ANNEXE 3 :
COMPTE RENDU DE
LA TABLE RONDE SUR L'ACTUALITÉ DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES
DU JEUDI 19 NOVEMBRE 2020
Mme Françoise Gatel, présidente . - Je suis très heureuse de vous accueillir pour cette réunion de rentrée de notre délégation, qui a été renouvelée de façon importante.
Vous savez l'attention que le Sénat porte aux associations que vous représentez et la nécessité pour nous de travailler de façon très étroite avec vous. Le président du Sénat l'a récemment rappelé à l'occasion du travail entrepris de manière oecuménique pour la préparation de la loi 3D, donnant lieu à l'élaboration de propositions auxquelles Territoires Unis a été associé. Ce temps est un peu particulier du fait de la crise sanitaire et des échéances électorales qui sont prévues en 2021. C'est un texte très attendu par les associations d'élus et les sénateurs sur la différenciation et la décentralisation. Nous avons de très nombreuses questions autour de cette table.
Je salue François Baroin, président de l'Association des maires de France (AMF). Cher François, merci beaucoup de nous accorder ce temps pour cet échange. Je salue également Sébastien Martin, nouveau président de l'Association des communautés de France (AdCF) que je félicite, présent ici au Sénat, Dominique Bussereau, président de l'Assemblée des Départements de France, et Renaud Muselier, président de Régions de France, que nous avons toujours plaisir à entendre.
Chacun de vous est un acteur majeur, volontaire ou involontaire, de la crise sanitaire actuelle et nous serons heureux de vous entendre à la fois à ce sujet et sur la future loi 3D. Nous aurons des questions sur les finances locales, ainsi qu'à propos du plan de relance, son efficience et sa territorialisation - sujet sur lequel de nombreuses questions sont régulièrement posées au Sénat.
En attendant d'établir la liaison avec François Baroin, je propose que Sébastien Martin, nouveau président de l'Assemblée des communautés de France, prenne la parole en premier.
M. Sébastien Martin, président de l'Assemblée des communautés de France . - Merci Madame la présidente. Je voudrais féliciter la nouvelle présidente de la délégation, Françoise Gatel, que nous connaissons bien à l'AdCF puisqu'elle est administratrice de notre association. Je salue également les nouveaux membres de cette délégation. Je sais que certains viennent du beau département de la Saône-et-Loire, dont je suis élu. Nous avons besoin de cet échange avec les parlementaires représentant les collectivités territoriales.
Cette crise a montré que l'État avait plus que jamais besoin des collectivités. C'est le couple élu-préfet qui a tout particulièrement montré son efficacité. Je suis élu départemental et j'ai constaté à quel point l'Agence régionale de santé (ARS) avait besoin des départements dès lors qu'il s'agissait d'intervenir dans les établissements médico-sociaux, de même que l'État a besoin des régions pour préparer la relance économique, et des intercommunalités pour s'assurer de la continuité d'un certain nombre de services. Cette relation État-collectivités a été réaffirmée mais elle ne peut l'être comme si rien n'avait changé. C'est la raison pour laquelle, lors de sa dernière assemblée générale, l'AdCF a mis en avant la nécessité de la territorialisation de la relance. Celle-ci, pour fonctionner, s'appuiera sur un véritable dialogue dans les territoires, notamment à l'échelle régionale en faisant des intercommunalités des relais de France Relance sur le terrain. Un maximum de crédits doit être, simultanément, déconcentré à l'échelon régional dans le cadre du dialogue État-région. Il faut que nous ayons un cadre de dialogue et de concertation pour la mise en oeuvre de cette relance.
On nous a parlé de comités départementaux et de comités régionaux de la relance, de sous-préfets à la relance. Le conseil d'administration de l'AdCF s'est réuni cette semaine et, pour avoir fait le tour des régions de France, nous constatons une forme de retard à l'allumage. Il ne faudrait pas qu'on en revienne à de vieux réflexes, c'est-à-dire voir trop d'appels à projets partir depuis les ministères de façon dispersée. Nous sommes demandeurs de la territorialisation des crédits du plan de relance pour une raison simple : il est beaucoup plus efficace, au quotidien, de dialoguer avec les préfets de département ou de région, de même qu'avec les présidents de départements et de régions, pour juger de la qualité des projets et de leur capacité à être opérationnels rapidement.
Si nous voulons une relance reposant sur des projets matures et efficients, nos autorités locales sont bien plus informées sur ces derniers qu'un chef de bureau dans la tour de la Défense du ministère de l'Environnement. Nous prônons également un cadre de dialogue renouvelé entre les collectivités territoriales et l'État. Les instances actuelles sont trop nombreuses ou ont perdu de leur efficacité. Un chantier de base de la future loi 3D (ou 4D demain) résidera dans la confiance à créer. Irons-nous plus loin dans la décentralisation, dans la déconcentration ou dans la dévolution du pouvoir réglementaire ? Tel est l'enjeu de cette loi. La confiance sera donc capitale. Elle doit résulter d'un cadre de dialogue renouvelé. Il faut une vraie instance de dialogue État-collectivités territoriales, qui puisse s'appuyer sur des groupes de travail thématiques et faire émerger des propositions résultant d'un consensus entre l'État et les collectivités. Un cheminement législatif peut alors être emprunté.
Mme Françoise Gatel, présidente . - Merci beaucoup. Je donne la parole à Dominique Bussereau.
M. Dominique Bussereau, président de l'Assemblée des Départements de France . - Merci Madame la présidente, de nous accueillir une fois de plus, et félicitations aux nouveaux collègues sénateurs qui viennent de la rejoindre.
Plutôt que de revenir sur le printemps dernier, s'agissant de la crise, je dirai simplement que nous sommes aujourd'hui dans une situation très différente. Nous étions alors dans l'urgence, dans la colère et dans l'effroi (absence de masques, de sur-chaussures, de blouses). Devant des difficultés extraordinaires de toutes natures rencontrées par toutes les collectivités (régions, départements, intercommunalités, communes), tout le monde s'y est mis et nous nous sommes aperçus, durant ces trois mois, que sans les collectivités, l'organisation de l'État, au niveau local, n'était pas capable de régler tous les aspects d'une crise de cette nature. Nous avons vu la grande difficulté des ARS à être efficaces, en tout cas dans ma région. L'ARS a été en dessous de tout, notamment en n'informant pas les maires des décès survenus en Établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). Je ne parle pas des aspects sanitaires mais du relais avec les collectivités et avec les populations, alors que les préfets ont été, comme à leur habitude, efficients, connaissant leur métier, sachant gérer les crises, ce qui n'a pas été le cas des ARS.
Je dois corriger mon propos pour dire qu'aujourd'hui, les choses vont mieux. Olivier Véran a compris ce qui s'était passé. Des changements salutaires ont eu lieu à la tête des ARS. Un certain nombre de caciques ou de personnes inefficaces a été mis de côté. Nous avons désormais des points jour après jour sur la situation dans les EHPAD et en milieu scolaire. L'absence d'information qui prévalait au printemps n'est plus de mise aujourd'hui. J'espère que les autres départements et les autres régions constatent aussi cette amélioration.
