EXAMEN EN COMMISSION
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Réunie le mercredi 31 mai 2023, sous la présidence de Mme Catherine Deroche, présidente, la commission examine le rapport d'information de Mme Jocelyne Guidez, M. Laurent Burgoa, et Mme Corinne Féret, rapporteurs, sur les troubles du neuro-développement.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Nous allons à présent entendre la communication de Jocelyne Guidez, Laurent Burgoa et Corinne Féret sur les troubles du neuro-développement (TND).
Mme Jocelyne Guidez. - Les TND sont un ensemble d'affections débutant dès l'enfance. Ils se caractérisent par des déficits du développement entraînant une altération du fonctionnement personnel, social, scolaire, professionnel. Ils regroupent des affections qui se cumulent fréquemment et engendrent des symptômes très variés : trouble du spectre de l'autisme (TSA), trouble de l'attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), troubles du développement intellectuel et troubles spécifiques du langage et des apprentissages (TSLA) tels que la dyslexie, la dysorthographie, la dyscalculie, la dyspraxie. Ces maladies du neuro-développement ont pour point commun d'affecter les synapses et les systèmes d'échanges d'informations cérébraux.
Depuis près de vingt ans, l'action publique concentre ses efforts sur les troubles du TSA, qui ont quitté le champ de la santé mentale pour être reconnus comme un handicap.
Depuis 2017, avec la stratégie nationale pour l'autisme au sein des TND, l'objectif poursuivi par le Gouvernement est d'étendre les dispositifs de prise en charge de l'autisme à l'ensemble des troubles du neuro-développement. Ce passage à une stratégie étendue était indispensable, car les personnes atteintes de TSA souffrent souvent de troubles associés. En outre, la stratégie Autisme omettait les personnes souffrant de troubles du déficit de l'attention ou de dys.
À l'issue du comité interministériel du handicap du 6 octobre 2022, le Gouvernement a annoncé son intention de poursuivre et d'intensifier la politique menée depuis 2018 en faveur des personnes présentant un TSA ou un autre TND. Notre travail a été de procéder à un état des besoins.
L'action publique doit passer d'une politique fondée sur l'usage d'instruments communs à des prises en charge plus spécifiques. Elle doit aussi accorder une priorité renouvelée à la prise en charge des adultes. Nous sommes convaincus que cette évolution est indispensable au regard de la situation des familles, des enfants et des adultes concernés.
Pour mener à bien cette mission, nous avons auditionné de nombreux acteurs : associations représentant les familles, adultes et enfants concernés, déléguée interministérielle Autisme et TND, ARS, maisons départementales du handicap (MDPH), représentants du ministère de l'Éducation nationale, professionnels de santé et représentants du secteur social et médico-social. Il en ressort le témoignage de familles en grande difficulté pour faire prendre en charge leurs enfants. Ce constat, connu des autorités publiques, appelle une réponse.
Les rares données épidémiologiques et de prévalence font apparaître un « continent oublié ». Les données disponibles sur le site handicap.gouv.fr révèlent les éléments suivants :
- les TSA touchent 1 % en population générale,
- les TDAH concernent 5 % des enfants et adolescents et 2,5 % des adultes ;
- la dyslexie de 5 à 17 % des enfants en âge d'être scolarisés ;
- le trouble développemental de la coordination (anciennement appelé dyspraxie) : jusqu'à 6 % en population générale et la déficience intellectuelle environ 1 % en population générale.
Ces chiffres semblent en augmentation. Les données récentes laissent penser que les troubles du spectre autistique concernent 2 % des naissances, soit un doublement du nombre de cas à prendre en charge. Selon les dernières études internationales, un enfant sur six présente des TND, soit 18 % des naissances annuelles (environ 130 000 bébés).
L'autisme et les TDAH sont les troubles augmentant le plus, sans doute en lien avec l'amélioration du repérage. Les scientifiques avancent également des facteurs liés aux modes et aux choix de vie ou à l'alimentation.
