II. COMPTE RENDU DE LA RÉUNION DU 17 NOVEMBRE 2022 DE PRÉSENTATION DES CONCLUSIONS DE L'AUDITION PUBLIQUE DU 6 OCTOBRE 2022
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office, rapporteur. - Nous examinons les conclusions de l'audition publique organisée le 6 octobre dernier sur la rénovation énergétique des bâtiments. Je vous présenterai la première partie de nos conclusions et je céderai ensuite la parole à Gérard Longuet.
Les objectifs ambitieux assignés au secteur du bâtiment, à l'instar de l'objectif de neutralité carbone en 2050, continuent de contraster avec la faiblesse des moyens disponibles pour les atteindre : environ quatre milliards d'euros sont dépensés chaque année pour la rénovation. Pourtant, plus que jamais, les motivations environnementales se conjuguent aux motivations économiques en vue de diminuer la facture énergétique de ce secteur, si important pour faire baisser les émissions de gaz à effet de serre (GES).
Cette audition a permis à l'Office de faire le suivi d'un sujet sur lequel il se penche régulièrement. En 2009, sur le fondement de l'article 4 de la loi de mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement, nos anciens collègues Christian Bataille et Claude Birraux s'interrogeaient, en sous-titre de leur rapport, sur « la performance énergétique des bâtiments : comment moduler la règle pour mieux atteindre les objectifs ? ».
Outre l'accélération de la diffusion des solutions les plus performantes et le fait de privilégier les meilleures solutions techniques sans a priori , deux propositions structurantes étaient particulièrement mises en avant :
- l'introduction d'un plafond d'émissions de CO 2 en complément du plafond de consommation énergétique, permettant de mieux prendre en compte les émissions liées au chauffage au gaz par rapport au chauffage électrique ;
- la mesure des gains réels de performance énergétique après travaux, ce qui encourage l'innovation technologique.
Ce dernier sujet est revenu de manière récurrente au cours de l'audition publique organisée le 6 octobre 2022.
Quelques années après, nos anciens collègues Jean-Yves Le Déaut et Marcel Deneux ont estimé en 2014, dans le titre de leur rapport, que les freins réglementaires à l'innovation en matière d'économie d'énergie dans le bâtiment nécessitaient une « thérapie de choc ». Ils proposaient notamment de recentrer les missions du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB), de simplifier les aides et de les rendre plus globales - à l'image de MaPrimeRénov' - ou encore de faire de la rénovation un axe majeur de la Stratégie nationale de la recherche.
Enfin, en 2018, nos collègues Jean-Luc Fugit et Loïc Prudhomme ont réalisé une note scientifique de l'Office sur la rénovation énergétique des bâtiments dans laquelle, tout en reprenant certaines des recommandations précédentes, ils ont préconisé de mesurer le nombre de rénovations effectuées ainsi que leurs qualités précises, de traiter en priorité les 7,4 millions de passoires thermiques et, plus largement, de soutenir l'innovation et de mieux financer la recherche associée.
En France, environ un quart des émissions de gaz à effet de serre est dû au bâtiment. La rénovation énergétique des bâtiments implique aussi des enjeux politiques et sociaux en termes d'indépendance énergétique et de réduction de la précarité énergétique. L'atteinte des objectifs nationaux de réduction des émissions de GES et de consommation d'énergie finale est fortement dépendante de la réalisation des objectifs fixés au secteur du bâtiment.
Depuis une trentaine d'années, on observe que le parc de logements ne se renouvelle que de 1 % par an. Il est donc nécessaire de rénover spécialement le bâtiment existant, faute de quoi il s'écoulerait une centaine d'années avant que l'ensemble du parc soit devenu performant. En effet, les progrès considérables réalisés sur la performance des bâtiments neufs ne peuvent avoir qu'un effet limité sur les caractéristiques des émissions de GES et de consommation d'énergie du parc considéré globalement, même à l'échelle de deux décennies.
De plus, la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte du 17 août 2015, mettant en place la stratégie nationale bas carbone et encadrant la programmation pluriannuelle de l'énergie, fixe l'objectif d'un secteur du bâtiment neutre en carbone à l'horizon 2050, c'est-à-dire par exemple uniquement composé de logements à diagnostic de performance énergétique (DPE) A ou B. Cet objectif impose de rénover à l'échelle nationale plus de 27 millions de logements d'ici à 2050, soit une cible de 700 000 rénovations chaque année. Celle-ci est loin d'être atteinte puisqu'il n'y a actuellement que 70 000 à 80 000 rénovations par an.
La rénovation énergétique des bâtiments représente un investissement annuel de l'ordre de quatre milliards d'euros, dont 2,8 milliards d'euros pour MaPrimeRénov'. Comme l'affirmait la note scientifique de l'Office en 2018, il est important dans un tel contexte de prioriser la rénovation des bâtiments existants par rapport à une course à la performance dans l'amélioration des bâtiments neufs.
Aussi, en conclusion de l'audition publique du 6 octobre 2022, Gérard Longuet et moi-même vous présentons plusieurs propositions, certaines ayant été explicitement évoquées lors de l'audition. Il s'agit de promouvoir trois axes d'amélioration, chaque axe donnant lieu à trois recommandations. Nous avons par ailleurs veillé à ce que les neuf recommandations forment un ensemble cohérent.
Le premier axe propose un véritable pilotage public de la rénovation énergétique des bâtiments et s'accompagne de trois séries de mesures. La principale consiste à préconiser la refonte, la simplification et la stabilisation des dispositifs d'aides directes. Il faut éviter la multiplication des dispositifs, recentrer les mesures de soutien autour du nom MaPrimeRénov', quitte à décliner cette dernière selon plusieurs modalités d'application. Ce cadre doit être stabilisé car la lisibilité du système d'aides est une condition de son succès.
Par ailleurs, les aides sont fournies indépendamment du contenu réel des travaux alors que beaucoup ne permettent pas de diminuer significativement la consommation énergétique. C'est pourquoi la question de l'efficacité des travaux doit devenir un objectif, à la fois en termes de consommation d'énergie et d'émission de CO 2 .
De manière moins opérationnelle, je mentionne deux autres pistes possibles, celle d'un « viager énergétique » et celle d'une non-prise en compte des dépenses en faveur de la rénovation énergétique dans le calcul du déficit public au sens de Maastricht.
