froid renouvelables, souvent issus des ressources énergétiques du territoire : biomasse, géothermie, récupération de chaleur fatale sur les sites industriels. Cela permettra de déployer des solutions à haute performance énergétique (HPE), notamment pour les réseaux de chaleur, car ces outils combinent l'aspect renouvelable et l'efficacité d'un système de production d'énergie.
On entend beaucoup parler de l'interdiction des chaudières à gaz. Outre les conséquences sociales d'une telle mesure, il faut savoir qu'elle nécessiterait d'ajouter 20 gigawatts de pointe électrique d'ici à 2035, ce qui représente 13 réacteurs nucléaires type EPR. Un autre effet serait une dépendance massive vis-à-vis des pays d'Asie, leaders pour la production des pompes à chaleur. Cela ne tient donc pas la route...
Notre préconisation est d'une autre nature. Il s'agit d'améliorer la performance énergétique des bâtiments équipés de chaudières à gaz, lesquelles sont au nombre de 3 millions environ. Nous proposons de remplacer la moitié d'entre elles par des chaudières à très haute performance énergétique, qui permettent de réaliser des économies de l'ordre de 30 % par rapport aux consommations précédentes, et l'autre moitié par des pompes à chaleur hybrides, qui combinent électricité et gaz en périodes de pointe importante. Nous proposons aussi d'utiliser le biogaz, dont il faut poursuivre le développement, dans les bâtiments afin de décarboner les chaudières qui demeureraient, et de prendre en compte dans le diagnostic de performance énergétique (DPE) la valeur des émissions du biogaz, pour ne pas diminuer la valeur patrimoniale des biens dont les propriétaires auraient fait le choix de l'énergie verte.
Des moyens financiers très importants sont alloués à la rénovation énergétique des bâtiments, autour de 10 milliards d'euros par an. À cet égard, nous faisons deux constats. Tout d'abord, il y a un problème d'efficacité : les aides ne permettent pas de réduire la consommation finale d'énergie dans les volumes escomptés ; il faut donc changer de rythme. Ensuite, le problème de fraude, l'écodélinquance, perturbe le bon fonctionnement des dispositifs et incite trop souvent à une modification régulière des textes et des dispositifs.
Dans ce contexte, il nous paraît indispensable d'assurer une stabilité et une prévisibilité des dispositifs, car la rénovation des bâtiments et les sujets énergétiques sont affaire de temps long. Par ailleurs, le traitement de l'écodélinquance, qui est nécessaire, ne doit pas modifier de manière intempestive les dispositifs. Il convient d'y consacrer les moyens suffisants et de sanctionner réellement ; la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ainsi que la gendarmerie doivent traiter les problèmes à la source, en croisant les fichiers des acteurs privés et publics. Mais il faut agir sans stopper la dynamique de rénovation.
Nous souhaitons non pas opposer la baisse de la consommation et le verdissement de l'énergie, mais les combiner de manière positive. Si la rénovation globale est souhaitable, elle est en pratique très complexe parce qu'elle se heurte à des freins psychologiques, logistiques et financiers. Nous suggérons donc de déployer des bouquets de solutions, plus efficaces que les gestes isolés, et d'encourager les parcours de rénovation dans le temps : dans les logements individuels, des bonus incitatifs, par exemple deux à trois ans après un premier geste de rénovation ; dans les logements collectifs, un mécanisme identique, mais sur une période plus longue pour prendre en compte le processus décisionnel, notamment dans les copropriétés.
Selon l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), les économies d'énergie induites par le dispositif des CEE représentent moins de la moitié des économies d'énergie théoriques comptabilisées par le dispositif. Nous suggérons donc, pour le secteur du tertiaire et du résidentiel avec chauffage collectif, une incitation très forte au déploiement des contrats de performance énergétique, lesquels garantissent les économies annoncées dans la durée, avec des sociétés de services d'efficacité énergétique qui s'engagent sur un niveau de performance.
Pour les bâtiments collectifs, on constate que le dispositif MaPrimeRénov' est très peu déployé : il représente 5 % des fonds alloués. Nous proposons de renforcer ceux-ci sur cette cible, en particulier dans les copropriétés - pour commencer à hauteur de 300 millions d'euros.
Pour ce qui concerne le verdissement de la chaleur, le dispositif du fonds Chaleur a montré son extraordinaire efficacité, à tel point qu'il est aujourd'hui saturé. Il faut impérativement augmenter la dotation à ce fonds pour que les projets puissent se réaliser. La dotation de 2023 est en effet déjà consommée, alors qu'il y a 32 projets de réseaux de chaleur en attente. Il s'agit de disposer d'un système d'efficacité énergétique partagée : plutôt que d'avoir une installation par immeuble, on mettrait en commun dans des centaines d'immeubles des installations de production et de transformation d'énergie, avec à la clé des économies spectaculaires.
Il faut aussi citer le plan Marshall de la chaleur renouvelable, dont l'objectif est d'atteindre 54 % d'énergies renouvelables à l'horizon 2030. Pour y parvenir, il convient de développer la géothermie, les pompes à chaleur, le solaire, le biogaz, la biomasse et la chaleur fatale issue des sites industriels.
Mme Florence Fouquet, directrice du marché des particuliers d'Engie. - Le marché des particuliers souffre également d'un manque de stabilité et de visibilité, car les dispositifs d'aides changent très fréquemment, et aussi de la grande complexité de ceux-ci : les particuliers, qui ne sont pas des spécialistes de l'énergie, ont du mal à les comprendre, d'où l'attentisme que l'on constate en matière de rénovation énergétique. Par exemple, les personnes hésitent à changer leur vieille chaudière, tandis que circulent des informations relatives aux contrefaçons de pompes à chaleur... On observe donc une forte décroissance de la rénovation à ce niveau.
Nous préconisons de réfléchir avec l'ensemble des parties prenantes à un dispositif de guichet unique pour que les particuliers n'aient qu'une seule demande à effectuer, et également à un système de « tiers payant » grâce auquel ils ne débourseraient que la somme dont ils seraient débiteurs, une fois prises en compte les différentes aides ; certaines entreprises le proposent d'ores et déjà, notamment des filiales d'Engie, mais cela reste limité.
L'écodélinquance est due, pour une grande part, aux dispositifs d'aide « à un euro ». Il convient donc de déterminer le bon niveau d'aide, afin d'éviter un mouvement de stop and go sur les interventions de rénovation dont les premières victimes sont les entreprises sérieuses ayant développé des offres et formé leurs conseillers et techniciens. Les écodélinquants, quant à eux, surfent d'une offre à un euro à l'autre. Une solution serait de lancer des études d'impact des nouveaux dispositifs, la question à se poser étant : quels sont le bon prix et le bon niveau du reste à charge pour que le dispositif d'aide soit équilibré et vertueux ?
Pour ce qui concerne le rythme de la rénovation sur le marché des clients particuliers, il convient de recourir à plusieurs systèmes - des gestes isolés, mais pas seulement. Par exemple, une chaudière à très haute performance énergétique fait baisser de 30 % la consommation d'énergie et induit une diminution de l'émission de GES. Une rénovation globale, en revanche, peut être compliquée pour une famille ou un couple de personnes âgées. Nous suggérons donc de prévoir un bouquet de solutions et d'inciter les particuliers à s'engager par étapes dans une démarche de rénovation.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Je trouve intéressant qu'une entreprise qui vend de l'électricité alerte sur les risques du tout-électrique... Il faut agir, à la fois, sur la sobriété, et donc la limitation des déperditions, et sur le système de chauffage en diversifiant les solutions en fonction des territoires.
Entre rénovation par gestes et rénovation globale, il convient de trouver des solutions intermédiaires en termes de parcours et d'offre d'interventions, et de disposer d'une visibilité. Sur le site internet d'Engie, comme sur d'autres, ce sont plutôt les gestes simples - changement de chaudière, par exemple - qui sont encouragés. Il serait intéressant de renvoyer à une plateforme commune d'accompagnement. En effet, la multiplication des acteurs ne favorise pas la lisibilité. Quel votre avis à cet égard ?
MaPrimeRénov' et les CEE recouvrent des moyens et des politiques de financement très différents. Sans les fusionner, il serait bon de rapprocher ces dispositifs. Y avez-vous réfléchi ?
S'agissant du contrat de performance énergétique, comment intégrer la question de l'usage ? Car si la consommation électrique est facile à contrôler, il n'en va pas de même d'autres modes de chauffage.
Comment envisagez-vous l'évolution du label RGE ? Qu'en est-il du contrôle sur sites des travaux ?
M. Franck Lacroix. - Avant de recourir à une énergie qui vient de loin, il faut avant tout se demander quelle solution on peut trouver là où l'on est. À cet égard, les réseaux de chaleur constituent des parcours d'innovation technologique intéressants : depuis leur apparition au début du XXe siècle, on a amélioré leur rendement en baissant le niveau de température de manière spectaculaire. Actuellement, nous étudions les moyens de moins recourir à la combustion, via la géothermie, les pompes à chaleur et l'interconnexion des immeubles afin que ceux-ci échangent leur énergie. Il importe d'être plus intelligent à l'échelle d'un territoire.
Quant à l'autoconsommation des bâtiments, elle peut concerner le chauffage et l'eau chaude sanitaire, mais aussi la partie électrique, au travers de l'installation d'équipements solaires photovoltaïques sur d'autres bâtiments situés alentour. Ainsi, l'énergie produite dans un bâtiment profite à ceux qui sont à côté : il s'agit d'autoconsommation collective. De telles infrastructures collectives permettent aussi d'apporter des solutions vertueuses pour la production du froid. Grâce à ces mises en commun, chaque module de l'installation fonctionne à 100 % et l'on peut, ce faisant, stocker du froid. Préparer les infrastructures énergétiques collectives de demain est donc très important.
Mme Florence Fouquet. - Pour ce qui concerne les clients particuliers, les pouvoirs publics doivent simplifier l'accès aux informations sur les dispositifs d'aide labellisés par l'État. Par ailleurs, ces clients doivent être accompagnés par les organismes publics, comme l'Agence nationale de l'habitat (Anah), mais aussi les entreprises du secteur de l'énergie. Les clients d'Engie, par exemple, considèrent que nous sommes des conseillers légitimes dans le domaine de la rénovation énergétique, et environ 5 millions de Français consultent chaque année notre site. Il importe donc d'allier les forces de l'État et celles de nos entreprises. Nous employons aussi des conseillers spécialisés en efficacité énergétique. À cet égard, nous regrettons de ne pouvoir être Accompagnateur Rénov', alors même que nous avons tout intérêt à bien conseiller nos clients.
Une fois franchie l'étape de l'information, celle du passage à l'action peut poser des difficultés dans la mesure où les particuliers doivent avancer certaines sommes avant de percevoir les aides. Voilà pourquoi il conviendrait de réfléchir à un dispositif de tiers payant après validation des dossiers, avec un système de flux croisés entre l'État et les acteurs privés.
La labellisation RGE est une première base. Il serait bon de renforcer en amont ce label, qui a le mérite d'exister, afin de mieux sélectionner les entreprises et de limiter l'écodélinquance à la source. La labellisation doit être complétée par des formations continues, dans la mesure où les techniques évoluent, et par des audits sérieux en vue d'éventuels retraits de label en cas de manquements. Actuellement, en effet, il est très difficile de priver une entreprise du label ; dans plus de 90 % des cas, celles qui ont fait l'objet d'une procédure de retrait le récupèrent. Un tel dispositif de contrôle existe d'ores et déjà pour les professionnels du gaz naturel.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - En renforçant le label RGE, ne risque-t-on pas de décourager les entreprises qui souhaitent intervenir dans ce secteur, alors même que l'on en a tant besoin ? Le ministre de l'économie a en effet annoncé pour 2025 une augmentation importante du nombre d'entreprises labellisées RGE... Ne faudrait-il pas trouver un équilibre ?
Mme Florence Fouquet. - À cet égard, la formation initiale est très importante et on pourrait envisager d'aider les entreprises à en bénéficier. Par ailleurs, une fois le label obtenu, il faut montrer qu'on le mérite. L'accompagnement des entreprises et la formation ont plusieurs avantages : les professionnels montent en compétence et des emplois sont créés. L'idéal serait de construire une filière d'excellence. On pourrait ainsi diminuer le nombre de contrôles a posteriori, qui pallient actuellement une labellisation quelquefois trop facilement accordée.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Comment tenir compte de l'usage des particuliers dans les contrats de performance énergétique ?
Mme Florence Fouquet. - Pour les particuliers, nous commençons à réfléchir à des systèmes incitatifs ; il n'existe pas encore de contrats de performance énergétique. En 2022, les pouvoirs publics et les grands groupes de l'énergie ont incité à la sobriété et se sont interrogés sur l'usage des compteurs communicants, très précis pour ce qui concerne la consommation d'électricité, l'idée étant de faire prendre conscience des quantités d'énergie consommées. Engie et plusieurs fournisseurs d'énergie ont mis à la disposition de leurs clients des applications pour les inciter à moins consommer, en échange de bonus. Sur notre espace clients, 400 000 personnes se sont inscrites, attirées par l'incitation et le fait d'être guidées dans leur démarche d'économies ; en moyenne, elles ont consommé 8 % de moins que nos clients qui n'y avaient pas participé.
En conclusion, les systèmes incitatifs ainsi que la facilitation sont les meilleurs moyens d'intéresser les particuliers aux économies d'énergie.
M. Franck Lacroix. - C'est un point commun avec le secteur des bâtiments collectifs : dans ce dernier s'appliquent les contrats de performance énergétique, grâce auxquels on met en place dans la durée un dispositif de dialogue et d'information. C'est important dans la mesure où la rénovation doit, elle aussi, s'inscrire dans la durée.
M. Philippe Folliot. - L'Union européenne considère que le nucléaire, donc l'électricité, ainsi que le gaz sont des énergies écologiques de transition. Parallèlement, un programme de remplacement des chaudières à gaz a été lancé. Quelle est votre position à cet égard ? Un mix énergétique doit-il être mis en place ? Faut-il installer des chaudières à gaz plus performantes ? Quelles conséquences pourrait avoir le tout-électrique ?
M. Franck Lacroix. - Le système énergétique de demain ne comprendra pas une seule énergie ; ce serait absurde. Si l'on devait supprimer toutes les chaudières gaz arrivant à expiration d'ici à 2030, il faudrait augmenter la capacité de production d'électricité en pointe de 20 gigawatts, ce qui - je l'ai dit - représente 13 EPR... Ce n'est pas possible.
À l'échelle des maisons et des habitats collectifs, ce n'est pas possible non plus parce que les pompes à chaleur ne fonctionnent bien que jusqu'à un certain niveau de température ; en-deçà, elles ne marchent plus, ou mal. Le fait qu'il y ait toujours des chaudières à gaz n'est pas un problème, dès lors que leur utilisation diminue de manière importante.
Au niveau d'une ville ou d'un pays, la mixité des vecteurs énergétiques est la solution optimale. Ainsi, pour nos réseaux de chaleur ou de froid, nous faisons des efforts pour diversifier le mix énergétique ; il n'est pas rare que nos techniciens aient dans leurs installations quatre, cinq ou six sources énergétiques différentes, par ordre de priorité - la biomasse est le socle, puis on récupère l'énergie dans la station d'épuration des eaux, et enfin on utilise le gaz, tout cela pour décarboner au maximum.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous vous remercions de vos interventions.
Audition de
MM. Guillaume Laroque,
président de TotalEnergies marketing
France
et Francois Ioos, directeur certificats d'économies
d'énergies
de TotalEnergies
(Mardi 23 mai 2023)
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous poursuivons nos travaux par l'audition de MM. Guillaume Laroque, président de TotalEnergies marketing France et François Ioos, directeur certificats d'économies d'énergies de TotalEnergies. Monsieur Laroque, vous avez fait une carrière de près de 30 ans au sein du groupe TotalEnergies, dans lequel vous avez eu des responsabilités dans plusieurs zones du monde : en Asie, en Afrique, en Autriche ou encore en Allemagne. Plus récemment, vous avez été directeur du réseau et des cartes pétrolières et depuis un peu plus de trois ans vous êtes à la tête de TotalEnergies marketing France. Monsieur Francois Ioos, vous avez - vous aussi - fait une carrière au sein du groupe TotalEnergies, légèrement plus courte, un peu moins de 20 ans. Vous avez dirigé différentes filiales et vous avez eu des responsabilités dans plusieurs régions : en Amérique du Sud, aux Antilles ou encore en Afrique. Depuis un peu plus d'un an et demi, vous êtes directeur des certificats d'économie d'énergie (CEE) et vous couvrez donc les obligations qui s'imposent à votre groupe à ce sujet.
Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de présenter votre groupe, TotalEnergies, première entreprise française et acteur mondial de la production et de la fourniture d'énergies - pétrole et gaz naturel évidemment - qui cherche dorénavant à se diversifier : biocarburants, énergies renouvelables, électricité et efficacité énergétique. C'est avec cette variété d'activités que nous avons voulu vous entendre, au-delà de votre rôle historique de pétrolier. En tant que fournisseur d'énergie, vous devez promouvoir l'efficacité énergétique auprès des consommateurs d'énergie, notamment les particuliers, ce qui implique des économies d'énergie, calculées en kWh « cumac », contraction de « cumulé » et « actualisé » : il s'agit d'inciter vos clients à effectuer des actions qui contribueront à réduire la consommation énergétique de la France. Cette incitation passe notamment par les CEE via l'octroi de primes énergie pour la réalisation de travaux de rénovation énergétique éligibles au dispositif, comme des travaux d'isolation ou de nouveaux équipements de chauffage. Vous pourrez d'ailleurs revenir sur l'ensemble des activités de TotalEnergies qui sont liées à la rénovation énergétique des logements.
Quel regard portez-vous sur les objectifs et les moyens de la rénovation énergétique des logements en France ? Comment, à cet égard, TotalEnergies entend relever le défi de la massification et de l'accélération des rénovations de logement ? Pouvez-vous dresser le bilan de vos obligations, notamment en termes de CEE ? Ce dispositif, qui s'impose aux fournisseurs d'énergie, est-il suffisant pour promouvoir l'efficacité énergétique auprès des consommateurs d'énergie, surtout tels que les particuliers ? Quelle place occupe TotalEnergies dans le financement des CEE ? Comment les pouvoirs publics peuvent-ils plus globalement favoriser la montée en puissance des rénovations de logement ? Jugez-vous les dispositifs de soutien à la rénovation énergétique des logements pertinents et efficaces ? Quelles évolutions estimez-vous nécessaires ?
Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.
Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».
MM. Laroque et Ioos prêtent serment.
M. Guillaume Laroque, président de TotalEnergies marketing France. - Merci pour votre invitation. TotalEnergies est devenue un acteur majeur de la transition énergétique, l'entreprise a en effet changé de nom en mai 2021 et se fixe pour objectif de figurer parmi les cinq premiers producteurs mondiaux d'électricité solaire renouvelable en 2030. Un programme de 60 milliards d'euros à cet horizon doit nous permettre d'atteindre 100 gigawatts d'énergie renouvelable. Nous développons également d'autres énergies bas carbone, en particulier les biocarburants, le biogaz, l'hydrogène, l'e-fuel. Le mix de l'énergie que nous vendons va changer : en 2030, la moitié de l'énergie que nous vendrons devrait être du gaz naturel, 30 % de produits pétroliers, 15 % d'électricité renouvelable et 5 % de molécules décarbonées, et nous nous fixons pour objectif d'atteindre la neutralité carbone en 2050 en Europe. Nous accompagnons donc un mouvement plus général, celui de la transition énergétique par nos clients. En France, nous sommes associés à Stellantis et Mercedes Benz pour produire des batteries électriques destinées aux véhicules, et nous sommes un fournisseur d'énergie de quelque 6 millions de clients.
La rénovation énergétique des bâtiments a un rôle clé dans la réduction du CO2 émis dans notre pays. Les bâtiments émettaient 93 millions de tonnes de CO2 en 1990, et 62 millions de tonnes en 2022 et l'objectif est d'atteindre 45 millions de tonnes en 2030, ce qui représente le quart de la baisse globale des émissions dans notre pays. Les CEE sont donc déterminants. La rénovation énergétique passe par deux leviers : le financement, parce qu'elle demande de l'investissement, mais aussi des incitations à un comportement vertueux du consommateur. TotalEnergies a une obligation cumulée de 180 térawatts-heure par an, ce qui représente 23 % des obligations de la nation - soit un effort financier de 1,5 milliard d'euros cette année.
Nous avons un rôle direct en tant qu'énergéticiens, et nous mettons en oeuvre des actions pour aider les consommateurs à mesurer leur consommation, avec un suivi mensuel et personnalisé ainsi qu'un comparatif en fonction de la composition des ménages, pour que chacun puisse se repérer, c'est incitatif. Nous avons également mis en place un bonus, jusqu'à 90 euros, pour les consommateurs qui ont dépassé 5 % d'économie d'énergie l'an passé, 1 million de nos clients l'ont fait. Toujours sur le volet incitatif, nous incitons au covoiturage, nous sommes partenaires de BlaBlaCar et finançons à ce titre un bonus d'entrée pour tout nouveau conducteur, 3 millions d'entre eux en ont bénéficié depuis 2010, dont environ 300 000 l'an dernier. Nous aidons également nos clients à s'équiper en énergie moins carbonée - nous avons ainsi, l'an passé, aidé 40 000 clients à passer du fioul à une pompe à chaleur ou à une chaudière.
Nous avons un rôle plus indirect dans le domaine de l'isolation - d'autres entreprises sont plus qualifiées que nous dans le domaine - mais nous avons participé à 390 000 opérations de rénovation énergétique en 2022, dont 194 000 pour des foyers précaires, 130 000 étaient des rénovations de combles et de toitures, 30 000 des isolations de murs, 25 000 de planchers, et seulement 5 000 rénovations globales. Nous savons que l'objectif gouvernemental est d'atteindre chaque année 500 000 rénovations globales performantes, c'est-à-dire capables d'atteindre un DPE A ou B.
Comment accélérer le mouvement ? Nous pensons qu'il faudrait rendre le système des CEE plus lisible. Il est complexe pour les entreprises de rénovation, pour les clients, en particulier la constitution administrative des dossiers, et il change souvent - probablement pour de bonnes raisons techniques, mais la fréquence même du changement pose des problèmes. Il faudrait plus de stabilité dans le fonctionnement, dans la présentation des fiches techniques, pour donner plus de perspectives, donc améliorer la capacité des clients à anticiper leurs gains par leur investissement. Certaines fiches ont changé trois fois dans la même année, obligeant les acteurs à adapter leurs logiciels - nous avons dépensé 1,5 milliard d'euros dans nos systèmes informatiques pour gérer les CEE : TotalEnergies peut le faire, mais les entreprises plus petites ont du mal à suivre. Les changements peuvent être justifiés, mais leur trop grande fréquence crée de l'incertitude et de l'inconfort.
Ensuite, il faut voir que l'accélération n'est pas empêchée par un problème financier, mais par les limites relatives à la mise en oeuvre des rénovations, ce sont des limites de terrain, qui nous concernent tous. Pour accroître notre capacité à faire, il faut une meilleure formation des artisans et des professionnels, nous avons en particulier besoin de recruter environ 100 000 compagnons supplémentaires et il faut également qualifier plus largement au label RGE. Nous devons également renforcer les bureaux de contrôle, pour que la chaîne qualité suive. Enfin, il faut mieux accompagner les particuliers dans leur maîtrise d'ouvrage, car les chantiers de rénovation sont complexes, ce rôle d'accompagnement est indispensable à l'échelle locale. Et il nous semble nécessaire que ce conseil puisse être en mesure de dire quelles conséquences les travaux auront sur la note DPE. Or, si les économies d'énergie sont prévisibles et annoncées comme telles, le changement de la note DPE reste incertain, alors que c'est un facteur essentiel d'investissement pour les particuliers, surtout pour des chantiers qui représentent une somme importante - nous chiffrons la moyenne des rénovations globales à 60 000 euros. Il faut donc parvenir à ce que le conseil porte sur les deux aspects : les économies d'énergie et le nouveau classement DPE.
Enfin, il faut renforcer la labellisation RGE : 63 000 entreprises en bénéficient, sur les 700 000 entreprises du bâtiment, il faut aller plus loin - en augmentant le nombre d'entreprises qui en bénéficient, et en les aidant à recruter davantage sur ce critère.
Pour les contrôles, il serait utile que l'information soit plus fluide et qu'elle soit partagée. Environ 100 000 contrôles sont réalisés chaque année, c'est significatif mais comme l'information n'est pas partagée, elle ne bénéficie pas à l'ensemble du système, c'est dommage en particulier pour la grande majorité des entreprises, qui font un travail de grande qualité.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Merci de cette présentation. Vous paraissez lier directement DPE et CEE, comment voyez-vous cette articulation, plus précisément ? Nous avons entendu des critiques sur le DPE, on nous demande de le simplifier, mais aussi, pour les travaux de rénovation financés par le CEE, d'aller vers un système de « bouquet » de travaux, qui tendrait à une rénovation globale : comment voyez-vous les choses et quelles sont vos réflexions sur ce qui est au coeur des politiques publiques en la matière ?
Comment voyez-vous, ensuite, l'articulation entre les CEE et MaPrimeRénov' ? Il y a des problèmes de lisibilité, voire de contradiction entre les dispositifs : comment résoudre ces problèmes, pour mieux articuler ces deux dispositifs ?
S'agissant du label RGE, les questions portent aussi sur le contrôle des travaux effectués, on en vient à se demander s'il ne faudrait pas contrôler les chantiers directement, plutôt que de passer par la simple labellisation des entreprises : qu'en pensez-vous ? Estimez-vous possible d'établir un mécanisme tel que le Consuel, qui existe pour l'électricité ?
Le DPE ne dit rien du confort d'été, alors que ce confort importe à l'habitat et qu'il varie avec les matériaux et les techniques utilisés dans la rénovation : intégrez-vous ce confort dans vos réflexions ?
Enfin, en consultant votre site internet dédié aux CEE, avec le slogan « L'énergie tout compris », vous mettiez en avant les primes que le client peut espérer pour rénover, ce qui oriente vers la rénovation par gestes, plutôt que vers la rénovation globale, et je relève aussi que l'audit préalable ou l'accompagnement ne sont guère valorisés : qu'en pensez-vous ?
M. Guillaume Laroque. - Comment les CEE et le DPE sont-ils imbriqués ? D'après nos calculs, une rénovation globale représente, en moyenne, un forfait de 60 000 euros et une rénovation complète par gestes séparés, environ 10 % de plus : cette différence, même avec un reste à charge réduit pour les foyers précaires, devrait inciter fortement à une rénovation globale. Cependant, les foyers partent de situations très diverses, certains ont déjà changé leurs fenêtres, d'autres donnent la priorité à la rénovation de leurs combles, selon leur habitat et leur ressenti. Il faut prendre en compte également le fait que pendant des années, nous avions un reste à charge de 1 euro pour la rénovation par exemple des huisseries : ce n'était guère une incitation à contrôler que les travaux étaient bien faits ; faut-il un reste à charge de 30 %, ou moins, ou plus ? Ce n'est pas à nous de le dire, mais il doit y avoir un lien entre le reste à charge et l'implication des ménages dans la rénovation et dans le contrôle des travaux. Cependant, une rénovation par gestes, pas à pas, paraît souvent plus surmontable aux ménages, pour des raisons financières mais aussi pour la disponibilité des logements. Il faut bien voir, aussi, qu'il est parfois difficile de trouver l'entreprise capable de tout faire, en tout cas plus difficile que de trouver plusieurs entreprises qui se répartissent le travail, c'est ce que nous disent nos équipes de terrain et ce qui incite à faire plus de formation sur la rénovation énergétique en général.
Comment mieux accompagner vers une rénovation globale, alors qu'aujourd'hui, c'est bien le prix et le reste à charge qui priment ? Je crois primordial de mieux informer sur l'amélioration du DPE à l'issue des travaux, c'est un facteur essentiel de la décision d'investir, mais qui reste mal informé aujourd'hui. On gagnera certes à simplifier les choses, à rendre plus claire l'articulation entre MaPrimeRénov' et les CEE, mais leur stricte coïncidence est certainement difficile à atteindre et je crois qu'il vaut mieux aider les ménages à anticiper les résultats de leur investissement, donc les informer clairement sur le DPE à l'issue des travaux.
Il nous semble également que l'accompagnateur a un rôle clé et qu'il doit intervenir sur le chantier, car la rénovation est toujours complexe et jamais aisée, les ménages s'y retrouvent mieux quand ils sont accompagnés. De notre côté, nous appelons nos clients systématiquement à l'issue de tout chantier de rénovation - mon collègue est mieux à même de préciser ce point.
M. François Ioos, directeur certificats d'économies d'énergies de TotalEnergies. - Effectivement, nous appelons systématiquement nos clients à l'issue des chantiers, nous parvenons à en joindre la moitié, la plupart d'entre eux nous disent être satisfaits des travaux, 2 % seulement demandent des suppléments. Les clients, cependant, ne maîtrisent pas la conformité technique des travaux effectués, c'est bien pourquoi les contrôles par des professionnels sont importants ; environ le quart des chantiers auxquels nous participons en bénéficie, mais ces contrôles relèvent de circuits différents - au titre du label RGE de MaPrimeRénov', des CEE - qui ne communiquent pas entre eux, c'est regrettable, il serait plus efficace de regrouper ces informations.
M. Guillaume Laroque. - Un système tel que le Consuel serait idéal, mais en attendant, un contrôle systématique par un technicien serait déjà un progrès. Cependant, nous butons sur les capacités des bureaux de contrôle : s'il n'y a que 100 000 contrôles par an, c'est qu'il est difficile de faire plus, d'où cette proposition pragmatique de partager l'information, ce sera plus efficace.
Sur le confort d'été, j'avoue ne pas disposer d'éléments suffisants pour vous répondre : nous reviendrons vers vous par écrit.
M. Laurent Burgoa. - Avez-vous des partenariats avec l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) et l'Agence nationale pour l'habitat (Anah) ? Cela donnerait un rôle social à la première entreprise française, pour accompagner la rénovation énergétique des logements sociaux : qu'en est-il ?
M. Guillaume Laroque. - Nous avons des partenariats avec ces deux agences nationales, ils présentent l'avantage qu'on peut travailler à plus grande échelle, sur des chantiers plus significatifs et mieux contrôlés.
M. François Ioos. - Effectivement, nous travaillons avec de nombreux bailleurs sociaux, notre porte est d'autant plus ouverte que les CEE sont un levier d'action et que nous avons obligation de nous tourner vers les publics précaires.
M. Guillaume Laroque. - Nous connaissons très bien ces partenaires et nous travaillons sur les deux volets - l'investissement dans les travaux et l'incitation à la maîtrise énergétique, les deux sont liés, et il ne faudrait pas que la rénovation conduise à ce que les ménages réduisent leur vigilance sur leur consommation, nous traitons ces questions ensemble.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Quelle est votre approche de Mon Accompagnateur Rénov' ? Les responsables d'Engie viennent de nous dire déplorer n'avoir pas été suffisamment associés à la maîtrise d'ouvrage, et qu'ils se sentent, en tant qu'obligés, exclus : qu'en pensez-vous ? Jusqu'où étendre l'accompagnement et quelle serait sa juste rémunération ?
M. Guillaume Laroque. - De mémoire, nous avons eu des programmes sur le sujet, et il me semble que nous avons été impliqués dans la définition de l'aide à apporter aux particuliers dans l'assistance à la maîtrise d'ouvrage. Le fait que nous ne soyons pas directement associés à l'accompagnement me paraît cependant normal, et même souhaitable, dès lors que nous vendons de l'énergie et que l'accompagnateur doit être neutre, indépendant des vendeurs d'énergie. En revanche, ce qui me semble important, outre l'indication du DPE en sortie de travaux, c'est de mieux faire connaître les dispositifs d'aide. Beaucoup de nos concitoyens ne savent même pas ce que sont les CEE. Or des guides existent, mais leur volume pose problème - celui que j'ai consulté fait 45 pages - et montre bien qu'il faut un accompagnement pour les ménages. Ce dernier est d'autant plus justifié qu'il augmentera l'efficacité des travaux et qu'il rassurera les ménages face à un investissement de cette importance.
Un point d'attention, cependant : je ne sais pas dire pourquoi il est préférable de faire une rénovation globale tout de suite plutôt que progressive, à part l'avantage immédiat de réduire sa consommation d'énergie. Les ménages ont des envies différentes, selon leur situation particulière, mais aussi selon le caractère plus ou moins invasif des travaux nécessaires. Ceux qui font des rénovations globales, ce sont surtout les bailleurs, ils ont la capacité financière d'investir et ils disposent entièrement du logement entre deux moments d'occupation par des locataires : la situation est très différente quand vous envisagez des travaux dans le logement que vous habitez. Je ne vois donc pas en quoi la rénovation par étapes serait à éviter.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Effectivement, à condition qu'elle s'inscrive dans un parcours.
M. Guillaume Laroque. - C'est vrai, et la note DPE est un aiguillon global, mais il faut pouvoir l'anticiper - j'y reviens sans cesse.
M. François Ioos. - Ce que nous voyons, c'est une grande diversité de situations individuelles, sur le plan financier mais aussi sur les logements et la façon de les habiter. Quand on veut accélérer le mouvement, il faut ouvrir les portes plutôt que les fermer, pour laisser les gens avoir le choix. Cependant, il vaut mieux que ce choix soit éclairé par l'Accompagnateur Rénov' et par l'artisan, c'est ce qui rend la formation décisive, parce que c'est bien vers eux que les particuliers se tournent pour avoir du conseil et se décider.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Certes, mais si je m'adresse seulement à un chauffagiste parce que j'ai dans l'idée de changer ma chaudière, il y a peu de chance qu'il me conseille sur autre chose - et c'est bien pourquoi il vaut mieux en passer par une vision d'ensemble, globale.
M. François Ioos. - C'est vrai, le chauffagiste vous renseignera sur les aides auxquelles vous pouvez prétendre et sur le reste à charge.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Une autre question sur la transition énergétique : certains veulent aller vers le tout électrique, pour décarboner notre énergie ; vous qui produisez et vendez toutes sortes d'énergies, qu'en pensez-vous ?
M. Guillaume Laroque. - Nous accompagnons en fait un mouvement d'ensemble, en essayant d'anticiper le mouvement, pour répondre aux besoins de la société. L'Union européenne annonce la mise en place de 10 millions de pompes à chaleur d'ici 2030, ce qui représenterait environ 1 million de pompes en France, en proportion. L'an passé, il y a eu 650 000 pompes à chaleur installées dans notre pays, l'objectif européen ne paraît donc pas inaccessible et notre objectif est bien d'accompagner ce mouvement, le marché, qui repose sur la décision des particuliers, elle-même fonction de leur anticipation du coût de l'énergie. Il y a certes les ambitions politiques, les objectifs énoncés, mais ce sont bien les décisions des clients qui rendent les choses effectives.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Certes, mais les décisions politiques orientent les choses, par exemple lorsqu'on décide d'aider le financement des pompes à chaleur, ou pas, ou d'interdire les chaudières au fioul. Et il y a une réflexion à avoir à l'échelle territoriale, pour tenir compte de ce qui existe déjà à proximité - par exemple un réseau de chaleur ou des unités de méthanisation. Il y a donc un marché, des clients, mais aussi des outils d'orientation et de régulation, et nous devons réfléchir en particulier à l'échelle locale.
M. Guillaume Laroque. - Effectivement, et il faut également tenir compte des contraintes actuelles du système. Des règles sont à définir, mais elles ne peuvent descendre à un niveau de détail suffisant pour décider de tout, et c'est bien pourquoi il nous semble décisif que le particulier soit éclairé, pour qu'il prenne des décisions elles-mêmes éclairées - donc qu'il dispose de bons conseils. Il y a des règles générales à poser, et je vous rejoins pour dire que dans ce cadre, les acteurs locaux doivent pouvoir composer au mieux avec ce qui existe sur leur territoire.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci pour ces échanges.
Audition de
M. Laurent Bortoli, directeur des crédits
à la direction
du marketing de la banque de détail de la Banque postale
et de
Mme Sophie Olivier, directrice des marchés et des
études
à la Confédération nationale du
Crédit mutuel
(Mardi 23 mai 2023)
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous sommes très heureux de pouvoir auditionner deux acteurs du secteur bancaire afin d'aborder la question du financement de la rénovation énergétique des logements par les particuliers.
Nous recevons Mme Sophie Olivier, directrice des marchés et des études à la Confédération nationale du Crédit Mutuel, et M. Laurent Bortoli, directeur des crédits à la direction du marketing de la banque de détail de La Banque Postale.
La Banque Postale et le Crédit Mutuel sont particulièrement impliqués dans l'accès à la rénovation énergétique pour tous puisqu'ils ont la particularité d'être les rares établissements bancaires à proposer le prêt avance rénovation (PAR) créé par la loi Climat et Résilience en 2021 à la suite du rapport d'Olivier Sichel que nous avons par ailleurs auditionné.
Ce prêt hypothécaire se remboursant à la mutation du bien ou, au plus tard, dans un délai de vingt ans est accessible aux propriétaires occupants de passoires énergétiques ayant des revenus modestes ou très modestes, selon l'Agence nationale de l'habitat (Anah). Ce prêt garanti par l'État permet de financer jusqu'à 30 000 euros de travaux pour des rénovations au geste ou globales. Ce dispositif récent semble, pour le moment, peu opérant. Que pouvez-vous nous dire sur les débuts du prêt avance rénovation ? Combien ont été distribués ? Pour quels montants et quels types de travaux financés ?
Certains réfléchissent à l'élargir voire à le généraliser tel le secrétaire général à la planification écologique que nous avons également auditionné. Dans ce but, faut-il supprimer les conditions de revenus et augmenter son plafond afin d'en faire un véritable outil de financement par les particuliers de la rénovation énergétique sur le modèle des prêts distribués par la banque de développement allemande, la Kreditanstalt für Wiederaufbau (KfW) ? De nombreuses personnes auditionnées se positionnent en faveur d'un tel dispositif de prêt hypothécaire. Les recherches de l'Institut de l'économie pour le climat (I4CE) démontrent les bénéfices d'un prêt à la rénovation à taux bas étendu à 30 ans en termes d'équilibre et de soutenabilité pour les ménages. Quelle est votre analyse du sujet et quels sont les blocages ?
Nous avons des interrogations assez semblables sur l'éco-prêt à taux zéro (éco-PTZ) qui semble, lui aussi, ne pas trouver son public ou son mode de distribution. Si pendant de nombreuses années, la faiblesse des taux d'intérêt pouvait expliquer que l'outil ait pu être mis de côté, ce n'est plus le cas aujourd'hui. À quelles conditions les banques pourraient-elles intégrer le financement de la rénovation énergétique et sa contribution à la transition écologique à leurs obligations environnementales, sociales et de bonne gouvernance (ESG) comme cela a été suggéré devant notre commission ?
Enfin, un des trois groupes du Conseil national de la refondation (CNR) Logement, dont nous attendons le rendu pour le début du mois de juin, a proposé la création d'une banque de la rénovation énergétique. Qu'en pensez-vous ?
Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat. Un compte rendu sera publié. Je dois vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal qui peuvent aller de trois ans à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende. Je vous invite à prêter serment et à dire toute la vérité, rien que la vérité.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Sophie Olivier et M. Laurent Bortoli prêtent serment.
Mme Sophie Olivier, directrice des marchés et des études à la Confédération nationale du Crédit Mutuel. - Merci de nous avoir conviés à cette audition sur l'efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique. Je vous présenterai aujourd'hui la manière dont le Crédit Mutuel intervient en tant qu'acteur bancaire mutualiste.
L'acquisition d'un logement, neuf ou ancien, et sa rénovation sont des projets importants pour nos sociétaires pour lesquels nous disposons de solutions personnalisées. S'agissant plus particulièrement de la rénovation énergétique, nous avons une offre dans laquelle les dispositifs publics sont des accélérateurs importants. Nous en proposons trois à date : l'éco-prêt à taux zéro que nous distribuons depuis 2009 ; le prêt avance rénovation que nous distribuons depuis 2022 ; le couplage prêt à taux zéro/MaPrimeRénov'en cours de déploiement dans nos réseaux. Nous regardons par ailleurs avec attention l'éco-prêt à taux zéro copropriété, que nous ne distribuons pas aujourd'hui, et qui nécessiterait d'être revisité afin de pouvoir être distribué de manière plus importante.
L'éco-prêt à taux zéro est disponible sans condition de ressources. Il permet de financer différents types de travaux de rénovation énergétique dans la résidence principale du propriétaire occupant ou du locataire d'un propriétaire bailleur, avec des plafonds variables selon la nature des travaux et des durées pouvant aller jusqu'à 20 ans. Le changement réglementaire de 2019 autorisant à financer des monogestes alors qu'il fallait auparavant obligatoirement financer plusieurs types de travaux - a permis au produit de décoller, avec une hausse de la production multipliée par quatre entre 2018 et 2022. Sur le marché, 82 000 éco-prêts à taux zéro ont été distribués en 2022 pour plus d'un milliard d'euros. Le groupe est un acteur significatif sur ce marché puisqu'il représente près d'un tiers de cette production, soit plus que sa part de marché naturelle dans le financement du logement qui est plutôt de l'ordre de 20 %.
Environ deux tiers des éco-prêts ne portent que sur un seul geste, 20 % concernent des bouquets de travaux, le solde couvrant des rénovations plus globales. Le montant moyen est d'environ 13 400 euros, de l'ordre de 10 000 euros pour un seul geste et de 38 000 euros pour une performance globale. L'éco-prêt à taux zéro performance globale, qui est la solution la plus complète, a progressé mais ne représente aujourd'hui que 2,45 % de la production des éco-prêts en 2022, malgré l'augmentation du plafond consentie en 2021. Il faut savoir que des travaux d'atteinte de performance énergétique globale coûtent plus cher et sont plus contraignants, avec la réalisation d'au moins six types de travaux sur les sept éligibles. Cette progression mérite d'être suivie avec l'interdiction de louer les passoires thermiques en 2025 pour les classes énergétiques G et en 2028 pour les classes énergétiques F, obligation qui pourra inciter certains bailleurs à vendre leur bien avant l'échéance et d'autres à réaliser les travaux nécessaires dans un contexte de hausse des taux d'intérêt qui redonne un vrai levier à l'éco-prêt à taux zéro.
Notre réseau alerte néanmoins sur deux points.
D'une part, la procédure d'instruction de l'éco-prêt reste longue et fastidieuse avec des formulaires à remplir par les clients et les entrepreneurs et des vérifications par nos réseaux sur des aspects techniques qui ne font pas partie de nos compétences, ce qui conduit parfois le client à abandonner au milieu de la procédure ou au profit de prêts travaux plus simples et plus rapides à mettre en place.
D'autre part, les délais de perception de MaPrimeRénov' restent des irritants forts pour l'étude du plan de financement et pour l'analyse de la solvabilité du dossier du client. C'est du reste ce qui a conduit au développement de l'outil qui couple l'éco-prêt à taux zéro avec MaPrimeRénov', produit sur lequel nous avons lancé un test en début d'année et que nous commençons à déployer sur le territoire. Ce couplage présente l'avantage que la prime est calculée directement par l'Anah : le chargé de clientèle reçoit alors une attestation lui permettant de connaître directement le reste à charge à financer par son client. Notre réseau salue cette simplification qui constitue un véritable plus.
MaPrimeRénov' est versée en fin de travaux, c'est-à-dire que les clients doivent en faire l'avance, alors que l'aide est accordée sous plafond de revenus, c'est-à-dire que ces clients sont relativement modestes. S'ils ne disposent pas des fonds nécessaires pour compenser la différence, ces derniers risquent de se retrouver à court de budget. A contrario, avec l'éco-prêt classique, il suffit que les clients fournissent le devis des travaux et il est alors possible de préfinancer les aides. Nous soutenons donc l'initiative poussée par la profession de pouvoir préfinancer les aides, par exemple par subrogation du client par le prêteur auprès de l'Anah, ce qui permettrait d'inclure le montant de cette aide dans le prêt en ayant la certitude d'être remboursé du montant.
Le prêt avance rénovation est un nouveau prêt qui vise à financer le reste à charge pour des clients modestes et très modestes. C'est un produit sur lequel le Crédit Mutuel s'est mobilisé lors de son lancement à la suite des propositions du rapport de M. Sichel pour la massification de la rénovation des logements, notamment des passoires thermiques des propriétaires très modestes ou âgés. La nouveauté introduite par cette solution est que le prêt est remboursé lors de la mutation du bien par vente ou par succession. C'est un prêt qui mobilise une hypothèque obligatoire, ce qui permet au prêteur d'être informé de la vente du bien sur lequel porte la garantie réelle. Son montant maximal est de 30 000 euros pour un taux actuel de 2,50 %. Sous conditions de ressources, il bénéficie de la garantie apportée par le Fonds de garantie pour la rénovation énergétique (FGRE) à hauteur de 75 % du montant du prêt, ce qui permet aux banques de limiter le risque sur un prêt dont on ignore la date de fin. Nous souhaitons insister sur le fait qu'il nécessite un dispositif d'accompagnement étroit du client ainsi qu'un accompagnement des travaux avec les accompagnateurs de la rénovation labélisés, et cela tout au long de la rénovation pour aider le client à approfondir son projet et poursuivre les travaux. Destiné à des emprunteurs souvent exclus du système de financement classique, nous avons choisi de réserver ce produit à nos clients.
Le prêt avance rénovation reste un produit plus cher qu'un prêt amortissable puisque les intérêts sont remboursés en fin de prêt. À ce titre, il n'est pas forcément adapté à toutes les situations. En l'état actuel, nous n'avons pas vocation à en faire un produit d'appel car il cible des clients très spécifiques. En termes de profil, les emprunteurs sont en majorité ceux estimés dans la cible de départ, c'est-à-dire des retraités ou des personnes de plus de 60 ans aux revenus modestes.
Nous sommes au début de la commercialisation du produit qui est distribué par la plupart de nos régions. À date, nous avons accordé 60 prêts avance rénovation. C'est peu mais un certain nombre de rendez-vous commerciaux concluent à la non-éligibilité du prêt avance rénovation par les demandeurs qui sont alors orientés vers d'autres solutions, comme l'éco-prêt à taux zéro. Ce dispositif présente l'intérêt de permettre de parler de rénovation énergétique à nos clients, même en cas de refus.
Au-delà de l'attente de la labélisation d'un plus grand nombre d'accompagnateurs, les frais d'hypothèque et le préfinancement des aides constituent un frein budgétaire important pour les ménages ciblés par les dispositifs éligibles au FGRE, car ces aides ne peuvent être financées par le prêt avance rénovation. Nous réitérons donc notre demande de pouvoir inclure les frais d'hypothèque et le préfinancement des aides dans le montant du prêt avance rénovation. Ce sujet a déjà été évoqué auprès des pouvoirs publics. Nous attendons une réponse.