Cette prévalence impose le renforcement de l'action publique pour construire une prise en charge globale, correctement dimensionnée, répondant aux besoins des enfants, des adultes et de leurs familles. Il convient de consolider les données disponibles pour mieux dimensionner les moyens. Les données relatives à la prise en charge pourraient également faire l'objet d'une exploitation notamment les données des MDPH, ou de celles relatives à l'activité des nouvelles plateformes de coordination et d'orientation (PCO).
M. Laurent Burgoa. - En 20 ans, les plans Autisme et la stratégie nationale pour l'autisme au sein des TND ont permis de faire émerger un modèle de prise en charge constituant le socle de la politique menée en direction des enfants. Ce modèle repose sur un triptyque précoce (repérage, diagnostic, intervention) qui fait aujourd'hui consensus.
Sa mise en oeuvre a souffert de carences persistantes jusqu'en 2017 avant de trouver une réponse organisationnelle avec la création des plateformes de coordination et d'orientation (PCO) et du forfait d'intervention précoce.
Les PCO sont des entités départementales destinées à pallier les difficultés de prise en charge grâce à la mise en réseau des professionnels, libéraux et institutionnels. Elles articulent, à l'échelle d'un département, les professionnels de la première et de la deuxième ligne et les différentes structures de la deuxième ligne. Les PCO doivent permettre une intervention pluridisciplinaire coordonnée immédiate dès le repérage des premières difficultés chez le jeune enfant, sans attendre un diagnostic stabilisé. Depuis 2023, la couverture départementale des PCO 0-6 ans est assurée à 100 % : chaque département dispose de sa plateforme.
Ce déploiement se heurte à la question des moyens budgétaires et humains. Nos auditions ont confirmé ces difficultés. Les PCO butent sur le manque de professionnels disponibles pour réaliser les bilans et prendre les enfants en charge. Les PCO ne parviennent plus à coordonner tous les dossiers. Le secteur libéral n'arrive pas à répondre aux demandes. Les PCO ne peuvent pas se décharger sur les structures d'aval qui, en nombre insuffisant, affichent des listes d'attente qui se comptent en mois voire en années - les délais d'attente pour obtenir une place en IME sont de deux à sept ans.
Cette difficulté pourrait rapidement s'aggraver sous l'effet d'une augmentation des enfants repérés tôt. De nouvelles plateformes sont nécessaires pour les enfants de 7 à 12 ans. Des professionnels de santé supplémentaires doivent être identifiés pour prendre en charge ces enfants.
Temporairement, et si les difficultés de l'enfant nécessitent de solliciter des ergothérapeutes, psychologues et psychomotriciens, la plateforme peut déclencher le forfait d'intervention précoce. Versé pendant un an (renouvelable si nécessaire), il est financé par l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) pour initier le plus tôt possible une intervention adaptée à même de favoriser le développement des 0 à 6 ans et limiter les sur-handicaps. Ce forfait constitue une novation importante, les actes des professionnels libéraux nécessaires pour les bilans et interventions précoces étant désormais pris en charge la première année, avant toute démarche auprès d'une MDPH et sans attendre qu'une place se libère dans une structure médico-sociale.
Depuis sa création, 27 000 forfaits d'intervention précoce ont été versés aux professionnels libéraux non conventionnés par l'Assurance maladie (ergothérapeutes, psychomotriciens, psychologues) pour 23 000 enfants. La durée d'attribution du forfait a été étendue à 18 mois, puis à 24 mois en 2021. Le montant du forfait est de 1 500 euros pour un bilan et 35 heures d'interventions des ergothérapeutes et des psychomotriciens.
La contractualisation avec les professionnels libéraux constitue une difficulté majeure, le forfait étant jugé peu attractif et excluant tout dépassement d'honoraires. Les PCO ont dû redoubler d'ingéniosité pour inciter les libéraux à s'engager en proposant des prêts de locaux, de matériel de test ou une participation gracieuse aux formations.
