B. MALGRÉ UNE PRISE DE CONSCIENCE SALUTAIRE À LA SUITE DU RAPPORT DU SÉNAT, MATÉRIALISÉE PAR PLUSIEURS DÉCISIONS, L'ÉTAT DE NOS PONTS CONTINUE DE SE DÉGRADER ET LA SITUATION EST DE PLUS EN PLUS PRÉOCCUPANTE
1. Pour les ouvrages d'art de l'État, une augmentation du budget depuis 2020 qui doit toutefois s'inscrire dans la durée
Depuis la publication du rapport de la commission en 2019, les moyens consacrés annuellement par l'État à ses ponts du réseau routier national non concédé ont connu une augmentation de 79 % par rapport à la période 2011-2018. Sur cette période, l'État déployait annuellement 47 millions d'euros en moyenne, contre près de 84 millions d'euros par an sur la période 2019-2022.
D'une part, les montants inscrits au Programme 203 « Infrastructures et services de transport » de la mission « Écologie, mobilités et développement durables ») ont tendanciellement augmenté depuis 2019, pour atteindre 95 millions d'euros en 2022 , comme l'illustre le tableau ci-dessous.
ÉVOLUTION DES MOYENS CONSACRÉS AUX
OUVRAGES D'ARTS
DU RÉSEAU ROUTIER NATIONAL NON CONCÉDÉ
(en millions d'euros)
2011 |
2012 |
2013 |
2014 |
2015 |
2016 |
2017 |
2018 |
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
|
Entretien des ouvrages 24 ( * ) |
15,4 |
17,2 |
10,2 |
14,7 |
15, |
16,4 |
15,4 |
20,8 |
21 |
21 |
30 |
30 |
Programmes d'entretien spécialisé et de réparation des ouvrages 25 ( * ) |
17,5 |
24,4 |
24,9 |
26,5 |
31,8 |
35,3 |
43,5 |
44,5 |
43 |
48 |
44 |
65 |
Total |
32,9 |
41,6 |
35,1 |
41,2 |
47,2 |
51,7 |
58,9 |
65,3 |
64 |
69 |
74 |
95 |
Source : DGITM
Cette trajectoire croissante devrait a priori se poursuivre d'après le rapport du CGEDD précité 26 ( * ) : les documents de travail de la DGITM, qui déclinent les montants prévisionnels prévus dans la loi d'orientation des mobilités 27 ( * ) pour l'entretien du réseau routier national non concédé, en précisant les montants envisagés en faveur de l'entretien et de la maintenance des ouvrages d'art prévoient que ces montants devraient croître dans les prochaines années, pour atteindre 144,5 millions d'euros en 2027, comme l'illustre le tableau ci-dessous.
MONTANTS PRÉVISIONNELS DES CRÉDITS D'ENTRETIEN ET DE MAINTENANCE DES OUVRAGES D'ART DU RRNNC HORS DÉPENSES DE PERSONNEL ET RESSOURCE TOTALE PRÉVUE DANS LA LOM POUR L'ENTRETIEN ET DE MAINTENANCE DU RRNNC (CRÉDITS BUDGÉTAIRES ET AFITF)
Source : CGEDD, 2021.
D'autre part, le plan de relance prévoit pour le réseau routier national non concédé 40 millions d'euros supplémentaires , afin de financer sept opérations de réparations d'ouvrages d'art entre 2021 et 2023.
VENTILATION DES CRÉDITS DU PLAN DE RELANCE DÉDIÉS À LA RÉPARATION DE 7 OUVRAGES D'ART DU RRNNC
(en millions d'euros)
2021 |
2022 |
2023 |
8 |
25 |
7 |
Source : DGITM
Ces évolutions restent néanmoins à ce jour insuffisantes pour enrayer la spirale de dégradation des ponts de l'État ( cf . II-A).
À titre d'illustration, et malgré une légère augmentation, le pourcentage annuel de la valeur à neuf des ouvrages consacré à l'entretien des ouvrages d'art du réseau routier national non concédé reste bien inférieur aux valeurs de référence (1,5 % d'après l'Organisation de coopération et de développement économiques).
POURCENTAGE ANNUEL DE LA VALEUR À NEUF DU
PATRIMOINE DÉDIÉ
À L'ENTRETIEN DES OUVRAGES D'ART DU
RÉSEAU ROUTIER NATIONAL NON CONCÉDÉ
2011 |
2012 |
2013 |
2014 |
2015 |
2016 |
2017 |
2018 |
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
0,14 |
0,18 |
0,16 |
0,18 |
0,2 |
0,22 |
0,27 |
0,31 |
0,29 |
0,31 |
0,34 |
0,38 |
Source : audit externe du réseau routier national non concédé, avril 2018, actualisé en juin 2022.
2. Pour les collectivités territoriales, une première réponse positive via le « programme national ponts » piloté par le Cerema, qui apparaît toutefois nettement sous-financé et ne permettra pas de traiter les enjeux de sécurité qui se posent pour de nombreux ponts
Annoncé le 15 décembre 2020 par les ministres de la cohésion des territoires et des transports, le programme national ponts , porté par l'Agence nationale de cohésion des territoires et piloté par le Cerema, s'inscrit dans le dispositif « France Relance » et poursuit trois objectifs :
- disposer d'une vision nationale du patrimoine des petites collectivités ;
- doter les communes d'un carnet de santé des ouvrages qui seront recensés ;
- accompagner la transformation numérique de la gestion de patrimoine à travers le lancement d'un appel à projets sur les ponts connectés, visant à doter les collectivités de nouveaux outils numériques de surveillance et d'entretien.
