PREMIÈRE PARTIE
:
LE RÉCENT ACHÈVEMENT DE LA
CONSTRUCTION MÉTROPOLITAINE LYONNAISE MET SON MODÈLE EN
QUESTION
I. LA CONSTRUCTION DE LA MÉTROPOLE : UN MODÈLE UNIQUE PORTÉ PAR LE « VENT DE LA MÉTROPOLISATION » ET DES CIRCONSTANCES LOCALES PARTICULIÈRES
A. LA NAISSANCE DE LA MÉTROPOLE DE LYON A RÉSULTÉ D'UN CONTEXTE POLITICO-INSTITUTIONNEL FAVORABLE AU NIVEAU NATIONAL
1. Au tournant des années 2010, la promotion des métropoles comme horizon de la décentralisation
a) La métropole, entre dynamique géographique, projet politique et réalité juridique
À la fois réalité géographique, projet institutionnel et concept juridique, les métropoles ont occupé, depuis le début des années 2000, une place croissante dans les champs de la recherche académique et de la réflexion administrative et politique.
La métropole constitue avant tout une réalité géographique documentée, ayant une existence propre hors du cadre juridique et institutionnel qui la régit. Si une définition unique ne fait pas nécessairement consensus, une métropole au sens géographique ou socio-économique est une ville rassemblant généralement plusieurs critères :
- elle est importante par sa démographie et la taille de l'agglomération qu'elle recouvre 7 ( * ) ;
- elle concentre des lieux de pouvoirs - politique, économique, culturel - et d'attractivité 8 ( * ) ;
- elle entretient avec son environnement immédiat ainsi qu'avec d'autres grands centres urbains des relations économiques politiques et économiques tendant à l'insérer dans un réseau 9 ( * ) .
Comme le précisait dès 2003 le Conseil économique et social (CES), au sens géographique, une métropole peut donc être définie comme « une grande ville qui s'étale de plus en plus, qui concentre populations et emplois, qui rassemble des activités diversifiées comportant de nombreuses fonctions tertiaires supérieures, qui rayonne de plus en plus en réseau avec les autres grandes villes » 10 ( * ) .
À l'échelle mondiale, l'accentuation récente du rôle des métropoles, dite métropolisation , est l'une des conséquences de la libéralisation des marchés et de l'internationalisation des échanges, qui confortent la concentration d'activités et d'emplois à forte valeur ajoutée ainsi que de populations dans les villes de grande taille. Il est ainsi généralement reconnu un lien entre la métropolisation et la globalisation, entre la modification des structures urbaines et celle des systèmes productifs : « phénomène mondial, la métropolisation apparaît comme un processus de croissance urbaine sélective, liée à la globalisation de l'économie, à l'internationalisation des échanges et aux mutations des systèmes productifs » 11 ( * ) .
Dynamique géographique et socio-économique spontanée, la métropolisation fait par ailleurs l'objet de politiques volontaristes . Les pouvoirs publics ont promu ce mode de développement urbain en tant qu'il garantit la bonne insertion dans la mondialisation des territoires urbains et périurbains français .
En France, l'encouragement par les pouvoirs publics de l'émergence des métropoles a pris la forme particulière des « métropoles d'équilibre ». Afin de lutter contre le déséquilibre entre la capitale et le reste du pays mis en lumière par le géographe Jean-François Gravier dans Paris et le désert français (1947) et sur le rapport des géographes Jean Hautreux et Michel Rochefort de 1963, la délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale (DATAR) identifie ainsi huit agglomérations : Lille-Roubaix-Tourcoing, Nancy-Metz, Strasbourg, Lyon-Grenoble-Saint-Etienne, Marseille, Toulouse, Bordeaux et Nantes-Saint-Nazaire.
Cette impulsion politique a ensuite été traduite dans le droit, notamment par le législateur. La loi du 31 décembre 1966 12 ( * ) vise ainsi à doter d'une communauté urbaine les agglomérations de Bordeaux, Lille, Strasbourg et Lyon . Derrière la création de ces établissements publics de coopération intercommunale, peut se lire la « prise de conscience de la nécessité de dépasser l'uniformité du statut communal et de développer des solutions institutionnelles sur mesure pour administrer les grandes villes » 13 ( * ) .
Le cadre juridique des communautés urbaines est ensuite consolidé par la loi n° 92-125 du 6 février 1992 relative à l'administration territoriale de la République, et rationalisé par la loi n°99-586 du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale.
b) Le rapport Balladur : les métropoles sur le devant de la scène
Ces modifications législatives successives ne semblent pas en mesure de répondre au défi que représente, dans un contexte de mondialisation des échanges et de « concurrence territoriale au niveau européen » 14 ( * ) pour capter les activités à forte valeur ajoutée, la constitution de grandes métropoles européennes compétitives .
