N° 501

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2021-2022

Enregistré à la Présidence du Sénat le 16 février 2022

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur l' enseignement supérieur du spectacle vivant ,

Par MM. Vincent ÉBLÉ et Didier RAMBAUD,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal , président ; M. Jean-François Husson , rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mmes Sophie Taillé-Polian, Sylvie Vermeillet , vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel , secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Thierry Meignen, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel .

L'ESSENTIEL

La commission des finances a examiné le mercredi 16 février 2022 le rapport de MM. Vincent Éblé, Sénateur de Seine-et-Marne et Didier Rambaud, Sénateur de l'Isère, rapporteurs spéciaux des crédits de la mission Culture, sur les résultats de leur contrôle sur les opérateurs du ministère de la culture dédiés à l'enseignement du spectacle vivant.

I. QUATRE OPÉRATEURS PRESTIGIEUX MAIS PAS ISOLÉS

Les formations dédiées aux disciplines du spectacle vivant sont proposées par les établissements d'enseignement supérieur en musique, en danse, en théâtre et en cirque habilités par le ministère de la Culture à délivrer le diplôme national supérieur professionnel (DNSP) et les diplômes d'État (DE) de professeur de musique et de danse.

L'enseignement supérieur de la musique et de la danse repose aujourd'hui sur deux conservatoires nationaux supérieurs situés à Lyon et Paris (constitués en établissements publics administratifs) et sur 13 pôles d'enseignement supérieur dont 3 pôles pluridisciplinaires Arts Plastiques et Spectacle Vivant (Isdat à Toulouse, Hear à Strasbourg, Esal à Metz).

S'agissant de l'enseignement de l'art dramatique et de la marionnette , 13 établissements y participent : le Conservatoire national supérieur d'art dramatique de Paris (constitué en établissement public administratif), l'école du Théâtre national de Strasbourg (constituée en établissement public industriel et commercial), l'école nationale supérieure des Arts et Techniques du Théâtre (ENSATT), placée sous tutelle du ministère de l'éducation nationale, et 10 écoles sous statut associatif (9 écoles d'art dramatique et l'Institut international de la Marionnette-IIM).

En ce qui concerne le cirque , 3 établissements sont habilités à délivrer le DNSP : le Centre national des arts du cirque (CNAC) opérateur sous statut associatif, l'Académie Fratellini et l'école supérieure des arts du cirque Toulouse-Occitanie (Ésacto'Lido).

A. QUATRE OPÉRATEURS DU MINISTÈRE DE LA CULTURE INTÉGRALEMENT TOURNÉS VERS LA FORMATION

Quatre opérateurs du ministère de la culture sont intégralement tournés vers la formation dans le domaine du spectacle vivant :

- le conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris (CNSMDP) ;

- le conservatoire national supérieur de musique et de danse de Lyon (CNSMDL) ;

- le centre national des arts du cirque (CNAC) ;

- le centre national supérieur d'art dramatique (CNSAD).

Ces opérateurs sont rattachés au programme 361 « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture » au sein de la mission « Culture ». Les dotations qui leur sont versées dans le cadre du programme 361 représentent 99,9 % du financement public accordé à ces établissements.

La subvention apportée par le ministère de la Culture à ces structures s'élève, au sein de la loi de finances pour 2022, à 48,6 millions d'euros (AE=CP), soit 19,25 % des crédits dédiés aux opérateurs de l'enseignement supérieur culture au sein du programme 361.

Évolution des dotations accordées aux opérateurs du ministère de la culture dédiés à l'enseignement du spectacle vivant depuis 2018 (hors Plan de relance)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances d'après les documents budgétaires

Aux crédits prévus par le programme 361, se sont ajoutées les dotations consenties sur le programme 131 « Création » au cours de la période 2015-2020, qui s'établissent à 0,2 million d'euros par an et visent à couvrir des investissements en lien avec le projet artistique des établissements (achats d'orgues dans les deux CNSMD).

