AVANT-PROPOS
Comme en 2017, il y a cinq ans, où un travail similaire avait été conduit par Annie Guillemot et Valérie Létard, notre commission des affaires économiques a voulu faire un point d'étape sur la politique de la ville et une évaluation de l'application de la loi du 21 février 2014, dite loi Lamy, qui est aujourd'hui son fondement.
Ce rapport, trois ans après le vote de la loi, alertait sur certains problèmes que soulevaient les premières années d'application. Cinq ans après, nous voulions voir s'ils avaient été résolus ou s'ils s'étaient amplifiés. De fait certains risques se sont concrétisés tandis que d'autres sujets comme l'augmentation de l'enveloppe du Nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU) et la relance de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) sont désormais derrière nous.
Le moment était par ailleurs favorable puisque le Gouvernement a lancé une Commission nationale pour réfléchir sur les prochains contrats de ville qui a rendu son rapport en avril 2022, et à laquelle deux d'entre nous, Viviane Artigalas et Valérie Létard, ont participé. Ces contrats, non renouvelés depuis 2014, devraient l'être enfin d'ici 2024, soit dix ans après. Par ailleurs, sous la plume d'Olivier Klein, nouveau ministre délégué chargé de la Ville et du Logement, et d'Hakim El Karoui, l'Institut Montaigne a publié, en juin 2022, le second tome de son travail novateur et stimulant sur les quartiers pauvres. Enfin, bien qu'il soit plus ancien, nous souhaitions nous saisir de l'audit approfondi effectué au plan national et local par la Cour des comptes dans son rapport public thématique sur l'attractivité des quartiers paru en décembre 2020. Constat méthodique et sévère, il constitue une interpellation qui ne peut nous laisser indifférentes.
Si ces trois travaux nous ont été particulièrement utiles, c'est également fortes de notre expérience d'élues de terrain ayant eu à mettre en oeuvre la politique de la ville dans nos différentes responsabilités nationales et locales depuis plus de 20 ans que nous avons abordé le sujet.
Car notre objectif n'est pas d'écrire un énième rapport mais d'apporter une contribution riche de nos différentes sensibilités politiques et de notre expérience de terrain. Notre réflexion s'inscrit dans la durée et dans la continuité des réflexions de la Commission des affaires économiques et du Sénat. Nous avons aussi la volonté, en exerçant nos compétences constitutionnelles d'évaluation de la loi et de l'action du Gouvernement, de proposer une vision et des évolutions attendues par les acteurs. Nous les plaçons dans la perspective d'un projet de loi de programmation qui viendrait actualiser la loi Lamy et définir les moyens de la politique de la ville, ce que nous estimons indispensable à l'issue de ce travail.
Cette contribution n'est pas exhaustive. Nous nous sommes focalisées sur certains aspects. La politique de la ville est interministérielle et globale. Plusieurs points importants ne relèvent pas de la compétence de la commission des affaires économiques comme l'immigration, l'intégration, la sécurité, la laïcité, l'éducation, la santé ou l'emploi. Ces sujets sont parfois traités par des programmes spécifiques relevant du ministère de la Ville, mais le plus souvent par le « droit commun » des ministères compétents.
Pour autant, nous ne les avons pas négligés tant plusieurs d'entre eux apparaissent comme des préalables pour que la politique de la ville produise tous ses effets. Les habitants des quartiers sont les premières victimes du manque de sécurité, de propreté ou d'une éducation défaillante. Ne nous laissons pas prendre au piège de l'idée d'une ghettoïsation volontaire qui viendrait excuser les lacunes persistantes des services publics les plus essentiels.
De plus, même s'ils dépassent le champ de notre propos, nous n'esquivons pas non plus les réalités difficiles de ces quartiers que nous connaissons bien, ainsi que les débats récurrents autour de l'insécurité et de la légalisation du cannabis, de la participation des habitants et de l'accès et de l'exercice de la citoyenneté, ou encore du progrès du communautarisme ethnique et religieux et des difficultés d'intégration.
Mais les difficultés bien réelles ne doivent pas, ne doivent plus nourrir le procès de la politique de la ville et masquer des réussites tout aussi effectives. Car, comme l'on écrit les maires de France avant l'élection présidentielle : « Il se joue dans ces territoires une partie de l'avenir de la France, en particulier de sa jeunesse. Ces territoires s'ils cumulent des difficultés, sont aussi des ressources de vitalité et d'initiatives ».
Ainsi, sans chausser des lunettes roses ou vertes comme au Pays d'Oz, sachons changer de regard, « regarder le film plutôt que la photo », voir les trajectoires de réussites pour les amplifier et non seulement « aider les gens à réussir mais aussi aider les gens à enraciner la réussite » selon les mots de Mohammed Haddou, fondateur des My Creo Academy et des Entrepreneurs affranchis , qui, avec le soutien de Bpifrance et fort de sa propre expérience, a accompagné et « accéléré » la réussite de plus de 2 200 entrepreneurs en 15 ans.
Si la politique de la ville pouvait demain mieux qu'aujourd'hui porter cette ambition pour chacun, ne serait-elle pas à la hauteur de la « promesse républicaine » ?