D. LA PROCÉDURE D'INDEMNISATION A CONNU DES RETARDS PARTICULIÈREMENT IMPORTANTS DEPUIS LA CRÉATION DU DISPOSITIF

L'article L. 1142-24-12 du code de la santé publique dispose que : « L'avis du collège d'experts est émis dans un délai de six mois à compter de la saisine de l'office . » Dans la pratique, ce délai est très loin d'être respecté .

Le délai moyen de la procédure est en effet de 32 mois en cas d'acceptation, et de 34 mois en cas de rejet . Ces délais ont nettement augmenté depuis la mise en place du dispositif d'indemnisation pour les victimes de la Dépakine.

Évolution des délais de la procédure d'indemnisation,
depuis le dépôt de la demande
jusqu'au rendu de l'avis par le collège d'experts

Date de l'avis rendu par le collège d'expert

Délai de la procédure

2018

14,6 mois

2019

16,3 mois

2020

16,7 mois

2021

32 mois

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

La progression du délai de la procédure s'explique par son caractère cumulatif : l'ONIAM n'était pas parvenu à absorber l'ensemble des dossiers qui lui parviennent, et cela plusieurs années de suite, ce qui en conséquence fait que les dossiers qui reçoivent un avis d'indemnisation font encore partie du stock de dossiers déposés les premières années du dispositif.

Avec la diminution du nombre de dossiers déposés depuis 2019, et l'augmentation du rythme d'examen des dossiers la réforme du collège d'experts, il est probable que la durée de la procédure ait atteint un plafond , et qu'elle diminue les années suivantes. Par ailleurs, l'ONIAM a indiqué que la majorité des dossiers aux préjudices les plus importants ont été traités, et que par conséquent les dossiers restants devraient pouvoir être traités plus rapidement.

Il n'en reste pas moins qu'il est peu probable que la durée de traitement des dossiers atteigne le délai réglementaire de 6 mois à court et moyen termes .

De tels délais ne sont bien entendu pas acceptables pour les victimes. Ils viennent remettre en cause l'un des intérêts du dispositif amiable, qui est de proposer une procédure plus rapide que la justice . Les délais présentés sont en effet comparables à la durée de traitement d'une requête par le juge administratif et le juge judiciaire. Il faut également relever que le dépassement du délai réglementaire de traitement des dossiers ne concerne pas que le dispositif « Dépakine » au sein de l'ONIAM, mais également le collège d'experts « Benfluorex » et les Commission de conciliation et d'indemnisation (CCI) 25 ( * ) .

Les causes principales de ce retard sont les défaillances de l'organisation initiale du dispositif, et la sous-estimation de la complexité à la fois médicale et juridique des dossiers Dépakine.

1. L'organisation initiale du dispositif était une cause de retards

L'organisation initiale du dispositif en deux instances, le collège d'experts et le comité d'indemnisation, était à l'origine de lourdeurs procédurales . Cette organisation était incontestablement un facteur de retards . À ce titre, les personnes interrogées par le rapporteur spécial saluent unanimement la fusion opérée en 2019 des deux comités en un collège unique.

La réforme du régime de présomption en 2019 a également permis de simplifier le dispositif : il n'est désormais plus nécessaire de rechercher le lien de causalité entre la prise de valproate de sodium durant la grossesse et la présence de certains préjudices (malformations et troubles du développement).

Les apports de la réforme ont toutefois été contrebalancées par la nécessité de mettre en place un nouveau collège d'experts ce qui, conjuguée à la crise de la Covid-19, a eu pour conséquence que le collège n'a pu reprendre ses travaux d'instruction qu'à partir du 1 er octobre 2020 . Cette « pause » dans la tenue des séances du collège d'experts a contribué à l'accumulation du stock de dossiers, et explique la forte augmentation du délai de procédure entre 2020 et 2021 .

Il est difficile de faire une estimation précise d'à quel point la réforme de 2019 a permis d'accélérer la procédure, dans la mesure où l'ONIAM continue d'écouler le stock de dossiers accumulés durant les premières années du dispositif. Le rythme de réunion du collège d'experts est effectivement plus rapide depuis la réforme : en 2018, le collège d'experts s'était réuni 54 fois (48 fois pour le comité d'indemnisation), tandis qu'en 2021, le collège d'experts s'est réuni 132 fois .

Les années qui ont été « perdues » avec un dispositif qui n'était pas efficace étaient malheureusement déterminantes pour les dossiers avec les pathologies les plus lourdes . La mise en place du dispositif d'indemnisation en 2016 était déjà tardive au regard de la médiatisation de l'affaire de la Dépakine (2011). Les familles avaient besoin d'une indemnisation la plus rapide possible, et elles n'allaient pas attendre une éventuelle réforme du dispositif plusieurs années après.