Le programme se décompose en deux phases principales . La phase 1 est une phase de recensement et de visite de reconnaissance pour l'ensemble des communes bénéficiaires. À l'issue de cette phase, la commune dispose d'un recensement des ponts et murs de soutènement de son territoire et d'une première connaissance de leur sensibilité structurelle. Chaque commune reçoit un carnet de santé par ouvrage. La phase 2 consiste en une évaluation plus approfondie sur un panel d'ouvrages , parmi les plus sensibles à l'échelle nationale.
S'agissant des bénéficiaires , le programme s'adresse aux petites communes volontaires parmi les communes qui remplissaient les critères de l'ex-assistance technique de l'État pour des raisons de solidarité et d'aménagement du territoire (Atesat) 28 ( * ) . Au total, sur les 28 000 communes concernées, 11 540 communes métropolitaines se sont portées volontaires pour participer au programme, auxquelles s'ajoutent 24 communes ultramarines , pour un total estimé à environ 40 000 ouvrages d'art , soit 40 à 50 % du total des ouvrages d'art du bloc communal . 21 autres communes ultramarines pourraient également y prendre part, dans le cadre d'un programme complémentaire initié par la Direction générale des outre-mer (DGOM).
Communes bénéficiaires du programme national ponts en France métropolitaine
Source : Cerema
Au 1 er mars 2022, les commandes ont été passées pour les visites de recensement dans 8 252 communes et 40 % de ces communes ont bénéficié d'au moins une visite de recensement sur leur territoire. Au total, plus de 14 000 ouvrages ont fait l'objet d'une visite de terrain par les prestataires et les données de plus de 10 000 ouvrages ont été transmises au Cerema pour vérification 29 ( * ) .
Évolution du nombre d'ouvrages recensés 30 ( * ) par les prestataires 31 ( * )
Source : Cerema
Au total, 40 millions d'euros sont prévus pour financer ce programme, suivant le calendrier ci-dessous :
VENTILATION DES CRÉDITS DE PAIEMENT DU PROGRAMME NATIONAL PONTS
(en millions d'euros)
2021 |
2022 |
2023 |
8 |
21 |
14 |
Source : Cerema
Cette enveloppe de 40 millions d'euros se décompose de la manière suivante :
- 30 millions d'euros sont consacrés au financement de l'intervention de bureaux d'études , dont 24 à 27 millions d'euros pour la phase 1 de recensement et de reconnaissance et 3 à 6 millions d'euros pour la phase 2 d'analyse des ouvrages les plus sensibles ;
- 6 millions d'euros sont dédiés aux missions accomplies par le Cerema et au développement du système d'information dédié ;
- 4 millions d'euros sont prévus pour l' appel à projets « ponts connectés » . 17 lauréats ont été sélectionnés en avril 2021.
La définition et le déploiement de ce programme s'appuient sur d'importants moyens humains puisque 150 agents du Cerema y ont contribué en 2021, pour un total de plus de 4 000 jours de travail. Pour ce qui concerne l' ingénierie privée , 29 bureaux d'études sont intervenus en 2021, sur la phase 1 de recensement et de reconnaissance et 22 bureaux d'études vont intervenir pour réaliser les évaluations approfondies de la phase 2 .
Source : Cerema
Si la création du programme national ponts constitue une première évolution positive, la commission estime que les moyens déployés sont bien en deçà des besoins identifiés en 2019 à 130 millions d'euros par an ( cf . II.A).
Outre ce programme, les dotations « classiques » ( dotation d'équipement des territoires ruraux [DETR] et dotation de soutien à l'investissement local [DSIL]) peuvent être mobilisées. D'après le rapport du CGEDD 32 ( * ) , l'aide apportée par l'État au titre de la DETR et de la DSIL s'élève en 2019 à 4,7 millions d'euros pour la première et 14,5 millions d'euros pour la seconde. Ces dotations ne peuvent néanmoins être absorbées par la surveillance et l'entretien des ouvrages d'art , compte tenu des montants en jeu et des autres projets de territoire qu'elles ont vocation à financer.
Enfin, la Banque des territoires a également mis en oeuvre un plan ponts , en complémentarité du programme national ponts 33 ( * ) . Ce plan comprend notamment un volet « ingénierie » doté de 3 millions d'euros visant à soutenir les études lancées par les collectivités et d'un volet « données », qui a pour objectif le déploiement du dispositif « Prioréno ponts », spécialisé dans la gestion prédictive des infrastructures. Le plan ponts de la Banque des territoires comprend enfin un volet « financements », avec notamment des offres de prêts (« Mobiprêt ») avec des maturités pouvant aller jusqu'à 50 ans , avec une enveloppe globale de 2 milliards d'euros. D'après la Banque des territoires, « cette offre unique vient répondre à une carence de marché avec des durées adaptées à la durée de vie des ponts, des actifs qui ne génèrent pas de revenus et alors même que les collectivités présentent des contraintes de budget ». En complément, et pour les collectivités souhaitant répondre rapidement à des difficultés rencontrées sur plusieurs ponts, la Banque des territoires propose également la possibilité de passer des marchés de partenariats avec des sociétés de projet spécifiquement mises en place avec la collectivité qui paie un loyer à cette société pour la rénovation et la gestion des ponts en question. Cette offre répond à une volonté d'internalisation de l'ensemble des expertises.
3. Les constats et propositions formulés par le Sénat en 2019 demeurent d'actualité et la situation est de plus en plus préoccupante, en particulier pour les collectivités de petite taille
a) Le nombre exact de ponts routiers demeure un mystère, en l'absence de recensement exhaustif à l'échelle nationale
En dépit des observations formulées en 2019 par la mission d'information, il n'est toujours pas possible, trois ans plus tard, de connaître avec précision le nombre de ponts routiers du territoire national et la répartition de ces ponts entre les différents gestionnaires concernés (État, départements, communes et établissements publics de coopération intercommunale 34 ( * ) ).