B. DES ENSEIGNEMENTS D'EXCELLENCE QUI S'INSCRIVENT DANS UN RÉSEAU DÉJÀ FOURNI DE CONSERVATOIRES PUBLICS DÉDIÉS AU SPECTACLE VIVANT

Le programme 361 retrace également les financements du ministère de la culture en direction des autres structures dédiées à l'enseignement du spectacle vivant :

- établissements d'enseignement supérieur en musique, danse et théâtre ;

- conservatoires territoriaux ;

- pôles d'enseignement supérieur ;

- organismes de formation aux techniques du spectacle.

Crédits prévus par le programme 361 « Transmission des savoirs »
en loi de finances pour 2022 pour les structures dédiées à l'enseignement
du spectacle vivant

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

L'ensemble forme un réseau dense de structures de formation réparties partout sur le territoire et dont les quatre opérateurs du ministère de la culture peuvent apparaître, à des degrés divers, comme les plus beaux fleurons.

1. Les conservatoires territoriaux : un rôle appelé à évoluer

Les 380 conservatoires territoriaux relèvent, en principe, de la compétence des collectivités territoriales. La participation de l'État à leur financement est motivée par une dynamique d'aménagement culturel du territoire, dans un souci de développer un véritable maillage territorial et de favoriser l'accès aux contenus culturels pour le plus grand nombre. Dans ces conditions, le réseau des conservatoires est soutenu directement par le ministère de la culture, qui exerce un contrôle pédagogique.

La loi relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine (LCAP), adoptée en 2016 1 ( * ) , a, en principe, clarifié le cadre juridique applicable aux conservatoires.

Les conservatoires pourraient ainsi se voir habilités à délivrer un diplôme national d'études musicales, chorégraphiques ou théâtrales . Cette faculté supplémentaire irait de pair avec une révision de la philosophie des apprentissages et de la pédagogie, désormais fondée sur un suivi personnalisé et une évaluation conjointe (enseignants, auto-évaluation de l'élève). Il s'agirait ainsi de se démarquer du modèle scolaire de progression dans les acquisitions.

La certification pourrait être attribuée à un ensemble d'établissements afin de reconnaître et d'encourager les dynamiques de mise en réseau. Tout établissement certifié bénéficierait d'une appellation unique, « Conservatoire », complétée par l'énoncé des spécialités qu'il dispense.

Cette certification serait complétée par un financement de l'État conditionné au respect de deux exigences :

- le respect de l'ancrage territorial et la valorisation du travail en réseau réalisé par les établissements avec les acteurs de l'enseignement et de la musique sur le territoire ;

- l'innovation pédagogique et la diversité des esthétiques d'autre part.

La crise sanitaire n'a cependant pas permis d'engager les transformations réglementaires sur les établissements d'enseignement spécialisé relevant des collectivités territoriales.

En attendant, la loi de finances pour 2022 prévoit différents financements pour les conservatoires territoriaux :

- une subvention de fonctionnement versée à ces établissements. Les moyens dédiés aux conservatoires sont maintenus à leur niveau de 2021, soit 21,3 millions d'euros (AE=CP) ;

- des aides individuelles - 1,6 million d'euros - destinées au soutien aux pratiques artistiques des élèves de l'enseignement initial dans les domaines du spectacle vivant (musique, danse et théâtre) ;

- des subventions pour les conservatoires à rayonnement régional (CRR) ou départemental (CRD) représentent 4,4 millions d'euros (AE =CP), soit le montant déjà prévu en loi de finances pour 2021.

Si le montant versé demeure relativement stable d'une année à l'autre, les modalités d'attribution des aides semblent cependant manquer de clarté et sont jugées inégales selon les directions régionales des affaires culturelles.

La réforme des conservatoires, actuellement en cours de concertation n'a pas d'incidence financière à ce stade.

2. Des pôles d'enseignement supérieur à valoriser

La mise en place de « Pôles d'enseignement supérieur » constitués en établissements publics de coopération culturelle (EPCC) régionaux ou interrégionaux participe du processus de structuration juridique, administrative, financière et scientifique de l'enseignement supérieur du spectacle vivant souhaité par le ministère de la culture. 13 établissements sont concernés.

Ces établissements complètent aujourd'hui le paysage de l'enseignement supérieur du spectacle vivant au côté des opérateurs nationaux. 11,3 millions d'euros (AE = CP) sont dégagés pour le financement de ces pôles en loi de finances pour 2022, soit un montant inchangé par rapport à la loi de finances pour 2021.

