EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 7 juin 2023, sous la présidence de M. Christian Cambon, président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport d'information du groupe de travail sur le programme 178 « Préparation et emploi des forces », dans la perspective de la loi de programmation militaire (M. Olivier Cigolotti, rapporteur et Mme Michelle Gréaume, rapporteure).
M. Olivier Cigolotti, rapporteur. - Monsieur le président, chers collègues, l'effort consenti en faveur des crédits de paiement du programme 178 dans le cadre de la LPM est conséquent. Trois chiffres marquent une progression nette :
-69 milliards d'euros bénéficieront à l'entraînement et à l'activité des forces, soit un effort supplémentaire par rapport à la précédente LPM de 20 milliards,
-49 milliards sont alloués à l'entretien programmé du matériel (EPM) soit 15 milliards de plus,
- et enfin 18 milliards pour les services de soutien. Ce sont 4 milliards supplémentaires.
L'effort est là, il était indispensable tant le programme 178 est dimensionnant pour répondre à l'hypothèse d'engagement majeur (HEM) comme à la haute intensité (HI).
Les résultats en matière de préparation opérationnelle et de disponibilité technique opérationnelle (DTO) sont un sujet de préoccupation de la CAEDFA. En 2023, les indicateurs en la matière sont particulièrement décevants.
La situation s'est dégradée, comme nous le redoutions et sans que nous n'ayons aucune visibilité sur le décrochage qui s'est opéré pendant les 4 premières années de la LPM faute d'application de son article 7 qui devait fixer des objectifs annuels dans ces domaines. La préparation opérationnelle est de fait devenue une variable d'ajustement au cours de l'exécution des premières années de la LPM pour 2019-2025. Sur 11 indicateurs disponibles en 2023, 5 montrent un recul par rapport à 2019.
Les perspectives de la LPM pour 2024-2030 sont ambitieuses et s'établissement pour la préparation opérationnelle à 9,86 milliards par an, contre 7 milliards par an prévus entre 2019 et 2025. Cette augmentation annuelle est conforme aux besoins que nous avions recensés dans le cadre de la préparation du rapport sur l'actualisation de la LPM.
Il conviendra de s'assurer que les besoins de l'armée de terre, qui n'atteignent aujourd'hui que 70 % de la norme d'entraînement, ne sont pas sous-estimés. La consommation de ces crédits ne devra donc pas être repoussée à la deuxième moitié ou au dernier tiers de la LPM, et nous ne pouvons pas accepter cette fois encore de ne pas avoir de jalons tout au long de l'exécution de la LPM. Nous avons une cible de dépenses de crédits tout au long de la LPM mais nous n'avons pas la répartition par années. Nous vous ferons sans doute des propositions sur ces sujets lors de notre réunion de la semaine prochaine.
Pour la disponibilité technique opérationnelle, exprimée en pourcentage des contrats opérationnels, les résultats ne sont pas satisfaisants non plus. Ce sont 10 des 21 indicateurs de DTO qui ont diminué entre 2019 et 2023 ! Là encore aucune information n'a été communiquée au Parlement sur les objectifs de stabilisation ou de progression de la DTO.
Les efforts dédiés à la DTO dépendent des crédits dédiés à l'EPM qui bénéficient de 14 milliards supplémentaires. Mais la prochaine LPM recherche un optimum économique, en trompe l'oeil, dit « de cohérence », qui arbitre entre deux variables majeures : l'activité et la DTO. Réduire une supposée « sur-disponibilité » pour financer plus d'heures d'activité ne paraît pas rationnel, ni économiquement ni techniquement. Cela conduirait à une surusure des équipements et à l'érosion plus rapide du capital technique des armées. Voulons-nous, comme l'Allemagne, nous retrouver avec une armée Potemkine qui présente bien mais s'effrite à l'examen ?