L'État a moyennement tiré les conséquences financières de tout cela puisque, concernant les remboursements de masques et autres équipements, nous ne sommes pas d'accord. Il reste un certain nombre de difficultés.
De cette situation résulte une augmentation considérable des dépenses du RSA (+ 5 % en moyenne mensuelle pour certains départements, cette hausse pouvant atteindre 15 %, 20 % ou 25 % dans certains d'entre eux). Cette augmentation a eu lieu durant le printemps et s'est reproduite à la rentrée. Elle va s'amplifier en raison de la mise au chômage de nombreuses personnes et des difficultés rencontrées par les artisans et commerçants qui vont fermer boutique. Comme vous le savez, l'État ne paie que la moitié des dépenses du Revenu de solidarité active (RSA) alors qu'il devrait en payer la totalité. La part à la charge des départements va représenter une dépense de plus d'un milliard d'euros, a minima , l'année prochaine. Nos droits de mutation à titre onéreux (DMTO) ont beaucoup diminué au moment du premier confinement. Ils se sont redressés et nous avons fait moins appel que prévu au mécanisme d'avance mis en place par le gouvernement. L'absence de visites de biens par les agents immobiliers a cependant suspendu toutes les transactions et nous risquons d'avoir, en novembre et décembre, un impact négatif sur les DMTO. Peut-être serons-nous appelés à aller plus loin dans le recours aux avances mises en place par l'État.
S'agissant de notre situation financière, l'État a partiellement pris en compte nos demandes pour le financement du RSA. Il nous a permis de rester dans le fonds de stabilisation volontaire mis en place par les départements, à hauteur de 1,6 milliard d'euros, étant entendu qu'en 2021 les départements les plus riches ne pourront pas suffisamment aider les moins bien dotés. De ce fait, une dotation supplémentaire de 85 millions d'euros au fonds de stabilisation est prévue portant ainsi la dotation totale à 200 millions d'euros. Nous avons cependant une grande inquiétude, au moment où je vous parle, qui pourrait entraîner une rupture de nos relations avec l'État. Nous venons en effet de nous apercevoir que Bercy n'avait pas intégré dans le projet de loi de finances rectificatives, par une manoeuvre invraisemblable, 115 des 200 millions de cette dotation. Jacqueline Gourault partage notre colère et notre étonnement. La question dépend donc maintenant de l'arbitrage du Premier ministre. S'il est positif, l'incident sera clos. Dans le cas contraire, nous entrerons dans une grave crise des relations entre les départements et l'État, puisque celui-ci aura manqué à sa parole. Je fais confiance à Jacqueline Gourault pour obtenir un arbitrage favorable. Si ce problème est réglé dans les jours à venir, j'en informerai la délégation. S'il n'est pas réglé, vous le saurez car nous réagirons, dans cette hypothèse, de façon très ferme.
Enfin, concernant la décentralisation, cela fait plus d'un an et demi que nous avons adressé à des groupes de travail publics, à différents ministres et au Premier ministre, des propositions pour la décentralisation en matière médico-sociale, en matière de logement, d'environnement, etc. Elles font l'objet d'une discussion avec Matignon. La qualité de la poursuite de cette discussion dépendra du point que je viens d'évoquer. Nous avons agi sur ce point de façon concertée avec Renaud Muselier et François Baroin. Nous faisons en sorte que nos propositions nouvelles en matière de décentralisation, d'assouplissement de la loi NOTRe et d'assouplissement des délégations entre collectivités fassent l'objet d'un processus commun. Nous avons mis en place une plateforme commune et avons présenté un certain nombre de propositions de décentralisation afin d'alimenter la future loi 3D ou 4D. Le Premier ministre nous avait indiqué, il y a quelques semaines, qu'il présenterait un projet en Conseil des ministres début janvier - j'ignore si ce calendrier a évolué.
Mme Françoise Gatel, présidente . - Je vous remercie cher Dominique. La liaison ayant été rétablie, nous pouvons enfin entendre François Baroin, à qui je cède la parole.
M. François Baroin, président de l'Association des Maires de France . - Je m'excuse de n'avoir pas pu entendre les propos de Sébastien Martin. J'irai à l'essentiel sans revenir sur le premier confinement car nous avions été interrogés à ce sujet par la délégation puis par la commission d'enquête sénatoriale. Les choses sont claires : le rôle indispensable des collectivités territoriales n'est plus à prouver depuis de nombreux mois, dans la mesure où nous avons été à la manoeuvre. Les départements ont réalisé un travail remarquable dans le champ médico-social. Les régions ont été exemplaires en termes de vélocité et d'agilité pour ce qui concerne l'achat de masques, leur distribution et la logistique. Les communes et intercommunalités ont été au plus près des populations durant la période de sidération vécue lors du premier confinement.
S'agissant du deuxième confinement, nous devons dire que, de notre point de vue, toutes les leçons de l'épisode précédent n'ont pas été tirées par l'État. Les mesures du cadre général qui restreignent les libertés publiques (couvre-feu ou déconfinement) ont été annoncées. Nous avons un problème de définition de la notion de concertation avec l'État, sur ce sujet comme sur d'autres. Renaud Muselier s'était exprimé de manière virulente et nous avions alerté le Premier ministre en soulignant que la concertation ne saurait consister en un coup de fil, une heure avant l'annonce d'une décision par l'État, sans avoir bien mesuré son impact local.
Les choses s'améliorent cependant, les relations avec les préfets sont beaucoup plus fluides, un message est passé sur le terrain. S'agissant des ARS, je partage entièrement les propos de Dominique Bussereau. Nous sentons de la bonne volonté. Ces personnes sont à la manoeuvre, dans une situation très difficile à appréhender. Pour autant, c'est avec les préfets que nous avons l'habitude de travailler. Ce sont eux qui représentent le ministère de l'Intérieur en cas de crise et ils sont les professionnels de cette gestion de crise. Nous observons sur le terrain les positions publiques de l'AMF, bien connues et partagées avec tous les élus locaux. S'agissant des commerces, le sentiment d'iniquité enfle chaque jour un peu plus et domine désormais le paysage. Nous avons une vraie préoccupation du point de vue de la casse économique et sociale qui va en résulter dans toutes les villes, quelle que soit leur taille (métropoles, villes moyennes et petites villes). Des plans sociaux sont annoncés tous les jours et le temps des procédures nous conduira probablement à un rendez-vous au mois de mai ou juin 2021.
Nous souhaitons bien sûr être associés aux conditions du déconfinement. Je crois que le Premier ministre prendra l'initiative en fin de semaine, dans le même esprit de celle qu'il avait prise pour préparer la déclaration du président de la République sur le confinement. Nos positions sont connues. Nous souhaitons naturellement un déconfinement adapté et un cadre général qui place au premier rang la protection sanitaire des Français, en particulier la lutte contre l'épidémie.
Sur le plan juridique, les maires sont dépouillés, pour une large part, de leur pouvoir de police propre dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, ce qui en fait des agents de l'État dans de nombreux secteurs. C'est le cas pour la santé en général puisqu'il s'agit d'une mission régalienne. Toutes les initiatives qui font des maires des lanceurs d'alertes (par exemple à travers les arrêtés municipaux pris pour interpeller l'État sur l'inégalité de traitement des commerces) doivent être comprises comme des messages d'alerte et non comme une volonté de sécession de leur part. Tous les maires sont des serviteurs de la cause de la protection des Français aux côtés de l'État.