Restent plusieurs écueils s'agissant de ces pôles.

- Le premier tient à leur identité et à leur positionnement par rapport aux conservatoires nationaux et aux conservatoires territoriaux à rayonnement régional (CRR). Les formations délivrées par les pôles peuvent être assimilées à des cycles préparatoires aux deux conservatoires nationaux alors que le sentiment d'appartenance reste encore diffus par rapport à un CRR. Les partenariats avec les universités peuvent, par ailleurs, être améliorés, notamment dans l'organisation concrète des enseignements pratiques et théoriques appelés à mieux s'articuler. Les pôles peinent enfin à s'affirmer au niveau international. ;

- Le second écueil tient à leurs moyens : les pôles ont ainsi additionné les missions, sans réelle consolidation des moyens, au risque de connaitre une réelle crise de croissance.

- La principale difficulté de ces pôles concerne l'absence de locaux dédiés ou de locaux en propre. Il en résulte un éclatement des activités préjudiciable à la bonne organisation des cursus ( temps de transport étudiants importants, impact négatif sur la « vie étudiante », éloignement des locaux administratifs des espaces d'enseignement) mais aussi à l'identité et à la visibilité de ces pôles.

II. LES DÉFIS COMMUNS AUX QUATRE OPÉRATEURS

A. LA QUESTION DE L'INSERTION PROFESSIONNELLE

Selon les prévisions du ministère, 94 % des diplômés de l'enseignement supérieur dans le domaine du spectacle vivant et du cinéma devaient obtenir un emploi dans leur secteur de compétence en 2021 dans les trois ans suivant l'obtention de leur titre, contre 89 % en 2020.

Le ralentissement de l'activité culturelle lié à la crise sanitaire fragilise bien évidemment l'entrée sur le marché du travail. Les incertitudes entourant une reprise pleine et entière de l'activité dans le domaine du spectacle vivant supposeraient un suivi renforcé de cette question. Les rapporteurs spéciaux relèvent qu'aucun dispositif particulier n'a été proposé au sein de la mission « Culture » ou de la mission «Plan de relance ».

Le taux global d'insertion doit par ailleurs être affiné et mieux documenté, s'agissant des revenus perçus notamment. Le Jeune théâtre national (JTN), chargé du suivi de l'insertion professionnelle des élèves issus du 1er cycle du CNSAD pourrait à ce titre constituer un exemple à suivre pour les autres enseignements

B. L'OUVERTURE SOCIALE EN QUESTION

La question des bourses n'illustre qu'imparfaitement le degré d'ouverture de ces opérateurs à tous les publics d'élèves. Le nombre de préparations publiques permet d'affiner en effet ce raisonnement.

Nombre de candidats au concours et de candidats reçus
des quatre opérateurs en 2020

Établissement

Candidatures au concours

Élèves reçus

CNSAD

1 646

32

CNAC

144

14

CNSMD Lyon

1 585

130

CNSMD Paris

1 989

445

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses aux questionnaires des rapporteurs spéciaux

Le ministère a octroyé son agrément à une quarantaine d'établissements proposant des cycles préparatoires aux concours des écoles d'enseignement supérieur. Ils sont pour l'essentiel publics.

La plupart des régions sont concernées, même si les rapporteurs spéciaux relèvent l'absence de cycle préparatoire au sein des collectivités territoriales d'Outre-mer.

L'offre publique ne saurait occulter l'attractivité des formations privées. Ainsi pour le CNSAD, les candidatures pour l'entrée en 1 er cycle sont en moyenne issues à 55 % des cours privés et à 45 % des cours publics. Cette attractivité reste cependant insuffisamment documentée pour en tirer des conclusions. Les établissements ne communiquent pas en effet sur le parcours des candidats acceptés aux concours. Il en résulte une difficulté à apprécier l'efficience de l'offre préparatoire publique.

C. UNE MISE À NIVEAU DES SITES QUI NÉCESSITE D'IMPORTANTS INVESTISSEMENTS

1. Des crédits complétés par le Plan de relance

Les quatre opérateurs ont en commun un recours significatif aux fonds publics en vue de financer d'importants investissements destinés à la mise à niveau de sites parfois anciens et à leur extension.