Ces difficultés de traitement sont aggravées par la question de la formation des professionnels susceptibles de prendre en charge une personne atteinte d'un TND. Cela concerne donc aussi bien les professionnels de santé que ceux du secteur médico-social, de la petite enfance ou de l'Éducation nationale - nous y reviendrons.
Les médecins spécialistes de ces troubles sont peu nombreux et mal répartis sur le territoire. Les délais d'attente peuvent atteindre 18 mois pour un premier rendez-vous et deux ans pour un diagnostic. Les numerus clausus créent des goulots d'étranglement. Cette question n'est pas propre à la prise en charge des TND, mais impacte plus fortement ce secteur globalement moins attractif pour les professionnels.
Le contenu de la formation initiale ou continue pose également une difficulté. Les promoteurs de la stratégie autisme et TND constatent ne pas avoir obtenu la refonte des formations des professionnels nécessaires à la prise en charge des personnes atteintes d'autisme.
Les plateformes et le forfait d'intervention illustrent la priorité accordée à la situation des enfants en vue de réduire l'intensité de leur handicap. Ces réponses constituent un point nodal dans la stratégie en direction des TND. Cette attention ne doit pas conduire à considérer comme secondaires d'autres thématiques incontournables pour assurer une prise en charge globale. Un travail structurel doit être mené.
Une des priorités est de simplifier les relations avec les MDPH. L'accès aux droits est central et l'effectivité de la mise en oeuvre d'un droit compensatoire est vitale. Dans le cas des enfants atteints de TND, la reconnaissance du handicap constitue un élément incontournable de la prise en charge.
Il ressort des auditions que le dossier d'instruction à remettre à la MDPH concentre les critiques des familles. Une consultation organisée par la délégation interministérielle à l'autisme le confirme. Les participants soulignent la complexité administrative de la démarche et le découragement qu'elle entraîne. In fine, plus de la moitié des personnes n'a pas accès aux droits, par renoncement à la démarche ou incapacité à compléter le dossier. Les critiques portent sur la complexité du dossier et l'existence de pratiques consistant à demander des pièces supplémentaires.
Précisons qu'une large majorité des dossiers est évaluée au vu des documents transmis par les usagers ou leurs familles. Pour certaines situations seulement, une expertise médicale, un entretien avec l'usager ou des partenaires seront menés pour compléter le dossier.
L'enjeu est de trouver un équilibre entre complétude du dossier pour permettre une évaluation de qualité et simplicité de remplissage.
Mais les familles se trouvent donc confrontées à des situations où leur demande est considérée comme incomplète alors qu'elle respecte les textes. Dans le cas le plus fréquent, pour ce qui concerne les enfants atteints de troubles du neuro-développement, les MDPH demandent des bilans faits par d'autres professionnels que le médecin (ergothérapeute, psychomotricien par exemple). Concrètement, ce comportement serait motivé par le manque de précision des certificats médicaux. Ces derniers seraient rédigés de façon lacunaires portant la mention troubles du neuro-développement sans autre information, ce qui ne permet pas une évaluation précise de la situation, le diagnostic de TND regroupant des situations très diverses (trouble autistique, déficience intellectuelle, trouble des apprentissages...) dont la gravité est très différente d'une situation à l'autre. L'équipe d'évaluation a besoin d'éléments complémentaires (compte rendu de spécialistes, bilans paramédicaux..) en sus des éléments de recevabilité. Une première démarche de simplification a été lancée. Elle a abouti à faire passer le dossier de 20 à 30 pages.
Une annonce faite lors de la Conférence nationale du handicap le 26 avril 2022 pourrait lever les difficultés des familles : à compter de 2024, les personnes s'adressant à la MDPH pour la première fois seront assurées d'obtenir un rendez-vous avec un interlocuteur dédié et formé, capable de les renseigner sur leurs droits et de les orienter vers les bons services.
