Rapport d'information n° 60 (2021-2022) de MM. Jean-Michel ARNAUD , Bruno BELIN , Mme Nadège HAVET , M. Pierre MÉDEVIELLE , Mmes Marie-Pierre MONIER , Guylène PANTEL , Raymonde PONCET MONGE et Marie-Claude VARAILLAS , fait au nom de la délégation aux droits des femmes, déposé le 14 octobre 2021
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Audition de Mme Marie-Pierre
Badré,
présidente du Centre Hubertine Auclert
(17 décembre 2020)
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Audition de M. Cyprien Canivenc, secrétaire
général de la fédération
Des territoires aux grandes écoles (DTGE) et de Mme Emma Rouvet, coprésidente de l'association De l'Allier aux grandes écoles (DAGE)
(14 janvier 2021)
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Table ronde sur la santé des femmes dans les
territoires ruraux
(28 janvier 2021)
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Audition de Mme Salomé
Berlioux,
fondatrice de l'association Chemin d'Avenirs
(4 février 2021)
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Table ronde sur la lutte contre les violences faites
aux femmes
dans les territoires ruraux : enjeux et spécificités
(11 février 2021)
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Table ronde sur l'accès des femmes aux
responsabilités
dans les collectivités des territoires ruraux
et sur le rôle des élus pour y faire avancer l'égalité
(4 mars 2021)
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Audition de Mmes Géraldine Derozier et
Sylviane Le Guyader, de l'Agence nationale de la cohésion des
territoires (ANCT)
(11 mars 2021)
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Audition de Mmes Laure Pinel, chargée
d'études au Bureau Jeunesse Famille de la DREES, et Yaëlle
Amsellem-Mainguy, sociologue,
chargée de recherche à l'INJEP
(18 mars 2021)
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Table ronde sur l'entrepreneuriat des femmes
dans les territoires ruraux
(25 mars 2021)
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Audition de M. Joël Giraud, secrétaire
d'État chargé de la ruralité,
et de Mme Élisabeth Moreno, ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l'égalité des chances
(5 mai 2021)
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Table ronde sur le thème :
« Être agricultrice en 2021 »
(3 juin 2021)
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Table ronde sur la mobilité au coeur de
l'articulation
des temps de vie des femmes dans les territoires ruraux
(24 juin 2021)
N° 60
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2021-2022
Enregistré à la Présidence du Sénat le 14 octobre 2021
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la délégation aux droits des femmes
et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes
(1) sur la
situation
des
femmes
dans les
territoires
ruraux
,
Par MM. Jean-Michel ARNAUD, Bruno BELIN, Mme Nadège HAVET, M. Pierre MÉDEVIELLE, Mmes Marie-Pierre MONIER, Guylène PANTEL, Raymonde PONCET MONGE et Marie-Claude VARAILLAS,
Sénatrices et Sénateurs.
Tome II : Comptes rendus des auditions
(1) Cette délégation est composée de : Mme Annick Billon, présidente ; M. Max Brisson, Mmes Laurence Cohen, Laure Darcos, Martine Filleul, Joëlle Garriaud-Maylam, Nadège Havet, MM. Marc Laménie, Pierre Médevielle, Mmes Marie-Pierre Monier, Guylène Pantel, Raymonde Poncet Monge, Dominique Vérien, vice-présidents ; Mmes Viviane Malet, Sylviane Noël, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Bruno Belin, Mme Alexandra Borchio Fontimp, M. Hussein Bourgi, Mmes Valérie Boyer, Isabelle Briquet, Samantha Cazebonne, M. Jean-Pierre Corbisez, Mme Patricia Demas, M. Loïc Hervé, Mmes Annick Jacquemet, Micheline Jacques, Victoire Jasmin, Else Joseph, Kristina Pluchet, Marie-Pierre Richer, Laurence Rossignol, Elsa Schalck, Lana Tetuanui, Sabine Van Heghe, Marie-Claude Varaillas.
Audition de Mme Marie-Pierre
Badré,
présidente du Centre Hubertine Auclert
(17
décembre 2020)
Présidence de Mme Annick Billon, présidente
Annick Billon, présidente . - En mon nom et au nom de tous mes collègues de la délégation, je souhaite la bienvenue à Marie-Pierre Badré. Cette réunion est à la fois la première que nous consacrons à notre projet de rapport sur les femmes et les ruralités et la dernière de cette année 2020.
Je souhaite également la bienvenue à Ambre Elhadad, chargée de l'accompagnement des collectivités locales au Centre Hubertine Auclert, qui participe à cette audition avec nous. Je remercie Marie-Pierre Badré et Ambre Elhadad de leur disponibilité à nos côtés.
Je précise que cette audition fait l'objet d'un enregistrement vidéo qui sera disponible sans limitation de durée sur le site du Sénat.
Notre délégation a souhaité dédier son principal travail de cette session à la situation des femmes en milieu rural. Ce sujet représente un enjeu décisif d'égalité dans notre pays, qu'il s'agisse de l'égalité professionnelle, de l'accès à la formation, à tous les niveaux, de la santé, de la lutte contre les violences et la précarité ou de la participation à la vie politique locale. De ce point de vue, on peut aussi analyser le lien entre mobilité et engagement politique.
Nous nous intéressons bien sûr aux défis de l'égalité entre femmes et hommes, à tous les âges de la vie, dans l'immense diversité des territoires ruraux. Les huit co-rapporteurs désignés par la délégation pour travailler sur cette thématique incarnent cette diversité des territoires.
Nous avons également souhaité mettre en valeur le potentiel extraordinaire pour ces territoires que constitue l'engagement politique, associatif ou entrepreneurial des femmes.
En signe de notre intérêt unanime pour ce travail, nous avons désigné, pour conduire cette réflexion, une équipe de rapporteurs associant tous les groupes politiques représentés dans notre assemblée. Je les cite par ordre alphabétique : Jean-Michel Arnaud, élu des Hautes-Alpes, pour le groupe Union Centriste ; Bruno Belin, élu de la Vienne, pour le groupe Les Républicains ; Nadège Havet, élue du Finistère, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants (RDPI) ; Pierre Médevielle, élu de la Haute-Garonne, pour le groupe Les Indépendants ; Marie-Pierre Monier, élue de la Drôme, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain ; Raymonde Poncet Monge, élue du Rhône, pour le groupe Écologiste - solidarité et territoires ; Guylène Pantel, élue de la Lozère, pour le groupe Rassemblement Démocratique et Social Européen (RDSE) et Marie-Claude Varaillas, élue de la Dordogne, pour le groupe Communiste républicain citoyen et écologiste (CRCE).
Chère Marie-Pierre Badré, il nous a semblé naturel de commencer avec vous le cycle des auditions qui s'engage. En effet, le Centre Hubertine Auclert a publié il y a un an un rapport intitulé Femmes et ruralité, pour l'égalité entre les femmes et les hommes dans les territoires ruraux franciliens . Votre rapport aborde l'ensemble des thématiques qui nous intéressent pour notre travail. Bien que le champ de votre analyse concerne l'Ile-de-France, nous avons estimé que votre démarche pouvait aider les rapporteurs dans leurs réflexions.
J'ajoute que je suis, comme mes collègues, particulièrement sensible au fait que votre travail se réfère à deux rapports de la délégation : celui de 2017 sur les agricultrices et celui de 2016 intitulé Les femmes et l'automobile : un enjeu de lutte contre la précarité, d'orientation professionnelle et de déconstruction des stéréotype s , qui analysait notamment l'importance de la mobilité pour l'émancipation des femmes dans les territoires isolés.
Je vous cède donc la parole sans plus tarder.
Marie-Pierre Badré, présidente du Centre Hubertine Auclert . - Je suis présidente du Centre Hubertine Auclert et conseillère régionale de l'Ile-de-France, membre de l'exécutif de la région et déléguée spéciale auprès de la présidente, en charge de l'égalité femmes-hommes.
Je remercie la délégation aux droits des femmes du Sénat, dont je suis le travail sur les questions d'égalité femmes-hommes depuis des années et qui a déjà produit plusieurs documents et rapports sur les femmes et la ruralité.
Je me félicite par ailleurs de voir combien cette délégation compte une diversité des territoires issus de l'ensemble de la France.
J'habite dans le département de la Seine-et-Marne, territoire ô combien rural de l'Ile-de-France. La région est souvent exclusivement associée aux territoires urbains et périurbains qui la composent. C'est pour cette raison qu'au Centre Hubertine Auclert, nous avons décidé en 2017 de produire un rapport sur les femmes et la ruralité. En effet, 55 % des communes d'Ile-de-France sont classées comme rurales et occupent 64 % du territoire francilien. Il me semblait évident qu'il fallait s'occuper de ces territoires ruraux, trop souvent ignorés par le passé au profit de Paris et de sa proche couronne.
S'agissant des enjeux liés à l'éducation tout d'abord, il faut savoir que les jeunes des zones rurales sont moins nombreux à poursuivre des études supérieures que les jeunes urbains. Il existe sur ce plan dix points d'écart entre les zones rurales et le reste de l'Ile-de-France. Les filles, quant à elles, sont plus nombreuses à ne détenir aucun diplôme dans les zones rurales : 29,1 % contre 25,9 % pour les garçons. Elles font donc face à de nombreux freins pour atteindre un premier niveau de diplôme. Les choix de formations restent, en outre, beaucoup moins diversifiés pour les filles. Elles sont très souvent orientées vers des filières de soin et d'accompagnement tandis que les garçons se destinent plutôt aux métiers du bâtiment et de la mécanique.
Des différences sont donc observées dès la formation initiale. Notre rapport préconise une diversification de l'offre de formations dans les zones rurales, en s'appuyant sur des diagnostics sexués (ce qui est peu fait). Notre rapport préconise également une communication non stéréotypée sur l'ensemble des filières de formations.
S'agissant ensuite des perspectives professionnelles, les taux d'emploi, entre les départements ruraux et le reste de l'Ile-de-France, présentent jusqu'à onze points d'écart qui concernent plus particulièrement le sud de la Seine-et-Marne. En revanche, en Ile-de-France, les femmes vivant en zone rurale sont un petit peu moins confrontées au chômage que les hommes. Néanmoins, elles sont moins « en emploi », c'est-à-dire qu'elles sont plus souvent exclues du marché du travail sans toucher d'allocations.
En grande couronne, les femmes sont plus touchées par des conditions d'emploi précaire s . 39 % sont à temps partiel, ce qui représente un écart de 15,7 points avec les hommes.
Notre rapport préconise donc de favoriser l'accès à la formation continue pour les femmes qui sont très éloignées de l'emploi et d'encourager le développement de l'entrepreneuriat pour les femmes en promouvant les réseaux d'entrepreneuriat et en construisant des espaces particuliers de co-working accessibles à toutes et tous.
Les chiffres suivants méritent d'être connus : entre 5 000 et 6 000 Françaises travaillent dans l'exploitation agricole de leur conjoint sans aucun statut. J'entends ce leitmotiv depuis vingt ou trente ans. Nous voyons bien que les choses n'ont pas beaucoup évolué dans ce domaine. Seules 58 % des femmes agricultrices prennent leur congé de maternité. En outre, les retraites agricoles des femmes sont 2,5 fois plus faibles que la moyenne. En 2010, les femmes dirigeaient des exploitations de 36 hectares en moyenne, contre 62 hectares pour les hommes.
Entre autres recommandations, nous avions pointé la nécessité de renforcer l'accès des agricultrices aux informations sur l'existence des différents statuts en agriculture et de suivre plus particulièrement leur recours au congé de maternité.
Parmi les bonnes pratiques identifiées et encouragées par ce rapport, je mentionnerai le pôle ABIOSOL, où lors de « cafés installation », des agriculteurs expérimentés viennent échanger avec des agriculteurs plus jeunes sur les implications d'un projet agricole.
En Ile-de-France, l'accueil des jeunes enfants constitue un problème majeur dans les zones rurales où la situation est en effet défavorable. En 2010, nous comptions, par exemple, 12 places en accueil collectif pour 100 enfants de moins de trois ans en Seine-et-Marne contre 40 places pour 100 enfants à Paris.
Dans la communauté de communes où je me trouve (Communauté d'agglomération Coulommiers Pays de Brie), nous avons initié, pour les jeunes enfants, un accueil collectif itinérant qui se déplace dans tous les petits villages. Cet accueil permet aux mamans de se déplacer pour aller chercher un emploi ou de faire ce qu'elles ne peuvent pas faire lorsque leurs enfants ne sont pas gardés. Nous prenons en charge ces enfants, âgés de trois mois à quatre ans, par demi-journée s . Nous avons organisé cet accueil il y a un certain temps déjà. Le succès de ce mode de garde est tel que nous le développons dans d'autres territoires ; nous avons régulièrement des demandes de précisions sur le fonctionnement de cet accueil. L'organisation de cette garde itinérante est une grande fierté pour notre territoire.
Après l'accueil des jeunes enfants, le deuxième grand problème des femmes dans la ruralité - qui n'est toutefois pas propre aux femmes - est celui de la mobilité.
Les femmes se déplacent moins souvent en voiture que les hommes. En Ile-de-France, 61 % des femmes se déplacent en transports collectifs ou à pied contre 50 % des hommes, tandis que 37 % des femmes et 45 % des hommes utilisent la voiture. Là encore, nous observons un écart significatif entre le nombre de déplacements des femmes par rapport à celui des hommes. La voiture est le mode de transport le plus utilisé dans les zones rurales : 55 % des déplacements se font en voiture, contre 10 % à Paris.
Les femmes ont également un moindre accès au permis de conduire. 76 % des femmes françaises sont détentrices du permis B contre 90 % des hommes français. En conséquence, les femmes peuvent moins facilement se déplacer que les hommes : très souvent, il n'y a qu'un véhicule par foyer et l'offre de transports collectifs est insuffisante. L'autonomie des femmes est donc entravée par ces difficultés.
Je suppose que la situation est la même dans d'autres départements que la Seine-et-Marne que je connais bien. Celui-ci a mis en place des transports privés à but social ainsi que des transports à la demande. Nous voyons bien que ce n'est pas suffisant, même si des efforts sont régulièrement déployés à l'attention des femmes.
Un autre problème rencontré par les femmes concerne la pratique d'une activité sportive. En 2013, le public féminin avait été ciblé par le plan de féminisation des fédérations élaboré par le ministère de la ville, de la jeunesse et des sports. Pourtant, les femmes des zones rurales n'ont été concernées que par 5,88 % des mesures issues de ce plan de féminisation.
Le manque de temps est la principale raison invoquée pour expliquer cet éloignement de la pratique sportive : 69 % des femmes interrogées dans le cadre du rapport de Manon Laporte sur les femmes dans les sports en Ile-de-France ont en effet répondu qu'elles avaient renoncé à pratiquer une activité sportive par manque de temps.
Le coût de la pratique du sport est la deuxième raison avancée par les femmes, à hauteur de 34 %, pour justifier l'absence de pratique sportive régulière.
À la région Ile-de-France, nous avons fait très attention à promouvoir la pratique féminine dans les associations.
Dans les territoires ruraux d'Ile-de-France, nous constatons un écart de pratique sportive significatif entre les femmes et les hommes. Dans le sud de la Seine-et-Marne, la mobilité constitue la principale raison pour laquelle les femmes ne pratiquent pas de sport. Face à l'insuffisance des installations sportives, la mobilité constitue un frein pour les femmes, dès lors qu'elles ne bénéficient pas d'un moyen de transport autonome pour se déplacer.
S'agissant du volet « lutte contre les violences faites aux femmes » du rapport, je rappelle que le Centre Hubertine Auclert, que je préside, héberge l'Observatoire régional des violences faites aux femmes qui, adossé à la Région Ile-de-France, exerce une influence certaine à l'échelle nationale, voire européenne et internationale. Nous sommes le seul exemple d'un tel organisme sur le territoire. Nous sommes donc très impliqués dans la préconisation de mesures de lutte contre les violences faites aux femmes.
Dans le milieu rural, il existe un grand vide concernant la lutte contre les violences. Les femmes en milieu rural ne connaissaient pas toujours le numéro d'appel d'urgence 3919 . Cette découverte a été sidérante pour nous.
En milieu rural, le premier point de chute des femmes victimes de violences est le médecin. Il est inutile de vous dire que quand ces violences arrivent à des moments où le cabinet est fermé, ces femmes n'ont que très peu de moyens de joindre quelqu'un qui pourrait les aider.
Seules 18 % des franciliennes rurales ont rencontré plus d'un service d'aide en matière de violences, contre 31 % des femmes en milieu urbain francilien. La différence est très importante. Nous sommes dans des territoires où ce sujet est encore tabou. Nous avons encore de grands progrès à faire en matière de communication et d'écoute. En effet, ces sujets ne sont pas abordés facilement dans nos départements ruraux.
Les femmes en milieu rural ne connaissent pas non plus les numéros des associations spécialisées contre les violences qui sont sur leur territoire. En outre, ces femmes sont très réticentes à entreprendre des démarches. C'est ce qui me fait dire qu'il s'agit d'un sujet encore tabou. Ces femmes ont le sentiment qu'elles ne seront pas crues par les professionnels qui connaissent l'auteur, celui-ci pouvant être impliqué dans la vie locale. Ces éléments sont liés.
Ce problème demande beaucoup d'humilité tant il est compliqué. Comment établir des lieux d'écoute pour ces femmes en milieu rural ? Ce sujet est extrêmement délicat car c'est souvent l'anonymat qui est recherché par les victimes. Or dans des villages ou des petites villes, tout le monde se connaît ! Cette absence d'anonymat explique pourquoi les femmes ne portent pas plainte et pourquoi elles n'entreprennent aucune démarche. L'angoisse d'être reconnue et d'être considérée comme une victime est très culpabilisante , et constitue un véritable obstacle en milieu rural. Dans les zones urbaines, l'anonymat est mieux assuré pour les victimes de violences conjugales.
La lutte contre les violences constitue donc un sujet majeur sur lequel nous devons nous pencher. Si nous ne faisons pas attention et si nous ne prenons pas des mesures importantes pour permettre à ces femmes de sortir de ces violences, il en résultera un écart accru entre les milieux ruraux et les zones urbaines. En termes d'inégalités entre ces territoires, la lutte contre les violences faites aux femmes est un enjeu majeur !
Les violences conjugales entraînent aussi des violences intrafamiliales. Nous estimons qu'il y a plus d'enfants qui souffrent de ces violences en milieu rural que dans les zones urbaines. Il existe évidemment des centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) dans certains territoires. Les places disponibles sont toutefois peu nombreuses, au regard de ce qui existe dans les zones urbaines.
Concernant l'accès au droit et à l'information juridique, il n'existe que 9,7 % de points d'accès au droit dans les zones rurales. Nous voyons bien qu'il s'agit d'un problème majeur, bien qu'il soit souvent occulté, y compris par des élus des territoires ruraux. C'est extrêmement compliqué si vous ne disposez pas, dans votre collectivité, d'un ou d'une référente connaissant bien ces problématiques et soumis à la confidentialité.
S'agissant des déserts médicaux, vous avez sans doute déjà connaissance des mêmes chiffres que moi. Vous connaissez les difficultés que rencontrent dans ce domaine les territoires ruraux. On trouve 1,1 % des gynécologues en zone rurale contre 14,2 % en zone dense. 30 % des franciliennes restent à l'écart du dépistage du cancer du sein. La couverture contraceptive se ressent de ces difficultés. Les inégalités dans le domaine de la santé s'accroissent.
J'ai été élue à la région Ile-de-France en 2010. Nous étions huit dans la délégation de Seine-et-Marne ; lorsque notre délégation est arrivée à la région Ile-de-France en 2010, le regard de l'ensemble de l'assemblée régionale m'a donné l'impression que nous étions les paysans qui « débarquaient ». Ce sentiment, partagé par toute la délégation, correspondait à la réalité. Quand on est à Paris, la Seine-et-Marne semble « de l'autre côté » de la France. J'imagine ce qu'il en est pour les personnes qui habitent vers Souppes-sur-Loing lorsqu'elles arrivent à la région Ile-de-France. La perception des territoires urbains et ruraux est très différente : tout au long de ces années au conseil régional, je l'ai constaté très concrètement. Nous avons encore du travail à faire !
En milieu rural, les femmes sont très engagées dans les associations, les clubs sportifs, etc. Mais l'engagement en politique reste un pas plus difficile à franchir pour les femmes. De ce point de vue, les mesures prises au cours des dernières années en faveur de la parité, avec des paliers successifs, ont été extrêmement bénéfiques.
Quand la parité a été rendue obligatoire dans les conseils municipaux pour la première fois, j'étais déjà très engagée pour l'égalité, et particulièrement pour la parité en politique, car j'avais mesuré combien la trop faible présence de femmes élues était un désastre, surtout dans mon territoire. J'étais présidente d'une association, Parité 50/50 , qui faisait la promotion des femmes en politique sur tout le territoire français.
Quatre ou cinq ans après notre première élection paritaire au conseil municipal, j'ai organisé une grande réunion des différentes communautés de femmes dans une ville où ces communautés étaient très nombreuses : le maire de cette ville a dit publiquement devant 700 personnes qu'il n'avait pas imaginé l'intérêt d'avoir autant de femmes dans un conseil municipal...
Des progrès ont donc été réalisés. Néanmoins, en zone rurale, il faut aller chercher les femmes, surtout dans les petites communes en dessous de 3 500 habitants. Cela me hérisse lorsqu'une femme se demande si elle va être compétente. Les hommes se posent-ils la question de leurs compétences quand ils partent à la conquête d'une mairie ou d'un mandat ? Depuis quarante ans, je demande aux femmes d'arrêter de se poser cette question, car elles sont aussi compétentes que les hommes. Ce questionnement est de moins en moins vrai dans les zones urbaines mais, en milieu rural, j'ai encore entendu cette interrogation récemment, de la part de jeunes femmes, lorsque nous préparions les élections dans la petite commune où je suis élue. Je me bats pour les femmes depuis quarante ans ! Quand j'entends ces questionnements, je mesure le chemin qui reste encore à parcourir...
En même temps que ce rapport, nous avons mené une enquête inédite, qui a été effectuée par l'institut de sondage BVA auprès des femmes et des hommes élus dans les territoires ruraux franciliens. Une femme sur dix évoque les remarques sexistes qu'elle entend ou subit comme une difficulté de son mandat. C'est beaucoup, une femme sur dix ! 16 % des adjointes qui ne souhaitent pas se représenter expliquent ce choix par le sentiment de ne pas être utiles, contre 1 % des adjoints. Les femmes sont également plus nombreuses à affirmer que les relations conflictuelles avec les autres élus sont aussi une raison de ne pas se représenter.
Les éléments que je viens de vous exposer constituent les grandes lignes du rapport du Centre Hubertine Auclert sur les femmes et la ruralité dans les territoires franciliens. J'espère qu'il vous permettra de nourrir le vôtre, sachant que le Sénat est très attaché à l'égalité des territoires et veille à ce que les inégalités ne grandissent pas avec le temps.
Je reste à votre disposition, avec Ambre Elhadad, pour répondre aux questions que vous auriez à nous poser.
Annick Billon, présidente . - Merci beaucoup, Madame la présidente, de cet exposé qui a balayé un certain nombre de sujets. Nous avons vu que la mobilité, l'accueil des enfants et la santé restent des problématiques et des freins importants pour les femmes en zone rurale. Vous avez annoncé des chiffres assez inquiétants, mais que nous imaginions bien.
Je vais passer la parole à ceux qui, parmi les huit co-rapporteurs, ont des questions à poser.
Bruno Belin, rapporteur . - Merci, Madame la présidente, d'avoir accepté ce chantier important pour l'année à venir. Je suis très heureux de faire partie des rapporteurs pour conduire ce travail à vos côtés.
Je dois vous dire que je me suis régalé en écoutant Mme Badré !
Depuis mon élection au Sénat, je suis resté élu d'un petit village de la Vienne de 900 habitants, dont j'ai été maire. Au mois de mars dernier, j'ai participé à mes septièmes élections municipales : cette ancienneté m'a permis de constater des évolutions. Je suis également pharmacien d'officine dans ce village, et toujours en activité.
Je voudrais intervenir sur quelques points. Nous avons visiblement le même vécu puisque, dans ma vie d'élu, j'ai souvent entendu des collègues femmes se demander si elles seraient à la hauteur avant de briguer une élection. Alors que la loi ne l'impose pas là où je suis élu municipal, j'ai réussi à constituer des conseils municipaux paritaires en faisant intervenir d'autres collègues déjà élues pour convaincre les femmes de se présenter et établir une sorte de « marrainage » d'élue à élue.
Néanmoins, la règle électorale diffère en France entre les conseils municipaux de plus de mille habitants et ceux de moins de mille habitants. J'y vois une sorte de discrimination, même si, je le conçois, le mot est un petit peu fort. Je ne sais pas si notre travail pourra déboucher sur une proposition de loi qui permettra de faire évoluer les choses sur ce point. Je l'espère pour ma part. J'ai pu constater que le panachage est terrible en milieu rural. Dans mon village, certains se régalent de l'usage de la « règle du stylo » dans l'isoloir ! Effectivement, le panachage peut être plus dur pour les femmes, et particulièrement pour les jeunes femmes. Je ne dispose pas d'études ni de chiffres précis sur ce sujet, mais j'estime que le droit devrait être le même dans toute la France et s'appliquer de la même façon dans toutes les communes lors des élections municipales. Je ne vois pas pourquoi il existe encore deux systèmes différents concernant l'obligation de parité lors de ces élections. Le système de la liste bloquée paritaire devrait s'imposer quelle que soit la taille de la commune. De même, les règles ne sont pas les mêmes concernant la parité des exécutifs dans les communautés de communes.
L'heure tardive des réunions est souvent pointée par les femmes comme un obstacle à leur implication dans la vie politique locale. En milieu rural, il est difficile de réunir les conseils municipaux dans la journée, car beaucoup de conseillers exercent une activité professionnelle. Le soir est donc plus propice à l'organisation des réunions.
J'aimerais évoquer deux autres sujets que vous avez abordés. Tout d'abord, la question du logement et de l'accueil des victimes de violences. En tant que maire, j'ai dû faire évacuer plusieurs fois de leur logement des femmes victimes de violences. Cela m'a toujours choqué. Parfois, les enfants étaient aussi concernés. D'autres fois, nous devions évacuer ces femmes en laissant les enfants avec celui qui était vraisemblablement ou incontestablement à l'origine de la violence. Ces questions sont particulièrement difficiles en milieu rural. En milieu urbain, il m'arrivait de pouvoir réquisitionner des hôtels. En effet, j'ai aussi eu des responsabilités départementales, notamment en matière d'affaires sociales. Ces réquisitions sont plus faciles en milieu urbain qu'en milieu rural. Pour avoir essayé de l'expérimenter aussi avec un bailleur social départemental - n'oublions pas que les départements ont des compétences en matière de solidarité -, nous avons essayé d'imposer un pourcentage de logements affectés à l'accueil de femmes victimes de violences. Évidemment, il faudrait qu'il soit aussi possible, dans le cadre de négociations avec les bailleurs sociaux, de prévoir de tels logements dans certains bassins de vie ruraux. Il faut notamment que les structures scolaires soient à proximité si elles ont des enfants en âge d'être scolarisés. On ne peut pas, en milieu rural, isoler des femmes déjà victimes et les rendre ainsi deux fois victimes à cause de cet isolement. C'est pour cela qu'il faut réfléchir à la manière d'organiser l'accueil de ces femmes, avec des logements spécifiques, pour les protéger, en centre-bourg, là où se trouvent évidemment des écoles et des lieux de santé.
En tant qu'élu départemental et président du département de la Vienne, j'ai fait recruter des gynécologues qui exercent dans les Protections maternelles et infantiles (PMI). Il s'agissait d'une expérimentation. L'accès aux spécialistes est extrêmement difficile, nous en avons tous conscience. C'est encore plus vrai en milieu rural, en raison principalement de difficultés de mobilité. J'ai en tête des expériences que nous avons pu mener dans le Civraisien, qui est un territoire du sud du département où je suis élu. Grâce aux PMI, aux sages-femmes qui y effectuent des consultations et aux gynécologues recrutés dans les équipes des médecins départementaux, on a eu une écoute et une disponibilité appréciables. Évidemment, cette disponibilité ne concernait pas toutes les plages horaires de la semaine. Néanmoins, c'est une piste que l'on peut creuser en partenariat avec l'Assemblée des départements de France (ADF) et les départements, parce que les structures les plus proches du milieu rural restent les départements. Nous retrouvons souvent la fracture que vous évoquez pour la Seine-et-Marne. Beaucoup de départements ont aussi instauré des dispositifs expérimentaux permettant de répondre aux défis du monde rural. Je pense, par exemple, à DocVie qui s'est généralisé du côté de Bordeaux mais qui est né d'une volonté départementale. DocVie a proposé, avec mobilité, le dépistage gratuit du cancer du sein à partir de cinquante ans puis du cancer colorectal.
Grâce au Conseil de l'Ordre des pharmaciens, les officines ont été très mobilisées pendant le confinement, avec un code communiqué aux femmes victimes de violences pour qu'elles puissent se signaler et demander discrètement une protection au comptoir des officines. Vous savez que les pharmacies sont évidemment tenues au secret professionnel. L'utilisation de ce code déclenchait obligatoirement un signalement et une protection. Grâce au Conseil de l'Ordre, le réseau des 22 000 pharmacies en France, dont beaucoup se trouvent en milieu rural, est un bon outil de relais dans la lutte contre les violences.
Madame Badré, je tiens à vous remercier une nouvelle fois pour le témoignage que vous nous avez apporté ce matin.
Jean-Michel Arnaud, rapporteur . - Madame Badré, je vous remercie pour votre intervention. Votre témoignage est très impressionnant. En effet, vu de territoires encore plus ruraux que certains départements de l'Ile-de-France, il est difficile d'imaginer que votre arrivée en région Ile-de-France ait pu être aussi marquante que celle d'élus de s territoires ruraux de la France profonde lorsqu'ils se rendent, pour la première fois, au Sénat... Je vois que le chemin qui a été le vôtre est également un peu le nôtre ! Nous sommes évidemment engagés dans ce combat pour l'égalité entre les territoires, car il est important que le principe d'égalité hommes-femmes puisse être universel. S'il y a encore des progrès à accomplir dans ce domaine en zone urbaine, c'est également le cas en milieu rural.
La question de la représentation dans les conseils municipaux a été évoquée à plusieurs reprises : je n'y reviendrai pas.
La représentation au niveau intercommunal est également un sujet important. Un nombre croissant d'actions et de politiques publiques structurantes se mène dans les intercommunalités. La parité et l'égalité dans les exécutifs intercommunaux posent également question, en raison de la persistance du verrou de la représentation des femmes dans les communes de moins de mille habitants situées dans les territoires ruraux. Les modalités permettant de faire sauter ce verrou restent encore à imaginer. Si les conseils municipaux ne sont pas paritaires dans ces communes de moins de mille habitants, cela a des conséquences sur la parité dans les exécutifs intercommunaux, en raison de ce déséquilibre fondateur de la représentation du bloc communal.
Autre sujet : la place des femmes dans les entreprises, de manière générale et dans les zones rurales en particulier, mérite notre attention. L'entreprise dans les zones rurales concerne essentiellement l'agriculture, l'économie de services, le commerce et l'artisanat. Vous avez dit vous-même que si nous rencontrons des difficultés en termes d'égalité hommes-femmes, cela tient essentiellement à des inégalités salariales, de revenus, d'accès à l'emploi, de mobilité, d'éducation et d'accompagnement des politiques de la jeune enfance qui ne favorisent pas l'accès à l'autonomie par le travail. Dans le cadre du rapport de la délégation, un focus particulier est à faire sur l'entreprise et sur l'engagement professionnel. C'est un élément à explorer pour mieux connaître les blocages à l'emploi en zone rurale.
Je souhaiterais également dire un mot sur la manière dont les femmes accèdent aux responsabilités dans les territoires ruraux. Il a été dit, de manière très juste, que les femmes étaient très présentes dans les milieux associatifs. Un focus sera également à faire sur cette question. Participer est une chose, diriger et impulser les orientations associatives - quelles que soient les thématiques - en est une autre. Mon ressenti est que la présence des femmes dans les bureaux et dans les présidences d'associations dans les zones rurales est inférieure à celle des hommes. Il faudrait connaître précisément les mécanismes de ce déséquilibre.
Enfin, pendant des années, l'accès à l'éducation et au partage des responsabilités dans les zones urbaines s'est souvent fait par le biais d'organismes tels que les Jeunesses agricoles catholiques (JAC) et les Jeunesses Ouvrière Chrétienne (JOC). Le syndicalisme, notamment agricole, demeure un élément de promotion de la place des femmes dans les zones rurales. Dans mon département, les syndicats, quelle que soit leur orientation, sont largement investis par les femmes. Voir des jeunes femmes leur consacrer du temps donne une image positive et montre leur engagement pour les causes qu'elles défendent. J'ai constaté, notamment lors du dernier renouvellement municipal, que cette école du syndicalisme a généré un engagement dans les conseils municipaux les plus ruraux. J'ai vu apparaître une nouvelle génération de jeunes maires, issus de mouvements syndicaux agricoles, prenant des responsabilités dans les communes rurales. La question est toujours celle de l'éducation partagée à la responsabilité. Le milieu associatif, le milieu syndical et les milieux de la représentation professionnelle des artisans peuvent être des creusets de progression de l'égalité hommes-femmes dans les zones rurales.
Madame Badré, je crois important que nous prolongions par la suite les échanges que nous avons initiés ce matin. Nous inspirer de votre méthode peut être précieux pour nous, afin de créer une corrélation entre ce que vous avez réalisé sur la région Ile-de-France et la situation des autres régions. La contribution de la délégation aux droits des femmes du Sénat permettra, je l'espère, de faire progresser cette cause à la fois légitime, nécessaire et moderne. Il s'agit d'un travail à toujours renouveler dans le territoire national et notamment dans les zones rurales.
Marie-Pierre Badré . - Merci. MM. Belin et Arnaud ont évoqué la parité dans les intercommunalités. Je précise que la commission « Parité » du Haut conseil à l'égalité (HCE), dont je suis membre au titre des régions de France, est en train d'établir un rapport pour déterminer des leviers d'amélioration de la parité dans les intercommunalités.
Par ailleurs, concernant les communes de moins de mille habitants, les précédentes interventions semblent montrer que l'on peut envisager une évolution de la loi. Dans cette perspective, nous nous dirigerions vers une uniformité des dispositions législatives sur la parité dans les conseils municipaux.
Ces deux points sont excessivement importants. Vous savez comme moi que le pourcentage de femmes maires en France est de 20 % depuis les dernières élections communales. Par conséquent, dans la mesure où les maires sont majoritairement des hommes, la structure de l'exécutif des intercommunalités - y compris au niveau des délégués - est mécaniquement composée d'une majorité d'hommes. Il s'agit d'un sujet majeur sur lequel le HCE est en train de travailler. Vous aurez probablement bientôt connaissance de ses préconisations dans ce domaine.
Marie-Pierre Monier, rapporteure . - Vous entendre a été un vrai plaisir pour moi car je suis une rurale, même si on me dit souvent qu'il ne faut pas opposer le rural à l'urbain. Dans un premier temps, vous avez bien démontré la spécificité et les difficultés des territoires ruraux. Vous avez insisté sur la mobilité qui entraîne des difficultés pour se former, faire garder ses enfants et se soigner. En effet, les distances plus grandes nécessitent davantage de temps et d'argent. Tout cela a des conséquences.
Vous venez à l'instant de parler de l'engagement des femmes en politique, notamment dans les intercommunalités. Je vous remercie d'avoir souligné le fait que les lois sur la parité ont permis que les femmes soient présentes dans les communes de plus de mille habitants. Il a fallu des contraintes légales pour y parvenir. Vous avez souligné la situation des intercommunalités. Avec la délégation, nous y avions réfléchi juste avant les dernières élections municipales. La seule assemblée véritablement paritaire est le conseil départemental, grâce au système des binômes. Faut-il étendre ce système aux autres collectivités ? Le faible pourcentage de femmes maires est à l'origine de problèmes de représentation au niveau des intercommunalités.
Je voudrais rebondir sur un sujet qui nous occupe souvent : les violences faites aux femmes et la manière d'en sortir. Toutes ces questions se rejoignent. Pourquoi les femmes ne sont-elles pas à la tête des syndicats, des associations, des mairies, des intercommunalités ? La réponse est liée à la représentation de la femme, à la place que nous lui donnons. Il faut parvenir à sortir de ces stéréotypes dans lesquels on nous enferme. Je pense qu'il est important de réussir à travailler sur ce sujet en profondeur. Sortir de la violence, c'est également constater qu'il existe une corrélation entre les violences et une représentation des femmes qui maintient les inégalités.
Concernant les violences, je formulerai déjà une petite préconisation pour notre rapport. Je vous ai entendu dire que le numéro d'appel d'urgence 3919 et les associations sont peu connus par les femmes de vos départements. Il est important de mettre en place, dans chaque département, un recensement de ces structures afin de réfléchir à la façon dont nous pourrions faire connaître à toute la population les acteurs associatifs et institutionnels engagés dans la lutte contre les violences. C'est ce que nous faisons dans la Drôme au niveau des élus, avec un collectif dont je fais partie, sur un bassin composé de 70 des 364 communes que compte le département. Nous devrions peut-être voir si nous pouvons généraliser cette idée.
J'aimerais savoir si vous avez une idée des leviers à activer dès le plus jeune âge pour combattre les stéréotypes. En effet, il nous faut vraiment agir en amont, notamment dans le circuit scolaire, afin de renforcer cette mixité. Dans vos propos, vous avez beaucoup expliqué que votre situation est très particulière, en tant que territoire rural de l'Ile-de-France. Vous disposez donc, derrière vous, d'une puissance urbaine que nous ne trouvons nulle part ailleurs en France. De ce fait, je me demandais si la plupart des préconisations que vous avez formulées dans votre rapport, spécifique aux territoires ruraux franciliens, pourraient être appliquées à d'autres territoires ruraux de France. Selon vous, quelles sont les inégalités femmes-hommes qui sont plus prégnantes dans les territoires ruraux que dans le reste des territoires ? Vous avez cité quelques beaux exemples parmi les actions que vous avez menées au sein de votre intercommunalité. Comment pourrions-nous mobiliser davantage les collectivités territoriales en faveur de l'égalité ? Quel échelon d'intervention serait le plus approprié au niveau des collectivités territoriales afin de mettre en oeuvre des mesures en faveur de l'égalité entre les femmes et les hommes ?
Tout à l'heure, l'un de mes collègues co-rapporteurs a expliqué qu'il est plus difficile d'organiser les réunions des exécutifs locaux durant la journée dans sa commune. Soit, tout le monde travaille pendant la journée même s'il est possible que, dans certains territoires, les femmes travaillent moins la journée et sont davantage avec leurs enfants le soir. Cela me gêne que nous ne tenions pas suffisamment compte des conditions de vie des femmes. Si nous voulons qu'elles participent à la vie politique, il faudrait adapter l'organisation de la vie politique locale en fonction de leurs priorités. Or c'est l'inverse qui se produit !
Enfin, en termes d'accès aux soins, vous avez évoqué le manque de professionnels spécialistes de la santé sexuelle et reproductive dans les territoires. Dans votre rapport, il me semble que vous avez parlé plus spécifiquement des sages-femmes. L'accès à l'IVG est compliqué. Avez-vous une idée sur la façon dont nous pourrions renforcer cette présence médicale en ruralité ?
Marie-Pierre Badré . - Madame Monier, je vous remercie d'avoir souligné la première des inégalités : les stéréotypes de genre. Vous avez bien vu qu'il y a une certaine culture, particulièrement en politique. J'évoque souvent la culture « jambon-salade », qui existait il y a quarante ans lorsque des femmes se rendaient à des réunions le soir : « au dîner, vous mangerez du jambon et de la salade ». Cette culture-là n'est pas particulièrement développée en milieu rural, où la situation diffère par rapport aux villes. Je donne toujours cet exemple car il s'agit d'un marqueur de différenciation entre zones urbaines et zones rurales.
Les freins majeurs à l'égalité en milieu rural sont les obstacles à une plus grande autonomie des femmes. La première des solutions est la mobilité. Bien qu'elle ne constitue pas l'unique problème, la mobilité est un frein majeur à l'autonomie des femmes. Cette autonomie passe également par la possibilité de faire garder ses enfants. Quel est l'échelon le plus approprié pour cela ? C'est l'intercommunalité. J'ai donné l'exemple d'une crèche ambulante : cette initiative dépend bien entendu de l'intercommunalité.
Prenons l'exemple de mon intercommunalité de 95 000 habitants, où je suis élue depuis trente ans. Nous avons 24 % de femmes dans l'exécutif de l'intercommunalité. Vous pouvez regarder quel est le pourcentage de femmes dans les commissions. À chaque fois que je vois une photo d'élus exclusivement masculins sur les réseaux sociaux, je demande toujours où sont les femmes ! Chacune d'entre nous doit contribuer à faire en sorte que les commissions des intercommunalités soient paritaires.
Lorsque la loi sur la parité au sein des exécutifs des communes de plus de 3 500 habitants a été votée, nous avions pensé que la dynamique de cette loi allait entraîner la formation de conseils municipaux paritaires dans les communes de moins de 3 500 habitants. Et pourtant, cela n'a pas été le cas. C'est pourquoi la contrainte législative demeure nécessaire. Il n y a pas de dynamique paritaire spontanée en France et ailleurs. Sans la loi, la dynamique paritaire ne peut s'engager.
Merci pour cette intervention, Marie-Pierre Monier, qui montre tous les freins qui empêchent que les femmes soient entendues en zone rurale. Les femmes ne sont pas entendues car elles sont minoritaires dans les instances politiques. Rappelez-vous que pour qu'un argument soit entendu et pris en compte dans une assemblée, quelle qu'elle soit, il faut que la minorité qui s'exprime soit représentée à plus de 30 %. Vous imaginez donc bien la difficulté d'évoquer des problèmes qui concernent les femmes dans des espaces politiques où elles sont absentes. La première des mesures sur lesquelles nous nous penchons en ce moment au Haut conseil à l'égalité concerne la parité dans les intercommunalités, car ces instances sont au plus près du territoire, après les maires. La situation est différente pour la région, qui est une grande structure. Nous sommes paritaires et nous pouvons faire valoir les difficultés que nous rencontrons. Ce n'est pas le cas dans les zones rurales. Madame la sénatrice, vous avez pointé un problème majeur, celui de la persistance de stéréotypes de genre. Ces stéréotypes existent aussi en zone urbaine mais ils sont plus implantés en zone rurale : c'est le coeur du sujet.
Bruno Belin, rapporteur . - Concernant la représentation dans les collectivités, il faut passer par la loi : je rejoins totalement Mme Badré sur ce point. Néanmoins, il faudrait peut-être partager les témoignages d'élus qui ont réussi à mettre en place des exécutifs paritaires depuis trente ans. C'est mon cas. J'ai également présidé une communauté de communes dans laquelle on dénombrait autant de vice-présidentes que de vice-présidents. Aujourd'hui, dans le département de la Vienne, une femme préside le Service départemental d'incendie et de secours (SDIS) et une femme préside la protection de l'enfance. Il y a plus de vice-présidentes dans l'exécutif départemental que de vice-présidents. De même, le cabinet du président du département était paritaire. Il existe aussi, parfois, des situations que nous pouvons faire connaître pour montrer l'exemple et donner envie. La Vienne a un chef-lieu d'arrondissement avec une femme maire. Le Grand Poitiers est présidé par une femme, tout comme l'aéroport de Poitiers.
Annick Billon, présidente . - Des échanges pourront bien sûr avoir lieu entre les rapporteurs et Mme Badré par la suite.
Victoire Jasmin . - J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt les propos échangés et j'ai été très heureuse d'entendre ce qui a été dit sur les intercommunalités. Il est appréciable de voir que des hommes comme notre collègue Bruno Belin contribuent à ce que la situation change. J'ai également beaucoup apprécié votre intervention, Madame Badré.
Nous pouvons tenter de faire évoluer la situation en nous adressant aux plus jeunes. Par exemple, il existe des référents égalité au sein de l'Éducation nationale. Des inspectrices et des inspecteurs travaillent sur l'égalité entre les garçons et les filles. Nous devons aussi inciter les filles à prendre la parole. Certaines femmes appréhendent de s'exprimer en public et de s'impliquer alors qu'elles pourraient utiliser leur potentiel pour agir. En effet, les femmes sont si habituées à ne pas occuper de place que certaines craignent encore cette prise de parole. Nous devons agir à tous les niveaux, même dans les conseils de classe, pour que les habitudes changent. La situation dans les intercommunalités doit évoluer vers la parité. C'est déjà un peu le cas dans les communes mais les femmes ne sont pas forcément mises en avant pour occuper les postes à fort pouvoir de décision s . Elles doivent parfois s'imposer, ce qui est regrettable. Je crois que les femmes ont beaucoup à apporter, tant dans la transmission que dans l'organisation.
Marie-Pierre Richer . - J'ai été présidente de communauté de communes pendant dix ans. Je voulais partager mon expérience avec vous car, au départ, ma situation n'était pas acquise. J'étais vice-présidente en charge des affaires scolaires : une compétence souvent dévolue aux femmes, comme les affaires sociales. Lorsque j'ai proposé ma candidature à la présidence de la communauté de communes, nous n'étions que deux femmes sur trente-cinq élus. La situation n'a pas été simple et j'ai dû faire mes preuves. L'élection a donné lieu à quelques abstentions. Je crois aussi que nous, les femmes, cherchons à prouver que nous méritons la fonction que nous occupons. Ma petite victoire a été qu'en 2014, j'ai été renouvelée au poste de présidente, sans aucune discussion. J'ai aujourd'hui quitté la communauté de communes puisque je suis sénatrice. Malheureusement, à ce jour le président et les vice-présidents de cette communauté de communes sont tous des hommes... Je voulais simplement dire que la féminisation des exécutifs locaux, et notamment intercommunaux, demeure très fragile.
J'ai également été présidente du SDIS du Cher. J'ai subi toutes sortes de préjudices liés aux stéréotypes. J'avais la chance d'avoir, à mes côtés, une directrice adjointe qui était l'une des premières en France. Elle est aujourd'hui présidente d'un SDIS. Ma remarque vise à rappeler que la place des femmes est loin d'être acquise. Il s'en faut de peu que les postes retombent dans l'escarcelle des hommes.
Annick Billon, présidente . - Notre collègue Marie-Claude Varaillas, qui rencontre des problèmes de connexion à distance, pourra adresser par écrit les questions qu'elle souhaite poser à Mme Badré.
Marie-Pierre Badré . - Merci d'avoir organisé cette réunion si importante pour nous. Je remarque que les problématiques sont les mêmes dans toute la France. Je félicite les hommes qui promeuvent les femmes aux plus hautes responsabilités : ils sont suffisamment rares pour que nous les remarquions. Le problème de fond est celui que vient de mettre en avant Marie-Pierre Richer, présidente pendant dix ans d'une intercommunalité. Elle vient de dire qu'après son départ, l'exécutif de cette intercommunalité ne compte à nouveau que des hommes. Nous voyons bien la fragilité de ce que nous avons acquis.
Prenons l'exemple de l'interruption volontaire de grossesse (IVG) - ce sujet me tient particulièrement à coeur en ce moment - il y a actuellement des menaces terribles contre l'IVG. Ce droit, acquis il y a 46 ans, fait l'objet de remises en cause. Il existe de moins en moins d'endroits en France où les IVG sont pratiquées. C'est encore pire en milieu rural ! Cela explique pourquoi, durant le premier confinement, le Gouvernement a pris une mesure - loin de faire l'unanimité - afin de repousser de douze à quatorze semaines le délai de recours à l'interruption de grossesse. En effet, les disponibilités pour faire pratiquer les IVG dans les délais légaux étaient insuffisantes. Le Gouvernement a refusé de le faire à nouveau durant le deuxième confinement. C'était légitime de mon point de vue car les femmes pouvaient plus facilement accéder aux hôpitaux ou aux cliniques qui pratiquent cette intervention. Nous voyons bien combien ces avancées sont fragiles. À la région Ile-de-France, nous avons pris position suite à la décision du Tribunal constitutionnel polonais de restreindre drastiquement l'accès des femmes à l'IVG. À la suite de cette décision, les femmes sont descendues dans la rue et le gouvernement polonais n'a pas tiré les conclusions législatives de la décision du tribunal constitutionnel.
Tous les droits que nous avons obtenus, même ceux qui ont été acquis il y a si longtemps, sont fragiles. Rappelez-vous les propos de Simone de Beauvoir qui affirmait qu'à la première crise, religieuse ou sociale, les droits des femmes seraient remis en cause immédiatement. Il faut retenir cette réalité. L'égalité femmes-hommes est encore un combat. Elle reste un combat. Pour ma part, je mène ce combat tous les jours.
Je remercie le Sénat de se pencher sur les femmes dans la ruralité, notion qui concerne des territoires très étendus et de nombreuses personnes. Nous avons tendance à oublier ces territoires, alors qu'ils font partie intégrante de la vie de notre pays. Il faut, chaque jour, faire en sorte que les femmes qui vivent dans ces territoires soient un peu plus présentes. L'harmonisation entre la vie professionnelle et la vie familiale est l'un des éléments qui favorisent l'accès des femmes aux responsabilités. M. Belin a cité les réunions tardives comme obstacle à l'engagement politique des femmes. Il est plus facile, au Centre Hubertine Auclert, d'organiser des réunions le soir à partir de 18 heures. Nous offrons l'équivalent du coût de la garde des enfants aux femmes qui sont membres du conseil d'administration pour qu'elles assistent aux réunions. C'est peut-être plus facile car nous sommes en zone urbaine. Néanmoins, je pense que, même en milieu rural, on devrait pouvoir offrir cette possibilité. Cela représente pour nous un budget peu significatif. Certaines mères (ou pères) ne peuvent pas participer au conseil d'administration en raison du système de la garde alternée. Pour éviter de les empêcher de participer aux conseils d'administration du centre, nous avons la possibilité d'offrir trois heures de garde d'enfant aux parents qui, faute d'une telle aide, ne pourraient pas se déplacer. C'est une piste à suivre.
Il est clair que nous devons tout faire pour que les représentants des deux sexes soient partie prenante de la vie de notre pays. Je rappelle que les femmes représentent 52 % de la population dans le monde. Nous sommes majoritaires en matière de population. Nous sommes loin d'être à ce niveau dans les processus de prise de décisions.
Le Centre Hubertine Auclert reste bien entendu à votre entière disposition si vous avez besoin d'éléments plus techniques pour votre rapport.
Annick Billon, présidente . - Je vous remercie. Nous avons été très attentifs aux réponses que vous avez pu apporter aux co-rapporteurs qui ont pu s'exprimer. Je ne doute pas que nous allons poursuivre ces échanges. Vous avez évidemment identifié et pointé les freins majeurs rencontrés par les femmes en zone rurale. Vous avez aussi souligné que les droits des femmes ne sont jamais acquis. L'accès à l'IVG est évidemment un sujet sérieux. Étant élue dans le département rural de la Vendée, je sais que l'accès à l'IVG diffère selon les territoires, ce qui est inadmissible. L'IVG est un droit et doit être accessible partout, à l'image d'une gendarmerie pour des questions de violences ou d'un gynécologue pour la prévention du cancer.
Concernant la représentation des femmes dans nos collectivités et la parité dans les communes de moins de mille habitants, nous y avons travaillé avant les dernières élections municipales mais cette réflexion n'a pas conduit au dépôt d'une proposition de loi. L'Association des Maires de France (AMF) avait constitué un groupe de travail sur ce sujet et soutenait la parité dans les communes de moins de mille habitants. Néanmoins, il n'est pas certain que les conclusions de ce groupe de travail aient été très soutenues dans toutes les instances de l'AMF. Les témoignages que nous avons entendus ce matin rappellent que, sans la contrainte, l'objectif de parité ne pourra pas être atteint.
Des sujets importants nous attendent à la rentrée de janvier : la poursuite du travail sur le rapport « Femmes et ruralités », une proposition de loi sur l'IVG et une proposition de loi visant à protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels. Le programme de la délégation est donc chargé !
Audition de M. Cyprien
Canivenc, secrétaire général de la
fédération
Des territoires aux grandes écoles (DTGE) et
de Mme Emma Rouvet, coprésidente de l'association De l'Allier aux
grandes écoles (DAGE)
(14 janvier 2021)
Présidence de Mme Annick Billon, présidente
Annick Billon, présidente . - Mes chers collègues, nous poursuivons ce matin nos auditions dans le cadre du rapport sur la situation des femmes dans les territoires ruraux avec l'audition des responsables de la fédération Des territoires aux grandes écoles (DTGE), Cyprien Canivenc, secrétaire général, et Emma Rouvet, coprésidente de l'association De l'Allier aux grandes écoles (DAGE).
Je remercie nos interlocuteurs de s'être rendus disponibles pour nous ce matin.
À l'attention de nos invités, je précise que nous avons désigné pour mener à bien notre travail une équipe de huit rapporteurs associant tous les groupes politiques représentés dans notre assemblée, et qui représentent par ailleurs des territoires très divers : Vienne, Drôme, Lozère, Rhône, Hautes-Alpes, Haute-Garonne, Finistère et Dordogne.
Je précise également, pour information, que l'objet de ce rapport est, d'une part, d'établir un bilan aussi complet que possible de la situation des femmes dans les territoires ruraux, à partir de thèmes tels que la précarité, le rôle des élus et l'accès aux responsabilités, les problèmes de mobilité, la santé, les violences, l'égalité professionnelle (qui comprend le sujet de l'accueil des jeunes enfants) l'orientation scolaire et universitaire, l'accès à la formation à tous les niveaux, et l'entrepreneuriat féminin.
Il est aussi, d'autre part, de mettre en valeur des femmes qui, par leur engagement économique, associatif, politique ou culturel, contribuent au dynamisme de ces territoires et peuvent constituer des modèles pour les jeunes filles et les autres femmes.
Chers invités, notre projet de travail concerne les femmes dans les territoires ruraux, à tous les âges de la vie, mais bien évidemment la jeunesse occupe une place à part dans notre réflexion. L'actualité donne un écho particulier à cette audition, puisqu'hier, plusieurs questions étaient posées au Gouvernement sur les sujets de la jeunesse et des difficultés rencontrées durant ces différents confinements et depuis le début de la pandémie. De plus, l'orientation scolaire et universitaire est un enjeu d'égalité professionnelle : il est donc vraiment important de vous écouter.
Votre action nous intéresse beaucoup, car elle vise à combler le manque d'information dont disposent les lycéens vivant en milieu rural sur les cursus d'excellence. Ce manque d'information contribue à orienter les jeunes vers des filières moins prestigieuses et moins prometteuses en termes de débouchés professionnels.
Nous avons besoin de comprendre quelles actions de votre fédération sont plus particulièrement destinées aux jeunes filles, dont les ambitions, nous ne le savons que trop, peuvent être bridées par des stéréotypes qui les éloignent de certaines filières. Je pense évidemment aux matières scientifiques et technologiques. De plus, les jeunes filles manquent souvent de modèles auxquels s'identifier.
Les jeunes filles ont-elles, selon votre expérience, besoin d'un accompagnement particulier ? Y a-t-il des différences selon les territoires dans les actions que vous mettez en place à leur intention ? Existe-t-il un profil type de jeunes filles qui bénéficient de l'implication de la fédération DTGE ? Que deviennent celles que vous avez accompagnées jusqu'à présent ? Quelles sont vos plus belles réussites ?
Enfin, pouvons-nous vous aider dans votre action ? Si oui, en quoi ?
Je vous cède la parole et je vous laisse vous organiser comme vous le souhaitez.
Emma Rouvet, co-présidente de l'association De l'Allier aux grandes écoles (DAGE) . - Bonjour à tous. Merci beaucoup de nous recevoir aujourd'hui.
Je m'appelle Emma Rouvet, j'ai 20 ans, et je suis aujourd'hui étudiante à Sciences Po. Membre du secrétariat général de l'association Des territoires aux grandes écoles avec Cyprien Canivenc, je suis responsable des relations institutionnelles. Originaire de Vichy, je suis également co-présidente de l'association locale De l'Allier aux grandes écoles .
Permettez-moi de vous expliquer comment j'en suis arrivée là. Lorsque j'étais en terminale, l'association est intervenue dans mon lycée. À l'époque, je préparais les démarches pour passer le concours d'entrée à Sciences Po. Je me posais de nombreuses questions, ne sachant pas vraiment comment se déroulait l'oral et n'étant pas pleinement au fait des procédures de sélection. Un étudiant de cette école, originaire de mon lycée, faisait partie des intervenants. J'ai pu lui poser quelques questions. Il est devenu mon parrain au sein de l'association. Cet accompagnement a semble-t-il fonctionné, puisque je suis aujourd'hui en troisième année à Sciences Po ! Je pense que nous aurons l'occasion de développer un peu plus notre fonctionnement tout à l'heure. Je ne peux en tout cas que croire à notre démarche, étant témoin de la force du parrainage dont j'ai bénéficié.
Cyprien Canivenc, secrétaire général de la fédération Des territoires aux grandes écoles (DTGE). - Vous évoquiez le bilan de notre action. Je pense que le plus gratifiant est de voir les jeunes que nous avons accompagnés revenir dans notre association, et ce très rapidement : après un ou deux ans, ils viennent s'investir localement pour l'égalité des chances au profit des autres.
Je suis originaire d'Albi et j'ai suivi, au collège et au lycée puis après le bac, un parcours géographique assez classique de « provincial », en commençant par une première étape dans la métropole voisine : j'ai étudié en classe préparatoire à Toulouse, au lycée Pierre-de-Fermat. J'ai ensuite suivi une formation d'économie et de gestion en Ile-de-France et en Italie, avant de rentrer en France pour préparer l'ENA, que j'ai intégrée au sein de la promotion Clemenceau. Je travaille depuis deux ans dans un corps de contrôle. Je suis secrétaire général de l'association Des territoires aux grandes écoles , et investi dans l'association Du Tarn aux grandes écoles .
Je vais laisser Emma Rouvet vous préciser notre action.
Emma Rouvet . - Notre fédération existe depuis 2017 et compte trente-deux associations locales essaimées partout sur le territoire métropolitain et en outre-mer. Nous comptons un peu plus de 1 400 adhérents. Nous avons connu une croissance importante en 2020.
Nous intervenons selon deux leviers d'action. Le premier est davantage tourné vers l'égalité des chances à destination des lycéens et au sein des lycées. Nous organisons régulièrement des interventions telles que celle que je vous ai relatée. Des jeunes des territoires reviennent dans ceux-ci afin de présenter aux élèves leur parcours au sein des différentes filières sélectives. Nous signons des conventions avec les lycées afin de ritualiser ces interventions et de revenir chaque année présenter les cursus sélectifs du supérieur. Dans les associations locales, nous avons également organisé des plateformes de parrainage afin de mettre en contact des jeunes lycéens se posant des questions sur certains cursus avec des étudiants des territoires dont ils sont issus et ce, afin de répondre à leurs interrogations.
La force de notre modèle est de mettre en lien des lycéens avec des étudiants originaires de la même ville lorsque cela est possible, ou au moins du même département. Ils peuvent ainsi répondre à leurs questions spécifiques sur la manière d'arriver à ces cursus.
Nous avons également mis en place un dispositif de bourses au mérite, d'abord au Pays Basque. Il est aujourd'hui appliqué dans quatre autres territoires, dont le Tarn et l'Allier. Nous pouvons ainsi financer des bourses pour certains lycéens de nos territoires, à hauteur de 6 000 euros sur deux ans.
Notre deuxième levier d'action est davantage tourné vers le développement du territoire. Nous croyons beaucoup à l'idée de resserrer le tissu économique local. Nous avons réalisé que, bien souvent, nos jeunes diplômés étant partis suivre des cursus sélectifs aimeraient revenir dans les territoires, mais qu'ils n'ont pas nécessairement connaissance des possibilités qui s'y offrent à eux. Nous avons pour objectif de leur montrer qu'il existe de nombreuses opportunités au sein des territoires. Nous organisons à ce titre des visites en entreprise ainsi que des conférences et tables rondes autour de l'entrepreneuriat local, en compagnie d'acteurs économiques locaux, afin de leur présenter toutes les possibilités qui s'offrent à eux.
En résumé, nos deux leviers sont les suivants : égalité des chances et développement des territoires. Nous travaillons ainsi depuis notre création en 2017.
Partout sur le territoire, nous travaillons avec une centaine de lycées avec lesquels nous sommes liés par des conventions, ce qui nous permet d'y intervenir assez régulièrement, environ une fois par an. Depuis septembre 2020, nous avons réussi à toucher un peu plus de 3 000 lycéens au travers de nos interventions. L'année est un peu particulière, mais le contexte n'en rend ces chiffres que plus pertinents. Nous avons eu à nous adapter et à innover en organisant des interventions par visioconférence lorsqu'il ne nous était plus possible de nous rendre dans les lycées. Plus de 500 jeunes sont parrainés grâce à nos initiatives.
L'année 2020 a de plus marqué un temps nouveau pour DTGE, puisque nous avons pu développer des partenariats dans le cadre de deux dispositifs : l'un porté par la banque publique d'investissement (BPI) au niveau du volontariat territorial en entreprise (VTE), l'autre porté par le ministère de la cohésion des territoires au niveau du volontariat territorial en administration (VTA). Nous accompagnerons en 2021 ces deux dispositifs. C'est un temps nouveau, puisque nous concluons ces partenariats afin d'accompagner par nos actions les jeunes en administration et en entreprise.
Cyprien Canivenc . - Je vais à présent revenir sur nos principaux constats transversaux et spécifiques aux jeunes femmes que nous accompagnons.
Nous formulons dans un premier temps trois constats transversaux. Le premier, probablement le plus commun et répandu, est celui de l'autocensure, qui consiste pour un jeune à se dire que cette filière, ce parcours, cet horizon académique ou de métier n'est pas fait pour lui. Cette autocensure existe, indépendamment de l'origine sociale ou des moyens financiers des parents. Ce phénomène est extrêmement répandu sur les territoires. Nous sommes présents dans trente-deux départements, et nous l'observons dans la centaine de lycées dans laquelle nous intervenons. Nos 1 400 adhérents s'engagent au sein de la fédération, car ils l'ont eux-mêmes vécu.
Le deuxième constat relève du manque d'informations, qui alimente d'ailleurs l'autocensure, lorsque l'entourage (famille, enseignants) ne dispose pas forcément de l'information nécessaire sur l'ensemble des filières. En dépit de la diversité d'informations disponibles sur Internet, les trajectoires possibles ou les filières académiques menant à l'emploi ne sont pas nécessairement identifiées très précisément. Les jeunes ont besoin de ces informations pour s'orienter par la suite.
Le troisième constat ou frein relève des difficultés financières. Celles-ci limitent les perspectives de choix de ces jeunes.
Compte tenu de ces trois constats, nous essayons d'intervenir sur ces trois leviers.
Abordons à présent les constats spécifiques aux jeunes femmes. Nous en avons identifié quatre principaux. Ils se recoupent bien entendu avec les constats transversaux que je viens d'évoquer. Je précise que ces constats sont étayés par notre expérience quotidienne sur les territoires. Nous vous les présentons avec une grande humilité, dans la mesure où ils n'ont peut-être pas une valeur de vérité générale. Ce sont des impressions, des sensations, que nous remarquons au travers de notre travail associatif. Elles sont bien entendu appuyées par des rapports et des chiffres.
Le premier constat concerne le différentiel de confiance en soi entre les jeunes femmes et les jeunes hommes. Nos adhérents accompagnent davantage les femmes que les hommes. C'est plutôt une bonne nouvelle, surtout auprès de cette délégation ! Cela montre tout de même que les femmes expriment davantage leur besoin d'un accompagnement renforcé, justement parce qu'elles manquent parfois plus de confiance en elles que les jeunes hommes. Elles sont souvent plus hésitantes dans l'affirmation de leurs propres choix auprès de l'équipe pédagogique ou de leur entourage et dans l'identification de leur propre voie.
Elles font également preuve d'une appréhension plus marquée que les jeunes hommes face à certaines démarches logistiques ou à l'éloignement géographique. Ce mécanisme d'autocensure, qui nous semble renforcé par rapport à leurs homologues masculins, est identifié tout au long du parcours des femmes, d'abord vers l'orientation dans l'enseignement supérieur, puis dans l'entrée sur le marché du travail, mais aussi tout au long de la carrière. Un ensemble d'études a d'ailleurs montré qu'une part du différentiel de rémunération entre les femmes et les hommes pouvait s'expliquer par une certaine réticence des femmes à négocier leur rémunération. Cet ensemble de phénomènes psychologiques constitue donc autant de freins agissant tout au long de leur carrière.
Je mentionnerai deux éléments chiffrés à l'appui de ces propos.
Dans l'enseignement supérieur, les femmes sont plus nombreuses que les hommes (59 % de femmes pour 41 % d'hommes) mais 6 % de femmes seulement postulent auprès de classes préparatoires aux grandes écoles, contre 8 % d'hommes. Le salaire médian des femmes travaillant dans les territoires ruraux en 2017 s'élevait à 17 540 euros, contre 20 590 euros pour les hommes. L'écart est ici aussi très significatif.
Nous observons bien toute une trajectoire d'autocensure qui, étape par étape, conduit à une divergence de parcours professionnels.
Emma Rouvet . - Notre deuxième constat porte sur le manque d'accompagnement des lycéennes dans certains choix d'orientation. Certaines filières sont encore très stéréotypées. Bien souvent, le corps professoral, pensant bien faire, les perpétue inconsciemment. Il décourage, parfois involontairement, certaines jeunes filles qui aimeraient suivre des cursus que l'on n'associe pas nécessairement aux femmes. J'ai le souvenir d'une jeune fille, aujourd'hui membre de mon association dans l'Allier, qui souhaitait depuis la seconde s'orienter vers une carrière militaire. N'ayant pas été soutenue dans son choix, elle s'est finalement décidée à rejoindre l'École du Louvre, qui l'intéressait également. Si elle en est aujourd'hui très heureuse, son exemple illustre le fait que les stéréotypes concernant certaines filières peuvent décourager des jeunes filles qui seraient pourtant motivées à les rejoindre. Elles ne sont simplement pas soutenues. Nous faisons ce constat chaque année.
Notre troisième constat relève plutôt du contexte familial. Lors de nos interventions, nous avons pu remarquer que le poids de la famille, pour les jeunes garçons comme pour les jeunes filles, était très important. Il peut parfois constituer un véritable frein pour les jeunes femmes dans la mesure où celles qui voudraient se diriger vers la capitale ou de grandes métropoles pourraient en être dissuadées pour des considérations tenant à leur sécurité par exemple. Bien souvent, le contexte familial pourra les décourager de se rendre à Paris, tout du moins au début de leurs études. Leur famille peut avoir tendance à préconiser certaines villes moyennes, où elles supposent que leurs filles seront protégées des difficultés que l'on associe aux grandes villes... À Sciences Po, je sais que la proportion de jeunes femmes est plus importante sur les campus délocalisés qu'à Paris. Les familles ont tendance à préconiser des villes moyennes, pour se rassurer avant que leurs filles ne rejoignent le campus de Paris. Pour illustrer ce point, nous avons récemment interviewé une grande écrivaine contemporaine au Pays Basque, marraine de notre association locale. Elle nous a confié qu'ayant un garçon et une fille, elle faisait elle-même davantage attention à la ville dans laquelle étudierait sa fille qu'à celle où se rendrait son fils.
Cyprien Canivenc . - Le dernier constat que nous souhaitons partager avec vous aujourd'hui est celui des discriminations. Elles existent, nous en sommes persuadés : nous avons recueilli un certain nombre de témoignages à ce sujet. Mais c'est la perception des discriminations potentielles que j'aimerais évoquer. Avant même qu'une jeune femme soit confrontée à ces discriminations, le sentiment qu'elles existent vient aggraver le phénomène d'autocensure. Ainsi, la crainte d'arriver dans une filière scientifique, un univers réputé uniquement masculin, d'y être mal accueillie ou d'y trouver difficilement sa place, freine les ambitions de certaines jeunes femmes vers les cursus scientifiques.
Pour conclure cette présentation, nous aimerions vous lire un témoignage d'une jeune fille au Pays Basque. Son expérience n'est ni négative ni positive, mais témoigne de ses réflexions et de ses doutes quant à son parcours dans l'enseignement supérieur dans un univers masculin - scientifique en l'occurrence.
« Après une classe préparatoire en physique-chimie, j'ai intégré une école d'ingénieur en mécanique des fluides. Ces deux volets de mes études supérieures ne sont pas encore les parcours auxquels on pense naturellement pour les jeunes femmes, et ça s'est senti, car la parité était loin d'être là. En école d'ingénieur, nous étions seulement dix femmes pour une promotion de plus de soixante élèves. J'ai depuis appris à m'affirmer, mais ma seule peur actuelle quand je passe des entretiens, c'est d'être prise parce que je suis une femme, et pas pour mes compétences (discrimination positive), ou au contraire de ne pas être prise parce que je suis une femme, alors que j'ai les compétences (discrimination tout court) ».
Ce témoignage, comme je l'évoquais, n'est ni positif ni négatif. Il est éclairant des doutes exprimés par certaines jeunes femmes tout au long de leur orientation et de leurs choix de carrière.
Emma Rouvet . - À ces constats, nous avons cherché à associer des solutions et à les mettre en place cette année. Sur les deux volets d'égalité des chances et de développement des territoires, nous souhaitons faire de la problématique de l'égalité hommes-femmes une priorité en 2021. Nous avons mis en place un plan d'action que nous allons déployer tout au long de cette année en développant certaines actions afin de lutter contre les inégalités constituant bien souvent un frein dans l'orientation, comme nous avons pu le constater.
Cyprien Canivenc . - La première méthode que nous avons commencé à appliquer ces dernières semaines, depuis le début de ce mois de janvier, est celle du contre-stéréotype, en utilisant des figures féminines dans des filières perçues comme majoritairement masculines. Ce n'est d'ailleurs pas simplement une perception. Nous avons commencé il y a quelques jours une campagne sur les parcours de jeunes femmes que nous avons accompagnées, ou qui sont nos adhérentes, dans des cursus scientifiques ou d'analyse de la donnée par exemple. Nous allons multiplier ces contre-stéréotypes afin de mettre en avant les parcours de femmes qui réussissent dans ces parcours scientifiques. Nous prévoyons également de mettre en avant des contre-stéréotypes inverses, c'est-à-dire des hommes dans les filières paramédicales ou sociales, actuellement très féminisées. Au-delà de cette intervention externe pour accompagner les jeunes et leur donner des role models , nous mettons également en place une formation interne à la sensibilisation sur les thématiques de l'égalité femmes-hommes au sein de nos associations. Nous ne sommes bien évidemment pas exempts de critiques potentielles, comme toute organisation, ce qui justifie une vigilance continue sur ces aspects. Nous devons être très attentifs sur la communication, mais également sur notre méthode de gouvernance en interne. Nous veillons ainsi à un équilibre parmi les présidents d'associations locales. Nous avons également mis en place un système de reporting assez avancé sur ces sujets, ce qui nous permet de savoir par exemple que 50,4 % des membres de nos bureaux d'associations locales et nationales sont des femmes à ce jour. Nous suivrons ces outils avec attention pour nous assurer qu'aucun écart n'apparaisse, dans un sens comme dans l'autre.
Emma Rouvet . - En 2021, par ailleurs, nous avons pour objectif de réaliser une infographie sur l'égalité hommes-femmes afin de disposer de chiffres et de portraits très précis, ceci afin de nourrir nos constats, mais surtout de trouver des solutions encore plus adaptées. Nous avons également pour ambition d'offrir plus de visibilité à nos actions locales et de promouvoir l'accompagnement des jeunes femmes, plus soucieuses et plus hésitantes, afin de lever certains de leurs doutes. Nous souhaitons ainsi travailler sur les problématiques de l'aide au logement lors du passage dans le supérieur, par exemple. Toutes ces démarches constituent souvent des freins pour les jeunes femmes souhaitant intégrer des cursus sélectifs qui se trouvent dans des grandes métropoles ou à Paris. Nous allons également organiser des rencontres féminines et des conférences sur ces thématiques visant à libérer la parole, à lever l'autocensure chez les jeunes femmes et à lutter contre les stéréotypes.
Nous souhaitons également mener une grande étude à l'échelle de notre fédération afin de disposer de remontées de chiffres et de témoignages des lycées avec lesquels nous sommes liés par des conventions sur la question de l'égalité des chances au féminin. Enfin, nous avons créé un poste de « référent(e) égalité des chances au féminin » au sein de notre fédération afin de mettre en place le plan d'action défini et de travailler plus spécifiquement sur ces thématiques.
Annick Billon, présidente . - Merci à vous deux pour cette présentation extrêmement intéressante. À nos yeux de sénateurs, vous êtes en effet extrêmement jeunes. Voir des jeunes si investis dans l'égalité des chances, entre hommes et femmes, mais aussi dans les territoires, c'est vraiment très positif !
J'ai une question concernant les difficultés d'accès des jeunes aux filières d'excellence : pensez-vous que les jeunes des territoires ruraux affrontent les mêmes difficultés que ceux issus des quartiers prioritaires ? Les mêmes réponses doivent-elles y être apportées ? Identifiez-vous des difficultés spécifiques pour les jeunes des territoires ruraux, telles que la mobilité par exemple ?
Vous avez fléché différentes difficultés pour les jeunes filles. Bénéficier de figures auxquelles s'identifier me semble très important. Les freins sont comparables quand il s'agit de se projeter dans un métier. Si l'on ne côtoie pas certains métiers, on ne peut pas imaginer de les exercer. Je me souviens d'un événement consacré à l'industrie au Grand Palais. La ministre du travail de l'époque faisait face à un amphithéâtre de 300 lycéens, à qui elle avait demandé qui souhaitait s'orienter vers un parcours professionnel dans l'industrie. Il me semble que je n'avais vu aucune main se lever. La question suivante était : « Qui a des parents travaillant dans l'industrie ? ». Moins de dix mains s'étaient alors levées dans l'assemblée. Il était en réalité très compliqué pour ces jeunes de s'imaginer travailler dans l'industrie puisque personne, dans leur environnement proche, n'y travaillait.
Je laisse la parole aux rapporteurs. Je vous propose de prendre toutes les questions avant que vous n'y répondiez.
Marie-Pierre Monier, rapporteure . - Il est intéressant de constater votre mobilisation sur ce sujet, et le travail que vous réalisez dans les territoires ruraux. Me confirmez-vous que le Sud-Est de la France n'est pas représenté par votre fédération ? Couvrez-vous aujourd'hui l'ensemble du territoire ?
Vous faites le constat de l'autocensure chez les jeunes filles, que nous remarquons malheureusement bien souvent. Vous avez créé cette fédération en 2017. Voyez-vous déjà une évolution, ou est-ce trop tôt pour le dire ? La situation des filles dans les filières vers lesquelles elles ne s'orientent généralement pas a-t-elle évolué ? Au travers de vos propos, vous misez beaucoup sur l'exemple des role models . Voyez-vous une autre façon d'agir ? Vous avez souligné la difficulté plus grande pour une fille que pour un garçon d'étudier en ville, d'exercer certains métiers ou d'intégrer certaines filières. Vous nous avez montré que certaines filles parviennent à dépasser ces difficultés, souvent liées aux stéréotypes de genre. Comment casser ces stéréotypes ? Sur ce sujet, menez-vous un travail spécifique avec l'Éducation nationale ? Lorsque nous en discutons avec ses représentants, qu'il s'agisse des directeurs académiques des services de l'Éducation nationale (DASEN) ou du ministre lui-même, ils nous assurent qu'un travail est mené au niveau des écoles. Avez-vous le sentiment que c'est le cas ? Cela devrait l'être, mais je n'en suis pas certaine.
Madame Rouvet, j'aimerais que vous nous parliez de votre parcours. Qu'est-ce qui vous a poussée à vous lancer ? Comment avez-vous été amenée à monter en responsabilités au sein de DTGE ? Avez-vous des conseils à adresser aux jeunes filles ? Vous avez en effet osé vous affranchir des obstacles qui entravaient votre parcours. Votre exemple est un atout pour d'autres jeunes filles.
Enfin, un Livre blanc sur les parcours professionnels a été publié par la Conférence des grandes écoles. Il a établi que malgré quelques avancées, les conditions d'emploi des jeunes diplômés continuaient bien souvent d'être moins favorables aux jeunes femmes, ce que démontrent plusieurs indicateurs. Le constatez-vous aussi au regard des témoignages d'anciennes étudiantes ayant participé à votre programme ? Celles-ci ont-elles persévéré dans leur voie ? Le partage de votre expérience avec elles a-t-il influencé leur parcours professionnel ?
Max Brisson . - Je vous remercie pour vos témoignages et pour votre analyse. Vous avez parlé du Pays Basque. En effet, le président de l'association DTGE, Bixente Etcheçaharreta, y est né. Cette région est une terre traditionnelle de « diaspora », mais depuis quelques années, nous avons pu constater un tarissement des départs des jeunes vers Paris. C'est entre autres de ce constat qu'est née l'association.
Nous évoquons ce matin deux questions différentes, mais connexes. Nous abordons dans un premier temps la moindre mobilité entre la province en général, ou les régions, et Paris, où se concentre malheureusement encore l'essentiel des grandes écoles et des voies d'excellence. Cette mobilité s'est dégradée. Nous sommes presque revenus à la situation des années 1950 ou 1960, alors même que nous avions assisté entre 1970 et 1990 à une meilleure intégration des lycéens provinciaux dans les grandes écoles. Nous assistons au contraire à un « syndrome de la montagne Sainte-Geneviève », qui s'est renforcé depuis les années 2000. Nous devons le combattre ! Votre association y contribue.
S'ajoute à ce sujet la question des stéréotypes de genre, qui reste pour moi une énigme. L'Éducation nationale, au sein de laquelle j'ai travaillé notamment en tant qu'inspecteur général, a plutôt amélioré la situation. La proportion de filles au sein des terminales S, telles qu'elles existaient il y a encore deux ans, témoignait d'un relatif équilibre entre filles et garçons, même si le nombre de filles était plus élevé en terminale littéraire. Or dans la poursuite des études, en particulier dans les classes préparatoires et vers les grandes écoles, des stéréotypes de genre assez surprenants sont à l'oeuvre au sein des filières scientifiques. L'effort pour casser ces stéréotypes semble s'être arrêté après la terminale.
Nous identifions ensuite la question de la ruralité au sens très large, qui concerne aussi les petites villes voire les villes moyennes, mais également certaines villes plus importantes en région.
Je vous félicite pour le travail que vous réalisez, je suis heureux que l'association Du Pays Basque aux grandes écoles soit devenue Des territoires aux grandes écoles , et que ce projet se soit ainsi élargi au niveau national. Je pense que certaines questions sont liées à la formation des professeurs qui restent eux-mêmes marqués par leur propre parcours et leur propre représentation de ce qu'est l'enseignement supérieur. Un travail doit également être mené sur l'orientation et une contribution plus forte des collectivités locales, qui connaissent bien l'emploi, les besoins des entreprises et l'économie, à l'orientation des jeunes.
Concernant la ruralité, la taille des lycées est elle aussi un facteur très important. La faiblesse en nombre des équipes pédagogiques constitue un frein particulier au sein de ces territoires où les stéréotypes et représentations sont plus forts dans les petits lycées. Si nous pouvons nous féliciter de la multiplication des lycées depuis les années 1990 dans notre pays - pour rappel, le modèle napoléonien comptait un lycée par département - il n'empêche que les équipes pédagogiques sont peu nombreuses. La perpétuation des représentations y est de ce fait plus forte. Pour cette raison, il me semble primordial de fixer dans les futures conclusions de notre rapport une priorité au renforcement des politiques académiques d'orientation et d'accès aux classes préparatoires et aux grandes écoles. Si ce sujet ne devient pas une priorité, nous n'y arriverons pas. Dans les lycées de petite taille en zone rurale, nous verrons obligatoirement se perpétuer le syndrome de la montagne Sainte-Geneviève : « tout cela, ce n'est pas fait pour toi ».
Jean-Michel Arnaud, rapporteur . - J'ai été impressionné par votre exposé. Vous êtes probablement un exemple à suivre pour beaucoup de secteurs de notre territoire. Je réitère la question de ma collègue sur l'énigme du Sud-Est de la France, qui me tient à coeur ! Je suis preneur d'un rapprochement avec vos équipes dans les Alpes-du-Sud.
Je confirme ce que vous décrivez concernant les difficultés en termes d'égalité des chances et de recrutements féminins, notamment de cadres, dans les grandes entreprises régionales, hors région parisienne. Ces entreprises développent des stratégies identiques aux vôtres pour détecter, accompagner et attirer de nouveaux talents féminins dans leurs équipes. Elles développent des stratégies de contacts avec les grandes écoles et les universités en direction d'associations représentatives comme la vôtre afin d'attirer des publics féminins. Nous sommes donc confrontés aux mêmes difficultés, à la base et au sommet de la pyramide. Il me semble pourtant qu'il n'y a jamais eu autant de volontarisme pour développer la richesse des entreprises par la recherche de la diversité des profils recrutés. Je m'aperçois que des initiatives de tous ordres sont menées au niveau local, mais que quelque chose dysfonctionne au niveau macro , en termes de politiques générales. Avez-vous des attentes particulières à cet égard, du côté de l'État ou des acteurs nationaux ? Je serais très curieux de connaître vos suggestions en la matière, basées sur votre expérience.
De manière très pratique, pourriez-vous nous expliquer dans le détail la manière dont vous avez constitué votre réseau ? Lorsque j'interroge le président de la Chambre de commerce et d'industrie ou les acteurs socioprofessionnels de mon département, ils m'indiquent que la commune, la région ou le département produisent des talents depuis vingt ans. Nous avons de nombreux potentiels dans les entreprises ou les postes à responsabilité, car ils ont suivi des parcours d'excellence. Les connaissez-vous ? Les avez-vous identifiés ? Comment pouvons-nous nous appuyer sur cette expérience pour porter témoignage et exemplarité ? Pour créer du réseau ?
Vous avez indiqué que beaucoup de gens que vous suivez ressentent l'envie de retourner dans leur territoire et de s'y investir pour y restituer ce qu'ils ont acquis en termes de compétences. Cela participe au développement local. Malheureusement, nous n'y arrivons pas concrètement.
Marie-Claude Varaillas, rapporteure . - Je vais essayer de ne pas être trop longue. Je vous remercie pour vos propos qui m'ont beaucoup intéressée. À travers votre exposé, je me retrouve totalement dans les problématiques que je vis à l'échelle de mon département, celui de la Dordogne. Il est très beau et riche d'un magnifique patrimoine, mais 18 % de ses habitants vivent sous le seuil de pauvreté. C'est un handicap pour les familles, d'autant qu'à partir de Périgueux, il faut se rendre à Bordeaux pour faire ses études. Le logement y est très cher. De nombreuses familles n'ont pas la possibilité de franchir ce pas. Le prix de l'immobilier a considérablement augmenté, ce qui a mené notre département à mettre en place un prêt d'honneur et des bourses à destination des étudiants. Le premier est remboursé sur trois à quatre ans, et peut s'élever à 2 000 euros, en étant renouvelable. Nous avons offert à bon nombre de jeunes l'opportunité de franchir ce pas. Cette contrainte financière liée à l'éloignement constitue une difficulté considérable.
Malgré de bons résultats au baccalauréat - nous avons pu obtenir à Périgueux deux classes préparatoires (Hypokhâgne-Khâgne et Maths Sup), mais tous les étudiants ne peuvent pas y entrer - on observe ce phénomène d'autocensure de la part des filles qui, encouragées par leur famille, se dirigent plus particulièrement vers des CFA ou des établissements menant à des métiers techniques. Plus de 1 200 étudiants suivent ce type de formation dans la banlieue de Périgueux. Tout est mis en place pour que l'étudiant reste sur le territoire. Ces aspects de mobilité et de difficultés financières constituent des handicaps sur nos territoires ruraux.
Travaillez-vous avec les missions locales ? Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) avait émis des préconisations articulées autour de trois axes, dont la création d'une compétence Jeunesse, rendue obligatoire au sein des communautés de communes animant une politique jeunesse et territoire partagée. Avez-vous des contacts avec les élus des communautés de communes ? Il avait également été préconisé de mettre en place au sein de chaque bassin de vie une démarche de campus ruraux et de projets dédiés à l'accompagnement des jeunes dans leur projet, ce qui est intéressant. Un pacte « jeunes ruraux » inscrit dans les contrats de ruralité avait également été instauré. Ces pistes doivent selon moi être explorées. Nous devons dresser un bilan de l'état d'avancement de ces préconisations.
Nadège Havet, rapporteure . - Vous intervenez au niveau des lycées avant l'entrée dans les grandes écoles. J'aimerais savoir s'il vous arrive d'aller chercher des jeunes plus tôt, au niveau du collège, comme le fait l'association Chemins d'Avenirs , pour susciter des vocations et lever les freins, notamment financiers. Je sais que l'École supérieure de commerce de Brest propose des formations en apprentissage permettant aux jeunes d'accéder aux grandes écoles par d'autres filières. Elle va chercher les futurs étudiants dès le plus jeune âge, au collège.
Emma Rouvet . - Nous travaillons généralement à partir de la classe de seconde et au lycée où se joue vraiment l'orientation supérieure. Il nous est toutefois arrivé d'intervenir dans des collèges. Nous avons par exemple été sollicités à plusieurs reprises dans l'Allier l'année dernière. Lorsque les collèges font la démarche de venir vers nous, nous nous y rendons, même s'il ne s'agit pas de notre cible d'action principale.
Vous m'interrogiez sur mon parcours et sur les raisons pour lesquelles je crois que notre modèle peut lever l'autocensure. J'ai fréquenté un lycée à côté de Vichy, à Cusset, une petite ville de l'Allier. À l'époque, un seul de mes camarades avait fait Sciences Po, celui qui est intervenu dans mon lycée. La plupart de mes professeurs n'étaient que peu renseignés sur les voies d'accès à cette école. Ils essayaient de m'aider mais ils ne connaissaient pas les spécificités du concours, n'étant eux-mêmes pas passés par là. Le fait de discuter avec un étudiant originaire de mon lycée, âgé de deux ans seulement de plus que moi, que j'avais pu croiser dans la cour de récréation et qui avait connu les mêmes professeurs que moi m'a permis de me sentir en confiance immédiatement. Surtout, je me revois dans ma posture de lycéenne, intimidée à l'idée de poser des questions à un professeur devant toute la classe ; le regard des autres camarades n'est pas toujours évident à assumer. En revanche, rencontrer un étudiant d'à peu près du même âge permet d'instaurer plus facilement une relation de confiance. Je suis allée le rencontrer après son intervention. C'est ce qui m'a tout de suite plu et rassuré. Il a trouvé les mots justes et adaptés aux difficultés que je rencontrais au sein de mon lycée ; je n'aurais pas pu avoir cette relation avec un professeur. Bien souvent, le frein principal pour tous les jeunes, mais surtout pour les filles, résulte d'un manque de confiance. L'insuffler un tout petit peu permet de lever bien d'autres obstacles. C'est ainsi que j'ai pu oser me présenter à Sciences Po. J'y pensais déjà, mais le fait d'être face à un étudiant ayant franchi le pas deux ans plus tôt m'a vraiment rassurée et donné confiance.
Concernant mon engagement dans l'association, il est venu assez naturellement. Je le dis souvent, et nous en plaisantons dans l'association, mais c'est avant tout une aventure humaine pour moi. Des liens d'amitié s'instaurent entre les tuteurs et celles et ceux qu'ils accompagnent. C'est la force de notre modèle. Nous sommes dans un climat de confiance, très informel, qui donne envie d'aider les autres à son tour dès qu'on arrive dans le supérieur. Cela a été mon cas. Dès mon admission, il m'a paru évident d'avoir un filleul ou une filleule et de l'aider de mon mieux. Je me suis d'abord investie dans l'association locale, dans l'Allier, avant d'intégrer le niveau national. Pour ma part, il a été important de constater que des personnes plus âgées que moi croyaient en moi et me donnaient des responsabilités. J'ai seulement vingt ans, et je suis là, au Sénat, en train de vous présenter tout cela : c'est assez incroyable pour moi ! Le fait que des personnes nous fassent confiance de la sorte constitue selon moi le levier principal permettant de lever le frein de l'autocensure. C'est vrai pour les jeunes filles comme pour les garçons.
Cyprien Canivenc . - Revenons maintenant sur l'implantation géographique de nos associations. Pour le moment, nous ne sommes malheureusement pas présents en PACA ni en Bretagne, mais cela pourrait évoluer prochainement. L'association Du Périgord aux grandes écoles , Madame Varaillas, qui a vu le jour le 1 er septembre dernier, est déjà très dynamique.
Nous vivons également l'aventure humaine qu'évoquait Emma Rouvet tout à l'heure lors de la création d'une association. Nous ne l'avons pas encore souligné, mais nous nous basons sur un modèle d'associations locales auquel nous tenons beaucoup. L'association nationale vient en complément de ces actions locales. Elle a pour rôle de partager les bonnes pratiques, de participer aux débats d'idées sur les sujets d'égalité des chances. L'action concrète en revanche a lieu au niveau local. Toutes les associations locales sont indépendantes, dotées chacune d'un statut « loi de 1901 ». Nous ne suivons absolument pas une logique verticale descendante de Paris aux territoires. A la fédération, chacun des vingt à vingt-cinq membres du bureau est par ailleurs et avant tout engagé localement. C'est ce qui explique que la création des associations locales soit le fait d'une petite unité, de quelques personnes se rassemblant autour de ce projet et agrégeant leurs forces autour de jeunes, actuellement en étude ou jeunes professionnels, parfois même plus anciens. Bien sûr, lorsque des jeunes nous contactent, nous les mettons toujours en relation avec d'autres jeunes originaires du même département. Si le projet prend forme, nous les accompagnons dans la création de leur association. Nous avons identifié un processus d'appel à projet assez strict avec une sélection des dossiers. Par ce processus, nous voulons qu'une association puisse être créée dans la durée et qu'elle fournisse un travail de qualité. Notre objectif n'est pas de couvrir la France entière, cela n'a pas d'intérêt si les actions ne suivent pas. C'est pourquoi nous avançons pas à pas. Notre modèle, néanmoins, rassemble, et c'est la raison pour laquelle notre rythme de croissance est assez soutenu : nous avons ainsi validé dix créations d'association au 1 er septembre dernier.
Nous serions en tout cas ravis de créer des associations dans les autres départements. Cela peut être organisé par la mise en relation de jeunes que vous côtoyez dans vos départements parce qu'ils ont envie de s'investir sur leur territoire. Nous serions heureux de les accompagner.
Vous évoquiez l'articulation « macro » et « micro ». Notre point de vue est que la création de solidarité locale est un geste fort, permettant de changer des parcours de vie. Emma Rouvet en est un bon exemple.
Nous sommes persuadés que c'est en tissant au niveau local des liens entre les jeunes lycéens, les élus, l'administration, les entreprises, TPE et PME, que nous pourrons créer ces solidarités qui facilitent le départ du territoire, mais également le retour. Vous nous interrogiez sur le bilan de cette trajectoire du lycée à l'entrée sur le marché du travail : nous accompagnons les jeunes vers les filières sélectives, souvent assez longues. Pour avoir une vision de l'entrée de ces jeunes que nous suivons sur le marché du travail, il faudrait à l'association un recul d'environ sept ans d'existence, que nous n'avons pas encore complètement.
Le dispositif de bourse constitue notre action la plus avancée à ce jour. Il comprend un accompagnement individualisé et un soutien financier. Il existe depuis trois ans. Nous verrons dans sept ans, je pense, si une partie de ces jeunes est revenue sur le territoire. Nous aurons besoin de quelques années encore pour observer l'impact complet de ce dispositif.
Nous sommes persuadés que c'est par cette articulation « micro » et « macro » que nous pourrons faire avancer la situation. Il ne nous appartient pas de décider au niveau « macro », mais nous pouvons penser à un ensemble de solutions. Parmi les freins identifiés par les femmes, nous n'avons pas évoqué le nombre de places d'internat en classes préparatoires ou dans les établissements d'enseignement supérieur. Les jeunes femmes nous font régulièrement remonter un manque dans ce domaine. L'effet de ce type de mesure n'est peut-être pas majeur, mais c'est l'addition de telles mesures qui permettra de faire évoluer les choses et d'ouvrir l'horizon de ces jeunes.
Vous évoquiez l'implantation des lycées et la carte des établissements d'enseignement supérieur. Nous constatons dans certains de nos départements que la création d'une grande école favorise l'apparition d'un écosystème autour de celle-ci. Les jeunes ont évidemment la possibilité de quitter le territoire pour faire des études en grande métropole, à Paris ou à l'étranger, et de revenir. Nous y aspirons. L'image du boomerang nous inspire : on laisse partir le jeune et on l'accompagne à son retour. Le jeune peut également suivre un parcours moins long en restant sur le territoire tout en suivant des études de qualité. Il est tout à fait possible de créer des écoles entourées d'un dispositif d'excellence en lien avec un secteur industriel spécifique. Nous pouvons également envisager que les établissements d'enseignement supérieur qui existent dans les territoires constituent une première étape vers une autre phase dans l'enseignement supérieur. Nous sommes convaincus que ce système peut fonctionner. En dépit de l'accompagnement que nous essayons d'impulser, tout le monde n'a pas la propension ou la volonté de partir tout de suite et de s'éloigner de son lieu d'origine, en allant par exemple étudier à New York. C'est d'ailleurs rarement le cas.
Nous entretenons naturellement de bonnes relations avec l'Éducation nationale, sans quoi nous n'interviendrions pas dans les lycées. Ces rencontres s'organisent après acceptation et dialogue avec les équipes pédagogiques et les chefs d'établissement. C'est sur la base de conventions écrites que s'organisent les interventions de nos associations locales dans les lycées. Au-delà, nous échangeons régulièrement avec l'Académie et le rectorat. Nous sommes de plus en train de constituer un dossier d'agrément auprès de l'Éducation nationale. Si vous souhaitez nous accompagner dans cette démarche, nous en serions ravis !
Annick Billon, présidente . - Pouvons-nous revenir sur la différence que vous pourriez avoir constatée ou ressentie entre territoires ruraux et quartiers prioritaires ? Comment définiriez-vous les principaux freins sur ces territoires ? Nous avons évoqué tout à l'heure les problématiques de logement et de mobilité. Constate-t-on des améliorations dans ce domaine ? Les freins sont-ils moins nombreux aujourd'hui qu'il y a dix ans ?
Cyprien Canivenc . - Notre fédération est centrée sur les territoires ruraux et la France des villes moyennes. Nous sommes toutefois persuadés que les enjeux entre ces zones et les quartiers prioritaires sont similaires, tout comme en outre-mer. Nous sommes d'ailleurs implantés en Guadeloupe et à La Réunion.
Nous observons des freins similaires dans l'ensemble de ces territoires. L'absence de mobilité géographique est semblable que l'on vienne de Lacaune, petite ville de moins de 3 000 habitants dans le Massif central, ou d'un quartier prioritaire dans les environs de Toulouse ou de Paris. Il en va de même dans les outre-mer. Cette impression que la grande école, qu'elle soit située à 50 ou à 5 000 kilomètres, n'est « pas faite pour moi », est la même. Nous ne considérons donc pas que les freins auxquels se heurtent les jeunes des territoires ruraux soient spécifiques. Pour autant, il est vrai que le parcours de ces jeunes est différent.
Pour créer une structure associative, nous devons disposer d'un « coeur de métier » pour accompagner au mieux les jeunes. Nous avons évoqué précédemment l'identification des personnes que nous accompagnons. Elle est triple :
- territoriale : nous intervenons auprès de jeunes ayant le même parcours géographique ;
- d'âge : par exemple, je n'interviens plus directement auprès des jeunes, car je me considère comme trop âgé pour que puisse s'établir une véritable connivence ;
- d'ambition académique : nous sommes en relation avec une multitude de grandes écoles. À titre d'illustration, il est difficile pour une personne ayant suivi un parcours spécifique dans l'enseignement supérieur de connaître très précisément les voies d'accès à Saint-Cyr, à l'École du Louvre et aux écoles de commerce. Il peut se renseigner, mais n'a pas vécu l'ensemble de ces parcours.
Cette identification et ce dialogue de pair à pair valent également, je pense, pour les jeunes issus des quartiers prioritaires. J'ai plus de facilités à accompagner un jeune ayant grandi à Lacaune qu'en petite couronne de Paris. Pour autant, les ressorts sont tout à fait comparables.
Annick Billon, présidente . - Je vous remercie sincèrement pour vos interventions. C'est un plaisir d'accueillir des jeunes au Sénat. On parle beaucoup actuellement des graves difficultés auxquelles sont confrontés les étudiants du fait de la pandémie. Il est important aussi de réfléchir, comme vos témoignages le permettent, aux problèmes d'égalité des chances à plus long terme.
Max Brisson . - Il est très important que des jeunes sortis des territoires y reviennent. C'est ce qui ressort de nos échanges. Nous devons leur faire comprendre qu'ils doivent partir pour lutter contre une forme d'enfermement, qui existe dans les quartiers comme en ruralité. Cet enfermement s'est renforcé par rapport aux grandes périodes de « diaspora » des provinciaux que j'évoquais tout à l'heure. Le départ des jeunes pour étudier ne signifie pas qu'ils ne reviendront pas dans leur territoire. C'est bien là l'engagement de cette fédération d'associations, partie de jeunes du Pays Basque confrontés à ce frein dans une terre traditionnelle de diaspora.
Dans les conclusions de notre futur rapport, nous devrons à tout prix aborder la formation et l'éducation des professeurs, premiers contacts des lycéens. La manière dont les enseignants ont vécu leurs propres études, dans un contexte bien différent de ce qu'il est aujourd'hui, n'est pas sans conséquence. Lorsque j'étais en charge de ces questions, j'ai rencontré de nombreux professeurs qui considéraient que seuls les « meilleurs des meilleurs » pouvaient intégrer des classes préparatoires, puisque c'est ce qu'ils avaient vécu à l'époque. Une préconisation devra porter sur une véritable politique académique en matière d'orientation. Les étudiants passent souvent par l'université ou les écoles de proximité. Cela n'empêche que la politique de mobilité doive être pensée au niveau académique.
Annick Billon, présidente . - Je rejoins totalement votre avis. L'orientation est complexe : il faut connaître les filières, mais aussi le jeune. Ce n'est pas parce qu'un étudiant présente des compétences dans un domaine qu'il sera en capacité de suivre un cursus d'excellence. Pour arriver au même résultat, un élève peut avoir besoin d'un parcours différent en fonction de son tempérament. Orienter ne s'improvise pas. Une bonne orientation peut aussi représenter des économies pour les familles et l'éducation en général. L'enjeu est également de limiter les échecs dans les études supérieures, notamment en première année.
Marie-Pierre Monier, rapporteure . - Le jeune doit avoir une bonne connaissance de lui-même. Souvent, un parcours projeté pour lui ne fonctionnera pas. Je pense de plus qu'un travail de fond doit être mené dès le collège.
Annick Billon, présidente . - Je vous adresse à tous deux mes remerciements sincères et ceux de mes collègues pour cette audition très enrichissante. Les rapporteurs ne manqueront pas de s'inspirer de vos témoignages et de votre expérience.
Table ronde sur la
santé des femmes dans les territoires ruraux
(28 janvier
2021)
Présidence de Mme Annick Billon, présidente
Annick Billon, présidente . - La délégation aux droits des femmes a décidé de procéder, en 2021, à un bilan de la situation des femmes dans les territoires ruraux, sur des sujets aussi divers que l'orientation scolaire et universitaire, l'accès à la formation, l'entrepreneuriat féminin, les problèmes de mobilité, la lutte contre les violences, le rôle des élues et l'accès aux responsabilités et, bien sûr, la santé, thème de notre table ronde de ce matin.
Je remercie tout d'abord nos interlocuteurs de s'être rendus disponibles aujourd'hui, malgré des agendas très contraints. Je précise à leur attention que notre délégation a désigné, pour mener à bien ce travail, une équipe de huit rapporteurs associant tous les groupes politiques représentés dans notre assemblée et qui représentent par ailleurs des territoires très divers.
La santé des femmes dans les territoires éloignés des grandes métropoles est évidemment un sujet majeur, en lien avec les déserts médicaux et avec l'évolution des effectifs de gynécologues médicaux et d'obstétriciens.
Selon une étude récente réalisée à la demande de l'Association des maires ruraux de France, les inégalités entre urbains et ruraux en matière de santé se creusent depuis une trentaine d'années, ce qui se traduit en termes d'espérance de vie. Cette dégradation tiendrait à une moindre consommation de soins, notamment hospitaliers, par les habitants des territoires ruraux, en lien avec l'éloignement des soins.
La santé des femmes confirme-t-elle ce constat ?
On sait que le nombre de gynécologues médicaux n'a cessé de diminuer au cours des dernières années, au point que certains départements ne comptent aucun gynécologue. Parallèlement à cette évolution, les fermetures nombreuses de maternités et de centres d'orthogénie nous préoccupent particulièrement.
Nous interrogeons régulièrement le Gouvernement sur le manque de gynécologues, car nous sommes inquiets des conséquences à terme de cette évolution sur la qualité des soins. Une enquête de l'Observatoire régional de la santé (ORS) d'Ile-de-France de 2019 confirme la pertinence de cette inquiétude : le taux de gynécologues pour 10 000 habitants est de 14,2 en zone dense, mais de 1,1 dans les zones rurales d'Ile-de-France. Un rapport de la région d'Ile-de-France consacré aux femmes des territoires ruraux, dont l'auteure a été entendue en décembre 2020, relève en outre que 30 % des Franciliennes restent à l'écart du dépistage du cancer du sein.
Quels sont les effets de cette faible densité médicale sur l'accès des femmes aux soins, l'accompagnement de la maternité, la prévention des cancers féminins et le suivi gynécologique tout au long de la vie dans les territoires ruraux ?
Les médecins généralistes sont-ils en mesure, malgré leur charge de travail très importante dans les campagnes, de prendre part à ce suivi pour compenser le manque de gynécologues ? Quel est le profil des généralistes qui se forment à cette pratique ?
L'évolution du métier de sage-femme, la démographie de la profession et la répartition des professionnels sur le territoire permettent-elles une participation accrue de ceux-ci, en milieu rural, au suivi gynécologique en dehors de la grossesse et à la prévention des cancers féminins ?
Par ailleurs, le maillage territorial des officines fait des pharmaciens, plus particulièrement dans les territoires éloignés des métropoles et les déserts médicaux, des acteurs précieux de la santé et des observateurs irremplaçables de la santé des femmes, à tous les âges de la vie. Quels témoignages les pharmaciens d'officine sont-ils en mesure de nous transmettre sur les besoins des femmes en matière de santé, toutes générations confondues, dans ces territoires ?
