C. DES MESURES ONT ÉTÉ PRISES QUI DOIVENT DÉSORMAIS ÊTRE ÉVALUÉES ET ÉTENDUES

Depuis le rapport de 2020 de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat sur ce sujet26(*), d'autres travaux ont été menés par l'Assemblée nationale27(*) ou encore le Conseil général de l'économie et le Conseil général de l'armement.

Au cours des auditions, vos rapporteurs ont pu constater que, depuis 2020, une prise de conscience sur l'importance de cette problématique s'est opérée, tant au sein des groupes bancaires que de l'administration.

1. Par les pouvoirs publics, en particulier la DGA

Plusieurs travaux ont été entrepris au niveau interministériel au sein d'un groupe de travail présidé par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN). L'objectif poursuivi est double : renforcer les positions françaises lors des négociations européennes qui pourraient avoir des conséquences sur la BITD et lancer des initiatives et outils facilitant l'accès des entreprises de la BITD à des financements. Il s'agit en particulier de :

- l'organisation d'un dialogue spécifique et régulier entre les parties, avec ou sans l'intermédiation des acteurs publics ;

- l'identification et la mise en oeuvre d'un dispositif d'accompagnement des entreprises à la prise en compte des exigences de la conformité ;

- l'organisation de visites des acteurs du secteur financier sur des salons d'armement ;

- la création en cours d'un canal de communication privilégié avec le ministère des Affaires étrangères et la direction générale du Trésor afin d'identifier les difficultés soulevées par certains textes et proposer des solutions ;

- sous l'impulsion de la France, la création au sein de l'Agence européenne de défense (AED), d'un groupe d'expert ESG afin de sensibiliser et mobiliser les autres ministères de la défense européens sur ces sujets ;

- toujours sous l'impulsion de la France, le groupe de travail « Industrie de défense » créé en 2022 au sein du Conseil de l'Union européenne pourrait, à terme, en lien étroit avec la direction générale de l'industrie de la défense et de l'espace de la Commission européenne (DG DEFIS), proposer des initiatives européennes incitatives d'accès aux financements privés pour les industriels de la BITDE ;

- la mise en place d'une « médiatrice des banques » assurant le lien entre les entreprises qui se sont vu opposer un refus de financement et les établissements bancaires.

Dans le prolongement des recommandations formulées dans le cadre de leur rapport pour avis sur le projet de loi de finances pour 2021, vos rapporteurs appellent à quantifier la réalité de la difficulté et à identifier i) les décisions qui sont prises pour des raisons économiques (parce que le projet apparaît économiquement trop risqué à la banque), ii) celles prises pour des raisons de conformité aux règles prudentielles (parce que la banque analyse, peut-être aussi parfois à raison, que certains projets peuvent porter un risque de sanction internationale, voire un risque pénal) et iii) celles prises dans une forme de sur-conformité, à rebours de la solidité économique du projet et de sa conformité au droit national et international.

Recommandation : afin de parvenir à un diagnostic partagé et objectif, prévoir un bilan à un an de l'activité de la médiatrice et des référents défense.

Par ailleurs, vos rapporteurs estiment que la création d'un label intégrant des critères ESG adaptés au secteur de la défense et pouvant bénéficier à l'ensemble des industriels de la défense devrait être envisagée. Attribué par un organisme indépendant, ce label devrait constituer une garantie vis-à-vis des banques qui devraient s'engager à ne pas refuser les dossiers de financement présentés par les entreprises labellisées pour des motifs liés à l'application de critères ESG.

Recommandation : travailler à la création d'un label à destination des entreprises de défense, en partenariat avec les principaux groupes bancaires et/ou la Fédération bancaire française.

Enfin, plusieurs mesures concernant Bpifrance pourraient être envisagées.

Ainsi, la mise en place de référents défense au sein de chaque direction régionale de la banque publique destinés à faire le lien entre les entreprises de défense locales et les dispositifs adaptés à leur caractère stratégique, et à éclairer les collaborateurs Bpifrance lors de l'instruction de certains dossiers touchant à une entreprise de la BITD, pourrait s'avérer opportune. Ces référents défense pourraient être également en lien direct avec l'échelon régional de la nouvelle direction de l'industrie de défense de la DGA, sur lequel ils pourraient d'appuyer.

Dans le cadre de l' « économie de guerre », une augmentation des besoins en financement court-terme (soutien à la trésorerie) peut en outre être observée pour des sous-traitants auxquels il est demandé de se préparer à de potentielles augmentations de cadences, notamment par la constitution de stocks d'intrants industriels. Pour ces entreprises, le renforcement de trésorerie par la dette devient primordial. La mise en place d'un fonds de garantie de prêts distribués par les grands réseaux bancaires pourrait à cet égard être pertinente. Cet instrument pourrait être adossé à l'expertise du ministère des Armées, afin de valider notamment la crédibilité des perspectives de commande qui sous-tend les demandes de prêts.