L'information du Parlement doit permettre d'éviter une telle dérive, les équipements âgés doivent rester suffisamment efficaces, le coût de leur maintenance doit rester raisonnable. En son temps, le retard du Rafale Marine a obligé la Marine nationale à prolonger l'emploi du Crusader (utilisé depuis le début des années 1960), au prix de 67h de maintenance pour chaque heure de vol. Le non remplacement de matériel et le retard de livraison d'équipements ne doivent pas conduire à l'utilisation au-delà du raisonnable des équipements vieillissants. Dans le cas contraire, il faudrait dimensionner les crédits d'EPM pour pallier la gériatrie des matériels ce qui n'est ni souhaitable, ni adapté en période d'instabilité internationale majeure qui touche jusqu'au sol européen.
La LPM 2019-2025 tirait les leçons de l'accroissement des besoins et portait une réelle ambition pour l'entretien programmé du matériel (EPM) en lui dédiant 35 milliards sur la période de programmation. Mais elle reportait en fait une partie décisive de l'effort après 2022, avec des annuités de 4,4 Mds entre 2019 et 2023, puis de 6,5 milliards entre 2024 et 2025. Or, en exécution, le rythme d'inscription des crédits dédiés à l'EPM en loi de finances initiales a accusé un retard de 900 M€ par rapport à l'annuité moyenne arithmétique, accentué en 2023 par le fléchage dans cette enveloppe annuelle inchangée de 500 M€ pour reconstituer les stocks de munitions.
Cette augmentation des crédits destinés aux munitions était indispensable, et les leçons tirées de la guerre en Ukraine l'imposent. Mais cela signifie toutefois que les crédits d'EPM ont servi à financer des besoins non prévus par la LPM 2019-2025, au détriment des besoins initialement retenus, alors que le gabarit était déjà taillé au plus juste.
Nous devrons être très attentifs au rythme de consommation des crédits de l'EPM pendant la période de programmation à venir, les annuités n'étant pas détaillées. Un décrochage serait cette fois encore illisible pour le Parlement.
Faut-il donc considérer que ces annuités seront toutes identiques, alors que le maintien de matériel vieillissant devrait logiquement conduire à une augmentation des besoins d'EPM au fur et à mesure de l'exécution de la LPM ? Le choix dit « de cohérence » visant à réduire une supposée « sur-disponibilité » des équipements pour financer plus d'heures d'activité ou plus d'équipements neufs doit être surveillé, afin de préserver le capital technique des armées.
Mme Michelle Gréaume, rapporteure. - Je vais centrer mon propos essentiellement sur les services de soutien dont la situation nous alarme depuis que nous sommes rapporteurs du P178. Olivier parlait de la reconstitution du stock des munitions. Il nous paraît évident qu'elle doit s'accompagner d'une adaptation du Service interarmées des munitions (SIMu). Le SIMu doit :
- premièrement consolider son organisation avec la création éventuelle d'un nouvel établissement principal des munitions (EPMU) et le renforcement de son dispositif à l'outre-mer et l'étranger,
- deuxièmement renforcer la fonction défense et sécurité et le pilotage des projets majeurs. Pour cela, il lui faut gagner en épaisseur organique en sécurisant la remontée en puissance des ressources humaines. La création de 80 postes de personnel militaire est nécessaire,
- enfin, la capacité de stockage offerte par les dépôts du SIMu est jugée suffisante pour répondre aux exigences des contrats opérationnels. Mais la modernisation et l'augmentation de la sécurité doivent être favorisées avec le remplacement des magasins en tôle par des igloos, notamment.
Nous recommandons aussi de consolider l'EPM et les services de MCO des armées. Pour préparer ce rapport nous nous sommes rendus dans trois services de MCO : le service de soutien de la flotte à Toulon, l'atelier industriel de l'aéronautique (AIA) de Clermont-Ferrand, et la 12ème Base de Soutien du Matériel à Douai.
De ces visites dans des services en charge du MCO, il ressort que l'amélioration des contrats verticalisés et du MCO dans les armées passe par un axe « matériels ». Il consiste à adapter les stocks opérationnels en portant l'effort sur les rechanges critiques et les approvisionnements vulnérables aux situations de crise internationale. Il faut également s'assurer de l'existence des chaînes de réparation industrielles et de leur capacité à répondre aux besoins des forces, à anticiper la constitution de stocks de matières premières et de composants stratégiques nécessaires à la sécurisation des chaînes de production et de réparation. Enfin, il convient de mettre en place des programmes d'entretien des équipements applicables en temps de guerre, adossés à une évaluation du niveau de risque acceptable en situation opérationnelle et permettant d'augmenter conjoncturellement la disponibilité des équipements et le niveau des stocks.
