DEUXIÈME PARTIE
PRÉVENIR LA DÉLINQUANCE
EN AGISSANT
CONTRE LE DÉCROCHAGE SCOLAIRE
S'il n'existe pas de chiffres consolidés, il ressort des propos des personnes auditionnées, ainsi que de plusieurs études sur des groupes restreints de mineurs délinquants, une corrélation entre échec scolaire et délinquance des mineurs. Pour Catherine Blatier, professeur de psychologie à l'université de Grenoble-Alpes, « il existe un lien évident entre décrochage scolaire et délinquance » , indiquant que le risque de délinquance est multiplié par huit en cas d'absentéisme scolaire. Les travaux de 2016 44 ( * ) menés auprès de 500 jeunes suivis par la protection judiciaire de la jeunesse à Marseille - l'une des études récentes les plus exhaustives sur le sujet - mettent d'ailleurs en exergue cette relation entre délinquance et rupture avec l'institution scolaire. 82,5 % de ces jeunes ont posé des problèmes durant leur scolarité, que ce soit des problèmes dans la compréhension, l'apprentissage, l'assiduité ou le comportement en classe. Pour les auteurs de cette étude, « il apparaît évident que la déscolarisation favorise l'oisiveté des jeunes et peut engendrer de fait un passage au délit et/ou un maintien dans la délinquance » .
Le lien entre délinquance et décrochage
scolaire
à travers l'exemple de mineurs délinquants à
Marseille
L'étude menée sur près de 500 jeunes suivis par la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) à Marseille en 2014 permet de constater ce lien entre délinquance et décrochage scolaire.
« Les jeunes de notre échantillon sont nombreux à avoir connu une scolarité difficile. En effet, 65 % d'entre eux ont déjà redoublé une fois au cours de leurs cursus scolaires. Parmi ceux ayant redoublé, 80,7 % ont redoublé durant l'école primaire : 61 % la classe de cours préparatoire et 20 % le CM1 ou le CM2. Cette forte proportion de redoublants est à rapprocher avec les 80 % de jeunes de notre échantillon qui ont des lacunes scolaires (par lacunes nous entendons des problèmes d'apprentissage, de compréhension, d'expression et de réflexion). »
« Près de 76 % de ces jeunes ont de fait un mauvais rapport à l'école, c'est-à-dire qu'ils ne s'y sentent pas à leur place, cherchent à y aller le moins possible, posent des problèmes d'attention et/ou de comportement ».
« 72 % des jeunes suivis par la PJJ en 2014 à Marseille sont ou ont été déscolarisés. La plupart du temps, ils le sont pour des durées relativement longues, puisque l'on retrouve 64 % des jeunes déscolarisés qui l'ont été entre une et trois années scolaires et 18 % entre trois et quatre années ».
Les travaux de Sébastian Roché, directeur de recherche au CNRS - auditionné par les rapporteurs - établissent également un lien entre la commission de différents délits et l'absentéisme scolaire.
Liens entre différents délits et absentéisme scolaire
Source : Extrait des résultats recueillis dans
le cadre du projet UPYC en 2015,
présentés par
Sébastian Roché aux rapporteurs.
En 2002, la commission d'enquête sur la délinquance des mineurs indiquait : « Précurseur ou générateur de délinquance, il est impossible d'affirmer que l'échec scolaire, pas plus que les difficultés familiales, fabrique à lui seul la délinquance. Pour autant, plusieurs indicateurs mettent en évidence le rôle qu'il joue dans le basculement. En effet, si tous les jeunes en échec scolaire ne sont pas des délinquants, une immense majorité de ces derniers n'a pas réussi à l'école » .
Vingt ans plus tard, le constat reste le même. La lutte contre le décrochage scolaire est ainsi un axe majeur de la prévention de la délinquance des mineurs .
I. UNE MOBILISATION INSTITUTIONNELLE FORTE DEPUIS 2002
Depuis 2002, date du rapport de la commission d'enquête sénatoriale sur la délinquance des mineurs, qui avait souligné les insuffisances de la lutte contre le décrochage scolaire, l'éducation nationale et les acteurs de l'insertion professionnelle se sont mobilisés pour renforcer la lutte contre ce phénomène. Celle-ci a connu une forte accélération à partir de la décennie 2010 face à la double impulsion du plan national « agir pour la jeunesse » en 2009 et de la stratégie Europe 2020, adoptée par le Conseil européen en juin 2010, dont l'un des objectifs visait la réduction du taux de décrochage scolaire à moins de 10 %.
Outre les mesures prises pour agir en amont de la rupture scolaire, afin d'accompagner les élèves les plus en difficulté dans l'acquisition des savoirs fondamentaux 45 ( * ) , l'État a souhaité, au-delà des alternances politiques, se donner les moyens de renforcer le suivi des élèves en situation de décrochage scolaire ou sortant du système scolaire sans qualification.
A. LA MISE EN PLACE D'UN SYSTÈME INTERMINISTÉRIEL DE SUIVI D'INFORMATION POUR LES DÉCROCHEURS SCOLAIRES
Diminuer la part des jeunes sortant du système scolaire sans qualification ou diplôme nécessite de les identifier afin de les accompagner . Pour cela, en 2011, un système interministériel d'échanges d'informations (SIEI) a été initié, afin de croiser des informations . Il doit permettre d'établir une liste de jeunes sortis prématurément du cycle de formation initiale et non inscrits dans un autre cursus.
Jusqu'en octobre 2020, deux campagnes de repérage et de transmission de la liste des décrocheurs par an (octobre et mars) étaient réalisées. Depuis cette date, dans un contexte marqué par la mise en place de l'obligation de formation pour les 16-18 ans ainsi que par la crise sanitaire faisant craindre un nombre important de décrochages à la suite de la fermeture des établissements scolaires pendant plusieurs semaines, le rythme des campagnes a été intensifié pour passer à quatre par an .
Malgré cela, ce fonctionnement par campagne pluri-mensuelle présente l'inconvénient d'être en décalage important par rapport à la situation du jeune au moment où il est effectivement contacté. Ainsi, pour l'académie de Créteil, sur les dernières campagnes de repérage, en moyenne, 40 % des jeunes présents sur les listes ont déjà trouvé une solution de poursuite de formation, 38 % sont injoignables car leurs coordonnées ne sont pas à jour, 13 % refusent le rendez-vous. Au final, seulement 8 % acceptent le rendez-vous . C'est la raison pour laquelle, depuis février 2022, une transmission mensuelle des listes de décrocheurs est prévue . Cette communication plus rapide répond à une demande récurrente des missions locales , chargées par la loi du suivi des jeunes décrocheurs âgés de 16 à 18 ans. Néanmoins, de nombreuses difficultés techniques entravent cette transmission plus régulière (cf. ci-après).
* 44 Source : Bibard D., Borrelli C., Mucchielli L., Raffin V. (2016), « La délinquance des mineurs à Marseille. 500 jeunes suivis par la Protection judiciaire de la jeunesse », Les Rapports de Recherche de l'ORDCS, n° 9, MMSH, Université Aix-Marseille.
* 45 Notamment dédoublement des classes de grande section au CE1 en REP et REP +, dispositif « devoirs faits », mise en place de programmes personnalisés de réussite éducative (106 133 bénéficiaires en élémentaire en 2020-2021, soit 2,5 % de l'ensemble des élèves de l'élémentaire et 31 585 collégiens bénéficiaires, soit 0,9 % des collégiens).