Sur le plan financier, nous avons de nombreux sujets de préoccupation. Je veux partager avec la délégation un souci réel quant à l'écrasement spectaculaire et très rapide de l'autofinancement de toutes nos structures. Les communes subissent un effet de ciseau plus spectaculaire que ce que nous avions anticipé avant l'été, car à l'effondrement des recettes s'ajoute la réduction de la base fiscale. Les intercommunalités sont confrontées à l'annonce de la suppression des impôts de production, que nous contestons. Cette décision est une faute politique et économique. C'est s'aligner sur la position prise pour la taxe d'habitation - qui était déjà une faute politique à nos yeux -en supprimant, pour la grande majorité d'entre nous, le lien entre l'habitant et le territoire. Cela a eu pour conséquence de supprimer l'autonomie fiscale des départements, puisque nous avons récupéré la part du foncier bâti départemental. Si nous avons conservé une fiscalité de stock à notre main, nous avons une inquiétude quant à la base. Quant aux impôts de production, si l'objectif est de relocaliser, les effets négatifs de la mesure sont sans rapport avec les gains qui peuvent en être attendus puisque les impôts de production représentent près de 70 milliards d'euros et les charges sociales environ 380 millions d'euros. C'était donc la mauvaise méthode. Au total, ces mesures concernant la taxe d'habitation et les impôts de production, nationalisés par des décisions de l'État et remplacés par des dotations, c'est une recentralisation qui est à l'opposé du projet 3D et du discours porté publiquement sur la décentralisation.
Le sujet le plus prégnant et le plus sensible reste l'autofinancement, qui fond comme beurre au soleil. De nombreuses structures, notamment intercommunales, ne pourront pas, dès l'année prochaine, être à ce rendez-vous de la relance par l'investissement aux côtés de l'État. Les années suivantes, ce sera pire.
Je partage les inquiétudes de Dominique Bussereau : les dispositions de la loi de finances ne sont pas à la hauteur. Je rappelle que nous demandions une prise en charge par l'État du coût du Covid pour les collectivités territoriales, c'est-à-dire une nationalisation des pertes de recettes et des dettes accumulées, ce qui permettrait à Paris de négocier avec Bruxelles le stock global de dette. Celle-ci s'est accrue de 20 points de Produit intérieur brut (PIB). Le pays aurait supporté une hausse d'1 % supplémentaire à la faveur de ces négociations, de sorte que nous ayons des recettes garanties pour avoir la certitude d'être au rendez-vous de la relance économique par l'investissement public.
Quant à la future loi 3D, nous avons mis des propositions sur la table, en lien avec Renaud Muselier, Dominique Bussereau et tous les partenaires associatifs qui constituent des partenaires de l'État. En matière de santé, nous avons une position commune : un secteur médico-social revenant au département, une gouvernance de l'hôpital recentrée sur le conseil d'administration. Le maire doit être au coeur de la définition du projet d'établissement et du rapprochement entre le public et le privé que nous appelons de nos voeux. Nous souhaitons ouvrir la possibilité d'investir dans des hôpitaux y compris privés, et voulons être des acteurs de l'embauche de médecins, de sages-femmes, etc. La santé doit constituer un vecteur d'attractivité des territoires.
Le même esprit nous anime pour les régions. Nous avons un accord global pour une séquence de développement économique : apprentissage, formation professionnelle, politique de l'emploi. Nous ne sommes pas opposés à ce que la région ait le dernier mot en matière de santé et constitue un partenaire actif en la matière. Sur le plan de la proximité, il faut ouvrir le jeu en matière de logement. Une politique nationale telle que celle qui existe aujourd'hui peine à fournir des réponses appropriées. Nous le voyons bien avec la décision absurde de baisse de l'Aide personnalisée au logement (APL). Cette mesure budgétaire a entraîné une très forte chute du montant d'autofinancement des offices publics de l'habitat. L'effondrement des chiffres de la construction en résultant constitue une bombe à retardement, qui risque d'exploser dans deux ou trois ans au regard du déséquilibre qu'elle créé entre l'offre et la demande. La même chose se produira pour l'investissement public au niveau national pour la relance.
Le logement, la culture, le tourisme, le sport sont également des sujets que nous souhaitons évoquer. Nous portons l'ambition d'une nouvelle organisation des pouvoirs publics. L'État est suradministré à sa tête et largement dépouillé dans la plupart des territoires. Les collectivités territoriales ont montré qu'elles étaient agiles et pouvaient à la fois mieux comprendre la réalité du coin de la rue et agir plus rapidement en substitution de l'État, lequel peut se remuscler là où on l'attend (sécurité, défense, etc.). Il n'y a pas que des mauvaises choses dans le texte initial mais nous sommes très loin des enjeux que représente aujourd'hui une nouvelle organisation des pouvoirs publics.
Mme Françoise Gatel, présidente . - Merci beaucoup cher François. Nous avons eu l'occasion, avec le président Larcher et les trois associations (AMF, ADF et RF), d'évoquer ces perspectives visant à dessiner un État plus performant. Les pistes que tu as évoquées, concernant les conditions de mise en oeuvre du plan de relance et l'efficacité des différents niveaux d'intervention, dans un horizon plus long, rejoignent les 50 propositions précitées et que j'invite chacun à relire.
Merci pour ces constats et propositions, au moment où nous allons commencer l'examen du projet de loi de finances pour 2021. Nous serons attentifs à la façon dont l'État saisit cette occasion unique de travailler sur une vraie proposition de décentralisation et de déconcentration.
Je passe la parole au président de Régions de France, anciennement Assemblée des Régions de France, Renaud Muselier.
M. Renaud Muselier, président de Régions de France . - Merci, Françoise, pour cette réunion et pour ton attention permanente aux préoccupations des collectivités. Je salue nos collègues sénateurs ici présents et mes deux complices de Territoires Unis, Dominique Bussereau et François Baroin. Nous sommes toujours en phase depuis que cette initiative a été lancée, ici à Marseille, avec Hervé Morin, sous l'égide de Régions de France, en présence du président du Sénat. Nous avons traversé de nombreuses crises en commun et le titre de « Territoires unis » nous sied parfaitement. Je suis également heureux d'entendre Sébastien Martin ce matin, dont les propositions ne peuvent qu'enrichir la position collective.
Je partage bien entendu tous les propos tenus par François Baroin et Sébastien Martin.
Dès le départ, nous avons évoqué le problème de la crise sanitaire, puis celui de la crise économique et celui de la crise sociale qui allait survenir. Nous nous sommes efforcés de gérer au mieux ces difficultés compte tenu des responsabilités qui sont les nôtres. Si nous sommes entrés dans la période de crise sanitaire, au printemps, avec la volonté d'éviter toute polémique, l'absence de polémique ne signifie pas l'absence de réflexion. Nous avons pu nous exprimer de façon assez sèche et sévère devant la mission de l'Assemblée nationale sur la gestion de cette crise.
