C. LE PLAN DE RELANCE DOIT FAVORISER, DANS LE MÊME TEMPS, L'INDISPENSABLE RESTRUCTURATION INDUSTRIELLE DU SECTEUR

Le programme 363 - Compétitivité de la mission Plan de relance -prévoit, en 2021, 140 millions d'euros en AE et 70 millions d'euros en CP pour l'ensemble du secteur. Ces crédits permettent de majorer les aides à la presse versées dans le cadre de la mission « Médias, Livre et industries culturelles » de près de 59,3 % et d'abonder le Plan filière présenté par le président de la République le 27 août 2020.

Le plan filière prévoit un financement de 377 millions d'euros sur deux ans. Cette somme couvre les nouvelles lignes budgétaires créées en loi de finances pour 2021, une partie les crédits dégagés en troisième loi de finances rectificative pour 2020 ( cf infra ) et ceux mis en oeuvre dans le cadre de la mission Plan de relance. Elle intègre également la dépense fiscale liée à la création de l'impôt au titre d'un premier abonnement ( cf supra ).

S'agissant des crédits dédiés à la presse au sein du Plan de relance, trois axes ont été retenus :

- un plan pour accompagner la transition écologique du secteur de la presse et les changements de pratique dans l'imprimerie (47 millions d'euros en AE et 23,5 millions d'euros en CP) ;

- la majoration des crédits alloués au Fonds stratégique pour le développement de la presse (FSDP) afin d'améliorer la compétitivité et l'attractivité du secteur (45 millions d'euros en AE et 22,5 millions d'euros en CP) ;

- la mise en place d'un fonds pour la résorption de la précarité dans ce secteur d'activité (48 millions d'euros en AE et 24 millions d'euros en CP) : ce dispositif prévoit un soutien aux marchands de journaux (6 millions d'euros en CP en 2021) mais aussi aux acteurs les plus fragiles de la profession à l'instar des pigistes, des photojournalistes ou des dessinateurs de presse (18 millions d'euros en CP en 2021).

Ces dispositifs viennent s'ajouter aux crédits débloqués en urgence en troisième loi de finances rectificative pour 2020. 140 millions d'euros (AE = CP) ont en effet été dégagés pour faciliter la restructuration de Presstalis et le lancement de France Messagerie (cf supra) et soutenir les entreprises du secteur. 3 millions d'euros ont ainsi été spécifiquement versés aux éditeurs de titres ultramarins d'information politique et générale (20 éditeurs ont été concernés par cette aide). 10 millions d'euros ont été fléchés vers la mise en oeuvre du Plan filière. Le Gouvernement entendait notamment soutenir les projets d'investissement contribuant à la transformation du secteur, en veillant notamment à la transition écologique (5 millions d'euros) et consolider l'action du FSDP (renforcement des crédits de 5 millions d'euros).

Enfin, pour répondre aux conséquences de la crise sanitaire et de la distribution, le bénéfice des dispositifs de l'Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC) a été ouvert à l'ensemble des titres de presse et des SPEL. L'ensemble des titres, reconnus ou non par la CPPAP, peuvent ainsi dorénavant solliciter une aide. Par ailleurs, afin de proposer des solutions de financement adaptées, l'IFCIC a déployé trois types de prêts :

- les prêts de trésorerie (1,5 %, 6 ans maximum, 12 mois de franchise) ;

- les prêts de relance de l'activité (2,5 %, 10 ans maximum, franchise de 12 mois ou plus) ;

- les prêts participatifs (3,5 %, 10 ans maximum, franchise de 24 mois).

Enfin, l'IFCIC continue de proposer des garanties de prêts à tout type de crédits, à hauteur de 70 % jusqu'à 300 000 euros, et 50 % au-delà. Ce dispositif a, par ailleurs, été étendu aux diffuseurs de presse.

S'il ne remet pas en cause le bien-fondé de l'ensemble de ces mesures, le rapporteur spécial insiste sur le fait que cette aide d'urgence ne saurait être à terme pérennisée, sauf à renforcer l'addiction du secteur aux fonds publics, qui peut placer les titres de presse dans une situation de dépendance excessive à l'égard de l'État.