Enfin, l'éco-prêt à taux zéro copropriété est un produit que nous ne diffusions pas aujourd'hui. Ce prêt global aux syndicats des copropriétaires pourrait être, selon nous, une des clés pour massifier la rénovation des logements collectifs. Ce prêt est dans la plupart des cas accompagné d'un prêt complémentaire global accordé au niveau de la copropriété. À ce jour, l'offre bancaire est très rare. Pour montrer son implication sur le sujet, le Crédit Mutuel a décidé de mener un test sur la distribution d'un éco-prêt à taux zéro copropriété avec un organisme de caution. Il y a trois freins principaux à son développement. Le premier tient au délai d'instruction qui peut aller jusqu'à 18 mois, rendant difficile tout engagement, en particulier dans un contexte de très forte volatilité des taux d'intérêt. Le deuxième frein est l'obligation de recours à un organisme de cautionnement puisque le produit n'est pas éligible à l'hypothèque. Or la plupart des sociétés de caution le refusent. Le troisième frein tient à un taux d'usure inadapté pour le prêt collectif complémentaire dans un contexte de forte montée des taux. Dans la très grande majorité des cas, il faudra un prêt complémentaire supérieur à 75 000 euros et qui sera donc soumis au taux de l'usure des prêts immobiliers. Ce taux est aujourd'hui de 3,79 % pour les prêts de vingt ans, ce qui ne nous permet pas de maintenir nos offres compte tenu de la montée des taux. La profession a suggéré que soit appliqué par dérogation le taux d'usure accordé aux prêts à la consommation et aux prêts inférieurs à 75 000 euros, soit un taux d'usure d'environ 6 %.
En conclusion, les banques en général et le Crédit Mutuel en particulier sont là pour financer les projets avec l'étude de la solvabilité et des risques pour la plupart des prêts, à l'exception du prêt avance rénovation. En complément de ces prêts réglementés, nous disposons d'une offre classique de crédits à la rénovation. Aujourd'hui, l'obstacle principal ne vient pas d'un déficit de l'offre mais réside dans l'identification et l'accompagnement des projets avec une difficulté à trouver des artisans et la problématique du coût de ces travaux qui, sur vingt ans, n'est que rarement compensé par des économies d'énergie. À ces deux freins, s'ajoutent la complexité des dispositifs d'aide et le cas des copropriétés. Dans ce contexte compliqué, vous pouvez compter sur le groupe Crédit Mutuel pour être dans une posture proactive comme nous l'avons démontré sur le prêt avance rénovation. Un de nos groupes étudie par ailleurs la création d'une structure dédiée à la rénovation énergétique dont le périmètre et les missions restent en cours de réflexion. Nous avons de nombreux échanges avec des Accompagnateurs Rénov'et assimilés pour mieux accompagner nos sociétaires et nos clients.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. François-Régis Benois prête serment.
M. François-Régis Benois, directeur adjoint des affaires publiques de La Banque Postale. - Madame la présidente, monsieur le rapporteur, merci de nous laisser l'occasion de vous exposer le point de vue de La Banque Postale. La contribution de la rénovation énergétique au respect de l'Accord de Paris est déterminante : le rapport Sichel l'évoque longuement. Avec 4,8 millions de passoires énergétiques, on mesure l'ampleur du chantier à mener. Dans cette politique publique, les banques sont des intervenants essentiels, des auxiliaires de nombreuses politiques publiques (éducation financière, lutte contre le blanchiment par exemple) et des intervenants essentiels du besoin fondamental qu'est l'accès au logement.
Le premier métier des banques est de financer l'économie et d'être présentes dans les moments de vie importants de leurs clients. Elles sont donc de facto très concernées par la rénovation énergétique et la nécessaire accélération de son rythme. Les banques collaborent régulièrement avec les pouvoirs publics et avec la Société de gestion du fonds de garantie de l'accession sociale à la propriété (SGFGAS) pour améliorer les dispositifs existants. Il est donc de leur intérêt de simplifier les parcours clients. C'est d'autant plus vrai pour La Banque Postale qui est une banque citoyenne, une entreprise à mission, un acteur majeur de la banque de détail en France. Nous servons 20 millions de clients de l'accessibilité bancaire, en vertu de notre mission légale de service public, jusqu'à la gestion de fortune, mais notre coeur de clientèle correspond aux catégories moyennes et populaires, souvent très concernées par la rénovation énergétique. C'est une des raisons pour lesquelles nous nous sommes positionnés début 2022 sur le prêt avance rénovation. Il s'agit d'un produit intéressant, bien conçu mais qui reste assez complexe et n'a pas encore trouvé son public. Nous sommes aussi un important distributeur de l'éco-PTZ depuis sa création. Notre part de marché est légèrement supérieure à notre part de marché sur le crédit immobilier. Nous avons aussi développé dès 2015 une offre spécifique de prêts dits à impact : ce sont des crédits à la consommation à tarif préférentiel pour financer la rénovation énergétique des logements et l'acquisition de véhicules verts. Pour les collectivités territoriales, nous avons développé en 2019 les prêts verts qui permettent de financer des projets en lien avec la transition écologique parmi lesquels la rénovation énergétique des bâtiments publics. Nous réfléchissons actuellement à des formules qui permettraient d'inciter nos clients à effectuer des travaux de rénovation au moment d'une acquisition immobilière.
Nous sommes bien conscients que les efforts et les résultats de la rénovation énergétique sont nettement insuffisants mais la tâche est rendue plus difficile dans le contexte actuel car les besoins sont globalement inversement proportionnels aux revenus des ménages. Ces besoins sont renforcés par la hausse des coûts énergétiques. De surcroît, l'ampleur des travaux nécessaires peut dépasser la valeur du bien et le taux d'usure est - au moins temporairement - une contrainte importante, comme nous le voyons dans le crédit immobilier.
Nous souhaitons souligner quelques conditions qui nous semblent nécessaires pour faciliter la massification de la rénovation compte tenu de ces contraintes. À notre sens, les leviers se situent surtout au niveau de la demande de financement pour déclencher l'acte de rénovation et faciliter le projet. Cela suppose de solvabiliser les emprunteurs, de limiter le risque pour le prêteur et d'améliorer l'offre. On peut à cet égard envisager cinq axes d'amélioration.
Le premier passerait par la communication et la pédagogie. Il s'agirait par exemple de mettre à disposition des outils globaux de simulation destinés aux particuliers, de lancer une meilleure communication auprès des copropriétés, d'assouplir le cadre contraignant la publicité ou la formation des intermédiaires chargés de l'accompagnement des ménages.
Le deuxième axe d'amélioration passe par la simplification avec la prévisibilité et la pérennité fiscale des dispositifs, un alignement plus complet de certains critères d'accès et la simplification de certains formulaires.
Le troisième axe consisterait à faciliter le financement de l'avance de trésorerie pour le particulier en étendant les dispositifs d'avance totale ou partielle. Rappelons que les subventions MaPrimeRénov' sont débloquées sur production de facture uniquement tandis que les prêts éco-PTZ peuvent être débloqués à hauteur de 30 % maximum avant production d'une facture.
Le quatrième axe serait de minimiser le reste à charge en améliorant le niveau des subventions pour les ménages les plus modestes. Comme mentionné par nos confrères du Crédit Mutuel, nous pourrions aussi nous orienter vers l'inclusion des frais hypothécaires dans les postes finançables du prêt avance rénovation ou vers l'amélioration des délais de paiement des subventions MaPrimeRénov'. Par ailleurs, pour réduire le risque pour les prêteurs, outre la quotité garantie, nous pourrions inciter les organismes de cautionnement à intervenir sur ce marché.
Enfin, une cinquième piste serait d'améliorer l'accès aux professionnels de la rénovation énergétique par une meilleure pédagogie auprès des artisans labélisés et une plus grande implication des grands acteurs du BTP dans cette filière. Une meilleure intégration des segments qui participent à la rénovation énergétique pourrait passer par des opérateurs ensembliers qui deviendraient les interlocuteurs uniques des particuliers, notamment pour les rénovations globales. Le tiers financement pourrait aussi constituer une piste car c'est un vrai levier de massification, notamment à l'échelle régionale, mais qui suppose une montée en moyens, notamment en dotations en fonds propres, et une montée en compétences.
M. Laurent Bortoli. - Je propose de répondre à vos questions posées en introduction.
La banque allemande KfW a des missions d'intérêt public d'aide à la création d'entreprises et au développement d'infrastructures, mais participe aussi aux économies d'énergie et à l'amélioration de la performance énergétique. Ce type de banque présente un intérêt réel, notamment pour des acteurs économiques comme les entreprises et les collectivités territoriales. La Banque des territoires du groupe Caisse des dépôts et consignations propose d'ores et déjà des dispositifs en direction des collectivités, avec un accompagnement à l'audit énergétique et au montage juridique et financier mais également une aide à la priorisation des travaux, notamment via des simulateurs dédiés. Pour les particuliers, la question se pose de l'intérêt de proposer une structure similaire. Cette initiative pourrait représenter un vrai plus mais elle serait à mettre au regard du volume potentiel des rénovations énergétiques. En effet, le marché des particuliers est beaucoup plus diffus puisque nous comptons en France 30 millions de résidences principales. Selon une étude de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise d'énergie (Ademe) de 2018, le parc immobilier se ventile comme suit : 34 % des logements relèvent de l'étiquette D, 24 % de l'étiquette E, et 75 % des étiquettes D à G. Sur 30 millions de résidences principales, 22 millions de logements nécessitent donc des travaux de rénovation énergétique à court ou à moyen terme en fonction de l'évolution de la réglementation. Nous voyons bien l'intérêt d'une banque dédiée à la rénovation énergétique qui apporterait un accompagnement spécialisé, mais les banques ont aussi un rôle à jouer d'autant que le volume de foyers à accompagner sera colossal. Un accompagnement spécialisé ferait sens, comme nous le voyons déjà avec Mon Accompagnateur Rénov', mais il faudrait aussi trouver le bon équilibre entre une banque dédiée à la rénovation énergétique et les banques de proximité qui voient leurs clients au quotidien, qui connaissent leurs besoins et qui disposent de moyens pour les accompagner.
Pour ce qui concerne le prêt avance rénovation, c'est une offre que nous avons lancée en février 2022 auprès de nos clients comme des prospects. Nous avons développé ce produit avec deux types de formules. Dans la première formule, le client rembourse uniquement les intérêts tandis que le capital est remboursable au moment de la mutation du bien ou du décès du dernier des co-emprunteurs occupants. La deuxième formule suppose le remboursement du prêt total (capital et intérêts) au moment de la mutation ou du décès. Sur ce produit, aucun frais n'est appliqué au client. Aucun remboursement anticipé n'est possible ni frais d'expertise liés au bien immobilier. Le taux appliqué est de 2 %. Nous comptabilisons aujourd'hui quarante offres émises et acceptées sur un total de 400 sollicitations formulées auprès de nos conseillers de proximité qui les orientent vers des conseillers spécialisés, car l'offre mérite d'être expliquée de manière pédagogique. Le différentiel entre les 400 demandes reçues et les 40 dossiers acceptés tient au fait que 40 % des particuliers qui nous ont sollicités avaient un crédit immobilier hypothécaire dans une autre banque. Or pour obtenir la garantie du FGRE, nous devons être en premier rang ou en hypothèque de deuxième rang derrière nous-mêmes. Par ailleurs, 34 % de ces clients pouvaient bénéficier de l'éco-PTZ et étaient en capacité de le rembourser. Dans le cadre de notre devoir de conseil, nous avons orienté ces particuliers vers cette solution plus avantageuse. 8 % des clients ont abandonné le prêt avance rénovation. Pour certains, le remboursement du prêt au moment du décès, et donc en minoration de la succession pour les ayants droit et les héritiers, peut constituer un point de blocage psychologique. Le plus souvent, le bien immobilier est le patrimoine principal de ces ménages modestes. Ils peuvent donc être réticents à ne pas transmettre leur patrimoine en totalité à leurs descendants. Enfin, pour 5 % des clients, leurs ressources dépassaient les plafonds.
Les principaux bénéficiaires du prêt avance rénovation sont des ménages de plus de 60 ans aux revenus faibles ou ayant une retraite limitée. Ils sont majoritairement propriétaires de leur résidence principale et ont un intérêt à réaliser des travaux pour réduire leur facture d'énergie et améliorer leur confort de vie. Le montant moyen du prêt avance rénovation est de 18 000 euros, oscillant entre 4 000 et 44 000 euros. Pour les deux tiers d'entre eux, ce sont des clients de La Banque Postale et pour un tiers des clients d'autres banques. 50 % des PAR conduisent à financer des changements de systèmes ou de dispositifs de chauffage, 20 % des travaux d'isolation sur les voies d'accès (fenêtres, portes), 20 % des travaux d'isolation par l'extérieur (murs principalement) et 10 % les autres gestes.
Des pistes d'amélioration du dispositif existent comme la réduction du montant des frais de garantie. Pour l'instant, nous finançons les propriétaires de résidences principales, mais une ouverture consisterait à l'ouvrir aux propriétaires bailleurs louant à titre de résidence principale. Une autre piste d'amélioration consisterait à lancer une communication externe sur ce type de financement, qui dépend de la réglementation sur les prêts viagers hypothécaires (article L. 315 du code de la consommation). La communication à organiser sur ce produit doit prendre en compte le fait que le terme du prêt n'est pas connu au moment de son octroi. Le taux annuel effectif global (TAEG) à cinq ans et à dix ans doit être affiché pour donner une visibilité sur le coût total de ce type de prêt compte tenu de la capitalisation des intérêts.
Nous distribuons l'éco-PTZ, pour sa formule classique comme pour sa formule rénovation performance globale, et le couplage éco-PTZ/MaPrimeRénov' depuis février. Cette dernière formule représente une simplification dans le parcours du foyer qui souhaite s'engager dans un projet de rénovation énergétique. De manière plus générale, tout ce qui va dans le sens d'un alignement, d'une homogénéisation et d'une convergence des critères d'éligibilité aux aides (primes, prêts à taux zéro, valorisation des certificats d'économies d'énergie, des éventuelles aides locales, etc.) est un processus vertueux puisque ces éléments contribuent à la simplification du parcours des particuliers.
Sur l'ensemble des formules éco-PTZ, l'âge moyen des demandeurs est de 46 ans pour des revenus moyens de 4 600 euros. Pour les deux tiers, ce sont des salariés du secteur privé, pour un tiers, de salariés du secteur public. À 60 %, ces aides visent l'amélioration du système de chauffage, pour 25 % elles ciblent l'isolation thermique par l'extérieur et pour 15 % l'isolation thermique des ouvertures.
Les montants proposés (15 000 euros pour un lot de travaux, 25 000 euros pour le bouquet de deux lots de travaux et 30 000 euros pour trois travaux) ne donnent pas lieu à des difficultés particulières. Le montant moyen de l'éco-prêt à taux zéro dans notre réseau est de 13 300 euros en 2022. Il augmente légèrement au premier trimestre 2023 pour atteindre 14 600 euros. Nous pouvons supposer que cette hausse de 10 % est à relier au contexte inflationniste. Un plus a été apporté par le rapport Sichel qui a proposé de porter le montant plafond de l'éco-prêt à taux zéro en rénovation globale à 50 000 euros et à 20 ans en durée de remboursement. Au quatrième trimestre 2022, selon les données du SGFGAS, le montant moyen des travaux de rénovation performance globale est de 49 000 euros et le recours à l'éco-prêt performance globale s'élève à 37 000 euros, c'est-à-dire que nous sommes en deçà des 50 000 euros. Cependant, ces chiffres sont des moyennes qui cachent des disparités. Compte tenu des exigences de performance énergétique, ce plafond de 50 000 euros est limitatif pour certains logements pour atteindre 331 kilowatts/heure pour le chauffage et la production d'eau chaude et une réduction de 35 % de la consommation d'énergie par rapport à la situation avant travaux. En effet, en particulier dans le logement individuel, les budgets de travaux sur la toiture, les ouvertures, le système de chauffage, etc. peuvent dépasser ce montant.
Pour ce qui concerne le financement des copropriétés, nous intervenons comme nos confrères par le biais des prêts personnels, même si ces derniers sont difficiles à flécher. La Banque Postale participe au groupe de travail mis en place par la Banque des territoires, travaux qui portent entre autres sur le reste à charge des copropriétés. Dans ce cadre, nous réfléchissons à la possibilité de développer une offre dédiée aux copropriétés. Il existe actuellement deux types de prêts : le prêt collectif consenti aux syndicats de copropriétaires et le prêt collectif à adhésion individuelle. Dans le premier cas, le prêt nécessite d'obtenir un vote majoritaire lors de l'assemblée générale. Il suppose aussi que le syndic organise le prélèvement de la contribution des copropriétaires adhérents pour rembourser le prêt, les copropriétaires non adhérents pouvant financer les travaux sur leurs fonds propres. C'est à cette première formule que nous réfléchissons. La deuxième formule de financement s'appuie sur une adhésion individuelle qui ne nécessite pas d'obtenir la majorité en assemblée générale, mais cette formule répond à un montage plus complexe puisqu'il convient d'organiser un prélèvement individuel des copropriétaires adhérents au financement. Pour l'instant, ce n'est pas la piste que nous privilégions. D'autres questions se posent aussi, notamment relatives au cautionnement pour les deux formules puisqu'il n'existe pas de garantie hypothécaire possible dans le montage.
Pour terminer, nous pouvons dire qu'il existe deux parcours sur la rénovation énergétique : celui des propriétaires occupants ou des propriétaires bailleurs qui veulent rénover un logement et celui des acquéreurs. Avec environ 950 000 transactions par an, il est probable qu'un accédant à la propriété se posera la question de la rénovation énergétique du logement ancien dont il fera l'acquisition, dont 75 % relèvent des étiquettes D à G. Lorsque nous rencontrons nos clients, ces derniers nous disent qu'ils veulent réduire leur facture d'énergie, valoriser leur bien mais aussi avoir un confort de vie meilleur. Dans un parcours d'accession à la propriété entre la signature du compromis et la signature de l'acte chez le notaire, une réflexion pourrait donc être menée sur les travaux à réaliser dans le logement, sur le budget à consacrer à ces travaux, sur la recherche des professionnels reconnus garants de l'environnement (RGE) à contacter et sur les aides mobilisables pour un plan de financement.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci beaucoup, monsieur le rapporteur, avez-vous des questions ?
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Lors de nos auditions, France Stratégie a proposé de créer un opérateur ensemblier regroupant à la fois entreprises, maîtrise d'oeuvre et financement du projet permettant de proposer un reste à charge de zéro avec un remboursement à hauteur des économies réalisées. Est-ce un dispositif sur lequel vous avez travaillé ? De même, avez-vous évalué la proposition de Mme Verchère et de MM. Combes et Ibanez consistant à rendre obligatoires les travaux de rénovation en les couplant à un prêt hypothécaire garanti par l'État remboursé au moment de la vente ou après 30 ans ?
Nous constatons que c'est sur les copropriétés qu'il est le plus difficile d'avancer concrètement. Le premier frein tient à une prise de décision complexe mais c'est dans les copropriétés qu'il est possible de massifier les travaux. Je trouvais que le plan avance rénovation était un dispositif intéressant mais j'entends qu'il est difficile à mettre en place au niveau d'une copropriété faute de pouvoir mettre en place une hypothèque. Avez-vous néanmoins réfléchi à une déclinaison du PAR ?
Mme Sophie Olivier. - Nous suivons attentivement les réflexions autour du modèle d'opérateur ensemblier car cette orientation présente l'avantage de proposer une offre globale (financement et travaux) tout en intégrant potentiellement les économies d'énergie dans le montage financier. Nous restons toutefois très vigilants car le risque de surendettement est réel pour les particuliers, car il faut miser sur des économies d'énergie dont il n'est pas certain qu'elles seront réalisées. Cette proposition fait penser au tiers financement qui sera testé sur une durée de cinq ans avec la Caisse des dépôts pour la rénovation thermique des bâtiments publics.
La proposition qui consiste à mettre en place un prêt hypothécaire sur 30 ans ressemble à une généralisation du prêt avance rénovation. Le PAR reste un dispositif récent. Sa cible est déjà importante et nous avons encore matière à faire avec ce prêt même s'il s'appuie sur un dispositif d'accompagnement pas encore totalement mûr. France Rénov' est l'accompagnateur public mais il est attendu l'arrivée d'accompagnateurs privés sur le marché. Ils auront un rôle à jouer dans l'identification des clients qu'ils orienteront vers les banques. Ces structures pourraient donc nous aider à identifier les clients et à les accompagner sur la durée. Ces prêts sont aussi onéreux : ce sont des prêts sur 30 ans avec report d'intérêts. De plus, des clients peuvent hésiter à ce que leur bien ne soit pas transmis en totalité à leurs héritiers. Des solutions pourraient également être proposées aux particuliers ayant saturé leur possibilité d'endettement car ayant souscrit un prêt immobilier. Pour ces profils, il serait intéressant d'élargir le produit avec une garantie de l'État ou auprès des clients âgés sans héritiers. Une meilleure communication de tous les acteurs engagés sur le sujet de la rénovation énergétique des clientèles modestes devrait également être envisagée.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Guy Leré prête serment.
M. Guy Leré, responsable du marché des particuliers et des collectivités, direction des marchés et des études du Crédit Mutuel. - Pour les copropriétés, les prêts sont complexes, mais l'enjeu est important. Pour l'instant, il est vrai que l'offre bancaire est quasi nulle. Le groupe Crédit Mutuel est prêt à réaliser un test grandeur nature pour vérifier comment mettre en place ce financement et en tirer des enseignements utiles car il est exact que ces prêts représentent un réel enjeu pour massifier les travaux.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Vous avez indiqué que le prêt copropriété pouvait engager le syndic, mais il est impossible pour le syndic de s'endetter.
M. Guy Leré. - Le prêt engagerait le syndicat et non le syndic. La nouveauté est que serait mis en place un seul prêt au niveau du syndicat de copropriétaires. Le montant du prêt sera forcément important avec un délai d'instruction moyen de 18 mois mais qui peut être plus long encore. Compte tenu de la volatilité actuelle des taux, faire une offre bancaire dans ce contexte est très délicat, mais le Crédit Mutuel pense que cela vaut la peine. Nous avons en effet l'arsenal juridique pour le faire et nous souhaitons mener un test dont nous pourrons partager les résultats avec nos confrères et l'administration.
M. Laurent Bortoli. - Dans une copropriété, le prêt avance rénovation peut permettre de financer des travaux de rénovation énergétique de la partie privative. Lorsque le syndicat le permet, ces travaux peuvent concerner les ouvertures comme les fenêtres. Toutefois, l'une de nos difficultés est de parvenir à coordonner des calendriers puisqu'il faudra identifier le moment où le particulier sollicitera le prêt avance rénovation pour le cadencer à des appels de fonds pour des travaux de copropriété alors que le délai entre le vote des travaux en assemblée générale, la contractualisation avec des entreprises et les appels de fonds peut être de 12 mois ou davantage. S'il est possible de coordonner le prêt avance rénovation avec des prêts individuels et personnels, il est plus complexe de le déployer dans des copropriétés compte tenu des délais d'instruction.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Je comprends la complexité mais, techniquement, ce serait possible.
M. Laurent Bortoli. - Je réserve ma réponse mais, techniquement, prendre une hypothèque sur un logement individuel pour contribuer à des travaux collectifs n'est pas exclu sur le principe.
M. Guy Leré. - Ce montage conduirait à juxtaposer deux systèmes de financement qui sont délicats. De plus, cette solution rajouterait du délai à des délais déjà très longs pour les copropriétés. En outre, la cible du PAR est une cible particulière : à notre sens, le PAR n'a pas vocation à devenir un produit universel.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Vous dites en cela qu'il n'a pas vocation à être généralisé comme l'a laissé entendre le secrétaire à la planification écologique.
M. Laurent Bortoli. - Un des freins à la rénovation énergétique réside dans la complexité du parcours. Avoir la possibilité d'avoir recours à un opérateur ensemblier, comme le propose France Stratégie, permettrait de lever ce frein mais cette solution semblerait faire davantage sens pour la rénovation en performance globale. Il faut juste que le particulier y trouve un intérêt. Or nous comprenons de la proposition que la réduction de la facture d'énergie profiterait plutôt à l'ensemblier. Par ailleurs, avoir la possibilité d'avoir recours à un ensemblier ou à un accompagnateur est un vrai plus, mais rendre ce passage obligatoire risque d'ajouter de la complexité. L'accompagnateur ensemblier sera au tout début du parcours de la rénovation énergétique du particulier pour aider à définir les travaux à réaliser, solliciter les professionnels RGE, etc. mais le financement du reste à charge interviendra dans un second temps. Je pense qu'il faut des accompagnateurs mais les positionner comme des facilitateurs, notamment pour les publics qui en ont besoin, mais sans le rendre obligatoire.
Mme Sophie Olivier. - A priori, le recours à un accompagnateur est obligatoire à partir du 1er septembre 2023 pour des travaux générant des primes supérieures à 10 000 euros. Au vu des chiffres que nous avons cités plus tôt sur le coût moyen des travaux, une part déjà importante des ménages devrait rentrer dans le cadre de cette obligation. Aussi conditionner l'octroi d'un crédit à l'accompagnement des travaux ne présenterait-il pas réellement d'intérêt selon nous.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Pourquoi le secteur bancaire est-il autant en retrait dans la question de la rénovation énergétique des logements hormis les deux banques que vous représentez ? Nous pourrions en effet nous attendre à une mobilisation plus forte du secteur bancaire.
Mme Sophie Olivier. - C'est peut-être à la profession ou à la Fédération bancaire française qu'il faut retourner la question. Je pense que les banques sont globalement impliquées sur cette thématique mais le prêt avance rénovation est un nouveau produit. Le Crédit Mutuel, pour sa part, a souhaité se positionner dès le départ sur cette innovation et prendre ce risque car ce produit est très intéressant pour le client. Toutefois, nous avons aussi besoin de gagner en maturité tant du côté du client que de la banque pour que la distribution se développe.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Plusieurs des personnes auditionnées se sont fait l'écho de la frilosité du secteur bancaire.
Mme Sophie Olivier. - Il reste difficile de répondre à la place de nos confrères.
M. Laurent Bortoli. - Certains financements non fléchés sur la rénovation énergétique financent de la rénovation énergétique, notamment dans le cadre des copropriétés. Cependant, il est difficile d'en estimer la volumétrie. Les banques sont présentes dans ce domaine, mais nous ne sommes pas en mesure d'avancer des chiffres permettant de donner à voir cette contribution.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci à vous.
Table ronde sur
le thème « Innovation et
start-up »
(Mardi 23 mai 2023)
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous sommes heureux de poursuivre les travaux de notre commission d'enquête avec cette table ronde sur l'innovation et les start-ups dans le secteur de la rénovation énergétique. Je relève que l'on parle de « PropTech » pour désigner les entreprises qui utilisent de façon innovante les technologies dans les secteurs de l'immobilier et de la construction.
Nous recevons ainsi M. Hervé Charrue, directeur général adjoint chargé de la recherche et du développement du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB). Vous vous occupez de suivre les questions de recherche au sein de cet établissement public chargé de diffuser et de valoriser les connaissances scientifiques et techniques en matière de construction et d'habitat, notamment pour les procédés et les matériaux.
Nous accueillons également M. Christophe Philipponneau, directeur général de Tipee. Votre entreprise est située à Lagord à la limite de La Rochelle dans le parc Atlantech, premier quartier urbain bas carbone de France. Votre entreprise cherche à jouer le rôle d'un chaînon manquant entre la recherche scientifique et l'application industrielle et se veut ainsi la première plateforme technologique du bâtiment durable qui forme, conseille et accompagne les professionnels de la construction grâce à des solutions innovantes.
Nous recevons enfin M. Nicolas Durand, fondateur et président-directeur général de Cozynergy. Votre entreprise située à Toulouse s'est dotée de treize agences locales. Elle propose, en partenariat avec des établissements bancaires, un accompagnement de bout en bout des particuliers qui souhaitent initier des travaux de rénovation énergétique de leur logement : du bilan de l'existant au suivi des travaux en passant par la préconisation des actes de rénovation, les devis, la demande, puis l'obtention des aides et des subventions.
La rénovation énergétique des logements peine à atteindre les objectifs ambitieux que nous nous sommes fixés alors que le calendrier s'accélère. Les technologies innovantes peuvent sans aucun doute améliorer l'efficacité des conditions dans lesquelles les travaux de rénovation sont conduits. C'est pourquoi nous attendons de vous que vous nous apportiez un éclairage percutant sur les solutions d'avenir en matière de rénovation énergétique. Le financement de la recherche reste problématique dans la filière bâtiment et construction : pour le secteur privé il représente seulement 0,1 à 0,2 % des 130 milliards d'euros du chiffre d'affaires du secteur.
En dépit de cette triste réalité, quelles opportunités peuvent offrir la recherche et les innovations technologiques en termes de décarbonation et d'efficacité énergétique ? Comment les entreprises qui utilisent de façon innovante les technologies dans le secteur de la construction peuvent-elles aider à relever le défi de la massification et de l'accélération des rénovations des logements ? Quel regard portez-vous sur les objectifs et les moyens de la rénovation énergétique des logements en France ? Jugez-vous les dispositifs de soutien à la rénovation énergétique des logements pertinents et efficaces ? Quelles évolutions estimez-vous nécessaires ?
Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat. Un compte rendu sera publié. Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal qui peuvent aller de trois ans à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.
Je vous laisse la parole pour répondre à ces premières questions.
MM. Hervé Charrue, Christophe Philipponneau et Nicolas Durand lèvent la main droite et disent : « Je le jure ».
M. Hervé Charrue, directeur général adjoint chargé de la recherche et du développement du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB). - Je commencerai par un aphorisme prononcé par un commissaire européen qui, questionné sur la technicité et le besoin de R&D du secteur, avait répondu : « You have high tech, tech, low tech, no tech and construction tech ! ». Ce bref énoncé illustre la situation actuelle même si un changement émerge sous l'effet de la problématique énergétique et des autres enjeux associés. Ceux-ci sont notamment les problématiques sanitaires, dont la qualité de l'air intérieur remise sur le devant de la scène avec la crise covid. Dans le secteur, les enjeux de recherche ne doivent pas viser la maîtrise d'une succession de risques - stabilité des structures, incendie, consommation d'énergie, qualité de l'air, etc. - mais penser globalement leur interopérabilité. La difficulté est de réussir à chaîner tous ces sujets scientifiques entre eux. Pourtant, si un chantier de rénovation énergétique oublie de penser la question de la qualité de l'air intérieur et l'hygrométrie, des problèmes sanitaires surviendront et, si le chantier omet de traiter la question de l'isolation extérieure, il en résultera des problèmes d'acoustique du bâtiment, ce qui entraînera un moindre confort, et donc des problèmes sanitaires, etc.
Si l'appréhension globale du sujet émerge aujourd'hui, elle ne se traduit pas en une augmentation de l'investissement dans la R&D. Le CSTB connaît une stabilité de sa subvention publique, qui est de l'ordre de 15,7 millions d'euros depuis au moins cinq ans alors que de nouveaux enjeux doivent être pris en compte : carbone, économie circulaire, propagation des aéropathogènes comme le covid, etc. La difficulté réside aussi dans le fait que la recherche publique est multidisciplinaire tandis que les entreprises se focalisent sur des produits ayant une fonctionnalité donnée. Or des interopérations sont à envisager et à mieux prendre en considération.
De plus, contrairement à d'autres secteurs d'activité, il n'existe pas d'intégrateur, c'est-à-dire qu'il n'existe pas un acteur ayant une responsabilité globale. Dans l'industrie automobile, le constructeur est responsable à la fois de la logique performancielle et de la logique servicielle du véhicule. Dans le bâtiment, un promoteur ou un gestionnaire fabrique le bâtiment, mais tous les acteurs qui sont intervenus sur ce bâtiment ont leur responsabilité propre dans sa performance. Le fait qu'il n'y ait pas un intégrateur ne pousse pas dans le sens d'une recherche intégrée qui permettrait pourtant de gérer les interopérations. La filière est aussi historiquement structurée par matériau (béton, acier, bois, etc.). Elle commence à prendre conscience qu'il faut utiliser le bon matériau au bon endroit pour assurer la bonne performance. Ces synergies inter-matériaux vont nécessiter de plus en plus de recherches, concentrées sur les interfaces, interfaces qui sont souvent le chaînon manquant de la recherche. Le CSTB, le Centre national de recherche scientifique (CNRS) et le Commissariat à l'énergie atomique (CEA) sont actifs dans ces domaines mais sans s'impliquer pleinement dans une logique multisystèmes. En définitive, les dépenses réalisées à l'échelle européenne montrent que les recherches sur le bâtiment restent le parent pauvre comparé aux recherches sur la santé et sur les transports.
M. Christophe Philipponneau, directeur général de Tipee. - Le monde du bâtiment est un monde de l'artisanat. Selon les chiffres de la Fédération française du bâtiment (FFB) pour 2021, sur 427 000 entreprises, 403 000 emploient moins de dix salariés. Il est donc très difficile de mener de la recherche dans ces entreprises de très petite taille. Pour autant, la bonne idée vient souvent du terrain.
La plateforme Tipee vise à se positionner comme un traducteur entre le monde de la recherche et le monde de la petite entreprise. Ces deux mondes ne se côtoient pas et ne se parlent pas et il faut donc créer un lien. Notre plateforme apparaît utile puisque de très nombreuses petites entreprises et de start-ups nous sollicitent pour les accompagner et faire de leur idée « de fond de garage » une innovation performante et économique. Nous avons d'ores et déjà de belles réussites à notre actif avec des développements de nouveaux produits partant de la capacité d'innovation. En effet, pour réussir et faire évoluer notre filière par l'innovation, il faut accompagner ceux qui ont de bonnes idées sur le terrain pour les mettre en valeur.
La culture du bâtiment est une culture par métier alors que, principalement dans la rénovation, sans vision systémique et transverse, il est très compliqué d'aboutir à une réalisation performante. Nous parlons certes aujourd'hui de coût global mais nous nous sommes pendant longtemps contentés de la réalisation de gestes isolés de rénovation, sans aboutir à un résultat probant. Il importe donc de donner aux professionnels des visions transverses pour qu'ils visualisent l'impact de leur action dans une vision à 360°. Ceci renvoie à l'orchestration des métiers puisque les travaux de rénovation ne font pas nécessairement appel à un architecte et à un maître d'oeuvre, contrairement à la construction neuve, alors que ce maillon peut jouer le rôle de tiers de confiance, donnant une vision transverse et accompagnant tous les professionnels dans cette évolution. C'est parce que nous vivons toujours dans une culture par métier que les rénovations menées au cours des dernières années ne peuvent pas être qualifiées pleinement de rénovations performantes.
Je crois beaucoup à la massification mais à une petite échelle. Pour moi, c'est « l'effet papillon » qui permettra d'embarquer un maximum de personnes lorsqu'un projet est mené à l'échelle d'une commune ou d'un quartier. Au-delà de mes fonctions au sein de Tipee, je suis également président du cluster de l'écoconstruction durable en Nouvelle-Aquitaine, qui a souhaité soutenir des dynamiques communales de rénovation pour que le projet mené à l'échelle de la commune devienne également un projet citoyen. En effet, il faut savoir que ce qui motive les personnes à se lancer dans un projet de rénovation n'est pas seulement économique, ces démarches sont poussées aussi par une envie d'améliorer son confort de vie et de valoriser son patrimoine. L'argument avancé ne doit donc pas s'appuyer que sur les économies d'énergie, concept qui renvoie à la privation. Ce sont d'autres avantages qu'il faut mettre en avant pour encourager l'adhésion au projet. Ainsi, lorsque des dynamiques communales se mettent en place, des foyers qui n'envisageaient pas forcément de se lancer dans une rénovation bénéficient de l'effet d'entraînement de leurs voisins.
Pour l'association en charge de l'aménagement du parc bas carbone de La Rochelle dont je suis le directeur et pour le consortium de La Rochelle Territoire zéro carbone, c'est cette dynamique qu'il faut promouvoir en menant les projets dans des échelles à taille humaine. Cependant, quel que soit l'opérateur il faut aussi garantir le qualitatif de la rénovation via l'industrialisation des process et des produits.
Mes principaux messages sont donc de massifier à échelle humaine (commune ou quartier), de communiquer sur la rénovation au-delà des économies d'énergie et de répondre au juste besoin.
M. Nicolas Durand, fondateur et président-directeur général de Cozynergy. - La notion de rénovation énergétique est une notion récente qui est venue s'ajouter à la simple notion de rénovation. Nous allons même plus loin aujourd'hui en avançant le terme de rénovation énergétique globale car c'est cette démarche qui permettra d'atteindre une plus grande performance. Malheureusement, la pratique reste assez éloignée des attendus de la rénovation énergétique globale. Il y a une dizaine d'années, lorsque j'ai créé Cozynergy, mon souhait était de faciliter les démarches du particulier résidant dans une maison individuelle et souhaitant réaliser des économies d'énergie. La démarche part d'un diagnostic, nous vérifions quelles solutions sont techniquement possibles et passons en revue les solutions de financement. Ceci permet d'apporter une vision globale. Le réflexe du particulier est en effet de se tourner vers des professionnels spécialisés, par exemple sur le chauffage ou l'isolation. Cependant, le chauffagiste devra dimensionner le nouveau système de chauffage par rapport à une déperdition technique et pourra être conduit, sur une maison mal isolée, à installer une pompe à chaleur puissante qui sera aussi plus chère.
Dans le domaine de la rénovation énergétique, l'innovation peut porter sur les produits, mais cette innovation est complexe et coûteuse et plutôt dans les mains des grands industriels. Elle peut aussi porter sur les services, par exemple en proposant un appui aux particuliers pour leur projet de rénovation. Cet accompagnement est en effet une aide précieuse pour tout propriétaire qui souhaite savoir précisément ce qu'il est possible de faire dans son logement. Aujourd'hui, peu d'opérateurs sont en mesure de jouer le rôle d'intégrateur des différents corps de métier. Dans la rénovation énergétique globale, le statut de contractant général n'est pas généralisé. Cozynergy en est un mais il existe moins d'une centaine d'acteurs titulaires d'un RGE contractant général rénovation énergétique globale. De plus, avoir ce RGE ne sert à rien puisqu'il n'est pas reconnu dans les dispositifs de subventions. Les dispositifs Mon accompagnateur Rénov' ne reconnaissent pas non plus le contractant général, qui devra choisir entre être contractant général ou accompagnateur Rénov'. Le seul statut reconnu aujourd'hui est celui d'installateur de chauffage, de spécialiste de l'isolation, de menuisier, etc. Je sais que des initiatives sont en cours et qu'un appel à projets pour un ensemblier de la rénovation énergétique sera lancé. Cozynergy, avec le soutien du groupe BPCE, regardera de près ce qui peut être fait dans ce domaine. Cependant, il est surprenant qu'un acteur qui peut proposer de la rénovation énergétique clé en main aux particuliers ne soit pas connu du grand public et que la tendance soit de faire appel à un auditeur en charge du bilan énergétique, à un organisme accrédité par le Comité français d'accréditation (Cofrac) en charge de contrôler le bilan, à un accompagnateur Rénov' qui sera en charge du package de financement, à plusieurs entreprises chargées de réaliser les travaux, avant que l'accompagnateur Rénov' revienne pour vérifier la qualité des travaux et que le Cofrac contrôle l'éligibilité de la subvention.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci, je laisse la parole au rapporteur.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Le rôle exact de l'accompagnateur Rénov' reste difficile à dessiner car, selon les acteurs auditionnés, nous n'aboutissons pas à une vision partagée entre ceux qui présentent l'accompagnateur Rénov' comme une maîtrise d'oeuvre en charge du suivi, ce qui emporterait un coût important, et ceux qui le décrivent comme un interlocuteur qui oriente et aide dans les démarches administratives voire qui effectue un contrôle après travaux. En fonction de la description du rôle, les prestations diffèrent, et donc le coût également, qui peut varier entre 350 euros et 2 000 euros. Par ailleurs, restera la question du contrôle et de l'indépendance du contrôle. Comment intégrez-vous ce contrôle dans votre dispositif puisque ce contrôle permet aussi d'obtenir la confiance ? Certes, il est rassurant de se tourner vers un ensemblier en mesure de coordonner l'ensemble des travaux mais le contrôle ne peut pas être confié à celui qui exécute.
Des questions sont également posées sur les matériaux à utiliser dans la rénovation, notamment les matériaux biosourcés (chanvre, paille, etc.). Comment ces petites filières peuvent-elles obtenir des avis techniques et accéder aux assurances ? La filière de la paille est un exemple intéressant puisque cette filière a réussi à se structurer.
La question des normes et de l'harmonisation des normes entre la réglementation européenne et les Outre-mer se pose également, ainsi que sur les matériaux à utiliser sur ces territoires. En outre, les typologies de bâtiments peuvent être différentes dans ces géographies.
Au-delà de l'innovation en elle-même, les questions posées portent aussi sur les moyens de l'innovation pour qu'elle prenne place dans le circuit.
M. Hervé Charrue. - Avec 36 millions de logements et un taux de construction neuve de 1 %, le défi de la rénovation est colossal. Le premier objectif fixé avait été de rénover 300 000 logements par an. Sept ans plus tard, cet objectif a été porté à 500 000 tandis que la stratégie nationale carbone (SNBC) avance aujourd'hui un objectif de 700 000 rénovations. Finalement, la logique est de relever l'objectif au fur et à mesure du temps après avoir fait le constat que les premières marches n'étaient pas franchies.
Cependant, il faut comprendre pourquoi on n'a pas atteint ces objectifs. En fait, la rénovation comprend cinq phases assez structurantes.
La première est celle de l'identification : elle vise à identifier les bâtiments à rénover. Le CSTB a développé une base de données nationale des bâtiments dans le cadre du programme de la Filière pour l'innovation en faveur des économies d'énergies dans le bâtiment et le logement (Profeel). Cette base de données permet de connaître tous les bâtiments par typologie et par niveau. Les algorithmes que nous avons développés permettent de disposer d'informations sur la performance au sens du diagnostic de performance énergétique (DPE).
La deuxième phase consiste à définir les solutions technologiques à développer pour atteindre le niveau de performance souhaité. À cet effet, beaucoup de technologies existent déjà. Aussi, plus que de technologies nouvelles, nous avons surtout besoin de choix industriels. Pendant cette phase, l'enjeu est de définir la solution la plus adaptée pour amener au niveau de performance donné le bâtiment considéré.
Le troisième niveau est central : il porte sur la capacité à financer le projet dans sa globalité. Les montants actuels des aides ne permettent pas à des propriétaires ayant de faibles revenus de mener une rénovation pour faire passer un bâtiment de la classe G à la classe C, B ou A. La question est de savoir s'il faut aider ces foyers ou s'il faut se substituer à eux via un investissement de l'État et un remboursement sur les gains et du reste du financement au moment de la mutation. La France n'est pas isolée en Europe car tous les autres pays ont le même parc et rencontrent les mêmes problématiques de performance. À une époque, je m'étais battu pour que les efforts réalisés en faveur de la rénovation énergétique ne soient pas pris en compte dans le calcul du déficit public de 3 % au sens du traité de Maastricht. Comme tous les États font face aux mêmes défis, il est important que la recherche s'organise à l'échelle européenne pour créer des acteurs industriels de dimension internationale. Par exemple, la plupart des bâtiments anciens n'ont pas de ventilation. Or dans le domaine de la production de froid comme dans le domaine de la ventilation, il n'existe pas de leaders internationaux comme il existe Daikin ou Toshiba dans d'autres domaines. Ce sont de petits acteurs nationaux qui interviennent sur ces thématiques. La question économique est ici essentielle alors que la crise covid est venue renchérir le prix des matériaux et que la guerre en Ukraine a provoqué une augmentation du prix de l'énergie. Cette situation joue évidemment sur le coût des projets, effet encore accentué par la hausse des taux d'intérêt.
La quatrième phase est celle de la mise en oeuvre. Si les objectifs de la rénovation énergétique sont passés en quelques années de 300 000 logements par an à 700 000, c'est que nous n'avons pas la capacité à les réaliser et que le secteur est en déficit de main-d'oeuvre formée. Nous avons besoin d'une approche industrielle sur la base de produits « idiot proof », c'est-à-dire que les produits doivent apporter au moins 90 % de leurs performances nominales quelle que soit la personne qui les met en oeuvre. Aujourd'hui, la sensibilité à la mise en oeuvre est trop importante. La seule entreprise qui a mis sur le marché des produits « idiot proof » est Velux car les fenêtres de toit présentent un risque majeur d'une sinistralité très coûteuse. L'entreprise a donc travaillé l'assujettissement de la fenêtre à tout type de toiture neuve comme rénovée. La recherche doit s'emparer de ce sujet pour que le produit soit robuste dans la performance délivrée, quel que soit le niveau de mise en oeuvre. Le secteur rencontre finalement les mêmes difficultés que celles provoquées par le numerus clausus pour le secteur de la santé. Les formations courtes sont absentes, les salaires non attractifs et la main-d'oeuvre issue de l'immigration n'a pas les compétences souhaitées.
Le cinquième point est d'assujettir la réalisation à une mesure de la performance à la livraison, ce qui n'est pas fait aujourd'hui ou qui commence parfois à être fait. Ces sujets sont rendus encore plus complexes par le fait que la plupart des rénovations sont à mener en site occupé. Aussi, plutôt qu'une rénovation globale, il faut souvent procéder par lots.
Toutes ces phases sont très structurantes mais la plus importante, à mes yeux, est celle de la mise en oeuvre et de la capacité de production. C'est un sujet dont nous nous sommes emparés depuis plusieurs années sans être entendus. La FFB annonce une baisse de ses emplois dans les prochaines années, en lien avec la baisse des commandes. La Fédération estime que les marchés de la rénovation énergétique représentent 1,6 % de la demande, chiffre que je ne partage pas si nous devons renouveler le parc à 2050.
De nombreuses innovations ont porté sur le numérique, en particulier sur les phases 1 et 2, avec une connaissance des bâtiments et des maquettes numériques permettant de faciliter les calculs. Les entreprises d'une certaine taille parviennent à se saisir de ces données pour les phases suivantes, mais ce n'est pas le cas des entreprises artisanales et des très petites entreprises. Ces innovations numériques constituent néanmoins un progrès car elles permettent d'établir le constat de départ et ce que nous devons faire.
Avec l'émergence de la problématique du recyclage des matériaux et de leur impact environnemental, plusieurs start-ups investissent dans de nouveaux matériaux qu'il faudra tester, notamment sur le plan sanitaire. Ces tests éviteront de renouveler les erreurs commises par le passé avec l'amiante. Cependant, le plus souvent, ces start-ups n'ont pas la taille critique pour se développer. Elles ont donc la tentation de se tourner vers des gisements très locaux qui ne sont pas en mesure de servir une logique de massification. De plus, la main-d'oeuvre formée ne sera pas suffisante pour porter la massification de la rénovation. Cette situation repose une nouvelle fois la question de la nécessaire industrialisation qui ne signifie pas se substituer aux acteurs actuellement en charge de la mise en oeuvre. Il existerait par exemple un réel intérêt à mettre en place une industrialisation sur les façades et sur les innovations thermiques par l'extérieur, par exemple sur les toitures. De nombreuses innovations ont notamment été développées par le groupe Monier, avec des toitures complètes mais ces solutions peinent à trouver leur marché, car tous les acteurs essaient finalement de préserver leurs champs d'intervention. L'espace des solutions types doit aussi être étudié. De nombreuses aides publiques ont soutenu le développement des pompes à chaleur sans pour autant faire un choix industriel et dire quel serait le prix d'une pompe à chaleur et le prix plafond au-dessus duquel les aides ne seraient plus valables.