Des critiques se font également entendre sur l'homogénéisation des prises en charge. Ce sujet dépasse les MDPH, qui accordent des droits compensatoires dont la mise en oeuvre peut relever de la compétence d'autres acteurs. C'est le cas par exemple des accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH) qui dépendent du ministère de l'Éducation nationale ou des places en établissements social ou médico-social dont la disponibilité peut varier en fonction de l'offre disponible sur chaque territoire.
Sur l'ouverture des droits, les équipes pluridisciplinaires de la MDPH disposent de référentiels et de guides d'appui aux pratiques constituant le socle minimum garanti. La première démarche d'harmonisation de l'évaluation des dossiers a été complétée par une sensibilisation à la situation particulière des TND. Pourtant, de nombreux témoignages indiquent que les droits ouverts varient au-delà de ce qui pourrait être justifié par des différences d'intensité du trouble. Cette situation a pu conduire des familles à changer de département. Il apparaît nécessaire de constituer un bloc de droits homogènes sur tout le territoire.
Mme Corinne Féret. - La deuxième difficulté pointée par les acteurs est celle de la scolarisation des enfants. Le décalage entre objectifs et réalité a régulièrement été évoqué durant les auditions. L'enjeu est central dans la prise en charge des enfants atteints d'un TND. La stratégie Autisme avait pris des engagements forts en la matière ; je pense à l'engagement n° 3 : « rattraper notre retard scolaire ».
Cette démarche volontariste de scolarisation des élèves souffrant de TSA ou de TND s'inscrit dans une démarche plus large de scolarisation en milieu ordinaire d'élèves en situation de handicap (ESH) dont le nombre augmente constamment (de 134 000 en 2004 et à 430 000 en 2022, soit + 220 %). Des mesures de compensation ont été déployées, au premier rang desquelles la notification d'une aide humaine, sous la forme de l'intervention d'AESH.
Cette évolution ne doit pas masquer l'hétérogénéité des situations, le manque de fluidité des parcours entre maternelle et élémentaire, puis entre élémentaire et secondaire, ni le nombre considérable d'enfants dont la scolarisation est loin être effective - leur accès à « l'école » se limitant à quelques heures de cours par semaine.
L'une des priorités de la stratégie était « d'amplifier l'accès des enfants autistes à l'école par la création de dispositifs variés de scolarisation ». Cinq solutions de scolarisation étaient identifiées :
- la scolarisation en milieu ordinaire (avec possibilité d'un accompagnement humain) ;
- la scolarisation dans une classe de référence avec l'appui d'une unité localisée pour l'inclusion scolaire (Ulis) ;
- l'accueil en unité maternelle autisme (UEMA) ou en unité d'enseignement élémentaire autisme (UEEA) ;
- le déploiement de dispositifs d'autorégulation (DAR) ;
- l'entrée dans un institut médico-éducatif (IME) pour les enfants qui ne peuvent pas s'inscrire dans le rythme d'une journée de classe en milieu ordinaire.
La stratégie poursuivait deux objectifs plus spécifiques en maternelle :
- d'une part faciliter la scolarisation à l'école maternelle ordinaire, en faisant intervenir en classe des équipes médico-sociales ou libérales, en soutien aux équipes pédagogiques ;
- d'autre part, tripler le nombre d'UEMA pour scolariser tous les enfants à trois ans, y compris ceux présentant des troubles plus sévères.
A contrario, la stratégie présentée il y a cinq ans demeurait muette sur des projets moins structurants qui auraient bénéficié à des enfants atteints de TDAH ou de troubles dys et sur les questions d'accessibilité pédagogique.
La stratégie Autisme comportait également un volet « Former et accompagner dans leur classe les enseignants accueillant des élèves autistes ».