Si des chiffres précis sont disponibles pour le réseau routier national (concédé et non concédé), comme en 2019, tel n'est toujours pas le cas pour les ouvrages relevant des collectivités territoriales : pour les deux tiers des départements et les 11 métropoles ayant répondu aux enquêtes de l'Observatoire national de la route (ONR) 35 ( * ) , des chiffres existent.
En revanche, aucune appréhension globale du patrimoine du bloc communal, des 10 autres métropoles et du dernier tiers des départements n'est disponible .
S'agissant du réseau routier national non concédé , 12 204 ponts routiers sont recensés. À ces ouvrages s'ajoutent 6 157 murs de soutènement et 96 tunnels.
Pour le réseau routier national concédé , 12 041 ponts routiers sont recensés pour une surface utile totale d'environ 8 173 000 m 2 , ainsi que 1 406 murs de soutènement et 126 tunnels et tranchées couvertes.
Pour 68 départements ayant répondu à l'enquête 2021 de l'ONR, 65 408 ponts routiers sont recensés, ainsi que 63 271 murs de soutènement et 205 tunnels. En extrapolant à 101 départements, la DGITM confirme la justesse de la fourchette basse de 100 000 ponts routiers avancée par la commission en 2019.
Pour le bloc communal , les premiers relevés effectués par le Cerema dans le cadre du « programme national ponts » confirment les estimations avancées par la commission, de 80 000 à 100 000 ponts routiers . Le « PNP » permettra de compléter ce recensement. Le Cerema a en effet indiqué que les données collectées dans ce cadre seront versées à la base de l'ONR. Point important à signaler, les premières données du recensement effectué par le Cerema montrent également un nombre de murs de soutènement plus important qu'anticipé, en particulier dans les communes de montagne. Ces ouvrages devront également faire l'objet d'une attention renforcée dans les prochaines années.
Toutefois, à ce jour, le rapporteur souligne que des failles préoccupantes persistent et persisteront . Ainsi, en l'absence d'obligation de déclaration pesant sur les propriétaires d'ouvrages d'art, les données manqueront encore pour :
- 6 955 communes , à savoir la différence entre les 28 000 communes éligibles au « PNP », dans l'hypothèse où celui-ci parviendrait à traiter l'ensemble de ces communes dans un délai raisonnable, et les 34 955 communes que compte le territoire national au 1 er janvier 2022 et, par extension 36 ( * ) , 1 243 EPCI à fiscalité propre 37 ( * ) , à savoir la différence entre les 1 254 EPCI à fiscalité propre recensés au 1 er janvier 2022, et les 11 métropoles ayant répondu à l'enquête de l'ONR ;
- 33 départements , à savoir la différence entre les 68 départements ayant répondu à l'enquête de l'ONR, et le nombre total de départements du territoire national 38 ( * ) .
b) L'état de nos ponts routiers continue de se dégrader et constitue un sujet de préoccupation majeur
Dans son rapport 2021, l'ONR tire un constat préoccupant qui confirme, s'il en était besoin, tout l'intérêt du travail mené par le Sénat sur ce sujet depuis trois ans : « l'analyse sur les différents exercices montre que l'état du patrimoine de ponts est globalement moins bon en 2020 que les années précédentes , que ce soit pour l'État ou pour les départements [...]. L'analyse en surface des ouvrages permet de dire que l'état des ponts des départements et de l'État est globalement équivalent . Cela est dû au fait que les ouvrages de l'État les moins bien notés sont majoritairement des grands ponts ».
Ce dernier constat peut même être tempéré à l'aune des observations formulées par les inspecteurs du CGEDD dans leur rapport précité de janvier 2021 pour lesquels « le nombre de ponts ayant un défaut structurel est plus important pour les ponts des collectivités que pour ceux du réseau routier national, concédé ou non ».
(1) Pour les ponts relevant de l'État, une stabilité apparente du nombre de ponts routiers en mauvais état, une progression des surfaces en mauvais état
Pour le réseau routier national concédé , la baisse du nombre d'ouvrages en mauvais état structurel se poursuit : 2,1 % des ouvrages sont classés 3 ou 3U en 2020, contre 2,4 % en 2017 et 8 % en 2011 .
Ce constat s'explique notamment par l'obligation faite aux sociétés d'autoroutes d'atteindre des objectifs de performance de gestion et d'état des ouvrages définis dans leurs contrats de concessions , sous peine de sanctions financières.
Pour le réseau routier national non concédé , la situation est contrastée. Si le nombre d'ouvrages en mauvais état structurel (classés 3 ou 3U) est globalement stable, il demeure à un niveau important : au moins 7 % des ouvrages du RRNNC sont en mauvais état structurel et le problème apparaît encore plus important si l'on considère la surface des ouvrages. Ainsi, les surfaces d'ouvrages en mauvais état sont en augmentation de 2 points sur la période 2017-2022, passant de 10 % à 12 % .
En outre, le nombre d'ouvrages nécessitant un entretien sous peine de dégradation ou présentant des défauts (classés 2E et 2) a fortement augmenté , passant de 65 % en 2007 à 79 % en 2017, 2018 et 2019 . Une très légère baisse peut être observée en 2020, à 76 % . La dégradation est également marquée en surface , de 60 % de surfaces d'ouvrages classées 2 et 2E à 76 % en 2019, avant de baisser légèrement à 71 % en 2020.
Comme la mission le constatait déjà en 2019, « cette évolution résulte d'une politique concentrée sur le traitement en urgence des ponts en plus mauvais état , sans une attention suffisante portée aux autres ponts, qui se sont donc, dans le même temps, dégradés. Elle est d'autant plus inquiétante que le classement 2 et 2E est souvent « l'antichambre » du classement 3 et 3U ».