Enfin, on se contente souvent de regarder les économies d'énergie sans embrasser plus largement et voir les répercussions de la rénovation en termes de confort. En effet, outre l'aspect économique et le geste citoyen visant à préserver les ressources et le climat, les ménages qui se lancent dans la rénovation énergétique en attendent aussi une amélioration de leur confort. La difficulté est que cette attente en termes de confort n'est pas encore prise en compte par toutes les innovations technologiques. Les innovations restent très sectorielles (matériaux, numérique, système de gestion, etc.) alors que le premier levier de la massification reste celui de la capacité à produire, un sujet qui n'est pas débattu.
M. Christophe Philipponneau. - La problématique du manque de professionnels provient aussi d'un manque de questionnement sur les méthodes. Par exemple, un menuisier apprendra lors de sa formation initiale à construire une fenêtre et une porte alors que ce sont des produits largement industrialisés. Je défends plutôt l'idée de faire porter la formation sur les gestes, à propos desquels il faut réfléchir : je pense que, si nous voulons amener davantage de personnes vers nos métiers, il nous faut de bons poseurs de fenêtres, au-delà du chef de chantier qui aura peut-être quant à lui une formation plus classique en menuiserie. Avec les produits techniques que sont devenues aujourd'hui les portes et les fenêtres, nous avons surtout besoin de compétences permettant de bien les poser. Nous devons aussi valoriser ces compétences. Lorsque j'étais en entreprise, je préférais faire poser les appareillages électriques par des salariés venant du secteur de l'horlogerie : mes électriciens étaient parfaits pour travailler sur les armoires électriques et sur les infrastructures mais le dernier geste qui fait la décoration, c'est-à-dire la pose de l'appareillage, était mieux maîtrisé par les horlogers. Si nous voulons avoir plus de professionnels, il faut aussi accepter d'avoir des professionnels qui auront des tâches plus précises pour lesquelles ils devront être des spécialistes. Ces spécialistes compléteront en effet le travail de ceux qui auront une vision globale, comme le chef de chantier. La formation doit évoluer dans ce sens.
Concernant l'utilisation de matériaux biosourcés, nous devons garder à l'esprit que ces matériaux ont aussi d'autres usages en dehors du bâtiment. Avant de les utiliser, nous devons donc nous assurer de ne pas déstabiliser la filière d'origine du produit. La question se pose pour la paille qui pourrait ne pas être en quantité suffisante pour remplir tous les usages. Pour le chanvre, la question se pose différemment car le chanvre est une plante et que les matériaux utilisant le chanvre exploitent une partie de la plante qui n'est pas utilisée pour d'autres usages. Ces sujets doivent en tout état de cause être regardés de près pour améliorer l'acceptabilité de ces innovations et donner une chance aux produits.
La filière paille a réussi à obtenir rapidement des avis techniques, y compris la paille hachée. Je pense réellement que nous pouvons réussir à faire des choses intéressantes à la condition que tous les acteurs se mobilisent et que nous démontrions l'intérêt de l'innovation. Plutôt que d'aider uniquement la recherche et développement, il convient d'accompagner aussi la phase de préindustrialisation, puis de partager l'information au plus grand nombre afin qu'elle essaime. En étant provocateur, j'irais même jusqu'à dire qu'il faut davantage aider à utiliser un produit qu'à le développer. Lorsqu'il existe un débouché économique, l'industrie est capable de développer le produit. En revanche, un produit peut avoir été soutenu en phase de recherche mais ne pas bénéficier de financements pour la préindustrialisation et donc ne jamais décoller. Enfin, nous devons aussi entrer dans l'ère du recyclage et de l'économie circulaire, là où toute une filière est à construire. La rénovation est très probablement un milieu qui peut permettre le réemploi.
M. Nicolas Durand. - Il faut lever les freins qui conduisent à ce que les personnes qui lancent des travaux de rénovation énergétique soient en nombre insuffisant. De premières étapes ont été franchies avec le DPE et ses étiquettes. Sans pour autant dire qu'il s'agit d'innovations, il faut reconnaître que ce sont des avancées désormais connues de tous et qu'il s'agit de bases sur lesquelles s'appuyer. D'autres idées comme le passeport énergétique émergent mais le DPE doit rester le socle car il me semble qu'il ne sert à rien d'inventer d'autres formats. À mon sens, il est préférable de capitaliser sur l'existant.
Les dispositifs de subventions (certificats d'économies d'énergie, MaPrimeRénov', etc.) sont de mieux en mieux connus et il faut poursuivre dans cette direction et éviter des changements trop fréquents. En effet, tout changement suppose un temps d'adaptation, d'explication, d'appropriation, des efforts de formation, pour au final ne pas changer grand-chose. Ces changements pourraient être finalement plus coûteux que l'économie potentielle qu'ils pourraient engendrer. Les aides sont importantes pour les particuliers et leur permettent de réaliser les travaux, notamment lorsqu'elles viennent en déduction des devis pour éviter aux ménages d'avancer la totalité de la somme.
Je suis plutôt favorable au principe de l'accompagnateur Rénov' qui guidera le particulier qui ne sait pas par où commencer. Cependant, il faut peut-être différencier les missions relatives au bilan énergétique et à l'estimation des subventions et du coût et les missions relatives à l'accompagnement du maître d'ouvrage sur le volet travaux. L'accompagnateur Rénov' ne sera pas un maître d'oeuvre et ne sera pas responsable si les travaux sont mal faits, la responsabilité restera celle de l'installateur. Ce positionnement est différent de celui du contractant général vers lequel on se retourne en cas de problèmes. Le rôle de l'accompagnateur Rénov' existe déjà sur certains lots. Ce montage ajoute des étapes, néanmoins c'est un appui important. Pour autant, je pense qu'il ne faut pas se précipiter car le flou règne encore. De plus, des échéances arriveront en septembre et il est toujours difficile pour une profession d'accueillir des changements qui ont été insuffisamment préparés.
Par ailleurs, peu de sociétés ont la qualification RGE. Or, pour obtenir les subventions, il faut que l'entreprise qui installe soit labélisée. Certains invitent à durcir le dispositif pour obtenir la qualification RGE, ce qui peut apparaître une proposition étonnante alors que leur nombre est déjà très faible. De plus, certains installateurs préfèrent ne pas suivre la formation RGE quitte à baisser leurs prix. À mon sens, il faudrait l'ouvrir davantage et créer une communauté des entreprises RGE, l'informer et la former. Enfin, un contrôle systématique post-travaux pourrait être mis en place de la part de contrôleurs certifiés qui eux-mêmes seraient contrôlés pour s'assurer du sérieux de la démarche.
Mme Sabine Drexler. - Je m'intéresse beaucoup au bâti ancien et aux questions de patrimoine ayant une valeur architecturale ou historique, patrimoine qui différencie aussi nos régions et fonde leur attractivité. Avec un DPE devenu obligatoire pour les propriétaires bailleurs, la question est de savoir comment à la fois protéger le bâti ancien et encourager la rénovation énergétique. Ce sujet intéresse-t-il les start-ups ?
M. Christophe Philipponneau. - La rénovation ne peut effectivement pas être appréhendée de la même manière dans le Limousin et dans le Pays basque. Les particuliers souhaitent aussi respecter leur patrimoine et leur spécificité régionale en se lançant dans une rénovation énergétique. Nous pouvons industrialiser les méthodes mais, si nous voulons réussir, il faut également prendre en compte la pluralité des bâtiments. D'ailleurs, dans toutes les réunions que nous avons organisées, la question du respect du patrimoine local a été posée. Cette problématique est même présentée comme un prérequis à des opérations de rénovation. En tout cas, la rénovation énergétique est possible dans tout contexte après avoir étudié la situation et trouvé les bonnes solutions.
Mme Sabine Drexler. - Je suis inquiète de la vitesse à laquelle on nous demande de faire des travaux. Certains font n'importe quoi au prétexte qu'il faut aller vite.
M. Nicolas Durand. - Je comprends votre inquiétude. Dans certains cas, nous ne pouvons pas répondre lorsque nous ne disposons pas de la solution technique qui convient et que lancer les travaux coûterait trop cher. C'est donc un vrai sujet qu'il faudra traiter aussi par le financement de ces spécificités.
Mme Sabine Drexler. - Une autre solution pourrait passer par la tolérance ou la dérogation.
M. Christophe Philipponneau. - Nous pouvons utiliser des moyens différents pour atteindre un même objectif. Dans notre parc bas carbone, nous avons souhaité créer des bâtiments 3C2 sans dire comment y parvenir. Aujourd'hui, 330 logements font partie du projet avec 9 constructeurs différents ayant appliqué des techniques différentes. Nous contrôlerons à la livraison, puis deux ans plus tard la performance des solutions mises en place. Cet exemple démontre qu'il nous faut aussi sélectionner les bonnes solutions et répondre au juste besoin. Il faut être agile, par exemple en accentuant la ventilation sur une maison qu'il ne sera pas possible d'isoler. C'est l'objectif qui doit primer et non les moyens et il ne faut donc pas promouvoir absolument certains moyens sur étagère mais une mixité de solutions.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je vous remercie.
Table ronde sur
la prise en compte des questions de patrimoine
dans les politiques de
rénovation
énergétique
(Mardi 30 mai 2023)
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous poursuivons les travaux de cette commission d'enquête avec une table ronde consacrée à la prise en compte des questions de patrimoine dans les politiques de rénovation énergétique.
Nous recevons aujourd'hui les représentants de neuf organismes :
- M. Jean-François Hebert, directeur général des Patrimoines et de l'Architecture ;
- Mme Françoise Gatel, sénatrice d'Ille-et-Vilaine, et présidente de Petites cités de caractère de France (accompagnée de M. Laurent Mazurier, directeur de Petites cités de caractère de France) ;
- M. Guirec Arhant, maire de Tréguier ;
- M. le ministre Martin Malvy, président de Sites et cités remarquables de France (en visioconférence, accompagné de M. Jacky Cruchon) ;
- M. Gilles Alglave, président de Maisons paysannes de France ;
- M. Christophe Blanchard-Dignac, président de la fédération Patrimoine-Environnement ;
- M. Julien Lacaze, président de l'association Sites et monuments ;
- M. Christian Laporte, président de l'association des Architectes du patrimoine ;
- M. Raphaël Gastebois, vice-président de l'association Vieilles maisons françaises (VMF) ;
- MM. Marc Louail et Gabriel de Beauregard, architectes des bâtiments de France.
La protection du bâti ancien, et notamment des bâtiments classés, à l'heure de l'accélération de la rénovation énergétique, est une question fondamentale, particulièrement chère à notre collègue Sabine Drexler, sénatrice du Haut-Rhin, mais aussi à chacun d'entre nous. Rénover des bâtiments anciens à caractère patrimonial coûte plus cher et pose des questions au niveau des modes de financement. La prise en compte des enjeux de patrimoine dans la rénovation énergétique des bâtiments implique également des approches spécifiques en termes de cadre juridique, d'ingénierie, de méthodes, d'accompagnement, mais aussi de formation. À ce titre, le bâti patrimonial est soumis à de nombreuses contraintes singulières, qu'il convient de mieux traduire dans les objectifs et moyens de nos politiques de rénovation. Il vous revient d'éclairer notre commission sur les voies et moyens des évolutions nécessaires.
Dans quelle mesure les enjeux du bâti ancien sont-ils intégrés aux politiques publiques de la rénovation énergétique ? Comment notamment prendre en compte les spécificités des monuments historiques classés ou inscrits, mais aussi des secteurs sauvegardés et des sites patrimoniaux remarquables ? Les acteurs des politiques publiques de rénovation énergétique - administrations, collectivités, entreprises - ont-ils selon vous pris la mesure de tous ces enjeux ? Quelles dispositions spécifiques faut-il envisager ? Quels défis juridiques, financiers et techniques se posent ? Que pensez-vous par exemple des conditions de mise en oeuvre de MaPrimeRénov', des Certificats d'économie d'énergie (CEE) et du dispositif Mon Accompagnateur Rénov' ? Selon vous, comment les enjeux du patrimoine bâti pourraient-ils être mieux intégrés à la conception de ces dispositifs ? Comment, en bref, mieux prendre en compte les problématiques de bâti ancien et de patrimoine dans les politiques publiques de la rénovation énergétique ? Par ailleurs, notre pays dispose-t-il de filières professionnelles capables de répondre à ce besoin, qu'il s'agisse des artisans ou des matériaux adaptés ?
Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat, et qu'un compte rendu en sera publié.
Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».
Mmes Françoise Gatel et Julie Debabi, et MM. Jean-François Hebert, Guirec Arhant, Gilles Alglave, Christophe Blanchard-Dignac, Julien Lacaze, Raphaël Gastebois, Christian Laporte, Marc Louail, Martin Malvy et Jacky Cruchon lèvent la main droite et disent « Je le jure ».
M. Jean-François Hebert, directeur général des Patrimoines et de l'Architecture. - La transition écologique constitue une des priorités du ministère de la culture, notamment depuis l'installation du nouveau gouvernement en mai 2022, la ministre de la culture ayant fait de cette question une de ses priorités politiques propres. Une feuille de route de la transition écologique est en cours d'élaboration. Elle mobilisera l'ensemble des secteurs : celui du patrimoine, dont j'ai la responsabilité, mais aussi ceux de la création, des médias, etc. Elle sera rendue publique dans quelques semaines.
On sait cependant que tout est affaire d'équilibre dans le domaine des politiques publiques. Un équilibre devra ainsi être trouvé entre cette priorité et d'autres, comme celle de la protection du patrimoine, que je porte en tant que directeur général du patrimoine et de l'architecture.
Cet équilibre est possible, comme l'ont montré le ministère de la culture, le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, et le ministère de la transition énergétique, en produisant l'instruction commune du 9 décembre 2022, qui donne aux Architectes des bâtiments de France (ABF) des directives pour « lâcher du lest » sur les panneaux photovoltaïques dans les zones à protéger, tout en veillant strictement à ce qu'ils ne dégradent pas à terme nos paysages et nos centres-villes. Les panneaux photovoltaïques sont en effet au coeur de la loi pour l'accélération de la production des énergies renouvelables (APER), et il s'agissait de l'appliquer tout en évitant de renoncer à l'avis conforme des ABF, qui relèvera cependant toujours d'une évaluation de terrain, au cas par cas. Il ne s'agit donc pas non plus de tout réglementer depuis Paris.
Un travail considérable reste cependant à mener avec le ministère de la transition écologique dans le domaine de la rénovation et de l'isolation thermiques. En effet, le ministère de la culture n'a pas été associé à l'élaboration du diagnostic de performance énergétique (DPE), qui tend à devenir toujours plus opposable, et ne constitue plus seulement un élément de référence. Ce DPE ne s'applique certes pas aux monuments historiques, mais il s'applique à leurs abords, aux secteurs patrimoniaux remarquables, aux bâtiments protégés au titre du plan local d'urbanisme (PLU), aux bâtiments labellisés « architecture contemporaine remarquable », et, plus largement, au « bâti ancien », notion généralement appliquée aux bâtiments datant d'avant 1948. Son large périmètre couvre ainsi 30 % des logements relevant de la protection du patrimoine, ce qui est considérable.
L'équilibre que j'évoquais n'est donc pas encore atteint. Plusieurs réunions entre le ministère de la culture et le ministère de la transition écologique se sont tenues en 2022. Une autre s'est encore tenue la semaine dernière, avec de nombreux acteurs du patrimoine.
Le ministre de la culture souhaite, en premier lieu, que le DPE soit modifié pour y introduire une nouvelle grille d'analyse, qui prenne en compte les caractéristiques du bâti dans une approche globale. L'approche actuelle, trop automatique, ne prend pas en compte les caractéristiques propres des bâtiments anciens : leurs systèmes constructifs, leurs matériaux, leur inertie, leurs usages (qui varient en fonction des bâtiments), etc.
En deuxième lieu, un travail est demandé sur la formation et l'approche des diagnostiqueurs. Une méthodologie du DPE adaptée aux bâtiments anciens doit être mieux diffusée dans l'offre de formation.
En troisième lieu, nous voulons que les systèmes financiers (de défiscalisation, de subventions, de primes, etc.) soient revus, pour qu'ils prennent en compte le bâti ancien, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. De même que l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) donne de l'argent pour détruire et non pour rénover, de même, en matière d'isolation thermique, des fonds sont distribués pour réaliser des ventilations mécaniques contrôlées (VMC) et de l'isolation par l'extérieur, qui sont contraires à l'écologie (en raison des matériaux qu'ils consomment) et qui dégradent le bâti, en l'enfermant, de sorte qu'il ne respire plus.
Nous avons obtenu du ministère de la transition écologique de pouvoir travailler sur la formation des diagnostiqueurs : le ministère de la culture rédigera les questions qui leur seront posées sur le bâti ancien. C'est un acquis important, qui date d'il y a quelques jours, même si tout reste à faire.
Nous avons également obtenu de pouvoir travailler sur l'adaptation des dispositifs financiers, afin qu'ils intègrent le bâti ancien.
Il nous reste à obtenir une révision dans le même sens du DPE. Peut-être ces auditions devant le Sénat y contribueront-elles. L'appui du Sénat a déjà été essentiel pour maintenir l'avis conforme de l'ABF pour le développement du photovoltaïque dans les secteurs protégés.
D'autres motifs d'optimisme existent. Une révision des normes européennes, portée par le Conseil européen de la normalisation, et les travaux menés par Afnor en France, tendent de même à intégrer le bâti ancien. Nous participons intensément à ces groupes de travail. Au niveau de la Commission européenne, une directive visant la performance énergétique des bâtiments ouvre également largement la possibilité de tenir compte du bâti ancien pour déroger à l'automaticité de l'application du DPE.
Mme Françoise Gatel, présidente de Petites cités de caractère de France. - L'association Petites cités de caractère de France regroupe en France métropolitaine un peu plus de 230 communes, de moins de 6 000 habitants, et qui ont joué, à un moment de leur histoire, une fonction de centralité économique, administrative ou religieuse.
Je vous remercie de porter autant d'intérêt à la question conjointe du patrimoine et de la transition écologique, et je sais le travail que conduit Sabine Drexler pour que ces deux axes de travail ne s'ignorent pas.
La transition écologique doit s'inscrire dans un objectif de développement durable. Or, nos petites cités de caractère ont la prétention d'avoir inventé le concept de « ville durable » avant qu'il soit à la mode. En effet, certaines d'entre elles ont plus de 1 000 ans, et ont su s'adapter, en adaptant des bâtiments aux fonctions initialement solennelles, voire militaires, à des usages contemporains.
Cette démarche, qui est la vôtre, s'inscrit parfaitement dans le cadre d'un autre enjeu essentiel pour notre pays : celui de revitaliser les centres-villes et les petites centralités qui maillent notre territoire, et sur lesquelles la ruralité s'appuie pour exister. À cet égard, le zéro artificialisation nette (ZAN) a encore renforcé l'enjeu de la rénovation et de la transformation du bâti ancien. Nous vous remercions donc de nous inscrire au coeur de vos préoccupations.
Pour encourager les propriétaires privés à rénover de l'habitat en centre ancien se pose le problème de leur capacité à le faire.
Comme dans beaucoup de domaines, nous sommes confrontés à une pensée en silo, qui s'occupe de la transition écologique et de la rénovation énergétique en prenant essentiellement en compte un patrimoine moderne, auquel des méthodes uniformes sont appliquées, sans tenir compte des compatibilités ou des incompatibilités de matériaux qui peuvent, en construction, générer la grave détérioration d'un patrimoine. Le ministère de la culture doit donc s'associer au ministère de la transition écologique et aux fédérations professionnelles pour éviter aux acteurs de terrain d'être confrontés à des normes (imposées notamment par les Dreal ou autres) incompatibles avec le respect et l'inscription dans les temps modernes du bâti ancien.
Pour réaliser des ouvertures sur mesure, il faut aujourd'hui faire appel à un artisan, ce qui empêche de produire des certificats répondant à des normes faciles à authentifier pour un banquier ou un organisme susceptibles de vous prêter de l'argent.
Les petits propriétaires sont aussi perdus face à la multitude des intermédiaires. Heureusement, nous travaillons très bien avec les architectes des bâtiments de France. Sans eux, de nombreux centres-villes auraient disparu, remplacés par des constructions plus modernes, sans nécessairement être plus écologiques.
Certaines filières de matériaux doivent également être soutenues pour limiter le coût beaucoup plus élevé de la rénovation pour le bâti ancien. Dans mon intercommunalité, aucune assurance n'a accepté d'assurer contre le feu un bâtiment que nous souhaitions réaliser en béton de chanvre, malgré les nombreuses études montrant la résistance de ce matériau. Il faut aussi travailler à intéresser les entreprises au marché du bâti ancien, dont le coût s'explique par le fait qu'il représente une « niche », alors que les industriels préfèrent les marchés de masse. Les artisans notamment doivent être incités à utiliser certains matériaux, malgré le coût supplémentaire et surtout le temps plus long que leur mise en oeuvre nécessite.
Il faut donc réussir à élaborer une sorte de charte qui rassure et permette d'agir au niveau du territoire.
Toutes les constructions anciennes et de caractère avaient le mérite d'être réalisées dans le cadre de circuits courts, avec des matériaux locaux, et de souvent prendre en compte l'environnement. Dans les maisons de pêcheurs en Bretagne, par exemple les grandes ouvertures actuelles étaient exclues par la prise en compte des phénomènes météorologiques.
L'ensemble des acteurs doivent être sensibilisés à l'enjeu du patrimoine ancien, qui est source de dynamisme pour les territoires et de fierté pour les habitants. Sa prise en compte participe d'une philosophie de développement durable extrêmement compatible avec la rénovation énergétique.
Sans doute mon collègue Guirec Arhant vous présentera-t-il quelques exemples pour illustrer l'enjeu de l'accompagnement financier.
M. Guirec Arhant, maire de Tréguier. - Je souscris à l'idée qu'il ne faut pas opposer transition écologique et patrimoine. En effet, le bâti ancien a toujours été d'intérêt écologique. Nos paysages, y compris urbains, sont précieux, et attestent que leurs matériaux ont été adaptés à la réalité d'un territoire. Nous n'avons pas construit n'importe quoi n'importe où. Dans les maisons de bord de mer en Bretagne, appelées « pentys », des ouvertures sont parfois créées aujourd'hui côté mer pour bénéficier de la vue. Or, cette vue est parfois orientée plein nord, notamment sur les côtes de la Manche.
Les DPE ne donnent pas une idée précise des transformations à apporter, et conduisent à apporter des réponses catastrophiques pour le bâti. Le bâti ancien est vivant : il travaille au cours de l'année, s'adapte aux conditions météorologiques, et résiste plutôt bien aux phénomènes épisodiques, qui sont de plus en plus réguliers. Lorsqu'on applique des réponses modernes comme les isolations thermiques par l'extérieur (ITE) à ces bâtiments anciens, les empêchant ainsi de respirer, on crée des bombes à retardement.
Il n'existe pas aujourd'hui d'aide adaptée au bâti ancien. Par exemple, pour l'amélioration du confort thermique et des conditions sanitaires dans le bâti ancien, les aides de l'Agence nationale de l'habitat (Anah) ne tiennent pas compte de l'humidité, qui peut pourtant avoir des conséquences catastrophiques dans des murs anciens, surtout lorsqu'une surépaisseur y est ajoutée.
En tant que vice-président en charge de l'habitat de l'agglomération Lanion-Trégor Communauté, délégataire de l'aide à la pierre, j'ai donc dû trouver des outils complémentaires, qui n'existaient pas, mais ne suffisent pas non plus. Nous avons notamment mis en place des aides à l'autorénovation, propre à l'agglomération. En effet, plusieurs ménages ne peuvent pas prétendre aux aides de l'Anah, parce qu'ils doivent à cette fin recourir à des entreprises. Or, elles ne parviennent plus en Bretagne à répondre à la demande, alors même que le prix de l'immobilier sur le littoral breton prive de nombreux ménages des moyens financiers de faire appel à ces entreprises.
Nos aides à l'autorénovation sont cependant conditionnées à la mise en place d'un encadrement. Sur le territoire du Trégor, un espace France Rénov' (le « Point Info Habitat ») constituait ainsi depuis plus de 10 ans un guichet unique pour trouver un terrain, demander des conseils juridiques pour les locations, et des accompagnements financiers de l'agglomération comme de l'État. À cet égard, l'arrivée de Mon Accompagnateur Rénov' déstabilise la culture de réseau que nous avons mise en place entre les habitants, les collectivités, les services de l'État (dont les ABF, effectivement essentiels pour faciliter les projets de redynamisation des centralités), les entreprises, les conseillers énergie, ou des associations comme Tiez Breiz (à Rennes), etc. pour fournir aux habitants et aux artisans les clés de compréhension du bâti ancien et des soins à lui apporter.
À l'échelle locale, je déplore ainsi l'absence d'une vision globale sur les travaux de rénovation énergétique. On met parfois « la charrue avant les boeufs ».
M. Martin Malvy, président de Sites et cités remarquables de France. - L'association que je préside travaille souvent avec Françoise Gatel, puisque nous avons réuni dans une association commune (France patrimoine et territoires d'exception) les sept réseaux qui s'intéressent au patrimoine : Les plus beaux villages de France, Petites cités de caractère, Grands sites de France, etc., afin de disposer auprès des pouvoirs publics d'une audience plus forte. Cela constitue un bel exemple de coopération entre associations, même si chacune y reste totalement indépendante.
Lorsque le directeur du patrimoine a indiqué que le ministère de la culture n'avait pas été associé à l'élaboration du DPE, les « bras m'en sont tombés ». Je répète depuis des années que les ministères notamment doivent cesser de travailler en « tuyau de poire ». Or, si un sujet intéresse l'interministériel, c'est bien celui des centres anciens, où se trouve l'essentiel du bâti d'avant 1948. Ils associent en effet un certain nombre de problèmes (comme la maîtrise des dépenses d'énergie) qui ne peuvent pas être réglés indépendamment les uns des autres.
Nous plaidons ainsi pour la création d'un « DPE bâti ancien ». J'ai participé avant-hier à une réunion de la commission nationale patrimoine architecture. Le ministère y a affirmé sa volonté d'avancer sur le problème du DPE, mais il ne suffira pas de mieux former les diagnostiqueurs, car un diagnostic coûte aujourd'hui 80 à 130 euros : c'est le DPE même qu'il faut modifier, pour qu'il puisse prendre en compte les particularités du bâti ancien, qui ne sont pas les mêmes que celles des bâtiments édifiés d'après les premières véritables normes établies suite au premier choc pétrolier.
Le bâti ancien représente 30 % du logement en France, et si l'on ne parvient pas à l'adapter à nos nouvelles conditions de vie, la déshérence des centres anciens s'aggravera, incitant encore à construire des logements neufs à leur périphérie, avec les problèmes d'imperméabilisation des sols que cela occasionne.
Sites et cités remarquables de France s'intéresse à ce sujet depuis maintenant plus de dix ans. En partenariat plus récemment avec la banque des territoires, nous avons créé une plateforme « Quartiers anciens, quartiers durables » (et édité un ouvrage sur le même thème). Avec la Chambre des métiers et de l'artisanat (CMA) et Maisons paysannes de France et l'École d'architecture de Toulouse, nous sommes cofondateurs du Creba, un centre de ressources pour la réhabilitation responsable du bâti ancien.
Notre philosophie à cet égard est de prendre en compte l'intégralité des problèmes dans le bâti ancien. C'est la raison pour laquelle nous avons aussi quelques réserves à l'égard de MaPrimeRénov', qui constitue par ailleurs un bon dispositif. L'engagement public, entre l'État et les collectivités locales, est aujourd'hui considérable dans ce domaine. Il nous a dotés de bons dispositifs, ainsi que de moyens financiers conséquents. Toutefois, MaPrimeRénov' n'aborde qu'une partie du problème. Elle permet de subventionner un projet, par exemple une pompe à chaleur, sans toutefois s'interroger sur son efficacité réelle au regard du reste du bâtiment, si par exemple il constitue une « passoire thermique ».
M. Gilles Alglave, président de Maisons paysannes de France. - La catégorie du « bâti ancien » ne semble plus pouvoir être nommée aujourd'hui : on ne parle plus que de « passoires thermiques ». Pourtant, cette catégorie existe : elle a été définie de façon officielle par la statistique française de l'Insee, qui a retenu la date de 1948.
Avant 1948, l'architecture était profondément écologique. Elle reprenait les notions du développement durable, du local et de l'économie de moyens : elle faisait avec les moyens disponibles et reposait sur la tradition. La maison était le reflet du paysage.
Après 1948, les savoir-faire ont cessé d'être transmis, et les matériaux utilisés ont fondamentalement changé de caractéristiques. Les matériaux d'avant 1948 sont sensibles à l'humidité, qui peut ainsi porter atteinte au bâti : ils sont hygroscopiques, capillaires et surtout perspirants. Après 1948, les matériaux deviennent insensibles à l'humidité. Le bâti moderne est « étanche », et c'est pourquoi il peut être « isolé ». Au contraire, le bâti ancien est ouvert à son environnement.
J'avais envoyé une photographie pour appuyer mon propos. Elle illustrait l'alerte que nous avions souhaité lancer à l'occasion du salon international du patrimoine culturel à Paris, et qui a été fortement relayée et discutée depuis, ce dont nous sommes très contents.
La photographie est projetée.
Elle montre en effet comment le DPE a effacé la valeur patrimoniale du bâti ancien. On y voit une maison patrimoniale connue dans l'Oise (où j'habite), qui est habitée par deux propriétaires. Or, celui de gauche a été séduit par l'appel de l'isolation à 1 euro : la façade a été isolée avec des plaques de polystyrène, revêtues d'un enduit étanche, pour créer (selon la sémantique actuelle) « un logement décent ». À droite, la façade originelle, visible à droite, et faite pour être vue, avec ses assemblages en pans de bois magnifiques et symboliques (représentant des swastikas, etc.) a probablement été considérée comme une « passoire thermique ».
Un problème de regard se pose donc vis-à-vis de ce patrimoine, qui n'est pas nommé. Or, ne pas nommer les choses, c'est nier leur existence.
Bien que ce ne soit pas son objet premier, Maisons paysannes réalise de la formation professionnelle continue pour combler un manque à cet égard en France. Elle est certifiée Qualiopi. Nous formons des architectes, des techniciens, des maçons, etc., ce que ne font pas suffisamment les organismes qui auraient vocation à transmettre cette culture. Des listes d'artisans de confiance nous sont demandées : nous aimerions en connaître davantage.
Il est évident que la partie de la façade qui a été isolée va souffrir. Le pan de bois situé derrière sera altéré, car les circulations d'humidité y seront empêchées. Ces écosystèmes très subtils ne sont pas connus, faute d'avoir été étudiés scientifiquement. Le projet Vatan, lancé par Maisons paysannes, a toutefois établi scientifiquement que les bâtiments d'avant 1948 n'étaient pas des « passoires thermiques ». Bien étudiés, ils relèvent en réalité de la catégorie D, qui est celle des bâtiments réalisés après la première réglementation thermique, créée suite au choc pétrolier de 1973. Depuis, la réglementation thermique s'est rigidifiée : intégrée à une réglementation environnementale (RE) plus générale, elle exige des bilans carbone, etc., et surtout rend le DPE opposable, alors même qu'il n'a pas intégré les subtilités du bâti ancien. C'est en effet mettre « la charrue avant les boeufs », et mettre en péril les façades qui font partie de ce patrimoine commun qu'est le paysage, comme du patrimoine privé des particuliers qui habitent ces maisons. Leur confort est aussi menacé, du fait de l'humidité et des moisissures qui résulteront de la perturbation de ces écosystèmes subtils.
Il est donc temps d'« arrêter la machine », qui va dans le mur. L'opposabilité conduit aussi les particuliers à faire valoir des préjudices devant les tribunaux, encombrant ainsi la justice du simple fait d'un manque de réflexion dans l'application du DPE. Les associations ici réunies demandent donc un moratoire sur cette application, pour prendre le temps d'une vraie réflexion collective.
Nous travaillons avec les scientifiques pour faire entrer la connaissance du bâti ancien dans la modernité. Aucun traité savant sur l'architecture dite « vernaculaire » (ou « petit patrimoine ») n'a été écrit. Les logiques constructives d'alors se transmettaient dans l'oralité. Or, une société fonctionnant avec des normes ne peut plus s'en contenter. C'est pourquoi nous avons travaillé durant 4 ans avec la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP), du ministère de la transition écologique, à l'édition de guides de bonnes pratiques sur six techniques de terre crue en France, qui sont aujourd'hui accessibles. L'objectif est d'en tirer des règles professionnelles, susceptibles de fonder des référentiels de formation des maçons de terre. Un label du gouvernement (« projet national terre crue ») existe aujourd'hui sur ce matériau, qui apparaît comme une réponse aux enjeux de la modernité : la rareté des ressources et des agrégats (le sable va devenir aussi rare que l'eau, et génère déjà des trafics) et la disparition annoncée de l'industrie du béton. La terre entre ainsi dans la modernité, alors que l'homme s'en sert depuis 11 000 ans pour construire. Une « ingénierie » existe donc sur le matériau, présent dans le hourdis de toutes les maisons en bâti ancien, sous forme de torchis (dans les maisons en bois), ou de terre (dans les maisons en pierre). Cela rendait possible une réversibilité, qui faisait partie de la logique des anciens. Nous avons ainsi pu sauver à Beauvais une maison du XVe siècle en la démontant brique à brique, car ses briques étaient hourdées à la terre. Aujourd'hui, elles auraient été montées avec un mortier pur et dur, rendant impossible tout retour en arrière. Les logiques constructives anciennes devraient donc constituer pour nous des modèles écologiques.
Au contraire, le bâti ancien est classé en « passoire thermique », et détruit au motif qu'il coûterait trop cher de le restaurer. Le ZAN peut constituer une décision vertueuse, à condition qu'il s'accompagne d'incitations, non pas à détruire l'ancien (comme le font certains promoteurs pour trouver du foncier déjà imperméabilisé), mais à le réutiliser. En aidant les citoyens à comprendre le fonctionnement de leurs maisons, et la manière d'en améliorer les performances, ils peuvent devenir acteurs de ce mouvement.
Ces maisons sont déjà performantes : l'inertie notamment constitue la capacité des matériaux anciens à lutter contre les transferts de chaleur. Elle permet de maintenir la température intérieure à 24 degrés durant au moins 8 heures lorsqu'il fait 40 degrés à l'extérieur. À l'inverse, les matériaux de construction actuels doivent être accompagnés de pompes à chaleur, qui produisent de la chaleur comme du froid, et sont ainsi vouées à fonctionner en permanence. Revenir à des matériaux biosourcés ou géosourcés fait ainsi partie de l'innovation : le passé constitue une source d'inspiration pour l'avenir. Le chaux-chanvre a été évoqué, mais la chaux reste un produit industriel, même s'il est préférable au ciment. Je défends pour ma part l'utilisation de la terre, dont le bilan carbone est meilleur, et qui peut être mélangée à un liant comme le chanvre pour en améliorer les performances ou atténuer l'effet de paroi froide dans les maisons. C'est ce type de solutions qu'il faut populariser, au niveau des professionnels, comme des maîtres d'ouvrage et propriétaires. Ces derniers sont aujourd'hui « poussés au crime » par des démarchages téléphoniques qui les invitent à dégrader leurs logements aux frais de l'État, qui devra ensuite payer aussi les préjudices.
Il est donc temps de se réunir pour produire un diagnostic intelligent, qui tienne compte du magnifique paysage que constitue cette « architecture sans architecte », dont la simplicité et l'authenticité approchaient la perfection, tout en respectant l'écologie. Maisons paysannes continuera à la défendre avec passion.
M. Christophe Blanchard-Dignac, président de la fédération Patrimoine-Environnement. - Comme son nom l'indique, notre fédération cherche à concilier le patrimoine et l'environnement, ce qui fait l'objet de cette audition. Nous vous adresserons dès demain à ce sujet 16 préconisations, issues du travail en commun des 7 grandes associations du patrimoine, de l'association des architectes des bâtiments de France et de l'association des architectes du patrimoine.
Le patrimoine bâti ancien ne se résume pas aux 45 000 monuments historiques, classés ou protégés (auxquels il serait « criminel » d'appliquer le DPE actuel) : il concerne 10 millions de logements en France, qui sont en train d'être sinistrés, car on a procédé à l'envers. Il est extraordinaire que le DPE ait été établi sans même consulter le ministère de la culture, pourtant en charge du patrimoine. Les paysages légués par les générations précédentes, qui font le charme de nos villes moyennes, et permettront la revitalisation des centres-villes, constituent un tel patrimoine, qui a fait la preuve de sa durabilité.
Ce sujet n'est pas technique, mais politique. C'est pourquoi nous vous remercions pour cette audition essentielle. Il faut arrêter ce « train fou » qui entrera dans le mur, et repartir sur de bonnes bases, qui supposent un changement de paradigme. Le bâti ancien requiert une vision globale, comme les architectes ici présents pourront l'expliquer plus savamment que moi. Il faut partir de l'essentiel, pour aller aux outils, et non l'inverse. Le DPE actuel doit donc cesser d'être appliqué au bâti ancien, et être repris sous l'autorité du ministère de la culture, associé bien sûr au ministère de la transition écologique.
On entend souvent dire que la rénovation coûte cher. Si l'on raisonne en termes de bilan écologique, plutôt qu'économique, c'est faux. C'est la rénovation telle qu'elle est réalisée aujourd'hui, à partir de produits industriels, qui constitue une catastrophe écologique. Le « bon plan » environnemental, c'est la rénovation du bâti ancien. Il faut seulement que tout le monde en soit convaincu, et que les diagnostiqueurs, mais aussi les architectes, etc. soient formés à cette fin. J'ai été directeur du budget il y a longtemps. L'argent public est aujourd'hui suffisant. Simplement, il est mal orienté : il encourage ce qui est mauvais, et n'encourage pas ce qui est bon pour la durabilité. Par définition, le bâti ancien dure. Il a même connu plusieurs vies, et nous espérons qu'il en connaîtra d'autres. Si toutefois on l'isole avec du polystyrène par l'extérieur, il ne vivra plus longtemps. L'enjeu est aussi de l'attractivité des territoires, qui constitue une des richesses de la France.
M. Julien Lacaze, président de Sites et monuments. - L'association Sites et monuments a été créée en 1901. Agréée pour la protection de l'environnement, elle est généraliste : elle défend à la fois les paysages, le bâti et le mobilier.
Parmi toutes les menaces que nous rencontrons (la pollution industrielle du paysage par les éoliennes, la dispersion du mobilier, etc.), la plus grave est probablement celle qui touche la rénovation thermique du bâti, car les autres sont réversibles : une éolienne pourra être retirée, le mobilier pourra être regroupé, etc., tandis qu'un bâti mal rénové sera définitivement détruit.
On commence concrètement par retirer sa menuiserie. Nous sommes ainsi en train de perdre nos portes anciennes, qui constituent « l'âme » d'une maison, avec leur diversité régionale. Cela devrait préoccuper tous les ministères. La façade est ensuite noyée, après en avoir supprimé les éléments saillants pour y arrimer des dalles en polystyrène. Enfin, les décors intérieurs sont cachés sous du placoplâtre. Il ne reste finalement rien de patrimonial de cette maison, réduite à un simple gabarit.
Par ailleurs, ces maisons anciennes, ne pouvant pas atteindre les niveaux de performance visés, ne pourront pas être louées et se dégraderont lentement, jusqu'à être détruites par les promoteurs au nom du zéro artificialisation nette, qui demande qu'on reconstruise la ville sur la ville.
L'esprit de système, c'est-à-dire l'idée qu'il faut appliquer un même régime à tous les bâtiments de France, conduit à une nouvelle insalubrité, car les isolations réalisées dans l'urgence font de ces maisons des « cocottes minute ». Lorsque Maisons paysannes de France est consultée, c'est souvent ainsi parce que les maisons ont commencé à dysfonctionner.
Un motif d'espoir vient des réseaux sociaux. En me promenant à Paris, j'ai vu une fenêtre Louis-Philippe abandonnée : j'en ai fait un tweet, qui a rencontré un grand succès. Le grand public est donc sensible à cette question des croisées anciennes. On en trouve d'ailleurs de belles au Sénat.
Le décret en Conseil d'État sur les travaux embarqués, obtenu en 2017 suite à nos travaux, peut aussi rendre optimiste : tous les bâtiments construits en matériaux traditionnels ont été exemptés de l'obligation d'isoler en cas de ravalement important. Ce décret fixe également un critère pour distinguer le bâti ancien du bâti moderne (incluant les bâtiments en béton, ciment, briques industrielles et métal). Le second pourra ainsi se voir appliquer un régime exigeant ; tandis que le premier pourra disposer à la fois d'un diagnostic et d'un régime propres, pour aboutir à des résultats semblables.
Les monuments historiques et les sites protégés doivent ainsi bénéficier d'une autonomie législative : ils doivent être régis par leur propre code, et non par d'autres codes inappropriés, comme cela a été fait dans le cadre de la loi d'accélération des ENR, en renvoyant vers les principes du code de l'énergie d'une manière qui aboutira à la destruction de ce patrimoine.
La notion de « restauration thermique », consistant à remettre les bâtiments dans leur état originel (après généralement de mauvaises rénovations en PVC), doit notamment être appliquée au bâti ancien, plutôt que celle de « rénovation thermique », consistant à casser pour refaire.
L'autonomie législative est compatible avec l'acculturation douce dont parlait le directeur général des patrimoines, c'est-à-dire la prise en compte, par des circulaires, des préoccupations d'autres ministères dans le champ du patrimoine, tout en lui conservant son régime d'autonomie.
M. Christian Laporte, président de l'association des Architectes du patrimoine. - Les architectes sont toujours contents de pouvoir témoigner des difficultés qu'ils rencontrent sur le terrain. Un consensus existe aujourd'hui, on le voit, concernant l'inadaptation du DPE au bâti ancien ou patrimonial, qui doit de fait bénéficier de mesures spécifiques, que je qualifierais pour ma part d'« amélioration énergétique et environnementale », plutôt que de « restauration énergétique ». Le bâti ancien et patrimonial doit même faire l'objet d'une réglementation spécifique, en matière de structure comme de sécurité, sous peine de devoir, comme actuellement, lui appliquer des mesures inadaptées.
Chacun ici convient de la nécessité de l'amélioration énergétique. Seulement, la question de savoir comment l'appliquer au bâti ancien est mal posée, car le bâti patrimonial, par définition durable, est plutôt en lui-même porteur de réponses à cet égard. Il faut absolument sortir de l'idée reçue selon laquelle le bâti patrimonial est une « passoire énergétique ». La plupart du temps, c'est faux, même s'agissant des bâtiments historiques, classés ou inscrits, qui dérogent aujourd'hui au DPE. Malheureusement, leurs propriétaires privés eux aussi nous demandent quand même régulièrement de mise en place du double vitrage dans des menuiseries du XVIIIe siècle ou des châteaux où c'est rigoureusement impossible.
Même dans les monuments historiques, nous sommes soumis à l'obligation de limiter les productions d'énergies émettrices de gaz à effet de serre et de lutter contre le réchauffement climatique. En effet, la sécheresse et la dessiccation des sols engendrent des désordres sur les monuments. L'association mène donc cette réflexion avec le Creba, dont elle est partenaire depuis sa fondation. Malheureusement, il n'est pas suffisamment doté pour porter sur les réseaux des idées en matière d'amélioration énergétique du bâti ancien. Nous participons également à des formations à l'école de Chaillot sur l'amélioration énergétique et environnementale du bâti patrimonial.
Le caractère vertueux de l'intervention sur le bâti ancien est attesté, car elle constitue l'art du geste parcimonieux, sur mesure, et minimaliste. À cet égard, il ne faut pas trop dire non plus que la rénovation ou la transformation du bâti ancien coûte plus cher. Au contraire, une maîtrise d'oeuvre compétente saura cibler les mesures à entreprendre, de manière minimaliste, car l'architecte du patrimoine aime à conserver la matière ancienne.
Nous sommes tous d'accord pour dire qu'il faut un DPE spécifique au bâti ancien, mais, en tant que maîtres d'oeuvre, nous insistons aussi sur la qualité du diagnostiqueur. Le diagnostic énergétique d'un bâti ancien ne peut pas être réalisé par Mon Accompagnateur Rénov'.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Certains pharmaciens se sont même improvisés diagnostiqueurs immobiliers.
M. Christian Laporte. - Une pétition à l'encontre du label Mon Accompagnateur Rénov' a même recueilli 10 000 signatures au sein du Conseil national de l'ordre des architectes, soit la signature d'un tiers des architectes de France. Le problème est en effet que ces diagnostiqueurs ne sont pas formés. Ils doivent connaître le bâti ancien, et pour la plupart être architectes, car même « l'architecture sans architecte » peut avoir besoin de maîtres d'oeuvre. La question de la subvention des honoraires de ces diagnostiqueurs doit aussi être posée, pour que la maîtrise d'oeuvre en matière de réhabilitation ne coûte pas trop cher. De même que des incitations fiscales existent pour ces audits énergétiques, de même, le coût de la maîtrise d'oeuvre hautement spécialisée doit être intégré. Le coût d'un DPE est à l'inverse de 120 euros aujourd'hui : ce n'est pas un outil à la hauteur des enjeux.
En amont de l'école de Chaillot, les écoles d'architecture doivent aujourd'hui proposer des cours sur l'art de la réhabilitation, avec pour objectif principal d'apprendre à utiliser tout le potentiel du bâti ancien.
Par ailleurs, le « temps de retour carbone », c'est-à-dire le temps à partir duquel le bâtiment commencera à générer des économies de gaz à effet de serre par rapport aux émissions rendues nécessaires par son amélioration énergétique, n'est pas encore assez pris en compte, ni mesuré. Or, ce temps peut être long, surtout s'agissant des isolations thermiques par l'extérieur, au regard de l'impact carbone des matériaux alors employés.
Enfin, l'isolation thermique par l'extérieur (ITE), généralement considérée comme la solution la plus performante, est incompatible avec le bâti des sites patrimoniaux remarquables (SPR) et des secteurs sauvegardés. En matière de bâti ancien, elle n'est pas non plus efficace. D'autres moyens d'intervenir doivent donc être trouvés pour lutter contre les gaz à effet de serre, en travaillant notamment sur le chauffage des bâtiments, d'ailleurs très limité s'agissant des monuments historiques.
L'association des architectes du patrimoine souscrit par ailleurs à tout ce qui a déjà été dit au cours de cette table ronde.
M. Raphaël Gastebois, vice-président de l'association Vieilles maisons françaises (VMF). - J'ai moi-même été architecte des bâtiments de France dans un certain nombre de départements.
VMF, créée en 1958 et déclarée d'utilité publique en 1963, n'est pas la plus ancienne association du « G7 patrimoine », mais c'est la plus grande, avec 18 000 membres. Elle bénéficie des agréments ministériels en tant qu'association participant à l'élaboration et à l'analyse de la législation.
Cette association réunit des amateurs du patrimoine, propriétaires ou non, qui s'intéressent au bâti ancien et à la manière de l'habiter et de l'animer. En effet, les 10 millions de logements anciens dont parlait M. Christophe Blanchard-Dignac sont habités, l'habitabilité du bâti ancien constitue une priorité pour les VMF, au même titre que sa transmission. Plusieurs membres ont ainsi rejoint cette association à la suite de leurs parents, qu'ils aient hérité de leur patrimoine, ou simplement apprécié de profiter avec eux des nombreuses visites organisées par les VMF.
Nous avons des délégués dans chaque département, ainsi que des délégués régionaux. Ce réseau privé anime et transmet un patrimoine qui ne pourrait pas être maintenu par la seule puissance publique.
