COMPTE RENDU DE LA RÉUNION CONSTITUTIVE

(JEUDI 25 NOVEMBRE 2021)

- Présidence de M. Jean-Marie Janssens, président d'âge -

M. Jean-Marie Janssens , président . - Il me revient, en ma qualité de président d'âge, de présider la réunion constitutive de notre commission d'enquête sur l'influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques. Je céderai cette place au président de la commission sitôt celui-ci élu.

Cette commission d'enquête a été créée dans le cadre du droit de tirage des groupes politiques, prévu par l'article 6 bis du Règlement du Sénat. Le groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste (CRCE) en a formulé la demande lors de la Conférence des Présidents du 2 novembre 2021.

Les dix-neuf membres de la commission ont été nommés, sur proposition des groupes, lors de la séance publique du 18 novembre dernier.

Nous devons donc désigner le président de la commission d'enquête. J'ai reçu la candidature de notre collègue Arnaud Bazin, au nom du groupe Les Républicains.

La commission procède à la désignation de son président, M. Arnaud Bazin .

- Présidence de M. Arnaud Bazin, président -

M. Arnaud Bazin , président . - Je vous remercie de votre confiance et suis très heureux de présider nos travaux.

Les cabinets de conseil ont été placés sous les feux des projecteurs lorsque le ministère de la santé a choisi de confier à McKinsey et à plusieurs autres cabinets l'organisation logistique de la campagne de vaccination.

Outre cet exemple concret, le thème de la commission d'enquête nous invite à examiner le recours aux cabinets de conseil par l'État dans son ensemble, ce qui comprend notamment le conseil en stratégie, la gestion des ressources humaines, l'accompagnement de projets ou encore le conseil en communication.

Il nous revient à présent de désigner le rapporteur de la commission d'enquête. Le groupe CRCE a proposé le nom de notre collègue Éliane Assassi.

La commission procède à la désignation de sa rapporteure, Mme Éliane Assassi.

M. Arnaud Bazin , président. - Je félicite notre collègue pour sa désignation et suis heureux de travailler à ses côtés.

Je vous propose ensuite de désigner les membres de notre bureau, dont la composition doit respecter le principe de la représentation proportionnelle et tenir compte de la représentation déjà acquise aux groupes Les Républicains pour le poste de président et CRCE pour celui de rapporteur.

Je vous propose de désigner aux postes de vice-présidents : deux collègues du groupe Les Républicains - j'ai reçu les candidatures de Valérie Boyer et de Jérôme Bascher -, deux collègues du groupe Socialiste, écologiste et républicain - j'ai reçu les candidatures de Patrice Joly et de Franck Montaugé -, deux collègues du groupe Union Centriste - j'ai reçu les candidatures de Nathalie Goulet et de Jean-Marie Janssens -, une collègue du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, qui sera Nicole Duranton, un collègue du groupe du Rassemblement démocratique et social européen (RDSE), qui sera Jean-Pierre Corbisez, un collègue du groupe Les Indépendants - République et Territoires (LIRT), qui sera Dany Wattebled, et une collègue du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires, qui sera Sophie Taillé-Polian.

La commission procède à la désignation des autres membres de son bureau : Mme Valérie Boyer et MM. Jérôme Bascher, Patrice Joly et Franck Montaugé, Mme Nathalie Goulet, M. Jean-Marie Janssens, Mme Nicole Duranton, M. Jean-Pierre Corbisez, M. Dany Wattebled et Mme Sophie Taillé-Polian.

M. Arnaud Bazin , président. - Notre commission d'enquête a un caractère temporaire : elle prendra fin avec le dépôt du rapport et au plus tard à l'expiration d'un délai de six mois à compter de la date de la prise d'acte par la Conférence des Présidents.

Avec la rapporteure, nous vous proposons toutefois un planning plus resserré : l'objectif serait de présenter le rapport en mars 2022, avant le premier tour de l'élection présidentielle. Les auditions seraient organisées dans un délai contraint d'environ dix semaines.