En tant que médecin, président de ma région et président de Régions de France, j'ai une vision très négative de la gestion de cette crise par le ministère de la Santé. C'est lui qui a organisé les pénuries et commis les erreurs stratégiques. Or, on ne peut jamais gérer une crise quand on a organisé la pénurie. On se ment, on triche, on raconte des salades et on se retrouve dans une situation épouvantable. Cela nous a conduits à être hyperactifs, à un moment donné, en aval. La crise doit être gérée par des professionnels de la crise, en l'espèce le ministère de l'Intérieur ou le ministère de la Défense, pas le ministère de la Santé. Pourtant, on retrouve aujourd'hui les mêmes acteurs à la manoeuvre, face à cette deuxième crise. Je sors, par conséquent, de la position « zéro polémique » que j'avais adoptée.
Au niveau des ARS, nous avons vu des situations assez surprenantes. Dominique l'a évoqué. L'ARS du Grand Est, qui a été pitoyable, a explosé en vol tandis que dans ma région, l'ARS a été parfaite. Le problème, sur ce point, est assez simple : les ARS sont aux ordres du ministère de la Santé. Elles n'ont plus de moyens, notamment dans les régions qui se sont agrandies. La fusion des Directions départementales des Affaires sanitaires et sociales (DASS) et des Directions régionales des affaires sanitaires et sociales (DRASS) a entraîné une pénurie de personnel et de ressources humaines. Suivant la qualité de l'ARS, cela se passe bien ou non.
Je suis aussi interpellé de façon insupportable par le rôle joué par le conseil scientifique. Celui-ci s'exprime à tort et à travers, ses membres adorent la télévision. Ils parlent avant le Premier ministre et avant ou après le président de la République pour expliquer que nous allons mourir demain, sans nous dire comment ni pourquoi. Ses messages sont extraordinairement dramatiques et négatifs, n'offrant jamais la moindre lueur d'espoir. Nous voyons que la situation évolue avec les interventions du Premier ministre, lequel s'efforce de donner désormais un cap afin de nous donner un peu de visibilité. Le rôle des membres du Conseil scientifique n'est pas de s'exprimer à la télévision pour empiéter sur le champ politique et s'immiscer dans celui de la décision. Ce sont les raisons pour lesquelles je suis particulièrement en colère sur ce point, notamment dans cette deuxième vague.
Le deuxième confinement présente des points communs avec le premier. Nous avons connu le problème des masques, celui des tests et, de façon générale, de la stratégie défendue par les pouvoirs publics. Au début, il ne fallait pas se masquer, puis il nous a été demandé de le faire, ainsi que de se tester et de s'isoler en cas de test positif. Cela changeait sans arrêt. En réalité, il faut se masquer, appliquer les gestes barrières et se tester mais de façon ciblée et non de façon systématique pour tout le monde, tout le temps. Cela n'a aucun sens et tout ceci n'est pas organisé dans notre pays. Je le déplore vivement.
Le confinement autoritaire et généralisé a fait se lever un vent de résistance. Je n'y contribue pas, mais je vois bien, dans ma région, les positions des uns et des autres. Le fait que le gouvernement nous place devant le fait accompli, prenne des décisions discutables sur le plan sanitaire et non acceptables par nos concitoyens, entraîne une forme très dangereuse de révolte sociale et institutionnelle, conduisant certains élus à revendiquer un droit à la désobéissance. À Marseille, un maire de secteur est allé plus loin. Il faut faire très attention à la justesse des propos. Je mets en garde : lorsqu'on conteste une décision, il faut le faire dans les règles.
Je crois qu'il faut remettre les préfets au centre du dispositif et se rapprocher des territoires. Je ferai des propositions la semaine prochaine au nom de Régions de France car nous ne connaissons ni les taux, ni les courbes, ni les méthodes retenus pour décider d'un confinement ou de l'ouverture des commerces.
Au titre de Régions de France, nous avons signé d'emblée, avec le Premier ministre, un accord de partenariat pour le plan de relance prévoyant un investissement massif au profit des régions dans le cadre des contrats de plan État-région. Cet accord, d'une durée de sept ans, prévoit un effort de 20 milliards d'euros contre 14 initialement. Sa mise en oeuvre passera par la territorialisation de la plus grande part possible des crédits du plan de relance. Je pense que le Premier ministre est sincère dans cette démarche. Néanmoins, nous constatons que sur les 100 milliards d'euros du plan de relance, seuls 16 milliards sont déconcentrés, ce qui me paraît insuffisant.
Avec le Premier ministre, nous avons décidé de confier le pilotage du plan de relance au président de région et au préfet de région, la territorialisation devant s'appuyer sur les départements et métropoles et ainsi agir au plus près du terrain. Le préfet de région nous paraît être l'interlocuteur le plus approprié. Il nous est arrivé d'avoir pour interlocuteurs des sous-préfets à la relance sans pour autant pouvoir identifier leurs missions précises. Il faut recentrer le pilotage au niveau régional de sorte que les opérateurs de l'État (Agence nationale pour la rénovation urbaine - ANRU -, Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie - ADEME -, Banque publique d'investissement - BPI -, etc.) ne lancent pas des projets au niveau central. Cela aurait pour conséquence de mélanger les contrats de plan État-région, les fonds relevant de filières spécifiques (aéronautique, tourisme, etc.) ainsi que le plan de relance, sans que nous sachions qui fait quoi. Les ministères adorent ces tuyauteries parallèles mais cela a pour effet de créer des États dans l'État et de ralentir la mise en oeuvre des décisions.
La signature avec l'État d'un accord de relance pour 2021 et 2022 est prévue d'ici la fin de l'année 2020. Pour la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, l'accord porte sur 64 millions d'euros de travaux, qui démarrent dès à présent. Ce sont en fait des résidus de travaux initiaux qui n'avaient pas été réglés et qu'il faut relancer. Un contrat de préfiguration du contrat de relance 2021-2027 doit également être signé avant la fin de l'année. Nous voyons déjà que certains aspects ne sont pas couverts par le contrat de plan État-région, à commencer par les infrastructures ferroviaires. Au premier semestre 2021, le contrat de relance et le contrat de plan État-région doivent être signés pour nous apporter une visibilité. Pour ma région, il est question de 4,5 milliards d'euros. Ce sont donc des montants financiers conséquents et intéressants.
Enfin, sur le plan des crédits européens, les fonds d'urgence européens et les fonds de transition juste doivent entrer dans une logique de guichet régional, copiloté par le préfet de région et le président de région et non par ministère, sous l'autorité de Bercy, auquel cas les fonds européens seraient détournés au profit de l'échelon central.
S'agissant de la décentralisation, j'avais dit au Sénat, devant Mme Gourault, aux côtés de Territoires Unis, qu'il fallait, à côté des 3D, les 3C de clarté, compétence et confiance. Nous en sommes très loin, malgré la très bonne volonté dont fait preuve la ministre. Je voudrais saluer l'action entreprise par le Sénat, qui a élaboré au cours de l'été les trois propositions de loi. Nous y avons été associés, au titre de Territoires Unis, d'un bout à l'autre. C'est un excellente base de travail pour le débat parlementaire au regard du projet 3D du gouvernement, dont je ne suis pas sûr qu'il soit à la hauteur de ce que nous souhaitons.