Or, aujourd'hui, les membres des VMF, comme ceux d'autres associations et les propriétaires de bâtiments anciens, ont le sentiment que les diagnostics énergétiques programment leur obsolescence, rendant complexe un entretien autrefois si simple, du fait d'un recours à des techniques, des matériaux et un réseau d'artisans locaux.
Aucun propriétaire de bâti ancien ne pense qu'il doit déroger à la nécessaire lutte contre le réchauffement climatique par l'amélioration thermique. Toutefois, le rythme de cette amélioration pour le bâti ancien n'est pas celui des DPE. Pour être efficace dans le bâti ancien, il est « urgent de ne pas se précipiter ». Tous les travaux réalisés « à la va-vite » et avec des travaux inadaptés peuvent causer des dégradations irréversibles à un bâti qui a pourtant traversé les siècles. Au cours des visites organisées par les VMF, les habitants du bâti ancien témoignent de la possibilité de vivre très confortablement dans une maison dont l'entrée ou la cage d'escalier sont moins chauffées que le séjour, de sorte que rien n'oblige souvent à changer la porte d'entrée ou l'ensemble des fenêtres (qui représentent rarement plus de 15 % du problème dans les bâtiments anciens), quand un simple rideau isolant peut suffire.
De même, comme l'a rappelé M. Christian Laporte, conserver les matériaux anciens n'est pas du fétichisme, mais du développement durable, de la réutilisation, et une vraie conscience de l'environnement. Ainsi, le double ou le triple vitrage, outre qu'ils limitent la ventilation des locaux, nécessitent, pour fabriquer du verre, de consommer des millions de tonnes de sable.
Si une bonne restauration du bâti ancien (qui suppose en effet une approche globale) peut parfois coûter cher, elle limite ensuite le coût de l'entretien. À l'inverse, une remise en état après des opérations mal réalisées, ou avec des matériaux utilisés à mauvais escient, est réellement très onéreuse. Une fenêtre ancienne peut être restaurée. Mais remplacer une fenêtre en PVC (qui pourra avoir créé des problèmes de mérule dans le bâtiment) par une fenêtre ancienne coûtera beaucoup plus cher.
Les VMF proposent ainsi d'aider les gens à habiter dans l'ancien sans passer par des mesures contre-productives. Les opérations de rénovation de l'habitat ne sont pas l'apanage des promoteurs, et ne se limitent pas aux opérations de type « Malraux patrimoine », dont les travaux ne sont pas toujours judicieux, y compris en matière de politique du logement.
C'est pourquoi nous sommes partie prenante du texte qui vous sera transmis, et qui résulte d'un consensus entre les associations qui travaillent sur le patrimoine et les architectes. Un sénateur nous disait tout à l'heure que nous étions moins efficaces en lobbying que les médecins ou les pharmaciens, mais nous allons devoir progresser, car l'heure est grave.
M. Marc Louail, architecte des bâtiments de France, représentant l'Association nationale des architectes des bâtiments de France. - L'association nationale s'est saisie du sujet de la rénovation thermique du bâti ancien en participant à différents ateliers, notamment avec les organismes certificateurs et les bureaux d'études thermiques chargés des labellisations bâtiment basse consommation (BBC), etc.
La performance énergétique d'un bâtiment résulte d'un « cocktail » complexe, incluant la production de chaleur, le confort thermique d'été, l'enveloppe, la manière dont elle a été construite, les matériaux utilisés et l'énergie requise pour les amener, l'usage, etc. Le DPE a été conçu pour simplifier cette situation, afin de proposer des réponses directement vérifiables et adaptées à la très grande majorité des constructions. Vertueux et pertinent au sein d'un champ ainsi limité, le problème est qu'il est aussi utilisé hors de ce champ.
En premier lieu, il inclut une complexité qui n'est pas toujours maîtrisée par les diagnostiqueurs. Par exemple, le DPE autorise parfaitement le recours à des doubles-fenêtres, qui ne sont cependant jamais proposées. Par ailleurs, les matériaux standardisés et industriels tendent à être privilégiés par rapport à d'autres, tout aussi efficaces, mais moins connus. Une bonne partie de notre travail en rendez-vous consiste ainsi souvent à expliquer que le DPE peut parfaitement être réinterrogé. Il peut être pertinent pour programmer par étapes par exemple des travaux d'isolation des combles, mais peut devenir très invasif dans le cadre de programmations plus ambitieuses, visant des performances réellement élevées.
MaPrimeRénov' et Mon Accompagnement Rénov' conduisent alors à une manière de programmer des travaux qui, non seulement ne répond pas à une approche globale, mais aussi ne leur laisse pas le temps de se réaliser correctement. Les bailleurs sociaux doivent ainsi produire des travaux sur deux à trois ans pour qu'ils soient financés, alors qu'ils rencontrent des problèmes de « logements tiroirs », etc. Les architectes ont au contraire vocation à prendre en compte toutes ces thématiques pour amener de l'intelligence et de l'ingénierie, ce qui prend un temps que le DPE ne laisse pas.
L'Association nationale des architectes des bâtiments de France rejoint ainsi l'ensemble des intervenants précédents pour demander que le temps soit pris pour faire évoluer le DPE afin qu'il soit davantage caractérisé sur le bâti ancien ; pour former aussi les diagnostiqueurs à l'ensemble des composantes du DPE, qui est très riche, mais mal utilisé ; et pour que nous puissions, grâce aux partenariats évoqués par Mme Gatel et M. Arhant, structurer, à l'échelle des territoires, des réseaux d'acteurs aptes à déconstruire les approches parfois trop dogmatiques du DPE.
M. Gabriel de Beauregard, architecte des bâtiments de France, représentant l'Association nationale des architectes des bâtiments de France. - Pourquoi le DPE n'est-il pas adapté au bâti ancien ? J'ai contacté à ce sujet la semaine dernière l'un des trois éditeurs nationaux de logiciels de DPE, qui participe depuis les années 1980 à de nombreux groupes de travail sur la question, et qui constate lui aussi que le calcul actuel de l'inertie dans le DPE n'est pas adapté au bâti ancien. Jusqu'en 2016, l'inertie des maçonneries de pierre n'était pas calculée, car ce calcul était jugé trop complexe. En 2021, un algorithme a été fourni aux éditeurs, mais ils ne savent pas le justifier. Par exemple, pour parvenir avec une maçonnerie de pierres à la performance demandée par la RE2020 pour une cloison de 30 à 40 centimètres, l'algorithme conclut qu'il faudrait des murs de 4 à 6 mètres d'épaisseur. Un problème de calcul est donc manifeste. Ainsi, le bâtiment dans lequel nous nous trouvons n'est pas parfait, mais il assure un confort d'été, ce qui constitue avec le réchauffement climatique l'un des grands enjeux de demain. Dans ce domaine, le plus souvent, l'architecture patrimoniale est extrêmement performante, mais ces performances sont mal calculées par le logiciel.
En revanche, il s'avère que les enduits correcteurs, comme les enduits chaux-chanvre, sont plutôt bien pris en compte dans le calcul du DPE, ce qui constitue une excellente nouvelle. Le diagnostic tient ainsi compte de l'apport en inertie de ces enduits sur des maçonneries de 30 à 40 centimètres. Des leviers existent donc, sur lesquels il faut agir.
La présence de l'eau dans les maçonneries anciennes est un autre sujet très important. Elle dissout les mortiers, mais dégrade aussi les pierres tendres (de schiste, de calcaire, etc.), ce qui dégrade à moyen terme l'ensemble du bâti ancien. C'est pourquoi la respiration des murs est extrêmement importante. Or, c'est précisément ce qu'empêchent les ITE, mais aussi les isolations par l'intérieur (ITI). Seuls des enduits à la terre ou à la chaux permettent cette respiration qui évacue l'eau. Ce faisant, ils prolongent la durée de vie des bâtiments et rendent ainsi possible un retour carbone sur les rénovations. Enfin, ils participent à la valorisation du patrimoine et à l'attractivité du cadre de vie et des territoires, en alimentant les filières artisanales, culturelles et touristiques.
Les enduits à la chaux constituent également des rénovations thermiques, car l'eau est conductrice. Ainsi, vider une maçonnerie de son eau la rend plus performante, ce qui n'est pas nécessairement très coûteux. C'est pourquoi on se brûle en sortant un plat chaud avec un torchon humide, tandis qu'on ne se brûle pas avec un torchon sec.
Privilégier ainsi la réparation à la rénovation constitue la première des sobriétés. 1 kilogramme de matériau mis en oeuvre sur un chantier suppose la consommation de 40 kilogrammes de matière première.
Par ailleurs, il n'y a pas de patrimoine sans artisan. Ce ne sont pas les architectes, ni les associations, qui pourront restaurer un patrimoine, mais bien les artisans. Or, la France a la chance de disposer encore de très grandes filières d'artisans, dont les petites entreprises constituent un patrimoine immatériel très important. Toutefois, la massification de la rénovation thermique peut « écraser » cette filière et la faire disparaître définitivement. Il s'agit donc aussi de sauvegarder cette filière, et l'économie qui l'entoure, et inclut les filières courtes de la pierre, du bois, du sable, etc.
Enfin, de nombreux villages et territoires ruraux sont aujourd'hui attractifs, non seulement pour le tourisme, mais aussi pour l'habitation. Depuis la crise sanitaire notamment, de nombreuses personnes se sont installées dans les villages, parce qu'on s'y sent bien. Le cadre de vie, qui nous touche au quotidien, fait ainsi partie du patrimoine. Il permet le maintien et le renouvellement d'une population en milieu rural. Le télétravail constitue à cet égard un nouveau paradigme pour éviter l'étalement urbain dans les villes.
Sans nous concerter, nous sommes parvenus avec le directeur du patrimoine aux mêmes conclusions. Trois objectifs, qu'il a très bien formulés, peuvent être fixés :
- mieux adapter le DPE, grâce à un algorithme qui prenne en compte les maçonneries anciennes ;
- mieux prendre en compte l'équilibre hydrique des bâtiments, en identifiant par exemple le remplacement d'un enduit au ciment par un enduit à la chaux comme une rénovation thermique (donnant donc droit à la déduction d'une TVA à 5,5 %) ;
- travailler à un socle commun de formation des diagnostiqueurs.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci à tous pour ces interventions très intéressantes. Nous en tiendrons compte pour établir des préconisations à l'issue de notre rapport. Merci également pour la passion que vous mettez à préserver notre bâti patrimonial.
- Présidence de Mme Sabine Drexler, vice-présidente -
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Merci pour vos interventions, riches et complémentaires. Le message a été bien reçu. Nous avions identifié, lorsque nous avons décidé de mettre en oeuvre cette commission d'enquête sur les enjeux de la rénovation thermique, qu'ils ne se limitaient pas à l'écologie : ils sont sociaux, sanitaires, de patrimoine et de qualité de vie.
La dégradation du patrimoine ancien ne date cependant pas de la rénovation thermique, même si les dispositifs mis en place pourraient l'accélérer. Certains enduits sont aussi enlevés pour rendre apparentes des pierres qui ne sont pas faites pour cela, avec des conséquences également dramatiques.
Étant moi aussi architecte, je mesure l'importance de la formation des architectes à l'appréhension du patrimoine. La commission d'enquête a beaucoup travaillé sur la manière de réutiliser des matériaux biosourcés et de remettre en place des filières locales, ce qui passe aussi par la formation. L'école d'architecture de Grenoble s'est associée à cet égard avec des ingénieurs et des artisans, afin d'identifier les meilleures solutions et les innovations. La commission a aussi pu visiter les grands ateliers de L'Isle-d'Abeau.
M. Gabriel de Beauregard vient d'expliquer comment le DPE pouvait être adapté au bâtiment ancien, pour mieux prendre en compte ses différents types de matériaux. Pensez-vous donc que ce type de démarche doit être maintenue, en l'adaptant et en formant mieux les diagnostiqueurs, ou qu'au contraire il faut revenir à des audits énergétiques beaucoup plus approfondis, afin de définir avec une maîtrise d'oeuvre les travaux à mener pour améliorer les conditions thermiques du bâtiment ? En tout état de cause, les bâtiments anciens ne pourront jamais atteindre les performances visées par les critères actuels du DPE.
M. Gabriel de Beauregard. - Un travail commun sur une démarche « habiter l'ancien en Alsace » a été réalisé par le Cerema, la Dreal et la Drac Franche-Comté-Bourgogne, en adaptant au DPE actuel un « diagramme radar » qui reprenait comme critères pour choisir une rénovation le gain énergétique, le patrimoine et l'architecture, l'absence de risque lié à l'humidité dans les structures, l'élimination de l'effet de paroi froide et le confort d'été. Le DPE a ainsi pu être orienté vers une approche patrimoniale, donc plus sobre et plus respectueuse des structures des équilibres.
Le DPE doit aussi être mieux calculé, afin de prendre en compte plusieurs critères, comme la pérennité des structures, mais aussi la valorisation du patrimoine architectural. M. Gilles Alglave parlait de l'étude Vatan, menée en 2011 par le ministère de la transition écologique. Elle a permis d'accumuler beaucoup de données scientifiques sur les structures anciennes, qui permettraient d'aller en ce sens. De même, le Cerema pilote actuellement le projet Sereine, d'instrumentalisation du bâti ancien pour créer de la donnée. 250 bâtiments anciens sont ainsi instrumentalisés dans le Grand-Ouest.
M. Gilles Alglave. - Le nouveau DPE ne tient pas non plus assez compte de l'usage des bâtiments par les habitants. Dans la catégorie des bâtiments patrimoniaux et anciens, qui sont souvent de grandes surfaces, le fait de tout calculer en fonction du nombre de mètres carrés habitables n'a pas de sens. Dans une grande maison, la température n'est pas partout la même : les « zones tampons », les dépendances, etc. ne sont pas prises en compte dans le DPE. Je vis toute l'année dans une maison ancienne, et c'est un véritable bonheur. Je suis donc agacé d'entendre que je vis dans une « passoire thermique ».
Les anciens étaient beaucoup plus pragmatiques. Au contraire, plus les bâtiments seront automatisés, en substituant par la domotique l'intelligence artificielle à l'intelligence humaine, plus les usagers seront déresponsabilisés. Les mécanismes (comme les volets roulants, etc.) rendent la manière de vivre sa maison plus passive.
Le diagnostic actuel n'est pas du tout adapté au bâti ancien. On peut certes estimer que l'urgence exclut cette adaptation. Cependant, tous les scientifiques s'accordent sur sa nécessité. Le bâti ancien est dynamique, alors que les moteurs de calcul actuels sont statiques.
Des logiciels dynamiques existent cependant, mais ils sont très peu utilisés, car ils nécessitent, pour entrer les données, de prendre un temps (avec des mesures sur l'année, etc.) dont les diagnostiqueurs actuels ne disposent pas, au tarif où ils sont payés.
Il reste aussi possible d'améliorer le logiciel par petites touches, par exemple en y intégrant la mention d'enduits susceptibles d'atténuer l'effet de paroi froide.
M. Gabriel de Beauregard. - Cela existe déjà.
M. Gilles Alglave. - Le problème est que les diagnostiqueurs doivent y être formés. J'en ai vu chercher de l'amiante dans des plafonds en terre à la bourre animale. C'est dire l'ignorance qu'ils peuvent avoir du bâti ancien.
M. Jacky Cruchon. - Le caractère statique du DPE actuel le rend par exemple incapable de prévoir correctement l'inconfort d'été. Il est pourtant crucial de savoir choisir les bons matériaux à cet égard, dans un contexte de multiplication des canicules.
Aucun des plans de sauvegarde ou de valorisation du patrimoine dont disposent les Sites et patrimoines remarquables ne repose sur une étude spécifique du bâti du territoire. Chaque collectivité territoriale devrait pourtant connaître les besoins de son bâti patrimonial, afin de pouvoir y adapter la réglementation, mais aussi leurs incitations financières et celles de l'Anah. En effet, les délégations locales qui attribuent les subventions méconnaissent souvent ces besoins. Le critère unique de la réduction énergétique (dont la nécessité n'est pas en cause) peut ainsi avoir des effets pervers. Dans le sud de la France, certaines collectivités nous indiquent que l'Anah ne peut pas subventionner certaines opérations de restauration d'immeubles (qui permettraient pourtant la production de logements, y compris à loyer modéré, dans les coeurs de ville), parce qu'ils sont classés D et que le gain de 35 % alors exigé par l'Anah n'est pas atteignable. Une approche environnementale est donc nécessaire, mais qui prenne aussi en compte la culture, le social et l'économie.
Nous sommes favorables à un DPE bâti ancien. Aujourd'hui, on subventionne sans réfléchir, par exemple des pompes à chaleur parce qu'elles suffisent à atteindre un bon DPE. De même, on sait financer des fenêtres, une isolation des combles, etc., mais on ne sait pas financer un projet global, supposant des travaux programmés dans le temps.
M. Guirec Arhant. - Derrière la vertu, il y a parfois une part de vice. Il est urgent que les nouveaux outils soient réajustés, car leurs conséquences sont aujourd'hui visibles sur la qualité architecturale, le bien-être en ville, etc., mais aussi sur l'offre de logements, qui tend dangereusement à se tarir. Dans un certain nombre de domaines, notamment chez les bailleurs sociaux, il n'y a ainsi plus de production de logements neufs, alors qu'il n'y a plus d'offre locative non plus. Le parcours résidentiel est ainsi totalement rompu, du moins sur mon territoire (qui n'est pourtant pas considéré en « zone tendue »). Sur le terrain, certains propriétaires me disent qu'ils ne continueront pas à louer leurs logements, car leurs DPE sont catastrophiques et ils n'ont pas de solution pour atteindre les objectifs qui leur sont fixés.
Le problème ne tient pas à un manque de fonds publics : ils sont en l'occurrence disponibles, mais ils sont mal utilisés.
Je suis, comme d'autres élus, en train d'élaborer un PLUi-H qui tienne compte du ZAN. S'il est souhaitable de renoncer au modèle pavillonnaire, encore ne faut-il pas que d'autres contraintes empêchent aussi de reconstruire la ville sur la ville.
M. Christophe Blanchard-Dignac. - En principe, il faudrait pouvoir faire évoluer le DPE, mais l'enjeu n'est plus celui-là aujourd'hui. Il est désormais d'« arrêter la machine infernale », qui, en qualifiant de « passoires thermiques » un nombre toujours croissant de bâtiments anciens, les rend inlouables et invendables.
Le problème est que cet outil n'a pas été conçu à partir d'une vision globale.
Par ailleurs, le patrimoine et les artisans font face à une économie industrielle du « prêt à isoler » et de la rénovation forcée qui est en place, s'appuie sur des subventions abondantes, et démarche des propriétaires désemparés.
Le moment est donc venu d'intervenir politiquement pour marquer un coup d'arrêt, et éviter un désastre programmé.
Mme Sabine Drexler, présidente. - C'est vraiment le sens de cette commission d'enquête.
Mme Françoise Gatel. - Nous avons eu cet après-midi un discours de vérité, qui n'a aucune hostilité à l'égard des objectifs de développement durable. En France, sans doute par tradition cartésienne, nous avons mis cette exigence sous forme de normes, définissant ainsi comme « passoire thermique » tout bâtiment dont le résultat serait inférieur à une performance. Ce modèle ne peut pas s'adapter aux organismes vivants que constituent les bâtis anciens, dont la performance énergétique l'été est remarquable. Habitant moi-même dans une maison ancienne, j'en occupe certaines pièces en été, et jamais en hiver.
J'entends avec plaisir la réflexion du rapporteur sur la nécessité de transformer le DPE. Toutefois, un modèle assis sur la norme ne pourra pas être transformé en un modèle réellement performant pour atteindre les objectifs visés. Nous n'avons plus non plus le temps de convaincre de la nécessité de transformer le DPE.
Je serais donc plutôt favorable à un moratoire sur le bâti d'avant 1948, afin de prendre le temps de réfléchir. Certains des opérateurs de DPE ne connaissent pas la particularité du bâti ancien et son intelligence de performance thermique propre.
M. Guirec Arhant est maire d'une ville épiscopale, de 2 500 habitants, qui s'engage avec son agglomération pour faire revenir des habitants dans le centre-ville. Si les logements anciens y restent inhabités, ce sont aussi les commerces de centre-ville, et la vitalité même des communes, qui disparaîtront. Ce sont aussi des millions de personnes que l'on ne saura pas reloger.
Il faut donc accepter de ne pas pouvoir attendre la même performance énergétique d'un bâtiment des années 1980 et d'un bâtiment ancien, où l'on ne vit cependant pas de la même manière : on n'y sera jamais en T-shirt un 24 décembre. Il en va vraiment de la qualité du bâti, de l'aménagement du territoire et de la capacité à loger les gens dans les centres-villes.
Tâchons donc de raisonner en écosystèmes, et donnons-nous le temps d'un moratoire, pour construire des outils adéquats avec les « hommes de l'oeuvre », qui savent par exemple qu'installer du PVC dans un bâti ancien le détruit.
M. Franck Montaugé. - Cette proposition d'un moratoire devra être bien argumentée pour être comprise par tous.
La notion de « temps de retour carbone » renvoie à une méthode d'évaluation dite « analyse en cycle de vie », qui examine rétrospectivement le fonctionnement d'un bâtiment et de ses matériaux. Il serait intéressant de comparer les résultats ainsi obtenus sur du bâti ancien ou patrimonial, et sur du patrimoine contemporain. Cela pourrait servir à valoriser le bâti ancien, et notamment ses caractéristiques de durabilité. Peut-être certains cabinets ont-ils déjà fait cet exercice.
Je m'interroge également sur la prise en compte de la notion de valeur patrimoniale au regard de la question des émissions carbone. S'il était établi que le bilan carbone du bâti ancien est supérieur à celui du bâti contemporain, ne faudrait-il pas, au nom du bien commun (patrimonial, historique et architectural) créer, comme pour les émissions de CO2 par les entreprises, un marché permettant de compenser ce bilan carbone excédentaire ? Cela aurait aussi pour mérite de mettre en avant ce bien commun auprès des Français, qui l'ont en partage au sein de la République, même s'ils n'en sont pas directement les utilisateurs.
M. Julien Lacaze. - Le DPE sur facture, dont on s'est beaucoup moqué, était en fait assez intelligent et subtil, puisqu'il tenait compte de l'usage. C'est donc peut-être une des meilleures manières d'appréhender le bâti ancien, dont on n'occupe pas toutes les pièces.
Dans le cadre d'un moratoire, on pourrait ainsi rétablir cette méthode sur facture, le temps d'avoir modélisé de manière plus approfondie le fonctionnement du bâti ancien. Cela éviterait de ne rien faire durant cette période, même si certains DPE resteraient vierges, faute de facture disponible.
M. Raphaël Gastebois. - Le problème est qu'aujourd'hui le bâti ancien est frappé d'indignité, ce qui constitue une escroquerie intellectuelle. À cet égard, une rupture serait nécessaire pour retrouver une forme de confiance, ce que pourrait apporter un moratoire.
En effet, il nous paraît aujourd'hui inconcevable de discuter avec des personnes qui, en habits verts, sont exactement les mêmes que ceux qui, dans les années 1930, voulaient tout raser au nom de l'hygiénisme, ou qui, établissant des plans de résorption de l'habitat insalubre, disaient à l'époque du Carré Beaubourg que tout quartier comprenant 10 % de logements insalubres devait être rasé intégralement.
Il faudrait plutôt retrouver l'élan des secteurs sauvegardés. Les plans de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV) ont constitué une vraie action forte pour mettre en place, de manière fine et globale, bâtiment par bâtiment, un diagnostic précis et des réponses adaptées aux besoins de logement et d'urbanisme.
Une mesure culturelle et patrimoniale forte doit de même être trouvée aujourd'hui pour rompre avec une réponse inadaptée. S'agissant du bâti d'avant 1948, l'amélioration supposerait ainsi de repartir d'une page blanche.
M. Christian Laporte. - Je souscris à ce qui vient d'être dit. Le DPE n'ayant pas été conçu en fonction du bâti ancien, mieux vaut repartir d'une page blanche que chercher à l'améliorer. Il est urgent de prendre le temps. Des outils appropriés au bâti ancien peuvent être trouvés. La consommation sur facture pourrait être l'un d'eux.
L'expression même de « diagnostic de performance énergétique », appliquée au bâti ancien, constitue déjà un « pied de nez ». Nous réfléchissons pour notre part depuis des années à « l'amélioration énergétique » de tous les bâtis. De même que l'on part, pour les monuments, de véritables diagnostics, de même, pour le bâti patrimonial, il faudrait pouvoir poser un diagnostic énergétique d'usage incontestable et légitime, auquel il faudrait trouver un autre nom, et qui soit utilisable par les usagers, locataires comme propriétaires.
Le patrimoine est l'un des aspects les plus appréciés de la France. Il ne faudrait pas, sous la pression des lobbys, tomber dans le piège de sa stigmatisation.
Un moratoire à l'application du DPE au bâti d'avant 1948 doit donc s'appliquer dès demain. Les arguments en sa faveur seront faciles à trouver, car la durabilité d'un bâti ancien n'est plus à démontrer : il est là depuis des siècles, alors que les bâtiments modernes n'obéissent qu'à une garantie décennale.
M. Gabriel de Beauregard. - L'éditeur de logiciel que j'ai contacté m'a lui aussi dit que, pour trouver une mesure la plus juste possible pour le bâti ancien, il faudrait revenir à la mesure sur facture. Elle aurait l'avantage d'inciter à faire des économies, non seulement sur les systèmes, mais aussi sur les écogestes, qui sont extrêmement importants dans le bâti ancien.
Des outils de gestion thermique existent déjà dans le domaine du patrimoine. L'ABF d'Angers a ainsi réalisé, avec un thermicien d'Architectes du patrimoine, 10 études de cas thermiques à l'échelle des 200 hectares du centre-ville d'Angers, conduisant à 10 préconisations d'amélioration (selon 3 axes d'action sur l'architecture, sur les systèmes et sur les écogestes, avec un principe de chiffrage des émissions de gaz à effet de serre), qui ont été déclinées dans le document d'urbanisme. Cette étude n'a coûté que 45 000 euros, qui étaient financés à 50 % par l'État. Elle a été menée avec l'aide des services de différents ministères, de l'Anah, etc.
Mme Sabine Drexler, présidente. - Pensez-vous qu'il faudrait étendre aux communes de plus de 20 000 habitants ou aux travaux réalisés en intérieur le champ d'application du label de la Fondation du patrimoine, qui est aujourd'hui décerné aux propriétaires de bâtiments patrimoniaux non protégés dans les communes rurales et les communes de moins de 20 000 habitants, et qui ouvre droit à une déduction fiscale à hauteur de 50 % du coût des travaux s'agissant des opérations restituant l'authenticité architecturale d'une bâtisse visible depuis la voie publique ?
M. Jean-François Hebert. - Le ministère de la culture soutient cette demande de la Fondation du patrimoine. Il serait notamment intéressant que les travaux réalisés à l'intérieur (pour l'isolation des combles, ou des façades internes) soient pris en compte.
Mme Sabine Drexler, présidente. - Cela permettrait d'épargner les façades extérieures.
M. Julien Lacaze. - Cela permettrait aussi de préserver les décors intérieurs, car la Fondation du patrimoine octroierait cette subvention à des isolations respectueuses de ces décors, dans une logique proche de celle des PSMV. Le patrimoine ne se résume pas seulement à la façade. Il inclut également l'intérieur.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Le travail considérable qui a été engagé, au-delà du seul bâti d'avant 1948, n'est pas hygiéniste, mais traite un véritable enjeu sanitaire et environnemental, certaines familles vivant dans des situations où elles n'ont plus les moyens de payer leurs factures de chauffage.
Pour le bâti ancien, des solutions plus « sur mesure » doivent être trouvées. Nous réfléchissons également à la manière de tirer parti des spécificités locales, en s'appuyant sur les collectivités locales. Des plateformes de rénovation thermique existent déjà dans de nombreuses intercommunalités, mais il faudrait que chacune d'elles en ait au moins une, qui prévoie de l'ingénierie et surtout un accompagnement humain. Ces solutions locales présentent l'avantage d'être davantage adaptées aux spécificités locales du bâti.
J'ai participé récemment à une opération de rénovation d'un centre-ville ancien, dans une petite ville classique. 20 % des logements n'étaient pas occupés, souvent parce qu'ils n'avaient pas été rénovés, et le reste des logements étaient classés en passoires thermiques. Or, les travaux étaient à l'évidence difficiles à mener. L'isolation par l'extérieur était exclue. Il n'était guère possible d'agir que sur les menuiseries, les combles, la ventilation et le chauffage. Dans ce type de situations, sans espérer des performances exceptionnelles, un travail par quartier semble pertinent pour améliorer à la fois l'aspect et le confort thermique des bâtiments, afin de les rendre utilisables. Des exonérations doivent alors être trouvées à l'échelle locale.
M. Gilles Alglave. - Maisons paysannes a signé une convention avec la région Hauts-de-France, qui a mis en oeuvre une dynamique pour que soit pris en compte le patrimoine rural (habitable ou non, en incluant les dépendances, etc.) dans les 5 départements. Chaque année, des lignes budgétaires importantes sont attribuées à des propriétaires privés ou publics, pour les inciter à restaurer sous la supervision de Maisons paysannes, qui instruit les dossiers et rend son avis sur les devis. Cela lui permet d'entrer en contact avec des entreprises, pour éventuellement les accompagner vers des programmes de travaux auxquelles elles n'auraient pas pensé. Les propriétaires bénéficient ainsi finalement d'aides et du label de la Fondation du patrimoine.
Les collectivités territoriales ont ainsi un rôle très important à jouer pour financer cette Fondation très efficace. Elles ont compris que le patrimoine ne relevait pas seulement de la nostalgie, mais qu'il était porteur d'activité économique, d'attractivité, d'insertion et de métiers qui méritent d'être mis en valeur. Un baccalauréat « restauration du bâti ancien », auquel Maisons paysannes avait contribué, existe depuis 2006. Toutefois, seuls 27 établissements en France (3 % des établissements) proposent une terminale préparant à ce type de baccalauréat. Cela montre bien le problème français vis-à-vis du travail manuel. Les métiers du BTP constituent des métiers de relégation pour la plupart des jeunes. Toutefois, les métiers d'autrefois que nous mettons en avant sont des métiers d'experts, qui sont d'ailleurs devenus dans le vocabulaire des métiers « d'art », tandis que les métiers d'aujourd'hui (« façadier », « fenêtrier », etc.) ne sont pas des métiers : les fenêtriers se contentent de poser des fenêtres, souvent très mal.
La plupart des élus ignorent également qu'ils peuvent créer des offices publics de l'habitat avec des volets patrimoine. La communauté de communes de Picardie dispose d'un tel OPH avec un volet patrimoine, ce qui nous permet d'éduquer les habitants à mieux considérer le bâti traditionnel en terre et en bois, jusque-là réputés constituer un matériau « de pauvre », et peu solide.
Des synergies peuvent aussi être trouvées avec les conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE), qui proposent du conseil journalier auprès des communes, mais aussi des jeunes scolaires, etc., et sont présents sur tout le territoire.
L'urgence environnementale dans laquelle nous sommes peut ainsi constituer une opportunité pour créer des dynamiques vertueuses. Pour l'instant, elle a plutôt créé des effets pervers imprévus.
M. Julien Lacaze. - S'appuyer sur les collectivités est intéressant, car elles auront généralement à coeur de protéger le patrimoine dont elles ont la responsabilité. Un PLU et surtout un « site patrimonial remarquable » peuvent être très utiles pour protéger finement le patrimoine, en empêchant l'isolation vers l'extérieur, voire en repérant les dernières portes anciennes à protéger dans le PLU.
Mme Sabine Drexler, présidente. - À cet égard, le bâti de nos petits villages et hameaux n'est souvent pas protégé. Ne faudrait-il pas en rendre l'identification obligatoire, afin qu'il soit suivi, et qu'une intervention soit possible en cas de publication d'un permis de démolir ?
Jean-François Hebert. - Le PLU rend obligatoire la protection de l'environnement, mais pas celle du patrimoine. Cependant, les élus peuvent déjà, s'ils le souhaitent, inclure au PLU une protection particulière du patrimoine. Simplement, ils ne se saisissent pas suffisamment de cette opportunité, qui n'est peut-être pas suffisamment connue.
Une modification législative pourrait également rendre obligatoire la prise en compte du patrimoine. Le ministère de la culture y réfléchit.
Mme Sabine Drexler, présidente. - L'État pourrait aussi inciter à identifier le patrimoine à protéger.
M. Julien Lacaze. - L'inventaire général du patrimoine qui concerne les richesses artistiques de la France, qu'on appelle aussi l'inventaire Malraux, est presque le seul sujet patrimonial à avoir été décentralisé. Malheureusement, les régions ne pensent jamais à inventorier les portes ou les croisées anciennes, qui sont en train de disparaître, avec toutes leurs spécificités régionales : ils travaillent sur l'architecture influencée par l'Orient, sur les oeuvres des architectes femmes, etc., autant de thèmes très intéressants, mais qui ne présentent pas d'urgence particulière. Or, l'État ne semble pas avoir les moyens d'orienter la politique de l'inventaire.
Un membre du jury de notre prix du second oeuvre, Arnaud Tiercelin, doit ainsi prendre sur ses week-ends pour faire des relevés des croisées du XVIIe et du XVIIIe siècle, qui sont en train de disparaître.
Il faudrait au moins que les ABF puissent conserver des modèles des dernières portes anciennes, afin de pouvoir les recréer à l'avenir, en remplacement des blocs-portes en PVC actuels.
Jean-François Hebert. - Cette compétence a en effet été transférée aux régions. C'est donc aux élus qu'il faut s'adresser.
M. Julien Lacaze. - Il est impossible de s'adresser à chaque région une par une.
M. Christophe Blanchard-Dignac. - Pour les élections présidentielles, nous avions préparé un « manifeste pour la protection du patrimoine », qui évoquait cette question d'inventaire. Il demandait également l'inscription dans la constitution de la défense du patrimoine, qui constitue en effet un bien commun. Un « référé protection du patrimoine » devrait aussi pouvoir être produit pour éviter qu'une maison non protégée soit détruite sans qu'on ait le temps de réagir. Malheureusement, de nombreuses dispositions ont plutôt été dans le sens d'une moindre protection juridique du patrimoine ces dernières années.
Ce patrimoine constitue l'attractivité de notre territoire, mais aussi les logements de demain. Nos centres-villes sont en passe de devenir des musées sans visiteurs. Le patrimoine ancien non protégé représente 10 millions de logements. Pour avoir travaillé au ministère des finances, je sais faire des calculs, et je peux aussi assurer que ce patrimoine ancien constitue un investissement très rentable pour l'environnement, car il est durable.
M. Gilles Alglave. - Plutôt que de laisser aux collectivités la liberté de réaliser l'inventaire des bâtiments patrimoniaux remarquables dans le cadre des PLUi, il faudrait le rendre obligatoire. Dans certains cas, les élus ne disposent pas de la culture suffisante pour faire de cet inventaire une priorité. Or, une fois les décisions prises dans le PLU, qui est lui aussi opposable, il n'est plus possible d'agir. Si les bonnes décisions sont prises, il sera à l'inverse possible de s'opposer aux destructions, de mettre en place une synergie, un accompagnement, etc. Là aussi, les politiques peuvent faire évoluer cet outil pour le rendre beaucoup plus efficace.
De même, un volet patrimoine pourrait être rendu obligatoire pour les OPH de tous les territoires ruraux, afin qu'ils travaillent avec un cahier des charges plus exigeant concernant le patrimoine.
Mme Sabine Drexler, présidente. - Merci pour ces échanges passionnants.
Audition des
acteurs de la rénovation du parc privé et des
copropriétés
(Mardi 6 juin 2023)
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous poursuivons nos travaux par une table ronde consacrée à la rénovation du parc privé et des copropriétés, organisée autour d'acteurs de l'immobilier.
L'Union nationale des propriétaires immobiliers (UNPI), association qui assure la défense des intérêts des propriétaires privés, est représentée par M. Alexis Lagarde, président de l'UNPI Pays de la Loire.
La Fédération nationale de l'immobilier (Fnaim) est représentée par M. Loïc Cantin, son président, ainsi que Mme Bénédicte Rouault, chef de cabinet, qui nous rejoindront plus tard.
L'association Plurience, qui regroupe des professionnels de l'immobilier, est représentée par M. Étienne Dequirez, son président, et par M. Pierre Hautus, son délégué général.
L'Union des syndicats de l'immobilier (Unis) est représentée par M. Olivier Safar, son président adjoint et président de l'Unis Grand Paris.
Nous recevons également M. Gilles Frémont, président de l'Association nationale des gestionnaires de copropriétés (ANGC), qui représente les intérêts des gestionnaires, des comptables et des assistants de copropriétés.
Le réseau d'agences immobilières en franchise Guy Hoquet l'immobilier est représenté par Mme Delphine Herman, directrice des relations extérieures.
Nous accueillons aussi Mme Laurence Batlle, présidente de l'entreprise de gestion immobilière Foncia ADB.
Le groupe Nexity est représenté par Mme Karine Olivier, directrice du pôle services aux particuliers, et Mme Florence Rognard, responsable des affaires publiques.
Enfin, la Fédération des promoteurs immobiliers de France (FPI) est représentée par M. Pierre Vital, président de la FPI Nouvelle-Aquitaine et de la commission FPI France « Réhabilitation-extension-rénovation », ainsi que par M. Frank Hovorka, directeur technique et innovation et par Mme Anne Peyricot, directrice relations institutionnelles.
Mesdames, Messieurs, en tant que représentants d'agences immobilières, de promoteurs ou d'administrateurs de biens, vous incarnez la diversité des métiers de l'immobilier. Alors que nous arrivons au terme de nos auditions sur la rénovation énergétique des bâtiments, il nous a paru nécessaire d'associer les acteurs de la filière de l'immobilier, qui participent à la rénovation énergétique des logements.
Pour votre secteur, les politiques publiques d'accélération de la rénovation énergétique sont d'abord génératrices de contraintes. Ainsi, j'aimerais vous entendre sur les conséquences pour le marché de l'immobilier du calendrier de mise en place de la loi de 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite Climat et résilience, qui prévoit une interdiction progressive des passoires énergétiques.
J'aimerais également connaître votre vision quant à d'éventuelles nouvelles obligations qui pourraient peser sur votre secteur. Certains acteurs proposent par exemple une obligation de rénovation lorsque les biens sont vendus. Le marché de l'immobilier est-il en mesure de faire face à de nouvelles contraintes de ce type ?
Au-delà des enjeux relatifs au marché de l'immobilier, cette audition doit nous permettre d'identifier les freins spécifiques à la rénovation énergétique des logements en copropriétés. Nous avons auditionné des représentants de l'Observatoire national de la rénovation énergétique (ONRE), qui ont évoqué un retard des logements collectifs dans la rénovation énergétique des bâtiments, malgré des dispositifs d'aides spécifiques tels que MaPrimeRénov' Copropriétés ou l'éco-prêt à taux zéro (éco-PTZ) copropriétés. Nous constatons aussi l'existence de ce phénomène sur nos territoires. Quels sont les freins spécifiques à ces rénovations ? Comment stimuler la rénovation énergétique des copropriétés alors que, pour atteindre les objectifs ambitieux fixés au niveau national, une accélération paraît indispensable ?
Enfin, hier soir, la Première ministre a conclu le Conseil national de la refondation (CNR) Logement en annonçant notamment le renforcement de MaPrimeRénov' pour atteindre 200 000 rénovations performantes en 2024, ainsi que le déploiement des guichets FranceRénov' et Mon Accompagnateur Rénov' d'ici à 2025. Ces propositions sont-elles suffisantes au regard de celles qui ont été formulées par le groupe de travail « Faire du logement l'avant-garde de la transition écologique » du CNR Logement ?
Il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.
Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Alexis Lagarde, Étienne Dequirez, Pierre Hautus, Olivier Safar, Gilles Frémont, Mmes Delphine Herman, Laurence Batlle, Karine Olivier, Florence Rognard, MM. Pierre Vital, Frank Hovorka et Mme Anne Peyricot prêtent serment.
M. Alexis Lagarde, président de l'UNPI Pays de la Loire. - Ce qui nous importe, c'est le diagnostic de performance énergétique (DPE). Un malade s'inquiète quand le thermomètre donne des températures différentes en fonction du médecin qui l'utilise. Pour nos adhérents, la confiance est rompue : ils ne savent plus quoi faire, parent au plus pressé, cherchent à éviter les interdictions et en viennent même à retirer certains biens du marché.
Si la priorité est bien de procéder à des rénovations globales, nous sommes « à côté de la plaque ». Les gens nous contactent pour faire le minimum, même si j'explique, pendant les assemblées générales et les réunions auxquelles j'assiste, qu'il faut viser au moins la classe C pour être tranquille un certain temps. Mais on ne fait que repousser l'échéance et nous devrons rénover de nouveau des logements déjà rénovés, parce qu'on ne procède pas à la totalité des rénovations nécessaires.
Je suis ingénieur et je travaille dans le secteur du bâtiment depuis quarante ans. Je couvrais un territoire important dans une société internationale et je connais bien les problèmes de pathologie. Dans le bâti ancien, datant d'avant 1948, quand les bâtiments sont maltraités et ne respirent pas, on observe une perte de qualité. C'est la catastrophe annoncée.
S'agissant du bâti plus récent, il est possible de travailler de manière plus efficace, tant que nous ne sommes pas dans les périmètres de sauvegarde.
Nous ne sommes pas du tout opposés à la rénovation, mais il faut procéder de manière intelligente et pragmatique.
La confiance constitue la question essentielle, mais je soulignerai aussi l'importance du législatif et de la fiscalité, pour laquelle l'instabilité doit cesser.
M. Étienne Dequirez, président de Plurience. - Plurience représente en particulier les syndics de copropriétés, qui constituent une profession réglementée. Par définition, nous sommes au coeur de la gestion des copropriétés, qu'il s'agisse de gestion administrative, sécuritaire, ou des questions de rénovation, y compris de rénovation énergétique. Je vous remercie de nous avoir invités car, dans les propos tenus au cours des derniers jours, notamment hier, le mot « syndic » n'a jamais été prononcé, ce qui est gênant puisqu'une rénovation énergétique du monde de la copropriété qui se ferait sans les syndics s'annoncerait longue et difficile.
Nous sommes des acteurs de la rénovation et nous souhaitons la développer. Aucune résistance ne se manifeste au sein de la profession. Cependant, notre vision est pragmatique et nous nous préoccupons de la question du « comment », qui nous semble dépendre de trois points essentiels.
D'abord, il s'agit d'assurer le financement de cette rénovation et notamment son financement bancaire, qui représente le sujet le plus important. Mes collègues y reviendront.
Ensuite, j'évoquerai une question un peu technique, celle de la dichotomie entre diagnostics individuels et collectifs. La rénovation est considérée comme efficace si elle est globale, mais la loi impose un diagnostic individuel opposable, ce qui crée de nombreuses difficultés.
Enfin, un grand nombre de subventions s'empilent ; j'en dénombre quatorze. Félicitons-nous de leur existence puisqu'elles peuvent représenter jusqu'à 30 ou 35 % du coût de la rénovation. Cependant, il faut imaginer des solutions pour qu'elles deviennent plus efficientes et pratiques.
M. Olivier Safar, président adjoint de l'Unis et président de l'Unis Grand Paris. - Je précise que je suis aussi un ancien membre du conseil d'administration de l'Agence nationale de l'habitat (Anah) et que j'ai été remplacé dans ces fonctions en début d'année par Loïc Cantin. Par ailleurs, je suis membre du CNR Logement pour la partie rénovation énergétique.
Vous l'avez compris, ce que nous avons entendu hier nous a fortement déçus, ces annonces ne correspondant pas à ce que nous avions préparé, écrit et réécrit. Nous avions même proposé d'ajouter un complément pour distinguer maisons individuelles et copropriétés, ce qui allait dans le bon sens.
Le calendrier est complètement inadapté et, en matière de copropriétés comme de gestion locative, nous sommes bloqués par les impératifs d'agendas qui ne sont pas les bons. Dans les copropriétés, alors que copropriétaires, syndics et entreprises sont volontaires, il faut en moyenne entre trois et cinq ans pour parvenir à réaliser des travaux. On commence par produire une analyse, que l'on présente lors d'une première assemblée générale, puis on vote le projet lors d'une deuxième assemblée générale, on obtient les subventions l'année suivante avec les financements - s'il y en a - et ensuite seulement on commence les travaux.
Le calendrier semble également inadapté en ce qui concerne le DPE individuel pour les propriétaires bailleurs, qui peuvent se retrouver confrontés à de graves complications. Dans certaines assemblées générales, une opposition émerge entre copropriétaires occupants et copropriétaires bailleurs. En effet, l'occupant n'a aucune obligation alors que le bailleur est contraint par le calendrier. Nous ne réussirons pas sans procéder à la rénovation complète des copropriétés ou des immeubles.
Je voudrais également évoquer la question du fléchage des aides. Quand nous avons demandé des aides auprès de l'Anah, pour MaPrimeRénov' Copropriétés et MaPrimeRénov' Sérénité, j'ai demandé à ce que l'on flèche les montants attribués vers les maisons individuelles ou vers les copropriétés. Cette disposition n'avait pas été reprise par le ministère de l'économie et des finances. On nous avait dit que nous commencerions avec 800 millions d'euros et qu'il faudrait nous débrouiller. L'année suivante, nous avons demandé bien plus puisque la somme avait été utilisée à 99 % pour les maisons individuelles. Ainsi, la première année, moins de 100 dossiers avaient été déposés pour MaPrimeRénov' Copropriétés alors que l'on compte 550 000 syndicats de copropriétés.
Par ailleurs, il faudrait un guichet unique pour toutes ces aides. Étienne Dequirez en a dénombré quatorze et j'en compte dix-neuf, en prenant en compte certaines aides complémentaires de communes, de groupements de communes ou de quartiers.
Je terminerai en évoquant la question du financement. J'ai demandé en janvier à ce que soit créée une banque de la rénovation énergétique mais cette demande n'a pas été entendue. Quand la Caisse des dépôts et consignations et la Banque des territoires ont repris contact, nous leur avons expliqué qu'il ne s'agissait pas que de copropriétés mais aussi de propriétaires bailleurs, de copropriétés tertiaires et de certains logements sociaux, qui rencontraient des difficultés pour trouver les financements nécessaires. Il faut créer une vraie banque de la rénovation énergétique, qui n'aurait pas besoin d'avoir des agences dans toute la France.
Surtout, si nous voulons réussir, nous avons besoin d'une loi de programmation de cinq ans, qui soit renouvelable pour cinq ans. Si vous ne parvenez pas à faire en sorte que copropriétaires, propriétaires et locataires comprennent qu'ils peuvent compter sur une certaine stabilité, nous n'arriverons à rien. Les choses changent tous les six mois, tous les ans ou tous les trois ans et c'est trop. À l'Anah, le système évolue encore pour intégrer un pilier performance et un pilier efficacité, ce qui sera annoncé le 12 juin prochain. Mais si les montants augmentent, ces changements sont trop nombreux et trop compliqués. Il faut remplir de multiples dossiers en ligne, sur chacun des portails, ce qui est décourageant.
M. Gilles Frémont, président de l'ANGC. - Je représente aujourd'hui les gestionnaires de terrain et syndics de copropriétés. En ce qui concerne la copropriété, nous avons observé quatre freins, qui pourraient devenir quatre leviers.