Je poursuis avec la deuxième série de mesures de ce premier axe. Il convient d'inciter plus et mieux en mobilisant des outils de fiscalité et de communication. Il faut moduler les incitations fiscales de sorte que les rénovations globales et les parcours types de travaux bénéficient de régimes fiscaux encore plus favorables. On peut également imaginer la mise en place d'une incitation fiscale sous forme de crédit d'impôt à l'intention des ménages les plus précaires, ainsi que pour les copropriétés au sein desquelles, trop souvent, l'intérêt de la rénovation énergétique ne parvient pas à se diffuser.
Les incitations non fiscales passent notamment par une réorientation de la communication sur la rénovation énergétique des bâtiments en vue de rétablir la confiance des ménages. De plus, il faut recourir davantage aux certificats d'économie d'énergie qui sont de très bons moyens de financer les travaux de rénovation sans nécessiter des crédits d'État ou des prêts bancaires, puisqu'il s'agit de mécanismes obligeant les fournisseurs d'énergie - électricité, gaz, fuel, carburant, GPL - à encourager les travaux d'économie d'énergie des particuliers, des syndicats de copropriété, des collectivités locales ou encore des entreprises.
Enfin, nous avons besoin de mobiliser les collectivités territoriales, qui peuvent donner une impulsion, d'autant que l'audition a souligné le fait que l'échelle locale est souvent pertinente pour déployer une stratégie de rénovation énergétique, ne serait-ce que parce que la France connaît plusieurs types de climat. Plutôt qu'être pensée au seul niveau du logement individuel ou du bâtiment, la rénovation doit être pensée dans un cadre certes local, mais plus large. Le raisonnement et l'action doivent par exemple se déployer au niveau d'un pâté de maisons, d'un îlot, d'un quartier, voire d'une commune.
Je cède la parole à Gérard Longuet pour présenter la suite de nos conclusions.
M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office, rapporteur. - Le deuxième axe de nos propositions s'intitule : Pour un cadre plus favorable à la rénovation énergétique des bâtiments, mieux former, mieux suivre et mieux contrôler . Le troisième et dernier axe vise à accélérer la rénovation et propose à cette fin de s'appuyer sur la recherche, évidemment, sur la démultiplication de l'offre de service, ce qui est déjà plus intéressant et sur une meilleure prise en compte des problématiques environnementales, notamment grâce à l'utilisation de matériaux biosourcés.
Sur le volet formation, que dire ? Il faut développer un dispositif de formations attractives et bien encadrées qui facilite les 700 000 rénovations nécessaires chaque année et faire en sorte qu'elles soient de bonne qualité. Ceci nécessite de mettre en place un référentiel commun de formation pour toute la filière - il n'existe pas -, d'augmenter l'attractivité de la filière pour avoir plus de main d'oeuvre et de poursuivre la montée en compétences de l'ensemble de ces professionnels.
Plus précisément, il faut doter les professionnels de la capacité de définir clairement un parcours de travaux dans le cadre d'une rénovation par étapes, ce qui est extrêmement fréquent. Ceci passe notamment par des formations à l'interfaçage des travaux pour assurer que plusieurs opérations successives de rénovation aient le même impact qu'une rénovation réalisée en une seule fois.
Dans le même ordre d'idées et de manière à éviter qu'une succession désordonnée de travaux réduise l'efficacité des démarches entreprises, il faut que les rénovations bénéficient systématiquement de mesures d'accompagnement. Lors de l'audition publique, Franck Perraud, vice-président de la Fédération française du bâtiment, a suggéré de mettre en place un passeport rénovation en plusieurs étapes se succédant au fil des années et de généraliser la distribution d'un petit guide à l'attention des clients afin de leur permettre d'apprendre le bon usage des dispositifs techniques installés chez eux. Je suis complètement d'accord avec cela, car régler un thermostat peut être une aventure pleine d'aléas et de déceptions.
Par ailleurs, une meilleure connaissance du parc est nécessaire. Le CSTB a créé pour cela une base de données nationale des bâtiments qui intègre des données non seulement cadastrales mais aussi de constitution du bâti, voire d'enveloppes de consommation d'énergie. Cette base de données reste à compléter et l'intelligence artificielle peut être utile à son exploitation.
Le deuxième axe recommande également de mettre en oeuvre des mesures de suivi et de contrôle. Alors que l'efficacité des travaux doit évidemment devenir une priorité, l'un des points faibles de la rénovation énergétique en France est l'absence de suivi. Personne ne vérifie réellement la qualité des travaux réalisés ni celle du diagnostic de performance énergétique. Ces défauts de suivi peuvent favoriser ce que l'on qualifie parfois d'éco-délinquance, qui repose sur des diagnostics ou des travaux bâclés.
Il faut reconnaître que certaines publicités, sur Internet ou insérées dans nos quotidiens préférés, sont vraiment du racolage qui défie le bon sens et devrait mettre en alerte tout esprit avisé. Une mesure de performance après rénovation serait l'idéal, mais un tel dispositif exigeant serait compliqué à mettre en place, c'est évident. Souvenons-nous que cela doit concerner à terme 27 millions de logements.
De manière plus réaliste, un suivi des travaux de rénovation par un expert thermicien est souhaitable. Après tout, les voitures passent au contrôle technique ; les logements pourraient suivre un même cheminement. Dans le rapport de 2014 précité, l'Office proposait de créer des conseillers à la rénovation qui auraient vocation à intervenir de l'amont à l'aval des travaux. Ceci me paraît plus compliqué à mettre en place parce que les enjeux financiers sont considérables pour l'immense majorité de nos compatriotes.
Toutes ces évolutions visant à mieux former, mieux suivre et mieux contrôler auront pour effet de prévenir l'éco-délinquance, mais il faut également lutter contre ce phénomène en le réprimant plus sévèrement. Les sanctions restent rares, d'autant que l'efficacité des travaux est parfois difficile à quantifier. Lors de l'audition, plusieurs intervenants ont évoqué les grandes difficultés qu'éprouvent les organismes délivrant le label « reconnu garant de l'environnement » (RGE) lorsqu'il faut le retirer aux entreprises indélicates. De plus, l'éco-délinquance ne concerne pas uniquement les travaux de rénovation, mais également les DPE, tant au niveau de leur réalisation que de leur préparation, par exemple le démarchage par téléphone ou par courrier électronique. Le racolage est permanent.