Crédits dédiés à la filière presse 2020-2021

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

1. Le défi de l'impression

Les frais d'impression représentaient 7,6 % des coûts supportés par les entreprises de presse en 2018.

Frais d'impression rapportés au chiffre d'affaires

1990

1995

2000

2005

2010

2015

2018 (p)

Presse nationale d'information politique et générale

16,1%

15,7%

11,5%

12,1%

11,3%

9,6%

9,2%

Presse locale d'information politique et générale

22,3%

18,0%

15,1%

16,7%

13,1%

11,0%

9,2%

Presse gratuite d'information

23,1%

10,7%

20,3%

18,4%

Presse magazine grand public

17,5%

14,6%

12,9%

12,2%

11,2%

11,4%

8,7%

Presse magazine technique et professionnelle

17,7%

15,3%

12,0%

11,0%

9,3%

6,3%

6,2%

Presse Gratuite d'annonces

19,1%

15,4%

18,9%

12,9%

18,6%

17,4%

8,9%

Total

18,6%

15,8%

13,5%

13,5%

11,9%

10,5%

7,6%

Source : Direction générale Médias et Industries culturelles, ministère de la culture, réponse au questionnaire budgétaire 2021

Le plan de relance prévoit d'accompagner la transition écologique du secteur de la presse et les changements de pratique dans l'imprimerie à hauteur de 47 millions d'euros en AE et 23,5 millions d'euros en CP en 2021. Cette somme se décompose de la façon suivante :

- 31 millions d'euros dédiés à la réforme industrielle des imprimeries dans le cadre du Plan réseau imprimerie - PRIM (5 millions d'euros ayant déjà été accordés dans le cadre de troisième loi de finances rectificative pour 2020) ;

- 16 millions d'euros destinés à abonder un fonds pour la transition écologique.

La soutenabilité économique de l'impression papier à l'horizon 2025-2026 induirait, selon l'APIG, des investissements à hauteur de 116 millions d'euros. Cette somme serait consacrée à la modernisation des outils, à la transition écologique des imprimeries et à l'installation de centres d'impression numérique.

a) Vers un changement de modèle industriel

Ce soutien de l'État à la modernisation du réseau des imprimeries s'inscrit dans un contexte de réduction importante des tirages papier. L'Alliance de la presse d'information politique et générale (APIG) table sur une chute des deux tiers des tirages papier d'ici à 2025 pour la presse quotidienne nationale (PQN) et d'un tiers pour la presse quotidienne régionale (PQR) . La PQN passerait ainsi de près de 370 millions d'exemplaires en 2019 à 110 millions en 2025. S'agissant de la PQR, le tirage passerait de 1,3 milliard d'exemplaires à 970 millions sur la même période. Cette diminution sévère conduirait à la disparition d'un tiers des 33 centres d'impression actuels répartis sur tout le territoire, tandis que la moitié des 60 rotatives seraient arrêtées. Les éditeurs estiment en effet qu'en dessous de 40 000 exemplaires produits, le coût unitaire est trop élevé et l'impression n'est plus rentable. La PQN, qui a engagé il y a plusieurs années l'externalisation de ses imprimeries internes au profit des cinq centres d'impression du groupe Riccobono, serait moins concernée par ces réductions.

Le coût social n'est, quant à lui, pas anodin. Le plan réseau imprimerie (PRIM), abondé par l'État à hauteur de 36 millions d'euros via la mission « Plan de relance », prévoit ainsi le départ de 1 553 salariés du secteur sur 2 633, soit près de 60 % des effectifs. 77 % des départs prévus concernent des personnes âgées de plus de 50 ans. Ce plan est en cours de discussion entre les organisations représentatives. Dans ces conditions, le PRIM apparaît comme un prolongement de l'aide à la modernisation sociale, réduite ces dernières années à la portion congrue. 22 % des crédits du Plan de relance dédiés à la presse sont donc fléchés vers ce qui relève avant tout d'un gigantesque plan social ciblant les imprimeries et ne correspond pas véritablement à l'objectif de rebond affiché.