Un deuxième axe « ressources humaines » consiste pour sa part à s'assurer, pour chaque flotte d'aéronefs, de l'existence d'un noyau suffisant de compétences et de savoir-faire, industriels et militaires, et des modalités adaptées d'appel à la réserve opérationnelle, de recrutement et de la fidélisation des ouvriers d'État, indispensables au MCO. Certains services visités connaissent une vacance de 25 % de leurs effectifs civils. La question de l'attractivité et du bénéfice de certaines primes se posent. Ainsi, il serait souhaitable de reconnaitre l'éligibilité à l'Indemnité de Mise en OEuvre et de Maintenance des Aéronefs -IMOMA- du personnel civil affecté aux mêmes fonctions et dans les mêmes niveaux de responsabilité que ses homologues militaires. Il faut également permettre une plus grande autonomie favorisant l'émergence de conception de solutions en format « industrie de guerre ». La nécessité d'adapter les standards à l'hypothèse de haute intensité est réelle, et c'est en amont des crises qu'il faut se donner le temps de l'envisager. La réforme de la DGA doit impérativement viser à réduire les délais d'acceptation de procédures ou de pièces de rechange dérogatoires.
S'agissant des services de soutien qui ne sont pas dédiés au MCO, il est regrettable que le projet de LPM fasse l'impasse sur leur adaptation à la haute intensité. Faudrait-il envisager la possibilité de réduire le nombre des services de soutien en temps de haute intensité en les réunissant au sein d'une structure ad hoc. Le soutien de la base de Gao pendant Barkhane a été modifié en ce sens. Cette expérience doit être étudiée, afin que ses effets positifs puissent être reproduits et que les freins et difficultés puissent être réduits.
Il nous reviendra de nous assurer que la prochaine LPM permet bien de renforcer le Service des énergies opérationnelles (SEO), le service du commissariat des armées (SCA) et le service de santé des armées (SSA). C'est une condition indispensable à l'efficacité d'armées tendant vers la haute intensité.
Pour s'adapter à la haute intensité, le SEO ne pourra plus dépendre autant des approvisionnements auprès de fournisseurs extérieurs et devra être mieux doté en vecteurs. Il lui faudra le bon nombre de camions citerne de nouvelle génération (CCNG), sans doute de l'ordre d'une grosse centaine
Le SCA pour sa part devra résorber les étalements dus à la non-budgétisation de la loi Egalim et à l'inflation. Il doit de plus faire face aux besoins d'équipements grands froids rendus nécessaires depuis le déploiement de la mission Aigle en Roumanie et aux coûts de métropolisation des équipements du SCA revenant de Barkhane. Il faudra aussi répondre aux besoins de modernisation des ELoCA et de sécurisation de leurs emprises, notamment à Roanne pour 18 millions d'euros.
Enfin, la situation du SSA appelle toute notre attention. Les chiffres permettant de calculer le déficit en médecins du service ne sont plus disponibles. Au dernier décompte en 2021, 136 médecins de premier recours manquaient ! L'amélioration tarde. L'hôpital d'instruction des armées (HIA) de Lyon est devenu une antenne hospitalière des armées (AHA). Les implantions locales du SSA décroissent et le SSA dépend désormais de son articulation avec le secteur sanitaire public pour faire face à l'hypothèse d'engagement majeur. Nous devons donc rester extrêmement attentifs aux modalités de coopération entre le SSA et le secteur civil sanitaire et déclarer un moratoire sur les transformations des établissements du SSA. Nous devons également donner au SSA les moyens de se porter à l'extrême avant en mettant les brigades du SSA sur roues pour accompagner la scorpionisation de l'armée de terre.