Nous poserons la même question à la Mutualité sociale agricole (MSA) sur le cas plus précis des femmes travaillant dans le secteur agricole : notre délégation prête en effet depuis plusieurs années une attention toute particulière aux agricultrices, dans la diversité de leurs statuts et des territoires où elles exercent ; la MSA est devenue dans ce domaine un partenaire fidèle des travaux de la délégation.
Enfin, un grand quotidien national a publié en ligne, le 25 janvier dernier, un reportage sur un bus itinérant permettant de vacciner des personnes âgées dans de petits villages des environs de Reims. Ce « vacci'bus » évoque une recommandation que notre délégation avait formulée en conclusion de son rapport de 2017 sur les agricultrices, afin que des solutions innovantes se développent en milieu rural pour permettre, sur une base itinérante, une large diffusion de la prévention des cancers féminins, ainsi que des consultations gynécologiques. Que pensez-vous de telles solutions ?
Enfin, le rapport de la région Ile-de-France précédemment évoqué a appelé notre attention sur des actions de médiation en santé en milieu rural, dont Médecins du Monde a pris l'initiative en Auvergne et en Occitanie, à l'attention de personnes en situation de précarité.
Je remercie nos invités de nous aider, par leur expérience et leurs témoignages, à formuler des recommandations destinées à améliorer la santé et le suivi médical des femmes dans les territoires ruraux.
Israël Nisand, président du Collège national des gynécologues et obstétriciens français . - Le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) s'intéresse depuis très longtemps à ces questions.
La gynécologie-obstétrique est pluridisciplinaire et se décompose en plusieurs parties : l'obstétrique, c'est-à-dire le suivi de grossesse et l'accouchement ; la gynécologie, qui compte des volets médical et chirurgical ; l'orthogénie, qui recouvre la contraception et l'interruption volontaire de grossesse (IVG) ; et la reproduction.
En matière d'obstétrique, le ministère de la santé mène depuis très longtemps une analyse de la répartition des maternités, conscient que la fermeture de ces établissements, lorsqu'il n'y a plus d'obstétriciens, peut conduire à des accidents graves.
Une règle s'est dégagée, pour faire en sorte qu'aucune femme ne se trouve à plus de quarante-cinq minutes, en hiver, d'un lieu d'accouchement sécurisé. Ce principe est respecté dans 98 % des cas, mais il existe encore des déserts médicaux où les femmes demeurent très éloignées d'un lieu d'accouchement. C'est le cas dans les Alpes notamment.
Nous avons un nombre restreint de jeunes obstétriciens, et la plupart refusent de s'installer dans des zones reculées où ils ne pratiqueraient qu'un accouchement tous les trois ou quatre jours et où il n'y aurait pas d'école pour leurs enfants par exemple ; même des remplaçants sont parfois difficiles à trouver !
Dans ces zones, nous proposons de mettre en place des centres périnataux de proximité. Nous avons d'ailleurs suggéré au ministère de la santé la rédaction d'une charte en ce sens, afin que la mesure ne soit pas un simple pis-aller. Dans ces centres, il est prévu que des sages-femmes « capées » et expérimentées, c'est-à-dire diplômées en échographie, soient présentes 24h/24, réalisent le suivi de grossesse et participent à l'activité d'orthogénie. Elles exerceraient en lien avec des praticiens hospitaliers référents, joignables via une ligne de téléphone privilégiée, permettant ainsi une concertation en cas de pathologie ou de grossesse à risque.
Nous proposons aussi que ces centres soient équipés d'un lit pour les accouchements d'urgence, afin d'éviter aux femmes d'accoucher dans l'ambulance. Pour qu'ils soient complets, les centres nécessitent également un système de transport adapté et disponible en permanence, pris en charge par la collectivité.
Pour répondre aux problématiques d'offres en matière d'obstétrique, nous suggérons également, dans certains endroits, la mise en place des hôtels hospitaliers, proches de la maternité, afin que les femmes puissent y venir en fin de grossesse, lorsque le déplacement en hiver n'est pas envisageable. La pratique des hôtels hospitaliers existe déjà en Polynésie française, où les femmes, qui habitent sur de petites îles de l'archipel, sont souvent à plusieurs milliers de kilomètres d'un lieu d'accouchement.
S'agissant à présent de la gynécologie chirurgicale, ses effectifs diminuent ; ce n'est pas en problème en soi, car nous nous trouvons dans une période de désescalade thérapeutique, où le besoin en chirurgiens est moindre. Cependant, le domaine de la chirurgie s'est considérablement étendu, si bien qu'un chirurgien de l'endométriose peut n'avoir que peu de compétences s'agissant d'incontinence ou de reproduction... Il faut donc maintenir des grands centres qui regroupent toutes les sous-disciplines de la chirurgie gynécologique. À ce titre, pour l'endométriose, le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) a suggéré une organisation en système de grappes, avec un centre expert par région et une grappe de centres plus petits connectés entre eux, pour éviter que les femmes ne subissent des opérations chirurgicales de moindre qualité. Sur ce point, le ministère de la santé n'a toujours pas donné suite à ces propositions.
L'IVG peut être de deux sortes : chirurgicale et médicamenteuse. Cette dernière est très largement réalisée par les sages-femmes, depuis que l'ordre de la profession a accepté, il y a une vingtaine d'années, de participer aux IVG. La présence des sages-femmes au sein des centres périnataux est vraiment la solution de l'orthogénie. Actuellement 70 % des IVG pratiquées en France sont médicamenteuses.
Il n'y a plus que 30 % d'IVG chirurgicales. Néanmoins, le CNGOF a opté pour que les femmes puissent toujours choisir entre IVG médicamenteuse et IVG chirurgicale. Une femme qui demanderait une IVG chirurgicale - il y en aura de moins en moins, de toute façon - devra être orientée vers une des maternités les plus proches, lesquelles possèdent, pour la plupart, un centre d'IVG. Encore faut-il veiller à ce qu'elles disposent aussi d'une salle d'opération et d'un anesthésiste...
Il convient donc de faire la distinction entre la grande part d'IVG médicamenteuses, qui peuvent être réalisées localement en milieu rural, et la petite proportion d'opérations chirurgicales prises en charge par le réseau de soin créé entre les centres périnataux de proximité et l'hôpital référent.
Je ne suis pas favorable à la multiplication des centres d'assistance médicale à la procréation (AMP) - cette dernière exigeant des compétences particulières en biologie - et des laboratoires. Il existe une centaine de centres d'AMP agréés dans notre pays qui fonctionnent très bien ; en créer d'autres serait une façon d'éparpiller les moyens.
Enfin, je pense que l'idée d'un bus itinérant pour la santé des femmes est une bonne idée, car il existe dans certains territoires ruraux - et parfois même dans les villes ! - des endroits extrêmement pauvres en gynécologie médicale. L'itinérance d'un chef de clinique entre les villages, éventuellement accompagné d'une sage-femme, aurait le mérite, pour un coût modique, de permettre le dépistage des cancers féminins.
Isabelle Héron, présidente de la Fédération nationale des collèges de gynécologie médicale . - Je tiens à vous remercier, Madame la présidente, pour cette invitation à débattre d'une problématique très importante et je souhaiterais aussi remercier le Professeur Nisand qui a suggéré ma participation à cette table ronde afin de représenter la gynécologie médicale.
La Fédération nationale des collèges de gynécologie médicale (FNCGM) est une instance nationale composée de onze collèges régionaux, eux-mêmes constitués essentiellement de gynécologues médicaux mais aussi de gynécologues obstétriciens et de médecins généralistes. Ce qui fait la spécificité de la FNCGM est le maillage territorial que permet l'implantation des collèges régionaux, et l'exercice essentiellement libéral de leurs activités par les professionnels : nous bénéficions donc de multiples retours du terrain.
La fédération a pour rôle la défense et la valorisation de la gynécologie médicale.
La FNCGM se préoccupe depuis de nombreuses années déjà de l'insuffisance de l'offre de soins en gynécologie médicale du fait du manque de gynécologues médicaux mais aussi de l'évolution de la société avec les disparités géographiques que l'on connaît. Elle souhaite ainsi, à ce titre, l'augmentation du nombre d'internes de gynécologie médicale pour compenser à terme la baisse de la démographie.
Le gynécologue médical a un rôle essentiel dans la vie d'une femme. Il l'accompagne tout au long de sa vie avec des périodes charnières telles que l'adolescence, la grossesse, le désir d'enfant, la ménopause, avec pour chaque période des spécificités qui lui sont propres. Les champs d'activité sont très variés. La gynécologie va bien au-delà du dépistage du cancer col de l'utérus et de du sein et a une place très importante dans la prise en charge de la santé de la femme.
Les domaines d'expertise sont nombreux et reconnus : orthogénie, contraception à risque - prévention des IST, suivi des post-cancers, risque vasculaire - reproduction - PMA avec la problématique de la préservation ovocytaire - sexualité - gynéco, endocrinologie, suivi des femmes séropositives, oncogénétique, violences conjugales...
Nous avons pleinement conscience qu'il existe un déficit en matière d'accès aux soins en milieu rural. Outre la baisse démographique des praticiens gynécologues, qui en constitue le facteur principal, l'éloignement géographique doit être pris en compte, ainsi que les situations de précarité sociale, le manque d'information - beaucoup des femmes dans les territoires reculés ne savent tout simplement pas qu'elles doivent consulter ou se faire dépister -, ou encore la peur de consulter.
Dans les milieux sociaux défavorisés, il a été démontré qu'environ 40 % des femmes échappent au dépistage du cancer du col de l'utérus, et que beaucoup de patientes ménopausées ne consultent plus. En outre, les femmes en situation de précarité présentant des comorbidités, comme une obésité morbide, ou étant dans des situations de handicap, n'osent souvent pas consulter.
Pour lever les freins à la consultation, nous proposons d'abord d'aller à la rencontre des femmes en développant les journées de consultation dans les zones rurales reculées soit sous forme de cabinet secondaire soit de vacations hospitalières de proximité. Ceci implique de rendre ces consultations attractives pour les praticiens, tant en termes de plateau technique que de valorisation financière.
La prochaine campagne de dépistage du cancer du col de l'utérus s'accompagnera d'une augmentation très importante des demandes de colposcopie. Il faudra donc s'assurer que les femmes concernées disposent d'un accès de consultation facile pour cet examen, au travers des centres de soins secondaires ou des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS).
Les CPTS constituent des structures très intéressantes en ce qu'elles permettent une prise en charge coordonnée de la santé de la femme, avec les autres professionnels compétents. Il convient aussi, bien entendu, de travailler avec les sages-femmes et les médecins généralistes, lesquels suivent d'ailleurs parfois des diplômes universitaires de gynécologie médicale.
Je pense aussi que l'on peut s'inspirer des initiatives qui existent déjà sur les territoires. Dans les Pays de la Loire par exemple, le collège de gynécologie travaille avec l'Union régionale des médecins libéraux (URML) et la Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) sur la possibilité d'assurer des consultations gynécologiques avancées dans des territoires de santé qui n'ont pas de spécialistes pour satisfaire au deuxième recours, avec la mise à disposition d'une salle et de matériel acheté par la commune.
Il faut proposer des solutions innovantes et développer les outils déjà à notre disposition. Les téléconsultations, dont le nombre a explosé avec l'épidémie de Covid-19, constituent un outil très intéressant, notamment pour des avis, bien qu'elles ne sauraient remplacer les consultations en cabinet. Dans les zones blanches où l'accès à Internet est très limité, créer des espaces de co-working permettant aux patientes d'avoir des téléconsultations avec un réseau correct serait d'une grande utilité.
La médecine itinérante, quant à elle, est une solution intéressante. Nous y sommes très favorables. Dans l'Orne, un camion « Mammobile » sillonne déjà depuis plusieurs années la campagne pour le dépistage du cancer du sein ; le dispositif s'étendra prochainement, à titre d'expérimentation, à toute la Normandie. Il conviendrait d'ailleurs que les services itinérants proposent les dépistages les plus complets possibles portant sur les cancers du sein, du col de l'utérus et du côlon.
Je pense qu'il faut aussi développer l'accès à l'information, car trop de patientes ne savent pas qu'elles doivent se faire suivre régulièrement. À cet égard, les relais locaux - mairies, pharmacies, salles d'attente des infirmières, sages-femmes et médecins généralistes, etc. - ont un rôle déterminant à jouer, sur le dépistage notamment. Il me semble également nécessaire d'informer les femmes de l'intérêt de la prévention, de la sensibilisation à la lutte contre les violences, des nouvelles techniques de procréation ou encore aider à la libération de la parole sur la sexualité, par le biais de conférences, ou de bus itinérants.
Quoi qu'il en soit, il faut proposer des solutions pérennes car s'agissant de la gynécologie, une relation de confiance, sur des questions intimes, doit pouvoir s'établir entre la patiente et le médecin.
Il convient enfin de tenir compte des spécificités de chaque territoire en s'appuyant essentiellement sur les relais locaux, les Agences régionales de santé (ARS), l'Union Régionale des Professionnels de Santé (URPS) et les Instances régionales d'éducation et de promotion de la santé (IREPS) qui connaissent bien le paysage médical.
Toutes les femmes, quels que soient leur lieu d'habitation et leur milieu social, doivent pouvoir bénéficier de consultations gynécologiques hyperspécialisées, avec une nécessité d'équité dans l'offre de soins. Les divers professionnels doivent, entre eux, articuler leurs domaines de compétence, dans l'intérêt des patientes.
Nous souhaitons que la FNCGM soit un interlocuteur permanent des décisions politiques concernant la santé des femmes et celle des couples de parents des enfants à naître. L'expertise en gynécologie médicale française devrait être développée et diffusée dans les autres pays d'Europe.
Claire Siret, conseillère nationale de l'Ordre des médecins, présidente de la Commission des relations avec les usagers . - Il est important d'observer l'ensemble des données de l'atlas démographique du Conseil national de l'ordre des médecins (CNOM). Au 1 er janvier 2020, nous comptions environ 198 000 médecins en activité régulière, représentant ainsi seulement 65 % des inscrits, ce qui correspond à une baisse de treize points en dix ans.
Les femmes représentent 49 % de ces médecins actifs dont l'âge moyen est de 50 ans. La part des plus de 60 ans est de 25 %, et celle des moins de 40 ans de 24 %. Les départements hospitalo-universitaires des métropoles sont les plus féminisés, ils observent une population active plus jeune.
Par ailleurs, si le nombre de spécialistes médicaux et chirurgicaux augmente respectivement de 9,7 % et de 4,6 %, l'effectif des médecins généralistes, quant à lui, baisse de 8,7 %. Toutefois, en dix ans, toutes les densités moyennes et médianes de chaque spécialité diminuent, hormis celles des spécialités chirurgicales. Les inégalités interdépartementales se creusent, tous groupes de spécialité confondus.
Depuis 2010, l'exercice libéral enregistre une diminution de 11 % au profit de l'exercice salarial, qui connaît une augmentation de 12 %. Cette dynamique s'observe pour tous les groupes de spécialités, chacune ayant cependant une pente qui lui est propre.
Ce n'est qu'à l'horizon des années 2030 que la population médicale et l'offre de soins devraient être en meilleure adéquation avec la demande de soins.
Jusqu'en 2025, l'effectif des médecins sera moindre que les besoins de soins de la population, abaissant ainsi la densité médicale en raison de l'augmentation plus rapide de la population française par rapport aux professionnels de santé. En 2021, on estime la densité à 3,18 médecins pour 100 000 habitants, ce qui pourrait conduire, en 2028, à retrouver le niveau de 2015. En 2040, la densité serait supérieure de 18 % à celle de 2015.
Face à cette baisse de l'offre de soins, plusieurs constats :
- les effectifs des médecins spécialistes en médecine générale évoluent de manière moins dynamique que ceux des autres spécialistes, lesquels bénéficieraient davantage des installations des médecins avec un diplôme étranger ;
- la hausse du nombre de professionnels de santé qui entrent dans la vie active ne suffira pas à contrebalancer les cessations d'activité des médecins âgés, d'autant qu'ils ne travaillent pas de la même façon ;
- la diminution du nombre d'heures médicales disponibles devrait conduire à une baisse de l'offre globale de soins, alors que le besoin en soins, en raison du vieillissement de la population, devrait augmenter plus rapidement que le nombre d'habitants.
Quant à l'inégalité d'accès sur le territoire, elle s'explique par plusieurs facteurs :
- la durée hebdomadaire moyenne de travail des médecins généralistes est de 56 heures en zone urbaine, alors qu'elle s'élève à 60 heures en moyenne en zone rurale ;
- l'attractivité des territoires est aussi un élément important : selon une enquête de la Commission Jeunes médecins du CNOM, le cadre de vie, les conditions d'exercice, le travail en réseau avec d'autres professionnels de santé et les aides financières sont des facteurs clés pour l'installation des médecins dans les territoires ;
- le recul général de l'exercice libéral, mais également hospitalier, et la répartition très inégalitaire des médecins spécialistes.
En ce qui concerne les médecins spécialistes en gynécologie obstétrique :
- en 2019, la France a enregistré une baisse de plus de 8 % en huit ans de gynécologues obstétriciens, toutes spécialités confondues. Cette diminution globale s'est faite aux dépens du nombre de spécialistes médicaux, dont le rôle est d'assurer le suivi gynécologique des femmes tout au long de leur vie. Il y a aujourd'hui en France une densité de 3,7 gynécologues médicaux pour 100 000 femmes en âge de consulter ;
- le nombre de gynécologues obstétriciens, spécialisés dans les actes chirurgicaux, progresse de 36 % ;
- malheureusement, la baisse du nombre de gynécologues médicaux va se poursuivre dans les années à venir, en raison des départs en retraite que le nombre de jeunes diplômés ne permettra pas de compenser. Aujourd'hui, l'âge moyen des spécialistes médicaux est de 65 ans, et 82 postes seulement ont été ouverts pour la rentrée 2020.
L'accès des femmes aux gynécologues médicaux est très inégalitaire selon les départements : 89 départements sur 101 ont une densité moindre à 3,7/ 100 000 , et d'autres, comme l'Ardèche, sont parfois dépourvus de tout gynécologue médical. Ces difficultés touchent aussi bien les campagnes que les villes, et s'agrègent bien souvent à d'autres fragilités territoriales, telles qu'un accès difficile aux services publics, aux commerces et à la couverture numérique. Les départements hospitalo-universitaires, comme Paris, la Gironde et la Haute-Garonne, sont épargnés.
Les inégalités territoriales en termes de services hospitaliers peuvent également affecter les actes auxquels se consacrent les spécialistes. Selon la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES), la France métropolitaine comptait 1 369 maternités en 1975, contre 518 en 2014. Si les fermetures de maternités sont un facteur supplémentaire d'inégalité dans l'accès aux soins, elles ne sont pas nécessairement dues à l'absence de gynécologues-obstétriciens. La décision peut être liée à la difficulté d'embaucher des anesthésistes-réanimateurs ou d'autres professionnels de santé ou à un nombre d'accouchements jugé insuffisant pour assurer la sécurité des patientes.
En ce qui concerne l'accès des femmes aux soins :
- la santé des femmes et des filles est influencée par les différences biologiques liées au sexe et aux autres déterminants sociaux.
En 2016, l'espérance de vie mondiale des femmes était de 74 ans, alors qu'elle était de 69,8 ans pour les hommes. Les femmes connaissent une morbidité plus importante et ont davantage recours aux services de soins de santé que les hommes, en particulier en raison de leurs spécificités biologiques et de leurs besoins en santé reproductive. Les maladies cardio-vasculaires sont la première cause de décès chez les femmes. Parmi les cancers, ceux du col de l'utérus et du sein sont les plus fréquents, et le cancer du poumon le plus meurtrier. La dépression est plus fréquente chez les hommes que chez les femmes. Les conduites auto-agressives, y compris le suicide, représentaient en 2015 la deuxième cause principale de décès chez les femmes âgées de 15 à 29 ans au niveau mondial.
Les femmes ont généralement des comportements de santé plus tempérants et une plus grande proximité avec le système de soins.
Dans le monde, une femme sur trois est susceptible de connaître des violences physiques ou sexuelles. Chaque jour, environ 830 femmes meurent de causes évitables liées à la grossesse et à l'accouchement. Les jeunes femmes âgées de 15 à 24 ans représentent la majorité des personnes vivant avec le VIH.
Depuis plusieurs années, l'atlas de la démographie médicale du Conseil national met en lumière l'aggravation des difficultés d'accès aux soins dans les territoires. La gynécologie n'échappe pas à cette réalité. Toutefois, les effets organisationnels d'accès aux soins dans les zones du parcours de soins, appliqués à la périnatalité, imposent quelques constats indépendants du facteur de la démographie médicale. On peut noter le changement de comportement chez les femmes dans leur vie, avec les problématiques d'obésité, de tabac, d'alcool, de manque d'activité physique. Les déclarations de grossesse sont de plus en plus tardives, les difficultés psychosociales moins repérées et la prise en charge des patientes psychiatriques plus difficile.
En ce qui concerne les solutions :
- l'atlas montre que les difficultés démographiques sont réelles et qu'il faut trouver des solutions en attendant que le nombre de professionnels de santé augmente. Le CNOM a formulé de nombreuses propositions dans le cadre de l'élaboration de la réforme du système de santé. Il a notamment défendu la réforme des études médicales, la professionnalisation précoce, la mise en place d'une organisation territoriale tenant compte des spécificités locales et incluant l'ensemble des acteurs. Il prône également le développement de l'attractivité de chaque territoire car lorsqu'il manque de médecins, il manque de tout.
Le bus itinérant, médecine foraine ou itinérante, permet à un médecin d'aller au-devant de la population sans avoir à supporter le coût d'équipement de divers lieux d'activité. Le Conseil national estime qu'il s'agit d'un outil qui doit s'intégrer dans un projet de territoire et qui doit être organisé au niveau local en fonction de l'offre de soins disponible, en concertation avec les professionnels de santé et dans l'intérêt des patients.
Le déploiement de la téléconsultation a été fulgurant pendant l'épidémie. S'il constitue un outil utile, il est aujourd'hui à l'origine de dérives qui sont parfois difficiles à contrôler, notamment du fait du développement de sites et de plateformes vantant l'accès à des services immédiats 24h/24, donnant un aspect commercial à l'exercice médical. L'Ordre est extrêmement vigilant sur ce point.
Les Maisons de santé pluridisciplinaires (MSP) qui offrent un exercice pluridisciplinaire dans un même lieu d'exercice à des professionnels de santé regroupés sous une forme juridique nouvelle (SISA), répondant à un cahier des charges précis pour obtenir labélisation et financement par l'ARS, sont l'outil de travail plébiscité par les jeunes professionnels de santé pour s'installer dans les territoires. Il faut donc favoriser leur développement.
La maîtrise de stage est le vivier d'installation. Il est donc très important de développer ce dispositif dans les territoires ruraux, au travers notamment des aides financières ou au logement consenties par les départements ou les communes, de la mise en place de permanences d'accueil à l'installation entre tous les acteurs de santé du territoire et d'une bonne coordination entre ces derniers.
Le plan « Ma Santé 2022 » prévoyait le développement de 1 000 communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). En janvier 2021, la Direction générale de l'offre de soins (DGOS) nous a indiqué que 578 projets de CPTS avaient été recensés, et qu'au moins 2 000 étaient en cours d'élaboration. Il s'agit de mettre en place une coordination du parcours de soins entre professionnels s'inscrivant dans un maillage du territoire et des protocoles de coordination.
Le Conseil national se tient à votre disposition pour une éventuelle concertation relative aux améliorations que l'on pourrait apporter à la prise en charge des femmes.
Anne-Marie Curat, présidente du Conseil national de l'ordre des sages-femmes . - Je remercie la délégation aux droits des femmes du Sénat pour l'organisation de cette table ronde. Dans un monde où les droits des femmes ne sont jamais acquis, nous devons toutes et tous être mobilisés chaque jour pour leur préservation. Ce combat historique est toujours d'actualité pour défendre les droits des femmes, l'accès aux soins et leur liberté de disposer de leur corps. La défense des droits sexuels et reproductifs est indissociable de l'autonomie des femmes, de leur émancipation ainsi que de l'égalité entre les femmes et les hommes.
En 2017, en France, 78,5 % des IVG ont été pratiquées en établissement hospitalier, plus de 19 % en cabinet libéral et environ 2,2 % en centre de santé ou en centre de planification et d'éducation familiale. L'accès effectif à l'IVG dépend donc en grande partie de la carte hospitalière, notamment dans les zones rurales. Le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE) notait dans son rapport de 2013 consacré à l'accès à l'IVG que les femmes ayant eu recours à une IVG étaient en moyenne à 30 minutes de l'établissement de prise en charge, mais que ce chiffre masquait de fortes disparités. Parmi les facteurs en cause, il soulignait l'impact des restructurations hospitalières et la fermeture d'hôpitaux de proximité, en particulier des maternités.
Depuis les années 1990, le nombre de maternités a fortement diminué. On dénombrait 814 maternités en 1996, 593 en 2005 et 512 en 2016. Pour conserver le maillage territorial de l'offre de soins, certaines maternités ont été remplacées par des centres de périnatalité de proximité, mais ces structures ont aujourd'hui des fonctionnements et des missions très variés. Aussi, une redéfinition et une restructuration de cette offre de soins, annoncée par le ministre, sont attendues et indispensables.
On assiste aujourd'hui à une raréfaction de l'offre médicale et à des disparités territoriales qui contraignent certaines parturientes à parcourir de longues distances pour accéder aux soins et en amènent d'autres à renoncer à leur suivi gynécologique. L'« Engagement maternité » annoncé par l'ancienne ministre des solidarités et de la santé vise à organiser des schémas de prise en charge pour les parturientes qui résident à plus de 45 minutes d'une maternité. Cet engagement doit devenir une réalité dans chaque territoire, peu importe la distance avec la maternité. Pour cela, il doit être construit par l'ensemble des acteurs du territoire et être présent dans le projet de territoire de santé.
Les sages-femmes constituent une référence de la santé génésique. Leurs compétences sont adaptées au suivi des femmes en bonne santé. Les sages-femmes accompagnent par essence les femmes dans leur grossesse, quelle qu'en soit l'issue. Mais la profession de sage-femme a muté pour suivre les évolutions et répondre aux besoins des femmes. Ainsi, les sages-femmes assurent le suivi gynécologique des femmes en bonne santé, et depuis la loi de 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (HPST), elles prescrivent la contraception.
Elles participent également, aux côtés des médecins et des gynécologues, au dépistage organisé du cancer du sein et du col de l'utérus. Depuis environ six à sept ans, les sages-femmes se sont véritablement emparées de cette compétence en matière de suivi gynécologique de prévention. Auparavant, elles rencontraient des difficultés liées à l'invisibilité de la profession dans ce domaine et au manque de communication et d'information auprès de la population sur leurs compétences médicales.
Depuis la loi de 2016 de modernisation de notre système de santé, les sages-femmes peuvent également prescrire et pratiquer l'IVG médicamenteuse, oeuvrant au quotidien pour garantir l'accès à ce droit. Elles sont désormais des acteurs incontournables de la politique de santé publique et de la promotion de la santé.
La démographie des sages-femmes a suivi le développement de leurs compétences pour répondre à la mutation de l'offre de soins. Leur nombre est ainsi en augmentation constante depuis cinquante ans. Alors que nous n'étions que 8 000 en 1974, nous sommes aujourd'hui 24 000 sages-femmes en activité.
Le secteur libéral connaît un dynamisme prononcé, suivant en cela le virage ambulatoire. Entre 2000 et 2010, le nombre des sages-femmes libérales a crû de 6,7 % par an en moyenne. En 2011, 3 412 sages-femmes exerçaient en libéral ou en exercice mixte ; en 2018, elles étaient 7 065 et aujourd'hui, 35 % des sages-femmes exercent en libéral.
Le virage ambulatoire est une opportunité de santé publique, car il permet de garantir une offre de soins dense aux femmes et de répondre à leurs besoins, grâce notamment au rôle exercé par les sages-femmes.
Catherine Llinarès-Trapé, présidente du conseil interrégional de l'ordre des sages-femmes du secteur Sud-Ouest . - J'exerce mon métier de sage-femme libérale en Haute-Ariège, un territoire rural de montagne. Force est de constater que la santé des femmes n'est pas une priorité dans les territoires ruraux. L'Ariège est le département dont le taux de dépistage du cancer du sein est le plus bas, et les problèmes d'alcoolisme féminin y sont prégnants.
Depuis dix-huit mois, j'exerce au sein du pôle de santé libérale de Tarascon-sur-Ariège, une maison de santé pluridisciplinaire qui accueille environ 10 000 patients. Le pays de Tarascon ainsi que les territoires de montagne situés au sud ne comptent aucune offre de soins en gynécologie ni périnatalité, hormis la présence des médecins généralistes.
L'équipe de la maison de santé m'a accueillie à la suite de contacts avec l'infirmière coordinatrice. Je l'avais sollicitée parce que je souhaitais participer à un projet de santé nutrition pour les femmes en périnatalité. Mais lorsque les médecins généralistes de la MSP ont pris connaissance du champ actuel de compétences des sages-femmes, ils ont compris que cela répondrait, du moins en partie, aux besoins de santé des femmes qu'eux-mêmes avaient grand mal à prendre en compte. Depuis, j'effectue des consultations sur place une fois par semaine et je participe aux réunions d'équipe hebdomadaires ainsi qu'au projet de santé de la MSP.
L'activité de gynécologie hors périnatalité constitue environ 70 % de mon activité à la MSP. En pratique, les patientes me sont adressées à chaque fois que le motif de consultation est en lien avec la gynécologie au sens large. Mon expertise comprend les soins et les prescriptions que j'ai mises en place, la qualité de l'information nécessaire à ma mission de coordination via le logiciel informatique, la réponse à des appels téléphoniques sur la ligne dédiée aux urgences et, le cas échéant, l'orientation vers un médecin spécialiste ou le plateau technique de soins. Ces consultations ont révélé des besoins de santé qui n'avaient pas été exprimés auparavant.
Elles sont aussi l'occasion de développer avec l'équipe des programmes « sport santé », notamment pour les pathologies chroniques comme le diabète ou l'hypertension. De tels programmes seraient également utiles en périnatalité pour faciliter la récupération physique des jeunes mères, rompre l'isolement social et lutter contre la dépression périnatale.
Les patients peuvent bénéficier, dans la plupart des cas, d'une prise en charge pluridisciplinaire sur leur territoire, ce qui correspond à une forte demande des habitants des territoires ruraux. Beaucoup de patientes de 40 à 50 ans n'ont pas de suivi gynécologique. Si elles se rendent en consultation chez leur médecin traitant, par exemple pour des douleurs du petit bassin ou des douleurs urinaires, celui-ci leur propose systématiquement une consultation avec la sage-femme pour faire le point sans délai de rendez-vous.
Ces consultations sont aussi l'occasion de proposer des dépistages aux patientes, de faire le point sur le sujet de leur vie affective et sexuelle, parfois d'aborder la ménopause, l'existence de symptômes courants tels que les fuites urinaires ou les descentes d'organes et d'aborder leurs pathologies concomitantes et les variations de poids.
Elles permettent aussi de diffuser quelques informations de prévention, notamment dans le cadre du programme « manger bouger ». Les patientes peuvent enfin intégrer un des parcours de soins innovants développés sur le pays de Tarascon, comme l'activité physique adaptée.
Au fil du temps, avec les infirmières Asalée - elles participent au dispositif Action de santé libérale en équipe -, la prise en charge pluridisciplinaire a permis de se rendre compte que l'un des freins les plus fréquents à l'adhésion des patientes au sport adapté était les fuites urinaires d'effort, qui durent en général depuis des années. Les femmes n'en ont jamais parlé à leur médecin généraliste, et en parleront plus facilement lors d'une consultation avec une sage-femme. Elles ont tendance à prioriser elles-mêmes leurs besoins de santé : devant la charge de travail des généralistes, elles vont taire leurs besoins moins immédiats.
Les autres maisons de santé situées plus haut dans la montagne, sans sages-femmes, ont pris l'habitude de nous les adresser pour la gynécologie, ce qui permet de se projeter dans un parcours de soins gynécologiques intégrant les sages-femmes dans les futurs CPTS d'Ariège. Mais les limites sont nombreuses. L'exercice en milieu rural est confronté, plus qu'ailleurs, à des situations extraordinaires notamment en périnatalité, même si la maternité est située à moins de 45 minutes. Ces situations n'ont pas été pensées pour la profession en termes de maillage territorial et exigent souvent une souplesse supplémentaire, à la limite du champ de compétences. Cela nécessite aussi l'aide de gynécologues-obstétriciens, avec de la télé-expertise de fait - les sages-femmes n'ont pas la possibilité reconnue de pratiquer la télé-expertise.
Cela donne tout leur sens aux protocoles de coopération et pluridisciplinaire. La sage-femme peut ainsi renforcer les ressources locales des équipes de premier recours du territoire dans de nombreux domaines : vaccination Covid, accouchements hors structure. Les sages-femmes installées, comme moi, dans les territoires ruraux ont du mal à trouver leur place dans les équipes de premier recours, les maisons pluridisciplinaires de santé et les CPTS parce qu'il manque presque toujours l'un des trois éléments clés de leur exercice : la notion de complémentarité avec le médecin généraliste et les autres professionnels de santé, à condition qu'elle s'articule en toute autonomie et en respectant toute l'indépendance de l'exercice médical de la sage-femme dans son champ de compétences.
Pour aider au développement de ces activités, il serait utile de lancer une nouvelle campagne de communication grand public afin de mettre en lumière l'utilité de la profession de sage-femme dans la prise en charge de la santé des femmes en dehors de la périnatalité. La dernière campagne a eu lieu il y a sept ou huit ans.
Il faudrait faire évoluer les conditions d'installation des sages-femmes dans les territoires ruraux, avec par exemple le conventionnement qui devrait prévoir un appui financier pour faire face aux évolutions technologiques de leur exercice, telles que l'appareil à échographie portable pour l'accès à l'IVG, la télémédecine, la télé-expertise ainsi que des actions de formation adéquates.
Il faudrait également faire évoluer les compétences pour adapter le contenu de l'exercice aux besoins de santé des femmes ; utiliser l'atout de la sage-femme française, en termes d'autonomie et de complémentarité plutôt qu'en termes d'aide ou de prescription par le médecin ; enfin, améliorer les conditions de rémunération des sages-femmes avec des tarifs à l'acte ou des forfaits dans les actes de dépistage et les actions effectuées en pluri-professionnel.
Françoise Amouroux, vice-présidente du Conseil central D de l'ordre des pharmaciens . - Je connais bien le milieu rural, puisque j'y exerce également. Le contexte de la ruralité est celui d'une désertification médicale plus ou moins marquée selon les zones, mais surtout une désertification de spécialistes : gynécologues, pédiatres... Les centres hospitaliers et les centres de santé gratuits, type Protection maternelle et infantile (PMI) sont éloignés. Or les femmes sont souvent confrontées à des difficultés de mobilité : certaines n'ont pas de permis de conduire, ou bien l'unique véhicule familial est utilisé par le conjoint... Sans les transports en commun présents dans les grandes villes, ces femmes ont des difficultés d'accès aux soins.
Le rapport du centre Hubertine Auclert estime qu'une personne est éloignée d'un service de santé de proximité dès lors qu'elle habite à plus de 20 minutes de celui-ci. C'est souvent ce qu'on retrouve a minima dans les ruralités.
Le pharmacien a l'avantage d'être un acteur de santé de premier recours, porte d'entrée dans le système de soins. Notre objectif, c'est de garantir l'accès aux soins, d'assurer la continuité de l'offre de soins et d'orienter le patient dans son parcours de soins, selon la difficulté et l'urgence - d'autant que le pharmacien ne peut pas tout prendre en charge.
Il y a plus de 20 000 pharmacies en France. On compte 32 officines pour 100 000 habitants : il n'y a pas de problème d'accès aux officines grâce à une répartition homogène sur tout le territoire. Ce maillage territorial fait du pharmacien un acteur spécifique dans les territoires éloignés. Plus d'un tiers des officines sont installées dans des communes de moins de 5 000 habitants. Selon un rapport de la DREES, les pharmaciens figurent parmi les professionnels de santé les mieux répartis sur le territoire national : en 2018, trois communes sur dix étaient dotées d'une ou plusieurs pharmacies ; la distance moyenne à la pharmacie la plus proche pour l'ensemble des communes est de 3,8 kilomètres, y compris les communes avec une pharmacie. Cette moyenne est de 5 kms s'il n'y a pas de pharmacie dans la commune ; 90 % des communes bénéficient d'une pharmacie à moins de 7 kilomètres et 66 % à moins de 5 kilomètres ; le nombre de laboratoires de biologie médicale pour 100 000 habitants est de 7,1.
Il y a aussi une augmentation de l'exercice coordonné et du travail en inter et en pluri-professionnel, via les maisons de santé professionnelles ou les CPTS qui sont en augmentation - ce dont nous nous félicitons.
Je vais revenir sur les périodes charnières pour la santé des femmes, durant lesquelles les pharmaciens sont fréquemment sollicités.
À l'adolescence, nous avons des demandes sur les vaccinations, notamment la vaccination contre le papillomavirus (HPV), que nous devons promouvoir, la contraception d'urgence, pour laquelle le pharmacien est très sollicité, la contraception régulière et l'information sur les infections sexuellement transmissibles ; les jeunes pensent souvent que la pilule les protège de tout...
Nous aidons ensuite les jeunes femmes pour leur suivi gynécologique, la contraception, l'accompagnement des traitements de stérilité, très précis et qui nécessitent des explications, le suivi de grossesse... Pour ce faire, nous sommes aidés par les biologistes pour les examens obligatoires. Dans le cadre d'une grossesse, nous faisons aussi de la prévention sur l'arrêt du tabac et de l'alcool et la surveillance de l'automédication, grâce au dossier pharmaceutique.
Les pharmaciens ne peuvent que se féliciter du succès du dossier pharmaceutique : nous avons plus de 38 millions de dossiers pharmaceutiques actifs, qui nous permettent de connaître les traitements consommés par les patientes.
Nous accompagnons les grossesses à risques - diabète gestationnel, hypertension artérielle - ainsi que la vaccination antigrippale de la femme enceinte.
Ensuite, nous répondons aux questions sur l'accouchement, le suivi périnatal, le suivi post-partum de la mère, l'allaitement, la contraception post-accouchement puis le suivi du nourrisson, les onze vaccins obligatoires chez l'enfant...
Nous avons un rôle à jouer auprès de la femme mature avec la prévention des cancers. Nous prenons le relais d' Octobre rose pour la prévention du cancer du sein, mais aussi du cancer du col de l'utérus avec les biologistes. Nous aidons au suivi gynécologique avec les traitements hormonaux substitutifs et la prise en charge de la ménopause, la prévention de l'ostéoporose, voire la prévention des chutes. Les pharmaciens ont à leur disposition des outils de communication : affiches ou plaquettes à remettre à nos patientes grâce au Comité d'éducation sanitaire et sociale de la pharmacie française, qui est une structure dépendante de l'Ordre. Ces documents sont importants et sont le relais des informations transmises par les autorités de santé ; de nombreuses femmes trouvent des informations très délétères sur les réseaux sociaux ou les forums. Nous devons régulièrement lutter contre ces fausses informations.
Les pharmaciens sont des acteurs de proximité, de premier recours, bien répartis sur l'ensemble du territoire, et accessibles 24h/24 et 7j/7. Nous sommes disponibles sans rendez-vous, et disposons pour la plupart d'espaces de confidentialité pour recevoir nos patients.
Nous bénéficions de la confiance des patients dans leur pharmacien, ce qui n'est pas négligeable, et avons un contact fréquent avec des femmes malades, mais aussi des femmes bien portantes qui ont besoin de renseignements.
L'intérêt d'exercer en milieu rural, c'est que nous avons une connaissance plus approfondie des patientes qu'en ville, mais aussi de leur milieu social, leur famille, et des difficultés de la vie auxquelles elles sont confrontées - chômage, séparations, naissances, décès... Nous connaissons aussi les traitements pris grâce au dossier pharmaceutique.
Nous sommes très impliqués dans la prévention primaire et le dépistage. Nous jouons un rôle d'orientation dans le système de soins vers les médecins, les urgences et les sages-femmes. Je suis ravie d'avoir des sages-femmes en libéral, qui nous aident beaucoup.
Le rôle social du pharmacien est important. Je ne reviens pas sur les violences faites aux femmes, sujet d'une audition de la délégation le 11 février prochain. Nous sommes les relais des messages de santé publique et tenons beaucoup à ce rôle pour transmettre des informations importantes et fiables - on le voit dans le contexte actuel.
Selon les territoires, les maisons de santé pluri-professionnelles et les CPTS permettent des échanges interprofessionnels avec des médecins, des sages-femmes et des infirmiers. L'heure n'est plus au travail en silo.
Ce travail en maison de santé permet aux pharmaciens de faire de la dispensation sous protocole, très encadrée, qui permet de prendre en charge certaines pathologies comme la cystite chez la femme ou la varicelle chez l'enfant, dans le cadre d'un exercice coordonné. Nous avons aussi des possibilités de télé-soins et de téléconsultation. La situation sanitaire liée à la Covid-19 a renforcé cet exercice, et a accéléré le développement de s dispositifs comme l'accès à l'IVG médicamenteuse. Est-ce une méthodologie à pérenniser ? La question se pose.
Nous devons prôner l'accès à une messagerie sécurisée pour communiquer entre professionnels avec une transmission des données sécurisées.
Nous pourrions imaginer des entretiens pharmaceutiques avec des patientes à différents âges ou moments charnières de la vie. Par exemple, pour la contraception d'une jeune fille qui demande trop souvent une contraception d'urgence, le pharmacien pourrait l'orienter dans le système de soins et prescrire, en attente de rendez-vous médical, une pilule micro-progestative. Le pharmacien pourrait procéder à certains rappels de vaccins chez l'adulte, voire à la vaccination HPV. Cela pourrait faire l'objet d'expérimentations dans certains territoires, en lien avec d'autres professionnels de santé.
Le quotidien du pharmacien, c'est aussi faire preuve de bon sens. Comment prendre en charge ces patientes qui souvent méconnaissent les professionnels qu'elles peuvent consulter ? De nombreuses femmes ignorent qu'elles peuvent s'adresser à une sage-femme en dehors de l'accouchement, et notamment avant et après, pour prendre soin du nourrisson ou aider leur entourage. Nous avons beaucoup à faire pour mieux communiquer, tous ensemble, afin d'améliorer la prise en charge de ces femmes qui en ont besoin, et encore plus en milieu rural.
Houda Merimi, référente santé pour le plaidoyer à la Direction des opérations France de Médecins du Monde . - Médecins du Monde est un organisme de solidarité internationale qui compte plus d'une cinquantaine de programmes en France, en métropole et en outre-mer, et qui intervient auprès des personnes en grande situation de précarité ou d'exclusion. Nos équipes constatent au quotidien les difficultés auxquelles elles sont confrontées. Elles s'attachent à faire valoir leurs droits, à assurer leur continuité dans le temps, et à faciliter l'accès aux soins. Pour Médecins du Monde , les sujets de santé et de droit sont indissociables. À ce titre, les droits et la santé sexuelle et reproductive sont des axes importants qui structurent nos opérations. Celles-ci se tiennent soit dans des centres de santé - nous en avons une quinzaine sur tout le territoire - soit à travers les dispositifs variés de « l'aller vers » les populations dont il a déjà été fait mention. Il y en a plus d'une quarantaine. Nous sommes présents dans les zones rurales, au travers de deux programmes spécifiques que vous avez cités, dans les Combrailles du Puy-de-Dôme et dans la haute vallée de l'Aude.
L'association a choisi d'intervenir dès 2013 dans ces zones rurales pour élargir sa connaissance des sujets d'accès aux soins sur le territoire français, et témoigner des difficultés spécifiques des populations en précarité dans ces territoires ruraux, au premier rang desquelles évidemment les femmes. Ces territoires sont étendus, les habitants y sont dispersés, et il y a une faible densité de population. Le maillage des routes est faible et les durées de trajets sont parfois importantes pour se rendre dans les villes où se situent les centres de santé et les services publics. Les services de transports en commun ne sont pas toujours adaptés aux rendez-vous médicaux en journée, en matière d'horaires, de régularité ou de desserte. De plus, les conditions climatiques hivernales sont parfois difficiles dans les zones de moyenne montagne, et peuvent avoir un impact sur les populations les plus vulnérables.
Ces deux programmes, aussi spécifiques soient-ils, reflètent une réalité commune à l'ensemble des territoires ruraux concernant la santé des femmes.
Dans le contexte rural, les premières personnes impactées par la configuration et l'évolution du système de santé et de droit sont les personnes les plus précaires, car elles rencontrent des difficultés pour se déplacer et pour utiliser les outils numériques. Les difficultés de déplacement sont de différents ordres : économique, quand les revenus sont faibles ; financier par rapport à l'achat ou l'entretien d'un véhicule quand il n'y a pas de permis de conduire ; elles peuvent être aussi d'ordre professionnel lorsque la personne ne peut pas s'absenter pour se rendre à un rendez-vous médical, car c'est une perte de revenus potentiels. Maryse, agricultrice, nous racontait qu'elle avait un rendez-vous pour réaliser des examens en attente depuis très longtemps ; or le matin même, un ami lui a demandé de l'aide pour ramener des vaches qui s'étaient échappées. « C'était l'occasion de se faire un petit billet » : le choix a été vite fait.
Les autres difficultés de déplacement sont dues à l'isolement social et géographique. Plus de 40 % des personnes reçues sur le programme des Combrailles et 50 % des personnes qui sont reçues dans la haute vallée de l'Aude vivent seules.
L'utilisation du numérique et d'Internet n'est pas systématiquement répandue. Selon une étude de 2017 des Petits Frères des pauvres , un tiers des personnes de plus de 60 ans en Auvergne-Rhône-Alpes est en situation d'exclusion numérique et 36 % n'utilisent jamais Internet, contre 31 % au niveau national.
La configuration géographique et spatiale de ces deux territoires constitue également un obstacle aux déplacements. À cela s'ajoute le déficit de l'offre de soins et de prévention avec une paupérisation globale de l'offre de services publics. Les populations les plus fragiles sont éloignées du système de santé et l'accès au peu de services de santé est très insuffisant. En mai 2020, la moyenne des consultations annuelles de médecine générale était de 3,9 dans la haute vallée de l'Aude et de 2,8 dans les Combrailles. Cette exclusion augmente, de fait, le non-recours aux soins. Entre 2019 et 2020, plus de la moitié des femmes accompagnées par Médecins du Monde déclaraient avoir renoncé à un soin durant les douze derniers mois.
Quelles sont les vulnérabilités spécifiques des femmes accompagnées par Médecins du Monde ? Elles connaissent en général peu ou mal le système de santé et s'en méfient parfois. Une bonne partie d'entre elles méconnaissent leurs droits et les structures existantes. Elles rapportent également des difficultés liées à la complexité de leurs démarches administratives ; des difficultés financières, parfois avec l'absence de complémentaire et une avance de frais obligatoire. En raison des difficultés liées aux transports, elles connaissent un isolement social qu'il est difficile de combattre sans aide extérieure et qui les maintient en marge des dispositifs existants. Clémence nous disait qu'elle ne s'était pas rendue à l'hôpital, car elle estime que les médecins lui « mettent la pression » et lui font peur, en insistant pour réaliser des opérations qu'elle ne souhaite pas. C'est pourquoi elle est venue nous voir pour nous demander notre avis. Les motifs de venue de ces femmes sont, pour un peu moins de la moitié des cas, d'ordre administratif, social, ou juridique, mais aussi pour des raisons médicales ou dentaires, et enfin pour un besoin de soutien psychologique et moral. Inès nous disait qu'elle s'était sentie abandonnée par son médecin auquel elle parlait de son mal-être, car il n'avait pas donné suite à sa demande d'être hospitalisée ; elle nous a demandé d'appeler pour elle.
Lors de la première visite, plus du tiers d'entre elles déclarent souffrir d'une pathologie chronique et plus de la moitié des femmes accompagnées perçoivent leur état de santé général comme moyen à très mauvais, autant sur le plan physique que psychologique.
Un mot maintenant sur les constats de nos équipes de terrain sur l'accès effectif aux droits et à la santé dans les territoires couverts par nos programmes. La majorité des femmes reçues disposent d'une couverture maladie : 73 % ont la protection universelle maladie, et la moitié une complémentaire. Cependant, en matière d'accès aux droits, on note un désengagement des services publics. Il y a une réduction des guichets physiques d'accueil pour de nombreux services publics dont les Caisses primaires d'assurance maladie (CPAM) ; les numéros d'accueil téléphonique sont payants et un certain nombre de services publics ont instauré le passage au numérique. Les Maisons de services au public (MSP) peuvent parfois présenter des dysfonctionnements avec des agents d'accueil surchargés ou insuffisamment formés. L'offre de services est éclatée sur le territoire, peu lisible en matière d'horaires d'ouverture des permanences ou même en matière de s services proposés.
Nous recommandons d'assurer la présence de structures de proximité avec des professionnels qualifiés, des capacités d'accueil suffisantes et ouvertes toute l'année. Ces structures devraient s'inscrire dans un réseau en complémentarité d'autres partenaires présents sur le terrain. Les compétences des personnes qui interviennent dans ces structures devraient être renforcées pour répondre aux besoins spécifiques d'accès au droit. Enfin, il faut absolument trouver des solutions alternatives au tout numérique, qui ne peut pas être l'unique solution. Il est important de laisser coexister des solutions accessibles facilement avec de l'accueil physique de proximité.
De nombreux services de santé sont éloignés. Il existe aussi des critères restrictifs dans la délivrance de prescriptions médicales de transport. La sous-densité médicale concerne autant les médecins généralistes que les médecins de second recours, d'où des délais de rendez-vous, des renoncements aux soins et l'engorgement des urgences hospitalières. En santé mentale, il y a trop peu de centres médico-psychologiques, de médecins psychiatres libéraux, et très peu d'équipes mobiles de psychiatrie. Pourtant, les besoins sont prégnants en santé mentale. Nous menons une mission exploratoire dans les Combrailles pour en savoir plus. Certes, il y a quelques psychologues libéraux, mais l'accès est compromis pour les plus précaires en raison de l'absence de prise en charge par la Sécurité sociale.
Nous recommandons de lutter contre la sous-densité médicale, en encourageant les regroupements de professionnels, avec des structures de proximité de type Maisons de santé pluridisciplinaires, avec un projet de santé comprenant des axes de prévention, avec l'amélioration de la coordination entre hôpital et ambulatoire, d'une part, et entre les soins médicaux et paramédicaux, d'autre part. Nous devons tenir compte de l'isolement des personnes, surtout en sortie d'hospitalisation. Cet objectif devrait être clairement inscrit dans le projet régional de santé porté par les hôpitaux et disposer de moyens dédiés.
Quand l'accès à la santé est remis en question, il l'est encore plus quand il s'agit de santé sexuelle et quand il s'agit de femmes. Ces difficultés sont liées au fait que ce sont des éléments qui touchent à l'intime, à l'intégrité des corps et à la maîtrise de leur corps par les femmes. Un mémoire a été rédigé par la médiatrice en santé, dans le cadre de notre programme sur la santé sexuelle chez les femmes. C'était une enquête sur un petit échantillon, dont plus de la moitié étaient des femmes, qui étaient en majorité en grande précarité, isolées, sans formation qualifiante ou diplôme d'études supérieures, et d'une moyenne d'âge de 50 ans. Les résultats de cette enquête montrent un cumul de difficultés pour accéder à une vie sexuelle satisfaisante, autonome et sécurisante : isolement géographique, précarité financière, maladies chroniques, manque d'espaces de rencontre et - élément important - un vécu de violences récurrent. Ces femmes ont, de plus, des méconnaissances importantes sur les principales prises de risques relatives aux infections sexuellement transmissibles, à part le VIH. La faible densité de population ne permet pas toujours de garantir l'anonymat du dépistage. Enfin, le niveau de connaissances concernant la contraception est assez variable. Ces résultats montrent qu'il est important d'assurer l'accès aux dispositifs de santé sexuelle et reproductive. Une attention spéciale devrait être portée à l'accessibilité à des sages-femmes. Un circuit de prise en charge des violences par les professions médicales et sociales devrait être instauré, dans le cadre de mesures qui permettent l'accès global à la santé.
L'expérience de Médecins du Monde a mis en évidence la pertinence et l'efficacité de la médiation en santé pour faciliter l'accès au droit et aux structures de santé et pour accompagner l'autonomisation des personnes. La médiation en santé est un lien de proximité qui a pour objectif de faciliter l'accès au droit, à la prévention et à la santé, et de contribuer à l'amélioration des dispositifs d'accueil des personnes. Elle repose sur l'intervention d'un professionnel - un médiateur ou une médiatrice - qui joue de manière temporaire le rôle d'interface entre la personne et les professionnels de santé ou du médico-social, pour favoriser le retour de la personne vers le droit commun. La mise en place de dispositifs de médiation en santé permet de repérer et d'accompagner les femmes en situation de précarité dans leur démarche d'accès à la santé, de promouvoir la santé primaire, le dépistage et la réduction des risques en matière de santé sexuelle reproductive, de favoriser la coordination des professionnels et, enfin, d'améliorer la connaissance des caractéristiques de la précarité en milieu rural, pour appuyer sa prise en compte par les acteurs institutionnels.
Patricia Saget-Castex, membre du conseil d'administration de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (CCMSA) et première vice-présidente de la MSA Midi-Pyrénées Sud . - Merci pour votre invitation à cette table ronde. Je vous prie de bien vouloir excuser l'absence de Pascal Cormery, président de la CCMSA, qui m'a chargé de le représenter aujourd'hui. J'ai également le plaisir de succéder à Anne Gautier, vice-présidente de la Caisse centrale et présidente de la MSA du Maine-et-Loire, qui est intervenue à plusieurs reprises devant la délégation aux droits des femmes du Sénat. Le sujet de la santé des femmes en milieu rural soulève des problématiques particulières et nécessite des réponses adaptées.
Vous le savez, la MSA est chargée de gérer la sécurité sociale obligatoire des professionnels agricoles, c'est-à-dire les non-salariés agricoles et les salariés agricoles du secteur de la production, des coopératives, mais également des services. Cette diversité est une vraie richesse. Le régime agricole est organisé en guichet unique et propose à ses ressortissants une sécurité sociale globale, avec une couverture en santé, famille, retraite, accidents du travail et maladie professionnelle, sans oublier l'action sanitaire et sociale. La MSA prend par ailleurs en charge la médecine du travail ainsi que la prévention des risques professionnels. Cette organisation est un véritable atout, dans la mesure où la MSA est l'interlocutrice unique de ses ressortissants, qui font l'objet d'un accompagnement à tous les âges. Nous sommes donc en capacité de suivre la santé des femmes résidant en milieu rural à toutes les étapes de leur vie.
Le premier enjeu, qui dépasse celui des femmes, porte sur les territoires ruraux et la nécessité de réduire l'ensemble des inégalités en matière de santé. En lien avec la stratégie nationale de santé, la MSA s'implique depuis plusieurs années dans l'amélioration de l'accès aux soins et la lutte contre les déserts médicaux, en partenariat avec les ARS, l'assurance maladie, les collectivités territoriales et les représentants des professionnels de santé. Le régime agricole accompagne, sur l'ensemble du territoire, la constitution de maisons de santé pluridisciplinaires, d'équipes de soins primaires (ESP) et de communautés professionnelles territoriales de santé. Je n'en dirai pas plus, car les intervenants précédents ont largement abordé la problématique de la démographie médicale.
La MSA protège en maladie, au 1 er janvier 2021, 550 448 non-salariées agricoles et 841 465 salariées agricoles. En matière d'affections de longue durée (ALD), les femmes sont en moyenne plus âgées de 5,6 ans que les hommes - 76 ans contre 70,4 ans - et le taux de prévalence brut de la prise en charge en ALD chez les hommes au 31 décembre 2018 est inférieur à celui observé chez les femmes : 204,8 %o contre 232,6 %o. Mais, si l'on regarde en détail, après standardisation par âge, sur la base de la population protégée en maladie par le régime agricole, le taux de prévalence devient plus élevé chez les hommes que chez les femmes : 235,1 %o, contre 201,0 %o. Pour les deux sexes, l'ALD la plus fréquente, au 31 décembre 2018, était le diabète de types 1 et 2 : 48 %o pour les femmes, et 61 %o pour les hommes. Les femmes du régime agricole ont un taux de prévalence standardisé supérieur aux hommes pour les ALD suivantes : maladies psychiatriques de longue durée (ALD 23) ; maladie d'Alzheimer et autres démences (ALD 15) ; hypertension artérielle sévère (ALD 12) ; polyarthrite rhumatoïde évolutive grave (ALD 22) ; périarthrite noueuse, lupus érythémateux aigu disséminé (ALD 21).
La MSA accompagne les assurés par la prévention et l'éducation à la santé pour tous les publics, en réponse à leurs besoins et au plus près des territoires. Pour ce faire, elle propose de nombreuses actions sur les territoires ruraux, afin de faire évoluer les comportements de ses assurés, mais également des habitants de ces territoires : promotion de la santé, sensibilisation, éducation à la santé, information, etc.
Dès la petite enfance, plusieurs actions de prévention sont proposées aux femmes résidant en milieu rural. Il s'agit, par exemple, d'un examen bucco-dentaire de la mère en période de grossesse et en période postnatale, ou de petits ateliers nutritifs à l'attention des parents d'enfants de zéro à deux ans. Pour les jeunes de 16 à 24 ans et les adultes de 25 à 65 ans, des examens bucco-dentaires sont régulièrement proposés aux personnes sous-consommatrices de soins dentaires. Les « instants santé » permettent de réintégrer les personnes âgées de 25 à 74 ans, mais aussi les jeunes, éloignées des soins de ville dans le parcours de santé. Cette action comprend trois étapes : un entretien motivationnel avec un infirmier, une consultation avec le médecin généraliste de son choix et des actions de suite permettant de répondre aux besoins identifiés lors des deux premières étapes. L'évaluation d'impact montre que 70 % des personnes ayant réalisé l'entretien motivationnel consultent ensuite un médecin dans les trois mois qui suivent. Retenons que 31 % des participants au premier rendez-vous sont des femmes.
Des campagnes spécifiques sont également proposées. Il s'agit, par exemple du dépistage du cancer du col de l'utérus - la quinzième semaine européenne de la prévention du cancer du col de l'utérus a démarré lundi dernier - ou du cancer du sein - 95 650 femmes ont participé à cet examen en 2019, soit 50,6 % des assurées agricoles ciblées - ou encore du parcours santé des aidants. En ce qui concerne les examens de dépistage, les caisses de MSA peuvent proposer de prendre en charge les transports, pour permettre à nos adhérents qui vivent dans des zones isolées de se rendre aux rendez-vous.
Vu la féminisation croissante de la profession agricole - même si les femmes ne représentent que 25 % des agriculteurs -, il reste beaucoup à faire en matière de santé au travail et de prévention des risques professionnels. Nous avons constaté que les femmes salariées agricoles étaient, en 2016, davantage concernées par les troubles musculo-squelettiques, avec 3,6 malades pour 1 000 affiliées contre 2,6 malades chez les hommes. Elles sont en revanche moins concernées par les accidents du travail impliquant un arrêt que les hommes, y compris pour les accidents graves. Il faut dire que le matériel agricole est parfois peu adapté au gabarit et à la force des femmes. Celles-ci rencontrent ainsi plus de pénibilité pour monter dans un tracteur, avec des marches trop hautes et des commandes trop éloignées, ou dans le port de charges lourdes, le travail de force, la répétitivité des mouvements - comme celui de la traite des vaches - ou l'exposition aux vibrations et au bruit. Malgré ces écueils, rappelons que d'importants progrès ont été réalisés ces cinquante dernières années pour améliorer l'ergonomie des outils et des matériels agricoles, ce qui a permis une meilleure accessibilité des femmes à la profession agricole. Les services des caisses de MSA travaillent quotidiennement avec les salariées et les non-salariées agricoles pour diminuer les risques professionnels, et avec les concepteurs pour améliorer le confort d'usage de leurs outils.
Comment ne pas évoquer le congé maternité des agricultrices, dont la durée minimale a été allongée de deux à huit semaines par la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2019. Celles qui ne peuvent se faire remplacer peuvent désormais prétendre à des indemnités alignées sur celles dont bénéficient les indépendantes. C'était une promesse de campagne du Président de la République, dont nous pouvons nous féliciter, puisqu'elle permet d'améliorer la santé des femmes et des enfants. En 2019, 991 non-salariées agricoles et 12 063 salariées ont été indemnisées au titre de la maternité. Le régime agricole contribue pleinement au dispositif Prado , qui permet un retour à domicile avec l'accompagnement d'une sage-femme, entièrement prise en charge par la MSA.
Les fonds d'actions sanitaires et sociales (ASS) spécifiques des caisses de MSA financent des séjours de vacances, qui participent au mieux-être des familles et renforcent l'estime de soi, et donc l'amélioration de l'état de santé. Ces séjours apportent du répit aux familles, et notamment aux femmes, avec l'allégement de la charge mentale et parentale.
J'en viens maintenant aux actions de santé destinées aux seniors, pour lesquels les caisses de MSA proposent des actions ciblées et individualisées, toujours en lien avec les médecins généralistes, qui restent au coeur du dispositif. Même si nous en parlons moins en raison de la crise sanitaire liée à la Covid-19, la vaccination contre la grippe reste au coeur des priorités des politiques de santé, en France et pour la MSA. Pour la campagne 2020-2021, la MSA a décidé d'accompagner les assurées agricoles primo-vaccinantes de 65 ans dans la réalisation de leur vaccination. Ce choix est ciblé, car la femme joue un rôle prescripteur au sein du foyer. assurées peuvent bénéficier d'un entretien téléphonique personnalisé de sensibilisation à la vaccination contre la grippe, réalisé par des infirmiers spécifiquement formés. Nous avons ciblé 15 563 femmes primo-vaccinées de 65 ans, et 4 138 entretiens ont été réalisés en 2020.
Dans les ateliers que la MSA propose aux seniors dans le cadre des actions liées au « bien vieillir » et qui concernent la nutrition, la stimulation de la mémoire, les activités physiques, l'aménagement du logement ou l'arrivée à la retraite, 79,9 % des participants étaient des femmes en 2019. Cela démontre l'intérêt que ces dernières portent à ces questions de prévention.
Localement, chaque caisse de MSA peut proposer des actions spécifiques. On peut ainsi citer la démarche menée par la MSA de Picardie depuis l'année 2013 et dénommée « Histoires de femmes », qui comporte une série d'ateliers de deux heures trente, une fois par mois, pendant un an, destinés aux femmes vivant en milieu rural, et permettant de prendre du temps pour soi pour recevoir et mettre en pratique des conseils qui contribuent au bien-être physique et moral. Les femmes en situation de précarité économique, sociale, environnementale, culturelle, et qui ont tendance à ne pas s'accorder du temps pour elles, pour préserver leur capital-santé, sont particulièrement concernées. L'objectif visé est de préserver et de restaurer l'image de soi, de créer du lien social et de développer son bien-être pour prendre soin de sa santé.
Voilà donc quelques exemples, non exhaustifs, d'actions menées par la MSA visant à améliorer la santé des femmes vivant en milieu rural et portant sur l'ensemble des périodes de la vie. Soyez assurés que les représentants élus de la MSA, dont je fais partie, et les salariés des caisses, sont particulièrement attachés à l'amélioration de la situation des femmes issues des territoires ruraux et/ou travaillant dans le milieu agricole, à la réduction des inégalités liées au genre et au renforcement de l'attractivité des métiers.
Pour revenir sur le sujet du bus itinérant, c'est une solution déjà utilisée par la MSA dans le domaine de la prévention, notamment dans la caisse dont je suis vice-présidente. Nous utilisons, à vrai dire, un camion, avec une équipe pluridisciplinaire.
Je vous remercie de votre attention et reste à votre disposition pour tout éclairage qui vous serait utile.
Annick Billon, présidente . - Je remercie tous nos invités pour la qualité de leurs interventions ce matin. Je donne sans plus tarder la parole à nos rapporteurs.
Bruno Belin, rapporteur . - Je remercie tous les participant(e)s pour la qualité de leurs interventions. Je voudrais partager quelques constats : je regrette tout d'abord la pénurie de moyens humains en matière de santé résultant, à l'aube des années 1970, de l'instauration du numerus clausus pour les études de médecine, de kinésithérapie ou de pharmacie, et ce, malgré la dynamique démographique qui a fait croître la population française depuis cette date de 54 à 67 millions aujourd'hui, avec une espérance de vie en hausse, entraînant une forte augmentation du nombre de personnes relevant du 4 e âge, notamment en milieu rural, et donc une hausse des besoins de soins. Certes, comme l'avait annoncé le Président de la République, le numerus clausus a été supprimé, en 2017, en fin de première année de médecine mais nous devons cependant nous interroger sur les mesures à prendre pour que, d'ici 2030, les professionnels de santé soient présents en nombre suffisant sur tout le territoire : les orthophonistes, par exemple, ne sont pas assez nombreux alors qu'ils sont essentiels pour assurer une prise en charge rééducative post-AVC.
Je rejoins cependant le professeur Nisand pour maintenir la liberté d'installation des praticiens car imposer un lieu d'exercice n'est pas un gage de bonne adaptation au territoire. En revanche, le plafonnement des installations par département, comme c'est déjà le cas depuis une loi de 1941 pour les pharmacies, mérite d'être étudié pour assurer une meilleure répartition des professionnels de santé sur le territoire. Qu'est-il advenu de la promesse en 2009 d'une ancienne ministre de la santé, Roselyne Bachelot, de garantir l'accès à tout français à un centre hospitalier à moins d'une heure de son domicile ?
Le nombre insuffisant de professionnels se conjugue à l'octroi trop parcimonieux des crédits affectés au secteur de la santé, notamment en raison du désengagement financier des Agences régionales de santé (ARS), représentantes de l'autorité de santé publique, garante de l'organisation des soins en France selon le code de la santé publique : ainsi, des consultations de psychiatrie itinérantes ne sont aujourd'hui plus assurées.
À la question du manque de moyens humains, s'ajoute celle de la répartition des compétences : qui fait quoi et surtout qui paie quoi ? Si les ARS doivent rester le pivot de l'organisation territoriale de la santé en France, il arrive que pour pallier les difficultés de mobilité en milieu rural et y permettre l'accès aux soins, les départements et les communautés de communes investissent, sans toutefois transfert de compétences des ARS, dans des Maisons de santé pluridisciplinaires (MSP) ; dans mon département par exemple, un bus médicalisé assure des consultations bucco-dentaires itinérantes mais son coût annuel de fonctionnement s'élève cependant à 100 000 euros et pèse sur la collectivité territoriale !
Ce maillage territorial de l'offre de soins gérée par les collectivités s'appuie notamment sur le réseau des centres de protection maternelle et infantile gérés par les conseils départementaux ; j'espère aussi beaucoup du développement du réseau des sages-femmes et maïeuticiens en exercice libéral et de l'extension de leurs attributions, outre celles qui relèvent de la seule obstétrique.
Sous ma présidence du conseil départemental de la Vienne, des infirmières ont été recrutées dans chaque collège pour permettre aux enfants de 11-15 ans, notamment aux collégiennes, d'avoir accès à un professionnel de santé.
Je déplore, ainsi que l'a rappelé notre collègue Marie-Pierre Richer, sénatrice du Cher, lors de la séance de questions d'actualité au Gouvernement du 28 janvier, que la réglementation actuelle impose la fermeture d'une officine et la restitution de sa licence dans des délais très brefs dès lors qu'un pharmacien n'y exerce plus. C'est un vrai drame pour les territoires ruraux qui perdent ainsi le dernier point de proximité qui permettait d'assurer, outre leur rôle de dispensation, celui de conseil pour apporter des réponses à nos concitoyens sur leurs questions de santé mais aussi pour les orienter vers des spécialistes, assurer des vaccinations, voire participer à des téléconsultations d'échographie, une fois formé à l'utilisation du matériel adapté par une sage-femme par exemple, l'interprétation des données continuant d'être réalisée par le spécialiste consulté par voie numérique.
Marie-Pierre Monier, rapporteure . - Les interventions de ce matin confirment nos craintes concernant les conséquences sur la santé des femmes de l'inégalité dans leur accès aux soins sur l'ensemble du territoire en raison de la désertification médicale qui frappe notamment le monde rural ; notre rapport devra veiller à alerter et à formuler des propositions pour y remédier. Je retiens en particulier des propos de nos invités qu'il faut délivrer une information de proximité aux femmes afin d'assurer une prévention de qualité, via par exemple des consultations itinérantes en bus médicalisé ou dans des centres prénataux de proximité, comme l'indiquait le professeur Nisand.
Pour lutter contre les déserts médicaux, je suis favorable à l'obligation pour les jeunes médecins, dont les dix années d'études ont été financées par l'État, d'assurer trois années d'exercice dans des territoires médicalement sous dotés en offre de soins.
Dans mon département de la Drôme, de nombreux contrats locaux sont conclus entre l'ARS et les collectivités territoriales, sur la base d'un diagnostic concerté, pour apporter des réponses adaptées aux problématiques spécifiques de la réalité du terrain rural et y coordonner au mieux les interventions des acteurs locaux de santé. Ce sont des outils utiles. La prise en charge par exemple des troubles de la santé mentale, notamment la dépression dont les femmes souffrent plus fréquemment que les hommes, ne doit pas s'arrêter aux portes des villes.
Jean-Michel Arnaud, rapporteur . - Il serait aussi intéressant d'entendre des représentants du monde infirmier dont les réseaux, en particulier ceux d'accompagnement gérontologique, constituent des piliers de la diffusion de l'information et de l'accompagnement des soins dans les territoires ruraux qu'ils sillonnent par tous les temps pour accompagner les personnes les plus isolées. Comme cela a déjà été évoqué, la régulation territoriale de la population médicale pourrait passer par un plafonnement des installations dans les secteurs sur-dotés en population médicale, juste équilibre entre l'actuelle liberté d'installation et celle imposant un lieu d'exercice. Le mentorat par un praticien expérimenté en fin de carrière, d'un médecin stagiaire au sein de réseaux hospitaliers de proximité, pourrait constituer la clef pour motiver des nouvelles installations en zone rurale, pour autant que les ARS et les directions administratives des plateformes hospitalières facilitent l'accueil de ces jeunes dans des établissements non universitaires. En outre, il pourrait être intéressant de réfléchir à la mise en place d'une politique d'incitation fiscale à l'installation de jeunes médecins spécialistes dans les territoires isolés, à l'instar des mécanismes fiscaux qui prévalent dans les zones de revitalisation rurale (ZRR) par exemple.
Laurence Cohen . - La création des « mastodontes » que sont les centres hospitaliers territoriaux ne permet pas de lutter contre la désertification médicale si, simultanément, des hôpitaux de proximité ferment au nom du regroupement des compétences. Pour les professionnels qui souhaitent désormais bien souvent exercer en équipe au sein d'une structure commune, les maisons de santé pluridisciplinaires et les centres de santé constituent une solution intéressante, même si j'ai pu constater en consultant des maires de toutes sensibilités politiques, au cours de mon tour de France des hôpitaux et des EHPAD, comme vice-présidente de la commission des affaires sociales, que la pérennité financière de ces établissements n'était pas toujours assurée. Des bus itinérants pourraient constituer une solution pour accompagner nos concitoyens souffrant de troubles de la santé mentale que la pandémie a sensiblement accrus. L'accès aux consultations de psychologie est freiné par leur non prise en charge par l'assurance maladie.
Dominique Vérien . - Les MSP constituent une solution intéressante pour autant que des médecins acceptent de s'y installer et, qu'en outre, le financement des frais de fonctionnement puisse être assuré si des médecins salariés y exercent. L'utilisation de bus itinérants pour informer et réaliser le dépistage des cancers permettrait de contacter des personnes dont les contraintes familiales et professionnelles ne leur permettent pas de se libérer facilement pour se rendre à un rendez-vous médical.
Les CHU permettent certes de bénéficier d'un plateau technique spécialisé pour effectuer des actes de haute technicité, mais d'autres actes peuvent tout à fait être réalisés dans des hôpitaux de proximité, même si les CHU régionaux ont tendance à préempter les patients pour des raisons tenant à la tarification à l'activité. Une logique de partenariats entre les CHU et les hôpitaux de proximité pourrait être encouragée.
Marie-Claude Varaillas, rapporteure . - Le manque de praticiens est notable dans le département de la Dordogne qui ne compte que 0,8 médecin pour 1 000 habitants, dont la moitié âgée de plus de 60 ans, situation qui augure d'années difficiles, d'autant que l'assouplissement du numerus clausus ne produira ses premiers effets qu'à l'horizon d'une décennie. Comme exemple d'implication des collectivités locales pour y remédier, le conseil départemental a élaboré un schéma départemental d'accès aux soins de proximité proposant de déployer sur son territoire une couverture de maisons ou de centres de santé de sorte qu'aucun patient ne soit situé à plus de quinze minutes de l'un de ces établissements. Le département mène une expérimentation triennale dans trois communes confrontées à une situation particulièrement difficile en offre de soins pour étudier la faisabilité juridique et financière de telles implantations. Enfin, en contrepartie d'une installation sur le territoire à l'issue de leurs études, le budget départemental octroie des bourses mensuelles de 200 euros, sans conditions de ressources, d'âge ou de nationalité, à tout étudiant en médecine générale ou de spécialité, inscrit dans une université agréée dans l'Union européenne.
Les sages-femmes ont assuré 80 % des 2 500 accouchements en Dordogne et les centres de protection maternelle et infantile et réalisé 250 interventions auprès de 4 170 élèves dans les collèges et lycées.
Je rejoins aussi la proposition de Marie-Pierre Monier de faire preuve de coercition en imposant aux nouveaux médecins diplômés de s'installer trois ou quatre ans dans des zones confrontées à une pénurie de ces professionnels de santé. En tout état de cause, la question mérite d'être posée.
Houda Merimi . - La prise en charge de la santé mentale sur le territoire français est déficiente, comme l'a montré une mission exploratoire de Médecins du Monde , menée pour définir non seulement les besoins en matière de psychiatrisation sur le territoire mais aussi le rôle que pourraient jouer, comme point d'entrée dans ces soins, les médecins généralistes ou les psychologues, pour assurer l'accompagnement psychosocial et le dépistage de troubles de la santé mentale, en particulier la souffrance psychologique engendrée par l'exclusion ou la pauvreté.
Claire Siret . - Le témoignage de représentants du monde infirmier, qui assure la coordination dans la prise en charge des patients, notamment en matière de prévention, de soins et de vaccination, serait intéressant à recueillir. L'Ordre des médecins n'est pas favorable à l'obligation d'installation : il est en effet vain de vouloir opérer une meilleure répartition de jeunes professionnels de santé sur le territoire en les obligeant à s'installer seuls et dans des zones médicalement déficitaires. Cela ne fonctionne pas là où cela a été mis en place. En revanche, il conviendrait de les inciter à s'installer en leur proposant un cadre pluridisciplinaire où ils pourraient exercer, encadrés et soutenus par leurs pairs puisque le compagnonnage reste la meilleure façon de les motiver, dans le seul intérêt d'offrir à leurs patients une offre de soins de qualité, en coordination avec des établissements de santé. Il s'agit également de parfaire les exercices en améliorant le temps médical de tous les professionnels de santé.
Patricia Saget-Castex . - La MSA peut assurer des prestations de conseil en ingénierie de projets, notamment effectuer un diagnostic préalable à l'élaboration d'un projet de santé sur un territoire et accompagner les professionnels de santé.
Annick Billon, présidente . - Je vous remercie pour la qualité de vos interventions qui ont dressé un panorama complet et quantifié de la situation sur le territoire mais aussi pour vos nombreuses propositions autour desquelles devrait pouvoir se dégager un consensus.
Audition de Mme Salomé
Berlioux,
fondatrice de l'association Chemin d'Avenirs
(4
février 2021)
Présidence de Mme Annick Billon, présidente
Annick Billon, présidente . - Chers collègues, nous accueillons ce matin, dans le cadre de notre rapport « Femmes et ruralité », Salomé Berlioux, fondatrice de l'association Chemins d'Avenirs , qui vient en aide aux jeunes issus des territoires éloignés des grandes métropoles, en encourageant le potentiel des collégiens et lycéens, dont les ambitions sont trop souvent bridées par les phénomènes d'autocensure. Je remercie Salomé Berlioux de s'être rendue disponible ce matin à distance.
À l'attention de mes collègues, je précise que Salomé Berlioux est l'auteure ou la co-auteure d'ouvrages très éclairants pour nous, dans le cadre de notre rapport : Les invisibles de la République : comment on sacrifie la jeunesse de la France périphérique , et Nos campagnes suspendues : la France périphérique face à la crise . Notre invitée est également l'auteure d'un rapport remis le 5 mars 2020 au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse sur l'égalité des chances dans la France des zones rurales et des petites villes, intitulé Restaurer la promesse républicaine . C'est notamment sur le fondement de ce rapport que le ministère de l'éducation nationale a lancé, en janvier 2021, le dispositif expérimental des Territoires éducatifs ruraux .
Croyez bien, Salomé Berlioux, que notre assemblée, sur tous les bancs, est particulièrement sensibilisée aux problèmes liés aux fractures territoriales et à leurs conséquences extrêmement préoccupantes pour notre jeunesse. La délégation aux droits des femmes du Sénat a inscrit à son agenda de 2021 un travail destiné à établir un bilan aussi complet que possible de la situation des femmes dans les territoires ruraux à partir de thèmes tels que la santé, la lutte contre les violences, l'orientation scolaire et universitaire, ou encore l'égalité professionnelle. Notre objectif est aussi, à l'occasion de ce rapport, de mettre en valeur des femmes qui par leur engagement, qu'il soit associatif, politique, économique, ou culturel, contribuent au dynamisme de ces territoires et peuvent constituer des modèles pour les jeunes filles et les autres femmes.
Je précise également que nous avons désigné pour mener à bien notre travail une équipe de huit rapporteurs associant tous les groupes politiques de notre assemblée, et qui représentent par ailleurs des territoires très divers : la Vienne, la Drôme, la Lozère, le Rhône, les Hautes-Alpes, la Haute-Garonne, le Finistère et la Dordogne. Notre réunion de ce matin s'inscrit dans la continuité de celle des représentants de la fédération Des territoires aux grandes écoles (DTGE), que nous avons rencontrés ici même le 14 janvier dernier.
La question de l'orientation scolaire et universitaire des jeunes filles qui grandissent dans les territoires ruraux est pour notre délégation un sujet crucial. Comment se manifestent concrètement les freins qui brident les ambitions des jeunes filles qui grandissent dans les territoires ruraux ? En quoi ces freins sont-ils spécifiques par rapport aux obstacles que rencontrent les garçons des mêmes territoires, par rapport aux difficultés des jeunes issus des quartiers prioritaires de la politique de la ville ? Quelles bonnes pratiques avez-vous observées pour aider efficacement les jeunes filles des territoires ruraux à réaliser leur potentiel ? Quels sont selon vous les leviers les plus efficaces pour orienter les politiques publiques vers une véritable égalité des chances, à l'attention des jeunes filles de ces territoires ? L'expérimentation des territoires éducatifs ruraux intègre-t-elle cette réflexion égalitaire dans sa mise en oeuvre ?
Je vous donne sans plus tarder la parole pour nous présenter votre engagement au sein de Chemins d'Avenirs et pour partager avec nous vos réflexions déjà très abouties sur les sujets qui nous préoccupent.
Salomé Berlioux, fondatrice de l'association Chemins d'Avenirs . - Madame la présidente, merci de cette introduction. Bonjour à toutes et à tous. Merci beaucoup de m'avoir proposé d'être auditionnée dans le cadre de vos travaux, que je sais très engagés sur la question de la ruralité, des petites villes ou des territoires, selon le terme que l'on préfère utiliser.
La question des jeunes filles des zones rurales et de la réalisation de leur potentiel se situe dans le contexte plus large des jeunes des zones rurales et des défis particuliers qu'ils ont à relever. Avant de me centrer plus spécifiquement sur la question des jeunes filles, je rappelle le triple constat qui a été posé par Chemins d'Avenirs dès 2016 et qui m'a conduite à m'engager sur la question des territoires.
Premièrement, les jeunes de ces territoires sont très nombreux. Très souvent, nous avons tendance à considérer que « les élèves de la ruralité » sont, pour caricaturer, une poignée de filles et de fils d'agriculteurs. En réalité, ils représentent 23 % des moins de vingt ans. En y ajoutant les jeunes des petites villes, nous arrivons à 65 % des moins de vingt ans. Il ne s'agit donc pas du tout d'un phénomène à la marge.
Deuxièmement, ces jeunes rencontrent un certain nombre d'obstacles ou de défis dans la construction de leur parcours. Ces obstacles sont multiples : ils relèvent du développement économique et social de certains territoires, et recouvrent des difficultés telles que l'autocensure, la fracture numérique, des opportunités moindres ou moins denses en matière académique, professionnelle et culturelle, l'absence de mobilité géographique qui peut aboutir à une forme d'assignation à résidence, etc. Ces obstacles portent atteinte à l'égalité des chances entre les jeunes Français.
Troisièmement, ce thème est resté très longtemps un angle mort des politiques publiques et des dispositifs d'égalité des chances, ou, en tout cas, n'a pas été pris à bras le corps.
L'association Chemins d'Avenirs a été fondée en 2016 et était initialement présente dans la seule académie de Clermont-Ferrand, dont je suis originaire. J'ai grandi dans un hameau près d'un village très rural de l'Allier. Cent premiers collégiens et lycéens étaient accompagnés en 2016. Cette année, pour la cinquième promotion de jeunes, nous sommes présents dans huit académies et nous accompagnons individuellement 1 500 collégiens, lycéens et étudiants dans la construction de leur parcours.
Dans ce contexte, les jeunes filles rurales peuvent faire face à un triple déterminisme : géographique, social et de genre. Ce déterminisme doit être nuancé car il dépend des foyers, du contexte économique, social et familial, mais aussi de la taille de la commune, voire de la connexion ou non à une ville étudiante, une grande métropole, etc. Mais il existe tout de même, trop souvent. Selon le géographe Christophe Guilluy, près de 80 % des classes populaires vivent aujourd'hui en dehors des grandes métropoles et de leurs banlieues, ce qui signifie que de nombreux foyers modestes sont dans ces territoires et que beaucoup de jeunes filles qui y grandissent affrontent ce triple déterminisme. Par ailleurs, tout n'est pas qu'une question de moyens et de contexte social. La fille d'un avocat et d'une institutrice à Nevers ou Moulins ne s'autorisera pas à aller aussi loin dans la réalisation de son potentiel et dans ses ambitions académiques et professionnelles que la fille d'un avocat et d'une institutrice dans le coeur de Paris ou de Lyon, ce qui nous pose autant problème que le cas d'une jeune fille d'origine modeste en milieu rural qui n'aurait pas accès à des études supérieures. Chez Chemins d'Avenirs , nous avons conçu notre dispositif sans critère de résultats scolaires et sans critères sociaux, partant du principe que nous allions bien sûr accompagner beaucoup de jeunes boursières et boursiers, nombreux dans ces territoires, mais que la fille d'un garagiste installé dans la campagne nivernaise, dont les parents gagnent très bien leur vie car leur garage est le seul à des kilomètres à la ronde, n'aura peut-être pas de difficulté à s'acheter ce qu'elle souhaite ou à sortir avec ses amis, mais pourra pour autant faire face à une puissante autocensure et mérite elle aussi d'être accompagnée. La dimension sociale peut ainsi être très lourde, mais elle n'est pas le seul critère. La dimension géographique est presque une question à part entière. Les deux dimensions sont, en outre, très souvent liées.
Quels sont les verrous à l'oeuvre dans le parcours des jeunes filles vivant en milieu rural ?
Le premier verrou est celui de l'absence de « rôles modèles ». Nous savons à quel point l'aspiration mimétique peut changer les choses pour les jeunes en général et pour les jeunes filles en particulier. J'ai souhaité commander, il a dix-huit mois, une enquête d'opinion à l'institut de sondages Ifop , qui a donné lieu à une note intitulée Jeunes des villes, jeunes des champs , que j'ai cosignée avec Jérôme Fourquet, directeur du département « opinion et stratégies d'entreprise » de l' Ifop , et Jérémie Peltier, directeur des études de la fondation Jean Jaurès. Cette enquête d'opinion fait apparaître un écart de quinze points entre les jeunes des zones rurales et des petites villes d'une part, et les jeunes des grandes métropoles d'autre part, dans leurs réponses à la question de l'existence, dans leur entourage, d'un modèle inspirant ou d'un parcours les incitant à se dépasser. Pour les jeunes femmes et les jeunes filles, qui ont très souvent besoin de ces « rôles modèles » pour s'autoriser à s'émanciper, à être ambitieuses et mobiles, se pose donc un sujet important. Chemins d'Avenirs le mesure dans les collèges très ruraux. Lorsque nous demandons aux jeunes collégiennes de quatrième ou de troisième à quel métier elles pensent pour l'avenir, sept sur dix parlent de travailler « avec les animaux ou avec les enfants », et jamais pour être vétérinaires ou universitaires. Cela correspond généralement aux métiers qui existent autour de chez elles et auxquelles elles se sentent autorisées à prétendre, parce qu'ils ont été exercés par un grand frère, une grande soeur ou les voisins. Bien que toutes les actions menées dans les quartiers prioritaires de la ville puissent être considérées comme encore insuffisantes et que les défis y demeurent réels, des « rôles modèles » émergent dans ces territoires : femmes et hommes entrepreneurs, artistes, sportifs, chefs cuisiniers, etc., qui viennent dire à ces jeunes femmes et jeunes hommes qu'ils ont grandi dans en banlieue, rencontré des difficultés, qu'ils sont toujours attachés à leur territoire et sont parvenus à réaliser des projets ambitieux. Cette incitation à faire émerger des « rôles modèles » dans la ruralité n'est pas encore apparue de manière suffisamment significative, d'où le dispositif #portraitdesterritoires mis en place par Chemins d'Avenirs , qui a vocation à présenter, dans des vidéos de quelques minutes, des portraits de femmes et d'hommes venus de la ruralité et qui s'adressent aux jeunes, avec souvent beaucoup d'affection pour le lieu dans lequel ils ont grandi, en les incitant à s'autoriser à bouger, quitte à mieux revenir dans un second temps.
Le deuxième verrou est évidemment celui de la mobilité. « L'assignation à résidence » est un phénomène particulièrement avéré pour les jeunes filles. Il s'agit de savoir comment sortir de cette double injonction, quelque peu caricaturale, qui se fait aux dépens des jeunes : l'injonction à rester absolument ou l'injonction à partir à tout prix. Pour l'instant, nous ne sommes pas parvenus, collectivement, à trouver le bon discours. Un jeune Parisien, Bordelais ou Lyonnais ne se voit jamais imposer d'injonction à « rester pour participer à la revitalisation de son territoire ». Il a ainsi un terrain d'expérimentation et de projection vers l'avenir qui peut se situer aussi bien à Lyon, à Bordeaux, à Lyon, qu'à Marseille, à Lille, voire à l'étranger. Nous ne devons pas être dans cette forme de culpabilisation à l'égard des jeunes, culpabilisation qui peut venir des familles, de l'école, voire d'un discours politique local. Mais chercher avant tout à rendre ces jeunes filles libres de leurs mouvements. Le second discours, tout aussi pénalisant, est celui de l'injonction à bouger à tout prix, partant du principe qu'une jeune fille des Vosges ou de la Nièvre doit s'inscrire dans une logique de « citoyenne du monde » et partir à Londres, New York et Singapour pour préparer son avenir. Ce qui est, pour les jeunes de ces territoires, particulièrement compliqué, et fait naître un sentiment de déconnexion et de difficulté à atteindre cet objectif de la mobilité. Par ailleurs, beaucoup de jeunes femmes et de jeunes hommes pourraient souhaiter rester au sein d'un territoire. Mais ils doivent alors le faire en ayant les moyens de se réaliser.
Le troisième verrou est le manque de confiance en soi, qui est très lié au manque de confiance en l'avenir. Il est possible de faire un parallèle avec les jeunes des quartiers sensibles, avec des enjeux de mobilité encore plus importants pour les jeunes des territoires éloignés des grandes métropoles - ce qui ne signifie pas pour autant que les jeunes situés à quarante-cinq minutes de Paris en RER pourront le faire de manière simple et rapide. Un jeune habitant à quarante-cinq minutes de Charleville-Mézières, de Moulins ou d'une petite ville dans le sud de la France, une fois qu'il a surmonté ces quarante-cinq minutes, n'a pas pour autant accès à toutes les formations ou à tous les métiers dans la petite ou moyenne ville proche de chez lui. Cette question de la mobilité est particulièrement lourde de conséquences, notamment dans le cadre de la crise sanitaire. C'est ce que j'ai abordé dans le cadre du livre Nos campagnes suspendues . Les parents, qui avaient déjà des réserves à l'idée d'envoyer leur jeune enfant poursuivre des études supérieures à Clermont-Ferrand, Vichy, Montluçon ou Nancy avant la crise, ont pour beaucoup fait marche arrière, notamment au printemps dernier, avec des orientations revues à la baisse, afin de rechercher la proximité géographique.
Le quatrième verrou est constitué par le manque d'opportunités émancipatrices au sein de ces territoires pour les jeunes filles, par exemple en termes d'offres de stages. Le déploiement de 30 000 offres de stages à destination des jeunes des quartiers sensibles, qui a été mis en place en 2017-2018, devrait être dupliqué pour les jeunes des zones rurales, ce qui supposerait bien sûr une adaptation, notamment pour relever le défi de la mobilité. En effet, il est nécessairement plus difficile, dans ces territoires, de donner accès à des stages très variés. Les opportunités émancipatrices peuvent également correspondre à des engagements associatifs, des rencontres avec des professionnels ou des étudiants qui pourront changer l'orientation de ces jeunes femmes et permettre la découverte de formations qui ne sont pas celles qui existent au sein de leur territoire d'origine. Cela commence dès le plus jeune âge. La question de l'accès à l'internat dès la classe de seconde se pose notamment pour certaines jeunes filles, qui ne s'y sentent pas prêtes, qui n'y auront pas de place ou qui se heurteront à des enjeux financiers, pas toujours réglés par les systèmes de bourses.
Enfin, le dernier verrou est celui de la fracture numérique, en matière à la fois d'usage, de connexion et d'accès aux outils digitaux. Nous notons de manière très précise que les jeunes filles et les jeunes garçons issus des territoires ruraux ont un usage du numérique à des fins académiques et professionnalisantes bien plus limité que des jeunes urbains ultra connectés. Sans même parler de la projection vers les métiers du numérique, quasiment interdite aux jeunes filles de ces territoires.
Après l'énoncé de ces verrous et pour prendre un peu de hauteur : nous notons chez les jeunes filles rurales, globalement, une bonne réussite à l'école primaire, avec des résultats supérieurs à la moyenne nationale, et une évolution plutôt à la baisse dès le collège et le lycée. Ce qui est frappant, c'est ensuite la construction des parcours académiques des jeunes, dans ces territoires. Moins ambitieuse que dans les grandes métropoles, cette construction des parcours semble toutefois plus favorable aux jeunes filles qu'aux jeunes hommes. Le sociologue Benoît Coquard l'a démontré : en termes de résultats scolaires, de motivation et de volonté de se former ailleurs, les jeunes filles sortent du lot. Mais celles qui poursuivent leur formation hors de leur territoire et souhaitent revenir ensuite ne trouvent pas nécessairement d'emploi correspondant à leur diplôme, et peuvent expérimenter un sentiment de déclassement et une situation économique sous-optimale.
Chemins d'Avenirs a pour objectif de prévoir, pour une chaîne de défis, une chaîne de solutions. Il ne suffit pas de lutter exclusivement contre les « biais d'informations » auxquels sont confrontées les collégiennes, lycéennes ou étudiantes de ces territoires. Une fois l'information acquise (existence de Sciences Po , des Compagnons du devoir , des bourses...) s'enchaînent les obstacles précédemment évoqués, notamment le manque de confiance en soi, les difficultés de mobilité et les enjeux économiques et sociaux. L'objectif est donc de travailler simultanément sur ces différents obstacles, pour lever les freins en associant différents acteurs compétents. Grâce, par exemple, à une information incarnée et qui parvient au bon moment dans la scolarité, à des « rôles modèles » en présentiel au sein des établissements et à distance, à un système de mentorat individuel, à des vidéos ou webinaires autour des soft skills... Grâce, aussi, à des formations au sein des établissements, des ateliers d' empowerment , des formations sur le numérique et son utilisation à des fins professionnalisantes.
À titre d'exemples : nous avons ainsi mis en place un programme dénommé « Les jeunes des territoires ont la parole », pour permettre aux élèves ruraux de préparer leurs oraux dans de bonnes conditions. Nous avions été notamment été reçus au Sénat il y a deux ans avec certains de nos filleules et filleuls pour organiser des prises de parole et leur permettre de lutter contre leur manque de confiance en eux-mêmes, d'acquérir certains codes de l'oralité que l'on n'apprend pas à l'école, en tout cas pas en France. Autres exemples : nous donnons à nos filleuls un accès renforcé à des opportunités culturelles, des visites d'entreprises, des échanges avec des professionnels, des rencontres avec des étudiants. Nous proposons également à tous nos bénéficiaires un catalogue de stages à travers toute la France, des bourses, des opportunités en lien avec d'autres structures associatives.
Au fil des années, nous obtenons des résultats quantitatifs et qualitatifs très probants. Par exemple, dans un lycée de l'Allier où, chaque année, les jeunes avaient osé se confronter aux concours des IEP et de Sciences Po Paris mais étaient admissibles sans intégrer ces écoles, et où les professeurs se disaient eux-mêmes démunis pour les préparer aux épreuves orales, Chemins d'Avenirs est intervenu une fois pendant seulement deux heures pour préparer les élèves aux concours, puis a fait passer des oraux à distance, en plus des parrainages individuels que nous mettons en place pour nos bénéficiaires. La première année, sur sept jeunes admissibles, cinq ont intégré Sciences Po ou un IEP. S'agissant des indicateurs qualitatifs, l'objectif est de travailler sur la confiance des jeunes en eux-mêmes, leur confiance en l'avenir, leur accès à l'information, leur connaissance et leur compréhension du monde professionnel, leur utilisation du numérique à des fins d'émancipation, leur engagement, notamment au sein de leur territoire. En effet, une jeune fille dans la ruralité ne cochera peut-être pas immédiatement la case du stage valorisant sur un curriculum vitae ou du déplacement à l'étranger, mais peut souhaiter créer une association au sein de son établissement, de sa commune ou de son département, et revendiquer cette expérience lors d'un premier entretien pour une école ou d'un entretien d'embauche. Chemins d'Avenirs donne à cette jeune fille des outils concrets pour mettre en place puis valoriser cet engagement personnel.
S'agissant des nouveaux Territoires éducatifs ruraux , expérimentés dans le prolongement de la préconisation 14 du rapport Orientation et égalité des chances dans la France des zones rurales et des petites villes , l'objectif est de créer un écosystème de réussite à destination des jeunes ruraux. 40 000 jeunes sont déjà concernés cette année, dans trois académies. Le dispositif a vocation à s'appuyer sur toutes les énergies existantes, qu'elles émanent de l'Éducation nationale, des collectivités territoriales ou des élus, des associations de terrain et nationales ou des familles, afin de mettre en réseau les solutions autour de jeunes ruraux. La question reste celle des moyens, pour que cette mise en réseau soit suffisamment ambitieuse.
Si vous le souhaitez, je pourrai également revenir en détail sur d'autres préconisations. J'en citerai une, que j'aimerais parvenir à mettre en place dans certains départements, notamment dans le contexte de l'après crise sanitaire : le programme « Découvre mon territoire ! » Son objectif est de favoriser la mobilité des jeunes dès la classe de quatrième. S'il est fondamental de faire en sorte que nos jeunes, en particulier ruraux, se sentent autorisés à partir en Espagne ou en Angleterre et bénéficient d'une première expérience de l'étranger, l'urgence est peut-être de leur permettre déjà de se déplacer en France et de bien la connaître, afin de chercher la formation ou le métier qui leur correspondra le mieux lorsqu'il sera temps de le faire. Les études démontrent qu'un jeune qui a bougé avant la fin de la cinquième a 35 % de chance supplémentaire de trouver un premier emploi. Ce programme expérimental « Découvre mon territoire ! » vise ainsi à créer un système de correspondants en France, comme cela peut exister en Allemagne ou en Angleterre. Par exemple, un jeune Vosgien de quatrième aurait un correspondant à Marseille ou Lyon de la même classe et du même âge et pourrait, outre des échanges réguliers, le recevoir deux semaines dans les Vosges, soit au sein de son internat, soit dans sa famille, de façon à être en position de valoriser son territoire et de le faire découvrir. Il se rendrait ensuite à Marseille et Lyon, découvrirait une autre région, un autre bassin d'emploi et d'autres possibilités. À la fin de la quatrième, le jeune aurait ainsi déjà bougé en France durant deux semaines, avec toutes les vertus que nous pouvons imaginer, dans une dimension budgétaire contrainte.
À travers les vingt-cinq préconisations du rapport que j'ai remis à Jean-Michel Blanquer, j'ai justement pensé la plupart de ces mesures dans le contexte budgétaire contraint que nous connaissons, afin qu'elles puissent être expérimentées à très court terme dans un département, une région ou quinze premiers établissements ruraux, avant d'être éventuellement généralisées.
Je suis à présent ouverte à toutes vos questions.
Annick Billon, présidente . - Merci beaucoup d'avoir dressé ce tableau très précis des problématiques rencontrées par les jeunes dans les territoires ruraux. Lorsqu'on habite une petite commune en milieu rural, il est plus difficile de s'imaginer avocat à Paris ou directeur du marketing dans une entreprise du CAC40. Je retiendrai deux choses de votre exposé. Nous avons, en tant qu'élus et représentants des collectivités, deux sujets majeurs de préoccupation : la mobilité et la fracture numérique. Nous évoquons régulièrement ces questions dans nos départements. Cette mobilité et cette fracture numérique restent en effet des handicaps sérieux pour tous ces jeunes.
Je vais à présent donner la parole aux rapporteurs qui l'ont demandée.
Nadège Havet, rapporteure . - Vous avez parlé de huit académies. Quelles sont-elles ? Comment créez-vous le lien entre le mentor, ou la personne référente, et le ou la jeune ? Comment recrutez-vous les personnes qui serviront de modèle, et sur quel territoire, par rapport au territoire d'où viennent les jeunes ?
Salomé Berlioux . - Les huit académies sont Clermont-Ferrand, Lyon, Grenoble, Dijon, Nancy-Metz, Rennes, Rouen et Caen. L'an prochain, l'objectif est d'ouvrir le partenariat à deux académies supplémentaires, qui n'ont pas encore été déterminées, bien qu'elles se situent probablement, au moins en partie, dans le nord de la France. Chemins d'Avenirs est une association loi 1901 reconnue d'intérêt général qui a l'agrément du ministère de l'éducation nationale. Nous sommes conventionnés en ce sens. Nos premiers partenaires sont surtout les rectorats d'académie, avec lesquels nous déterminons les établissements dans lesquels nous allons intervenir. Ils sont quarante-quatre cette année, et seront une cinquantaine l'année prochaine. Une convention tripartite est signée entre le rectorat, Chemins d'Avenirs et les collèges ou lycées où nous intervenons.
S'agissant des mentors ou parrains, nous avons recours à trois sources. La première est le bouche-à-oreille, puisque sur nos cent premiers parrains, chacun a recommandé le dispositif à trois amis ou connaissances professionnelles. La seconde est constituée par nos partenaires, notamment nos entreprises partenaires. Aujourd'hui, notre budget annuel approche le million d'euros, constitué pour 90 % de soutien privé et 10 % de soutien public. Certaines entreprises comme la SNCF , La Poste , Vinci , Enedis , EDF , Bureau Veritas , qui ont à la fois une dimension nationale et une présence territoriale forte, engagent leurs collaborateurs à nos côtés. Enfin, notre troisième source réside dans la parution d'articles de presse et autres retombées médias. À la suite de la parution de mon livre Les invisibles de la République , qui s'est vendu à près de 10 000 exemplaires, nous avons reçu entre 700 et 900 candidatures spontanées. Nous ne manquons pas de parrains bien que, les promotions grandissant, nous en avons de plus en plus besoin.
Il nous manque, dans certains cas, la représentation de certains métiers, afin de coïncider au plus près avec les envies des jeunes que nous accompagnons. Parmi nos bénéficiaires, certains n'ont aucune idée de ce qu'ils souhaitent faire. Dans ce cas, nous essayons de faire correspondre les parrains et les filleuls sur des critères de centres d'intérêt communs : sport, menuiserie, littérature, musique... En cas de début d'envie professionnelle chez les jeunes, nous essayons d'en faire un point d'entrée. Il peut alors s'agir de chercher des mentors hôtesse de l'air, pilote de chasse, diplomate, journaliste, chef d'entreprise, ostéopathe, etc. Cette envie, au cours des dix-huit mois du parcours Chemins d'Avenirs , renouvelables par la suite, peut bien entendu évoluer. Enfin, nous avons choisi, dès 2016, de créer des binômes parrains/filleuls qui ne seraient pas originaires du même territoire, pour deux raisons : premièrement, favoriser la mobilité sociale et géographique, afin de permettre une ouverture totale sur une autre partie de la France, voire l'étranger, et deuxièmement, permettre à nos bénéficiaires de s'emparer de la question du numérique et d'en faire une force dans leur parcours, partant du principe que compte tenu de leur isolement géographique, il importe de maîtriser les différents outils de communication numérique. Ainsi, tout le dispositif de parrainage est imaginé afin de permettre un suivi à distance, bien qu'il ne soit que le fil rouge de l'accompagnement de Chemins d'Avenirs et que beaucoup d'autres dispositifs viennent s'y ajouter. Ce suivi est assuré par visioconférence, sur la plateforme Chemins d'Avenirs , toutes les six semaines, avec des outils pédagogiques qui rythment ces échanges, des comptes rendus de sessions auprès de l'association et une équipe de vingt permanents chargés de suivre l'évolution de ces binômes, de les encourager et d'adapter les opportunités offertes aux jeunes en fonction de ce parrainage.
Marie-Pierre Monier, rapporteure . - Votre exposé était très intéressant.
Dans les profils des jeunes que vous accueillez au sein de votre association, quelle est la part de jeunes filles ? Sont-elles plus présentes que les jeunes garçons ?