Je pense que le Premier ministre est décentralisateur mais qu'aucun ministère ne souhaite s'engager dans cette démarche. Il nous appartient de rester unis pour la défense de nos territoires.
Mme Françoise Gatel, présidente . - Merci Monsieur le président, cher Renaud. Je crois que chacun d'entre nous est frappé par la cohérence et la proximité de vos attentes et de vos constats. Comme vous l'avez dit, cette crise peut conduire à décliner un registre de complaintes et regrets mais nous avons surtout des leçons à en tirer pour davantage d'efficacité et corriger nos failles. Cette situation a bien mis en valeur le caractère indispensable d'un partenariat entre l'État et les collectivités territoriales. Celui-ci s'est trouvé paralysé, ankylosé, alors que les collectivités, du fait de leur agilité, leur efficacité, leur proximité, mais aussi de leur obligation de résultat, ont montré qu'elles pouvaient constituer le bras armé de l'État pour gérer les choses tant sur le plan sanitaire que sur le plan économique et social.
J'aurai quelques questions, avant de passer la parole à mes collègues, notamment à propos de la décentralisation et de la déconcentration. Celle-ci est très importante à nos yeux car elle suppose que l'État territorial ait la capacité à décider. Or c'est ce qui nous a parfois manqué durant la crise sanitaire. D'autre part, le terme « concentration » a son importance. Nous avons vu, durant la crise, la difficulté, parfois, pour un préfet, à imposer un commandement unique dans la mesure où les ARS, les rectorats, les Directions générales des Finances publiques (DGFIP) sont des satellites relativement autonomes, qui ont des comptes à rendre essentiellement aux ministres, alors que nous avons besoin, en pareille situation, d'un commandement unique. Finalement, la création d'agences autonomes, qui peuvent avoir leurs propres missions, n'est-elle pas incompatible avec l'exigence d'efficience et de coopération avec les collectivités ?
Je suis également très sensible à ce qu'a dit Renaud Muselier à propos du plan de relance, dont nous débattons beaucoup au Sénat. Ce plan doit être efficient et mis en oeuvre très rapidement, puisque chacun voit que nombre d'entreprises ne résisteront pas longtemps. Or, là encore, nous sommes confrontés à une organisation en tuyaux d'orgue. Chaque institution y va de son plan de relance, alors qu'il nous faudrait une sorte de « task force » très organisée avec les régions. Nombre d'entre elles ont mis en place des fonds « Covid résistance ». Quelle articulation voyez-vous entre les comités départementaux (qui me semblent pertinents, du fait de la proximité qu'ils permettent) et l'action des régions ?
Enfin, ma dernière question s'adresse plus particulièrement à l'AMF. Nos collègues Rémy Pointereau et Corinne Féret ont travaillé sur la question de la sécurité intérieure. À l'Assemblée nationale est examinée ces jours-ci une proposition de loi sur la sécurité globale, qui comporte un volet important sur les polices municipales. Peux-tu, cher François, nous dire un mot à ce sujet ?
M. François Baroin . - Nous partageons pleinement ton analyse à propos de la déconcentration. Nous avions exprimé cette position durant la première guerre contre le Covid, à la suite de l'échec de la bataille de la logistique. Le dernier kilomètre, dont l'importance avait alors été spectaculairement mis en lumière, a été géré par les régions, les départements, les communes et les intercommunalités. Il eût été beaucoup plus sage et plus sûr de confier le pilotage exclusif de ces aspects logistiques au ministère de l'Intérieur, en rétablissant le Conseil national de sécurité civile, supprimé sous la présidence de François Hollande. De même, il aurait fallu faire appel de façon beaucoup plus systématique à l'armée, qui ne demandait que ça, dans chacune des zones de défense, pour coordonner ces aspects logistiques. Nous aurions gagné du temps et en méthode. Ce sont les collectivités locales qui l'ont fait, alors que ce n'est pas pleinement leur métier. Il y a là un enseignement très important à tirer, d'autant plus que pas grand-chose n'a été fait entre le mois de mai et le mois de septembre, ce qui est regrettable. Vos commissions mettront en lumière ce qui a été fait et ce qui ne l'a pas été.
Le même pilotage prévaut aujourd'hui. Le ministère de la Santé devrait être veille permanente afin d'être en mesure de fournir des éléments comparatifs sur l'évolution de la pandémie. Ensuite, le processus de décision doit incomber aux ministères régaliens, sous l'autorité du président de la République, et la coordination du chef du Gouvernement et le pilotage des ministères qui nous sont familiers pour ce qui est de l'organisation. Seulement 24 heures se sont écoulées entre l'annonce du confinement par le président de la République et sa mise en oeuvre. À ma connaissance, d'autres pays ont ménagé un délai d'une semaine entre ces deux moments. Si tel avait été le cas en France, nous n'aurions pas connu le pataquès qui a prévalu concernant les commerces de proximité. Nous aurions en effet rapidement constaté que l'équité n'était pas au rendez-vous du point de vue opérationnel.
Un temps de latence d'une semaine après l'annonce du deuxième confinement aurait permis aux maires et aux préfets, en lien avec les associations départementales des maires, de traiter les difficultés propres aux commerces de proximité. Ces acteurs auraient pu apporter leur connaissance du terrain et faciliter les prises de rendez-vous. Nous aurions été plus efficaces. Il n'y aurait pas eu toutes ces tensions et ces interrogations. L'AMF porte de longue date la demande visant à redonner aux préfets de département une autorité naturelle sur toutes les administrations locales, qu'il s'agisse d'agences ou de directions services déconcentrés. C'est normal.
Les agences doivent-elles être revisitées ? Nous avons le droit de tirer les leçons de nos expériences. Les actuelles ARS ont mis en évidence la nécessité d'un changement absolu de gouvernance. Territoires Unis formule des propositions pour que l'équivalent transformé des ARS soit placé sous la double autorité des présidents de région et des préfets de région, dans l'esprit d'une décentralisation au titre de laquelle la région aurait à connaître une partie de la santé, à l'instar des Länder en Allemagne. Cela peut se décliner sur tous les sujets. Les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) ne répondent qu'à un acteur : le ministre de l'Environnement. Même les présidents de région peinent à se faire entendre. Puisqu'un texte sera présenté en débat à la représentation nationale, il faut octroyer aux préfets de département une autorité sur toutes les administrations déconcentrées.
Une bonne partie du plan de relance s'opère à travers un volume d'investissement dont moins de 20 % sont territorialisés, ce qui est extrêmement faible. Nous n'avons pas été consultés sur des priorités, par ailleurs définies par l'État. Nous allons nous efforcer d'entrer à l'intérieur des trois thèmes principaux proposés : transport, environnement, numérique. D'autres thèmes prioritaires auraient pu être retenus, tels que l'agriculture, la ruralité au sens large, la politique du logement, etc. En toute hypothèse, il faudra travailler sur les critères. L'État demandera sûrement aux collectivités territoriales une participation d'au moins 20 % en investissement sur tous les dossiers. Nombre de collectivités ne pourront probablement pas répondre à cette attente en raison de l'écrasement de leur autofinancement. Dès lors, soit l'État assure le portage, soit les discussions avec la région permettent de compléter, mais il ne faut pas demander une participation obligatoire, faute de quoi le projet risque de ne pas voir le jour. L'investissement doit avoir lieu sur le territoire et il doit y avoir une restitution de l'argent du contribuable par la commande publique mais ce ne doit pas être un élément bloquant si une collectivité ne peut être au rendez-vous.