Ces points d'attention feront l'objet de propositions concrètes lors de la réunion de notre commission la semaine prochaine.
M. Rachid Temal. - Sur les stocks, quelle est votre position exactement ? S'agissant de l'article 24 du projet de LPM, l'État détermine sur la base d'un décret pris tous les deux ans, des niveaux de stocks nécessaires, demande aux entreprises de constituer ces stocks. Si ces stocks ne sont pas utilisés, que deviennent-ils ? Quelle est notre position sur ce dispositif ? Peut-on mesurer l'impact de ce dispositif pour les entreprises concernées ? Avez-vous pris connaissance de simulations ou obtenu des informations sur ce sujet au cours de vos travaux préparatoires ? On transfère totalement aux entreprises le risque inhérent à la constitution de stocks.
M. Pascal Allizard. - C'est une problématique qui relève de la compétence des rapporteurs du P144. Il y a une forte discussion sur ce point qui porte sur la dimension unilatérale de la décision de l'État de constituer un stock, ou faire constituer un stock, et sur la question de la rémunération d'un stock. Un stock coûte, les formules de calcul des coûts d'un stock sont parfaitement connues. Je vais donner un avis personnel, compte-tenu de la situation, que la question soit posée et fasse l'objet d'un débat avec les industriels ne me choque pas, mais cela ne peut pas être unilatéral et non rémunéré.
M. Cédric Perrin. - Dans le cadre des auditions faites dans le champ du P146, ce sujet a été abordé, même si nous sommes, avec Hélène Conway-Mouret, plus spécifiquement en charge des articles 23 et 25 du projet de LPM. Les industriels nous ont dit avoir découvert cet article 24 et les stocks dans le projet de LPM, sans avoir été associés en amont. Cela me choque un peu car les différentes réunions qui se sont tenues, sans nous, sur l'économie de guerre auraient dû être l'occasion de réfléchir à la manière de procéder sur cette question des stocks stratégiques. Ils semblent à la fois non-rémunérés et peuvent donner lieu à des sanctions s'ils ne sont pas constitués.
Mme Hélène Conway-Mouret. - Je souhaiterais des précisions sur le service de santé des armées qui est un élément essentiel en cas de haute intensité. Je me demande ce qui peut être fait dans un contexte sanitaire national sous tension, où les médecins des armées peuvent être tentés de travailler à l'extérieur. Qu'est-ce qui est fait dans ce contexte ? Y a-t-il une vraie politique RH, pour tenter de retenir et de recruter de nouveaux personnels spécialisés dans ces chirurgies assez particulières qui sont nécessaires en temps de guerre ? Il me semble qu'il faudrait se projeter : utiliser la LPM pour analyser un problème et avoir par cette programmation la possibilité d'apporter des réponses.
Mme Michelle Gréaume. - Nous savons que le SSA souffre d'un déficit de personnel et nous ne parvenons plus à le caractériser. Les informations que nous réclamons sur ce sujet nous sont régulièrement promises mais n'arrivent pas. Cela nous inquiète d'autant plus qu'il semble qu'en haute intensité, les blessés militaires seraient « démilitarisés », c'est-à-dire qu'après un certain nombre de soins et lorsqu'ils requièrent une intervention de niveau 4, ils seraient sortis du parcours SSA pour retrouver le secteur sanitaire civil. Hors le secteur public est déjà en très grande tension sur tout le territoire. Nous avons été interpellés par les personnels des implantations du SSA à Metz et à Lyon notamment, où des transformations se préparent, l'HIA devenant AHA adossé à un hôpital civil. Nous demandons un moratoire sur ces transformations car elles pourraient mettre en difficultés l'hôpital civil et fragiliser la chaîne SSA.
Il semble nécessaire de revaloriser les soldes, salaires et primes des personnels du SSA. Les mesures prévues par le Ségur de la santé suite à la pandémie de coronavirus ont mis du temps à être étendues aux établissements du SSA, avec parfois des différences de traitement incompréhensibles entre personnels, selon leur statut ou selon l'établissement du SSA dans lequel ils sont affectés. Nous avons demandé que les primes prévues par le Ségur soient étendues à tous ces services concernés.