Vous avez par ailleurs insisté sur le fait que les jeunes ne s'autorisent pas à aller plus loin et s'autocensurent. Vous réalisez essentiellement des interventions auprès des jeunes de collège ou de lycée. Avez-vous envisagé d'intervenir auprès d'un public plus jeune, dès l'école primaire ? Il est en effet important de casser les stéréotypes de genre dès le plus jeune âge. Vous avez beaucoup parlé de mimétisme et de l'importance de démontrer qu'il était possible de sortir des frontières de sa petite ville ou de son département. Ne peut-on pas aller plus loin ?
Vous avez également abordé la question de la mobilité. Ne pourrait-on pas encourager une démarche d'ouverture sociale et territoriale des grandes écoles et des filières sélectives ?
Nous avons précédemment auditionné la fédération Des territoires aux grandes écoles qui a souligné le frein important que représente l'éloignement géographique. Pour renforcer l'accès aux filières prestigieuses partout sur le territoire, que pourrions-nous faire pour renforcer la décentralisation de l'enseignement supérieur ? Avez-vous travaillé sur cette question ?
Enfin, voyez-vous, au regard des activités de votre association, une plus forte prégnance en ruralité des stéréotypes associés à certaines formations, qui seraient encore perçues comme l'apanage d'un public masculin, à l'instar des filières scientifiques ?
Vous nous avez également parlé du programme d' empowerment . Avez-vous d'autres pistes à faire valoir, comme le programme Alumni ou Elles osent ?
Salomé Berlioux . - S'agissant des profils, sept bénéficiaires sur dix sont des filles, ce qui peut être interprété de trois façons. D'abord, lorsque nous parlons d'autocensure en intervenant dans les collèges et lycées, les filles sont les premières à se reconnaître dans nos propos. Ensuite, ce programme repose sur la motivation. Or elles sont très motivées et le restent dans toute la suite de leur parcours, qu'elles suivent de façon très assidue, comme le montrent nos témoignages d' Alumni . Enfin, je constate une différence de maturité, notamment au collège. Les garçons, en quatrième, s'intéressent moins à leur avenir que les jeunes filles qui se projettent déjà au lycée.
En outre, je suis très attachée à la notion de réalisation du potentiel. Bien que je salue le travail d'une structure comme la fédération Des territoires aux grandes écoles , la question des parcours sélectifs et élitistes est un aspect seulement du sujet. Aux États-Unis, ce n'est pas parce qu'une élite noire américaine a émergé que la question noire a été réglée. La notion de potentiel permet de considérer qu'une jeune fille, si elle souhaite reprendre l'exploitation agricole de ses parents, devenir diplomate, chef d'entreprise ou artisane dans son territoire peut le faire, sous réserve que cela corresponde à ses envies profondes et que ses vraies aspirations aient pu s'exprimer. Parmi nos bénéficiaires, nous avons un tiers d'élèves à haut potentiel scolaire, qui ont envie d'aller plus loin d'un point de vue académique, un tiers de décrocheurs et un tiers correspondant au milieu de classe, sur lequel le système ne parie pas nécessairement mais qui, en étant accompagné, peut aller beaucoup plus loin.
Sur la question de l'âge auquel intervenir, initialement, j'avais conçu le dispositif pour les lycéens. En travaillant avec des acteurs de l'Éducation nationale durant l'année d'expérimentation, nous avons considéré qu'en intervenant dans la ruralité, nous avions aussi besoin d'un dispositif pour les collégiens, parce que la quatrième et la troisième sont un premier cap décisif en termes de changement d'orientation. Je partage votre analyse concernant le besoin d'intervenir dès l'école primaire, mais une association doit réaliser des choix et ne peut accompagner tout le monde. En revanche, ce sujet touche à l'implication des familles dans la sensibilisation à la question du choix de l'orientation, qui est une question cruciale.
S'agissant de la mobilité et de l'ouverture aux établissements, le rapport de Martin Hirsch sur la question de l'ouverture sociale des grandes écoles recouvre désormais la dimension de l'ouverture territoriale, en partie grâce à une audition de Chemins d'Avenirs . Cette question de la diversité territoriale se pose dans les grandes écoles, les formations sélectives, mais aussi en entreprise. De nombreux dispositifs, comme à l' ESSEC ou à Sciences Po , sont déjà ouverts à une forme de diversité, mais n'intègrent pas la ruralité. En 2016, lorsque je me suis rapprochée de Sciences Po , la direction m'a indiqué être tributaire de son action auprès des réseaux d'éducation prioritaire, qui se situent en zone urbaine sensible. Il reste donc à penser des dispositifs dans les deux sens, pour que les jeunes se sentent autorisés à bouger et que les formations viennent jusqu'à eux. Il en va de même pour la fonction publique et la haute fonction publique. Je travaille actuellement sur ce point avec le cabinet d'Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques, afin que, dès le plus jeune âge, ces métiers soient présentés au sein des établissements, puis à l'université.
Vous m'avez interrogée sur les pistes positives. Je trouve que les « campus connectés » sont une solution sur laquelle il est possible de capitaliser. Dans mon rapport remis à Jean-Michel Blanquer, j'essayais de réfléchir à la façon d'approfondir ces dispositifs pour qu'un jeune qui bénéficie d'une possibilité d'étudier une année de plus au sein de sa commune ou de la commune avoisinante ne soit pas pour autant cantonné à l'enseignement « à distance » mais puisse avoir accès à des rencontres avec des professionnels, des échanges avec d'autres étudiants, et puisse choisir de rejoindre d'autres dispositifs en présentiel.
S'agissant des autres programmes, le programme « Culture et écriture » vise à permettre aux jeunes ruraux de faire venir la culture au sein de leur établissement et d'apprendre à écrire des CV et lettres de motivation attractifs. Nous avons également un programme « Vert l'avenir », qui a vocation à permettre aux jeunes de ces territoires de travailler sur les questions écologiques et d'en faire une force dans leur parcours. Le programme « Elles osent », à destination des jeunes filles, part quant à lui de l'idée du triple déterminisme que j'évoquais tout à l'heure, en mettant en place un double système de mentorat, y compris avec des mentors du quotidien et des mentors prestigieuses (Clara Gaymard, Nathalie Rykiel, Delphine O, etc.) qui viennent témoigner de leur parcours, participent à des ateliers avec les jeunes femmes et incarnent des chemins de réussite pluriels. Nous organisons actuellement une série de webinaires à destination de ces jeunes filles, l'un d'entre eux s'inscrivant dans le cadre de la journée des droits des femmes. Enfin, le programme Alumni a vocation à suivre nos bénéficiaires jusqu'à leur insertion professionnelle. Un bénéficiaire de Chemins d'Avenirs peut intégrer le programme dès la classe de quatrième, pour dix-huit mois renouvelables, donc potentiellement jusqu'à la fin du BAC+1, soit pendant six ou sept ans au total.
Jean-Michel Arnaud, rapporteur . - Merci pour votre intervention précieuse, intéressante et profonde.
Vous avez souligné l'importance de l'accompagnement, et en amont, de la sensibilisation des parents, pour la réussite de Chemins d'Avenirs . Je constate, par mon expérience de parent d'élève et de membre du conseil d'administration d'un collège regroupant 550 élèves en zone rurale, les décrochages d'élèves à des moments clés de leur parcours, en raison de leur manque de confiance en eux. Si j'observe des parents très impliqués à l'école primaire, je constate des cassures à partir de la cinquième, la quatrième ou la troisième, et des enfants parfois en perte de repères. Dans votre projet, quelle approche avez-vous, non seulement de l'accompagnement des enfants mais aussi de celui des parents, afin qu'au retour à la maison, l'enfant accompagné se sente épaulé et valorisé au sein de sa famille ? Bien souvent, les enfants se trouvent bloqués psychologiquement au sein de la famille, et ne se projettent pas dans un autre cadre que celui, très, voire trop protecteur, de leur commune ou département. En d'autres termes, quelle relation entretenez-vous avec les parents ?
Salomé Berlioux . - Je partage totalement votre constat. La question des parents qui décrochent dans l'accompagnement des élèves, sont démunis ou ne s'impliquent pas assez sur la question des projets d'orientation n'est toutefois pas spécifiquement rurale. Dans certaines grandes métropoles, les cadres sont, eux, sensibilisés à ce sujet et accompagnent les jeunes dans la réalisation de leur parcours parce qu'eux-mêmes ont suivi des études supérieures. Au-delà de ce phénomène, la question cruciale du rôle des parents se retrouve dans plusieurs types de territoires, notamment dans les quartiers sensibles.
Chez Chemins d'Avenirs , les parents interviennent dès l'origine, puisque quand le jeune rejoint le programme, il signe un contrat d'engagement, que signent également son chef d'établissement et sa famille. Il ne peut donc rejoindre le programme Chemins d'Avenirs sans que ses parents ne le sachent. Nous n'observons pas de résistance manifeste à ce moment. Ensuite, nous incitons le parrain ou la marraine, dès le début du programme, à prendre contact avec les parents au moment de la visioconférence, pour se présenter, décrire sa démarche, indiquer qu'il ne prétend pas prendre la place de l'établissement scolaire ou du parent, etc. Les parents sont généralement extrêmement reconnaissants de cet accompagnement et souhaitent rencontrer les parrains, participent à des activités, envoient leur enfant réaliser un stage chez le parrain ou la marraine aux vacances scolaires, etc. Nous sommes confrontés à des difficultés lorsque les voeux d'orientation sont formulés et que le parrain a parfois joué un rôle déterminant : les familles lui font alors comprendre que la décision ne lui appartient pas, si elles-mêmes ne souhaitent pas que leur enfant poursuive des études supérieures. Nous menons alors un travail avec le parent, l'établissement, le parrain et le jeune. Chemins d'Avenirs , par son positionnement annexe, parvient parfois à dénouer des freins que l'école ne peut dénouer. Il s'agit donc d'une véritable collaboration avec l'Éducation nationale et la famille.
Je travaille en outre sur la façon dont nous pourrions, de façon systématique, envoyer une lettre aux parents, peut-être en début d'année ou lors de l'octroi de certaines aides, pour les revaloriser dans leur rôle en matière d'orientation. Nous avons proposé aux établissements d'organiser des réunions d'information avec les familles, ce à quoi il nous est souvent répondu qu'il est déjà difficile de mobiliser les familles pour des réunions parents-professeurs. Dans le cadre des leviers de transformation que nous actionnons pour démultiplier notre impact, parmi lesquels le travail de terrain avec les équipes de l'Éducation nationale, la question de la labellisation d'autres structures associatives, celle du collectif Mentorat, qui associe huit associations de mentorat et a vocation à permettre d'expérimenter une politique publique du mentorat dans les prochains mois, se pose avec acuité de même que la question numérique et celle de la mise en place d'un certain nombre de formations auxquelles les jeunes pourraient accéder. Le 18 février prochain, un documentaire sera diffusé sur France Télévisions . Intitulé Ici tout est loin , produit par Mélissa Theuriau et réalisé par Jean-Thomas Ceccaldi, il restitue le suivi des jeunes de Chemins d'Avenirs et, plus largement, celui des jeunes ruraux. Le rôle des parents y est très bien mis en évidence. Je pense notamment à un jeune collégien qui souhaite devenir écrivain, à qui il est toutefois indiqué qu'il devra également trouver un « vrai » emploi, si possible dans les environs. Ce documentaire pourra vous intéresser, par son regard très incarné et non caricatural sur le rôle des parents, qui restent très bienveillants, mais globalement souvent démunis.
Laure Darcos . - Merci pour ce passionnant échange. Il serait intéressant de réaliser un bilan de votre action, à partir de vos premières expériences auprès de jeunes que vous avez accompagnés vers la réussite. Je suppose que le désintérêt pour les secteurs du scientifique et du numérique est encore plus prégnant dans les milieux ruraux que dans les métropoles. Au-delà de cela, avez-vous réalisé une analyse afin de savoir si certains jeunes ne demeurent pas dans le secteur tertiaire direct, sur place, en raison du peu d'opportunités offertes au-delà de la fonction publique territoriale ? Enfin, vous parliez de visioconférences avec le parrain. Ne pensez-vous pas que ceux qui seront les plus à même de témoigner sont ceux qui ont réussi ? Je pense que leurs témoignages seraient très percutants, notamment vis-à-vis des parents.
Salomé Berlioux . - Effectivement, il existe trois phénomènes différents, que vous avez d'ailleurs évoqués : d'abord, des métiers ou secteurs totalement fermés (métiers scientifiques, liés au numérique, industriels, postes à responsabilité). Je partage avec vous un témoignage que j'ai trouvé intéressant : l'an dernier, dans une classe de collège dans laquelle j'intervenais, une jeune fille, qui indiquait avoir envie de s'engager et d'agir pour la société, souhaitait devenir avocate, parce qu'elle avait vu ce métier dans une série. Nous sommes alors tentés de lui dire qu'il existe d'autres métiers dans le droit, et que l'engagement et l'envie de servir la société peuvent prendre une multitude d'autres formes. Nous partons de loin, en termes d'accès à l'information notamment. Deuxièmement, certains choix sont déterminés, comme vous le disiez, par ce qui existe à proximité et qui peut ainsi se traduire par une orientation vers le lycée agricole ou professionnel de la commune avoisinante. Les chiffres le démontrent. Dans ces territoires, l'orientation vers la filière professionnelle est prédominante. Dans certains cas, elle est plutôt subie que choisie. Troisièmement, certains choix sont déconnectés de ce qui existe en termes de possibilités professionnelles au sein de la commune ou du département ; ils conduisent alors au chômage et génèrent un sentiment d'insatisfaction. Il existe une déconnexion entre les orientations post-brevet et la réalité du monde de l'emploi dans ces territoires.
Concernant les témoignages, je ne mesurais pas à quel point le fait que nous venions, en tant que fondateurs de l'association, des mêmes territoires et que nous puissions indiquer aux jeunes que nous avions été à leur place, réveillerait quelque chose en eux. Les chefs d'établissement nous incitaient à toujours commencer notre intervention par une présentation de notre parcours, ce qui pouvait provoquer une étincelle. L'aspiration mimétique est, en effet, très importante. Sur les réseaux sociaux, notamment le LinkedIn de Chemins d'Avenirs , vous pourrez voir les témoignages de dix Alumni au sujet des relations avec leurs parrains, des apports de la démarche, etc. Nous espérons accentuer cette dynamique à mesure que les promotions grandiront et évolueront.
Annick Billon, présidente . - Merci Madame Berlioux pour toutes ces précisions. J'ai à mes côtés notre collègue Dominique Vérien, qui a été co-rapporteure d'un rapport de la délégation sur la place des femmes dans les médias audiovisuels. Il est vrai que les médias contribuent largement à la visibilité ou à l'invisibilité des femmes dans certains métiers, et pourraient permettre de contrer certains stéréotypes de genre.
Vous avez dressé un tableau extrêmement complet de votre diagnostic et des actions que vous menez. Nous voyons que le chemin à parcourir est nécessairement long. En tant qu'élus, nous avons un rôle important à jouer sur certaines thématiques, sur lesquelles l'Éducation nationale peut aussi être force d'action. Elle ne permettra cependant pas à elle seule de faire circuler une information qui doit parvenir à la fois aux jeunes et à leur famille. Le travail auprès des familles est important, car les freins peuvent aussi venir de leurs réticences. Nous espérons que votre association se développera dans de nombreux territoires pour faciliter l'accès des jeunes filles à des métiers et carrières intéressants, mais aussi à des responsabilités. Nous avons récemment fêté le dixième anniversaire de la loi Copé-Zimmermann. La ministre Élisabeth Moreno s'engage véritablement dans un travail sur l'égalité et la progression des femmes dans les fonctions de responsabilité. Nous ne pouvons que saluer cette initiative.
Table ronde sur la lutte
contre les violences faites aux femmes
dans les territoires ruraux :
enjeux et spécificités
(11 février 2021)
Présidence de Mme Annick Billon, présidente
Annick Billon, présidente . - Mes chers collègues, Mesdames, Messieurs, la délégation aux droits des femmes a décidé de procéder, en 2021, à un bilan de la situation des femmes dans les territoires ruraux. Il couvre des sujets aussi divers que l'orientation scolaire et universitaire, l'égalité professionnelle, la santé, le rôle des élues et l'accès aux responsabilités et, bien sûr, la lutte contre les violences, thème de notre table ronde de ce matin.
Je remercie tout d'abord nos interlocuteurs de s'être rendus disponibles pour nous aujourd'hui malgré des agendas très contraints. Je précise à leur attention que notre délégation a désigné, pour mener à bien ce travail, une équipe de huit rapporteurs associant tous les groupes politiques de notre assemblée, et représentant par ailleurs des territoires très divers : Vienne, Drôme, Lozère, Rhône, Hautes-Alpes, Haute-Garonne, Finistère et Dordogne.
Je rappelle également que cette réunion fait l'objet d'un enregistrement vidéo, accessible en ce moment même sur le site du Sénat puis en VOD, et qu'elle est organisée à la fois au Sénat et à distance, en visioconférence.
La lutte contre les violences faites aux femmes, la prise en charge et l'accompagnement des victimes apparaissent aujourd'hui comme un véritable défi pour les territoires ruraux. Plus d'un an après la clôture, le 25 novembre 2019, du Grenelle de lutte contre les violences conjugales , la question se pose de savoir si les territoires ruraux et leurs spécificités ont été suffisamment pris en compte, et si la dynamique impulsée alors par le Gouvernement est suffisante pour impacter durablement les politiques de lutte contre les violences en milieu rural.
Avec cette table ronde, notre délégation a souhaité mettre l'accent sur la situation des femmes habitant en zone rurale, victimes de violences conjugales.
Nous savons en effet que les spécificités des conditions de vie dans ces territoires augmentent les difficultés rencontrées par ces femmes dans leur parcours de sortie des violences et compliquent leur accompagnement par les acteurs et actrices de la lutte contre ces violences.
Un rapport publié en 2018 par le Centre Hubertine Auclert sur les femmes vivant dans les zones rurales d'Ile-de-France a mis en évidence les difficultés liées à la faible mobilité des victimes et à leur isolement, à la recherche d'anonymat problématique pour celles qui souhaiteraient effectuer un signalement ou s'informer sur les démarches à entreprendre, à leur dépendance économique et financière, à une connaissance insuffisante des associations susceptibles de leur venir en aide et, enfin, au manque de structures d'hébergement d'urgence adaptées ainsi qu'à l'insuffisance des solutions de relogement pérenne.
Autre spécificité soulignée par cette étude : les femmes victimes de violences qui vivent dans des communes rurales s'adressent beaucoup plus souvent au corps médical et font moins appel à la police, aux services sociaux, aux associations ou aux numéros verts d'aide aux victimes.
Enfin, ce rapport montre l'importance de l'engagement des collectivités territoriales et cite bon nombre de bonnes pratiques mises en oeuvre par des élus pour mieux accompagner les victimes de violences dans les territoires ruraux.
Ces constats sont-ils transposables à d'autres territoires ruraux que ceux de l'Ile-de-France ?
Je me tourne vers nos invités, qui vont nous éclairer par leur expérience et leurs témoignages, nous aider à mieux comprendre la situation des victimes de violences dans les territoires ruraux et à formuler des recommandations destinées à améliorer la lutte contre les violences faites aux femmes dans ces territoires.
Je les remercie d'être à nos côtés ce matin, dans cette salle ou à distance, et leur souhaite la bienvenue au Sénat.
Avec Hélène Furnon-Petrescu, cheffe du service des droits des femmes, nous allons nous interroger sur la spécificité des réponses à apporter pour venir en aide aux femmes victimes de violences dans les territoires éloignés des grandes métropoles. Puis nous prendrons connaissance des constats établis par la Gendarmerie nationale grâce à Aline Emptaz, conseillère judiciaire auprès du directeur général de la Gendarmerie nationale, et au lieutenant-colonel Denis Mottier, de la direction des opérations et de l'emploi. Nous entendrons ensuite les témoignages de deux grands réseaux associatifs : la Fédération nationale des Centres d'information sur les droits des femmes (FNCIDFF), représentée par Nora Husson, responsable du département suivi et exploitation statistiques des CIDFF ; et la Fédération nationale Solidarité femmes (FNSF), représentée par Françoise Brié, sa directrice générale, que nous sommes heureux de retrouver ce matin. Je précise que la FNSF a publié en 2016 une étude pionnière sur le sujet qui nous réunit ce matin, à partir d'observations effectuées dans deux régions : Midi-Pyrénées et Pays de la Loire. Nous donnerons ensuite la parole à deux associations de terrain : Paroles de femmes à Gaillac dans le Tarn, représentée par sa présidente Betty Fournier, et Les Chouettes , de la Drôme, représentée par Françoise Mar, coprésidente et cofondatrice.
Nous entendrons également le point de vue des associations d'élus, pour nous éclairer sur les obstacles et difficultés spécifiques que rencontrent les élus des territoires ruraux en matière de lutte contre les violences et d'accompagnement des victimes, mais aussi pour nous faire part des initiatives et bonnes pratiques locales qui pourraient servir d'exemples. L'Assemblée des départements de France (ADF) interviendra par la voix d'Anne Harel, vice-présidente du conseil départemental de la Manche, et de Marie-Pierre Mouton, présidente du conseil départemental de la Drôme. L'Association des maires de France (AMF) est représentée par Cécile Gallien, vice-présidente et maire de Vorey en Haute-Loire ainsi qu'Édith Gueugneau, maire de Bourbon-Lancy en Saône-et-Loire, que notre délégation connaît bien.
Enfin, nous aborderons le rôle crucial des professionnels de santé dans la prise en charge des victimes de violences dans les territoires ruraux : le pharmacien, investi depuis le premier confinement d'un rôle majeur pour identifier et orienter les femmes victimes de violences, et le médecin traitant, qui est en première ligne pour identifier et prendre en charge les victimes, a fortiori depuis que la loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales a prévu la levée du secret médical en cas de violences conjugales, même en l'absence d'accord de la victime, si ces violences mettent la victime en danger immédiat et si elle se trouve en situation d'emprise.
Nous entendrons donc le Docteur Marie-Pierre Glaviano Ceccaldi, vice-présidente du Conseil national de l'Ordre des médecins et présidente du Comité national des violences intrafamiliales et, enfin, Alain Delgutte, membre du Conseil national de l'Ordre des pharmaciens.
Je vais tout d'abord donner la parole à Hélène Furnon-Petrescu, que je remercie une nouvelle fois, comme nos invités, de s'être rendue disponible pour cette visioconférence. Nous avons l'habitude de nous rencontrer et de travailler ensemble. C'est un plaisir de vous retrouver ce matin.
Hélène Furnon-Petrescu, cheffe du Service des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes . - Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les sénatrices et les sénateurs, Mesdames, Messieurs, je suis très heureuse d'être présente ce matin, en compagnie d'acteurs concernés par la réflexion, l'étude et les réponses sur ce thème. Je suis honorée d'être la première intervenante. Je souhaiterais livrer quelques réflexions sur les spécificités des situations ou des réponses à apporter dans les territoires. Je nourrirai mes éléments de réflexion d'exemples d'actions conduites sur les territoires par les personnes travaillant au sein de nos réseaux régionaux et départementaux qui déploient des trésors d'inventivité et d'ingénierie pour apporter des réponses à des situations certes diversifiées, mais présentant cependant certains traits communs s'agissant de la lutte contre les violences faites aux femmes et la ruralité.
Les femmes et les filles en milieu rural sont confrontées à des formes multiples, spécifiques, croisées, de discriminations, d'injustices et de violences. Elles présentent des traits particuliers soulignant la pertinence du thème de ce matin. Elles peuvent subir des formes particulières de pauvreté et d'exclusion. Je mentionnerai par exemple, sans aller plus loin sur ce point, la discrimination dans l'accès à la propriété foncière. Elles assurent la majeure partie des soins non rémunérés et du travail domestique dans les familles et dans les ménages. Elles peuvent connaître un moindre accès aux services de santé ou à des informations et services d'ordre général concernant leurs droits en matière de santé sexuelle. Je me garde de faire des généralités, mais elles peuvent avoir un accès plus restreint à la justice, aux infrastructures, aux services et opportunités, que les femmes des milieux urbains.
Si les violences au sein du couple touchent tous les milieux sociaux et toutes les zones du territoire, nous pouvons peut-être considérer que les victimes vivant en milieu rural sont confrontées à des difficultés supplémentaires. Je voudrais rappeler - mes collègues de la Gendarmerie en parleront mieux que moi - que la moitié des féminicides ont lieu en milieu rural. En France, trois quarts des bassins de vie sont ruraux. Ils représentent 78 % de la superficie du pays, et sont occupés par environ 31 % de la population. Ils concentrent 47 % des féminicides. Je ne suis pas statisticienne, mais nous pouvons donc considérer qu'il existe une occurrence des féminicides un peu plus élevée dans les milieux ruraux.
Les problématiques spécifiques relèvent du fait que les victimes dans les zones rurales sont plus isolées, puisqu'il s'agit de zones à moindre densité, mais également plus exposées, peut-être moins informées ou sans doute moins protégées. Ces constats ne résultent pas de volontés mais simplement de conséquences de situations et de contraintes matérielles. L'isolement est plus accentué en raison de la proximité, de la promiscuité, et d'une moindre anonymisation. Dans les faits, cela peut limiter la libération de la parole, favoriser un contrôle renforcé des auteurs des violences, et rendre plus difficile un dépôt de plainte ou la possibilité de se confier à un professionnel.
La prévenance des stéréotypes sexistes est certainement plus importante dans un milieu parfois encore patriarcal. La minimisation des violences accroît la honte et la stigmatisation, ce qui renforce le repli des victimes. Une moindre connaissance des droits et des dispositifs de prise en charge existants s'ajoute à des voies de recours moins aisées en raison des distances ou des moyens d'accès. Enfin, une certaine précarité économique et financière peut être accentuée, en particulier dans certaines catégories socioprofessionnelles. Je pense aux agricultrices, dont les reconnaissances statutaires ont certes progressé mais doivent encore être améliorées. Cela peut accentuer une dépendance vis-à-vis de l'auteur des violences.
La réflexion porte bien entendu sur les propositions d'actions déjà à l'oeuvre, en cours d'expérimentation ou d'application, ou celles qui pourraient et devraient être amplifiées. Nous devons développer des actions de prévention et de sensibilisation aux violences sexistes et sexuelles. Je pense notamment aux établissements scolaires et à toutes les structures d'enseignement et d'éducation, telles que les maisons familiales rurales (MFR), pour lutter contre la banalisation des violences. Il est important de le faire.
Il est essentiel de renforcer la communication pour mieux faire connaître les droits et les dispositifs de recours. Il s'agit d'entrer dans une démarche proactive afin de rompre l'isolement des victimes. Un certain nombre d'expériences très intéressantes sont conduites dans ce domaine. Je peux vous en citer deux. Dans le Gers et dans le Tarn-et-Garonne, mais également dans d'autres départements, des campagnes d'information et de communication ont été mises en place au travers de pochettes d'emballage de médicaments. Elles comportent des informations sur les dispositifs existants, tant au niveau national que départemental. L'accès aux professionnels de santé constitue un enjeu important. La même campagne a été menée sur 80 000 emballages de pain dans le Gers, avec l'aide d'artisans boulangers. De nombreuses personnes ont ainsi pu être sensibilisées, parmi lesquelles des proches de victimes. Le réseau d'alerte et d'appui est bien évidemment composé des victimes et de leur entourage.
Nous pouvons établir un diagnostic des dispositifs et acteurs existants sur le territoire pour agir et renforcer le maillage territorial. Quelles sont ses faiblesses ? Où doit-il être renforcé ? Une expérience a été menée en Normandie sous l'égide de la Direction régionale aux droits des femmes avec le réseau des délégués régionaux et départementaux, l'agence régionale de santé (ARS), ainsi que l'ensemble des professionnels de santé. Un travail très important a été réalisé.
Il est possible de développer des lieux de permanence pour les associations n'ayant pas les moyens d'ouvrir des centres d'accueil sur tout le territoire, au sein d'autres sites tels que des mairies ou des Maisons France Services. Mme Husson en parlera mieux que moi, mais je peux citer la FNCIDFF qui a développé un partenariat avec le Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET), devenu Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). Elle a impulsé la mise en place de permanences recevant un nombre élevé de personnes.
Le ministère chargé de l'égalité a mis en place des points d'accueil éphémères dans les centres commerciaux. Ils visent à informer les femmes et leur permettre de rencontrer des professionnels avec l'appui de nos partenaires associatifs. Nous en avons tiré un certain nombre d'enseignements nous incitant à poursuivre ce dispositif. Aujourd'hui, une quinzaine de points d'accueils de ce type sont ouverts dans les zones rurales ou semi-rurales, dans des départements tels que la Loire, la Haute-Loire, le Puy-de-Dôme, l'Yonne, la Nièvre, l'Orne et la Creuse.
Voilà des exemples de dispositifs visant à « aller vers ». Nous pouvons également citer l'exemple d'un bus pour les femmes circulant en Indre-et-Loire depuis 2020. Il a pour objectif d'aller à la rencontre de femmes sur leur lieu de vie, pour leur apporter de l'information, les orienter, et mieux prévenir et repérer les femmes victimes de violences. Il délivre également une information sur l'accès aux droits, et peut repérer des situations de violences afin d'apporter la bonne réponse à ces situations.
Environ 80 % des femmes rencontrées dans ce cadre ont exprimé avoir été ou être victimes de violences, ou connaître une personne victime de violences dans leur entourage. Nous en concluons que ce type d'actions est important. En 2019, ce bus a rencontré 400 femmes et plus de 400 enfants pour renforcer le repérage et la prise en charge des victimes par des dispositifs de proximité et consolider le partenariat entre les différents acteurs représentés.
Nous pouvons également évoquer la conclusion de contrats locaux sur les violences sexistes et sexuelles. De nombreux outils et partenariats permettent aux services de l'État et à ses partenaires de se rencontrer régulièrement et de croiser des informations précieuses sur les territoires.
Nous développons également des réseaux dits « sentinelles » pour répondre au mieux aux besoins des femmes. Je vois que l'association Paroles de femmes est représentée aujourd'hui. Je pense à un exemple très intéressant dans le Tarn. Un réseau de relais a été mis en place depuis 2016 avec la déléguée départementale aux droits des femmes. L'implication des professionnels de santé, des collectivités territoriales, des forces de sécurité intérieure et de commerçants travaillant ensemble permet d'apporter des réponses. Je crois d'ailleurs, Madame Fournier, que vous avez proposé d'implanter cette méthode dans trois autres départements en 2021 : en Haute-Garonne, dans les Pyrénées-Orientales et la Lozère.
Il est extrêmement important de renforcer la formation professionnelle pour apporter des réponses à ces situations en zone rurale. Le développement des postes d'ISCG (Intervenants sociaux en commissariat et gendarmerie) doit être encouragé. Je pense que mes collègues de la Gendarmerie s'exprimeront sur ce sujet. Les dispositifs favorisant la mobilité des victimes doivent être développés. Le programme budgétaire 137 finançant la lutte contre les violences faites aux femmes contribue au financement de dispositifs de mobilité depuis plusieurs années. C'est par exemple le cas dans l'Indre où un dispositif a été mis en place depuis avril 2019. Il met des véhicules à la disposition de femmes victimes de violences devant quitter le domicile conjugal, afin de les conduire dans des centres d'hébergement d'urgence. Un protocole très précis a été établi et fonctionne. En 2020, une quinzaine de femmes ont bénéficié de ce dispositif, correspondant à 804 kilomètres parcourus au total.
Il est bien évidemment primordial de renforcer la mise à l'abri et de faciliter l'accès au logement. Dans le Finistère - dont Mme Nadège Havet, l'une des rapporteurs de cette délégation, est sénatrice - l'hébergement de femmes par des accueillants agricoles et ruraux permet de diversifier l'offre d'hébergement à destination des femmes victimes de violences. Elle implique la formation des accueillants et le dépassement d'un certain nombre de biais tels que l'isolement ou les difficultés de déplacement. De nombreuses questions annexes doivent être posées pour le déploiement de ce type de dispositif.
Favoriser l'insertion professionnelle des femmes constitue également un enjeu important dans la lutte contre les violences à leur encontre en milieu rural. Je n'ai pas évoqué la crise sanitaire, mais nous avons tous conscience qu'elle rend la situation plus difficile. Là encore, je crois que la FNCIDFF nous exposera tout à l'heure diverses expériences très intéressantes ayant été menées. L'autonomisation des femmes peut les amener à surmonter leur condition de victime.
La question posée était la suivante : faut-il apporter des réponses spécifiques ? Je suis en tout cas persuadée que nous devons apporter des réponses adaptées. Les constats ne sont peut-être pas drastiquement différents en ruralité et ailleurs. Le phénomène d'emprise est par exemple similaire entre les territoires. Les situations sont en revanche, de manière pratique et matérielle, très différentes. Certains facteurs culturels peuvent également entrer en jeu. Nous devons par conséquent y apporter des réponses adaptées.
J'ai essayé de citer un certain nombre de réponses. Une importante mobilisation et des partenariats me semblent essentiels pour les mettre en oeuvre. En zone rurale, je pense que nous disposons paradoxalement de nombreux facteurs permettant de développer le partenariat et les solidarités de façon très concrète sur les territoires.
Je vous remercie, Madame la présidente.
Annick Billon, présidente . - Merci à vous. Je donne la parole à Aline Emptaz, conseillère judiciaire auprès du directeur général de la Gendarmerie nationale, et au lieutenant-colonel Denis Mottier, de ladirection des opérations et de l'emploi. Ils ont joué un rôle essentiel durant la période de confinement. Je les remercie de leur forte mobilisation.
Aline Emptaz, conseillère judiciaire auprès du directeur général de la Gendarmerie nationale . - Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les sénatrices et sénateurs, bonjour.
Merci d'avoir sollicité la Gendarmerie nationale pour cette intervention. Nous allons vous présenter de manière assez brève, compte tenu du temps qui nous est imparti et du nombre d'interventions à suivre, le dispositif mis en oeuvre s'agissant des violences conjugales, avant de préciser les thématiques et spécificités liées aux territoires ruraux pour enfin vous expliquer ce que la Gendarmerie met plus précisément en oeuvre sur le terrain. Nous vous exposerons enfin nos pistes de réflexion pour tenter d'améliorer la situation, bien évidemment encore imparfaites au vu des chiffres ayant été récemment publiés et qui seront actualisés au printemps 2021.
Lieutenant-colonel Denis Mottier, direction des opérations et de l'emploi de la Gendarmerie nationale . - Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les sénateurs, Mesdames et Messieurs, bonjour à tous. Je suis le lieutenant-colonel Denis Mottier, de la direction des opérations et de l'emploi, officiant plus particulièrement au bureau de la sécurité publique.
Mon propos va s'articuler en quatre parties. Je dresserai dans un premier temps un bilan de l'action spécifique de la Gendarmerie sur les territoires ruraux, avec quelques données chiffrées. Je m'efforcerai d'être bref en ne présentant que les tendances, sans m'attarder sur les territoires particuliers. J'évoquerai ensuite la dynamique générale suite au Grenelle de lutte contre les violences conjugales , ayant permis à la Gendarmerie d'adapter sa réponse, tout en vous présentant les limites atteintes dans les territoires ruraux. Enfin, je vous exposerai sept recommandations ou propositions d'améliorations, qui mêlent à la fois l'action de la Gendarmerie, l'action partenariale et la synergie nécessaire à atteindre dans ces territoires.
Sachez tout d'abord qu'il n'existe pas de réponse purement policière ou gendarmique à un problème de société tel que les violences faites aux femmes, et plus largement liées à la condition de la femme. Pour autant, dans les territoires ruraux, dans le silence de la nuit et dans l'intimité des foyers, le 17 constitue bien souvent le seul recours des victimes. C'est pourquoi l'action de la Gendarmerie reste parfois l'unique solution des victimes dans ces situations. Adapter cette réponse au plus près des attentes de cette population, tout en garantissant la sécurité de nos interventions, et créer des synergies locales dans une logique partenariale sont les deux axes de notre réflexion. S'agissant des interventions, je tiens à souligner que la Gendarmerie mène toutes les heures, partout sur le territoire, près de quinze interventions pour des faits de violences intrafamiliales (VIF). C'est très important et cela implique, notamment pour nous autres militaires, la nécessité de nous sécuriser.
S'agissant de notre action spécifique dans les territoires ruraux, la Gendarmerie intervient sur 95 % du territoire et 51 % de la population, ce qui se traduit par une proportion stricte d'interventions et de victimes de 50 % sur les territoires ruraux et 50 % sur les zones péri-urbaines et urbaines. Il est ici intéressant de souligner les densités de population. Les progressions de VIF sont similaires entre les différents types de territoire. Il n'y a pas de décrochage entre les phénomènes de VIF en zone rurale ou urbaine, ce qui ne permet pas de donner de véritable tendance à la lecture des chiffres. Ce constat mènera à une recommandation visant à mieux comprendre cette violence et les violences faites aux femmes dans les territoires ruraux.
De par son maillage territorial, la Gendarmerie est parfois le seul service public disponible. Le 17 constitue parfois le seul recours d'urgence en matière de violences conjugales. Elle doit donc adapter son dispositif, en matière d'intervention, mais également au niveau de sa permanence de lieux d'écoute dans tous les territoires ruraux. Passée l'urgence, l'accompagnement doit primer. L'accompagnement social fait aujourd'hui défaut car les associations sont généralement situées dans les centres urbains, pas uniquement dans les métropoles, mais aussi dans des villes moyennes où se concentrent l'action associative et l'ensemble des synergies sociales. Le traitement de la protection des victimes de violences conjugales est compliqué en milieu rural et atteint ses limites en termes de propositions d'hébergements d'urgence, de prise en compte de certaines spécificités liées au handicap et aux seniors, et de mise en oeuvre du bracelet anti-rapprochement (BAR) et du Téléphone grand danger (TGD). Les délais d'intervention en zone rurale sont aussi plus importants.
Si grâce à la dynamique générale du Grenelle de lutte contre les violences conjugales la Gendarmerie a bien évidemment bénéficié d'avancées, nous avons aussi développé des outils spécifiques, dont des indicateurs, constitués d'un tableau de bord pour le suivi des violences intrafamiliales. Cela nous permet d'observer les évolutions constatées par les brigades, les compagnies, mais également les groupements, en volume ou selon leur répartition géographique. Nous avons également créé au 1 er janvier 2021 des maisons de confiance et de protection des familles dont le nombre s'élève aujourd'hui à 53, qui feront l'objet d'une recommandation dans la suite de mon propos. Nous développons au niveau national et déclinons au niveau local des synergies avec les associations présentes ce matin à cette table ronde.
La Gendarmerie veut également formuler les sept recommandations suivantes :
- poursuivre le recrutement des ISCG dans les territoires ruraux pour renforcer un maillage associatif lacunaire et soutenir le besoin de proximité sociale et de rencontre qui font défaut dans nos territoires. À ce titre, ces intervenants sociaux devront bénéficier de véhicules et de moyens dédiés, notamment pour communiquer par visioconférence avec les victimes et assurer leur accompagnement à distance, à défaut de pouvoir le faire physiquement, pour conserver un lien, même dégradé. L'intervenant social de Gendarmerie est essentiel pour faire le lien avec les centres d'organisation de l'accompagnement social, qu'il soit financier ou éducatif afin de sortir de la situation d'urgence. Un appel au 17 signifie pour la Gendarmerie une situation d'urgence qu'elle se doit de résoudre via un accompagnement social, afin d'aboutir à un retour à la normalité, notamment dans les territoires ruraux ;
- doter tous les départements de maisons de confiance et de protection des familles, et renforcer celles qui existent dans les départements qui le nécessitent. Cet effort, évalué à 250 équivalents temps plein (ETP) pour la Gendarmerie, permettra de consolider le suivi des victimes et de systématiser le rappel des plus sensibles d'entre elles, afin de parvenir à une individualisation et un suivi particularisé de chaque situation. La victime, mais également son environnement, doivent être pris en considération : l'accompagnement des enfants ne peut être exclu de la prise en charge car ils sont des victimes indirectes ;
- aider à la mobilité et à la prise en charge du transport des victimes de violences intrafamiliales. Nous souhaitons, dès l'instant où aucun soin ne doit leur être apporté, favoriser le déplacement des victimes et de leurs enfants, par la Gendarmerie, avec des véhicules adaptés au transport d'enfants en bas âge. Les militaires doivent donc être équipés de véhicules de grande capacité, bénéficiant de l'ensemble des modalités garantissant un transport des victimes en toute sécurité. Il faut également permettre dans chaque département un recours aux bons de taxi, et organiser, y compris la nuit, une permanence téléphonique laissant la possibilité aux gendarmes de demander un transport individualisé pour les femmes victimes de violence ;
- développer l'accès aux services numériques. La pandémie nous a fait prendre conscience de la nécessité de développer le recours au numérique et d'en informer les victimes. Nous devons leur donner la possibilité d'utiliser les appels vidéo pour obtenir des conseils à distance ou assurer un suivi simplifié des victimes. Pour les personnes isolées, notamment les seniors, nous devons financer des services de téléassistance. La sénescence d'une certaine partie de la population en milieu rural peut conduire à de la violence, parfois révélatrice de la détresse d'un couple confronté, par exemple, à la maladie d'Alzheimer. La prise en charge de nos anciens pourrait se faire, outre par un accompagnement social et financier, par des moyens de téléassistance ;
- développer une offre de sécurité itinérante et le déploiement de réseaux de proximité. Certaines actions sont déjà opérationnelles mais elles doivent être amplifiées et mieux financées, comme par exemple l'accès au service public dans les Maisons France Services et le programme « Petites villes de demain », auxquels la Gendarmerie participera afin d'offrir un service et un point d'écoute aux femmes victimes de violences. S'y ajoute l'ouverture, dans les villages et les villes, de tiers lieux ou de permanences en lien avec les mairies, comme c'est le cas à Mantes-la-Jolie. Des camping-cars ou des bus conduits par des réservistes circulent, notamment dans la Vienne ; ils permettent de couvrir les zones qui le nécessitent. Je mentionnerai aussi le recueil de plaintes dans les hôpitaux : 53 conventions ont été signées à cet effet en 2020. Il est également fait appel aux réservistes de la Gendarmerie nationale pour assurer un maillage serré des permanences ou des patrouilles dans les territoires, sur les marchés et dans les nouveaux lieux de vie. Enfin, n'oublions pas le développement de points d'écoute dans les centres commerciaux, tels que le « Gend Drive » à Puzey en Haute-Saône ou à La-Ville-du-Bois dans l'Essonne. Nous remarquons que la péri-urbanité peut servir de trait d'union entre les métropoles et les zones rurales. Bien souvent, les habitants des campagnes y font leurs courses où y consultent un médecin. La Gendarmerie doit assurer la couverture de ces territoires ;
- densifier le réseau de partenariats dans les départements ruraux, en organisant les collaborations entre les institutions et les partenaires associatifs, et en identifiant les différentes dynamiques associatives. Les offres sont d'autant plus locales et les structures petites que les zones sont rurales, ce qui freine leur collaboration avec la Gendarmerie ou les préfectures. Nous devons développer une synergie et opérer des regroupements en conservant les identités associatives. Ces différentes associations doivent bénéficier d'un financement dédié de l'État. Le recours à des hébergements d'urgence dans une logique d'éloignement, en collaboration avec les maires et les conseils départementaux, doit être accru. Les solutions d'hébergement aujourd'hui offertes par les Services intégrés de l'accueil et de l'orientation (SIAO) et la plateforme d'hébergement d'urgence sont concentrées dans les zones urbaines où elles demeurent insuffisantes. Le nombre des hébergements d'urgence en zone rurale est quant à lui trop faible pour permettre à la victime de ne pas être totalement déracinée de son lieu de vie ou de travail, du lieu de scolarité de ses enfants ou de l'ensemble de son équilibre de vie, nécessaire à sa reconstruction. Ces places d'hébergement sont pourtant essentielles. Elles devraient être accessibles 24h/24 et 7j/7, par l'intermédiaire de la plateforme d'hébergement ou par des plateformes SIAO centralisées afin de permettre aux gendarmes d'y accéder en cas d'urgence. Enfin, nous pourrions nous appuyer sur les partenariats nationaux et les initiatives locales portées par des entreprises privées telles que Carrefour , Sodebo , les pharmaciens et boulangers ayant imprimé sur leurs emballages des messages à l'attention des victimes, destinés à les informer de l'existence du 3919 , des plateformes d'appel et de la plateforme contre les violences sexuelles et sexistes ;
- mieux appréhender les dynamiques des territoires pour corriger ou anticiper certaines lacunes, en opérant les rééquilibrages appropriés. Une prévention ciblée permet d'éviter que des situations ne dégénèrent. Je prône une meilleure compréhension des territoires ruraux en favorisant les échanges participatifs sur les véritables préoccupations des habitants. Nous devons développer des véritables outils de suivi statistique des phénomènes de violences intrafamiliales, en lien avec d'autres indicateurs de précarité ou d'emploi. Associer à notre logique policière une logique plus sociologique nous permettrait de ne plus travailler dans l'urgence, mais de proposer des solutions permettant d'éviter l'intervention de la Gendarmerie, si elle peut être évitée.
J'espère avoir été clair car il n'est pas simple de brosser un tableau de l'ensemble des enjeux de la ruralité en un quart d'heure. J'espère que ces recommandations pourront prospérer.
Aline Emptaz, conseillère judiciaire auprès du directeur général de la Gendarmerie nationale . - L'action de la Gendarmerie est menée selon deux axes : protéger et servir. Protéger la victime est une nécessité de tous les instants, tout comme servir le bien commun.
Annick Billon, présidente . - Merci pour cette présentation en duo très efficace et percutante. Mme Furnon-Petrescu faisait tout à l'heure référence aux emballages des baguettes de pain. Les produits de première nécessité et l'alimentation servent parfois de véhicule de prévention.
Je cède la parole à Nora Husson, qui représente la Fédération nationale des centres d'information des droits des femmes et de la famille (FNCIDFF).
Nora Husson, responsable du département suivi et exploitation statistiques des CIDFF de la Fédération nationale des centres d'information sur les droits des femmes et des familles (FNCIDFF) . - Bonjour Madame la présidente, Messieurs et Mesdames les sénateurs et sénatrices.
Notre contribution s'articulera autour de plusieurs points. Quels sont les obstacles à l'identification des femmes victimes de violences ? Je laisserai la parole à Alexia Lerond, conseillère technique chargée des violences au sein de la fédération nationale pour présenter des éléments statistiques sur le profil des femmes victimes de violences en zone rurale. Nous traiterons bien évidemment de la question de la mobilité, primordiale pour les femmes victimes de violences et nous dresserons ensuite le tableau des permanences assurées par les CIDFF en milieu rural, avant d'évoquer les effets de la crise sanitaire sur les demandes formulées par les femmes victimes de violences. Alexia présentera les questions posées par ces dernières, avant que j'expose la manière dont les CIDFF organisent leurs permanences. Enfin, nous vous présenterons quelques exemples de bonnes pratiques et définirons les enjeux.
L'isolement social et géographique constitue, à 76, 3 %, notre principal obstacle pour identifier les femmes victimes de violences. Pour pallier cet obstacle, le développement de permanences de proximité doit être privilégié, notamment dans les lieux permettant l'accès à différents organismes. La confidentialité étant toutefois essentielle, nous ne souhaitons pas que ces permanences apparaissent dédiées aux seules femmes dans ces situations. Elles doivent donc rester pluridisciplinaires pour que les victimes puissent s'y rendre sans être stigmatisées. Des espaces dédiés aux consultations avec des psychologues doivent y être créés pour organiser des groupes de parole. Des ateliers de confiance en soi permettraient de produire du lien social et l'insertion professionnelle devrait être favorisée par des accompagnements spécifiques. L'offre de transport public en milieu rural est défaillante, ce qui entraîne de vrais problèmes d'accessibilité. Le déplacement des référents violence doit être facilité dans le cadre d'un partenariat local ; ils doivent pouvoir être véhiculés pour se rendre directement au domicile des personnes.
Quant aux informations imprimées sur les emballages de pharmacie ou de boulangerie, elles sont à améliorer. Les habitants des milieux ruraux doivent disposer d'informations sur les services disponibles dans leur environnement, afin de pouvoir les contacter. Les réseaux de professionnels et ces dispositifs doivent être en mesure de communiquer entre eux. Il est primordial que les partenaires puissent mailler le territoire et échanger pour poser des diagnostics et définir des solutions.
La question de la formation, soulevée par Mme Furnon-Petrescu, est importante car les organisations en milieu rural, les services de portage à domicile, les aides à domicile, mais aussi les jeunes, notamment dans les lycées agricoles, doivent être sensibilisés et formés à la détection des situations de violences.
Alexia Lerond, conseillère technique chargée des violences au sein de la FNCIDFF . - Bonjour Madame la présidente, Messieurs et Mesdames les sénateurs et sénatrices. Je vais vous présenter très rapidement le profil des femmes victimes de violences, avant d'aborder la question de la mobilité sous un angle plus statistique. Les violences telles qu'abordées ce matin touchent particulièrement les femmes âgées de 36 à 45 ans (30,5 % des femmes reçues). Les violences commises sur les femmes âgées interviennent le plus fréquemment dans le contexte intrafamilial, à domicile pour 97,4 % d'entre-elles, plutôt que dans un établissement de type EHPAD.
Pour faciliter l'accès des victimes ne disposant pas de véhicules aux lieux indispensables à leur accompagnement, il conviendrait, selon la majorité des CIDFF, de développer des permanences décentralisées sur certains territoires, mais également de favoriser l'usage des taxis ou d'autres solutions de déplacement telles que le covoiturage ou le vélo. Selon 90 % des centres, les bons de taxis sont adaptés à la situation des territoires ruraux.
Nora Husson . - Je vais maintenant aborder les effets de la crise sanitaire sur les demandes des femmes victimes de violences en milieu rural, 20 % des personnes étant informées par les CIDFF. Dès le début de crise sanitaire, les centres ont constaté une augmentation de 20 à 100 % du nombre des sollicitations. Cette hausse s'explique par les situations de proximité continue entre victimes et auteurs de violences durant le confinement. Cette cohabitation forcée a exacerbé et multiplié les violences existantes. Le CIDFF d'Ille-et-Vilaine nous a indiqué que cette période a parfois permis à la victime de comprendre qu'elle vivait une situation de violence.
Pour les victimes vivant en couple avec l'auteur des violences, le confinement a compliqué les possibilités d'action. Certains centres ont insisté sur les difficultés d'intervenir au sein des couples vivant encore ensemble et d'effectuer des démarches permettant à la victime d'être accompagnée et contactée par des organismes et associations.
Bien que les centres se soient rapidement organisés pour adapter leurs modalités de fonctionnement aux contraintes du confinement, contacter les victimes par téléphone pendant cette période a pu engendrer un contrôle omniprésent de l'auteur au travers de cyber-violences. Cela nous a conduits à rapidement assurer à nouveau des permanences en présentiel, en respectant les gestes barrières, afin de reprendre un contact direct avec les victimes.
Alexia Lerond . - Lors des entretiens juridiques menés par la FNCIDFF avec des femmes victimes de violences, on a pu constater que les thématiques les plus abordées sont celles relatives à la famille et aux violences : questions relatives aux conséquences d'une rupture, au type de violences, aux conséquences et suites judiciaires. 94 % des demandes relatives aux violences concernent les violences conjugales en milieu rural.
Nora Husson . - Comment sont organisées concrètement les permanences des CIDFF ? De façon générale, les CIDFF interviennent dans une logique de proximité. Ils sont à même de répondre à des demandes très spécifiques, notamment celles formulées par des collectivités situées en milieu rural. Sur 2 100 permanences déployées sur l'ensemble du territoire métropolitain et ultramarin, 422 lieux de permanence le sont en milieu rural. 60 CIDFF assurent des permanences d'information juridique généraliste dans les maisons de service au public. Parmi ceux-ci, 28 tiennent des permanences spécifiques liées à l'emploi, 30 proposent des permanences en présence de professionnels formés aux violences faites aux femmes, et trois interviennent sur des champs spécifiques de la médiation familiale.
Quelles sont à nos yeux les meilleures solutions pour organiser les permanences et les structures accueillant différents services ? Nous jugeons nécessaire de diversifier les lieux d'accueil généralistes et pluridisciplinaires. Les maisons France Services sont en ce sens des espaces et outils extrêmement intéressants. Elles ne stigmatisent pas les femmes qui auraient à solliciter un spécialiste. Il est de plus essentiel de créer des lieux mutualisés, multiservices, pour rendre les démarches plus simples et concrètes à travers des permanences à l'emploi ou médicales et des services de PMI. Les maisons médicales sont également très importantes, les CIDFF soulignant le fait que les femmes s'orientent bien souvent vers le médecin traitant lorsqu'aucun service n'existe à proximité pour se confier. S'y ajoutent les espaces tels que les centres communaux d'action sociale (CCAS).
Nous évoquons également la nécessité de créer des permanences itinérantes ou en visioconférence. Les CIDFF ont développé des permanences à distance à travers différents outils, notamment via les espaces numériques. Il existe des bornes dans certaines maisons France Services.
Au travers de ces espaces multi-accueil, des agents doivent être formés sur les problématiques des violences conjugales, de manière à repérer et à décoder les messages transmis par les femmes venant prendre un rendez-vous en urgence. La visibilité des actions des associations et des CIDFF doit être localement renforcée afin que le message soit clairement identifié, pour que les femmes puissent se référer à des numéros de téléphone ou des lieux identifiés. Enfin, nous ne devons pas chercher à « stigmatiser » les permanences de violence conjugale, ce qui risquerait de produire un effet inverse à ce qui est recherché.
Annick Billon, présidente . - Un grand merci pour cette présentation. Je cède la parole à Françoise Brié, directrice générale de la FNSF.
Françoise Brié, directrice générale de la Fédération nationale solidarité femmes (FNSF) . - Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les sénateurs, je vous remercie de m'avoir invitée à cette table ronde.
La FNSF anime un réseau de 73 associations spécialisées dans l'accompagnement des femmes victimes de violences, en particulier conjugales. 35 000 femmes sont ainsi accompagnées dans des centres d'accueil. 7 000 femmes et enfants sont logés dans des lieux d'hébergement spécifiques. La fédération a créé et gère la ligne nationale d'écoute 3919 , qui a pris en charge près de 100 000 appels en 2020.
La présence de femmes victimes de violences est réelle en milieu rural. Nous savons pertinemment que leur occurrence est identique en milieu rural et en milieu urbain. La FNSF a établi la première étude sur le sujet en 2013 en Midi-Pyrénées et dans les Pays de la Loire. Betty Fournier expliquera ses suites. La dénonciation de ces violences dans la ruralité est complexe. Les femmes sollicitent moins les dispositifs pouvant les soutenir et les accompagner dans leurs démarches. En 2018, 26 % des 27 205 appels pris en charge par le 3919 provenaient d'une région classée comme essentiellement rurale, et 74 % de territoires essentiellement urbains ou intermédiaires. L'INSEE indique que 33 % émanaient d'une zone rurale, contre 67 % d'une zone urbaine ou intermédiaire. Autrement dit, les femmes résidant en zone rurale sont moins représentées sur la ligne d'écoute nationale. Lorsqu'elles appellent, elles décrivent des moyens de contrôle particuliers tels que l'interdiction d'utiliser leur véhicule ou le contrôle du kilométrage, l'interdiction de sortir. Nous avons relevé le cas d'une femme qui n'avait pas de chaussures depuis dix ans. L'interdiction de s'éloigner du domicile est très prégnante.
S'agissant des mesures d'éloignement géographique par des mises en sécurité en hébergement pour des femmes en très grave danger, nous notons également que 4 % seulement des demandes proviennent d'un territoire classé en zone rurale. Les femmes y sont pourtant particulièrement en danger du fait d'un certain nombre de facteurs. Nous approchons d'un taux de 50 % de s féminicides en milieu rural.
Nous avons développé des partenariats, avec la Gendarmerie en particulier. Pendant le confinement, nous avons ainsi pu avoir accès directement au 17 dans chaque département, ce qui s'est révélé précieux dans les situations où les femmes ne pouvaient pas solliciter les services d'urgence. Nous avons pu nous même contacter ces services d'urgence, dix fois plus fréquemment lors du confinement qu'en période normale.
Les associations Solidarité Femmes sont importantes du fait de leur expérience. Elles montrent que les spécificités des conditions de vie en zone rurale accroissent les difficultés rencontrées par les femmes dans leur parcours de sortie des violences. Nous constatons également une sous-représentation des femmes vivant en zone rurale dans les sollicitations de nos dispositifs. C'est particulièrement le cas dans les Pays de la Loire, comme le signale l'Union régionale Solidarité Femmes.
Les difficultés majeures rencontrées relèvent de la prégnance des stéréotypes sexistes et d'une société patriarcale, de violences minimisées ou niées, sur des durées plus longues et d'une gravité plus importante, avec des facteurs de risque sérieux tels que la présence d'armes liée à la pratique de la chasse. S'y ajoutent l'isolement géographique et les difficultés de mobilité, la précarité financière, la méconnaissance des droits et l'absence d'anonymat. Effectuer une démarche en toute discrétion est difficile, l'auteur des violences pouvant être connu des professionnels que les femmes consultent. L'entre soi vient parfois compliquer le départ du domicile des femmes victimes de violences dans les zones rurales. La présence de la belle-famille à proximité peut également rendre ce départ plus complexe.
Notons également la difficulté à déposer plainte, les disparités territoriales dans l'accès aux aides, le manque de services de proximité en termes de santé ou de justice et les formations souvent inégales des professionnels. Les territoires étant étendus, le temps de parcours peut y être très important, que ce soit en transports en commun ou en véhicule individuel. L'accès à des services permettant aux victimes de quitter le domicile est pourtant essentiel.
Lorsque les femmes originaires de zones urbaines arrivent en milieu rural pour y être mises en sécurité, il peut être difficile pour elles de s'intégrer. Elles ne disposent pas toujours des services de santé ou de proximité nécessaires. Un certain nombre de mises en sécurité se soldent ainsi par un échec car les femmes souhaitent repartir, la modification de leur mode de vie rendant l'éloignement géographique plus dur à vivre.
Au niveau des expériences positives, rappelons que les femmes en milieu rural apportent beaucoup de richesse et de compétences aux territoires ruraux. Elles restent majoritaires dans des services essentiels tels que l'éducation, la santé, la justice, le social. Elles sont très importantes dans le développement agricole et les circuits courts. Elles ont un rôle d'appui et de soutien dans le développement économique d'activités.
Le réseau Solidarité Femmes, en plus de son ancrage et de ses liens avec les partenaires sociaux, est en interconnexion avec des associations du département ou de la région, qu'elles soient ou non membres de la FNSF. Les synergies sont essentielles pour faciliter le parcours de sortie des violences. Le travail en réseau est important, depuis le diagnostic jusqu'à la mise en sécurité et la reconstruction.
Je terminerai par quelques exemples d'actions menées par les associations du réseau Solidarité Femmes. Des expériences innovantes viennent d'être menées dans les Hauts-de-France. C'est le cas du minibus associatif Nina et Simone , qui illustre l'importance d'« aller vers ». Il circule dans la région à la rencontre des femmes, est très accessible et repérable par sa couleur jaune, pour montrer aux femmes que l'invisibilité peut être contrée, y compris dans les territoires ruraux. Il permet de bénéficier d'une écoute et de conseils en matière de droits, de sexualité et de travail. Ce soutien permet à celles qui ont été victimes de violences d'approcher de façon confidentielle les équipes de Nina et Simone . Il a été mis en place après le confinement. Nous en notons déjà une fréquentation importante. En Haute-Garonne, un accueil de jour a été mis en place par l'association Femmes de Papier . Celle-ci mène des actions de sensibilisation à l'égalité femmes-hommes et de prévention des violences sur le territoire rural. Il est important de rappeler que les violences émergent des inégalités femmes-hommes. Ce sujet doit être travaillé en milieu rural également.
N'oublions pas que l'Ile-de-France compte de nombreuses zones rurales. Le relais Paroles de Femmes du 77 a adopté ces modes d'intervention avec des permanences déconcentrées pour faciliter l'accès, diminuer le temps de déplacement à l'extérieur de la maison, dans les structures partenaires, et pour garantir l'anonymat. Il a réparti les lieux d'hébergement sur un territoire étendu pour assurer leur sécurité et leur confidentialité, et a développé des réunions partenariales.
En matière de réponse et de facilitation de la connaissance du numéro d'écoute 3919 , nous avons évoqué l'expérience sur les emballages de baguettes et les outils importants visant à rappeler que les femmes peuvent composer ce numéro. Abordons également la facilitation des moyens financiers. Nous constatons que le nombre de femmes accédant à ces services est peu important. Il est tout de même essentiel de maintenir les dispositifs existants, tels que les centres d'accueil et accueils de jour ainsi que les centres d'hébergement, en partenariat avec les mairies et conseils départementaux, pour que les femmes puissent y accéder avec des moyens de transport adaptés dès qu'elles souhaitent quitter le domicile conjugal.
Je vous remercie. Je pense que Betty Fournier aura également une expérience intéressante à développer dans son intervention.
Annick Billon, présidente . - Merci beaucoup. Je passe la parole à Betty Fournier, représentante de l'association Paroles de Femmes dans le Tarn.
Betty Fournier, ancienne présidente de l'association Paroles de femmes de Gaillac (Tarn) . - Bonjour Madame la présidente, bonjour à tous. Je précise que, si je suis à l'origine de l'association Paroles de Femmes , dont j'étais présidente, je viens de passer le relais à Carole Hamel.
Créée en 2005, notre association est référente violences dans le département et labellisée accueil de jour spécialisé. Nous disposons de permanences déconcentrées dans le Tarn, dont une dans une maison France Services. Nous recevons environ 300 femmes par an, dont 45 % en zone rurale. Notre département est en effet essentiellement rural, en dehors d'Albi et de Castres. Nous nous sommes intéressés à cette problématique dès 2012, puisque nous estimions que nous étions dans le déni des situations très compliquées de ces femmes en milieu rural. Nous avons mené la première étude sur le sujet en France. Des constats que nous en avons tirés, nous avons essayé de mettre en place des personnes relais en 2016. Nous avons donc travaillé sur tout l'ouest du département afin de développer ces accueils, ce qui nous a amenés en 2019 à organiser un colloque sur cette question à Gaillac. Près de 300 personnes y ont assisté. Toutes les administrations étaient représentées, témoignant ainsi d'une prise de conscience des partenaires. Le Préfet, le président du conseil général, les procureurs, la Gendarmerie ont démontré leur volonté de lutter contre les violences en milieu rural.
Une centaine de relais sont aujourd'hui en place dans le Tarn. Ce projet est novateur car il fait appel à tous les citoyens : infirmières à domicile, médecins, kinés, pharmaciens, agents d'accueil, postières, coiffeurs, responsables de friperies... Toute personne peut être un relais si elle est sensibilisée et formée et si elle est en contact avec les femmes. Nous travaillons avec les Familles rurales, les syndicats agricoles, les personnels de la caisse d'allocations familiales (CAF) ou de la mutualité sociale agricole (MSA), ou encore les associations caritatives.
Après leur sensibilisation et leur formation, ces personnes ont pour rôle de repérer et détecter certaines difficultés vécues par les femmes, afin de les informer et de les orienter vers les structures spécialisées. Elles ont également pour rôle de distribuer des plaquettes d'information et différents outils existants. Cependant, disposer de « personnes relais » ne suffit pas : il est important de créer du lien avec elles. Si le Covid nous en a quelque peu empêchés cette année, nous organisons en temps normal des déjeuners avec les « personnes relais » afin d'échanger avec elles sur ce que vivent les victimes et de créer du lien pour ne pas laisser ces volontaires seuls. Nous essayons d'organiser ces repas collectifs dans différents villages.
Jusqu'ici, nous n'avions bénéficié d'aucun fonds dédié à cette question. Ce n'est qu'en 2019 que nous avons disposé de financements pour la mise en place du colloque. En 2020, c'est la DRAPPS Occitanie (Dispositif Régional d'Appui en Prévention et Promotion de la Santé Occitanie) qui nous a financés pour développer la mise en place de cette action sur d'autres départements, c'est-à-dire mailler l'ensemble des territoires du Tarn en partenariat avec le CIDFF, avec lequel nous travaillons très étroitement depuis des années, et travailler dans la Haute-Garonne et les Pyrénées-Orientales. N'oublions pas que les territoires au nord et au sud de Toulouse sont ruraux. Nous avons commencé un travail que nous espérons pouvoir développer plus largement en 2021.
Nous avions également pour objectif de développer une méthodologie et des outils transférables dans d'autres départements, d'accompagner ces derniers et de coordonner les différentes actions. Depuis cette année, nous avons reçu de nombreuses demandes de territoires hors Occitanie souhaitant développer ce concept : le Beaujolais, le Finistère, cinq associations des Pays de la Loire, ou encore le Cantal. Nous sommes en lien avec eux et espérons, avec la Fédération nationale Solidarité Femmes , pouvoir coordonner ces associations qui souhaitent mettre en place des personnes relais.
J'espère que nos sollicitations auprès de quelques départements nous permettront de bénéficier de financements complémentaires en 2021. C'est grâce au travail militant des associations de Parole de Femmes que nous avons pu réaliser notre travail jusqu'ici.
Il est grand temps de prendre conscience qu'en zone rurale, le poids des stéréotypes de genre, de la communauté familiale et du « qu'en dira-t-on » est très important, ce qui empêche aujourd'hui encore de nombreuses femmes de sortir du silence. La mobilité est certes un problème, mais il n'est pas le seul. Les femmes nous indiquent que, même si elles ont une voiture, le contrôle de leur temps exercé par l'auteur des violences les handicape davantage. Si elles souhaitent consulter un autre médecin, leur compagnon violent leur interdit de s'y rendre.
Je souhaite également aborder la question des néo-ruraux. Ils sont nombreux. Par exemple, Monsieur travaille à Toulouse et le couple s'installe dans la campagne environnante, dans un rayon de soixante kilomètres. La femme quitte son travail dans la ville précédente et n'en trouve pas dans sa nouvelle région. Elle se retrouve donc seule à la maison. Son compagnon utilise la voiture pour se rendre au bureau, la privant de moyen de transport. Nous observons de nombreux couples dans cette situation, au sein desquels il n'y avait aucun problème auparavant, mais où des problèmes de violences apparaissent. Il est important de le noter.
Les enfants sont aussi exposés aux violences. Depuis 2016, nous avons mis en place le service « Des mots pour le dire », seul dispositif de ce genre dans le département. Nous recevons les mères et la fratrie pour que chacun puisse parler de ses émotions et pour aider la femme à reprendre sa place de maman. Ce service fonctionne très bien. Nous ne disposons malheureusement pas de fonds suffisants pour répondre à toutes les demandes. Nous avons reçu cette année quarante-huit mères et quatre-vingt-dix enfants. Leur nombre augmente chaque année.
Nous sommes prêts à répondre à tout département souhaitant prendre connaissance de notre méthodologie. Ils peuvent nous appeler ou envoyer un mail à ruraliteparoledefemmes81@gmail.com.
Annick Billon, présidente . - Merci beaucoup pour cette présentation extrêmement concise.
Je cède la parole à Françoise Mar, coprésidente et cofondatrice de l'association Les Chouettes dans la Drôme. Marie-Pierre Monier, l'une de nos huit rapporteurs, est sénatrice de la Drôme et est présente ce matin.
Françoise Mar, coprésidente et cofondatrice de l'association Les Chouettes (Drôme) . - Bonjour. Je vais vous dire un mot sur l'association Les Chouettes , puis évoquer la situation de notre territoire et nos préconisations. Nous sommes très admiratifs de Paroles de femmes , qui va nous inspirer. L'association Les Chouettes-solidarité femmes du Diois est née en juin 2020. Elle exerçait déjà ses activités depuis un an. Nous comptons vingt-cinq adhérentes dont quatre accompagnantes formées. Nous avons pour objectif de lutter contre les inégalités entre les femmes et les hommes. Sur le terrain, nous jouons malheureusement surtout un rôle « d'ambulance » en quelque sorte puisque nous arrivons après les violences, en soutien aux femmes victimes et à leurs enfants.
Nous sommes une association indépendante. Nous avons signé une convention avec l'espace France Services du Diois et nous y tenons une permanence mensuelle. Nous y disposons aussi à la demande d'un bureau nous permettant, de rencontrer les femmes, puisque les cafés et autres lieux sont fermés. Ce partenariat est intéressant pour nous en raison de l'anonymat qu'il offre aux femmes lors de nos rendez-vous ; la proximité des animatrices de cet espace et des permanences des services publics (CAF, CPAM, CARSAT...) est intéressante aussi.
Nous suivons plus de vingt-cinq femmes dans des situations souvent compliquées. La plupart vivent des violences post-conjugales consécutives à des violences de couple. Notre territoire est spécifique puisqu'il est rural et montagnard. La ville la plus proche, Valence, se situe à environ soixante-cinq kilomètres. Il arrive que nous assurions le covoiturage de certaines femmes vivant sans voiture dans des hameaux isolés, jusqu'à Die, Crest ou Valence si besoin, pour rencontrer une avocate ou honorer un rendez-vous de santé. Les indicateurs d'accès aux services de santé et de revenus sont assez faibles dans le Diois. Le taux de précarité, au regard des bénéficiaires de la couverture maladie universelle (CMU) notamment, y est supérieur à la moyenne régionale, tout comme le suivi en ambulatoire pour des problèmes psychiatriques, le taux de mortalité par suicide ou encore le nombre de pathologies liées à l'alcool. Die est une jolie commune touristique, mais peut être difficile à vivre pour certaines et certains.
À ces difficultés s'ajoutent l'éloignement et la méconnaissance quasi systématique des dispositifs d'aide chez toutes les femmes que nous rencontrons. Elles ignorent leurs droits. Les deux tiers d'entre elles ont des enfants et constituent des foyers monoparentaux. Assez souvent, elles ne sont pas originaires de la région. Elles ont pu venir chercher refuge depuis d'autres endroits du département ou depuis d'autres départements. Elles découvrent que les auteurs de violences les poursuivent, sous la forme de harcèlement lourd par exemple. Surtout, elles vont mal, voire très mal, psychologiquement. On manque dans le Diois de psychiatres et de pédopsychiatres formés aux psycho-traumatismes. Les délais d'attente au centre médico-psycho-pédagogique (CMPP) pour leurs enfants sont élevés. Puisqu'une majorité de femmes victimes que nous accompagnons a peu de moyens financiers, nous devons trouver une manière de les accompagner vers leur reconstruction, elles et leurs enfants. Elles font souvent état du besoin de se retrouver entre elles pour partager et avancer plus vite. Nous connaissons le bénéfice des groupes de parole. Notre association en propose un animé par une psychothérapeute-sexologue. Ces séances mensuelles sont gratuites et réservées à ces femmes. Nous proposons dans les mêmes conditions un groupe de sophrologie-relaxation, ainsi qu'un groupe dédié à la communication.
Peu de gens encore sont formés à comprendre le caractère massif des violences, à en repérer les signes et à choisir d'accompagner les victimes. Nous souhaitons donc mailler le territoire Diois de personnes sensibilisées, ou, encore mieux, formées. Nous avons la chance que l'ARS ait choisi la thématique des violences faites aux femmes pour le premier groupe « Santé des femmes » créé il y a un an et demi à Die. Nous avons insisté pour cela. Un groupe partenarial piloté par l'ARS réunit donc chaque mois l'intervenante sociale en gendarmerie, les gendarmes, R.e.m.a.i.d , le CIDFF, le centre médico-social du département, les soignants hospitaliers ou libéraux, les associations d'aide, etc. Les échanges sont très riches. Nous apprenons à nous connaître. Nous espérons que le Conseil local intercommunal de sûreté et de prévention de la délinquance (CLISPD), qui va bientôt constituer le nouveau format de ces réunions, permettra aux élus de se saisir de la question.
Justement, parmi les cinquante maires de la communauté de communes, nous avons proposé qu'un et une maire soient désignés référents sur cette question des violences, et plus généralement de l'égalité femmes-hommes. Cela a été fait. Ces élus jouent un rôle fondamental au fond des campagnes ; ce sont souvent le dernier recours pour les femmes maltraitées et isolées. Nous voudrions que deux élus référents, un homme et une femme, soient formés ou sensibilisés aux questions de violences dans chaque équipe municipale. Notre association propose des actions de formation et de sensibilisation aux violences faites aux femmes. Nous aimerions que les maires des petites communes mettent à notre disposition un lieu d'écoute, même dans ces temps de Covid. Si nous ne comptons que peu de dispositifs officiels de soutien sur ce vaste territoire rural, ils sont de qualité. L'intervenante sociale en gendarmerie joue un rôle fondamental. Une permanence du CIDFF se tient chaque mois en compagnie d'une juriste. C'est insuffisant, d'autant qu'elle a souvent eu lieu en visioconférence. Nous avons perdu la permanence de la psychologue du CIDFF il y a plusieurs années. Nous disposons aussi une permanence du R.e.m.a.i.d (service d'aide aux victimes), également très utile. De notre côté, nous sommes joignables tous les jours. Nous avons choisi d'écouter les femmes de manière empathique. Nous les croyons et les accompagnons dans la durée, dans les allers-retours que vous connaissez bien, dans leurs hésitations. Nous ne poussons pas spécialement au dépôt de la plainte, car nous connaissons les chiffres de ce qu'il en advient. 80 % des plaintes sont en effet classées sans suite.
Nous demandons une transparence sur les données de la Gendarmerie. Les indicateurs et leur analyse nous semblent indispensables. Combien sont les femmes ayant fait un renseignement judiciaire, qui donc n'osent pas déposer plainte ? Combien ont déposé plainte ? Combien de plaintes ont été classées par le parquet ? Combien de jugements ont abouti à une condamnation ? Combien de peine ont été effectuées ? Les femmes que nous suivons ne sont pas toujours informées du classement de leur plainte.
Nous aimerions que soit créée une cellule de gendarmerie contre les violences sexuelles et sexistes, dans la vallée de la Drôme ou le département. Nous avons besoin de gendarmes motivés et formés. Nous refusons la loterie par laquelle les femmes sont accueillies par des gendarmes plus ou moins aptes à appréhender leur état de vulnérabilité. Nous avons bien sûr rencontré des gendarmes compétents et motivés à Die, mais une brigade spécialisée permettrait de disposer 24h/24 de professionnels ne minimisant pas le discours des femmes et menant systématiquement un travail d'enquête.
Nous aimerions également qu'un plus grand nombre d'ordonnances de protection soient délivrées sur le territoire de la Drôme. Car nous ne parvenons pas à protéger les femmes. Elles ont toutes peur des représailles lorsqu'elles déposent plainte, et rien ne peut les protéger véritablement. C'est à nous de leur conseiller de changer de téléphone.
La toute jeune association Femmes répit , créée peu de temps après nous, constitue à nos yeux un partenaire intéressant. Elle va proposer des séjours de répit de cinq jours pour permettre aux femmes qui vont mal psychologiquement, et souvent physiquement, de récupérer. Nous encourageons ce projet. Nous avançons parallèlement.
J'ai parlé de la Justice. Nous sommes accompagnés par deux avocates spécialisées et expérimentées qui croient les femmes et les suivent. Nous travaillons également avec Femmes solidaires de Valence, qui est comme une grande soeur pour nous, expérimentée et bienveillante. Le parquet de Valence manque de personnel. Les délais d'instruction auprès des juges des affaires familiales ou des enfants sont extrêmement longs. Pendant six mois, voire un an, les femmes et leurs enfants subissent toujours des violences. Nous constatons un réel manque de moyens humain et matériel dans les gendarmeries aussi. Il faut parfois apporter le papier aux gendarmes pour qu'ils puissent l'imprimer.
Enfin, l'hôpital de Die, ouvert 24h/24., constitue une ressource importante. Une urgentiste référente violences vient d'être nommée. Des sages-femmes, une psychologue et une infirmière sont déjà formées et pratiquent le questionnaire systématique avec tact. Nous avons bon espoir qu'un parcours bienveillant puisse maintenant voir le jour dans tout l'hôpital.
Merci pour votre écoute.
Annick Billon, présidente . - Merci beaucoup et merci pour votre mobilisation dans la Drôme. Passons la parole aux élus, souvent cités dans les interventions de ce matin. Pour l'Assemblée des départements de France, nous allons maintenant entendre Marie-Pierre Mouton, présidente du conseil départemental de la Drôme puis Anne Harel, vice-présidente du conseil départemental de la Manche.
Marie-Pierre Mouton, présidente du conseil départemental de la Drôme, vice-présidente de la commission Égalité de l'Assemblée des départements de France (ADF) . - Merci Madame la présidente. Mesdames et Messieurs, les violences faites aux femmes ont lieu dans nos villes et nos territoires ruraux. Vous avez raison de souligner que l'éloignement des pôles centraux et des services publics, une mobilité plus difficile, une vie associative moins variée et la désertification médicale sont autant de facteurs compliquant la détection, le recueil des confidences et l'accompagnement des femmes violentées. La crise sanitaire et sociale n'arrange rien. Elle est également sociale. Les confinements partiels ou complets aggravent toutes ces situations.
Les départements sont des collectivités de proximité, chefs de file de l'action sociale, apportant leur soutien financier aux associations spécialisées. Je salue l'intervention de Mme Mar, qui collabore depuis très longtemps avec le CIDFF de la Drôme, et avec le R.e.m.a.i.d (service d'aide aux victimes de crime).
Nous participons à la mise en réseau des acteurs de proximité, dont le rôle est déterminant dans la sensibilisation et l'incitation à coordonner les réponses à apporter. Pour encourager la proximité et aller vers l'autre, il nous semble primordial de mailler notre territoire, par le biais notamment de nos centres médicaux sociaux - il y en a vingt-cinq dans la Drôme. La compétence de la protection maternelle et infantile permet de repérer et d'inciter à la confidence.
Un bus « Drôme proximité », centre médico-social ambulant à destination des Drômois et Drômoises les plus éloignés des services publics, permet aux femmes isolées d'obtenir des informations. De tels centres sont davantage sollicités lorsque les acteurs locaux sont peu nombreux sur un territoire.
Dans le cadre de la crise sanitaire actuelle, nous avons conclu un partenariat avec l'État pour recevoir des appels sur un numéro d'urgence sociale. Nous avons en outre développé un partenariat avec la Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) dans le cadre des suivis de Covid ou avec le concours d'infirmiers se déplaçant à domicile pour constater si l'isolement est possible. S'ils détectent des problèmes, ils en informent, grâce à ce numéro d'urgence sociale, des agents du département, professionnels de l'écoute.
Les partenariats sont indispensables. Le département accompagne financièrement la présence d'intervenants sociaux en gendarmerie, aux résultats probants. Des femmes sont formées spécifiquement à l'écoute sur ces sujets. Nous avons financé un, puis deux postes. Aujourd'hui, c'est la police qui nous sollicite. Nous poursuivrons ces financements cette année.
Nous avons également aidé très récemment le CIDFF dans la construction d'un réseau d'accueil citoyen et d'accompagnement des femmes et des enfants qui recueille les victimes de violences, le temps qu'elles trouvent des solutions plus pérennes. Nous débutons le maillage de ce réseau avec un objectif de début de cinq familles pour huit femmes accueillies chaque année. Nous espérons pouvoir l'étendre au département.
La chambre départementale possède des atouts pour la mise en oeuvre d'une politique dynamique dans le cadre des violences faites aux femmes : ses capacités de repérage et d'accompagnement via les services médico-sociaux, la possibilité de mobiliser des financements comme le Fonds Unique Logement (FUL), le Plan départemental d'action pour le logement et l'hébergement des personnes défavorisées (PDALHPD) pour créer une offre d'hébergement et d'accompagnement, sa compétence en matière de protection de l'enfance et des mineurs, et l'incitation à organiser des séances de sensibilisation dans les collèges.
Je salue l'initiative des communes qui, même si elles sont encore trop peu nombreuses, créent ces logements. Une intercommunalité s'est par exemple mobilisée pour la mise à disposition d'un logement d'accueil.
Au regard des difficultés, la création et le financement d'une offre de logement ou d'hébergement temporaire relèvent de l'État et de la cohésion sociale. Il y a peu de marge de manoeuvre lorsque les gendarmeries ou commissariats refusent d'enregistrer les plaintes. Il n'est pas simple de se rendre au poste de police ou de gendarmerie sans traces visibles de violences sur le corps, lorsque la victime en est encore aux prémices de cette emprise. Ajoutons que, sauf mise en oeuvre de la protection de l'enfance, les travailleurs sociaux ne peuvent pas intervenir sans l'accord de la personne. Nous sommes limités dans ce champ d'intervention. Il est en tout cas certain que le partenariat et le travail collectif sont essentiels. Je vous remercie de réunir autant d'acteurs. C'est seulement en travaillant ensemble que nous pourrons améliorer ces situations et accompagner des femmes en détresse.
Annick Billon, présidente . - Merci beaucoup Madame la présidente. Nous allons maintenant entendre la vice-présidente de la Manche.
Anne Harel, vice-présidente du conseil départemental de la Manche, représentant l'Assemblée des départements de France (ADF) . - Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les sénateurs, Mesdames et Messieurs les intervenants, bonjour à tous. J'essaierai d'être assez brève tout en vous donnant quelques informations sur les actions mises en oeuvre dans mon département.
Dès 2015, le conseil départemental, sous la présidence de Philippe Bas, s'est emparé de cette politique. Une délégation aux droits des femmes a été créée. Je ne reviendrai pas sur les constats relatés par les uns et les autres. Sachez toutefois que dans la Manche, en 2020, nous avons constaté une augmentation de 16 % des violences faites aux femmes. L'accueil des victimes de violences conjugales par des travailleurs sociaux du département connaît donc une hausse. C'est devenu leur quotidien, surtout dans les zones rurales.
Les problématiques ont été largement identifiées. Les publics concernés comptent des personnes âgées - la population de ces territoires étant vieillissante - ainsi que les personnes en situation de handicap. Les violences conjugales sont parfois niées ou banalisées. Parmi ces publics, la perte d'autonomie peut générer des violences du côté chez l'aidant comme chez l'aidé. Les enfants sont des victimes collatérales que nous devons également accompagner avec nos services.
À l'isolement géographique, car les services ne se situent pas toujours à proximité et les réseaux de transport y sont peu développés, s'ajoutent des difficultés de mobilité, et l'isolement des acteurs locaux. Les élus sont parfois démunis face à ces situations et peuvent être perçus comme le seul interlocuteur des victimes résidant en territoire rural. Des réponses doivent y être apportées. Nous devons favoriser la mobilité de ces publics et rapprocher les services de l'usager en délocalisant les lieux de permanence. Les travailleurs sociaux du département exercent dans les centres médico-sociaux mais également au sein des territoires de solidarité dans les maisons France Services ou dans les mairies. Le développement de l'accessibilité numérique fait également partie de nos priorités. S'y ajoutent un maillage de personnes formées et informées et une communication publique et collégiale entre l'ensemble des parties prenantes.
En partenariat avec les signataires du protocole départemental, le département a créé une fiche réflexe pour rappeler le cadre légal et donner des repères aux élus. Elle a été diffusée par les conseillers départementaux à l'ensemble des communes de leur canton. Nous mettons également en oeuvre, depuis 2018, la démarche « Territoire 100 % inclusif ». En 2019, nous avons adopté une politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes car il nous a semblé important de disposer d'une feuille de route permettant d'afficher des propositions d'action structurées dans ce domaine. Dans le cadre du travail engagé par le protocole départemental, il a été décidé de créer un observatoire des violences et des réalités manchoises. Pour l'instant, il fait partie de l'Observatoire départemental de la protection de l'enfance, mais nous souhaitons créer une entité dédiée afin de connaître la répartition géographique des cas de violence, d'observer les suites données à ces démarches, d'évaluer la qualité de la prise en charge des victimes, de rapprocher les cultures professionnelles afin de prévenir les effets de violences, et d'adhérer aux réseaux de prévention. Les conseillères conjugales et familiales des territoires de solidarité interviennent aussi dans les établissements scolaires, notamment les collèges, pour mener des actions de prévention. Je ne rappelle pas le rôle de la Protection maternelle et infantile (PMI). En suivant les familles, la PMI permet de détecter des situations de violences intrafamiliales. Parmi les propositions d'actions de la politique départementale, la formation continue des professionnels sociaux et médico-sociaux est également primordiale et concerne prioritairement la compréhension des phénomènes de violence, leur repérage et la prise en charge des victimes. Il est nécessaire de former à l'écoute et à l'accompagnement des victimes, mais aussi des auteurs. Ces professionnels doivent pouvoir participer à des temps d'échanges sur les pratiques.
En complément de ces formations, nous avons signé une convention de partenariat avec l' Association d'aide aux victimes, de contrôle judiciaire socioéducatif, d'enquête de personnalité, de médiation pénale (ACJM), afin de fournir aux professionnels du département les informations juridiques de premier niveau à apporter aux victimes.
Nous accompagnons également des victimes dans leur parcours de sortie de la violence, en assurant leur mise à l'abri et en développant des places en maison parentale. Nous avons lancé l'année dernière un appel à projets, reconduit en 2021, centré sur la prévention et la protection des personnes. Nous lui avons attribué un budget de 20 000 euros. En 2020, il a contribué à la création d'un fonds d'urgence pour les situations de crise, mais aussi à l'hébergement de victimes dans les territoires ruraux.
Il est évidemment nécessaire de décloisonner les réponses et de travailler en réseau avec nos partenaires. Nous disposons pour cela de plusieurs leviers : la communication publique de notre politique départementale, la signature du protocole départemental par quarante-sept acteurs départementaux, le protocole de lutte contre les violences sexuelles et sexistes à l'échelle de la juridiction de Coutances, décliné sur le territoire par un contrat local, l'implication politique et technique du département dans les CLSPD et CISPD (conseil local ou intercommunal de prévention de la délinquance), et la signature de conventions de partenariat pour la mise en oeuvre de réseaux VIF. Nous avons également développé des plans locaux inclusifs à l'échelle de chaque territoire de solidarité dans la Manche. Ils sont destinés à optimiser les complémentarités et à agir en partenariat avec les acteurs locaux sur les problématiques identifiées du territoire, dont la lutte contre les violences conjugales.
Le Grenelle aura permis un rapprochement des professionnels et des acteurs oeuvrant dans ce domaine. L'une des avancées notables concerne le rapprochement avec les forces de l'ordre. En 2020, le département de la Manche a été associé à deux sessions de formation de la Police et de la Gendarmerie sur la compréhension des violences et sur les leviers d'accompagnement des victimes. En 2021, les territoires de solidarité sont conviés à la formation de gendarmes pour présenter leurs missions dans les domaines de la prévention et de l'accompagnement social des victimes, travail quotidien des travailleurs sociaux.
Durant la crise sanitaire, et plus particulièrement pendant le confinement, l'État a mis en place des dispositifs d'alerte dans les pharmacies ou les grandes surfaces. Malheureusement, ils ont été organisés sans concertation avec les territoires de solidarité. Le suivi et la prise en charge des victimes auraient pu être optimisés. Nous souhaitons maintenir ou retrouver la dynamique enclenchée avant le confinement, sans quoi nous risquerions d'avancer au détriment des victimes.
Annick Billon, présidente . - Merci Madame la présidente. Nous avons pu constater que notre collègue Philippe Bas était très engagé sur cette thématique. Nous nous en réjouissons.
Pour l'Association des maires de France, je donne la parole à ses deux représentantes, Cécile Gallien, vice-présidente de l'AMF et maire de Vorey en Haute-Loire, et Édith Gueugneau, maire de Bourbon-Lancy, en Saône-et-Loire.
Cécile Gallien, vice-présidente, coprésidente du groupe de travail Égalité femmes-hommes de l'Association des maires de France (AMF) et maire de Vorey (Haute-Loire) . - Bonjour à toutes et à tous. Je vous remercie d'avoir organisé cette table ronde pour débattre de ce sujet essentiel car près de 50 % des féminicides surviennent dans des communes rurales. Les interventions de ce matin indiquent que peu de femmes font appel aux associations et aux acteurs locaux. Nous sommes tous engagés pour que cette situation évolue.
72 % des communes de France comptent moins de 1 000 habitants. Il est temps de traiter la question des violences faites aux femmes dans les territoires ruraux. Je confirme que pour les femmes victimes de violences, les difficultés liées à l'emploi, à la mobilité, à l'accès à la propriété, à l'isolement et au manque d'anonymat, sont exacerbées en milieu rural, dans les hameaux ou les campagnes reculées. Pourquoi iraient-elles déposer plainte à la gendarmerie, se confier au maire ou aux pompiers en sachant pertinemment qu'ils connaissent leur conjoint ? À tout cela s'ajoute la crainte des mères de se voir retirer la garde de leurs enfants. Nous constatons leur grande méconnaissance des dispositifs d'aide aux femmes victimes de violences et de leurs droits.
L'AMF a rappelé à l'occasion du centième congrès des maires qu'il existait des femmes maires en France. Nous avons, en 2017, lancé le groupe de travail « Promouvoir les femmes dans les exécutifs locaux » car les dispositions de la loi sur la parité ne s'appliquent pas dans les communes de moins de 1 000 habitants, soit dans 72 % des communes françaises. Nous avons étendu nos interventions à la question de l'égalité hommes-femmes. En novembre 2019, lors de notre dernier congrès, nous avons souhaité inviter tous les futurs élus aux élections municipales de 2020 à s'engager dans la promotion de l'égalité dans l'institution communale, de l'égalité des sexes dans les politiques publiques et de la lutte contre les violences faites aux femmes sur l'ensemble du territoire. Le document La commune et l'égalité femmes-hommes a été publié à cet effet.
Cet engagement a été cosigné par François Baroin, Marlène Schiappa, Édith Gueugneau et moi-même puis diffusé à l'ensemble de nos associations départementales. Nous ferons en sorte que les 36 000 maires de France s'y associent.
L'agenda rural, dont je suis l'une des cinq corédacteurs, intègre des éléments relatifs à l'amélioration des conditions de travail des femmes, notamment celles dont le rôle s'avère indispensable à la vie sociale et économique des territoires ruraux.
Des études menées sur les jeunes femmes en milieu rural indiquent qu'elles s'autocensurent et se considèrent souvent comme devant soutenir leur famille. Ces constats sont essentiels pour leur permettre d'aboutir à leur émancipation et leur recherche d'autonomie, de bien-être et d'épanouissement.
Maire depuis douze ans d'une commune de 1 460 habitants, je suis intervenue à trois reprises pour cacher des femmes et permettre leur hébergement dans des gîtes ruraux auxquels j'ai fait appel en urgence avant de mettre ces victimes en relation avec les structures adéquates.
Une cellule animée par la sous-préfète a été créée en septembre 2019. Elle rassemble la Gendarmerie, le Service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP), trente structures apportant leur soutien aux femmes, et le département. De nombreuses actions sont menées pour obtenir des Téléphones grand danger (TGD), éloigner le conjoint violent, ou mettre à disposition des lieux d'accueil, malheureusement encore situés en majorité dans les villes moyennes. Un intervenant social financé par l'État, la CAF et le département travaille dans les gendarmeries.
Nous constatons que les femmes victimes de violences en territoire rural se sentent seules et n'osent pas parler. Nous devons donc mener une importante campagne de communication pour les y inciter. Les communes ont créé des comptes Facebook , des réseaux, en plus des relais par la presse écrite régionale. Tous ces dispositifs doivent être exposés à l'ensemble des maires et l'AMF s'engage à les présenter lors de chaque assemblée départementale.
Je remercie du fond du coeur les deux intervenantes du Tarn et du Diois, qui mènent des actions formidables que nous allons suivre. Toute victime de violences en zone rurale doit pouvoir consulter une « personne relais » - un élu ou un pharmacien par exemple, par lequel elle se sentira écoutée et avec lequel elle sera en parfaite confiance - pour qu'une solution lui soit proposée. Comptez sur l'AMF pour faire avancer cette cause à vos côtés.
Annick Billon, présidente . - Je vous remercie.
Édith Gueugneau, maire de Bourbon-Lancy (Saône-et-Loire), co-présidente du groupe de travail Égalité femmes-hommes de l'AMF . - Madame la présidente, Mesdames les sénatrices, Messieurs les sénateurs, Mesdames les intervenantes, je suis très heureuse de participer à cette table ronde. La richesse des interventions me rend encore plus optimiste.
Effectivement, la question des violences faites aux femmes en milieu rural ne doit pas être sous-estimée car les victimes sont nombreuses. Ces femmes doivent être crues. Leur voix doit être entendue et leur parole ne doit pas être mise en doute ou minimisée comme c'est bien souvent le cas.
Déposer plainte constitue pour elles une épreuve. En milieu rural, tout le monde se connaît. C'est un frein. Comment peuvent-elles être assurées que leurs propos demeureront confidentiels ? S'y ajoute la crainte de se rendre à la gendarmerie et du contrôle opéré par la famille. Dans les petites communes, il est parfois difficile de se confier au maire. La prise en charge et l'accompagnement des victimes sont donc prioritaires et l'implication et la mobilisation des élus primordiales et fondamentales car tout repose sur l'engagement des collectivités territoriales. Je remercie les présidents des conseils départementaux, les associations et les directions départementales sur la cohésion sociale. En Saône-et-Loire, nous bénéficions en outre du concours d'une déléguée départementale au droit des femmes et à l'égalité.
En milieu rural, nous constatons que l'accès aux associations est rendu difficile en raison de leur éloignement ; l'isolement des victimes est accru par leur moindre mobilité et leur dépendance financière. J'ai entendu Mme la présidente du CIDFF : nous ne disposons d'aucune permanence du centre sur notre territoire. J'habite dans une petite commune de 5 000 habitants, à l'extrême ouest d'un département assez vaste. La Saône-et-Loire a organisé des réseaux VIF composés de professionnels de différentes institutions et associations. En tant que maire de Bourbon-Lancy, j'ai créé ce réseau VIF en 2015. Il fonctionne très bien. La commune dispose d'un appartement dédié aux femmes victimes de violences et de trois appartements d'urgence. En 2020, ils ont été occupés à 95 %. Il est nécessaire d'accueillir les femmes subissant des violences, pas uniquement lorsqu'elles habitent dans notre ville, mais également les villes alentour.
La ville de Bourbon-Lancy dispose également de services de professionnels qui accompagnent ces personnes, pour protéger ces femmes ayant besoin de se reconstruire. Cela prend du temps. Nous portons une attention particulière aux enfants, victimes collatérales des violences conjugales. Lorsque les femmes quittent leur domicile, elles se retrouvent très seules. Elles ont besoin d'un accompagnement et d'un suivi, car le harcèlement de leur conjoint, bien souvent, ne cesse pas.
Les femmes handicapées sont aussi victimes de violence. Un centre de réadaptation fonctionnelle est installé à Bourbon-Lancy et nous travaillons avec un Service d'accompagnement médico-social pour adultes handicapés (SAMSAH). Nous allons pouvoir mettre en place un appartement spécifique pour accueillir ces femmes lorsqu'elles subissent des violences.
J'aimerais également revenir sur la sénescence. Nous sommes parfois confrontés à l'émergence de violences au sein de couples vivant ensemble depuis des années, lorsque les personnes arrivent en fin de vie.
Avec Cécile Gallien, nous avons la volonté de travailler sur l'égalité femmes-hommes au sein de l'AMF. Nous avons besoin de mener ce travail de fond qui doit commencer dès la petite enfance pour changer les mentalités.
L'État doit répondre à nos demandes de moyens pour développer les formations, accompagner les collectivités et les gendarmeries dans la prise en charge des victimes. Nos gendarmes font face à de nombreuses demandes, ils ont besoin de personnel supplémentaire formé pour y répondre. Nous aimerions que des travailleurs sociaux nous accompagnent dans ces démarches.
Nous avons observé de nombreuses avancées, je reste très optimiste. Pour autant, nos territoires doivent s'organiser. Les maisons France Services répondent aujourd'hui à ce besoin de plus de proximité des services publics. Je suis en train d'en créer une dans ma commune. Vous avez évoqué les « Petites villes de demain », dispositifs portés par l'État qui nous permettront de proposer de plus de services.
Le travail que nous devons mener ensemble, main dans la main avec les associations, est très important à nos yeux. La dématérialisation numérique devrait nous permettre d'organiser des permanences virtuelles.
Le chemin parcouru est important. Depuis trois ans, la campagne # Metoo a provoqué un réel changement. La parole s'est libérée. Nous devons être en mesure d'accompagner toutes les victimes. Aujourd'hui, les maires de France affichent une réelle volonté de le faire. Cécile Gallien a rappelé la charte que nous pourrions faire signer à tous les maires. Nous avons également besoin de moyens, d'information et d'une véritable volonté politique pour avancer.
Annick Billon, présidente . - Merci beaucoup. Il a été beaucoup question de sécurité, de police, de collectivités, d'associations, mais aussi de santé. À ce titre, je laisse la parole au Docteur Marie-Pierre Glaviano Ceccaldi, vice-présidente du Conseil national de l'Ordre des médecins et présidente du Comité national des violences intrafamiliales, et à Alain Delgutte, membre du Conseil national de l'Ordre des pharmaciens, pour clôturer cette table ronde.
Docteure Marie-Pierre Glaviano Ceccaldi, vice-présidente du Conseil national de l'Ordre et présidente du Comité national des violences intrafamiliales (CNVIF) . - Merci Madame la présidente. Bonjour à toutes et à tous.
Je suis médecin généraliste encore en activité, avec une expérience de médecine légale à l'Institut médico-légal de Clermont-Ferrand durant quelques années. Je m'exprime aujourd'hui en tant que vice-présidente du Conseil national de l'ordre des médecins et présidente du CNVIF. Concernant l'institution ordinale, vous savez que le praticien référent en milieu rural est le médecin généraliste ou de famille. La désertification médicale n'est pas négligeable dans ces zones. Elle rend la prise en charge des victimes de violences conjugales plus difficile. Le médecin de famille est parfois le seul interlocuteur disponible. Sa proximité avec la famille et l'entourage peut rendre la libération de la parole de la victime encore plus difficile, bien qu'il soit lié par le secret médical. Il est nécessaire de rassurer et de lever toute ambiguïté sur l'application de la loi du 30 juillet 2020 permettant une dérogation permissive dans des circonstances strictement encadrées (une femme sous emprise, en danger immédiat arrivée au bout de son parcours). La réforme ne peut pas entraîner de difficultés supplémentaires dans la prise en charge des femmes victimes de violences. Il ne s'agit pas de faire des signalements sans l'accord de la victime en dehors d'un contexte d'urgence. Cela doit rester un cas exceptionnel.
Comme je le disais, cette application est strictement encadrée par la loi. Elle ne peut souffrir d'aucune ambiguïté. Pour cette raison, l'institution ordinale se mobilise et met en oeuvre des actions territoriales pour informer les professionnels. Le conseil départemental de l'Ordre des médecins a signé hier un premier protocole avec les parquets de Marseille et Aix-en-Provence. Ces protocoles ont pour objectif de mettre à la disposition des signalants tous les outils nécessaires. Ils engagent le conseil départemental de l'ordre et les parquets concernés à réaliser des journées de sensibilisation et à développer une relation étroite avec les départements qui posséderaient des instituts médico-légaux ou des instituts médico-judiciaires. Voilà pour la phase découlant de l'élaboration du vadémécum. Il était important à nos yeux d'harmoniser ce dispositif sur tout le territoire. Ces protocoles seront généralisés et mis en application par des commissions « Vigilance Violences » créées au sein des conseils départementaux de l'Ordre des médecins.
Le comité national des violences intrafamiliales est de création récente, il a été créé le 20 avril 2020 dans un contexte d'urgence lié au confinement et à l'augmentation des violences conjugales et intrafamiliales. Il est constitué de plus soixante-dix experts représentant tous les Ordres de la branche santé, du Conseil national des barreaux, de la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF), de l'HAS, de nombreux collèges et de représentants de la justice. Il comporte cinq commissions, dont l'une est dédiée aux violences faites aux femmes. Il était important à nos yeux qu'elle soit présidée par une association. Françoise Brié en est à la tête.
Une commission « recherche » concerne les auteurs de violences, à des fins de prévention. D'autres commissions travaillent sur les violences sur les enfants et sur l'enseignement et la formation. Un séminaire, ouvert aux professionnels prenant en charge les violences conjugales et intrafamiliales, sera organisé en octobre 2021. Il se déroulera sur une journée, pendant laquelle les thèmes suivants seront évoqués : l'évolution du regard sociétal sur les violences, l'évolution du droit dans ce domaine, l'importance du repérage et du dépistage et les procédures de signalement et d'information préoccupante. Cet événement sera organisé en collaboration avec le laboratoire de recherche juridique de Paris 8 et le soutien de l'institution ordinale.
Je suis à la disposition de tous pour répondre à d'éventuelles questions. Merci.
Annick Billon, présidente . - Merci. Vous avez été rapide, précise et concise. Je laisse la parole à Alain Delgutte.
Alain Delgutte, membre du Conseil national de l'Ordre des pharmaciens . - Merci Madame la présidente. Mesdames et Messieurs les sénateurs, Mesdames et Messieurs, merci de m'avoir invité pour cette table ronde. Outre mes fonctions au sein de l'Ordre des pharmaciens, je suis pharmacien à Nevers dans la Nièvre, département rural. Ce sujet m'est donc familier.
Je vais évoquer les modalités pratiques de la participation du réseau des pharmacies d'officines à la lutte contre les violences familiales lors du confinement, opération qui s'est déroulée à partir du mois de mars en métropole, mais aussi dans les départements d'outre-mer. Lors du confinement du printemps 2020, les violences intrafamiliales ont augmenté de 30 %. Le 26 mars, le ministre de l'intérieur a annoncé l'engagement des pharmaciens à participer à l'aide apportée aux femmes pour les extraire de ces situations de violence. Pour ce faire, il s'est appuyé sur des modèles européens, notamment sur l'exemple espagnol à Tenerife, où les femmes se rendaient dans les officines et demandaient un « masque 19 », alertant ainsi le pharmacien qui se chargeait de contacter les forces de l'ordre afin de mettre la personne concernée en sécurité. La France n'a pas du tout été en retard dans ce domaine. D'autres pays tels que l'Autriche, la Belgique, l'Allemagne, les Pays-Bas, Malte ou la Grèce se sont mis en ordre de marche d'avril jusqu'à août dernier pour aider ces femmes.
Pourquoi faire appel aux pharmaciens ? J'y vois trois raisons principales :
- notre présence : nous étions ouverts. Nous avons assuré la permanence pharmaceutique et avons continué à délivrer les médicaments aux patients. Nous avons renouvelé les traitements lorsqu'ils étaient périmés et terminés, puisque les médecins n'étaient parfois pas joignables ;
- notre proximité : 22 000 officines sont réparties sur tout le territoire et plus d'un tiers d'entre elles sont installées dans des communes de moins de 5 000 habitants. La distance moyenne de la pharmacie la plus proche pour l'ensemble des communes comptant une officine est de 3,8 kilomètres, et de cinq kilomètres pour celles n'en comptant pas. 90 % des communes bénéficient d'une pharmacie à moins de 7,2 kilomètres, et 66 % à moins de cinq kilomètres ;
- notre accessibilité : nous sommes disponibles 24h/24 et 7j/7. Nous avons la confiance des patients, les enquêtes le démontrent régulièrement. Nous sommes fréquemment en contact avec les femmes, qui se rendent souvent dans nos officines. En milieu rural, nous connaissons nos patients, leurs conditions de vie ou leurs difficultés financières. Nous portons un vrai rôle social à ce niveau.
