II. SI 80 % DES PROPOSITIONS DU SÉNAT ONT TROUVÉ UNE TRADUCTION DANS LES MESURES ANNONCÉES PAR LE GOUVERNEMENT DEPUIS 2019, LES DEUX TIERS DE CES PROPOSITIONS SUPPOSENT ENCORE DES ACTIONS ET ÉVOLUTIONS IMPORTANTES POUR QUE LA RÉPONSE PUBLIQUE SOIT À LA HAUTEUR DES ENJEUX DE SÉCURITÉ
La commission estime que 8 des 10 propositions formulées en 2019 ont été suivies d'effet et ont fait l'objet de mesures annoncées par le Gouvernement . Ce taux de reprise satisfaisant en apparence masque pourtant une mise en oeuvre manifestement insuffisante .
Deux principaux leviers ont été mobilisés pour traduire les recommandations formulées en 2019 :
1) pour les ponts routiers de l'État , l'augmentation des moyens consacrés aux ouvrages du réseau routier national non concédé ( via les lois de finances pour 2021 et 2022 et le plan de relance) ;
2) pour les ponts routiers des collectivités territoriales , le déploiement du programme national ponts piloté par le Cerema.
A. PLUTÔT QU'UN « PLAN MARSHALL », DES MOYENS INSUFFISANTS, DISPERSÉS ET PEU LISIBLES
Proposition 1 : porter le montant des moyens affectés à l'entretien des ouvrages d'art de l'État à 120 millions d'euros par an dès 2020.
Appréciation quantitative : suite donnée
Appréciation qualitative : partiellement satisfaite / à renforcer
Observations de la commission : l'évolution est positive - 76,4 % des besoins de financement identifiés pour les ponts routiers de l'État ont été couverts à ce jour - mais l'effort doit être prolongé et renforcé pour enrayer la spirale de dégradation des ponts.
La commission constatait, en 2019, que les moyens déployés par l'État pour l'entretien de ses ponts étaient largement insuffisants . Avec 47 millions d'euros en moyenne par an sur la période 2011-2018 , ces montants ont représenté entre 0,15 et 0,2 % de la valeur à neuf des ouvrages, alors que l'OCDE recommande de consacrer annuellement 1,5 % de la valeur à neuf. D'après le rapport de 2019, le maintien d'une telle enveloppe conduirait à un doublement du nombre de ponts en mauvais état d'ici dix ans et à adopter des mesures de restriction de circulation inacceptables .
Les alertes du Sénat ont été entendues : depuis lors, les moyens consacrés à l'entretien des ouvrages de l'État ont été revus à la hausse ( cf. I.B.) avec, d'une part, une augmentation des crédits inscrits au Programme 203 « Infrastructures et services de transport » de la mission « Écologie, mobilités et développement durables », qui ont tendanciellement augmenté depuis 2019 , pour atteindre 95 millions d'euros en 2022 , et, d'autre part, le déploiement de 40 millions d'euros supplémentaires dans le cadre du plan de relance , sur la période 2021-2023.
Dès lors, la cible de 120 millions d'euros par an consacrés annuellement à l'entretien des ponts de l'État préconisée en 2019 devrait être atteinte en 2022 . Pour autant, la commission estime que ce seuil aurait dû être atteint dès 2020 , et devrait être maintenu à ce niveau pendant 10 ans . Or, il est à craindre que l'effort budgétaire porté par le plan de relance ne cesse en 2023. En définitive, si 76,4 % des besoins de financement identifiés pour les ponts routiers de l'État ont été couverts à ce jour, le retard accumulé par rapport à la recommandation du Sénat atteint déjà 89 millions d'euros , comme l'illustre le graphique ci-après.
Évolution des moyens consacrés aux ouvrages d'art du RRNNC
Source : Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable
La commission appelle à une amplification de l'effort et une stabilisation à un niveau suffisant pour enrayer la spirale de dégradation des ponts de l'État , faute de quoi la situation de ses ouvrages d'art continuera de se dégrader ( cf. I.B.). Il convient donc de rehausser encore davantage la trajectoire d'investissements prévus par la loi d'orientation des mobilités .
Proposition 2 : créer un fonds d'aide aux collectivités doté de 130 millions d'euros par an pendant dix ans, soit 1,3 milliard d'euros au total, en utilisant l'enveloppe dédiée à la mise en sécurité des tunnels qui prendra fin en 2021, afin de :
- réaliser un diagnostic de l'ensemble des ponts des communes et des intercommunalités d'ici cinq ans ;
- remettre en état les ponts des collectivités territoriales en mauvais état d'ici dix ans.