En ce qui concerne les polices municipales, la proposition de loi, inspirée des travaux de deux parlementaires, devient un peu le texte du Gouvernement. La position de l'AMF est constante à ce sujet : le maire prend l'initiative de proposer à son conseil municipal de décider souverainement de créer une police municipale, éventuellement de l'armer et de l'équiper en s'en donnant les moyens. À cet égard, nous n'avons pas apprécié la polémique entre le ministre de l'Intérieur et le maire de Grenoble. Elle a créé une confusion en termes de répartition des responsabilités. Je rappelle que l'ordre public relève de l'État tandis que la tranquillité du voisinage revient au maire. Lorsqu'un représentant de l'État déclare qu'un maire n'a pas fait l'effort financier d'investir dans des caméras de vidéosurveillance ou dans des effectifs de police suffisants, il sort de son rôle. Nous faisons partie d'une République décentralisée où prévaut la libre administration des collectivités locales. Le choix de s'équiper ou non appartient au Conseil municipal, souverain, sous l'autorité du maire, qui inscrit à l'ordre du jour ce type de proposition. Des avancées sont toutefois à noter. Il existe des propositions de création d'un bloc local (qui ne concernera probablement que les métropoles), autour d'un partenariat dans lequel les policiers municipaux joueraient un rôle plus actif d'officiers de police judiciaire, avec la possibilité d'intervenir un peu plus largement dans le cadre d'un contrat avec l'État afin de libérer les forces de la police nationale pour d'autres missions (par exemple la lutte contre le terrorisme). Nous n'y sommes pas opposés mais cela doit rester une faculté et ne pas devenir une obligation.
M. Dominique Bussereau . - Je partage les propos de François Baroin. « Plus il y a de décentralisation, mieux on a besoin d'État », si je puis dire. Il faut réconforter et conforter le niveau départemental. Par exemple, la région Nouvelle-Aquitaine, compte douze préfets de département, une DREAL à Poitiers, une DRAC à Limoges, une direction régionale des finances publiques à Bordeaux. Avec une telle organisation, « les préfets de département voient les trains passer ! ». Les grandes directions des administrations centrales peinent tenir compte des préfets de région et des secrétaires généraux pour les affaires régionales (SGAR) qui travaillent directement avec elles, voire avec les cabinets ou les ministres. Il en résulte une dévalorisation du rôle des préfets de département. Nous l'avons vu en cas de crise (par exemple après Xynthia et les grandes tempêtes de 1999) : l'État était parfait pour apporter des hélicoptères, des pompiers, des unités de la sécurité civile, mais absolument inopérant lorsqu'il s'est agi de reloger les gens, de leur fournir des draps ou de quoi se nourrir. Il faut donc redonner des compétences aux préfets de département et les entourer de collaborateurs de bon niveau. Il ne faut pas qu'en cas de problème, un préfet s'adresse à la direction régionale du ministère concerné, qui va aussitôt se tourner vers son administration centrale. Un problème doit pouvoir se régler au plan local, comme c'était le cas par le passé.
Nous avons une analyse commune, avec Renaud Muselier et François Baroin, concernant l'ARS. Le président du conseil de surveillance de l'ARS doit être le président de région. Nous pouvons réfléchir à un modèle de nomination du directeur général similaire à celui qui existe pour les colonels et contrôleurs généraux des Services départementaux d'incendie et de secours (SDIS). Ici, le directeur régional serait nommé sur proposition conjointe du président de la région et du préfet de région. C'est une proposition que je fais à titre tout à fait personnel. Nous n'avons pas besoin, au niveau départemental, des ARS pour la gestion quotidienne des EHPAD. Nous avons bien sûr besoin de ses inspections, de ses conseils et de ses normes, mais les conseils départementaux sont capables de gérer la vie quotidienne dans ces établissements.
Je m'interroge effectivement à propos des agences autonomes. Je n'ai pas encore compris, par exemple, à quoi servait l'Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT). Je n'en ai jamais entendu parler dans mon département par l'intermédiaire du préfet ou tout autre haut fonctionnaire de l'État. Je me demande si cette agence est utile. J'aimerais à ce propos que le Sénat puisse nous aider à y réfléchir.
Renaud Muselier a très bien exposé la situation concernant le plan de relance. Les chiffres ne sont pas clairs. Si la dimension économique du plan de relance est claire, il y a aussi un volet en principe négocié entre les départements et les préfets. Si ceux-ci se prêtent généralement à l'exercice, ce n'est pas toujours le cas. Le gouvernement a demandé que les opérations du plan de relance pouvant l'être au niveau des départements soient engagées immédiatement. On nous demande simultanément de préparer les contrats de plan État-région et de prévoir, par exemple, dans le plan de relance, une enveloppe servant à financer les infrastructures qui n'ont pu aboutir dans le cadre de précédents contrats de plan État-région - sachant que seules 50 % des infrastructures prévues dans ces contrats ont été réalisées, en moyenne, au plan national. Dans ce cadre, il nous est demandé d'orienter une partie du futur plan de relance vers le financement des études qui permettront de lancer des opérations qui n'ont pas pu être achevées voire lancées au titre du précédent contrat de plan État-région, ce qui représente environ la moitié de ces projets. C'est d'une extrême complexité. Il faut être au coeur du fonctionnement de la chose publique pour le comprendre. Je ne suis pas sûr que cela permette de déboucher, dans la réalité, sur les résultats escomptés.
Mme Françoise Gatel, présidente . - Merci beaucoup cher Dominique. Je crois que le propos, très clair, est partagé par nombre d'entre nous.
M. Renaud Muselier . - Vous voyez que Territoires Unis, fort des responsabilités respectives et de l'expérience gouvernementale ou d'élus locaux de ses membres, est très respectueux de notre pays et de son fonctionnement. Je pense que nous exprimons de façon raisonnable mais déterminée des positions cohérentes.
En ce qui concerne la décentralisation, il existe à mon avis une volonté réelle de décentraliser mais une incapacité non moins réelle à déconcentrer que nous constatons en permanence. Par exemple, cette semaine, une réunion a, organisée par le préfet de région pour traiter le volet culturel du plan de relance, comportait un ordre du jour non concerté avec nous, alors que le conseil régional finance 60 % de la politique culturelle régionale. Ainsi, décentralisation ou pas, les modes de travail antérieur perdurent. Nous vivons la même expérience avec les ministères. Celui de la Santé en est en ce moment l'exemple caricatural du fait de son incapacité totale à donner la moindre liberté d'action aux ARS et aux autres ministères, puisque ses représentants veulent être les maîtres du jeu. C'est une faute stratégique majeure. La déconcentration est donc absolument nécessaire.