Quel a été dispositif français pendant le confinement ? Il s'est organisé très rapidement, en quelques jours. Nous avons mis en place une « fiche réflexe » précisant les modalités de saisine des forces de l'ordre face à des signalements de violence. Nous avons proposé une liste de contacts utiles pour orienter les victimes vers des professionnels de santé, mais également vers des intervenants en droit et des associations locales très proches. Les avocats ont mis en place un numéro d'appel unique en cas de besoin. Nous avons apposé des affiches dans les officines, indiquant les numéros d'appel tels que le 3919 . Nous avons assuré la diffusion et communiqué avec l'ensemble des officines via le dossier pharmaceutique, outil informatique professionnel nous permettant de connaître les interactions médicamenteuses, mais aussi de communiquer rapidement avec l'ensemble des pharmacies. En moins d'un quart d'heure, elles peuvent ainsi toutes recevoir des messages urgents. Au niveau local et régional, nous avons pris contact avec des associations désirant s'impliquer dans le soutien aux victimes, pour les faire connaître auprès du réseau des pharmacies.
Quel a été le bilan de cette action ? À défaut de remontées officielles - puisque cela ne nous était pas demandé - plusieurs exemples ont été relatés par la presse. J'ai eu connaissance de quatorze signalements de pharmaciens, mais ce chiffre est largement sous-estimé. À titre personnel, je sais que la pharmacie à côté de chez moi a fait appel à une association car la femme victime de violences ne souhaitait pas alerter la gendarmerie.
Ce dispositif évolue. Dans le cadre de la formation professionnelle continue, neuf formations sont accessibles aux pharmaciens comme aux professionnels de santé. Nous avons diffusé une « fiche réflexe » au format A4, très synthétique. Nous travaillons avec la MIPROF pour proposer aux pharmaciens des outils de repérage des cas de violences, et leur enseigner les stratégies et les mots à employer car nous n'apprenons pas ces éléments lors de nos études. Nous mettons également gratuitement à la disposition des pharmaciens le Cespharm, outil informatique du Comité d'éducation sanitaire et sociale de la pharmacie française. Nous travaillons enfin en lien avec la Direction générale de l'offre de soins (DGOS) et la MIPROF sur la mise en place pratique du dispositif autorisant les pharmaciens à transgresser le secret médical en cas d'urgence vitale pour le patient.
Vous voyez que la profession s'est acquittée de cette nouvelle mission demandée par les autorités. Elle s'est mise en ordre de marche en l'espace de quelques jours. Nous nous formons, nous évoluons et échangeons avec les autres professionnels, qu'ils soient de santé, judiciaires ou de gendarmerie. En un seul mot, Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les sénateurs, vous pouvez compter sur les pharmaciens.
Annick Billon, présidente . - Nous n'en doutons pas. Nous comptons des pharmaciens efficaces au sein de cette délégation. Il est vrai que le premier confinement a révélé une capacité d'adaptation des collectivités et des pharmacies, et la réactivité du Gouvernement qui a émis des propositions assez rapidement, nous devons le souligner. Certaines bonnes pratiques méritent d'être pérennisées et améliorées ; c'est le cas de la « fiche réflexe » à laquelle vous faisiez référence.
Les intervenants étaient nombreux ce matin et leurs interventions très complètes. Les questions seront sans doute peu nombreuses de la part de mes collègues.
Je laisse la parole aux rapporteurs Marie-Pierre Monier et Bruno Belin.
Marie-Pierre Monier, rapporteure . - C'était une très intéressante table ronde. Je salue particulièrement Françoise Mar, avec laquelle je suis déjà en contact.
Je vous l'ai déjà indiqué, nous constituons un collectif dans les Baronnies dont l'idée revient à l'élue d'une commune de moins de 500 habitants, située à une heure et demi de Valence. En effet, si Die ne se trouve qu'à une soixantaine de kilomètres de Valence, les temps de trajet sont souvent plus longs en milieu rural. Je pense que les élus ont un rôle très important à jouer. Dans ce collectif créé en 2015 et uniquement composé d'élus, nous avons organisé des événements, des conférences et des ciné-débats, des échanges, ainsi que des formations d'élus. L'une des élues a convaincu son conseil municipal d'affecter un appartement aux femmes victimes de violences sur les crédits de rénovation de la mairie. Il a été utilisé pendant le confinement.
Nos débats confirment l'importance de développer un réseau même si c'est difficile. Les associations doivent être accompagnées financièrement. Les permanences d'accueil des victimes demeurent trop peu nombreuses. Les associations de terrain, même si elles ne sont pas toutes fléchées au départ pour agir contre les violences faites aux femmes, prennent le relais, mais elles doivent être soutenues. La création d'un réseau nous a semblé indispensable. Le CIDFF nous a aidés par son expertise en matière de logement d'urgence. Les intervenantes sociales en gendarmerie - deux dans la Drôme - ont a également joué un rôle important. J'ai auditionné le colonel de gendarmerie du département, qui m'a indiqué que ce nombre est très insuffisant. Il a raison, c'est trop peu pour 364 communes de 500 habitants. Nous devons recommander une plus forte présence sur le terrain.
Nous avons rencontré une difficulté que je tiens à partager. Il nous reviendra peut-être à nous, législateurs, de faire évoluer cette situation. Je veux parler du problème de la confidentialité du lieu d'hébergement de la victime et de ses enfants. Une femme hébergée dans une petite commune a découvert que son mari avait eu connaissance de l'école dans laquelle étaient scolarisés ses enfants, alors même que les visites du père n'étaient pas autorisées ailleurs que dans un lieu médiatisé et qu'une injonction d'éloignement avait été délivrée. La catastrophe a été évitée de peu grâce à la réaction opportune de la directrice de l'école et des gendarmes. L'Éducation nationale, qui a réagi comme elle pouvait, n'était pas directement fautive mais cette situation était réellement problématique. Nous devrons réfléchir à des dispositions législatives pour que cela ne se reproduise pas.
La Gendarmerie, présente dans tous les territoires ruraux, réalise un travail essentiel. La formation des gendarmes est primordiale. En Drôme, le colonel est conscient de la problématique des violences conjugales. Un gendarme a effectué un stage de dix jours sur cette problématique et d'autres devraient être formés dans le département.
Les élus sont en première ligne. Depuis la création de ce collectif, j'ai reçu de nombreux retours d'élus m'indiquant que des femmes viennent se confier à eux. La mise en place d'un référent me semble être une très bonne idée. Il est parfois plus simple pour les femmes victimes de violences de se confier à une autre femme. Or 20 % seulement des nouveaux maires élus en 2020 sont des femmes. La mise en place d'un référent en municipalité peut être pertinente, surtout en zone rurale où tout le monde se connaît et où l'élu occupe une place à part. Nous pourrions, dans un premier temps, en suggérer l'idée avant de l'imposer.
Enfin, l'ignorance des voies de secours et de l'existence des numéros d'urgence est incompréhensible. Je salue la communication par voie d'emballage. Un travail de fond doit vraiment être réalisé. J'ai été contactée, la semaine dernière, par une femme habitant en ville qui ne connaissait pas l'existence du 3919 . Son appel lui a permis d'être aidée immédiatement. La situation est pire en milieu rural, où l'information a plus de mal à circuler. Les permanences numériques sont tributaires des liaisons téléphonique, parfois fluctuantes ou inexistantes. Il m'est parfois difficile de faire des visioconférences, même depuis mon domicile. Le rapport issu de nos travaux devra s'attacher à proposer les moyens d'assurer une meilleure information des femmes victimes de violences en milieu rural.
Annick Billon, présidente . - Merci chère collègue.
Bruno Belin, rapporteur . - Je serai bref. Merci pour la qualité de vos interventions, très complètes, je n'ai donc que peu de questions. Je souhaiterais toutefois revenir sur trois points.
Le lieutenant-colonel Mottier l'a évoqué : pourquoi faut-il systématiquement déplacer la victime plutôt que le conjoint violent ? Nous avons tous été confrontés à ce type de situations dans nos vies d'élus. C'est insupportable et cela constitue une double, voire triple peine lorsque les enfants doivent en plus être déplacés. Nous devons nous interroger sur la manière dont les services de police et de gendarmerie doivent intervenir.
J'ai bien évidemment apprécié les propos de Cécile Gallien, dans lesquels je me suis reconnu, ayant moi-même été maire d'une commune rurale. Je reprends là aussi deux points que j'ai déjà évoqués en propositions, qui aboutiront peut-être. Nous devons en finir avec le panachage des listes dans les communes de moins de 1 000 habitants. Des scrutins de liste autoriseraient des scrutins paritaires. La même règle doit prévaloir pour les élections municipales, quel que soit le nombre d'habitants de la commune.
Mon autre proposition concerne la création d'un correspondant violences, au même titre qu'il existe des correspondants défense, dans toutes les équipes municipales. Ils constitueraient une personne contact clairement identifiable par les victimes.
Je salue mon confrère Alain Delgutte. Nous savons depuis des années que les pharmaciens accomplissent plus que leur travail courant. Tu as indiqué que tu ne disposais pas de données relatives au confinement, mais j'aurais aimé connaître l'évaluation du nombre des demandes de « masque 19 », ce dispositif qui n'a peut-être pas suffisamment bénéficié de publicité et dont il aurait été pertinent d'en établir un bilan.
Il existe un diplôme universitaire (DU) de médecine légale, ouvert aux pharmaciens, délivré par l'université de Versailles-Saint-Quentin. J'ai eu l'occasion de le suivre. Il est enseigné par un médecin légiste et permet un complément de formation.
Enfin, pour que les pharmaciens puissent toujours, à l'avenir, faire oeuvre utile, nous allons devoir préserver le maillage rural des pharmacies pour ne pas devoir un jour être confrontés à des déserts pharmaceutiques.
Annick Billon, présidente . - Merci. Je donne la parole à Guylène Pantel avant de laisser nos intervenants vous répondre.
Guylène Pantel, rapporteure . - Merci Madame la présidente. Je tiens moi aussi à saluer les intervenants pour la qualité de leurs propos. Nous voyons bien que de nombreuses actions sont menées dans les territoires.
J'habite le département le moins peuplé de France, comptant 77 000 habitants. L'anonymat y constitue l'un des problèmes majeurs. Lorsqu'une femme est victime de violences dans nos petites communes, la nouvelle se répand comme une traînée de poudre. C'est un vrai problème qui vient s'ajouter au tsunami qui bouleverse la vie des enfants. Nous ne pouvons que saluer le travail des gendarmes qui interviennent le plus discrètement possible. Malgré cela, tout s'ébruite, ce qui dissuade certaines femmes de réagir et de déposer plainte.
Il a été souligné tout à l'heure que des interventions de prévention devaient se dérouler dans les lycées agricoles, mais elles devraient être étendues à l'école primaire. Ce n'est pas suffisamment mis en avant.
Annick Billon, présidente . - Madame Varaillas souhaite intervenir.
Marie-Claude Varaillas, rapporteure . - Les auditions de ce matin sont particulièrement intéressantes. Elles englobent toutes les thématiques rencontrées dans nos territoires. J'ai mené des auditions dans mon département avec la responsable des droits des femmes, de la préfecture, l'association Femmes Solidaires ou encore des agricultrices. J'y ai beaucoup appris. Dans mon territoire, je pense que nous avons à travailler sur la mise en coordination des actions de toutes les associations et de tous les partenaires. C'est absolument nécessaire dans la mise en place de plateformes ou de comités de pilotage. J'ai réalisé que les collaborations entre acteurs devaient être développées.
Chez les agricultrices, les violences conjugales sont très difficiles pour la simple raison qu'elles sont conjointes d'exploitant, n'ont aucun statut et ne peuvent pas partir, au risque de tout perdre. Souvent, le fils prend la relève de l'exploitation. La mère peut donc encore moins quitter le domicile. J'ai lu le témoignage bouleversant d'une agricultrice après notre entretien, je vais d'ailleurs visiter sa ferme demain matin. Elle a été extraordinaire et je souhaite lui rendre la pareille. Très franchement, je pense que nous avons beaucoup de travail.
Les maisons France Services ont été évoquées à plusieurs reprises ce matin. Beaucoup de services y sont proposés. Je pense que certaines peineront à trouver des lieux de confidentialité pour écouter ces femmes en difficulté.
Je ne serai pas plus longue, bien qu'il y ait encore beaucoup à dire. Nous devons continuer à oeuvrer sur ces thématiques dans nos territoires ruraux.
Annick Billon, présidente . - Je remercie les collègues qui ont suivi cette table ronde en présentiel ou à distance. Les propos liminaires des intervenants ayant été complets, les questions sont peu nombreuses. Je laisse la parole à la Gendarmerie, remerciée à plusieurs reprises.
Lieutenant-colonel Denis Mottier . - Sur la question des campagnes d'information et de communication menées par la Gendarmerie, l'opération R-mess est déployée dans un certain nombre de départements. Il s'agit d'étiqueter les sachets de pains ou de pharmacie. Il est tout à fait possible de mener ces campagnes au niveau local, voire en collaboration avec le centre d'information et de recrutement (CIRFA) Gendarmerie, la Gendarmerie nationale et un mécène ou un financeur. La Gendarmerie est prête à poursuivre ses efforts dans ce domaine.
Une convention avec Carrefour nous permettra également de procéder à des étiquetages et à une diffusion dans tout son réseau, englobant les grands centres commerciaux, mais également supérettes. Nous sommes prêts à collaborer avec d'autres commerçants.
Sur la question de la confidentialité et de l'anonymat, nous ne pourrons pas aller à l'encontre de la nature même de la ruralité, bien que j'en comprenne la nécessité. Quasiment tout se sait dans un hameau ou un village. Une intervention de gendarmerie, même sans sirène ou moyens lumineux, y est remarquée, et entraîne des rumeurs ou des commentaires.
S'agissant de la double peine subie par une femme qui doit être déplacée, je rappelle que les mesures de justice précisent que c'est à l'auteur des violences de quitter le domicile. Nous nous heurtons toutefois, lors de nos interventions, à la notion de propriété. Dans le cas des agricultrices, les murs et l'exploitation n'appartiennent pas toujours à la victime. C'est alors extrêmement difficile, car s'y ajoute la volonté de la victime de quitter le lieu lui rappelant toutes les violences subies. Il n'y a pas de double peine. Nous faisons en sorte de satisfaire la victime pour qu'elle trouve une solution. Il s'agit parfois d'une fuite consentie. Il me semblait important de le préciser. Dans la ruralité, le départ de l'auteur des violences n'est pas toujours possible ou souhaitable.
Annick Billon, présidente . - Merci beaucoup. Paroles de Femmes et Les Chouettes peuvent maintenant réagir.
Betty Fournier . - Je voulais insister sur le rôle très important des délégués aux droits des femmes. Nous avons la chance dans le Tarn d'avoir été accompagnés par une déléguée pendant douze ans, et d'avoir été rejoints par une nouvelle déléguée. Elles sont très impliquées. C'est très important pour les associations. Depuis des années, une commission « Violences » est de plus menée par Madame la Préfète. Elle réunit tous les partenaires. S'y ajoutent des formations organisées par la déléguée aux droits des femmes avec le CIDFF pour former les gendarmes, les travailleurs sociaux et les associations. Nous pouvons ainsi réaliser un travail remarquable avec tout ce réseau. Nous travaillons en partenariat avec la gendarmerie, que nous voyons très régulièrement.
Nous avons dans le Tarn la chance de disposer d'un réseau remarquable.
Annick Billon, présidente . - Merci pour ces précisions.
Françoise Mar . - Je voulais revenir sur notre souhait d'ouvrir une maison des hommes violents dans la Drôme, à titre expérimental. Il en existe une à Arras, « Le Home des Rosati ». Nous avons essentiellement évoqué les femmes, mais nous avons tout à faire avec les hommes. En attente de jugement, ces hommes violents pourraient, sur la base du volontariat, faire un séjour dans cette maison qui a fait preuve de son intérêt en termes de récidive. Marlène Schiappa souhaite dupliquer ce dispositif très intéressant. J'imagine très bien cette expérience pilote dans notre département.
D'autre part, j'aimerais attirer votre attention sur un diplôme universitaire médical en formation continue, « Prise en charge des violences faites aux femmes vers la bientraitance ». Il s'adresse aux soignants en première ligne auprès des femmes : médecins généralistes, gynécologues, sages-femmes et kinés en rééducation du périnée. Il est dispensé à l'université Paris Descartes et à Grenoble en alternance. Ce diplôme permet aux soignants de créer ensuite leur réseau. Plusieurs soignants l'ont suivi dans la Drôme.
Enfin, plusieurs intervenants ont soulevé la question de la prévention. Le code de l'éducation prévoit des séances d'information et d'éducation à la sexualité de la maternelle à la terminale, y compris dans la formation professionnelle. Chez nous, ce n'est pas mis en place. C'est pourtant majeur pour faire évoluer les mentalités chez les enfants et chez les jeunes. J'ai discuté avec les proviseurs et directeurs d'écoles. Ils ont besoin d'informations et de séances clé en main gratuites. Ils sont débordés par de nombreuses sollicitations dans les écoles : écologie, civisme, gaz à effet de serre... Aucune obligation n'est faite à l'Éducation nationale concernant l'éducation filles-garçons.
Il existe par ailleurs à Lyon une structure intervenant dans toute la région Rhône-Alpes avec des conseillères conjugales et familiales ou celles du Planning familial. Ce n'est pas suffisant. Les retours des méta-analyses montrent que les messages auprès des enfants doivent être répétés. Un cours une fois tous les deux ans ne suffit pas. Ces sujets doivent être abordés plusieurs fois dans l'année, tout au long de la vie, pour que le discours prenne différentes formes et modifie les représentations dans la tête des enfants.
Annick Billon, présidente . - Merci à tous les participants de cette table ronde. Il ne sera pas simple d'extraire toutes les bonnes pratiques et propositions émises aujourd'hui. Elles ont été nombreuses. Nous avons pu observer que les départements ne manquaient pas d'ingéniosité dans la mise en relation. Je constate également la difficulté de travailler ensemble dont nous avions pu nous rendre compte lors du Grenelle . Les associations avancent, tout comme la Gendarmerie et les collectivités. Les actions sont variables en fonction de l'implication des uns et des autres. Je retiendrai notamment la proposition concernant la mise en place d'un intervenant social dans chaque gendarmerie, qui constituerait un bénéfice immédiat pour les victimes dans les départements. Je retiens également la proposition d'un référent identifié et formé dans chaque mairie. Vous l'avez souligné, il n'est pas possible d'aborder ces questions de manière complète et adaptée sans formation.
Nous allons poursuivre ce travail. Huit co-rapporteurs représentent des territoires variés. Lorsque je les présente, je n'oublie pas les outre-mer, trois sénatrices de cette délégation les représentant. Souvent, les problématiques de la ruralité sont amplifiées dans les territoires ultramarins. Nous faisions référence à l'anonymat et à la difficulté de s'échapper. Ces obstacles sont exacerbés sur une île.
Je vous remercie sincèrement pour votre participation et vos propositions. Nous ne manquerons pas de revenir vers vous pour vous informer des travaux de nos rapporteurs, fortement mobilisés sur le sujet. Le Sénat représente les territoires. Nous nous devions, en ce début de mandat suite aux élections de 2020, de nous emparer de ce sujet qui nous tient à coeur.
Table ronde sur
l'accès des femmes aux responsabilités
dans les
collectivités des territoires ruraux
et sur le rôle des
élus pour y faire avancer l'égalité
(4 mars
2021)
Présidence de Mme Annick Billon, présidente
Annick Billon, présidente . - Mes chers collègues, Mesdames et Messieurs. La délégation aux droits des femmes a décidé de procéder, en 2021, à un bilan de la situation des femmes dans les territoires ruraux, en abordant des sujets aussi divers que l'orientation scolaire et universitaire, l'égalité professionnelle, la santé, la lutte contre les violences et, bien sûr, la participation des femmes à la vie politique locale, l'accès des élues aux responsabilités mais aussi le rôle des élus, de façon générale, pour faire avancer l'égalité femmes-hommes dans les territoires ruraux, thème de notre table ronde de ce matin.
Je précise que notre délégation a désigné, pour mener à bien ce travail, une équipe de huit rapporteurs représentant tous les groupes politiques de notre assemblée et des territoires très divers : la Vienne, la Drôme, la Lozère, le Rhône, les Hautes-Alpes, la Haute-Garonne, le Finistère et la Dordogne.
Je rappelle également que cette réunion est diffusée en direct sur le site du Sénat et qu'elle est organisée à la fois au Sénat et à distance, en visioconférence. Je remercie ceux qui se sont connectés et les membres de la délégation aux collectivités territoriales qui sont avec nous ce matin également.
Notre table ronde aujourd'hui poursuit un double objectif : d'une part, faire le point sur l'accès des femmes élues aux responsabilités dans les collectivités des territoires ruraux et, plus généralement, sur le degré de participation des femmes à la vie politique locale dans ces territoires ; d'autre part, aborder le rôle et l'engagement des élus dans ces territoires pour faire avancer l'égalité entre les femmes et les hommes et faire valoir les bonnes pratiques locales en la matière.
Le premier axe de notre réflexion aujourd'hui concerne l'engagement politique des femmes et l'accès des élues aux responsabilités dans les collectivités territoriales des zones rurales.
À cet égard, nous aborderons notamment, avec nos invités, la question de la parité intégrale à l'échelon municipal et les conditions d'un plus grand accès des femmes aux responsabilités intercommunales. Nous verrons également comment les assemblées départementales ont été transformées par la parité, au point que celles et ceux qui y étaient autrefois opposés sont aujourd'hui acquis à la parité de ces assemblées.
Je rappelle que le 17 janvier 2019, notre délégation avait organisé une table ronde sur la question de la parité dans les intercommunalités. L'une des spécificités de ces instances communautaires réside en effet dans la faible représentation des femmes élues en leur sein, qui résulte notamment de la faible féminisation de la fonction de maire. La nécessité d'agir sur le levier municipal pour favoriser la féminisation des instances communautaires, où le plafond de verre reste très présent, semblait alors être une évidence, a fortiori parce que les communes de moins de 1 000 habitants représentent près des trois quarts des communes françaises.
Parmi les recommandations formulées en 2019 auprès de la délégation, figuraient notamment : l'extension des règles paritaires à toutes les communes, y compris aux communes de moins de 1 000 habitants actuellement non concernées par la parité ; l'élection des adjoints au maire sur une liste paritaire dans toutes les communes ; l'adoption du principe selon lequel le premier adjoint et le maire sont de sexe différent ; la mise en place d'une liste alternée paritaire pour les élections communautaires.
Nous nous étions également posé la question du « fléchage » des représentants des communes dans les intercommunalités et avions toutefois constaté que les organes délibérants des Établissement public de coopération intercommunale (EPCI) ne sauraient être détachés de la réalité municipale dans laquelle ils doivent restés ancrés.
S'agissant plus spécifiquement des territoires ruraux, sujet qui nous importe aujourd'hui, nous notons que plus de 20 % des maires de communes rurales sont des femmes contre 18 % pour les communes urbaines : c'est donc une dimension importante de la réflexion sur la ruralité. Cette proportion reste toutefois très insuffisante, de même que celle des femmes maires qui, depuis les élections municipales de 2020, est passée de 16 % à près de 20 %, soit une augmentation modeste même si cela représente 1 000 communes de plus confiées à une femme maire par rapport à la fin du mandat précédent.
Avec nos invités aujourd'hui, nous verrons si la réflexion a évolué depuis notre table ronde de 2019 et si les esprits sont mûrs pour évoluer dans le sens d'un égal accès aux responsabilités des femmes et des hommes dans toutes les collectivités. La question de la parité intégrale aux élections municipales, en faisant sauter le verrou des 1 000 habitants, sera notamment au centre de nos réflexions ce matin.
Rappelons d'ailleurs, à cet égard, que l'article 28 de la loi du 27 décembre 2019 relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique dispose qu'« avant le 31 décembre 2021, les dispositions du code électoral relatives à l'élection des conseillers municipaux et des conseillers communautaires sont modifiées pour étendre l'égal accès des femmes et des hommes aux fonctions électives dans les communes et leurs groupements ».
Le second axe de réflexion de notre table ronde a trait aux bonnes pratiques des collectivités territoriales pour faire avancer l'égalité dans les territoires ruraux, dans des domaines aussi divers que l'aide à la mobilité ou l'accueil des jeunes enfants, entre autres exemples.
Le renforcement de l'accès des femmes aux mandats et responsabilités électives constitue un gage d'égalité entre les femmes et les hommes qui souhaitent s'engager en politique. La féminisation des instances de décision favorise aussi une meilleure prise en compte, par les collectivités territoriales, des besoins spécifiques des femmes, à tous les âges de la vie, et des enjeux de l'égalité entre les femmes et les hommes.
Je me tourne donc maintenant vers nos invités afin qu'ils nous éclairent, par leur expérience et leurs témoignages, d'une part sur la spécificité du parcours des femmes élues dans les territoires ruraux, et d'autre part sur la prise en compte, par ces territoires, de l'égalité dans la mise en oeuvre des politiques publiques locales.
Ces témoignages nous aideront à formuler des recommandations destinées à renforcer l'engagement des femmes dans la vie politique locale ainsi qu'à favoriser l'égalité femmes-hommes dans les territoires ruraux.
Je les remercie d'être à nos côtés ce matin, dans cette salle au Sénat ou à distance derrière leur écran, et leur souhaite la bienvenue au Sénat.
Nous accueillons ainsi Nadine Kersaudy. Vous êtes maire de Cléden-Cap-Sizun dans le Finistère et représentez l'Association des maires ruraux de France (AMRF). Votre témoignage sera particulièrement éclairant pour notre délégation puisque vous êtes une élue des territoires ruraux, qui sont au coeur de nos travaux. Nous vous écouterons avec attention.
Nous donnerons ensuite la parole à l'Association des maires de France (AMF), représentée par Cécile Gallien, vice-présidente de l'AMF et maire de Vorey en Haute-Loire, et Édith Gueugneau, maire de Bourbon-Lancy en Saône-et-Loire, que notre délégation connaît bien. Nous les avons d'ailleurs entendues il y a quelques semaines sur la spécificité de la lutte contre les violences faites aux femmes dans les territoires ruraux.
Puis nous entendrons l'association Elles aussi , représentée par ses deux coprésidentes : Danièle Bouchoule et Reine Lépinay. Cette association avait alerté notre délégation, avant les élections municipales de 2020, sur les conséquences des fusions d'établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) en termes de dégradation de la féminisation des instances intercommunales.
L'Assemblée des communautés de France (AdCF) sera représentée par Catherine Louis, trésorière de l'AdCF, présidente de la Communauté de communes Forêts, Seine et Suzon. Elle nous apportera un éclairage indispensable sur l'échelon intercommunal.
L'Assemblée des départements de France (ADF) interviendra par la voix de Jean Galand, conseiller départemental de la Gironde, et de Perrine Forzy, vice-présidente du département de l'Eure. Ils partageront avec nous l'expérience d'assemblées entièrement paritaires depuis les élections des conseils départementaux de 2015 et donc à l'avant-garde institutionnelle en matière de parité.
Enfin, nous sommes ravis d'accueillir Julia Mouzon, présidente du réseau Élues locales qui est à mes côtés ce matin au Sénat. Elle fera notamment une présentation synthétique des premiers constats ayant émergé des réponses au questionnaire élaboré par notre délégation dans le cadre de son travail sur les femmes dans les territoires ruraux, diffusé à l'ensemble de ses adhérentes via la plateforme Elueslocales.fr .
Je donne donc tout d'abord la parole à Nadine Kersaudy, que je remercie une nouvelle fois, comme tous nos invités, de s'être rendue disponible pour nous ce matin.
Nadine Kersaudy, maire de Cléden-Cap-Sizun, représentant l'Association des maires ruraux de France (AMRF) . - Bonjour Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les sénateurs, chers collègues, bonjour à tous. Je suis maire d'une commune rurale et littorale du Finistère depuis 1995. J'étais la plus jeune maire du département à l'époque, ce qui m'a valu beaucoup de railleries puisque l'on m'appelait « la gamine ». À l'origine, je ne souhaitais pas devenir maire mais seulement m'inscrire sur une liste ouverte pour participer à la vie municipale. L'opposition a mal vécu mon élection et il a fallu que je fasse mes preuves. Nous étions très soudés au sein de notre équipe, ce qui m'a motivée pour la suite.
J'ai toujours eu à coeur que les femmes soient représentées. Début 1995, nous étions sept femmes, puis neuf lors de mon deuxième mandat et enfin huit lors du troisième. En 2014, l'élection s'est déroulée au scrutin de liste puisque ma commune comptait un peu plus de 1 000 habitants. Puis en 2020, nous avons appliqué le scrutin majoritaire plurinominal à deux tours. Il est bien dommage que le scrutin de liste ne concerne pas l'ensemble des communes car le scrutin majoritaire plurinominal à deux tours, avec le panachage, constitue un procédé archaïque. Que notre action plaise ou non, nous avons au moins le mérite de nous présenter au suffrage devant les électeurs pour faire avancer nos communes. Ce qui compte le plus, c'est de voir qu'avec notre équipe, nous parvenons à dynamiser et à apporter des services.
Depuis que je suis élue, je participe à un certain nombre de travaux, que ce soit avec l'Université de Bretagne occidentale (UBO), les associations d'élus et les réseaux comme Elles aussi ou Rien sans elles , afin d'encourager les femmes à s'engager en politique. Dans ma commune, je n'ai jamais eu de difficulté à convaincre des femmes de s'engager et je pense qu'il est même plus facile de trouver des femmes que des hommes. Mais les élus de terrain pourront faire tout leur possible pour inciter les femmes, si le statut de l'élu n'est pas amélioré, nous n'y arriverons pas. Avant chaque échéance électorale municipale, nous organisons des réunions sur ce sujet avec la préfecture du département ou au niveau régional ; nous avançons lentement mais le statut de l'élu est primordial. Nous faisons face à de fréquentes railleries ou à des « violences sexistes ». J'ai toujours pensé que sur une femme maire pesait l'obligation de résultat. Quand vous parlez et que vous êtes sûre d'avoir raison, vous êtes toujours confrontée à des interrogations d'hommes qui vous demandent si vous êtes vraiment sûre de ceci, qu'ils n'ont pas entendu parler de cela. Il faudrait changer les mentalités mais ce n'est pas simple ! Si nous organisons régulièrement des formations et animons des réseaux, il faudrait cependant que ce sujet fasse l'objet d'évolutions législatives.
Pour parler de l'intercommunalité, qui ne constitue d'ailleurs toujours pas une collectivité, je regrette infiniment que la loi, dès le départ, n'ait pas prévu a minima deux représentants de chaque commune pour assurer la parité. Peu de communes auraient contesté la parité dans ces conditions. Nous avons pu mettre en place ce dispositif au conseil départemental et nous pouvons nous réjouir de constater aujourd'hui l'existence d'instances paritaires. En outre, ne disposer que d'un seul délégué n'est pas compatible avec le fait que l'intercommunalité existe pour mener un travail d'équipe, pour développer un projet de territoire, pour faire à plusieurs ce qu'on ne peut pas faire seul.
Une ancienne élue de ma commune s'est rapprochée de son domicile dans une commune proche et s'est présentée lors des élections municipales de 2020. Je me dis alors que j'ai fait mon travail, en donnant envie à des femmes de participer à la vie politique au sein d'autres conseils municipaux. Cela est très encourageant et j'en parle en connaissance de cause car mes mandats ont été émaillés de projets difficiles à mener qui m'ont valu de nombreuses contrariétés, lesquelles n'auraient, selon moi, pas été infligées à un homme. J'ai vécu un mandat très compliqué de 2001 à 2008 mais en 2008, il ne manquait que 95 électeurs pour faire « carton plein ». L'équipe adverse nous diffamait sans cesse et les journaux nous insultaient. C'est là que nous avons constaté qu'un maire de terrain n'est qu'un simple maire et que même en allant au tribunal pour faire valoir nos droits, nous ne sommes pas grand-chose. Les électeurs nous ont cependant élus car ils ne voulaient pas travailler avec les personnes de l'équipe adverse. Mes collègues m'ont dit ensuite qu'ils n'auraient pas tenu le coup par rapport à tout ce que j'avais subi. Heureusement que j'avais une équipe soudée à mes côtés.
Un dernier point, le statut est vraiment primordial. Ma commune n'est pas soumise à la parité pour ces élections et j'ai quand même plus de femmes que d'hommes dans mon exécutif ; je n'ai qu'un seul homme adjoint. Mon ex-première adjointe m'avait indiqué, avant les dernières élections, qu'elle resterait conseillère mais qu'elle ne serait plus ma première adjointe car cela était compliqué au niveau de son travail et de sa vie familiale - elle a encore des enfants en bas-âge. J'assume toutes mes fonctions dont celle de vice-présidente de la communauté de communes, entourée d'hommes. Lors de ce mandat, le président a voulu mettre en place un bureau exécutif avec l'ensemble des maires, contrairement au mandat précédent au cours duquel le bureau était uniquement composé d'hommes et était très difficile à gérer en raison de relations compliquées et de problèmes d'ego. Le président actuel a souhaité nommer chacun des maires vice-président mais cela reste compliqué car les hommes, lorsqu'ils sont en désaccord avec le président, n'osent pas l'affronter.
Annick Billon, présidente . - Merci beaucoup, Madame la maire. Vous avez partagé avec nous votre expérience illustrant une volonté, un engagement de longue date et beaucoup de ténacité. Pour information, lorsque nous avions travaillé sur le sujet en 2019, l'AMRF était très opposée à cette avancée dans la loi pour les communes de moins de 1 000 habitants. Nous l'avons vu, l'engagement des femmes dépend également du statut de l'élu et de la possibilité de s'identifier à des modèles. Vous êtes un exemple, merci à vous pour votre témoignage.
Je cède maintenant la parole à l'Association des maires de France (AMF) qui est représentée par Cécile Gallien, vice-présidente de l'AMF et maire de Vorey en Haute-Loire, et Édith Gueugneau, maire de Bourbon-Lancy, en Saône-et-Loire.
Cécile Gallien, vice-présidente de l'Association des maires de France (AMF), maire de Vorey (Haute-Loire), coprésidente du groupe Égalité femmes-hommes de l'AMF . - Bonjour Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les sénatrices et sénateurs, Mesdames et Messieurs. Je suis ravie d'être parmi vous et vous remercie pour votre implication très forte vis-à-vis des femmes élues et des territoires ruraux. Je suis vice-présidente de l'AMF et nous allons parler à deux voix avec Édith Gueugneau puisque nous présidons toutes les deux un groupe de travail que nous avons créé il y a plus de quatre ans au sein de l'AMF lors du centième anniversaire du congrès des maires, au cours duquel nous avions organisé des forums sur la question de la présence des femmes dans les responsabilités locales.
Je suis maire d'une commune de 1 460 habitants l'hiver et je souhaiterais témoigner rapidement de mon parcours. J'ai construit une liste paritaire en 2008 bien que ce n'était pas une obligation car cela me tenait à coeur de parvenir à créer une liste la plus représentative possible, c'est-à-dire avec des personnes d'âges différents, de sexes différents, d'horizons différents. Dans une commune de taille moyenne comme la nôtre, les questions partisanes n'existent pas. Nous construisons des listes multicolores comprenant des hommes et des femmes de différentes sensibilités politiques, qui ont envie de donner de leur temps, de s'investir - car c'est avant tout du dévouement dans les petites communes. J'étais la première femme maire de ma commune, comme souvent parmi nous, puis je suis devenue vice-présidente de la petite intercommunalité rurale. Lors du regroupement des intercommunalités en 2017, de nombreuses femmes maires qui étaient vice-présidentes ne l'ont plus été ainsi que le prouvent des données à l'échelon national. Je suis également conseillère départementale. Nous avons créé un binôme de couleurs politiques différentes. Mon partenaire n'est pas venu me chercher, nous nous sommes trouvés ensemble. Or souvent, lorsque les modalités des scrutins départementaux ont été modifiées, les hommes ont eu l'obligation de composer un binôme paritaire. Le fait que nous ayons des conseillères départementales a ensuite permis d'avoir des femmes maires, cela leur a donné confiance pour aller devant les électeurs et elles ont été élues.
Par ailleurs, à l'AMF, nous sommes favorables au scrutin de liste dans les communes de moins de 1 000 habitants. Il y a peu de politique partisane dans les communes de moins de 1 000 habitants et il nous paraît essentiel de passer à un scrutin de liste car le panachage relève d'un autre temps. Nous avons ensuite souhaité la généralisation de ce scrutin de liste paritaire. En outre, nous nous posons la question de savoir si, dans les communes de moins de 1 000 habitants, il serait possible de proposer une liste comportant un nombre de candidats moindre que celui exigé quand ce minimum peine à être atteint, afin d'obtenir des listes paritaires. Nous pensons également qu'il ne faut pas diminuer le nombre d'adjoints dans les communes rurales car les adjoints sont des personnes dévouées aux rôles multiples. Au niveau de l'intercommunalité, il faut évidemment une bonne représentativité des territoires et des communes. Certaines intercommunalités ne se posent pas du tout la question de la parité, d'où une faible représentativité des femmes, notamment au niveau des exécutifs. Cela ne nous paraît pas être un grand pas que d'exiger au moins la parité au niveau de l'exécutif. Pourquoi pas, par ailleurs, mettre en place un système de bonus-malus au niveau des exécutifs intercommunaux, à savoir que plus les exécutifs tendent vers la parité, plus leur nombre de vice-présidents et de vice-présidentes serait élevé ? Nous avons également été auditionnés dans le cadre de la mission d'information de vos collègues députés qui travaillent sur cette question de l'égalité hommes-femmes dans la représentativité locale.
Édith Gueugneau, maire de Bourbon-Lancy (Saône-et-Loire), coprésidente du groupe Égalité femmes-hommes de l'AMF . - Bonjour Madame la présidente, bonjour Mesdames les sénatrices, Messieurs les sénateurs. Je suis Édith Gueugneau, maire d'une petite commune rurale de 5 000 habitants. Je suis élue depuis vingt-sept ans. J'ai commencé au sein d'un conseil municipal comprenant cinq femmes sur les vingt-neuf élus. Mon parcours est relativement atypique. J'ai beaucoup appris durant mes mandats de conseillère municipale et ensuite je suis devenue conseillère régionale à la faveur de la loi sur la parité. Je suis devenue par la suite présidente d'une communauté de communes, puis députée grâce à la loi relative à la parité, tout en continuant d'assurer mon mandat de maire. Aujourd'hui, je suis vice-présidente à la communauté de communes. J'ai plutôt été privilégiée car les hommes de mon territoire m'ont fait confiance. Je pense que bénéficiant d'une crédibilité, je n'ai pas souffert du positionnement des hommes. Il reste néanmoins des combats à mener en politique à plusieurs niveaux.
Je voudrais saluer le travail qui a été réalisé par l'AMF et toutes les associations d'élus. La mobilisation s'est faite et, grâce au congrès des maires, nous avons créé une émulation même si nous aurions pu espérer plus de candidats aux élections municipales. Je reste cependant très positive et je pense que la mobilisation doit continuer. L'AMF avait consulté les femmes et en entendant Nadine Kersaudy, nous nous apercevons que la conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle constitue encore aujourd'hui un véritable frein. Je connais plusieurs jeunes femmes qui souhaiteraient s'engager et qui sont extrêmement frustrées car le statut de l'élu ne leur permet pas de se libérer comme elles le voudraient. Il faudrait que nous puissions avancer sur ce sujet. Je voudrais également rappeler que l'AMF a publié en mars dernier un mémento pour sensibiliser tous les élus à l'égalité femmes-hommes dans les politiques publiques. Il faudrait que tous les élus se l'approprient, pour permettre cette parité dans l'exécutif mais également dans les commissions. Nous allons rediffuser un questionnaire similaire au précédent en insistant davantage sur le parcours de l'élu et en travaillant avec le Haut conseil à l'égalité car je pense qu'il faut faire avancer les lois et la place de la femme dans nos sociétés et dans les fonctions politiques. Nous devons vraiment trouver le moyen de garantir la parité. Nous voyons que dans les petites communes, il n'y a aucun souci pour trouver des femmes souhaitant s'engager ; j'ai moi-même trouvé plus de femmes que d'hommes. Penser que les femmes ne souhaitent pas s'engager est donc un faux problème. Mais quand elles le font, elles veulent tout donner et c'est leur disponibilité qui les pénalise.
Annick Billon, présidente . - Merci beaucoup pour votre présentation à deux voix pour l'AMF. Vous avez parlé du statut de l'élu pour lequel des progrès ont déjà été accomplis avec la loi de 2019, je l'ai dit dans mes propos liminaires, mais il faut avancer davantage. Désormais, je donne la parole à Danièle Bouchoule et Reine Lépinay, qui représentent ensemble l'association Elles aussi .
Danièle Bouchoule, coprésidente de l'association Elles aussi . - Bonjour à toutes et à tous et merci à Madame la présidente et à la délégation de donner à l'association Elles aussi l'occasion de présenter quelques conclusions des enquêtes récentes qu'elle a menées. Concernant l'accès des femmes aux responsabilités dans les collectivités rurales, le constat incontournable est le suivant : après les élections de 2020, nous sommes encore très loin de la parité dans les petites communes de moins de 1 000 habitants et dans les conseils communautaires pour lesquels aucune loi paritaire n'existe de manière contraignante. En zone rurale, dans les communes de moins de 1 000 habitants où il n'existe aucune contrainte paritaire, 34,6 % seulement des conseillers municipaux sont des femmes. La sous-représentation des femmes est flagrante dans les intercommunalités avec 36 % de femmes dans les conseils, 25,6 % dans les vice-présidences et seulement 11,6 % dans les présidences. Ces statistiques sont bien sûr le résultat de l'insuffisance du système actuel de fléchage pour les conseils communautaires et de l'absence totale de contrainte dans leurs exécutifs. Nous remarquons que les femmes président majoritairement des EPCI de petite taille, souvent dans la ruralité. Elles président 12,5 % des EPCI de moins de 15 000 habitants et seulement 8,7 % des EPCI de plus de 300 000 habitants.
Madame la présidente, dans son propos introductif, a rappelé l'exigence de l'article 28 de la loi Engagement et proximité. Nous prenons acte du lancement de la mission de l'Assemblée nationale sur ce sujet, qui doit publier son rapport au printemps 2021. Nous formons des espoirs pour des avancées efficaces. Nous pensons que ces évolutions législatives amèneront des solutions et lèveront notamment le frein culturel qui appartient à notre histoire, laquelle a pendant très longtemps exclu les femmes de la citoyenneté. Nous pouvons citer de nombreuses situations où les femmes ont été oubliées, des reconductions de vieux modèles inégalitaires, de stéréotypes dans la vie politique comme d'ailleurs dans la vie professionnelle, familiale, sociale et domestique. Nous pouvons également dire qu'il existe dans la ruralité des freins particuliers qui limitent l'engagement des jeunes femmes. Il s'agit notamment de difficultés de transport et de mobilité ou d'offres d'emploi plus réduites. Nous savons que les femmes souhaitent conserver leur activité professionnelle pour garder leur autonomie, d'où une difficile conciliation entre mandat et profession. Il existe également des difficultés liées aux offres d'accueil des jeunes enfants, à l'éloignement des offres d'activité culturelles et sportives et de soins.
Quelles sont les préconisations de l'association Elles aussi pour un meilleur accès aux responsabilités politiques ? À Elles aussi , nous pensons premièrement qu'il faut un scrutin de liste paritaire alterné pour les communes de moins de 1 000 habitants comme pour les autres communes. Pourquoi traiter à part les petites communes dans la loi républicaine ? Il s'agit finalement d'une question de démocratie et d'égalité entre tous les territoires de la République. L'objection souvent entendue selon laquelle nous ne trouverons pas suffisamment de candidates a été mise en défaut en 2000, en 2007 et en 2013. Nous trouvons des femmes si nous les cherchons et c'est souvent assez facile dans les petites communes car les gens se connaissent. À l'objection sur le risque d'anti-constitutionnalité ou sur le risque d'absence de confrontation démocratique dans le cas où il n'existerait qu'une liste, nous répondons que dans de nombreuses communes de 1 000 à 3 000 habitants, il n'existait qu'une seule liste en mars 2020, notamment en Bretagne ; or le résultat a été validé par les préfectures.
Deuxièmement, dans les exécutifs locaux des communes et intercommunalités, nous préconisons d'élire le bloc exécutif (maire-adjoint/adjointe ou présidence/vice-présidence) sur une liste paritaire alternée. Nous pensons que ce tandem paritaire constituera un symbole fort de la légitimité des femmes à occuper des postes de responsabilité, un symbole du refus du plafond de verre et un moyen d'utiliser les compétences des femmes. Nous abordons ainsi la question de la parité à la fois quantitative et qualitative dans les exécutifs locaux. C'est tout à fait possible, il faut de la volonté politique. En Bretagne par exemple, sur cinquante-quatre EPCI, nous trouvons dix exécutifs quasiment paritaires et pourtant il n'existe pas de loi contraignante.
Troisièmement, dans les conseils communautaires, qui constituent des instances regroupant de très nombreuses compétences où la sous-représentation des femmes est flagrante, si le fléchage est maintenu, il ne garantit pas la parité et ne peut qu'être provisoire me semble-t-il. Nous rencontrons inévitablement un sérieux problème avec le fléchage, ayant trait à la question des petites communes qui n'y envoient qu'une seule personne, le maire dans 80 % des cas. Nous préconisons de favoriser la création de communes nouvelles par fusion de petites communes, ce qui permettrait d'augmenter le nombre de membres représentés à l'intercommunalité, de favoriser la parité et d'augmenter le poids de ces communes au sein de l'intercommunalité, d'augmenter l'efficacité de la gestion communale par mise en commun de services, de compétences. Enfin, en Europe, le nombre important des petites communes françaises est tout à fait particulier. Nous pouvons également penser qu'il faut assouplir le fléchage actuel pour que le maire, un homme dans 80 % des cas, ne soit pas automatiquement envoyé à l'intercommunalité, ce qui permettrait de participer au non-cumul des mandats, à la conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle. Il faut enfin donner à la conférence des maires tout son poids avec un rôle de réflexion et de préparation des orientations stratégiques. La deuxième possibilité qui nous semble la meilleure a trait à l'élection du conseil communautaire au scrutin direct avec liste paritaire alternée. Il s'agirait premièrement d'appliquer cette méthode aux vingt-et-une métropoles. L'article 54 de la loi modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, dite « loi MAPTAM » prévoyait une telle élection. Nous pouvons nous inspirer de la métropole de Lyon et du scrutin des élections régionales. Nous pouvons dire que la parité est possible puisque dans la métropole de Lyon, le conseil métropolitain est paritaire ainsi que le bloc exécutif. La deuxième étape consisterait à étendre ce scrutin direct à toutes les intercommunalités sur le principe de l'égalité entre tous les territoires de la République et favoriser ainsi la parité dans toutes les métropoles et toutes les intercommunalités. À l'objection entendue selon laquelle les élus communautaires ne seraient pas automatiquement membres des conseils municipaux, nous répondons que les sujets traités par les communes et par les intercommunalités sont différents, que bien évidemment les élus communautaires et les élus municipaux se concerteront, ce qui relève du débat démocratique et d'une représentation élective transparente et constructive ; nous estimons également que cela participe au non-cumul des mandats, avec toutes ses conséquences bénéfiques.
Quatrièmement, nous avons d'autres préconisations, d'abord en termes d'avancées complémentaires dans les limitations des cumuls de mandats (mandats simultanés et mandats dans le temps). Des avancées ont été réalisées mais il en faut encore progresser. Il est ensuite nécessaire de prévoir des avancées sur le statut de l'élu local, au-delà des avancées de 2015 et de 2019. Il s'agit de verser des indemnités à la hauteur du travail, de favoriser les formations d'élus quelle que soit leur fonction, de soutenir les bilans et les validations d'acquis, d'informer les candidats et les candidates qui ne sont ni élus ni adhérents d'un parti pour favoriser l'engagement des femmes, et enfin de penser à la place des femmes dans la ruralité dans les syndicats de communes et dans les pôles d'équilibre territorial et rural. Il n'existe aucune règle paritaire dans ces instances sur lesquelles une attention particulière doit être portée.
Annick Billon, présidente . - Je vous remercie.
Reine Lépinay, coprésidente de l'association Elles aussi . - Bonjour Madame la présidente, bonjour Mesdames les sénatrices, Messieurs les sénateurs, bonjour Mesdames et Messieurs, je vais intervenir sur le rôle des élus pour faire avancer l'égalité entre les femmes et les hommes. Tout d'abord, je dirais que le partage du pouvoir en politique aura pour effet de construire une société plus égalitaire entre les femmes et les hommes. À noter également que toute mesure favorisant cette égalité peut aider les femmes à s'engager sur des postes à responsabilité à la fois dans le domaine professionnel et dans le domaine politique, là où justement la difficile conciliation entre les deux fait débat. Je vous propose de présenter mon propos en deux temps, en vous parlant dans un premier temps des outils existants ou à créer qui peuvent faire avancer cette égalité, puis en exposant des actions locales concrètes.
En ce qui concerne les outils, nous pouvons recenser deux outils existants et un troisième qui pourrait être créé. Le premier outil existant, qui date de 2005-2006, est la Charte européenne pour l'égalité femmes-hommes dans la vie locale . Il s'agit d'une charte basée sur six principes, développée par le Conseil des communes et régions d'Europe (CCRE). Elle peut constituer un premier guide pour les collectivités locales, afin de trouver des idées et faire avancer l'égalité femmes-hommes. Encore faut-il évidemment que cet engagement soit souhaité et respecté, ce qui est lié à une volonté politique. Le deuxième outil correspond à l'article 61 de la loi du 4 août 2014 pour l'égalité femmes-hommes qui demande aux communes et aux EPCI de plus de 20 000 habitants de mener sur leur territoire des politiques publiques d'égalité à partir de 2016. Est associé à cet article de loi un guide de conseils édité conjointement en 2015 par le ministère du droit des femmes et le centre Hubertine Auclert, de la région Ile-de-France. Or il existe un réel problème d'application de cette disposition de la loi, en l'absence d'évaluation, de contrôle et, le cas échéant, de sanctions. Nous pourrions imaginer un troisième outil, à savoir la création d'un poste d'adjointe à l'égalité pour toutes les communes et un poste de vice-présidente à l'égalité femmes-hommes dans toutes les intercommunalités.
Venons-en aux actions, parmi lesquelles nous pourrions répertorier plusieurs mesures, dont certaines pourraient être rapidement adoptées tandis que d'autres devraient l'être dans un avenir plus lointain, les changements de mentalité prenant du temps. Nous pourrions déjà envisager des actions dans le domaine des politiques publiques, notamment en appliquant le principe d'égaconditionnalité lorsque les collectivités accordent des aides, des subventions, ou établissent des conventions avec de l'argent public. Nous savons que toutes les collectivités subventionnent des associations et nous pourrions imaginer que la subvention soit conditionnée au strict respect de l'égalité femmes-hommes dans ces associations. Par ailleurs, nous pourrions imaginer prendre en compte à la fois les attentes des hommes et des femmes et équilibrer les réponses apportées localement, dans le cadre d'un budget « genré ». Cela relève encore une fois d'une volonté politique. Dans le domaine social, nous pouvons agir, surtout dans les communes. Le rôle du centre communal d'action sociale (CCAS) est très important auprès de la population. Il peut recueillir des témoignages, orienter, informer, être vigilant au sujet des violences sexuelles et sexistes dont nous parlons beaucoup aujourd'hui, ces problèmes étant particulièrement prégnants dans les territoires ruraux où il est plus difficile pour les femmes de pouvoir faire part de ce qu'elles vivent. Dans le domaine périscolaire, à la charge des communes, nous pourrions imaginer de renforcer l'éducation à la citoyenneté et l'engagement des jeunes, sans bien sûr oublier l'égalité femmes-hommes. Ce n'est pas difficile à mettre en place et relève encore une fois de choix à faire au niveau politique. Il serait également possible de promouvoir l'éducation sur l'égalité filles-garçons dans tous les domaines, qu'il s'agisse du domaine professionnel, familial, politique, associatif ou de la citoyenneté. Tout cela peut être imaginé au sein même des communes, y compris au sein des plus petites communes. Dans l'organisation des offres culturelles et sportives, nous pouvons imaginer en permettre l'égal accès aux filles, aux garçons, aux femmes et aux hommes et promouvoir l'image de la femme ou des femmes créatrices dans tous les domaines, par des expositions, des rencontres et des spectacles tout au long de l'année - et pas uniquement le 8 mars. Nous pouvons également favoriser les liens entre les acteurs locaux investis en faveur de l'égalité en organisant des rencontres entre tous ces acteurs pour rendre leurs actions visibles et promouvoir l'égalité femmes-hommes. Enfin, dans les transports et les espaces publics, les élus peuvent jouer un rôle et améliorer la place occupée par les femmes, par exemple dans les écoles, où j'avais l'idée du partage des cours de récréation. Certains maires se sont penchés sur cette problématique puisque les écoles relèvent de la compétence des communes. Nous pouvons aussi réfléchir à ce que les femmes et les hommes aient un accès équitable aux sports qui leur conviennent et qu'ils ou elles choisissent.
Je terminerai en disant que le partage du pouvoir politique aura pour effet de construire une société plus égalitaire. Nous pouvons mener des actions égalitaires pour permettre aux femmes de s'engager plus facilement en politique et dans la gestion communale. Il existe deux moteurs essentiels pour l'engagement des femmes dans les responsabilités politiques : l'éducation de toutes et de tous sur le principe de l'égalité femmes-hommes et l'engagement professionnel des femmes qui est seul en capacité de leur donner une autonomie financière ; c'est cela qui permet une liberté de choix dans l'engagement politique. Aujourd'hui, pour beaucoup d'entre elles, le renoncement à un mandat politique s'apparente à un non-choix ; il ne tient donc qu'à nous de faire avancer les choses, spécifiquement par la loi. Je vous remercie.
Annick Billon, présidente . - Merci beaucoup pour toutes ces pistes de réflexion. Nous le voyons, la loi n'est pas la seule qui pourra améliorer la situation. Je ne doute pas que vos propositions vont probablement faire réagir nos collègues, notamment s'agissant de la question du cumul des mandats, que les parlementaires connaissent bien. Bien souvent, un cumul limité est gage de fluidité et d'efficacité. Les propositions concernant les communes nouvelles ont été assez surprenantes : un avantage financier avait été proposé pour les favoriser, mais la création de communes nouvelles a parfois été vouée à l'échec, au point que certains aimeraient aujourd'hui dénouer ces liens. Concernant les scrutins pour les intercommunalités, déconnecter l'intercommunalité de la commune n'a pas de sens à mon avis aujourd'hui car les deux sont liées. L'intercommunalité doit être au service de la commune et les compétences des élus doivent faire avancer l'intercommunalité dans le sens des communes. C'est un avis personnel et je ne doute pas que tous les élus présents ne manqueront pas de réagir à ces propositions. Merci pour toutes les propositions positives qui ont été faites par l'association Elles aussi .
Je donne la parole à Catherine Louis, présidente de la Communauté de communes Forêts, Seine et Suzon, et qui représente aujourd'hui les intercommunalités de France.
Catherine Louis, trésorière de l'Assemblée des communautés de France (AdCF), présidente de la communauté de communes Forêts, Seine et Suzon . - Merci Madame la présidente, Mesdames les sénatrices, Messieurs les sénateurs, Mesdames et Messieurs les élus bonjour. Je voudrais énoncer quelques constats par rapport à la situation de 2020, et tout d'abord un constat tout à fait positif quant au nombre de femmes élues dans les conseils intercommunaux. Depuis juillet 2020, les conseils communautaires sont composés de 35,8 % de femmes élues, ce qui est plutôt encourageant par rapport à ce qui existait préalablement. Un autre constat observé par rapport au critère géographique concerne l'âge dans la féminisation des intercommunalités. Des analyses ont été réalisées par l'AdCF sur les équipes installées depuis juillet et nous pouvons en tirer les enseignements suivants : la part des femmes au sein de ces conseils communautaires est plus importante avec une progression de 4,4 points portant le nombre de femmes à 35,8 % au sein des conseils communautaires. Cette augmentation tient au scrutin fléché et à l'obligation de parité dans les communes de 1 000 habitants et plus. Ce sont également les intercommunalités les plus peuplées qui, sans surprise, font état d'une plus grande proportion de femmes au sein de leur conseil : 39,1 % dans les communautés de plus de 300 000 habitants contre 31,8 % dans celles de moins de 15 000 habitants. La progression est plus nette dans les intercommunalités plus denses, et notamment dans les communautés urbaines et les métropoles (19,4 % contre 12,5 % dans les communautés de moins de 15 000 habitants). Concernant les fonctions exécutives, la part des femmes progresse également puisqu'un quart des vice-présidents sont des femmes depuis juillet 2020 (25,6 % contre 20,1 % avant les élections municipales de 2020). Une étude à l'échelle régionale montre que la proportion des femmes dans les conseils communautaires est plus forte dans l'ouest de la France, notamment dans les Pays de la Loire et en Bretagne, ainsi qu'en outre-mer. Elle atteint 48 % à La Réunion. Il existe également une variation selon l'âge puisqu'il s'avère que plus la tranche d'âge étudiée est jeune, plus la part des femmes est importante : 44 % des élus communautaires de moins de 35 ans sont des femmes. Cependant, cette tranche d'âge est proportionnellement faible. La parité est quasiment atteinte parmi les élus de 35 à 39 ans, les femmes y représentant 47 % des élus, alors que les élus de plus 75 ans sont des femmes dans seulement 19 % des cas.
Concernant ces chiffres que je viens d'énoncer, il existe des analyses et des propositions à faire. Les propositions portées par l'AdCF sont les suivantes : l'AdCF étudie déjà depuis plusieurs années la féminisation de la vie locale et la parité entre les femmes et les hommes au sein des intercommunalités. Le constat partagé par les différentes parties est celui du déséquilibre résultant, comme dans de nombreux secteurs, de freins sociologiques, de choix et de contraintes relatifs à la vie personnelle et professionnelle, et du plafond de verre. Se pose aussi le constat du mode de désignation et d'élection du conseil communautaire qui ne contribue pas à améliorer la parité. L'élection des conseillers communautaires et métropolitains au suffrage direct par fléchage sur la liste paritaire dans les communes de 1 000 habitants et plus constitue depuis 2014 une certaine avancée. Il faut noter et souligner les points positifs lorsqu'ils existent. Il faut cependant continuer à travailler sur cette parité, notamment dans le champ institutionnel. L'élection des conseillers communautaires au scrutin de liste dans les communes de plus de 1 000 habitants a contribué à améliorer la parité. Il existe cependant quelques biais au fait que l'élection se déroule dans le cadre de la circonscription communale. La garantie apportée en matière de parité est moins mécanique au sein d'un conseil communautaire élu sur plusieurs circonscriptions communales qu'au sein d'un conseil municipal élu sur une seule circonscription. Par exemple, si toutes les têtes de liste communautaires sont des hommes dans les communes, un déséquilibre sera constaté, y compris sur les communes qui comptent plus de 1 000 habitants. Dans le champ des conditions d'exercice des mandats, nous pouvons noter quelques obstacles fréquemment avancés par les élus, qui s'inscrivent dans le cadre des réalités sociales. La conciliation entre vie privée et mandat électif peut représenter des freins pour certaines femmes. Il existe également des difficultés familiales dans la société dans laquelle nous vivons, plusieurs femmes vivant au sein de familles monoparentales. Ces situations se posent davantage pour les femmes que pour les autres élus, et nous pouvons comprendre que cela engendre des problèmes de gestion du temps et pour payer les frais qui en découlent - garde d'enfants notamment. Autre constat récurrent, les femmes consacrent en moyenne plus de temps aux tâches domestiques familiales et cela représente un frein pour celles qui souhaiteraient exercer un mandat.
L'AdCF a pris position en faveur de la généralisation du scrutin de liste pour l'élection des conseillers municipaux dès le premier habitant, qui pourrait apporter des améliorations en termes de parité au sein du conseil communautaire. À partir de deux sièges, le mode de répartition des sièges entre les listes en vigueur (attribution d'une prime majoritaire suivie d'une répartition proportionnelle à la plus forte moyenne) a pour effet d'attribuer une grande partie des sièges à la liste arrivée en tête. La représentation d'une liste concurrente n'est envisageable qu'à partir de quatre sièges, sous réserve des résultats obtenus. La conséquence en serait une certaine féminisation en raison de la garantie pour une liste d'obtenir les deux sièges. Il est important de le souligner et de voir de quelle manière nous pourrions travailler sur une telle proposition. Si la généralisation du scrutin est souhaitable, il y a donc lieu de relativiser ses effets en matière de parité au sein des conseils communautaires. Ceci est encore plus prononcé s'agissant des bureaux des exécutifs communautaires car leurs membres, qu'il s'agisse des vice-présidents éventuels ou d'autres membres ayant vocation à recevoir une délégation, sont élus au scrutin uninominal et la pratique donne à voir que ce sont très souvent des maires qui sont élus. L'AdCF soutient les initiatives visant une gouvernance impliquant les communautés et les métropoles. Nous soulignons également souvent le rôle des maires dans la construction et l'animation de l'intercommunalité. L'hypothèse que chaque commune soit représentée a minima par deux sièges au sein des conseils communautaires et métropolitains irait dans le sens d'une plus grande parité mais risquerait d'être source de complications importantes dans la gouvernance d'intercommunalités plus vastes que par le passé. Elle augmenterait sensiblement les effectifs déjà importants de certains organes délibérants et bousculerait les équilibres trouvés en matière de répartition des sièges entre les communes membres selon leur taille géographique, en accentuant notamment le phénomène qui s'observe déjà de sous-représentation des communes intermédiaires. Le mode d'élection des bureaux des exécutifs communautaires est l'objet de nombreuses demandes d'évolution à plusieurs titres. Le scrutin uninominal en vigueur rend difficile la féminisation des effectifs intercommunaux dans un contexte où rien ne garantit la féminisation. Le scrutin uninominal rend les séances de l'élection des membres du bureau très longues, étant donné que la majorité absolue est requise aux deux tours du scrutin. Le scrutin uninominal ne favorisera pas la constitution d'une équipe exécutive solidaire autour du ou de la présidente. L'élection au scrutin de liste permettrait de répondre à ces différentes considérations, dont celle relative à la parité dans la mesure où un scrutin de liste ne peut être que paritaire. La pratique montre que les bureaux comptent très souvent presque exclusivement des maires masculins, l'élection des bureaux au scrutin de liste amènerait à en réduire la taille de façon à ce qu'il y ait suffisamment de femmes. Une étude à l'échelle régionale qui a été menée par l'AdCF montre que la proportion des femmes dans les conseils communautaires est plus forte dans l'ouest de la France.
S'agissant des différents dispositifs, constats et propositions que l'AdCF a pu porter au regard de la féminisation, il faut un accompagnement soutenu par les différentes associations d'élus pour encourager les femmes à s'investir au sein des conseils communautaires. Il est vrai que cela est peut-être un peu plus difficile dans les territoires ruraux que dans les territoires urbains plus densément peuplés et présentant des volontés plus ancrées de femmes pour s'investir en politique. Il faut un véritable encouragement qui soit porté par nos instances et par les associations d'élus, et une communication pour encourager les femmes à s'investir beaucoup plus au sein des instances politiques. Il faut également que les élus actuels, hommes et femmes, puissent encourager les femmes à s'investir fortement dans nos instances intercommunales pour que la parité soit bien représentée, comme nous l'appelons de nos voeux, en tant que femmes déjà fortement investies dans de nombreuses instances. Le travail doit être porté beaucoup plus largement, au niveau de toutes les instances qui existent aujourd'hui sur notre territoire national.
Annick Billon, présidente . - Merci pour toutes ces propositions. Je vais donner la parole à l'Assemblée des départements de France qui sera portée à deux voix par Jean Galand, conseiller départemental de la Gironde, et Perrine Forzy, vice-présidente du département de l'Eure.
Jean Galand, conseiller départemental de Gironde, représentant l'Assemblée des départements de France (ADF) . - Je voudrais témoigner de mon expérience de terrain, celle d'un maire d'un petit village rural de 2 500 habitants, élu depuis vingt ans et ayant toujours prôné la parité au sein de son conseil municipal, mais aussi mon expérience de conseiller départemental élu lors du dernier mandat en 2015. C'est la force de la loi qui a conduit à la parité dans les conseils départementaux. Avec le recul d'une mandature qui a été totalement paritaire, le bilan au sein des conseils départementaux est largement positif. Je cite l'exemple de la Gironde, dont le président est un homme, mais dont huit des quinze vice-présidences sont occupées par des femmes. L'initiative qui a été mise en place a, dès le départ, dépassé ce que la loi exigeait en exprimant la volonté de créer une mission égalité femmes-hommes au sein du département, représentée par un binôme paritaire et ayant pour mission une action à la fois interne et externe. L'action interne a porté sur la création de jurys totalement paritaires s'agissant du recrutement, sur la création d'une cellule d'écoute pour tous les problèmes internes rencontrés autour de l'égalité femmes-hommes, les violences et le harcèlement. Quant au niveau externe, il s'agissait de mettre en place une exemplarité départementale vis-à-vis du grand public mais également, parce que le département est garant des solidarités territoriales et humaines, de se montrer exigeant en termes de parité et d'égalité. Par exemple, au sein de la commission d'appel d'offres, il faut vérifier que toutes les entreprises sollicitant un marché public présentent un rapport sur l'état de l'égalité femmes-hommes, et pas simplement une intention. Par le biais de la solidarité territoriale exprimée au niveau des communes, il s'agit par ailleurs de faire en sorte que toutes les subventions versées soient attribuées selon des critères liés à l'égalité femmes-hommes, relatifs notamment à un accès équitable aux infrastructures qui sont subventionnées. Au même titre que cela a été fait au regard du respect des exigences environnementales, il s'agit de mettre en place des critères de sélection permettant que l'égalité femmes-hommes soit entièrement respectée sur le territoire. Enfin, la charte européenne sur l'égalité des droits entre les hommes et les femmes a été signée au niveau départemental et il est souhaité qu'elle soit déclinée au niveau des intercommunalités et des communes qui adhèrent à cette intercommunalité, afin que tout le maillage du territoire puisse être couvert. Il s'agit d'une avancée importante. Au bout de six ans de mandat, j'ai vraiment le sentiment que les choses ont beaucoup changé au niveau départemental.
Perrine Forzy, vice-présidente du conseil départemental de l'Eure, représentant l'Assemblée des départements de France (ADF) . - Mesdames et Messieurs, bonjour. J'apprécie beaucoup les propos de mon collègue conseiller départemental sur les bienfaits de la parité obligatoire à l'échelle des conseils départementaux. Il faut quand même reconnaître que cela n'a pas été simple pour y parvenir.
J'ai le souvenir qu'en début de mandat en 2015, au moment de la constitution des commissions, je me suis insurgée lorsqu'il nous a été proposé une commission à l'action sociale uniquement féminine et une commission des finances uniquement masculine. J'ai réalisé qu'une prise de conscience ne s'était pas opérée. Ce n'était sans doute pas intentionnel et beaucoup de femmes trouvaient cela normal, beaucoup d'hommes trouvaient cela normal aussi mais personnellement, cela me choquait et heureusement, un collègue m'a cédé sa place au sein de la commission des finances, mais quelques mois plus tard, il m'a été proposé de prendre la vice-présidence de la commission à l'action sociale, ce que j'ai accepté.
Pour ma part, j'ai un parcours semblable à beaucoup d'autres. Je m'étais présentée au départ aux élections départementales en 1998 ; j'avais à peine quarante ans. Un ancien conseiller général était venu me chercher alors que je venais d'être élue maire. Je n'ai pas été élue, ce que je n'ai pas regretté car il m'aurait été difficile d'élever mes quatre enfants, en bas âge à l'époque, tout en menant de front mon mandat de maire, ma fonction de mère de famille et celle d'élue d'un conseil départemental ! Cela ne m'a pas empêchée d'occuper quatre mandats de maire, deux mandats de présidente d'intercommunalité, dont le dernier d'une intercommunalité agrandie à plus de 30 000 habitants, sachant que j'étais la présidente de la plus petite intercommunalité, ce qui montre que le plafond de verre n'est pas aussi difficile à briser qu'on le pense.
Je pense que les profils très différents apportés par la féminisation des conseillers départementaux est une bonne chose. Cela a amené de la fraîcheur et une manière différente d'aborder les sujets. Je remarque quand même qu'il existe une forme d'entre soi chez beaucoup de collègues masculins, certains groupes restent encore assez fermés et je pense que cela est davantage dû à une façon d'être entre hommes, peut-être à une forme de grivoiserie ou de gauloiserie. Ils ne sont pas forcément très à l'aise lorsque nous intégrons leur groupe car cela modifie leur manière de se détendre. Je pense que cela relève d'habitudes de travail à développer dès le plus jeune âge, afin que chacun trouve sa place au sein de groupes mixtes.
Je me retire petit à petit de la vie politique après quatre mandats de maire, deux mandats de présidente d'intercommunalité et un mandat de conseillère départementale. J'arrive à un stade de ma vie où d'abord je trouve qu'il est important de laisser la place à d'autres, notamment au niveau de la commune de 330 habitants que j'accompagnais jusqu'ici ; je pense également qu'il y a des âges, pour les femmes, où elles peuvent avoir envie de privilégier leur vie de jeune mère, ou bien comme moi en ce moment, de privilégier leur temps de grand-mère et d'épouse d'homme à la retraite. Il faut laisser chaque femme choisir et trouver la manière de s'investir mais il est difficile de repérer ces femmes. Pendant deux mandats, j'étais la seule femme maire de mon canton. Petit à petit, cela se féminise mais aujourd'hui, je dois réfléchir afin de trouver le profil de la femme qui voudra s'investir et dont le mari, le conjoint, sera prêt à l'accompagner car je pense que c'est important. Une conseillère municipale de mon équipe s'est retrouvée par deux fois enfermée en dehors de sa maison en rentrant d'un conseil municipal car son mari avait mal vécu le fait que je l'ai sollicitée plutôt que lui ! Il s'agit d'une réalité, certains conjoints peuvent encore aujourd'hui difficilement accepter le rôle de leur femme. Il existe donc la question de l'appétence de la femme mais également celle du couple. La question de la mobilité est également primordiale ; j'habite à une heure et quart de trajet de l'Hôtel du département et il est vrai qu'en milieu rural, trouver le temps de s'investir n'est pas forcément facile.
S'agissant de la parité dans les intercommunalités, j'ai réussi à composer des conseils municipaux paritaires sans y avoir été obligée, le fait qu'il n'y ait qu'un seul délégué par commune rurale ne facilite pas la parité dans les intercommunalités et cela semble être le point focal sur lequel il faut travailler de manière plus spécifique.
Annick Billon, présidente . - Merci pour votre témoignage de terrain. Je vais céder la parole à la dernière intervenante, Julia Mouzon, présidente du réseau Élues locales . Je remercie tous les collègues présents mais également ceux qui sont en visioconférence car ce matin, nous avons la chance d'accueillir les membres de la délégation aux collectivités territoriales dont la présidente, notre collègue Françoise Gatel, s'excuse de ne pas pouvoir être présente.
Julia Mouzon, présidente du réseau Élueslocales . - Merci beaucoup Madame la sénatrice, merci aux délégations de mener ces travaux qui sont nécessaires car, comme le montrent les résultats de l'étude que je vais vous présenter et qui a été menée sur la base d'un questionnaire que nous a adressé votre délégation, les femmes élues de la ruralité sont effectivement aux prises avec des enjeux particuliers. Avant de présenter cette étude, je voudrais aussi saluer cette recherche d'égalité et cette attention portée aux femmes dans la ruralité. Cette notion d'égalité est pour nous toutes et tous très importante. Cela se traduit d'ailleurs aujourd'hui par le fait qu'en France, nous avons des lois sur la parité qui sont absolument uniques au monde, je tiens à le saluer. Nous nous inscrivons dans une direction que je trouve très positive. Nous avançons de manière très volontaire et ambitieuse sur ces sujets, dont celui de la lutte contre les violences conjugales qui vient d'être évoqué. Je salue le travail parlementaire qui contribue à cette recherche constante d'égalité entre nos concitoyennes et concitoyens.
Elueslocales.fr est un organisme de formation des élues qui anime en parallèle un réseau de femmes élues. Nous formons à peu près 1 000 femmes élues tous les ans et nous avons un réseau d'ambassadrices locales constitué d'environ trente ambassadrices, lesquelles sont bénévoles dans les départements, qui animent des réseaux et qui font vivre cette question de la place des femmes en politique et de l'égalité entre les femmes et les hommes dans leurs territoires. Nous avons aussi bien des réseaux situés dans des zones très urbaines que des réseaux très ruraux, puisque dans la ruralité en particulier, les femmes éprouvent encore plus le besoin de se retrouver, de se regrouper et de partager leurs expériences.
Je vais projeter un document présentant quelques constats et résultats de l'étude. La première question du questionnaire de la délégation, relayé auprès des femmes élues adhérentes de notre réseau, était celle des difficultés qu'elles rencontraient dans leur vie politique et il m'a paru intéressant de vous en citer quelques-unes. « À quelles difficultés particulières avez-vous été confrontée dans votre parcours d'élue ? ». La première difficulté évoquée concerne l'attribution genrée des délégations au niveau local. Un témoignage anonyme nous dit : « Je note un sexisme ambiant. Les postes à enjeux financiers sont laissés aux hommes ; les femmes n'osent prendre ni ces responsabilités, ni même la parole en assemblée ». La maire d'une commune de 200 habitants dans l'Isère nous dit : « Parfois, on me donne moins de crédibilité sur des sujets liés à l'urbanisme ou aux réseaux ». Les femmes témoignent aussi d'un réseau politique manquant. Une adjointe, dans une ville de 800 habitants dans la Haute-Vienne nous dit : « Difficultés à s'intégrer dans un monde d'élus masculins qui tissent plus facilement des relations entre eux », et je crois que cela a été très bien illustré par les témoignages que nous venons d'entendre. Les arbitrages vie privée-vie professionnelle sont plus complexes pour les femmes élues, dans la ruralité comme ailleurs. L'adjointe d'une ville de 5 000 habitants dans la Haute-Vienne nous dit : « Difficulté temporelle sur les heures de réunions, impossibilité de me rendre aussi disponible que les situations l'exigent ». Une vice-présidente d'EPCI dans le Calvados qui est aussi maire d'une commune de 900 habitants nous dit : « Le rythme et les horaires rendent compliquée une vie de famille classique » et là encore, ce témoignage en recoupe d'autres que nous venons d'entendre.
Les femmes élues témoignent également d'un sexisme vécu au quotidien, voire de conflits et de menaces. Dans l'Indre-et-Loire, une élue d'une ville de 2 000 habitants et vice-présidente de sa communauté de communes nous dit : « Ils m'ont envoyé des hommes tenter des intimidations à la limite de la menace, me dire ouvertement que ma présence était due aux quotas. Je suis une femme, donc forcément je ne peux pas comprendre ». Elle continue sur une tonalité très ironique : « Ne pas comprendre que je souhaite être présente aux réunions de chantier de la crèche pour laquelle j'ai monté tout le dossier, ne pas être conviée aux réunions, être obligée de me maquiller et de me “ saper ”, car sinon on me prenait pour la technicienne », une question que toutes les femmes en politique se sont posée. Dans les Ardennes, une adjointe dans un village de 50 habitants nous dit : « J'ai été insultée, diffamée, on a également tenté de m'intimider ; oui, cela est dû au fait que je sois une femme élue ». Enfin, une conseillère municipale d'opposition, dans une ville plus importante de 15 000 habitants, nous dit : « Comme je suis une femme et relativement jeune, il est indéniable qu'on prend moins de gants avec moi qu'avec mes collègues hommes. Les conseils municipaux sont dignes d'une cour de récréation, on me coupe le micro et la parole, on se moque de moi, on rigole, on m'écarte de toutes les commissions ». Ces problèmes recoupent ceux rencontrés par les femmes dans la vie politique en général, dans la ruralité comme en milieu urbain, et ils sont amplifiés par la moindre présence des femmes dans les EPCI dans les zones rurales, dans lesquels en général seuls les maires sont appelés à siéger.
Le deuxième axe qui croise ces difficultés a trait à la question de la ruralité. La question suivante a été posée : « Compte-tenu de votre connaissance de terrain, quelle politique locale jugez-vous plus nécessaire pour améliorer la vie des femmes et des familles dans votre territoire? ». Les premières réponses qui ressortent sont liées à l'accès à l'emploi et, de manière générale, à la mobilité, à la possibilité de faire garder ses enfants et à la lutte contre les violences faites aux femmes. Les femmes déclarent en très grande majorité cette difficulté de l'accès à l'emploi, celle de l'accueil des jeunes enfants qui constitue un frein pour le retour à l'emploi, de la mobilité, de l'accès au permis de conduire et de l'offre de transport, et de la lutte contre les violences faites aux femmes. Ces problèmes recoupent évidemment celui de la ruralité en général mais sont accentués par le fait que les femmes sont confrontées, en raison de la maternité, à des difficultés particulières et qu'elles occupent plus souvent les emplois les plus précaires. La question des bonnes pratiques locales a également été posée lors de cette étude, à laquelle ont répondu soixante-dix-sept élues : « Quelles sont les bonnes pratiques que vous avez mises en place dans votre territoire en faveur des femmes de manière générale ? ». Les bonnes pratiques recoupent toutes les problématiques que nous venons d'évoquer. Parlons d'abord des bonnes pratiques s'agissant de la mobilité. Les exemples évoqués sont le covoiturage, des navettes-bus itinérantes à horaires réservables, des chèques-déplacements ou encore des navettes gratuites. La maire d'une commune du Rhône de 3 000 habitants nous dit : « Covoiturage privé pour rejoindre la gare, accueil gratuit des enfants pour les plus précaires, groupes de parents pour assurer l'aller et le retour de l'école ». Dans une ville de 3 000 habitants, une adjointe dans le Vaucluse nous dit : « Accueil et service public itinérant ». D'autres témoignages soulignent les réseaux d'entraide, le covoiturage, l'accès aux services publics pour effectuer les démarches en faveur de l'emploi. La garde des enfants reste un problème universel qui se pose de façon particulièrement forte dans la ruralité. Dans l'Indre-et-Loire, il nous est dit : « Monter une crèche et surtout informer de ce mode de garde dont le coût est indexé sur leurs moyens, ce qui permet aux femmes de retourner à l'emploi ». Une conseillère départementale des Côtes-d'Armor nous dit : « La garde d'enfants pour les familles monoparentales pour pouvoir retourner à l'emploi avec les acteurs de l'insertion du département, la mise en place du schéma départemental des services aux familles avec des thèmes dédiés sur ce sujet sur tout le territoire ». Une élue anonyme en début de mandat nous dit : « Dans mon village en ce qui concerne le programme de garde des enfants, je pense à une recherche de solutions avec trois villages voisins pour une éventuelle mutualisation des services à créer ». Enfin, le sujet des violences conjugales revient comme nous l'avons dit de manière assez prégnante. Les élus nous disent : « Soutenir le festival “Femmes en campagne” qui a pour objectif de mettre en lumière les femmes du territoire, monter des cafés de femmes pour libérer la parole ». Une autre élue, maire d'un village de 3 000 habitants en Gironde, nous dit : « Formation des agents municipaux à l'accueil des femmes maltraitées, réflexion autour de la construction d'habitats transitoires pour les familles monoparentales ». En Guyane, une élue témoigne de la mise en place d'un hébergement d'urgence dans chaque commune en passant des partenariats avec des structures d'hébergement existantes, le temps de construire des budgets et des structures propres aux collectivités. Enfin, dans les Yvelines, sont évoquées des « réunions de cercles de femmes dans le cadre d'une association locale, des rendez-vous autour d'un verre uniquement pour les femmes qui peuvent plus librement parler d'elles, des groupes Facebook pour échanger nos expériences, se rendre service, être solidaires ».
Nous sommes confrontés ici à une double problématique et il faut mener une double action en parallèle si nous souhaitons faire avancer la cause des femmes dans la ruralité. La première a trait au fait que la représentation des femmes en politique et l'accès à l'emploi, la mobilité et à une bonne qualité de vie dans la ruralité vont de pair. Les femmes dans la vie politique défendent les droits des femmes et ont des expériences de vie qui leur permettent peut-être de prioriser certains sujets par rapport à d'autres. Il y a donc une double action à mener. La promotion des femmes dans la vie politique locale passe par plusieurs des actions qui ont été évoquées ce matin et avec lesquelles nous sommes tout à fait en accord : la question d'un scrutin de liste à promouvoir dans les villes de moins de 1 000 habitants. Il faudrait un scrutin de liste qui permette de laisser des listes incomplètes dans les petites communes. Il faut par ailleurs mener une réflexion très complexe sur les EPCI, dont les équilibres sont complexes et dont le fonctionnement démocratique est encore récent. Je ne peux qu'appeler Mesdames et Messieurs les sénatrices et les sénateurs ici présents à porter attention au fait que le projet de loi dit « 4D », prenne en considération cette question de l'amélioration de la parité dans les EPCI.
Le deuxième axe d'action consiste à porter, dans toutes les réformes envisagées dans la ruralité, une attention particulière aux femmes, d'encourager et accompagner le développement des services publics ; développer les modes de garde, des mobilités, l'accès à l'emploi et à l'autonomie financière, émotionnelle et psychologique ; et enfin favoriser au maximum et soutenir les associations qui s'engagent pour que la parole des femmes se libère.
Annick Billon, présidente . - Je vous remercie Madame la présidente pour cet exposé extrêmement précis et qui donne un aperçu des freins, des possibilités, des propositions. J'ai une observation : vous avez évoqué la place plus importante des femmes dans les intercommunalités à l'ouest de la France métropolitaine et dans les outre-mer. Je serais intéressée d'entendre la réaction des collègues ultramarins de notre délégation à ce constat. J'invite Victoire Jasmin, sénatrice de la Guadeloupe, à réagir ensuite à cette observation.
J'invite tout d'abord la rapporteure Marie-Pierre Monier à s'exprimer.
Marie-Pierre Monier, rapporteure . - Je vous remercie Madame la présidente, bonjour à toutes et à tous, merci à toutes et tous pour vos propos. Je retiens deux choses. Tout d'abord, il existe un levier législatif qui a été important pour faire avancer les choses et je crois que nous devrons être très vigilants dans les prochains textes pour faire bouger les lignes. Nous avons beaucoup parlé du seuil à partir duquel les listes doivent être paritaires au niveau des communes. Cela a été le sujet de nombreux débats. Vous avez toutes et tous assuré qu'il fallait continuer à avancer. Nous nous sommes posé la question de savoir si toutes les communes devaient avoir des listes paritaires. Il faut encore y réfléchir avant que cette question soit débattue au Parlement. Nous avions pensé au seuil de 500 habitants.
Il y a aussi la question du binôme et de la représentation au sein des intercommunalités, en particulier dans leurs exécutifs. Il est vrai que la majorité des maires sont des hommes, ce qui implique inévitablement que les représentants dans les intercommunalités le soient aussi majoritairement. Je plaiderais moi aussi pour un binôme obligatoire et paritaire ; ce n'est pas une question simple à régler, cela relève là aussi du ressort législatif.
Par ailleurs, le statut de l'élu et la disponibilité qu'il nécessite relèvent de la question sociétale de la place que nous donnons à la femme. Vous êtes nombreux dans vos propos à dire que la femme consacre beaucoup de temps à sa famille, à ses enfants, à sa maison. Or dans un couple, il y a bien deux personnes et si la femme souhaite s'engager, le conjoint doit prendre le relais. Nous devons bien avoir un engagement de fond sur la place des femmes. Dans le statut de l'élu, il est important de prévoir des moyens de garde d'enfants et de les généraliser car à défaut, les femmes ne s'autorisent pas à s'engager. Je pense également à la question de la rémunération. Je me demande si dans les études que vous avez faites, vous avez établi un profil des femmes qui s'engagent dans la vie publique, particulièrement dans les zones rurales - profession, âge, fonction au sein des conseils municipaux. Le centre Hubertine Auclert, qui a rédigé un rapport sur la situation des femmes dans les territoires ruraux franciliens, recommandait plusieurs pistes d'action, parmi lesquelles le développement de conseils municipaux des jeunes paritaires pour encourager la mise en place d'une culture d'égalité chez les plus jeunes, l'augmentation des indemnités des élus des petites communes qui permettrait justement de compenser parfois les plus faibles salaires et retraites des femmes. Quelles seraient vos propositions, ou quel est votre avis sur ces propositions ?
Enfin, plusieurs d'entre vous ont évoqué un état des lieux de l'égalité hommes-femmes. Je partage entièrement cette proposition. Vous avez parlé d'un référent, ou d'un adjoint à l'égalité femmes-hommes, au sein de toutes les communes de France. Je pense également que chaque commune devrait avoir l'obligation de nommer un référent à l'égalité femmes-hommes. Il faut souligner que des initiatives sont prises au niveau des départements et des intercommunalités sur l'égalité femmes-hommes. Avons-nous des retours à ce sujet ?
Annick Billon, présidente . - Merci chère rapporteure. Je vais donner la parole à Victoire Jasmin.
Victoire Jasmin . - Merci beaucoup Madame la présidente et merci à toutes et tous pour vos interventions. Vous avez très bien identifié la plupart des problèmes auxquels nous sommes toutes confrontées et qui s'amplifient évidemment dans les petites communes. Mais la situation s'améliore : de plus en plus de femmes veulent s'engager.
Pour ce qui concerne la Guadeloupe, de nombreuses femmes n'ont pas attendu les lois sur la parité pour s'impliquer. Des femmes sont maires depuis très longtemps, nous avons aujourd'hui une femme qui en est à sa sixième mandature et qui a été députée. Nous avons également eu des femmes ministres et la première députée de la Guadeloupe était une femme avocate, première avocate également de la Guadeloupe. Nous savons que cela n'est pas évident. En janvier 2019 lors de la table ronde de notre délégation précédemment évoquée, j'avais déjà témoigné de situations que j'avais moi-même vécues mais j'ai aussi vu évoluer des hommes qui étaient les plus réfractaires à l'engagement politique des femmes et qui ont changé d'avis au fur et à mesure de leur présence accrue. Ils se sont rendu compte que les femmes, comme les hommes, avaient la capacité d'innover et de faire des propositions pertinentes pour leur territoire. Les propositions et la présentation faite par Julia Mouzon m'ont interpelée. Nous devons toutes et tous nous organiser pour stimuler à tous les échelons - communal, intercommunal, au niveau des conseils départementaux où les choses ont évolué avec les binômes paritaires - une meilleure représentation des femmes. Les élues ayant des enfants en bas-âge ont des problématiques liées à la garde de leurs enfants. Plusieurs préconisations ont été faites, qu'il faudrait certainement mettre en place, afin de créer les conditions pour que toutes les femmes, quel que soit l'âge de leurs enfants, aient la possibilité de s'impliquer, de s'investir. En matière de répartition des postes, j'ai été étonnée quand j'étais jeune élue locale de constater qu'il existait des postes pour lesquels il y avait des rétributions spécifiques. Très vite, j'avais remarqué que de nombreux hommes demandaient tels ou tels postes en premier, j'ai alors compris que, pour ces postes, il existait une rétribution spécifique et que certaines femmes n'y avaient pas accès car elles ne connaissaient pas leur existence. Nous les femmes, nous ne prenons pas un poste en fonction de l'argent, nous le prenons parce que nous avons envie de travailler pour notre population, parce que nous avons envie de nous investir. La plupart des femmes que j'ai rencontrées voulaient donner de leur temps, de leur personne, s'investir et s'impliquer réellement au niveau politique en conciliant leurs différentes vies. Pour ma part, j'étais très impliquée dans la vie associative et je réussissais à concilier à la fois ma vie professionnelle, ma vie familiale (j'ai trois enfants) et ma vie politique. Les enfants comprennent souvent la nécessité de s'investir, de s'impliquer et de permettre que les choses changent à la fois pour notre génération et pour les générations à venir. Nos aînées se sont beaucoup plus battues que nous.
Très souvent, les hommes ont une attitude différente dans leur foyer de celle qu'ils ont dans leur vie politique. Nous ne parvenons pas toujours à comprendre leurs réelles motivations, entre le pouvoir et les pressions qu'ils veulent exercer sur les femmes, surtout quand ils ne maîtrisent pas certains sujets que les femmes maîtrisent. Quand un homme parle, il est écouté et ses propos ne sont pas mis en doute a priori . Un véritable travail doit être mené à ce sujet. Sur un territoire où le matriarcat est très fort, et où il existe de nombreuses familles monoparentales également, le rôle des hommes est certes prépondérant mais les femmes ont su créer leur chemin et montrer qu'elles étaient capables de donner le meilleur d'elles-mêmes. Les femmes n'hésitent pas à aller chercher les informations, à aller se former, pour mieux appréhender les différentes problématiques.
Annick Billon, présidente . - Merci chère collègue.
J'ai une dernière demande de prise de parole, puis je laisserai nos interlocuteurs répondre comme ils le souhaitent. Patricia Schillinger, membre de la délégation aux collectivités territoriales, souhaite intervenir.
Patricia Schillinger . - Je me retrouve dans les propos échangés ce matin : j'ai été maire et vice-présidente d'une petite intercommunalité avant le redécoupage. Le mal est bien profond car faire intégrer des femmes signifie intégrer des femmes très libres ; libres de pouvoir aller et venir, de pouvoir assister aux réunions. Or aujourd'hui je vois l'hyperactivité des élus, je vois des réunions tous les jours sur tous les sujets, dans toutes les commissions, des réunions le soir et le samedi. Je pense qu'il faut faire des efforts sur cet aspect, pour savoir comment mieux travailler et simplifier le travail des élus. L'intégration des femmes ne serait-elle pas meilleure avec moins de communes et des communes plus grandes, grâce à la parité au sein des élus mais également au sein des personnels administratifs dans les communes et les intercommunalités ?
Le sujet des indemnités a également été évoqué. C'est très important. J'ai rencontré des adjointes qui recevaient environ cinq cent euros d'indemnités ; avec trois enfants, elles me disaient que cela ne leur suffisait pas. Il est également question de la garde des enfants : le temps de garde des enfants, le soir, n'est pas remboursé. Nous savons également que l'émancipation vient par l'emploi et aujourd'hui, 40 à 60 % seulement des femmes ont une retraite à l'issue d'une carrière complète parce que les autres exercent un travail à temps partiel. Il existe de nombreux sujets sur lesquels il faut travailler. Nous avons avancé mais j'ai une crainte pour l'avenir parce que les jeunes femmes sont vraiment très occupées par leur emploi, leurs enfants, et les fins de journée de plus en plus tardives. Aujourd'hui, beaucoup de réunions se poursuivent jusqu'à 19 ou 20 heures. Avoir une vie en dehors de la vie familiale est très compliqué.
Annick Billon, présidente . - Merci beaucoup chère collègue. Je vais donner la parole à Mme Nadine Kersaudy, maire de Clédun-Cap-Sizun qui souhaite répondre.
Nadine Kersaudy . - Merci Madame la présidente. Je voulais revenir sur les positions de l'Association des maires ruraux de France. Nous sommes évidemment favorables à ce que le scrutin de liste au premier habitant soit applicable à toutes les communes. Vous l'avez rappelé, dans plus de 74 % de communes, les lois sur la parité ne sont pas appliquées. Il est nécessaire de garantir l'équité à l'ensemble des citoyennes de notre territoire. Une enquête menée au cours du précédent mandat avec la direction régionale de la préfecture, l'ensemble des associations d'élus et Elles aussi , montrait qu'il faudrait attendre 2092 pour atteindre la parité intégrale au niveau des maires, car 80 % des maires sont aujourd'hui des hommes. Il est également question de limiter le nombre des mandats dans le temps, mais il existe des élues, comme des élus, qui sont très engagés pour faire avancer l'égalité. Nous l'avons répété, le statut de l'élu est primordial, notamment l'indemnité. Il ne faut pas oublier le contexte actuel de la pandémie qui crée des difficultés professionnelles et au sein des couples. J'ai toujours eu beaucoup de femmes au sein de mon conseil municipal et j'interroge les élus sur leurs disponibilités avant d'organiser les réunions. Je pars du principe qu'il s'agit d'un travail d'équipe : si nous ne sommes que deux à participer à une réunion, je ne vois pas ce que nous pouvons faire avancer. On me dit évidemment : « Oui, mais toi tu es une femme » Peut-être les femmes font-elles de la politique différemment ? L'Association des maires ruraux de France souhaiterait qu'une étude soit menée sur la question du binôme paritaire. Je sais que d'importants travaux législatifs existent sur ce sujet mais peut-être faudrait-il également réviser la Constitution. Il existe de très grandes communes et n'oublions pas que si les métropoles existent, c'est bien parce que les territoires ruraux sont là aussi.
Pour en revenir au fonctionnement des conseils communautaires, je m'aperçois que je suis la première vice-présidente puisque je suis une femme, la seule femme de notre commune qui est demeurée à taille humaine. Les hommes n'ont parfois pas envie de mettre le président dans l'embarras. Je suis souvent la seule femme à m'exprimer dans le cadre d'une instance représentant trente-deux communes. Quand nous avons évoqué la représentativité de nos dix communes pour le prochain mandat, la grande commune de notre intercommunalité était prête à donner un poste à la petite commune même si la loi ne le permettait pas théoriquement. Nous savons que les accords amiables sont aléatoires si un conseil démissionne. Il faudrait officialiser tout cela.
Les femmes représentent la moitié de la population française et plus de la moitié du corps électoral. Selon une étude menée par le CNRS, plus la commune est petite, plus la participation aux élections est importante. La parité reste et demeure un enjeu de démocratie pour la France. Faisons-en sorte de faire évoluer les choses !
Annick Billon, présidente . - Merci beaucoup Madame le maire. Je donne la parole à la vice-présidente du département de l'Eure qui représente l'ADF, Mme Perrine Forzy.
Perrine Forzy . - Je vous remercie. Je voudrais simplement vous alerter sur le message que nous véhiculons quand nous évoquons la problématique de la garde des enfants pour encourager l'investissement des femmes en politique. À partir du moment où nous le présentons de la sorte, nous laissons entendre que ce sont les femmes qui doivent garder les enfants. Il existe là un vrai piège. En assemblée départementale, lorsque nous abordons ce sujet, je dis toujours qu'il s'agit d'un problème d'hommes et de femmes.
Annick Billon, présidente . - Merci pour cette précision. Bien entendu, à partir du moment où nous faisons avancer les droits des femmes, nous faisons avancer l'égalité hommes-femmes et cela profite à la société tout entière, nous en sommes persuadés à la délégation aux droits des femmes. J'ai une demande d'intervention de Mme Cécile Gallien.
Cécile Gallien . - Je ne pourrais pas dire mieux que ma collègue. Les associations d'élus ont avancé et nous sommes à l'AMF complètement favorables, je le redis, à la mise en place de ce scrutin de liste paritaire à partir du premier habitant. 74 % des communes de France ont moins de 1 000 habitants et recensent plus de citoyennes que de citoyens. Maintenant, il faut y aller, il n'y a plus de discussion à avoir. Je crois que tout le monde est mûr, la société est mûre et elle le prouve en votant pour des maires qui sont des femmes, et en votant pour des sénatrices, des députées. Il faut maintenant que nos parlementaires aillent jusqu'au bout. Un chiffre que nous n'avons pas cité : les femmes élues aux dernières élections municipales sont plus jeunes que les hommes. En revanche, phénomène inquiétant, elles arrêtent leur vie politique avant les hommes. Nous observons une diminution du nombre de femmes âgées de plus de cinquante ans dans la représentation municipale alors que les hommes poursuivent leur mandat jusqu'à soixante ou soixante-dix ans. Peut-être est-ce une bonne chose que les femmes élues laissent leur place à d'autres, néanmoins je pense qu'il faut se poser cette question.
Sur la question des intercommunalités, évidemment l'AMF n'est pas d'accord avec le vote direct des élus communautaires. Je rappelle que les EPCI sont des établissements publics de coopération intercommunale, ce qui signifie qu'ils sont au service des communes. Nous tenons tous à ce principe. En revanche, il faut mettre en place une certaine obligation de parité. La moindre des choses serait le binôme au niveau de la présidence ou de la coprésidence, mais il faut aller plus loin. Cela mérite réflexion. Il y a aussi l'outil des règlements intérieurs. Nous avons tous voté un règlement intérieur au sein de nos communes, en tout cas au sein des communes moyennes et des intercommunalités. J'ai inséré cette question de la parité dans mon règlement intérieur. J'ai également proposé ces dispositions à l'intercommunalité mais elles n'ont pas été retenues. La parité ne constitue même pas un sujet dans certaines intercommunalités.
Par ailleurs, la loi Engagement et proximité de décembre 2019 a permis des avancées qui ne sont pas connues. En termes de garde d'enfants notamment, il existe des possibilités de prise en charge financière que quasiment tout le monde ignore. Cette loi doit être rappelée.
Enfin, concernant la question fondamentale des professions exercées par les femmes maires, le questionnaire de la Direction générale des collectivités locales (DGCL) publié après les élections municipales n'en traite pas mais le questionnaire commun, que l'AMF et le Haut conseil à l'égalité (HCE) soumettront prochainement aux élues, posera cette question.
Annick Billon, présidente . - Merci beaucoup. Je donne la parole à notre collègue Marie-Claude Varaillas.
Marie-Claude Varaillas, rapporteure . - Bien évidemment, je ne vais pas redire tout ce qui a été dit et que je partage, et je remercie tous les intervenants car le débat ce matin est très enrichissant. Je voudrais parler de mon expérience personnelle car j'ai eu une carrière professionnelle dans la fonction publique territoriale. J'ai suivi une formation et passé des concours pour accéder au grade de cadre A et je me suis rendu compte effectivement - même si les choses ont évolué depuis - que les femmes n'arrivaient pas à accéder au grade de directeur général des communes de plus de 20 000 habitants, essentiellement occupés par des hommes. Les femmes travaillaient dans les petites communes et les hommes dirigeaient les grandes communes au-dessus de 20 000 habitants. Je l'ai vécu et j'ai dû faire ma place pour accéder au grade de directrice générale des services. Ensuite, j'ai vécu mon parcours d'élue, et je n'étais pas très favorable à la loi sur la parité car je faisais partie de celles qui voulaient que les femmes réussissent seules, sans qu'une loi oblige les hommes à accepter cette parité. Et puis j'ai vécu cette parité en étant élue au sein d'un conseil départemental et là, j'ai constaté que les élus hommes étaient ravis de nous accueillir, certains nous disant : « Vous nous avez apporté du sang neuf, vous êtes très opiniâtres et vous travaillez plus que nous ». Et effectivement, je me suis rendue compte nous travaillons beaucoup plus nos dossiers et nous avons beaucoup moins le souci de notre ego. Car au sein de ce conseil départemental, j'ai constaté que les femmes élues travaillaient beaucoup plus sur les dossiers. La presse locale aussi avait l'habitude de relever dans les conseils départementaux la parole des hommes plus que celle des femmes alors que celles-ci faisaient également des déclarations qui n'étaient pas reprises.
Quant à la parité dans les communes de 1 000 habitants et moins, il faut savoir qu'il est très difficile d'aller chercher des femmes dans les petites communes rurales. Il m'est arrivé de constituer des listes pour les élections municipales. J'arrivais dans une famille pour chercher la femme et il fallait que je reparte avec l'homme, ce que je refusais. Dans nos petites communes, il n'est pas tout à fait acquis encore que la femme prenne toute sa place en tant qu'élue. Nous avons encore à travailler dans ce domaine, et ce n'est pas simple, en raison de toutes les problématiques évoquées précédemment telles que la mobilité, les enfants, les familles monoparentales.
Annick Billon, présidente . - Merci chère collègue. J'invite Édith Gueugneau à intervenir.
Édith Gueugneau . - Je voudrais rappeler que le Président de la République a fait de l'égalité femmes-hommes une priorité de son quinquennat. Je pense qu'aujourd'hui, il existe une réelle volonté politique. Beaucoup de progrès ont été réalisés mais il reste encore du chemin à parcourir. La responsabilité des parlementaires pour améliorer cette égalité est essentielle. Il existe également une volonté politique des maires qui peuvent instaurer la parité à tous les niveaux. Je pense qu'il y a un travail de fond à effectuer en matière d'éducation, au sein de notre système éducatif, mais également par le biais du développement de conseils municipaux de jeunes pour promouvoir la parité. Il faudrait également conduire des politiques en faveur de la jeunesse. Je rappelle qu'éduquer au concept de l'égalité dès la crèche est très intéressant. Ce qui peut également donner envie aux femmes de s'engager, c'est d'adapter les horaires des réunions en fonction de leurs horaires professionnels ; j'ai voté au sein du conseil municipal une aide à la garde des enfants car j'ai souvent rencontré des femmes jeunes avec enfants, au sein d'une famille monoparentale, mais souhaitant quand même s'engager. Aujourd'hui, nous disposons d'une aide pour garder les enfants et d'une aide pour la mobilité. Nous devons rester optimistes mais il reste encore beaucoup à faire et un travail de fond doit être mené dans notre société. Nous toutes et tous présents ce matin souhaitons y oeuvrer.
Annick Billon, présidente . - Merci beaucoup. Notre collègue Sylviane Noël, qui intervient à distance depuis la Haute-Savoie, souhaite prendre la parole.
Sylviane Noël . - Bravo pour cette table ronde vraiment passionnante. Je tenais à apporter mon témoignage personnel puisqu'avant d'être sénatrice, j'ai été durant dix ans maire d'une commune de 450 habitants ; je connais donc bien le sujet de la parité en milieu rural. Toutes les pistes évoquées par nos différents intervenants sont intéressantes, mais s'agissant des petites communes, je tenais à vous mettre en garde car je considère que la loi ne pourra pas tout résoudre. Je suis pour ma part très réservée sur la mise en place d'un scrutin de liste dans les plus petites communes, tant sur son efficacité que sur son applicabilité sur le terrain. Je peux témoigner que s'engager dans ces communes rurales relève vraiment d'un sacerdoce et nécessite un énorme investissement. Nous ne pouvons pas obliger des femmes à s'engager contre leur gré ; celles qui devraient s'engager en raison de la parité mais qui n'auraient ni le souhait, ni le temps d'accomplir leur mission n'en retireront aucune satisfaction. Nous avons déjà toutes les peines du monde à trouver des personnes pour s'engager, la parité selon moi pourrait constituer un obstacle supplémentaire. Lors des deux listes que j'ai été amenée à constituer en 2008 et en 2014, j'ai sollicité un nombre incalculable de femmes pour s'engager et l'immense majorité d'entre elles a décliné ma proposition en évoquant les deux tiers du temps des contraintes personnelles.