Notre collègue Cédric Vial, dans son rapport sur les AESH, observe au sein de l'Éducation nationale un « déficit de culture pédagogique sur l'inclusion scolaire, le degré d'acculturation au handicap étant très variable d'un établissement scolaire à l'autre, d'un enseignant à l'autre ». Notre collègue précise que selon des études, les enseignants de moins de 35 ans sont plus sensibilisés à la prise en charge du handicap que leurs aînés. Ce constat pose la question centrale de la formation des personnels de l'Éducation nationale à cette problématique, que Cédric Vial, dont je cite le rapport, juge « clairement insuffisante tant en amont de la prise de poste qu'au cours de la carrière, ainsi que celle de leur accompagnement au moment où des situations de prise en charge se présentent ».
La question de la formation traverse tous les aspects de la prise en charge des enfants souffrant de TND. Elle est identifiée dans les différents plans et stratégies et repose sur une sensibilisation à ces troubles, à leur prévalence, éventuellement à leur repérage, notamment pour les personnels intervenant en maternelle ou dans les premières classes du cycle élémentaire. Si des efforts sont faits en formation initiale, les choses restent complexes en formation continue.
Malgré un objectif clair, les résultats ne sont pas au rendez-vous. La règlementation introduit un module « École inclusive » de 25 heures dans la formation initiale des enseignants. Pourtant, il semble que certaines structures de formation ne soient pas en mesure de proposer l'intégralité du module, par manque de formateurs. Par ailleurs, ces contenus reposeraient sur la transmission de notions souvent incomplètes, parfois datées, et sur la sollicitation de ressources internes qu'il conviendrait de mieux coordonner. À titre d'exemple, les outils institutionnels tels que la plateforme « Cap École inclusive » utilisée pour former les enseignants au quotidien, ne sont pas systématiquement présentés aux enseignants stagiaires.
La plupart des académies tendent à reconsidérer les approches reposant sur la simple caractérisation de troubles (dys, troubles du comportement, etc.) et à renouveler fondamentalement les approches et priorités. Les besoins pédagogiques d'élèves en situation de grande difficulté scolaire ou de handicap sont alors considérés comme essentiels dans la définition des intitulés des modules de formation.
En plus du travail éducatif et pédagogique, l'école inclusive doit permettre aux enfants scolarisés de recevoir des soins. Lors de la conférence nationale du handicap, le Président de la République a exprimé sa volonté d'ouvrir plus largement l'école à l'intervention de professionnels de santé, psychomotriciens, orthophonistes, professionnels du médico-social. C'est un défi colossal à relever pour les acteurs locaux.
Enfin, nous souhaitons attirer votre attention sur la situation des adultes et des familles.
Les auditions et les documents institutionnels disponibles témoignent de la priorité accordée aux enfants. Pourtant, le repérage des adultes - notamment autistes - figurait dans les plans Autisme précédents. Force est de constater que cette question avance très lentement.
L'insuffisance des moyens mis en oeuvre pour prendre en charge les adultes est clairement identifiée dans l'évaluation du troisième plan Autisme. La montée en charge des politiques publiques sur ce point était un objectif de la stratégie nationale pour l'autisme dans les TND (2018-2022).
Cette insuffisance de moyens est d'autant plus préoccupante que le nombre de personnes à prendre en charge reste inconnu du fait de l'absence d'évaluation de la situation.
Devant l'Assemblée nationale, les associations ont souligné que les adultes, sont le coeur de leurs inquiétudes, car le système est saturé. Comme elles le disent, beaucoup de personnes ont été exilées en Belgique faute de places en France. Environ 8 000 adultes y sont accueillis, tous handicaps confondus ; beaucoup sont atteints de TND ou de TSA. Certains souhaiteraient revenir et ne le peuvent pas.