Six groupes sont concernés par le PRIM : La Dépêche du Midi, Ouest France, Rossel-La Voix (propriétaire de La Voix du Nord), Centre-France La Montagne, Nice Matin et Ebra (propriétaire de L'Est républicain/Le Pays, des Dernières nouvelles d'Alsace, l'Alsace, Le Bien public, Le Dauphiné libéré, Le Progrès, Vaucluse-Matin, Vosges-Matin, Le Journal de la Haute-Marne).

De nouvelles aides sont également à l'étude pour la période 2023-2025 en vue de poursuivre la rationalisation des imprimeries, 600 postes supplémentaires devant être supprimés dans le même temps.

b) La transition écologique des imprimeries

Les crédits dédiés à la transition écologique viennent s'articuler avec la suppression de la contribution en nature des éditeurs de presse, prévue par la loi du 10 février 2020 relatif à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire 51 ( * ) . Chaque année, les éditeurs de presse déclarent à l'éco-organisme de la filière « papiers graphiques » (Citeo) les tonnages et les caractéristiques des publications qu'ils ont mises sur le marché en N-1. Sur cette base est établi le montant de contribution due par chaque éditeur de presse (application du taux de contribution par tonne, modulée en fonction de bonus/malus éventuels).

Ainsi, en 2020, 496 éditeurs de presse assujettis ont déclaré la mise sur le marché de 354 849 tonnes de papier en 2019 (392 747 tonnes en 2018). Le montant de l'éco-contribution versé en 2020 correspondant à ces mises sur le marché s'est ainsi établi à 24,1 millions d'euros (contre 26,7 millions d'euros versés en 2019), dont 22,2 millions d'euros sous forme de prestation en nature (mise à disposition d'encarts publicitaires). Cependant, aux termes de l'article 72 de la loi du 10 février 2020, cette contribution devrait prendre fin au 1 er janvier 2023 52 ( * ) .

Le fonds à la transition écologique devrait permettre de compenser partiellement les charges financières qui résulteront pour les éditeurs de l'extinction de ce dispositif (20 millions d'euros environ). Les espaces publicitaires vacants pourront par ailleurs être commercialisés.

Les crédits dédiés à la transition écologique devraient en outre permettre d'accompagner la suppression des emballages plastiques pour l'expédition des publications de presse à compter du 1 er janvier 2022 et l'interdiction des huiles minérales à compter du 1 er janvier 2025, ces deux mesures étant également prévues par la loi du 10 février 2020.

Reste à déterminer le rôle de ce fonds à la transition écologique et son articulation avec les dispositifs existants. Le FSDP a ainsi financé début 2021 plusieurs imprimeries de titres d'information politique et générale (IPG) afin de répondre au défi de la suppression des emballages plastiques et développer des flottes de véhicules électriques destinés à la distribution des journaux. Les modalités précises de mise en oeuvre du fonds à la transition écologique font encore l'objet de négociations, en lien avec l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). Son intégration au sein du dispositif d'appel à projets « recherche et développement » du FSEIP est notamment envisagée.

Par ailleurs, s'il partage l'objectif écologique affiché, le rapporteur spécial s'interroge sur l'absence de prise en compte de cet impératif dans la réforme proposée des aides à la distribution. La distribution postale comme le portage ont un coût carbone élevé. En maintenant sous perfusion le transport postal de la presse alors même qu'il ne répond plus aux exigences de la presse IPG, l'État fragilise l'ambition affichée en matière de transition écologique.

Recommandation n° 8 : Clarifier le rôle du fonds à la transition écologique afin d'éviter les doublons avec les structures déjà existantes, à l'image du FSDP et le risque concomitant d'effet d'aubaine.

2. La transition vers le numérique : une évolution balbutiante, aux effets économiques encore insuffisants

La majoration des crédits du FSDP devrait, en principe, favoriser l'accompagnement de la transition vers le numérique des principaux acteurs de la filière, en particulier les éditeurs.