Dans ce contexte, le rapport remis au Président de la République, en mars 2009, par le comité pour la réforme des collectivités locales, présidé par Édouard Balladur, préconise, « pour donner une impulsion nouvelle aux communautés urbaines les plus peuplées et les plus importantes » 15 ( * ) du pays, la création par la loi de onze métropoles , collectivités territoriales à statut particulier au sens de l'article 72 de la Constitution. Ces métropoles bénéficieraient de l'ensemble des compétences reconnues aux communes ainsi que de la clause de compétence générale, et exerceraient de plein droit sur leur territoire, en plus des compétences communales, les compétences que la loi attribue au département.
Le « comité Balladur » met en avant les « avantages en termes de démocratie locale, d'économies d'échelle et de simplification » 16 ( * ) qui découleraient de la création de ces onze métropoles, tout en reconnaissant l'ampleur des changements institutionnels et pratiques qui en résulteraient. Aussi recommande-t-il que leur création par la loi prenne effet à l'occasion du renouvellement municipal suivant, c'est-à-dire en 2014. Il souhaite également prévoir la possibilité pour d'autres intercommunalités d'accéder à ce statut sur la base du volontariat.
La mission commune d'information créée en octobre 2008 au Sénat sur le thème de la réforme territoriale a également retenu la nécessité, pour le législateur, de reconnaître le fait métropolitain , tout en recommandant que, « dans un premier temps du moins, la métropole constituerait une intercommunalité très intégrée dont les communes membres resteraient des collectivités territoriales de plein exercice, contrairement aux propositions du comité Balladur qui propose de les transformer en personnes morales de droit public » 17 ( * ) ; cette nouvelle catégorie d'EPCI pourrait se voir déléguer des compétences du département, mais également de la région et de l'État. La mission proposait également de prévoir la faculté par la loi d'ériger les métropoles en collectivités territoriales de plein exercice, en lieu et place des communes membres, sur délibérations concordantes de celles-ci.
Ainsi, s'est engagé à la fin des années 2000 un important mouvement de réflexion qui voit dans la métropole une réponse , certes insuffisante mais non moins nécessaire, au triple défi qui se pose sur les plans institutionnel, économique et spatial, à savoir : doter les communautés urbaines d'une gouvernance plus intégrée ; garantir la bonne insertion des grandes villes françaises dans la mondialisation et leur permettre de faire face à la concurrence européenne ; promouvoir le développement équilibré et la cohésion des territoires .
Ce processus aboutit à la consécration législative des métropoles dans les années 2010.
2. La traduction législative de ce mouvement dans les années 2010 érige en modèle la métropole de Lyon
a) La consécration législative des métropoles
Afin notamment d'affirmer le rôle des grandes agglomérations comme moteurs de la croissance et de l'attractivité, la loi n° 2010-145 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales (dite « RCT ») créé une nouvelle catégorie d'établissements publics de coopération intercommunale (ECPI) à fiscalité propre, la métropole.
La métropole est ainsi définie comme un EPCI « regroupant plusieurs communes d'un seul tenant et sans enclave et qui s'associent au sein d'un espace de solidarité pour élaborer et conduire ensemble un projet d'aménagement et de développement économique, écologique, éducatif, culturel et social de leur territoire afin d'en améliorer la compétitivité et la cohésion » 18 ( * ) .
Peuvent obtenir ce statut les EPCI qui forment, à la date de sa création, un ensemble de plus de 500 000 habitants ainsi que les communautés urbaines instituées par l'article 3 de la loi n° 66-1069 du 31 décembre 1966 19 ( * ) . En cas de création d'une métropole, le département doit lui transférer ses compétences en matière de transports scolaires, de voirie et de zones d'activité, ainsi que de promotion du territoire à l'étranger ; s'il est saisi d'une demande de la métropole, le département peut en outre lui transférer tout ou partie de ses compétences en matière d'action sociale, de collège, de développement économique, de tourisme, de patrimoine et de sport.
Le pôle métropolitain regroupe quant à lui les ECPI à fiscalité propre formant un ensemble de plus de 300 000 habitants et dont l'un d'entre eux compte plus de 150 000 habitants 20 ( * ) .
S'il est consacré par la loi, le statut de métropole ainsi créé ne reprend toutefois pas les contours de la notion posée par le rapport du comité Balladur, en ce qu'il ne correspond pas à une nouvelle collectivité territoriale, mais encore à un EPCI.