En outre, les trois quarts d'entre elles s'autocensurent en imaginant qu'elles n'ont pas le niveau pour remplir ces missions. Je n'ai pas pu en convaincre plus de deux ou trois à chaque fois alors que mon souhait initial était de parvenir à une parité parfaite. Aujourd'hui, 20 % des communes rurales ont une femme maire contre 18 % des communes urbaines, ce qui prouve bien que l'instauration de la parité ne constitue pas forcément un facteur favorisant l'accès des femmes aux fonctions exécutives, d'autant plus qu'il existe beaucoup plus de communes rurales que de communes urbaines en France. Par ailleurs, dans les communes de moins de 1 000 habitants, nous comptons 37,6 % de femmes, soit trois points de plus par rapport à la précédente mandature, ce qui semble très encourageant, contre 48 % pour les communes de plus de 1 000 habitants pour lesquelles la parité est obligatoire. Nous voyons donc que l'écart n'est pas si important et que la situation progresse favorablement au fil du temps. Il a également été souligné que ces petites communes n'ont généralement qu'un siège à l'intercommunalité, occupé 99 fois sur cent par le maire, un homme dans 80 % des cas. L'instauration de la parité dans les petites communes n'aboutira pas forcément à une meilleure parité au sein des exécutifs intercommunaux.
J'ajoute que dans ces petites communes rurales, il n'existe aucun besoin d'engagement politique. Il ne faut que du courage et une volonté d'agir - et je sais que les femmes n'en manquent pas - pour convaincre les habitants de voter pour elles. Nous n'avons pas besoin d'autorisation ou d'étiquette politique, ce qui constitue pour moi un véritable atout. Le monde politique, comme le monde économique, possède ses propres codes, ses formes, ses rythmes et ses habitudes qui empêchent souvent un exercice à égalité des responsabilités. Je pense pour ma part qu'il faut rechercher d'autres pistes pour inciter les femmes à s'engager dans la vie publique car les premiers freins évoqués sont bien ceux de la vie de famille et professionnelle. La question de l'évolution des mentalités et du partage des tâches au sein du couple relève de la vie privée mais elle est essentielle. Il faut aussi améliorer le statut de l'élu pour permettre une réelle conciliation entre la vie privée et le mandat électif.
Annick Billon, présidente . - Merci beaucoup, chère collègue. Nous le voyons, les avis exprimés ont parfois pu diverger et il est important que ce débat ait lieu. Je remercie sincèrement à la fois les membres de la délégation aux droits des femmes et les membres de la délégation aux collectivités territoriales, d'avoir participé et enrichi cette table ronde. Je remercie les intervenants qui ont fait un certain nombre de propositions. J'en retiendrai quelques-unes, comme le référent à l'égalité au sein des communes et des intercommunalités, des budgets genrés, l'amélioration du statut de l'élu qui a déjà progressé en 2019, la diminution du nombre d'élus dans les petites communes qui favoriserait la capacité à faire des listes, la parité dans les communes de moins de 1 000 habitants. Le témoignage de Sylviane Noël est intéressant car les progrès ne dépendent pas que de la loi, raison pour laquelle il faut respecter les difficultés de certains territoires. S'agissant de la parité au sommet de l'exécutif, j'estime pour ma part que le couple maire/premier adjoint ou président/vice-président doit relever d'une relation de connivence, d'une volonté de travailler ensemble, et d'une proximité qui ne se décrète pas. J'ai également constaté qu'il existe un déficit de réseaux de femmes élues, même si la présidente d' Élues locales est présente à mes côtés aujourd'hui. En entreprise également, nous constatons que les hommes se regroupent plus facilement en réseau que les femmes. Lorsque nous avions travaillé sur le thème « Femmes et agriculture, l'égalité dans les territoires », nous avions pu constater qu'en Bretagne, plus que dans d'autres régions, les femmes étaient très organisées dans l'agriculture. Mme la maire de Clédun-Cap-Sizun a témoigné de cette volonté de réseau, de solidarité et de culture de l'exemple pour permettre l'engagement de femmes en politique. J'ai également retenu la notion de bonus-malus, avec peut-être des difficultés de mise en place pour les intercommunalités qui seraient les bons élèves. La promotion des femmes, la formation, l'éducation font partie des éléments que vous avez évoqués.
Concernant les freins, bien entendu - et je rejoins en cela Mme la conseillère départementale Perrine Forzy - la question de la garde des enfants et l'organisation entre vie professionnelle et vie privée relèvent de la vie du couple et non pas des seules femmes. Toutefois, la répartition des tâches reste assez stéréotypée dans notre société. La loi Engagement et proximité de 2019 a permis certaines avancées qui devraient aider les femmes à s'engager. Nous allons poursuivre ce travail de réflexion avec les rapporteurs pour faire des propositions visant à améliorer l'engagement des femmes en politique. Je vous remercie sincèrement toutes et tous pour votre participation à cette table ronde, vous avez donné un certain nombre de pistes à nos huit rapporteurs.
Audition de Mmes
Géraldine Derozier et Sylviane Le Guyader, de l'Agence nationale de
la cohésion des territoires (ANCT)
(11 mars 2021)
Présidence de Mme Annick Billon, présidente
Annick Billon, présidente . - Chers collègues, nous accueillons ce matin dans le cadre de notre rapport « Femmes et ruralités » deux représentantes de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) : Géraldine Derozier, cheffe de projet ruralité à la Direction du Programme Ruralité-Montagne et Sylviane Le Guyader, cheffe du pôle Analyses et diagnostics territoriaux de l'Agence. Elles interviennent à distance et je les remercie de s'être rendues disponibles pour nous ce matin.
L'Agence nationale de la cohésion des territoires est née le 1 er janvier 2020 et est présidée par notre ancienne collègue Caroline Cayeux. Elle vise notamment à rapprocher les territoires ruraux et isolés de l'État et à lisser les disparités et inégalités territoriales à l'échelle nationale. Elle est issue de la fusion du Commissariat général à l'égalité des territoires, de l'Établissement public national d'aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux, et de l'Agence du numérique.
Le programme Petites villes de demain , destiné à renforcer les moyens des élus dans leurs projets de revitalisation des communes rurales, et l'installation des Maisons France Services dans les territoires ruraux relèvent notamment des actions menées par l'ANCT en direction des territoires et des ruralités.
Je précise à l'attention de nos invitées que la délégation aux droits des femmes du Sénat a inscrit à son agenda de 2021 un travail destiné à dresser un bilan aussi complet que possible de la situation des femmes dans les territoires ruraux, à partir de thèmes comme la santé, la lutte contre les violences, l'orientation scolaire et universitaire, la mobilité, la précarité ou l'égalité professionnelle. À l'occasion de ce rapport, notre objectif vise également à mettre en valeur l'engagement de femmes qui contribuent au dynamisme de ces territoires.
Je précise que nous avons désigné une équipe de huit rapporteurs pour mener à bien ce travail auquel nous associons tous les groupes politiques de notre assemblée ainsi que des territoires extrêmement divers : la Vienne, la Drôme, la Lozère, le Rhône, les Hautes-Alpes, la Haute-Garonne, le Finistère et la Dordogne.
Nous auditionnons aujourd'hui Mmes Derozier et Le Guyader afin qu'elles nous fassent part de l'expérience pluridisciplinaire développée par l'ANCT concernant la situation spécifique des femmes dans les territoires ruraux et les actions susceptibles d'être menées localement pour l'améliorer.
Nous attendons donc une présentation du rôle de l'Agence en tant que relais de la thématique de l'égalité femmes-hommes dans les territoires ruraux ainsi que des outils mis à la disposition de leurs collectivités pour promouvoir cette égalité, comme la production de données et d'indicateurs sexués par l'Observatoire des territoires.
À cet égard, le Commissariat général à l'égalité des territoires a publié en mars 2018 un rapport d'étude intitulé Améliorer l'accès à l'emploi des femmes dans les territoires ruraux . Ce dernier a été suivi de la diffusion en mars 2019 d'un Guide des outils et bonnes pratiques destiné à favoriser l'accès à l'emploi des femmes dans ces territoires.
Mesdames, pourriez-vous revenir dans un premier temps sur les principales conclusions de ces deux publications ? En particulier, pourriez-vous nous éclairer sur les freins et les leviers à l'emploi des femmes observés dans ces territoires ?
Nous souhaiterions également savoir quel est l'échelon territorial le plus approprié pour mettre en oeuvre les bonnes pratiques et initiatives favorables à l'égalité femmes-hommes. S'agit-il selon vous de l'échelon communal, intercommunal, départemental, régional ? De quelles bonnes pratiques, initiées par les collectivités pour améliorer la situation des femmes dans les territoires ruraux, et appelant éventuellement une généralisation, avez-vous connaissance ? Des solutions itinérantes permettent-elles notamment de contourner des difficultés de mobilité ou d'accès à des services publics ?
Enfin, connaissez-vous le taux de recours, dans les territoires ruraux, à l'application Sofie (Système d'observation sur les femmes et d'information sur l'emploi) ? Ce système d'information sur l'emploi développé par l'ANCT permet en effet de dresser un diagnostic complet de l'emploi des femmes au niveau de l'intercommunalité.
Mesdames, je vous invite désormais à nous présenter, selon l'organisation qui vous convient, les analyses pluridisciplinaires développées par l'ANCT au sujet de la situation des femmes dans les territoires ruraux. Je vous informe que certains de nos collègues participent à cette réunion en visioconférence ; d'autres sont présents. Je les remercie tous de leur présence.
Mesdames, nous vous écoutons et vous remercions.
Sylviane Le Guyader, cheffe du pôle analyses et diagnostics territoriaux de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) . - Merci Madame la présidente. Nous nous réjouissons d'intervenir ce matin. Nous nous efforcerons de vous présenter un exposé synthétique et nous tiendrons à votre disposition pour répondre à vos questions.
Nous souhaitons organiser nos propos de la manière suivante : mon intervention concernera d'abord la production de connaissances, car je suis responsable du pôle Analyses et Diagnostics territoriaux, dont l'Observatoire des territoires fait partie. Géraldine Derozier abordera ensuite les missions de l'ANCT relatives aux ruralités, dans le cadre de l'agenda rural notamment.
Mon propos s'articulera autour de trois temps : je récapitulerai tout d'abord les résultats de l'étude réalisée en 2017-2018. Elle s'est révélée structurante car elle s'est appuyée sur des séminaires de production de connaissances, de travail partenarial, de préconisations et de bonnes pratiques. J'évoquerai ensuite l'étude publiée le 8 mars dernier. Je vous en communiquerai le lien d'accès. Ce dernier rapport sur la situation des femmes en général comprend notamment quelques données récentes sur la situation des femmes en milieu rural.
Ensuite, je présenterai l'outillage, l'information et les données mises à disposition sur le site de l'Observatoire des territoires, notamment par l'application Sofie .
Enfin, je terminerai mon exposé en évoquant les pistes et le programme de travail envisagé en 2021.
L'étude de 2017-2018 concernait les freins et les leviers d'accès des femmes à l'emploi dans les territoires ruraux. Quelques années auparavant, une étude avait concerné les femmes des quartiers prioritaires de la politique de la ville.
Les principaux résultats de cette étude révèlent un taux d'emploi dans les territoires ruraux légèrement supérieur au chiffre national. En revanche, le taux de chômage des jeunes femmes y est plus élevé et les femmes travaillant à temps partiel ou non diplômées y sont plus nombreuses.
Toutefois, la problématique des femmes dans la ruralité est à appréhender au regard de la diversité des ruralités. La dynamique et la composition du tissu économique de ces territoires impactent différemment les emplois des femmes.
Les freins à l'accès à l'emploi des femmes dans les territoires ruraux s'expliquent par des caractères structurels - situation, profil, formation -, d'une part, et par des problématiques d'accompagnement d'autre part, relatives à la formation et à la mobilité. La possession d'un permis de conduire et les bassins d'emplois desquels dépendent les femmes en milieu rural constituent des facteurs pouvant limiter leur accès à l'emploi, de même que leurs responsabilités familiales et la possibilité de garde d'enfants par exemple, l'offre de services en milieu rural étant moindre qu'en zone urbaine.
Dans le cadre de cette étude, dont un des volets traitait de l'entrepreneuriat féminin, des filières d'avenir ont été explorées pour développer l'emploi des femmes :
- la filière numérique, où les femmes ne sont présentes qu'à hauteur de 27 %, contre 48 % dans le reste de l'économie ;
- les métiers verts et verdissants - agriculture, entretiens des espaces, circuits courts du tourisme vert - dont les enjeux actuels s'avèrent importants ;
- la silver economy relative à la problématique du vieillissement de la population, au sein de laquelle les femmes sont surreprésentées ;
- l'économie sociale et solidaire.
L'étude s'est appuyée sur des groupes de travail et un guide pratique a été publié afin de pointer la nécessité de mettre en place un certain nombre de politiques publiques relatives à l'emploi des femmes et aux territoires ruraux. Géraldine Derozier précisera ces éléments lorsqu'elle abordera l'agenda rural.
L'étude publiée à l'occasion du 8 mars est une étude globale portant sur la dimension territoriale de l'accès à l'emploi des femmes. Quelques chiffres illustrent la situation générale de l'emploi des femmes et révèlent les écarts observés dans les territoires ruraux.
Depuis 1975, la part des femmes dans la population active progresse et les différences entre les zones d'emploi s'estompent. Pour autant, le taux d'activité des femmes est inférieur de 6 % à celui des hommes. Dans les territoires ruraux à faible densité de population, la disparité s'avère plus faible car l'écart est de 5 %.
Par ailleurs, il convient de retenir que les jeunes femmes sont plus souvent touchées par le chômage que les jeunes hommes dans les territoires ruraux et les différences entre femmes et hommes sont plus marquées à la campagne qu'à la ville. La crise actuelle va accentuer probablement ce phénomène, dans des proportions qui restent à déterminer.
En fonction des territoires, ces écarts s'avèrent plus ou moins importants. Dans l'ouest de la France, les écarts femmes-hommes chez les jeunes chômeurs sont plus importants. Il est intéressant de noter que les femmes au foyer y sont plus nombreuses.
Dans l'ensemble, les territoires ruraux se distinguent des autres territoires par une offre d'emplois moins mixte (secteurs d'activité à dominante masculine : construction, agriculture, transport...). Nous observons une dichotomie entre la faible mixité des emplois et la surreprésentation des femmes dans le secteur médico-social. L'emploi se révèle donc beaucoup moins diversifié dans le secteur rural et très fortement concentré dans le secteur médico-social. Ce problème de mixité dans l'offre d'emplois est majeur. Comment en effet encourager les femmes à occuper des emplois dans des secteurs qu'elles occupent habituellement peu ?
Plus d'une femme sur cinq ayant un emploi dans les territoires ruraux travaille dans le secteur médico-social. Cette proportion représente le double de celle observée dans les territoires urbains. Ainsi, plus de 20 % des femmes travaillent dans le secteur médico-social contre 11 % dans le secteur urbain. Une femme sur quatre travaille dans le secteur de la santé, où les hommes sont peu présents.
Ces quelques données brièvement présentées témoignent de la situation actuelle. J'aborde maintenant le deuxième point de mon exposé : l'outillage et la mise à disposition de connaissances.
L'Observatoire des territoires existe depuis plus de quinze ans. Nous veillons à enrichir les données au fil des ans. Les données genrées sont de plus en plus présentes sur notre site, dont le meilleur exemple est l'application Sofie .
Cette application interactive, dont je vous communiquerai le lien d'accès, a été développée en 2019. Elle propose un découpage très fin du territoire - à l'échelle des intercommunalités et des ETP de la métropole du Grand-Paris (pour la nouvelle version) - et propose un certain nombre d'indicateurs sur un territoire observé. L'outil présente en effet les caractéristiques de l'accès à l'emploi des femmes - taux d'inactivité, chômage, temps partiel, contrats précaires et insertion des jeunes - et des freins à l'accès à l'emploi des femmes selon les territoires.
L'outil permet ainsi de faire apparaître des écarts genrés ; de comparer les territoires et d'aborder le thème des freins indépendamment des composantes liées à la formation et à l'emploi. Il propose des indicateurs relatifs à la composition de la famille - part des familles monoparentales ou nombreuses - à la non-mixité de l'offre d'emploi et de l'offre de formation, à l'accueil des jeunes enfants, à l'éloignement des écoles et au trajet domicile-travail.
Je développerai ce dernier point car la problématique de l'égalité femmes-hommes et les freins à l'accès à l'emploi pour les femmes nécessitent également d'appréhender la question de la mobilité. En effet, le bassin de vie des femmes est spécifique pour plusieurs raisons. Tout d'abord, elles ont moins souvent accès à un véhicule, soit parce que leur ménage ne dispose pas d'un véhicule pour chaque membre du couple, soit parce qu'elles ne possèdent pas le permis de conduire.
Par ailleurs, les études menées sur les mobilités révèlent que les distances entre le lieu de travail et le domicile ont tendance à s'accroître, car les emplois demeurent très concentrés dans les milieux urbains, tandis que les habitations s'installent dans des zones plus isolées dans lesquelles les prix de l'immobilier sont moindres. La distance moyenne parcourue par les femmes pour se rendre sur leur lieu de travail est de seize kilomètres contre vingt-quatre pour les hommes, que ce soit en ville ou à la campagne. Le bassin d'emploi potentiel des femmes est donc plus restreint que celui des hommes.
Les contraintes horaires qui s'imposent aux femmes sont également plus fortes en raison des obligations familiales liées à leurs enfants, mais également au maintien des personnes âgées à domicile, qui nécessite un accompagnement aujourd'hui supporté par les familles. À nouveau, la crise sanitaire actuelle nous invite à être sensibles à ces problématiques.
Je terminerai mon exposé par la présentation des travaux en cours. L'ANCT a pour ambition d'accompagner davantage les collectivités territoriales dans leurs projets de territoire. Parallèlement à l'action publique, le chantier des ruralités monte en puissance, comme l'illustre la nomination d'un secrétaire d'État aux ruralités.
Nous avons notamment participé très activement à la définition du zonage rural, lequel a été validé lors du comité interministériel des ruralités de novembre 2020. Ainsi, nous avons largement contribué à la prise en compte des espaces peu et très peu denses dans la distinction des territoires ruraux et urbains. Jusqu'à présent, l'INSEE qualifiait en effet les territoires ruraux par défaut par rapport à l'urbain. Ceux-ci sont désormais mieux reconnus en matière d'espace et de population.
La définition de ce nouveau zonage rural constitue une avancée très importante, notamment pour l'INSEE, car la définition des zonages d'étude au niveau national en lien avec la politique européenne et celle d'Eurostat est essentiellement urbaine. Cependant, nous avons réussi à défendre davantage la cause rurale au niveau national, grâce à la spécificité de nos territoires nationaux et infranationaux.
Nous préparons un projet de comité de coordination entre des travaux relatifs aux ruralités, afin de qualifier la diversité des territoires ruraux. Certains sont éloignés des zones urbaines et très peu denses, comme les territoires de montagne ; certains demeurent très agricoles ; certains accueillent de manière diffuse des activités et des bassins industriels relativement importants ; d'autres enfin sont susceptibles de se mobiliser autour de l'accueil de jeunes retraités et de la diversification des activités de tourisme et de loisirs.
Nous veillerons à appréhender les diverses problématiques liées à celles des femmes dans la coordination des travaux que nous mènerons notamment avec l'INSEE, Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE) et les laboratoires universitaires.
Géraldine Derozier, cheffe de projet ruralité au sein du programme Ruralité-Montagne de l'Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT) . - Patricia Andriot et moi-même travaillons sous l'autorité de Simone Saillant à la mission ruralité. Nous nous occupons en particulier du suivi de la mise en oeuvre de l'agenda rural.
L'agenda rural constitue un ensemble de 181 mesures en faveur des zones rurales, lesquelles sont directement issues d'une mission menée en 2019 par cinq élus - quatre hommes et une femme.
Ces mesures diverses concernent l'accès aux services et leur coût, l'éducation et la formation, l'accès aux soins, l'ingénierie, le numérique et la démocratie locale. Aucune mesure ne concerne spécifiquement l'égalité femmes-hommes, mais plusieurs contribuent à favoriser un meilleur équilibre et à répondre à des enjeux d'égalité des chances. Je pense notamment aux dispositifs de mobilité, car la mobilité, en particulier au moyen de la voiture, représente un enjeu essentiel en milieu rural.
De nombreux jeunes rencontrent des difficultés à accéder au permis de conduire. C'est pourquoi nous avons soutenu un appel à projets des missions locales, qui vise à permettre aux jeunes de s'entraîner sur des simulateurs de conduite en complément des heures de conduite dispensées dans les auto-écoles, afin de mieux les préparer et de les mettre en confiance tout en limitant le nombre d'heures de conduite.
Nous suivrons cette mesure selon un filtre genré. Nous aurons ainsi accès à des données femmes-hommes sur les bénéficiaires de ces dispositifs. Nous estimons qu'environ soixante-dix missions locales de milieu rural mettront en place ces simulateurs de conduite.
Certaines mesures concernent la santé et beaucoup proposent le développement d'actions en faveur des jeunes. Les Cordées de la réussite mises en place par l'Éducation nationale permettent de jumeler des collèges ruraux avec de grandes écoles pour encourager les élèves à construire des projets de formation longue et de grande qualité. Nous suivons également cette mesure et en obtiendrons des résultats genrés.
Nous travaillons enfin avec l'Agence du service civique pour développer ce dernier dans les zones rurales. De nouveau, les résultats seront genrés.
Le nouveau dispositif de « volontariat territorial en administration » annoncé par le secrétaire d'État à la ruralité et reproduisant le « volontariat territorial en entreprise » vise à proposer un premier emploi aux jeunes diplômés de master en ingénierie. Ces derniers proposeront leur ingénierie aux communes rurales dans le cadre d'un contrat allant d'un an à dix-huit mois et soutenu financièrement par l'ANCT à hauteur de 15 000 euros. De nombreuses collectivités se sont d'ores et déjà montrées intéressées. Nous espérons que des jeunes femmes et des jeunes hommes seront ainsi motivés à venir travailler en milieu rural.
La « mesure 47 » de l'agenda rural vise à développer la communication traitant des métiers en tension dans le monde rural, afin de permettre aux femmes, notamment, d'y accéder.
Nous envisageons une convention interministérielle avec le ministère de l'égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l'égalité des chances. Elle pourrait être signée lors du prochain comité interministériel aux ruralités qui se tiendra au mois de mai 2021. Elle vise à valoriser les actions déjà conduites en milieu rural et à proposer une concrétisation des mesures de l'agenda rural dans le cadre de l'égalité hommes-femmes.
L'agenda rural se déploie également par le biais du programme Petites villes de demain qui est piloté par France Services. Notre travail consiste par ailleurs à développer la transversalité de tous les dispositifs présentés par l'ANCT et offerts aux collectivités, car nos collègues proposant un appui en ingénierie sur mesure aux territoires travaillent aussi sur les questions de la ruralité.
Enfin, à la demande du secrétaire d'État chargé de la ruralité, chaque ministère a désigné un référent ruralité qui a pour mission de soutenir et de valoriser la politique particulière mise en place en zone rurale et d'animer un réseau de référents ruralité dans les préfectures.
Annick Billon, présidente . - Je vous remercie pour cette présentation. Je retiens de vos propos que la mobilité constitue un frein qui a été souvent pointé lors de nos précédentes auditions. Les deux premières difficultés que rencontrent les femmes dans ces territoires sont la mobilité et la garde d'enfants.
J'invite nos rapporteurs à intervenir.
Marie-Pierre Monier, rapporteure . - Merci Madame la présidente. Je partage vos propos. La mobilité est le fil conducteur de nos auditions pour ce rapport.
Je suis un peu déçue de constater que peu de données genrées sont pour l'instant disponibles sur la ruralité. Je recommande pour notre rapport de progresser sur ce point.
Je suis également très surprise de la délimitation des métiers des femmes que vous avez présentée. J'ai l'impression qu'un plafond de verre s'exerce. Peu de postes à responsabilités proposés aux femmes ont été mentionnés.
Dès lors, comment faire évoluer cette situation ? L'accès aux services est limité et l'accès à la formation aussi. Les femmes sont encore pénalisées.
Considérez-vous que le télétravail, qui connaît une ampleur nouvelle dans le contexte de crise sanitaire que nous traversons, constitue une piste à approfondir pour diversifier la topologie des emplois que les femmes vivant en territoires ruraux peuvent exercer ?
Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a relevé que les orientations vers la filière professionnelle sont plus différenciées entre les filles et les garçons, les stéréotypes de genre liés aux professions étant assez prégnants dans les territoires ruraux. Quels leviers préconisez-vous d'activer pour lutter contre ces stéréotypes ?
L'offre de formation reste minime. Comment la faire évoluer ?
Enfin, vous n'avez pas évoqué l'entrepreneuriat. Quelle est la place de l'entrepreneuriat féminin dans les territoires ruraux ?
Sylviane Le Guyader . - Nous essayons de produire un maximum de données genrées. Nous nous efforcerons de vous proposer un certain nombre de tableaux, car l'étude que nous venons de publier se rapporte à la dimension territoriale.
La question de l'emploi des femmes se pose dans la ruralité. Cependant, elle ne se pose pas dans les mêmes termes selon les territoires observés. Nous mettrons à votre disposition davantage de données issues de nos bases.
Plusieurs études ont été menées sur le télétravail. Dans le cadre de la crise actuelle, les disparités se creusent clairement car le télétravail est accessible à certaines catégories d'emplois. La crise actuelle impacte indirectement les emplois à plus faible niveau de qualification, lesquels recourent moins au télétravail. Structurellement, les emplois occupés par les femmes sont donc plus touchés. Nous vous proposerons des liens vers d'autres études plus ciblées sur le sujet. Nous envisageons d'étudier les effets structurels de la crise à partir du deuxième trimestre 2021.
L'ANCT constitue avant tout un coordonnateur d'actions publiques. L'agenda rural se décline en plusieurs mesures mises en place par tous les ministères et sa dynamique intéressante permet d'aborder la situation des femmes. Cependant, il n'existe pas de programme femmes-hommes à l'Agence, car ce sujet transversal doit être approfondi par toutes les équipes.
L'entrepreneuriat féminin est abordé dans l'étude que je ne vous ai pas présentée intégralement. De belles initiatives ont été valorisées.
Pour répondre indirectement à la question portant sur la territorialité, je rappelle que nous travaillons en coordination interministérielle. L'accompagnement sur mesure existe lorsque les collectivités demandent un appui sur des projets. Des programmes thématiques comme Petites villes de demain , Action Coeur de Ville , Territoires d'industrie et France Services sont également mis en oeuvre.
La contractualisation constitue un troisième niveau d'intervention. Les nouveaux contrats de relance et de transition écologique, ou CRTE, seront proposés au niveau de l'intercommunalité sur tout le territoire national, y compris en outre-mer. Ils s'adosseront aux contractualisations habituelles que sont les contrats de plan État-Région ou les programmes européens. Ils permettront ainsi de travailler plus finement au niveau local. Dans ce cadre, les élus locaux auront l'opportunité de mieux prendre en compte la problématique des femmes. Ces périmètres de contrat ont été proposés par les acteurs locaux et sont coordonnés par les préfets de département.
Il semble donc qu'un levier d'action existe à l'échelle de l'intercommunalité. Un travail plus précis mettra en évidence les fragilités d'un territoire donné et les actions spécifiques à mener. La mobilité nécessite notamment une analyse fine des distances, à la dizaine de kilomètres près. Nous savons qu'il est vain de proposer à des femmes de travailler à cinquante kilomètres de leur domicile, car cette distance créera des difficultés pour elles.
Pour identifier les besoins des territoires sur ces questions, toutes les politiques de droit commun de tous les ministères méritent d'être déclinées à l'échelle territoriale fine proposée au travers des CRTE.
Jean-Michel Arnaud, rapporteur . - Merci Madame la présidente, merci aux intervenantes de ce matin pour la qualité de leur exposé.
Les auditions qui se sont tenues dans mon département ont mis en lumière le déficit d'offres de formation de niveau Bac+2 pour les jeunes filles, lesquelles rencontrent des difficultés en zone rurale pour effectuer de longs trajets dans le cadre de leur formation initiale.
Le réseau des lycées professionnels a mis en évidence la nécessité de travailler avec l'Éducation nationale et le ministère de l'enseignement supérieur sur la diversification des offres de formation de type Bac+2 dans les territoires ruraux, afin d'accompagner les jeunes filles vers les métiers du numérique et du digital, car les réseaux se développent dans les territoires équipés de la fibre. Il reste néanmoins à imaginer et à structurer les usages et les métiers, car les filières sont émergentes.
D'autre part, les établissements de soins - EHPAD et réseaux de gérontologie de proximité - rencontrent des difficultés à recruter des personnels, en raison du déficit de formation observée dans ces territoires ruraux.
Le rapport que le CGET a publié l'année dernière sur la manière de favoriser l'accès à l'emploi des femmes dans les territoires ruraux montre une certaine faiblesse sur ce sujet. Avez-vous avancé sur ces préoccupations dans le cadre de l'agenda rural avec Joël Giraud ? Quelles stratégies l'ANCT et votre ministère développent-ils ?
Géraldine Derozier . - Dans l'agenda rural, les campus connectés constituent une mesure d'avenir. Le ministère de l'enseignement supérieur finance l'installation de campus à distance pour permettre aux jeunes ruraux d'accéder à toutes les formations à distance disponibles sur l'ensemble de la France.
Un directeur de campus m'a assuré que les résultats en matière d'obtention des diplômes et de maintien dans la formation sont très bons. De plus, les jeunes ruraux diffèrent leur projet de départ vers un grand pôle universitaire. Souvent, ils n'imaginaient pas pouvoir effectuer leurs études supérieures dans un grand pôle universitaire. Le campus connecté leur permet de poursuivre leurs études à proximité de leur domicile pendant un ou deux ans, à l'issue desquels ils se sentent suffisamment armés pour rejoindre un grand pôle universitaire.
Le campus connecté encourage les projets professionnels des jeunes et élargit leur éventail de possibilités au plus près de leur territoire. Encore faut-il que les jeunes connaissent ce dispositif et s'imaginent capables d'y accéder.
Nous soutenons donc l'action de différentes associations. L'une des plus connues, Chemins d'Avenirs , a été fondée par Salomé Berlioux. Elle propose un accompagnement par des personnalités ou des experts de divers métiers et territoires pour permettre aux jeunes, notamment aux jeunes filles, d'imaginer leur avenir professionnel au-delà de leurs ancrages habituels.
Nous soutenons également le projet Madame Artisanat qui a été initié par l'Assemblée permanente des chambres des métiers et de l'artisanat pour développer l'entrepreneuriat féminin dans le monde rural.
Nous apportons enfin notre soutien à une étude que nous avons récemment engagée sur l'exode urbain. Liée à la crise de la Covid-19, elle vise à confirmer le phénomène d'exode urbain, à inventorier, dans les territoires attractifs, les possibilités de reprise d'entreprise et à identifier les repreneurs potentiels.
Sylviane Le Guyader . - L'ANCT propose en effet des approches par programmes et par territoires, mais ses champs d'intervention sont aussi sectoriels. L'Agence a été rejointe par l'Agence du numérique, dont une équipe déploie désormais ses actions sur l'ensemble des territoires, y compris les territoires ruraux. Les approches sur l'inclusion numérique constituent ainsi un levier en faveur de l'égalité des chances pour les personnes les plus éloignées.
Le projet numérique, transversal, a bénéficié du plan de relance et a vocation à prendre de l'ampleur.
Martine Filleul . - Merci Mesdames pour vos interventions. Je souhaite vous interroger au sujet des familles monoparentales en milieu rural. Sylviane Le Guyader a évoqué la triple peine des femmes cheffes de familles monoparentales dans la ruralité, confrontées plus que d'autres aux difficultés ou à l'absence de modes de garde. Disposez-vous d'éléments plus précis à nous communiquer sur ce sujet ?
Vous avez également évoqué des actions publiques qui pourraient être menées pour favoriser la mobilité des femmes et des jeunes filles en milieu rural. Pourriez-vous nous les présenter ?
Sylviane Le Guyader . - Je réponds au sujet des familles monoparentales et je vous communiquerai des données très précises pour vous permettre d'objectiver cette situation. D'une manière générale, les territoires ruraux, peu denses, voire très peu denses, offrent moins de services, l'offre de gardes d'enfants y est notamment peu étoffée. Je vous renouvelle ma proposition de compiler rapidement quelques données chiffrées.
Je laisse à Géraldine Derozier le soin de présenter les actions publiques.
Géraldine Derozier . - Les actions ne sont pas toujours publiques, mais elles sont soutenues par le public. Je ne pourrai pas être exhaustive. En premier lieu, je citerai le projet Tressons qui vise à analyser et à renforcer l'impact de l'économie sociale et solidaire (ESS) sur les territoires ruraux et à permettre aux femmes de prendre toute leur place dans de nombreux domaines. Il propose notamment des solutions pour développer leur mobilité.
Certaines associations sont soutenues par des collectivités. Des initiatives de « pays » ou d'intercommunalités émergent pour proposer des solutions de covoiturage et de prêt de véhicules. Je pense également à certains réseaux de covoiturage gratuits, comme Rezo Pouce , ou à des réseaux sécurisés pour les mineurs. En effet, les parents des jeunes filles ne sont pas toujours en mesure de les accompagner en voiture à leurs activités. Leurs trajets en covoiturage ou en autostop doivent donc être sécurisés. De nombreuses offres existent sur les territoires. Je vous proposerai quelques liens d'accès.
Certaines solutions de garde d'enfants encouragent la mobilité des femmes en leur permettant d'accepter des horaires décalés. Il existe des micro-crèches et des crèches parentales à horaires décalés. Dans les Hautes-Alpes, une crèche a mené une expérimentation visant à permettre aux femmes de participer à la vie sociale et culturelle. Une fois par mois, l'établissement ouvre la nuit pour permettre aux femmes de participer à des réunions d'associations ou à des réunions de conseils municipaux. Le nombre de places est limité mais les résultats semblent concluants.
Je souhaite revenir sur les difficultés de mobilité des jeunes filles, notamment pour faire du sport. J'y ai été particulièrement sensibilisée lorsque je travaillais dans le Massif central. De nombreuses études montrent que les équipements sportifs de plein air - terrains de football et de rugby - sont souvent réservés aux hommes, tandis que les équipements sportifs intérieurs sont plutôt réservés aux femmes. Or tous les territoires ne disposent pas d'équipements intérieurs. C'est pourquoi de nombreuses communautés ou communautés de communes ont mis en place un système de ramassage ou de covoiturage pour les jeunes.
Annick Billon, présidente . - Merci Mesdames pour vos réponses. Nous sommes véritablement intéressés par toutes les bonnes pratiques qui peuvent être expérimentées à l'échelle de la commune, de l'intercommunalité, du département ou encore de la région.
La mobilité et la garde des enfants demeurent des freins majeurs. Nous attendons les différents éléments, statistiques et bonnes pratiques, auxquels vous avez fait référence.
Nous vous remercions d'avoir participé à l'audition de ce matin.
Je remercie également tous les collègues présents au Sénat et connectés ce matin ainsi que Victoire Jasmin, qui a représenté les territoires ultramarins.
Audition de Mmes Laure Pinel,
chargée d'études au Bureau Jeunesse Famille de la DREES, et
Yaëlle Amsellem-Mainguy, sociologue,
chargée de recherche
à l'INJEP
(18 mars 2021)
Présidence de Mme Annick Billon, présidente
Annick Billon, présidente . - Chers collègues, avant de débuter notre audition, je vous rappelle que dans la perspective de l'examen en séance publique au Sénat du projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, qui devrait avoir lieu au cours de la première semaine de mai, notre collègue Claudine Lepage poursuit ses travaux sur le sujet de l'égalité femmes-hommes comme enjeu de l'aide publique au développement. Elle avait été nommée rapporteure sur cette thématique au nom de notre délégation au cours de la session 2019-2020. Elle fera à ce titre une communication en délégation, puis une intervention en discussion générale à l'occasion de l'examen de ce texte.
Nous nous intéressons ce matin, dans le cadre de notre rapport « Femmes et ruralités », aux conditions de vie des jeunes femmes en milieu rural, et accueillons à ce titre deux intervenantes ayant récemment publié des études sur le sujet :
- Laurie Pinel, chargée d'étude au Bureau Jeunesse Famille de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) et auteure d'une étude intitulée Conditions de vie des jeunes femmes en zone rurale : des inégalités par rapport aux hommes ruraux et aux urbaines , publiée en juillet 2020 ;
- et Yaëlle Amsellem-Mainguy, sociologue, chargée de recherche à l'Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire (INJEP), auteure d'une enquête sur les jeunes femmes en milieu rural issues des classes populaires, intitulée Les filles du coin , publiée en septembre 2019, et d'un ouvrage du même nom à paraître aujourd'hui même.
Je les remercie de s'être rendues disponibles pour nous ce matin.
À l'attention de nos invitées, je précise que la délégation aux droits des femmes du Sénat a inscrit à son agenda de 2021 un travail destiné à établir un bilan aussi complet que possible de la situation des femmes dans les territoires ruraux, à partir de thèmes tels que la santé, la lutte contre les violences, l'orientation scolaire et universitaire, la mobilité, la précarité ou l'égalité professionnelle.
Notre objectif est aussi, à l'occasion de ce rapport, de mettre en valeur des femmes qui, par leur engagement, contribuent au dynamisme de ces territoires.
Je précise également que nous avons désigné, pour mener à bien notre travail, une équipe de huit rapporteurs associant tous les groupes politiques de notre assemblée et qui représentent des territoires très divers : Vienne, Drôme, Lozère, Rhône, Hautes-Alpes, Haute-Garonne, Finistère et Dordogne.
Avec nos deux intervenantes, nous nous intéressons donc aujourd'hui aux conditions de vie des jeunes femmes en milieu rural.
Laurie Pinel, en tant que chargée d'étude à la DREES, pourra notamment nous apporter un éclairage statistique sur les conditions de vie des jeunes femmes en zone rurale et souligner les inégalités auxquelles elles sont confrontées, à la fois vis-à-vis des jeunes hommes vivant dans ces territoires, mais aussi vis-à-vis des jeunes urbaines.
Yaëlle Amsellem-Mainguy, en tant que sociologue et auteure d'une enquête de terrain très fouillée auprès de jeunes femmes vivant dans des territoires ruraux très variés et souvent issues des catégories populaires, pourra nous expliquer en quoi l'origine géographique de ces jeunes filles a une influence déterminante sur leur destin scolaire et professionnel.
La question de l'orientation scolaire des jeunes filles qui grandissent dans les territoires ruraux est d'ailleurs pour notre délégation un sujet crucial. Nous avons conscience que ces jeunes filles sont confrontées non seulement aux difficultés que rencontrent les jeunes ruraux dans la définition de leurs projets d'orientation, mais aussi aux stéréotypes de genre. Ces obstacles cumulés contribuent pour ces jeunes filles à des choix doublement contraints vers des filières souvent moins prestigieuses et moins prometteuses en termes de débouchés professionnels.
Comment se manifestent concrètement les freins qui brident les ambitions des jeunes filles qui grandissent dans les territoires ruraux ? En quoi ces freins sont-ils spécifiques par rapport aux obstacles que rencontrent les garçons des mêmes territoires et à ceux que rencontrent des jeunes femmes issues d'autres zones géographiques ?
Quels sont les facteurs de la spécificité des trajectoires scolaires et professionnelles des jeunes femmes en milieu rural : la construction des réseaux de sociabilité ? Les difficultés de mobilité ? Les stéréotypes de genre ? Quel est l'impact de ces facteurs sur l'insertion socioprofessionnelle de ces jeunes femmes ? Avez-vous observé sur le terrain des bonnes pratiques permettant d'aider efficacement les jeunes filles des territoires ruraux à réaliser leur potentiel ? Quels sont, selon vous, les leviers les plus efficaces pour orienter les politiques publiques vers une véritable égalité des chances à l'attention des jeunes filles de ces territoires ? Autant de questions auxquelles j'invite nos deux intervenantes à répondre ce matin.
Je vais donc, dans un premier temps, donner la parole à Laurie Pinel afin qu'elle nous présente les principales conclusions de son étude, publiée en juillet 2020 pour la DREES, sur les conditions de vie des jeunes femmes en zone rurale. Puis j'inviterai Yaëlle Amsellem-Mainguy à nous faire part des résultats de son enquête de sociologie publiée en septembre 2019 sur les jeunes femmes en milieu rural, enquête que vous avez depuis actualisée et qui fait désormais l'objet d'un ouvrage intitulé Les filles du coin - Vivre et grandir en milieu rural sorti aujourd'hui dans toutes les bonnes libraires.
Laurie Pinel, chargée d'études au Bureau Jeunesse Famille de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) . - Bonjour à toutes et à tous. Je vais m'attacher à vous présenter les différents constats que nous avons pu tirer d'une étude sur les conditions de vie des jeunes femmes en zone rurale. Nous souhaitions nous pencher sur les inégalités qu'elles pouvaient subir par rapport aux jeunes urbaines, mais aussi par rapport aux jeunes hommes ruraux, à l'intersection entre un effet de territoire et un effet de genre. Je ne vous présenterai pas les inégalités classiques entre les jeunes hommes et les jeunes femmes, mais les inégalités spécifiques aux territoires ruraux.
La Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) est un service ministériel évoluant dans le champ de la santé et du social. Elle a pour mission prioritaire de répondre aux demandes de ses ministères de tutelle, les ministères sociaux, mais aussi de fournir des informations fiables et des analyses sur la population et les politiques sanitaires et sociales. C'est dans ce cadre que nous avons réalisé notre étude sur les jeunes femmes rurales. Elle est assise sur des données d'une enquête de la DREES et de l'INSEE portant sur les ressources des jeunes. Nous avons utilisé une définition du rural spécifique à la DREES, et non la définition officielle de l'INSEE.
Vous pouvez observer sur la carte projetée plusieurs nuances de vert. Elles représentent les différentes formes de ruralité que nous avons mises en avant. Je ne les ai pas distinguées dans mon étude. Elles sont différenciées par la densité de population du territoire, mais également par la dynamique du territoire environnant, en termes de mobilité possible ou de dynamique d'emploi par exemple. Une ville peu dense, mais proche d'un pôle urbain dynamique, ne sera pas nécessairement considérée comme un territoire rural.
Cette enquête a interrogé des jeunes de 18 à 24 ans. 1,2 million des cinq millions de jeunes de cette tranche d'âge vivaient en milieu rural au moment de l'enquête. Nous avons supposé qu'une grande majorité de ceux dont les parents vivent également en zone rurale y ont passé une grande partie de leur enfance et adolescence. Nous avons constaté que seuls 2 % des jeunes vivant en territoire rural avaient des parents vivant en zone urbaine. Nous avons également observé une sous-représentation des femmes parmi ces jeunes de 18 à 24 ans qui vivent en milieu rural : en effet, 45% sont des filles, alors qu'en zone urbaine on compte autant de filles que de garçons. Cela s'explique par le fait que les filles quittent plus souvent ces territoires (du moins sur cette tranche d'âge), a priori pour poursuivre des études ou trouver un premier emploi : 12% des filles en zone urbaine (environ 8 % des garçons) ont leurs parents qui vivent en zone rurale. Dit autrement, cela représente trois filles de parents en zone rurale sur dix contre deux garçons sur dix. Concernant les spécificités de leur trajectoire scolaire, je n'aborderai pas ici les inégalités avec les jeunes hommes ruraux, puisque nous les retrouvons par ailleurs en zone urbaine. Les filles font toujours plus d'études que les garçons à l'heure actuelle. Nous constatons toutefois qu'elles sont moins souvent en cours d'études que les jeunes filles en zone urbaine, et qu'elles suivent des études plus courtes. Nous l'expliquons par plusieurs hypothèses. D'une part, les formations proposées en zone rurale correspondent plus souvent à des licences professionnelles, des BTS, des instituts de formation en soins infirmiers par exemple et des instituts universitaires technologiques (IUT), c'est-à-dire de manière générale à de l'enseignement technologique et professionnalisant. Ces formations sont mieux réparties sur l'ensemble du territoire, notamment dans les zones rurales, et permettent ainsi aux jeunes femmes de limiter les coûts de mobilité, mais aussi affectifs et financiers. D'autre part, ce type de formations est généralement considéré comme plus professionnalisant et favorisant une meilleure insertion professionnelle, ce qu'elles recherchent.
Sur le marché de l'emploi, nous constatons que les opportunités offertes en territoire rural relèvent souvent d'un travail peu qualifié pour lequel l'investissement dans un diplôme ne serait pas particulièrement rentable, ce qui peut également expliquer le fait que ces jeunes femmes fassent moins d'études que les jeunes femmes urbaines.
S'agissant des jeunes femmes déjà sorties des études, nous constatons que les jeunes femmes rurales occupent aussi fréquemment un emploi que les jeunes urbaines, à caractéristiques égales : même origine sociale, même diplôme, même âge... Le fait qu'elles occupent des emplois plus précaires en termes d'horaires, de chômage ou de contrats n'est pas directement lié au territoire, mais plutôt à leurs trajectoires scolaires.
D'un autre côté, les jeunes femmes rurales s'insèrent moins bien sur le marché du travail que leurs homologues masculins alors que ces inégalités ne sont pas directement visibles chez les urbains. Les jeunes femmes rurales sont plus souvent au chômage que leurs homologues masculins. Elles déclarent également moins souvent que les jeunes hommes ruraux avoir été aidées, par leurs parents notamment, dans leurs recherches d'un premier emploi. Il est intéressant de le souligner, puisque nous parlons souvent de l'importance du réseau et de la sociabilité à ce niveau. On observe ainsi ici une inégalité de genre visible, qui n'est pas présente dans les zones urbaines où ce type de démarches est moins fréquent (de l'ordre de 20 %) et où la différence est relativement peu marquée entre hommes et femmes. S'agissant de la vie sociale des jeunes femmes rurales, sans que ce facteur n'influe directement sur leur trajectoire scolaire ou professionnelle, un peu moins ambitieuse et peut-être plus contrainte, nous avons remarqué que les jeunes rurales étaient plus souvent en couple que les jeunes urbaines, et qu'elles cohabitaient plus souvent avec leur partenaire. Nous ne l'avons pas constaté chez les jeunes hommes ruraux, ce qui s'explique par le fait que ces jeunes femmes sont souvent en couple avec des hommes plus âgés qu'elles d'environ deux ans et demi.
Elles déclarent dépenser sensiblement autant pour leurs sorties que les urbaines, mais davantage pour les activités sportives (autant que leurs homologues masculins), deux fois moins pour effectuer des voyages à l'étranger que les jeunes femmes urbaines, moins que les jeunes hommes ruraux. Lorsque nous leur demandons si elles ont l'impression de se priver de ce type de loisirs, elles ne manifestent pas une plus grande frustration. Elles peuvent avoir intériorisé le manque d'offre en la matière, ou avoir des attentes différentes. Les enquêtes de terrain permettent de répondre à ce genre d'hypothèses.
En résumé, nous avons constaté qu'en milieu rural, les jeunes femmes présentaient des différences marquées par rapport aux jeunes urbaines s'agissant de leur trajectoire solaire, mais pas de différences spécifiques au seul territoire par rapport à leurs homologues masculins. Nous avons en revanche observé que les divergences en termes d'insertion sur le marché du travail entre les femmes des différentes zones n'étaient pas dues au territoire, mais plutôt à leurs caractéristiques propres, tandis que celles que nous observons avec les jeunes hommes ruraux semblent être liées à la fois à une inégalité de genre et à un effet de territoire. Nous avons noté que ces jeunes filles étaient plutôt avancées dans leur vie sociale et qu'elles ne présentaient pas de frustration particulière.
En conclusion, je souhaite évoquer devant vous « celles qui partent », qui quittent leur territoire rural. Nous avons constaté une proportion plus importante de jeunes femmes de 20 à 24 ans parmi celles qui partent. Elles sont aussi plus souvent en cours d'études que les jeunes restées en zone rurale. Elles peuvent avoir démarré leur cursus sur leur territoire avant de déménager pour le poursuivre ou pour rejoindre un premier emploi. Nous avons été surpris de réaliser qu'elles n'étaient pas issues d'un milieu plus favorisé que celles qui ne quittaient pas le milieu rural. Elles viennent souvent d'un milieu populaire, comme la majorité des jeunes vivant en zones rurales. Elles semblent plus avancées dans leur processus d'autonomie et sont encore plus souvent en couple que les jeunes rurales. Elles sont aussi plus souvent totalement décohabitantes de leurs parents, en ne rentrant pas chez eux le week-end.
Merci pour votre attention. Je me tiens à votre disposition si vous avez des questions.
Annick Billon, présidente . - Merci beaucoup. Je cède la parole à Yaëlle Amsellem-Mainguy, connectée à distance, avant de procéder à un échange de questions-réponses avec les membres de la délégation.
Yaëlle Amsellem-Mainguy, sociologue, chargée de recherche à l'Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire (INJEP) . - Merci beaucoup de votre invitation. Je suis très heureuse de vous présenter mon travail, d'autant plus que l'ouvrage Les filles du coin sort aujourd'hui, comme vous l'avez souligné.
Ma présentation sera très succincte. Elle ne donnera pas de point de vue général sur toute l'enquête et sa richesse. Je vais compléter celle de Laurie Pinel en précisant les parcours et trajectoires des jeunes femmes que j'ai pu rencontrer.
Je ne reviendrai pas sur le rôle de l'INJEP, Institut national de la jeunesse et des politiques de jeunesse, qui propose de nombreuses publications sur l'ensemble de la jeunesse, le sport, la vie associative et l'éducation populaire, et sur les femmes. Nous sommes plusieurs, au sein de l'INJEP, à travailler sur les questions du genre et des inégalités.
J'ai débuté la recherche intitulée Les filles du coin en 2017 pour contribuer à une meilleure connaissance et compréhension des jeunes vivant en milieu rural en France, et pour compléter les travaux menés par Nicolas Renahy dans son ouvrage Les gars du coin , paru en 2010, et Benoit Coquard dans Ceux qui restent , récemment publié. Je suis moi-même partie enquêter auprès des filles qui restent. Les filles du coin, celles qui restent serait un bon clin d'oeil à mes collègues sociologues ayant enquêté sur les territoires ruraux.
Cette enquête s'est intéressée à une perspective des âges de la vie et des processus de socialisation. Elle visait à comprendre les sociabilités juvéniles en construction, en interrogeant des adolescentes et jeunes femmes adultes pour décrypter ce que signifie grandir en zone rurale pour ces jeunes filles, avec une définition subjective de la ruralité. Je n'ai établi aucun présupposé sur la définition de la ruralité. Celles qui ont participé à mon enquête estimaient qu'elles vivaient en milieu rural, et m'expliquaient lors de l'entretien ce qu'elles entendaient par là.
J'ai mené cette enquête par le prisme du genre et des classes sociales, en n'interrogeant que des jeunes femmes des classes populaires, plus nombreuses en zone rurale. Je l'ai prolongée depuis septembre 2020 afin de documenter la situation des jeunes adolescentes en milieu rural et leur manière de vivre les confinements mais n'en traiterai pas aujourd'hui.
Cette enquête visait à comprendre la vie en milieu rural de jeunes femmes ayant entre 14 et 25 ans essentiellement. J'ai interrogé une jeune fille de 13 ans et une autre de 29 ans, mais la grande majorité des 173 jeunes femmes rencontrées étaient âgées de 16 à 25 ans. Elles m'ont parlé de leur vie dans des hameaux, des villages ou des petites villes de moins de 8 000 habitants voire des petits bourgs commerçants. Elles se décrivent comme éloignées des grandes villes, dans la campagne, en milieu rural, dans un trou perdu ou au milieu de rien. Ce sont les filles qui ne sont pas parties, ou qui sont éventuellement parties tenter une expérience urbaine pour finalement revenir, ou encore qui viennent d'un autre territoire rural. Je n'ai pas enquêté sur celles qui ont quitté la ruralité pour suivre des études supérieures en ville avant de revenir une fois diplômées.
J'ai décidé de mener une enquête auprès de jeunes filles de différents secteurs géographiques vivant en pointe Finistère, dans les Deux-Sèvres, dans la Chartreuse, les Ardennes - la Vallée de la Meuse, avec l'objectif de découvrir comment le territoire pouvait influer sur le parcours des filles. Comment une zone touristique bénéficiant d'un atout géographique ou de caractéristiques connues et reconnues de tous, illustrés par les cartes postales comme la Pointe Finistère ou la Chartreuse, a-t-elle une influence sur les filles qui y vivent ? Comment se définissent-elles par rapport à ce contexte économique ? Comment mettre en regard les expériences des filles vivant dans les Deux-Sèvres ou les Ardennes, plus sinistrées économiquement du fait de la désindustrialisation, et ne constituant pas de pôles touristiques reconnus ? À titre d'exemple, les filles des Ardennes indiquent habiter un lieu « que personne ne sait situer sur une carte », tandis que celles du Pays de Gâtine précisent qu'elles vivent sur un territoire « que l'on traverse sans s'y arrêter ».
Une partie des filles que j'ai rencontrées suivent des études en lycée général, technologique ou professionnel, et y préparent des CAP ou des BEP ou s'orientent vers des BTS ou des DUT. Certaines sont en maisons familiales rurales (MFR) ou en lycée agricole. Celles qui travaillent occupent majoritairement des postes précaires et recherchent un emploi stable bien rémunéré. Elles insistent sur l'importance de leur indépendance économique et sur leur situation au regard de leur partenaire, mais aussi de leur famille. Elles soulignent la nécessité impérative de trouver un emploi. Elles déclinent toutes les mêmes discours lorsqu'elles évoquent leur territoire : « faire avec » et « devoir s'adapter ». Ces deux expressions apparaissent régulièrement au fil de mon enquête, ainsi que lors des entretiens que j'ai menés auprès des 15-17 ans depuis le mois de septembre 2020. Elles doivent composer avec leur environnement.
Elles sont une très faible minorité à occuper des emplois stables et salariés, elles occupent davantage des postes plus précaires aux horaires fractionnés les obligeant à s'adapter à des emplois du temps compliqués, par exemple de 7 à 12 heures puis de 15 à 19 heures. Que faire dans ce cas de 12 à 15 heures ? Si elles peuvent passer le temps dans leur voiture ou celle d'une collègue ou amie, à regarder des clips sur un téléphone, il n'est pas toujours possible de faire des allers-retours jusqu'au domicile, parfois éloigné du lieu de travail sans parler des coûts du carburant, etc.
C'est donc auprès de toutes ces jeunes femmes se trouvant dans des situations de dépendance économique et résidentielle, en partie en raison de leur jeunesse, disposant de peu de capitaux familiaux, que porte cette enquête. Nous allons préciser comment elles ont réussi à se construire et à construire leur vie en territoire rural.
L'interconnaissance est bien décrite dans la bande dessinée Quatre soeurs au sens d'appartenir à un réseau, tel qu'évoqué par Laurie Pinel dans sa présentation, et le sentiment d'être « du coin ». Dans leurs propos, on comprend comment il est moins important d'être née précisément sur le territoire que d'être reconnue dans celui où on habite, dans le village, la ville ou l'espace social. Ce facteur est souvent lié à l'histoire familiale. La notoriété et la notabilité des familles interviennent largement sur les trajectoires des jeunes femmes, sur leur parcours, leur réseau et les capitaux qu'elles pourront mobiliser. On parlera en sociologie de « capital d'autochtonie », plus tournés vers le réseau et le relationnel que vers l'aspect économique. Ils sont renforcés par le fait d'habiter un territoire particulier. L'inscription des jeunes femmes dans les sociabilités locales, en partie liées aux sociabilités familiales, leur permettra d'accéder à certains lieux ou certains emplois, mais aussi à certaines formes de mobilité géographique, indépendamment ou en complément de leur parcours scolaire. Elles pourront bénéficier d'un aller-retour en voiture, accéder à un match de football, davantage réservé aux garçons, et ainsi de suite. À l'inverse, les filles des familles les plus précaires parmi celles des milieux populaires ne disposant pas de capitaux familiaux mobilisables vont se retrouver exclues de ces réseaux et stigmatisées par le reste des jeunes et des adultes.
Lors de l'adolescence, ces jeunes filles passent beaucoup de temps à parler de leurs loisirs. Pendant l'enfance, elles bénéficient des équipements et des clubs au même titre que les garçons, puisque les enfants font du sport en mixité sans difficulté. Elles peuvent expérimenter une multitude de disciplines, y compris des sports collectifs relativement genrés. En revanche, à l'adolescence, elles vont devoir débuter ou poursuivre la pratique du sport en non-mixité, comme si la société découvrait à cette période qu'elles avaient un sexe. Elles sont très claires et lucides sur la situation, et pointent l'ensemble des disparités : une offre sportive moins variée, moins d'entraîneurs sportifs, moins d'accès aux équipements... L'offre à leur disposition est largement moins étoffée que celle dont disposent les garçons, les poussant à arrêter leurs activités sportives. La représentation sociale selon laquelle les filles n'aiment pas faire du sport, raison pour laquelle elles s'éloignent des pratiques sportives, est présente sur l'ensemble du territoire et largement partagée par les adultes, mais sur les territoires enquêtés, c'est aussi parce qu'elles y ont peu accès. Il faut qu'une personne se motive pour organiser une équipe de filles ou des matchs de sports collectifs, pour rechercher une équipe adverse pas trop éloignée, etc. À l'adolescence, au fil des années lycées, les filles sont jugées trop « vieilles » pour rester dans des équipes juniors. Elles rejoignent donc les équipes seniors pour y jouer avec des femmes de 30 ou 40 ans dont elles ne partagent pas les préoccupations. Je me souviens d'une fille m'ayant rapporté les propos d'une autre femme lors d'un match, parlant des soucis de santé de son petit dernier, sujet qui ne l'intéresse pas et qu'elle ne souhaite pas aborder. Elle veut des copines et va donc arrêter le basket, qu'elle pratique depuis sept ou huit ans, parce qu'elle ne s'y retrouve plus, ni sur les horaires, ni sur l'interconnaissance et les sociabilités juvéniles permises par la pratique sportive.
Cet éloignement des pratiques encadrées contribue au fait que les filles se retrouvent entre elles dans les intérieurs pour y développer elles-mêmes leur temps libre et leurs pratiques de loisirs qui ne sont pas valorisés au même titre que celles des garçons. Par exemple, un certain nombre de filles font des activités de Do It Yourself (DIY) en s'appuyant sur des tutoriels sur Internet. Elles acquièrent des compétences. En entretien, elles indiquent qu'elles ne font « rien » lorsqu'elles sont chez elles - ce « rien » est très intéressant à creuser en sociologie. Quand elles ne font « rien », elles conçoivent par exemple des bijoux. Dans ce cas, elles développent une véritable expertise technique. Une des filles m'a expliqué qu'elle avait acheté un fer à souder sur Internet. Je lui ai répondu « ah bon, tu fais de la soudure ? », ce à quoi elle a rétorqué « non, je ne fais que des bijoux ». En réalité, lorsqu'elle fait des bijoux, elle fait de la soudure. Cet exemple illustre à quel point des compétences non formelles acquises dans un cadre de loisirs, dédiées aux bijoux et positionnées dans la sphère féminine, ne sont pas transférables dans leur esprit comme étant des compétences qu'elles pourraient faire valoir dans un autre cadre - notamment professionnel.
Elles sont également nombreuses à soutenir leur famille. Elles deviennent rapidement des piliers dans l'organisation du foyer, la gestion des frères et soeurs (surtout lorsqu'ils et elles sont plus petits), la préparation des repas, la gestion des devoirs ou l'accompagnement et les visites chez les personnes âgées de leur entourage. Elles occupent une place particulière dans la famille, et nous indiquent toujours que la situation est différente pour leurs éventuels frères ou leurs copains garçons.
Je ne reviendrai pas sur les données objectives et statistiques, mais nous voyons bien que le fait d'occuper une place dans la situation locale et familiale, et d'avoir des parents qui croient en la méritocratie scolaire tout en ne bénéficiant que d'emplois peu qualifiés sur le territoire incite ces filles à mener des études courtes. S'y ajoutent la connaissance de personnes ayant réussi sans avoir nécessairement suivi de longs cursus et la rentabilité des études dans des milieux dans lesquels il est possible de s'en sortir sans avoir poursuivi d'études. Cette question constitue un point de friction entre les filles et leurs mères, les coûts des études étant multiples. Laisser partir sa fille représente un coût familial, car elle aidait à l'organisation locale, un coût économique par la nécessité de lui trouver un hébergement et d'assurer sa subsistance et ses déplacements ainsi qu'un coût amical et amoureux. Ces facteurs sont autant de freins à la mobilité géographique et à leurs aspirations d'accéder à des études éloignées de leur territoire d'origine et plus variées que celles qui sont proposées à proximité de chez elles.
Dans cette perspective de rentabilité, il ne faut pas oublier le doute qui peut exister d'une partie de leur entourage sur la pertinence de suivre des études universitaires très généralistes. En entretien, une fille m'expliquait avoir découvert la philosophie au lycée et avoir adoré cette matière. Elle en a parlé à sa mère, qui lui a répondu « mais tu as déjà vu une annonce de recrutement de philosophe ? ». Objectivement, il est vrai qu'il est difficile de justifier de l'intérêt et de la rentabilité des études de philosophie dans le spectre professionnel ouvert et offert sur le territoire. Derrière cette orientation de proximité et ces effets de structuration autour de l'offre de formation et d'économie du territoire, nous constatons un effet des ressources possibles et mobilisables pour obtenir un emploi, pour accéder à la formation et à l'information via l'interconnaissance et les différents parcours. L'exemple d'une connaissance ayant suivi un certain parcours est très fort. Au contraire, une personne ayant suivi un certain cursus avant d'échouer constitue une preuve qu'il est inutile d'en faire de même. En complément, les réseaux peuvent permettre d'accéder à certaines orientations ou certains emplois, en connaissant quelqu'un qui permettra d'atteindre telle ou telle situation.
Il m'a également semblé important de souligner la participation collective à l'invisibilisation du travail des jeunes femmes dans les territoires ruraux par les femmes et les hommes, par les adultes comme par les jeunes. On va considérer trop facilement ou trop souvent qu'il est normal pour une fille de « donner un coup de main ». Une fille ne travaille pas, elle « donne un coup de main ». Il est normal qu'elle s'occupe des enfants, puisqu'elle les aime. Les travaux en sciences sociales ont pourtant bien documenté le fait qu'aimer les enfants ne relevait pas de la biologie, mais d'une socialisation, d'une construction sociale. Elles ont appris à s'en occuper et à faire attention aux autres, en tant que filles. Elles sont sollicitées pour dépanner, pour être auprès de leurs proches et des familles, pour investir la vie quotidienne, sans que ces tâches ne soient qualifiées comme du travail. Elles vont également participer largement à la vie locale, sans en avoir la reconnaissance. J'ai par exemple assisté à plusieurs fêtes de village, où les garçons sont en charge du montage des barnums et de l'organisation des barbecues tandis que les filles travaillent avec leurs mères pour préparer les tables et le repas. Lors du discours d'introduction de l'élu local, les garçons et les hommes seront largement félicités pour la qualité de leur travail et leur performance physique. Les filles et les femmes ne recevront pas autant de remerciements publics, puisqu'il est « normal » d'organiser, d'assurer l'intendance, de préparer le repas et d'apprêter les tables. Cela participe à l'invisibilisation de leur participation dans l'espace local, et à la moindre ouverture des réseaux d'interconnaissance lorsqu'elles se trouvent dans ces lieux de participation.
Cette enquête a mis en évidence la difficulté pour certaines filles plus âgées d'investir les bastions plus masculins : rejoindre les pompiers, monter son activité... Une jeune femme qui avait décidé d'ouvrir un bar s'est vue opposer par les adultes plus âgés, femmes comme hommes, qu'il ne s'agissait pas d'un emploi pour les femmes, qu'elle ne saurait pas gérer les hommes, l'alcool, les ambiances et les bagarres. Il y a bien un rappel genré des compétences, alors même qu'une autre femme tient un bar dans le village d'à côté.
La situation des filles des milieux populaires habitant en zone rurale est intéressante car même si elles estiment - à juste titre - que leur vie n'est pas si différente de celle des autres jeunes femmes en France, leur discours pointe de nombreuses disparités en lien avec la classe sociale, le genre et le territoire. Les filles rencontrées évoquent pour un grand nombre d'entre elles un ensemble d'inégalités liées à leur situation rurale, et ce même parmi les plus jeunes. Elles évoquent tour à tour :
- leur éloignement des services publics ou des offres de soin ;
- le manque de transports en commun et leur coût - hors période touristique, elles doivent se contenter des transports scolaires, même lorsqu'elles ne sont plus scolarisées ;
- le peu de lieux de sorties symboliques en termes de sociabilité juvénile ;
- les grandes précarités de conditions de vie ;
- les disparités avec les touristes et les villes riches ;
- la concurrence, en termes d'emploi saisonnier, avec les filles ayant quitté le territoire pour revenir y travailler l'été ou avec les urbaines venant pendant les vacances parce qu'il est agréable de travailler à la mer ou à la montagne ;
- les inégalités de genre et l'expérience du sexisme dans la famille, le sport, les groupes de pair ou au travail, l'espace d'interconnaissance et la faiblesse du nombre d'emplois disponibles ne permettant pas de dénoncer l'ensemble des violences subies dans le cadre professionnel.
Les propos de ces jeunes filles ont mis en avant leur mobilité par rapport à la manière dont elles se sont construites. Elles font bien souvent l'expérience du départ avant les urbaines. Elles vont à l'internat dès l'âge de quatorze ans, quittent leur village pour se rendre au collège en transports scolaires, et s'éloignent davantage de leur domicile. Pour autant, ces expériences, qui construisent leur vie juvénile indépendamment de leur famille, sont peu valorisées. Nous observons également que ces filles ne craignent pas de s'installer dans la famille de leur conjoint ou de leur partenaire, pour autant la situation inverse n'a pas été évoquée ! Les filles osent le faire, quitte à occasionner une rupture avec leur propre réseau et à rompre avec l'ensemble des solidarités dont elles pouvaient disposer.
Enfin, elles bénéficient d'une proximité forte, intergénérationnelle et intra-genre avec leur famille. Nous avons constaté une relation mère-fille très importante dans l'ensemble des entretiens, y compris en cas de tensions ou de violences.
Avant de conclure, je souhaite aussi évoquer un documentaire Tantines lé Ô réalisé, au mois de janvier 2020, avant le confinement, sur les filles des milieux ruraux, dans les villages des « hauts », sur l'île de La Réunion. Ce documentaire avait pour objectif de rendre compte d'une autre manière des spécificités de ces jeunes femmes et de leurs trajectoires
Merci de votre attention.
Annick Billon, présidente . - Merci beaucoup. Le clin d'oeil aux territoires ultramarins était important. Nous nous attachons régulièrement à valoriser et mettre avant leurs particularités.
Vos deux présentations se complètent et dressent un diagnostic assez sombre des conditions de vie de ces jeunes filles issues de milieux populaires. Il a été question dans vos propos de missions assez stéréotypées, d'autocensure, de jeunes filles s'orientant davantage vers des formations professionnalisantes et des parcours courts. Leur ouverture au monde est également relativement limitée, un internat dans une MFR étant très différent d'un échange Erasmus . Vous avez également accentué la différence d'investissement imaginé pour acquérir des formations dans d'autres départements. Ce tableau est assez consternant, puisque nous nous apercevons que ces jeunes filles des milieux populaires de certains départements n'ont pour horizon que d'acquérir rapidement une formation professionnalisante pour rester dans leur territoire et y exercer des missions très stéréotypées.
J'invite les rapporteurs et mes autres collègues à prendre la parole.
Marie-Pierre Monier, rapporteure . - Bonjour à tous et merci. Je suis moi-même issue du milieu rural. J'ai vécu dans un village de moins de 1 000 habitants, et ai poursuivi des études supérieures. Quel parcours pour y parvenir ! Je n'ai pas ressenti cette pression.
Comment les filles qui sont parties ont-elles pu le faire, au vu des pressions sociales et genrées qu'elles peuvent être amenées à subir ? Vous avez indiqué ne pas disposer des chiffres concernant les jeunes décidant par la suite de revenir. Il est important pour le territoire que les personnes l'ayant quitté pour leurs études puissent y retourner.
Ensuite, vous constatez des différences en termes de sociabilité, de loisirs, de pratiques sportives, de parcours scolaire et professionnel. Avez-vous observé une différence entre les jeunes filles dont les parents se sont inscrits dans un parcours récent de mobilité vers le rural par rapport à celles dont les familles y sont installées de longue date ?
Vous avez indiqué qu'elles sont plus souvent en couple et dans des situations de cohabitation avec leur partenaire par rapport aux jeunes femmes urbaines. Que se passe-t-il en termes de maternité ? Est-elle plus précoce et plus importante pour ces jeunes femmes ?
Un article du Monde souligne le pouvoir du contrôle social qui s'exerce sur ces jeunes filles. S'explique-t-il uniquement par la persistance des stéréotypes de genre ?
Vous avez expliqué que les jeunes femmes sont très peu visibles dans l'espace public. Est-ce davantage une problématique que dans les milieux urbains ? Vous avez utilisé l'exemple terrible de la fête de village. Je me suis revue dans ce genre d'évènements au cours desquels les garçons étaient toujours cités. Ce poids des stéréotypes de genre me semble plus prégnant. Pour autant, la situation évolue-t-elle ? Surtout, avez-vous des idées permettant de la faire bouger ? Dans notre rapport, nous allons dresser un constat. Nous sommes à peu près tous d'accord pour dire que la mobilité est un sujet crucial. Je me suis retrouvée dans les parcours évoqués. Pour faire des études, il faut partir, ce qui représente un certain coût pour la famille. C'est donc plus compliqué pour les foyers plus précaires. Nous sommes preneurs d'idées. Je souhaite que nous fassions des recommandations en ce sens.
Annick Billon, présidente . - Merci. Je vous laisse vous organiser pour répondre. Il serait intéressant de voir ce qui se passe statistiquement pour toutes les femmes en milieu rural. Nous avons évoqué la difficulté des parcours pour ces jeunes filles issues de milieux populaires au regard des investissements nécessaires pour mener des études longues. Il existe aujourd'hui des outils pour accéder à la formation et pour partir. Pouvez-vous nous éclairer sur cette différence qui persiste ?
Laurie Pinel . - Je vais revenir sur les premières questions posées, et notamment sur le parcours des parents récemment arrivés en zone rurale. Ceux-ci étant très peu nombreux, les chiffres dont nous pourrions disposer seraient donc statistiquement peu significatifs, raison pour laquelle nous n'en avons pas parlé.
Nous nous sommes également intéressés à la question d'une maternité plus précoce ou plus fréquente. Entre 18 et 24 ans, nous n'avons rencontré que peu de filles dans cette situation. Je ne peux donc pas vous apporter de réponse significative sur le sujet.
Concernant les jeunes filles qui partent, nous avons montré que la trajectoire scolaire n'était pas influencée par le milieu social. Les différences persistent même pour celles issues de milieux plus favorisés. Ce n'est pas une simple question de milieu, mais également de territoire, d'ancrage territorial et de stéréotypes.
Pour ce qui de formuler des préconisations, mon travail portant davantage sur un constat statistique, je préfère laisser Yaëlle Amsellem-Mainguy les développer.
Yaëlle Amsellem-Mainguy . - Je ne pourrai répondre que sur les sujets sur lesquels j'ai travaillé. Une prochaine enquête à l'INJEP pourrait s'intéresser aux filles qui ont quitté leur territoire. Il peut être intéressant de se pencher sur ces femmes qui partent pour leurs études ou pour le travail, qu'elles reviennent ou non. J'en ai rencontré certaines, qui se retrouvent et se reconnaissent dans leurs parcours universitaires. Elles font corps ensemble et partagent leur éloignement par rapport aux filles de la ville qui possèdent leurs propres codes et leur propre socialisation. Mon enquête ne permet pas de disposer d'éléments sur ces questions.
La plupart des données sur les parents nouvellement installés concernent des personnes elles-mêmes issues du milieu rural. Je n'ai pas assisté à l'installation de ce qu'on peut appeler rapidement des néo-ruraux sur un territoire. Je ne peux donc pas la documenter. J'ai en revanche constaté l'implantation et la façon de gagner en notoriété et en notabilité locale pour ceux qui ne sont pas originaires d'un territoire donné et la manière d'accéder au réseau et à l'interconnaissance, en passant par l'implication dans une association, le bénévolat, le fait d'avoir un père pompier volontaire ou autre par exemple.
Dans cette enquête, nous voyons que la question de l'espace public est peu problématisée. Lorsque j'ai exposé mon projet dans les collectivités auprès des élus, ils m'ont demandé pourquoi je souhaitais mener une étude sur les filles. Je leur ai expliqué que lorsque les jeunes sont interrogés, ce sont le plus souvent les garçons qui le sont, puisqu'ils sont occupés, participent aux clubs, associations sportives, ou qu'ils font du bruit et prennent de la place dans l'espace visible de la ville ou du village. Les filles, quant à elles, ne dérangent pas ou peu. Elles n'ont pas autant de motos ou de scooters que les garçons. Elles seraient moins concernées par les problématiques d'alcool dans l'espace public. Elles demandent moins de city stades et occupent donc moins l'espace public par leurs activités physiques ou sportives. Elles s'y retrouvent donc moins. Pour autant, nous observons que les garçons utilisent ces espaces et que les filles y sont bien souvent aussi. Même en tant que spectatrices, elles n'ont pas de place, alors même que cette position d'observatrices pourrait les inviter à pratiquer tel ou tel sport.
Comme je le disais, les questions portant sur les jeunes dans les territoires s'orientent toujours vers les garçons. Mais où sont les filles ? Que font-elles ? Lorsque j'en parle aux élus locaux, ils prennent conscience de la situation. Les filles occupent les espaces intérieurs. Elles investissent un peu plus le scolaire et jouent davantage le jeu de l'école, ce qui inquiète moins les adultes. Elles posent moins de problèmes de gestion du bruit et inspirent moins de crainte. Elles sont donc moins visibles dans les discours publics et sociaux.
Enfin, le sujet de la faible invitation au départ est souvent revenu lorsque les filles interrogées évoquaient la possibilité ou le devoir de s'en aller, y compris à La Réunion. Cette question se retrouve du côté des parents et des enfants. Pour laisser sa fille partir, il faut déjà avoir fait cette expérimentation à l'occasion d'un séjour avec l'école ou d'une colonie de vacances. Ce processus de départ pourrait être enclenché en amont pour qu'il se déroule au mieux.
Cette situation est à son paroxysme dans cet exemple où une jeune fille a priori heureuse d'entrer en internat en septembre, malgré ses appréhensions, raconte sa première semaine qui s'est bien déroulée. Elle m'a indiqué que sa mère l'appelait chaque soir en pleurs, car elle ne s'en sortait plus sans elle. Je suis revenue dans ce même établissement trois semaines plus tard et y ai retrouvé cette jeune fille, qui m'a alors expliqué avoir quitté l'internat et ne pas savoir si elle pourrait mener sa formation à son terme, car sa mère ne pouvait pas faire face seule à cette situation. Elles ne s'étaient jamais quittées. Par cet exemple, un peu extrême, on constate l'importance de construire avec les parents et en particulier les mères, le départ progressif. Elle ne peut pas être portée uniquement par les jeunes si les adultes ne sont pas prêts et ne peuvent pas accompagner ces départs.
Je n'ai pas d'éléments mobilisables dans mon enquête concernant les maternités précoces. Je n'ai pas particulièrement rencontré de jeunes filles dans ces situations.
Concernant le contrôle social sur les fréquentations des filles, leurs tenues, leurs relations, il existe en milieu rural comme ailleurs. Il est des groupes qu'il est possible de fréquenter, et d'autres non. Les fréquentations des filles et leur réseau de sociabilité seront importants dans leur réputation locale, mais résonneront également avec la réputation de leur famille. Il peut être reproché aux parents de ne pas avoir réussi à tenir leur fille, comme il sera reproché à ces dernières de ne pas savoir tenir leur copain en cas de bagarre ou de problèmes d'alcool par exemple.
J'ai pu constater l'importance de la pérennité des équipes professionnelles de travailleurs sociaux et de jeunesse sur les territoires au regard de la rotation permanente dans certains lieux d'écoute car s'il n'est pas évident d'exposer sa vie une fois, il est encore plus compliqué de le faire régulièrement. J'ai vu des animatrices devenir plus importantes que certaines conseillères d'orientation dans la trajectoire des jeunes femmes, car elles les avaient suivies depuis leur enfance et à travers leur adolescence, jusqu'à leur entrée dans l'âge adulte. Les filles reviennent alors devant le centre de loisirs ou le centre social pour présenter leurs enfants ou leur conjoint, raconter leurs déboires professionnels... Elles connaissent une adulte à qui elles peuvent décrire le territoire sans avoir besoin de tout raconter.
Annick Billon, présidente . - Merci pour ces réponses complètes.
Marc Laménie . - Merci de vos interventions, et merci d'avoir choisi le territoire des Ardennes, que j'ai l'honneur de représenter depuis 2007 au Sénat. Vos études concernent à la fois la métropole et les outre-mer. Il était important de mener cette analyse sur les jeunes filles en milieu rural.
Vous avez été amenées à rencontrer et interroger de nombreuses jeunes femmes. Je sais que l'analyse des statistiques n'est pas simple. Parmi les problématiques relevées, nous pouvons également citer l'attractivité de nos territoires ruraux, qui passe par des problématiques de santé sociale, d'éducation, de formation. S'y ajoutent les jeunes reprenant les exploitations agricoles familiales, très présentes dans ces zones. Vous avez cité les maisons familiales rurales. Nous pouvons également mentionner les lycées agricoles. Certaines jeunes filles font des études pour reprendre l'exploitation familiale ou pour travailler avec leurs parents. Cet aspect reste important. Les jeunes filles jouent également un rôle essentiel dans le maintien des personnes âgées à domicile, aspect à prendre en compte en termes de formation et de métier.
Vous avez soulevé dans vos études le problème de la mobilité et le manque de transports en milieu rural. Si beaucoup de jeunes femmes disposent d'une voiture, ce n'est toutefois pas un fait général.
Vous avez rencontré des élus. Les communes, intercommunalités, départements et régions jouent un rôle primordial pour soutenir les territoires ruraux et la place que peuvent y prendre les jeunes femmes. Nous avons la chance de voir certaines entreprises favoriser l'embauche de main-d'oeuvre féminine.
Merci beaucoup.
Annick Billon, présidente . - Merci cher collègue. Je donne tout de suite la parole à Victoire Jasmin.
Victoire Jasmin . - Je félicite nos deux intervenantes sur la qualité de leurs interventions. Je vais revenir sur la pratique sportive. Je viens d'outre-mer où j'y ai vécu en tant que maire, mais aussi en tant que jeune femme, puis femme. Les femmes qui souhaitent pratiquer un sport ont moins facilement accès, dans l'espace public, aux infrastructures sportives. Bien souvent, l'offre s'amenuise pour les filles à mesure qu'elles grandissent, les garçons étant les seuls pris en charge et pris en compte. La plupart du temps, les femmes qui travaillent et disposent d'un revenu leur permettant de se rendre dans les salles privées doivent recourir à un coach privé ou se rendre sur des parcours sécurisés qui, s'ils ont été installés, ne sont pas encore suffisamment attractifs. C'est un vrai frein, que nous constatons au regard des problématiques d'obésité sur nos territoires.
Je souhaite également évoquer les jeunes de Guadeloupe, notamment, qui sont obligés de venir sur le territoire hexagonal malgré l'offre de formation présente sur l'île. Ils ne reviennent pas toujours, après avoir fondé une famille en métropole, par exemple. Nous voyons bien que ce sont les anciens qui restent.
Des associations nous ont adressé des courriers pour nous faire part de discriminations à l'égard des femmes médecins, qui ne disposent pas des mêmes possibilités de formation que les hommes en tant qu'internes, en tant que seniors ou référentes, mais aussi sur les différents postes à pourvoir, même pour celles qui ont déjà une certaine expérience.
Enfin, les femmes souhaitant poursuivre une activité artistique, humoristique ou culturelle rencontrent également plus de difficultés et d'obstacles que les hommes. Elles bénéficient aussi d'un réseau moindre.
Merci à tous.
Annick Billon, présidente . - Je vous laisse vous organiser comme vous le souhaitez pour répondre à ces interventions.
Laurie Pinel . - Je vais d'abord répondre quant à l'attractivité de la formation en direction des personnes âgées ou au sein des lycées agricoles. Je l'évoquais en parlant de trajectoires plus courtes et de la répartition sur le territoire. Les écoles d'infirmières ou de formation à l'aide à la personne y sont très présentes. Des études montrent que les jeunes femmes des territoires ruraux s'orientent plutôt vers des formations relevant des soins apportés aux personnes. Je ne dispose pas d'éléments concernant les exploitations agricoles, mais il me semble que des études de terrain ont également porté sur ce point.
Je ne suis pas revenue sur les problématiques de mobilité dans ma présentation, car elles ne sont pas spécifiques aux jeunes femmes, mais plutôt aux jeunes ruraux. Ils se déplacent beaucoup plus souvent en voiture ou en deux-roues, et sont beaucoup plus nombreux à détenir le permis de conduire. La DREES a publié l'été dernier une étude sur les jeunes en zone rurale. Neuf jeunes sur dix se déplacent quotidiennement en deux-roues ou en voiture sur ces territoires, contre sept sur dix pour les jeunes urbains.
Yaëlle Amsellem-Mainguy . - S'il n'existe pas de différence d'un point de vue statistique, nous avons observé lors de nos entretiens que les filles étaient bien plus freinées que les garçons dans l'acquisition d'un deux-roues. On leur oppose que la route leur serait plus dangereuse, que les gens conduiraient tous comme des fous ou alcoolisés et qu'elles ne seraient pas en mesure de faire face à une panne. Lorsqu'elles réussissent à bénéficier d'un deux-roues, il est souvent moins performant que celui de leurs copains.
En effet, les filles sont majoritaires au sein des personnels des EHPAD et dans les métiers d'auxiliaire de vie ou d'aide à la personne. Pour autant, elles occupent des postes extrêmement précaires. Ce travail difficile et peu reconnu dans sa légitimité, mais aussi en termes de rémunération, devrait faire l'objet de réflexions. Cette trajectoire pourrait être valorisée grâce à des postes pérennes avec des contrats permettant d'accéder à des emprunts pour acheter une voiture, une maison ou un appartement. Dans un premier temps, ces jeunes femmes sont positionnées sur des remplacements ne leur permettant pas d'atteindre l'indépendance économique à laquelle elles aspirent.
Je pourrais vous faire parvenir des travaux portant sur les jeunes ruraux et le monde agricole. Certaines jeunes femmes participent à la vie des exploitations, même s'il ne s'agit pas de la grande majorité des jeunes en milieu rural rencontrées du fait des territoires enquêtés.
Dans les outre-mer, l'injonction au départ est encore plus forte qu'en France hexagonale. Elle est encore plus exacerbée dans les discours affirmant qu'un jeune souhaitant s'en sortir se doit de parcourir 9 000, 11 000 ou 25 000 kilomètres alors qu'il vient parfois d'un petit village.
Vous évoquiez les pratiques et compétences culturelles et artistiques. Nous avons rencontré une comédienne à l'occasion du reportage Tantines lé Ô que je mentionnais précédemment. Nous avons suivi son parcours. Elle devait se rendre à Avignon l'année dernière, mais ce déplacement a malheureusement été annulé. Elle s'accroche, mais nous avons bien vu que son chemin était plus difficile que celui de ses homologues masculins pour obtenir une reconnaissance et pour que sa passion soit considérée comme un travail et non comme un passe-temps.
Enfin, sur la question sportive, vos observations sur l'outre-mer se retrouvent clairement en France hexagonale. Il n'y a pas de spécificités ultramarines concernant les espaces dans lesquels les filles ne se sentent pas à l'aise pour faire du sport, et les parcours de santé ou les voies vertes sur lesquels il pourrait se passer des choses. Le sentiment de sécurité ou d'insécurité des filles dans l'espace public ou sportif se pose au fil de l'adolescence, en même temps que les questions de sexualité et de légitimité d'être une femme dans l'espace social.
Merci pour votre éclairage.
Annick Billon, présidente . - Merci de cette audition qui nous a permis de dresser un tableau un peu sombre des possibilités qu'ont les jeunes filles des territoires ruraux de s'orienter vers des carrières différentes de celles du soin à la personne. Vous avez pointé de nombreux freins plus spécifiques aux jeunes issus des milieux populaires, avec cette difficulté d'accès à une formation éloignée de leur domicile.
Nous allons poursuivre nos travaux avec l'équipe des huit rapporteurs. Je vous remercie pour les données statistiques qui nous seront très précieuses et contribueront à nos réflexions.
Pour nous qui sommes issus des territoires ruraux, mais qui avons eu la chance d'accéder à des formations à l'extérieur, de bouger et pouvoir imaginer autre chose que de rester dans notre ville et de fonder une famille, votre présentation brosse le tableau d'une réalité qui pouvait par moment nous apparaître caricaturale au regard de ce que nous vivons nous-mêmes. Je pense que les représentations féminines manquent pour que ces jeunes filles puissent s'identifier et voir plus loin.
Merci pour cette présentation à deux voix. Je remercie également les sénateurs et sénatrices de leur présence
Table ronde sur
l'entrepreneuriat des femmes
dans les territoires ruraux
(25 mars
2021)
Présidence de Mme Annick Billon, présidente
Annick Billon, présidente . - Monsieur le ministre, chère collègue de la délégation aux entreprises, chers collègues, Mesdames, la délégation aux droits des femmes a décidé de procéder, en 2021, à un bilan de la situation des femmes dans les territoires ruraux, en abordant des sujets aussi divers que l'orientation scolaire et universitaire, la participation des femmes à la vie politique locale et leur accès aux responsabilités, la santé et la lutte contre les violences. Ce bilan aborde également l'égalité professionnelle et l'entrepreneuriat féminin dans les territoires ruraux, qui constituent le thème de notre table ronde aujourd'hui.
Je précise que notre délégation a désigné, afin de mener à bien ce travail, une équipe de huit rapporteurs associant tous les groupes politiques de notre assemblée et représentant des territoires aussi divers que la Vienne, la Drôme, la Lozère, le Rhône, les Hautes-Alpes, la Haute-Garonne, le Finistère et la Dordogne.
Je rappelle que cette réunion est diffusée en direct sur le site Internet et sur le compte Twitter du Sénat et qu'elle est organisée à la fois en présentiel et en visioconférence.
Notre table ronde s'intéresse donc à l'entrepreneuriat féminin dans les territoires ruraux. Elle porte à la fois sur les difficultés spécifiques rencontrées par les femmes cheffes d'entreprise dans ces territoires lors de la création ou de la reprise d'une entreprise mais également sur les mécanismes de solidarité à l'oeuvre entre femmes dans ces territoires.
Les politiques publiques des dix dernières années ont encouragé la création d'entreprise, avec, par exemple, la mise en place du statut de micro-entrepreneur. Cependant, ont-elles suffisamment pris en compte les particularités des territoires ruraux pour soutenir les femmes qui souhaiteraient y devenir entrepreneures ? En outre, les politiques publiques de soutien à la création d'entreprise traitent-elles différemment les femmes et les hommes dans ces territoires ? Autrement dit, les femmes ont-elles suffisamment accès aux dispositifs d'aide à la création d'entreprise ? En 2018, notre rapport sur les femmes et l'agriculture avait notamment montré que l'accès au foncier était bien plus difficile pour les femmes. Disposons-nous de données statistiques sur le nombre de créations d'entreprise effectuées par des femmes en zone rurale, leur type de statut entrepreneurial et les secteurs d'activité que ces femmes investissent ?
Nous nous interrogerons également, avec nos invités, sur les principaux obstacles rencontrés par les femmes cheffes d'entreprise en milieu rural. Le manque de réseau est souvent évoqué. Nous savons en effet que les hommes s'organisent davantage en réseau que les femmes. Le faible maillage territorial, la difficile conciliation des différents temps de vie et la faible couverture numérique de ces territoires constituent d'autres pistes que nous explorerons.
Pour répondre à ces diverses interrogations, nous avons le plaisir d'accueillir M. Alain Griset, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargé des petites et moyennes entreprises (PME). M. Alain Griset nous fera l'honneur d'ouvrir notre table ronde.
Nous accueillons également notre collègue vice-présidente de la délégation sénatoriale aux entreprises, Martine Berthet, sénatrice de la Savoie et, par ailleurs, co-rapporteure de la mission de la délégation sur les nouveaux modes de travail et de management.
Nos autres invitées nous éclaireront, par leurs expériences et leur témoignage, sur la spécificité du parcours des femmes cheffes d'entreprise dans les territoires ruraux, l'importance de la constitution de réseaux de femmes entrepreneures dans ces territoires, la nécessité de soutenir la participation des femmes dans les instances représentatives des chambres de commerce et d'industrie (CCI) et les possibilités d'accompagnement des femmes souhaitant accéder à un crédit ou à une aide à la création d'entreprise en zone rurale.
S'agissant de l'importance des réseaux de femmes cheffes d'entreprises en milieu rural, nous entendrons Marie Eloy, fondatrice de Femmes des territoires et de Bouge ta boîte ; Carole Jung, scénographe de musées, artiste plasticienne sonore et adhérente de l'association Dirigeantes Actives 77 , réseau de femmes cheffes d'entreprises en Seine-et-Marne et Delphine Deserier, gérante du Cottance Café dans la Loire et membre du réseau Femmes chefs d'entreprises (FCE).
Pour évoquer le rôle des CCI dans les territoires ruraux, nous écouterons le témoignage de Marie-Christine Farges, élue de la CCI de la Corrèze en tant que cheffe d'entreprise et gérante de la Minoterie Farges à Bar.
Afin de comprendre le rôle primordial de l' Association pour le droit à l'initiative économique (ADIE) en milieu rural, nous entendrons Ophélie Héliès, directrice territoriale adjointe Nord Occitanie et Lot-et-Garonne, chargée de la mise en oeuvre du programme Regain sur l'entrepreneuriat en milieu rural.
Je cède désormais la parole au ministre Alain Griset, que je remercie sincèrement d'être présent à nos côtés pour cette table ronde.
Alain Griset, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargé des petites et moyennes entreprises (PME) . - Madame la présidente, Madame la vice-présidente, Mesdames et messieurs les sénateurs, Madame la présidente Marie Eloy, Mesdames, tout d'abord, je vous remercie de votre invitation. Je suis heureux d'être physiquement présent parmi vous, tout en respectant les consignes sanitaires aujourd'hui obligatoires. Intervenir devant votre délégation est un moment important. En effet, j'ai abordé la question de l'entrepreneuriat au féminin à plusieurs reprises depuis le mois de juillet 2020. Au moins quatre réunions ont eu lieu avec Marie Eloy sur ce thème. L'entrepreneuriat au féminin est un véritable enjeu, qui n'a pas toujours été abordé dans tous ses aspects. Lors de son élection, le Président de la République a très vite considéré que la France devait prendre un engagement à ce sujet. J'essaie donc d'établir un constat de la réalité et de comprendre comment nous pouvons améliorer la situation.
Vous avez souhaité concentrer votre table ronde sur l'entrepreneuriat au féminin dans le monde rural. Les difficultés y sont sans aucun doute encore plus fortes que dans les villes. Il est important de vous écouter et de trouver des solutions nous permettant d'avancer de façon significative.
Ces difficultés se manifestent dès l'éducation, en particulier au collège et au lycée. L'entrepreneuriat n'y est pas toujours abordé, encore moins du point de vue des jeunes filles. Ce travail devra sans aucun doute être mené sur le long terme, afin qu'il devienne un sujet d'étude et que la création d'entreprise constitue un véritable débouché pour les jeunes femmes. Utiliser les compétences de ces jeunes femmes pour créer des entreprises est une chance que la France n'a, pour le moment, pas suffisamment saisie.
À une échelle globale et plus particulièrement dans les territoires ruraux, se perpétue une certaine mentalité selon laquelle la création d'entreprise ne constituerait pas une bonne solution, et encore moins pour les jeunes femmes. Contrecarrer cette idée reçue nécessitera un travail de très long terme de notre part.
Nous sommes prêts à travailler sur quelques pistes.
Madame la présidente, vous avez évoqué les CCI. Pendant de nombreuses années, j'ai dirigé les Chambres de métiers et de l'artisanat (CMA) de France. Au sein de ce réseau, des décisions ont permis aux femmes d'être officiellement représentées parmi les élus, avec un nombre obligatoire d'élues inscrit dans les textes. De la même façon, je ne suis pas opposé à ce que nous forcions le destin lorsque les femmes ne sont pas assez représentées dans les instances dirigeantes. Le progrès réalisé dans les chambres de métiers et de l'artisanat peut ainsi être reproduit dans les chambres de commerce et d'industrie.
En outre, une volonté collective d'information me semble nécessaire. Une information générale sur l'entrepreneuriat doit être diffusée, quel que soit le niveau du cursus scolaire.
Nous devons également travailler avec les collectivités locales. En effet, depuis la loi pour une nouvelle organisation territoriale de la République (loi NOTRe), les régions et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) jouent un rôle éminent sur le plan économique. Pourtant, les actions tournées vers l'entrepreneuriat au féminin sont très rares dans les programmes économiques des régions et des EPCI. Pour ma part, je ne vois que des avantages à mettre ce sujet au coeur des discussions entre l'État et les régions ou au sein des contrats de plan et à en faire une priorité au niveau local.
Le milieu rural connaît quelquefois un chômage plus important que les grandes métropoles. Pour autant, la création d'entreprise n'est pas toujours une piste envisagée, encore moins pour les femmes. Dès lors, nous pourrions trouver collectivement un intérêt à déterminer comment, dans ce domaine, nous pourrions orienter, sensibiliser et accompagner.
J'évoque l'accompagnement car la création d'entreprise demeure un véritable enjeu pour tous. Créer une entreprise relève toujours d'une démarche particulière, associée à un engagement et à une prise de risques. Je suis absolument favorable à la mise en place d'un accompagnement à la création d'entreprise. Tout d'abord, une information préalable doit permettre à chacun de connaître les engagements associés à cette démarche. Ensuite, la mise en place d'un accompagnement me paraît particulièrement justifiée tant on sait combien les trois premières années d'existence d'une entreprise sont importantes et décisives.
En 2009, le régime de l'autoentreprise a été créé. Ce régime a été « vendu » comme un statut alors qu'il n'en est pas un. Je rappelle que ceux ou celles qui créent une autoentreprise sont en réalité sous le statut d'entrepreneur individuel, avec toutes les conséquences qui y sont associées. Par conséquent, disposer d'une information solide en la matière relève de l'intérêt collectif.
Le Président de la République m'a demandé de préparer un plan pour les indépendants. Je suis totalement disposé à étudier de quelle manière nous pouvons intégrer un certain nombre de mesures afin d'améliorer la situation des femmes en particulier.
Dans mes fonctions précédentes, j'ai beaucoup travaillé sur la question des conjoints collaborateurs. Les femmes jouent souvent un rôle tout à fait déterminant dans les entreprises, en les créant elles-mêmes ou en participant à leur création avec leur conjoint. Depuis 1982, dans le secteur de l'artisanat, des mesures concourent à offrir aux femmes une vraie place, reconnue juridiquement et socialement, en particulier s'agissant de leurs droits à la retraite et à la formation.
Des progrès ont été réalisés dans ce domaine. Ainsi, la loi PACTE impose que toutes les femmes qui travaillent en tant que conjoints collaborateurs disposent désormais d'un véritable statut. Néanmoins, des progrès restent à accomplir. Dans le cadre de ce plan qui porte sur les indépendants, je proposerai au Président de la République et au Premier ministre un certain nombre de mesures, afin de régler de façon définitive cette question récurrente des droits à la retraite et à la formation des conjoints collaborateurs. Nous devons en effet trouver des solutions définitives.
Ce sujet ne peut pas être réglé si nous n'en avons pas une bonne connaissance. Je suis tout à fait favorable à la publication de statistiques genrées, régulièrement actualisées, qui permettraient de mesurer les progrès réalisés et d'identifier les points sur lesquels il convient de travailler davantage. Si vous considérez qu'il s'agit d'un élément important, je suis favorable à des outils fléchés pour les femmes, en particulier concernant les financements affectés à la création d'entreprises ou à leur reprise. J'ai déjà évoqué la création d'un fonds dédié à l'entrepreneuriat au féminin avec la banque publique d'investissement (Bpifrance). Un tel fonds permettrait de remédier aux difficultés de financement rencontrées par les femmes lors de la création d'entreprise. Notons qu'il existe déjà un grand nombre d'initiatives au sein de Bpifrance sur ce sujet.
Madame la présidente, vous avez indiqué que nous devons encore progresser. Nous y parviendrons. Disposer de beaucoup d'argent pour créer une entreprise n'est pas toujours un pré-requis. Néanmoins, il est absolument indispensable qu'un financement soit octroyé lorsque cela est nécessaire.
De nombreux enjeux sont déjà relativement bien identifiés et nombre d'entre eux sont communs à tous les territoires. Votre table ronde se concentre aujourd'hui sur les territoires ruraux. Je me tiens à votre disposition pour envisager, si nécessaire, au-delà de ce que nous souhaitons réaliser sur la totalité du territoire national, une ou des actions spécifiques aux territoires ruraux. Je suis heureux d'être aujourd'hui parmi vous afin de vous écouter et de déterminer comment nous pourrions prendre les mesures qui nous permettront collectivement de progresser sur ce sujet d'une grande importance.
Annick Billon, présidente . - Monsieur le ministre, je vous remercie pour ces pistes de réflexion. Bien entendu, l'accès des femmes à l'entrepreneuriat et au monde de l'entreprise est parfois plus difficile dans les territoires ruraux. Depuis le début de nos travaux, nous avons relevé un certain nombre de difficultés, notamment concernant la mobilité, qui se révèle essentielle dans l'exercice professionnel.
Je cède la parole à notre collègue Martine Berthet, vice-présidente de la délégation sénatoriale aux entreprises. Cette délégation se penche en ce moment sur les nouveaux modes de travail que la pandémie nous impose. Je fais moi-même partie de cette délégation aux entreprises, extrêmement active.
Martine Berthet, vice-présidente de la délégation sénatoriale aux entreprises . - Monsieur le ministre, Madame la présidente, chers collègues, Mesdames, si je me sens directement concernée, et à plusieurs titres, par le thème de cette table ronde, c'est tout d'abord parce que j'ai moi-même été cheffe d'entreprise en Savoie. En effet, j'y ai dirigé une pharmacie et je suis toujours membre de la délégation Femmes Chefs d'Entreprises (FCE) Pays de Savoie. Ensuite, en tant qu'élue locale, maire puis sénatrice de ce département, j'ai pu mesurer le dynamisme des femmes qui s'investissent dans le tissu économique local mais aussi les difficultés auxquelles elles sont souvent confrontées.
En 2018, le Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET) - devenu depuis l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) - avait piloté une étude relative aux « freins et leviers pour l'accès à l'emploi des femmes dans les territoires ruraux ». Cette étude a démontré que si les freins directs (formation, métiers, secteurs d'activité, marché de l'emploi) et les freins indirects (conditions de travail, situation familiale, modes de garde, mobilité, etc.) à l'accès à l'emploi des femmes ne sont pas spécifiques aux territoires peu denses et isolés, leur caractère rural les amplifie. Néanmoins, l'étude a également mis en valeur de remarquables initiatives dans les territoires ainsi que les leviers pour favoriser l'emploi et l'entrepreneuriat des femmes dans les zones rurales.
Où en sommes-nous en 2021 ?
J'observe qu'en milieu rural, les femmes osent de plus en plus entreprendre. On parle souvent de leur implication dans les entreprises agricoles. Cette implication existe également dans d'autres secteurs.
Au cours des travaux conduits avec la délégation sénatoriale aux entreprises du Sénat, dont je suis vice-présidente, nous avons souvent l'occasion d'échanger avec des chefs d'entreprise, lors de nos déplacements dans les territoires ou en visioconférence pendant cette crise sanitaire.
Notre collègue Annick Billon peut en témoigner. En 2020, dans le cadre de notre mission sur la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), nous avons été impressionnés par le fort engagement des femmes entrepreneures dans ce domaine. Qu'elles créent de toutes pièces une société ou reprennent une entreprise familiale, leur énergie et leur succès sont très encourageants.
Encore récemment, à l'occasion de la mission que nous conduisons sur les nouveaux modes de travail et de management, une cheffe d'entreprise du Finistère a expliqué comment elle avait réussi à développer son entreprise en secteur rural, en créant une école de formation interne et en appliquant une méthode de management coopératif.
Je suis persuadée que les nouvelles technologies ainsi que la numérisation croissante des territoires ruraux et des petites et moyennes entreprises offrent de nouvelles opportunités, dont les femmes savent se saisir.
L'évolution du cadre législatif va également dans le bon sens. Je pense en particulier à la loi du 4 août 2014 relative à l'égalité réelle entre les femmes et les hommes. Néanmoins, il est nécessaire que les mesures se concrétisent réellement sur le terrain. Je pense aussi au plan national en faveur de l'entrepreneuriat des femmes et aux plans d'actions régionaux pour la création d'entreprises par les femmes. Ces plans ont couvert la période 2018-2020. Cependant, quels en sont les résultats concrets ?
Je suis plutôt optimiste pour l'avenir et l'entrepreneuriat des femmes en milieu rural.
Il reste néanmoins encore beaucoup de progrès à réaliser, notamment en matière d'orientation scolaire, et pour lutter contre les préjugés et l'autocensure des filles à l'égard de nombreux métiers.
Certaines femmes cheffes d'entreprise témoignent par ailleurs de préjugés défavorables des financeurs à leur égard. Faire évoluer l'image de la gestion du « bon père de famille » est difficile. Nous savons bien que les femmes doivent parfois redoubler d'efforts pour convaincre de leur crédibilité.
Par ailleurs, de nombreuses femmes créent leur propre emploi à travers le statut d'autoentrepreneur ou un autre statut d'indépendant, bien moins protégés que d'autres, comme la crise l'a montré. L'entrepreneuriat peut malheureusement être synonyme de précarisation. La délégation aux entreprises attend le plan que vous proposerez, Monsieur le ministre, sur le statut des travailleurs indépendants et leurs conditions d'exercice.