Dès lors, trois ans après, ce constat est toujours valable et le rapporteur relève un glissement tendanciel des ouvrages en bon état vers un état dégradé. D'ailleurs, le nombre d'ouvrages en très bon et bon état (classé 1) est passé de 13 % en 2007 à seulement 8 % en 2020, soit 5 points de moins en 13 ans. En surface, l'évolution est comparable, avec une baisse de 3 points entre 2007 et 2020. Dit autrement, il n'y a pas d'amélioration substantielle du patrimoine de l'État sur une période de plus de 10 ans et il ne reste plus que 5 % des surfaces de ponts routiers du réseau routier national non concédé dans un état pleinement satisfaisant . L'évolution de l'état des ponts routiers est reproduite sur les histogrammes ci-dessous.
Source : DGITM
Les chiffres avancés par l'ONR pour le réseau routier national non concédé sont légèrement supérieurs , laissant penser que le nombre d'ouvrages en mauvais état de ce réseau se situe dans une fourchette allant de 7 à 8 % des ouvrages.
Source : DGTIM
Source : ONR, rapport annuel 2021.
Les chiffres de l'ONR démontrent le même glissement tendanciel décrit précédemment à partir des données transmises par la DGITM : le nombre d'ouvrages de catégorie 1 se réduit, certains basculant dans les notations 2 et 3 et la proportion d'ouvrages classés 4 est en légère hausse. L'ONR souligne que « cela traduit un investissement dans les réparations d'ouvrages les moins bien notés et un vieillissement naturel des ouvrages en bon état ».
Au total, la commission retient l'estimation basse de 7 % de ponts du réseau routier national non concédé en mauvais état structurel, soit environ 854 ouvrages .
(2) Pour les ponts relevant des départements, des données partielles et difficiles à analyser mais qui tendent à montrer que le problème est encore plus aigu que ce que le Sénat avait envisagé en 2019
D'une manière générale, les données relatives à l'état des ponts des collectivités territoriales sont difficiles à analyser. Pour les départements, les données de l'ONR sont constituées à partir d'échantillons qui changent chaque année en fonction des départements ayant fourni des données. Toutefois, il apparaît assez clairement que la situation est encore pire que ce que la commission avait envisagé en 2019 . D'ailleurs, la DGITM convient que la situation ne s'améliore pas : « on n'observe pas de baisse de la proportion d'ouvrages en mauvais état structurel malgré la hausse des investissements. Ceci peut s'analyser comme un effort d'investissement restant inférieur, bien qu'en hausse, au niveau permettant d'enrayer la dégradation naturelle du patrimoine et d'inverser la tendance ».
Ainsi, d'après les chiffres du rapport 2021 et du rapport 2020 de l'ONR, la proportion d'ouvrages en mauvais état apparaît en progression , même si l'échantillon est différent et passe de 34 départements analysés en 2020 à seulement 24 départements analysés en 2021. Dans le détail :
- pour l'année 2017 , le rapport 2018 de l'ONR, utilisé comme base d'estimation par la commission en 2019, identifiait 8,5 % de ponts routiers départementaux en mauvais état structurel , soit 8 500 ouvrages , pour un échantillon de 43 départements ;
- le rapport 2020 de l'ONR, fondé sur un échantillon plus restreint de 34 départements, présente des chiffres plus inquiétants, avec 10 % de ponts routiers départementaux en mauvais état en 2017 , puis 9,5 % en 2018 et 9,3 % en 2019 ;
- le rapport 2021 de l'ONR, fondé sur un échantillon encore plus restreint de 24 départements, présente des chiffres là aussi très préoccupants. Ainsi, le nombre de ponts routiers départementaux en mauvais état est évalué à 13,2 % en 2018, à 12,6 % en 2019 et à 14,8 % en 2020 , ce dernier chiffre dépassant largement les chiffres déjà inquiétants avancés par la commission en 2019.
État des ponts départementaux
Source : ONR, rapport annuel 2021
État des ponts départementaux
Source : ONR, rapport annuel 2021.
L'ONR relève : « la dégradation du patrimoine [des départements] se constate notamment sur les ouvrages classés 3 et 4 qui augmentent entre 2018 et 2020 au détriment des ouvrages classés 2 [...]. La légère amélioration constatée sur l'année 2019 est à relativiser et s'explique certainement par le nombre plus limité d'ouvrages évalués ».
Aussi, en prenant certaines précautions, la commission réévalue l'estimation formulée en 2019 à 10 % des ponts départementaux en mauvais état, soit environ 10 000 ponts .
(3) Pour le bloc communal, une situation préoccupante et sans doute plus grave que ce que le Sénat avait envisagé en 2019
S'agissant des ponts routiers des communes et de leurs EPCI, peu d'informations existent et il faudra attendre les relevés du PNP mené par le Cerema pour avoir une image fidèle de l'état du patrimoine de ces collectivités. Les chiffres avancés à date par le Cerema confirment les estimations de la commission (18 à 20 % des ponts du bloc communal en mauvais état) et tendent même à les dépasser.
Ainsi, sur 10 000 ponts routiers analysés à date, 23 % présentent des défauts significatifs ou majeurs soit 2 360 ponts :
- dont 11 % présentent des problèmes de sécurité nécessitant une action immédiate (1 100 ponts) ;
- et 4 % présentent un problème structurel majeur (400 ponts).
En généralisant ces données à l'ensemble des ouvrages du bloc communal, le nombre de 23 000 ponts en mauvais état pourrait se confirmer, ce qui constitue un volume d'ouvrages particulièrement important et dont la remise en état pourrait s'avérer très coûteuse pour les finances publiques.