Je vous rappelle que le cadre juridique des commissions d'enquête est particulièrement strict. Le principe est celui de la publicité des auditions plénières, sauf si nous décidons du huis clos. Toute personne entendue est tenue de se rendre à notre convocation et de prêter serment.

La rapporteure et moi-même organiserons aussi des auditions de travail, auxquelles vous serez conviés. Ces auditions ne seront toutefois pas publiques et les personnes entendues n'auront pas à prêter serment.

Nos auditions débuteront dès jeudi prochain, le 2 décembre.

Nous utiliserons également le droit de communication des commissions d'enquête pour obtenir des documents, et notamment la liste des contrats signés avec les cabinets de conseil.

Je vous rappelle enfin, mes chers collègues, que le non-respect du caractère secret des commissions d'enquête est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. Nous pouvons aussi décider d'exclure la personne concernée de la commission.

Mme Éliane Assassi , rapporteure. - Je vous remercie tous d'avoir fait le choix de participer à cette commission d'enquête. Je remercie aussi le président d'âge et Arnaud Bazin, avec lequel j'ai siégé au comité de déontologie parlementaire. J'apprécie ses qualités humaines et son sens du travail collectif, et j'espère que nous constituerons un binôme efficace.

La crise sanitaire a mis en lumière l'intervention de cabinets de conseil privés dans la politique publique de lutte contre la pandémie. L'intervention de 26 officines dans ce cadre entre mars 2020 et février 2021 a frappé l'opinion et relancé nombre d'enquêtes journalistiques.

Il est vite apparu que le ministère de la santé n'était que la partie visible de l'iceberg que constitue la masse avérée ou supposée de l'intervention d'acteurs privés extérieurs, comme des cabinets de conseil ou d'avocats, dans la conduite des affaires de l'État, et même dans l'élaboration des projets gouvernementaux. En réalité, cela fait des années que l'externalisation de travaux, pourtant au coeur des décisions gouvernementales ou de la haute administration, s'est développée.

Des rapports du Gouvernement et des études d'impact de projets de loi, qui relèvent d'une obligation constitutionnelle, ont été rédigés par ces instances privées, à l'instar de l'étude d'impact du projet de loi d'orientation des mobilités (LOM).

Depuis le rapport de la Cour des comptes de 2014, aucune étude exhaustive n'a été menée pour établir la réalité de cette privatisation - appelons un chat un chat - de l'organisation des politiques publiques. Pourtant, nous savons par la presse qu'environ 500 commandes ont été passées en trois ans par la puissance publique dans le domaine de la stratégie, de l'organisation du management et de l'informatique.

Notre commission d'enquête aura en premier lieu à établir une cartographie de l'intervention de ces acteurs privés, pour gagner en transparence. D'ores et déjà, nous pouvons établir que les prestations de conseil comprennent en particulier l'aide à la décision, y compris le conseil en stratégie, l'influence, y compris le conseil en communication, la gestion des ressources humaines et l'organisation des services, l'accompagnement de projets, y compris les projets informatiques, l'aide à la mise en oeuvre des politiques publiques et à leur évaluation et l'expertise dans des domaines spécifiques comme les conseils juridiques ou financiers et les audits comptables.

En revanche, nous pouvons nous accorder sur le fait que notre commission d'enquête ne couvrira pas les prestations de conseil pour les collectivités territoriales, les contrats de maîtrise d'ouvrage ou de maîtrise d'oeuvre pour les travaux et les délégations de service public, non pour éluder ces questions mais pour cadrer notre travail et mener nos investigations avec sérieux et efficacité, dans les délais impartis.

En effet, il est souhaitable de terminer nos travaux à la mi-mars. Il serait difficilement envisageable de rendre notre rapport entre les deux tours de l'élection présidentielle...

Cette phase d'établissement de la transparence comportera évidemment un volet financier. Nous devrons établir le montant global de ces prestations de conseil et leur évolution. Nous devrons aussi savoir quels sont les ministères les plus concernés et, en conséquence, les administrations qui ont le plus recours à cette forme d'externalisation.

Notre travail consistera à comprendre et à examiner quel est le cheminement de l'intervention de ces acteurs privés, de la définition des besoins de l'administration jusqu'à l'évaluation finale de leur travail, s'il y en a une systématiquement.