L'association Autisme France résume ainsi la situation : « Le financement global de la stratégie est dérisoire : pas un centime pour les adultes les plus vulnérables alors que les listes d'attente en foyer d'accueil médicalisé et maison d'accueil spécialisée sont au moins de dix ans. Le pari sur les très jeunes enfants est légitime, mais on doit réparation à tous ceux qu'on a démolis par incompétence ou par négligence depuis des décennies. »
Claire Compagnon a complété ces propos en soulignant qu'il ne fallait pas oublier les adultes TDAH, car les professionnels notent, dans les centres d'addictologie dédiés à l'alcool et à la drogue, que 20 % des patients souffrent de TDAH, plus ou moins diagnostiqués et qui ne reçoivent pas les traitements dont ils pourraient bénéficier. Or, toujours selon Mme Compagnon, pour le TDAH, nous disposons de traitements avec peu d'effets secondaires qui donnent des résultats formidables. Ils rencontrent pourtant des difficultés à être prescrits. Certaines représentations sociales sont préjudiciables à la vie des personnes. L'expertise internationale récemment collectée sur le TDAH montre qu'un peu moins de 20 % des détenus en souffrent. Dans les données américaines, 45 % des détenus seraient concernés.
Des mesures en ce sens ont été annoncées lors de la Conférence nationale du handicap. Le sujet n'est donc pas celui de la prise de conscience des autorités, mais de la mise en oeuvre, qui se heurte à l'enjeu de recrutements de personnels compétents et aux conséquences de l'épidémie de covid-19.
Le soutien aux familles est un autre sujet sur lequel les autorités publiques doivent accentuer leurs efforts. Depuis plusieurs années, le répit devient un enjeu important des politiques d'autonomie. La figure de l'aidant s'est imposée, son rôle a été reconnu. L'action des proches aidants, souvent considérée par le passé comme relevant du cadre de la solidarité familiale, a attiré l'attention du législateur. L'usure prématurée, l'interruption des activités professionnelles, la fragilité de l'équilibre personnel des aidants impliquent que les pouvoirs publics se penchent sur leur situation et prévoient des dispositifs aménagés.
Une enquête Ipsos pour le compte de la délégation interministérielle à la stratégie nationale pour l'autisme au sein des TND révèle le besoin d'un répit ponctuel. Il s'agit de la demande la plus importante dans l'expression des parents (besoin « fréquent » à 20 % et « ponctuel » à 56 %), pour souffler quelques heures avec un accompagnement à l'extérieur de la maison (63 %) ou au domicile avec un professionnel formé (58 %) ou pour accueillir temporairement l'enfant sur une période plus longue (48 %). Or, 91 % des parents répondants n'y ont jamais eu recours, ne sachant pas de quoi il s'agit (41 %) ou à qui s'adresser (32 %).
Ces résultats mettent en exergue le besoin majeur d'accélération du déploiement des plateformes de répit et des solutions de relayage - la Stratégie Autisme prévoyait une plateforme de répit par département. Il convient aussi de prendre en compte une demande des associations qui réfutent le terme de répit - impliquant « une pause entre deux épisodes pénibles » -, mais veulent que les familles soient relayées. Le déploiement de solutions de relais sur le modèle du baluchonnage fait l'objet d'une demande assez forte que les autorités publiques peinent à déployer malgré des initiatives locales prometteuses.
Mme Jocelyne Guidez. - Trois plans et une stratégie Autisme au sein des TND ont permis de définir un cadre d'action et d'identifier des goulots d'étranglement, dont le nombre de personnels nécessaires ou la solvabilisation de la dépense. Des points de blocage autour de la formation des professionnels sont apparus.
Ainsi, vingt ans d'action publique constante et d'efforts indéniables des acteurs, une gouvernance rénovée et une volonté politique réaffirmée n'ont pas encore permis de rattraper une situation auparavant insuffisamment prise en compte. Les efforts doivent s'accentuer.
La stratégie doit tout d'abord proposer une enveloppe budgétaire à la hauteur des enjeux. La stratégie Autisme au sein des TND a bénéficié d'une enveloppe de 490 millions d'euros, comprenant environ 97 millions d'euros sur le budget de l'État et 393 millions d'euros de l'Ondam. Cet effort budgétaire doit être accru pour poursuivre la structuration d'une offre d'accueil, la mise en oeuvre du triptyque précoce et la scolarisation. Des moyens supplémentaires sont également nécessaires pour renforcer la politique en faveur de la prise en charge des TSA et permettre la construction de parcours spécifiques pour d'autres TND (TDAH, dys, etc.).