« Paroles de maires »
Extraits de remontées de terrain communiquées aux rapporteurs
Un premier maire, qui a bénéficié d'une visite de reconnaissance réalisée par un bureau d'études pour le compte du Cerema dans le cadre du programme national « Ponts », fait part des enjeux liés à la fermeture et à la possible reconstruction d'un ouvrage enjambant une rivière entre deux communes : « Cette fermeture a été rendue nécessaire après avoir constaté des désordres pouvant mettre en danger la sécurité des usagers de ce pont [...] La commune éprouve des difficultés dans au moins deux domaines. Même si dans notre cas, la gestion et l'entretien du pont incombent à nos deux communes, nous avons en premier lieu quelques difficultés à identifier les interlocuteurs à solliciter au niveau des services de l'État (ou les sites internet dédiés) pour nous accompagner dans les démarches et procédures à suivre pour mener à bien le projet (y compris dans le montage juridique préalable au lancement des études et travaux : groupement de commande, délégation de maîtrise d'ouvrage). Sous réserve de son existence, une ou plusieurs fiches de procédure pourraient être intéressantes à élaborer sur ce sujet. Ensuite, nous souhaitons avoir des informations sur l'existence de moyens financiers de l'État autres que les aides de droit commun (DETR, DSIL) pour contribuer au financement des travaux prévus pour ce type d'ouvrage. Sur ce point, nous essayerons de faire jouer la solidarité locale en demandant une aide aux intercommunalités auxquelles appartiennent nos deux collectivités pour compléter le plan de financement de cette opération. Il semblerait au vu des premières estimations que le montant des travaux soit extrêmement important (entre 500 et 1 000 k€) puisque l'on pourrait se diriger vers une reconstruction compte tenu de l'état vétuste de celui-ci ».
Un second maire partage son expérience de l'appui apporté par les services de l'État il y a 10 ans pour la gestion de ses ponts et regrette la disparition de ce soutien : « Sur la commune, nous dénombrons aujourd'hui douze ouvrages sur lesquels se porte une attention plus particulière. Quatre d'entre eux, partie intégrante de [routes départementales] relèvent plus spécifiquement des services du département. Les huit autres appartiennent à la voirie communale [...], de capacités et de gabarits différents. Certains relient des chemins ruraux tandis que d'autres raccordent des voies communales. [...] Dans ces actions indispensables [de surveillance et d'entretien], la commune était jadis assistée et efficacement accompagnée par les services de l'État et plus particulièrement de la Direction Départementale des Territoires . C'est ainsi qu'en 2012, dans le cadre d'une convention ATESAT , signée entre la commune et l'État, un recensement et un descriptif technique avait été dressé. Six ouvrages avaient été alors retenus et examinés. Le relevé de consignes élémentaires alors établi constitue toujours de nos jours, la base de l'entretien rudimentaire courant, régulier , pratiqué pour maintenir, autant que faire se peut, la fiabilité de ces ouvrages, qui demeurent toujours bien évidemment l'objet d'une attention communale d'autant qu'ils sont de plus en plus sollicités par une circulation en croissance continue d'engins aux gabarits de plus en plus imposant et aux poids de plus en plus lourds. [...] Nous n'avons plus l'expertise adéquate nécessaire à disposition alors qu'elle nous serait grandement utile au regard du vieillissement de nos ouvrages et de l'accroissement des contraintes qui leur sont régulièrement imposées tant au niveau de leur utilisation que des évènements climatiques constituant autant de facteurs de risques appelant à une procédure et une surveillance effectives. [...] Nous avons immédiatement postulé [au programme national « Ponts »]. Nos six ponts ont été proposés pour bénéficier de ce programme. Seuls deux ont été retenus au motif que les quatre autres, ne répondant pas aux critères de sélection définis , n'étaient pas éligibles au programme Cerema, ce qui est pour nous fort dommage. [...] Nous sommes dans l'attente des résultats des vérifications entreprises au vu desquels nous pourrons tirer d'objectives conclusions . »
Plusieurs autres maires interrogés ont également bénéficié de l'appui du Cerema dans le cadre du programme national « ponts », que ce soit pour des ponts routiers mais aussi des murs de soutènement . Certains s'interrogent, compte tenu de l'intérêt patrimonial ou architectural présenté par certains ouvrages, pourquoi ces ouvrages ne relèvent pas directement de la responsabilité de l'État . Il apparaît, en effet, que le caractère classé, au titre des monuments historiques, d'un ouvrage renchérit les coûts de remise en état, notamment du fait de la nécessité de recruter un maître d'oeuvre ayant le diplôme d'architecte du patrimoine ou d'architecte en chef des monuments historiques.
D'autres maires font part d'échanges difficiles avec la SNCF s'agissant de l'application de la loi « Didier » pour les ponts de rétablissement, voire d'absence de réponse de la part de l'opérateur . Les préfets jouent leur rôle de médiation . La problématique est encore plus aigüe lorsque la voie ferrée est désaffectée.
Enfin, des élus départementaux ont fait part au rapporteur du montant financier très important mis pour la remise en état d'un ouvrage datant des années 1840 - autour de 7 millions d'euros - et du long processus (22 mois) de réhabilitation. Cet ouvrage présente des pathologies liées au vieillissement aggravé de sa suspension et à la capacité résistante réduite de son tablier.
(4) Certaines familles de ponts présentent toujours des risques significatifs
Les risques propres à certains types d'ouvrages identifiés par la commission en 2019 ont été confirmés par les travaux administratifs menés depuis. Il en va ainsi particulièrement :
- des ponts en béton précontraint , qui représentent une part importante (18 %) du patrimoine de l'État sur le réseau routier national non concédé et du patrimoine des métropoles (13,2 %) ;
- des buses métalliques , présentes à la fois sur le réseau national non concédé (9 %) et sur le réseau local (3,5 % pour les départements).