Il faut également continuer à faciliter l'articulation entre vie personnelle et professionnelle, particulièrement difficile pour les femmes cheffes d'entreprise dont le niveau de stress est préoccupant. Les récentes études sur le télétravail ont bien montré qu'il restait beaucoup de chemin à parcourir pour obtenir un partage plus égal des tâches domestiques. Nous touchons là à des sujets de société qui limitent nécessairement le développement de l'entrepreneuriat féminin.
Si certains sujets sont particulièrement prégnants en milieu rural, d'autres concernent tous les territoires. Je me réjouis donc de participer à cette table ronde, qui pourrait trouver à se prolonger d'ici l'été avec un nouvel échange entre nos deux délégations sénatoriales sur le thème plus large de l'entreprise au féminin.
Je vous remercie.
Annick Billon, présidente . - Merci, chère collègue. Il est vrai que les délégations sénatoriales organisent régulièrement des réunions conjointes, toujours enrichissantes. Avec la délégation sénatoriale aux outre-mer, nous avions d'ailleurs organisé une matinée consacrée à l'entrepreneuriat dans les territoires ultramarins, qui avait été passionnante. Afin d'avancer au mieux ensemble, nous avons l'habitude d'associer à nos travaux une ou deux délégations sur des thématiques précises.
Notre prochain sujet concerne les femmes qui s'organisent en réseau. Dans le cadre du rapport de la délégation sur les femmes et l'agriculture en 2017, j'ai effectué un certain nombre de déplacements avec une équipe de rapporteurs issus de tous les groupes politiques. Nous avons alors constaté que les femmes parvenaient à progresser sur les questions de statuts, notamment de conjoint exploitant, essentiellement dans les territoires où elles étaient organisées en réseau et où elles occupaient une place importante dans les organisations syndicales, patronales et professionnelles. Par exemple, nous avions rencontré en Bretagne des agricultrices organisées en réseau et militantes.
Pour parler des femmes en réseau, j'invite Marie Eloy, présidente de Femmes des territoires et de Bouge ta boîte , à prendre la parole.
Marie Eloy, fondatrice du réseau Bouge ta boîte et cofondatrice du réseau Femmes des territoires . - Merci, Mesdames la présidente et la vice-présidente. De nombreux éléments ont déjà été abordés.
Merci, Monsieur le ministre. Je connais votre engagement et je sais que vous êtes issu des territoires ruraux.
Mesdames, Monsieur, je suis extrêmement heureuse que nous abordions ce sujet. Depuis des années, je sens un « vent puissant » d'entrepreneuriat féminin dans les territoires. De son côté, la crise a permis de mettre en lumière les très petites entreprises (TPE). Plus largement, il est important de montrer à quel point celles-ci font vivre les villes et les villages. Nous le constatons sur le terrain.
Je suis fondatrice de plusieurs réseaux féminins. Le premier, Femmes de Bretagne , organise 500 évènements par an autour de l'entrepreneuriat, dans soixante-dix villes. Ces chiffres révèlent l'ampleur de notre maillage territorial.
Nous avons dupliqué ce réseau sur le plan national en créant Femmes des territoires , avec la Fondation Entreprendre . L'objectif, dans ce cadre, est de permettre à 75 000 femmes de créer leur entreprise en sept ans.
Je suis également présidente du réseau Bouge ta boîte , destiné aux dirigeantes d'entreprise dont la société compte plus de trois ans d'existence.
Dans ce domaine, nous sommes confrontés à deux sujets : la création d'entreprises dans les territoires ruraux et leur développement. Je remercie Monsieur le ministre de s'être rendu auprès des « bougeuses » le 8 mars et d'avoir échangé longuement avec elles. Cet échange était passionnant. Nous avons reçu des témoignages importants sur les bénéfices apportés par le réseau aux femmes dirigeantes.
Depuis sept ans, j'ai rencontré des milliers de dirigeantes dans les territoires. En dehors de la période particulière que constitue la pandémie, je suis normalement dans une ville différente chaque jour afin de rencontrer des dirigeantes. En 2019, nous avons ainsi effectué un Tour de France de l'entrepreneuriat féminin, au cours duquel nous avons rencontré des milliers de dirigeantes. Nous nous sommes rendu compte que ce réseau se portait très bien dans les territoires mais qu'il était complètement hors-sol, c'est-à-dire déconnecté des CCI, des Chambres de métiers et de l'artisanat (CMA), des grandes écoles et des mairies, celles-ci restant traditionnellement des lieux très masculins.
L'objectif des réseaux féminins est bien de tendre vers la mixité dans les territoires. Cette dernière est essentielle. En effet, toutes les études indiquent qu'une plus grande mixité est associée à une progression de la performance, du vivre ensemble et de l'innovation pour la planète. Bien qu'un tel changement prenne du temps, il est important d'activer les leviers que nous connaissons afin d'améliorer la mixité dans les territoires. Bouge ta boîte a, par exemple, récemment signé un partenariat avec les chambres des métiers et de l'artisanat pour davantage de mixité.
Aujourd'hui, parmi les personnalités les plus médiatisées en France dans les catégories patrons et business, on compte seulement 1 % de femmes. Dans les territoires, 55 % des dirigeantes d'entreprise sont incapables de citer le nom d'une entrepreneure inspirante. En outre, parmi les noms cités, les deux premiers sont ceux de Michelle Obama et d'Oprah Winfrey. Il est donc de la responsabilité des Françaises et des Français de mettre en avant les femmes entrepreneures.
Pour les femmes, s'insérer dans un réseau n'est pas un réflexe naturel, contrairement aux hommes. Il faut que les femmes puissent s'identifier à l'image du réseau et aux personnes qui y adhèrent. Or les réseaux sont essentiellement masculins dans les territoires, puisqu'ils comptent 80 à 90 % d'hommes en moyenne.
L'intérêt d'un réseau féminin tient au fait qu'il permet de s'identifier mais également de révéler ses forces et ses faiblesses avec authenticité. Assumer ses faiblesses est important dans les territoires ruraux car l'entrepreneuriat féminin s'inscrit souvent dans une démarche de reconversion. Des femmes auparavant salariées, en quête de sens et souhaitant avoir un impact à travers leur activité, se lancent ainsi dans l'entrepreneuriat. À cette occasion, 60 % n'ont pas effectué de business plan . Seules 12 % se financent. Si la quête de sens et l'envie sont présentes, les codes ainsi qu'une bonne connaissance des notions de rentabilité, de business et de chiffre d'affaires font défaut. Bouge ta boîte a vocation à permettre un dialogue sur tous ces sujets, permettant à l'entreprise créée d'être viable.
Aujourd'hui, 70 % des dirigeantes en France gagnent moins de 1 500 euros par mois tandis que 50 % des hommes déclarent vivre correctement de leur activité. Or pour un homme, vivre correctement de son activité renvoie à des revenus compris entre 3 000 et 4 000 euros par mois. Un travail considérable est à réaliser. Nous connaissons les leviers à activer : une augmentation des role models , des financements, de la présence des femmes dans les réseaux ainsi qu'une réduction de leur charge mentale.
Au sein des entreprises de plus de dix salariés, 14 % seulement des chefs d'entreprise sont des femmes. Leur impact global dans l'économie est donc faible. Pourtant, cet impact peut évoluer car nous percevons bien dans les territoires que les femmes souhaitent entreprendre et qu'elles ne manquent pas d'audace, d'énergie et d'expertise. Pour concrétiser cet impact, seuls manquent un rééquilibrage et les leviers d'action.
S'agissant du réseau Femmes des territoires , quarante antennes ont été créées dans les territoires ruraux en un an malgré la crise de Covid-19. Récemment, nous avons ouvert une antenne à Saint-Geniès-de-Comolas, situé à vingt minutes d'Avignon. Dans ce village qui compte seulement 1 500 habitants, vingt-huit femmes voulaient entreprendre. Les territoires ruraux constituent donc un vivier impressionnant, aujourd'hui sous-exploité et peu mis en avant alors qu'il est indispensable pour la relance.
Pendant la crise, nous pensions observer une moindre volonté de créer des entreprises. En réalité, ce n'est nullement cas. Un sentiment d'urgence existe et encourage les femmes à créer leur entreprise pour être utiles. Ces femmes doivent absolument être accompagnées. Dans le cadre de Femmes des territoires , nous les mettons en lien les unes avec les autres et nous réunissons les conditions nécessaires pour qu'elles partagent leurs compétences. Ce lien se tisse d'abord par le digital, ce qui est très important. Nous organisons ensuite des rencontres physiques, ce qui est moins possible en ce moment mais fait tout de même partie de notre ADN. Le digital est très important car les femmes doivent pouvoir s'identifier. Elles peuvent constater que des femmes qui leur ressemblent sont mises en avant sur le site Internet. Une fois qu'elles appartiennent à ce réseau social, elles oseront se rendre aux rencontres physiques.
Nous les mettons donc en lien et nous leur permettons de partager des compétences. J'ai vu de nombreuses femmes dans les zones rurales qui rencontraient des difficultés à se relancer dans la vie active à la suite d'un burn out , d'un licenciement, d'une période de chômage ou d'un congé parental. L'appartenance à un réseau crée une spirale vertueuse leur permettant généralement d'aider les autres et, ainsi, de prendre confiance pour créer leur entreprise. De nombreuses femmes ayant suivi cette trajectoire sont ensuite devenues coordinatrices du réseau.
Accompagner les femmes dès le début de la création d'entreprise est essentiel. Néanmoins, il est encore plus crucial de les accompagner dans le développement de l'entreprise et sa pérennisation. Si 70 % des dirigeantes d'entreprise ne vivent pas de leur activité, on doit y voir le signe qu'elles ne disposent pas des codes et qu'elles doivent être accompagnées sur tous les sujets qui ont trait à la vie d'une entreprise (marge, rentabilité, prospection, etc.). C'est ce que nous faisons avec Bouge ta boîte , à travers 400 réunions de travail par mois dans 120 villes et auprès de 1 700 dirigeantes d'entreprise.
La crise a été très difficile pour le développement des entreprises créées par des femmes, notamment au moment du déconfinement. En effet, les écoles n'ont pas rouvert immédiatement. Selon l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), on constate aujourd'hui un écart de salaire de 42 % en moyenne au sein d'un couple. Ce sont donc les femmes qui sont restées au foyer afin de garder les enfants en attendant l'ouverture des écoles. Quand elle est salariée, une femme passe à côté de promotions. Quand elle est entrepreneure, une femme n'a pas le droit aux allocations chômage alors qu'elle a investi toutes ses économies dans l'entreprise. En outre, les femmes entrepreneures, dont les entreprises sont moins viables que celles des hommes au démarrage, n'ont souvent pas pu prospecter ni générer de chiffre d'affaires entre les mois de mars et septembre derniers. Les aides du Gouvernement ont heureusement pu aider les femmes entrepreneures après ces six mois de forte fragilité. Elles ont utilisé ces aides en très grande majorité.
La fragilisation des entreprises a pesé sur l'égalité entre les femmes et les hommes, notamment dans les territoires. Pour autant, les femmes entrepreneures ne sont pas restées sans agir. La moitié d'entre elles a suivi des formations, s'est adaptée ou a accru sa présence sur les réseaux sociaux. Les femmes estiment qu'elles sont encore 50 % à ne pas posséder le niveau de formation digital suffisant pour surmonter la crise. Il faut donc absolument continuer à soutenir les initiatives liées à la formation digitale.
Tous les acteurs locaux ont la responsabilité de soutenir l'existence de role models . Il faut également agir afin que les femmes puissent être accompagnées dans les réseaux et que les réseaux féminins soient considérés comme des acteurs à part entière. Le maire d'une grande ville, qui nous avait accueillies, avait qualifié l'entrepreneuriat féminin d'entrepreneuriat « secondaire ». Nous ne sommes pas secondaires ! Personne ne parle d'entrepreneuriat au masculin.
Je souhaiterais que nous soyons considérées comme des dirigeantes d'entreprise à part entière et que les réseaux féminins puissent prendre part aux consultations et aux décisions. C'est le cas depuis votre arrivée, Monsieur le ministre, et je vous en remercie. Très peu de femmes sont cependant présentes dans les organisations patronales et dans les réseaux représentatifs de l'entrepreneuriat en général. Les réseaux féminins doivent être pris en compte en vue d'un rééquilibrage.
Monsieur le ministre, vous avez évoqué les actions à mener concernant le financement et la charge mentale, notamment en soutenant le congé du deuxième parent et en augmentant le plafond appliqué par la Caisse d'allocations familiales (CAF) en matière de garde d'enfants. En effet, l'aide de la CAF est malheureusement versée jusqu'aux six ans de l'enfant alors qu'un enfant de cet âge ne peut pas rentrer de l'école seul. Cette réalité pénalise fortement les femmes en milieu rural, notamment les entrepreneures mères célibataires.
Annick Billon, présidente . - Merci beaucoup pour cette présentation. J'ai eu raison de citer la Bretagne puisque le réseau y est né et que la délégation compte des élus bretons.
Je vous rejoins quand vous constatez qu'il existe un vrai déficit en termes de réseaux. Récemment, avec le sous-préfet à la relance des Pays de la Loire, j'ai visité l'entreprise vendéenne Cero , qui bénéficie du plan de relance. Cette entreprise est dirigée par une femme qui se tenait pourtant en retrait lors de notre visite. Lorsque je lui ai demandé si elle participait à un réseau, elle m'a indiqué que seul son mari était engagé dans ce genre de démarches. Comme en politique, les femmes se tiennent parfois à l'écart des réseaux.
Je vous rejoins également lorsque vous affirmez que des figures auxquelles il est possible de s'identifier sont nécessaires. Par exemple, l'entreprise Sodebo , qui s'associe au Vendée Globe , a été reprise par les filles du fondateur. Elles dirigent une entreprise de taille intermédiaire mais qui, à présent, représente un très grand nombre d'emplois et continue à recruter.
Je donne immédiatement la parole à Carole Jung, scénographe de musées, artiste plasticienne sonore et adhérente de l'association Dirigeantes Actives 77 , réseau de femmes cheffes d'entreprises en Seine-et-Marne. Je vous souhaite la bienvenue, Madame.
Carole Jung, adhérente de l'association Dirigeantes Actives 77 , réseau de femmes cheffes d'entreprise en Seine-et-Marne . - La présidente de l'association Dirigeantes Actives 77 n'a pas pu venir à cette table ronde. Je suis moi-même membre d'honneur de cette association.
L'intervention de Marie Eloy était très riche. Je ne vais pas en répéter le contenu.
J'aimerais souligner que je suis devenue adhérente de Dirigeantes Actives 77 après m'être installée dans un tout petit village, alors que j'habitais auparavant à Paris et que j'étais mère. À cet égard, mes amies qui habitent en Suède m'ont indiqué que le regard porté sur les mères n'y est pas le même qu'en France. Dans notre pays, les femmes passent toujours après les hommes. Tant que cette mentalité perdurera, nous ne progresserons pas vers l'égalité.
La notion de réseau permet justement d'affirmer qu'ensemble, les femmes peuvent agir. L'appartenance à un réseau nous permet d'apprendre et d'être connectées avec des interlocutrices qui ne nous ressemblent pas, ce qui est très important.
Lorsque je travaille en tant que scénographe, je dispose d'une équipe. Néanmoins, toutes les questions administratives, juridiques ou relatives au financement me semblent vraiment complexes car je me considère avant tout artiste. A l'inverse, lorsque je suis encadrée par un réseau, je peux progresser. J'ai besoin de ce réseau pour effectuer des rencontres, pour obtenir de l'aide mais également pour trouver du travail. Entre femmes appartenant à un réseau, nous pouvons nous ouvrir mutuellement des horizons.
Habiter un territoire isolé, sans transports, ni médecin, ni école, vous impose d'être toujours sur les routes. Ce choix de vie est difficile même si je le revendique. En tant que femmes, de nombreux éléments concourent toutefois à ce que nous devions nous occuper de nos enfants avant tout.
J'aimerais également souligner que les réseaux comptent une majorité de femmes âgées de plus de cinquante ans qui ont été licenciées en raison de leur âge. Ces femmes deviennent indépendantes car elles ne peuvent pas être à nouveau engagées comme salariées. Cependant, elles souffrent d'un manque de considération. Cette réalité renvoie aux questions de mentalité que j'évoquais. Il est nécessaire de rappeler les difficultés spécifiques que rencontrent les femmes, notamment quand elles sont mères. Elles doivent pouvoir rebondir et se reconvertir.
Les réseaux prennent notre réalité en compte. Ils nous apportent une énergie et une ouverture indispensables. En effet, hors des réseaux, nous ne disposons pas d'aide et nous ne sommes pas considérées. Ma présence aujourd'hui est la preuve que les réseaux nous permettent d'être écoutées. Ensemble, nous progressons davantage.
L'existence de réseaux féminins est donc importante. Les réseaux mixtes, eux, ne fonctionnent pas de la même manière et ne permettent pas la même écoute. Un réseau de femmes, de son côté, nous permet de nous réunir entre personnes confrontées aux mêmes problèmes. Nous pouvons par exemple évoquer le manque de crèche qui oblige certaines femmes à arrêter de travailler pour garder leurs enfants. Pendant ce temps, les hommes continuent à occuper leur emploi.
L'enjeu lié aux mentalités revient toujours. La France est très en retard en matière d'égalité par rapport aux pays nordiques, où les hommes - quelle que soit leur fonction - peuvent suspendre leur travail pour aller chercher leurs enfants à l'école. Or l'égalité ne progressera pas sans un changement de mentalité, qui doit s'opérer dès l'école primaire.
Je répondrai volontiers à vos questions.
Annick Billon, présidente . - Merci beaucoup pour la fraîcheur et la sincérité de votre témoignage. Dans quelle commune êtes-vous installée ?
Mme Carole Jung . - J'habite Ville-Saint-Jacques, vers Montereau, au sud de la Seine-et-Marne. Par ailleurs, l'association Dirigeantes Actives 77 compte entre soixante-dix et cent adhérentes dans toute la Seine-et-Marne, plus grand département de France.
Annick Billon, présidente . - Nous vous remercions de ce témoignage. Nous constatons que des solutions existent. Marie Eloy a noté l'importance des réseaux. En outre, l'accès aux services publics, la garde d'enfants et la mobilité restent des préoccupations largement partagées par les femmes. L'articulation de leur temps personnel et de leur temps professionnel demeure une question essentielle.
Je cède la parole à Delphine Deserier, gérante du Cottance Café dans la Loire et membre du réseau Femmes chefs d'entreprises (FCE). Je l'invite à livrer son témoignage après cette intervention sincère sur la situation difficile que vivent les femmes cheffes d'entreprise.
Delphine Deserier, gérante du Cottance café (Loire), membre du réseau Femmes chefs d'entreprise France (FCE), ancienne présidente de la délégation FCE 31 . -Merci beaucoup. Madame la présidente, Monsieur le ministre, Messieurs les sénateurs et Mesdames les sénatrices, je suis très heureuse de témoigner aujourd'hui.
Je suis cheffe d'entreprise depuis plus de quinze ans ainsi que membre du réseau FCE depuis une dizaine d'années. J'ai été présidente de la délégation de Toulouse pendant trois ans. J'ai également essayé de créer une délégation dans l'Ariège, avec beaucoup de difficultés puisque des hommes chefs d'entreprises ont fait barrage car ils ne voyaient pas l'intérêt d'un réseau féminin de dirigeantes. Nous n'étions pas très nombreuses en Ariège à l'époque.
J'ai aujourd'hui changé de vie ; je suis revenue dans ma région d'origine, la Loire. J'ai repris la gérance d'un café, commerce de proximité, dans un petit village de 730 habitants. Il est intéressant pour moi de témoigner aujourd'hui car j'ai connu la gestion d'une entreprise à la fois dans une grande ville comme Toulouse et dans un petit village. Je peux effectuer un comparatif intéressant.
Lorsque j'écoute les témoignages de Marie Eloy et de Carole Jung, je constate que les mêmes freins sont toujours à l'oeuvre, dans une grande ville comme dans un petit village. Ces freins renvoient à l'accès à l'entrepreneuriat et au fameux plafond de verre que nous nous imposons avant la création d'une entreprise. Il existe aussi des résistances sur le plan financier, en lien avec certaines aides ou les réticences dont peuvent faire preuve les banques à l'égard d'une femme.
Le réseau Femmes chefs d'entreprise est le plus vieux réseau féminin de dirigeantes au monde. Il a été créé en 1945 après que des femmes avaient dû reprendre l'entreprise de leur mari décédé ou blessé à la guerre. Ces femmes ont d'emblée mis en avant la nécessité de s'entraider, de partager et d'échanger sur les difficultés rencontrées au niveau de l'entreprise mais aussi sur le plan personnel. Ce réseau est très développé puisqu'il est présent dans plus de soixante départements en France et dans plus de cent pays dans le monde.
Je suis très fière d'appartenir à ce réseau. Notre objectif est le même que celui de toutes les personnes qui ont déjà témoigné : parler de mixité, d'échanges et de la place de la femme entrepreneure dans le tissu économique local et national, sujets majeurs pour nous.
À mon sens, entreprendre dans un petit village est une démarche dont la spécificité tient à la dimension locale de l'accompagnement qui vous est apporté, ceci à travers le maire, l'équipe municipale et les habitants. Cette spécificité a également trait à la possibilité d'échanger avec la communauté de communes et les petites villes situées à proximité. Ce maillage particulier permet des échanges différents de ceux qui peuvent avoir lieu dans une grande ville. La possibilité d'être impliqué localement avec les producteurs et les fournisseurs, que je découvre depuis quelques mois, me semble très intéressante. Connaître ces deux dimensions, rurale et urbaine, présente également un intérêt.
Dans ma région, je rencontre de nombreuses femmes impliquées dans le secteur agricole, qu'elles soient conjointes de chefs d'exploitation ou créatrices et exploitantes. Dans la Loire, un grand nombre de femmes sont à la tête d'élevage de bovins ou de volailles. La région compte également un certain nombre de femmes agricultrices produisant des produits locaux, notamment du fromage et du miel.
La principale difficulté tient au fait que ces femmes utilisent souvent le statut d'autoentrepreneur. Se faire connaître et trouver une place dans l'économie locale leur est difficile, ce qui constitue sans doute un frein important. Comment rencontrer suffisamment d'acteurs pour être connue sur le terrain ?
Les freins auxquels se heurte l'entrepreneuriat féminin en milieu rural sont les mêmes que dans une grande ville : le manque d'intégration, une présence insuffisante sur les réseaux locaux ou les freins financiers.
Dans le cadre de l'ouverture du Cottance Café situé dans le petit village de Cottance, entre Lyon et Roanne, je fais également partie du réseau 1 000 cafés . Ce réseau a été fondé par le groupe SOS, qui conduit de nombreuses actions en matière d'entrepreneuriat social et solidaire. Le réseau compte vingt-sept cafés ouverts à ce jour sur les mille espérés, dans des communes de moins de 3 500 habitants. Parmi les propriétaires de ces vingt-sept cafés, la parité est réelle puisqu'on y dénombre quatorze femmes et treize hommes.
Je répondrai avec plaisir à vos questions.
Annick Billon, présidente . - Merci beaucoup, Madame, pour ce témoignage en direct de la Loire.
Après ces témoignages sur l'importance des réseaux, nous évoquerons le rôle majeur des Chambres de commerce et d'industrie (CCI) dans les territoires ruraux. Je donne la parole à Marie-Christine Farges, élue de la CCI de la Corrèze, en tant que cheffe et gérante d'une entreprise de fabrication de farine artisanale à Bar.
Marie-Christine Farges, élue de la Chambre de commerce et d'industrie de la Corrèze, gérante de la Minoterie Farges à Bar . - Monsieur le ministre, Madame la présidente, Mesdames, Messieurs, mon parcours est un peu particulier. Je suis gérante d'une entreprise familiale créée par mon grand-père avant d'être reprise par mon père. J'ai toujours affirmé, dès mon enfance, que je serai un jour à la tête de cette entreprise car cette activité me plaît beaucoup.
La minoterie est située à Bar, petite commune du centre de la Corrèze. Vous n'ignorez pas qu'un ancien Président de la République a mis le département de la Corrèze en lumière. Nous faisons partie de la région Nouvelle-Aquitaine.
Je suis aujourd'hui à la tête d'une entreprise de six salariés, dans un secteur d'activité très masculin puisque les meuniers sont généralement des hommes. En plus de la fabrication de farines, nous sommes fabricants d'aliments pour le bétail. Nous travaillons largement avec les acteurs du monde agricole. Or dans l'agriculture, les chefs des groupements agricoles d'exploitation en commun (GAEC) sont souvent des hommes. Mon secteur d'activité est donc très masculin.
J'ai cependant eu la chance d'être toujours encouragée dans ma démarche au sein de la famille. Je n'ai jamais été freinée dans mon souhait de reprendre les rênes de l'entreprise. Il est important que mon père m'ait laissée un jour devenir dirigeante. Dans les entreprises familiales, les parents, et souvent le père, arrêtent leur activité tardivement car ils ont le sentiment que leur fille a besoin d'être épaulée. Dans mon cas, j'ai eu la chance que cette transition se passe bien.
Depuis 2015, je suis élue de la CCI de la Corrèze, où nous sommes dix femmes sur trente-six élus. En Corrèze, nous avons la chance que la CCI soit présidée par une femme, Mme Françoise Cayre. Il s'agit de la première présidente depuis quarante ans, ce qui prouve que les mentalités évoluent. Mme Cayre est également première vice-présidente de la CCI de Nouvelle-Aquitaine.
Des actions ont tout de même été menées dans les CCI. À ce niveau, il existe un service consacré à la création d'entreprise. Le traitement y est le même, que ce soit une femme ou un homme qui appelle pour obtenir des renseignements. Les femmes sont accueillies de la même manière que les hommes.
Nous constatons que les femmes rencontrent davantage de difficultés à accéder au poste de cheffe d'entreprise car elles sont moins nombreuses à demander des renseignements en ce sens. Les femmes restent encore dans leur statut de salariée et peinent à accéder à cette fonction de dirigeante d'entreprise. Seules 32 % des personnes demandant des renseignements à la CCI de la Corrèze sont des femmes. Parmi elles, seules 20 % concrétisent leur projet. Ce chiffre prouve qu'il existe encore des freins, à mon sens davantage familiaux que financiers.
Souvent, les femmes installent leur activité professionnelle en Corrèze en fonction de leur première formation ou de leur premier métier, plutôt liés au commerce, à la santé, aux services à la personne ou à la restauration. Nous sommes dans un secteur très rural, où il existe peu d'industries de très grande taille. Lorsque les femmes s'installent dans notre département, c'est la plupart du temps dans des commerces qui présentent une dimension féminine. Peu de femmes accèdent à de hauts postes et à des postes de dirigeantes dans l'industrie. Il est regrettable qu'au contraire, les femmes soient encore aujourd'hui reléguées à des postes subalternes. Elles travaillent souvent dans des petites entreprises qui emploient peu de salariés. Il est regrettable que nous ne trouvions pas de femmes à la tête des très grandes entreprises.
En 2013, la CCI de la Corrèze a décidé de créer l'association Correz'Elles , à laquelle peuvent adhérer les dirigeantes d'entreprise qui le souhaitent. Elles se réunissent souvent dans ce cadre pour parler de leurs problématiques, presque toutes communes. Ce réseau leur permet également d'échanger et de gérer leurs difficultés ensemble, car elles se comprennent. La création de ce club me semble très importante. Elle permet de beaux échanges.
Malheureusement, certains clichés ont toujours la peau dure. À l'école, les garçons sont davantage formés que les filles à être chef d'entreprise. Le cliché veut qu'une fille est censée rester à la maison afin de s'occuper de la famille et du foyer. Ce désir d'entreprendre et de devenir cheffe d'entreprise ne lui est pas transmis.
De nombreuses femmes accèdent aujourd'hui à des postes traditionnellement occupés par des hommes, mais ils se situent au bas de l'échelle. Elles ne parviennent pas à gravir les échelons dans les grandes entreprises jusqu'à en devenir les dirigeantes. Cette possibilité ne leur est pas laissée, ce que je déplore.
Les CCI ont peut-être un rôle à jouer dans les écoles et les centres de formation. Nous pourrions éventuellement partager nos expériences avec des jeunes pour leur transmettre une belle vision de l'entrepreneuriat au féminin. Les femmes, comme les hommes, disposent des ressources et des qualités pour diriger une entreprise.
Néanmoins, je pense que les femmes peuvent moins aisément se détacher de leur foyer, peut-être plus particulièrement dans les territoires ruraux. Si elles exercent un grand nombre de responsabilités dans leur entreprise, il leur est plus difficile de bien gérer l'articulation de leurs vies professionnelle et familiale. Les femmes concernées devraient être plus largement aidées et disposer de davantage de moyens (humains, financiers) afin qu'elles puissent à la maison passer le relais à une personne de confiance. La présence des hommes à la maison est limitée puisqu'ils travaillent également. Si nous voulons obtenir la parité, ces femmes cheffes d'entreprise devraient être davantage aidées dans les territoires ruraux. Si ces femmes se sentaient moins coupables, elles pourraient s'investir davantage et plus facilement.
Je reste à votre disposition pour toutes les questions.
Annick Billon, présidente . - Merci, Madame. Vous avez évoqué un certain nombre de freins que nous connaissons bien, notamment la difficulté pour les femmes de s'imaginer cheffe d'entreprise. Par conséquent, il est indispensable de donner plus de visibilité à quelques exemples particulièrement emblématiques. Or 1 % seulement des personnalités médiatisées dans les catégories patron et business sont des femmes.
Vous avez souligné combien les stéréotypes ont la vie dure. Chantal Jouanno, qui a présidé notre délégation de 2014 à 2017, avait observé que la place des petites filles se trouvait déjà réduite dans la cour de récréation. Notre rapport 1 ( * ) sur les jouets et les stéréotypes de genre avait montré que, dès le plus jeune âge, les petites filles sont orientées vers un rôle de protectrice tandis que les petits garçons, qui jouent à partir à l'assaut du monde avec leurs épées, se voient attribuer un rôle de conquérant. De la même façon, les stéréotypes sont encore très ancrés dans les jouets et impactent le champ des possibles qui s'ouvre à ces petites filles.
Notre prochaine invitée évoquera le rôle important de l' Association pour le droit à l'initiative économique (ADIE) dans les territoires. Ophélie Héliès, directrice territoriale adjointe Nord Occitanie et Lot-et-Garonne à l'ADIE, chargée de la mise en oeuvre du programme Regain sur l'entrepreneuriat en milieu rural, est avec nous.
Madame Héliès, je vous cède la parole.
Ophélie Héliès, directrice territoriale adjointe Nord Occitanie et Lot-et-Garonne à l' Association pour le droit à l'initiative économique (ADIE), chargée de la mise en oeuvre du programme Regain sur l'entrepreneuriat en milieu rural . - Je vous remercie de me donner la parole. Contrairement aux intervenantes précédentes, je ne suis pas cheffe d'entreprise. J'ai néanmoins préparé mon témoignage sur la base d'interviews de cheffes d'entreprises et de personnes qui les accompagnent. Sachez que seules des femmes m'ont répondu lorsque j'ai proposé d'évoquer le sujet de l'entrepreneuriat au féminin.
Depuis plus de trente ans, l'ADIE, association nationale reconnue d'utilité publique, défend l'idée que chacun peut devenir entrepreneur, même sans capital et sans diplôme, s'il a accès au crédit et à un accompagnement professionnel personnalisé fondé sur la confiance, la solidarité et la responsabilité. La mission de l'ADIE est de donner accès à l'entrepreneuriat et à l'emploi, par le microcrédit et l'accompagnement, à ceux dont les projets ne peuvent pas bénéficier de crédits bancaires. L'ADIE finance également les besoins en mobilité de personnes en recherche d'emploi ou de salariés précaires à travers des microcrédits personnels. Cependant, je n'aborderai pas ce dernier sujet à l'occasion de cette table ronde.
En 2020, l'ADIE a apporté ses financements à plus de 29 000 personnes et en a accompagné plus de 46 000. Nous sommes présents en France au travers de 470 lieux d'accueil. Pour illustrer le public avec lequel nous travaillons, je vais vous présenter trois chiffres-clés :
- 49 % des personnes que nous finançons et accompagnons vivent sous le seuil de pauvreté ;
- 37 % d'entre elles perçoivent des minima sociaux ;
- 24 % ne possèdent pas de diplôme.
En France, 32 % des créateurs d'entreprise sont des femmes alors que ces dernières souhaitent autant entreprendre que les hommes. Les freins à l'entrepreneuriat des femmes sont multiples. Ils ont déjà été abordés au cours des interventions précédentes.
L'accès aux financements leur est plus difficile. Le taux de rejet de crédits demandés par les créatrices est de 4,3 % contre 2,3 % pour les hommes. Or l'aspect financier est essentiel dans la volonté d'entreprendre, pour se développer ou pour réfléchir à son projet de création. 44 % des femmes estiment que les échecs de la création s'expliquent par le manque de financement. Les femmes ayant demandé un financement se disent aussi victimes d'un biais de genre au moment de leur demande, au travers des questions qui leur sont posées sur leur organisation familiale, leur crédibilité en tant que cheffe d'entreprise ou encore leur capacité à créer un modèle économique viable.
Évidemment, ces statistiques ne prennent pas en compte toutes les femmes qui ont renoncé à demander un financement, celles-ci estimant, avant même d'entreprendre leur démarche, qu'elles ne pouvaient pas y prétendre.
Parmi ces freins s'ajoute le manque de confiance en soi. 35 % des femmes estiment ne pas posséder les compétences requises pour créer leur entreprise contre 23 % des hommes. Nombre d'entre elles ressentent un sentiment d'imposture. Elles se montrent plus prudentes dans leur parcours et elles sont beaucoup plus consommatrices de services d'accompagnement.
Enfin, parmi les autres sources de problèmes, notons les difficultés à concilier vie professionnelle et vie personnelle, des moyens de garde d'enfants parfois insuffisants et la très inégale répartition des tâches domestiques entre les femmes et les hommes au sein des foyers.
Les freins à l'entrepreneuriat en milieu rural sont multiples et se cumulent parfois avec les freins liés au genre. L'accès à l'information sur les services existants y est difficile. En effet, le bouche-à-oreille, principal levier en milieu rural pour connaître les dynamiques du territoire, n'est accessible que si l'on dispose déjà d'un petit réseau. Notons également le peu de services d'appui à l'entrepreneuriat et leur faible maillage. En outre, il est indispensable de se déplacer pour faire appel à ces services. Je peux également témoigner du sentiment d'isolement de certaines femmes. De tels sentiments peuvent représenter un frein supplémentaire, quelles que soient les compétences et les capacités des femmes qui souhaitent se lancer dans l'entrepreneuriat.
Depuis 2016, l'ADIE a lancé le projet Regain pour améliorer l'accessibilité de nos services en milieu rural et renforcer l'accompagnement des entrepreneurs. Ce projet a été mené dans cinq départements : le Cher, la Nièvre, l'Ariège, les Hautes-Alpes et l'Aveyron. Nous pensions qu'il existait des dynamiques entrepreneuriales en zones rurales et nous avons fait le pari qu'investir du temps pour aller à leur rencontre permettrait de les faire émerger. Un documentaire a été tourné en 2019 pour illustrer le projet Regain . Il prend la forme d'une enquête de terrain sur la réalité de l'entrepreneuriat individuel dans ces territoires hyper-ruraux. Plusieurs femmes interviennent dans ce film.
Au-delà du projet Regain , d'autres actions sont menées dans différents territoires (des grandes villes, des villes de taille moyenne et des petites villes) pour faciliter le développement d'entreprises gérées par des femmes. Par exemple, en Pays de la Loire, l'ADIE a développé un projet de boutique éphémère dédiée aux créatrices pour leur permettre de tester leur activité et de prendre confiance en elles. En Occitanie et en Pays de la Loire, des évènements ont été organisés, tels que le forum destiné à révéler les talents des femmes entrepreneures, le forum sur l'entrepreneuriat au féminin ou encore les rencontres La boss c'est moi .
Dans le Lot-et-Garonne, à plus petite échelle - mais je crois que chaque action compte dans les territoires ruraux -, l'ADIE met depuis peu ses locaux à disposition du réseau Bouge ta boîte et organise des ateliers collectifs sur le financement des entreprises, lorsque ce réseau identifie plusieurs « bougeuses » ayant besoin d'un financement. Ma collègue sur place dit, s'agissant de cette action, qu'elle souhaitait à son échelle faciliter la vie de ses interlocutrices. Il faut parfois multiplier les actions en zone rurale. Celles-ci peuvent paraître minimes mais elles sont importantes pour réussir à développer l'entrepreneuriat, notamment féminin.
41 % des personnes soutenues en 2020 par l'ADIE sont des femmes alors que ces dernières représentent 32 % des créateurs d'entreprises en France. Ces chiffres sont sensiblement identiques en zones rurales.
Lorsque j'ai commencé à préparer cette intervention avec les femmes entrepreneurs que nous avons accompagnées sur le territoire dont je suis chargée, les mots que j'ai le plus entendus sont « courage », « réseau », « connectée », « passion », « énergique », « pugnacité » ou encore « fierté ». Ce sont des mots forts, montrant l'envie et le dynamisme des femmes entrepreneures en milieu rural. Nous pouvons nous appuyer sur cette implication et cette énergie pour développer l'entrepreneuriat féminin en zone rurale. Cependant, durant ces interviews, j'ai également entendu le mot « combat » ou les expressions « devoir en faire deux fois plus », « démontrer mes compétences », « me battre pour exister », « ne rien lâcher pour y arriver ». Un travail de fond doit être mené pour tendre vers l'égalité.
J'illustrerai ces propos par deux parcours de femmes cheffes d'entreprise que nous avons accompagnées sur ce territoire, pour montrer leur force, sur laquelle nous pouvons nous appuyer dans les territoires ruraux. Je cite leur nom car elles m'ont autorisée à le faire.
La première est Mme Alibert, qui a lancé son activité en microentreprise en 2016 et qui gère désormais une société avec quatre salariés dans le sud de l'Aveyron. Elle fabrique une spécialité aveyronnaise, le gâteau à la broche cuit au feu de bois. Elle déclare au sujet de son ambition : « J'avais envie de voler de mes propres ailes pour affirmer ce que je savais faire ». Mme Alibert était précédemment cheffe de brigade dans des restaurants étoilés. Elle s'est installée en Aveyron pour des raisons familiales mais n'y a pas trouvé d'emploi. Elle a débuté son activité en vendant des gâteaux à la broche sur des marchés, avec le statut en microentreprise. Elle a développé son activité très progressivement et seule car elle n'a pas trouvé de financement bancaire. En 2018, elle a eu l'opportunité d'obtenir un local à Millau. L'ADIE a financé son projet en investissant dans les travaux d'aménagement des locaux et l'achat du matériel car elle n'avait toujours pas trouvé de financement bancaire. Mme Alibert a progressivement embauché ses salariés, qui sont quatre aujourd'hui. Elle vend désormais dans sa boutique mais également en ligne et à des revendeurs en Aveyron, à Toulouse et à Paris ainsi que sur les foires et les marchés. En 2020, elle a été à nouveau financée par l'ADIE qui lui a assuré des facilités de trésorerie afin de tenir durant le premier mois de confinement. Par la suite, elle a enfin obtenu un Prêt garanti par l'État (PGE).
Mme Alibert est une battante. Son histoire constitue une vraie réussite sur un territoire fragile. Elle indique : « Ce n'est pas si difficile que ça d'entreprendre, ça peut être donné à tout le monde mais s'il n'y avait pas eu l'ADIE qui s'était déplacée dans ma boutique pour me rencontrer, je ne serais peut-être pas là ».
Je pense aussi au parcours de Mme Voisin, qui a ouvert en 2019 un café-boutique spécialisé dans les jeux de société dans le Lot-et-Garonne. Quand elle exprime sur son ambition à travers ce projet, elle explique : « Je souhaitais être autonome, garder une liberté qui me correspond ». Mère au foyer depuis plusieurs années, Mme Voisin a rencontré des difficultés à obtenir des financements. On lui a reproché son statut de mère sans emploi. Elle a revu sa copie et son investissement à la baisse pour être financée par l'ADIE.
Son activité tourne aujourd'hui un peu au ralenti à cause de la situation sanitaire. Néanmoins, à l'heure actuelle, Mme Voisin continue de réaliser des animations dans des écoles, d'accueillir des mineurs et d'organiser des ateliers pour les personnes en situation de handicap. L'espace boutique continue de fonctionner. Mme Voisin est passionnée et optimiste, comme beaucoup : « J'ai la conviction que peu importe où nous en sommes dans la vie, il est possible de faire quelque chose et de trouver des personnes qui nous font confiance ».
Les entrepreneures qui ont témoigné indiquent que les femmes ont les mêmes besoins que les hommes. Il importe de leur faire confiance, de parler d'elles autour de nous mais également de mener un travail de fond sur la place de la femme dans la société afin de lutter contre les préjugés de genre mais aussi pour libérer leur capacité d'entreprendre. Enfin, il importe de mettre en valeur les réussites entrepreneuriales féminines. Je ne parle pas seulement des start-upeuses et des diplômées de grandes écoles mais bien des petites entreprises qui font aujourd'hui l'économie des territoires.
Je vous remercie.
Annick Billon, présidente . - Merci beaucoup, Madame, pour cette intervention.
Je vais immédiatement passer la parole aux rapporteures qui l'ont demandée. Je cède la parole à Marie-Pierre Monier, rapporteure sur ce thème des femmes et de la ruralité.
Marie-Pierre Monier, rapporteure . - Merci, Madame la présidente. Monsieur le ministre, mes chers collègues, Mesdames, je crois, Madame la présidente, que nous abordons de nouveau, aujourd'hui, deux problématiques que nous suivons depuis le début de cette mission.
Nous constatons que la création d'entreprise n'échappe ni au poids des stéréotypes de genre ni à un plafond de verre. C'est malheureusement ce qui ressort de tous vos témoignages. Nous évoquons cette réalité à travers tous les sujets traités par notre délégation.
Par ailleurs, dans le cadre de notre mission, les deux problématiques que nous abordons régulièrement sont la mobilité liée à la ruralité et le manque de services publics.
Je voudrais revenir sur ce qui me paraît être le fil conducteur des auditions de cette table ronde : les réseaux d'entrepreneures. Nous constatons que vous jouez un rôle essentiel et que la situation ne bougera que par votre action. Vous facilitez les échanges d'informations mais vous accompagnez également les femmes. Vous avez bien identifié qu'il ne s'agit pas seulement de créer son entreprise mais également de la rendre pérenne.
Je souhaiterais mieux connaître les politiques publiques qui existent à ce sujet. Vous semblez être au coeur de la question, Monsieur le ministre. Quels leviers conviendrait-il de mettre en place pour que les améliorations s'étendent et deviennent durables ?
Vous nous avez beaucoup parlé du statut de microentrepreneure, perçu comme un levier d'accès à l'emploi dans les territoires où disposer d'un travail salarié paraît difficile. Cependant, ce statut est tout de même moins rémunérateur et protecteur. Comment peut-on accompagner et protéger davantage les femmes qui optent pour ce statut ? Comment améliorer l'information ? Vous avez toutes souligné que disposer d'informations est essentiel. En outre, comment expliquer les aides destinées aux femmes qui vivent dans les territoires ruraux ?
Par ailleurs, disposez-vous de chiffres sur les secteurs d'activité des entreprises dirigées par des femmes ? Il faut en effet s'appuyer sur un constat pour être force de proposition.
J'aimerais évoquer l'école. Mme Farges a indiqué qu'à l'école, les filles sont davantage encouragées à rester à la maison et qu'elles désirent moins entreprendre. Je ne dirais pas cela. En revanche, nous avons besoin d'agir dès l'école pour réussir à casser ces stéréotypes de genre. Il est vrai que le poids de ces stéréotypes conduit les femmes à « se freiner » elles-mêmes. La situation est très difficile. Vous évoquiez la notion de combat et la nécessité que la famille accepte qu'une femme puisse entreprendre. Ces obstacles doivent être surmontés.
J'ai souvent souligné, au sein de cette délégation, que c'est au niveau de l'école que nous parviendrons à faire évoluer la situation, si nous travaillons vraiment sur ce sujet.
Annick Billon, présidente . - Merci, Madame la rapporteure. Si vous le permettez, je vais céder la parole à M. le ministre, qui aura peut-être quelques réponses à apporter à Marie-Pierre Monier et que je remercie d'avoir été parmi nous ce matin.
Alain Griset, ministre délégué . - Je vous remercie à nouveau de cette invitation. Il est pour moi fondamental d'être présent dans ces échanges. C'est en écoutant les représentantes des entreprises et les entrepreneures elles-mêmes que nous pouvons trouver des pistes. La volonté du Gouvernement est en tout cas d'essayer de répondre à ces demandes.
Certains éléments concernent le long terme : il s'agit des questions de mentalité et de pratiques, notamment éducatives. Certaines évolutions sont positives. Lorsque l'on examine le tissu entrepreneurial au fil des générations, la volonté des femmes d'entreprendre est plus forte. Nous pouvons sûrement améliorer cette progression. Il n'en demeure pas moins que les évolutions, notamment structurelles, sont nettes. Elles concernent l'école et les mentalités. Les mentalités des nouvelles générations ont évolué, à la fois chez les femmes et les hommes. Ce chemin doit être poursuivi, en montrant la réussite des unes et en combattant les préjugés des autres.
Par ailleurs, je suis à votre disposition pour travailler sur des mesures à plus court terme. Nous voyons bien que certains sujets sont récurrents, notamment la question du financement. J'ai indiqué ma volonté de créer des fonds fléchés, dédiés. J'ai bien entendu Marie Eloy lorsqu'elle affirmait que les femmes devaient faire partie des comités de crédit. Je suis tout à fait disposé à étudier comment nous pouvons trouver des solutions.
Cependant, je ne suis pas certain que la question de l'accompagnement pour les créateurs d'entreprise, qui est un sujet fondamental, concerne seulement les femmes. Ce sujet est transversal. Je pense que l'accompagnement dans la création d'entreprise, voire en amont, est un élément important pour tous les créateurs d'entreprise de notre pays.
Mme Jung observait que certaines personnes au chômage créent leur entreprise par défaut. C'est une bonne chose. Néanmoins, il est fondamental qu'un créateur d'entreprise connaisse bien l'engagement et les risques qu'il prend afin d'éviter les désillusions. Créer son entreprise nécessite une bonne connaissance en gestion des cotisations sociales, des impôts, ainsi que des notions financières en matière de chiffre d'affaires et de construction d'un business plan . Il n'y aurait rien de pire que de maintenir des personnes dans l'illusion que créer une entreprise est une tâche facile. Il est préférable de passer le temps nécessaire à leur transmettre toutes les informations utiles. Nous pouvons progresser rapidement afin de disposer des outils permettant de les accompagner.
S'agissant de la représentation des femmes, je suis tout à fait d'accord pour que nous étudiions ce sujet au niveau des chambres consulaires. Je suis beaucoup plus réservé concernant les organisations professionnelles. En revanche, nous pouvons envisager une « représentation fléchée » pour les femmes dans les grandes organisations interprofessionnelles, telles que le MEDEF, la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) et l'Union des entreprises de proximité (U2P). Concernant les métiers, la situation est plus délicate. Je vais volontairement le démontrer par l'excès : vous n'atteindrez jamais une égalité de représentation dans le secteur de l'esthétique car il existe peu d'hommes esthéticiens. A contrario , il sera difficile d'obtenir une représentation équilibrée dans le bâtiment. Il convient donc de se fixer des objectifs réalistes. S'il est possible d'agir sur l'interprofessionnel, rechercher une égalité de représentation par métier n'est pas un objectif atteignable. Je suis toutefois à votre disposition pour continuer d'échanger sur ce sujet.
Les propositions sur un plan destiné aux indépendants que je remettrais au Président de la République concernera des sujets tels que le statut juridique ou les cotisations. Je n'ai, naturellement, aucune difficulté pour examiner spécifiquement la question des conjoints collaborateurs, qui jouent un rôle tout à fait particulier dans l'entreprise. Les éléments que j'ai évoqués précédemment sur l'accompagnement et le financement font partie des points sur lesquels nous pouvons travailler.
Madame la présidente, Mesdames les sénatrices, Messieurs les sénateurs, je suis à votre disposition. Dites-moi si vous disposez déjà d'éléments que vous souhaitez voir intégrer dans ce plan qui comprendra beaucoup de dispositions réglementaires. Il s'accompagnera également de quelques mesures législatives dans le prochain projet de loi de finances. Peut-être un volet, certes modeste, du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) portera-t-il également sur ces questions.
Je suis naturellement preneur de vos propositions sur des éléments réglementaires. Mme Eloy sait qu'avec mes équipes, nous sommes disponibles et à l'écoute pour déterminer comment nous pouvons franchir un cap supplémentaire. Vous pouvez compter sur le Gouvernement et sur mon ministère pour examiner ces enjeux de façon très positive. Encore une fois, nous devons toutefois définir des objectifs réalistes, concrets, qui nous permettent d'avancer.
Je pense que nous devons mettre en avant un certain nombre d'exemples. Nous travaillons actuellement sur la question de la numérisation et de la digitalisation. Au ministère, nous avons réalisé des films diffusés sur les chaînes de télévision. Je suis absolument convaincu, d'expérience, que les réussites doivent être mises en avant afin de faire tomber les préjugés et les craintes.
Au-delà de personnes emblématiques que l'on peut valoriser, il me semble intéressant de montrer à une jeune fille qu'elle peut être cheffe d'entreprise et que d'autres, avant elle, y sont parvenues, tout en n'occultant pas les difficultés que ces femmes ont dû affronter. Je suis très ouvert à ce que nous réalisions au niveau du ministère des petits films spécifiques à l'entrepreneuriat au féminin. Une telle démarche ne peut évidemment pas tout résoudre mais pourra, peut-être, apporter une pierre à l'édifice que je souhaite nous voir construire ensemble.
Annick Billon, présidente . - Merci de votre participation à la table ronde. Nous étions ravis d'échanger avec vous. Vous avez raison : de nombreuses pistes s'offrent à nous pour répondre à cet enjeu de l'entrepreneuriat au féminin. La réponse ne sera pas nécessairement législative ; elle peut être réglementaire et également relever de bonnes pratiques. En Vendée, les présidentes de la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB) et de la CPME sont des femmes. Ces femmes doivent évidemment être mises en avant pour montrer qu'un tel parcours est possible. De même, des prix sont décernés dans certains départements pour mettre en valeur cet entrepreneuriat féminin, ce qui permet d'offrir à ces femmes une visibilité dont elles ne disposent pas toujours.
Je cède la parole à Marie Eloy et aux intervenantes par visioconférence pour répondre à l'intervention de la rapporteure Marie-Pierre Monier.
Marie Eloy . - Pour répondre à vos différentes questions sur les leviers, nous devons conserver une vigilance de tous les instants sur les role models lors de conférences et de remises de prix, notamment dans la presse quotidienne régionale.
Concernant les réseaux, nous avons évoqué, avec M. le ministre, un guichet unique où l'on pourrait obtenir toutes les informations sur l'entrepreneuriat, notamment les aides et les prêts.
Un problème se pose au niveau de Pôle Emploi, qui est le principal pourvoyeur d'aides auprès des entrepreneurs, entre autres via l'Aide à la reprise ou création d'entreprise (ARCE). En effet, nous bénéficions de la part de Pôle Emploi de 50 % de nos indemnisations sous la forme de capital, puis nous ne sommes jamais recontactées. Nous disposons donc d'un capital pour fonder une entreprise puis nous sommes littéralement « lâchées dans la nature » sans que Pôle Emploi ait pris la peine de savoir si nous avons réalisé un business plan et si nous connaissons les bases de l'entrepreneuriat. Une telle situation n'est pas possible. Dans mes souvenirs, il existait auparavant un stage obligatoire de cinq jours ; aujourd'hui il n'existe plus rien.
Il est indispensable que les créateurs et créatrices d'entreprise puissent connaître les réseaux, les aides, les prêts, les actions de formation numérique et les solutions de financement. Par exemple, l'ADIE est capable d'indiquer le pourcentage de femmes accompagnées directement dans ses financements, ce qui n'est par exemple pas encore le cas de Bpifrance aujourd'hui, ni en termes de capital ni en termes de prêt. Pourtant, connaître ce pourcentage est essentiel afin de savoir s'il existe des biais sociétaux, notamment dans les territoires. Je peux témoigner que ces biais existent bel et bien. Nous pouvons ensuite évoquer la charge mentale.
Seules 19 % d'entrepreneures de nos réseaux ont opté pour le statut d'autoentrepreneur. Tous mes propos concernent les dirigeantes en général.
Encore une fois, il n'est pas question d'expertise - car ces femmes disposent de la compétence - mais de légitimité, car elles ne sont pas représentées et ne peuvent pas s'identifier. Il est aussi question de crédibilité.
Je suis moi-même cheffe d'entreprise. J'ai créé mon entreprise Bouge ta boîte dans mon petit village de 600 habitants. J'étais mère célibataire, au RSA, et je dois dire que je me bats en permanence pour être crédible. J'ai notamment réalisé plusieurs levées de fonds pour Bouge ta boîte car nous ne sommes pas du tout soutenus sur le plan financier. J'ai fait des démarches pour obtenir tous les prêts bancaires possibles : Initiative, NACRE, Réseau Entreprendre et SNCF. Lorsqu'il n'a plus été possible d'effectuer des prêts bancaires, j'ai donc réalisé des levées de fonds.
Je perçois ce manque de crédibilité de façon très forte, en permanence. Néanmoins, il s'agit de ressentis, difficiles à expliquer. C'est pour cette raison que des statistiques et des chiffres sont nécessaires.
Le guichet unique permettra de connaître toutes les aides, même si Bpifrance Création effectue un travail formidable à ce sujet en recensant toutes les aides qui existent.
Concernant les chiffres sur les secteurs d'activité, la répartition reste malheureusement très traditionnelle. Les secteurs féminins, évoqués par l'une des intervenantes, sont les services à la personne, le bien être, etc. C'est cette réalité qu'il faut changer. Des exemples de réussite dans d'autres secteurs y aideront.
Un travail fantastique est effectué à propos des écoles par l'association 100 000 entrepreneurs . D'ailleurs, tous les réseaux présents à cette table ronde, ainsi que la plupart des réseaux féminins, envoient des femmes cheffes d'entreprise dans les écoles grâce au réseau 100 000 entrepreneurs . La situation commence vraiment à évoluer au niveau de l'éducation, grâce à eux.
Annick Billon, présidente . - Je vous remercie pour vos réponses. Je cède la parole à Guylène Pantel, rapporteure.
Guylène Pantel, rapporteure . - Je souhaite juste insister sur deux points. Les droits des parents sous le statut d'indépendant sont différents de ceux des parents salariés, notamment pour les jours enfants malades et les congés parentaux. Ne faudrait-il pas un socle commun sur les droits pour les femmes entrepreneures, qui ne bénéficient pas pour le moment des mêmes droits ?
Par ailleurs, pour les conjoints collaborateurs et les conjointes collaboratrices, ne faudrait-il pas imposer une validation des acquis de l'expérience (VAE) pour qu'en cas de divorce ou de séparation, ces conjoints ne se retrouvent pas sans statut après une situation difficile ? Faudrait-il rendre une VAE obligatoire ou trouver un équivalent ?
Les réseaux sont indispensables en milieu rural. Toutes les femmes n'ont cependant pas accès à ces réseaux. Je peux le constater dans des départements très ruraux comme le mien.
Annick Billon, présidente . - Merci, chère collègue. Je cède la parole à Ophélie Héliès de l'ADIE.
Ophélie Héliès . - J'aimerais formuler une remarque sur la façon de faire connaître les services qui existent et les actions. En zone rurale, il faut vraiment multiplier les actions pour arriver à toucher le public. En zone urbaine, hors période de restrictions sanitaires, vous pourrez rassembler facilement 150 ou 300 personnes en organisant un évènement. En zone rurale, en revanche, il faut organiser dix ou vingt évènements pour réussir à mailler le territoire et à toucher autant de monde. La densité de population est en effet beaucoup plus faible. Les problèmes de mobilité sont considérables. Il est donc nécessaire de multiplier les évènements pour être au plus proche du public.
Par ailleurs, je ne peux pas répondre au niveau national sur les secteurs d'activités investis par les femmes. Néanmoins, je peux me prononcer sur les secteurs investis par les femmes entrepreneures qui sont financées et accompagnées par l'ADIE. En zone rurale, selon les chiffres du projet Regain sur les départements où nous avons mené cette expérimentation, 50 % des femmes financées et accompagnées pendant cette période réalisent des projets liés au commerce. 12 % des projets concernent des prestations de services (prestations de service généraux et artisanat). Enfin, un pourcentage plus faible concerne d'autres secteurs comme l'agriculture ou les services aux particuliers. Les secteurs artistique, culturel, des transports et de la restauration-hôtellerie sont très peu concernés.
Annick Billon, présidente . - Une autre intervenante en visioconférence souhaite-t-elle répondre à nos collègues rapporteurs ?
Delphine Deserier . - Je souhaite réagir aux propos des deux précédentes intervenantes sur l'éducation, au sens noble du terme, pour lever toutes les barrières et tous les stéréotypes sur l'entrepreneuriat en général, et l'entrepreneuriat féminin en particulier. Je suis extrêmement active au sein du réseau 100 000 entrepreneurs . Je crois que nous devons avancer à ce sujet.
Madame l'élue de la CCI de Corrèze a sans doute participé à l'action que nous avons réalisée lors de la semaine du 8 mars, durant laquelle les femmes cheffes d'entreprises interviennent auprès des écoles, dans les CCI, pour parler de l'entrepreneuriat féminin. Je crois que nous devrions réaliser ce type d'actions beaucoup plus régulièrement afin de faire tomber les stéréotypes sur les métiers réservés aux hommes ou aux femmes, même si, comme l'a dit le M. le ministre, il y a peu d'esthéticiens et, heureusement, de plus en plus de femmes dans les BTP.
Annick Billon, présidente . - Merci beaucoup. Je cède la parole à notre collègue Annick Jacquemet, sénatrice du Doubs.
Annick Jacquemet . - Merci, Madame la présidente. Chers collègues, chers amis, je voudrais d'abord dire que vous m'avez, Mesdames, toutes captivée par vos expériences et vos interventions ainsi que par l'énergie et la conviction que vous mettez dans vos paroles. Nous sommes majoritairement des femmes à cette table ronde.
Je suis moi-même cheffe d'entreprise. J'ai exercé une profession libérale. Je suis mère de trois enfants. J'assume un engagement public et politique depuis 1995. J'ai donc réussi à mener toutes ces carrières de front.
Cette opposition, trop souvent formulée, entre carrière professionnelle et enfants me contrarie quelque peu. Je ne voudrais pas que les enfants soient considérés comme ceux qui empêchent de réussir une carrière. J'entends bien qu'il existe des difficultés, que j'ai moi-même vécues. Il me semble qu'une intervenante, jeune grand-mère, parlait de la garde de ses enfants et petits-enfants comme une solution pour apporter davantage d'aides humaines et financières aux mamans qui travaillent et qui souhaitent développer leur entreprise. Il ne faut malheureusement peut-être pas trop compter sur les hommes. En effet, si une dirigeante doit consacrer beaucoup de temps à son entreprise, c'est également le cas pour un homme. Effectivement, cela libère l'esprit d'être aidée par quelqu'un à la maison, sur qui compter et qui peut éventuellement aller chercher les enfants à l'école. Ce soutien, en plus de celui des crèches, permet de se concentrer davantage sur son entreprise et sa profession.
Par ailleurs, je suis davantage en faveur de l'équité que de l'égalité. Il me semble qu'il revient à la société de mettre en place des structures pour aider les femmes dans la création d'entreprises.
J'ai entendu que 20 % des femmes n'achèvent pas leur projet de création d'entreprise. Je voudrais savoir quel est le pourcentage pour les hommes. Devenir chef d'entreprise n'est pas offert à tous, femme ou homme. Certains ont cette possibilité, cette capacité, ce sens des responsabilités et une envie de s'investir. En effet, un chef d'entreprise ne travaille pas trente-cinq heures par semaine. Tout le monde ne souhaite pas travailler en permanence, tandis que certains s'épanouissent en dehors de la sphère professionnelle.
Concernant l'information et les actions que vous réalisez dans vos différentes associations et réseaux, il serait possible d'utiliser tous les bulletins municipaux et des EPCI pour toucher les femmes au plus près. Ces bulletins, au sein des communes, permettent d'être au plus près des femmes. Les habitants des petits villages ou des communautés de communes reçoivent régulièrement les journaux locaux, qui peuvent être un support d'information intéressant.
J'ai trouvé les échanges de cette table ronde captivants. Je vous remercie de toutes vos expériences et de vos témoignages.
Annick Billon, présidente . - Merci à notre collègue, sénatrice du Doubs et vétérinaire. Par son métier, nous voyons qu'Annick Jacquemet est une femme d'engagement elle aussi. Avant de vous laisser répondre, Mesdames, je vais passer la parole à Bruno Belin.
Bruno Belin, rapporteur . - Merci, Madame la présidente. Tout d'abord, je suis très heureux de participer à cette délégation et je salue le travail effectué par sa présidente. J'ai beaucoup apprécié les propos de conclusion du ministre. Il est vrai que, si nous voulons progresser, nous devons arrêter les clichés. Certaines professions ne sauraient être réservées à un genre. Cependant, plus de 70 % des élèves sortant des écoles de formation aux professions de santé sont des femmes. Il s'agit d'un fait. Nous ne demanderons pas à instaurer des quotas.
Nous devons sortir des clichés et rassembler. Ainsi, nous parviendrons à améliorer la situation ensemble, notamment grâce au travail mené par Annick Billon et par cette délégation.
Annick Billon, présidente . - Merci à nos collègues. Je cède la parole à la présidente Marie Eloy.
Marie Eloy . - Pour répondre à vos questions, Madame la sénatrice, je suis tout à fait d'accord sur le danger d'opposer le fait d'élever ses enfants et celui de faire carrière. Malgré tout, au moment du déconfinement, nous n'avons pas eu d'autre choix que d'évoquer le problème de la fermeture des écoles car cette réalité a été catastrophique pour les dirigeantes d'entreprise. Ces faits doivent être entendus, alors qu'il existe encore 42 % d'écart de salaire au sein d'un couple.
Comme vous l'avez dit, il est tout à fait possible de mener une carrière en étant mère avec une organisation et un partage des tâches équilibré avec un conjoint - ce qui n'est pas le cas dans la plupart des foyers. La situation est plus difficile pour les femmes seules. Le fait que les questions des femmes entrepreneures concernent la garde d'enfants est une réalité. Je l'ai constaté il y a peu de temps, alors que je me trouvais à Angers avec l'ADIE. J'ai été très étonnée car les questions portaient sur la façon de concilier entrepreneuriat et parentalité, le regard des enfants sur l'entrepreneuriat et la possibilité de percevoir des revenus suffisants. Ces questions doivent être entendues.
Nous pouvons y répondre par les role models , en présentant des cheffes d'entreprise qui réussissent. Avec Bouge ta boîte , nous mettons en avant l'expertise et l'audace des femmes au quotidien. La mise en lumière des role models prend du temps car il existe des biais culturels et sociaux très ancrés chez les femmes comme chez les hommes.
Vous avez évoqué des aides pour les femmes concernant les gardes d'enfants. Je pense que ces dispositifs aident aussi les hommes. S'il existe un seul fait positif avec les divorces, c'est que les hommes s'occupent davantage des enfants !
J'espère que ce mouvement tendra vers un changement profond de la société. L'allongement du congé du deuxième parent s'inscrit également dans cette voie.
Concernant les bulletins municipaux et la communication auprès des femmes, la presse nationale relaie effectivement peu les réseaux féminins, considérés comme secondaires alors que nous sommes des organisations patronales. En effet, nous représentons des milliers de dirigeantes. Nos relais sont plutôt la presse quotidienne régionale, qui mentionne les rencontres ou les ouvertures de commerce ou d'entreprise par des femmes, mais aussi et surtout, les réseaux sociaux. Ces derniers ont permis de mettre les femmes en lien et de partager nos problématiques communes.
Les clichés sont réels. Cependant, les réseaux féminins existent effectivement pour que nous progressions dans un élan commun, et, en aucun cas, en opposition les uns contre les autres.
Bruno Belin, rapporteur . - N'opposons pas les personnes entre elles.
Marie Eloy . - Ne les opposons pas mais regardons, malgré tout, les chiffres, qui sont parlants. Nous devons les regarder en face. Je m'oppose absolument aux clichés. Néanmoins, il faut regarder la réalité. Je préférerais dire que l'égalité existe. Or l'égalité existe dans les droits mais non dans la réalité. Je le déplore, croyez-moi. Avancer dans un élan commun constitue notre quotidien et nous ne nous plaçons jamais en opposition. En revanche, il faut affronter la réalité et oeuvrer pour la changer ensemble. Nous avons absolument besoin des hommes.
Annick Billon, présidente . - C'est important de le dire. Merci de ces précisions, Madame la présidente.
Je cède la parole à Carole Jung.
Carole Jung . - Je voudrais juste intervenir concernant les propos de Marie Eloy. Effectivement, nous nous faisons connaître par la presse locale. Les Dirigeantes Actives 77 organisent des salons business , des échanges et des projets comme Hôte Fonction , qui parle des rencontres entre élus et cheffes d'entreprise. Nous créons des évènements auxquels sont invités tous les élus de la région. Avec les entrepreneures, nous échangeons sur nos vies afin de créer des liens et de nous faire connaître. Ces initiatives fonctionnent bien. Nous avons noué des partenariats et nous organisons des conférences.
Je retiens les idées concernant les écoles, auxquelles je n'avais pas pensé. En effet, nous sommes intervenues au sein d'un IUT. Intervenir en amont, dès l'école primaire et le collège, pourrait effectivement être intéressant.
De nombreuses actions peuvent être menées. Nous devons simplement être encore plus actives.
Annick Billon, présidente . - Merci beaucoup. Je cède la parole à Mme Héliès, de l'ADIE.
Ophélie Héliès . - Nous parlons beaucoup de conciliation entre vie privée et vie professionnelle. 46 % des femmes estiment qu'il est plus facile de concilier vie privée et vie professionnelle en étant cheffe d'entreprise. Il s'agit aussi parfois d'un choix. Je dispose de nombreux exemples de personnes que j'ai accompagnées au cours de ces dernières années qui disent se tourner vers l'entrepreneuriat parce qu'elles en ont envie mais aussi parce que ce poste leur permet de concilier plus facilement leur vie personnelle et leur vie professionnelle.
Au sein de l'ADIE, nous finançons un grand nombre de femmes qui s'occupent seules de leurs enfants. Elles parviennent à être cheffes d'entreprise dans cette situation. Cela prouve donc que c'est possible.
Notons que 44 % des personnes estiment que le frein principal à la création d'entreprise est le manque de financement. La conciliation entre vie privée et vie professionnelle n'est donc pas le premier frein mentionné, même si cette question est souvent soulevée par les femmes.
Annick Billon, présidente . - Merci beaucoup. Je vais laisser la parole à Martine Berthet, vice-présidente de la délégation sénatoriale aux entreprises. Nous sommes très heureux qu'elle ait accepté de participer à cette table ronde.
Martine Berthet . - Merci beaucoup, Madame la présidente. Merci surtout pour cette invitation. Les échanges étaient très intéressants. L'éclairage sur l'entrepreneuriat au féminin dans les territoires ruraux, encore plus difficile qu'en zone urbaine, est très important.
Je pense qu'il importe surtout de mettre à disposition des familles des structures afin de permettre la garde des enfants, même si le soutien de l'entourage familial revêt une grande importance pour les femmes qui créent leur entreprise. Ce soutien existe tout de même souvent.
En cas de création ou de reprise d'une entreprise, l'appartenance à un réseau est essentielle. Cependant, une seconde étape reste à franchir. Je me souviens que le réseau des Femmes chefs d'entreprise nous incitait fortement à prendre des mandats, au sein de la CCI notamment. Je suis entrée de cette façon en tant qu'élue à la CCI. Sans le réseau, je n'y aurais jamais pensé. J'étais élue sur un autre territoire en Savoie. Je n'aurais jamais eu l'idée d'apparaitre sur une liste CCI. Finalement, c'est bien le réseau qui m'y a incitée et qui revenait systématiquement à la charge sur la prise de mandats lors d'élections, notamment professionnelles. Je crois que ces mandats sont importants pour que nous parvenions à une meilleure représentativité. Pour cela, il est effectivement nécessaire que l'entreprise soit déjà sur des rails. En revanche, une fois que l'entreprise est installée et qu'elle fonctionne en rythme de croisière, je crois qu'il est important de franchir cette deuxième étape, même si ce n'est pas toujours facile, pour être représentées dans les chambres consulaires.
Annick Billon, présidente . - Merci, madame la vice-présidente. Il est temps de conclure cette table ronde.
Je voudrais vraiment remercier M. le ministre, qui a eu la gentillesse d'assister à cette réunion en présence, malgré les contraintes sanitaires. Je vous remercie de votre présence, Madame la vice-présidente.
Je remercie les présidentes et représentantes des associations, des réseaux, de l'ADIE et de la CCI. Ces échanges étaient importants. Comme l'a dit à très juste titre notre collègue Marie-Pierre Monier, nous voyons que les stéréotypes ont la vie dure. Les femmes ont d'autant plus besoin de ces réseaux pour lesquels vous travaillez. Sans gardes d'enfants, mobilité et orientation scolaire et universitaire, nous peinons à faire bouger les lignes. À partir du moment où nous ferons progresser la possibilité pour les femmes de se diriger vers l'entrepreneuriat, nous aurons davantage de moyens de garde et de services dans les collectivités, les communes et la ruralité. C'est bien cela l'essentiel car ces avancées serviront à la fois aux hommes et aux femmes.
Madame la présidente Marie Eloy, j'aimerais vous dire que les difficultés rencontrées par les femmes dans l'entrepreneuriat sont les mêmes que celles qu'elles peuvent connaître en politique, dès lors qu'elles s'engagent, ou dans l'agriculture par exemple. À juste titre, Martine Berthet faisait appel à la nécessité d'engagement. Appartenir à un réseau, ce n'est pas seulement appartenir à une association. Il faut ensuite se rendre dans les syndicats et les structures professionnelles. C'est possible seulement si les freins liés à la mobilité ou encore à la garde d'enfants sont levés en amont. Vous avez indiqué que les familles monoparentales sont de plus en plus nombreuses. Évidemment, les difficultés à surmonter sont d'autant plus importantes dans le cadre de ces familles.
Je cède la parole à Delphine Deserier.
Delphine Deserier . - Les clichés sont encore bien présents. Notre rôle est de les faire tomber par l'éducation, dès l'école. Je ne sais pas comment nous pourrons y parvenir car je ne suis pas sûre que tous les instituteurs et institutrices soient formés sur ces sujets.
Par ailleurs, les clichés existent dans les médias. Je me souviens de la couverture d'un hebdomadaire sur les chefs d'entreprise, au moment du premier confinement, ne montrant que des hommes d'un certain âge. La photographie ne comportait ni femmes ni jeunes.
Annick Billon, présidente . - Vous avez eu tout à fait raison d'intervenir. Nous avions évidemment relevé cette couverture d'hebdomadaire. Marta de Cidrac et Dominique Vérien, membres de la délégation, ont effectué un travail sur la représentation des femmes dans les médias audiovisuels. Nous avons pu constater que, pendant le premier confinement, les experts qui sont intervenus dans tous les médias étaient essentiellement des hommes.
Il est question, dans cette délégation, d'égalité et d'égal accès aux métiers car, nous l'avons dit, tous les métiers n'attireront pas de la même manière les hommes et les femmes. Une représentation est nécessaire.
Nous devons montrer des visages de femmes qui réussissent pour ouvrir le champ des possibles aux jeunes femmes.
Le rôle des réseaux est majeur. La Bretagne était précurseur concernant ces réseaux. Cependant, les femmes ont tendance à ne pas suffisamment se constituer en réseaux pour accéder à tous ces métiers.
Bien entendu, nous vous remercions chaleureusement, Mesdames, pour vos interventions à la fois étayées, chiffrées, pointues et honnêtes, à travers vos parcours. Nous poursuivrons le travail avec les huit rapporteurs, des hommes et des femmes.
La question des femmes et de la ruralité concerne beaucoup de sujets, tels que l'entrepreneuriat, l'engagement politique, l'accès au soin, l'orientation universitaire et scolaire ou encore la mobilité. Je ne doute pas que les rapporteurs formuleront des propositions intéressantes dans ce travail au Sénat, mais aussi dans leurs territoires. Je vous remercie.
Audition de M. Joël
Giraud, secrétaire d'État chargé de la
ruralité,
et de Mme Élisabeth Moreno, ministre
déléguée chargée de l'égalité entre
les femmes et les hommes, de la diversité et de l'égalité
des chances
(5 mai 2021)
Présidence de Mme Annick Billon, présidente
Annick Billon, présidente . - Madame la ministre, Monsieur le ministre, tout d'abord, en mon nom et au nom de mes collègues de la délégation présents dans cette salle ou connectés à distance, je vous remercie sincèrement pour votre disponibilité et votre participation à nos travaux, entamés dès le mois de décembre dernier, sur la situation des femmes dans les territoires ruraux.
Je rappelle, à toutes fins utiles, que cette audition fait l'objet d'une retransmission en direct sur le site Internet et le compte Twitter du Sénat et qu'elle sera par la suite disponible en vidéo à la demande.
Notre délégation a souhaité dédier son principal travail de cette session à la situation des femmes en milieu rural, un enjeu décisif d'égalité dans notre pays, qu'il s'agisse de l'égalité professionnelle, de l'accès à la formation, de l'éducation, de la santé, de la lutte contre les violences, de la précarité ou de la participation à la vie politique locale.
Nous nous intéressons, bien sûr, aux défis de l'égalité femmes-hommes à tous les âges de la vie, et dans l'immense diversité des territoires ruraux.
Mais nous avons également souhaité mettre en valeur le potentiel extraordinaire, pour ces territoires, que constitue l'engagement des femmes, que cet engagement soit politique, associatif ou entrepreneurial.
Signe de notre intérêt unanime pour ce travail, nous avons désigné pour conduire cette réflexion une équipe de huit rapporteurs associant tous les groupes politiques représentés dans notre assemblée. Je les désigne par commodité par ordre alphabétique :
- Jean-Michel Arnaud, élu des Hautes Alpes, pour le groupe Union centriste ;
- Bruno Belin, élu de la Vienne, pour le groupe Les Républicains ;
- Nadège Havet, élue du Finistère, pour le groupe RDPI (Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants) ;
- Pierre Médevielle, élu de la Haute Garonne, pour le groupe Les indépendants - République et territoires (LIRT) ;
- Marie-Pierre Monier, élue de la Drôme, pour le groupe Socialiste, écologiste et républicain ;
- Guylène Pantel, élue de la Lozère, pour le groupe Rassemblement démocratique et social européen (RDSE) ;
- Raymonde Poncet Monge, élue du Rhône, pour le groupe Écologiste - solidarité et territoires (GEST) ;
- Marie-Claude Varaillas, élue de la Dordogne, pour le groupe CRCE (Communiste républicain citoyen et écologiste).
Nos rapporteurs représentent, comme vous le voyez, une belle diversité de territoires.
Les travaux que nous avons menés jusqu'à présent nous ont déjà permis de traiter un certain nombre de thématiques. Nous avons ainsi organisé quatre grandes tables rondes portant sur :
- la santé des femmes dans les territoires ruraux ;
- la lutte contre les violences faites aux femmes dans ces territoires ;
- l'accès des femmes aux responsabilités dans les collectivités des territoires ruraux et le rôle des élus pour y faire avancer l'égalité ;
- mais aussi l'entrepreneuriat des femmes dans les territoires ruraux.
Nous avons également mené plusieurs auditions de personnalités qualifiées : des sociologues, des responsables d'associations intervenant dans le domaine de l'orientation scolaire ou de l'insertion professionnelle par exemple, mais aussi l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT).
Ces travaux nous ont confortés dans l'idée qu'il est aujourd'hui essentiel « d'articuler les politiques d'égalité femmes-hommes et les politiques rurales pour les inscrire dans un processus d'égalité territoriale ». Je reprends à dessein les mots d'une élue d'Ille-et-Vilaine, Rosie Bordet, qui, dans une tribune récente parue dans Ouest France , intitulée Femmes en milieu rural : un enjeu politique , a parfaitement bien exprimé cette problématique. Il nous apparaît en effet de plus en plus évident que se dessine une réelle imbrication entre les inégalités femmes-hommes et les inégalités territoriales.
Or l'agenda rural, qui constitue aujourd'hui le socle de la politique gouvernementale en faveur des territoires ruraux dans toute leur diversité, au travers d'un ensemble de plus de 180 mesures en faveur des zones rurales, dans des domaines aussi divers que l'accès aux services, l'éducation et la formation, l'accès aux soins, l'ingénierie, le numérique et la démocratie locale, ne fait jamais mention explicite de l'égalité femmes-hommes. À tel point que l'on peut se demander si l'égalité de genre ne constitue pas, malheureusement, un angle mort de l'agenda rural...
Si nous nous félicitons que le chantier des ruralités monte aujourd'hui en puissance, comme l'atteste d'ailleurs la nomination d'un secrétaire d'État chargé de la ruralité, nous avons également constaté que les inégalités entre les femmes et les hommes sont plus prégnantes dans les territoires ruraux. Dès lors, répondre aux enjeux de l'égalité territoriale, en termes d'accès aux droits et aux services, en se centrant sur les besoins des femmes, nous semble constituer aujourd'hui une priorité.
Lors de son audition par notre délégation en mars dernier, l'ANCT nous avait fait savoir qu'une convention interministérielle entre le secrétariat d'État chargé de la ruralité et le ministère de l'égalité entre les femmes et les hommes était envisagée. Elle pourrait être signée lors du prochain comité interministériel aux ruralités courant mai 2021 et viserait à proposer une concrétisation des mesures de l'agenda rural dans le cadre de l'égalité femmes-hommes.
Pourriez-vous nous confirmer ce projet de convention interministérielle et nous en préciser les contours ?
Plus largement, pourriez-vous nous indiquer comment le Gouvernement entend mieux prendre en compte les femmes rurales dans sa politique de lutte contre les fractures territoriales existantes, du point de vue par exemple :
- de l'offre d'orientation et d'éducation ;
- du manque de structures de garde d'enfants, souvent corrélé, en milieu rural, à des emplois à temps partiel pour les femmes ;
- des problématiques de mobilité qui peuvent contraindre les femmes au sous-emploi, mais aussi restreindre leur accès aux soins ;
- de la moindre mixité de l'offre d'emplois dans les territoires ruraux.
Plus globalement, quelles pourraient être les modalités d'une réelle articulation entre les politiques d'aménagement du territoire et les politiques en faveur de l'égalité femmes-hommes ? Comment tenir compte des freins spécifiques aux zones rurales qui accentuent les inégalités entre femmes et hommes ? Enfin, envisagez-vous, dans le cadre de l'agenda rural notamment, de développer le recours aux indicateurs et données genrés sur la ruralité ?
Je vous donne sans plus tarder la parole, puis les rapporteurs et l'ensemble des collègues présents dans cette salle ou connectés à distance vous poseront des questions.
Élisabeth Moreno, ministre déléguée auprès du premier ministre, chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l'égalité des chances . - Mesdames et Messieurs les rapporteurs, Mesdames et Messieurs les sénatrices et sénateurs, bonjour à toutes et tous, je me réjouis de vous retrouver.
Permettez-moi de saluer le travail que vous menez sur la situation des femmes dans les territoires ruraux. La France ne saurait délier son histoire, sa culture et ses traditions de la ruralité. L'histoire de notre pays se conjugue avec sa terre, ses reliefs, ses paysages et sa myriade de petites communes. La ruralité en est à la fois l'âme et la mémoire.
Comme vous le savez, l'égalité entre les femmes et les hommes est la grande cause du quinquennat du Président de la République. Elle se traduit notamment par un travail interministériel important, sous l'autorité du Premier ministre, afin que l'ensemble des politiques publiques que nous menons irrigue tous les secteurs ministériels et tous les territoires.
La question de la situation des femmes dans les territoires ruraux, qui nous réunit aujourd'hui, n'échappe pas à cet enjeu. Cette situation est souvent mal connue. Ces femmes sont confrontées à des formes multiples et croisées de discriminations, d'injustices, de violences, qui sont liées à l'accès à la propriété foncière, au manque d'accès aux services de santé, aux transports, et à un accès plus restreint à la justice, en comparaison avec les femmes des milieux urbains. Dans ce contexte, les femmes des territoires ruraux sont davantage victimes d'inégalités.
Ces inégalités se manifestent aussi dans l'emploi. Les statistiques démontrent que le risque d'être touchée par le chômage et la précarité est plus important pour les femmes vivant dans les territoires ruraux. Si ces territoires sont moins frappés par le chômage, ils enregistrent cependant une différence de taux entre les deux sexes bien plus importante. Les femmes occupent davantage d'emplois précaires. Dans les communes rurales les moins denses, 21 % des femmes salariées ont un contrat précaire contre 13 % dans les communes les plus urbaines. Elles sont davantage concernées par le travail à temps partiel. Les territoires ruraux se distinguent aussi par une offre d'emploi moins mixte qu'en ville. Les femmes sont ainsi concentrées dans certains secteurs, moins valorisés et moins rémunérés.
Cette situation accroît la pauvreté des femmes en milieu rural. Pour pallier cette précarité, mon ministère est très volontariste et promeut l'égalité professionnelle et l'entrepreneuriat des femmes.
Nous avons récemment signé un accord-cadre triennal avec Bpifrance, afin de développer la création et la reprise d'entreprises par des femmes. Il est décliné dans chaque région par l'intermédiaire de plans d'action régionaux proposant des actions spécifiques sur l'ensemble du territoire, notamment en zone rurale.
Nous soutenons le réseau Femmes des territoires , avec lequel j'ai récemment échangé. Cette association réunit toutes les femmes entrepreneures en milieu urbain comme rural, en créant un réseau d'entraide et de partage de bonnes pratiques.
Nous développons également des actions d'insertion par l'activité économique, pour accompagner les femmes vers l'emploi durable. Nous avons créé, avec l'Association de la fondation étudiante pour la ville (AFEV) et les Directions régionales de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DREETS), un grand programme « égalité » permettant aux jeunes en service civique de développer l'accès des femmes aux parcours d'insertion par l'activité économique.
La question de l'emploi pérenne et de la mixité est donc un enjeu clé pour l'autonomisation et l'émancipation des femmes vivant en zone rurale.
Permettez-moi de m'arrêter un instant sur l'agriculture, secteur économique capital de nos territoires ruraux. Si de grands progrès ont été accomplis ces dernières années, si nous sommes passés de la femme d'agriculteur à la femme agricultrice, force est de constater que de fortes inégalités subsistent entre les femmes et les hommes. Seuls 25 % des plus de 460 000 chefs d'exploitations sont des femmes. Certes, elles n'étaient que 8 % en 1970 mais ces chiffres stagnent depuis vingt ans. Les femmes ne représentent que 17 % des salariés de ce secteur. Pourtant, celles qui choisissent cette voie y réussissent parfaitement, à l'instar de Mme Varache, éleveuse et productrice de lait dans l'Yonne, que j'ai rencontrée il y a quelques jours. Qu'il s'agisse des revenus de l'exploitation ou de la surface cultivée, les femmes exploitantes agricoles ont globalement un potentiel économique largement inférieur à celui des hommes.
Si la parité est presque atteinte dans l'enseignement agricole, le choix de l'orientation reste encore très genré. Les filles choisissent majoritairement le secteur des services à la personne alors que les garçons se tournent davantage vers des secteurs d'aménagement, de travaux forestiers ou paysagers, souvent plus rémunérateurs. Cette différenciation a des conséquences négatives sur le parcours professionnel des femmes, encore trop souvent cantonnées dans des secteurs moins rémunérateurs, qui embauchent moins, dans des conditions souvent plus précaires.
Les stéréotypes persistants, qui sont la racine de ces inégalités partout dans notre pays, doivent être combattus avec détermination. Les freins existants sont avant tout sociétaux. Non, il n'existe pas de métier typiquement masculin. Oui, la mixité des filières est une nécessité. Oui, les femmes peuvent exercer toutes les activités du monde agricole. Elles l'ont prouvé par le passé, et le démontrent encore tous les jours. Il s'agit selon moi non seulement d'un enjeu de justice, mais aussi de performance. Le monde agricole, confronté à une crise des vocations, a absolument besoin de ces femmes. Depuis plusieurs années, le ministère de l'agriculture est mobilisé pour attirer davantage de jeunes filles dans les filières de production. Nous avons par exemple signé une nouvelle convention interministérielle à l'égalité entre les filles et les garçons dans le système éducatif pour la période 2019-2024, avec pour optique d'établir une plus grande mixité dans l'orientation et dans la formation.
Le Gouvernement a également ouvert, depuis le 1 er janvier 2019, la possibilité pour les exploitantes agricoles de bénéficier d'indemnités journalières en cas de maternité, lorsqu'elles n'ont pas la possibilité de se faire remplacer. La durée minimale du congé maternité est passée à huit semaines pour les travailleuses indépendantes et les exploitantes agricoles, dont deux semaines de congé prénatal, à l'instar de ce qui s'applique aux salariées. Ces progrès visent à permettre aux agricultrices de mieux concilier leurs activités professionnelles et leur vie personnelle, et ainsi faciliter leur quotidien et susciter plus de vocations. C'est une ambition forte que je partage avec le ministre de l'agriculture Julien Denormandie.
Au-delà de l'égalité professionnelle, la question de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles constitue l'un des piliers de la grande cause de quinquennat. Ce pilier s'est notamment concrétisé au travers du Grenelle contre les violences conjugales en 2019. Ce combat est un défi culturel mobilisant l'ensemble du Gouvernement. Il doit mobiliser toute notre société.
Si les violences au sein du couple touchent tous les milieux sociaux, force est de constater que les victimes vivant en milieu rural se heurtent à des difficultés supplémentaires. Elles sont tout d'abord confrontées à un isolement plus accentué, du fait notamment d'une moindre anonymisation. Il est plus difficile pour une victime de porter plainte ou de se confier à un professionnel dans un réseau social d'interconnaissances. Cet environnement a tendance à accroître la peur, la honte, la stigmatisation, et surtout à renforcer le repli des victimes. S'y ajoute le fait que les droits et dispositifs de prise en charge des victimes y sont moins connus qu'en ville. Le tissu associatif dédié est également moins développé et moins accessible. À cette notoriété et ce maillage réduit se conjuguent une disponibilité moindre des services publics et un déficit de professionnels, notamment de la santé. S'y ajoutent également des difficultés de mobilité exacerbées par la moindre présence des transports en commun et par une précarité économique et financière accentuée.
En d'autres termes, les victimes sont plus isolées, moins protégées, moins soutenues et moins accompagnées. Dans ce contexte, je milite ardemment pour que le maillage territorial des associations de prise en charge des victimes soit beaucoup plus étoffé.
Nous devons également améliorer la connaissance des dispositifs d'écoute et d'accompagnement des victimes à travers une communication dans les lieux de proximité, qu'il s'agisse des pharmacies, des commerces ou des cabinets médicaux.
Mesdames et Messieurs, je le réaffirme devant vous, l'égalité entre les femmes et les hommes est une véritable priorité de ce Gouvernement. Elle n'est pas négociable. Si des progrès ont été accomplis depuis 2017, il nous reste encore beaucoup de chemin à parcourir.
Comme vous l'avez affirmé, Madame la présidente, je considère qu'il est capital d'articuler les politiques de notre agenda rural avec celles menées en matière d'égalité femmes-hommes. Cette conviction profonde explique notre présence devant vous aujourd'hui. Oui, ruralité rime aussi avec parité. Notre ambition d'égalité doit s'appliquer partout sur le territoire, sans aucune exception.
Merci de votre attention.
Joël Giraud, secrétaire d'État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité . - Mesdames et Messieurs les rapporteurs et rapportrices - nous devrions pouvoir le dire ainsi -, sénatrices et sénateurs, je me réjouis vivement de ces échanges et du fait que vous ayez inscrit la thématique « Femmes et ruralité » à votre programme de travail. Les tables rondes et auditions que vous avez organisées reflètent d'ailleurs remarquablement les différents aspects de ce sujet.
Nous avons plusieurs connaissances communes de ces auditions, dont les représentants de l'ANCT (Agence nationale de la cohésion des territoires), que vous avez interrogés et qui sont d'importantes personnes ressources pour nous, mais aussi des associations telles que la fédération Des Territoires aux grandes écoles avec laquelle nous allons conclure un partenariat autour de la mise en oeuvre du volontariat territorial dans l'administration. Il s'agit de mettre en place de l'ingénierie au niveau Bac+2 minimum sur l'ensemble des territoires ruraux, avec une possibilité de parcours mentorés par des jeunes de grandes écoles, pour que certains puissent utiliser cette étape comme une passerelle à la reprise de leurs études.
Je suis extrêmement curieux de connaître les propositions que vous envisagez de faire figurer dans votre rapport, la thématique de l'égalité entre les femmes et les hommes ayant été jusqu'ici - vous avez raison de le souligner - absente de l'agenda rural. Celui-ci, élaboré à la suite de la crise des gilets jaunes, a pourtant associé énormément d'associations d'élus et de parlementaires. Pour autant, lorsque j'ai regardé les 181 mesures adoptées à l'automne 2019, j'ai été surpris de constater que deux sujets étaient totalement absents : l'égalité hommes-femmes et les problématiques LGBT en zone rurale. Nous avons décidé, avec Élisabeth Moreno, de prendre ces sujets à bras le corps. J'ai demandé à nos équipes de commencer à y travailler ensemble afin d'émettre des propositions lors du prochain comité interministériel aux ruralités, qui devrait se tenir en tout début d'été. Je serai moi-même très attentif à vos conclusions. Je ne manquerai pas, avec Élisabeth Moreno, de les porter lors de ce comité interministériel fondant les éléments de la politique publique que nous voulons mener.
Je présume que vous vous êtes déjà forgé un certain nombre de convictions, qui rejoindront sûrement les nôtres. Si je devais résumer notre position sur la question des femmes en ruralité, je dirais que les caractéristiques géographiques et sociologiques des territoires ruraux ont un effet encore plus marquées pour les femmes que pour les hommes.
La ruralité se caractérise par une faible densité de population, qui a parfois pour corollaire un enclavement routier, ferroviaire, numérique et culturel. Cette spécificité géographique est évidente et immédiatement visible. C'est d'ailleurs désormais le principal critère retenu pour définir la ruralité. L'ANCT a sans doute évoqué cette nouvelle approche par la grille communale de densité lorsque vous l'avez auditionnée. Auparavant, la ruralité était définie en creux et en négatif. Était rural ce qui n'était pas urbain. Les définitions étaient parfois bien éloignées de la ruralité : une commune de 2 500 habitants dans la périphérie d'une ville peut être très dense, tandis que des communes de 10 000 habitants peuvent être bien moins denses et bien plus rurales. Nous avons intégré cette approche mathématique de la ruralité pour que chaque ministère s'en empare comme un élément de définition, en concertation et en accord avec les associations d'élus, qu'il s'agisse de l'Association des maires de France (AMF) ou de l'Association des maires ruraux de France (AMRF). Nous avons déjà commencé à utiliser cette approche dans le projet de loi de finances, pour un certain nombre de critères liés à des dotations de l'État. J'ai demandé lors de la dernière réunion des référents ruralité que chaque ministère puisse l'utiliser, de façon à ce que nous parlions tous des mêmes territoires.
Dans la plupart des cas, la faible densité a pour conséquences un plus haut degré de connaissances interpersonnelles dans les villages, mais également un plus faible maillage des services publics et des structures associatives. Nous savons que l'interconnaissance a des conséquences majeures sur certains individus victimes de violences qui ont beaucoup de mal à trouver de l'aide. Les services publics constituent un angle d'approche majeur du Gouvernement et nous souhaitons renforcer leur maillage, notamment au travers du programme des Maisons France Service . Nombreuses sont les Maisons France Service qui tiennent désormais des permanences avec les CIDFF (Centres d'information sur les droits des femmes et de la famille), souvent présents et efficaces dans les départements ruraux. L'anonymat y est plus aisé pour les individus victimes de problèmes graves. Vous y entrez par une case anonyme (Pôle Emploi, les services de la CAF, une aide pour remplir une déclaration d'impôts...). Les personnes formées qui vous accueillent sont ensuite aptes à déceler des problématiques autres, telles que les violences faites aux femmes ou l'addictologie. Ces Maisons France Service peuvent donc constituer un point d'entrée très intéressant pour toutes les discriminations, quelles qu'elles soient.
La question de la mobilité se pose de concert avec celle de l'accessibilité aux services publics, ce qui accroît certains problèmes d'orientation professionnelle ou d'accès aux droits, par exemple. Les différences d'orientation entre les hommes et les femmes sont encore plus marquées en milieu rural qu'en milieu urbain. Les femmes sont encore plus nombreuses en temps partiel. Les violences intrafamiliales sont également plus fréquentes dans ces zones.
Nous envisageons donc d'enrichir l'agenda rural avec des propositions de mesures principalement destinées à répondre à la question de l'égalité entre les femmes et les hommes. À ce stade, les mesures ne sont pas encore arbitrées mais je vais en évoquer certaines.
Nous souhaitons augmenter le nombre d'intervenantes sociales en gendarmerie. Tout le monde a en tête ce drame atroce dans le Puy-de-Dôme il y a quelques mois, où trois gendarmes ont perdu la vie en allant sauver une femme victime de violences. C'est la meilleure démonstration de l'action des forces de l'ordre. J'étais au Beauvau de la sécurité organisé par le ministre de l'intérieur en zone rurale, dans l'Allier, et nous avons largement évoqué ces questions.
Nous examinons par ailleurs les applications qui sont utilisées par les maires sur certains territoires ruraux. Je pense notamment à l'application PanneauPocket , permettant de lancer des alertes en cas de crue ou de cheval échappé de son enclos, par exemple. Nous étudions la possibilité d'utiliser ces applications pour alerter d'un péril imminent.
Nous souhaitons également lancer un appel à projets destiné aux associations rurales promouvant l'égalité entre les femmes et les hommes. Nous voulons aussi travailler sur un programme de mentorat ad hoc dans le cadre du plan « mentorat » lancé par le Président de la République sur les droits des femmes.
Soyons clairs : c'est l'ensemble des mesures de l'agenda rural qu'il convient d'orienter pour qu'elles puissent contribuer à améliorer la situation des femmes. Je crois que les Maisons France Service constituent une porte d'entrée très intéressante pour ces sujets.
La lutte contre les déserts médicaux fait également partie des sujets sur lesquels l'égalité femmes-hommes doit s'appliquer, sachant que le recours aux médecins concerne plus majoritairement des personnes âgées et des femmes que des hommes jeunes. Sur ce plan, les mesures que nous prenons avec le ministère de la santé, sur le remboursement de la télémédecine et les nouvelles possibilités d'intervention de paramédicaux, sont essentielles. En période de Covid, les infirmiers ont en effet été autorisés à réaliser quelques gestes médicaux. C'est particulièrement important en zone rurale. La loi 4D offrira également de nouvelles possibilités, telles que l'intervention des départements sur des dispensaires départementaux, expérimentée de manière très efficace en Saône-et-Loire. S'y ajoute la possibilité d'accueillir des étudiants en médecine en territoires ruraux grâce au système des médecins de référence en CHU, dont la prime a été augmentée de 50 %.
Je peux également citer l'installation de simulateurs de conduite dans vingt-quatre missions locales pour faciliter l'obtention du permis.
Des mesures jeunesse visent également à renforcer l'égalité des chances : la boussole des jeunesses, les cordées de la réussite, les campus connectés... Dès que nous installons des campus connectés, nous y observons davantage d'étudiantes que d'étudiants. En effet, l'éloignement de leur secteur d'origine et les difficultés liées aux réseaux de transports en commun constituent davantage un frein à la poursuite d'études pour les jeunes filles.
Voilà le complément que je pouvais apporter aux propos d'Élisabeth Moreno. Je ne comprends pas pourquoi ces sujets n'ont jamais émergé alors qu'énormément d'élus nationaux, et notamment d'élues nationales, figuraient parmi les partenaires de l'agenda rural. Cela reste pour moi un mystère. Il convient aujourd'hui de transformer les conditions de l'agenda rural pour qu'il devienne un instrument de non-discrimination en ce qui concerne l'égalité hommes-femmes et les droits LGBT.
Annick Billon, présidente . - Merci beaucoup pour ce propos liminaire apportant déjà un certain nombre de réponses. Si les sujets n'ont que peu évolué malgré la présence de femmes élues, il faut reconnaître que les femmes accèdent encore difficilement aux postes de maires. Seuls 19 % des maires sont des femmes depuis les dernières élections municipales.
Sachez que la délégation a émis un certain nombre de propositions très concrètes lorsque nous avons travaillé en 2016 et 2017 sur les femmes et l'agriculture. Les propositions portaient notamment sur les congés, la garde d'enfants et le statut des agricultrices.
Vous l'avez dit, deux sujets très importants conditionnent l'égalité dans la ruralité : le maillage des associations et celui des services publics. Les femmes doivent pouvoir y accéder où qu'elles soient. C'est un enjeu particulièrement important dans les territoires ultramarins.
Je passe immédiatement la parole à mes collègues.
Marie-Pierre Monier, rapporteure . - Bonjour, merci d'avoir répondu à notre invitation pour parler d'un sujet qui nous tient à coeur.
Vous avez indiqué que le comité interministériel prévu début mai serait reporté à l'été. Pourrez-vous, lorsque vous l'organiserez, y aborder la question de la formation des agents qui seront employés dans les Maisons France Service ? Cette question a été évoquée lors de notre table ronde sur les violences faites aux femmes en ruralité. Vous avez mentionné les possibilités de permanences des CIDFF mais nous savons bien qu'il est compliqué de mettre en place des permanences quotidiennes dans les CIDFF.
Vous avez indiqué vouloir favoriser les appels à projets pour les associations. Je veux vous alerter sur ce point, Monsieur le ministre. Ces appels à projets demandent un véritable investissement pour les associations, qui travaillent principalement avec des bénévoles. Il y a deux semaines, des associations d'accueil citoyen m'expliquaient encore que les dossiers à remplir étaient très chronophages, leur faisant perdre du temps de bénévolat auprès des femmes en ayant besoin. Un simple renouvellement des dossiers pourrait être mis en place.
Nos auditions ont pointé une méconnaissance particulière en zone rurale des outils existants, notamment des numéros d'écoute d'urgence. Quelle nouvelle campagne de communication, quelle initiative innovante allez-vous mettre en place pour encourager la diffusion de ces ressources auprès des habitants et habitantes des territoires ? Nous partageons un même constat quant aux difficultés particulières rencontrées par les femmes en zone rurale. Que faisons-nous pour les informer davantage des outils existants ?
Ensuite, j'ai une petite inquiétude. Vous expliquez que vous allez créer plus de postes d'intervenantes sociales en gendarmerie et plus de places d'hébergement. J'ai les données publiées par le ministère au 25 novembre 2020 pour dresser un bilan un an après le Grenelle de lutte contre les violences con jugales. Dans la Drôme, je constate qu'est mentionnée une augmentation de deux intervenantes et de quatorze places d'hébergement. Mais je ne les vois pas sur le terrain. Cela m'inquiète.
Enfin, nous avons auditionné le ministre chargé des Petites et moyennes entreprises, Alain Griset, qui nous a indiqué qu'il lui paraissait pertinent d'intégrer la dimension du genre dans les accords noués par l'État et les collectivités territoriales. Partagez-vous cette vision ?
Annick Billon, présidente . - Merci beaucoup. Je vous laisse répondre à ces premières questions très précises.
Élisabeth Moreno, ministre déléguée . - Merci pour ces questions très précises. Je vais commencer à répondre et M. Giraud complétera mes propos.
La question de la communication sur ces dispositifs d'aide aux victimes de violences se pose sur tout le territoire. Les violences conjugales n'ont pas de frontières géographiques, sociales ou générationnelles. Tout le monde est concerné. Souvent, lorsque je me rends sur le terrain, je constate que de nombreuses femmes ne connaissent pas les dispositifs mis en oeuvre pour les aider. Dans les zones rurales, ces difficultés sont encore plus importantes, pour toutes les raisons évoquées précédemment.
Pour lutter contre ce problème d'accès aux droits et aux informations, le ministère a mis en place des points d'information au sein des centres commerciaux pour aller vers les femmes nécessitant une écoute et un accompagnement. Des personnes expertes, issues d'associations qui écoutent et accompagnent les femmes, peuvent les informer et les aiguiller vers les services adaptés. Ainsi, une quarantaine de points d'informations ont été pérennisés. Nous souhaitons encore renforcer cette communication et améliorer le maillage territorial des associations féministes, en élargissant notamment le nombre de permanences des associations spécialisées dans l'accompagnement des femmes victimes de violences comme les CIDFF, et en renforçant les espaces de vie affective, relationnelle et sexuelle, permettant de s'informer sur les droits sexuels et reproductifs et sur le respect entre les filles et les garçons.
Nous comptons aujourd'hui au total 366 intervenants sociaux dans les commissariats et gendarmeries. J'ai entendu que vous ne les aviez pas identifiés. Mon cabinet se tient à votre disposition pour partager leur position géographique.
Je précise également qu'en 2020, 923 places d'hébergement ont été ouvertes sur les 1 000 que nous avions initialement prévues. La pandémie a freiné le travail des associations mais nous sommes très confiants quant à une accélération du processus en 2021 pour que les 1 073 places qui restent à ouvrir le soient.
Lorsque je rencontre des femmes victimes de violences, parfois agressées par leur conjoint depuis plus de dix ans, et que je leur demande pourquoi elles restent, leur première explication, après la peur et la honte, tient à la peur de la précarité. Elles craignent de ne pas savoir où aller et de mettre leurs enfants en situation de précarité. Nous savons combien ces places d'hébergement sont importantes. C'est pour cette raison que nous avons augmenté leur nombre de 60 % depuis 2017. Nous allons continuer à les déployer sur le territoire, en n'oubliant pas les zones rurales et les territoires ultramarins.