Des priorités nouvelles doivent être annoncées. La prise en charge des adultes devra être renforcée. À travers cette question se posera celle du renforcement des articulations entre la stratégie Autisme au sein des TND et la politique du handicap, qui partagent des problématiques communes : offre d'accueil, amélioration de la connaissance des besoins, logement, emploi.
L'objectif d'un parcours fluide de l'enfance à l'âge adulte doit par ailleurs intégrer une situation nouvelle : le vieillissement de la population et donc, l'évolution de ses besoins.
M. Philippe Mouiller. - Je remercie nos trois rapporteurs pour ce travail. Vous avez parfaitement appréhendé ce sujet épineux.
Le handicap est insuffisamment pris en charge en France. La problématique est exponentielle lorsqu'il est question d'autisme et des différents troubles existants. Pendant longtemps, les pouvoirs publics ont mélangé autisme, TDAH, dys, TND, alors que la nature de la prise en charge diffère. Chaque politique est une boîte : si vous n'entrez pas dans une boîte, la complexité est extrême. Ce ne sont plus les politiques publiques qui sont adaptées aux besoins, mais les personnes en situation de handicap qui doivent s'adapter aux politiques publiques.
Les diagnostics progressent. Plus ces derniers sont posés tôt, plus la prise en charge est engagée tôt et meilleures sont les évolutions possibles pour les jeunes concernés.
La stratégie nationale de l'autisme au sein des TND définit des moyens supplémentaires pour accroître le nombre de places dans les établissements. En parallèle, le gouvernement tend à les réduire, notamment dans les instituts médico-éducatifs. Dans la plupart des programmes d'investissement de la stratégie autisme au sein des TND, les fonds prévus ne peuvent pas être utilisés dans les délais.
Dans le milieu scolaire, les enseignants et les accompagnants ne sont pas formés. Environ 135 000 personnes accompagnent les élèves en situation de handicap, sans que cette hausse des effectifs résolve les difficultés. Nous gérons le quantitatif plutôt que le qualitatif. Le dispositif coûte près de quatre milliards d'euros, pour une prise en charge insuffisante et inadaptée.
Une nouvelle stratégie est annoncée : à quelle échéance verra-t-elle le jour ? Comment faire en sorte de traiter directement les TND avec leurs spécificités, et non pas au travers une politique globale ?
Mme Florence Lassarade. - Je vous remercie pour l'approfondissement de ce sujet. Je salue votre travail.
La France passe du 2ème au 25ème rang en matière de mortalité infantile : voyez-vous un lien entre ce déclassement et la hausse du nombre de cas de dys et d'autisme, notamment ? Les dys sont souvent liés à une prématurité ou une naissance difficile.
Depuis des années, l'association française de pédiatrie ambulatoire sensibilise les pédiatres aux TND, à l'autisme et aux dys. Si le pédiatre pose le bon diagnostic, il n'est pas nécessaire de consulter une multitude de spécialistes de l'enfant. Pensez-vous que le nombre de pédiatres en activité suffira ?
La dyslexie concerne 17 % de la population. Connaissons-nous la part d'enfants utilisant la méthode nonsyllabique, facteur majeur des troubles de l'apprentissage de la lecture ?
Les structures d'accueil des jeunes enfants manquent. Très souvent, des petites écoles accueillent un enfant autiste, sans que les enseignants sachent comment s'occuper de cet élève sans délaisser les autres.
Mme Michelle Meunier. - Je vous remercie pour ce travail considérable.
Comment ne pas désespérer face à ce constat qui perdure depuis des années ? J'ai récemment rencontré le collectif « Handicap 44 en danger », essentiellement composé de mères élevant seules leurs enfants. Ces femmes soulignent que les plateformes ne les aideront pas au quotidien dans l'éducation de leur enfant et la recherche de solutions.