En outre, au-delà des familles de ponts considérées, il convient également de prendre en compte la « durée de vie » globale des ponts pour cibler les ouvrages sur lesquels l'attention des pouvoirs publics doit être portée en priorité. D'ailleurs, les inspecteurs du CGEDD rappellent dans leur rapport précité de janvier 2021 que « les actions auxquelles sont soumis les ponts peuvent se révéler plus importantes que celles prévues à la conception, notamment lorsque la durée de vie de l'ouvrage est importante et les marges apportées par les coefficients de sécurité peuvent être consommées ». Le tableau ci-dessous récapitule l'âge des ponts routiers du réseau routier national non concédé.
PONTS DU RÉSEAU ROUTIER NATIONAL NON CONCÉDÉ PAR ÂGE (HORS MAÇONNERIE)
Nombre de ponts |
% |
|
<1850 |
9 |
0,1 % |
1850-1900 |
12 |
0,1 % |
1901-1950 |
180 |
1,6 % |
1951-1975 |
2 784 |
25 % |
1976-1995 |
5 447 |
48,9 % |
>1995 |
2 708 |
24,3 % |
Total |
11 140 |
100 % |
Source : actualisation des données du Cerema (IQOA Ponts - campagne d'évaluation nationale 2017) par la DGITM, 2022.
Les pathologies des ouvrages d'art
Les ponts construits en France au XXème siècle, surtout après 1945 et avant 1975, souffrent des mêmes causes de dégradation que dans la plupart des pays dans le monde :
- la qualité insuffisante du béton , d'où résultent sa carbonatation et la pénétration des ions chlorures jusqu'au niveau des armatures, et une dégradation par les cycles de gel/dégel, dont souffrent de nombreux ponts en béton de taille moyenne, surtout dans le grand quart Nord-Est de la France, construits au cours des années 1950-1975 ;
- les dégradations par réaction de gonflement interne du béton , phénomène bien connu et maîtrisé maintenant ;
- le manque d'enrobage des aciers passifs , qui combiné avec la mauvaise qualité du béton, conduit à la corrosion des armatures ;
- la corrosion des câbles de précontrainte , résultant souvent d'une mauvaise injection des gaines, ou de défauts de conception et d'exécution, comme le déficit de précontrainte, pour les ponts à poutres préfabriqués précontraintes par posttension (VIPP) avec un risque de rupture fragile. Les ouvrages présentant ce type de pathologie doivent faire l'objet de diagnostics détaillés incluant des expertises relatives aux matériaux et un recalcul précis. On peut aussi citer le cas des ponts en béton à câbles de précontrainte extérieure dont la protection doit être vérifiée régulièrement (cas du pont de l'île de Ré avec une rupture de câble en septembre 2018) ;
- la corrosion des aciers et la fissuration par fatigue des assemblages soudés pour les ponts métalliques , notamment à dalles orthotropes particulièrement sensibles en fatigue aux charges des poids lourds, qui peuvent entraîner des ruptures de sous-structures voire un effondrement de l'ouvrage. Une instrumentation peut permettre de suivre l'évolution des fissures ou de détecter des déformations anormales et les ouvrages à dalles orthotropes sensibles nécessitent une surveillance renforcée, surtout sous fort trafic ;
- pour les ponts à câbles (suspendus ou haubanés), la rupture de fils souvent suite à de la corrosion, ou d'attaches de câbles (étriers en tête de pylône, ancrages etc.). Il y a donc lieu de surveiller la redistribution des efforts dans les câbles et leurs attachés ;
- les ponts particuliers ou innovants lors de leur construction, comme le pont Morandi à Gênes, les ouvrages à caisson en béton précontraint réalisés à partir de voussoirs préfabriqués, ceux de type cantilever, à béquilles ou à haubans, nécessitent une surveillance étroite car leur conception particulière ou le manque de retour d'expérience peut induire des fragilités et des risques de défaillance moins prévisibles. Les règles actuelles de conception de structures complexes s'appuient sur la notion de robustesse développée par les Eurocodes et assurent plus de redondance.
Les causes de désordre les plus courantes sont : les affouillements et les impacts sur des piles dues à des crues, à des matériaux emmenés par des crues ou à des chocs de bateau ; l'effondrement des buses métalliques ; les défauts de construction ou encore les problèmes de sol instable.
Source : extrait du rapport précité du CGEDD - janvier 2021.
Les trois figures suivantes présentent la répartition du nombre des ponts par famille d'ouvrages pour le RRNNC, les ponts départementaux (échantillon de 63 départements) et métropolitains (échantillon de 8 métropoles).
Pour les départements, les ponts en maçonnerie représentent une part significative du total et peuvent poser des problèmes de sécurité, surtout s'ils sont situés en milieu aquatique, où les eaux troubles peuvent affouiller les piliers du pont. D'ailleurs, dans leur rapport, les inspecteurs du CGEDD font état du lancement d'un projet national « DOLMEN » 39 ( * ) visant à mieux cerner le fonctionnement et l'état des ouvrages en maçonnerie, qui représentent environ 10 % des ponts du réseau routier national. L'objectif est de constituer un référentiel et une doctrine technique à l'échelle nationale pour le dimensionnement, l'évaluation et la réparation des ouvrages en maçonnerie (modèles, règles de calcul et abaques, logiciels métiers, solutions et préconisations de réparation). Le projet, dont le coût est estimé à 2,2 millions d'euros , pourrait utilement nourrir la politique de surveillance et d'entretien des ponts départementaux et communaux .
Les ouvrages en béton armé sont plus nombreux sur les routes nationales non concédées. Les ponts en béton précontraint sont prédominants sur les autoroutes concédées où il n'y a pas de ponts en maçonnerie. Le réseau national abrite également de nombreuses buses (métalliques ou en béton).