Joël Giraud, secrétaire d'État . - Madame la sénatrice, je veux d'abord vous répondre sur la problématique des appels à projets en général. Je sais bien la difficulté qu'ils peuvent représenter. Reproduire le modèle des grandes associations nationales dans les zones rurales n'aurait de sens que pour les associations nationales se développant en réseau dans la ruralité et non pour des associations locales. Nous sommes en train de préparer des modèles extrêmement simples où l'intention prime sur le développement d'un projet avec son formalisme habituel. Pour autant, il faut lancer des appels à projets de temps en temps pour garantir une égalité d'accès à l'information, à condition effectivement de simplifier les procédures parfois trop compliquées. Prenons l'exemple de l'appel à projets que nous allons mettre en place sur le programme d'investissement en montagne et son programme d'ingénierie. J'ai bien précisé dans les circulaires à destination des préfets de département qu'il était nécessaire d'avoir une vision simplifiée des candidatures présentées. Nous intégrons petit à petit les volontaires territoriaux de l'administration et de l'ingénierie locale dans les collectivités et dans certaines associations. Soyez assurée que nous ne reproduirons pas les usines à gaz qui ont été mises en place jusqu'à présent, en dupliquant des appels à projets urbains.
Concernant les Maisons France Service , le système doit tout d'abord se stabiliser. Il y a neuf opérateurs de base. Ce métier doit être appris. Certains services étaient très anciennement implantés sur le territoire, et ont bâti des relations remarquables avec des CIDFF. Ils portent ce savoir-faire de manière efficace auprès de nos citoyens. Ayant monté moi-même une maison de service public devenue un espace France Service lorsque je suis devenu maire, je peux vous garantir que le CIDFF était présent lors de permanences, mais également par la formation donnée aux agents sur place. Dès que le réseau sera stabilisé, nous aurons à réfléchir à une formation socle incluant bien entendu une capacité d'écoute vis-à-vis de publics féminins et une capacité de réponse sur les droits des femmes. Nous travaillons sur plusieurs départements avec un numéro unique de référence France Service permettant de connaître le service le plus proche de son domicile.
S'agissant des intervenants sociaux en gendarmerie (ISG), nous verrons précisément comment doit se construire le montage, en lien avec les collectivités locales. Il s'agit d'y être très attentifs, de façon à éviter que des annonces échouent si les personnes concernées ne sont pas en lien direct avec le territoire. Nous y veillerons particulièrement.
Élisabeth Moreno, ministre déléguée . - Sachez que nous avons lancé un appel à projets pour la création ou la reprise d'entreprises par des femmes, à hauteur de 500 000 euros. Les dossiers ont été particulièrement simplifiés pour encourager le plus grand nombre à y répondre.
N'hésitez pas à nous faire remonter des initiatives de terrain innovantes pour que nous puissions les démultiplier au niveau national, et pour en discuter lors du prochain comité aux ruralités.
Annick Billon, présidente . - Merci à vous. Je passe immédiatement la parole au rapporteur Jean-Michel Arnaud, sénateur des Hautes-Alpes.
Jean-Michel Arnaud, rapporteur . - Je vous adresserai trois observations rapides, qui sont également des questions.
Nous avons évoqué en début d'audition le pourcentage de femmes maires. Le critère des mille habitants pour l'application de la parité aux élections municipales représente bien évidemment l'un des obstacles à l'émergence d'une nouvelle forme d'engagement féminin au service du territoire en ruralité profonde. Au-delà de mille habitants, le scrutin de liste doit être paritaire. Ce n'est pas le cas sous ce seuil. Je sais que ce débat ne génère pas une unanimité du côté des élus ruraux, notamment des hommes. Ceci étant dit, cette question doit, me semble-t-il, demeurer à l'agenda des prochaines décisions, si ce n'est à la fin de ce quinquennat, au début du prochain. Ce sujet doit être débattu pour favoriser l'accès des femmes aux responsabilités dans les zones rurales.
Nous avons eu l'occasion d'auditionner un certain nombre d'associations et d'acteurs majeurs liés à la formation des femmes dans les zones rurales. Le manque de formation constitue un des principaux obstacles à la participation des femmes à la vie locale au sens large du terme. Si, durant des années, les formations professionnelles n'ont pas été aussi valorisées que nécessaire pour les parcours des jeunes, et notamment des filles en zone rurale, la situation de l'enseignement supérieur en zone rurale, et notamment l'absence ou l'insuffisance d'offres de BTS, représente un obstacle important. Le lever permettrait de faciliter les parcours et la mobilité des jeunes filles en zone rurale. J'aimerais connaître vos projets en matière de formation supérieure courte dans le cadre de l'agenda rural, en lien avec le ministère de l'enseignement supérieur.
Enfin, les violences faites aux femmes ont été évoquées rapidement tout à l'heure. Je vous rappelle que 12 % seulement des victimes portent plainte en zone rurale, contre 30 % en ville. Les obstacles sont structurels et pas uniquement sociologiques. Nous les avons évoqués : absence de réseaux associatifs à proximité, absence d'écoute en zone de gendarmerie, difficultés pour déposer plainte... À plusieurs reprises me sont également remontées des difficultés lorsque la plainte est déposée.
Peu de femmes victimes de violences arrivent à déposer plainte. Les conditions du constat des conséquences physiques sur les femmes violentées sont difficiles. Nous manquons par exemple de médecins légistes susceptibles de pouvoir établir la caractérisation des faits permettant d'obtenir une suite pénale à la hauteur des faits de violences. Comment envisagez-vous de renforcer ce réseau de professionnels ?
Nous n'avons pas eu d'agenda rural pendant des années. Je me réjouis donc de la nomination d'un secrétaire d'État à la ruralité ayant occasionné une inflexion positive dans le domaine. Nous vérifierons que des actions fortes à destination des filles et femmes de nos zones rurales sont bien mises en place.
Élisabeth Moreno, ministre déléguée . - En effet, malgré la loi, seuls 19 % des maires sont des femmes. Si de nombreux progrès ont pu être observés en matière de parité dans les conseils régionaux, départementaux et municipaux, un travail culturel doit être mené. Il prend du temps. La formation et l'éducation dès le plus jeune âge sont très importantes. Le travail des associations est également nécessaire pour inciter les femmes à se porter candidates. Bon nombre d'entre elles ne s'en sentent toujours pas capables. C'est pour cette raison que je crois beaucoup aux role models . Nous voyons de plus en plus de femmes en politique. C'est vrai que ce domaine n'est pas facile pour les femmes, et qu'il n'est pas simple de concilier vie professionnelle et vie familiale, mais bon nombre d'entre elles réussissent. Je compte sur vous, Mesdames, pour parler de ce que vous faites et pour montrer aux autres qu'il est tout à fait possible d'y arriver. Je travaille moi-même sur ces role models . Le 8 mars dernier, nous avons mis en lumière des héroïnes du quotidien.
En ce qui concerne la formation, vous avez parfaitement raison, Monsieur le sénateur. De nombreuses actions ont été mises en place. Vous connaissez bien sûr le plan Un jeune, une solution qui a abouti à plus de 300 000 offres de formation. Nous travaillons énormément sur ces questions avec les ministres Élisabeth Borne et Frédérique Vidal.
Enfin, la question des violences est très importante. Nous ne pouvons pas évoquer l'égalité entre les femmes et les hommes si les femmes risquent encore leur vie en restant dans leurs foyers. Un féminicide absolument terrible a encore eu lieu hier. Nous avons amélioré l'accueil et la vélocité du traitement des violences. Un document d'évaluation du danger aide également les forces de l'ordre à identifier et à anticiper les dangers là où ils se trouvent. Aujourd'hui, 75 000 gardiens de la paix sont formés à 100 % à ces questions dès leur formation initiale. Il est également essentiel de permettre aux femmes de porter plainte dans les hôpitaux. Olivier Véran a débloqué 5 millions d'euros pour que les gendarmes, la police ou le procureur se déplacent auprès des femmes ne pouvant se rendre au poste pour porter plainte, pour qu'elles soient prises en charge physiquement, psychologiquement et socialement. Cinquante-trois départements offrent désormais cette possibilité. Nous devons continuer dans cette voie.
La parole se libère de plus en plus. Pour autant, vous l'avez dit, 13 % de plaintes, c'est peu. Un travail de fond doit être poursuivi. Nous nous rendons toutefois compte que les femmes connaissent de plus en plus les dispositifs. Plus nous les ferons connaître, plus il y aura d'associations pour les accompagner, et plus les femmes oseront porter plainte. Beaucoup, malheureusement, y risquent leur vie.
Joël Giraud, secrétaire d'État . - Comme vous le savez, nous n'avons pas un consensus absolu des associations d'élus sur le sujet de la parité dans les communes de moins de mille habitants, bien que j'y sois favorable à titre personnel. Là aussi, nous devrions faire progresser les mentalités.
Je compléterai rapidement les propos d'Élisabeth Moreno quant à la formation. Lors de nos discussions avec le ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, nous allons nous intéresser aux questions que vous soulevez, en particulier en matière d'offre de BTS. Nous devons disposer d'offres adaptées, qu'il s'agisse de campus numériques ou d'antennes universitaires sur les territoires, sans s'interdire d'attirer des jeunes ruraux venus de l'extérieur également.
J'ai bien noté vos propos sur les relations avec la Gendarmerie et sur la validation des « kits du viol ». Je connais mal ce sujet, mais je m'y intéresserai de très près dans nos discussions avec la Direction générale de la Gendarmerie Nationale. À la demande du Premier ministre, l'agenda rural comportera un volet sur la sécurité. Il ne peut se désintéresser des violences faites aux femmes.
Annick Billon, présidente . - Merci de cette réponse à deux voix.
Dominique Vérien . - Merci. Je vais rebondir sur les propos de Mme Moreno. Vous avez évoqué notre visite chez Mélanie Varache, agricultrice. Je vous en remercie. J'en profite pour renouveler l'invitation de l'Association des maires ruraux de France, qui fêtera ses cinquante ans au mois de septembre dans l'Yonne et dont le thème portera cette année sur les femmes. Je reviens également sur les propos de Jean-Michel Arnaud concernant le maillage territorial et les études. Entre un rural et un urbain, nous observons souvent un déficit d'ambition créé par les conditions entourant les jeunes. Je voudrais ici parler des études longues, qui exigent nécessairement de quitter son territoire et même son département. Nous devons réfléchir à la possibilité d'offrir des cursus proches pour les premières années, et pas uniquement sur les campus connectés, qui ne donnent a priori pas la même chance à ceux qui sont en visioconférence qu'à ceux qui bénéficient de contacts réels avec des professeurs. En médecine par exemple, nous savons que c'est la première année qui est la plus difficile. Après une première année réussie, il peut être moins ardu de quitter le territoire. Dans notre département, nous formons des infirmières. Un certain nombre d'entre elles auraient certainement pu être médecins, mais ne l'ont même pas envisagé, car il était trop compliqué de suivre ces études.
Je rebondirai également sur le sujet de la santé. Les référents en CHU sont une très bonne chose. Pour autant, le premier CHU se trouve parfois à deux cents kilomètres. Ma commune de 930 habitants dans l'Yonne compte une maison de santé et une maison des internes, lieu d'accueil pour les stagiaires, internes et médecins remplaçants. Nous n'avons pas réussi à faire labelliser notre maison des internes, puisque nous nous trouvons en secteur rural, trop loin d'un hôpital. Dans la même logique, les hospitalisations à domicile ne sont pas possibles si le domicile est trop éloigné d'un hôpital. Il faut mener une réflexion sur ce sujet.
De la même manière, le CIDFF se trouve à Auxerre, à cinquante kilomètres de ma commune. Il n'assure pas du tout de permanences chez nous. La Croix Rouge est la seule association implantée en milieu rural dans ma zone. Il me semble nécessaire de veiller aux partenariats entre les différentes associations pour que celles qui sont implantées dans la ruralité puissent se faire le relais de celles qui sont plutôt présentes en ville.
Enfin, vous parliez d'idées possibles. Chez nous, nous avons mis en place un réseau de familles pouvant accueillir dans l'urgence des femmes qu'il faudrait sortir de chez elles. Évidemment, nous cherchons plutôt à faire partir le conjoint violent qu'à reloger la femme victime de violences, mais ce n'est pas toujours simple. En milieu rural, il est parfois plus facile de monter un réseau de familles accueillantes que de trouver des foyers et logements. Cette solution devrait être montée au niveau départemental.
Laurence Cohen . - Madame la ministre, j'apprécie beaucoup le fait que vous nous ayez dit qu'effectivement, les 1 084 places d'hébergement prévues n'étaient pas au rendez-vous pour les raisons exposées. Il est extrêmement important d'évaluer les choses. Lorsque des propositions sont faites, nous, parlementaires, devons disposer du bilan d'application pour connaître le chemin qu'il nous reste à parcourir.
Vous dénoncez à juste titre le faible pourcentage de femmes maires et pointez le besoin de travailler sur les mentalités et la valeur de l'exemple. Je partage votre avis. Dans le même temps, si je pense que la loi ne peut pas tout faire, elle constitue tout de même un réel soutien. Sans lois sur la parité, nous n'en serions pas là en termes de progression des femmes dans le monde politique. C'est parce que nous nous appuyons sur celles-ci, notamment au niveau des conseils régionaux et départementaux, que les femmes ont réussi à trouver leur place. Dès que la loi n'est pas au rendez-vous, ça ne fonctionne pas. Dès qu'il est question de communautés d'agglomérations ou de diverses structures, nous ne voyons plus de femmes. Nous devons être très attentifs pour que la loi puisse opérer à tous les niveaux. Nous avons aussi du chemin à parcourir s'agissant des responsabilités principales au sein des collectivités, qu'il s'agisse des maires ou des présidentes des conseils départementaux ou régionaux qui sont encore trop peu nombreuses. Vous nous avez communiqué beaucoup d'éléments concernant les femmes victimes de violences dans le monde rural et leurs difficultés. Je ne suis pas moi-même en ruralité, mais les associations que je rencontre demandent la possibilité de mettre à disposition un ou une psychologue dans chaque commissariat, voire dans chaque gendarmerie. C'est vrai sur l'ensemble du territoire. J'aimerais que vous nous donniez quelques éléments sur le sujet. J'ai cru comprendre que c'était prévu. Comment ce dispositif sera-t-il mis en oeuvre ? Quelles en sont les échéances ? Où ? Il me semble qu'il devrait toucher l'ensemble du territoire. Lorsqu'une femme est victime de violences, elle a besoin d'une écoute particulière. Le psychologue constitue une bonne ressource, y compris pour les personnels de la gendarmerie ou de la police qui ont besoin de pouvoir échanger.
Annick Billon, présidente . - Merci chères collègues. Je vous laisse répondre.
Élisabeth Moreno, ministre déléguée . - Je vous remercie. Madame Vérien, je serai absolument ravie de répondre positivement à votre invitation pour célébrer les 50 ans de l'Association des maires ruraux de France dans l'Yonne.
Je crois beaucoup en la solidarité sur les questions de formation et d'accompagnement. Vous savez que le Président de la République souhaite passer de 25 000 à 100 000 personnes mentorées. Un budget de 30 millions d'euros a été investi sur cette question. Je crois que le mentorat est important. J'en ai moi-même bénéficié étant jeune, de la part de personnes connaissant mieux les dispositifs existants et les circuits des écoles. Les cordées de la réussite fonctionnent également lorsque les jeunes en ont connaissance. Les internats d'excellence ont aussi pour rôle d'accueillir les jeunes ayant grandi dans des environnements ne favorisant pas leurs ambitions malgré leurs capacités. Rien n'est pire qu'une jeunesse sans ambition. Nous devons travailler là-dessus, Jean-Michel Blanquer s'y attèle. Nous avons bien identifié ce manque d'ambition des jeunes dans les zones rurales, qui est lié non à une absence de potentiel ou de capacités, mais au fait qu'ils ne voient pas ce qu'ils peuvent faire. Nous avons la responsabilité de les accompagner.
J'aimerais également revenir sur votre remarque concernant les places d'hébergement. Avec la ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité Emmanuelle Wargon, nous avons décidé de lancer un comité de suivi le 24 mai prochain avec les différentes associations pour connaître exactement l'emplacement de ces places, savoir lesquelles sont occupées et lesquelles sont libres, quelles sont les difficultés rencontrées sur le terrain, quels processus doivent être améliorés. Nous avons bien conscience que ce dispositif doit encore être perfectionné.
S'agissant des femmes élues, je vous confirme que la loi, bien qu'elle ne fasse pas tout, est nécessaire. De nombreuses lois nous prouvent que sans elles, nous n'en serions pas là aujourd'hui. La loi Copé-Zimmermann nous a permis de passer de 9 à 45 % de femmes dans les conseils d'administration des grandes entreprises françaises, en dix ans seulement. En politique aussi, elle peut nous aider. Je suis favorable aux quotas, parce que nous savons que nous ne pouvons pas avancer sans eux. Si nous voulons rattraper le retard accumulé en matière de parité, nous devons en passer par là.
Vous évoquiez les psychologues dans les gendarmeries. Je n'ai pas de réponse à vous apporter, mais je note votre question pour revenir vers vous.
Enfin, le Ségur de la santé a été particulièrement bénéfique aux femmes, qui représentent plus de 80 % des métiers du soin. La revalorisation de plus de 180 euros des salaires a été très bien accueillie. Nous devons là aussi rester humbles, il nous reste beaucoup à faire. Olivier Véran répondra bien mieux que moi sur ce point.
Joël Giraud, secrétaire d'État . - Je tiens à rassurer Mme la sénatrice de l'Yonne : il serait tout de même problématique que le secrétaire d'État à la ruralité ne soit pas présent au congrès de l'Association des maires ruraux ; j'y serai donc.
Sur la santé, je crois à une bonne harmonie et cohérence entre les collectivités territoriales et l'État dans la mise en oeuvre des politiques publiques. J'ai été maire pendant vingt-sept ans. Bien qu'étant à cinq heures de train de la faculté de médecine la plus accessible, nous n'avons jamais manqué de médecins référents ou d'internes qui finissaient leur scolarité chez nous grâce à la mise en place d'une maison de santé pluridisciplinaire et à la mise à disposition de logements. Les conditions d'accueil doivent être acceptables pour tous.
Sur les sujets d'agenda rural, j'ai demandé à chaque ministère de tirer un bilan des politiques ministérielles. Le comité interministériel aux ruralités sera l'occasion de dresser ce bilan des mesures. La question de l'égalité hommes-femmes y sera largement traitée.
Vous évoquiez plus tôt les intervenants sociaux en gendarmerie (ISG). Les gendarmeries elles-mêmes nous font part de leur souhait de disposer de plus d'accompagnement. À nous de voir comment le faire. Je compte ici sur les collectivités territoriales et les associations. Financer des postes qui travailleraient avec la gendarmerie me semble une solution intéressante. Nous devons nouer des partenariats intelligents.
Annick Billon, présidente . - Merci à vous deux pour toutes ces réponses.
Victoire Jasmin . - Comme vous le savez, les territoires ultramarins ne sont pas épargnés par tous ces problèmes et il est important qu'ensemble, nous mettions tout en oeuvre pour les résoudre. Vous l'avez dit, certaines associations jouent un rôle très important, mais rencontrent parfois des obstacles. Ainsi en Guadeloupe, un projet d'hébergement pour les hommes auteurs de violences est en cours mais rencontre quelques difficultés de mise en oeuvre.
Élisabeth Moreno, ministre déléguée . - Sachez que 10 % des places d'hébergement que nous avons prévu d'ouvrir cette année seront dédiées spécifiquement aux territoires ultramarins. Nous savons combien ces problématiques y sont importantes. Nous y serons vigilants.
Victoire Jasmin . - C'est une très bonne nouvelle, qui sera appréciée.
Annick Billon, présidente . - Merci d'avoir répondu aux questions des rapporteurs et sénateurs présents aujourd'hui. Je conclurai cette réunion en insistant sur la nécessité d'avoir davantage de moyens et de les allouer de manière simple. Nous avons compris que vous étiez engagés dans cette démarche de façon volontaire et forte. En général, ce sont les entreprises qui réclament de la simplicité. Ici, les associations et les acteurs de terrain la réclament également. Nous vous remercions de faciliter les appels à projets, les associations disposant de peu de moyens, qu'elles souhaitent consacrer à leurs actions de terrain.
Avant de terminer, je précise que nous célébrons aujourd'hui la journée des sages-femmes. L'accès aux soins reste un véritable problème pour les femmes en France. Certains territoires et départements n'ont pas de gynécologues. Je souhaite que nous écoutions ce que nous disent les sages-femmes : nous avons besoin d'elles, elles doivent être entendues. Nous devons accéder à leurs demandes et les revaloriser. Elles jouent un rôle essentiel dans l'accès à la prévention pour les femmes.
Il me reste à vous remercier une nouvelle fois Madame la ministre, Monsieur le ministre, pour votre disponibilité et votre contribution aux travaux de la délégation. Nous échangerons avec vous dans les prochaines semaines sur le travail de nos rapporteurs, avec grand plaisir.
Chers collègues, nous nous revoyons jeudi 20 mai, à 9 heures, salle Médicis, pour accueillir les six skippeuses du Vendée Globe . Nous devrions ainsi passer un moment agréable avec des femmes ayant fait le tour du monde dans des conditions souvent difficiles. Nous serons ravis de les entendre.
Table ronde sur le
thème : « Être agricultrice en
2021 »
(3 juin 2021)
Présidence de Mme Annick Billon, présidente
Annick Billon, présidente . - Mesdames et Messieurs, chers collègues, vous le savez, la délégation aux droits des femmes a décidé de procéder en 2021 à un bilan de la situation des femmes dans les territoires ruraux. Elle aborde des sujets aussi divers que l'orientation scolaire et universitaire, la participation des femmes à la vie politique locale et leur accès aux responsabilités, la santé, la lutte contre les violences, mais aussi l'engagement professionnel des femmes, notamment dans les métiers du monde agricole. C'est le thème de notre table ronde ce matin.
Notre délégation a désigné, pour mener à bien ce travail, une équipe de huit rapporteurs associant tous les groupes politiques de notre assemblée et représentant des territoires aussi divers que la Vienne, la Drôme, la Lozère, le Rhône, les Hautes-Alpes, la Haute-Garonne, le Finistère et la Dordogne.
Je précise que cette réunion fait l'objet d'un enregistrement vidéo, accessible en ce moment même sur le site Internet du Sénat puis en VOD.
Cette table ronde s'intéresse aux agricultrices et aux défis qu'elles peuvent rencontrer dans leur vie professionnelle et dans l'articulation de celle-ci avec leur vie personnelle.
C'est aussi l'occasion pour nous d'examiner les suites qui ont pu être données aux observations et recommandations que nous avions formulées dans un rapport réalisé il y quatre ans, en juillet 2017, intitulé Femmes et agriculture : pour l'égalité dans les territoires . Ce rapport représentait l'aboutissement d'un travail de plusieurs mois consacré à la situation des agricultrices. Il contenait quarante recommandations sur les thèmes suivants :
- faciliter l'installation des agricultrices ;
- sécuriser leur parcours et l'articulation des temps personnels et professionnels ;
- consolider leur statut et améliorer leur couverture sociale ainsi que leur retraite ;
- mieux prendre en compte la féminisation de la profession agricole ;
- susciter des vocations d'agricultrices chez les jeunes filles ;
- valoriser la contribution des agricultrices à la profession ;
- encourager leur accès aux responsabilités.
Nous avions pu à l'époque nous déplacer dans les territoires, ce qui était bien plus agréable que des visioconférences.
Pour échanger sur ces sujets, permettez-moi de vous présenter les intervenantes que nous sommes heureux d'accueillir ce matin :
- Françoise Liébert, haute fonctionnaire en charge de l'égalité femmes-hommes au ministère de l'agriculture et de l'alimentation ;
- Jacqueline Cottier, présidente de la Commission des agricultrices de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), une habituée de la délégation, qui avait d'ailleurs contribué à nos travaux sur Femmes et agricultures : pour l'égalité dans les territoires ;
- Manon Pisani, des Jeunes agriculteurs ;
- Natacha Guillemet, agricultrice en Vendée, représentant la Coordination rurale ;
- Christine Valentin, première vice-présidente de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA) ;
- Anne Gautier, vice-présidente de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (CCMSA) et présidente de la MSA Maine-et-Loire ;
- Béatrice Martin, Céline Berthier et Suzie Guichard, représentant la Confédération paysanne .
Je salue les personnes nous rejoignant dans la salle, cette séance se tenant à la fois en visioconférence et en présentiel.
Je précise que, sur le sujet spécifique de la formation des jeunes filles et des femmes aux métiers du monde agricole, nous entendrons mardi 29 juin, dans le cadre d'une « audition rapporteurs », Sabine Brun-Rageul, directrice de Bordeaux Sciences Agro, qui n'était pas disponible ce matin.
Premier axe de notre réflexion aujourd'hui : la vie professionnelle des agricultrices et les difficultés rencontrées par les femmes pour s'orienter vers le métier d'agricultrice et l'exercer par la suite. Les sujets sont nombreux, du début à la fin de leur carrière.
Au stade de la formation, si les jeunes femmes sont désormais aussi nombreuses que les hommes dans l'enseignement agricole, elles s'orientent cependant davantage vers les filières de services que vers les filières de production. La mission sur l'enseignement technique agricole à laquelle je participe actuellement avec Marie-Pierre Monier, est de ce point de vue tout à fait passionnante. Nous en tirerons des conclusions et des propositions majeures.
Au moment de s'installer, les femmes rencontrent des difficultés spécifiques. En effet, s'installant généralement plus tardivement, elles sont souvent exclues du bénéfice des aides à l'installation pour lesquelles l'Union européenne a fixé une limite d'âge à 40 ans. Dans notre rapport de 2017, nous avions formulé des recommandations pour faciliter l'accès des femmes aux aides à l'installation et aux terres, en communiquant mieux sur ces aides, notamment celles du Fonds de garantie à l'initiative des femmes (FGIF). Nous souhaiterions savoir si ces aides sont aujourd'hui mieux connues et mieux utilisées par les agricultrices. Nous souhaitons aussi connaître la position du ministère de l'agriculture concernant le critère d'âge.
Au cours de leur carrière et plus encore à la fin de celle-ci, les agricultrices font face à des inégalités de revenus. Elles ne sont hélas pas les seules mais ces inégalités sont beaucoup plus significatives pour les agricultrices. Dans le cadre d'un rapport de la délégation sur les enjeux de la réforme des retraites pour les femmes, aujourd'hui suspendue, nous avions organisé une table ronde, en février 2020, sur le thème des retraites anormalement faibles des agricultrices. Notre délégation est depuis longtemps favorable à une revalorisation de leur montant de base, à une bonification forfaitaire à destination des agricultrices qui ont élevé au moins trois enfants et à un alignement des conditions d'accès à la pension de réversion des agricultrices - et agriculteurs - sur celles du droit commun. Nous nous félicitons donc de la revalorisation des petites retraites agricoles opérée par la loi du 3 juillet 2020. Le nouveau dispositif ne concerne cependant pas les conjoints-collaborateurs ni les proches aidants.
Le statut des agricultrices, femmes d'agriculteurs, demeure un sujet important. Dans notre rapport de 2017, nous avions émis plusieurs propositions afin de consolider le statut des agricultrices, de responsabiliser les chefs d'exploitation et de rendre transitoire le statut de conjoint-collaborateur. Nous recommandions aussi l'organisation de campagnes d'information régulières de la MSA sur le statut des femmes en agriculture, en lien avec les chambres d'agriculture, les délégations départementales et régionales aux droits des femmes et les directions régionales de l'agriculture, de l'alimentation et de la forêt. Nous souhaitons faire un point sur les avancées intervenues en la matière depuis la publication de notre rapport.
Enfin, celui-ci appelait à développer une communication positive valorisant les parcours d'agricultrices, notamment via une généralisation à toutes les régions des « prix des femmes en agriculture ». Nous souhaitons savoir quelles actions spécifiques ont pu être menées par vos organismes respectifs afin de promouvoir la place des femmes dans le monde agricole et de valoriser la contribution des agricultrices à la profession.
Je laisse sans plus tarder la parole à nos intervenantes, à commencer par Françoise Liébert, haute fonctionnaire en charge de l'égalité femmes-hommes au ministère de l'agriculture et de l'alimentation.
Françoise Liébert, haute fonctionnaire en charge de l'égalité femmes-hommes au ministère de l'agriculture et de l'alimentation . - Merci Madame la présidente. Bonjour à toutes.
Effectivement, le métier d'agricultrice est particulier. Comme dans l'artisanat, les femmes y ont toujours été présentes, surtout en tant que conjointes. Leur rôle, s'il a été déterminant, a rarement été remarqué, sauf durant la Grande Guerre de 14-18, ainsi que l'a souligné un colloque organisé par votre délégation en octobre 2018. Leur rôle est généralement resté invisible sur le plan économique, juridique et social. Depuis une vingtaine d'années, et en particulier depuis 2013, le ministère met en place des feuilles de route successives pour faire progresser l'égalité entre les femmes et les hommes. Dans ce cadre, plusieurs objectifs sont poursuivis pour plus d'égalité en agriculture. Ces objectifs correspondent à de nombreuses recommandations figurant dans votre rapport de 2017. Pour y parvenir, le ministère utilise différents outils. Soit nous modifions directement la réglementation, soit nous intervenons pour la faire évoluer. C'est le cas des statuts, des droits sociaux, de la gouvernance des instances représentatives. Nous agissons également beaucoup par l'intermédiaire de l'enseignement agricole, en développant des actions pédagogiques auprès des élèves, notamment grâce à un réseau « insertion égalité » et à l'enseignement socioculturel. Cette particularité de l'enseignement agricole vise à plus de respect mutuel, d'égalité, de mixité des métiers. Dans ce cadre et depuis les années 2000, nous signons régulièrement la convention interministérielle pour l'égalité filles-garçons dans l'éducation. De nombreux indicateurs poursuivent ces mêmes buts. Nous organisons également des journées d'information ciblées en partenariat avec la MSA, les organisations professionnelles agricoles ou des associations telles que 100 000 entrepreneurs , intervenant dans les forums d'orientation professionnelle et faisant la promotion de l'entrepreneuriat, notamment auprès des jeunes filles. Le ministère intervient également par sa communication sur Internet et intranet. Il met à disposition des informations en lien avec la MSA. Il incite à certaines actions, et met en lumière des initiatives.
Le statut des conjointes participant aux travaux a longtemps persisté en raison du modèle conjugal des exploitations promu par les organisations professionnelles et par l'État. Le ministère l'a fait évoluer en créant celui de co-exploitante et de cheffe d'exploitation en 1981. Le statut de conjoint-collaborateur, créé en 1999, a permis de renforcer la protection sociale du conjoint, de même que la fin, en 2009,du statut de conjoint participant aux travaux. Pour autant, et nous pourrons en rediscuter lorsque nous évoquerons les retraites, ces statuts secondaires porteurs d'avancées sociales importantes n'octroient que des droits restreints. Pour cette raison, le ministère souhaite limiter le bénéfice du statut de conjoint-collaborateur dans le temps. S'il peut être utile pendant la phase d'installation, une durée maximale fixée à cinq ans nous semblerait adéquate. Elle est en cours d'expertise.
Le cadre juridique des entreprises agricoles s'est adapté. Les conjointes peuvent être actionnaires à parts égales de leur mari au sein d'une Exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) depuis 1985, et au sein d'un Groupement agricole d'exploitation en commun (GAEC) depuis 2010. Ce dernier point doit être souligné, compte tenu de la reconnaissance de la transparence des GAEC en 2015. Il constitue un réel avantage pour les couples exploitant en commun.
Concernant la formation, les filles représentent actuellement environ 45 % des élèves, étudiants et apprentis de l'enseignement agricole. Nous avons récemment assisté à une légère diminution de cette proportion, qui varie fortement selon les voies de formation. L'apprentissage ne compte que 24 % de filles. C'est la voie privilégiée dans la filière production. Les filles sont plus présentes dans les formations à diplômes élevés. Elles sont plus souvent orientées vers les filières de services ou de transformation, en raison de nombreux stéréotypes dès le stade de l'orientation et de l'information initiale, stéréotypes souvent culturels ou familiaux. Les arguments de la faiblesse physique et de la pénibilité du travail reviennent souvent pour les dissuader de s'engager dans certains secteurs.
La situation évolue, bien que lentement, ce qui doit être souligné. Je peux espérer que cela résulte de la pédagogie mise en oeuvre auprès des élèves. Actuellement, dans le secteur de la production, plus de 38 % des apprenants sont des filles, contre 33 % il y a dix ans. 78 % des filles sont concentrées dans le secteur des services, contre 85 % en 2011. Des difficultés persistent en termes d'insertion professionnelle. Le taux net d'emploi des filles, trente-trois mois après l'obtention de leur diplôme, est inférieur de 5 à 7 % à celui des garçons, à diplôme égal. 16 à 33 % des filles occupent un temps partiel, contre seulement 2 à 12 % des garçons ayant obtenu le même diplôme.
La nécessité de renouvellement des exploitants s'annonce massive dans les prochaines années. La question de l'installation des femmes en agriculture est donc cruciale. Néanmoins, le nombre de femmes à la tête d'une exploitation agricole stagne, depuis dix ans, autour de 24 à 25 %. Est-ce uniquement lié à la dotation jeunes agriculteurs (DJA) ? Nous constatons que 20 % seulement des dotations jeunes agriculteurs sont attribuées à des femmes. 44 % des femmes, contre 80 % des hommes, s'installent avant l'âge de 40 ans. Le ministère est favorable à un report de l'âge limite de la DJA au-delà de 40 ans 2 ( * ) . D'autres pays de l'Union européenne y sont également ouverts. Des discussions sont en cours mais je ne dispose d'aucune information quant à leur aboutissement.
Si vous le souhaitez, je pourrai répondre plus spécifiquement à des questions concernant les retraites ou la gouvernance des organisations agricoles, dans lesquelles la place des femmes doit être plus importante. Leur participation aux décisions des différentes instances agricoles permettra de faire évoluer les organisations et les matériels pour pallier les éventuels problèmes de pénibilité et d'adaptation des équipements, afin de prendre en compte les besoins et les attentes des agricultrices.
Tant pour le ministère de l'agriculture que selon moi, imposer le même taux de femmes dans les instances de gouvernance de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA) permettrait de les y rendre plus visibles.
Annick Billon, présidente . - Je vous remercie. Je donne immédiatement la parole à Jacqueline Cottier, habituée de la délégation, représentant la FNSEA.
Jacqueline Cottier, présidente de la Commission des agricultrices de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) . - Mme Liébert a très bien présenté l'évolution du statut des agricultrices. Nos pionnières ont milité et se sont battues de longues années pour le faire évoluer. Malheureusement, des agricultrices travaillent encore sur des exploitations sans avoir de statut. Nous assurons un travail d'information en partenariat avec la MSA pour les alerter sur leur protection réduite en cas d'accident du travail ou de veuvage, par exemple.
La loi PACTE (Plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises) oblige le conjoint, la plupart du temps, à déclarer sa femme comme salariée si sa présence a été constatée de façon régulière et sans statut, afin qu'elle puisse bénéficier d'une couverture sociale. Cette avancée est notable. Nous pourrons faire le point sur ce volet.
Concernant l'évolution du métier, je pense que les agricultrices elles-mêmes doivent communiquer sur ce sujet pour montrer qu'il peut aujourd'hui s'exercer dans des conditions de moindre pénibilité. La commission des agricultrices a conduit un travail auprès des constructeurs agricoles pour les alerter sur des systèmes d'attelage à l'utilisation plus simple. Nos demandes ont été entendues, ce qui rend également service aux agriculteurs. Les agricultrices doivent s'impliquer dans tous les organismes pour apporter leur contribution afin d'améliorer leur situation.
Notre avenir en agriculture passe par un revenu décent permettant de maintenir de l'activité sur l'exploitation. Les agricultrices appartiennent à une population fragilisée, souvent amenée à quitter l'exploitation en cas de crise grave. Ces situations peuvent être très difficiles à vivre au niveau de la famille. La question du revenu est donc primordiale. Un projet agricole est en outre un projet de vie. Nous nous y engageons pour des années. Il est important de montrer que ce métier est accessible, avec des garanties de revenus. Nous faisons face à des aléas économiques, climatiques, comme un chef d'entreprise. Notre activité demande une grande polyvalence. Nous y faisons de la gestion, de la commercialisation. Nous apportons de la diversité sur l'exploitation. Nous parlons de notre métier et contribuons à la création d'un nouveau lien avec le consommateur.
J'aimerais revenir sur le statut de conjoint-collaborateur, qui a évidemment permis d'avancer. Toutefois les retraites demeurent faibles. Nous insistons donc sur leur nécessaire revalorisation. Après l'avoir obtenue pour les carrières complètes, nous la demandons également pour les femmes ayant le statut de conjoint-collaborateur puisque son montant s'élève pour l'instant à 75 %.
Le métier d'agricultrice est un métier d'avenir et le renouvellement des générations d'exploitants sera un enjeu des prochaines années. Nous communiquons sur le sujet, dès que nous le pouvons, en intervenant dans les écoles, dès le primaire. Notre réseau organise une opération « fermes ouvertes » ; la crise Covid ne nous permettant pas de nous rendre directement dans les établissements scolaires, c'est la ferme qui vient à l'école dans le Maine-et-Loire. Nous allons rencontrer un millier d'élèves dans le département pour leur faire découvrir notre métier.
Je suis ravie de retrouver la délégation aux droits des femmes du Sénat car il me semble très important de revaloriser l'image des agricultrices, très impliquées dans la ruralité. Elles créent du lien dans leurs communes par le biais, entre autres, des écoles. Nous sommes toujours vigilantes quant à la question des statuts et du revenu, pour nous assurer un métier stable qui permet d'en vivre.
Annick Billon, présidente . - Je vous remercie. Je donne immédiatement la parole à Natacha Guillemet, qui représente la Coordination rurale . Elle est agricultrice en Vendée, à Vouvant.
Natacha Guillemet, agricultrice, représentant la Coordination rurale . - Madame la présidente, merci. Bonjour à vous toutes et à vous tous.
J'ai bien écouté vos interventions mais je vais me concentrer sur les « sans statut », que nous estimons au nombre de 5 000 ou 6 000. Ces chiffres sont très élevés ! Ils devraient fortement diminuer avec la loi PACTE, qui impose d'opter pour un statut. Encore faudrait-il qu'elle soit effectivement appliquée. Certains exploitants travaillent encore en couple, mais il est parfois compliqué de dégager assez de revenus pour assurer deux contributions à la MSA. C'est alors très souvent la femme qui en fait les frais, car sans statut, elle n'est que « femme à la ferme ». Ne nous voilons pas la face, en France, certaines exploitations ne dégagent pas suffisamment de revenus pour payer deux contributions à la MSA. Tant que cela perdurera, ces femmes sans statut n'auront pas de protection propre. Certes, la loi EGalim (loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous) doit permettre aux agriculteurs et agricultrices d'atteindre de meilleurs revenus. Nous voyons bien ses limites, d'où les discussions portant sur une loi EGalim 2. J'espère que nous arriverons à un résultat positif pour aider ces 5 000 femmes encore sans statut.
En ce qui concerne le statut de conjointe-collaboratrice, je rejoins la FNSEA. Nous aimerions qu'il soit limité à cinq ans, pour leur donner, à terme, un vrai statut. Nous souhaitons qu'elles puissent se diriger vers le statut de salariée ou de cheffe d'exploitation, sans partir travailler hors de l'exploitation. Nous devons « prendre le taureau par les cornes ». Ces femmes, après cinq ans, doivent pouvoir exister, vivre pour elles-mêmes et ne pas dépendre que de leur seul mari. Pour ces raisons, ce statut doit être limité dans le temps.
En introduction, vous avez mentionné des « prix de femmes » pour nous valoriser. Ayant travaillé dans l'éducation avant d'être agricultrice, cela me semble très important pour valoriser la condition des agricultrices, et faire évoluer les mentalités souvent empruntes d'un sexisme involontaire. À l'heure où nous nous interrogeons sur la situation des agricultrices et sur leurs besoins, je me pose une question. Les femmes ont tenu un rôle très important pendant les guerres. Vous l'avez évoqué. Si elles n'avaient alors pas le statut d'agricultrices à proprement dit - ce terme n'existe que depuis 1961 - elles ont tout de même nourri la France à l'appel de René Viviani, président du Conseil des ministres, le 2 août 1914. Elles n'avaient pas de fusils, mais leur courage, leur abnégation et les outils des champs leur ont servi d'armes. Ils leur ont permis de nourrir les soldats, les enfants, les vieillards, la France, afin qu'elle reste debout. Ces femmes ont fait partie des héroïnes cachées des grandes guerres. Y pensons-nous ? Leur rendons-nous hommage ? Non. Aussi, je propose un effort de mémoire qui pourrait se traduire lors des fêtes nationales des grandes guerres ou d'une journée qui leur serait dédiée. Cet effort de mémoire ferait également avancer le débat sur les agricultrices d'aujourd'hui, sur leur reconnaissance, sur leur statut. Ce serait également le moyen de bouleverser certaines mentalités quant aux préjugés sur leurs capacités. Beaucoup doutent en effet encore de nos aptitudes au métier d'exploitante agricole.
Cet effort de mémoire pourrait également être développé dans les écoles. Il participerait à l'éducation des jeunes enfants. Si cette journée était présentée dans les écoles primaires, les collèges et les lycées, ses effets seraient doublés. Peut-être est-il temps de répondre à la promesse de René Viviani, qui assurait « il y aura demain de la gloire pour tout le monde . »
Si je vous livre cette réflexion, c'est aussi pour changer les regards de certains hommes et de certaines femmes. Je vais m'avancer sur le foncier, qui fait partie des réalités agricoles. Pour participer à cette table ronde, j'ai téléphoné à un certain nombre d'agricultrices. J'ai réalisé que certains agriculteurs, ex-agriculteurs ou propriétaires ne souhaitaient pas donner la terre à des femmes. Dans leur esprit, ce n'est pas possible. À un moment donné, nous devons révolutionner les mentalités. Tout est cohérent. Si nous ne revoyons pas l'éducation, si nous ne posons pas un regard neuf sur l'histoire des femmes, nous n'aboutirons pas. Combien ont regardé ces images de femmes tirant des charrettes à la place des boeufs ou des chevaux, avec une femme dirigeant à l'arrière ? J'ai cette peinture en tête. Elle est très marquante quant à l'abnégation de ces femmes, à leur force physique et mentale. Elle nous prouve que les agricultrices sont légitimes à acquérir du foncier agricole. Pourtant, certains banquiers nous disent que cela n'est pas possible. Je noircis le tableau à dessein, bien que bon nombre d'agricultrices soient installées, aient obtenu des crédits et disposent de terres. Elles ne sont toutefois pas majoritaires. Elles subissent ces freins qui perdurent dans l'esprit masculin, de manière souvent involontaire. Ces préjugés sont profondément ancrés dans certains esprits. Pour accéder aux prêts, au foncier, je pense que nous devons révolutionner les idées. Si nous le faisons dès l'école primaire, nous pourrons faire évoluer les mentalités sur le rôle joué par ces femmes.
Avant cette table ronde, j'ai communiqué par téléphone avec une agricultrice, Élise, qui s'est installée après un parcours scolaire sans fautes. J'ai relevé chez toutes les filles que j'ai contactées le merveilleux accueil des éducateurs dans les écoles d'agriculture. Lors de leurs stages, en revanche, elles n'avaient souvent pas le droit de conduire un tracteur. Elles ne pouvaient que regarder. La recherche de stage a souvent été compliquée par le seul fait d'être femme. Élise a elle-même essuyé des remarques très déplaisantes. Lorsqu'elle s'est installée, ce n'est pas au niveau de la Commission départementale d'orientation agricole (CDOA) qu'elle a rencontré des blocages, mais plutôt parmi le voisinage de son exploitation pour lequel une femme conduisant un tracteur semblait anormal. Elle est pourtant installée en tant que céréalière bio. Des femmes réussissent, bien sûr, mais elles doivent jouer des coudes pour prouver leurs compétences. Je ne suis pas née avec un tracteur dans les mains, pourtant j'en conduis un. Le matériel a connu des progrès fantastiques. De nombreux outils existent et rendent la tâche des agricultrices bien plus facile. La MSA verse d'ailleurs une aide spécifique pour simplifier notre travail et éliminer certains problèmes d'ordre physique.
Annick Billon, présidente . - Je vous remercie de ce témoignage tonique, volontaire et engagé. Pour information, un monument a été érigé à Verdun en 2016 en l'honneur des agricultrices. Il leur est dédié pour le rôle qu'elles ont joué lors des guerres. Nous devrions réfléchir à ce qui pourrait être organisé autour de ce monument, afin de mettre toutes ces femmes en valeur.
Laure Darcos . - Dans l'Essonne, nous avons organisé une exposition itinérante de photographies extrêmement émouvantes représentant les femmes avec les enfants dans les champs. Elle a circulé dans tout le département et a rencontré un grand succès. Je peux me renseigner sur le sujet. Cet évènement rendait un hommage appuyé à la place des femmes durant la Grande Guerre.
Annick Billon, présidente . - Merci beaucoup. Je donne maintenant la parole à Christine Valentin, représentant les chambres d'agriculture.
Christine Valentin, première vice-présidente de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA) . - Bonjour à toutes et à tous. Merci Madame la présidente. Beaucoup de choses ont déjà été dites. Je vais essayer de les compléter sans trop de répétitions.
Je pense que nous devons intervenir bien avant la formation agricole. Jacqueline Cottier l'a dit, de nombreuses actions sont menées dans les écoles primaires. La semaine dernière, nous avons pu emmener des élèves dans la ferme, et notamment des jeunes filles. Il est important de leur faire découvrir ce métier et de leur prouver qu'il est accessible aux femmes. Aujourd'hui, même si nous rencontrons encore des difficultés, il est possible de devenir agricultrice. Le montrer peut susciter des vocations chez les enfants.
Un travail doit également être mené à l'intérieur des écoles, au travers des conseillers d'orientation et des stages de découverte en quatrième et troisième. Très peu d'élèves, et encore moins de filles, nous demandent de réaliser des stages d'une semaine au sein de nos exploitations. Nous pourrions pourtant susciter ou conforter des vocations par ce biais. La lutte contre les stéréotypes selon lesquels le travail à la ferme serait un métier d'homme doit être poursuivie, même si nous avons déjà progressé ces vingt dernières années.
Un nombre croissant de filles s'inscrivent dans les formations agricoles. Lors de mes études agricoles, nous étions quatre filles pour vingt-trois hommes. Aujourd'hui, la parité est presque atteinte. Pour autant, peu de ces filles deviendront cheffes d'exploitation, du moins dans un premier temps. Nous en retrouvons beaucoup dans les organisations professionnelles agricoles (OPA), qui ont d'ailleurs beaucoup de mal à recruter, chez les femmes comme chez les hommes. Nous peinons à mobiliser des personnes intéressées par l'agriculture. Attirer des gens vers la ruralité constitue un réel sujet.
Au cours de ces formations agricoles, nous rencontrons des difficultés s'agissant de l'accueil des jeunes filles au sein des exploitations. Un travail important doit être mené sur les stages obligatoires. Les jeunes filles ont beaucoup de mal à trouver des maîtres de stage agriculteurs, car certains jugent - parfois involontairement - qu'une femme a moins de force ou de compétences pour conduire un tracteur. Ils l'imaginent plutôt dans l'élevage ou le maraîchage, mais pas nécessairement dans la culture ou la récolte de fourrage. Ils ne la voient pas apporter la même aide qu'un homme. Les maîtres de stage doivent impérativement être sensibilisés. Bien que les chambres d'agriculture travaillent sur le sujet, nous avons encore des progrès à faire, me semble-t-il.
Je pense que nous pourrions mettre en place un module en cours de scolarité, de quelques heures, permettant aux futurs agriculteurs et chefs d'entreprise de mieux connaître leurs droits en matière de service de remplacement, de prise en charge d'une partie des remplacements durant les congés, d'accès au fonds de garantie pour la formation. Nous constatons, lorsque les jeunes mettent en place leur projet d'installation, qu'ils connaissent assez mal leurs droits sociaux, qui faciliteraient pourtant leur vie professionnelle et l'installation des femmes, souvent mamans et assumant des responsabilités à la maison. Elles ne bénéficient pas d'un certain nombre de droits, faute de les connaître. Les dispositifs existants faciliteraient pourtant fortement leur métier de chef d'entreprise. C'est bien une réelle entreprise dont il s'agit, avec une exigence de réussite et un business plan à respecter. S'y ajoutent un investissement important lors de l'installation avec des emprunts à rembourser. Nous avons un devoir de réussite. Nous devons exercer les droits auxquels nous pouvons prétendre pour améliorer cette situation et pour inciter davantage de femmes à venir vers l'agriculture.
Côté statut, vous avez évoqué cette reconnaissance du conjoint dans la transparence des GAEC, ayant permis, depuis 2015, de voir une augmentation très forte des cheffes d'exploitation. Le statut de conjoint-collaborateur a effectivement permis de reconnaître les agricultrices, qui travaillaient jusqu'ici dans l'exploitation. Un statut temporaire suffit amplement, je rejoins mes collègues sur ce sujet.
La revalorisation des retraites, annoncées il y a peu par le Premier ministre, doit s'adresser aux agricultrices d'aujourd'hui mais aussi d'hier. Celles qui sont désormais à la retraite n'ont pas forcément cotisé pendant toute leur vie de travail, lorsqu'elles n'étaient pas nécessairement reconnues. Nous devrons selon moi nous battre pour qu'elles arrivent à une revalorisation complète de leur retraite.
Nous devons également porter une certaine vigilance aux années de congés maternité ou parental. Ces années ne comptent pas dans les cotisations lors du départ en retraite. Nous devons absolument faire quelque chose. Ces femmes n'ont pas contribué à l'exploitation, mais ont souvent pris quelqu'un pour les y remplacer, pour que la ferme continue à rapporter de l'argent. Souvent, l'exploitante a été remplacée par un salarié. Elle a suspendu son statut, sans pour autant arrêter d'être responsable de son métier et de son engagement. Là aussi, nous avons un pas à faire dans la reconnaissance de ces années.
Nous avons évoqué rapidement la promotion des femmes et la manière d'en attirer davantage vers ce métier. Dans notre département, nous avons créé le Prix de l'installation, que nous décernons à l'installation nous paraissant la plus atypique ou différente. Mixte à l'origine, il est depuis quelques années scindé en deux prix, un masculin et un féminin.
Voilà ce que je comptais mettre en avant ce matin concernant le métier d'agricultrice et l'accès à cette profession.
Annick Billon, présidente . - Je vous remercie. Je cède maintenant la parole à Anne Gautier, de la MSA.
Anne Gautier, vice-présidente de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (CCMSA), présidente de la Mutualité sociale agricole (MSA) Maine-et-Loire . - Merci à mes collègues et aux rapporteurs. Merci, Madame la présidente, de cette invitation à cette table ronde. C'est avec plaisir que j'interviens une nouvelle fois au sein de cette délégation.
Avant de vous répondre, permettez-moi de vous communiquer quelques chiffres sur la population féminine non salariée en activité. En 2019, celle-ci se compose de 107 100 cheffes et 19 300 collaboratrices d'exploitation, soit un total de 126 500 femmes, représentant 27,1 % des non-salariés. Près d'un chef d'exploitation sur quatre est donc une femme, chiffre stable depuis une décennie. Ces femmes sont en moyenne plus âgées que leurs homologues masculins, leur âge moyen s'élevant à 51,7 ans, stable depuis 2018, contre 48,3 ans chez les hommes. 20,7 % de ces femmes ont plus de 60 ans, contre 12 % des hommes, ce qui révèle bien le profil de nos fermes et la proportion de femmes qui ne deviennent cheffes d'exploitation qu'après le départ en retraite de leur conjoint. Enfin, les femmes sont très présentes dans l'agriculture dite traditionnelle : culture de céréales, élevage bovin, lait. Elles sont surreprésentées dans les filières d'élevage porcin et avicole, qui sont souvent sur des exploitations au départ céréalières, des ateliers secondaires, puis développées lors de l'installation de madame.
Pour renforcer la place des femmes en agriculture, les caisses de MSA proposent, dans le cadre de leurs actions, des ateliers ou soirées thématiques leur étant spécifiquement consacrés. Ces réunions, organisées la plupart du temps avec des associations locales, permettent d'échanger sur les expériences professionnelles et les problématiques que certaines rencontrent dans le cadre de leur activité. Elles sont souvent organisées à l'initiative de nos délégués cantonaux. Elles permettent de créer un lien entre la vie professionnelle et la vie privée. Elles constituent également une occasion d'informer les femmes sur les différentes mesures de prévention sanitaire, l'action sociale, les risques psychosociaux, proposées par le régime agricole. Si les femmes le souhaitent, elles peuvent être orientées vers d'autres programmes d'accompagnement à l'image d' Avenir en soi , permettant de faire face à une période difficile en termes économiques, familiaux ou de santé, de se poser et de reprendre son activité plus sereinement, en proposant des solutions pour s'adapter. L'atelier Estime de soi délivre quant à lui des conseils pour retrouver confiance en soi, cette problématique se retrouvant souvent chez les femmes. Les rendez-vous prestations sont également très utiles, puisqu'ils permettent de faire le point sur toutes les prestations sociales auxquelles elles peuvent prétendre. Nous devrions le faire régulièrement, un certain nombre de prestations n'étant pas sollicitées, notamment chez les agricultrices.
La MSA rencontre également les femmes en milieu rural, dans le cadre de manifestations publiques, même si depuis un an et demi nous en sommes bien sûr privées. Nous apercevons le bout du tunnel et espérons pouvoir organiser à nouveau dans les foires et salons un stand consacré aux femmes. Nous pouvons également citer l'exposition Portraits de femmes accompagnée d'une ou plusieurs formations autour du bien-être. Nous développons parfois des ateliers massages ou maquillage autour de cette exposition. Je ne m'attarde pas sur le sujet que ma collègue Patricia Saget-Castex a développé lors de votre table ronde du mois de janvier concernant la vraie problématique qu'est la santé des femmes en milieu rural. Bien que, je le concède, nous devions être reconnues de la même manière dans le métier d'agricultrice, nous sommes toutefois physiologiquement différentes des hommes. Ces différences peuvent nécessiter des adaptations de nos postes de travail ou de notre matériel. Les fortes charges ou les vibrations peuvent avoir sur nous des conséquences physiques d'une autre nature que sur le corps de nos collègues masculins. Il est important que les femmes soient accompagnées par nos services de prévention pour améliorer l'utilisation des outils-machines en fonction de ces besoins spécifiques.
Le sujet du congé parental n'est pas spécifique à l'agriculture, mais y présente certaines particularités. Je pense qu'il y a eu lors de sa mise en place un réel défaut d'informations quant à ses conséquences sur la retraite. Les premières femmes en ayant bénéficié arrêtent actuellement leur activité et découvrent qu'elles n'ont pas acquis de droits au titre de ces années. Nous devons les en informer, non pas pour les dissuader de prendre un congé parental, mais pour leur permettre de le prendre en toute connaissance de cause. Nous devons adapter ce statut et faire évoluer la réglementation, pas uniquement pour les agricultrices, mais pour toutes les femmes dans ce pays, en congé parental pendant un, deux ou trois ans.
Le cliché des femmes sur un tracteur me fait sourire. Je me suis installée en 1992, mon mari en 1986. J'étais donc conjointe d'exploitant, comme cela se faisait à cette époque. Dès 1986, j'allais livrer les céréales à la coopérative avec ma benne. Permettez-moi de vous dire que les premières livraisons étaient assez ubuesques ! Vous le savez, les tracteurs ont évolué au fil du temps. Ce n'était pas aisé à cette époque. Lorsque j'arrivais devant les silos pour livrer ma benne de céréales, je faisais face à deux cas de figure. Je voyais d'un côté tous les hommes observer, dubitatifs, mes manoeuvres, même si certains témoignaient de la bienveillance à mon égard. S'ils étaient interrogatifs au début, ils ont ensuite pris plaisir à échanger avec moi. La persévérance nous permettra d'être reconnues. Nous devons déployer sans doute plus d'efforts que les hommes, mais nous ne devons cependant pas nous décourager. Dans un premier temps, nous devons toujours affronter des regards interloqués, un peu moqueurs. Certains hommes, je pense, font preuve d'un sexisme involontaire. Il est volontaire chez d'autres. En tout cas, j'encourage les jeunes générations d'agricultrices à ne pas se laisser intimider. Si ma génération a réussi, il n'y aucune raison qu'elles n'y parviennent pas.
Je reviens sur une problématique évoquée par l'une des premières intervenantes concernant le travail en couple et les revenus insuffisants pour cotiser doublement à la MSA. J'estime que lorsqu'il y a du travail pour deux, il devrait y avoir du revenu pour deux. Nous ne devons pas sacrifier la femme. C'est parfaitement scandaleux. C'est pourtant ce que nous entendons souvent. Je m'exprime ici en tant que présidente de MSA. Lorsque j'entends des hommes ou des femmes nous dire, avec des mots différents, que les cotisations sont beaucoup trop élevées et qu'il n'est pas possible d'en payer pour deux, alors même que la femme est occupée à temps plein sur l'exploitation, j'y vois un problème de revenu et non de cotisations ou de MSA. Nous devons être capables de dégager suffisamment de revenus sans avoir un statut social dégradé sous prétexte que l'on est une femme.
Annick Billon, présidente . - Merci beaucoup pour ce témoignage. Je laisse désormais la parole à Manon Pisani, pour les Jeunes agriculteurs .
Manon Pisani, membre du bureau des Jeunes agriculteurs . - Bonjour à toutes et à tous. Merci, Madame la présidente. Je ne reviendrai pas dans le détail sur les constats que je partage dont l'image encore plutôt masculine de notre métier. Un quart à un tiers des femmes sont cheffes d'exploitation, selon les chiffres retenus.
Le métier d'agricultrice est certes difficile, tout comme de nombreux autres métiers. Nous gardons en tête l'image de l'homme, solide, musclé et fort au sein du couple. N'oublions pas que le modèle familial français change beaucoup. Certains de mes homologues agriculteurs mesurent eux aussi un mètre soixante, sans musculature exceptionnelle. Le matériel s'adapte, en effet, mais il le fait de façon générale. Je conçois qu'il est plus aisé pour moi, en tant que future installée, de travailler sur mon exploitation que ce fut le cas pour ma maman il y a une trentaine d'années.
Je reviens sur la proportion de femmes cheffes d'exploitation. Arriver à une parité complète constituerait-il une solution ? Chez les jeunes agriculteurs, nous n'en sommes pas convaincus. Selon nous, le renouvellement des générations constitue le défi majeur. Lorsque nous entendons que la moitié des exploitants agricoles seront en âge de prendre leur retraite dans dix ans et que les chiffres prévoient une installation pour trois départs à la retraite, nous nous attendons nécessairement à un blocage. L'enjeu majeur, c'est bien de nous assurer de notre souveraineté alimentaire. Nous ne le ferons qu'avec des femmes et des hommes formés. Sur ce sujet, en effet, la moitié des effectifs des classes en formation agricole est constituée de filles. Pourquoi ne s'installent-elles pas ? Nous souffrons peut-être d'un manque de communication mais les jeunes agriculteurs s'attachent à promouvoir autant les femmes que les hommes dans leurs outils de communication. Ce levier sera extrêmement important pour susciter l'envie chez certaines jeunes femmes. Une femme est aussi compétente qu'un homme sur une exploitation. Dans les images que nous nous en faisons, pourquoi ne montrons-nous que des hommes ? Je le rappelle, un quart à un tiers des exploitants agricoles sont des femmes, sans parler du nombre de salariés agricoles.
Je reviendrai sur la DJA, ou dotation jeune agriculteur, réservée, comme son nom l'indique, aux jeunes de moins de 40 ans. Nous sommes conscients que les femmes s'installent peut-être un peu plus tard. Elles doivent bien évidemment être accompagnées. Pour autant, devons-nous accompagner pareillement quelqu'un de 20 ans ou de 45 ans ? Je n'en suis pas certaine. Les objectifs sur une exploitation ne sont pas les mêmes. À 20 ans, on s'installe pour faire carrière. À 45 ans, on a passé vingt ans à faire autre chose. Selon moi, la DJA doit rester destinée aux jeunes, sans pour autant mettre les hommes et les femmes ayant dépassé 40 ans sur la touche.
Pour l'accès au foncier et aux prêts bancaires, j'ai l'impression que les banques sont frileuses de façon générale lorsqu'il s'agit de prêter de l'argent. Il ne me semble pas qu'il soit plus compliqué pour une femme que pour un homme d'aller voir un banquier pour lui demander un emprunt pour s'installer. C'est, je pense, le contexte qui le veut. Lorsque nous nous présentons à la banque ou à la SAFER (Société d'aménagement foncier et d'établissement rural) avec un dossier prouvant que nous souhaitons devenir de véritables chefs d'entreprise, nous présentons un plan d'entreprise, des chiffres montrant que nos exploitations seront toujours viables dans dix ans. Cela donne, je pense, une certaine confiance aux banquiers. Ne le prenez surtout pas mal, mais un banquier peut, il me semble, être un peu plus frileux face à une personne de 45 ans que face à un jeune de 20 ans souhaitant emprunter la même somme d'argent.
Annick Billon, présidente . - Je vois que vous avez un regard différent sur certains sujets, tels que la DJA. Bien entendu, à 20 ans, une personne qui en a 40 vous semble âgée. Lorsque vous avez 50 ans, elle vous semble jeune. C'est une question de point de vue !
Si nous parlons d'agriculture ce matin, j'étais hier soir en visioconférence avec une association militant pour la place des femmes dans les entreprises, et pour une meilleure reconnaissance des femmes. L'accès aux financements est beaucoup plus difficile pour les femmes que pour les hommes dans le milieu de l'entrepreneuriat en général. C'est presque culturel. Je pense que nous aurons à échanger sur le sujet.
Vous faites partie des jeunes agriculteurs. Votre famille était déjà dans l'agriculture. Vous avez peut-être le CV parfait pour vous lancer dans cette aventure. Vous avez probablement été une élève brillante, les femmes l'étant en général dans leur cursus scolaire. C'est peut-être ce qui explique que vous puissiez accéder à des financements. Nous verrons les opinions pouvant émerger autour de la table.
Pour clore ces débats, je vais laisser la parole à Céline Berthier, de la Confédération paysanne .
Céline Berthier, représentant la Confédération paysanne . - La commission femmes de la Confédération paysanne se réunit régulièrement pour discuter des sujets relatifs aux agricultrices. J'ai structuré mon propos en cinq parties : le sexisme auquel nous devons malheureusement faire face tous les jours ; les violences en milieu rural ; les statuts - déjà largement évoqués - ; les freins à l'engagement syndical et quelques propositions d'outils et de pistes. Après cela, je devrai vous laisser pour m'occuper de la fromagerie !
Sur le plan du sexisme malheureusement ordinaire, nous constatons que nous ne sommes considérées que comme des femmes et non comme des individus autonomes ou des professionnelles. Nous plaçons la barre haute, car nous devons toujours faire nos preuves et nous nous sentons sans cesse jugées. Je rejoins l'anecdote de la représentante de la MSA ayant évoqué son arrivée en tracteur devant des spectateurs. J'ai vécu la même chose. Nous sommes dans une impasse, au choix glorifiées parce que nous arrivons à faire un métier d'hommes, ou au contraire reléguées à des tâches « molles » - accueil à la ferme, transformation, ou autres activités pas assez viriles pour que les hommes s'en chargent - ou aux tâches invisibles telles que l'administratif qui nous demande un temps considérable. On nous répond alors que nous avons de la chance car nous gérons la comptabilité au chaud !
Si vous y arrivez, c'est parce que vous êtes une femme et qu'on vous a accordé des privilèges, car vous êtes jolie. Si vous échouez, c'est aussi parce que vous êtes une femme ! Je ne pense pas qu'il y ait plus de sexisme dans le milieu agricole que dans les autres milieux, mais il s'inscrit à la ferme dans une division des tâches très clivée. La femme est complémentaire de l'homme au sein de l'exploitation, mais cette complémentarité est prétexte à cacher des rapports hiérarchiques que nous subissons en tant que femmes. Nous nous retrouvons à assurer les tâches dont monsieur ne veut pas se charger ! Nous avons récolté des témoignages au sein de la Confédération paysanne , sur lesquels j'appuie mes propos. Je suis personnellement associée avec une femme. Je ne rencontre donc pas cette difficulté....
Nous sommes totalement invisibilisées. On nous demande - ça, je le subis aussi - où est le patron, on parle des fromages de « monsieur », des brebis de « monsieur ». Les chèques sont libellés à l'ordre de « monsieur ». Nous serons toujours la soeur de, la fille de, la femme de. Les remarques sexistes font partie de notre quotidien dans l'exercice de notre métier. Au marché, les remarques portent davantage sur notre physique que sur les fromages que nous vendons. Elles sont d'autant plus dures à supporter lorsqu'elles sont inscrites dans un rapport de domination. Je fais face aux remarques sexistes des propriétaires et des chasseurs. J'élève des chèvres et j'utilise une centaine d'hectares pour les faire pâturer. Aller voir ces hommes fait partie de mon quotidien. C'est assez humiliant.
Le cas du matériel inadapté a déjà été évoqué. Les sacs de ciment sont également très lourds, puisqu'ils pèsent 35 kgs. J'espère qu'un jour de plus petits sacs seront vendus ! Il faut exercer un effort physique significatif pour brancher la prise de force ou atteler certains outils. Je pense que nous permettrons également aux hommes de bénéficier d'un matériel moins pénible à utiliser. Nous aurons ainsi tous moins mal au dos pour nos vieux jours ! Nous nous sommes également demandé, avec Béatrice Martin, s'il y avait davantage d'inertie en milieu rural qu'en ville pour faire évoluer les mentalités.
Je voulais aussi parler des violences. Le milieu rural est un petit monde. Tout le monde se connaît. Les femmes peuvent se retrouver assez isolées sur leur ferme. Elles n'osent pas répondre. Elles ont peur de ne pas s'intégrer. Elles craignent le qu'en-dira-t-on et disposent de moins d'échappatoires qu'en ville. Les violences verbales peuvent être très importantes. Une réunion de la CUMA (Coopérative d'utilisation de matériel agricole) devait avoir lieu un mercredi soir. Une femme a indiqué qu'elle ne pourrait pas y prendre part, le mercredi étant le jour des enfants. Un homme lui a répondu « Tu n'avais qu'à avaler ». Pardon d'être crue ! Les intimidations sont également réelles. Des amies bergères entendent des propos tels que « Tu n'as pas peur, seule dans ta caravane ? Tu veux que je vienne te tenir chaud ? » Je suis présidente du petit marché associatif sur ma commune. On m'y a déjà demandé d'enlever mon string. Certaines femmes subissent également des violences physiques de la part de leur conjoint. Elles sont isolées sur leur ferme et n'arrivent pas à en sortir. Toute leur vie se situe là, isolée dans cette ferme : leur revenu, leur maison, leur voiture, leurs enfants. Elles peuvent vite être coupées du monde et subir des violences.
Les statuts ont déjà été largement évoqués. Je voulais ajouter, contrairement à l'intervention précédente, que nous sommes souvent moins crédibles lors d'une installation. Nous le sommes davantage lorsque nous annonçons nous associer avec un homme. Je me demande si l'âge moyen des cheffes d'exploitation n'est pas lié à la retraite de monsieur, laissant la place à sa femme. J'ajouterais que les agricultrices, lorsqu'elles partent à la retraite, sont souvent contraintes de demeurer à la ferme. En sociologie agricole, on parle de « maisonnée ». La maison et la ferme sont fortement liées. Une fois retraitée, l'agricultrice se retrouve sous la dépendance totale de son mari. Elle ne peut pas prendre de logement ailleurs et est confinée à la ferme.
Je suis associée avec une femme. La santé est prioritaire au sein de notre GAEC. Nos rendez-vous médicaux sont pris sur le temps de travail, sans concession. Certaines de mes amies associées avec des hommes peinent à trouver le temps de prendre rendez-vous chez leur gynécologue, entre autres. En plus, en milieu rural, nous devons souvent faire une heure de route pour consulter un spécialiste. Les femmes sont donc là encore face à des contraintes.
Permettez-moi d'aborder maintenant les freins à l'engagement syndical. Une étude a été menée sur les instances agricoles, montrant qu'il n'y avait pas plus de 30 % d'élues en leur sein. Elles y occupent plutôt des postes de secrétaires ou de trésorières, moins valorisées. Nous avons identifié plusieurs freins à leur engagement, dont les contraintes domestiques et parentales, qui seront davantage évoquées par Béatrice Martin. S'y ajoutent notre légitimité, nos compétences étant sans cesse mises en doute. Les réunions restent des espaces créés par et pour les hommes. Elles sont organisées le mercredi soir, jour des enfants, sans penser que les femmes sont de fait discriminées. Il est très difficile d'y prendre la parole. Les outils de distribution de la parole, lorsqu'ils sont mis en place, l'ont été à l'initiative des femmes. Nous nous faisons couper la parole. Nos propos n'ont pas le même poids que ceux d'un homme. Lors de grandes assemblées, je ne sais pas si vous avez pu le constater, mais les hommes lèvent la main avant même de savoir ce qu'ils vont dire, pour occuper l'espace public. Ils n'ont pas honte de répéter ce qui a déjà été dit.
Dans les manifestations, lorsqu'il n'y a pas de femmes à la tribune, on vient nous chercher pour prendre la parole, dans l'unique but de laisser une femme se faire prendre en photo par les journalistes, en nous listant les propos à répéter. On ne nous fait pas confiance.
La parité est un super outil. Pour autant, il ne faut pas chercher les femmes au dernier moment pour faire respecter la parité lors des élections. Ce n'est pas ainsi que nous serons encouragées à nous présenter à des postes importants en termes d'engagement syndical.
Enfin, permettez-moi d'évoquer quelques outils et pistes de réflexion. Selon nous, les groupes non mixtes sont très importants pour prendre conscience du sexisme ambiant que nous vivons. Il ne s'agit pas d'un évènement vécu de manière individuelle, mais d'un mécanisme malheureusement plus universel relevant du patriarcat. Ces groupes non mixtes nous permettent d'imaginer ensemble des solutions. Ce n'est pas une fin en soi, je ne suis pas favorable à une exclusion des hommes de notre société. Nous avons néanmoins besoin de nous retrouver entre femmes pour prendre conscience de la situation avant d'en parler avec des hommes.
Au sein de la Confédération paysanne , nous avons organisé plusieurs stages d'autodéfense, du théâtre-forum, des réflexions sur la façon de répondre ou sur la protection face aux violences. Des jeunes organisent également des chantiers non mixtes, pour que ces messieurs ne nous enlèvent pas les outils des mains. Nous pouvons également apprendre à nous en servir.
Bien sûr, la solidarité est importante. Face à une situation sexiste, il ne faut pas laisser une camarade seule. Nous devons sensibiliser dès le plus jeune âge les filles et les garçons au consentement, au sexisme. Les petites filles doivent être encouragées à faire des choses. Mon père ne m'a jamais laissée monter sur un tracteur ou tuer une poule. Nous recevons beaucoup de demandes de stage de la part de jeunes femmes rassurées de voir que notre ferme est gérée par des femmes. Une jeune fille est arrivée chez nous exténuée et découragée, nous disant qu'elle n'était pas prête à faire ce métier car elle ne s'en sentait pas capable physiquement. En réalité, elle venait d'une ferme où le travail était trop dur. En repartant de chez nous, sa vision du métier était différente et elle l'envisageait à nouveau !
Nous devons rendre les inégalités visibles, en comptant par exemple la répartition genrée des prises de parole lors d'une réunion, ce qui permettra aux hommes et aux femmes de prendre conscience des problématiques. À nos yeux, la parité est certes une forme de discrimination positive, avec ses limites, mais elle est nécessaire. Nous n'avons ainsi pas peur de prendre la place d'un homme. S'il n'y a pas de femme, la place reste vide. Il est important de rejoindre les instances décisionnaires, puisque c'est là que sont prises les décisions. Sinon, les lois continueront d'être établies par des hommes, pour des hommes.
Lever les freins passe également par la poursuite des formations. Nous en avons organisé plusieurs sur la conduite des tracteurs, les bases de la mécanique automobile ou la soudure, pour reprendre le pouvoir sur nos fermes.
L'écriture inclusive nous semble également un moyen de s'adresser à toutes et à tous.
Nous avons déjà parlé du congé maternité. À la Confédération paysanne , nous nous interrogeons aussi sur les femmes souffrant de règles douloureuses tout en assurant un métier difficile. Comment le prendre en compte ? Nous réfléchissons également à l'établissement de critères de modulation de la DJA, pour permettre aux femmes de s'équiper, puisque nous savons qu'elles accèdent difficilement au foncier. Réfléchissons plus largement aux outils qui permettent de faciliter l'accès au métier d'agricultrice pour les femmes.
Annick Billon, présidente . - Merci beaucoup pour ce témoignage.
Céline Berthier . - J'ajoute que nous avons publié aux éditions Marabout une bande dessinée, intitulée Il est où le patron ? Elle suit l'évolution de trois femmes dans leur ferme, illustrant mes propos de ce jour.
Annick Billon, présidente . - Vous en êtes à l'origine ?
Céline Berthier . - Oui, nous sommes cinq paysannes et une dessinatrice. Je fais partie des scénaristes. Nous avons créé trois personnages incarnant les anecdotes que nous avons pu récolter auprès de femmes.
Annick Billon, présidente . - Félicitations pour votre engagement et votre témoignage.
Je vais immédiatement passer la parole aux rapporteurs souhaitant intervenir. Vous avez déjà apporté un certain nombre de réponses aux questions que nous aurions pu nous poser.
Je cède la parole à Marie-Pierre Monier, également membre de la mission d'information du Sénat sur l'enseignement agricole, sujet lui tenant particulièrement à coeur.
Marie-Pierre Monier, co-rapporteure . - Merci. Nous étions également ensemble sur le rapport de notre délégation « Femmes et agriculture », en 2017.
Merci pour ces propos fort intéressants. Il est vrai que nous identifions deux enjeux pour le monde agricole dans l'avenir : le renouvellement nécessaire de la moitié des agriculteurs dans un horizon de dix ans et la transition agro-écologique. Je suis un peu déçue du point de vue du bilan des recommandations émises en 2017 par le rapport de la délégation. Lors de l'établissement de ce premier rapport, le statut des femmes dans l'agriculture nous apparaissait majeur. Vous nous avez toutes indiqué que la situation avait peu évolué depuis. Si nous voulons donner aux femmes la place qu'elles méritent dans le monde agricole, elles doivent bénéficier d'un statut leur donnant des droits égaux à ceux des hommes. Une de nos futures recommandations devrait le proposer, puisque les choses n'évoluent apparemment pas !
Nous avions également soulevé le sujet de la DJA. Je sais que certaines modalités ont évolué. Si les femmes entrent tard dans ce métier, parfois après une reconversion, elles doivent accéder aux aides. Cela faisait aussi partie de nos recommandations, sans effet. Un problème se posera sans aucun doute en l'absence de statut et d'aides.
Vous avez beaucoup évoqué la lutte contre les stéréotypes de genre. Je ne reprendrai pas tout, mais je partage les propos de Mme la présidente concernant les difficultés d'accès aux financements pour les femmes dans l'entrepreneuriat. Vous rencontrez le même problème dans l'agriculture. Le plafond de verre est bien présent à l'installation.
50 % des féminicides ont lieu en territoire rural. Les violences sont présentes dans le milieu agricole, comme partout ailleurs.
Pouvez-vous nous spécifier vos recommandations ? Notre rapport, s'il dresse un bilan de la situation, vise également à émettre des recommandations. Nous avons besoin que vous nous fassiez remonter ce qui doit évoluer.
Pouvez-vous repréciser l'impact de la crise Covid pour les femmes agricultrices ?
Enfin, est-il toujours possible d'imposer le sujet de l'égalité femmes-hommes dans le cadre de la réforme en cours de la PAC (Politique agricole commune) et de la stratégie nationale ? Si oui, sur quels mécanismes pourrions-nous insister ?
Annick Billon, présidente . - Avez-vous d'autres questions ? Si ce n'est pas le cas, je vous laisse répondre. Nous sommes connectés avec les territoires ultramarins, avec notre collègue Victoire Jasmin qui se trouve en Guadeloupe et que je salue.
Je cède immédiatement la parole à nos intervenantes avant de passer à la seconde partie de cette table ronde.
Natacha Guillemet . - Je vais essayer de répondre à quelques-unes de vos questions. Je ne rejoins pas les propos des Jeunes agriculteurs concernant la DJA. Je me suis installée à plus de 40 ans. J'ai tout de même conscience qu'il me reste vingt-cinq ans à travailler. J'ai en outre pris un congé parental, et même plusieurs, étant maman de cinq enfants, dont des jumeaux. J'ai donc encore bon nombre d'années à travailler. Je pense que nous ne devrions plus parler de jeunes agriculteurs, mais de jeunes installés. L'agriculture doit évoluer avec la société. La carrière d'un jeune installé de 40 ans devrait encore durer vingt-cinq ans. Cette durée est longue, et permet de rembourser un prêt bancaire.
Marie-Pierre Monier, co-rapporteure . - Je proposais, pour ma part, de supprimer le mot « jeune » et de le remplacer par « nouvel » installé.
Natacha Guillemet . - Tout à fait. À un moment donné, nous devons évoluer avec la société. Nous nous installons beaucoup plus tard. Que nous nous placions dans le domaine de l'agriculture ou dans un autre secteur, les jeunes suivent des études. Ils ne s'installent plus à 18 ou 20 ans, mais bien plus tard. Ils ont d'autres expériences, dans d'autres professions. À 40 ans, ils sont matures et peuvent réfléchir à un projet cohérent.
D'autre part, une femme de 40 ans sollicitant un prêt bancaire a de l'expérience et est relativement posée. Je ne dis pas que ce n'est pas le cas des jeunes, mais un banquier sera rassuré de voir une femme plus âgée - bien que nous ne soyons pas âgés à 40 ans ! Parler de jeune installé, ou de nouvel installé, pourrait à mon sens constituer une solution.
Certes, nous sommes tous reçus à la banque. Il est toutefois bien différent de demander un prêt et d'obtenir le montant souhaité. Le monde agricole nécessite d'importants investissements. L'achat d'un tracteur est très onéreux, de même que les installations agricoles de façon générale. Les normes exigées des exploitations sont très contraignantes. À 40 ans, nous avons déjà travaillé. Nous avons parfois une maison. Le banquier s'appuie sur ces garanties. C'est dommage car nous aimerions ne pas être démunies si notre projet venait à échouer.
J'aimerais également rebondir sur la question des retraites et celle du statut. La retraite est minime pour les conjointes-collaboratrices. Les périodes de congés parentaux ne sont pas contributives. Il faut que les périodes de congé parental comptent dans le calcul des retraites, afin d'éviter de nous retrouver en dessous du seuil de pauvreté. C'est le cas de certaines femmes. Il existe certes en France un dispositif permettant d'atteindre ce seuil. Cependant, ces sommes sont reprises sur les successions. Il est nécessaire de revaloriser les retraites de celles qui n'en ont pas au titre de droits propres. Je rejoins la personne ayant annoncé tout à l'heure qu'il fallait penser aux futures retraites, mais aussi aux femmes qui sont déjà à la retraite et vivent misérablement. C'est indécent pour des personnes qui travaillent dans l'élevage pour une moyenne de 70 heures par semaine. C'est ça, le métier des agriculteurs et agricultrices. Nous ne travaillons pas 35 heures par semaine ! Pourtant, les retraites demeurent misérables. Il est honteux de voir que des personnes ayant travaillé autant touchent des retraites si faibles. Voir des femmes remplir leur panier au Secours populaire ou aux Restos du coeur me fait honte alors qu'elles ont pourtant rempli le panier des consommateurs !
Annick Billon, présidente . - Merci de ce témoignage très tonique de la Coordination rurale , que vous représentez.
Jacqueline Cottier . - Je voulais revenir sur la DJA, sur laquelle je suis plus mitigée. Il ne faut pas, selon moi, la proratiser par rapport aux investissements, qui peuvent être moindres à 40 ans qu'à 25 ans. Nous devons favoriser notre renouvellement de générations, hommes comme femmes.
Vous nous interrogiez sur la PAC. Nous voulons qu'elle nous donne de la visibilité dans le temps, qu'elle nous accompagne dans tous les changements sans nous imposer de contraintes supplémentaires. Les agriculteurs suivront les évolutions à condition qu'ils soient accompagnés pour le faire. Nous avons, bien entendu, relevé tous les défis jusqu'à maintenant, qu'il s'agisse de la mise aux normes ou du verdissement.
Revenons sur le sujet des retraites. Ma collègue évoquait tout à l'heure le minimum vieillesse, ou ASPA (Allocation de solidarité aux personnes âgées). Ce droit est méconnu. De nombreuses femmes peuvent y prétendre, mais passent à côté. Beaucoup de biens ne sont pas concernés. Les biens agricoles n'entrent notamment pas en considération dans la succession. Nous devons absolument communiquer sur le sujet.
Annick Billon, présidente . - Merci beaucoup. Si vous le voulez, vous pouvez axer davantage vos réponses sur les propositions, puisque nous sommes, je pense, tous d'accord sur les constats. Je passe la parole à Mme Valentin.
Christine Valentin . - Il existe pour l'instant deux formes d'aides à l'installation. La DJA est une dotation pour les jeunes agriculteurs de moins de 40 ans justifiant d'une formation agricole niveau bac et s'engageant dans un respect de norme de revenu et d'investissement, ayant défini un business plan. Ces jeunes ont des droits mais également des devoirs. Nous identifions en outre une notion de « nouvel installé », personne installée depuis moins de cinq ans, quel que soit son âge. Dans la programmation PAC que nous terminons, certaines régions en charge du programme installation au travers de la PAC peuvent également accompagner ces nouveaux installés, quel que soit leur âge et quelle que soit leur formation. Les montants sont certes différents, les engagements n'étant pas les mêmes, mais ces deux dispositifs coexistent.
Concernant la PAC, il est très important de maintenir, voire d'améliorer, la transparence des associés dans un GAEC. La transparence des GAEC en elle-même est conservée. Certaines régions en charge de l'investissement et la modernisation des élevages ou des exploitations ont plafonné le nombre d'exploitants pouvant avoir accès aux aides dans un GAEC, parfois par défaut de financements suffisants. Une partie de ces montants est réservée à des améliorations de travaux sur le physique et l'accessibilité plus facile à certains travaux, y compris pour les femmes. Le premier plafond est à taux plein et les suivants peuvent s'élever à 75, 50 ou 25 % du montant d'aides. Bien souvent, l'homme a droit à 100 % de la somme et le conjoint et les associés n'ont droit qu'à une partie de l'aide. Cette transparence permettrait à tous les associés d'être reconnus au même niveau, et aux conjointes ou femmes exploitantes de sentir qu'elles ont la même valeur au sein du GAEC ou de la société dans laquelle elles prennent part.
Dans la future PAC, comme dans l'actuelle, nous devons veiller à la place et à la reconnaissance des femmes et nous assurer que tous les associés, et donc les femmes, touchent les aides à taux plein.
Madame la sénatrice, vous nous avez interrogées sur l'impact de la Covid sur les exploitantes et les organisations. Vous faites bien de nous le rappeler. Les jeunes mamans, ou en tout cas les mères d'enfants de moins de seize ans encore dépendants en matière de devoirs et d'organisation de leur journée, se sont retrouvées du jour au lendemain avec des enfants à garder. Les crèches étaient fermées, les écoles n'accueillaient plus ces élèves. Les professions agricoles n'étaient pas jugées prioritaires pour se rendre à l'école, ce qui a posé de réelles difficultés dans l'organisation du travail. Non seulement les agricultrices ont dû poursuivre leur travail sur la ferme, mais elles ont également dû s'occuper des devoirs et des activités des enfants durant la journée. Des aides ont été mises en place. Elles n'étaient au départ pas connues. La situation a été très difficile en début de crise. Elle a pu mettre en péril, ou du moins créer d'importantes difficultés dans l'organisation des exploitations. Je pense au cas d'un salarié ayant dû rester chez lui pour s'occuper des enfants, son absence se répercutant sur les autres qui ont dû travailler davantage. Nous avons assisté à des retours à la chambre d'agriculture concernant les tensions ayant pu être créées entre les associés. C'est toutefois un mal pour un bien, le travail ayant continué d'être fait par les autres associés. Les chefs et cheffes d'exploitation ayant dû s'occuper de leurs enfants à plein temps ont rencontré de vraies difficultés. Il a fallu faire appel au service de remplacement ou à des salariés agricoles, représentant un coût non négligeable face au revenu des agricultrices. Des aides ont ensuite été mises en place, mais la situation n'a pas été simple au départ. Beaucoup de mamans agricultrices, mais d'autres aussi, gardent un très mauvais souvenir des confinements.
Annick Billon, présidente . - Merci beaucoup. Je cède la parole à Mmes Pisani et Gautier. Axez notamment vos réponses sur les propositions, c'est ce qui nous intéresse à ce stade.
Manon Pisani . - Je serai très brève. Pour en revenir au sujet de la DJA, je crois que mes propos ont été mal compris. Ce dispositif est réservé aux jeunes de moins de 40 ans présentant un réel projet d'entreprise. Je suis consciente que nous devons accompagner les personnes souhaitant s'installer au-delà de cet âge, mais j'estime que cet accompagnement devrait passer par un dispositif distinct de la DJA qui devrait être réservée exclusivement aux jeunes. Leurs besoins ne sont pas les mêmes.
Concernant les statuts, les jeunes agriculteurs dont je fais partie ont adopté une position bien plus radicale. Selon nous, seul le statut de chef d'exploitation devrait être reconnu, puisqu'il permet une égalité de retraite et de cotisation. Notre position nous amènerait - je m'excuse auprès de la MSA pour cette proposition - à supprimer le statut de conjoint-collaborateur, qui ne permet pas de verser une retraite décente.
Enfin, je pense que nous payons le prix de cinquante ans de politiques et de mentalités selon lesquelles le paiement de cotisations à la MSA était honteux. Certains ont tout fait pour en payer le moins possible. J'ai l'impression d'assister aujourd'hui à une réelle prise de conscience chez les jeunes, pour qui il n'est plus ni tabou ni interdit de payer des cotisations MSA. Nous avons bien conscience que seules celles-ci nous permettront une retraite décente par la suite.
Annick Billon, présidente . - Merci beaucoup. Je laisse la parole à Mmes Gautier et Liébert.
Anne Gautier . - Merci Manon. Nous ne sommes pas en contradiction sur les statuts. J'apporterais un simple éclaircissement sur celui de conjoint-collaborateur. Les jeunes n'ont pas connu le vilain statut selon lequel nous n'étions que conjointes d'exploitant. Nous devons nous remettre dans ce contexte passé. Le statut de conjoint-collaborateur a constitué une marche indispensable pour arriver au statut de chef d'exploitation. Il n'est certes pas idéal, mais le conserver en tant que statut temporaire, limité dans le temps, me semble moins radical. Il répond encore à quelques situations que nous pouvons rencontrer. Il n'est en tout cas pas durable. Il n'est pas possible de passer une carrière complète en tant que conjoint-collaborateur. Cela ne me semble pas du tout être une bonne option. À l'époque, la mise en place du statut de conjoint-collaborateur avait constitué une réelle avancée. Vingt ans ont passé et il n'est peut-être plus tout à fait adapté, notamment en matière de droits et d'acquisition des droits à la retraire.
Je souhaite revenir sur la question de l'habitat principal. En effet, en raison des garanties auprès des banques, il est parfois possible de se retrouver dans des situations dramatiques. Je rappelle que l'habitation principale, après une démarche auprès du notaire, peut devenir incessible aux créanciers, de manière à ne pas se retrouver sans domicile. Surtout, lorsque vous souscrivez un prêt, votre maison principale ne peut vous être saisie si vous faites cette démarche. C'est indispensable.
Concernant l'ASPA, je pense que nous avons un vrai problème culturel dans ce pays. Nous sommes une société plutôt patrimoniale. Nous voyons encore des personnes ayant constitué un patrimoine, lorsqu'elles ont eu les moyens de le faire, ayant fait en sorte de payer assez peu de cotisations MSA. Ce patrimoine était censé permettre de bénéficier d'un complément de revenu à la retraite. Certains ne veulent pas y toucher et vivent une vraie galère. Ils sont retraités, et touchent des sommes extrêmement faibles, alors qu'ils pourraient disposer de ressources complémentaires. Je n'arrive toujours pas à comprendre pourquoi ces gens se sacrifient alors qu'ils ont passé leur vie à construire un patrimoine, sans en profiter à l'heure de la retraite ! Parfois, ils le conservent et demandent l'ASPA. En contrepartie, ils pourraient obtenir un retour sur leurs biens à leur décès, hors terres agricoles, procédure en réalité assez peu mise en oeuvre. Je pense que nous faisons face à un problème culturel, la société française étant construite sur des valeurs patrimoniales. Dans d'autres pays, vous n'êtes jamais propriétaires. Vous êtes simplement de passage, sur un modèle de location à long terme. Notre société n'est pas construite ainsi !
Petit clin d'oeil à la personne qui défendait l'écriture inclusive. J'estime personnellement qu'elle apporte plus de problèmes que de solutions. Je vais sans doute me faire quelques ennemis autour de la table. Je suis une femme, et lorsque je vois un « (e) » en fin de phrase, je ne me considère pas être une parenthèse ! Je pense que la langue française est déjà suffisamment compliquée à apprendre pour nos enfants. Au vu du niveau global de l'enseignement dans notre pays, je ne sais pas s'il est raisonnable de faire de l'écriture inclusive notre premier combat.
Merci de votre écoute.
Annick Billon, présidente . - Merci pour ce témoignage. Je n'ai pas voulu rebondir sur l'écriture inclusive sur laquelle nous avons récemment débattu au Sénat. Chacun a exprimé sa position. Je suis personnellement plutôt d'accord avec vous.
Madame Liébert, c'est à vous.
Françoise Liébert . - J'aimerais revenir sur deux sujets. Effectivement, deux mesures ont été prises en urgence par le ministère de l'agriculture durant la crise Covid :
- une mesure importante versée spécifiquement pendant l'épidémie de Covid-19 pour aider les non-salariés agricoles, et notamment les femmes, à garder les enfants sur l'exploitation grâce à une allocation de remplacement versée par la MSA, calquée sur celle qui est versée pendant un congé maternité ;
- la mise en place d'une mesure spécifique pour les membres d'un GAEC, s'ils sont éligibles au fonds de solidarité, au même titre que les travailleurs indépendants ;
J'insiste sur l'idée du statut, véritable reconnaissance du travail de la femme en agriculture. Je souligne toutefois que l'accès des femmes en agriculture à un statut professionnel a très peu remis en cause l'organisation historique du travail extrêmement genré dans ce secteur, notamment parmi les générations les plus anciennes. Elles ont poursuivi le travail qu'elles effectuaient auparavant et ont parallèlement continué les tâches administratives, l'élevage des petits animaux et autres. Surtout, une particularité forte en agriculture n'a pas été remise en cause par les différentes intervenantes, y compris dans les jeunes générations. En effet, la charge des enfants et des tâches ménagères incombe à 100 % aux femmes. Même les témoignages des jeunes femmes ne le remettent pas en cause, en évoquant l'impossibilité d'organiser des réunions le mercredi, par exemple. Cet élément culturel est très présent. Les jeunes générations elles-mêmes peinent à le bousculer.
La représentante de la Confédération paysanne a relevé les nombreux stéréotypes de genre dans cette profession, à l'origine de beaucoup de situations que nous observons actuellement, et pour lesquelles nous devrons élaborer des pistes d'amélioration.
Annick Billon, présidente . - Merci pour ces échanges. Nous serons, je pense, plus rapides sur la deuxième partie de cette réunion, que vous avez déjà évoquée en partie.
Nous en venons maintenant au deuxième axe de réflexion de notre table ronde : l'articulation des temps de vie professionnels et personnels des agricultrices.
Divers sujets qui se posent pour les agricultrices concernent les femmes rurales dans leur ensemble, qu'il s'agisse de l'accès aux soins gynécologiques, des modes de garde des jeunes enfants, de l'accès au numérique ou de l'accueil des femmes victimes de violences.
Nous sommes à l'écoute des difficultés particulières que vous avez pu identifier, mais aussi et surtout des pistes de solutions que vous avez pu constater ou développer. Dans le cadre de notre rapport, nous cherchons en effet à faire remonter des initiatives innovantes afin d'encourager leur généralisation.
Sur le sujet spécifique de la conciliation entre le métier d'agricultrice et la maternité, dans notre rapport de 2017, nous recommandions de renforcer l'information des agricultrices s'agissant de leurs droits relatifs au congé maternité et au service de remplacement. Nous préconisions également de développer des solutions d'accueil pour la petite enfance, prenant en compte les contraintes des métiers de l'agriculture. Il nous semble qu'il y a eu des avancées en la matière. Nous souhaitons donc vous entendre sur ces points. Nous recommandions également la mise à l'étude, par la MSA, de solutions pour envisager la mise en place d'un congé enfant malade au bénéfice des exploitants agricoles. Nous souhaitons donc entendre Mme Gautier sur ce sujet.
Anne Gautier . - Je vous remercie pour ces questions.
Je commencerai par le congé maternité des agricultrices, qui a connu des évolutions ces dernières années. Depuis le 1 er janvier 2019, sa durée minimale a été allongée de deux à huit semaines, dont deux semaines de congé prénatal et six semaines de congé postnatal. Depuis cette date, les personnes qui se font remplacer ne sont plus redevables de la part CSG-CRDS, ce qui limite évidemment le reste à charge. Un certain nombre de femmes n'utilisaient pas ce dispositif en raison de la douzaine d'euros qui restait à leur charge chaque jour. Autre nouveauté, des indemnités journalières forfaitaires peuvent être attribuées aux femmes cheffes d'exploitation qui n'ont pas pu trouver de remplaçant à la date prévue d'interruption de l'activité. Évidemment, ce montant n'est pas le même, et il est toujours préférable d'assurer une continuité de travail sur l'exploitation. C'est le sens du montage entre la MSA et le service de remplacement. La possibilité de prise en charge totale d'un remplacement dans son activité professionnelle est unique et spécifique à l'agriculture, sous certaines conditions. Si la période d'accouchement ne correspond pas à la plus haute période d'activité, il est tout de même possible de bénéficier des indemnités journalières maternité, nouveau droit acquis.
À la MSA, nous considérons que ces mesures, très satisfaisantes, contribuent à l'amélioration de la santé des femmes en leur permettant de s'arrêter de travailler pendant leur grossesse, et par voie de conséquence pendant la période pré et post natale. C'est positif pour les enfants.
La MSA mène, depuis de nombreuses années, une politique volontariste en matière de petite enfance. Elle vise à améliorer la conciliation de la vie professionnelle et de la vie de famille, à réduire les inégalités sociales par une sociabilisation précoce de l'enfant. Elle a également pour objectif de contribuer à l'attractivité des territoires ruraux, à laquelle la crise Covid a d'ailleurs participé.
Pour développer cette offre sur les territoires ruraux, la MSA s'appuie à la fois sur son expertise en matière d'ingénierie de projet et sur sa capacité à mobiliser les acteurs locaux à la petite enfance - familles, élus, associations, professionnelles. Dans la convention d'objectifs et de gestion de la MSA datant de 2011-2015, nous nous étions engagés dans l'expérimentation de solutions répondant aux besoins spécifiques des familles agricoles. Ces solutions concernent majoritairement les horaires atypiques - le 9 heures/17 heures ne s'appliquant pas à cette population -, les accueils d'urgence, les accueils saisonniers, les horaires extrêmes, les week-ends et jours fériés, et l'accueil des enfants différents en milieu ordinaire. Bien évidemment, nous sommes nous aussi parfois confrontés à des situations d'enfants souffrant de handicaps. Durant cette période, 118 projets ont pu être soutenus.
De 2016 à 2020, nous avons continué à nous appuyer sur nos trente-cinq caisses. Le régime agricole a poursuivi le développement d'une offre petite enfance diversifiée sur des territoires dépourvus ou dotés d'offres déséquilibrées ou inadaptées, via un dispositif unique que nous cofinançons, à savoir la création de micro-crèches. S'y ajoutent les maisons d'assistantes maternelles, plus connues sous l'acronyme MAM, ou les relais d'assistantes maternelles (RAM), et les lieux d'accueils enfants-parents. Enfin, des services innovants apportent des réponses adaptées aux besoins spécifiques des familles en milieu rural. Nous pouvons citer l'appui à la parentalité, les démarches d'insertion professionnelle, la prise en compte des situations de fragilité ou d'isolement, également ciblées par le dispositif de près de 150 structures en ayant bénéficié. Espérons que cette politique innovante pourra être poursuivie sur la Convention d'objectifs et de gestion (COG) 2021-2025, actuellement en cours de négociation, si tant est que les pouvoirs nous en donnent les moyens. Je passe un petit message : ce sont les moyens qui nous seront attribués qui nous permettront de continuer à développer des actions sur le territoire. Il me semble que nous pourrions éventuellement revenir sur cette négociation lors de nos échanges. À défaut de financement suffisant, nous ne pourrons pas poursuivre nos actions dans ce domaine, comme dans bien d'autres malheureusement.
Enfin, vous évoquiez la mise en place d'un congé enfant malade. Cette question ne relève pas de la MSA et de la Sécurité Sociale, mais du droit du travail. Il appartiendra à la profession agricole et aux partenaires sociaux d'avancer sur ce dossier. À cet instant, je vais vous livrer un témoignage personnel. Je me suis installée en 1992. En 1993, l'un de mes enfants a été atteint d'une tumeur au cerveau dont le traitement m'a accaparé pendant deux ans, alors que je venais de m'installer. À cet instant, il n'existait aucune aide. Je n'étais pas seule car j'avais un mari et une famille. Sans leur aide, nous n'aurions pas reconstruit notre fils. Nous avons eu la chance qu'il passe cette étape difficile de sa vie. Il a aujourd'hui 34 ans, et envisage de s'installer, non sans quelques difficultés. Ce sujet me touche de très près. J'espère que nous aboutirons à une solution. Être confronté à la maladie d'un enfant, c'est dur pour toutes les familles. Dans l'agriculture, je crois que cette situation revêt un caractère autre, car nous continuons malgré tout de tenter de la concilier avec notre vie professionnelle. J'emmenais mon enfant, à l'époque à l'état végétatif, pour aller travailler. Je le couchais dans ma serre pendant que je m'occupais du désherbage. C'est inhumain. Il est primordial d'avancer sur ce congé enfant malade. J'ai terminé ma parenthèse personnelle.
Les exploitants agricoles peuvent bénéficier de l'allocation journalière de présence parentale permettant de disposer d'une aide financière si le parent interrompt ponctuellement son activité pour rester auprès d'un enfant gravement malade, accidenté ou handicapé. La demande doit s'accompagner d'un certificat médical détaillé, rédigé par le médecin. Le montant versé varie en fonction de la situation familiale. Cette allocation a été étendue le 30 septembre 2020 aux personnes cessant ou réduisant leur activité pour s'occuper d'un proche en situation de handicap ou de perte d'autonomie, avec une allocation journalière de proche aidant.
Annick Billon, présidente . - Merci beaucoup. Je passe la parole à Mme Liébert.
Françoise Liébert . - Je compléterai les propos que j'ai déjà exprimés. Le ministère de l'agriculture se félicite de l'aboutissement de la réforme du congé maternité, particulièrement adaptée aux attentes des agricultrices. Il est désormais important de continuer à travailler sur le service de remplacement afin de lever les derniers freins identifiés : la difficulté de trouver des remplaçants compétents, disponibles pour tous les types d'activité sur l'exploitation, l'accompagnement des femmes très tôt dans leur maternité ; l'information sur les droits existants. Certaines caisses départementales de la MSA ont mis des initiatives en place. Il nous semble nécessaire de les étendre et de les rendre plus fréquentes partout.
Certaines femmes sont salariées au service de remplacement. Ce passage pourrait être valorisé. Nous avons en effet constaté qu'il s'agissait d'une excellente expérience, qui conduit parfois les femmes à trouver le lieu où elles pourront s'installer, ou leurs futurs partenaires. Nous pourrions donc encourager plus de jeunes femmes à rejoindre ce service afin d'acquérir de l'expérience et ainsi de s'installer plus facilement.
Je précise que les attentes vis-à-vis du service de remplacement ont largement évolué. Nous constatons une demande beaucoup plus importante pour un remplacement de temps libre et de congés. Il serait intéressant d'engager une réflexion quant à l'utilisation de facilités de remplacement pour participer à des formations ou à des réunions, permettant aux femmes de s'autoriser ce qu'elles se refusent souvent à faire tant qu'il y a de jeunes enfants à la maison. Nous constatons en effet que dans cette catégorie socioprofessionnelle, les femmes se chargent encore majoritairement des tâches ménagères et des enfants, voire des personnes âgées, y compris dans les générations les plus jeunes. Nous devons faire bouger les lignes sur ce point, comme nous nous y attachons pour tous les autres types de métiers. Nous devrons aider les femmes à faire garder leurs enfants à l'âge où elles sont capables de se former et de participer à des réseaux. Ceux-ci leur permettent de s'encourager entre elles. Les agricultrices doivent être encouragées à faire plus de mentorat ou de parrainage, pour avancer dans leur métier et pour rencontrer du monde. Nous ne l'avons pas assez souligné, mais ce métier a pour particularité un certain isolement. L'échange avec des collègues installés ou travaillant dans l'agriculture, mais aussi avec d'autres femmes, est important. Les échanges concernant les enfants ou la vie sociale sont enrichissants, y compris pour l'exploitation.
Nous constatons également que, malheureusement, les enjeux d'égalité débordent largement de la sphère professionnelle pour toucher directement la cellule familiale. Nous recevons de nombreux témoignages concernant les transmissions patrimoniales. Les discriminations persistent. Le garçon sera toujours prioritaire pour l'héritage et l'accès au foncier. Là encore, nous nous évertuons à faire évoluer ces références culturelles dans l'enseignement agricole. Vous avez raison de souligner que nous devrions le faire plus tôt, dès l'école primaire. Le ministère de l'éducation nationale a évidemment rédigé une feuille de route pour faire reculer ces stéréotypes auprès des jeunes enfants. L'égalité réelle et l'accès à un travail facilité ainsi qu'à une rémunération correcte en résulteront pour les femmes dans l'agriculture comme pour toutes les autres catégories socioprofessionnelles.
Annick Billon, présidente . - Je vous remercie. Je donne maintenant la parole à Jacqueline Cottier puis à Manon Pisani.
Jacqueline Cottier . - Concernant la difficulté d'articulation entre le temps professionnel et personnel, les agricultrices n'échappent pas au poids de la charge mentale. Celle-ci est d'ailleurs accentuée car nous travaillons et vivons souvent au même endroit. J'aimerais revenir sur l'offre de mode de garde des enfants et l'accueil des personnes âgées, qui restent insuffisants. Un tiers des départements souffrent d'un important déficit de places d'accueil pour les enfants, comme le mettait récemment en évidence un rapport sénatorial. Le développement de maisons d'accueil rurales pour les personnes âgées doit être accru. Les moyens accordés pour leur adaptation et pour celle des habitations à la perte d'autonomie doivent être renforcés. Nous constatons qu'en milieu rural, les femmes vont souvent aider leurs parents, à défaut d'autres solutions. Cette charge leur incombe encore.