La presse quotidienne nationale apparaît comme le segment le plus en avance en matière de diffusion numérique. Le quotidien Les Échos compte plus d'abonnés numériques - environ 48 000 en mars 2019 - que d'abonnés papier. Les magazines d'information politique et générale et encore plus la presse quotidienne régionale semblent en retrait dans cette transformation.

Diffusion numérique des principales familles de presse

2018

2019

PQN - échantillon

Diffusion payée en moyenne

Versions numériques en moyenne

Versions numériques en pourcentage de la diffusion

Diffusion payée en moyenne

Versions numériques en moyenne

Versions numériques en pourcentage de la diffusion

Aujourd'hui en France

109 458

6 349

5,80%

99 902

9 565

9,69 %

La Croix

87 662

13 676

15,60%

88 039

17 546

20,01 %

Les Echos

130 006

45 491

34,99%

130 899

52 153

40,10 %

L'Humanité

32 017

1 057

3,30%

36 347

6 449

17,78 %

Libération

68 362

17 584

25,72%

72 489

27 117

37,94 %

Le Monde

300 143

138 154

46,03%

334 287

184 898

57,14 %

Le Figaro

313 694

114 638

36,54%

329 646

152 158

48,68 %

2018

2019

Magazines - échantillon

Diffusion payée en moyenne

Versions numériques en moyenne

Versions numériques en pourcentage de la diffusion

Diffusion payée en moyenne

Versions numériques en moyenne

Versions numériques en pourcentage de la diffusion

Paris-Match

552 163

86 354

15,64%

565 189

109 858

21,75 %

Elle

342 453

93 800

27,39%

339 151

105 251

31,88 %

Le Point

299 535

34 398

11,48%

303 412

53 453

18,26 %

L'Obs

255 424

12 164

4,76%

224 294

15 907

7,37 %

L'Express

282 168

65 727

23,29%

251 987

63 094

31,37 %

Challenges

204 738

35 767

17,47%

186 156

33 851

18,24 %

Courrier international

167 330

25 355

15,15%

164 790

31 694

20,44 %

Marianne

123 795

7 420

5,99%

127 235

29 165

23,49 %

Valeurs actuelles

94 347

14 017

14,86%

97 187

23 351

24,36 %

2018

2019

PQR - échantillon

Diffusion payée en moyenne

Versions numériques en moyenne

Versions numériques en pourcentage de la diffusion

Diffusion payée en moyenne

Versions numériques en moyenne

Versions numériques en pourcentage de la diffusion

Le Dauphiné Libéré

189 894

5 335

2,81%

181 085

4 291

2,37 %

Le Progrès - La Tribune

166 605

8 300

4,98%

159 150

9 871

6,20 %

Midi Libre

95 786

8 296

8,66%

87 954

7 685

8,74 %

La Dépêche du Midi

131 286

6 942

5,29%

125 433

7 305

5,83 %

Les Dernières Nouvelles d'Alsace

136 944

2 272

1,66%

131 072

2 852

2,18 %

L'Est Républicain

114 212

4 021

3,52%

110 996

5 140

4,63 %

La Nouvelle République du Centre-Ouest

151 341

4 706

3,11%

147 836

5 206

3,52 %

Ouest France

648 486

30 510

4,70%

634 969

48 529

7,64 %

Le Parisien

193 428

20 925

10,82%

184 555

24 348

13, 19 %

Le Populaire du Centre

31 074

829

2,67%

28 827

872

3,02 %

La Provence

91 613

9 680

10,40%

85 080

10 540

12,39 %

Le Républicain Lorrain

94 291

3 129

3,32%

89 473

4 146

4,66 %

Sud-Ouest

230 309

23 518

10,21%

218 648

25 238

11,55 %

Le Télégramme

188 273

6 051

3,21%

184 581

8 163

4,42 %

La Voix du Nord

201 014

17 225

8,57%

204 492

19 526

9,55 %

Source : Direction générale Médias et Industries culturelles, ministère de la culture, réponse au questionnaire budgétaire 2021

L'incidence de ce passage au numérique apparaît néanmoins difficile à évaluer s'agissant du chiffre d'affaires. La plupart des entreprises de presse ne distinguent pas, au sein de leur comptabilité, les charges et les produits de leur activité liée à leurs services de presse en ligne. S'agissant des charges, les frais de personnel sont rarement isolés. Enfin, au niveau des revenus, les formules d'abonnements liées à la seule version digitale ne sont pas isolées afin de maximiser les chiffres fournis aux annonceurs.