Il va falloir également trouver le moyen de faire revenir des médecins dans l'armée et que l'on fidélise ces personnels. Il faut une politique RH beaucoup plus volontariste, les rémunérations ne peuvent pas être inférieures à celles du secteur civil.
M. Olivier Cigolotti. - Le SSA essaie aujourd'hui d'ouvrir plus largement le nombre de postes dans les écoles de formation, mais cette formation est longue et les effets des actions menées n'auront pas d'impact concret avant longtemps.
Le système prévoit aujourd'hui que le SSA s'appuie sur le secteur civil, mais celui-ci est sous tension. Comment, en haute intensité, nos militaires pourraient-ils être prioritaires dans un système déjà dans une situation extrême actuellement ?
Nous avons identifié le manque d'une centaine de médecins, aujourd'hui le SSA fonctionne grâce à la réserve, que ce soit sur le territoire national ou lors des projections au Sahel. Heureusement que des médecins acceptent de faire des périodes de réserve conséquentes, sinon le SSA serait en grande difficulté.
Les efforts de recrutement n'auront d'impact que dans 7 à 8 ans, dans l'attente, il faut couvrir une période de pénurie par la réserve et par le développement des rémunérations et de primes de fidélisation qui doivent être accordées à l'ensemble des personnels du SSA.
Mme Hélène Conway-Mouret. - Puisque l'on parle d'économie de guerre, avez-vous eu des indications d'efforts prévus dans le domaine du SSA, et ce que vous préconisez sera-t-il accepté pour rendre le métier plus attractif et pour fidéliser les personnels ?
M. Olivier Cigolotti. - Le médecin général commandant le SSA a obtenu des crédits supplémentaires dans le cadre du projet de LPM que nous allons examiner prochainement. S'agissant de l'amélioration des rémunérations, la problématique est la même que dans les hôpitaux civils, il manque des personnels dans ces secteurs, ce qui complique le recrutement. Il y a un effort financier accordé au vu de la nécessité de recruter au sein du SSA
Mme Michelle Gréaume. - Nous restons attentifs à ces problématiques. Lors de notre déplacement au centre de transfusion sanguine des armées (CTSA), nous avons demandé si la généralisation des primes prévues par le Ségur était enfin effective. C'est un dossier que nous ne lâchons pas, sur lequel nous attendons des avancées.
M. Alain Cazabonne. - Nous bénéficions d'un hôpital militaire de grande qualité, Robert Picqué, situé près d'un hôpital civil. La logique était de regrouper les deux hôpitaux sur le site militaire où se trouvaient 30 hectares disponibles, ce qui aurait coûté 50 millions d'euros à l'État. Ce dossier n'a pas abouti, malgré l'intervention des élus locaux. C'est donc l'hôpital Robert Picqué qui déménage sur le site civil de 7 hectares, cela ne permet pas de garder la piste d'hélicoptère d'urgence et quand dans une dizaine d'années il faudra agrandir les structures, il n'y aura pas de réserves foncières. C'est une mauvaise anticipation.
M. Olivier Cigolotti. - Cette tendance à la mutualisation entre une emprise militaire et un hôpital public est généralisée, on la retrouve à Bordeaux, à Lyon, à Metz. Dans bien des cas, on arrive à une saturation des équipements et des personnels, avec des effets induits de démotivation et de pertes des personnels qui démissionnent. Il y a bien là un manque d'anticipation. Lorsque l'on parle d'économie de guerre et de haute intensité, il faut se mettre en position de pouvoir traiter nos blessés et prioritairement nos blessés militaires dans des hôpitaux dignes de ce nom.
Mme Michelle Gréaume. - C'est pour cela que nous avons demandé le moratoire sur les transformations des implantations du SSA.