Un autre exemple a trait au Fonds social européen (FSE). Nous avons de grands débats à ce sujet avec mon ami Dominique Bussereau. Ce sont souvent des fonds européens versés au département lorsqu'ils sont mobilisés au service de l'emploi et des entreprises, et attribués dans ma seule région par quatre ou six guichets uniques. En outre, la France a déclaré qu'elle prélèverait au profit de l'État 30 % des moyens financiers attribués par l'Europe. Ce sont autant de crédits qui ne reviennent ni aux départements ni aux régions, pour des raisons inconnues. C'est une ponction arbitraire.
François Baroin a évoqué à juste titre l'impasse budgétaire des communes. J'invite le gouvernement à traiter ce problème au plus tôt, au risque de bloquer la mise en oeuvre du plan de relance. Sans la contribution financière des communes, des impasses budgétaires vont se multiplier et les régions seront contraintes d'abonder ces crédits alors qu'elles n'en auront pas toutes les moyens.
M. Sébastien Martin . - Nous sommes pour la déconcentration. Pour autant, il ne faut pas revenir sur les acquis de la décentralisation. Nous souhaitons que vous y soyez particulièrement attentifs. L'enjeu de la future loi 3D est de conforter chacun dans l'exercice plein et entier de ses compétences. Le principe du « qui paie commande » doit être réaffirmé.
L'AdCF soutient le format des autorités organisatrices, par exemple sur des questions liées à l'habitat ou à l'environnement, à l'image de ce qui existe pour la mobilité.
En ce qui concerne la relance, il faut une architecture claire afin de comprendre comment nous travaillons. Les comités départementaux et les comités régionaux doivent être des instances d'information, de dialogue et de concertation afin de savoir quels sont les projets émanant des territoires. Un pilotage État-région doit être mis en place, avec un maximum de crédits déconcentrés. Il est question de 16 milliards. Jacqueline Gourault nous avait dit que cela représentait un tiers des crédits, sur deux ans. Ce seront donc sans doute 16 milliards d'euros cette année, puis de nouveau 16 milliards d'euros cette année, étant précisé que Jacqueline Gourault a indiqué que la totalité des crédits représenterait un tiers du plan de relance. Cela implique une nouvelle attribution de 16 milliards d'euros l'année prochaine. Les intercommunalités doivent constituer les relais locaux de France Relance. Nous constatons que l'accompagnement des projets, y compris industriels, fonctionne mieux à l'échelle du bassin de vie.
Une différence sensible apparaît sur ce point entre le nombre de projets présentés par des industriels et leur prise en compte au sein des comités régionaux regroupant l'État, la région et BPI France. Ainsi, certaines régions telle que la mienne, la Bourgogne-Franche-Comté, sont très en avance avec trente dossiers déjà validés. Dans d'autres régions, aucun dossier ou un seul dossier a été validé. Il s'agit pourtant de dossiers d'innovation industrielle qu'il est crucial de porter en ce moment.
Mme Françoise Gatel, présidente . - Merci Monsieur le président. Je souligne que le principe selon lequel « qui décide paie » est une devise à laquelle nous sommes très attachés au Sénat et avec Territoires Unis, à tel point que nous avons voté au mois d'octobre une proposition de loi sur le sujet. Elle n'a pas suscité un enthousiasme fort du côté du gouvernement. Je vous encourage à nous aider, à travers vos associations, à faire prospérer ce sujet dans le cadre de la future loi 3D.
M. Rémy Pointereau . - Je voudrais saluer nos présidents de grandes associations qui participent à cette réunion. J'aborderai trois sujets : les normes, le numérique et la loi future 3D.
Concernant les normes, le 8 avril dernier, le gouvernement, sur proposition du Sénat, a étendu par décret à l'ensemble des préfets un pouvoir de dérogation aux normes. Comment cette nouvelle disposition se concrétise-t-elle sur le terrain ? Les préfets s'emparent-ils de cette nouvelle prérogative pour faciliter la vie des élus ou existe-t-il une certaine frilosité à cet égard ?
Ensuite, le numérique constitue un sujet important, notamment pour les départements ruraux, dont le taux de couverture par la fibre est parfois encore faible. Une deuxième tranche de travaux, indispensable pour achever la couverture des territoires concernés, sera plus onéreuse que la première, car elle concernera une superficie plus grande avec une concentration moindre en habitants. Je sais que les régions et les départements ont largement financé ces travaux de même que les intercommunalités. Et ce, contrairement à des villes de plus de 20 000 habitants dans lesquelles la société Orange a assuré le financement et la construction du réseau sans demander le moindre euro à qui que ce soit. Dès lors, comment cette deuxième tranche sera-t-elle financée ? Êtes-vous prêts à solliciter le plan de relance et les fonds d'État pour ce faire, afin d'éviter que les communautés de communes ne doivent à nouveau remettre la main à la poche ?
Enfin, j'ajouterai pour ma part au titre de la loi « 3D » e « E » d'efficacité. C'est ce dont nous avons besoin, en particulier en matière de Gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (GEMAPI). Celle-ci demeure inefficace car l'État s'est déchargé de cette compétence au détriment des communautés de communes qui n'ont pas les moyens de mettre en oeuvre les travaux nécessaires. Je pense, par exemple, au projet de digues sur la Loire, qui va nécessiter des millions d'euros. Je m'adresse à l'ensemble des présidents présents. Qui aujourd'hui peut assumer cette compétence efficacement : l'État, les agences de bassin, ou, de façon partagée, les régions, les départements et les intercommunalités ?
Mme Céline Brulin . - J'ai une première question à propos des impôts de production et du plan de relance. Je me tourne particulièrement vers Renaud Muselier car les régions seront impactées. Compte tenu de ce que vous avez dit du plan de relance, les délais annoncés aujourd'hui paraissent-ils pertinents, cohérents, voire crédibles ?
Le Gouvernement souhaite recentraliser le financement du RSA pour certains départements seulement, à travers une expérimentation. Qu'en pensez-vous, dans le contexte d'explosion de ces dépenses ?
Enfin, je voudrais évoquer, en associant à cette question mes collègues de Seine-Maritime, le sujet de la défense extérieure contre l'incendie, dont va s'emparer notre délégation. Nous devrons l'explorer car de nombreuses difficultés existent à ce sujet au sein des territoires.
M. Philippe Dallier . - Sébastien Martin proposait d'ajouter un ou plusieurs « C » aux trois D du texte à venir et Rémy Pointereau proposait d'y ajouter un « E ». J'y ajouterais, pour ma part, le « V » de visibilité. Le coût de la crise va peser sur nos collectivités, mais de façon peu prévisible, tant en recettes qu'en dépenses. Il y aura les dotations de l'État mais le rendez-vous sera certainement postérieur à 2022. De grandes incertitudes demeurent quant au sort qui sera fait aux collectivités de ce point de vue.