Je lance un cri de colère et relaie l'appel sans concession de l'union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis (Unapei) après les annonces du Président de la République lors du Conseil national du Handicap. La ministre chargée des personnes handicapées, Geneviève Darrieussecq, a rapidement précisé que les 50 000 solutions annoncées ne correspondaient pas à la création de 50 000 places, mais à 10 000 places en cinq ans. Cette seule ambition coûterait cinq milliards d'euros, dont je suis curieuse de connaître les modalités de financement.
À force de ne pas répondre aux demandes des familles, ou seulement partiellement, nous générons de la désillusion, du désintérêt, de la colère.
Ne désespérons pas et envoyons un message aux parents et aux aidants qui ne perçoivent pas le début d'une proposition.
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Je remercie nos collègues pour le travail réalisé.
Je rejoins Michelle Meunier. Les enfants en situation de handicap ne devraient pas être une variable d'ajustement. Ils méritent tous une solution. Des associations se créent pour compenser le manque cruel de l'État dans le domaine du handicap. Combien de parents rencontrons-nous qui attendent une place dans un établissement depuis trois ou cinq ans ? Des familles du Pas-de-Calais trouvent des places en Belgique. Il est incroyable qu'un petit pays comme la Belgique parvienne à accueillir ses enfants et les nôtres. La situation est identique pour les adultes en situation de handicap ou de vieillissement.
Le collectif Handicaps n'a pas participé à la Conférence nationale du handicap, dénonçant le manque d'ambition et de concertation. La situation dure depuis des années et perdurera si les moyens financiers ne sont pas à la hauteur pour créer des places dans les établissements et revaloriser les métiers du handicap.
L'inclusion dans les établissements scolaires « ordinaires » est très positive pour certains enfants. Malheureusement, certains vont dans une école classique par manque de place dans les établissements spécialisés. Les AESH n'ont pas de statut et sont insuffisamment formés. Ils accompagnent parfois plusieurs enfants présentant des pathologies différentes. Je rappelle que ces personnes gagnent le SMIC.
Sans une réflexion globale, nous n'avancerons pas.
Mme Jocelyne Guidez. - Le dossier d'un enfant déménageant de l'Essonne en Gironde a été perdu par la MDPH. Sans ce dossier, il ne peut pas recevoir le clavier dont il a besoin.
Le nombre de dossiers dans les MDPH augmente, car les enfants sont mieux repérés, notamment entre zéro et six ans.
Le plan Autisme n'est pas encore paru. Environ 101 propositions devraient être émises. Je trouve cela ridicule, quand nous ne sommes pas en mesure d'en déployer deux ou trois de manière efficiente.
Le TDAH n'est pas un handicap : il est handicapant. Il est très différent de souffrir d'un TDAH et du syndrome de Rett. Les professeurs des écoles n'ont pas de connaissances sur les handicaps lourds. Il est légitime que les parents souhaitent que leur enfant suive une scolarité normale, mais cela est parfois impossible. Je regrette que nous ayons « vendu du rêve » aux parents. Pour autant, nous devons accueillir des enfants avec un handicap lourd dans des structures adaptées. Nous ne pouvons pas nous satisfaire des mouroirs actuels dans lesquels tout le monde est mélangé, empêchant chacun d'évoluer.
Je souhaite que, lorsqu'une école est construite, une classe soit réservée aux enfants handicapés afin de permettre à tous les enfants de se côtoyer et de changer le regard sur le handicap. Une telle mesure n'est pas si compliquée à mettre en oeuvre.
Des familles - le plus souvent des femmes - s'arrêtent de travailler pour prendre en charge leur enfant.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Je vous remercie pour ce travail. Je soumets au vote les préconisations des rapporteurs et leur publication.
La commission unanime approuve les préconisations et autorise la publication du rapport.