Il est donc probable que, malgré toutes les améliorations qui pourraient être apportées au dispositif aujourd'hui, qu'une partie du
non-recours parmi les victimes qui connaissent les préjudices les plus importants ne soit pas rattrapable.

2. La complexité médicale et juridique des dossiers Dépakine aurait pu être mieux anticipée

La complexité des dossiers ne représente pas seulement une difficulté pour les familles, mais est également une cause des retards dans la procédure d'indemnisation . Les dossiers « Dépakine » comportent en effet de nombreux enjeux sur le plan médical :

- les dommages possibles de l'exposition in utero au valproate de sodium sont nombreux et très variables quant à leur intensité . Or chaque préjudice nécessite l'examen des pièces médicales correspondantes et mobilise une expertise propre ;

- les troubles du neurodéveloppement, qui font partie des effets majeurs de l'exposition au valproate de sodium, sont difficiles à évaluer , en sachant que les troubles du développement ne se traduisent pas nécessairement par du retard mental. En particulier, le diagnostic d'autisme met du temps long pour être posé, et l'autisme peut s'exprimer sous des formes diverses ;

- l'état de santé des enfants est susceptible d'évoluer durant la procédure , de manière spontanée et en raison des traitements et du suivi dont ils bénéficient ;

- la prise de valproate de sodium durant la grossesse remonte parfois à plusieurs décennies avant que la procédure d'indemnisation soit engagée. Les pièces médicales sont d'autant plus difficiles à retrouver et à interpréter ;

- il n'existe pas de test biologique qui permette d'imputer avec certitude les lésions ou atteintes provoquées par l'exposition au valproate de sodium durant la grossesse ;

- les connaissances sur l'effet de l'exposition in utero au valproate de sodium sont évolutives.

De même, au niveau juridique, les dossiers Dépakine sont complexes :

- les régimes de responsabilité médicale applicables sont distincts selon la date de la prise de valproate de sodium ;

- la recherche de responsabilité est complexe , dans la mesure où une décision de justice définitive sur le sujet n'a pas encore été rendue, et où les personnes responsables diffèrent selon la date de la prise de valproate de sodium et le contexte dans lequel le médicament a été prescrit ;

- l'une des difficultés avec la Dépakine est que, dans certains cas, ce médicament ne peut pas être arrêté , au risque de mettre en danger la vie de la mère, en sachant que des substituts n'existent pas toujours.

Il est bien entendu difficile de prévoir à l'avance le temps moyen de l'examen d'un dossier qui porte sur une question aussi complexe que l'exposition au valproate de sodium durant la grossesse.

Il était cependant possible d'anticiper davantage ce problème en amont de la mise en place du dispositif d'indemnisation. Aucune des difficultés mentionnées n'était réellement imprévisible :

- il était déjà bien établi au moment de la mise en place du dispositif d'indemnisation que les effets de l'exposition in utero au valproate de sodium sont très nombreux, et que ces effets comportent des troubles neurodéveloppementaux, qui sont connus pour être particulièrement difficiles à évaluer ;

- il était également prévisible qu'obtenir certaines pièces médicales pour les femmes dont la grossesse s'est déroulée il y a longtemps serait difficile ;

- enfin, les questions juridiques relatives à la recherche des responsabilités dans les dossiers Dépakine étaient également documentées.

Il n'était certes pas possible de résoudre l'ensemble de ces difficultés en amont, mais il était nécessaire a minima de les prendre davantage en compte dans les prévisions et la mise en place du dispositif d'indemnisation pour les victimes de la Dépakine .

Ces retards sont d'autant plus incompréhensibles que le nombre de dossiers déposés à l'ONIAM était très inférieur aux prévisions initiales . Le chiffre de 10 290 dossiers potentiels avait été retenu, qui devaient être déposés sur une durée de six ans, ce qui revient à 1 715 dossiers par an. Ce nombre est supérieur au double des dossiers qui ont été déposés à l'ONIAM jusqu'à aujourd'hui .

Il apparaît que la rapidité de traitement des dossiers dans les prévisions initiales était fortement surévaluée, et que le délai prévu
à l'article L. 1142-24-12 du code de la santé n'avait ainsi aucune chance d'être respecté
.

Cette situation est particulièrement dommageable au regard de la crédibilité du dispositif d'indemnisation. La promesse d'un traitement des dossiers en six mois pouvait être attirante pour les familles, en comparaison de la voie contentieuse, mais le doute sur la sincérité de ce délai a pu au contraire détourner les victimes de la procédure amiable.


* 25 Consolider l'indemnisation publique dans le champ de la santé : enjeux et modalités du rapprochement entre le FIVA et l'ONIAM, IGF et IGAS, février 2021, pages 25 et 27.

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