Le troisième et dernier axe vise à accélérer la rénovation. Il convient d'abord de s'appuyer sur la recherche, c'est évident. Elle a déjà donné des résultats solides en matière de techniques d'isolation, et les rapports sur le sujet ainsi que les intervenants de l'audition publique confirment que des campagnes de rénovation massives permettant d'atteindre des performances élevées sont possibles dès maintenant.
Cependant, quelques voies d'amélioration sont bel et bien identifiées par la profession. La recherche sur la rénovation, l'isolation, la qualité de l'air et le bâti doit donc être poursuivie et amplifiée.
Tout d'abord, le financement de la recherche doit être significativement augmenté. Son niveau est extrêmement faible dans cette filière. Il représenterait pour le secteur privé environ un à deux pour mille des 130 milliards d'euros de chiffre d'affaires du secteur en 2018 - ce montant, très important, me paraît être celui de la construction plutôt que de la seule rénovation. La communauté de la recherche publique française du secteur voit ses effectifs décroître depuis plusieurs années. Cette tendance doit donc être inversée. La recherche sur le bâtiment doit être remise au coeur de la politique française d'économies d'énergie et de nos stratégies de recherche en général.
Ensuite, des études restent à faire pour rénover dès que possible des bâtiments différents en utilisant les mêmes techniques, ce qui permettrait de gagner de l'efficacité et donc de rénover de plus en plus vite à l'image du mouvement européen EnergieSprong.
Enfin, il faut s'appuyer sur les technologies numériques et sur d'autres technologies innovantes, à l'instar des isolants minces qui demeurent assez peu développés et doivent encore faire la preuve de leur efficacité, ne serait-ce que pour ne pas perdre trop de surface dans les isolations intérieures. Sans attendre de nouveaux résultats à court terme, il est important d'augmenter le financement de la recherche pour déployer ensuite à moyen terme des solutions de plus en plus efficaces et de moins en moins encombrantes.
Comme l'évoquait la note scientifique de l'Office, les sciences sociales ne doivent pas être oubliées. Elles peuvent faciliter la mise en oeuvre de toutes les mesures présentées, notamment en aidant les pouvoirs publics à identifier les leviers qui permettront d'inciter à la rénovation. Je renvoie d'ailleurs à la conclusion du premier axe qui évoquait l'action des collectivités locales. L'action collective, avec l'effet d'entraînement qui est bien connu des spécialistes en sciences sociales, doit être à mon avis fortement soutenue pour mobiliser les plus sceptiques. En 2018, l'Office avait, de manière plus générale, proposé de créer un institut de recherche pluridisciplinaire spécifique dédié à la rénovation et financé, le cas échéant, par le secteur privé. Je ne suis pas persuadé que ce soit une priorité.
Pour accélérer, il faut démultiplier les actes de rénovation et rénover les bâtiments publics. J'ajoute qu'il faut impliquer ceux qui financent, c'est-à-dire les banques dans leurs relations avec les particuliers, qui restent parfois très en retrait. En effet, le nombre de rénovations n'est pas à la hauteur des objectifs. Il faut mobiliser beaucoup mieux les acteurs en améliorant en quantité et en qualité l'offre de services et de travaux sur tout le territoire et diminuer la complexité administrative - pas seulement dans ce secteur, d'ailleurs.
Je crois beaucoup à la mobilisation des collectivités territoriales mais, plus largement, les pouvoirs publics doivent déployer une stratégie dynamique d'impulsion nationale en faveur de la rénovation des bâtiments publics. Je vous raconterai une petite histoire fiscale ensuite, pour faire comprendre qu'une telle stratégie bute sur les réalités de la fiscalité et des changements incessants de fiscalité, avec de vraies déceptions. Les bâtiments scolaires et les bâtiments de santé qui dépendent d'autorités publiques représentent 250 millions de mètres carrés. Imaginez tout ce qu'il est possible de réaliser comme économies d'énergie.
Cependant, les seules aides de l'État ne suffiront pas à financer toutes les rénovations. Elles sont d'ailleurs insuffisantes pour les ménages qui ne peuvent pas payer le reste à charge de 20% après attribution de MaPrimeRénov'.
Il faut donc impliquer davantage les banques et leur faire jouer le jeu de l'accélération de la rénovation énergétique des bâtiments. C'est d'ailleurs une façon de valoriser le patrimoine de leurs clients puisqu'un bâtiment rénové thermiquement a évidemment plus de valeur qu'un bâtiment qui ne l'est pas. Il faut donc débloquer le crédit bancaire et réfléchir à une initiative permettant aux banques d'accorder des prêts à taux zéro pour financer les rénovations, et pas uniquement pour acheter un logement.
Enfin, les problématiques environnementales doivent être mieux prises en compte, en s'appuyant sur l'usage de matériaux biosourcés afin de réduire l'empreinte carbone des logements rénovés, voire de les transformer en puits de carbone, perspective qui peut sembler cependant un peu utopique. Un rêve accessible, immédiatement utilisable et profitable à tous consiste à utiliser comme matériaux de construction des matériaux biosourcés, issus de la matière organique renouvelable, de la biomasse comme le bois, le chanvre, la paille, l'ouate de cellulose, les textiles recyclés, les balles de céréales, le miscanthus, le liège, le lin, la chaume, les herbes de prairie, etc. Ces matériaux ne sont pas seulement utiles pour la rénovation thermique, mais aussi pour la construction, par exemple les structures, les isolants, les mortiers, les bétons, les matériaux composites plastiques et plus généralement la chimie du bâtiment. On peut faire des choses tout à fait nouvelles et tout à fait innovantes mais je m'éloigne là du coeur de notre audition. La loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte - qui s'est trompée sur de nombreux points - a quand même le mérite d'encourager l'utilisation de ces matériaux, comme le fait aussi la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement et de l'aménagement et du numérique, dite « loi Elan ». Il faut maintenant traduire en axes cette stratégie d'utilisation de matériaux biosourcés.
Voilà, pour l'essentiel, ce que l'audition publique a montré comme valeur ajoutée.
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office, rapporteur. - C'est un vaste programme. Je suppose que cela suscite beaucoup de réflexions chez nos collègues.
Mme Christine Arrighi, députée. - Je bois du petit lait à prendre connaissance de ce rapport puisque, depuis des années, les écologistes pointent les difficultés rencontrées dans le domaine de la rénovation énergétique des bâtiments et sur la question de la sobriété. C'est aussi un sujet social puisque ce sont toujours les plus précaires qui subissent les inconvénients des passoires énergétiques ou thermiques, ayant trop chaud l'été et trop froid l'hiver. La rénovation - c'est important de le dire dans une ère de réchauffement climatique - concerne aussi l'été, et pas seulement l'hiver.