Recommandations :

- envisager la mise en place de référents défense au sein de chaque direction régionale de Bpifrance afin de faire le lien entre les entreprises de défense locales et les dispositifs adaptés à leur caractère stratégique, et à éclairer les collaborateurs de la banque publique lors de l'instruction de certains dossiers touchant à une entreprise de la BITD ;

- envisager la mise en place par Bpifrance d'un fonds de garantie de prêts distribués par les grands réseaux bancaires.

2. Par les banques

Les alertes répétées ont permis, selon la Fédération bancaire française, de sensibiliser les banques sur ce sujet. Pour autant, les obstacles rencontrés étant peu documentés, ce sujet n'a fait l'objet d'aucune communication interne particulière au sein des groupes bancaires.

Recommandation : inciter les banques à organiser des campagnes de communication interne précisant les politiques d'investissement interne et rappelant, le cas échéant, que le secteur de la défense ne doit pas faire l'objet d'une exclusion a priori.

Les principales banques françaises ont cependant mis en place des « référents défense » en leur sein. Ce réseau est opérationnel depuis février 2023. Les entreprises n'ont pas accès directement au référent mais via la DGA, qui constitue un « filtre » : lorsque le dossier soulève une difficulté, des explications peuvent être demandées à l'établissement bancaire concerné.

Par ailleurs, certaines banques, à l'instar de BNP Paribas, ont mis en place une organisation spécifique à destination des entreprises de la défense comprenant un pôle d'expertise spécifique assurant le suivi des clients ayant des besoins « complexes » (grands contrats, pays d'exportation sensibles, etc.), une équipe dédiée au sein de la direction de la conformité, ou encore une procédure de contre-expertise sur les dossiers sensibles.

Enfin, il pourrait être envisagé d'établir un recueil des bonnes pratiques ayant vocation à être diffusé par la Fédération bancaire française ou la DGA à l'ensemble des établissements bancaires.

Recommandation : établir un recueil des bonnes pratiques mises en oeuvre par les banques ayant vocation à être diffusé par la Fédération bancaire française ou la DGA à l'ensemble des établissements bancaires.

3. Par les industriels

Dans leur rapport pour avis sur le projet de budget pour 2021, vos rapporteurs appelaient à ce que la BITD et, plus largement la communauté de défense, procède à un aggiornamento de sa culture de discrétion pour se tourner vers l'opinion publique.

Des efforts ont certes été entrepris dans ce sens par les industriels - à titre d'exemple, un séminaire « Banque & BITD », impliquant des acteurs bancaires et industriels, a été organisé par l'IHEDN le 11 mai 2023 pour faciliter la compréhension mutuelle des écosystèmes ainsi que les règles de compliance - pour autant, de l'aveu même de certains groupements, ceux-ci demeurent insuffisants. Il conviendrait par conséquent que les industriels fassent preuve de davantage de pédagogie et de transparence sur leurs activités auprès des banquiers et des investisseurs et communiquent plus et mieux sur la valorisation de leur secteur et leur contribution à la souveraineté nationale.

Par ailleurs, les procédures suivies par la Commission européenne pour aboutir aux réglementations en matière ESG découlent souvent de critères techniques proposés par des groupes d'experts supposément indépendants. Les propositions faites par ces groupes d'experts sont ensuite publiées sur le site de la Commission européenne et soumises à consultation publique. Les propositions de modifications sont, le cas échéant, intégrées dans le rapport final et une proposition de texte est remise à la Commission, laquelle établit sur cette base un projet d'acte délégué transmis au Parlement et au Conseil. Ce projet de texte est considéré comme adopté à l'issue d'une période de 4 mois si ni le Parlement ni le Conseil n'émettent d'objections.

L'adoption des actes délégués sous le régime du « silence vaut accord » reporte ainsi le débat et les enjeux dans les discussions des groupes d'experts. Il conviendrait par conséquent que les industriels français s'impliquent plus massivement dans les travaux des groupes sur lesquels s'appuie la Commission.

Recommandation : inciter les industriels français à s'impliquer davantage dans les travaux des groupes d'experts sur lesquels s'appuie la commission pour l'établissement d'actes délégués en matière ESG.


* 26 L'industrie de défense dans l'oeil du cyclone, rapport d'information de MM. Pascal Allizard et Michel Boutant, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées n° 605 (2019-2020) - 8 juillet 2020.

* 27 Mission Flash sur le financement de l'industrie de défense, Mme Françoise Ballet-Blu et M. Jean-Louis Thiériot, 17 février 2021.

Les thèmes associés à ce dossier