La fluctuation des lois constitue le premier frein. Depuis 2014, les textes se sont succédé : loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi Alur, loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, dite loi Macron, loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dite loi Élan, loi Climat et résilience, loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dite loi 3DS, auxquelles il faut ajouter une avalanche de décrets et d'arrêtés.
En termes d'outils, nous utilisons le projet de plan pluriannuel de travaux, le plan pluriannuel de travaux (PPT), le diagnostic technique global (DTG), l'audit énergétique, l'audit architectural, le DPE individuel, le DPE collectif, le DTG++ de l'Agence parisienne du climat, qui, au passage, gonfle les prix des prestataires, et le PPT des prestataires, qui rajoute certaines offres.
Ces lois changeantes créent d'abord de l'attentisme chez les copropriétaires, qu'il n'est pas rare d'entendre dire en assemblée générale qu'il est urgent d'attendre, afin d'anticiper les prochains changements. Par ailleurs, ces changements entraînent un décalage constant dans la formation des professionnels, des praticiens et des gestionnaires de copropriétés, qui ont à peine le temps de se former que la loi a déjà changé.
L'épargne en copropriété, qui est insuffisante, constitue un deuxième frein. L'Anah a révélé que le montant moyen du fonds de travaux, créé par la loi Alur, s'élève à 4 500 euros, ce qui représente un montant ridicule, alors que le fonds se voulait incitatif. Des solutions existent pour favoriser l'épargne des copropriétés.
Pour venir à bout du troisième frein, il faut simplifier le prêt collectif bancaire. Selon l'article 26-4 de la loi du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, il existe trois types de prêts bancaires, dont le premier, qui doit être accepté à l'unanimité, n'est jamais voté. Pourtant, il faudrait mettre en place un véritable prêt collectif, qui soit accordé aux syndicats des copropriétaires. Ce n'est pas le cas du prêt Copro 100, qui est un faux prêt collectif, puisqu'il s'agit en fait d'un prêt multi-individuel, dont la mise en place a tout d'une usine à gaz et que je n'ose même pas proposer.
Le quatrième frein concerne la fiscalité et les aides publiques ; nous sommes confrontés à un manque de visibilité et d'incitation en la matière. Nous avons observé que l'ancien crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE) parlait aux copropriétaires parce qu'il était concret et immédiat. Le dispositif MaPrimeRénov' semble plus lointain, abstrait et aléatoire. De plus, nous avons affaire à de multiples guichets et ignorons qui doit être notre interlocuteur. Par ailleurs, nous manquons de visibilité sur la durée pour ce dispositif, puisque nous ne savons pas s'il existera toujours dans quatre ou cinq ans, lorsque les travaux seront terminés. Enfin, la TVA augmente depuis vingt ans : à l'époque, elle s'élevait à 5,5 % sur l'ensemble des travaux mais elle est passée à 7 %, puis très rapidement à 10 %, ce qui renchérit le coût des travaux.
Mme Delphine Herman, directrice des relations extérieures du réseau Guy Hoquet l'immobilier. - Je voudrais d'abord confirmer ce qu'a dit l'un de mes confrères : la rénovation énergétique des logements fait consensus au sein des professionnels de l'immobilier. Nous cherchons tous des solutions pour avancer concrètement vers une réduction significative de l'impact environnemental des logements.
En tant qu'agents immobiliers, nous pouvons servir de baromètre aux pouvoirs publics et faire remonter du terrain des informations relatives aux besoins, aux aspirations et aux inquiétudes des Français, en matière de logement et de rénovation énergétique. Nous jouons un rôle de facilitateurs pour les Français et nous avons conscience de notre responsabilité.
Notre réseau a une particularité : la formation est gratuite et illimitée, ce qui représente un atout stratégique pour bien conseiller et informer le particulier. Ainsi, depuis le début de l'année, nous avons dispensé 2 300 heures de formation à l'ensemble de nos conseillers en gestion locative et transaction.
Nous travaillons également avec des organismes tels que les opérateurs de compétences des entreprises de proximité, sur les sujets de la formation et du financement des formations à la transition environnementale des logements. Nous travaillons avec l'Agence nationale pour l'information sur le logement (Anil) et l'Anah. De plus, nous avons mis en place des partenariats nationaux et locaux pour aider les particuliers à trouver des financements, à accéder aux aides et à identifier des entreprises reconnues garantes de l'environnement (RGE) pour réaliser leurs travaux.
Nous sommes prêts, mais nous avons besoin d'aide pour avoir les moyens d'inciter les Français à agir, qu'il s'agisse de logements individuels ou de copropriétés. À ce titre, nous souhaiterions vous alerter sur trois points.
En premier lieu, je veux évoquer le DPE. D'abord, sa fiabilité représente un véritable enjeu et il a été récemment démontré qu'il pouvait défavoriser les petites surfaces. De plus, deux méthodologies coexistent en fonction du type de propriétaire. Les propriétaires sont néanmoins soumis aux mêmes contraintes, notamment à l'interdiction d'augmenter les loyers ou à la prochaine interdiction de mise en location. Par ailleurs, la question de l'organisation de la filière des diagnostiqueurs se pose.
En deuxième lieu, nous avons besoin de renforts et de réponses quant aux solutions de financement, les financements actuels n'étant pas adaptés aux besoins des Français et au pilotage de la transition environnementale. Nous avons évoqué les aides mais nous sommes conscients que l'État ne peut pas tout, et nous saluons sa mobilisation. Notons néanmoins qu'il est souvent difficile pour les ménages éligibles aux aides de procéder aux avances nécessaires. Mais, au-delà des aides, il faut avancer en matière de financement privé avec les établissements bancaires, qui objectent aujourd'hui - à juste titre - qu'il leur est difficile d'évaluer le montant des travaux, notamment dans le cas d'une vente, mais aussi de contrôler la bonne allocation des fonds. Dans le cas des copropriétés, des freins ont déjà été mentionnés et j'évoquerai le fait que seules deux banques proposent l'éco-PTZ : Domofinance et la Caisse d'épargne Île-de-France.
Enfin, j'en viens aux entreprises RGE (reconnu garant de l'environnement). Le président de la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb) rappelait récemment que sur les 560 000 entreprises artisanales du bâtiment, seules 63 000 sont labellisées RGE et que ce chiffre a tendance à reculer puisqu'elles étaient 65 000 en 2001. Or il s'agit de rénover, à très court terme, 5,2 millions de passoires énergétiques. Le nombre d'entreprises disponibles pour rénover tant de biens, en respectant un calendrier très ambitieux, pose question. Bruno Le Maire a annoncé viser la reconnaissance de 250 000 entreprises RGE en 2025, mais il n'a pas encore expliqué quels moyens il comptait mettre en oeuvre pour y parvenir.
Comme M. Frémont, je pense que ces freins peuvent devenir des leviers importants. Mais ces problèmes doivent être résolus pour que nous puissions jouer notre rôle de facilitateurs, pour accompagner les Français et tenir le calendrier.
Mme Laurence Batlle, présidente de Foncia ADB. - Foncia est un administrateur de biens, premier loueur en France avec 400 000 biens sous gestion et premier syndic de France avec 70 000 immeubles gérés. Depuis 2021, Foncia s'est engagé de manière extrêmement volontariste dans la rénovation énergétique des biens sous gestion.
À ce titre, 100 % de nos gestionnaires sont formés, et nous avons des référents travaux rénovation énergétique dans l'ensemble de la France. En 2022, nous avons signé un green deal avec le Plan Bâtiment durable, dans lequel nous nous sommes engagés à rénover 300 immeubles dans leur totalité d'ici à 2025. Depuis, 210 copropriétés sont en cours de rénovation globale, soit plus de 15 000 logements. Enfin, nous accompagnons nos bailleurs individuels afin de leur permettre de s'engager dans des travaux pour améliorer leur étiquette énergétique, grâce à des études approfondies.
Nous commençons donc à bénéficier d'un bon observatoire de ce qui se passe sur le terrain et nous avons développé une conviction forte : c'est la copropriété qui doit constituer le coeur de la rénovation du bâti résidentiel et non pas le bailleur. Cette conviction donne lieu à trois propositions, dont deux n'ont pas encore été évoquées.
La première concerne le calendrier 2025-2028 pour les bailleurs. Sans le remettre en cause, il semblerait pertinent que l'interdiction de louer un bien qui n'a pas la bonne étiquette énergétique soit effective à la remise en location et non pas au cours du bail. En effet, réaliser des travaux d'isolation par l'intérieur quand le bien est occupé n'est pas possible.
Notre deuxième proposition porte sur l'articulation des dispositions pesant sur les bailleurs et les copropriétés. Les obligations imposées à un bailleur privé par la loi Climat et résilience devraient être suspendues lorsque la copropriété du logement concerné s'est engagée dans un plan pluriannuel de travaux. L'intérêt est double : sur le plan financier, les bailleurs n'auraient pas à payer deux fois et, sur le plan écologique, les travaux d'isolation ne seraient pas conduits à deux reprises.
La troisième proposition porte sur le financement d'une opération globale de rénovation d'une copropriété. Globalement, l'éco-PTZ est inefficace. Nous suggérons de créer un éco-PTZ destiné aux copropriétés : les emprunteurs seraient non pas les copropriétaires, mais le syndicat. L'emprunt serait attaché au lot et le suivrait au gré des mutations. Près de 1,6 million de logements en copropriété doivent être rénovés, pour un coût moyen de 20 000 euros par logement et 15 000 euros après le versement des subventions. Compte tenu de l'ampleur du défi de la rénovation, qui s'élève à environ 25 milliards d'euros pour les copropriétaires, le coût de cet éco-PTZ serait relativement modeste - de l'ordre de 8 milliards d'euros sur quinze ans. Cette mesure représenterait un véritable levier pour accélérer la rénovation énergétique des logements concernés.
Mme Karine Olivier, directrice du pôle service aux particuliers du groupe Nexity. - Nexity compte un million de clients, plus de 700 000 copropriétaires et 200 000 bailleurs : nous disposons d'une vue d'ensemble sur le secteur immobilier. Le groupe a signé un second green deal, qui fixe des objectifs ambitieux d'ici à 2025.
Hier, lors de la réunion du CNR Logement, j'ai entendu dire que le nombre de personnes embauchées en tant que Mon Accompagnateur Rénov' devait passer de 2 000 à 5 000 pour accélérer la rénovation énergétique. Mais c'est notre travail ! Nous accompagnons nos clients au quotidien.
La rénovation énergétique fonctionne bien : plus de 7 000 logements en copropriété ont été rénovés et 1 000 audits énergétiques ont été menés à la demande des propriétaires bailleurs. Cela dit, des points restent à améliorer.
Il ne faut jamais dissocier le monde de la copropriété de celui du parc locatif privé, qui compte 7,3 millions de logements ; 1,7 million d'entre eux sont classés F et G, dont 70 % sont situés au sein d'une copropriété. Or les dispositions législatives sont souvent différentes, selon qu'elles s'appliquent à l'un ou à l'autre, alors que les enjeux sont identiques : cela complique notre travail.
Je suis d'accord avec de nombreuses propositions déjà formulées, notamment l'éco-prêt en faveur des copropriétés. Je souhaiterais toutefois que ce dernier englobe non seulement les travaux, le reste à charge mais aussi les avances de subventions, qui sont livrées à la fin des travaux : il faut lutter contre cet effet temps, que nombre de copropriétaires ont du mal à admettre.
J'en viens au droit de la copropriété - un point essentiel. Hormis quelques cas dérogatoires, les votes lors d'une assemblée générale supposent une majorité absolue. Nous plaidons en faveur d'une extension de la majorité simple, c'est-à-dire la majorité des présents et des représentés.
Assister à une assemblée générale est un devoir citoyen. En outre, de nombreux dispositifs facilitant la participation de chacun ont été instaurés. Alors qu'ils n'ont même pas participé à l'assemblée générale, certains copropriétaires multiplient les recours contre nos projets. Les prêts bancaires sont alors bloqués et les subventions acquises menacées : le financement global du projet est alors en danger. Il faudrait interdire aux copropriétaires n'ayant pas pris part au vote de pouvoir introduire des recours.
En outre, il faut adapter le calendrier de la loi Climat et résilience et conditionner l'interdiction de louer à la remise en location. Le marché locatif est bloqué : c'est une véritable bombe sociale. Nous avons interrogé 9 000 propriétaires d'un bien classé G : un tiers d'entre eux accepte de mener des audits énergétiques ; un autre tiers se refuse à toute action et estime que le calendrier évoluera ; enfin un dernier tiers compte vendre son bien, faute de disposer des fonds suffisants pour entamer des travaux de rénovation. Nous ne constatons pas actuellement de raz-de-marée pour la vente des biens classés F et G : les propriétaires attendent. Toutefois, nous notons des décotes sur ces biens - de l'ordre de 6 à 10 % selon les territoires.
Dans les villes ayant instauré l'encadrement des loyers, l'étiquette énergétique n'est pas prise en compte dans les possibilités de dérogations. C'est la double peine : non seulement il faut faire des travaux, mais les loyers sont bloqués. Je trouve cela injuste.
Comme l'a rappelé Gilles Frémont, le système des aides est complexe : nul besoin de voter de nouvelles réglementations - je ne sais d'ailleurs pas comment font nos collaborateurs pour se retrouver dans la législation actuelle.
Les syndics de copropriété doivent être remis dans la boucle : nous sommes des experts et nous pouvons faire avancer les choses.
M. Pierre Vital, président de la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI) Nouvelle-Aquitaine et de la commission FPI France « Réhabilitation-extension-rénovation ». - La FPI rassemble 700 adhérents, qui représentent environ 80 % du marché de la production de logements, tant dans la construction neuve que dans la réhabilitation. Nous sommes une fédération plurielle, qui rassemble de petits opérateurs et de grandes entreprises nationales. Je rappelle que le secteur privé représente 54 % de la production de logements sociaux. Quand le bâtiment ne va pas bien, le secteur du logement abordable est lui aussi mal en point.
Notre métier fait face à de nombreuses contraintes, telles que le zéro artificialisation nette (ZAN). La rénovation est une solution bien identifiée pour densifier les coeurs de nos villes. Nous avons fait le choix d'adopter une approche globale : nous privilégions les restaurations totales d'immeubles entiers. Toutefois, nous faisons face à de nombreuses contraintes. Le prix des matières premières, de même que celui des immeubles ou des travaux, est très cher ; nos opérations sont plus onéreuses que la construction d'un immeuble neuf. Chaque bâtiment a sa pathologie : nous faisons du sur-mesure.
En vue de massifier les opérations, il faut solvabiliser la clientèle, notamment les personnes accédant à la propriété ou les investisseurs.
Nous plaidons en faveur d'une pause normative : il ne faut pas constamment changer les règles fiscales ou les règles applicables à la construction de logements. Les dispositifs Malraux ou Denormandie doivent être maintenus, car ils permettent la production de logements de qualité. Le PTZ doit être pérennisé ; il ne faut pas le recentrer sur une frange réduite de la production.
Par ailleurs, il faut flécher les aides au profit d'une rénovation globale des immeubles, ce qui garantit la réussite de l'entreprise.
Encourageons la fluidité des biens : les immeubles sont chers et la fiscalité favorise la détention. Malheureusement, notre proposition d'inverser la fiscalité afin de fluidifier la circulation d'immeubles souvent délabrés n'a pas été retenue par le CNR.
J'en viens à l'extension d'immeubles. Compte tenu du coût d'une rénovation complète, nous préconisons le rehaussement d'un étage afin de valoriser les droits à construire non utilisés et, ce faisant, de récolter de l'argent pour la rénovation. Ces propositions élargissent un peu le débat relatif à la rénovation des immeubles. Cela dit, toute opération de ce type suppose d'associer les copropriétaires.
M. Frank Hovorka, directeur technique et innovation de la Fédération des promoteurs immobiliers. - Près de neuf opérations sur dix dans le secteur de la construction neuve sont menées sur des terrains déjà artificialisés. Celui-ci contribue aussi à la rénovation de la ville.
On oppose souvent rénovation et reconstruction. Or l'écart en matière d'empreinte carbone entre ces deux types d'opérations est extrêmement faible : environ 100 kilogrammes de CO2 par mètre carré et par an. J'insiste sur ce point, car la durée de vie résiduelle de l'ouvrage constitue l'un des non-dits des opérations de rénovation. À cet égard, nos collègues de l'Union sociale pour l'habitat (USH) ont créé le dispositif « Seconde vie » des bâtiments. Les promoteurs ont besoin d'une vision holistique : il n'est pas intéressant de rénover un bâtiment si sa durée de vie ne dépasse pas vingt ans. Comme le disait Pierre Vital, il importe d'adopter une approche complète : celle-ci aura des effets très positifs sur la durée de vie complémentaire d'un immeuble rénové. De même, démolir des bâtiments obsolètes favorise la construction d'immeubles neufs très performants : la réglementation française en la matière est la plus exigeante au monde - et de loin. Pour chaque projet, il faut retenir la solution la plus pertinente entre rénovation et reconstruction : cessons d'opposer ces deux notions.
Par ailleurs, le label bâtiment basse consommation (BBC) Effinergie permet de flécher les aides vers les opérations de rénovation globale éligibles à cette qualification.
J'ai présidé la Fédération européenne des associations d'ingénieurs climaticiens pendant dix ans afin d'établir des règles communes au niveau européen. En France, l'enjeu de la rénovation des logements est très important. Or nous travaillons avec les mêmes moteurs de calcul qu'il y a vingt ans. Il est inconcevable de constater que l'administration ne se donne pas les moyens de créer un moteur de calcul global. Certes, le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) a bien lancé le projet Cible, mais le cahier des charges ne sera écrit que dans cinq ans. La France a les moyens d'être plus ambitieuse ! Un tel outil, qui suppose un investissement se chiffrant non pas en milliards d'euros mais en millions d'euros, favoriserait la confiance de nos concitoyens dans le système. En outre, il pourrait être partagé avec d'autres pays européens. Lors des débats relatifs à la réglementation environnementale 2020 (RE2020), notre fédération avait proposé de créer un partenariat public-privé (PPP) afin de rassembler tous les acteurs pour créer cet outil. Nous gagnerions tous à travailler ensemble.
Depuis une quarantaine d'années, la consommation énergétique finale des logements se situe entre 450 et 500 térawattheures. Réduire la consommation et, in fine, l'émission de gaz à effet de serre (GES), suppose de disposer d'un outil de mesure fiable.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je salue M. Cantin et Mme Rouault, respectivement président de la Fnaim et chef de cabinet, qui viennent de nous rejoindre.
Je vous demande, monsieur Cantin et madame Rouault, de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure.».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Loïc Cantin et Mme Bénédicte Rouault prêtent serment.
M. Loïc Cantin, président de la Fédération nationale de l'immobilier. - La Fédération nationale de l'immobilier comprend de nombreux syndics de copropriété chargés des rénovations, mais aussi de nombreux administrateurs de biens et agents immobiliers.
Notre profession est engagée dans le processus de rénovation énergétique depuis le vote des lois issues du Grenelle de l'environnement, notamment par le biais de cycles de formation destinés à nos syndics. Nous avons ainsi créé un dispositif complet afin de respecter l'obligation de décarboner le parc immobilier. Le temps presse !
J'ai suivi le début de l'audition en venant au Sénat : nombre de mes collègues ont déjà livré leur analyse sur l'environnement juridique auquel nous sommes confrontés. Olivier Safar a insisté à juste titre sur la temporalité de la copropriété, avec les propositions de résolution, l'adoption par l'assemblée générale, la recherche de financements, l'obtention des primes, la sélection des entreprises, le vote des travaux et les recours éventuels. Il faut bien prendre en compte l'ensemble de ces étapes au vu des enjeux de décarbonation de notre parc immobilier.
L'interdiction de louer des logements classés G en 2025 et ceux classés F en 2028 est un mauvais signal : cette décision provoque une attrition du marché locatif. Depuis longtemps, la Fnaim propose de suspendre cette interdiction dès lors qu'un plan pluriannuel de travaux est adopté par la copropriété. Nous avons tout tenté auprès du ministre du logement, mais nous n'avons malheureusement pas été entendus.
De plus, les DPE collectifs - pour un immeuble entier - et les DPE des logements individuels s'opposent parfois entre eux. Il nous semble que le DPE collectif soit le seul en mesure d'éviter les conflits éventuels entre les propriétaires.
J'en viens à la question du financement des projets. La Fnaim a saisi le gouverneur de la Banque de France, qui a répondu favorablement à notre demande : le financement de la copropriété passe par des prêts collectifs. Or, aux termes de la réglementation bancaire, ceux-ci sont considérés comme la succession d'un endettement pour tous les copropriétaires qui y auront recours. À ce titre, le seuil du taux d'usure entre les prêts à la consommation et les prêts immobiliers est atteint si le cumul de l'ensemble des prêts souscrits par le syndicat des copropriétaires excède la somme de 75 000 euros. Dès lors, l'emprunt est assimilé à un prêt immobilier, qui est lui-même divisé en prêts individuels, peu incitatifs pour les banques.
Selon le Gouverneur de la Banque de France, une adaptation réglementaire permettrait de débloquer le taux d'usure : même en additionnant l'ensemble de ces prêts individuels sollicités dans le cadre d'une structure collective, ceux-ci pourraient être soumis au même taux d'usure que les prêts à la consommation. Cette disposition permettrait peut-être de débloquer la question du financement des projets, pour laquelle nous n'avons toujours pas de réponse, malgré plusieurs réclamations. Or le reste à charge des copropriétaires doit être financé.
Depuis le mois de novembre, le ministre du logement a annoncé vouloir abaisser la règle de majorité pour les décisions prises par les copropriétés. Nous avions participé à l'élaboration des ordonnances prises en application de la loi Élan. À l'époque, certains avaient proposé de soumettre les décisions relatives aux travaux de rénovation énergétique à l'article 24 de la loi fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis - qui prévoit une majorité simple de l'ensemble des copropriétaires -, en lieu et place de l'article 25 de cette loi - qui prévoit une majorité absolue.
J'étais moi-même un fervent défenseur du maintien du régime de l'article 25, notamment pour protéger les copropriétaires précaires. La loi Élan a institué une passerelle : si la résolution a obtenu au moins le tiers des voix, il est possible de recourir à la majorité de l'article 24.
Auparavant, il existait un dispositif permettant au syndic de convoquer une seconde assemblée générale, en ayant recours à la majorité de l'article 24, lorsqu'une décision avait été rejetée à la majorité de l'article 25. Or celui-ci a été supprimé. Il représentait pourtant un bon compromis et nous proposons de le réintroduire pour les travaux de rénovation énergétique. Je suis persuadé que de nombreuses associations appuieraient notre suggestion. Il faut toujours laisser un os pour que le chien s'amuse : la seconde assemblée générale est plus propice à une décision définitive. Les affaires relatives aux copropriétés supposent de la pédagogie et un certain sens de la communication.
Dans le questionnaire que vous nous avez transmis, vous nous interrogez sur l'impact d'une obligation de rénovation énergétique à la mutation sur le marché immobilier. C'est une question très intéressante. La Fnaim représente trois professions : les administrateurs de biens, les agents immobiliers et les syndics de copropriétés. Nous sommes tous confrontés à la décision d'engager ou non de tels travaux. Les administrateurs de biens doivent formuler des conseils pour que les propriétaires de biens frappés d'indécence puissent arbitrer en toute connaissance de cause et décider, le cas échéant, de le vendre. Les agents immobiliers doivent évaluer le classement énergétique du bien. Depuis le 1er avril 2023, les ventes d'immeubles en monopropriété, c'est-à-dire les maisons individuelles ou les immeubles en bloc, sont assorties d'un audit énergétique, qui fixe le montant des travaux à entreprendre pour atteindre la classe énergétique de niveau supérieur. Le rôle de l'agent immobilier est de faciliter cette transition.
Une directive de la Commission européenne vise à favoriser une transparence totale sur le classement énergétique des biens. La Fnaim formulera dans quelques jours une proposition originale, que j'ai plaisir à vous dévoiler dès aujourd'hui. Prenons un exemple : un agent immobilier vend une maison valant 300 000 euros. Le DPE et l'audit énergétique précisent que le montant des travaux s'élève à 50 000 euros. Dès lors, doit-il minorer ou majorer cette somme du prix de vente fixé à 300 000 euros ? Dans notre travail d'expertise, c'est bien la valeur verte qui s'imposera demain : nous n'y échapperons pas. Ainsi, le prix incluant le montant des travaux servira d'étalonnage.
Deux possibilités s'offrent à nous : la première consiste à ne rien faire, mais le législateur finira pas nous imposer une retenue sur les prix de façon arbitraire - nous ne le souhaitons pas. La deuxième consiste à accompagner les acquéreurs et à leur prodiguer des conseils. Les professionnels de l'immobilier sont tout à fait conscients du rôle d'accompagnement qu'ils jouent auprès de leurs clients.
Nous allons proposer prochainement un contrat nouveau, qui existe d'ailleurs déjà juridiquement. Je l'ai évoqué lors d'un entretien il y a quinze jours auprès de M. le directeur des affaires civiles et du sceau, lequel a accueilli favorablement cette disposition en me disant qu'il s'agissait d'une excellente idée pour accompagner la stratégie des pouvoirs publics.
Ce contrat est issu de la vente d'immeuble à rénover (VIR), que nous avons baptisée « vente en état futur de rénovation énergétique ». Il s'agit de la possibilité, pour un propriétaire, de choisir, au moment de la mutation, de vendre son bien avec ou sans travaux. Nous disposons d'un référent, et d'une valeur d'étalonnage qui nous permet d'y voir clair dans cet environnement en mutation et de connaître la valeur effective du bien concerné. Ce système présente un double avantage. Il permet en effet d'accompagner vendeurs et acquéreurs dans cette stratégie, sachant que le classement énergétique constitue la préoccupation actuelle de nombre d'entre eux. Alors que les acquéreurs se préoccupaient hier davantage du balcon ou de la vue sur la campagne, le classement énergétique devient l'un de leurs critères de choix principaux. Il faut donc trouver un dispositif susceptible de les rassurer et de les accompagner. La vente en état futur de rénovation a lieu avec les travaux inclus, avec une garantie d'exécution, cette exécution pouvant se faire avant ou postérieurement à la mutation, moyennant une consignation du prix ou une garantie bancaire.
Nous sommes bien conscients de l'ensemble des obligations qui seront les nôtres dans les années à venir. Tous les professionnels de l'immobilier sont des alliés de la rénovation énergétique. Cela a été dit, à aucun moment nous n'avons entendu les mots « syndic de copropriété » hier lors du CNR Logement, alors même que l'on a parlé de tous les intervenants : promoteurs, constructeurs, architectes, aménageurs. Or les syndics seront les grands artisans de la rénovation énergétique. Nous avons besoin de cette reconnaissance, car nous sommes la cheville ouvrière de ce dispositif. L'ensemble des syndicats et des professionnels sont résolument déterminés à accompagner les politiques publiques. Je crois néanmoins que nous avons besoin d'un peu plus de considération quand nous faisons des propositions, pour lesquelles nous ne recevons pas de réponse, voire qui se voient parfois opposer une forme de mépris. Nous sommes des acteurs du logement, et des agitateurs d'idées, pour la défense du bien public.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Merci à tous pour vos présentations. J'ai relevé une certaine cohérence dans vos propos et propositions. Il y a là matière à avancer.
Lorsqu'il est question de rénovation thermique, il est bon de distinguer les différents problèmes qui se présentent : pour les maisons individuelles, les copropriétés, et les logements sociaux.
La question se pose de savoir comment fiabiliser le DPE, et comment nous pouvons l'appliquer aux copropriétés. La difficulté d'établir un DPE par logement ayant été longuement soulignée, le DPE collectif opposable paraît une idée intéressante. Auriez-vous quelques éléments complémentaires à nous communiquer sur ce point ?
Il existe des organisations locales qui ont vocation à accompagner les collectivités dans la réalisation de leurs travaux de rénovation énergétique : c'est ainsi le cas du dispositif Mur Mur, mis en place par Grenoble Alpes Métropole. Avez-vous d'autres exemples du même type ? Cet échelon local vous semble-t-il intéressant, sachant qu'il permet de prendre en compte les spécificités des territoires ?
S'agissant enfin de la seconde vie des bâtiments, le plan Action coeur de ville et les autres démarches du même ordre se heurtent à des difficultés en matière d'isolation. Les interventions restent donc limitées, à moins d'engager une rénovation globale. Avez-vous des exemples de programmes susceptibles d'y remédier ?
M. Alexis Lagarde. - Le conseil économique, social et environnemental régional (Ceser) des Pays de la Loire, dont je suis membre, a publié un rapport sur l'évolution des bâtiments tertiaires, l'idée étant qu'ils aient des cycles de vie différents - habitation, bureau, commerce, etc. - et que les architectes travaillent en ce sens.
Ce travail est d'autant plus important que nous sommes en pleine crise du logement. Dans notre région, qui se porte relativement mieux que les autres sur ce plan, cela fait plus de six mois que j'alerte les représentants de l'État sur la nécessité d'engager un vrai plan Marshall. Il faut prendre des décisions rapidement, sans perdre de vue la nécessité, rappelée par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), d'arrêter les monogestes, qui sont consommateurs d'argent public et qui repoussent les travaux à effectuer, entraînant des dégradations et des coûts supplémentaires.
Le DPE est l'arbre qui cache la forêt. L'audit énergétique constitue pour sa part un élément fondamental, car il fournit une vision sur plusieurs options.
Les petits logements sont un autre élément fondamental, car ils concernent les petits retraités. Vous ne pouvez pas savoir le nombre de gens qui investissent en fin de carrière pour pouvoir avoir un petit complément de retraite, et à qui l'on annonce que les investissements nécessaires pour les travaux à réaliser représenteront davantage que ce que leur bien leur rapportera jusqu'à la fin de leur vie. C'est tout de même dramatique !
Enfin, il existe en Italie des ensembliers qui prennent tout en main, y compris l'accompagnement bancaire, pour les travaux de rénovation énergétique. L'État italien a dépensé, de mémoire, 94 milliards d'euros pour rénover 3 % des logements. Cela vous donne l'ordre de grandeur de ce qui nous attend. Depuis le début, j'annonce au Ceser que le plan Marshall que j'ai évoqué coûtera 2000 milliards d'euros.
Mme Karine Olivier. - La surélévation, aussi bien dans le neuf que dans l'ancien, est l'outil magique pour répondre au problème de la rénovation globale des immeubles. Nos copropriétaires ne savent pas qu'ils ont un foncier aérien qui a une valeur. Or, lorsqu'elle est vendue, cette valeur génère du cash qui permet de financer la rénovation énergétique.
Alors que nous pensions que les copropriétaires des derniers étages seraient assez réticents à la réalisation de tels travaux, ou qu'il serait compliqué de le faire en milieu habité, la difficulté ne vient pas des copropriétaires qui en voient rapidement l'intérêt. Nous faisons voter des surélévations. En outre, nous sommes bien vus des collectivités, et ne sommes pas confrontés à des problèmes de stationnement complémentaires, car nous choisissons nos immeubles en fonction de la proximité des transports. La difficulté réside dans la capacité de trouver des acteurs sur le marché pour construire le plus vite possible, en milieu habité, en hauteur. Il s'agit en effet d'un métier nouveau, qui requiert un véritable savoir-faire.
Par ailleurs, nous parlons du problème de la rénovation énergétique dans les coeurs de ville, mais se posera également le problème majeur des passoires thermiques dans les stations de ski. La majorité des immeubles y sont en effet classés F et G. Nous avons là un boulevard pour la surélévation.
Cela est à intégrer dans le raisonnement. Cette méthode plaît, et n'est pas compliquée à mettre en oeuvre - même si elle s'inscrit dans un temps long, car elle nécessite un vote. Nous sommes en train de la tester, en ville dans le XVe arrondissement de Paris et en station à Villard-de-Lans. Nous pourrons vous présenter un rapport ultérieurement, mais les retours d'expérience sont déjà favorables.
Mme Laurence Batlle. - Je souscris totalement à ces propos. Il nous semblerait intéressant d'élargir les travaux réalisés lors du DPE et du projet de plan pluriannuel de travaux en y intégrant, d'une part, un scénario générant 35 % d'économies d'énergie et, d'autre part, au regard de ce que permet le plan local d'urbanisme (PLU), le scénario de la surélévation. Ce dernier permet en effet de financer la rénovation énergétique.
Je reviens par ailleurs sur le rôle de Mon Accompagnateur Rénov' ou de l'assistance à maîtrise d'ouvrage (AMO). Pour une rénovation globale en copropriété, le syndic s'appuie systématiquement sur une AMO dont le rôle est de rechercher des subventions nationales et locales pour financer le projet. Cela existe donc déjà. Ce rôle fonctionne bien. En tant que praticien de la rénovation, il ne nous semble pas utile de le complexifier.
M. Olivier Safar. - Lorsque l'Anah a commencé les formations relatives à Mon Accompagnateur Rénov', nous nous sommes rendu compte que la plupart des accompagnateurs - anciens des agences locales de l'énergie et du climat (Alec) ou de l'Ademe - ne connaissaient pas du tout la copropriété. Nous nous sommes retrouvés - je suis désolé de le dire - face à une porte de prison. Il a fallu intervenir. Lors de la première formation organisée par l'Anah, sur les 250 personnes présentes, dix seulement avaient déjà traité des copropriétés. Les autres ne connaissaient pas ce secteur. Les formations ont commencé il y a un an, en mars 2022. Or, si les Accompagnateurs Rénov' montent en puissance, le compte n'y est pas.
Lorsque l'on compare avec ce qui a été fait dans le cadre de l'Agence parisienne du climat, l'on s'aperçoit que ces accompagnateurs Rénov' ont quatre à cinq ans de retard. Ils ne comprennent pas l'agenda de la copropriété : ils se demandent, par exemple, pourquoi les décisions prises en assemblée générale ne sont pas effectives tout de suite. Il y a des temps de copropriété à connaître. Or eux ont une vision propre au système de la maison individuelle, où tout va vite.
Il faut donc être vigilant sur ce point. Oui, ce dispositif est nécessaire, mais il faut former ces accompagnateurs - comme ont été formés tous nos gestionnaires de copropriété, qui comprennent ces différents points, puisqu'on leur a expliqué comment cela fonctionnait, et comment il fallait chercher les subventions. Tout ceci ne se fait pas en trois minutes. On a dit que l'on aurait 2 000 Accompagnateurs Rénov'. Cela est très bien, ils sont charmants, mais en formation nous n'y étions pas.
M. Étienne Dequirez. - Je me permets d'aller un peu dans le détail des diagnostics individuels et collectifs, à l'aune de cas pratiques. J'ai des immeubles classés F et G. Nous devons faire porter au vote le fait d'investir lourdement dans des travaux collectifs. Lors des assemblées générales, nous allons forcément promettre aux copropriétaires une amélioration énergétique de leurs appartements individuels.
Cependant, tout dépend de la situation des logements. Le propriétaire d'un appartement situé au deuxième étage d'un immeuble de six étages, placé plein sud, et qui n'est pas un T1, a beaucoup plus de chances de se voir attribuer une notation lui permettant de louer ce bien, à terme, ou de le vendre avec une décote faible voire une surcote. A contrario, pour le propriétaire d'un logement situé au rez-de-chaussée, plein nord, et présentant une petite typologie, cela est globalement perdu d'avance.
Nous le savons tous, mais il s'agit d'un problème très lourd. En effet, le copropriétaire dont le logement est situé plein nord contribuera au montant des travaux autant que celui dont le logement est situé plein sud.
Nous proposons donc d'intégrer les deux diagnostics. Le diagnostic collectif doit être valorisé, voire reconnu. La question de savoir s'il doit être opposable reste toutefois ouverte. Il doit en tout cas être intégré comme un indicateur permettant ou non la location. Il nous a souvent été dit que l'acquéreur d'un appartement devait connaître la consommation de ce dernier. Rien n'empêche d'utiliser également le diagnostic individuel, mais les diagnostics collectifs doivent, à mon sens, prendre le dessus. Nous n'y arriverons pas sans cela. Pire, nous risquons de mentir aux copropriétaires, en leur promettant une amélioration énergétique qui sera de toute façon décevante. Le propriétaire du logement situé plein nord ne changera pas la situation géographique de son logement : il le vendra de toute façon situé plein nord. Dans le prix, la décote se fera sur le diagnostic individuel. Cependant, il pourra avoir le droit de le louer, au vu des efforts collectifs réalisés.
Si nous n'abordons pas ce sujet maintenant, nous risquons de le traîner longtemps, au prix de conflits nombreux entre les acquéreurs et les vendeurs - d'autant que le diagnostic est opposable. Il faut traiter cette question dès à présent, en prenant en compte les deux diagnostics.
M. Loïc Cantin. - Nous allons faire face à d'importants travaux. Dans le cadre du dispositif MaPrimeRénov', seules les entreprises disposant d'une qualification RGE peuvent prétendre accompagner les propriétaires et les copropriétaires. Or, sur 700 000 entreprises, seules 16 % disposent de cette qualification, et ce nombre est en diminution. En novembre 2022, Bruno Le Maire a précisé qu'il fallait le multiplier par quatre pour répondre à l'ambition de rénovation énergétique des bâtiments.
Cependant, à mon sens, cela est insuffisant. Dans les immeubles que nous gérons, nous sommes toujours à flux tendu sur des corps de métiers rares : zingueurs, couvreurs, chauffagistes, électriciens. Nous avons parfois même des difficultés pour assurer l'entretien curatif de nos immeubles, et je ne parle pas de l'entretien préventif. Or nous allons rajouter des couches de travaux complémentaires dans le cadre du plan de rénovation. J'aimerais que l'on ait une approche chiffrée de l'importance des travaux de rénovation énergétique, que l'on rapporterait au chiffre d'affaires du bâtiment. On s'apercevra rapidement que nous sommes en sous-effectif.
Il faut effectivement un plan Marshall, et il faut de la formation. Si nous voulons gagner le défi de la rénovation énergétique, il faut adapter les capacités des entreprises du bâtiment qualifiées pour réaliser ces travaux à la situation à laquelle nous allons être confrontés. Nous ne pouvons pas être dans un système où les entreprises sont de plus en plus rares. Il faut au contraire arriver à un équilibre. Il y a donc un plan Marshall à mettre en oeuvre, tant sur la formation que sur la création d'entreprises.
J'ai toujours entendu les politiques dire que la rénovation énergétique et l'écologie étaient des gisements d'emplois. Nous avons une opportunité historique de le démontrer. Une transformation est nécessaire, car nous avons besoin de ces entreprises.
M. Pierre Vital. - La rénovation complète représente un coût élevé. L'un des sujets sur lesquels nous pourrions travailler est lié aux territoires où l'on produit des logements réhabilités, qui sont soumis aux dispositions fiscales de la loi Malraux. La question se pose de savoir si les quartiers sur lesquels on produit des logements au titre de cette loi sont toujours adaptés, car ils ont été élaborés il y a fort longtemps, ou s'il ne serait pas nécessaire de les retravailler. Les zonages du programme Action coeur de ville n'ont pas porté leurs fruits pour l'instant : très peu de productions ont été effectuées à l'aune du dispositif Denormandie. Il faudrait peut-être davantage capitaliser sur la redéfinition des zonages de la loi Malraux.
M. Frank Hovorka. - Il faudrait également travailler sur la possibilité des extensions. Plusieurs pays européens, dont la Grèce, autorisent la surélévation ou l'extension de bâtiments classés au titre des monuments historiques, pour éviter qu'ils ne se délabrent. Nous avons donc un double travail à mener sur le dispositif Malraux : élargir son champ et son zonage, en y incluant d'autres typologies d'actifs que le seul usage du logement - commerce, activités tertiaires, etc., - et élargir la capacité de faire des extensions et des surélévations, dans les rénovations globales comme dans les rénovations en milieu occupé.
Je suis fort heureux d'apprendre qu'il existe des exemples de surélévations qui fonctionnent, mais nous avons pour notre part de très nombreux exemples de projets bloqués, car interdits par un PLU, ou faute de hauteurs libres.
Nous voulons revitaliser les villes moyennes et le périurbain. La FPI a remis à ce sujet en 2020, avec le Plan Bâtiment durable et la Royal Institution of Chartered Surveyors (Rics), qui rassemble des évaluateurs immobiliers en France, un rapport à Emmanuelle Wargon, avec nos propositions. Il est important de retrouver une agilité dans la relance de la rénovation, tant en milieu occupé que dans des logements vides ou en cours de délabrement. Certaines de nos propositions peuvent à cet égard paraître surprenantes. Nous suggérons ainsi de procéder à un remembrement, comme cela s'est fait dans le milieu agricole dans les années 1960. Dans les petites villes, certains propriétaires possèdent plusieurs appartements dans plusieurs immeubles. La question du remembrement se pose pour pouvoir rénover des immeubles complets, et retrouver ainsi des respirations dans ces villes.
Nous pourrions aussi envisager de changer les affectations. Alors que les logements étaient auparavant uniquement situés dans les premiers niveaux, il faudrait les installer aux quatrième et cinquième niveaux pour tenir compte du fait que les gens recherchent de la lumière : cela implique de faire des extensions, de rendre les terrasses accessibles, surtout dans le sud de la France. Les enjeux sont nombreux, et si l'on essaie de légiférer sur tout, l'on n'y parvient pas.
Il faudrait que nous ayons une législation-cadre qui pousse à la réglementation, pour demander aux maires de justifier leur opposition le cas échéant - plutôt, comme c'est le cas aujourd'hui, que de leur imposer de voter en conseil municipal les modifications et dérogations des PLU. Nous accompagnons de nombreux conseils municipaux sur ce sujet. Si les dérogations existaient déjà de fait, nous pourrions plus simplement travailler sur une exploitation maximale des PLU et sur la rénovation globale des bâtiments. Nous avons les moyens d'agir, mais nous sommes souvent bloqués par des acteurs administratifs, parfois des non-sachants, à qui des articles de loi ou des décrets donnent la possibilité de le faire.
Enfin, pourquoi la France ne s'empare-t-elle pas de la possibilité accordée par la Commission européenne de proposer une TVA à taux réduit à 10 % sur les travaux de rénovation énergétique ?
M. Gilles Frémont. - Pour répondre à la dixième question de votre questionnaire : « Est-il souhaitable d'adapter le calendrier des interdictions de passoires énergétiques prévu par la loi Climat pour les copropriétés ? », nous pourrions prévoir des dérogations si le syndicat des copropriétaires donne des gages.
On craint un très fort contentieux opposant les copropriétaires bailleurs aux syndicats des copropriétaires. Si un copropriétaire bailleur parvient à démontrer qu'il a fait le maximum de travaux d'isolation chez lui et que, malgré tout, sa note reste dégradée, ce qui lui interdit de louer son bien, il se retournera contre le syndicat des copropriétaires pour le préjudice subi, c'est-à-dire la perte du loyer, et demandera à la copropriété de lui payer son loyer. Je crois d'ailleurs qu'une assignation de ce type a déjà été déposée.
Il me semble donc pertinent de prévoir une dérogation pour l'interdiction de louer si le bailleur démontre que la copropriété a voté un plan en assemblée générale, et qu'il s'est prononcé lui-même en faveur de ce dernier.
En réponse à la question de savoir s'il est souhaitable et possible d'accélérer la prise de décision en copropriété concernant la rénovation énergétique en augmentant la fréquence des assemblées générales, cela ne me semble pas nécessaire, car il est possible et facile de réunir des assemblées générales extraordinaires entre deux assemblées générales annuelles. Il ne me semble donc pas nécessaire de modifier une nouvelle fois la loi de 1965.
La question 16 était formulée ainsi : « Le calendrier mis en place par la loi Climat et résilience pour la rénovation des copropriétés - diagnostic technique global (DTG), PPT - vous paraît-il adapté ? » Nous avons beaucoup de calendriers : le calendrier des interdictions de louer, ou encore le calendrier des plans pluriannuels de travaux, qui varie en fonction de la taille de l'immeuble. On s'y perd, d'autant que le calendrier du DPE collectif est différent de celui des PPT. Il faut tenir compte aussi du calendrier des entreprises, de leurs disponibilités et de leurs carnets de commandes, ainsi que du calendrier de l'assemblée générale de la copropriété qui s'inscrit dans un temps long.
Est-il trop tard pour harmoniser tous ces calendriers ? Comme je le disais précédemment, nous en avons assez de la fluctuation des lois. Je pose donc la question ici, sans en avoir la réponse.
S'agissant des obstacles à l'emprunt collectif, il me semble nécessaire de simplifier l'article 26-4 de la loi du 10 juillet 1965 pour ne conserver plus qu'un seul prêt collectif, accordé au syndicat des copropriétaires, auquel tous les copropriétaires seront obligatoirement adhérents. Ils paieront alors le remboursement du prêt au titre de leurs charges.
Lorsque nous aurons un prêt collectif bancaire simple, de nouveaux acteurs bancaires arriveront peut-être sur le marché. Le prêt Copro 100, qui est un faux prêt collectif, un prêt multi-individuel, est une sorte d'ovni pour les banques qui ne savent pas qui est l'emprunteur final. Elles demandent donc de nombreux documents et dossiers, et cela se transforme en usine à gaz pour les gestionnaires.
L'idée est donc de mettre en place un vrai prêt collectif, que l'on ferait voter non plus à l'unanimité, mais selon les mêmes règles de majorité que celles qui valent pour le vote des travaux. Il est en effet impossible d'obtenir l'unanimité dans une copropriété.
Enfin, la surélévation est effectivement une bonne solution. J'ai rendez-vous en fin de semaine avec un architecte spécialisé dans ce domaine. Nous verrons quels immeubles pourront techniquement s'y prêter. Il est vrai que la loi Alur a facilité la surélévation en réduisant la règle de majorité de l'article 26 à l'article 25 pour les secteurs où l'on a un droit de préemption, en transformant le droit de veto des propriétaires du dernier étage en droit de préférence et en supprimant le coefficient d'occupation des sols (COS). Cela a permis de libérer du foncier. Il faut insister dans cette voie qui me semble tout à fait saine et réalisable.
M. Loïc Cantin. - La rénovation énergétique ne concerne pas seulement les parcs des copropriétés. Sur la base des diagnostics effectués, nous avons superposé les logements classés F et G et les logements vacants. Or nous avons relevé une parfaite concordance entre eux, dans une diagonale du vide allant de l'est au sud-ouest du pays. Pour rappel, le parc de logements vacants a grandi à hauteur de 1 million de logements en quinze ans. Or ces logements sont laissés de côté, alors qu'ils font partie du territoire national, de notre richesse.
Les annonces du CNR prévoient que le prêt à taux zéro sera seulement accessible pour la rénovation des appartements dans les zones tendues, en collectif. Les maisons individuelles ont été écartées de ce dispositif. C'est une grave erreur. Quand on veut faire de la rénovation énergétique, il faut se pencher sur le patrimoine auquel veulent avoir accès les primo-accédants. La rénovation énergétique participe du soutien au maintien de la valorisation de ce patrimoine, dans des territoires oubliés. Elle ne concerne pas uniquement les grandes agglomérations.
Je voudrais revenir par ailleurs sur une question posée récemment à Olivier Klein. Sur le site de la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP), il est écrit que l'indécence énergétique trouve à s'appliquer non pas au 1er janvier 2025, pour les appartements classés G, mais au renouvellement du bail. Je m'explique : si un propriétaire bailleur conclut un bail de trois ans, prenant effet au 1erjuillet 2023, il se retrouve dans tous les cas exposé au 1er janvier 2025 au risque d'avoir un logement indécent. Il est bien dit en effet qu'un logement classé G sera considéré comme indécent au 1er janvier 2025. Or sur le site de la DHUP, il est écrit qu'il sera considéré comme tel au 1er juillet 2026. Telle est la réponse du ministère, mais nous ne connaissons pas la position du juge judiciaire.