M. Pierre Laurent. - Pour avoir été également sollicité par plusieurs sites du SSA concernés, la grosse difficulté c'est qu'on cumule le problème de la rémunération et de l'attractivité liés au déficit de personnels hospitaliers et au déficit de recrutement avec une question structurelle propre à l'organisation du SSA et son lien avec les hôpitaux civils. Ces dernières années, il y a eu partout sur les sites concernés des procédures de regroupement et de mutualisation dans lesquelles les collectivités locales ont été incitées à investir dans le cadre de leurs discussions avec les autorités régionales de santé (ARS). Aujourd'hui, il semble qu'on ne sache plus trop dans quel sens aller. Il faudrait prendre le temps de la réflexion. Il y a un vrai désarroi sur les sites concernés faute de visibilité sur l'avenir structurel du SSA et son articulation avec les structures civiles. Vu les difficultés du SSA, on envisage de concentrer ses effectifs sur ses missions, mais ce faisant, ne risque-t-on pas d'aggraver les problèmes la situation du secteur sanitaire civil, d'accroître les problèmes de recrutement et de fidélisation. Ces difficultés n'ont pas été suffisamment anticipées, on en paie le prix et il est nécessaire de prendre le temps de l'analyse avant d'avancer dans un sens ou dans l'autre.
Dans le cadre de la LPM, on devrait avoir cette visibilité, malheureusement, il me semble qu'on ne l'a pas.
M. Olivier Cigolotti. - Nous ne pouvons que confirmer cet état de fait. Nous n'avons aucune visibilité. Nous sommes particulièrement attentifs à l'ensemble des services de soutien, que ce soient le commissariat des armées ou les services en charge du maintien en condition opérationnelle, mais nous avons avec le SSA une véritable pépite. Un seul exemple me semble parlant : le SSA est le seul service au monde à maîtriser un processus de lyophilisation du plasma et des composés sanguins, ce qui permet d'en envoyer sur l'ensemble des théâtres d'opération, y compris au profit de nations étrangères, car même les États-Unis ne maîtrisent plus au sein de leur service de santé militaire ce procédé. Nous devons donner au SSA les moyens de conserver ces technologies et capacités d'intervention sur tous les théâtres d'opération. Nous sommes donc particulièrement attentifs et nous multiplions les visites au sein de ces services pour nous assurer que nous sommes en mesure de conserver les savoir-faire du SSA et surtout les ressources humaines indispensables.
M. Cédric Perrin. - Avez-vous étudié la possibilité de donner aux infirmiers militaires plus de capacités d'action qu'ils n'en ont aujourd'hui ? C'est une problématique très présente dans les armées aujourd'hui. Il s'agirait de permettre aux infirmiers militaires de réaliser des actes qui compensent un peu le manque de médecins.
Mme Michelle Gréaume. - On s'appuie également sur ce qui a été fait dans le secteur civil. Je précise simplement qu'il ne manque pas que des médecins, les déficits du SSA concernent de très nombreuses spécialités.
M. Olivier Cigolotti. - Le modèle d'infirmier en service avancé qui se pratique sur le territoire a été dupliqué après les attentats de 2015. Cela fonctionne et permet de pallier, au moins pour partie au manque de médecins, mais cela ne résout pas totalement le problème.
Mme Gisèle Jourda. - Il est très difficile de faire ses études de médecine dans le cadre des armées. Je viens d'un département qui compte beaucoup de garnisons avec beaucoup de jeunes qui s'engageaient dans la voix de médecins militaires. Cela fait quasiment trois ans qu'aucun examen de recrutement n'a été organisé, ce qui est regrettable.
M. Olivier Cigolotti. - Le directeur central du SSA nous confirmait que l'augmentation des recrutements d'étudiants de médecine n'aurait pas les effets espérés car un certain nombre de jeunes ne finissent pas le cursus. Peut-être est-ce lié à la difficulté de la spécialisation militaire. L'élargissement du numerus clausus ne résout pas toutes les difficultés.
Mme Michelle Gréaume. - Ces difficultés ne touchent pas que le SSA. Les ouvriers d'État qui ont des compétences très recherchées dans le monde industriel reçoivent des offres alléchantes pour quitter l'armée. Leurs recrutements et gestions de carrière doivent faire également l'objet d'une grande attention.
Les recommandations sont adoptées.
La commission adopte le rapport d'information et en autorise la publication.