Les recommandations proposées sont très intéressantes. Il est dommage qu'elles n'aient pas été présentées dans l'hémicycle lorsque nous avons débattu du PLF puisqu'un amendement a été voté pour donner des moyens supplémentaires au dispositif MaPrimeRénov', notamment pour s'engager résolument dans un dispositif sur les rénovations globales. Il est important que ce soit dit également dans ce rapport, même si faire des rénovations partielles est souvent intéressant. On voit bien que ce qui pèche dans MaPrimeRénov' est d'abord l'accès à la prime. La Défenseure des droits a dénoncé encore récemment les difficultés que rencontrent les plus précaires pour bénéficier du dispositif.
Le principe d'un suivi et d'une évaluation des rénovations partielles ou très ponctuelles est intéressant ; c'est d'ailleurs le cas pour des sujets tels que l'électricité et l'amiante ou quand on loue un appartement. Je ne vois pas pourquoi ce ne serait pas le cas pour la rénovation, que ce soient des rénovations d'ampleur chez les particuliers ou des rénovations globales dans des logements collectifs, où l'on se heurte plutôt à la situation financière des organismes sociaux, qui ont des difficultés à engager ce type d'opération.
Toutes ces recommandations sont extrêmement intéressantes mais il manque les moyens financiers pour les mener à bien. Un argument est souvent opposé : les artisans ne seraient de toute façon pas suffisamment nombreux pour mettre en oeuvre les rénovations souhaitées, quand bien même les moyens financiers seraient disponibles. Mais c'est l'histoire de la poule et de l'oeuf ! Si l'on n'a pas les moyens, on ne va pas faire de la formation et, si on fait de la formation mais qu'on n'a pas les moyens, on ne pourra pas mettre en oeuvre les rénovations.
Enfin, quelle échéance se fixent ces recommandations ? Nous sommes en 2022 et nous avions véritablement l'occasion d'amorcer quelque chose sur ce sujet important. J'ai toujours de l'espoir puisque la deuxième lecture du PLF est proche - et nous comptons beaucoup sur le Sénat - mais il faut amorcer le processus très vite, surtout dans le contexte actuel de cherté de l'énergie. Toute la chaleur qui fuit par les fenêtres ne chauffe pas les personnes qui sont à l'intérieur. J'aurais bien d'autres choses à dire mais je m'en tiens là.
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office, rapporteur. - Pour transformer l'expression, ce serait presque jeter l'énergie par les fenêtres.
Mme Christine Arrighi, députée. - C'est exactement ce qu'il se passe. Quand on a une passoire énergétique, on chauffe beaucoup, ça coûte très cher et ça ne chauffe pas.
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office, rapporteur. - Tout à fait. Je reviens sur les moyens financiers. Il est difficile pour l'Office de faire une évaluation financière des besoins, ce n'est pas son rôle mais plutôt celui de la commission des finances. Il faut que l'Office reste dans son périmètre d'action et d'évaluation.
Je me réjouis que vous ayez, selon vos propres termes, bu du petit lait avec ces recommandations. Nous avons effectivement des vues largement partagées sur ce sujet et c'est l'esprit, la vocation de l'Office que de poursuivre ces évaluations et les recommandations que l'on peut en tirer.
Vous avez estimé qu'il serait pertinent de présenter ces recommandations dans l'hémicycle. Ceci me conduit à ouvrir une parenthèse plus générale. Il nous faut mieux valoriser les travaux de l'Office. J'ai eu le plaisir d'échanger avec la présidente de l'Assemblée nationale voici deux jours - il serait intéressant que je fasse, en compagnie du premier vice-président, le même exercice avec le président du Sénat. La présidente de l'Assemblée est très ouverte à l'idée que l'Office puisse bénéficier d'un temps dédié dans les discussions générales liées aux sujets qu'il traite.
Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office. - C'est ce que j'ai demandé au président Larcher.
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office, rapporteur. - Si nous arrivons à engager nos deux chambres dans cette évolution, ce sera une avancée majeure pour la reconnaissance des travaux de l'Office. Cela permettra de proposer ces recommandations, qui sont déjà travaillées de façon consensuelle, à l'ensemble de nos collègues parlementaires en séance publique. J'espère que nous pourrons mettre en oeuvre cette idée très prochainement. C'est une très belle opportunité pour valoriser nos travaux.
M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office, rapporteur. - J'ai un petit regret à l'issue de l'audition publique et de nos débats de ce jour : il apparaît que les travaux de rénovation thermique ne sont pas soumis à un processus d'évaluation rigoureux. Comme l'a dit notre collègue Christine Arrighi, alors qu'un nombre important de Français connaissent des problèmes de pouvoir d'achat et de compatibilité entre leurs ressources et le coût du chauffage - ainsi que le coût de la protection contre les chaleurs estivales inhabituelles dont nous savons qu'elles se multiplieront dans les années à venir -, nous devrions avoir des argument plus forts pour y remédier.
Je trouve que nos arguments sont excellents pour un étudiant préparant l'ENA et devant rendre une note objective sur les politiques gouvernementales mais nous sommes des femmes et des hommes politiques. Nous sommes au contact des Français qui ont une vie difficile, qui voient s'envoler les prix du carburant, du gaz et de l'électricité, qu'ils soient particuliers ou entrepreneurs, même si nous nous occupons essentiellement des particuliers et des collectivités locales.
Les budgets mobilisés pour les opérations de rénovation énergétique sont des sommes énormes qui posent des problèmes insolubles pour l'équilibre des budgets, aussi bien pour les villes que pour les particuliers, et la dimension économique n'apparaît pas assez dans ce travail. Elle apparaît indirectement avec la recommandation qui évoque un suivi des différentes étapes d'une rénovation étalée dans le temps. Dans ce genre d'opération, il est évident que l'on commence par faire ce qui est le plus visible, le plus efficace ou le moins cher. À chaque étape, on étudie le rapport coût-bénéfice de la décision. Pour un pavillon, isoler des combles est sans doute le moins cher et le plus efficace. Éviter les ponts thermiques, reprendre les ouvertures, améliorer les isolations verticales est déjà plus compliqué ; il faut le mettre en proportion de l'argent dépensé.