Alors que la métropole de Nice Côte d'Azur , qui a vu le jour le 1 er janvier 2012, est la seule métropole créée dans le cadre de la loi « RCT », l'affirmation de la catégorie de métropole se poursuit dans le cadre de la lo i n° 2014-57 du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (dite loi « MAPTAM ») qui constitue le réel acte de naissance du statut juridique des métropoles en France.
En premier lieu, la loi dite « MAPTAM » dote les métropoles d'objectifs clairs, qu'elles poursuivent dans le cadre de leur projet de d'aménagement et de territoire :
- d'une part, « améliorer la cohésion et la compétitivité » ;
- d'autre part, « concourir à un développement durable et solidaire du territoire régional ».
En deuxième lieu, la loi dite « MAPTAM » élargit le statut générique de métropole issu de la loi « RCT ». Peuvent ainsi devenir des métropoles les EPCI à fiscalité propre qui forment, à la date de création, un ensemble de 400 000 habitants dans une aire urbaine - au sens de l'Institut national de la statistique et des études économiques -, de plus de 650 000 habitants 21 ( * ) ; la loi prévoit que cette transformation s'effectue par décret. Au 1 er janvier 2015, ont ainsi été créées 10 métropoles supplémentaires : Bordeaux, Brest, Grenoble, Lille, Montpellier, Nantes, Rennes, Rouen, Strasbourg, Toulouse.
En troisième lieu, la loi dote les métropoles de compétences renforcées par rapport aux autres catégories d'EPCI à fiscalité propre, en rendant obligatoire la dévolution aux métropoles de compétences départementales 22 ( * ) .
Par ailleurs, la loi MAPTAM dote les métropoles de Paris, de Lyon et de Marseille d'un statut particulier : la métropole du Grand Paris 23 ( * ) et la métropole d'Aix-Marseille-Provence 24 ( * ) , établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre à statut particulier, sont ainsi créées au 1 er janvier 2016. La métropole de Lyon , créée au 1 er janvier 2015 « en lieu et place de la communauté de la communauté urbaine de Lyon et, dans les limites territoriales précédemment reconnues à celle-ci, du département du Rhône », constitue quant à elle une collectivité à statut particulier au sens de l'article 72 de la Constitution 25 ( * ) .
La loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (dite « NOTRe ») poursuit le mouvement de promotion des métropoles en étendant les transferts de compétences des départements aux métropoles.
Enfin, la loi n° 2017-257 du 28 février 2017 relative au statut de Paris et à l'aménagement métropolitain modifie les critères permettant d'accéder au statut de métropole et élargit la possibilité de transformation en métropole :
- aux EPCI centres d'une zone d'emplois de plus de 400 000 habitants ;
- aux EPCI de plus de 250 000 habitants ou comprenant dans leur périmètre, au 31 décembre 2015, le chef-lieu de région, ou le centre d'une zone d'emploi de plus de 500 000 habitants.
Sept nouvelles métropoles sont créées sur ce fondement (Metz, Orléans, Tours-Val-de-Loire, Dijon, Clermont-Auvergne, Saint-Etienne, Toulon-Provence-Méditerranée) ; depuis, la France compte 19 métropoles de droit commun .
b) La création de la métropole de Lyon comme aboutissement
En tant que collectivité territoriale sui generis créée par la loi dite « MAPTAM », la métropole de Lyon constitue le modèle le plus achevé de gouvernance métropolitaine et la concrétisation de la réforme portée par le comité « Balladur ».
Constatant que les objectifs ayant motivé la création de la communauté urbaine de Lyon le 1 er janvier 1969 ont été atteints, le projet de loi dite « MAPTAM » met en avant la nécessité de doter l'intercommunalité d'un régime institutionnel nouveau, qui dépasse le modèle de l'EPCI et qui porte la dynamique de développement économique et social à l'oeuvre dans le système urbain lyonnais.
Le projet de loi, déposé au Sénat le 10 avril 2013, assigne ainsi deux objectifs à la nouvelle organisation : d'une part, « permettr[e] à l'ancienne communauté urbaine d'exercer l'ensemble des attributions et compétences nécessaires à son développement » ; d'autre part, « réuni[r] deux niveaux d'administration, le département et l'intercommunalité, en un seul, [afin] de rationaliser leurs services et donc d'optimiser les structures et frais de fonctionnement sans porter atteinte aux services à la population 26 ( * ) ».