Cette commission d'enquête comporte un second volet très important, auquel les auteurs de ce droit de tirage tiennent beaucoup : l'examen du rôle et de l'influence des cabinets extérieurs dans la prise de décision.

Il existe un véritable enjeu démocratique en la matière, loin du simple constat comptable. À l'heure où la parole politique est mise en cause, ne faut-il pas s'inquiéter de l'influence croissante de ces cabinets privés ? Je reprends la question qui clôt l'exposé des motifs de la proposition de résolution du groupe CRCE : « Qui mène des politiques publiques ? Un gouvernement et l'État qu'il dirige ou des prestataires privés dépourvus de toute légitimité démocratique ? »

La question de la déontologie, des conflits d'intérêts possibles, ou déjà constatés, entre cabinets influençant la décision publique et conseillant par ailleurs d'autres clients, sera également au coeur de nos investigations. Nous nous intéresserons tout particulièrement aux prestations pro bono , l'État bénéficiant de prestations gratuites de la part de certains cabinets de conseil.

La question de la déontologie porte aussi sur le « pantouflage ». Trop souvent, nous constatons que des responsables publics, y compris des ministres, atterrissent dans des cabinets de conseil privés. Il faudra examiner la réalité de la situation. Ce n'est pas une question déontologique à proprement parler, mais elle s'y apparente. Il sera aussi intéressant d'examiner comment les grands cabinets de conseil sont associés à la formation des hauts fonctionnaires. Quel est leur degré d'implication dans les grandes écoles, voire à l'université ? C'est un point important car cette intrusion dans la formation de « l'élite » de la République a pu avoir un rôle dans l'acceptabilité de la présence des acteurs privés au coeur même de l'État.

Nous examinerons également les questions liées à la souveraineté. Bon nombre de ces prestataires extérieurs sont des sociétés étrangères. En participant à la définition des politiques publiques, elles ont accès à des données sensibles, en particulier numériques. Bercy a recours à Google... Qu'en est-il du domaine des affaires étrangères et de la défense, particulièrement opaque en la matière ? Le secret-défense pourrait nous être opposé, mais nous devrons poser la question.

J'ai déjà eu l'occasion de le dire : je n'ai aucunement l'intention d'adopter une posture de procureur. Nous ne sommes pas un tribunal ; nous avons une instruction à mener, mais nous ne sommes pas juges.

Nous souhaitons avant tout étayer la réflexion de chacun. Des auditions, importantes, seront publiques, pour déterminer les raisons et les objectifs de cette influence croissante des acteurs privés au coeur même de l'État.

L'affaiblissement de la fonction publique, en particulier des directions d'administration centrale, a-t-il ouvert cette voie, ou des choix politiques ont-ils prévalu ?

La crise sanitaire, pour revenir au point de départ de mon propos, a démontré l'importance de l'État pour préserver la cohésion de notre société et permettre à chacun de faire face à une situation dramatique. C'est dans ce contexte que ces questionnements ont ressurgi.

Nous examinerons les questions générales mais aussi des cas particuliers, qui permettront d'illustrer notre recherche et de mieux faire comprendre les mécanismes qui se sont mis en place au fil des dernières années, tout particulièrement lors du dernier quinquennat, où ce qui était considéré comme un peu inavouable est devenu une vitrine ou un modèle de ce qu'il est convenu d'appeler la Start-up Nation .

Voilà en substance notre feuille de route. Comme présidente du groupe CRCE et rapporteure de cette commission d'enquête, je veux faire prévaloir l'intérêt général et suis ouverte à toutes les propositions. Je ne veux pas adopter de posture politicienne. J'espère que nous comprendrons tous ensemble les rouages qui ont conduit à l'accentuation du recours à ces cabinets privés pour l'élaboration et la conduite des politiques publiques.

M. Arnaud Bazin , président . - Je vous remercie pour ce propos qui précise l'état d'esprit dans lequel vous abordez ce travail. Le sujet est tellement important, sérieux et riche que la caricature n'est pas nécessaire. Si déjà nous cernons bien le sujet, le travail sera manifestement utile.

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