Le tableau ci-dessous récapitule, pour un échantillon de 46 départements, l'état des ponts par famille d'ouvrages et tend à montrer une urgence particulièrement marquée pour les ponts en maçonnerie , les buses en béton et les ponts en métal et mixtes .
Source : ONR, rapport annuel 2021.
Enfin, dans leur rapport précité de janvier 2021 40 ( * ) , les inspecteurs du CGEDD identifient les priorités suivantes :
- la réhabilitation des anciens ponts en maçonnerie ou suspendus en acier ;
- la réhabilitation de certains ponts en béton précontraint ;
- le remplacement des buses métalliques corrodées ou dégradées ;
- l'entretien préventif de certains ouvrages anciens en béton armé pour prolonger leur durée de vie ;
- le remplacement des chapes d'étanchéité , qui est la priorité la plus urgente car en dépend la protection de la structure et du matériau vis-à-vis de l'eau, de l'air, des sels de déverglace.
Pour le rapporteur, ces priorités devraient être déclinées au niveau national et adaptées à l'échelle locale dans le cadre système ou d'un programme global , qui permettent une mise en sécurité et une remise en état des ponts les plus préoccupants au cours des dix prochaines années ( voir III ).
4. La mise en oeuvre de loi « Didier » reste au milieu du gué, bien que le recensement des ouvrages de rétablissement ait été achevé
La commission constate avec satisfaction que le recensement des ouvrages entrant dans le champ de la loi dite « Didier » de 2014 41 ( * ) , votée au Parlement à l'initiative de la sénatrice Evelyne Didier qui était membre de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, est désormais achevé 42 ( * ) .
Cette loi ambitieuse, qui porte sur les ouvrages de rétablissement des voies 43 ( * ) ( voir encadré ci-dessous ), visait à mieux répartir les charges y afférentes entre les principaux acteurs concernés (SNCF Réseau, État, Voies navigables de France, collectivités). L'aboutissement du processus de recensement des ouvrages est donc une bonne nouvelle .
En revanche, moins bonne nouvelle, les conventions prévues par la loi pour déterminer les modalités de prise en charge financière de ces ouvrages n'ont toujours pas été signées pour une majorité d'ouvrages . Si la progression des conventionnements est notable pour le réseau routier national concédé, tel n'est pas le cas pour les autres infrastructures concernées. Ainsi, dans le détail :
- Pour le réseau concédé : 7 692 ouvrages de rétablissement sont concernés et 46,2 % de conventions ont été signées. Pour 45,9 % des conventions, des échanges sont en cours. Pour 7 % des conventions, les échanges n'ont pas été engagés. Pour 0,9 % des conventions, des refus explicites ont été émis. Tous les ouvrages des concessions récentes font l'objet d'un conventionnement d'après la DGITM.
- Pour le réseau non concédé : 2 417 ouvrages sont concernés. Peu de conventions ont été signées à ce jour. Selon la DGITM, les discussions devraient avancer en 2022, le processus interne au ministère ayant été validé fin 2021.
- Pour le réseau fluvial des voies navigables : 2 895 ouvrages sont concernés mais aucune convention n'a été signée à date selon les informations transmises par la DGITM.
- Pour le réseau ferré national : 4 168 ouvrages sont concernés et aucune information n'a été transmise relative à la signature de conventions dans le cadre des travaux préparatoires du rapporteur.
Dans ses réponses au questionnaire du rapport, l'Association des départements de France (ADF) a indiqué qu'une enquête est en cours auprès des départements pour faire le point sur l'application des conventions avec SNCF Réseau pour la prise en charge et l'entretien des ponts au-dessus d'une voie de chemin de fer. Le rapporteur souhaite que ce processus de conventionnement se poursuive à un rythme accéléré , afin de clarifier les responsabilités de chacun et d'assurer la sécurité et la disponibilité des ouvrages concernés, dans le temps.
LES PONTS DE RÉTABLISSEMENT
En vertu d'une jurisprudence constante du Conseil d'État, dite « jurisprudence de la voie portée », ce sont les propriétaires de la voie portée qui sont tenus d'entretenir l'ouvrage 44 ( * ) . Toutefois, face aux difficultés rencontrées par les collectivités pour entretenir ce patrimoine, et aux conflits relatifs à leur entretien, le législateur est intervenu pour clarifier les modalités de prise en charge des frais de surveillance et d'entretien de ces ouvrages .
Ainsi, la loi n° 2014-774 du 7 juillet 2014 45 ( * ) , dite « loi Didier », prévoit que les charges financières liées à ces ouvrages doivent être réparties entre le gestionnaire de l'infrastructure de transport et le propriétaire de la voie de communication préexistante .
Elle pose le principe de référence d'une prise en charge, par le gestionnaire de la nouvelle infrastructure, de l'ensemble des charges relatives à la structure de l'ouvrage d'art de rétablissement (charges de surveillance, d'entretien courant et spécialisé, de réfection, de réparation et de reconstruction). Ce principe s'applique, sauf accord contraire des parties, lorsque la personne publique propriétaire de la voie rétablie ou l'EPCI concerné dispose d'un potentiel fiscal inférieur à 10 millions d'euros .
Dans les autres cas, ce principe de référence doit être adapté en fonction des spécificités des parties en présence, notamment leur capacité financière et technique, et de l'intérêt retiré par la réalisation de la nouvelle infrastructure de transport.
Une convention conclue entre le gestionnaire de la nouvelle infrastructure de transport et le propriétaire de la voie rétablie doit alors prévoir les modalités de répartition des charges entre eux.