Plus généralement, la presse ne profite pas de la croissance du display et voit ses recettes dans ce domaine stagner voire baisser. Une part de l'explication provient de la disproportion manifeste, quoique difficile à mesurer, entre les audiences respectives de la presse et des géants du numérique (Google, Facebook, notamment) ainsi que de la captation de la valeur du marché publicitaire par ces derniers. En tout état de cause, les recettes de publicité en ligne ne peuvent pas être considérées comme le seul levier de croissance pour la presse, qui doit envisager d'autres modèles économiques, à l'image des abonnements numériques payants par exemple.

Répartition du marché publicitaire

(en pourcentage)

2016

2017

2018

2019

2019 (en millions d'euros)

Presse

17,16

15,46

15,04

13,75

2 072

Télévision

24,43

24,0

23,75

22,58

3 402

Publicité extérieure

9,05

8,62

8,59

8,63

1 301

Radio

5,35

5,07

4,85

4,74

714

Cinéma

0,68

0,69

0,64

0,66

100

Internet (display + search + autres leviers)

25,93

29,9

31,77

38,91

5 862

Annuaires

5,24

4,69

4,80

4,06

612

Courrier publicitaire + imprimés sans adresse (isa)

12,17

11,55

10,57

9,50

1 432

Total général

100

100

100

100

15 062

Source : IREP, le marché publicitaire en 2019

Cette faiblesse des ressources contraste avec un intérêt accru de la part des lecteurs. La forte demande d'information liée à la crise sanitaire et les mesures de confinement ont ainsi eu un effet accélérateur sur la digitalisation des marques de presse. Selon l'Alliance pour les chiffres de la presse et des médias (ACPM), le recul de la diffusion des titres sur l'ensemble des circuits (physiques et digitaux), reste limité à 1,5 % sur l'année 2020, en raison d'une forte progression de la diffusion en ligne (+ 34,3 %). Les téléchargements des quotidiens ou des magazines ont représenté 18,5 % des ventes des éditeurs l'an dernier. Les supports digitaux ont, de leur côté, enregistré un record historique de leur fréquentation, avec en moyenne 77 millions de visites par jour, soit une hausse de 31 % par rapport à 2019.

La diffusion des huit titres de presse quotidienne (Le Figaro, Le Monde, L'Équipe, Les Échos, La Croix, Aujourd'hui en France, Libération et L'Humanité) a progressé de 3,4 %, enregistrant une hausse de 36 % des ventes numériques. Plus de la moitié de la diffusion moyenne de ces titres l'a été en version numérique (782 000 téléchargements quotidiens sur 1,4 million d'exemplaires quotidiens). La diffusion globale payante de plusieurs quotidiens nationaux a, ainsi, progressé en 2020 (Le Monde, Libération, Les Échos et Le Figaro). Les sites de la presse quotidienne nationale ont, dans le même temps, enregistré 7,5 milliards de visites, soit une progression de près de 17 % par rapport à 2019 53 ( * ) . Cette intérêt accru pour le numérique se retrouve également en matière d'abonnements.

Progression des abonnements numériques en 2020

Titre

Nombre d'abonnements numériques supplémentaires en 2020

Le Monde

108 000

Le Figaro

50 000

Libération

23 000

L'Équipe

22 000

Le Parisien / Aujourd'hui en France

14 000

Les Échos

11 000

La Croix

4 500

Source : Commission des finances du Sénat d'après les chiffres fournis par l'APCM

La part numérique des ventes de la presse quotidienne régionale a également enregistré une progression de 39,2 %. Cette diffusion ne concerne cependant que 10 % (353 000 exemplaires) des ventes tous supports confondus.