Outre l'étalement dans le temps, nous aurions pu approfondir la dimension économique de la rénovation lorsque nous avons évoqué l'intervention des banques. Nous connaissons les banques. Elles ne font jamais que prêter l'argent qu'on leur confie et l'on peut comprendre qu'elles n'aient pas envie de le jeter par les fenêtres. Il serait intéressant pour elles de savoir qu'en prêtant à leurs clients pour une rénovation énergétique, elles leur font économiser de l'argent, d'où un retour sur investissement. Ce retour peut être long, dix ou quinze ans souvent, mais il peut aussi être beaucoup plus court. Je pense donc que cette approche est intéressante.
C'est la raison pour laquelle, intuitivement, je suis très favorable aux actions collectives de rénovation des logements particuliers conduites sur des espaces définis par les collectivités locales. Pourquoi ? Parce que se crée alors une dynamique de groupe avec des propriétaires, des locataires, des propriétaires-bailleurs, des organismes publics qui se disent : « Oui, on va faire cette opération. Voici ce que cela coûtera, mais voilà ce que cela rapportera finalement ». L'échange entre acheteur et vendeur est plus pratique, plus réaliste que le face-à-face entre un marchand de chaudières à condensation ou de pompes à chaleur et un particulier. Le marchand de pompes à chaleur ou de chaudières à condensation expliquera toujours des choses formidables au couple de retraités qui panique devant sa facture énergétique tandis que, dans une opération collective, le rapport de forces s'inverse. Des gens qui connaissent le sujet sont présents - des élus locaux, des gens qui ont déjà fait des travaux, un bailleur social qui s'y connaît un peu, etc. - et ils peuvent dire si le vendeur de solutions exagère ou s'il fait une offre raisonnable.
Je pense donc que l'analyse économique de la rénovation énergétique et l'action collective sont utiles. On ne fait pas une rénovation énergétique tous les mois. Quand on achète sa baguette tous les matins, on est capable de comparer les prix. De même, pour les voitures ou toutes autres sortes d'objets ou de services, le client maîtrise à peu près le prix du service ou de l'objet qu'il achète. Par contre, dans la rénovation énergétique qu'on fait une fois tous les 20 ans et peut-être une fois dans sa vie, on n'a pas d'expérience. Les opérations collectives permettent d'entraîner tout un quartier et de donner à ses habitants la chance d'être soutenus dans une démarche qui reste difficile.
Je suggère donc de mieux parler de l'information économique, de mieux appréhender le rapport coût-rendement et de tirer le maximum de profit d'actions collectives où l'initiative de chacun est soutenue par l'engagement de tous.
Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office. - Cela fait partie des choses qui manquaient, à mon avis. Lors de l'audition, les questions de coût ont quand même été beaucoup évoquées et je me souviens d'avoir entendu mentionner des sommes considérables dont nous disions qu'elles n'étaient absolument pas supportables. Ce n'est pas évoqué dans les recommandations.
Je trouve très bien que l'Office parle de recherche, de nouveaux matériaux, d'évaluation mais rien n'est dit sur la recherche de la diminution des coûts, sur le développement de matériaux nouveaux qui seraient moins chers que les matériaux actuels. Ce qui m'a gênée dans l'audition est que ce sont les mêmes qui proposent les matériaux, qui font les travaux et qui s'évaluent tout seuls. Ils vivent en vase clos et je me demande si ce n'est pas la raison pour laquelle les choses ne progressent pas plus.
Je pose une question sur un point que je ne connais pas : les appels à projets de l'Agence nationale de la recherche (ANR) concernent-ils la rénovation thermique ? Il faudrait que le sujet sorte du cercle des seules personnes qui vendent des fenêtres et des portes-fenêtres isolantes, installent des pompes à chaleur et fabriquent de la laine de verre. Ils essaient d'améliorer leurs techniques mais les conclusions montrent bien que très peu de recherches sont menées dans ce secteur. Ne faut-il pas que la recherche sorte du cercle restreint de ces personnes qui, finalement, n'ont pas vraiment envie d'innover ? D'ailleurs, s'ils innovent, il faudra qu'au sein même du CSTB, où ils se retrouvent, ils s'autoévaluent sur des nouveaux matériaux que les concurrents ne font pas. Cela me gêne beaucoup.
À la page 9, vous dites : « une mesure de performance après rénovation serait l'idéal, elle est difficile à mettre en place », mais je ne vois pas pourquoi elle serait difficile à mettre en place. On pourrait très bien prévoir un système imposant qu'un DPE soit réalisé avant et après les travaux, la mesure d'efficacité n'étant pas à la charge de la collectivité, du locataire ou du propriétaire qui rénove mais à la charge de l'entreprise qui intègre alors ce coût dans son prix.
J'ai une autre remarque à la page 11, à propos des « technologies innovantes, à l'instar des isolants minces, qui demeurent assez peu développées - je suis d'accord - et doivent faire preuve de leur efficacité ». Le problème est : qui mesure l'efficacité ? Oui, les technologies innovantes doivent faire preuve de leur efficacité, mais ce sont ceux qui proposent des technologies pas innovantes qui disent si c'est efficace ou pas. C'est ce qui me gêne. J'aimerais que nous formulions différemment le point sur la preuve de l'efficacité.
En tout cas, la rénovation énergétique ne pourra se faire qu'à partir du moment où elle sera abordable. Sinon, nous faisons des voeux pieux et on en reste au même point que pour les débris dans l'espace.
M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office, rapporteur . - Deux exemples me viennent à l'esprit dans le monde rural que je représente en partie. Il y avait autrefois des médecins propharmaciens, c'est-à-dire des médecins qui prescrivaient des médicaments et les vendaient. On a mis fin à ce système, un peu « limite » je l'admets, en raison de la multiplication des pharmacies, y compris en milieu rural, et de la généralisation de l'usage de la voiture, ce qui fait que les gens ne sont plus tributaires de leur médecin.
Un autre exemple est une décision, d'ailleurs un peu plus discutable que la précédente, qui a interdit aux coopératives et aux entreprises privées qui vendent des intrants pour l'agriculture d'avoir des salariés conseil, en partant du principe que l'on ne pouvait être à la fois conseiller de l'agriculteur et vendeur. Pour les voitures, on n'imagine pas que le contrôle technique soit assuré par le garagiste qui entretient votre véhicule. Ce serait plus simple mais ce serait dangereux pour l'honnêteté du contrôle. Pour la rénovation énergétique des bâtiments, c'est un peu le cas.
Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office. - Le projet de conclusions résume bien ce que nous avons entendu mais il y manque un peu notre esprit critique de l'Office, critique au sens où, tout simplement, nous pouvons faire état d'informations complémentaires comme dans les autres rapports et faire des propositions qui ne soient pas simplement le reflet de ce qui nous a été dit.
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office, rapporteur. - Il ne faut absolument pas avoir peur de l'esprit critique ni de la critique.
Je vous propose de reprendre la phrase qu'a évoquée Catherine Procaccia en supprimant la référence aux isolants minces et en reformulant ce qui concerne la preuve de l'efficacité des techniques innovantes. Pour celles-ci, je pense que nous ne pouvons pas savoir. Il existe énormément de technologies, souvent portées par des start-up , qui sont très prometteuses mais qui ont du mal à se positionner sur le marché, voire ne sont pas encore mises en application sur un plan industriel parce que, comme nous l'avons vu lors de l'audition et comme Catherine Procaccia l'a rappelé, certains acteurs ont une autorité scientifique et technologique qui rend très difficile l'évaluation de la déperdition d'énergie et, plus généralement, de l'efficacité de la rénovation énergétique.
Plus largement, il serait très opportun que l'Office travaille sur les technologies innovantes de la rénovation énergétique et plus généralement de la construction, peut-être sous la forme d'une note scientifique. Je peux vous assurer qu'après l'audition du 6 octobre dernier, un certain nombre d'acteurs se sont manifestés pour alerter sur le fait qu'on n'arrivera absolument pas à atteindre les objectifs de 2050 au regard de ce que présentent les organismes ayant pignon sur rue. Ils ont aussi indiqué qu'ils avaient souvent des difficultés à faire reconnaître sous forme normative ou réglementaire des technologies innovantes qui sont parfois validées par le CSTB. Il faudrait regarder plus en détail le sujet.
M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office, rapporteur. - Le fond du problème est que tous ces organismes professionnels sont financés par les entreprises, par un pourcentage de leur chiffre d'affaires. Les plus gros ont donc une voix plus forte et les plus petits ont une voix plus faible.
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office, rapporteur. - Tout ceci invite à ce que nous nous penchions sur le sujet en 2023.
Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office. - Nous pourrions intégrer plus clairement ces considérations dans le projet de conclusions.
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - Ceci pourrait se faire à la suite de la mention des « autres technologies qui demeurent assez peu développées ». Notre message doit être que, dès lors que l'efficacité d'une technique est établie, celle-ci doit pouvoir accéder au marché sans entrave.
Mme Christine Arrighi, députée. - Il me semble qu'il faudrait approfondir l'analyse du dispositif MaPrimeRénov'. Un rapport très récent du Défenseur des droits dénonce le fait que l'accès à MaPrimeRénov' est très compliqué et que beaucoup n'y recourent donc pas. Ceci concerne surtout les personnes les plus précaires, comme pour le RSA, et ce sont également ceux qui vivent dans les logements les plus précaires.
Mon deuxième point concerne les montants dont dispose l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) pour le financement de MaPrimeRénov'. Les bailleurs sociaux réclament eux aussi le bénéfice de MaPrimeRénov'. Les propriétaires les plus précaires n'y accèdent pas nécessairement et le reste à charge est trop élevé. Comme il n'est pas prévu suffisamment d'argent, nous avions proposé un amendement qui a été adopté mais qui n'a pas été retenu par le Gouvernement. J'espère donc beaucoup du Sénat ...
Ma troisième remarque porte sur les rénovations globales. On sait très bien que ce n'est pas par de petites touches que nous parviendrons à lancer un plan massif de rénovation. Il faut donc agir sur les opérations de rénovation globale, tout particulièrement auprès des bailleurs sociaux qui réclament de bénéficier de MaPrimeRénov'. Ce dispositif mériterait d'être amélioré en ce sens. Tous les logements construits dans la précipitation dans les années 1960, qui n'obéissent à aucune exigence environnementale, devraient être profondément revus, voire démolis pour certains. Il faut pour cela des moyens financiers et cette dimension manque dans les conclusions.
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office, rapporteur. - Il faut dire que, lors de l'audition publique, les acteurs qui pouvaient nous informer sur ces points n'étaient pas tous présents. Encore une fois, je pense qu'il faut continuer à pousser la réflexion sur ce sujet, notamment pour ne pas laisser à l'écart le public précaire. Cet aspect est quand même présent dans les propositions, même si je conviens qu'il manque de quoi être plus précis sur les recommandations à venir. C'est pourquoi je propose que l'Office se penche sur le volet recherche et innovation puisque c'est ce qui le concerne le plus directement.
Nous pourrons aussi chercher à avoir plus d'informations sur la politique de l'ANR dans ce domaine, notamment sur les biomatériaux, sur l'innovation dans les matériaux, sur l'innovation dans la rénovation énergétique et plus globalement dans la construction. Je ne sais d'ailleurs pas quel est le lien entre l'ANR et le CSTB. Font-ils des appels à projets ? Tout cela mérite que nous nous penchions sur la question.
Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office. - Les auditions habituelles de l'Office incluent-elles l'ANR ?
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office, rapporteur. - Non, aucune audition n'est prévue de façon systématique mais nous pouvons tout à fait organiser une audition ponctuelle ou échanger avec eux hors réunion plénière. J'ai eu l'occasion de m'entretenir avec le président de l'ANR voici deux mois. Celui-ci pourra bien sûr venir nous parler du sujet qui nous occupe aujourd'hui si nous le lui demandons.
Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office. - Il faut savoir comment l'ANR choisit les projets et comment elle détermine les priorités, car ceci reste un peu obscur. Le taux de réussite des appels d'offres est passé de 13 % à 20 % des projets présentés. Pour évoquer un sujet sur lequel je travaille pour l'Office, je demandais depuis dix ans qu'il y ait des projets de recherche sur la chlordécone et la directrice de la recherche pour la chlordécone m'a indiqué qu'il existe enfin un plan chlordécone à l'ANR.
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office, rapporteur. - D'où l'importance que l'Office insiste sur ce type de fléchage. Encore une fois, je pense que le fait d'approfondir ce sujet par un échange avec l'ANR permettra aux membres de l'Office de comprendre ce qu'il en est de la politique de recherche, à la fois sur les matériaux, la rénovation énergétique et la construction.