Coût des travaux menés par les 4 opérateurs entre 2017 et 2020
(hors Cité du Théâtre)

(en euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses aux questionnaires des rapporteurs spéciaux

Les rapporteurs spéciaux relèvent en outre l'apport du Plan de relance qui a permis de financer en 2021 et 2022 des projets d'envergure plus particulièrement dédiés à la transition environnementale et numérique, programmés mais jusqu'alors non financés . Les crédits prévus s'élèvent ainsi à 8,725 millions d'euros en 2021 (AE = CP) et 10,44 millions d'euros en 2022 (AE = CP).

Répartition des crédits du plan de relance par opérateur et par programme

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat d'après les réponses au questionnaire des rapporteurs spéciaux

18,85 millions d'euros sont plus spécifiquement dédiés à des travaux au sein des deux CNSMD et du CNAC.

2. Le coûteux projet de Cité du Théâtre

Le Conservatoire national supérieur des arts dramatiques (CNSAD) mène actuellement un projet de localisation de ses classes au sein d'une future Cité du théâtre, installée au sein des anciens ateliers Berthier, dans le XVII ème arrondissement de Paris. Celle-ci regrouperait la Comédie-Française, l'Odéon - Théâtre de l'Europe et le CNSAD. Elle vise à répondre à des besoins immobiliers identifiés de longue date, tout en permettant de tisser des liens nationaux et internationaux sur des propositions théâtrales renouvelées et en misant sur les synergies et la création d'outils partagés. La Cité du théâtre est notamment censée permettre à la Comédie-Française et au Théâtre national de l'Odéon de poursuivre et d'amplifier leurs actions éducatives et sociales à Paris, dans les territoires limitrophes et en région et de renforcer les liens avec le monde éducatif sur l'ensemble du territoire et avec le tissu associatif de proximité. Il s'agit également de développer des formules adaptées au développement des tournées en région.

Répartie sur 23 000 m², la Cité abriterait ainsi :

- pour la Comédie-Française, deux salles de spectacle modulaires de 600 et 250 places, en complément de la Salle Richelieu, une salle de répétition ainsi que des bureaux et ateliers ;

- pour l'Odéon-Théâtre de l'Europe, une nouvelle salle de répétition ouverte au public de 250 places et de nouveaux ateliers de construction qui s'ajouteront à la salle modulaire de 500 places déjà existante sur le site ;

- pour le CNSAD, en plus des salles d'enseignement et de recherche, deux nouvelles salles de spectacle de 100 places et une salle de 200 places ainsi que des espaces de représentation aménagés en extérieur. Le Conservatoire conservera par ailleurs son théâtre à l'italienne situé dans les locaux actuels.

La maîtrise d'ouvrage du projet de construction a été attribuée à un groupement d'intérêt public (GIP) constitué fin 2019, entre l'État et les trois opérateurs concernés. Chacun des quatre membres est garant de la gouvernance du GIP et dispose d'une voix à l'assemblée générale. Une présidence tournante de l'assemblée générale est assurée par les directeurs des établissements à tour de rôle. Le GIP sera également appelé à gérer les espaces et services communs constitutifs de la Cité.

Le projet est financé sur les crédits du programme 131 « Création ». Le budget travaux de la Cité du théâtre a été initialement évalué à 86 millions d'euros toutes dépenses confondues (TDC) hors-taxe. Cette somme couvre l'acquisition d'une partie du terrain auprès de la Ville de Paris qui a évalué son prix à 12 millions d'euros. La livraison des travaux est prévue à l'horizon 2025. Reste que l'avant-projet sommaire (APS) consolidé, remis en avril 2021 par les architectes sélectionnés en 2018, laisse apparaître un montant d'opération plus élevé que l'estimation initiale. Les origines de ces surcoûts sont diverses, liées en grande partie à la prise en compte de diagnostics remettant en cause des hypothèses d'études initiales trop optimistes. Des pistes d'économies sont donc en cours d'examen par la maîtrise d'ouvrage.

Si le projet est ralenti, force est de constater que les alternatives semblent limitées : la surélévation actuelle du bâtiment serait ainsi génératrice de coûts très importants pour un gain de fonctionnalité jugé réduit.


* 1 Loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine.

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