Les crédits dédiés au sein du programme 180 et du Plan de relance devraient donc permettre d'accompagner une tendance. Reste que si l'État peut inciter les éditeurs à moderniser leur offre, cette incitation doit être ciblée. Il n'appartient pas à l'État de se substituer aux éditeurs dans la définition d'une offre numérique ou du choix d'un support et de financer ainsi l'intégralité du processus de digitalisation de la presse, sauf à créer une distorsion de concurrence avec d'autres secteurs. L'accompagnement doit donc prendre en compte le degré de digitalisation déjà existant pour chaque titre et être modulé en fonction de celui-ci. Il pourrait viser en particulier les publications de la connaissance et du savoir qui ne disposent pas des ressources d'une grande partie de la presse IPG pour accélérer leur digitalisation.

Recommandation n° 9 : Cibler l'aide à la digitalisation en tenant compte des stratégies déjà menées par les titres et en favorisant les publications ne disposant pas encore des infrastructures ou des revenus publicitaires nécessaires.

Par ailleurs, l'ouverture de nouvelles lignes de crédit en faveur de la transition numérique ne saurait occulter la mise en place d'autres instruments juridiques en vue de renforcer les ressources des médias de presse écrite présents sur internet. L'aide budgétaire ne peut constituer la seule réponse au défi de la digitalisation.

a) Les droits voisins

Via la loi n° 2019-775 du 24 juillet 2019 tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse 54 ( * ) , la France a transposé la directive européenne sur le droit d'auteur et les droits voisins du 17 avril 2019 55 ( * ) . Le texte est censé mettre en place les conditions d'une négociation équilibrée entre, d'une part, les éditeurs et agences de presse et, d'autre part, les plateformes numériques , afin de redéfinir, en faveur des éditeurs et agences de presse, le partage de la valeur entre ces acteurs. Il convient de rappeler à ce stade que les moteurs de recherche - Google pour une large part - sont à l'origine de 26 % à 90 % du trafic redirigé vers les pages de 32 journaux disposant d'un site en ligne.

Il confère aux éditeurs et agences de presse le droit d'autoriser ou d'interdire la reproduction de leurs publications par les plateformes numériques. Les actes d'hyperlien et l'utilisation de mots isolés ou de très courts extraits d'une publication de presse sont exclus de l'application du droit voisin et n'ouvrent pas droit à rémunération, conformément aux dispositions de la directive européenne.

Au-delà de ce texte et face aux réticences de Google à mettre en place une rémunération 56 ( * ) , l'Autorité de la concurrence a jugé que cette société détenait une position dominante sur le marché français des services de recherche généraliste et que ses pratiques pouvaient être qualifiées d'anticoncurrentielles 57 ( * ) .

b) L'enjeu de la publicité numérique

La concentration des recettes publicitaires entre les mains d'un nombre réduit d'acteurs numériques pourrait, à terme, menacer la pérennité des médias traditionnels et, par voie de conséquence, l'accès à l'information.

Le Gouvernement a mis en oeuvre une mission afin d'analyser et mettre en lumière les impacts des évolutions majeures en cours dans le secteur de la publicité numérique. L'objectif est d'aboutir à une révision de la la régulation de ce secteur, tant au niveau national qu'au niveau européen.

c) Les kiosques numériques

Les kiosques numériques sont des services permettant à leurs utilisateurs d'accéder et de consulter des titres de presse en ligne. Certains kiosques sont adossés à des opérateurs téléphoniques depuis 2016, démultipliant ainsi leur audience à l'instar de Cafeyn (SFR, Bouygues Telecom) ou ePresse (Orange).

Les kiosques numériques constituent ainsi un nouveau canal de diffusion de leurs contenus à destination des clients des opérateurs de télécommunications, favorisant l'essor de certains titres : la diffusion de L'Express par kiosque numérique représente 32 % de sa diffusion payée en France en 2019 contre 9 % en 2016 et celle de Paris Match 22 % de sa diffusion payée en France, contre moins de 5 % en 2016. La diffusion par les kiosques numériques permet donc une exposition forte et l'atteinte de nouveaux lecteurs.