M. Jean-Luc Fugit, député, vice-président de l'Office. - Je veux d'abord formuler le regret de n'avoir pas pu être présent à l'audition du 6 octobre car je présentais devant la commission des finances de l'Assemblée des amendements sur les crédits budgétaires dont je suis rapporteur. Je le regrette vraiment parce que c'est un sujet qui me tient à coeur et sur lequel j'ai travaillé sous la législature précédente avec notre collègue Loïc Prudhomme.
Je voudrais aborder les problématiques de la qualité de l'air intérieur et de la ventilation. Vous savez que je suis un peu spécialiste de ces sujets. Le souci en rénovation est que, lorsqu'on isole un bâtiment, on risque de détériorer la qualité de son air intérieur. Que signifie la qualité de l'air intérieur ? Ceci recouvre le renouvellement de l'air - je rappelle les débats relatifs aux capteurs de CO 2 - mais aussi les émissions de particules et la nature des usages à l'intérieur. La crise de la Covid-19 en a bien montré l'importance.
Le renouvellement de l'air est fondamental dans un bâtiment ou dans un logement mais aussi dans un habitacle de véhicule ou dans le métro. Dans les modes de vie occidentaux, la population passe 80 à 90 % de son temps dans un milieu clos et la qualité de l'air intérieur est donc fondamentale.
Je continue à suivre ce sujet de très près et il a fallu attendre début 2021 pour que soit créée l'Association française de ventilation, qui réunit toutes les professions concernées. En toute transparence, je suis l'un des deux parlementaires parrains de cette association et, en même temps, je dis très clairement que je n'ai aucun lien d'intérêt avec une quelconque entreprise intéressée. Je suis un universitaire en position de détachement pour le temps de mon mandat politique.
Par-delà ma situation personnelle, la qualité de l'air intérieur est un sujet important. Je prends l'exemple des écoles. 75 % des salles de classe n'ont actuellement pas de ventilation mécanique contrôlée. Je ne parle pas de double flux : elles n'ont même pas de ventilation simple flux. Les maires disent que 60 % de ces salles de classe seront rénovées dans les cinq ans qui viennent, ce qui signifie faire une rénovation thermique. Il faut en profiter pour s'intéresser à la qualité de l'air intérieur, et ce faisant, on améliore le renouvellement de cet air.
Des études scientifiques ont permis d'objectiver le fait qu'une mauvaise qualité d'air intérieur provoque une baisse significative de la concentration psychique, que ce soit l'effet des polluants ou celui du CO 2 , qui n'est pas un polluant au sens où il n'a pas d'impact sur la santé, même s'il a un effet climatique. D'ailleurs, lorsqu'on est enfermé pendant un moment, on dit : « je vais aller prendre l'air ». La concentration en CO 2 à l'extérieur est 400 ppm et la qualité de l'air intérieur commence à être sérieusement dégradée lorsqu'elle dépasse 1 000 ppm. Il a été prouvé que la qualité de l'air a autant d'influence sur les résultats scolaires que la catégorie socioprofessionnelle des parents. Pourtant, malgré l'importance de la qualité de l'air intérieur, on n'a pas souvent le réflexe de s'y intéresser quand on prépare un projet de rénovation.
Plusieurs entreprises m'ont expliqué qu'on peut réduire sensiblement la consommation énergétique d'un bâtiment avec un système de ventilation performant. On peut diminuer de 25 % la quantité d'énergie consommée pour chauffer un bâtiment et on arrive même à déstratifier l'air. En effet, l'air immobile se stratifie et, d'après la loi de Mariotte, les couches les plus élevées sont les plus chaudes ; les systèmes de ventilation peuvent donc déstratifier l'air intérieur, l'homogénéiser, ce qui permet de faire des économies de chauffage. On fait donc de la sobriété énergétique. De plus, le renouvellement permet de réduire la transmission des virus.
Je dis tout ceci parce que j'ai des regrets par rapport au passage du projet de conclusions qui dit que la recherche sur la rénovation, l'isolation, la qualité de l'air et le bâti doit être poursuivie et amplifiée. Je ne dis pas qu'il ne faut pas continuer la recherche en matière de qualité d'air, mais on sait déjà beaucoup de choses. Par contre, j'ai réussi à faire inscrire dans la loi climat-résilience la notion de rénovation performante en y incluant la question de la ventilation. J'ai été suivi, le Gouvernement ne s'est pas braqué et on a réussi à donner force de loi à cette notion. J'ai essayé d'aller encore un peu plus loin, mais j'ai senti que c'est un sujet sur lequel on a du mal à travailler.
Je voulais donc simplement attirer votre attention sur le fait qu'il est de la responsabilité de l'Office de continuer à s'intéresser à la qualité de l'air intérieur, dans l'esprit de ses travaux sur le covid. Les considérations scientifiques, technologiques et sanitaires sous-jacentes sont extrêmement importantes, y compris sur les plan scolaire et social.
J'ai déposé en toute fin de législature une proposition de loi, travaillée avec les ministères, qui vise à réduire l'exposition de la population à la pollution de l'air de manière générale, et pas seulement aux émissions de polluants. L'une de ses dispositions consiste à expérimenter un diagnostic de performance de la qualité de l'air intérieur (DPQAI), ciblé dans un premier temps sur le renouvellement de l'air puis éventuellement dans un second temps sur d'autres polluants. L'idée serait d'ouvrir aux collectivités qui le souhaitent la possibilité de l'expérimenter sur des bâtiments publics. Évidemment, le dispositif pourrait être ensuite élargi, un peu comme le DPE. Je m'inquiète d'ailleurs comme vous que le DPE ne soit pas encore très au point. Il faudra évidemment progresser.
Vous préconisez la création de véritables conseillers et je trouve cela très bien, mais ne pourrait-on pas imaginer qu'au-delà de la problématique énergétique, ces conseillers regardent aussi ce qu'est le « bien vivre » dans un logement, en intégrant la qualité de l'intérieur ? Le bien-être n'est pas seulement une question de chaud et de froid mais touche aussi à ce qu'on respire, aux problématiques acoustiques, etc. Je sais qu'il existe des conseillers en environnement intérieur mais je ne sais pas vraiment où on les trouve ni comment on les mobilise. Je crois en tout cas intéressant de se poser la question.