Appréciation quantitative : suite donnée
Appréciation qualitative : très partiellement satisfaite / à renforcer
Observations de la commission : malgré une évolution positive, grâce à la création du programme national ponts, les besoins sont loin d'être à la hauteur des enjeux. La commission estime que seuls 10,2 % des besoins identifiés en 2019 ont été déployés.
Un effort important a été porté à la réhabilitation des ponts routiers d'art de l'État. La situation est, en revanche, bien plus préoccupante pour les collectivités territoriales .
Estimant la situation des ponts routiers des collectivités territoriales particulièrement inquiétante , avec 8,5 % des ponts départementaux et potentiellement 18 à 20 % des ponts des petites communes en mauvais état, la mission d'information relative à la sécurité des ponts avait plaidé, dans son rapport de 2019, pour la création d'un fonds d'aide aux collectivités territoriales . La commission avait préconisé de doter ce fonds de 130 millions d'euros par an (soit 1,3 milliard d'euros par an) pour réaliser un diagnostic de l'ensemble des ponts des communes et des intercommunalités, procéder à des travaux de réparation des ponts des collectivités territoriales , dont :
o 30 millions d'euros par an pour dresser l'inventaire des 80 000 ponts gérés par les communes et les groupements (sur cinq ans) ;
o 100 millions d'euros par an pour réparer ou reconstruire des ponts des collectivités territoriales (sur dix ans).
Le Gouvernement a, partiellement du moins, donné suite à cette proposition dans le cadre du plan de relance , par la création du programme national ponts , doté de 40 millions d'euros sur trois ans (2021-2023) et piloté par le Cerema ( cf. I.B.). Malgré cette première étape de progrès, la commission constate que les efforts déployés depuis 2019 sont loin d'être à la hauteur des enjeux , pour quatre raisons principales .
En premier lieu , les montants consacrés par l'État aux ponts routiers des collectivités territoriale s sont très en deçà des besoins identifiés par la commission en 2019. Ainsi, les 40 millions d'euros déployés sur trois ans dans le cadre du programme national pont sont loin par rapport aux 130 millions d'euros annuels mis en avant en 2019. Le retard accumulé depuis 2020 s'élève déjà à 350 millions d'euros par rapport à la proposition 2 de la commission, comme l'illustre le graphique ci-après, si bien que le taux de mise en oeuvre de cette proposition n'atteint que 10,2 % .
Évolution des moyens consacrés par
l'État aux ouvrages d'art
des collectivités
territoriales
Source : Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable
Les collectivités territoriales ont elles aussi augmenté leurs dépenses pour l'entretien et la réhabilitation des ouvrages d'art ces dernières années . D'après la Direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités (DGITM) 47 ( * ) , et sur la base des données fournies par l'Observatoire national de la route, les dépenses de grosses réparations d'ouvrages d'art ont en effet augmenté de 19 % en 2020 par rapport à la période 2016-2019 et cette augmentation est particulièrement sensible dans les petits départements. En outre, « l'observatoire ne fournit par les données du bloc communal, mais les comptes de la nation confirment cette tendance sur l'ensemble des administrations publiques ». Malgré cette évolution positive, les collectivités ne sont pas en mesure d'affronter seules le défi de la réhabilitation de leurs ponts 48 ( * ) sans un soutien accru de l'État.
À cet égard, la commission déplore que le programme national ponts, qui devait initialement être doté de 60 millions d'euros, ait été amputé de 20 millions d'euros par le projet de loi de finances pour 2022. Si le projet annuel de performance (PAP) annexé au projet de loi de finances pour 2021 prévoyait 60 millions d'euros pour l'entretien des ouvrages d'art des collectivités territoriales 49 ( * ) , la version annexée au projet de loi de finances pour 2022 n'en prévoit plus que 40 millions d'euros, sans préciser les raisons de cette évolution 50 ( * ) .
Ainsi, et contrairement à ce qu'indique la Direction générale des collectivités locales (DGCL) interrogée sur ce point 51 ( * ) , il n'est pas possible d'affirmer que l'ensemble des autorisations d'engagement de l'enveloppe consacrée aux collectivités a été engagé durant l'exercice 2021 . La Direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités (DGITM) a quant à elle reconnu cette diminution et apporté davantage de précisions en indiquant au rapporteur qu' « après la publication du PAP 2021 du programme « Cohésion », une nouvelle répartition des 350 millions d'euros de la ligne « Développement et modernisation du réseau routier national et renforcement des ponts » [...] a été réalisée et a abouti à la diminution de 20 millions d'euros pour le financement des ouvrages d'art pour les collectivités . Cette nouvelle répartition a été réalisée pour l'adapter au nouveau besoin constaté sur le réseau routier national » 52 ( * ) . Si la commission salue le déploiement de crédits pour répondre à des besoins identifiés sur le réseau routier national, elle regrette fortement que ce déploiement de nouveaux moyens s'opère au détriment des collectivités territoriales .