Cela fait courir un risque important à nombre de professionnels, qui amèneraient des propriétaires à conclure des baux de trois ans, sachant qu'ils seront exposés au 1er janvier 2025 au risque de dépôt d'un recours par leur locataire. Nous voulons une réponse précise à cette question, et nous ne l'avons pas. Il faut mesurer toutes les conséquences d'un tel dispositif. Nous devons accompagner les propriétaires, et nous nous trouvons dans une situation très embarrassante face aux questions qui nous sont posées. Nous ne voulons pas voir notre responsabilité professionnelle engagée sur un manquement à cette réponse.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci pour cette table ronde passionnante. Nous savons pouvoir compter sur votre mobilisation pour relever le défi de la rénovation énergétique.
Audition de
Mme Agnès Pannier-Runacher,
ministre de la transition
énergétique
(Mardi 6 juin 2023)
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête en recevant Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique.
Madame la ministre, vous occupez cette fonction depuis le 20 mai 2022. Auparavant, vous avez été secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, d'octobre 2018 à juillet 2020, puis ministre déléguée chargée de l'industrie, de juillet 2020 jusqu'à mai 2022.
La rénovation des logements est au coeur de la politique de transition énergétique de la France. Je souhaite donc en préambule que vous nous exposiez la stratégie de la France en la matière. Quelle est la place de la rénovation énergétique des logements dans la transition énergétique d'ici à 2030, entre 2030 et 2050 et au-delà ? Comment contribue-t-elle à relever le défi du « mur énergétique qui attend la France en 2030 » selon l'expression que vous avez vous-même employée ?
Nous aimerions également vous entendre sur ce que vous considérez comme les principaux freins à la politique de rénovation énergétique des logements en France et les améliorations possibles.
Dans le cadre de la stratégie nationale-carbone (SNBC), le pays s'est donné l'objectif de disposer d'un parc entièrement rénové aux normes « bâtiment basse consommation » (BBC) en 2050, ce qui supposerait la rénovation performante d'au moins 500 000 logements par an. Pourtant, hier, la Première ministre n'a annoncé que 200 000 rénovations performantes à l'horizon 2024 à l'occasion de la conclusion du Conseil national de la refondation sur le logement.
En parallèle, l'atteinte de l'objectif de réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre en 2030 par rapport à 1990 suppose, d'après le Secrétariat général à la planification écologique, un effort de réduction de 27 millions de tonnes de CO2 par la rénovation énergétique des logements, dont 17 millions de tonnes CO2 qui seraient évitées grâce au remplacement des chaudières.
À cet égard, lors du Conseil national de la transition écologique du 22 mai, présidé par la Première ministre, il a été évoqué l'interdiction des chaudières à gaz, dans la lignée de celle des chaudières au fioul. Pouvez-vous nous donner des précisions sur cette mesure ?
Est-ce que le remplacement des systèmes de chauffage pourrait se faire au détriment du renforcement de l'isolation des bâtiments, et donc de l'atteinte des objectifs de la SNBC ? De plus, est-ce que cela ne conduirait pas à donner à l'électricité une place trop importante et peut-être non soutenable dans le mix énergétique du pays ?
Dans le cadre d'une audition le 31 mai à l'Assemblée nationale, vous avez annoncé vouloir travailler sur la question du « reste à charge zéro » pour les ménages modestes. Le reste à charge est en effet l'un des principaux obstacles à la politique de rénovation énergétique pour ces ménages, mais dans le même temps, atteindre un « reste à charge zéro » comporte des effets pervers, notamment pour des raisons de fraude, comme l'ont montré les « offres à 1 euro ».
Plusieurs acteurs accompagnant les ménages très modestes nous ont également fait part de leurs réserves pour des raisons de dignité, ces personnes souhaitant être parties prenantes de la rénovation de leur logement. Comment diminuer le reste à charge des ménages, tout en maintenant un signal-prix suffisant et s'assurer de l'engagement des personnes directement concernées ?
À ce titre, les prêts à la rénovation énergétique, que ce soit l'éco-PTZ ou le « prêt avance rénovation » (PAR), sont des outils essentiels pour financer le reste à charge des ménages, mais ils n'ont pas encore atteint les ménages modestes - le prêt avance rénovation en particulier cible les ménages modestes, mais il est très peu distribué. Comment expliquez-vous ce faible déploiement ? Le Gouvernement a-t-il des propositions concrètes pour l'améliorer, le point ayant été évoqué hier soir par la Première ministre ?
Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site Internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.
Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Pannier-Runacher prête serment.
Madame la ministre, vous avez la parole.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique. - Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les Sénateurs, merci de m'auditionner dans le cadre de vos travaux consacrés à la rénovation énergétique. Ces travaux seront également pris en compte dans le cadre de ceux que nous menons concernant la loi de programmation Énergie-climat et des sept groupes de travail qui ont été lancés en début de mois.
Avant d'en venir aux différents axes d'action de la politique que je porte, un mot général sur le sujet. Parmi tous les leviers de la transition énergétique sur lesquels agit mon ministère, ce levier-là a une sensibilité particulière pour nos concitoyens, et en particulier les plus jeunes.
On peut évidemment penser aux différentes manifestations de collectifs citoyens ou associatifs, mais j'entends également une attente forte sur cette question en raison d'une prise de conscience collective du poids considérable du secteur du bâtiment dans nos émissions de gaz à effet de serre, sur lequel chacun peut agir à titre individuel, mais aussi d'un souci de justice sociale. Ces travaux ne sont pas seulement des contraintes. Ce sont aussi des opportunités pour les logements d'acquérir plus de confort grâce à une plus grande chaleur l'hiver et à une plus grande fraîcheur pendant l'été. C'est un sujet qui devrait monter dans les années qui viennent.
Cela représente évidemment plus de pouvoir d'achat de manière pérenne, car les factures d'énergie se stabilisent et baissent après rénovation. Or vous l'avez dit, tout le monde n'a pas les moyens de se payer ces travaux. Je ne centrerai pas mon propos sur le tertiaire et le public. Je veux simplement dire qu'il est très important de considérer les trajectoires carbone du bâtiment et avoir une politique très claire dans ce domaine.
Le secteur résidentiel représente plus de 30 % de notre consommation en énergie et 10 % de nos émissions de gaz à effet de serre. C'est la raison pour laquelle la rénovation thermique du parc de logements est une priorité de l'agenda climatique national présenté par la Première ministre le 22 mai dernier. Cet agenda s'inscrit plus globalement dans les objectifs très ambitieux fixés par le Président de la République de faire de la France le premier grand pays au monde à sortir de sa dépendance aux énergies fossiles pour atteindre une neutralité carbone en 2050.
La rénovation énergétique est à cet égard un des grands leviers de notre stratégie énergétique, qui se décline en quatre piliers : efficacité énergétique, dont la rénovation est une composante essentielle, sobriété énergétique, déploiement des énergies renouvelables et relance historique de la filière nucléaire.
Permettez-moi de rappeler que l'année 2022 a vu nos émissions de gaz à effet de serre baisser de 2,7 %. Compte tenu de la crise énergétique dans laquelle nous nous trouvions, il n'était pas si aisé que cela d'atteindre ce pourcentage. Les bâtiments ont baissé leurs émissions de gaz à effet de serre sur toute l'année de 15 %. On voit donc bien qu'il ne faut pas séparer efficacité énergétique et sobriété énergétique. C'est une façon d'aborder l'effet rebond, qui revient souvent dans les problématiques sur les politiques d'efficacité de rénovation thermique.
Depuis le Grenelle de l'environnement lancé par Jean-Louis Borloo, la France s'est fixé des objectifs ambitieux de rénovation énergétique. Pour y parvenir, l'État a déployé de nombreux dispositifs pour inciter les Français à rénover leur logement. Le crédit d'impôt transition énergétique (CITE), supprimé en 2020, marque un changement de philosophie majeure, sous le précédent quinquennat, avec la création de MaPrimeRénov'. L'aide était en effet mal ciblée, puisqu'elle bénéficiait à peu de ménages et plutôt aux ménages les plus aisés. C'est la raison pour laquelle nous avons pris la décision de repenser et de réorienter le dispositif vers les ménages les plus modestes.
Par ailleurs, le dispositif permettait des gains énergétiques et climatiques modestes - je pense notamment au changement de fenêtres. Le quinquennat précédent a permis des avancées structurantes pour répondre à ces différents écueils.
MaPrimeRénov, qui a été lancée en 2020, a permis de massifier des écogestes chez les ménages, avec plus de 1,6 million de projets de travaux engagés et aidés depuis 2020. Elle est plus juste, puisqu'elle a réorienté les financements à plus de 80 % en faveur des ménages modestes - 40 % de la population contre 10 % seulement avec l'ancien crédit d'impôt.
En matière de suivi qualitatif des opérations, la refonte du diagnostic de performance énergétique nous dote d'un outil plus solide pour évaluer réellement la performance environnementale du parc. C'est un indicateur fondamental pour appliquer le calendrier ambitieux de la loi Climat et résilience et éradiquer les passoires thermiques dans le parc locatif.
Nous avons aussi renforcé l'accompagnement, grâce au lancement, en début d'année 2022, du service public de la rénovation de l'habitat, France Rénov'. Cette marque unique, qui rassemble le réseau de l'Ademe et de l'Anah doit nous permettre d'offrir, partout sur le territoire un point d'entrée délivrant une information et un conseil de qualité sur les travaux et les aides mobilisables.
MaPrimeRénov' a eu aussi des résultats sur l'efficacité énergétique des opérations, puisque le dispositif a permis en 2021 une augmentation des économies d'énergie annuelle de l'ordre de 40 % par rapport au crédit d'impôt en 2019. L'impact carbone du dispositif est par ailleurs très positif : 90 % des systèmes de chauffage renouvelable installés se substituent au fioul ou au gaz. Nous nous y retrouvons donc au regard de notre objectif de décarbonation des logements.
Il faut d'ailleurs noter que l'objectif de réduction de notre consommation d'énergie et celui de réduction des gaz à effet de serre ne sont pas totalement convergents. Il faut donc avoir ces aspects à l'esprit lorsque nous arrêtons des politiques publiques.
Évidemment, nous pouvons aller plus loin. Maintenant que nous avons posé les bases de la structuration d'un service public unifié de l'habitat, nous voulons renforcer l'efficacité de cette politique, accélérer la réduction de la consommation d'énergie et la sortie des passoires thermiques. Je rappelle qu'un texte va nous y inviter très directement. Il s'agit de la directive sur la performance énergétique des bâtiments. Ce texte est actuellement en discussion, mais sa vision est alignée sur la loi française. Nous plaidons en ce sens. Cela signifie que nous sommes en train de créer, au-delà de la France, deux véritables filières européennes pour accompagner cette mutation. Ce n'est pas indifférent pour les politiques que nous menons.
La marche est haute. Vous l'avez rappelé, les émissions de gaz à effet de serre du secteur du bâtiment se sont élevées à 75 millions de tonnes en 2021. Il faudrait atteindre 30 millions de tonnes en 2030, soit une baisse de plus de 60 %. C'est cette trajectoire qui est discutée dans le cadre de la SNBC, cadre dans lequel nous menons les concertations avec des sénateurs, des députés, des élus locaux et les filières.
Avec mes collègues Christophe Béchu et Olivier Klein, nous avons identifié plusieurs axes de travail. Il s'agit tout d'abord de fiabiliser le parcours des usagers en portant une attention particulière aux délais de traitement des dossiers. Même si les retards concernent moins de 2 % des 700 000 dossiers traités par an, ce sont quand même des milliers de dossiers en trop, et c'est surtout un bruit de fond négatif qui peut retarder le passage à l'acte des ménages français.
Une attention particulière doit aussi être portée aux dysfonctionnements de la plateforme, tout en demeurant intraitable sur les fraudes et les tentatives de fraudes. Il faut néanmoins avoir conscience de ce point de tension. On ne peut en même temps vouloir des contrôles toujours plus rapides et pointer l'existence d'arnaques et de fraudes. Il y a donc un juste milieu à définir.
Je souhaite également que nous accélérions le remplacement des 11 millions de chaudières à gaz et des plus de 2,7 millions de chaudières à fioul. La concertation que nous avons lancée hier doit permettre, avec les acteurs de la filière, de documenter les solutions alternatives en considération des enjeux environnementaux, mais aussi les solutions économiques, sociales, géographiques, car on n'a pas les mêmes solutions sur un territoire rural, au nord ou au sud de la France.
L'alternative à une chaudière au fioul ou à une chaudière au gaz n'est pas nécessairement l'électricité. On sait tous que la chaleur renouvelable est un levier particulièrement puissant, avec un coût d'abattement de la tonne carbone compétitif. Il est également possible de recourir à la géothermie. Ce n'est pas un gigantesque gisement, mais c'est quand même une énergie intéressante et permanente. Il ne faut donc pas se limiter à la seule solution de l'électricité.
Plus on anticipe, plus on laisse le temps aux filières industrielles et aux filières des services de s'organiser pour permettre ces changements lorsque la chaudière est hors d'usage. Ne pas remplacer du fossile par du fossile paraît assez naturel. On peut, à cette fin, recourir à des options d'accélération, un peu comme avec la prime à la casse pour les véhicules thermiques. Si on veut atteindre la neutralité carbone en 2050, il faut anticiper ces sujets.
La peur n'excluant pas le danger, il nous semble important de poser le sujet de la manière la plus sereine possible et de tracer des perspectives ambitieuses d'accompagnement de la filière et des ménages.
Je souhaite enfin que nous intensifiions nos efforts sur le nombre de rénovations performantes au sens de la loi, c'est-à-dire celles qui permettent un gain énergétique de l'ordre de 50 %, en offrant surtout aux ménages vivant dans les passoires thermiques une réduction durable de leurs factures d'énergie. On en comptait 70 000 l'année dernière. Elles ont représenté 10 % des rénovations aidées par MaPrimeRénov' en 2021 et 2022. C'est beaucoup plus qu'avec le CITE, mais notre objectif est de tripler le nombre de rénovations en 2024.
On a multiplié par dix le nombre de dossiers de rénovation entre le début du précédent quinquennat et la fin de celui-ci. L'objectif est d'accélérer le mouvement en structurant les solutions et les filières pour que cela fonctionne.
Dans cette perspective, le Gouvernement entend structurer les aides autour de deux piliers dès 2024, pour plus de lisibilité et un meilleur ciblage des opérations, ainsi qu'une optimisation de nos ressources. Le pilier « performances » comprend des aides renforcées, avec un accompagnement obligatoire pour les rénovations d'ampleur et pour les passoires thermiques. Le pilier « efficacité » va permettre de réaliser des travaux dans les logements occupés autour de bouquets efficaces, en couplant la rénovation, l'isolation et le changement de chaudière, voire proposer un simple changement de chaudière dès lors que le bâtiment est récent et a des qualités d'isolation acceptables. Cela va permettre d'accélérer les choses. Il faut avoir à l'esprit que certains travaux ne peuvent se faire dans des logements occupés. Déménager pour six mois n'est pas simple.
Concrètement, nous allons nous appuyer sur plusieurs leviers structurels pour mettre en oeuvre ces deux évolutions. Nous devons renforcer l'attractivité des opérations de rénovation auprès des ménages en les accompagnant mieux. L'idée est de renforcer le conseil de proximité et l'accompagnement de bout en bout. On dispose aujourd'hui de 550 guichets physiques France Rénov'. Notre objectif serait d'en avoir un par intercommunalité, qu'il s'agisse d'un guichet dédié, d'une maison France Services avec une personne formée ou d'un service de l'intercommunalité labellisé France Rénov'. On voit bien l'enjeu de ces contrats et l'importance de travailler main dans la main avec les élus locaux et les collectivités locales.
Un accompagnement technique neutre, fiable et de qualité est nécessaire. C'est le sens du dispositif Mon Accompagnateur Rénov'. Il s'agit de proposer aux ménages un interlocuteur de confiance qui les accompagne dans un projet de rénovation approfondi, car on sait que ce sont des projets plus complexes.
Pour les ménages les plus précaires, la Première ministre a acté, comme je le défendais, un « reste à charge zéro » en matière d'accompagnement. L'objectif est de créer un conseil de service public où l'on garantit qu'il n'y a pas d'interférence avec des intérêts favorisant tel type de technologie ou de travaux, ce qui permet de boucler l'ensemble du dossier dans sa dimension financière et technique.
Ce nouveau programme, qui est financé par les certificats d'économies d'énergie (CEE) portés par mon ministère, sera doté d'environ 300 millions d'euros. C'est l'estimation que nous en faisons aujourd'hui pour deux à trois ans.
Les niveaux de prise en charge pour les autres ménages seront précisés la semaine prochaine. Je vous confirme qu'ils resteront très importants, également pour les ménages dits modestes.
Je rappelle que nous avons engagé en mai une concertation avec les collectivités locales mobilisées sur les thématiques de rénovation et d'habitat pour garantir la bonne structuration de ce service sur le territoire. Nous aurons aussi besoin de capitaliser sur l'action et le volontarisme des collectivités locales, qui sont des partenaires financiers étroits de l'État et de l'Anah sur ces thématiques.
Nous devons en outre poursuivre notre travail pour rendre plus incitatives les aides et mieux les adapter à la situation des ménages, en particulier les plus modestes, d'abord en facilitant leur cumul. Il existe pour ce faire deux aspects structurants. Le premier est de faciliter le cumul de MaPrimeRénov' et des CEE. Or nous savons qu'ils ont été conçus avec des logiques différentes et qu'il n'est pas si simple de les empiler. Les critères sont donc différents. Il nous semble que ce n'est pas aux ménages - en particulier les plus modestes - de réaliser toute l'ingénierie financière et de remplir les dossiers. Cela peut constituer un rôle important de Mon Accompagnateur Rénov'. Je défends le couplage des aides CEE et MaPrimeRénov' au niveau de l'Anah.
Il convient par ailleurs de faciliter le financement du reste à charge grâce aux facilités bancaires. Sur ce point, il faut retravailler le financement et étudier tous les freins qui existent, qu'il s'agisse de l'éco-PTZ ou du prêt avance-rénovation. Le prêt bancaire vise notamment à prendre en compte la situation de surendettement, d'endettement ou la capacité de remboursement des personnes les plus fragiles. Si celles-ci se distinguent précisément par un revenu fiscal de référence qui ne leur permet pas de justifier du niveau de remboursement qui leur est demandé, le serpent se mord la queue. Il y a là un sujet d'accompagnement. Des dispositifs de garantie d'État ont été mis en place.
Je suis d'accord avec vous à propos de la notion de dignité que vous évoquez à propos du « reste à charge zéro ». Pour que cela fonctionne, il faut aussi que les ménages soient les acteurs de la rénovation, qu'ils choisissent leur niveau de confort. Ce projet leur appartient, mais il faut être conscient que certains de nos dispositifs ne sont pas activés parce que ces ménages ne remplissent pas les cases pour un prêt bancaire classique ou même renforcé. Peut-être faut-il d'ailleurs se poser la question de la façon dont on peut engager le financement sur la base des perspectives d'économies d'énergie. Je n'ai pas de réponse à ce stade, mais ce sont des éléments qu'il faut regarder plus précisément.
Nous devons ensuite travailler pour rendre les rénovations performantes plus incitatives que les aides monogestes, grâce à une évolution des barèmes qui rende plus intéressant le fait de réaliser trois ou quatre gestes plutôt qu'un simple changement de chaudière. C'est ce que je défendrai dans les discussions interministérielles dans le cadre du projet de loi de finances pour 2024. La Première ministre a indiqué hier que les aides à la rénovation performante augmenteront l'année prochaine.
Je pense qu'il peut être intéressant d'envisager un ticket modérateur pour s'assurer du sérieux des projets, mais j'invite chacun à regarder à quel point il s'agit de sommes considérables pour les ménages dont nous parlons.
Je renvoie ces sujets aux futures discussions budgétaires, mais également à la discussion avec les collectivités locales, qui sont nos partenaires financiers, en particulier pour accompagner les publics fragiles.
Il faudra évidemment intégrer dans cette approche les CEE gérées par mon ministère. Ils représentent environ 3 milliards par an pour le logement résidentiel. Dès 2024, ils permettront de financer la montée en puissance des rénovations d'ampleur avec Mon Accompagnateur Rénov'.
Enfin, la réalisation de rénovations performantes ne déprendra pas seulement des aides et de l'ingénierie financière. Il nous faut aussi plus de professionnels en mesure de proposer ces rénovations d'ampleur et des groupements d'artisans en mesure de le faire. C'est un point assez consensuel dans toutes les discussions que moi j'ai pu avoir avec le Parlement.
La seconde édition des Assises du bâtiment a vocation à identifier les freins, mais aussi les leviers à activer, comme les recrutements et les reconversions dans les métiers de la rénovation énergétique. Sur ces différents enjeux, on le sait, la mobilisation de la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb) et de la Fédération française du bâtiment (FFB) sera déterminante. J'espère que les évolutions que nous apportons en matière de lycée professionnel, d'enseignement professionnel, de reconversion et tout le travail que nous réalisons en faveur de France Travail pourront alimenter la mise en place de ces filières.
Un dernier mot avant de conclure pour vous faire part du travail entrepris avec les ministres Attal, Grégoire et Barrot sur la lutte contre la fraude aux travaux de rénovation énergétique. Il est impossible, aujourd'hui, de naviguer sur Internet sans tomber sur des publicités agressives et peu crédibles sur la rénovation thermique. Chacun a en tête des exemples déplaisants de devis forcés, voire de vente forcée, de travaux mal réalisés ou de faux dossiers. C'est un sujet sur lequel nous devons être intraitables au regard des sommes que nous voulons mettre en oeuvre en plus dans cette politique et de la nécessaire confiance que doivent avoir nos concitoyens dans le système et la qualité des travaux menés.
On aura prochainement l'occasion de détailler ces mesures anti-fraudes et anti-arnaques. Elles sont d'autant plus utiles que, si l'on veut faire de l'« aller vers », il faut bien distinguer le vrai fonctionnaire qui appelle un ménage qui vit dans une passoire thermique du démarcheur qui est là pour placer des pompes à chaleur achetées en Asie.
Vous l'aurez compris, le Gouvernement poursuit la montée en puissance de sa politique de rénovation de logements dans le but de réduire nos émissions de gaz à effet de serre, notre consommation énergétique et éradiquer les passoires thermiques grâce à la mise en place d'un écosystème performant qui regroupe pouvoirs publics, professionnels du bâtiment, acteurs du financement et collectivités locales, qui seront absolument clés, notamment pour fournir la connaissance du tissu artisanal et de l'écosystème local afin d'aller plus vite.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Vous avez fait référence au prochain projet de loi de finances, dans le cadre duquel certaines mesures pourront bien évidemment être discutées, voire votées. Cependant, vous n'avez pas parlé de la loi pluriannuelle sur l'énergie à venir. Cela signifie-t-il qu'il y aura aussi dans cette loi des points qui concerneront cette politique de rénovation énergétique des logements ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Tout à fait, car vous l'avez souhaité. Je rappelle que la loi de programmation Énergie-climat doit contenir les objectifs de rénovation énergétique dans le secteur du bâtiment pour deux périodes successives de cinq ans, en cohérence avec l'objectif de disposer, à l'horizon 2050, d'un parc de bâtiments sobres en énergie, etc., via la mise en oeuvre d'un système stable d'aides budgétaires, d'aides fiscales de l'État, accessibles à l'ensemble des ménages et modulées selon leurs ressources. Il faut également tenir compte des spécificités territoriales liées notamment aux typologies d'habitation et aux conditions climatiques.
Les rénovations portent notamment sur les gestes à accomplir dans le cadre de travaux, les bouquets de travaux, ainsi que sur les rénovations énergétiques performantes et globales. Tout est déjà dans la loi Climat et résilience. Nous y travaillons. C'est l'un des objets du groupe de travail sur l'efficacité énergétique pour lequel nous vous avions sollicités.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Il est vrai que l'on pourrait être tenté, en matière de rénovation thermique, de changer d'équipement de chauffage et ainsi aller vers l'électrique pour décarboner. Comment faire pour ne pas tomber dans cette dérive ? Jusqu'à présent, on ne peut pas dire que l'on soit sur de la rénovation globale, mais plutôt sur des changements de chaudières.
J'entends bien que l'objectif est de se passer de tous les moyens de chauffage recourant aux hydrocarbures, mais le fait de se passer totalement du gaz pose aussi la question de savoir comment on aborde ce changement au niveau de chaque territoire. Il serait surprenant qu'on propose une pompe à chaleur plutôt que des chaudières à gaz lorsqu'il existe des projets de méthanisation.
Il en va de même pour les réseaux de chaleur : on a pu préconiser des pompes à chaleur lorsqu'il existe déjà un réseau de chaleur et qu'il aurait été plus logique d'intervenir à ce niveau. Est-il prévu de développer le fonds Chaleur ? Dans les collectivités où existaient déjà un accompagnement et des plateformes de rénovation, les résultats sont intéressants et fluides. Attention à ne pas créer un nouveau dispositif et à ne pas revenir en arrière. Comment inscrivez-vous votre dispositif dans cette démarche locale ?
Le fait de disposer d'une maison France Services par intercommunalité paraît intéressant. Encore faut-il que les collectivités en aient les moyens. Les maisons France Services sont financées en grande partie par les collectivités. Ce biais local me paraît particulièrement important.
S'agissant du DPE, tout le monde se dit qu'il s'agit globalement d'un thermomètre plutôt intéressant, mais il faut l'améliorer. De quelle manière l'applique-t-on ? On avait tout à l'heure une table ronde avec les représentants des copropriétés. La question du DPE collectif est un vrai sujet. Comment faire en sorte de ne pas se retrouver avec des logements individuels qu'on ne peut plus louer et où le propriétaire ne peut rien faire ?
Par ailleurs, les accompagnateurs du dispositif Mon Accompagnateur Rénov' vont faire partie d'un dispositif assez important. On n'a pas encore compris leur périmètre d'intervention. S'agit-il d'un simple accompagnement administratif - recherche de subventions, etc. ? On nous a parlé de missions de 150 à 200 euros.
On nous a aussi parlé d'un super accompagnateur qui suivrait la totalité de la mission avec une quasi-maîtrise d'oeuvre, pour des prestations de l'ordre de 2 000 euros ou 3 000 euros, ce qui n'est pas neutre pour les ménages modestes. Cela change aussi le rôle de l'accompagnateur.
S'agissant de la fraude, on trouve sur Internet des sites de toutes sortes, dont ceux d'Engie ou de Total, qui ne sont pas de petites entreprises et qui orientent leurs clients vers un changement de chaudière. Quelqu'un qui veut simplement faire des économies va être totalement exclu de tout accompagnement.
Le fait de généraliser le DPE permettrait une meilleure visibilité globale de l'ensemble des bâtiments et nécessiterait surtout d'en disposer pour toute demande de subvention, ce qui permettrait d'éviter d'être mal orienté et de se faire une idée des premiers travaux à réaliser.
Enfin, comment imaginez-vous l'harmonisation des CEE et de MaPrimeRénov' pour que les choses soient plus simples pour l'utilisateur et qu'il n'existe pas trop d'orientations différentes - combles à un euro, chaudières à un euro ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Tout d'abord, il n'est pas de notre intérêt de faire du « tout électrique », même si nous sommes très « électro-centrés » en France, a fortiori quand on a des réseaux de chaleur disponibles ou des projets de réseaux.
Vous avez mentionné le fonds Chaleur. Avec Christophe Béchu, nous sommes très clairs : aujourd'hui, le fonds Chaleur est l'outil qui fonctionne le mieux dans les projets de collectivités locales, les projets industriels ou les projets en faveur des ménages, comme le soutien à la géothermie. Plus de 900 millions d'euros de dossiers sont déposés. On était à 320 millions d'euros de crédit il y a deux ans. On est passé à 570 millions d'euros cette année, et cela ne fait qu'augmenter. Or ce ne sont pas de mauvais projets. Le coût d'abattement de la tonne carbone de ces projets est très compétitif. Ce sont des projets qui doivent être soutenus. On peut avoir des doutes sur certains sujets. Certains relèvent de la transition. Ce n'est pas le cas ici.
S'agissant de la méthanisation et des réseaux de gaz, parle-t-on de boucles courtes, qui peuvent inciter à conserver la même situation, ou d'injections dans le réseau ? Ce n'est pas tout à fait la même chose. Si l'on constate mécaniquement une diminution du recours au gaz, le coût du réseau de distribution sera supporté par un nombre toujours décroissant de personnes, avec un risque pour elles de ne pouvoir payer. Cela doit se faire en bon ordre et avec différents scénarios. C'est pourquoi j'invite à la vigilance et à se poser les bonnes questions tout de suite.
Toutefois, la pompe à chaleur hybride permet, dans des zones froides, d'avoir de l'électricité les trois quarts du temps et de faire face aux pics de froid grâce au bon dimensionnement du chauffage. Il n'y a donc pas de façon unique de faire.
De même, on peut pousser à la progression des renouvelables dans le réseau de chaleur, mais on ne peut changer de logique du jour au lendemain. Les Pays-Bas et l'Allemagne ont été amenés à revoir certains paramètres. Ceci est riche d'enseignements. Les filières industrielles sont très importantes pour nous. Beaucoup d'acteurs sont très bons en matière de chaudière gaz, mais ont déjà une offre de pompes à chaleur, comme Atlantic et autres producteurs français. Le marché européen va totalement décoller. Il faut faire en sorte que le basculement vers ce nouveau marché soit réalisé dans les temps pour que nos industriels puissent suivre et adapter leur appareil de production. Aujourd'hui, on a des produits de meilleure qualité que ce que l'on peut voir hors de l'Europe.
Pour ce qui est des collectivités locales, je suis totalement d'accord avec vous. Les maisons France Services peuvent être remplacées par un point France Services ou un guichet de la collectivité locale qui a déjà l'expérience et qu'on labellise France Rénov' à telle ou telle condition contractuelle. L'enjeu est d'avoir un point d'entrée France Rénov' dans toutes les intercommunalités, en utilisant les voies les plus évidentes dans le dispositif physique dont nous disposons, soit le guichet de l'intercommunalité, soit un guichet qui existe déjà mais qui n'est pas spécialisé en matière de rénovation, soit un guichet déjà spécialisé dans la rénovation. Il ne faut pas casser ce qui existe. On risquerait de retarder les politiques que nous portons.
S'agissant du diagnostic et du collectif, je pense qu'Olivier Klein et Christophe Béchu vous répondront plus directement sur ces sujets. Nous avons effectivement un plan d'action pour améliorer la qualité des DPE. Il s'agit de renforcer les compétences des diagnostiqueurs - sensibilisation, formation, meilleur outillage des organismes de certification des diagnostiqueurs et plus grand nombre de contrôles sur le terrain. Pour ce qui est des décisions collectives, il convient également de réfléchir aux modalités de prise de décisions en copropriété. Ce sont des points qui ont été déjà traités en matière de bornes de recharge.
Mon Accompagnateur Rénov' a bien une mission approfondie. Il s'agit plus de plusieurs milliers d'euros que d'une centaine d'euros. Ce dispositif comporte trois objectifs. Le premier consiste en un accompagnement technique - audit énergétique, recommandations de scénario de travaux, orientation vers des artisans reconnus garants de l'environnement (RGE) et aide à l'analyse des devis. Le deuxième objectif concerne l'accompagnement financier - aide à la mobilisation financière pour réduire le reste à charge, possibilité d'accompagnement administratif dans la réalisation des démarches.
C'est là qu'un travail est à faire en matière d'alignement des CEE et de MaPrimeRénov'. J'ai l'habitude de dire à mes équipes que les Français veulent des prestations. À nous de savoir de quel numéro de programme cela dépend et qui le gère. Ce devrait être totalement transparent du point de vue des ménages. C'est plus facile à dire qu'à faire mais c'est vers cela qu'il faut tendre.
J'ai fait une proposition qu'il faut approfondir. On dispose de données opérationnelles sur les logements. Grâce à Enedis et Gazpar, on connaît les consommations et le nombre de mètres carrés grâce aux fichiers fiscaux. Tout ce champ devrait être investigué pour sécuriser des parcours plus efficaces en termes d'objectifs et toucher les bonnes personnes.
Le troisième objectif de Mon Accompagnateur Rénov' est celui de l'accompagnement social dans les situations de précarité énergétique, d'habitat indigne ou de perte d'autonomie. Mon Accompagnateur Rénov' peut réaliser des missions supplémentaires.
Quant au DPE obligatoire, il peut aussi constituer un frein au passage à l'acte. Si vous rapprochez les données de consommation du nombre de mètres carrés, on est capable dans 90 % des cas, de pointer des écarts par rapport à la moyenne. Si on place la barre trop haut, on risque un refus d'obstacle. C'est pourquoi on cherche à positionner les politiques publiques au bon niveau.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Le DPE permet quand même de franchir l'obstacle.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Mais cela représente une étape de plus.
M. Jean-Pierre Corbisez. - Madame la ministre, vous avez parlé d'amplification, de massification et de rénovation énergétique performante. Il faudra cependant un chef d'orchestre pour organiser tout cela. Certains de nos collègues sont déjà intervenus dans l'hémicycle à propos du dossier informatique de MaPrimeRénov', qui constitue un véritable parcours du combattant. Ne faudrait-il pas mettre en place un pilote unique de façon à être vraiment efficace ?
Par ailleurs, les Pays-Bas ont reculé la date butoir de l'utilisation du gaz fossile pour des raisons financières. Quand le gaz vert va arriver, ceux qui sont déjà propriétaires d'une chaudière au gaz n'auront rien à faire pour changer de système. Or on reçoit tous les jours une publicité pour dire que la région des Hauts-de-France finance pour un euro une pompe à chaleur ou les panneaux photovoltaïques, etc. Beaucoup de gens modestes se font démarcher pour changer leur chaudière à gaz et passer à d'autres systèmes comme les pellets, la pompe à chaleur ou le photovoltaïque. Ne peut-on accélérer la production du gaz vert ?
Dans mon territoire, un des derniers grands groupes français, Atlantic, vient de sortir un modèle innovant de chaudière gaz-pompe à chaleur, qui est le meilleur système existant. Ce genre de projet a déjà des débouchés aux Pays-Bas, mais la mauvaise réputation des chaudières à gaz actuelles fait que les groupes industriels sont très inquiets sur leur avenir. Comment pourriez-vous intervenir pour éviter les publicités mensongères qui commencent à fleurir ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Pour ce qui est des acteurs, l'Anah est aujourd'hui le pivot de notre politique de rénovation thermique, mais va aussi accompagner les enjeux d'accessibilité, de vieillissement de la population et d'habitat indigne. C'est un pivot naturel qui a vocation à accompagner les personnes.
Avec Christophe Béchu, nous faisons le pari qu'il existe une voie pour contractualiser avec les intercommunalités qui y sont prêtes, même s'il faut les moyens, la structure, les personnes pour déléguer ces crédits de rénovation et permettre un accompagnement en toute confiance dans le cadre d'un cahier des charges précis.
Ce sont autant d'éléments qui ne sont pas négligeables et qui peuvent permettre des passages à l'acte. Il faut effectivement mettre en oeuvre toutes les ressources disponibles en matière d'information et de données. Je pense qu'on ne va pas suffisamment loin aujourd'hui dans ce domaine. On touche à l'intime et la nature de l'accompagnement reste essentielle.
S'agissant du gaz vert, de quoi parle-t-on ? On parle de 480 TWh de gaz fossile. De façon très caricaturale, notre mix énergétique comporte 500 TWh de carburant, 500 TWh de gaz, 500 TWh d'électricité. La capacité à injecter du biogaz dans le réseau est aujourd'hui de 10 TWh, soit 2 %.
La biomasse disponible - biocarburants, biogaz, alimentation d'un certain nombre de réseaux, etc. - sujet sur lequel nous travaillons avec Marc Fresneau, a par construction trois priorités : nous nourrir, nourrir les animaux d'élevage et préserver le puits de carbone. On est donc dans une équation qui n'est pas simple. Il faut cesser de penser qu'il suffit d'attendre que le gaz vert arrive pour enlever et remettre la prise. Ce ne sera pas si simple. On aura la faculté de le faire dans certains endroits déterminés, mais on aura à chaque fois une question de priorité des utilisations entre biomasse, biométhane et alternatives.
Notre objectif est d'utiliser la biomasse en fonction de son adéquation, en commençant par l'alimentation et en sécurisant les besoins pour lesquels il n'existe pas d'alternative décarbonée. On sait par exemple que la haute température n'offre pas tant d'alternatives et que le biogaz, pour l'industrie, n'est pas totalement une ineptie.
En revanche, dans une maison de ville, il faut peut-être privilégier le réseau de chaleur, la pompe à chaleur classique ou recourir à la géothermie, comme à Nice, par exemple. Notre ambition, au travers de la planification énergétique, est d'amener tous les territoires à se poser ces questions. Quelles sont les énergies les plus accessibles compte tenu de la géographie, quels sont les problèmes les plus criants ? La réponse est multifactorielle.
Nous sommes garants des grands équilibres nationaux. On ne fera jamais 500 TWh de biogaz. C'est faux ! Il ne faut pas mentir. En revanche, il serait bon d'arriver à produire autour de 50 TWh. La filière existe. Elle est quasiment intégralement française. On a les compétences. Il faut maintenant lever les obstacles. C'est ce que je fais en signant des textes sur les arrêtés tarifaires relatifs au biogaz, etc. Le gaz de mine sera une réponse à certains territoires du Pas-de-Calais, mais seules dix communes peut-être pourront en bénéficier.
Quant à la publicité, je pense qu'il s'agit d'un problème majeur. Jean-Noël Barrot a introduit tous les outils dans son projet de loi sur la fraude et les sites Internet. Il faut les utiliser, de même qu'il faut utiliser SignalConso de la DGCCRF et probablement être drastique quant à toutes formes de démarchage.
J'avais porté la loi interdisant le démarchage téléphonique sur la rénovation thermique. Cela a été extraordinairement efficace, on le voit, puisque nous continuerons tous à être démarchés, jusque sur notre téléphone portable ! Nous constatons, comme sur beaucoup de sujets où on retrouve de l'argent public, qu'il existe des schémas de fraude internationaux qui relèvent du grand banditisme. Gabriel Attal a entamé un grand cycle sur les fraudes aux aides publiques. Nous nous sommes dit que c'est un objet qui mérite d'être traité.
M. Michel Dagbert. - Ma question concerne l'« aller vers », notamment pour les gens en précarité énergétique. Ils sont aussi bien souvent en précarité tout court. Parfois, franchir le pas, passer au guichet ou aller à la rencontre des accompagnateurs peut représenter une difficulté.
On a évoqué le concours que pourraient apporter un certain nombre de collectivités. On a déjà vu des collectivités régionales ou départementales s'engager. Pour autant, elles ont parfois elles-mêmes un patrimoine assez conséquent. Les départements ont bien sûr les collèges, mais aussi des partenaires dans la sphère médico-sociale. Un département comme le mien compte 115 foyers-logements qui datent des années 1970-1975.
Nous intervenons auprès d'associations qui accueillent des enfants confiés à l'aide sociale à l'enfance (ASE) et qui les hébergent dans de grandes maisons de maître, qui ont des plafonds très hauts et sont très mal isolées. Le département risque donc d'être également sollicité par ces associations lorsqu'elles vont devoir améliorer le confort des enfants qu'elles accueillent, mais aussi leurs factures d'énergie.
M. Pierre Médevielle. - Madame la ministre, on a beaucoup parlé du résidentiel. Pensez-vous qu'il existe des solutions spécifiques pour les bâtiments tertiaires ? Ne souffre-t-on pas d'un problème de réactivité ? D'autres pays mettent en oeuvre des solutions simples qui pourraient être appliquées en France, me semble-t-il. Je pense à un exemple que nous avons vu dans un salon à Tel-Aviv. Il s'agit d'un bâtiment tertiaire qui est construit alternativement avec des panneaux pleins d'eau et des panneaux pleins d'huile. C'est simple comme la joie et fonctionne avec des panneaux photovoltaïques. L'été, on glace l'eau, l'hiver, on chauffe l'huile, et c'est autonome.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Concernant les bâtiments publics, qu'il s'agisse des bâtiments de l'État, des bâtiments des collectivités locales ou des bâtiments tertiaires, il faut un véritable travail de fond qui parte de la sobriété. Quels bâtiments et quels mètres carrés conserve-t-on ? La première façon de compacter nos émissions de CO2 dans le bâtiment, c'est d'avoir moins de mètres carrés. Pour les bâtiments tertiaires, ce n'est pas complètement indifférent, car il existe un gisement en la matière.
Vous mentionnez des logements dans des bâtiments qui n'ont pas été conçus pour cela initialement. Ne faut-il pas trouver d'autres lieux pour accueillir ce type de personnes ? Je vois très bien à quoi vous faites référence.
Il faut aussi des budgets. Avec Christophe Béchu, nous poussons pour une augmentation du fonds vert et une allocation pour la décarbonation des bâtiments publics, avec une trajectoire. Les directives européennes sur les bâtiments publics fixent des objectifs plus élevés que dans le privé, auxquels on a un peu de mal à échapper. Il vaut donc mieux s'en préoccuper en 2023, plutôt que se réveiller en 2028 avec un sentiment d'inachevé.
S'agissant de la question du « aller vers », la précarité énergétique n'est pas nécessairement la précarité tout court. Un ménage peut avoir des revenus moyens, entre 1 600 euros et 1 700 euros par mois par personne, mais vivre dans une passoire thermique et payer une facture énergétique totalement décalée par rapport au nombre de mètres carrés qu'il occupe. Les fins de mois sont difficiles malgré une situation salariale stable, dans la fonction publique, etc.
Il faut aller au-devant de ces situations. C'est pourquoi j'interroge le sujet des données de consommation d'énergie. Nous avons - et il faut en être fier - le réseau de distribution électrique le plus digitalisé au monde. Il est classé en première position par les experts de Singapour. La qualité de nos données n'a pas d'égal dans le monde, logement par logement. Il faut l'utiliser, et il est dommage qu'on ne soit pas allé jusqu'au bout.
De même, je pense qu'on pourrait demander aux énergéticiens de réaliser des alertes pour indiquer aux consommateurs que leur facture est un peu élevée par rapport à leur logement et leur remettre le numéro vert de France Services ou leur proposer un rendez-vous téléphonique, le sujet étant de séparer le bon grain de l'ivraie. Plus on fera d'« aller vers », plus on remédiera au problème du démarchage agressif pour placer des pompes à chaleur ou autres et réaliser des travaux de mauvaise qualité.
C'est pourquoi je pense que le rôle des collectivités locales est le meilleur pour sécuriser le trajet. On connaît son maire, on connaît les services, sauf dans les très grandes villes : on est donc sûrs des personnes entre les mains desquelles on remet le destin de son logement.
Quant aux bâtiments tertiaires, vous avez mentionné une technique que je ne connais pas. Vous me l'expliquerez en aparté.
Nous faisons la différence entre les surfaces de plus de 1 000 m2 et de moins de 1 000 m2. Dans le cas des surfaces de plus de 1 000 m2, nous considérons qu'on a affaire à des acteurs raisonnablement structurés, qui se sont déjà emparés du décret sur le tertiaire. Les données de consommation sont récupérées par une plateforme qui mérite d'être fiabilisée. C'est la première année qu'elle est à notre disposition. Elle va nous permettre de suivre la réalité des données de consommation et réaliser des rapprochements et des sollicitations.
Il me semble que la loi Climat et résilience comporte une sanction administrative qui doit être, de mémoire, de 7 000 euros par bâtiment. Ce n'est pas considérable. Pour un grand groupe logistique ou un grand magasin, ce n'est pas une incitation à passer à l'action. Si on fait payer la réalité des émissions de CO2 par rapport au prix ce celui-ci, je pense que la prise de conscience sera plus forte. Cela permet aussi d'éviter les « passagers clandestins ». Là encore, ce sont des idées pour l'après 2030. On a encore le temps de préciser la stratégie.
Il faut ensuite accompagner les surfaces de moins de 1 000 m2 et de moins de 500 m2 - cordonniers, boulangers, commerçants - dans leurs obligations au regard des décrets. Olivia Grégoire et Christophe Béchu montent un portail sur la transition écologique à destination des PME recensant les aides et les obligations. Voilà le type d'outils que l'on met en place, mais il est clair qu'il va y avoir un accompagnement avec une granularité qui n'est pas tout à fait la même pour les 5 000 entreprises aujourd'hui structurées pour faire face et les 2 millions d'entreprises pour lesquelles il va encore y avoir quelque chose à faire, qu'on doit accompagner et auprès desquelles on doit faire de la pédagogie. Qu'y a-t-il à gagner dans tout cela ? De moindres factures, des aides. Le sentiment de contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique est quelque chose à valoriser vis-à-vis de ces acteurs mais, là encore, c'est plus facile à dire qu'à faire.
Mme Amel Gacquerre. - Madame la ministre, on ne peut parler du défi majeur de la rénovation énergétique sans parler des besoins massifs de compétences dans les métiers du bâtiment. Comme dans d'autres secteurs, l'activité de la rénovation énergétique fait face à la problématique de la main-d'oeuvre disponible et qualifiée, en particulier de personnes nouvellement diplômées dans les métiers de rénovation thermique, qui demandent des compétences spécifiques.
L'Anah estimait à 150 000 recrutements nécessaires pour renforcer ce marché d'ici 2024, et ce dans tous types de métiers. Une grande partie des besoins vise notamment les métiers de l'artisanat - maçons, couvreurs, menuisiers -, professions recherchées à qui on demande de nouvelles compétences, l'usage de nouveaux matériaux, de nouvelles techniques, et des connaissances en termes de réglementation. C'est un point essentiel qu'il faut aborder.
Un autre enjeu réside dans l'attrait de ces métiers auprès de nos jeunes. Peut-on dire que les formations initiales sont suffisantes ? Intègrent-elles les enseignements adaptés à ces enjeux ? Souvent, les professionnels que nous rencontrons nous disent qu'ils doivent former ces jeunes sur le terrain.
Y a-t-il enfin un effort massif en matière de formation et de recrutement ?
Mme Daphné Ract-Madoux. - Madame la ministre, je voudrais revenir à l'élargissement par rapport aux objectifs de 2050. L'effort à réaliser va être considérable. Cela passe par une transformation de la consommation et de la sobriété qui, avec la hausse du coût de l'énergie, a été contrainte pour un certain nombre de personnes et même de collectivités. Il faut arriver à pérenniser ces baisses. On voit qu'après une rénovation globale, on perd ses habitudes de sobriété. Il y a donc un véritable enjeu sur cette question.
Je reviens sur la précarité d'été, trop peu prise en compte et sous-évaluée dans les réflexions, jusque dans le formulaire et l'accompagnement de MaPrimeRénov'. Il est extrêmement important de l'accompagner.
Mon dernier point concerne les agences locales de l'énergie et du climat (Alec). Nous en avons un certain nombre dans l'Essonne, et cela fonctionne extrêmement bien. Elles permettent de bénéficier d'un tiers de confiance et d'être accompagné. C'est une des clés de la rénovation globale.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Pour ce qui est des compétences, on est en train de mettre le doigt sur un élément essentiel : la transition énergétique va produire des besoins dans des métiers bien rémunérés, qui constituent autant d'opportunités pour nos territoires. Je pense que c'est aussi sous cet angle qu'il faut le présenter. On le voit bien dans la filière nucléaire.