J'insiste sur ce sujet parce que les maladies liées au transport de virus, comme la Covid-19, sont aussi liées au renouvellement et à la qualité de l'air. On sait très bien que, si l'on purifiait l'air dans les salles communes des EHPAD par exemple, on réduirait fortement la transmission de virus comme la grippe ou le coronavirus. Ce serait une belle amélioration.
Je m'intéresse beaucoup à la santé respiratoire de nos concitoyens et je pense qu'être dans un logement ou dans un bâtiment bien isolé d'un point de vue thermique est extrêmement important mais qu'il est tout aussi important d'y respirer un air de qualité. Or cet enjeu est beaucoup moins bien perçu. C'est la raison pour laquelle j'essaie d'être clair. Je cherche à voir si nous ne pouvons pas avoir une approche liant énergie et qualité de l'air intérieur, de manière à ce que la qualité de l'air intérieur soit en quelque sorte « prise dans le wagon » de tout ce qui est amélioration des performances énergétiques des bâtiments. Tout le monde souhaite aujourd'hui aller de plus en plus loin sur ce sujet et je voudrais profiter de ce vecteur pour que les problématiques de qualité de l'air intérieur soient également prises en compte.
Je m'excuse d'avoir été un petit peu long et j'espère ne pas avoir entraîné de baisse significative de concentration psychique, comme peut le faire le CO 2 . Si vous vous intéressez à ce sujet, vous verrez que c'est passionnant.
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office, rapporteur. - Sur la prise en compte de l'amélioration de la qualité de l'air dans la rénovation énergétique des bâtiments, il faut faire le lien avec la maîtrise d'oeuvre et avec les architectes. Ceci peut faire l'objet d'un échange ou d'une audition des différents acteurs. L'Office pourrait ainsi être une sorte de lanceur d'alerte, même si l'alerte est déjà bien comprise et bien intégrée dans les différentes instances concernées, notamment le Conseil national de l'air. Je pense que l'Office peut être un bon vecteur pour asseoir l'ensemble des acteurs autour de la table et essayer d'avancer sur la prise en compte de ce sujet.
M. Jean-Luc Fugit, député, vice-président de l'Office, rapporteur. - Pendant la législature précédente, je siégeais au conseil d'administration du CSTB, qui abrite ce que l'on appelle l'Observatoire de la qualité de l'air intérieur, créé en 2001. On appelle ça un observatoire mais, pour moi, ce n'en est pas un. J'avais demandé un audit. Il a été réalisé, sans être très bien vécu, mais il ne s'est pas passé grand-chose ensuite.
Au vu du projet de conclusions et des échanges de ce matin, je me dis que nous sommes en début d'une nouvelle période de travail au sein de l'Office. La note que vous présentez ce matin redonne un cadre sur le sujet de la rénovation énergétique. Nos discussions soulèvent des points complémentaires sur lesquels il faudra peut-être aller un peu plus loin. Je trouve que c'est ainsi qu'il faut le vivre : un cadre général est posé qu'il faut reprendre en regardant de près quelques objets précis, tels ceux que vous avez évoqués tout à l'heure, notamment les rénovations globales ou les conditions de démarchage. Nous pouvons plus que jamais être force de proposition et peut-être force de stimulation vis-à-vis du Gouvernement. De plus, cette méthode permettrait aussi de partager plus et donc de mieux objectiver le sujet traité.
Il m'est arrivé d'avoir des doutes sur le CSTB lorsque j'y siégeais. On y trouve des gens de très haut niveau scientifique, la question n'est pas là, mais je pense qu'ils ne sont pas suffisamment challengés et peut-être, entre guillemets, « bousculés » d'un point de vue scientifique. Il peut arriver que cela ronronne un peu. Le CSTB pourrait être organisé différemment. Je l'ai ressenti en y siégeant. Je siégeais au conseil d'administration et j'ai assisté à deux ou trois réunions de recherche. Les participants étaient surpris que je vienne mais, comme ils m'avaient invité, je leur ai répondu : « Si vous m'invitez, vous prenez le risque que je vienne ». Du coup, j'avais un peu mis les pieds dans le plat et par la suite j'avais reçu un courrier de certains qui m'avaient dit que je dérangeais un peu. J'ai senti que j'étais allé peut-être un peu loin. Je me permets d'autant plus facilement d'évoquer ceci ce matin que je ne siège plus au CSTB.
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - Pour rebondir sur cette toute dernière remarque, je pense que l'Office pourrait avoir des liens avec ceux de nos collègues parlementaires qui siègent dans ce type d'instance. Ils pourraient venir présenter un panorama des travaux conduits sur les sujets qui nous intéressent. Cela permettrait de renforcer le lien entre l'Office et l'ensemble du Parlement.
Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office. - Il faudrait peut-être discuter avec les présidents de commission pour voir comment ils pourraient nommer dans les organismes à caractère scientifique un membre de leur commission qui soit aussi membre de l'Office.
Mme Christine Arrighi, députée. - Il me semble que les conclusions devraient recevoir quelques compléments : sur le fait qu'un sujet extrêmement important est évoqué dans l'introduction sans que l'audition ait permis d'en approfondir l'analyse ; sur le fait que certains points spécifiques seront explorés ultérieurement par l'Office. Nous pourrions ainsi indiquer clairement que ce travail n'est pas terminé.
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office, rapporteur. - Les conclusions s'efforcent effectivement de laisser la porte ouverte à de futurs travaux sur le sujet. Je vous invite donc à proposer des initiatives en ce sens. En définitive, nous présentons l'ouverture d'un chantier, pour reprendre un terme de la construction, que l'on porte à la connaissance de l'Office. Il faut que, dans la continuité des travaux de l'Office depuis 2009 et dont j'ai présenté rapidement l'historique en introduction, nous nous saisissions plus précisément de certains des sujets évoqués, en étant centrés sur l'évaluation scientifique et technologique pour bien rester dans notre domaine de compétences.
Avec l'engagement de traduire dans leur texte la teneur de nos débats et des compléments sur lesquels nous nous sommes accordés, je vous propose d'adopter les conclusions de l'audition publique sur la rénovation énergétique des bâtiments.
Je ne vois pas d'avis contraire et, comme le disait Jean-Luc Fugit tout à l'heure, nous allons lever la séance et prendre l'air.
L'Office adopte les conclusions de l'audition publique du 6 octobre 2022 et autorise la publication, sous forme de rapport, du compte rendu de l'audition et de ces conclusions.