En cas d'échec de la négociation relative à la signature de la convention, les parties peuvent demander la médiation du préfet de département . Cette obligation de conventionnement prévue par la loi n° 2014-774 ne concerne que les nouveaux ouvrages. S'agissant des ouvrages de rétablissement anciens , la loi prévoit un recensement dans un délai de quatre ans (soit avant le 1 er juin 2018) des ponts qui ne font pas l'objet d'une convention - certains ponts faisant l'objet de conventions historiques entre les collectivités territoriales et l'État 46 ( * ) ou les opérateurs SNCF Réseau et Voies navigables de France (VNF).
* 24 Cette catégorie concerne l'entretien courant des ouvrages d'art.
* 25 Cette catégorie comprend les opérations de réparation structurelles des ponts ainsi que les opérations d'entretien spécialisé des ponts. L'entretien spécialisé porte, pour l'essentiel, sur les équipements et les éléments de protection ainsi que sur les défauts mineurs de la structure qui ne remettent pas en cause la capacité portante de l'ouvrage.
* 26 CGEDD, janvier 2021, « Développement des capacités de réalisation de la restauration des ouvrages d'art routiers ».
* 27 Loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités.
* 28 L'article 1 er du décret n°2002-1209 du 27 septembre 2002 relatif à l'assistance technique fournie par les services de l'État au bénéfice des communes et de leurs groupements et pris pour l'application du III de l'article 1 er de la loi du 11 décembre 2001 portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier précise que les communes pouvant bénéficier de cette assistance technique sont :
- celles dont la population est inférieure à 2 000 habitants et dont le potentiel fiscal est inférieur ou égal à 1 000 000 Euros ; ce montant est indexé sur celui du potentiel fiscal moyen desdites communes ;
- celles dont la population est comprise entre 2 000 et 4 999 habitants et dont le potentiel fiscal est inférieur ou égal à 1 500 000 Euros ; ce montant est indexé sur celui du potentiel fiscal moyen desdites communes ;
- celles dont la population est comprise entre 5 000 et 9 999 habitants et dont le potentiel fiscal est inférieur à 2 500 000 Euros ; ce montant est indexé sur le potentiel fiscal moyen desdites communes.
* 29 Source : Réponse écrite du Cerema au questionnaire de la mission d'information (2022).
* 30 La phase de recensement s'étend de l'été 2021 à l'été 2022 pour les communes métropolitaines.
* 31 Les ouvrages représentés dans le présent graphique sont considérés comme recensés lorsqu'ils ont été transmis pour validation au Cerema. Les ouvrages à valider par le bureau d'études sont ceux qui ont fait l'objet d'une visite de terrain mais qui n'ont pas encore été transmis au Cerema.
* 32 CGEDD, janvier 2021, « Développement des capacités de réalisation de la restauration des ouvrages d'art routiers ».
* 33 Réponse écrite de la Banque des territoires au questionnaire de la mission d'information.
* 34 À ce jour, les régions ne gèrent pas de réseau routier et ne possèdent donc aucun ouvrage d'art. Toutefois, la loi « 3Ds » adoptée le 21 février 2022 permettra d'opérer des transferts de propriété sur le réseau routier à titre expérimental, pour les régions volontaires, à horizon 2024-2025.
* 35 La remontée des données relatives à la voirie départementale s'appuie sur une enquête réalisée en ligne entre fin juin et fin septembre 2021 auprès de l'ensemble des départements. En 2017, 57 départements avaient répondu. Ils étaient 65 à avoir répondu en 2018, 69 en 2019 et 68 pour les années 2020 et 2021.
* 36 À ce jour, seules 4 communes sont « isolées », c'est-à-dire qu'elles n'appartiennent à aucun EPCI à fiscalité propre au 1 er janvier 2022.
* 37 Parmi les EPCI à fiscalité propre, on dénombre, au 1 er janvier 2022, 21 métropoles, 14 communautés urbaines, 227 communautés d'agglomération et 992 communautés de communes. La métropole de Lyon a un statut particulier.
* 38 La France compte 96 départements en métropole (dont 2 en Corse) et 5 départements en outre-mer.
* 39 Les partenaires de ce projet sont : départements, DIR, DREAL, RATP, SNCF, VNF, Ville de Paris, EDF, Port du Havre, IMGC, Cerema, UGE, ENPC, ENTPE, université de Limoges, FFB, FNTP, STRRES.
* 40 Rapport n° 013011-01 - Développement des capacités de réalisation de la restauration des ouvrages d'art routiers - Anne Bernard-Gély et Frédéric Richard, janvier 2021.
* 41 Loi n° 2014-774 du 7 juillet 2014 visant à répartir les responsabilités et les charges financières concernant les ouvrages de rétablissement des voies.
* 42 Une liste provisoire a été diffusée en août 2019 pour recueillir les observations des collectivités. Après instruction des observations recueillies, la liste finale des ouvrages a été publiée par arrêté ministériel le 22 juillet 2020.
* 43 Les ponts de rétablissement sont des ouvrages construits pour rétablir des voies de communication interrompues par une nouvelle infrastructure de transport (route et autoroute, voie ferrée, canal).
* 44 CE, 19 décembre 1906, Préfet de l'Hérault ; CE, 26 septembre 2001, Département de la Somme. Le Conseil d'État considère en effet que « les ponts sont au nombre des éléments des voies dont ils relient les parties séparées de façon à assurer la continuité du passage ».
* 45 Loi n° 2014-774 du 7 juillet 2014 visant à répartir les responsabilités et les charges financières concernant les ouvrages d'art de rétablissement des voies.
* 46 Il s'agit le plus souvent de ponts de type « passages supérieurs » construits par l'État dans le cadre de grands projets d'infrastructures routières pour rétablir des routes départementales ou communales.