Pour ce faire, l'article 26 de la loi dite « MAPTAM » prévoit la mise en place au 1 er janvier 2015 27 ( * ) de la métropole de Lyon par la fusion de l'EPCI à fiscalité propre existant avec le département, dont elle exercera désormais les compétences au sein de l'aire métropolitaine ; en conséquence, une fois la métropole de Lyon créée, le département du Rhône se réduira à la portion de son territoire située hors agglomération.
De manière inédite, la création de la métropole de Lyon rompt ainsi, pour la première fois hors Paris, avec l'organisation du territoire national métropolitain en départements. Elle va également de pair avec une nette simplification de l'administration locale, en supprimant un échelon d'administration : le couple métropoles-communes se substitue en effet aux trois échelons qu'étaient le département, la communauté urbaine et les communes.
Dans un contexte politico-administratif marqué par la volonté de simplifier l'organisation territoriale et de l'adapter aux dynamiques de l'économie mondialisée, la fusion du département avec la métropole est apparue comme l'horizon souhaitable de l'intégration territoriale, érigeant la métropole de Lyon en modèle à suivre par les autres métropoles . Dans le même temps, la spécificité du cas lyonnais était nettement perçue ; la voie inédite qui a pu être empruntée par le législateur, donnant naissance à l' « objet institutionnel d'un genre nouveau » 28 ( * ) qu'est la métropole de Lyon, est en effet intimement liée au contexte local.
* 7 Ou, comme le précisait le géographe et urbaniste Marcel Roncayolo, il s'agit d'une « très grande ville, qui s'exprime par la taille de sa population et celle de l'agglomération qu'elle anime ». Voir « Métropoles : hier et aujourd'hui », in Métropoles en déséquilibre ?, 1993, p. 9, cité par Émile Marcovici, Les métropoles en France, LGDJ, 2019, p. 23.
* 8 Comme le notait un rapport du Conseil économique, social et environnemental (CESE) de 2019, selon le géographe Gérard-François Dumont, une métropole constitue « un centre de direction, de coordination et d'impulsion d'un ensemble territorial ».
* 9 Voir par exemple DATAR, Quelles métropoles en Europe? Des villes en réseau, de Ludovic Halbert, Patricia Cicille et Céline Rozenblat, La Documentation Française, 2012.
* 10 « Métropoles et structuration du territoire », Avis et rapport du Conseil économique et social, 2003, présenté par M. Jean-Claude Bury, p. 3, consultable à l'adresse suivante : https://www.vie-publique.fr/rapport/28041-metropoles-et-structuration-du-territoire .
* 11 Ibidem , p. 17.
* 12 Loi n°66-1069 du 31 décembre 1966 relative aux communautés urbaines.
* 13 Léa Havard, AJDA du 13 mars 2018, n°9/2017 : La métropole collectivité territoriale de Lyon : évolution ou révolution ?
* 14 Rapport d'information n°580 (2012-2013) sur le projet de loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, de René Vandierendonck, fait au nom de la commission des lois, déposé le 15 mai 2013, p. 25.
* 15 Rapport du comité pour la réforme des collectivités locales, « Il est temps de décider », remis au Président de la République le 5 mars 2009, p. 78.
* 16 Ibidem , p. 82.
* 17 Rapport n°471 (2008-2009) du 17 juin 2009 de M. Yves Krattinger et Mme Jacqueline Gourault, fait au nom de la mission commune d'information, p. 26.
* 18 Article L. 5217-1 du code général des collectivités territoriales créé par l'article 12 de la loi n°2010-145 du 16 décembre 2010.
* 19 Cette dérogation visait la communauté urbaine de Strasbourg.
* 20 Article L. 5731-1 du code général des collectivités territoriales créé par l'article 20 de la loi°2010-145 du 16 décembre 2010.
* 21 Article 43 de la loi dite « MAPTAM ».
* 22 Article 43 de la loi dite « MAPTAM ».
* 23 Article L. 5219-1 du code général des collectivités territoriales, créé par l'article 12 de la loi MAPTAM.
* 24 Article L. 5128-11 du code général des collectivités territoriales, créé par l'article 42 de la loi MAPTAM.
* 25 Article L. 3611-1 du code général des collectivités territoriales, créé par l'article 26 de la loi MAPTAM.
* 26 Étude d'impact du projet de loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, p. 47.
* 27 La date de la création de la Métropole de Lyon a été avancée du 1 er avril 2015 au 1 er janvier 2015 par la commission des lois du Sénat.
* 28 Gilles Le Chatelier, « La métropole de Lyon », AJCT, 2014, p. 241.