Les éditeurs sont rémunérés par les kiosques pour la diffusion de leurs titres. Le détail des modalités de rémunération n'est pas connu de l'administration. La rentabilité des ventes par les kiosques numériques reste moins élevée que celle des ventes imprimées au numéro, la notoriété des titres jouant bien évidemment dans le niveau de rémunération..

La révision de la loi Bichet prévoit une application aux kiosques numériques des grands principes qui ne s'appliquaient jusqu'alors qu'aux seuls kiosques physiques. Le texte accorde ainsi un droit d'accès aux kiosques aux titres d'information politique et générale. Il a instauré, par ailleurs, des obligations de transparence renforcées aux agrégateurs d'informations en ligne à propos de leurs choix de « mise en avant » de contenus d'information :

- l'obligation de diffuser un SPEL d'IPG ou la version numérisée d'un titre IPG ne s'applique qu'aux kiosques numériques qui proposent l'accès à des titres édités par au moins deux entreprises de presse distinctes ;

- cette obligation ne s'impose que si le kiosque numérique propose déjà l'accès à au moins un titre IPG. ;

- seuls les kiosques numériques les plus importants auront l'obligation de donner accès à un titre IPG.

Les kiosques numériques ont pu profiter d'une incertitude relative au calcul du taux de taxe sur la valeur ajoutée dans le cadre d'offres composites jusqu'en 2018. La loi de finances pour 2018 encadre en effet les règles d'application du taux super-réduit de TVA dont bénéficient les ventes de la presse 58 ( * ) .Par ailleurs, seul un abonnement à un kiosque numérique exclusivement réservé à la presse IPG peut entrer dans le périmètre du crédit d'impôt sur le revenu au titre du premier abonnement à un journal, à une publication périodique ou à un service en ligne de presse d'information politique et générale.

Recommandation n° 10 : Favoriser la transition numérique en dépassant la simple logique budgétaire via la mise en place d'autres instruments juridiques destinés à améliorer les ressources des titres (kiosques numériques, publicité numériques, droits voisins).


* 51 Loi n° 2020-105 du 10 février 2020.

* 52 Cet arrêt trouve sa source dans la transposition de l'article 8 bis de la directive 2008/98/CE relative aux déchets, dans sa rédaction issue de la directive 2018/851 du 30 mai 2018, qui prévoit que les producteurs soumis à un principe de responsabilité élargie du producteur (REP) couvrent au moins 50 % des coûts de prévention et gestion des déchets issus de leurs produits au travers d'une contribution nécessairement financière. Ces dispositions doivent entrer en vigueur au plus tard le 5 janvier 2023.

* 53 Le Figaro enregistre 160,5 millions de visites mensuelles et Le Monde 150,3 millions de visites mensuelles. Le troisième site du secteur le plus consulté est celui de Ouest-France (149,9 millions de visites mensuelles, soit une progression de 62 millions de visites par rapport à 2019).

* 54 Loi n° 2019-775 du 24 juillet 2019.

* 55 Directive (UE) 2019/790 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 sur le droit d'auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les directives 96/9/CE et 2001/29/CE.

* 56 Google souhaitait mettre en place un référencement « enrichi », comprenant une image ou une vidéo ainsi qu'un extrait dont la taille maximale est définie par l'éditeur, à condition que l'éditeur l'accepte, mais sans que Google propose en contrepartie une quelconque rémunération.

* 57 Décision n° 20-MC-01 du 9 avril 2020. L'Autorité de la concurrence était saisie par l'Alliance de la presse d'information générale (APIG), le Syndicat des éditeurs de la presse magazine (SEPM), la Fédération nationale de la presse spécialisée (FNPS) le groupe Les Échos-Le Parisien, et l'Agence France-Presse (AFP).

* 58 Article 8 de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018.

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