Vous avez mentionné le chiffre de 150 000 recrutements nécessaires en matière de rénovation thermique. C'est probablement du même ordre pour les énergies renouvelables. Je n'ai pas encore le chiffre. On parle d'emplois à tous les niveaux, de formations qui ne sont pas réservées à tel type de catégorie, mais qui sont des bacs pros, des bacs pros + 2, des techniciens, qui peuvent ensuite avoir de beaux parcours et être salariés ou à leur propre compte. Il y a donc différentes possibilités pour construire une carrière professionnelle dont on aura besoin sur tout le territoire.
Ce sont des opportunités extraordinairement importantes. C'est important de les valoriser, au moment où certains voudraient nous faire croire que la transition énergétique se fait contre les classes populaires, au détriment des plus pauvres : c'est un avenir que l'on construit pour nos jeunes.
Comment s'y prendre concrètement ? Je l'ai indiqué : il faut mobiliser les acteurs de la formation initiale, en passant par la formation continue et la reconversion. Les régions ont un rôle important à jouer, vous êtes bien placés pour le savoir. On a besoin de mobiliser la filière du bâtiment. C'est tout l'enjeu des deuxièmes Assises du bâtiment. Nous avons demandé à la Capeb et à la FFB de travailler sur des propositions sur la manière de construire ces filières, notamment en termes de formation initiale et de formation continue des professionnels, en vue d'une meilleure qualité des travaux. Il faut à la fois traiter le flux, mais aussi le stock, qui n'a pas été formé à ces nouvelles technologies ni à ces enjeux.
Dans le lycée professionnel Salvador Allende de Béthune, dont la proviseure est Séverine Gosselin, que vous connaissez bien, les sections qui font le plein aujourd'hui sont des sections qui gravitent autour de la transition énergétique, du génie électrique, etc. - pose de panneaux photovoltaïques, systèmes électriques. C'est un élément attractif pour les jeunes.
Il faut, dès la 5e, présenter les métiers, les perspectives, alors qu'il n'y a pas encore d'enjeu afin, en arrivant en 3e, d'expérimenter une journée ou une semaine pour voir comment cela se passe. C'est comme cela que le lycée fonctionne.
Il faut aussi faire sauter l'obstacle de jeunes qui ne veulent pas aller en mécanique parce que c'est à 10 kilomètres de la maison et qu'ils préfèrent faire BTP, qui est à 5 kilomètres, alors qu'ils peuvent y aller à vélo ! En outre, ce n'est pas si mal desservi.
Il faut mettre ces métiers qui participent à la lutte contre le réchauffement climatique en valeur dans Parcoursup, expliquer que chacun est partie prenante d'un projet collectif, celui de rendre notre planète plus vivable.
À l'autre bout de la chaîne se trouve l'emploi des seniors, dont il me semble que le rôle est aussi essentiel en termes d'accompagnement et de transmission. Peut-être ne sont-ils pas formés à la rénovation thermique, mais ils connaissent les bonnes attitudes. On peut même penser à du cumul emploi-retraite. Il faut jouer sur les deux tableaux, sur les reconversions, mettre en place les filières.
Ce qui nous manque aujourd'hui, ce sont les structures de formation. J'observe qu'on commence à avoir un switch - je le vois sur le nucléaire, notamment dans les formations supérieures -, avec de plus en plus de candidats que de places. En termes d'attractivité, les choses sont en train de bouger, mais il faut les accompagner.
Vous ne pouvez demander à un jeune qui n'a aucun modèle dans sa famille de ne pas avoir des préjugés sur les métiers en question. Cela se travaille dès la 6e et la 5e. Cela se travaille aussi avec les parents d'élèves. Cela se travaille enfin avec le corps enseignant, qui n'a pas nécessairement été exposé à ces métiers. La proviseure du lycée professionnel de Béthune me disait combien il était important de faire venir les enseignants et le corps enseignant des établissements à caractère général pour leur montrer comment cela se passe.
Rien de pire qu'une orientation par défaut parce que, géographiquement, c'est plus proche de la maison, ou parce qu'on a été mauvais en maths pendant toute l'année, alors que ce n'est pas le sujet.
Madame la sénatrice Ract-Madoux, vous avez raison de pointer du doigt le fait qu'il faut coupler efficacité et sobriété. Ce n'est pas encore évident. J'aimerais qu'on arrive à mettre en place des contrats de performance qui permettent de valoriser la réalité de la diminution de la consommation d'énergie, à la fois comme modèle de financement, mais également comme engagement pour finaliser, par exemple, le paiement du soutien. Cela permet aussi de former les ménages à l'utilisation de l'équipement.
Concernant la précarité d'été, nous allons, dans le cadre de l'acte 2 du plan de sobriété, élaborer un volet sur les bons gestes, à la fois dans le bâtiment et également par rapport aux carburants, notamment avec la question de la climatisation, que la loi a traitée, puisque nous ne sommes pas censés démarrer la climatisation à moins de 26 degrés.
Beaucoup d'éléments existent, dont la question de l'adaptation au changement climatique. Dans les écoles, le plan comporte un volet été afin d'éviter que les enfants aient 35 degrés dans leur salle de classe et que cela gêne leur travail.
Quant au conseil de service public, c'est tout le sujet de Mon Accompagnateur Rénov'. Il s'agit d'avoir un conseil neutre qui puisse permettre d'établir une relation de confiance avec les ménages. Je partage donc votre point de vue sur le fait que ce service public doit être renforcé. C'est ce que nous faisons.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci, madame la ministre.
Audition de M.
Christophe Béchu,
ministre de la transition écologique et de
la cohésion des territoires
(Mardi 6 juin 2023)
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous achevons la semaine prochaine nos travaux sur l'efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique, que nous avons entamés fin janvier. Nous avions commencé par l'audition de l'ensemble des ministres qui, depuis 2012, ont eu en charge les portefeuilles de la transition écologique, de la transition énergétique ou du logement.
Monsieur le ministre, nous venons d'auditionner Mme Agnès Pannier-Runacher. Nous allons à présent vous entendre avant de recevoir, la semaine prochaine, le ministre du logement, Olivier Klein.
Vous occupez cette fonction depuis juillet 2022. Auparavant, vous avez eu de nombreux mandats électifs, et plus particulièrement ceux de maire d'Angers, de 2014 à 2022, de sénateur, de 2011 à 2017, de président du Conseil général de Maine-et-Loire de 2004 à 2011, et de député européen de 2009 à 2011.
Nous avons demandé à tous vos prédécesseurs depuis les dix dernières années de tirer un bilan de la politique publique de rénovation énergétique, des freins qu'ils ont pu constater et des améliorations préconisées pour améliorer à la fois l'efficacité de cette politique et son pilotage, au niveau ministériel, mais aussi au niveau administratif.
J'aimerais également connaître votre réponse à cette question, à l'exception du bilan, puisque vous avez pris récemment vos responsabilités ministérielles.
Nous avons entendu un grand nombre d'acteurs de la rénovation énergétique. Le sujet de la confiance est ressorti très souvent de ces auditions. Face aux fraudes, face aux malfaçons, à l'instabilité normative, comment peut-on redonner confiance dans la politique publique de rénovation énergétique ?
Seriez-vous favorable à une plus grande mutualisation des contrôles de chantiers de rénovation, ainsi qu'à une évolution vers une conditionnalité des aides à des contrôles a posteriori ?
Le dispositif Mon Accompagnateur Rénov', qui va se mettre en place à partir du 1er septembre et qui permettra à des acteurs privés d'accompagner les ménages dans leur parcours de rénovation énergétique ne risque-t-il pas de renforcer ce manque de confiance ? Ne faudrait-il pas plutôt s'appuyer sur le réseau d'accompagnement public existant, qui revêt un gage de neutralité évident, et qui est très souvent mis en place par les collectivités ?
Les personnes entendues nous ont également soumis de nombreuses propositions. Que pensez-vous de l'idée d'une loi de programmation pluriannuelle de la rénovation énergétique pour permettre aux ménages, mais aussi au secteur, de disposer d'une plus grande visibilité ?
Vous avez été pendant de nombreuses années élu local. Comment comptez-vous parvenir à une plus grande association des collectivités et des acteurs locaux à la mise en oeuvre des politiques publiques de rénovation énergétique ?
Aujourd'hui, même les antennes locales de l'Anah n'ont aucune prise sur MaPrimeRénov' pour aider nos concitoyens qui sont souvent perdus ou en attente de réponses, et qui risquent donc de se décourager. Ne faut-il pas également remettre les entreprises artisanales de nos territoires au coeur de cette politique en débloquant leur accès au label « reconnu garant de l'environnement » (RGE) ?
J'aimerais également que vous reveniez sur le Conseil national de la transition écologique, le 22 mai dernier, présidé par Mme la Première ministre, durant lequel l'interdiction des chaudières à gaz, dans la lignée de celle des chaudières au fioul, a été annoncée. Pourriez-vous revenir sur cette mesure ? Nous identifions deux potentiels effets de bord. D'une part, une telle mesure peut encourager le changement des systèmes de chauffage au détriment de l'isolation des logements. D'autre part, une électrification accélérée des chauffages interroge sur la capacité des réseaux d'électricité à faire face à une telle évolution. Quelles réponses pouvez-vous apporter à ces deux craintes ?
Enfin, comment ne pas évoquer la réelle déception, à l'issue du Conseil national de la refondation sur le logement, au regard du travail fourni par le groupe consacré à la transition écologique des logements ? Renouveler les annonces sur le déploiement de France Rénov' et de Mon Accompagnateur Rénov' ou indiquer une mesure technique sur le prêt avance rénovation, dont pas plus d'une centaine a été accordée à ce jour, nous semble vraiment peu de choses.
Quant à porter le nombre de rénovations performantes à 200 000 en 2024 grâce au renforcement de MaPrimeRénov', c'est bien, mais c'est une ambition sans guère de perspectives aujourd'hui, alors que la stratégie nationale bas-carbone en programmait plus de 500 000 en moyenne et 700 000 dans les années à venir.
Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.
Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois ans à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite donc, monsieur le ministre, comme pour toute commission d'enquête, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Béchu prête serment.
Je vous laisse la parole avant que notre rapporteur et nos collègues puissent vous poser un certain nombre de questions complémentaires.
M. Christophe Béchu, ministre. - En vous écoutant, je me demande si je vais vous infliger une intervention ou si je ne vais pas tout de suite répondre aux questions que vous me posez.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Cela nous convient très bien.
M. Christophe Béchu, ministre. - Comme l'a sans doute dit Agnès Pannier-Runacher, MaPrimeRénov' a peut-être des défauts, mais elle a le mérite d'exister. 1,5 million de rénovations ont eu lieu, des dispositifs de lutte contre la fraude se sont mis en place et il existe des réflexions sur la manière de les intensifier.
Tout d'abord, je me réjouis qu'on prenne le temps de se pencher sur ce qui est un des principaux leviers de la planification écologique. On sait qu'un certain nombre de transformations provoquent des irritants parce qu'elles conduisent à des changements de comportement ou à des alourdissements de frais qui fragilisent une partie de nos concitoyens, les interrogent et les font assimiler la transition écologique à un prétexte pour augmenter les impôts et faire en sorte de restreindre un certain nombre de libertés.
La rénovation est sans doute le lieu où on peut concilier quelque chose qui est bon pour la planète, bon pour l'emploi et pour les retombées économiques, mais également pour le pouvoir d'achat, en faisant en sorte de diminuer une partie des factures qui y sont liées.
C'est donc un combat qui est aussi consensuel que l'est le photovoltaïque en matière d'énergies renouvelables, non que je souhaite pointer des domaines qui le seraient moins, mais nous savons que le chemin de la transition écologique nécessite une certaine ampleur dans la baisse de nos émissions. Or certains domaines de la transition écologique sont plus irritants que d'autres. Cela ne veut pas dire que tout est simple - vous avez parlé des chaudières à gaz, et je vais évidemment répondre à votre question -, mais on sent bien qu'il existe un domaine dans lequel on peut faire en sorte que la transition écologique au sens large ne soit pas seulement une occasion d'affrontement. On en a profondément besoin à bien des égards.
Cette politique de rénovation énergétique comporte un angle mort, celui des bâtiments publics. On a globalement un dispositif qui a été conçu pour les particuliers, avec ses avantages et ses défauts, mais il n'y avait rien auparavant - ou très peu de choses - pour les autres bâtiments. En parallèle, un milliard de mètres carrés abritent des bâtiments tertiaires. Environ 40 % relèvent des collectivités locales et de l'État, avec des dispositifs qu'on doit faire monter en puissance en termes de rénovation énergétique.
La rénovation est le premier motif de demande de fonds vert à l'échelle des collectivités locales. Lundi dernier, nous étions à 12 116 dossiers déposés, dont environ 4 800 portant sur la rénovation thermique de bâtiments. Si vous ajoutez à cela un peu plus de 2 000 dossiers concernant les réseaux d'éclairage public, environ 50 % des collectivités ont déposé un dossier.
Le tiers financement est une première réponse. Le texte qui a été voté à l'unanimité par le Sénat et l'Assemblée nationale fait l'objet de décrets d'application depuis quelques jours. Nous essayons de tirer de cette loi un mode d'application simplifiée pour les collectivités locales en faisant travailler le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) sur une fiche-type. Nous allons réunir quelques collectivités de divers niveaux - départements pour les collèges, villes pour plusieurs bâtiments - de manière à tester le dispositif et à étudier comment ce levier complémentaire au dispositif et aux aides pourrait être mis en place.
Il faut évidemment ne pas oublier les dispositifs collectifs, comme le fonds Chaleur de l'Ademe qui permet, indépendamment de tous les gestes de particuliers, de proposer des solutions d'évolution énergétique puissantes afin de conduire une politique à la fois écologique et sociale.
Une de mes fiertés en tant que maire d'Angers est d'avoir lancé deux réseaux de chaleur dans les deux quartiers de la politique de la ville où nous réalisions le tram, en profitant des trous dans les rues causés par l'arrivée des rails pour poser des canalisations permettant, dans un quartier composé à 66 % de logements sociaux et un autre à 52 %, de bénéficier de réseaux de ce type.
Vous m'avez posé un certain nombre de questions précises, et je vais faire en sorte d'y répondre autant que possible.
Je commencerai par la plus stratégique, qui porte sur l'intérêt qu'il y aurait à bénéficier d'une loi de programmation pluriannuelle de la rénovation.
La stratégie nationale bas-carbone est complétée par une programmation pluriannuelle de l'énergie. La loi de programmation sur l'énergie et le climat (LPEC) doit comporter un volet sur la rénovation énergétique. Plutôt qu'une loi de programmation proprement dite, je pense que le Parlement doit s'assurer que cette dimension est bien prise en compte.
Le rapport Pisani-Ferry est d'ailleurs très explicite sur le fait que la rénovation sera l'un des domaines où l'argent public devra être mobilisé dans les années qui viennent. Il y aurait une vraie logique, dans la continuité de tous ces rapports, à faire en sorte de s'assurer qu'il existe une déclinaison dans la LPEC dédiée à la rénovation énergétique.
Je relie ce sujet à la question des chaudières...
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Qui n'a pas fini de faire parler !
M. Christophe Béchu, ministre. - Qui va commencer à faire parler, jusqu'au 28 juillet...
Ce qui a été posé, c'est le lancement de la concertation sur les perspectives que nous avons. Nous sommes globalement à un peu plus de 25 % de baisse de nos émissions par rapport à 1990. Le chemin qui nous reste à parcourir est équivalent à celui qu'on a déjà fait. Tenir cette ambition en 2030 suppose de doubler le rythme.
La planification consiste à prendre les 408 millions de tonnes d'émissions de gaz à effet de serre que nous avons au 1er janvier 2023, à regarder les 270 millions de tonnes auxquels nous devons être à la fin de l'année 2030 et nous demander comment aller chercher la diminution secteur par secteur.
Je ne sais si ce travail vous avez été présenté dans sa vision globale, mais quand on regarde les choses en détail, on s'aperçoit que ce qui est aujourd'hui majeur dans les émissions du secteur hors construction, ce sont les émissions liées aux énergies fossiles, le gaz pour beaucoup, le fioul énormément.
Tenir la trajectoire veut dire globalement être en capacité de baisser de manière continue le nombre de chaudières au fioul dans ce pays. De ce point de vue, le mécanisme est enclenché. On atteint depuis le milieu du dernier quinquennat approximativement 180 000 à 200 000 remplacements de chaudières par an. Pour tenir le rythme fixé par la planification, il faudrait être aux alentours de 300 000 remplacements, ce qui ne nous semble pas inatteignable.
La question de la chaudière à gaz est différente. Vous avez pointé deux risques : j'en ajoute un troisième. Vous attiriez l'attention sur le fait qu'on pourrait ne plus se préoccuper d'isolation pour se concentrer sur le mode de chauffage et sur la capacité de notre système électrique à faire face à cette évolution. Nous sommes plutôt compétents en matière d'installation et de production de chaudière à gaz. Les pompes à chaleur sont, en matière de chauffage, ce que les voitures électriques sont aux voitures thermiques, avec une domination chinoise sur une partie de ce secteur. À une nuance près : il y a d'excellents fabricants, en particulier dans l'Est de la France, qui sont en train de monter en puissance et en gamme. On a déjà une filière européenne - en particulier polonaise - relativement forte, mais je nous invite à intégrer, dès la planification écologique de l'évolution des chaudières à gaz, ce que nous sommes en train de faire pour les voitures, c'est-à-dire la modification de certains critères.
Personne ne peut contester le fait que, si l'on veut baisser nos émissions, il nous faut diminuer la part de gaz naturel dans nos intérieurs. En revanche, on sait qu'on a quelques angles morts, comme les bâtiments collectifs. À partir d'une certaine puissance, la pompe à chaleur ou la biomasse ne suffisent pas, et il nous faut une part de gaz. Cette réalité nous incite à ne pas exclure le biogaz de l'équation. On en a besoin dans le mix énergétique. Il faut faire preuve d'humilité, surtout avec l'hiver qu'on a vécu.
La hauteur de la marche liée à l'électrification est forte. Les changements de motorisation et d'énergie ne doivent pas nous faire oublier que sobriété et efficacité énergétiques sont toujours les premiers leviers sur lesquels il faut jouer. Paradoxalement, isoler un logement pour diminuer la quantité d'énergie dont on a besoin est toujours pertinent avant de changer une chaudière, de manière à ne pas trop tirer sur le secteur.
Vous avez évoqué Mon Accompagnateur Rénov' et l'appui des collectivités locales. Dans ce domaine, je pense qu'il faut aller plus loin dans la décentralisation et la déconcentration. Ma conviction est que, sur le modèle de la délégation des aides à la pierre, qui fonctionne, où l'État transfère les crédits et les objectifs, nous gagnerions à nous appuyer sur les collectivités volontaires pour mettre en oeuvre MaPrimeRénov'.
Je ne dis pas que c'est une position qui est partagée par tout le monde, mais, pour la cohésion des territoires et la transition écologique que je représente, le maire ou le président de l'intercommunalité - parce qu'il est vraisemblable qu'il ne faille pas descendre à un niveau municipal pour une compétence de ce type - est le tiers de confiance qui peut rassurer celui qui cherche une aide pour rénover son logement et fiabiliser le processus de recrutement des accompagnateurs. On peut être certain qu'il veillera à ce que ceux qui sont enregistrés dans une commune de taille humaine soient capables d'accompagner leurs concitoyens, une part de service public pouvant remplacer ou accompagner ce qui se fait. La tendance naturelle pour tenir les objectifs sera d'ajouter un peu de moyens ou assurer davantage de communication pour que les choses fonctionnent.
La délégation des aides à la pierre, aujourd'hui, fonctionne avec un double standard : la possibilité d'une prise de compétence départementale et la possibilité pour les agglomérations de plein droit de demander la compétence, les deux systèmes pouvant cohabiter dans certains départements ou dans des endroits, au contraire, où aucun des deux niveaux de la collectivité n'a pris la responsabilité. Je pense que ce serait un bon système qui nous permettrait de réaliser une partie de la quadrature du cercle, qui répond à la question de savoir si le réseau public ne serait pas plus efficace que celui des accompagnateurs, et dans quelle mesure les collectivités devraient s'engager.
Enfin, vous avez évoqué la conditionnalité des aides. Je ne vais pas dire qu'on est passé d'un standard à l'autre, mais on est passé globalement d'un dispositif où on traitait beaucoup d'aides, et où on s'est demandé tout d'un coup s'il n'existait pas un risque de fraude important, à un dispositif dans lequel la mise en place d'un certain nombre de contrôles a conduit à allonger les délais de paiement et à justifier une forme d'insatisfaction.
Je pense que la confiance de nos concitoyens dans le dispositif est majeure. Je préfère un délai de paiement un peu plus long, mais avoir l'assurance qu'il n'y a pas de fraude, plutôt que de se retrouver rattrapé par une autre patrouille sur le fait que nous aurions été inconséquents avec les deniers publics.
De quoi parlons-nous ? On parle de délais qui sont globalement aux alentours de 28 jours pour l'attribution de la subvention, cette durée constituant une moyenne et étant moins importante lorsque le dossier est complet. Ce n'est pas un mauvais score, même si cela peut refléter des disparités. Nous avons peu évolué concernant ce délai.
Là où le délai s'est envolé, c'est en matière de paiement. Globalement, en août 2022, nous étions à un délai d'un peu moins de 30 jours. Nous sommes à 45 jours d'après les derniers chiffres que j'ai en ma possession, qui datent du mois d'avril 2023.
J'ai pris août 2022 comme référence, parce que c'est le moment où un certain nombre de décisions ont été arrêtées, dans la continuité du rapport de l'IGF, mais le délai de paiement était encore un peu plus faible au printemps 2022.
Néanmoins, ces contrôles sur place ont permis de fiabiliser un dispositif. Faut-il payer d'abord et faire en sorte de récupérer l'argent après ? On s'aperçoit malheureusement à l'usage que, dans un certain nombre de cas, quand les choses sont organisées, une fois que les crédits ont été versés, il est beaucoup plus compliqué de retrouver les sommes versées.
Je plaide donc pour que le dispositif actuel soit maintenu. Des délégations de compétences seraient un moyen de pouvoir expérimenter des dispositifs sur une partie du territoire national et de pouvoir recueillir les bonnes pratiques.
Enfin, vous avez abordé le Conseil national de la refondation et la manière dont, hier soir, ce conseil a clôturé sa phase de concertation. Vous ne m'interrogez pas sur le logement neuf et la situation globale de la remontée des taux d'intérêt, mais, je l'ai bien compris, sur la partie plus spécifique qui concerne nos ambitions de rénovation et de planification.
J'ai lu beaucoup de choses sur ce Conseil, à défaut d'avoir pu y participer hier. Certains en ont fait une sorte de rendez-vous définitif sur ces questions de logement, alors que cela n'était qu'un point d'étape, en particulier pour ce qui concerne la planification. Il serait baroque de prétendre établir les conclusions définitives d'un sujet aussi vaste début juin au milieu de toutes les évolutions que nous connaissons, alors que la planification écologique globale est prévue pour début juillet et qu'il existe, en parallèle, un certain nombre de rendez-vous, avec un autre angle mort, celui du logement social, que vous connaissez parfaitement, madame la présidente, pour lequel il existe un dispositif pour les particuliers et un dispositif pour les collectivités publiques dont j'ai dit un mot et qui doit faire l'objet d'une montée en puissance, sans parler de la question plus large des bailleurs sociaux.
Le parc moyen de ces bailleurs sociaux est globalement mieux entretenu que le parc global. Cependant, une hausse d'un point de livret A représente l'équivalent de 1,3 milliard d'euros de « charges » entre guillemets sur les fonds propres associés au livret. Il s'agit d'un coût comparable au coût de la réduction du loyer de solidarité (RLS), mais, dans la tendance que nous connaissons, on mesure l'impact sur les fonds propres. Si on le couple aux augmentations des prix des matériaux, on mesure les difficultés que rencontre le secteur du logement social.
Il faut donc, au-delà de la question de la production de logements, ne pas oublier la question de la rénovation. 1,5 million de logements sont vides, tout comme 3 millions de mètres carrés de bureaux à Paris et en Île-de-France. La question des bailleurs sociaux mérite par ailleurs d'être traitée.
Le point de rendez-vous, c'est le pacte de confiance avec les bailleurs sociaux. Un des principaux leviers réside sans doute dans le dispositif Deuxième vie. À partir d'un certain niveau de rénovation, il serait pertinent de pouvoir rouvrir les droits aux exonérations. Je ne dis pas que cela suffise, parce qu'il y a aussi la question des fonds propres, mais cela permettrait de délivrer de nouveau un agrément. C'est très important culturellement de gagner la bataille de la rénovation pour ne pas laisser penser qu'il y aurait d'un côté ce qui serait noble - faire un logement neuf - et, de l'autre côté, ce qui serait une forme d'investissement au rabais, qui consisterait à investir dans la rénovation.
Le sujet du soutien à la production de logements neufs est donc à corréler à d'autres sujets. Celui de la rénovation, de manière plus spécifique, n'est pas le seul.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Je partage avec vous l'idée que la transition écologique apporte des solutions efficaces et constitue une vraie réponse sociale, quelles que soient les orientations dans lesquelles on s'engage.
Je rappelle que le but de cette commission d'enquête est d'évaluer les politiques publiques depuis les dix à quinze dernières années, et de voir comment l'argent public a été utilisé. La commission s'est volontairement concentrée sur le logement, qui constitue un sujet déjà très vaste.
On peut diviser le logement en trois blocs, le logement individuel privé, où on trouve le dispositif MaPrimeRénov', la copropriété, qui présente d'autres dispositifs auxquels il faut réfléchir, et le logement social, qui est plutôt en avance, avec des bâtiments qui ont déjà, pour la plupart, fait l'objet d'une rénovation.
Le logement social est un levier très fort. Les opérateurs et les bailleurs sont prêts, d'après ce qu'ils nous ont dit lors des auditions, à tenir les objectifs dont ils ont l'expertise. En outre, la rénovation thermique permet d'améliorer globalement le logement en termes de confort, d'espace urbain, etc.
La seule chose qui manque, c'est le financement. On peut estimer que ce secteur pourrait permettre de booster très rapidement la rénovation thermique s'il était correctement financé. Pourquoi ne pas prioriser le financement de la rénovation du parc social ?
Pour ce qui est des copropriétés, un certain nombre de réflexions sont à mener en matière de prise de décisions et de financement. Un DPE collectif permettrait peut-être d'accélérer les prises de décisions.
En matière de logement individuel, 600 à 700 000 dispositifs MaPrimeRénov' ont été débloqués. Les choses sont donc plutôt positives, mais, si l'on regarde de plus près, on est plutôt sur un changement de chaudières. Certes, cela fait chuter très rapidement les émissions de carbone, mais on est très en deçà des objectifs, et on voit bien qu'on pèche vraiment en matière de rénovation globale. C'est peut-être le point sur lequel on doit réfléchir plus précisément s'agissant des dispositifs à mettre en place pour simplifier ce parcours.
On entend un discours qui consiste à dire qu'il faut s'appuyer sur ce qui existe. On a cependant le sentiment que les collectivités locales pour lesquelles cela a fonctionné ont l'impression de devoir se réadapter et sont parfois court-circuitées, alors que l'ingénierie avait déjà été mise en place par le biais des plateformes de rénovation ou des agences locales de l'énergie et du climat (Alec). Les collectivités peuvent donc estimer que ce n'est plus la peine de s'en charger.
La question du financement des collectivités locales se pose également. Faire fonctionner de plateformes de rénovation et d'ingénierie locale nécessite d'augmenter les budgets de fonctionnement. Comment en tenir compte dans le cadre de la rénovation thermique et, plus généralement, de la transition écologique ? Comment mieux s'adapter localement ?
Par ailleurs, quelle est votre perception du pilotage national de la rénovation énergétique et la coordination qui peut exister entre les différents ministères ? Les anciens ministres que nous avons auditionnés nous ont souvent fait part du lien entre le ministère du logement et celui de l'écologie, qui avait son importance. Comment améliorer la coordination ?
Enfin, quel est votre bilan de la coordination interministérielle du plan de rénovation ? Pensez-vous que son action soit suffisante par rapport à l'ensemble des politiques des différents ministères ?
M. Christophe Béchu, ministre. - Action Logement a finalisé son plan global de décarbonation. Sa puissance de feu n'est évidemment pas comparable à tous les bailleurs, mais ils vont avoir l'occasion de détailler leur action. Ce n'est pas neutre puisque cela représente 30 % du parc social. D'une manière générale, il est toujours bon, quels que soient les domaines, d'avoir des exemples qu'on peut ensuite suivre pour étalonner les éléments.
On ne part pas de rien. Je veux ici rendre hommage à quantités d'offices gérés par des élus locaux qui n'ont pas attendu que la cathédrale soit complète pour lancer des opérations. Des maires ont fixé des objectifs à leur bailleur et ont fait en sorte d'accompagner les différents dispositifs.
Je partage l'idée que c'est un moyen d'avoir des résultats rapides. On le sait, une des difficultés vient du fait que MaPrimeRénov', en moyenne, fonctionne mieux pour les maisons individuelles, les copropriétés ralentissant une partie de la prise de décision.
La principale difficulté pour faire des travaux dans les copropriétés n'est donc pas l'unanimité, puisqu'il y a généralement une unicité de décision - sauf quelques cas très particuliers.
En outre, la part du gaz dans les logements sociaux est plus importante : quatre logements sur dix sont généralement chauffés au gaz. Cette proportion dépasse les six sur dix dans le parc social, l'inquiétude n'étant pas la même sur le reste à charge et la manière d'avancer, les réseaux de chaleur urbains ou de dispositifs de ce type pouvant participer à une meilleure visibilité des prix et avoir un impact social par rapport aux décisions qui sont prises.
La dynamique est double, avec une articulation financière et une difficulté conjoncturelle supplémentaire.
Je n'irai guère plus loin aujourd'hui, puisque ce sera le coeur de mes discussions dans les prochains jours, en particulier avec l'Union sociale pour l'habitat (USH) pour trouver la manière de signer ce pacte de confiance autour de l'enjeu de la rénovation.
On est tous d'accord sur le fait qu'il est préférable de faire plusieurs gestes plutôt qu'un seul. Je ne sais ce que j'aurais fait si j'avais été amené à concevoir le dispositif. Je ne me mettrai pas à la place de ceux qui en avaient la charge à l'époque. Il n'est pas certain qu'on ait mesuré que peu de dispositifs iraient plus loin.
En moyenne, ceux qui ont conduit ces opérations de rénovation ont réalisé 793 euros d'économies, ce qui n'est pas rien et constitue une vraie réussite en matière de ciblage social. Certaines choses sont à améliorer pour en avoir davantage pour son argent d'un point de vue climatique, mais il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain - si j'ose dire.
On a enclenché une dynamique, on se demande comment l'améliorer et l'approfondir. Elle a le mérite d'exister, car on trouvait peu de choses auparavant. C'est la limite par rapport aux Alec. C'est le jour et la nuit en termes d'échelle, de montants, de dispositifs financiers et de suivi.
Vous avez raison : on ne pourra pas transférer le système d'accompagnement aux collectivités locales en leur disant de se débrouiller. Ce n'est pas le sens de ma proposition. Le sujet au coeur des discussions que nous avons en matière de logement est celui des compétences qu'il serait pertinent de décentraliser, car les situations sont très disparates d'un endroit à l'autre.
C'est vrai pour la rénovation, mais cela peut l'être dans d'autres domaines. Est-ce que les zonages doivent forcément être déterminés depuis Paris ? Les expériences du Pinel breton permettant d'imaginer des dispositifs de soutien à l'opération ne pourraient-elles pas être reprises ? Je salue néanmoins la fin du dispositif, car il n'était pas suffisamment ciblé. Il avait le mérite de soutenir la promotion, mais je ne suis pas sûr que, d'un point de vue social et climatique, on en ait eu pour notre argent. Cela a permis de soutenir l'effort de construction, mais le ciblage méritait sans doute d'évoluer.
Vous évoquez la question du pilotage et de la coordination du dispositif. Le simple fait que vous soyez amenés à recevoir trois d'entre nous dans le cadre de cette commission d'enquête permet de mesurer qu'il existe des marges d'amélioration dans ce domaine.
Je plaide simplement pour qu'on tienne compte du fait qu'on passe d'un système à l'autre et qu'il y a aussi des améliorations que nous sommes en train de tester. L'organisation est particulière. Le Président de la République et la Première ministre ont souhaité avoir un ministère de la transition écologique qui englobe des secteurs très émetteurs - transports et logement - qui ont de grandes latitudes dans beaucoup de domaines, mais qui peuvent être rattachés sur la question de la planification, ce qui me vaut le plaisir d'être ici aujourd'hui.
Je pense que ce n'est pas une erreur d'avoir un ministère de la transition écologique en lien direct avec des ministères très émetteurs. Cela permet une forme d'unicité dans la vision et la planification. D'autre part, le contexte que nous connaissons depuis quelques mois avec la volatilité des prix de l'énergie et la hauteur de la marche en matière d'électrification, d'urgence de la relance du programme nucléaire et d'accélération des énergies renouvelables justifie pleinement une ministre en charge de ces questions.
Il existe un coordinateur gouvernemental. Les contacts sont constants. On a sans doute besoin de davantage de coordination, mais le pilotage de la transition écologique au sens large est forcément collectif.
J'ai échangé avec le ministre Roland Lescure à propos de la question de la fabrication des pompes à chaleur. De la même manière, on ne peut pas négliger les constructeurs automobiles, les collectivités locales gestionnaires de réseaux de transport de proximité, les régions qui gèrent les TER ou les pistes cyclables qui permettent de favoriser les mobilités actives. On est, par définition, très imbriqué dans ces sujets.
Il faut parfois une logique de chef de filât ou de chef d'orchestre, mais on ne peut résumer l'orchestre de la rénovation énergétique à une personne. Ce n'est pas possible. On a besoin de partenaires. J'ai évoqué l'Ademe, mais il y en a d'autres.
M. Franck Montaugé. - Monsieur le ministre, quelle forme concrète pourrait prendre la planification aux différents niveaux que vous avez évoqués, jusqu'au niveau territorial des communes ou des EPCI ? Avez-vous dans l'idée de contractualiser avec ces différents échelons territoriaux par rapport aux objectifs qui doivent être atteints, eu égard à la question du logement et autres aspects que vous venez d'évoquer à l'instant ?
Par ailleurs, le contenu du plan d'action est-il aujourd'hui cerné autour des différentes thématiques qui ont un effet sur les objectifs à atteindre ?
M. Christophe Béchu, ministre. - J'ai réuni toutes les associations d'élus le 11 mai dernier et je leur ai présenté, avec le secrétariat général à la planification écologique (SGPE), la feuille de route globale de la planification en leur expliquant qu'il allait falloir trouver comment atterrir, ces associations étant concernées par la moitié des cases.
Certaines ont besoin d'argent, d'autres d'une délégation de compétences. Dans d'autres cas, il faut discuter. J'ai demandé au représentant de l'Association des maires de France (AMF), sur la partie stockage de carbone, de nous aider à défendre les haies afin de les sanctuariser dans le cadre des plans locaux d'urbanisme. On les subventionne, on sait que c'est une forme de forêt en termes de stockage. Si on n'a pas les moyens de s'opposer à une opération de démembrement ou de remembrement, on n'a pas de levier permettant de préserver un investissement qui s'inscrit dans une stratégie de planification.
M. Franck Montaugé. - Le monde de l'agriculture est partie prenante du sujet !
M. Christophe Béchu, ministre. - Bien sûr. Je vous apporte ici le témoignage de ce que me dit l'AMF. Cela ne veut pas dire que cela se fait en opposition aux Safer ou aux chambres d'agriculture qui, dans beaucoup de cas, sont sur la même ligne. J'ai eu l'occasion d'échanger avec le ministre Marc Fesneau il y a quelques jours. Non seulement il ne s'y oppose pas, mais il se demande même comment on pourrait éviter trop d'allers-retours sur ces sujets. Je ne voulais pas ouvrir ici un débat sur les haies, mais donner cet exemple pour montrer que cela va plus loin.
Je pense que les contrats de relance et de transition écologique (CRTE) pourraient être la bonne échelle de planification. On en a un peu plus de 1 000. On pourrait discuter de leurs ambitions et les décliner dans les différents domaines. La rénovation est évidemment un levier très important, mais on aura aussi besoin des collectivités en matière de transport et de stockage, de lutte contre l'étalement urbain.
J'aurai le grand bonheur d'échanger avec le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires en sortant de cette audition pour discuter du texte qui arrive au Sénat, en commission la semaine prochaine et dans l'hémicycle dans quinze jours. Rendre le dispositif applicable et tenir l'objectif de diviser par deux la consommation d'énergie est crucial pour tenir la ligne de la planification écologique au sens large.
Je pense qu'il existe des marges. Par exemple, nous n'avons pas eu le temps de l'évoquer, mais il y aura la question de la fiscalité du zéro artificialisation nette (ZAN). Il faudra qu'on donne les moyens aux maires de renchérir le coût de l'artificialisation, parce qu'on ne peut pas seulement raisonner en termes d'argent public pour dépolluer les friches s'il est plus coûteux de s'y attaquer plutôt que de faire en sorte de limiter une partie de l'impact.
Je vais aller plus loin : je pense qu'il faudrait baisser la taxe sur le foncier non bâti. L'agriculture va globalement devoir se passer d'une partie des intrants et faire face à des difficultés de ressources. Plus le niveau de l'impôt est fort, plus on incite à aller vers des rendements élevés. Sans être dans une logique de décroissance, je pense qu'il ne serait pas stupide d'avoir une réflexion sur le foncier non bâti si on veut soutenir une agriculture de production qui permet de favoriser les produits courts.
Tout le chantier de la transition fiscale et la manière dont on le connectera aux CRTE sont devant nous. On ne pourra pas continuer à raisonner de manière française sur la question des poids lourds qui viennent sur une partie de notre territoire et qui, ne payant pas la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), qui sert à assurer l'entretien des infrastructures, ne participent pas au financement de la décarbonation rendu possible par l'Agence de financement des infrastructures de transport (Afit).
Je ne veux pas ouvrir tous les débats, mais simplement dire que, lorsqu'on commence à tirer le fil de la planification, il faut ouvrir ce sujet. Je crois aux CRTE et je crois au fonds vert. Il faut en établir un véritable bilan et, idéalement, en augmenter le montant pour le connecter à ce projet. Il a certainement des défauts et il faudra qu'on vérifie qu'il n'y a pas eu trop d'applications disparates sur le territoire, mais le montant de crédits demandé, de 4,2 milliards d'euros, qui génèrent 17 milliards d'euros d'investissement dans la transition écologique au sens large, exactement la hauteur de la marche qu'il faudrait que les collectivités assurent, comme l'expliquent les think tanks, permet d'avoir une idée des effets de levier sur lesquels on peut jouer.
C'est aussi un angle nouveau, pour lequel nous faisons confiance aux collectivités locales en mettant les crédits et en demandant ensuite aux préfets de regarder quelle est la bonne porte en matière de biodiversité et de rénovation, sans en ouvrir autant que de sujets.
Je pense qu'on a besoin de ce message de confiance, car il permet à nos concitoyens de s'approprier ces enjeux de transition. Je n'évacue pas la question du fonctionnement. Ne mesure-t-on pas qu'il peut y avoir un besoin d'ingénierie spécifique dans le plan climat-air-énergie territorial (PCAET) ou dans les dispositifs de soutien ? C'est une certitude. Cela doit-il passer par l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), les agences, France Services, les opérateurs de l'État, ou prendre la forme d'un soutien direct ? Ce sont des choix dont on peut discuter.
Je suis frappé par la capacité d'un hémicycle à s'invectiver - nettement moins ici qu'à l'Assemblée nationale - en faisant comme s'il était scandaleux que tout n'aille pas plus vite. Qu'on me cite un pays au monde qui, aujourd'hui, en termes de lutte contre le dérèglement climatique, a trouvé le bon tempo, à part le Costa Rica, dans un contexte très différent et avec un pays dont la taille est très différente de la nôtre ! Ce n'est pas comme s'il existait un exemple à suivre à l'échelle de la planète. Dans certains domaines, des pays font mieux que nous. Dans d'autres, c'est nous qui faisons mieux qu'eux. Aujourd'hui, tout le monde cherche le chemin.
Le gouvernement allemand qui vient d'autoriser 144 projets routiers au grand dam de son aile verte, en expliquant qu'il fallait tenir compte d'une partie de l'aspect social, a temporisé sur la partie gaz, là où le calendrier était assez ambitieux pour aller vers une diminution du parc.
Le Royaume-Uni qui, à bien des égards, n'est pas un exemple, est un modèle en matière d'éolien offshore. Ils ont vraiment réussi, sous l'impulsion de Boris Johnson, à aller très loin.
Il y a des exemples dont on peut s'inspirer dans les pays scandinaves, mais il n'existe pas aujourd'hui de matrice pour dire ce qu'il conviendrait de faire, et les pays dans lesquels des écologistes sont aux responsabilités ne font pas en moyenne mieux que ceux dans lesquels il n'y en a pas.
M. Franck Montaugé. - Je suis étonné de votre réponse. Les données scientifiques mesurent de mieux en mieux les phénomènes et les impacts.
Je m'interroge sur la mobilisation des parties prenantes dans les territoires. Je pense qu'il faut indiquer des objectifs clairs en matière de consommation d'énergie, en tonne équivalent carbone économisée ou en trajectoire d'émission carbone. Il faut des objectifs parlants pour les élus qui vont être en charge de faire vivre ces contrats et de mener l'action, mais c'est tout aussi utile, voire davantage, pour les citoyennes et les citoyens français. Il est nécessaire d'embarquer tout le monde. C'est absolument fondamental pour la réussite finale du plan.
C'est le sens de la question que je vous posais par rapport aux indicateurs qui nous serviront à réaliser le suivi de l'action et de son efficacité.
M. Christophe Béchu, ministre. - J'ai compris votre question comme étant la suite de la planification au sens large et du dialogue global avec les élus, tous secteurs confondus.
Mais revenons-en à la rénovation. Il existe bien sûr beaucoup de données. On a d'abord toutes celles qui permettent d'arrêter les pseudo-débats sur le fait de savoir s'il y a ou non un dérèglement climatique. Il n'y a pas de sujet : il est causé par l'homme ! Je le dis car certains reconnaissent le changement climatique, mais estiment maintenant qu'il s'agit d'un phénomène cyclique et naturel.
Je vous invite à lire le dernier rapport de la Fédération Jean Jaurès sur le complotisme : selon 41 % des sondés, le dérèglement climatique sert de prétexte pour restreindre les libertés des peuples.
Nous disposons d'énormément de données. Nous pouvons en fiabiliser deux ou trois. Je ne veux pas esquiver le sujet lié au DPE. Il peut arriver que, faute de formation, il existe des écarts. On devrait améliorer la situation dans les semaines qui viennent. Il reste deux sujets, l'un sur les petits logements avec des soupentes et l'autre sur les logements en altitude, pour lesquels les données scientifiques peuvent semer le trouble alors qu'il est difficile de changer de classe.
Il faut se méfier de la généralisation de certains processus qui sont simples, comme l'isolation par l'extérieur, notamment pour des maisons en pierre, où l'on peut produire de la condensation intérieure. Il faut tenir compte des matériaux utilisés, de la réalité du site sur lequel on se trouve. Il faut parfois réintroduire un peu de subtilité.
Sur le fond, mon rêve est que l'on compte en carbone et, en tant que ministre de la transition écologique, que la planification débouche un jour sur un budget carbone, sur un amendement d'irrecevabilité climatique, une sorte d'article 40 - sans lien avec l'actualité à l'Assemblée nationale. On pourrait considérer qu'un texte qui propose une augmentation des émissions doive faire l'objet d'une compensation ou d'une justification solide pour lever le gage. Je pense qu'on aurait intérêt à publier des chiffres tous les mois si l'on veut s'apercevoir de difficultés en cours d'année et établir une sorte de budget climatique rectificatif pour aller rechercher du carbone là où on n'en a pas trouvé.
Je suis tout à fait prêt à aller plus loin, mais basons cela sur la science, avec des éléments objectifs, pas uniquement une comptabilité en euros, et en passant un pacte avec les collectivités locales.
Mme Sabine Drexler. - Monsieur le ministre, en Alsace, mais aussi ailleurs en France, les propriétaires bailleurs réalisent des travaux d'isolation et appliquent sur des maisons en pierre ou à pans de bois des techniques et des matériaux inadaptés qui vont conduire à une altération définitive de ce type de bâti.
Il ne s'agit pas uniquement du patrimoine monumental, mais aussi du patrimoine résidentiel, des maisons à colombage, des petits hameaux du Massif central. Beaucoup pensent bien faire, mais la majorité des acteurs ne sont pas informés des caractéristiques propres à ce type de bâti.
D'autres renoncent à engager des travaux, parce que c'est trop compliqué ou qu'ils n'ont pas l'argent pour le faire. Les maisons sont délaissées et se dégradent très vite. Les promoteurs cherchent alors à acquérir les terrains et démolissent ces maisons. Je crains que le ZAN accentue ce phénomène, avec une banalisation de nos régions et la disparition du patrimoine bâti.
Nous étions hier au Parlement européen, à Bruxelles. On nous a parlé d'une possible flexibilité pour le patrimoine dans les directives à venir. De quel type de patrimoine parle-t-on ? Il est très important de ne pas oublier ce petit patrimoine qui fait la France. Ne faut-il pas passer par une identification de celui-ci, voire une inscription dans les documents d'urbanisme ?
Une autre de mes questions porte sur les matériaux spécifiques à ce type de bâti, biosourcés, locaux, qu'on utilisait lorsqu'on a construit ces maisons. Où en est-on des normes si on veut pouvoir développer l'isolation du bâti résidentiel ancien avec ce type de matériaux ?
Enfin, ne faudrait-il pas s'accorder un temps pour créer une sorte de DPE adapté au bâti ancien, qui prendrait ses spécificités en compte ? Je pense par exemple à l'inertie ou au confort d'été.
M. Christophe Béchu, ministre. - Il me semble que vous avez auditionné il y a quelques jours un architecte des Bâtiments de France, Gabriel Turquet de Beauregard, accompagné d'associations du patrimoine. Je l'ai moi-même reçu au ministère pour avoir une discussion. Il m'a indiqué que j'allais recevoir ses préconisations sur le DPE, le bâti ancien et les matériaux à la fin de cette semaine.
J'ai demandé qu'on m'aide à y voir plus clair afin d'éviter de trop normaliser les choses et tenir compte de cette spécificité, en particulier parce que l'isolation par l'extérieur risque de faire disparaître nos façades et pose donc une difficulté. Cela en soulève d'autres, parfois dans des secteurs qui n'ont pas forcément beaucoup d'intérêt, comme l'impact éventuel que cela peut avoir sur la rupture des alignements de façades voire, dans certains secteurs où on a calculé les choses au plus juste parce qu'on a hérité de rues étroites, quelques conséquences sur les largeurs disponibles par rapport à d'autres obligations touchant les personnes à mobilité réduite (PMR). Je ne dis pas que c'est la norme, mais il faut qu'on fasse très attention à ne pas se retrouver face à des logiques qui se télescopent.