L'accès au haut débit doit également être renforcé pour que les agricultrices puissent travailler efficacement sans avoir à se déplacer de leur domicile ou de leur exploitation. Un effort doit être fait pour le déploiement de réseaux Internet performants. En limitant la problématique des déplacements, on facilite également l'articulation des temps de vie. À titre d'exemple, je ne peux moi-même pas faire de visioconférence depuis mon domicile. J'ai été obligée de me rendre à Angers pour participer à cette table ronde. Une meilleure connexion permettrait aux agricultrices ne pouvant pas dégager suffisamment de temps pour participer à des formations de les suivre à distance. Elles pourraient ainsi se former un peu plus.
L'accès aux moyens de transport est également important. Nous sommes un peu éloignés des services. Il est d'ailleurs nécessaire de s'interroger sur le maintien d'une offre de service, sur des propositions d'activités et de commerces de proximité suffisants en milieu rural. Des mesures incitatives à l'installation et au développement de services doivent être appuyées.
Je souhaite revenir sur les violences en milieu rural. En étant éloignée des pôles de gendarmerie ou de police, il est parfois compliqué pour une femme de quitter rapidement son domicile lorsqu'elle est victime de violences.
Les avancées concernant le congé maternité sont plutôt satisfaisantes. Nous devons toutefois rester vigilants sur le sujet. Il y a en effet sûrement un sujet quant au recrutement de femmes au service de remplacement. Dans le milieu agricole, le besoin de main d'oeuvre de remplacement dépasse les possibilités de recrutement.
En conclusion, j'insiste sur les moyens à mettre en place et à maintenir pour développer un accès à Internet, aux services, aux commerces et à une offre de santé suffisante en milieu rural. Ils doivent être traités prioritairement. C'est en s'attachant à trouver des solutions sur ces points que la vie quotidienne des agricultrices sera facilitée et que l'articulation entre vie privée et familiale pourra être simplifiée.
Annick Billon, présidente . - Merci. Madame Pisani, c'est à vous.
Manon Pisani . - Je ne reviendrai pas sur tout ce qui a été dit. En tant qu'agricultrice, le service de remplacement me semble être un outil très important. Il mériterait d'être plus connu, puisqu'il nous permet de concilier notre vie professionnelle, personnelle, sociale ou amicale. J'émets toutefois un bémol. L'offre de remplaçants n'est pas toujours adaptée selon les départements. Certains services manquent de personnel mobilisable pour nous remplacer sur des tâches ponctuelles urgentes, en cas de maladie ou d'imprévu, mais aussi sur du plus long terme tel que des congés pouvant être prévus en amont. Je ne voudrais pas m'exprimer au nom du service de remplacement - dont je regrette d'ailleurs l'absence d'un représentant autour de la table - mais je pense que cet outil nous permet, dans les campagnes, de mener une vie plus classique. Il permet à nos agriculteurs, jeunes et moins jeunes, de se libérer du temps et de mieux s'organiser lors de pointes de travail, par exemple. Il leur permet de travailler sur des horaires plus normaux.
En tant que jeune femme, je regrette que nous n'ayons pas encore d'offre de service adaptée à nos horaires parfois décalés. Il n'est pas simple de faire coïncider les astreintes très matinales, lorsque nous devons être dans la salle de traite à 5 heures 30 du matin, et la garde des enfants. Je ne pense pas que nous puissions les prendre avec nous chaque jour. C'est peut-être agréable l'été, mais moins l'hiver. Tout dépend des régions.
Enfin, les jeunes agriculteurs regrettent que notre profession n'ait pas été reconnue comme secteur prioritaire durant la crise Covid. Nous avons rencontré de grandes difficultés pour faire garder nos enfants, comme cela a déjà été dit.
Annick Billon, présidente . - Merci beaucoup. Écoutons nos dernières intervenantes, Natacha Guillemet et Béatrice Martin.
Natacha Guillemet . - Merci. Je vais rebondir tout de suite sur les propos de Mme Pisani concernant le Covid. La Confédération paysanne a écrit au ministère de l'agriculture afin d'obtenir le droit de faire garder nos enfants dans les écoles. J'ai personnellement deux enfants à l'école primaire, et un autre en sixième. Lorsque je les emmène à l'école, je sais qu'ils y sont, et je peux travailler pendant ce temps-là. Je n'ai pas à me noyer sous les devoirs et à les emmener à droite à gauche. Nous avons écouté le discours du Président de la République, qui a remercié les agriculteurs de toujours travailler et de tenir pour nourrir la population. Il a compté sur nous. Nous aussi, nous comptions sur lui. Manque de chance, nous avons dû garder nos enfants sur les tracteurs. Il était compliqué de les gérer simultanément avec la ferme. J'exprime ce regret sincère au nom de toutes les agricultrices mamans.
Il est vrai que des mesures ont été mises en place par le ministère de l'agriculture pour garder les enfants. C'était tout de même très compliqué en raison de la masse de tâches et de la somme d'heures que nous passons chaque jour au travail. Nous aurions été soulagés d'envoyer nos enfants à l'école pour leur garantir un enseignement ou une aide des institutrices. Je vous rejoins tout à faire sur ce sujet.
Je vais à présent évoquer le congé maternité. Son élargissement est formidable, tout comme le zéro reste à charge. Je partage toutefois l'avis de mes collègues et des syndicats, et j'affirme que le service de remplacement n'est pas à la hauteur de nos professions. Imaginez-vous, dans le monde de l'artisanat, un boulanger envoyé pour réaliser des tâches de maçonnerie ? L'agriculture comprend de multiples métiers. Nous comptons des apiculteurs, des éleveurs de cochons, de vaches allaitantes... Le secteur est tellement varié. Comment voulez-vous que le service de remplacement, ne comptant pas suffisamment de salariés, soit compétitif et compétent dans tous les domaines ? C'est tout simplement impossible.
Je vous parlais tout à l'heure d'Élise, la céréalière bio, actuellement en congé maternité. Elle n'a trouvé personne pour la remplacer. C'est son époux qui se charge de ses tâches. Elle a droit aux 1 500 euros versés par la MSA, mais qui s'occupe du travail ? Le service de remplacement n'est pas à la hauteur des demandes.
J'ai passé un très grand nombre de coups de téléphone avant cette table ronde. J'ai eu l'occasion de discuter avec une jeune maman, Magalie. Elle a pris des vacances pour ses enfants. Elle a téléphoné au service de remplacement deux mois plus tôt, en espérant pouvoir compter sur lui. Il lui a été répondu par l'affirmative. Elle a finalement reçu un appel trois jours avant de partir, lui annonçant que finalement, personne ne pourrait la remplacer. À un moment donné, j'estime nécessaire de bouleverser quelque chose dans ce service de remplacement, qui n'est pas à la hauteur des demandes sur le terrain. Pour les futures mamans, il va réellement falloir revoir ce dispositif. Je ne dis pas du tout que les salariés ne sont pas compétents. Ils sont à mon sens trop peu nombreux. Je conçois de plus qu'il n'est pas possible d'être polyvalent sur toutes les agricultures. Il n'existe en effet pas une agriculture, mais des agricultures, avec des agriculteurs, des fermes différentes.
Je poserai un autre problème. Lorsque vous êtes seul sur votre exploitation, il peut arriver que vous soyez arrêté du jour au lendemain, en cas d'hospitalisation par exemple. Ce fut mon cas. Dans cette situation, comment pouvez-vous expliquer au service de remplacement où se trouve l'eau, comment soigner les vaches, quelle bête rencontre des soucis et doit recevoir des antibiotiques ou de l'homéopathie ? Parfois, ce dispositif fait face à des problèmes de terrain. Je préfère insister sur ce sujet.
Je ne dirai pas qu'il s'agit uniquement d'un problème de service de remplacement. Les agriculteurs sont aussi un peu coupables. Certains sont encore très frileux pour confier leur exploitation à une personne étrangère. Ils doivent accepter que quelqu'un d'autre puisse travailler chez eux.
Il est vrai qu'il n'y a normalement aucun reste à charge en cas de maternité. Ce zéro reste à charge s'applique toutefois sur une semaine de 35 heures. Or qui travaille 35 heures par semaine dans l'agriculture ? Personne. En exploitation de vaches allaitantes, nous nous approchons davantage de 70 heures de travail hebdomadaires. Le reste à charge demeure donc !
Il existe des solutions. En Haute-Savoie, une agricultrice a réussi à obtenir un mi-temps et demi sur son exploitation pour faire ses fromages. Il est important d'observer le terrain et ses réalités, de s'intéresser aux besoins concrets des agricultrices lors de leur congé maternité. La MSA devrait éventuellement s'approcher du terrain et traiter les situations au cas par cas. Si un type d'agriculture nécessite un certain nombre d'heures de travail par semaine, le zéro reste à charge devrait y être adapté.
Je pense avoir fait le tour de la question en matière de congé maternité. Je vais désormais évoquer la garde des enfants, en me servant de mon expérience personnelle. J'ai eu des jumeaux et une petite fille. Pour m'en occuper, j'ai fait appel à l'ADMR (Aide à domicile en milieu rural) le vendredi et le soir, à la halte-garderie du village voisin, à douze kilomètres de chez moi, et à une nourrice. J'avais donc trois modes de garde différents pour mes enfants. J'ai dû effectuer une vraie gymnastique, et je ne suis pas la seule. C'est très compliqué. Le personnel de l'ADMR est vieillissant. Ce service rural peine à recruter et à garder ses recrues sur du long terme. C'est un vrai problème sur les territoires. Il est primordial de trouver des solutions pour aider les agriculteurs et agricultrices à faire garder leurs enfants.
Vous évoquiez les formations pour les agricultrices. Il en existe déjà en Vendée. Le Covid, s'il a évidemment eu des impacts négatifs, a également eu un effet positif. Je parle bien entendu du développement de la visioconférence. Il existe des formations à distance permettant de se retrouver physiquement une fois par mois, par exemple. Le présentiel permet aux femmes de sortir de leur exploitation, tandis que le distanciel permet d'alléger leur charge en termes de transport et de vie familiale. Nous, les agricultrices, prenons en effet à notre charge la maison, les enfants, la ferme, mais nous souhaitons également nous engager dans diverses associations. Nous devons gérer des charges très importantes au quotidien. Nous commençons à être aidées par nos maris, les mentalités des jeunes époux étant différentes de celles des générations plus anciennes. Les agriculteurs un peu moins jeunes commencent eux aussi à changer, nous le voyons. Nous ne devons pas regarder uniquement le côté négatif. Les mentalités évoluent. Les hommes souhaitent également s'impliquer dans l'éducation des enfants. Le pas est franchi, mais nous aurons encore besoin de quelques années pour que ces changements soient effectifs. À la sortie de l'école primaire, je ne vois toujours aucun papa. C'est encore cela, la réalité du terrain.
Annick Billon, présidente . - Merci beaucoup de ce témoignage inspiré du terrain et du vécu. Nous le remarquons, la répartition des rôles reste stéréotypée dans le milieu de l'agriculture.
Pour clôturer cette table ronde, je vais laisser la parole à Béatrice Martin. Laure Darcos, souhaitez-vous poser une question avant cette intervention ?
Laure Darcos . - Nos interlocutrices répondent de manière assez complète à nos problématiques. Je m'occupais du rapport de la délégation sur les retraites des femmes et je regrette simplement que nous soyons au milieu du gué. J'ai été très sensible à ce qui s'est dit aujourd'hui, et j'espère que nous pourrons poursuivre nos travaux. L'année dernière, nous avons travaillé en profondeur. Nous souhaitions bien entendu approfondir la question des statuts et la situation des agricultrices, sujet majeur. Je salue votre courage.
Annick Billon, présidente . - Merci. À vous, Madame Martin.
Béatrice Martin . - Bonjour à toutes et à tous. J'articulerai mon intervention autour des thèmes de la santé, de la charge mentale, du congé maternité, et enfin des femmes d'agriculteurs n'étant pas agricultrices. Ne les oublions pas.
Nous l'avons dit, les métiers de l'agriculture sont souvent représentés comme masculins. Les femmes ne sont donc reconnues que lorsqu'elles sont égales aux hommes sur des postes égaux. Nous sommes considérées si nous montons sur un tracteur, pas si nous gérons la comptabilité, le planning de découpe de viande ou la fromagerie. Nous subissons de ce fait une pression sur notre santé, car nous avons le devoir d'être l'équivalent de l'homme. Comme l'a très bien dit Mme Gautier, nous n'avons pas la même morphologie, ni les mêmes besoins en termes d'ergonomie, d'outils et d'aménagement. Ces éléments conduisent à des problèmes de santé récurrents. Un rapport a montré que les accidents du travail étaient moins nombreux chez les femmes, mais que nous étions touchées par davantage de maladies professionnelles musculo-squelettiques. Au travers de discussions, j'ai réalisé que nous étions nombreuses, dans l'agriculture, à être opérées pour des descentes d'organes. Personne ne nous en parle.
Ces problèmes de santé nous conduisent à réaménager nos postes. Lorsque nous ne pouvons plus porter les mêmes charges ou travailler de la même manière, nous nous sentons dépossédées de certaines tâches. Si nous installons un robot de traite, les femmes en sont exclues, car l'informatique est réservée aux hommes. Il faut croire que nous n'avons pas assez de compétences dans le domaine. Nous sommes écartées de certains postes de notre métier en raison de nos problèmes de santé. Il pourrait être proposé de dispenser davantage d'informations concernant notre morphologie ou notre vieillissement. Ayant eu quatre enfants, ma ceinture pelvienne a été fortement sollicitée.
Les femmes nous indiquaient que les salariés font souvent l'objet de contrôles pour constater l'adaptation de leur travail à leur situation. Les salariés agricoles sont concernés, mais plus les chefs d'exploitation. Nous recevons simplement un courrier nous invitant à consulter notre médecin traitant au bout de cinq ans. Celui-ci se trouve parfois à vingt-cinq ou trente kilomètres de notre domicile. Ce n'est pas notre priorité. Nous n'y pensons pas. Nous avons, nous devons le reconnaître, une culture de sacrifice. Nous passons toujours après nos animaux, après nos enfants. Prendre soin de nous-mêmes n'arrive qu'en dernier lieu.
Abordons à présent la charge mentale. La bande dessinée présentée par Céline tout à l'heure comporte une page représentant une femme sur un tracteur. Dans sa tête, elle pense au rôti à décongeler pour le repas du soir, à la déclaration TVA à envoyer avant la date butoir, à sa mère qui devrait garder les enfants durant quinze jours cet été, pendant la moisson, à la réinscription de sa fille Léa au foot, seule activité de la commune, à la réunion parents-profs au lycée se situant à trente-cinq kilomètres - elle devra voir si son mari peut s'occuper des chèvres pour qu'elle puisse s'y rendre - et, zut, elle a des boutons sur les pieds, elle a sûrement une mycose, mais ne sait pas à quel moment elle pourra placer un rendez-vous chez le médecin. Cette représentation s'approche du quotidien de ces femmes !
Je voulais apporter mon témoignage, vécu durant le confinement. Mon mari était souvent au hangar, juste à l'extérieur de la maison, pour trier les semences. J'étais moi-même dans la maison, en train d'établir mon planning de découpe de viande. Mon fils est descendu pour me demander de faire ceci, cela. Je lui ai indiqué que ce n'était pas possible puisque j'étais en train de travailler, et qu'il demande à son père. Il m'a répondu « mais non, papa travaille ». Quand je lui ai demandé si moi, je ne travaillais pas, il m'a répondu par la négative, car j'étais à la maison. Dans beaucoup de fermes, les bureaux se trouvent dans l'habitation. Lorsque nous sommes dans notre maison, les agents extérieurs et périphériques considèrent que nous ne travaillons pas. Nous n'avons pas, à cet instant, la fonction « travail ». Lorsque nous demandons à la banque de nous prêter de l'argent pour acheter un tracteur, elle accepte. Lorsque nous lui adressons la même demande pour des bureaux à l'extérieur, elle est plus réticente.
Nous constatons en outre que la MSA peut nous fournir des aides à destination des bâtiments ou de l'élevage. Elles concernent toujours l'aspect production. Demander une aide pour construire une pièce extérieure à la maison, dans laquelle réaliser les tâches administratives, est plus compliqué. J'émets donc cette proposition qui permettra d'alléger la charge mentale des femmes : lorsque je suis à l'extérieur de la maison, je travaille.
Sur les congés maternité, je rejoins les propos de ma collègue pointant un problème de compétences. Nous pouvons trouver du monde pour monter sur un tracteur ou soigner les animaux, en regroupant parfois plusieurs exploitations. Nous trouvons moins de personnel pour classer les factures et les envoyer chez le comptable. Il n'y a personne pour préparer la vente et nous remplacer sur le marché !
Le délai de carence des indemnités journalières est de sept jours. Récemment, une femme m'indiquait que son mari s'était ouvert la main en pleine période des foins. Le couple a donc embauché quelqu'un pour le remplacer. Il ne pouvait toucher d'indemnités journalières de 24 euros qu'après sept jours. Les foins étaient terminés après ce délai. Cette carence d'une semaine n'est peut-être pas adaptée à l'agriculture. Lorsque nous avons besoin de quelqu'un, nous en avons besoin tout de suite et pas dans sept jours.
Enfin, nous ne parlons pas suffisamment des femmes d'agriculteurs travaillant à l'extérieur. Nous l'avons dit, l'agriculture est un projet de vie. La femme travaillant à l'extérieur est aussi, de manière indirecte, concernée par la ferme et ses activités. Je suis toujours dépitée d'entendre, lorsqu'une exploitation affronte des difficultés financières, que la femme devrait travailler à l'extérieur pour ramener du revenu. Elle peut trouver un emploi de service, dans une maison de retraite, faire des ménages. La femme devient la variable d'ajustement des problèmes financiers rencontrés à la ferme.
Les femmes travaillant à l'extérieur et devant télétravailler sont les premières victimes de l'éloignement du milieu rural, de la perte de services publics, de l'éloignement des écoles et activités pour les enfants. Lorsqu'on nous parle de télétravail, encore faudrait-il que nous disposions de l'informatique nécessaire, et notamment de la fibre. Or celle-ci ne couvre pas l'ensemble du territoire. Une femme m'a indiqué qu'elle retournait travailler en présentiel, car elle ne bénéficiait pas de moyens informatiques suffisants pour télétravailler à la ferme.
Mes collègues ont indiqué que les femmes agricultrices avaient dû quémander pour faire valoir leurs droits durant la crise Covid et pour être vues comme des professions essentielles. Comme les infirmières, elles ne pouvaient pas emmener leurs enfants partout. J'ai vu des femmes porter leur bébé en écharpe pendant la traite. Je tiens à signaler que les enfants dans le monde agricole endossent parfois le rôle d'un salarié, très tôt. Durant la pandémie, les marchés ont fermé, comme certains magasins. Il a été demandé aux agriculteurs de compenser ces fermetures pour continuer à nourrir la population. Il n'a pas été possible d'ajouter des services sans augmenter les prix. À la ferme, nous faisons de la vente directe. Nous avons demandé à nos enfants de nous aider, pour offrir ce service sans répercuter une hausse des prix sur les consommateurs.
J'aimerais que la MSA se penche sur le sujet des enfants d'agriculteurs souffrant de problèmes de santé, car ils sont amenés à travailler beaucoup plus tôt que dans d'autres professions. Merci.
Annick Billon, présidente . - Merci pour ce panorama des situations vécues dans les territoires. Nous sommes arrivés à la fin de cette table ronde. Je tiens à remercier l'ensemble des participantes et participants de cette matinée.
J'ai été très heureuse de participer à cette table ronde. Vous avez parlé de culture du sacrifice, mais nous voyons, au travers de vos témoignages, que vous avez également une culture de l'amour, de l'attachement à ce que vous faites. Vous défendez avec énergie votre travail et votre envie de poursuivre votre activité dans le domaine agricole. Nous le remarquons systématiquement lorsque nous auditionnons des agriculteurs et agricultrices. Vous êtes profondément attachés au métier et aux valeurs qu'il porte.
Vous avez parlé de télétravail. Il serait très inquiétant d'estimer qu'il n'a pas de valeur, au regard du nombre de personnes travaillant désormais depuis leur domicile, à tous les stades et dans toutes les professions.
J'imaginais, à l'écoute des difficultés dont vous nous avez fait part, qu'il serait intéressant de réfléchir à des tiers lieux adaptés pour la comptabilité. Ils permettraient de connecter des femmes entre elles sur des tâches administratives telles que la TVA, les déclarations d'impôts, les subventions... Cela pourrait être une piste de réflexion dans les territoires comptant suffisamment d'exploitations agricoles.
J'ai noté un autre élément fort de vos interventions : la mobilité. Elle constitue une réponse à de nombreuses problématiques, que ce soit la santé, les gardes d'enfants ou la formation - si le distanciel représente une alternative intéressante, les formations physiques restent importantes. Nous savons, Madame, que le territoire national est loin d'être couvert en totalité. Ce sujet, parmi d'autres, est régulièrement porté dans l'hémicycle par un sénateur en particulier, Patrick Chaize.
Je vous remercie tous et toutes, et vous souhaite une excellente journée. Nous allons poursuivre ce dossier avec les huit rapporteurs. Nous ne manquerons pas de vous faire connaître nos propositions.
Table ronde sur la
mobilité au coeur de l'articulation
des temps de vie des femmes dans
les territoires ruraux
(24 juin 2021)
Présidence de Mme Annick Billon, présidente
Annick Billon, présidente . - La délégation aux droits des femmes a décidé de procéder, en 2021, à un bilan de la situation des femmes dans les territoires ruraux. Elle aborde des sujets aussi divers que l'orientation scolaire et universitaire, l'emploi, l'entrepreneuriat, l'engagement politique et associatif, la santé ou encore la lutte contre les violences.
Lors de nos auditions et tables rondes, une problématique récurrente nous est apparue : celle de la mobilité. En effet, les difficultés de mobilité en zone rurale sont lourdes de conséquences pour les femmes. Elles signifient un accès plus compliqué à l'emploi, aux services publics, aux offres de soins, aux modes de garde des enfants, aux associations et aux loisirs. La mobilité est à l'intersection de tous les sujets qui touchent de près les femmes vivant en zones rurales. Elle est au coeur de l'articulation des temps de vie des femmes dans les territoires ruraux. C'est pourquoi nous avons décidé d'en faire le thème de notre table ronde ce matin.
La délégation a désigné une équipe de huit rapporteurs associant tous les groupes politiques de notre assemblée et représentant des territoires aussi divers que la Vienne, la Drôme, la Lozère, le Rhône, les Hautes-Alpes, la Haute-Garonne, le Finistère et la Dordogne.
Je rappelle que cette réunion fait l'objet d'un enregistrement vidéo, accessible en ce moment même sur le site Internet du Sénat puis en VOD.
Nous sommes heureux d'accueillir ce matin Mmes Claire Caminade et Céline Drapier, représentantes de la Fédération nationale des Centres d'information sur les droits des femmes et des familles (FNCIDFF) ; Corinne Mérand Leprêtre, cheffe de service « Réseau transports des Alpes-de-Haute-Provence et Hautes-Alpes » à la région Provence-Alpes-Côte d'Azur ; Sylvie Landriève, co-directrice du Forum Vies Mobiles ; Agnès Lacassie-Dechosal, médecin départemental de PMI, directrice adjointe de la Direction Enfance-Famille du département de la Haute-Savoie ; Florence Duviallard et Valérie Bernardoni, représentantes de la fédération nationale Familles rurales et Karine Babule, chargée de mission à l' Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (ANACT).
Nous avons souhaité vous entendre et échanger avec vous sur les sujets de mobilité et d'articulation des temps de vie. Notre objectif est bien sûr de connaître vos analyses sur ces sujets mais aussi, et surtout, vos recommandations et les solutions concrètes que vous avez pu mettre en place ou dont vous pouvez avoir connaissance. L'un des objectifs de notre rapport est en effet de mettre en avant des initiatives locales innovantes afin d'en proposer la diffusion à plus grande échelle.
Premier axe de notre réflexion aujourd'hui : la mobilité comme enjeu d'accès à l'emploi, aux services publics et aux loisirs.
À titre liminaire, je vous indique que nous sommes intéressés par les données genrées dont vous pourriez disposer sur les différences de pratiques de mobilité entre femmes et hommes, souvent mal documentées sur le plan statistique.
Nous le savons, les zones rurales sont le territoire de l'automobile. Elle représente 80 % des déplacements en zone rurale, contre 34 % dans l'agglomération parisienne par exemple. Disposer d'une voiture peut souvent y constituer un critère d'embauche et, comme nous l'avions souligné en 2016 dans un rapport de la délégation sur les femmes et l'automobile, la voiture constitue un enjeu de lutte contre la précarité, d'orientation professionnelle et de déconstruction des stéréotypes. Or les femmes y ont globalement moins accès, 80 % d'entre elles ont le permis de conduire contre 90 % des hommes. Lorsqu'un ménage possède une voiture, c'est principalement l'homme qui l'utilise. Il s'agit donc, d'une part, de faciliter l'accès des femmes au permis de conduire et à l'achat de véhicules, d'autre part, de développer des alternatives à la voiture.
Un premier volet de solutions concerne l'accès aux transports en commun. Cependant, les transports publics desservent de moins en moins de communes rurales. Comment maintenir des dessertes et/ou développer des solutions intermodales ? Que fait par exemple la région Sud en la matière ?
En outre, alors que les deux tiers des passagers des transports en commun sont des femmes, leurs habitudes de déplacement ne sont souvent pas prises en compte dans la planification des transports. Les femmes effectuent 75 % du travail domestique et cela affecte leurs besoins en déplacement. Alors que les trajets des hommes sont essentiellement des trajets domicile-lieu de travail, les femmes multiplient et enchaînent les trajets, vers leur lieu de travail, les commerces, les écoles, les personnes de l'entourage à aider, etc. Avez-vous des recommandations pour mieux prendre en compte ces besoins spécifiques ?
Au-delà des transports publics, quelles formes alternatives de mobilité envisager ? Avez-vous connaissance d'initiatives efficaces, par exemple de covoiturage, d'auto-partage ou de transport à la demande ?
Enfin, si la mobilité des femmes est limitée, une autre solution consiste à installer au plus près et faire venir à elles, via des modalités itinérantes, les services publics, les gynécologues, les structures d'accueil des jeunes enfants, ou encore des tiers lieux.
Nous espérons pouvoir échanger sur tous ces sujets.
Claire Caminade, représentante de la Fédération nationale des Centres d'information sur les droits des femmes et des familles (FNCIDFF) . - La FNCIDFF, Fédération nationale des Centres d'information sur les droits des femmes et des familles, assure la direction stratégique de 104 CIDFF répartis sur tout le territoire métropolitain et ultramarin. Les CIDFF exercent une mission d'intérêt général qui leur est confiée par l'État. Ils ont pour objectif de promouvoir l'égalité entre les femmes et les hommes ainsi que l'autonomie sociale et professionnelle des femmes en leur permettant l'accès aux droits, en luttant contre les violences sexistes et sexuelles, en les accompagnant vers l'emploi, en intervenant sur les thématiques de la conjugalité, de la parentalité, de la santé ou de l'éducation. Les domaines d'intervention sont très vastes et varient selon les territoires.
Pour être au plus près du public, les CIDFF animent des permanences. En 2020, nous avons dénombré plus de 2 000 lieux de permanence, dont 403 sont installés dans des territoires ruraux, dans des mairies, des centres communaux d'action sociale ou des maisons de service au public.
Au niveau de la FNCIDFF, le thème de la ruralité, de la mobilité des femmes et de l'emploi est abordé depuis longtemps. Nous avions participé en 2017 aux travaux menés par le Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET) sur les freins à l'emploi des femmes en milieu rural, visant à mieux identifier ces freins, qu'ils soient directs ou indirects, et à repérer les solutions innovantes mises en place dans les territoires. Ce travail avait fait l'objet d'une contribution insérée en annexe du rapport du CGET. Nous avions également mené un projet financé par le CGET et la CNAF (Caisse nationale d'allocations familiales). Ce projet intitulé « Fais ! » (Femmes Actrices de leur Insertion dans les Territoires Ruraux) a pu être expérimenté sur deux territoires, l'Aisne et le Cantal. Il visait à rendre les femmes actrices de l'insertion sociale et professionnelle dans les territoires ruraux, en dressant un diagnostic de l'offre existante en matière d'accompagnement vers l'emploi ou vers la formation. Il listait également tous les moyens permettant d'accéder aux centres de formation ou aux dispositifs d'accompagnement vers l'emploi, avant d'émettre des préconisations sur des dispositifs à mettre en place au niveau de la commune pour les élus.
Enfin, la FNCIDFF a déjà été auditionnée, dans le cadre de vos travaux, lors d'une table ronde consacrée aux violences faites aux femmes en milieu rural.
Pour les besoins de notre audition aujourd'hui, nous avons questionné les CIDFF. Seuls 32 des 85 centres interrogés ont répondu, en raison des délais très courts. Nous avons également reçu des remontées par le biais de la commission « Emploi et création d'entreprises », concernant douze CIDFF, et d'un projet national mené depuis plus de trois ans, TouteSport , auquel ont participé une vingtaine de CIDFF.
Céline Drapier, représentante de la Fédération nationale des Centres d'information sur les droits des femmes et des familles (FNCIDFF) . - Il ressort de cette enquête que les freins à la mobilité sont évidemment exacerbés en milieu rural. Ils sont corrélés à d'autres freins qui viennent entraver la capacité des femmes à mettre en oeuvre une démarche de changement visant une plus grande mobilité.
En premier lieu et sans surprise, l'absence de transport pour rejoindre les gares ou le lieu de travail est citée comme frein principal. Vient ensuite l'absence de permis de conduire et de véhicule personnel. Le fait que les femmes ne disposent pas du permis doit évidemment être mis en lien avec les difficultés économiques pour le financer et, à terme, entretenir le véhicule. Il questionne également l'impact des stéréotypes de genre. En zone rurale, les jeunes filles n'ont pas les mêmes opportunités que les jeunes garçons, jugés plus compétents pour conduire sur des routes dites « dangereuses » et pour intervenir en cas de panne. Elles sont donc moins encouragées à passer le permis. Très tôt, elles intègrent le fait que la conduite n'est pas pour elles.
L'un des enjeux majeurs, en lien avec la mobilité et renforcé par la crise sanitaire, reste l'isolement de certaines femmes dans les territoires ruraux. Confrontées à une situation inédite, elles ont parfois renoncé à chercher du travail. Elles surinvestissent alors leur place à la maison. Trois types d'actions ont été menés à la suite de la crise sanitaire, à partir du premier confinement, pour rompre cette forme d'isolement qui a commencé à se développer.
Certains CIDFF ont renforcé le déploiement de leurs permanences en milieu rural. C'est le cas du CIDFF du Lunévillois qui a mis en place trois nouvelles permanences animées par deux chargées d'insertion socioprofessionnelle au sein de maisons de services au public et au sein de maisons de Familles Rurales . Elles reçoivent les personnes au plus proche de leur domicile, en entretiens individuels mais aussi lors de temps collectifs permettant de travailler sur des freins spécifiques tels que la mobilité et l'articulation des temps de vie. Les femmes suivies sont majoritairement des femmes élevant seules leurs enfants et qui ne sont pas originaires de leur commune de résidence. Elles ont été amenées à y emménager en raison de loyers plus faibles, eu égard à leur situation économique - la plupart touchent le RSA.
Dans la continuité des lieux éphémères créés pour lutter contre les violences faites aux femmes pendant le confinement, le dispositif Nina et Simon.e.s a été créé en juillet 2020 par la Direction régionale aux droits des femmes et à l'égalité de la préfecture des Hauts-de-France. Il regroupe dix associations, dont le CIDFF du Nord. Il permet un accueil gratuit et confidentiel autour des questions d'égalité hommes-femmes, de la vie affective et sexuelle, de la vie de couple, des droits, de l'insertion professionnelle, de la violence, mais aussi de l'isolement. Il est en cours au sein du centre commercial de Villeneuve-d'Ascq. À partir de ce dispositif s'est développée une nouvelle initiative expérimentale unique en France. Depuis le mois de février, En voiture Nina et Simon.e.s , un point d'écoute itinérant, porté par le CIDFF et l'association Solfa au sein d'une camionnette jaune, se déplace de village en village afin d'offrir conseils, écoutes et orientations sur les thématiques citées.
Enfin, beaucoup de CIDFF sont engagés dans les programmes Maisons digitales : agir pour l'autonomie de la Fondation Orange. Certains envisagent de développer, dès la rentrée de septembre, des permanences dans les territoires pour mettre en place des cycles numériques organisés de façon collective autour de grands thèmes tels que l'apprentissage des bases informatiques, la prévention de la cyberviolence, l'accès aux droits et l'insertion professionnelle. Nous reparlerons certainement dès le mois de septembre de la caravane numérique.
Ces trois exemples démontrent combien il est important de venir au plus près des territoires afin de travailler sur l'ensemble des freins et de permettre aux femmes d'accéder à une plus grande autonomie. L'approche globale, à travers la prise en compte des questions de santé, des difficultés administratives, des problèmes de garde d'enfant, de couple ou d'autres difficultés familiales, peut permettre d'accompagner la mobilité des femmes.
Le sport peut également être un très bon médiateur sur la question de l'insertion professionnelle et de la mobilité. Nous avons développé depuis 2016 l'action TouteSport . Ce programme, déployé sur plusieurs régions, permet au travers de nouvelles pratiques d'insertion professionnelle d'explorer d'autres pistes d'autonomisation en intégrant le sport dans les outils d'accompagnement des femmes vers l'emploi. C'est un projet souple et flexible, construit avec et en fonction des attentes des groupes de femmes, des réalités de terrain ou des territoires, et des objectifs spécifiques gérés par les équipes du CIDFF. La pratique sportive devient alors un médiateur pour explorer la culture, les loisirs, son territoire, et questionner son employabilité. C'est ainsi que certains projets peuvent intégrer la problématique de la mobilité à travers l'accès aux loisirs. Au sein du CIDFF de la Seine-Maritime, qui travaille avec le club nautique de Dieppe et le centre social Saint-Nicolas d'Aliermont, la mobilité a été organisée pour permettre la pratique sportive et l'accès aux événements sportifs. C'est ainsi que le centre social met à disposition un bus pour emmener les participantes au projet de Saint-Nicolas vers le club nautique de Dieppe. Le bus a également permis d'accompagner les participantes à des événements culturels ou sportifs, comme à un match de la Coupe du monde de football féminin en juin 2019. Certains CIDFF, dont celui de l'Ardèche par exemple, travaillent avec des plateformes de mobilité sur leur territoire. Les bénéficiaires ont la possibilité de réaliser des bilans de compétences mobilités afin d'évaluer leurs freins et capacités, d'identifier leurs besoins et engagements dans la démarche. La plateforme peut ensuite proposer un module de découverte de conduite.
D'autres projets portés par les CIDFF intervenant dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) sont actuellement à l'étude pour être déployés dans les territoires ruraux. C'est le cas notamment au sein du CIDFF du Puy-de-Dôme qui, grâce à une subvention du conseil départemental, a pu acheter deux vélos électriques, deux vélos classiques et un scooter électrique. En lien avec la plateforme de mobilité, dix ateliers de prise en main et trois ateliers théoriques ont été organisés. Ces vélos et scooters pourront ensuite être mis à disposition des femmes pour lever les freins à la mobilité dans le cadre de futurs entretiens d'embauche, de prises de postes et d'entrées en formation.
Sur la question de l'insertion professionnelle, la problématique des modes de garde reste très prégnante. Lorsqu'ils existent, ces modes de garde peuvent être éloignés des lieux de travail ou de formation, ce qui vient allonger les temps de trajet entre domicile et travail. Leurs horaires sont en outre majoritairement inadaptés aux personnes travaillant le week-end ou en horaire atypique.
Il convient également de souligner le frein psychologique observé chez beaucoup de femmes, qui est à mettre en lien avec leur isolement, pour confier leur enfant à un tiers. Cela peut s'avérer difficile et douloureux. Certaines familles peuvent également considérer que les modes de garde sont trop onéreux ou complexes. C'est le cas des parents employeurs qui ont souvent peur du travail administratif engendré par le recours aux assistantes maternelles. Dans ce cadre, il paraît important de travailler sur ce frein psychologique avant même de rechercher une solution de garde. Le CIDFF du Cantal coordonne un dispositif innovant permettant aux parents en recherche d'emploi de s'autoriser, même ponctuellement, à utiliser un mode de garde adapté pour leur enfant. Partis du constat que l'interface Ma cigogne , permettant de réserver des places en crèche depuis Pôle Emploi, ne fonctionnait pas de manière optimale, la CAF, Pôle Emploi et le CIDFF ont identifié la nécessité d'accompagner plus en amont les parents. Pour garantir le succès de la démarche d'insertion professionnelle, il convient de mettre en place un accompagnement permettant aux parents de se projeter dans un mode de garde adapté pour leur enfant, en considérant que la séparation ne s'improvise pas, mais se prépare.
Dans la Drôme, le CIDFF est mobilisé sur un dispositif Partage (Partenariat, action, retour au travail et aide à la garde d'enfant). Ce dispositif, financé par la DES et la CAF, vise à renforcer le travail entre les professionnels de la petite enfance et ceux de l'insertion. Ils travaillent ensemble à la recherche de partenariats, notamment à partir de situations concrètes de besoins de garde non satisfaits. La conseillère du CIDFF accompagne l'ensemble des bénéficiaires orientés par les structures d'insertion et les aide à mieux comprendre les solutions de garde, à monter leur projet de demande en crèche, à identifier des assistantes maternelles à proximité. Elle peut même tenir des entretiens avec les parents et mener leurs démarches administratives. Elle anime également plusieurs groupes de travail sur plusieurs territoires de la Drôme, avec des professionnels de la petite enfance et de l'insertion. Dans ce cadre, un pointage régulier de l'offre de formation, de la situation de l'emploi et des modes de garde existants est réalisé. Sont par exemple mises en rapport les dates de démarrage de formations et les places disponibles en crèche, ce qui permet d'identifier les besoins et de rechercher des solutions, le cas échéant.
Nous avons également pris le temps d'analyser la situation des nouvelles formes d'emploi et des modes d'exercice de l'emploi. Interrogés sur le sujet, les CIDFF plébiscitent l'économie sociale et solidaire via le développement de structures favorisant la mobilité (garages solidaires ou auto-écoles sociales et solidaires). Le télétravail et la création d'entreprises ont également été étudiés. La crise sanitaire a démontré que ces deux formes de travail demandent une réelle vigilance quant au risque d'isolement et de charge mentale qu'elles peuvent renforcer auprès des publics installés dans les territoires ruraux.
Enfin, interrogés sur les pratiques de mobilité innovantes sur le territoire, les exemples de plateformes de covoiturage restent les plus cités par les CIDFF.
Pour conclure notre présentation, la FNCIDFF propose de penser la mobilité des femmes à travers trois axes :
- développer une offre de services de proximité (maisons de services, bus itinérants, crèches mobiles) afin de rompre l'isolement et de prévenir les risques ;
- accompagner la mobilité et l'égalité entre les hommes et les femmes en sensibilisant dès le plus jeune âge aux enjeux de déplacement et en intégrant dans le parcours scolaire l'apprentissage de la compétence mobilité ;
- faciliter l'articulation des temps de vie en incitant les entreprises à financer des places en crèche et en les accompagnant davantage dans la recherche de solutions de mobilité pour leurs salariés.
Corinne Mérand Leprêtre, cheffe de service « Réseau transports des Alpes-de-Haute-Provence et Hautes-Alpes » à la région Provence-Alpes-Côte d'Azur . - Nous parlons ce matin de la mobilité autour de l'articulation des temps de vie des femmes en territoires ruraux. Je vais vous parler de transports scolaires et des difficultés liées à leur mise en place dans les territoires ruraux. Cette mise en place de transports scolaires a inévitablement un impact sur l'emploi du temps des femmes ou, plus généralement, du conjoint restant à la maison pour s'occuper des enfants. À partir d'exemples concrets, je vais vous présenter les difficultés rencontrées dans les territoires et les recommandations ou solutions à étudier pour améliorer l'efficience de ces modes de transport.
La région Provence-Alpes-Côte d'Azur est compétente en matière de transport scolaire régulier depuis les transferts issus de la loi NOTRe. Pour ma part, j'exerce sur le territoire des Hautes-Alpes, département classé en zone montagne. Il dénombre 140 000 habitants, pour une densité moyenne de 23,56 habitants par kilomètre carré mais cette densité peut descendre à 4,2 habitants dans certains secteurs très ruraux. La moyenne d'âge de la population y est élevée.
Cela a été dit, certaines familles s'installent en territoire rural pour des raisons sociales. Elles n'ont souvent qu'un seul véhicule par couple. Il est utilisé par le conjoint qui travaille. Leur domicile est éloigné des centres urbains et des services que l'on peut y trouver : santé, travail, commerces et école. Ce constat est partagé et a déjà fait l'objet d'études sur lesquelles je ne reviendrai pas.
Le transport scolaire pourrait constituer un outil pour libérer du temps de vie aux femmes. Lorsqu'il existe, il leur permet d'avoir du temps à consacrer à elles-mêmes ou à d'autres activités.
Cependant, il est de plus en plus complexe à organiser pour différentes raisons :
- l'éloignement des centres opérationnels des transporteurs, qui induit un nombre élevé de kilomètres à parcourir avant d'arriver dans les villages reculés ;
- la géographie du territoire en vallée, qui rend difficiles les regroupements d'élèves dans un seul véhicule ;
- le faible nombre d'enfants à transporter en raison de la faible densité de population ;
- la difficulté à recruter du personnel qualifié.
Le déficit de conducteurs est un vrai sujet pour la profession. Dans le secteur géographique du Rosanais, j'ai été sollicitée par un élu pour mettre en place un circuit de transport pour trois enfants. Il existait déjà un circuit, auquel j'aurai pu ajouter les trois enfants concernés. Malheureusement, j'aurais alors dépassé la limite de huit élèves dans le véhicule. Le conducteur ne disposait pas du permis D (transport en commun), mais uniquement du permis B.
En effet, les transporteurs ne trouvent pas de candidats titulaires du permis D adéquat, et ce pour plusieurs raisons. Le transport scolaire occupe tout au plus une heure le matin et une heure le soir. Il conduit à des contrats précaires, qui eux-mêmes ne favorisent pas l'installation de familles dans les zones rurales. En outre, le permis D coûte environ 2 500 euros, ce qui n'est pas négligeable. La moyenne d'âge des conducteurs est aujourd'hui supérieure à 50 ans. Par le passé, les hommes pouvaient passer leur permis lors de leur service militaire. Ce n'est plus le cas. Ils doivent désormais le financer eux-mêmes, ce qui représente un réel problème.
Pour pallier ce déficit de personnel de conduite, la région PACA, la Fédération nationale de transport de voyageurs (FNTV) et l'AFTRAL (Apprendre et se Former en TRAnsport et Logistique) de Marseille ont travaillé conjointement pour mettre en place un programme de formation en apprentissage au titre professionnel de conducteur. Malheureusement, cette formation n'a pas pu être mise en oeuvre pour diverses raisons. Premièrement, son ouverture rapide a laissé moins de deux mois aux candidats pour s'y inscrire. De plus, les entreprises n'ont pas été très mobilisées pour proposer des contrats aux apprentis malgré la mobilisation forte de la FNTV et de la région. Enfin, le CFA (Centre d'apprentissage) était basé à Marseille et les stagiaires avaient trouvé des entreprises acceptant de les accueillir dans d'autres départements, ce qui supposait une mobilité pour pouvoir aller en cours. Nous n'avons pas pu renouveler cette expérience les années suivantes en raison de la crise sanitaire.
Une avancée a tout de même eu lieu entre-temps. En effet, l'âge minimal d'obtention du permis D, jusqu'alors fixé à 21 ans dans le cadre d'une formation longue et à 23 ans pour une formation courte, est passé à 18 ans depuis le 2 mai dernier, comme l'autorise la réglementation européenne. Nous espérons tous que cela permettra très prochainement d'accueillir de nouvelles recrues. La réforme était très attendue par la profession. Elle va permettre de créer, avec la FNTV et les partenaires sociaux, des filières de formation qui seront présentées à l'Éducation nationale afin d'y ajouter des épreuves de conduite. Ainsi, la formation des jeunes dans le cadre de leur scolarité en CAP leur permettra d'accéder pour la première fois au métier de conducteur de transport en commun. Lorsque les jeunes arrivaient à 21 ans, ils avaient souvent commencé une orientation professionnelle. Ils ne revenaient pas vers le passage du permis D pour se réorienter vers les métiers de la conduite. Le passer à 18 ans semble pertinent dans ce cadre.
Je peux proposer quelques solutions pour pallier le déficit de conducteurs et conserver ainsi un service de transport scolaire sur les territoires :
- s'assurer que la formation présentée au ministère de l'éducation nationale soit validée et qu'elle puisse bien être incluse dans le cursus des formations scolaires ;
- remettre en place les formations proposées par la région PACA, la FNTV (Fédération nationale des transports de voyageurs) et l'AFTRAL (Apprendre et se Former en TRAnsport et Logistique) ;
- envisager une aide pour préparer le permis D, comme cela existe pour le permis B ;
- enfin et surtout, comme nous avons vu que le transport scolaire ne proposait pas suffisamment d'heures de travail au conducteur pour lui verser une rémunération l'incitant à rester sur le territoire, nous devrions pouvoir favoriser un double emploi, une mixité d'emploi. Un conducteur pourrait travailler pour deux ou trois employeurs. Les critères qui autorisent les doubles emplois dans la fonction publique devraient pouvoir évoluer et être élargis à l'emploi de conducteur. Les employeurs locaux pourraient également être incités à autoriser leur personnel à avoir une activité le matin et le soir et adapter les horaires en conséquence, ce qui permettrait une meilleure rémunération de ces conducteurs. Aujourd'hui, ceux qui sont en situation de précarité déménagent avec leur famille et s'orientent vers des centres économiquement plus dynamiques où leur activité pourra être plus rémunératrice.
Je peux vous citer un autre exemple concernant trois enfants pour lesquels nous n'arrivions pas à mettre en place un service de transport scolaire, en raison d'un déficit de conducteurs dans le secteur concerné. Une habitante du bourg se rendait chaque jour à côté de l'école de ces élèves pour son travail. Nous avons décidé de la rémunérer en tant que conductrice pour faire du covoiturage scolaire. Une subvention lui était allouée pour emmener ces enfants à l'école. Après un an, nous avons toutefois arrêté cette expérimentation, qui pouvait s'apparenter à du travail dissimulé. La famille a ensuite déménagé.
Aujourd'hui, la loi d'orientation des mobilités autorise les autorités organisatrices de la mobilité à subventionner des co-voitureurs. Les décrets d'application fixent les conditions dans lesquelles peuvent être réalisés ces co-voiturages. Ils laissent un vide quant aux possibilités offertes pour utiliser ce dispositif dans le cadre du transport scolaire. Dans le cas où un transporteur serait dans l'incapacité de mettre en place un service de transport, est-il possible de recourir à cette possibilité ? Comment des trajets réguliers de transport scolaire peuvent-ils entrer dans ces critères ? Quelles seraient les responsabilités partagées du co-voitureur, du co-voituré et des AOM (Autorités organisatrices de la mobilité), compétentes en matière de transport scolaire ? Nous devrions saisir cette opportunité et aller plus loin dans cette expérimentation, qui doit être encadrée juridiquement pour préciser les responsabilités de chacun.
Ces difficultés en matière de transport scolaire influent nécessairement sur la vie des femmes qui sont obligées d'emmener et d'aller chercher les enfants à l'école.
La région Sud a offert la possibilité sur les territoires des Hautes-Alpes et des Alpes-de-Haute-Provence, principalement ruraux, d'ouvrir les transports scolaires à tous les publics. Chacun peut les emprunter selon un calendrier scolaire et des horaires définis. Cette possibilité n'existe cependant qu'à la condition qu'un service de transports en commun ait pu être mis en place. Si le conducteur n'a pas le permis D et que son véhicule transporte déjà huit enfants, il ne sera pas possible de lui fournir un car de capacité supérieure pour transporter davantage de personnes. C'est un vrai frein dans l'offre de service de transport aux publics à faible mobilité.
La région PACA a également mis en place sur les territoires du Var et des Alpes-Maritimes des TAD, transports en commun sur réservation. Les personnes appellent la veille de leur déplacement pour se rendre à leur destination, selon un trajet défini. Ces TAD représentent un réel coût pour la collectivité. En moyenne mensuelle, nous transportons sur ces deux territoires 118 personnes pour approximativement 1 000 trajets, soit sept trajets par personne en moyenne, pour un coût de 1 300 euros mensuels par personne transportée. Le montant de cette dépense pourrait être mis à profit pour des solutions plus optimisées, moins onéreuses, pouvant satisfaire un public plus nombreux.
Le maintien du transport scolaire est un enjeu essentiel pour les raisons que je viens d'évoquer. Il libère les femmes de leurs obligations quotidiennes et peut offrir à la population locale, féminine ou non, une solution de transport. Il ne peut toutefois être seul. Il doit être accompagné d'autres dispositifs. Les représentants de la FNCIDFF ont déjà évoqué quelques clés.
La non-mobilité peut apparaître comme une solution. Nous pourrions nous appuyer sur les SDAASP (Schémas départementaux d'accessibilité aux services publics) ou sur des initiatives itinérantes de santé ou de commerce. Nous devons toutefois veiller à ce que cette non-mobilité n'entraîne pas un isolement plus problématique.
Il existe aussi des plans de mobilité solidaire, qui doivent être mis en place à l'échelle de chaque bassin de mobilité. Ils pourront également apporter quelques réponses, avec un travail transversal entre les services de mobilité et les services sociaux.
Enfin, nous pourrions nous appuyer sur les réseaux locaux, les maisons de service au public ou les maisons de la mobilité pour recenser et informer sur toutes les possibilités offertes. Il existe parfois des initiatives individuelles, associatives ou collectives peu connues. Il est ardu de les recenser, de les identifier et de les centraliser pour ensuite diffuser l'information.
En matière de mobilité sur nos territoires ruraux, il n'y a pas de solution miracle. Il existe en revanche une somme de solutions. C'est l'un des enjeux pour conserver notre population sur nos territoires et en faire une vraie dynamique économique.
Sylvie Landriève, co-directrice du Forum Vies Mobiles . - Merci de me donner la parole sur cette question importante de la mobilité des femmes dans l'espace rural. Poser le problème, c'est parler d'au moins deux sujets et comparer d'un côté la mobilité des femmes et celle des hommes, et la mobilité au sein de l'espace rural et celle dans les métropoles. J'aimerais ajouter une troisième interrogation : quel schéma de mobilité privilégier dans une perspective de transition écologique et sociale ? C'est le coeur du programme de recherche du Forum Vies Mobiles , l'institut de recherche que je dirige.
Les Français parcourent en moyenne 50 kilomètres par jour. Ils ne peuvent le faire que de façon motorisée. Les femmes parcourent une distance inférieure de 25 % en moyenne. Dans une société où la mobilité est une liberté - peut-être même le droit des droits, comme l'affirme François Ascher, le fait que les femmes se déplacent moins laisse penser qu'il y a un problème à résoudre.
L'espace rural, si nous nous en tenons aux définitions strictes de l'Insee, compte cinq millions d'habitants répartis sur 90 % du territoire. Nous pourrions donc dresser l'hypothèse selon laquelle 2,5 millions de femmes y vivent. Nous pourrions également opter pour une définition beaucoup plus extensive, comme celle donnée par le géographe Xavier Desjardins. Il estime que les communes de moins de 10 000 habitants rassemblent 30 millions d'habitants. Dans ce cas, les femmes seraient au nombre de 15 millions dans ces zones. Au final, entre 2,5 et 15 millions de femmes vivent dans ces espaces plus ou moins ruraux. La mobilité au sein de ces espaces dépend de l'usage d'un véhicule. À ce niveau, même si les innovations et problèmes relevés peuvent être très précis et territorialisés, l'ampleur du sujet appelle peut-être une politique publique générale.
La recherche montre que la mobilité des femmes en zone rurale relève de la « double peine ». C'est à la fois une mobilité de femmes et une mobilité d'espace rural. Qu'est-ce qu'une mobilité féminine ? Il s'agit d'une mobilité plus contrainte car les femmes ont un déficit de compétences et de motilité, pour reprendre le concept utilisé par notre directeur scientifique Vincent Kaufmann. Je ne suivrai pas le professeur au collège de France, M. Berthoz, qui considère que les femmes ont génétiquement moins le sens de l'orientation que les hommes ! Malgré tout, elles sont moins nombreuses à posséder le permis de conduire. L'écart de 10 % de possession du permis entre les femmes et les hommes est tout aussi réel en zone rurale qu'urbaine. 70 % des femmes rurales l'ont contre 80 % des hommes, comme le révèle une étude du centre Hubertine Auclert. Elles sont aussi moins nombreuses à faire du vélo ou de la moto. On parle souvent du permis voiture, mais la question des deux roues motorisées se pose également, tout comme celle du vélo. Nous savons que la mobilité correspond à un bouquet de compétences. Avoir une compétence pour un véhicule favorise l'obtention de la compétence pour les autres.
C'est aussi une mobilité entravée, notamment parce qu'elle est moins individualiste. C'est un problème, mais aussi une solution. La mobilité des femmes s'inscrit souvent dans une chaîne de déplacements, bien plus que la mobilité des hommes. Souvent, nous allons faire les courses après avoir déposé les enfants à l'école, par exemple. C'est aussi aux femmes que sont réservés 75 % des déplacements d'accompagnement des enfants ou des parents. Je cite ici une enquête du Forum Vies Mobiles de 2018. D'une certaine façon, la mobilité des femmes est plus complexe et nécessite plus d'équipements (sièges pour les enfants, aide pour les parents âgés, sacs de courses). Elle est aussi moins sûre. On parle souvent de la question de la promiscuité dans les transports collectifs. On n'y pense pas toujours dans l'espace rural. Malgré tout, la sécurité dans l'espace rural et dans l'utilisation des transports collectifs par les femmes dans ces zones, c'est aussi de pouvoir prendre ces transports quand ils existent, à des horaires inhabituels où on ne se sent pas nécessairement en sécurité. Nous venons d'organiser deux ateliers citoyens portant sur les mobilités de travail. Les femmes présentes y ont toutes abordé la question de la sécurité dans les transports collectifs, alors même que ce sujet n'était pas à l'ordre du jour.
La mobilité est moins libre et donc moins choisie. Je parlais en introduction d'une double peine. La mobilité est également territorialement assez binaire. Pour caricaturer, il y a soit la voiture, soit la marche. Nous savons que les femmes marchent plus que les hommes. Les transports collectifs sont peu nombreux et peu faciles d'accès dans l'espace rural. J'y reviendrai dans les solutions. Ce problème de la mobilité dans ces zones est exacerbé pour la période de la vie active. En milieu rural, huit femmes sur dix ont été contraintes d'abandonner leur travail pour garder leurs enfants en raison d'une absence de structure adaptée. Je cite là aussi une étude du centre Hubertine Auclert.
La mobilité est également moins souple, puisque l'alternative est assez binaire. Les femmes sont deux fois plus nombreuses que les hommes à abandonner la grande mobilité liée au travail, en particulier à l'arrivée d'un enfant.
Vous nous demandiez des solutions. Deux échelles de temporalité doivent être envisagées. Je souscris à tout ce qui a été proposé, je ne vais pas tout reprendre.
À court terme, il est question d'améliorer la mobilité des femmes en améliorant leur formation.
Le permis de conduire est particulièrement difficile à obtenir en France, raison pour laquelle tant de personnes échouent à l'examen. En aucun cas cette difficulté n'entraîne une meilleure sécurité routière. En outre, cet examen est très coûteux. Même si de nombreux dispositifs d'aide à l'accès au permis de conduire existent, cela reste compliqué. Aux États-Unis, il est possible d'obtenir le permis en deux jours et l'accidentologie n'y est pas supérieure à notre pays. Nous devrions peut-être nous interroger sur les raisons des accidents en France. La difficulté à passer l'examen ne semble pas y remédier.
La mobilité implique également une formation à la mécanique. Nous savons qu'il existe de plus en plus d'ateliers de réparation vélo, pratique extrêmement genrée. La conception des espaces publics, y compris pour le vélo, l'est également. Des pistes cyclables sont mises en place pour les vélotaffeurs , des hommes de 20 à 25 ans ayant décidé d'aller travailler en vélo plutôt qu'en voiture, tout en souhaitant aller le plus vite possible. Elles ne sont pas conçues pour être un espace de circulation apaisée dans lequel circuler sereinement à un autre régime de vitesse, notamment avec des enfants. Même à Paris, où il est de plus en plus aisé de faire du vélo, on ne voit aucun enfant. Une façon de décharger les femmes de l'accompagnement des enfants serait pourtant de laisser plus d'autonomie à ces derniers, ce qui implique plus de sécurité. Aujourd'hui, presque aucun réseau ne permet à un enfant de faire du vélo.
Des alternatives existent. Je ne reviendrai pas sur ce qui a été proposé en termes de transport à la demande. L'Ile-de-France a identifié quarante territoires ruraux dans lesquels la région offre un tel service. La région Centre soutient les associations de covoiturage solidaire. Nous connaissons également la possibilité d'obtenir des arrêts à la demande pour ne pas se trouver trop loin de son domicile, en particulier en dehors des horaires habituels. Elle existe plutôt en ville mais nous pourrions la mettre en place à la campagne. Évoquons également l'itinérance de halte-garderie, qui peut soulager les femmes et leur laisser du temps pour autre chose. Je pense ici au Réseau Mille Pattes , développé dans le pays de Brie.
Je souhaite tout de même mettre l'accent sur le fait que l'espace rural mérite de penser un système de mobilité global, à moyen ou long terme car le renouveau des campagnes a commencé. Une étude de l'ancien CGET, désormais ANCT (Agence nationale de la cohésion des territoires), montre que la population dans les campagnes augmente régulièrement depuis plusieurs décennies, avec une exception pour quelques territoires tels que les Hauts-de-France, le Grand Est et une partie de la Bourgogne. Lorsqu'on parle de l'espace rural, on a l'impression qu'il n'en existe qu'un seul. Les solutions à développer dans les espaces à dynamique démographique positive ou négative sont différentes.
Nous avons mené une grande campagne il y a quatre ans sur les aspirations des Occidentaux en termes de déplacement. Huit personnes interrogées sur dix aspirent à ralentir, à changer de rythme de vie, de tempo. Ils aspirent à vivre en plus grande proximité avec la nature, qu'ils vivent en métropole ou à la campagne. D'une certaine façon, la crise sanitaire que nous venons de vivre a révélé ces aspirations. Nous avons vu une partie de la population de grande métropole (Paris, Toulouse, Strasbourg) partir vers l'espace rural stricto sensu , ou au moins vers des villes plus petites ou moyennes. Trois éléments significatifs sont ressortis de cette période :
- le début de la mobilité résidentielle vers des espaces moins denses ;
- le développement de coronapistes en ville. Les femmes représentaient 36 % des cyclistes avant le confinement, elles en représentent depuis 42 %. Cela s'explique par l'abandon de la conception de l'usage du vélo pour les seuls vélotaffeurs , avec un élargissement des voies et une circulation beaucoup plus apaisée ;
- le télétravail.
Nous savons bien qu'il existe une ambivalence dans le télétravail. Malgré tout, le confinement a été une expérimentation extraordinaire. Avant celui-ci, 2 à 5 % de la population française télétravaillait un jour par semaine. Pendant le confinement, 30 % de la population active s'y est mise cinq jours sur cinq. Une personne sur deux souhaiterait que cela dure. Il s'agit bien entendu d'en connaître les limites et de ne pas enfermer, contre leur volonté, des gens qui souhaitent se déplacer le plus librement possible.
Nous sommes en plein coeur des élections régionales. Les régions sont chargées des politiques de mobilité. Nous n'avons pourtant entendu aucun candidat défendre une politique de télétravail, ce qui nous étonne. C'est une politique de mobilité dont la pratique doit être déployée de façon structurée, pour en limiter le développement anarchique.
Enfin, j'invite tout le monde à lire le petit livre extraordinaire de Valérie Jousseaume, Plouc pride , qui montre qu'il est tout à fait possible que l'espace rural soit une solution dans un cadre de transition écologique et sociale. Pour disposer de davantage d'éléments, vous pouvez consulter le site du Forum Vies Mobiles . Nous publierons très prochainement une revue de la littérature académique sur la question de la mobilité des femmes.
Annick Billon, présidente . - Nous en venons maintenant au deuxième axe de notre table ronde : les modes de garde des jeunes enfants, thématique importante dans les territoires ruraux. Il est souvent plus difficile de mettre en place des structures importantes et collectives de garde d'enfants quand la densité de population ne le permet pas. Écoutons immédiatement nos différents intervenants pour dresser des constats, mais surtout évoquer les solutions innovantes ayant été développées dans certains départements. Ce sont parfois des solutions itinérantes, comme c'est parfois le cas pour les soins.
Agnès Lacassie-Dechosal, médecin départemental de Protection maternelle et infantile (PMI), directrice adjointe de la Direction Enfance-Famille du département de la Haute-Savoie . - Je vous propose un petit tour d'horizon de ce qui existe en Haute-Savoie. Je vous montrerai également que certaines solutions qui semblent innovantes peuvent être compliquées à mettre en oeuvre en raison de la crise que nous traversons.
La Haute-Savoie compte 800 000 habitants, sur quatre territoires contrastés :
- le bassin d'Annecy, très urbain, jouxtant des territoires ruraux et des zones de transition urbaine ;
- le Chablais avec deux villes importantes, Évian et Thonon-les-Bains, entourées de territoires ruraux et de montagnes ;
- la vallée de l'Arve, avec des villes de taille moyenne tournées vers l'industrie du décolletage et des territoires de montagne ;
- le Genevois français, prolongation de l'agglomération de Genève avec des territoires urbains, une forte densification d'habitations et des problématiques de grandes villes.
Nous constatons une augmentation de 7 000 habitants par an depuis cinq ans, avec un taux de chômage assez faible, mais en augmentation du fait de la crise. Le taux d'équipement est faible et la population vieillit. Elle est malgré tout très mobile. 10 % des trajets domicile-travail se font en transports en commun. C'est très peu. Les réseaux ont été peu développés. Nous avons assisté à une densification des routes, à l'inverse de ce qui se passe sur le reste du territoire national.
Comme dans d'autres départements, nous disposons de multi-accueils publics, au nombre de 136, sur un total de 271. Ils sont de moins en moins nombreux. Ces établissements accueillent des équipes plutôt stables et bien qualifiées. Cependant, la crise a eu des effets très délétères. De plus en plus de familles ne peuvent pas avoir accès à ces équipements. Pourtant, l'attractivité de l'accueil collectif reste dominante.
Les multi-accueils privés, au nombre de 133, se développent et prennent le pas sur les structures publiques. La majorité relève du complément de libre choix du mode de garde (CMG). Le reste à charge pour les parents ne permet pas à tous de bénéficier de ces établissements. Se creusent alors d'importants écarts entre les familles, selon leurs possibilités financières. Les établissements à gestion associative sont également en difficulté aujourd'hui, du fait d'une diminution des accueils parentaux et parce que les femmes travaillent de plus en plus à l'extérieur. Le taux d'activité des femmes s'élève à 77 % en Haute-Savoie. C'est davantage que la moyenne nationale.
Depuis l'arrivée des multi-accueils à gestion privée, certaines communes, y compris rurales, ont acheté des places dans ces établissements. Nous constatons tout de même un recul de ces achats et des non-renouvellements des contrats. Nous n'avons pas actuellement la possibilité d'évaluer les recours à des accueils non déclarés mais nous supposons que les familles essaient de plus en plus de se tourner vers des gardes non déclarées.
Les micro-crèches sont des petits établissements assez faciles à créer. Nous avons observé une augmentation très rapide du nombre de ces structures privées. Sur cent micro-crèches actuellement installées dans le département, seules dix-huit sont publiques. Les porteurs de projet sont de plus en plus éloignés des métiers de la petite enfance. Moins de 50 % ont une connaissance de ce milieu. Se pose également le problème de la pérennité financière de ces micro-crèches. Gérer un seul de ces établissements ne suffit pas à la pérennité d'une société. Pour être stable, il faut gérer trois structures, réparties dans les territoires ruraux notamment. Cela pose des problèmes à la direction, puisqu'une directrice de trois micro-crèches est obligée de parcourir de nombreux kilomètres, ce qui diminue sa présence au sein des structures. Les effectifs sont calculés au plus juste au moment de l'ouverture. Nous constatons beaucoup de mouvements de personnel, ainsi qu'un manque d'expérience et de formation initiale. La grande variabilité de la fréquentation de ces établissements n'est en outre pas prise en compte lors du montage du projet.
Le département rencontre d'importants problèmes en termes de recrutement de personnel de la petite enfance. Nous sommes situés à la frontière avec la Suisse, où les salaires sont plus attractifs et vers laquelle de nombreux professionnels partent. Restent sur notre territoire les personnels à qualification minimum, avec le passage de professionnels qui travaillaient en structures multi-accueil vers les micro-crèches, ou éventuellement les MAM (maisons d'assistantes maternelles) : des éducatrices de jeunes enfants se font agréer en tant qu'assistantes maternelles et ouvrent leur propre structure. Ces mouvements déstabilisent les multi-accueils. Les conditions de travail sont difficiles pour les référents techniques de ces structures. L'une des propositions pour maintenir ces accueils serait de compléter les prises de poste par un plan de formation.
Comme tous les départements de France, nous observons une importante diminution du nombre d'assistants maternels. Nous en perdons 300 par an depuis plus de cinq ans, avec une nette diminution des premières demandes, qui sont 50 % moins nombreuses qu'il y a dix ans. Cela entraîne un renouvellement insuffisant. L'exigence de professionnalisation, les logements très onéreux en Haute-Savoie et les attentes sur les conditions de sécurité des logements constituent une réelle difficulté pour nous. Ils représentent des dépenses supplémentaires pour les assistantes maternelles. Celles-ci exercent souvent cette profession pour un temps très court, souvent moins de cinq ans, avant de changer d'emploi. Elles restent pourtant des recours importants en milieu rural et en montagne.
Le modèle des MAM correspond bien aux petites communes rurales. Nous en comptons actuellement trente. Les assistantes maternelles sont encouragées et soutenues par les élus municipaux. Certains maires démarrent ce type de projet sans avoir de candidats pour intégrer les locaux. Ils lancent en quelque sorte un appel d'offres. Ces projets s'inscrivent souvent sur les sites d'anciens locaux publics en rénovation, grâce au co-financement de fonds publics. Ce sont par exemple des appartements de fonction, des écoles, des presbytères. Cette aide publique paraît indispensable au démarrage et à l'équilibre budgétaire des structures. La stabilité de ces maisons pose question car les assistantes maternelles doivent réussir à entretenir des relations d'équipe sans cadre responsable. Les relations avec les parents ne sont pas toujours sereines. C'est tout cet accompagnement qui doit être développé. Les évolutions prévues par l'ordonnance du 19 mai 2021, notamment l'intégration d'une sixième assistante maternelle et l'extension de la capacité d'accueil de ces maisons à vingt places sont à examiner car nous assisterons probablement à une augmentation des difficultés de coordination entre les professionnels qui y travaillent.
Je souhaite m'attarder sur la garderie itinérante Karapat , mise en place depuis 2006 sur notre département. Elle a pour objectif de couvrir les zones rurales dans lesquelles il n'existe pas de structure d'accueil en nombre suffisant pour proposer des accueils ponctuels ou occasionnels et permettre aux assistantes maternelles de confier des enfants, notamment pendant leurs formations, ou en dépannage ponctuel. Des bus ont été aménagés avec des berceaux, plans de change, réfrigérateurs, lieux pour entreposer les biberons... Le matériel est déplacé de point en point. L'accueil se fait une journée par semaine dans les communes desservies. Trois bus ont ainsi été équipés. La crise du Covid-19 a entraîné l'arrêt du troisième en raison d'une baisse de fréquentation. Nous avons rencontré quelques difficultés sur lesquelles nous devons travailler. Les accueils ne sont pas suffisamment sécurisés. Ce sont des salles polyvalentes, qui nécessitent un aménagement important. Après quelques années, nous constatons une diminution d'usage de cet équipement itinérant, certainement due au développement des MAM. L'offre peut également ne plus correspondre aux attentes des parents. Ceux-ci demandent de plus en plus d'accueils réguliers, puisque viennent s'installer en milieu rural des familles qui travaillent. Les femmes ne restent pas à domicile. Elles ont besoin de gardes beaucoup plus régulières.
Pour les gestionnaires, et notamment pour celle de cet équipement, il est ardu de recruter des professionnels de la petite enfance qui ne restent pas sur le territoire en raison du niveau de vie, de transports collectifs insuffisants qui les empêchent de se rendre sur les points d'arrêt du camion et d'une géographie qui laisse des territoires enclavés, à l'économie peu développée.
Nous devons également réfléchir au taux de remplissage qui pénalise les structures et remet en question la qualité de l'accueil. Nous examinons dans notre département beaucoup de demandes de dérogation, notamment sur les conditions d'expérience et de diplômes. Nous essayons de le faire en accompagnement, pour ne pas avoir à fermer de structures. Nous sommes également confrontés à des cas particuliers pour les accueils en station de montagne. Nous disposons majoritairement de haltes-garderies touristiques, pas vraiment adaptées aux besoins des saisonniers. Nous devons réfléchir à des modes de garde alternatifs plus souples.
J'ai quelques propositions :
- revoir le rapport entre les structures CMG et PSU (Prestation de service unique) pour rendre les modes de garde collectifs plus abordables ;
- revoir la répartition territoriale des Établissements d'accueil du jeune enfant (EAJE) et des MAM, car tout entrepreneur privé qui souhaite s'installer sur une commune peut actuellement le faire, l'avis du maire n'étant que consultatif. Nous avons beaucoup de mal à réguler la répartition des nouveaux projets sur le territoire ;
- renforcer les solutions d'accueil pour les personnels saisonniers en station avec des structures mixtes, ouvertes sur l'année, avec des capacités d'accueil à réguler en hiver et en intersaison ;
- développer les relais d'assistants maternels qui deviendront des relais petite enfance, fixes ou itinérants ;
- soutenir financièrement la garde à domicile en milieu rural, notamment sur des horaires atypiques, pour les parents habitant loin de leur lieu de travail. Les modes de garde collectifs et l'accueil chez un assistant maternel ne sont pas adaptés à ces nouveaux rythmes de travail ;
- développer les accueils itinérants, bien que nous constations que la structure existante est en difficulté.
Le département a décidé d'expérimenter une externalisation des agréments à la CAF, ce qu'ont rendu possible la loi ASAP et l'ordonnance du 19 mai 2021. Cette expérimentation a débuté le 1 er avril 2020. LA CAF instruit les nouvelles demandes d'agrément des EAJE. La PMI reste en soutien pour des visites de chantier de conformité. Nous attendons avec impatience le décret sur le référentiel bâtimentaire. Cela permet de raccourcir le délai entre l'instruction et l'ouverture de l'établissement et de percevoir plus rapidement les subventions pour répondre aux besoins de la population.
Florence Duviallard, secrétaire de Familles rurales, fédération nationale. - Avant d'entrer plus en détail dans les actions innovantes en matière de garde d'enfants, je voudrais revenir rapidement sur l'association Familles Rurales . Beaucoup d'entre vous nous connaissent sans doute. Nous sommes une association nationale reconnue d'utilité publique, agissant en faveur des familles sur tout le territoire, en milieu rural et périurbain. Il était tout à l'heure question de définir le milieu rural. Il est certain que le périurbain en fait partie. Avec 160 000 familles adhérentes et plus de 2 000 associations locales, 80 fédérations, 40 000 bénévoles, 17 000 salariés, nous sommes le premier mouvement familial associatif. Nous sommes également un acteur incontournable de l'économie sociale et solidaire et de l'éducation populaire sur les territoires où nous sommes implantés. Nous sommes pluralistes, indépendants et laïcs. Nous portons un projet humaniste et social, fondé sur la famille, les territoires et la vie associative.
Pour répondre aux besoins des familles dans les territoires ruraux, il faut souvent faire preuve d'inventivité et d'audace, ce que nous faisons depuis des décennies, tant la société a évolué. Face à la crise sanitaire que nous venons de vivre, nous voyons bien que le milieu rural, de plus en plus attractif, comporte tout de même des aspects négatifs en termes de services proposés.
Les familles adhérentes se regroupent, innovent pour développer des activités et services adaptés. Elles contribuent au développement de leur milieu de vie. Bien que nous soyons aujourd'hui auditionnés sur les modes de garde innovants des jeunes enfants en milieu rural, nous travaillons également depuis plusieurs années sur les deux autres thèmes que sont le transport solidaire et le développement de tiers lieux en milieu rural, perspective tout à fait hybride pour créer du lien social, permettre le télétravail et pourquoi pas innover en termes de garde de jeunes enfants. Aujourd'hui, nous avons ouvert plus de cent de ces lieux d'accueil en milieu rural. Une centaine d'autres sont au stade de projet avancé dans tout notre réseau.
Je vous invite à consulter notre étude réalisée par l' Ifop en mars 2021, Les territoires ruraux : perceptions et réalités de vie . Après un an de crise sanitaire, les représentations des Français sur le monde rural ont beaucoup évolué. La volonté de penser et de consommer local, la prise de conscience écologique, l'expérience du télétravail donnent un rôle majeur aux territoires ruraux, acteurs clés d'un nouveau modèle de développement durable et répondant aux aspirations de la société. En dépit de cette image positive, des faiblesses demeurent. La nécessité d'agir en faveur de la ruralité ne faiblit pas. Le déficit des services publics est le principal frein identifié par le grand public pour s'installer en zone rurale. La situation ne semble pas s'améliorer : 52 % des ruraux considèrent que la commune ne bénéficie pas d'action des pouvoirs publics. Sans surprise, les priorités d'action pour l'avenir du monde rural concernent ces mêmes services publics, la lutte contre la désertification médicale, le scolaire, le manque de services sociaux, dont les structures d'accueil pour l'enfance et la petite enfance.
Réussir à mener de front son travail, l'éducation de ses enfants et les tâches quotidiennes n'est pas chose aisée. Les associations Familles Rurales créent régulièrement des structures pour aider les parents. Je me souviens de structures conçues dans les années 1980 par des parents. La réglementation et les législations étaient, à l'époque, bien différentes. Ce besoin absolu de faire garder les enfants a poussé les parents à se débrouiller. C'était déjà très innovant.
Il existe aujourd'hui 260 lieux d'accueil de la petite enfance Familles Rurales , partout en France, dans 62 départements. Leur présence encourage l'installation de nouvelles familles sur un territoire. Elle fidélise celles qui y vivent déjà.
Vous indiquiez que des structures privées s'installent à condition que la population soit suffisante. Là où la densité de population est faible, il n'existe rien, ou pas grand-chose. Nous voulons être un acteur de proximité. Nous avons à coeur de développer des partenariats locaux pour favoriser des actions innovantes en matière de mode d'accueil du jeune enfant et répondre ainsi aux besoins des familles. Nous avons toujours travaillé de concert avec les collectivités territoriales. Nous avons assisté à une évolution certaine. Par le passé, nous travaillions directement avec les communes sur lesquelles nous étions implantées. Aujourd'hui, si la compétence petite enfance est exercée par l'intercommunalité, nous devons travailler différemment. Surtout, nous devons faire en sorte que notre compétence soit reconnue par ces nouvelles collectivités territoriales. Vis-à-vis des familles, nous avons pour engagement qualité d'être un lieu d'accueil avec des activités garantissant le bien-être et le développement de l'enfant, de prendre en compte les besoins individuels de chaque enfant et de concevoir des actions éducatives pour l'apprentissage de la vie en collectivité. Un accueil et un accompagnement de tous les parents doivent être assurés. Nous devons accueillir les enfants de manière régulière, occasionnelle et en cas d'urgence. La garde régulière est plus simple à concevoir et à organiser, alors que la gestion des places d'urgence, ou pour des enfants porteurs de handicap, ou à la carte, s'avère plus compliquée en termes de taux de remplissage des structures. Ce lieu doit en outre être un espace de participation des familles et de lien social. Nous y tenons absolument car nous ne voulons pas uniquement des familles consommatrices mais des familles qui aspirent à créer du lien entre elles.
L'organisation de l'association implique des parents bénévoles et une équipe de professionnels formés et pérennes. Il est vrai qu'il est plus compliqué sur certains territoires de recruter du personnel compétent. Cela demande une gestion financière transparente sans recherche de profits et une attention particulière au respect des règles de sécurité, d'hygiène et d'alimentation.
Dans notre partenariat avec les institutions et les collectivités territoriales, nous devons adapter l'accueil aux réalités des modes de vie des familles vivant dans les territoires, très différents les uns des autres, travailler avec les acteurs éducatifs tels que les PMI, RAM (relais assistantes maternelles), écoles maternelles, maisons de solidarité ou de santé et les structures spécialisées. Nous devons également réaliser des actions communes avec les autres services ou activités de Familles rurales . Nous privilégions les actions intergénérationnelles, les passerelles avec les accueils de loisirs maternels, les actions de soutien à la parentalité. Nous agissons enfin en lien avec d'autres structures d'accueil. C'est ce qui fait notre force, puisque nous sommes un réseau opérant sur tout le territoire. Ce qui profite aux uns peut également profiter aux autres en termes de retour d'expérience. Nous travaillons en collaboration avec les collectivités et les institutions en communiquant sur nos modes de fonctionnement et les actions réalisées. Nous rencontrons régulièrement les élus et institutions sociales afin d'évaluer les conventions au travers de comités de pilotage et de conventions de suivi. Nous nous inscrivons enfin dans le projet éducatif du territoire et participons aux actions portées par les partenaires.
Nous souhaitons, aujourd'hui comme hier, un fonctionnement respectueux de l'environnement : acheter des matériaux et produits d'hygiène éco labellisés, gérer les déchets, favoriser l'achat de produits locaux et les circuits courts d'approvisionnement, travailler avec les commerçants et réfléchir en concertation avec le propriétaire des locaux à la diminution des consommations d'énergie.
Pour rappel, la petite enfance à Familles rurales représente 260 activités et services : multi-accueil, halte-garderie, halte-garderie itinérante, micro-crèches, RAM, MAM. 31 accueils enfants-parents sont agréés par les CAF locales. 130 actions parentalité sont menées régulièrement au sein des associations. Ce sont aussi des services de garde d'enfant à domicile au sein de services d'aide et d'accompagnement à domicile sur quatorze départements. Les structures petite enfance se situent essentiellement en zone rurale ou périurbaine. Elles comptent en moyenne vingt places et rendent un service adapté au territoire, à proximité des familles.
Qu'en est-il des actions innovantes ? Nous trouvons en Mayenne ou dans l'Hérault des places d'urgence dans les structures permettant aux mamans de se rendre en entretien d'embauche, par exemple, en concertation avec les CAF. Les haltes-garderies itinérantes ont été évoquées plusieurs fois aujourd'hui. Je peux citer Les P'tits Poucets Roul' en Vendée, et La Roulinotte dans l'Ain, accueillant de dix à douze enfants de trois mois à quatre ans en matinée et six en journée. La halte-garderie propose de l'accueil occasionnel, des places d'urgence pour les enfants dont les mamans doivent se rendre à des entretiens professionnels ou en reconversion professionnelle. Cette structure est itinérante sur quatre communes du territoire. Elle est ouverte quatre journées par semaine, de 8 heures 45 à 11 heures 45 puis de 13 heures 45 à 16 heures 45. Deux journées continues sur la semaine permettent à six enfants d'être accueillis sur la journée complète, dès l'âge de deux mois et demi. Quinze enfants peuvent être accueillis à la demi-journée, dont six en journée continue. Les quatre communes mettent à disposition une salle pour le matériel pédagogique. La sieste se fait dans le véhicule pour les enfants accueillis à la journée. Souvent, la maman de ces enfants est en congé maternité ou l'un des parents est en congé parental, et il leur est compliqué de revenir vers l'emploi lorsque les horaires sont calqués sur ceux des écoles. Environ 45 familles bénéficient de ce service.
Concernant les places réservées aux porteurs de handicap ou réservées pour la réinsertion professionnelle, nous pouvons citer l'exemple de la crèche Méli-Mélo dans l'Aveyron. Trois places sont réservées, permettant aux parents de reprendre le travail dès les deux mois et demi de l'enfant. En lien étroit avec le plan action handicap du département, deux places sont réservées pour des parents en parcours de réinsertion professionnelle. C'est peu, mais elles ont le mérite d'exister.
Un petit mot sur la mobilité solidaire. Ce dispositif est porté par des bénévoles. Il permet aux mamans de se rendre à des rendez-vous professionnels, en lien avec la communauté de communes. C'est un service rapide de mise en contact avec les assistantes maternelles pour faire garder l'enfant si l'entretien débouche sur une embauche. Ce dispositif est mis en place en Moselle et dans les Deux-Sèvres.
Il existe également des crèches gérées par des entreprises en milieu rural. Les enfants accueillis sont ceux de mamans embauchées ou en formation, à condition que les structures soient bien dimensionnées et comportent un peu plus de places que nécessaire. Cela suppose que l'entreprise accepte éventuellement de financer des places non attribuées. Pour les communes, la même chose serait possible si les budgets n'étaient pas si contraints. La fédération du Doubs doit par exemple établir des budgets prévisionnels de plus en plus serrés et donc optimiser le planning des enfants, ce qui ne laisse pas de place aux urgences des mamans venant de trouver un emploi. La CAF et l'État les incitent à l'optimisation. Il ne peut y avoir de place pour les familles bénéficiaires des minima sociaux ou d'accueils en urgence. Des objectifs de fréquentation doivent être atteints. La fédération du Doubs a développé ces crèches d'entreprises en milieu rural.
Quelques pistes peuvent être étudiées, parmi lesquelles la mutualisation de tiers lieux et de modes de garde, ou le développement d'établissements accueillant de jeunes enfants clé en main sur les territoires non pourvus de lieux d'accueil et permettant aux entreprises avoisinantes de financer des places non attribuées pour les familles qui trouvent un travail et pour lesquelles un mode de garde est une condition nécessaire. Familles rurales , en partenariat avec la fédération du Doubs et la CNAF, a modélisé le nouveau concept de crèche évolutive clé en main visant à contribuer au développement de places d'accueil tout en offrant une solution aux collectivités locales confrontées à la question des locaux dédiés. En effet, par manque de locaux, certaines communes hésitent à financer des structures. Notre solution consiste en une structure en bois intégrant toutes les exigences réglementaires et techniques, et pouvant selon les besoins s'agrandir, s'ajuster à des capacités d'accueil plus importantes ou être requalifiée en appartements, bureaux ou maisons pour seniors. Le projet ainsi modélisé avec le plan de financement finalisé et des plans validés par la protection maternelle et infantile du Doubs permet un déploiement porté par les associations Familles rurales sur l'ensemble du territoire. Ce concept doit être étudié. Il permettrait aux collectivités de développer des structures de multi-crèches à plus de vingt ou trente places dans des territoires jusque-là non pourvus.
Annick Billon, présidente . - Nous en venons au troisième et dernier axe de notre table ronde : comment la diversification des modes et des lieux de travail peut-elle faciliter ou au contraire contraindre l'articulation des temps de vie des femmes ?
Nous avons constaté ces derniers mois que le télétravail pouvait avoir des effets ambivalents sur l'articulation des temps de vie. Quelles sont les recommandations de l'ANACT pour faire en sorte qu'il permette une réelle articulation des temps de vie et ne conduise pas à intensifier le cumul simultané des activités ? La délégation aux entreprises du Sénat a entamé un travail sur cette thématique, le recours au télétravail s'étant considérablement accru au cours de la dernière année.
Nous nous intéressons par ailleurs au développement de tiers lieux, des espaces de travail partagés qui proposent des outils et services mutualisés plus proches des domiciles et de bonnes connexions d'accès à Internet, ce qui est souvent un enjeu en zone rurale. Ils constituent une alternative au manque de mobilité et peuvent contribuer à la réduction des inégalités territoriales et à l'amélioration des conditions de vie et de travail des femmes en milieu rural.
Karine Babule, chargée de mission à l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (ANACT) . - L'ANACT s'appuie sur une expérience de plus de dix ans sur la question de l'égalité, mais aussi du télétravail et des tiers lieux, que nous étudions aujourd'hui dans l'un de nos axes stratégiques, intitulé « organisation hybride et égalité intégrée ». Cet enjeu d'intégration nous est important. Nous nous appuyons sur nos interventions en entreprise, sur des statistiques nationales peu nombreuses et sur une analyse d'accords de télétravail, notamment pendant l'entre deux confinements. Nos recommandations porteront sur cet enjeu de négociation du télétravail qui n'est pas obligatoire et qui constitue 4 % des accords d'entreprise, mais qui ne cesse d'augmenter depuis les ordonnances Macron de 2017. Il y a un véritable enjeu de négociations sur ce sujet, notamment en termes d'intégration de l'égalité. Nous reviendrons sur l'accès aux alternatives dans les tiers lieux, avec le pass bureau en cours de discussions entre la Direction générale du travail (DGT) et France Tiers Lieux . Les projets d'évolution des environnements de travail sur site ne sont en outre pas neutres en termes d'égalité femmes-hommes et de repli potentiel au domicile lorsque les conditions de travail ne sont pas au rendez-vous.
Nous mettons à disposition des entreprises, des partenaires sociaux et des acteurs relais des outils et des méthodes, notamment des outils ludo-pédagogiques. Avant la crise, nous avions déjà observé dans quelle mesure le télétravail était potentiellement un levier ou un frein à la réduction des inégalités professionnelles, notamment sur les quatre axes de notre modèle dans le réseau ANACT-ARACT : accès à l'emploi et à la mixité, conditions de travail et de santé au travail, parcours professionnels et articulation des temps. Nous avons observé ce qui s'est passé durant la crise sanitaire sur les cinq dimensions du télétravail : les espaces et les lieux, les équipements et outils numériques, la charge de travail et le temps de travail, les pratiques de management et le collectif de travail. Nous en avons tiré certains constats que nous continuons à approfondir avec des études complémentaires.
Il est important de rappeler qu'avant la crise sanitaire, le télétravail ne concernait que de 3 à 7 % des travailleurs, à parts égales entre les femmes et les hommes, qui avaient toutefois des profils différents. Les hommes télétravaillaient en raison de leur métier, plutôt dans le secteur du numérique. Les femmes télétravaillaient plutôt pour des questions de parentalité. À cette époque, le télétravail n'était pas ouvert à tous. De nombreux métiers à prédominance féminine étaient a priori non télétravaillables. Nous observions une inégalité d'accès aux outils numériques mobiles. Bien que statistiquement, les femmes utilisent plus l'informatique et Internet, elles avaient moins accès que les hommes au téléphone portable et aux ordinateurs portables. Nous avons identifié comment le télétravail peut constituer un levier dans la réduction des inégalités. Il permet d'accéder à un plus grand nombre d'emplois, et notamment à des métiers avec une forte mobilité géographique, ou à des métiers nécessitant des déplacements ou l'organisation de réunions tôt le matin ou tard le soir. Le risque de ralentissement de carrière et de promotion est toutefois réel dans une culture du présentéisme. Il y a un vrai enjeu d'intégration culturelle du télétravail. Pour les questions de conditions de travail, nous avons pu constater que le télétravail pouvait être un levier pour accéder à plus d'autonomie et de reconnaissance, mais qu'il pouvait également accentuer l'isolement, élément particulièrement marquant dans les métiers à prédominance féminine, et le manque de soutien social. Le télétravail peut enfin faciliter l'articulation des temps pour tous et toutes s'il permet aux uns et aux autres d'assurer leurs responsabilités dans les espaces de vie et de rééquilibrer le partage des tâches. Il peut également potentiellement intensifier le cumul simultané des activités en cas de présence familiale en situation de travail à domicile.
Voilà donc l'état de nos hypothèses avant la crise. Nous préconisions à l'époque pour tout projet de transformation organisationnelle, et notamment sur les questions de télétravail, une étude prospective sur l'influence du télétravail comme levier, et non comme frein, pour réduire de manière générale et systémique les inégalités professionnelles. Nous avions déjà des éléments de méthode à proposer pour que dans tout type de projet en entreprise, il y ait bien une mixité des instances et des indicateurs de suivi permettant de mesurer que le télétravail n'a pas d'effets néfastes sur les populations concernées. Les managers devaient en outre être sensibilisés à ces questions.
Lors de la crise sanitaire, nous sommes passés à 30 % de télétravail exceptionnel. Les représentations ont volé en éclat pour nombre de métiers a priori non télétravaillables. Certains équipements ont été mis à disposition des primo-télétravailleurs. Nous avons pu observer qu'ils étaient déployés à géométrie variable. Parfois, les travailleurs ont du se servir de leur propre équipement, lorsqu'ils en disposaient. Ils n'avaient pas forcément de caméra. Nous avons également pu observer des freins au télétravail exceptionnel. Selon l'étude de l'Ined (Institut national d'études démographiques), les femmes avaient moins accès à des espaces de travail dédiés, sans enfants. Il s'agit d'une des rares études sexuées à mentionner sur ce point. Nous avons observé une augmentation des violences familiales ou conjugales. La question du domicile en télétravail exceptionnel posait donc problème. Une véritable problématique d'articulation des temps a en outre été observée. Elle était propre à cette période particulière. Nous avons également pu observer de la surcharge et de la surconnexion, liées à une montée en compétences sur ces outils numériques mobiles, ou au contraire de la sous-charge pour certains métiers à prédominance féminine parfois marqués par l'isolement. Du travail a pu être empêché par l'absence d'outils numériques. S'y sont ajouté une invisibilisation et un dénigrement des tâches, et parfois des problématiques de sexisme.
Nous avons observé plus précisément ce qu'il se passait sur les cinq dimensions du télétravail pour identifier les questionnements que nous proposons aujourd'hui aux entreprises, notamment ceux relevant des espaces et des temps, véritable sujet que nous poussons pour les prochaines renégociations d'accords. Nous avons cité l'inégalité d'accès des femmes à des pièces dédiées au seul télétravail et les violences conjugales. Quelles alternatives sont proposées en télétravail exceptionnel ? Quelle prise en charge ? Jusqu'à présent, les tiers lieux n'étaient pas nécessairement mobilisés par les entreprises, pour des questions de connaissance, d'univers culturel en cours d'apprivoisement, et de coûts. Ces questions de facilitation fiscale en faveur des entreprises, telles que le pass bureau ou les chèques déjeuner, me semblent tout à fait intéressantes. N'oublions pas la question des alternatives au domicile lorsque les conditions de travail ne sont pas réunies. Dès lors qu'il y a un projet de transformation immobilière des espaces, nous devons être vigilants au fait que l'employeur mette bien à disposition l'ensemble des espaces nécessaires, qui ne se résument pas à des espaces collectifs. Le domicile ne peut constituer l'espace silencieux et individuel de l'entreprise. Si les conditions de travail sur site ne sont pas bonnes, attention au repli subi à domicile, qui ne facilite pas l'articulation des temps et le travail d'une manière générale. Nous identifions un véritable enjeu d'organisation hybride choisie et non subie.
Nous avons développé des recommandations sur les cinq dimensions du télétravail. La réflexion visant à faire du télétravail un vecteur des temps au-delà des espaces doit être mise en relation avec les questions de la charge de travail, des primo-télétravailleurs, de la montée en compétence sur les outils numériques. Les entreprises doivent également être encouragées, au-delà des questions de droit à la déconnexion, à s'interroger sur les raisons d'une connexion excessive qui peuvent augmenter la charge psychique et être néfastes pour l'articulation des temps en cas de culture du présentéisme, d'inquiétudes vis-à-vis de l'avenir ou de tensions dans le collectif. Ces éléments doivent être identifiés. Bien entendu, la question de la prise en charge des régulations individuelles et collectives par l'employeur doit être prise en compte. Les problématiques particulières pouvant être rencontrées par les collaborateurs doivent être identifiées. C'est là toute la difficulté des managers dans ces organisations hybrides. Ils doivent appréhender la situation de manière collective, mais aussi être sensibles aux signaux faibles qui pourraient rendre difficiles les situations de travail des femmes et des hommes. Enfin, il est important d'atteindre une égalité d'accès aux outils numériques mobiles. Les tiers lieux constituent une modalité intéressante, notamment en permettant une connexion WiFi . Cette connexion n'est pas évidente, surtout en milieu rural. Les tiers lieux sont importants, notamment pour les fonctions supports. Les métiers à prédominance féminine sont parfois partagés entre plusieurs équipes. Ils ont vu se développer une grande diversité d'outils numériques sur la période, demandant autant de montées en compétences nécessaires, de recherches d'informations chronophages et de risques professionnels.
La question de l'égalité professionnelle est quasiment absente des accords sur le télétravail. Elle est pointée dans l'accord national interprofessionnel sur le télétravail. C'est un enjeu majeur, pas uniquement comme l'une des parties de l'accord, mais aussi de manière transversale. Dans les territoires, il est important de rapprocher les entreprises des tiers lieux, de manière à ce qu'ils puissent découvrir l'offre de service et les éventuelles possibilités de télétravail. Sur les questions de projets immobiliers et d'évolution des environnements de travail, il est important de mener des études prospectives de leur influence sur les situations de travail des femmes et des hommes.
Marie-Pierre Monier, rapporteure . - Je vous remercie pour cette table ronde très enrichissante. Nous avions besoin de faire un point sur la mobilité et sur l'articulation des temps de vie des femmes en ruralité.
Nous parlons de télétravail. Je voudrais pointer des difficultés en termes d'accès au numérique en zone rurale. On nous a beaucoup expliqué que tout était mis en oeuvre pour que ce soit possible partout en France. Force est de constater que ça ne l'est pas sur le terrain. Les zones rurales sont pénalisées.
La mobilité est l'un des enjeux, si ce n'est l'enjeu majeur, dans les territoires ruraux. Dans tous les thèmes abordés au cours des différentes tables rondes, elle est revenue comme un frein dans de nombreux sujets. Il était donc essentiel d'en parler aujourd'hui.
Je voudrais reprendre les propos de la représentante du Forum Vies Mobiles , qui a souligné que le sujet de la mobilité était un sujet d'ampleur nationale, et qu'une politique générale et nationale devait être mise en place. Je le crois également. Je remercie les associations pour leur travail remarquable pour pallier les difficultés existantes. Dans les structures que vous représentez, vous essayez toutes de trouver des solutions pertinentes car adaptées aux territoires sur lesquels vous vivez. Communiquez-vous entre vous ?
Vous avez évoqué le co-voiturage scolaire avec une rémunération. Vous avez aussi parlé de responsabilités, avec la loi d'orientation des mobilités (LOM). On est responsable lorsqu'on transporte des personnes. C'est encore plus compliqué lorsqu'elles sont mineures. Vous avez expliqué que cette expérience avait pris fin, mais à l'époque, comment avez-vous géré la question de la responsabilité de la conductrice ?
Vous avez dit qu'il existait beaucoup de stéréotypes de genre sur les femmes au volant. Au niveau assurantiel, les femmes ne causent pas plus d'accidents. Je suis drômoise. J'habite un secteur très rural. Il n'est pas plus compliqué de conduire sur de petites routes qu'en ville. Que faire pour lever ces stéréotypes de genre ? Quelles actions peuvent être menées auprès des jeunes pour faire bouger les choses, pour leur faire comprendre que nous sommes aussi capables de conduire, même dans des zones à fort dénivelé par exemple ? Comment leur faire comprendre que nous pouvons également nous occuper de la mécanique ? Disposez-vous d'exemples en ce sens ?
Corinne Mérand Leprêtre . - Le frein des responsabilités en co-voiturage scolaire n'a pas vraiment été levé. Nous avons fait travailler notre service juridique pour estimer nos responsabilités et celles du co-voitureur en cas d'accident. Nous avons ensuite délibéré, en exposant l'absence de transport adapté et l'impossibilité pour le transporteur de recruter des conducteurs pour mettre en place un service de transport scolaire. Cette compétence était à l'époque départementale avant de passer à la région. Elle nous obligeait à mettre en place un transport scolaire pour ces enfants qui n'avaient pas de solutions sur le territoire. Nous avons beaucoup travaillé avec la mairie qui nous a mis en contact avec une habitante se rendant chaque jour à côté de l'école. Cela nous a permis de mener une expérience tout en investiguant le caractère juridique de ce que nous essayions de mettre en place. Nous avons vite appris que le département de la Charente avant également essayé ce type de système. L'URSSAF lui a fait savoir qu'il s'agissait de travail dissimulé, et qu'il n'était pas possible de poursuivre ce dispositif sans embaucher directement la personne ou sans la déclarer. Nous tombions vite dans une impasse, raison pour laquelle nous avons arrêté l'expérimentation après un an. C'était trop bancal. Nous faisions prendre trop de risques à ces familles et à ces enfants. C'est dommage. Le besoin est réel dans les territoires, et des personnes sont prêtes à accepter cette solidarité. Accepter de conduire des enfants à l'école demande de respecter des horaires et d'être disponible tous les jours. Cela implique également des responsabilités. Ces décisions ne sont pas faciles à prendre.
Claire Caminade . - Concernant les partenariats avec les différents acteurs, il est vrai qu'il se passe beaucoup de choses au niveau local. Les CIDFF, lorsqu'ils expérimentent un projet, en informent leurs partenaires. Ils sont également amenés à développer de nouveaux partenariats sur les territoires en fonction des projets développés. Nous pouvons à titre d'exemple citer des actions avec des acteurs de la mobilité intervenant lors d'ateliers auprès des femmes. Ces CIDFF nous font ensuite remonter ces partenariats. Il nous revient, en notre qualité de fédération, de prendre l'attache des acteurs au niveau national pour mener des discussions et voir s'il est possible de conclure des accords-cadres nationaux ayant vocation à être déployés au niveau local avec les CIDFF et les différents acteurs. C'est ce que nous faisons avec différents réseaux, notamment dans le domaine de l'emploi, de la création d'activité, de la lutte contre les violences faites aux femmes, de l'accès aux droits.
Les CIDFF mènent beaucoup d'interventions en milieu scolaire sur les stéréotypes qui perdurent et sur l'égalité entre les filles et les garçons entre autres. Ils développent des outils pour permettre aux enfants de s'exprimer sur ces sujets. À titre d'exemple, le CIDFF de la Mayenne a réalisé une fresque illustrant une cour de récréation afin que les élèves y repèrent des situations telles que le refus de jouer avec un autre, l'irrespect du corps de l'autre, la répartition des activités, entre les garçons qui jouent au ballon et les filles qui restent sur le côté. Plusieurs personnages permettent d'aborder les stéréotypes liés au genre et les comportements sexistes : jeux « de filles » ou « de garçons », short baissé ou jupe levée, qui sont les plus forts ? (les filles ou les garçons), vêtements de filles ou de garçons. Ces interventions en milieu scolaire permettent aux CIDFF de sensibiliser les enfants, dès la maternelle ou le primaire, sur les questions d'égalité filles-garçons, la mixité des métiers, l'orientation scolaire et contribuent ainsi à lutter contre les stéréotypes.
Annick Billon, présidente . - Notre rapporteure approuve et vous remercie à distance.
Sylvie Landriève . - Nous pouvons donner l'exemple de la Suisse et son système de desserte de l'ensemble des villages de plus de 200 habitants, au moins six fois par jour par car postal. La desserte de l'ensemble du territoire y est vraiment considérée comme une question de service public. Sans forcément avoir la même granularité que la Suisse et sans attendre la mise en place d'un tel service, la question de la mutualisation de l'offre existante et de sa connaissance globale doit être étudiée. Vincent Kaufmann a mené un travail sur l'Ardèche. Il a montré que le système de spécialisation des transports limitait le nombre de personnes pouvant avoir accès à l'offre de transport.
Annick Billon, présidente . - Nous l'avons vu, la mobilité est un sujet essentiel autour duquel s'articulent toutes les autres problématiques. La remarque de Mme Landriève en cette fin de réunion est extrêmement intéressante. À un moment où nous cherchons partout des économies, il est assez déroutant de ne même pas mutualiser nos transports. Nous voyons souvent des transports circuler sur nos territoires sans être remplis. Ce serait l'occasion d'aider des personnes en déficit de mobilité.
Dominique Vérien. - Nous avons la possibilité de mutualiser les transports, notamment scolaires. Nous avons essayé de le faire dans mon département de l'Yonne. Cela nous a été refusé, sans doute pour éviter les sources de complication. Un vrai problème de régie se pose. Comment faire payer le transport ? Qui peut encaisser le coût du billet ? Trop de bureaucratie tue la bureaucratie. Si nous arrivions à simplifier les choses, nous aiderions tout le monde, notamment dans les zones rurales où nous voyons que c'est le bénévolat qui fonctionne le mieux puisque nous avons moins de contraintes administratives.
Annick Billon, présidente . - Vous avez également parlé des tiers lieux, des modes de garde, qu'il s'agisse des micro-crèches, des MAM, des crèches mobiles. Les outils pour « aller vers » vont peut-être plus se développer maintenant que les territoires ruraux attirent une population de plus en plus importante après cette année que nous venons de vivre.
Vous avez évoqué un certain nombre de pistes. Il existe des solutions pour faire passer le permis aux jeunes dans certains départements. L'aide au permis est peut-être la solution pour amener les femmes à conduire. Nous n'avons pas les moyens d'installer des transports en commun dans toutes les communes et intercommunalités. Nous devons trouver des alternatives. Le milieu associatif en a proposé. Ces transports permettent un accès à la formation, à la santé, au travail, aux services publics et aux loisirs. C'est un enjeu majeur. Les maisons de santé itinérantes existent dans certains départements, tout comme les crèches mobiles, les maisons digitales ou les tiers lieux. Ces derniers peuvent parfois s'associer avec des gardes d'enfants. Nous le voyons, tout reste à inventer. Vous avez évoqué un certain nombre de pistes ce matin. Nous en prendrons bonne note et allons continuer ce travail avec l'équipe de huit rapporteurs. Les conclusions de notre rapport seront rendues à la mi-octobre.
* 1 Jouets : la première initiation à l'égalité, rapport d'information fait au nom de la délégation par Chantal Jouanno et Roland Courteau n° 183 (2014-2015).
* 2 Mme Françoise Liébert a souhaité, par la suite, préciser ses propos auprès du secrétariat de la délégation aux droits des femmes, en indiquant qu'il convenait de comprendre son intervention de la façon suivante : « Face à ce constat, les conditions d'octroi de cette aide publique seraient à réinterroger . »