En second lieu , et à la lumière des premiers résultats du programme national ponts, la situation des ponts routiers des collectivités est encore plus inquiétante que celle esquissée par la commission en 2019 . Ainsi, sur les 14 000 ouvrages du bloc communal ayant fait l'objet d'une visite de terrain dans le cadre de ce programme, il apparaît que :
- 23 % (environ 2 360 ouvrages) présentent des défauts significatifs ou majeurs qui pourraient nécessiter des investigations complémentaires ;
- 13 % (environ 1 280 ouvrages) présentent des problèmes de sécurité nécessitant une action immédiate .
En troisième lieu , le programme national ponts ne traite que partiellement la problématique des ouvrages d'art des collectivités territoriales. D'une part, le champ de ses bénéficiaires ne couvre pas l'ensemble du bloc communal , puisque seules les collectivités répondant aux critères de l'ex-Atesat peuvent y prétendre. Cette situation ne permet pas un recensement exhaustif des ponts des communes et intercommunalités . D'autre part, il consiste uniquement en un recensement et en une évaluation plus ou moins approfondie de l'état des ouvrages visités . Le programme national ponts n'apporte aucune aide financière à la réhabilitation des ponts en mauvais état ainsi recensés. À cet égard, le Cerema indique que pour les 5 000 premiers ouvrages du programme , environ 8 millions d'euros sont nécessaires annuellement pour réaliser des actions de surveillance et d'entretien permettant de les préserver et plus de 190 millions d'euros sont nécessaires pour réaliser des études et travaux nécessaires à leur remise en état . Sur cette base, la commission estime que 2,2 à 2,8 milliards d'euros seraient nécessaires pour financer les travaux de réparation des 23 % 53 ( * ) de ponts du bloc communal - soit 18 400 à 23 000 ponts - présentant des problèmes de sécurité ou des défauts significatifs 54 ( * ) . La commission préconisait dès 2019 d'y consacrer 100 millions d'euros par an.
En quatrième et dernier lieu , le sous-financement de ce programme ne lui permettra pas d'atteindre ses objectifs en matière d'évaluation de l'état des ponts. Ainsi, les 3 à 5 millions d'euros prévus pour la mise en oeuvre de la phase 2, d'analyse des ouvrages les plus sensibles, ne permettront, d'après le Cerema, de ne programmer une évaluation approfondie que de 300 à 500 ouvrages les plus sensibles , soit seulement 3 % des ouvrages les plus dégradés . Or, et comme le relève le Cerema : « ce chiffre est très éloigné du nombre d'ouvrages présentant des défauts significatifs ou majeurs que nous allons recenser . Il s'agira donc au travers de cette phase, d'évaluer un panel d'ouvrages à l'échelle nationale qui puisse servir de démonstrateur pour l'ensemble du programme » 55 ( * ) . La commission déplore que ce programme ne soit pas doté des moyens suffisants pour dépasser la première phase de recensement et évaluer l'état de l'ensemble des ponts présentant des défauts majeurs. Elle estime que plus de 90 millions d'euros 56 ( * ) seraient nécessaires pour procéder à l'évaluation approfondie de tous les ouvrages soulevant des difficultés majeures, sur le seul périmètre couvert par le programme (11 564 communes).
* 47 Réponse écrite de la DGITM au questionnaire de la mission d'information.
* 48 Pour rappel, la commission estime que 80 000 à 100 000 ponts sont gérés par les communes et les intercommunalités et que 100 à 120 000 ponts sont gérés par les départements.
* 49 Projet annuel de performance annexé au projet de loi de finances pour 2021, Mission « Plan de relance », programme 364 « Cohésion », page 45.
* 50 Projet annuel de performance annexé au projet de loi de finances pour 2022, Mission « Plan de relance », programme 364 « Cohésion », page 31.
* 51 Réponse écrite de la DGCL au questionnaire de la mission d'information.
* 52 Réponse écrite de la DGITM au questionnaire de la mission d'information.
* 53 En supposant que la proportion de ponts routiers présentant des problèmes de sécurité ou des défauts significatifs soit homogène sur l'ensemble du territoire national.
* 54 Ces hypothèses reposent respectivement sur un périmètre de 80 000 et de 100 000 ponts, avec un coût moyen de rénovation estimé à 120 000 euros.
* 55 Réponse écrite du Cerema au questionnaire de la mission d'information.
* 56 Cette estimation repose sur une hypothèse de coût d'une évaluation approfondie de 10 000 euros, et sur un périmètre de 9 200 ponts présentant des défauts majeurs (soit 23 % des 40 000 ponts couverts par le programme national ponts).