II. LES ENSEIGNEMENTS DE L'EXPÉRIMENTATION DE LA CERTIFICATION
A. LE PROGRÈS DE L'INFORMATION FINANCIÈRE
1. L'enjeu de consolidation des comptes publics
Les démarches de certification des comptes des collectivités territoriales s'inscrivent dans un chantier plus large de normalisation, d'harmonisation et de consolidation des comptes publics. Elles participent ainsi d'un vaste mouvement visant à une connaissance plus précise de nos finances publiques.
Entendue comme la volonté d'établir des règles communes dans le double but d'uniformiser et de rationaliser la présentation des informations comptables, la normalisation des comptes publics est déjà bien avancée. Ainsi, le CNoCP a publié, en avril 2021, le Recueil des normes comptables pour les entités publiques locales. Ce recueil vient compléter celui relatif aux normes comptables de l'État, celui des établissements publics et celui des organismes de sécurité sociale.
Sur ce socle de normes comptables viennent s'ancrer les règles de comptabilité dont l'harmonisation progresse également. Cette harmonisation passe par l'alignement progressif des collectivités territoriales sur le référentiel budgétaire et comptable appelé « M57 ».
La « M57 », principes et application Le référentiel « M57 » est le référentiel budgétaire et comptable le plus récent, mis à jour par la DGFiP et la direction générale des collectivités locales (DGCL), en concertation avec les acteurs locaux. Il permet le suivi budgétaire et comptable de nombreuses entités publiques locales, tout en conservant certains principes budgétaires applicables aux référentiels jusque-là en vigueur : « M14 » applicable aux communes, « M52 » pour les départements et « M71 » utilisé par les régions. La « M57 » représente le référentiel le plus avancé en termes de qualité comptable et elle intègre les dernières dispositions examinées par le CNoCP. Elle assouplit le modèle budgétaire selon les règles en vigueur pour les régions, concernant la pluri-annualité, la fongibilité des crédits et la gestion des dépenses imprévues. Depuis le 1er janvier 2020, le référentiel « M57 » est appliqué par la Guyane, la Martinique, la Corse, la ville de Paris et les métropoles, ainsi que par les établissements publics locaux et les collectivités territoriales expérimentateurs du dispositif de certification des comptes ou du compte financier unique (CFU). Sa généralisation à toutes les collectivités locales et à leurs établissements publics administratifs interviendra à compter du 1er janvier 2024. Dans le cas particulier des communes de moins de 3 500 habitants, c'est le référentiel « M57 simplifié » qui d'ores et déjà s'applique (avec notamment un plan de comptes abrégé et des règles budgétaires assouplies). |
Non seulement l'alignement sur le référentiel unique de la « M57 » constitue une condition préalable nécessaire au processus de certification des comptes, mais le référentiel unique et la certification participent eux-mêmes à une visée de plus long terme : la consolidation des comptes publics. Au niveau des comptes des collectivités territoriales, cette consolidation consiste à ajouter les budgets des collectivités les uns aux autres tout en neutralisant les flux allant d'un budget à l'autre (par exemple, les remboursements de frais de personnels mis à disposition ou les subventions). Dans ce but, on distingue deux types de neutralisation de flux : les flux entre les budgets principaux et leurs budgets annexes, d'une part, et ceux entre les différentes personnes morales (communes, EPCI, départements, régions), d'autre part.
Ces avancées contribuent à l'amélioration de la qualité de l'information à disposition sur les collectivités territoriales. Ainsi, par exemple, elles permettent de disposer de comptes de charges et de produits représentatifs des flux de fonctionnement réellement attachés à l'exercice, de provisions représentatives des risques à couvrir et des dépréciations à constater, ou encore de comptes d'actif et de passif reflétant plus fidèlement ce que possède et ce que doit la collectivité.
Une telle amélioration profite aux élus de la collectivité territoriale, qui peuvent s'appuyer sur des données plus fiables pour définir leur stratégie (par exemple patrimoniale), mais aussi aux autorités de contrôle et aux citoyens.
2. Un gage de crédibilité vis-à-vis des prêteurs
Les collectivités territoriales représentent près de 70 % de l'investissement public pour un montant total s'élevant à 63,5 milliards d'euros sur l'exercice 202116(*). Cet effort d'investissement peut être financé soit par autofinancement, via l'épargne brute dégagée par la collectivité, soit par de la dette. Aux termes des articles L. 2337-3, L. 3336-1, L. 4333-1 et L. 5211-36 du code général des collectivités territoriales (CGCT), les communes, les départements, les régions et les EPCI peuvent en effet recourir à l'emprunt. Le produit des emprunts constitue alors l'une des recettes non fiscales de la section d'investissement du budget des collectivités en application de l'article L. 2331-8 du CGCT.
Dans son rapport remis à la Commission des finances du Sénat en octobre 2022 « Le financement des collectivités territoriales : des scénarios d'évolution », la Cour des comptes indique que, pour les collectivités territoriales, « l'emprunt représente en 2021, 18,1 milliards d'euros de ressources annuelles des collectivités locales et leur dette s'élèvent à 183,3 milliards d'euros, soit 6,5 % de la dette publique ».
L'autorisation d'emprunt et les conditions consenties à la collectivité territoriale par les établissements bancaires dépendent bien évidemment des conditions de marché, mais aussi de la santé financière de la collectivité ainsi que de ses fondamentaux économiques. Afin de répondre aux exigences des prêteurs et de leur fournir une information la plus complète et précise possible, certaines collectivités s'appuient dans la négociation de leurs conditions financières (niveau du taux, durée de remboursement, modalités de remboursement anticipé...) sur des notations financières émises par des agences spécialisées (Standard and Poor's, Fitch Ratings et Moody's, notamment). Ces agences délivrent une notation des collectivités territoriales comparable à celle des États à base d'une combinaison de lettres, le « triple A » étant la meilleure notation, et rendant notamment compte de la solvabilité des collectivités.
Même si la certification des comptes d'une collectivité territoriale ne préjuge pas de la qualité de sa gestion, et encore moins de la soutenabilité de sa trajectoire budgétaire, elle représente toutefois un argument supplémentaire pour la collectivité face aux établissements bancaires. Elle atteste d'un souci d'information et de la volonté de se mettre en conformité avec des standards exigeants, en l'occurrence ceux portés par le référentiel budgétaire et comptable.
En ce sens, pour une collectivité territoriale emprunteuse, la certification de ses comptes peut se révéler un investissement rentable en l'aidant à négocier des conditions financières plus avantageuses.
Actuellement avancé essentiellement par les professionnels du chiffre que sont les commissaires aux comptes, cet argument n'a toutefois, jusqu'à présent, guère été entrevu par les collectivités elles-mêmes. À n'en pas douter, elles sauront pourtant se servir de l'outil que représente la certification de leurs comptes dans le dialogue avec leurs prêteurs dans les temps à venir.
* 16 Rapport sur « Les finances publiques locales », Cour des comptes (juillet 2022).