Je ne peux cependant pas être d'accord avec une partie de ce que vous dites. Il ne faut pas accuser le ZAN de tous les maux. Je crois à vrai dire exactement l'inverse. Je pense que si l'on ne préserve pas notre patrimoine naturel, on aura du mal à valoriser notre patrimoine tout court.
Ce qui fait la beauté de nombre de coins de France, ce sont les vides qu'on a été capable de préserver. Je ne suis pas certain que les quarante dernières années soient celles qui aient marqué le génie du patrimoine français. Je pense que les endroits les plus nobles ne sont pas toujours les moins denses. Des alignements de façades sont parfois plus majestueux que des pavillons entourés par des jardins de 1 500 m2. Je comprends le souhait de beaucoup de nos concitoyens d'y vivre, et ce n'est absolument pas une critique, mais une remarque par rapport à la question du patrimoine et de la rénovation.
On peut discuter de l'impact du ZAN sur le prix. C'est objectif, et c'est un débat que je comprends. On peut discuter de la difficulté de le mettre en oeuvre en fonction des trajectoires et des évolutions, mais je pense que, s'agissant de la question de la rénovation, le débat n'est pas crucial. Si on soulève de faux débats, on aura du mal à se concentrer sur les vraies réponses.
Nous avons des marges d'amélioration concernant le patrimoine, mais je suis frappé de voir que, s'agissant des passoires énergétiques, on a tendance à oublier les locataires. On plaint le propriétaire qui va devoir faire des travaux, faute de quoi il ne pourra plus louer sa passoire énergétique. Je le comprends, mais je suis parfois choqué que l'on fasse comme s'il n'y avait personne dans le logement, alors que les prix du chauffage ne cessent d'augmenter parce qu'un minimum de travaux d'isolation n'a pas été réalisé. Après tout, ce patrimoine peut malgré tout se vendre, et d'autres feront peut-être les travaux. Cela s'inscrit dans une logique qui permet de ne pas figer la situation.
Vous avez pleinement raison sur le fait qu'il faut faire attention à ne pas se focaliser uniquement sur le grand patrimoine. Le petit patrimoine participe du charme de notre territoire. A-t-on suffisamment inscrit ou classé le patrimoine dans un certain nombre de secteurs ? Tout le débat que l'on a sur la rénovation énergétique doit aussi reposer sur la fréquence d'utilisation. Une église qui est une passoire thermique ou énergétique ne fait pas l'objet d'un usage quotidien. L'investissement n'est donc écologiquement pas souhaitable par rapport aux matériaux et au montant financier nécessaire. Concentrons-nous sur les logements occupés par des gens modestes. C'est la priorité absolue, sans insulter l'avenir.
Mme Sabine Drexler. - Je suis totalement d'accord avec vous pour ce qui est du ZAN, qui peut constituer une magnifique opportunité pour le patrimoine si on le réinvestit comme il faut, mais en Alsace, on a détruit une maison au nom du ZAN. Je pense qu'il faut rester vigilant.
Mme Daphné Ract-Madoux. - Je voudrais revenir sur la question de la prise en compte de la réversibilité immobilière et urbaine ainsi que de la surélévation, corollaires du ZAN et de l'objectif de rénovation des bâtiments. Les professionnels nous en ont parlé tout à l'heure.
La question de la réversibilité, qui figure dans nos textes actuels et dans le code de l'urbanisme, est trop peu prise en compte pour permettre l'accélération des PLU et des permis de construire avec des usages évolutifs. Ce qu'on est capable de faire sur les bâtiments des JO 2024, on doit pouvoir être capable de le faire de manière plus large, mais il faut accélérer.
L'inflation des règles, la question assurantielle ou celle de la certification technique freinent également les choses. Les matériaux biosourcés, par exemple, permettent de répondre à deux objectifs, la décarbonation du secteur de la construction et le confort énergétique. L'entreprise Qarnot, qui chauffe les bâtiments grâce à la chaleur émise par les données numériques, a mis du temps à obtenir les certifications lui permettant de développer un système adapté aux entrepôts, aux entreprises et aux logements collectifs. L'homogénéisation des règles en matière de réglementation incendie doit aussi permettre la réversibilité dans les bâtiments et les matériaux.
Enfin, pour pouvoir conserver nos puits de carbone, il faut renforcer selon moi les moyens à la disposition des collectivités. Une fois que des arbres et des haies sont coupés, les maires ont trop peu de moyens pour être efficaces dans ce domaine.
M. Christophe Béchu, ministre. - Je n'ai aucun désaccord avec ce qui vient d'être dit. Il existe, en particulier sur les matériaux biosourcés, des injonctions contradictoires. Le dépérissement de la forêt, qui s'accélère sous l'ampleur du dérèglement climatique, conduit à ce que nous ne soyons pas au rendez-vous en matière de stockage.
Pourtant, la forêt progresse, mais d'une manière qui n'est pas organisée. Dès lors, cela ne permet pas le stockage. Il faut donc réaliser un stockage dans les meubles ou dans les structures.
En ce moment, un des sujets porte sur la réglementation incendie des immeubles à l'intérieur desquels on trouve une part de bois prépondérante. Des discussions ont lieu cette semaine pour éviter de se placer dans la même logique qui conduisait, il y a encore trois mois, à estimer qu'il fallait de l'eau potable au fond des toilettes au nom d'une sorte de principe de précaution qui fait qu'on ne bouge rien. Penser qu'on affrontera ce qui arrive sans rien changer est pure folie. Là encore, il faut trouver le bon équilibre.
S'agissant de la réversibilité, la loi Climat et résilience a posé un principe qu'elle s'efforce de favoriser en insistant sur la potentialité. On n'a pas encore le bon réflexe. Pourtant, cela devrait profondément changer une partie de ce que nous faisons. Un des meilleurs exemples est celui des parkings souterrains, qui ont été longtemps la norme, et qui présentent quelques inconvénients, en particulier en matière d'artificialisation du sous-sol et par rapport aux conséquences que cela peut avoir vis-à-vis du géothermique. À l'inverse, le rez-de-chaussée à usage de parking qui peut être transformé s'il y a un jour moins de voitures est un modèle qui a une certaine utilité.
La mauvaise foi qui consiste à faire porter le coût de la réversibilité sur un équipement destiné aux voitures peut freiner les choses. Il faut le faire entrer dans les têtes et être capable d'expliquer que la réversibilité est une forme d'assurance contre une mauvaise adaptation. Je pense que cela fait sens.
Je ne reprendrai pas l'exemple de Qarnot. Le fait de s'appuyer sur de telles entreprises est un sujet extrêmement important en termes de rénovation des logements.
Enfin, 3 millions de mètres carrés de bureaux sont disponibles, même si certains maires ne voient pas nécessairement d'un bon oeil l'abandon de mètres carrés par rapport au rendement de la cotisation foncière des entreprises. Les bâtiments ne sont en outre pas forcément adaptés, et il peut exister une difficulté fiscale pour l'entreprise qui possède ces bureaux compte tenu de la valorisation.
Quant à la surélévation, elle représente un véritable enjeu, mais on n'est plus tout à fait dans la rénovation au sens large. On se rapproche au contraire de la forme urbaine et d'autres questions de ce type.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Si ce n'est, monsieur le ministre, qu'on est quand même dans la rénovation énergétique, ne serait-ce que pour les copropriétés. Un projet de surélévation peut permettre de trouver des fonds qui vont permettre aux copropriétés d'engager la rénovation énergétique de leurs logements. C'est dans cette perspective qu'on a débattu avec les professionnels de l'immobilier.
M. Christophe Béchu, ministre. - Je n'ai aucun tabou sur le sujet. Je suis intimement convaincu que cela peut être la bonne solution dans certains endroits. La difficulté vient plutôt des vis-à-vis et du contexte urbain, ainsi que la nature technique du bâtiment. En revanche, cela permet de diviser la charge par un nombre de mètres carrés plus grand et d'avoir une réserve d'urbanisation.
De toute façon, nous ne pourrons pas faire l'économie d'une réflexion sur le vote des travaux de rénovation en copropriété. Dans le cadre de la loi d'orientation des mobilités, quand il s'agit d'aller poser des bornes de recharge, le principe de la majorité s'apprécie de manière différente. Je m'interroge sur le fait de savoir dans quelle mesure il ne faudrait pas assouplir les possibilités de vote pour permettre la rénovation énergétique.
Cela pose une difficulté potentielle, celle des niveaux d'avance souhaitables par rapport à l'hétérogénéité des situations des propriétaires. Il faut simplifier le vote pour avoir une majorité plus simple, mais il faut aussi qu'une sorte d'avance puisse être versée à la copropriété pour éviter que certains ne doivent sortir des sommes qu'ils n'ont pas.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - On peut accorder un prêt collectif aux syndics de copropriété.
M. Christophe Béchu, ministre. - C'est ce que je pense, et je vais plus loin : la difficulté vient du fait que le refus de la copropriété de réaliser certains travaux peut empêcher le changement de classe de certains biens. Le propriétaire d'un appartement au nord, au rez-de-chaussée, pourra faire tout ce qu'il veut, il va se retrouver face à une déperdition potentielle de son bien le jour où il le vendra, son étiquette énergétique conduisant à ce que l'acquéreur en profite pour faire baisser le prix. Je suis profondément démocrate : s'il existe une large majorité favorable et que les systèmes de vote empêchent de faire les travaux, il faut qu'on trouve quelque chose pour modifier cela.
M. Jean-Jacques Michau. - Monsieur le ministre, le DPE va certes devenir un thermomètre fiable et objectif dans les semaines à venir, mais aujourd'hui, cet élément n'engendre pas la confiance des personnes.
Par ailleurs, les propriétaires bailleurs de passoires énergétiques ont bien compris les enjeux, mais ce n'est pas le cas des propriétaires occupants qui, bien souvent, ne voient pas le retour sur investissement dans un délai raisonnable. Comment peut-on les inciter à réaliser des travaux, lorsque la copropriété compte des propriétaires bailleurs et des propriétaires occupants pour qu'ils n'en viennent pas aux mains lors des prochaines années ?
M. Christophe Béchu, ministre. - On a un sujet sur les droits de vote et la solvabilité. Le ministre délégué à la ville et au logement sera heureux de vous en parler et d'aborder le sujet des copropriétés dégradées. À certains égards, peut-être faudrait-il une agence nationale pour la rénovation des copropriétés, sur le modèle de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru).
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Pour faire le lien avec le DPE, quel est le calendrier ?
M. Christophe Béchu, ministre. - La feuille de route devrait être publiée à l'été 2023.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci beaucoup.
Audition de
M. Olivier Klein,
ministre délégué auprès
du ministre de la transition écologique
et de la cohésion des
territoires chargé de la ville et du
logement
(Mardi 13 juin 2023)
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous achevons les auditions de notre commission d'enquête en recevant M. Olivier Klein, ministre délégué à la ville et au logement. Nous avions commencé par les anciens ministres et nous terminons avec vous notre cycle d'auditions et de déplacements. Vous occupez cette fonction depuis juillet 2022. Auparavant, vous avez été notamment président de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru), de 2017 à 2022, et maire de Clichy-sous-Bois, de 2011 à 2022.
La semaine dernière, la Première ministre a présenté ce que le Gouvernement retenait des travaux du Conseil national de la refondation (CNR) Logement. Ces annonces ont été jugées très décevantes par beaucoup et pour ce qui concerne la commission d'enquête aujourd'hui, au regard des réflexions présentées par le groupe consacré à la transition écologique des logements qui avait formulé nombre de propositions intéressantes et pertinentes. Renouveler les annonces sur le déploiement de France Rénov' et des accompagnateurs ou indiquer le dépôt d'une proposition de loi sur le prêt avance rénovation, dont une centaine seulement a été accordée, c'est vraiment peu de choses ! Quant à porter le nombre de rénovations performantes à 200 000 en 2024 grâce au renforcement de MaPrimeRénov', c'est nécessaire, mais cela semble manquer de perspective quand la stratégie nationale-carbone (SNBC) en programmait plus de 500 000 en moyenne et 700 000 dans les années à venir...
De fait, depuis 2022, le sujet de la rénovation énergétique des logements n'a pas quitté le coeur de l'actualité. Il y a une vraie effervescence sur le sujet. Les Français y sont désormais fortement sensibilisés, mais ils se posent beaucoup de questions et sont pris par le doute. Certains points sont positifs, comme le cadre défini pour les années à venir par la loi Climat et résilience d'août 2021 ou le réel succès numérique de MaPrimeRénov' qui montre une dynamique de rénovation.
Mais il y a de vrais défis à relever sur lesquels nous voudrions vous entendre, pour massifier les rénovations performantes et créer un cadre de confiance.
Nos concitoyens ont l'impression que le diagnostic de performance énergétique (DPE) a été rendu opposable avant même que sa fiabilité ne soit garantie et que les professionnels ne soient à même de le mettre en oeuvre de manière satisfaisante. Les exemples abondent de logements ayant obtenu une notation différente selon le diagnostiqueur voire de logements dont la notation a été dégradée après des travaux de rénovation. Sans compter la difficulté de son application aux logements construits avant 1948, qui inquiète énormément tous les défenseurs du patrimoine et des paysages.
Vis-à-vis des entreprises, nos concitoyens redoutent les fraudes et les malfaçons. Dans ce contexte, le label « Reconnu garant de l'environnement » (RGE) semble décourager nombre d'entreprises sans apporter de vraies garanties.
Par ailleurs, lorsqu'ils veulent effectuer des travaux, nos concitoyens sont confrontés à un maquis d'aides et de conseils, parfois contradictoires ou inappropriés, qui découragent bon nombre d'entre eux. Nous entendons un grand besoin de simplification, de neutralité et de proximité. Nous avons eu l'impression dans nos déplacements qu'en voulant accélérer les rénovations à travers MaPrimeRénov' ou les certificats d'économie d'énergie (CEE), on a déconnecté cette politique des acteurs de terrain, artisans ou collectivités, ce qui facilite les fraudes qui sont souvent mal détectées ou punies en raison de la fragmentation des contrôles.
Si le parc social est prêt mais manque de fonds propres pour accélérer, dans le parc privé, il y a au moins trois difficultés.
En raison des limites actuelles du DPE, il y a de vraies interrogations sur son impact sur le marché de l'immobilier et la possibilité que nombre de logements soient retirés du marché locatif ou que des propriétaires subissent des préjudices patrimoniaux importants, tout particulièrement dans l'ancien.
Ensuite, le calendrier de la loi Climat et résilience semble peu adapté au temps nécessaire et au mode de décision dans les copropriétés. Comment rendre les copropriétaires solidaires, faciliter la prise de décision et malgré tout prendre en compte ces spécificités dans le calendrier ?
La troisième difficulté que nous avons entendue au cours des auditions, c'est celle du financement : financement collectif au niveau des collectivités, mais aussi financement individuel en raison des difficultés à cumuler les aides, à réduire le reste à charge et à accéder à des prêts adaptés aux besoins. Je sais que le Gouvernement travaille sur tous ces sujets. Je souhaite que vous puissiez nous en dire plus aujourd'hui.
Avant donc de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions et pour un propos introductif, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.
Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Olivier Klein prête serment.
M. Olivier Klein, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires chargé de la ville et du logement. - Tout d'abord, je tiens à saluer le travail conséquent de votre commission. La rénovation énergétique est un sujet à fort enjeu, désormais plus visible, il est important pour le climat mais également pour la vie de nos concitoyens, en particulier les plus fragiles, en termes de pouvoir d'achat mais également de santé.
Dans un contexte d'urgence climatique couplé à une période d'inflation encore soutenue, il ne faut pas opposer fin du mois et fin du monde - car l'urgence environnementale est une urgence sociale.
Si la rénovation énergétique est désormais une préoccupation pour beaucoup de nos concitoyens, je crois que c'est à mettre au crédit de la politique menée depuis 2017. Le DPE opposable a fait de la performance environnementale un critère prioritaire de choix d'un logement ; le lancement de MaPrimeRénov' a installé la rénovation au coeur du débat public, il a fait entrer l'éco-geste dans tous les foyers. C'est un premier succès essentiel, qui nous expose et nous oblige d'autant plus que les résultats sont scrutés avec une attention constante.
Je défends haut et fort la dynamique historique initiée sous le quinquennat précédent et sur laquelle nous nous appuyons pour accélérer. Son bilan est positif. Depuis son lancement en 2020, MaPrimeRénov' a aidé plus de 1,5 million de Français à se lancer dans un projet de travaux, pour 5,6 milliards d'euros engagés ; deux bénéficiaires de MaPrimeRénov' sur trois disposent de ressources modestes ou très modestes, quand le crédit d'impôt en vigueur jusqu'en 2019 bénéficiait pour près de moitié aux ménages des neuvième et dixième déciles de revenus. Sur les dossiers payés depuis le début de l'année, le gain énergétique annuel moyen par logement est en hausse de 30 % par rapport à 2021, et 80 % supérieur aux gains constatés sur l'ancien crédit d'impôt. Depuis 2020, plus de 185 000 rénovations globales ont été financées à travers notamment MaPrimeRénov' Sérénité, dont près de la moitié correspond à des sorties de passoires énergétiques.
S'agissant de l'habitat collectif, les objectifs de MaPrimeRénov' Copropriétés ont été dépassés en 2022, avec plus de 25 000 logements rénovés contre 10 000 environ en 2021. Les aides ont été relevées en début d'année pour atteindre un objectif d'au moins 40 000 logements rénovés en 2023.
Si les volumes restent donc relativement modestes, la dynamique est très positive et nous la soutenons activement, sans réduire l'ambition des projets dont le gain énergétique est supérieur à 50 % en moyenne.
En bref, les résultats sont là. Pour autant, rappeler ces réussites concrètes, tangibles, cela ne veut pas dire que tout est parfait.
Je comprends que d'autres constats interrogent, que des attentes subsistent dans le débat public, notamment face à la nécessité d'accélérer encore pour atteindre nos objectifs en 2030. C'est la raison pour laquelle plusieurs chantiers d'ampleur sont en cours.
Notre feuille de route est claire.
Pour aider toujours plus efficacement les ménages à rénover leur logement, nous avons deux priorités : l'accompagnement, pour que les rénovations soient adaptées aux besoins et ambitieuses, c'est le sens du partenariat avec les collectivités pour inscrire France Rénov' dans la durée et renforcer la couverture du territoire, avec un objectif d'un guichet par EPCI d'ici 2025 inscrit dans la feuille de route du Gouvernement ; la refonte de notre système d'aides en deux piliers, comme nous l'avons annoncé avec Christophe Béchu et Agnès Pannier-Runacher hier, pour le rendre plus lisible et mieux répondre à nos objectifs de réduction des émissions, de la consommation énergétique et d'éradication des passoires thermiques - avec un pilier « efficacité », pour maintenir un socle d'aides par geste centré sur l'installation de systèmes de chauffage décarbonés et accompagner la sortie des énergies fossiles, et un pilier « performance », pour créer une voie « réservée » unique, vraiment incitative, pour les rénovations permettant d'atteindre les étiquettes A, B ou C du DPE en une ou deux étapes. Ce parcours sera systématiquement suivi par un accompagnateur Rénov', dont la prestation sera couverte intégralement pour les ménages les plus modestes grâce à un nouveau programme CEE national doté de 300 millions d'euros. C'est vers ce parcours que seront orientées toutes les passoires thermiques, auxquelles il est indispensable d'apporter un traitement global.
S'agissant plus spécifiquement des copropriétés privées, nous nous appuierons sur la dynamique très positive engagée à travers MaPrimeRénov' Copropriétés, qui fera partie intégrante du pilier « performance ».
Comme pour les maisons individuelles, nous ferons évoluer le dispositif pour atteindre en une ou deux étapes les étiquettes les plus performantes du DPE. Le calendrier de mise en oeuvre de ces évolutions sera adapté et plus progressif, pour tenir compte du temps nécessaire aux projets collectifs et sécuriser ceux déjà en cours de discussion ou de montage.
Enfin, les évolutions des barèmes en discussion viseront à répondre à certaines problématiques spécifiques. Je pense notamment au cas des copropriétés fragiles ou en difficulté, car la réalisation de travaux de rénovation lourde permettant de réduire les factures est la meilleure réponse structurelle pour résorber les difficultés financières ; à l'adaptation des critères des aides aux impossibilités techniques ou contraintes architecturales, notamment en centres anciens.
Un mot sur la question du parc locatif privé. Les propriétaires bailleurs disposent aujourd'hui des mêmes aides que les propriétaires occupants, voire certains dispositifs spécifiques à travers le déficit foncier notamment. Notre enjeu prioritaire est de mobiliser tout l'écosystème, pour faire levier sur les moyens existants, et c'est le sens du comité des partenaires que j'ai installé mi-avril et que je réunirai une nouvelle fois début juillet.
S'agissant enfin du parc social, je commencerai par souligner l'ambition pleinement partagée avec le mouvement HLM pour que le secteur prenne toute sa part à nos objectifs de décarbonation d'ici 2030. La transition écologique sera un axe structurant du pacte de confiance que nous conclurons avec les bailleurs. Les travaux menés sur la trajectoire de rénovation sont fructueux, ils permettent de définir le chemin qu'il convient de décliner au sein des groupes.
Mais je sais évidemment les interrogations quant au financement de cet effort sans précédent.
La Première ministre a annoncé la semaine dernière, lors de la restitution du CNR, la création du dispositif de « seconde vie », pour permettre le rechargement des avantages fiscaux de la production neuve lors d'opérations de rénovations lourdes. Le succès de l'expérimentation lancée cette année et dont les projets déposés sont en cours d'instruction, laisse présager une belle dynamique, avec un objectif de 10 000 logements réhabilités chaque année.
Au-delà de cette annonce, le pacte de confiance prévoira un dispositif d'aide à la rénovation énergétique, à concevoir de telle sorte qu'il bénéficie en priorité aux bailleurs ou groupes dont la situation financière ou patrimoniale le nécessite le plus.
Quatre conditions me paraissent nécessaires pour réussir cette feuille de route.
D'abord l'implication des collectivités territoriales et la bonne coordination de leurs actions avec celle de l'État, je pense à leur rôle indispensable d'accompagnement à travers France Rénov', ou dans la distribution des aides à la pierre déléguées, qui seront le socle du pilier « performance » de demain.
Deuxième condition, la mobilisation accrue des sources de financement privé, en complément des moyens publics ciblés prioritairement sur nos concitoyens modestes. Nous menons des travaux avec les banques pour déployer davantage l'offre de prêts réglementés, d'autres propositions sont faites, comme celle de créer une banque de la rénovation, il faut examiner ces pistes.
Troisième condition, la structuration des filières, car nous ne pourrons relever les défis devant nous sans l'engagement de nos entreprises et artisans. Le point d'équilibre à trouver est subtil, notamment dans le débat sur les évolutions du label RGE, pour simplifier les lourdeurs administratives tout en renforçant les exigences de qualité, notamment par la formation.
Enfin, quatrième condition, la lutte déterminée contre la fraude, car il en va de la bonne gestion des deniers publics et de la crédibilité de cette politique auprès des Français. La fraude ne doit jamais être un argument contre le développement de notre action et les moyens que nous y consacrons pour atteindre nos objectifs.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Les annonces faites hier par la ministre de la transition énergétique sur MaPrimeRénov' appellent des précisions. Vous l'avez dit, la rénovation thermique comprend trois grands blocs : les habitations individuelles privées, le collectif en copropriété, et le logement social. J'ai compris que le Gouvernement entendait réorienter les moyens vers la rénovation globale, celle qui concerne « des travaux d'ampleur », selon l'expression utilisée par la Première ministre : que ciblez-vous plus précisément ? Nous avons largement constaté, dans nos travaux, que le nombre de rénovations globales était faible, la plupart des moyens ayant été consacrés aux gestes simples, surtout le changement de chaudières ; vous annoncez 200 000 rénovations globales, c'est encore peu par rapport aux besoins, et j'entendais Christophe Béchu dire qu'il fallait aller vite sur la décarbonation en remplaçant des chaudières par des pompes à chaleur : comment s'articule cette priorité affichée avec l'incitation à la rénovation globale ? Quand pensez-vous que l'Accompagnateur Renov' doive intervenir ? Pensez-vous qu'il devrait intervenir pour tout geste accompagné d'une subvention, ou bien seulement pour les rénovations globales, ce qui, alors, ne changerait pas grand-chose au fait que beaucoup de gens continueraient à raisonner par gestes simples ?
Hier, la ministre a également annoncé que MaPrimeRénov' serait désormais mieux liée aux CEE, pour plus de lisibilité et d'harmonisation, mais rien de précis n'a été dit et la ministre a reconnu que le sujet était complexe : pouvez-vous nous préciser ce qu'il en est ?
Les copropriétés sont aussi un sujet compliqué, puisque c'est un domaine où l'on pourrait massifier la rénovation énergétique mais où les situations de départ peuvent être très différentes à l'intérieur même d'une copropriété : comment avancer, dans ces conditions ? Peut-on envisager un DPE collectif qui soit opposable ?
Les bailleurs sociaux sont volontaires, ils savent faire et ils se sont engagés à tenir les objectifs, mais ils demandent des moyens - c'est donc la partie la plus simple, mais à condition qu'on leur donne les moyens d'avancer. Or, je n'ai pas entendu d'annonces précises sur les moyens : qu'en est-il ?
Comment, ensuite, travaillez-vous entre ministères, comment s'articulent les objectifs et les orientations ? Le ministère du logement vise la rénovation globale, le confort, le social, mais le ministère de l'écologie peut viser d'abord la décarbonation : comment articulez-vous ces priorités, concrètement ?
Que pensez-vous, enfin, d'une loi de programmation sur la rénovation énergétique du logement, une idée qui était chère à plusieurs de vos prédécesseurs ?
M. Olivier Klein, ministre délégué. - L'action se construit sur les deux piliers que je vous ai présentés, l'efficacité et la performance, et c'est sur celui de la performance qu'intervient l'accompagnateur MaPrimeRenov' avec un financement par les CEE. Le chiffre de 200 000 rénovations globales représente trois fois le rythme actuel, c'est bien une accélération. Je rappelle que l'objectif, c'est d'arriver à une étiquette A, B ou C en une ou deux étapes, ce sera le rôle de l'accompagnateur de dire comment on y arrive. Notre idée, aussi, c'est que ce n'est pas au demandeur de s'inquiéter des circuits de financement, mais qu'il trouve une information et un conseil suffisant pour monter le dossier de rénovation. Ensuite, c'est certain qu'il y a un effort financier à faire pour atteindre 200 000 rénovations globales, nous aurons à en parler dans la loi de finances.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Mais quand l'accompagnateur MaPrimeRenov' intervient-il, précisément ? Seulement quand il y a une demande de rénovation globale, ou bien plus largement ? Le particulier qui envisage de changer sa chaudière pour une pompe à chaleur, par exemple, sera-t-il orienté vers l'accompagnateur pour voir si ce geste ne doit pas être inclus dans une rénovation plus large ?
M. Olivier Klein, ministre délégué. - S'il n'y a qu'un seul geste, on reste dans le pilier efficacité. Cependant, lors d'un premier contact avec France Rénov' ou une maison France Services, les échanges peuvent très bien orienter vers une rénovation plus conséquente, pour savoir si l'on est dans le pilier efficacité, ou performance. La règle actuelle est que l'Accompagnateur Rénov' intervient pour la rénovation globale, mais rien ne l'empêche de dire, quand il examine le dossier, qu'un seul geste suffit - ou, à l'inverse, de dire que le mono-geste peut être utile pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, sans avoir d'impact sur le reste.
Le DPE collectif n'est pas opposable, mais il peut être un outil pour connaître son immeuble et savoir où l'on en est. C'est une vraie question, parce qu'à l'intérieur d'un même immeuble, la situation des copropriétaires peut varier beaucoup et certains, par exemple quand ils sont exposés au nord et sous une terrasse, peuvent dépendre d'actions collectives pour parvenir à une bonne étiquette de leur DPE. Le DPE collectif est donc un bon outil pour accompagner les copropriétés dans leur projet de rénovation énergétique.
Sur les modes de chauffage, la frontière est ténue entre efficacité et performance. Cependant, le conseiller ne proposera pas un mono-geste inutile et le premier échange doit permettre de vérifier où en est le logement au regard de la rénovation énergétique, c'est le sens de notre démarche.
Les bailleurs sociaux sont volontaires, c'est très important comme point d'appui. Nous avançons avec Action Logement, j'espère que nous pourrons signer le « pacte de confiance » avec l'Union sociale de l'habitat (USH) avant le congrès des HLM, pour donner des moyens aux bailleurs les plus fragiles. Les bailleurs sociaux peuvent compter sur le dispositif « seconde vie », avec une exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties quand des travaux importants auront été faits. Cependant, les dépenses à faire sont plus importantes encore, nous devons donc travailler sur de nouveaux types de prêts, pour que le parc social soit rénové à la hauteur des attentes.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Vous n'avez donc pas d'orientation budgétaire précise à nous communiquer ?
M. Olivier Klein, ministre délégué. - Nous définissons le niveau du fonds d'aide à la rénovation énergétique, à partir des 200 millions d'euros du fonds national d'aide à la pierre (FNAP), nous verrons s'il faut aller plus loin.
Les ministères du logement et de la transition énergétique poursuivent des objectifs complémentaires et articulés, les questions climatiques qui se posent à nous sont globales, la rénovation énergétique dépasse la seule question du logement, elle concerne directement les bâtiments publics, il faut décarboner le patrimoine bâti dans son ensemble, les financements sont nombreux à y contribuer, qu'il s'agisse de dotations générales ou de fonds spécifiques. Je n'ai pas le sentiment qu'il y ait de coin à mettre entre les dynamiques de nos ministères, nous l'avons démontré hier.
Une loi de programmation, c'est une idée...
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Christophe Béchu y est favorable...
M. Olivier Klein, ministre délégué. - Plusieurs lois de programmation courent déjà, il faut les conduire à leur terme.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Des professionnels nous demandent pourtant plus de visibilité, avec des textes quinquennaux.
M. Olivier Klein, ministre délégué. - Il faut tenir les engagements déjà pris par les textes en cours.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Vous dites vouloir mobiliser tout l'écosystème, avec tous les partenaires : comment comptez-vous faire ?
Que pensez-vous, ensuite, de l'idée défendue par la Fédération nationale de l'immobilier (Fnaim), d'une vente en l'état futur de rénovation énergétique, sur le modèle de la vente en l'état futur d'achèvement pour le logement neuf, qui permettrait d'intégrer dans la vente le prix des travaux de rénovation énergétique ?
M. Olivier Klein, ministre délégué. - J'entends les inquiétudes, portées par les partenaires, sur la capacité à tenir les engagements de la loi Climat et résilience, nous savons les difficultés techniques de la réhabilitation de l'habitat collectif. C'est pourquoi nous avons mis en place, mi-avril, un « comité des partenaires », avec les bailleurs et les acteurs du bâtiment, l'objectif est de regarder ensemble les freins à l'action. Je pense qu'il est vertueux de s'engager sur un calendrier, des locataires vivent dans des passoires thermiques et il faut mettre fin à ces situations, nous devons y travailler ensemble, l'objet de ce comité est de comprendre les freins pour les lever.
Il n'y a pas d'interdiction de vendre des passoires thermiques, c'est le droit actuel. Mais nous orientons les aides, par exemple lorsque la Première ministre annonce que le prêt à taux zéro serait accordé sous réserve de travaux énergétiques, ou encore avec le dispositif d'acquisition amélioration - et quelqu'un qui achète un bien pour y habiter, sera éligible aux aides.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Dans la proposition de la Fnaim, les travaux sont financés puisque leur coût est intégré à la vente.
M. Olivier Klein, ministre délégué. - Oui, c'est ce qui se passe aussi avec la décote telle qu'elle existe aussi de gré à gré, et c'est bien l'intérêt du DPE que d'informer l'acheteur sur le bien qu'il achète.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Le mécanisme proposé est plus précis, puisqu'on achète alors le bâtiment avec rénovation.
M. Olivier Klein, ministre délégué. - L'acheteur est informé systématiquement, c'est le sens du DPE rendu obligatoire.
Mme Sabine Drexler. - Pensez-vous que le DPE actuel soit adapté au bâti patrimonial non protégé ? Comment prendre en compte des particularités du bâti vernaculaire, l'inertie propre des bâtiments anciens, et le confort d'été - pour éviter la pose de matériaux inadaptés ?
M. Olivier Klein, ministre délégué. - Sur cette question très importante de la rénovation énergétique des bâtiments patrimoniaux, nous travaillons avec le ministère de la culture, avec les architectes des bâtiments de France (ABF), nous soutenons en particulier le label Effinergie Patrimoine. Les études montrent qu'on peut tout à fait rénover aussi ces bâtiments patrimoniaux, mais par des techniques adaptées - il ne s'agit pas, par exemple, de poser une isolation thermique par l'extérieur (ITE) sur des murs en pierre de taille comme on le fait sur des bâtiments en béton des années 1960. Le DPE est déjà adapté aux bâtiments anciens, mais nous essayons d'améliorer ses critères pour que la MaPrimeRénov' prenne en compte les surcoûts éventuels de la rénovation, il y aussi des dispositifs fiscaux, comme le « Denormandie » - lequel est très peu utilisé pour le moment.
Mme Sabine Drexler. - Ce qu'on voit pourtant sur le terrain, c'est que des propriétaires isolent leur maison de façon tout à fait inappropriée, parce qu'ils sont mal conseillés : il y a tout un travail de communication à faire pour éviter ces situations.
M. Olivier Klein, ministre délégué. - Ces chantiers inadaptés sont faits avec des autorisations d'urbanisme délivrées par la collectivité locale, il faut effectivement veiller à ce que cela ne se produise pas - je ne crois pas que ces cas soient le fait de rénovations accompagnées ni faites dans les règles de l'art.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - La Fédération des organismes HLM a suggéré un contrat global de réhabilitation, avec un portage financier comparable à ce que font les organismes fonciers solidaires (OFS), où la copropriété prend en compte les travaux de rénovation thermique avec une part transmissible : est-ce que vos services travaillent sur cette hypothèse ? Elle pourrait solvabiliser des ménages, car il s'agit bien de cela aussi : pour qu'il y ait travaux, il faut qu'ils soient votés en assemblée générale de copropriétaires, donc que les gens s'y engagent.
On peut se féliciter, ensuite, que le parc HLM soit mobilisé, mais on se doit aussi un discours de vérité sur les moyens qui seront nécessaires à la rénovation énergétique du parc social. Les simulations montrent qu'on aurait besoin de 9 milliards d'euros. Nous sommes face à un double goulet d'étranglement : les fonds propres des organismes vont subir la hausse du taux du livret A, alors qu'on sait bien que rien d'important ne pourra se faire sans ces fonds propres ; ensuite, le niveau insuffisant des aides, puisqu'on parle de 200 millions d'euros, là où il faut 1,2 milliard. Il ne suffira donc pas d'allonger les durées de remboursement des prêts, et nous sommes dans un débat bien connu du mouvement HLM, sur les investissements nécessaires au parc existant. La Première ministre parle d'augmenter le soutien, dans quel ordre de grandeur ? Je note avec intérêt l'engagement sur le dispositif « seconde vie », il va dans le bon sens.
Enfin, il y a un problème de communication sur l'effet des investissements. On annonce que des milliards d'euros sont dépensés, mais on ne dit pas les économies d'énergie réalisées. Nos voisins allemands ont beaucoup dépensé pour réhabiliter, mais leurs factures d'énergie ne paraissent pas avoir diminué, au point qu'ils s'interrogent sur l'efficacité de la rénovation, ce n'est guère encourageant. Il y a une pédagogie à faire sur les résultats, nos concitoyens doutent de l'efficacité des dépenses engagées et ils peuvent penser que c'est le tonneau des Danaïdes. Que pensez-vous d'une communication politique plus forte sur les résultats, assortie d'une meilleure évaluation partagée ? La France n'est certainement pas parmi les mauvais élèves de la rénovation énergétique, mais les Français pensent le contraire, il faut faire quelque chose...
M. Olivier Klein, ministre délégué. - Pour massifier la rénovation énergétique, il faut effectivement agir sur l'habitat collectif, en particulier sur les copropriétés privées. On connaît les freins de l'action, d'abord le reste à charge, c'est bien l'objectif de MaPrimeRénov' Copro d'aider les copropriétés à avancer. Ensuite, un deuxième frein tient à la vie de la copropriété elle-même, à ses règles de décision, celles du vote majoritaire en assemblée générale de copropriété par exemple - c'est pourquoi nous voulons simplifier la démocratie de la copropriété et la loi du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis.
Sur le reste à charge, nous voulons développer l'éco-prêt à taux zéro, le préfinancement, l'appel de fonds, nous travaillons sur ces sujets avec les banques pour que des fonds aillent plus facilement à la réhabilitation énergétique. Nous réfléchissons aussi, dans le cadre d'un appel à projet de France 2030, au mécanisme d'un tiers investisseur qui porte le chantier avec un remboursement sur les économies d'énergie, nous testons cette hypothèse pour lever le frein de la trésorerie initiale de la copropriété. Le prêt « avance rénovation » pourrait être vertueux lui aussi. Personne n'a envie de faire peser la rénovation énergétique sur ses descendants, mais l'hypothèse reste à examiner, car les fonds à mobiliser sont effectivement très importants et la mobilisation avec les banques n'est pas suffisante.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - En tout état de cause, on bute vite sur la faible capacité à payer de bien des ménages et cet obstacle est moindre sur la longue durée : avec la transmission de la charge on gagne en fluidité, tout en engageant la responsabilité de la copropriété, quitte à faire intervenir une garantie d'une banque ou de la Caisse des dépôts. Les situations sont très complexes, il faut regarder aussi les expérimentations en cours, je pense à l'une d'elles, à Rennes, qui fait intervenir la communauté urbaine.
M. Olivier Klein, ministre délégué. - Nous explorons ces pistes avec l'Agence nationale de l'habitat (Anah) en particulier, elles passent par l'aide aux copropriétaires et à la copropriété, c'est tout un ensemble de mesures et vous avez raison, les situations varient beaucoup selon les copropriétés, il faut évaluer chaque situation de près, nous réfléchissons aussi à une loi sur la propriété précaire et les marchands de sommeil.
Sur le parc social, nous voulons accompagner les bailleurs à travers tous les dispositifs disponibles, et nous voulons aussi regarder comment donner des capacités d'investissement aux bailleurs les plus fragiles. La hausse du livret A a été contenue par le volontarisme de la Banque de France et du ministère des finances, le taux de 3 % c'est moins que cela aurait pu être, une nouvelle augmentation interviendra en août, ce qui est aussi l'intérêt des petits épargnants, il faudra accompagner le monde HLM en allongeant la durée des remboursements.
Je vous rejoins sur l'importance de la transparence et de la communication sur les économies d'énergie réalisées grâce aux investissements, il faut faire tous les calculs et les faire connaître. La réalisation de 1,5 million de chantiers aidés par MaPrimeRénov' a fait économiser la consommation électrique d'une ville comme Lyon, c'est un chiffre symbole - mais je partage votre souci de communiquer précisément sur les économies attendues de la rénovation, c'est par cette pédagogie qu'on incitera à s'engager dans ces chantiers et à les financer, nous y travaillons.
Mme Daphné Ract-Madoux. - Quel lien pensez-vous pouvoir faire entre les chantiers importants qui vont se dérouler dans le logement social, et la constitution des filières professionnelles qui sont nécessaires à la massification ? Il faut de la lisibilité, c'est nécessaire à la massification, il faut tirer les enseignements de ce qui se passe dans le logement social, qui a souvent été un laboratoire de ce qui se passe dans le logement privé.
Le confort d'été, ensuite, n'est pas bien intégré dans le DPE, alors que les Français sont plus nombreux à souffrir du chaud, que du froid, et que les solutions techniques sont parfois très simples à mettre en oeuvre. Comment mieux en tenir compte ?
Enfin, il me semble important de bien s'appuyer sur les réseaux déjà en place, et de ne pas en créer une nouvelle couche, de ne pas réinventer ce qui existe déjà. J'ai fait le test dans mon département et j'ai constaté que le réseau fonctionnait déjà bien, pour le conseil.
M. Olivier Klein, ministre délégué. - Je vous rejoins pour dire que le logement social a souvent été un laboratoire pour des solutions d'ensemble, cela vaut aussi pour la rénovation énergétique. Le plan de relance a financé un accompagnement sur la méthode simplifiée de rénovation dans le logement social, elle a été utile à d'autres rénovations énergétiques du parc privé, les rénovations au titre de la « seconde vie » le seront aussi, il faut mettre ces chantiers à profit de la massification dont nous avons besoin.
Vous avez aussi raison de souligner l'importance du confort d'été, alors que le DPE se concentre sur la consommation d'énergie et l'émission de gaz à effet de serre, mais je ne suis pas certain que l'ajout d'un nouveau critère serait utile ; il y a déjà des indicateurs dans le DPE sur les outils passifs de baisse de la température, sur les protections solaires, de même que le confort d'été est présent dans les nouvelles normes de construction et d'aménagement - l'Anru, avec sa démarche de « quartiers résilients », est tout à fait attentive au traitement des îlots de chaleur dans les équipements publics et scolaires, ainsi qu'à la préparation des épisodes de chaleur, avec l'aménagement d'espaces de fraîcheur.
Mme Daphné Ract-Madoux. - Attention, si la réponse à la chaleur est la climatisation, on augmente la facture énergétique, ce n'est pas une solution...
M. Olivier Klein, ministre délégué. - C'est vrai, les réflexions portent plutôt sur la ville durable, donc les matériaux de construction, le choix des couleurs de peinture, les aménagements, chacun doit prendre sa part.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Vous avez réuni les diagnostiqueurs immobiliers, vous avez annoncé des mesures pour mieux les professionnaliser : quelles sont-elles ?
Comment, ensuite, mieux contrôler les travaux de rénovation énergétique ? Comment mieux articuler les contrôles au titre des différents dispositifs ? Que pensez-vous de l'idée d'un Consuel ?
M. Olivier Klein, ministre délégué. - J'ai effectivement réuni les diagnostiqueurs immobiliers en webinaire, je leur ai rappelé leur obligation d'exemplarité, car il n'est pas normal que des diagnostics soient contradictoires sur un même logement. Un diagnostic ne se fait pas en quelques minutes, c'est un travail qui prend du temps, nous travaillons sur la formation initiale des diagnostiqueurs, avec la filière, nous cherchons à renforcer et à homogénéiser leur formation. Nous mettons aussi à disposition du propriétaire une fiche avec des questions pour qu'il comprenne mieux de quoi le diagnostic est fait et qu'il puisse s'adresser à France Rénov' s'il ne comprend pas le diagnostic qu'on lui adresse.
Il faut aussi renforcer les contrôles après les chantiers et lutter contre les fraudes, c'est indispensable à la crédibilité de nos dispositifs. Nous avons eu à déplorer des fraudes de type mafieux, nous avons dû nous organiser en conséquence avec l'Anah. Il y a eu des mandataires de grande qualité, qui ont été très utiles, mais d'autres ont fait appel à des entreprises de piètre qualité, ce qui oblige à contrôler les travaux. Nous travaillons aussi avec la filière du bâtiment sur la qualification RGE, je suis favorable à l'expérimentation que la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb) a lancée pour une « labellisation par chantiers », l'idée étant d'attribuer le label RGE après trois chantiers réussis de rénovation énergétique, sous réserve qu'ils soient contrôlés ; cette expérimentation a été prolongée dans le cadre des assises du bâtiment, nous verrons si elle est poursuivie au-delà.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Le DPE devient un dispositif central, on nous demande de le conforter et de l'améliorer, par exemple pour mieux prendre en compte le confort d'été, les matériaux anciens. Y réfléchissez-vous dans ce sens ?
Sur la fraude, ensuite, on constate qu'elle touche d'abord ceux qui sont peu informés, ce qui pousse à généraliser l'information. Que pensez-vous d'un DPE qui serait obligatoire et généralisé, comme cela se passe avec le contrôle technique des voitures ? Le DPE n'intervient pour le moment que pour la vente ou la location d'un logement, ce qui n'informe pas sur le niveau énergétique en dehors de ces cas, donc pas non plus sur les investissements qui devraient être faits...
M. Olivier Klein, ministre délégué. - Je reviens sur la fraude, c'est un problème important, nous redisons dans toutes nos campagnes d'information qu'il n'y a pas de démarchage par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) ni par l'Anah, et nous mettons en avant que le seul accompagnement public, c'est celui des conseillers de l'agence France Rénov' et le l'Accompagnateur Rénov'. Nous allons lancer une campagne sur MaPrimeRénov', qui confirmera que c'est la seule porte d'entrée, nous y sommes très attentifs.
Le DPE a évolué en juillet 2021, il est utile qu'il n'évolue pas de nouveau, car cela ferait poser des questions sur les étiquettes actuelles ; les critères revus sont fiables, objectivés, en particulier sur le chauffage et l'isolation. Il faut être vigilant sur l'homogénéité du travail des diagnostiqueurs, nous le leur avons rappelé, je peux dire que nous avons été entendus. Je partage ce que vous dites sur la visibilité de l'étiquette, nous avons besoin d'avoir une étiquette pour savoir d'où l'on part et où l'on va. Sur le pilier « performance », il y aura une étiquette pour avant le chantier, et une autre pour après le chantier. En revanche, si je ne suis pas hostile à cette idée sur le volet « efficacité », la question se pose de son coût. Quant à rendre le DPE obligatoire pour tous les logements, je n'ai pas de réponse à ce stade. L'Ademe et le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) ont mis en place des outils numériques de cartographie avec les DPE connus, leur résultat est remarquable, cela donne déjà des indications sur les niveaux d'étiquette énergétique des logements.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Il y a aussi l'idée d'un carnet de santé et de passeport du bâtiment, pour suivre la rénovation énergétique dans le temps, en donnant de la visibilité au parcours de rénovation.
M. Olivier Klein, ministre délégué. - C'est intéressant, je suis convaincu qu'on s'oriente vers des outils de ce type.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Avez-vous évalué l'idée d'une filière « made in France » pour la rénovation énergétique ? Que pensez-vous d'un observatoire sur l'évolution des prix de la rénovation ?
M. Olivier Klein, ministre délégué. - La réglementation environnementale RE2020 favorise déjà les matériaux bas carbone et l'utilisation de matériaux bio-sourcés, et nous avons tout intérêt à créer une filière française de la rénovation énergétique. Le Gouvernement soutient la filière bois, c'est un sujet complexe sur lequel il ne faut pas céder, tout en étant attentif aux normes d'assurance et de construction pour valoriser ces filières. Nous avons un appel à projets dans le cadre de France 2030, nous avons été à la rencontre des acteurs de cette filière avec Christophe Béchu. Il y a aussi des avancées sur le béton bas carbone, des entreprises françaises sont très dynamiques sur ce sujet. Nous travaillons également à l'élaboration d'un « CarbonScore », sur le modèle du NutriScore, pour avoir un état des lieux et choisir les matériaux en fonction de leur bilan carbone. De grandes entreprises françaises travaillent à l'évolution des modes de chauffage, pour être à la pointe sur des pompes à chaleur de qualité, y compris sur le confort d'été.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci pour toutes ces précisions.
* 282 www.francetvinfo.fr/replay-radio/l-interview-eco/renovation-energetique-le-directeur-general-de-saint-gobain-demande-un-plan-marshall-pour-lutter-contre-les-passoires-thermiques_5789687.html.