Il y a aussi le bonneteau fiscal. On peut résoudre ce problème, du moins en termes de visibilité, dans des délais convenables. J'en veux pour preuve la suppression de la taxe d'habitation et son effet sur la mesure de la richesse fiscale des communes et des intercommunalités en termes de potentiel financier. Nous savons qu'un gros problème se pose mais nul ne sait comment on va le régler. Il nous a été dit hier, en commission des Finances, que le problème ne se posait pas pour 2021. Effectivement, il se posera en 2022. On commence à nous dire qu'il y aura des effets de bord et que, pour rendre supportables les conséquences des décisions qui seraient prises, un lissage serait prévu sur cinq ans. Cela risque d'encourager les maires à lever le pied en matière d'investissement. Ces derniers ont déjà à assumer la diminution de leur autofinancement. Si, de surcroît, ils ne savent pas où ils vont, je pense que les conséquences seront terribles. Les associations doivent donc s'emparer de ce sujet pour trouver une solution dans les six mois qui viennent, afin que les dotations de péréquation ne soient pas impactées ou que l'on parvienne, en tout cas, à corriger cet effet.
Je dirai également un mot de la question du logement, qu'a évoquée François Baroin. Compte tenu de la disparition de la taxe d'habitation, il ne reste que le foncier. Nous assistons à un exode foncier pour les bailleurs sociaux et pour le logement intermédiaire. Si on ne règle pas ce problème, chacun en subira les conséquences. Je souhaiterais donc, là aussi, que les associations montent au créneau, car le logement est un peu l'angle mort de ce plan de relance et de la politique du gouvernement. Il serait temps de s'en préoccuper.
Mme Michelle Gréaume . - Merci, Mesdames et Messieurs, pour ces interventions très intéressantes. Je partage totalement le point de vue de M. Baroin sur certains aspects. Le virus a causé une crise économique et sociale inédite, alors que prévaut parallèlement un manque de concertation impressionnant.
Les associations d'élus ont-elles pu estimer les pertes financières, pour 2021, des différents échelons en termes de pertes de recettes et hausses de dépenses et de leur répartition ?
Quel horizon se dessine pour l'investissement public local au regard des incertitudes qui pèsent sur les budgets locaux actuellement, sans soutien stable et pérenne du gouvernement pour 2021 (d'autant que les montants de dotations sont souvent communiqués au dernier moment) ?
Quelles sont les dépenses pour lesquelles les collectivités réduisent le plus leurs moyens face à la crise ?
Je rappelle enfin la responsabilité de l'État, actionnaire de référence, à travers la BPI, qui doit éviter la casse de nos entreprises et du savoir-faire français. Je pense en particulier à Vallourec, dont le capital est détenu à 15 % par l'État.
M. François Baroin . - J'ai omis de saluer les travaux du sénateur Darnaud et de toute l'équipe de la délégation. Leur rapport était remarquable et fera date. Je sais que Rémy Pointereau a également été un acteur de cette réflexion.
S'agissant des normes, le dispositif de dérogation proposé par les préfets date, de mémoire, de 2017. Il a été assez efficace à plusieurs égards. Un décret a été pris au mois d'avril pour en élargir le champ, mais toujours pour les seuls actes règlementaires relevant de l'État. Le dispositif est peu connu et la délégation pourrait utilement demander qu'une lettre ministérielle soit signée par le Premier ministre afin de demander aux préfets d'aller devant les associations départementales des maires pour indiquer la liste des dérogations normatives pouvant exister et en assurer le cadre général.
La compétence GEMAPI illustre bien l'alternative du diable : dîner à sa table ou mourir de faim. La loi modifiée a créé l'obligation, pour les collectivités locales, d'investir pour le financement des ouvrages d'art. L'État a ainsi totalement dégagé sa responsabilité pénale au regard de possibles accidents. Ce cadre général est rendu plus ou moins inopérant par la politique de Bercy à propos de la réduction des plafonds mordants des agences de l'eau. Une collectivité peut difficilement s'engager dans les volumes importants d'investissement requis, sans relais par une agence de bassin. Or ces agences n'ont pas les moyens de créer l'effet de levier nécessaire pour financer ces ouvrages d'art. Je pense qu'il faut rechercher un financement croisé, avec des agences de bassin retrouvant, dans le cadre du plan de relance et de la relance de l'investissement public, la possibilité d'avoir des fonds pour investir, en lien avec les intercommunalités et en partenariat avec les départements ou les régions, en fonction de l'intérêt de l'ouvrage concerné.
La question posée par Céline Brulin, concernant les impôts de production, était adressée à Renaud Muselier. Je signale simplement que leur suppression envisagée a un impact direct sur intercommunalités dont ils constituent des recettes essentielles. C'est un vrai sujet. Je le répète : je ne vois pas comment le Conseil constitutionnel ne pourrait pas, sans doute à l'initiative du Sénat, avoir à faire prévaloir, de façon puissante, l'article 72 relatif à la libre administration des collectivités territoriales. Nous sommes au bout du bout.
La suppression de la taxe d'habitation est en fait une nationalisation d'un impôt local par création d'un déficit. Le contribuable local a été transformé en contribuable national. Il en est de même pour les impôts de production : l'agent économique qui est en lien avec son territoire est remplacé par un contribuable national avec pour effet un creusement de la dette à hauteur de de 20% de PIB que la France est en train d'assumer et de porter pour des générations. C'est une recentralisation par l'impôt. À travers chaque loi de finances, l'État affectera ainsi les dotations comme il l'entend. C'est un motif de préoccupation pour l'ensemble des collectivités territoriales.
Le sénateur Dallier soulève une question sur la visibilité et sur le logement. Nous avons été les tous premiers à alerter l'État, au lendemain de la première conférence des territoires de juillet 2017, sur la baisse de l'APL de 5 euros. Dès le mois de septembre, nous avons organisé une conférence de presse avec tous les acteurs du logement pour dire « attention danger ». Dès l'automne, lors du congrès des maires, j'avais saisi le président de la République lui-même en soulignant que cette mesure était une pure folie. Quelques mois plus tard, les membres du gouvernement chargés du dossier ont reconnu que c'était plus qu'une erreur - je ne reprendrai pas leurs propres termes... En toute hypothèse, la question du logement est prédominante : je maintiens qu'elle doit figurer dans le texte sur la décentralisation. Le sénateur Dallier a entièrement raison : il faut alerter les acteurs publics nationaux quant au désastre à venir. Du fait de l'absence de paiement du foncier par les bailleurs sociaux, la base sera de la taille d'une pièce de deux euros. C'est un problème majeur tant pour les collectivités locales que pour les citoyens.
Enfin, la sénatrice Gréaume évoque de nombreux sujets. En ce qui concerne les pertes de recettes, nous avions avancé avant l'été des chiffres de l'ordre de 14 ou 15 milliards. Je pense que nous serons au-delà. Pour les départements, il y a un effet de ciseau entre la baisse des recettes issues des DMTO et la hausse des dépenses liées au RSA. Les communes sont également très impactées. Une part significative de leurs dépenses, qui relève du fonctionnement, ne peut être payée par l'emprunt, à la différence de l'État. Il faut travailler avec Bercy sur un nouveau fléchage. La création d'un troisième bloc de dépenses liées au Covid, au fond, ne change rien. Nous allons les lister mais l'État ne contribuera pas. C'est ce qu'il faut débattre dans le cadre de la loi de finances. De quelle manière l'État prend-il à sa charge les pertes de recettes et les dépenses supplémentaires pour les communes ? En ce qui concerne les intercommunalités, c'est une fiscalité de flux. Nous aurons surtout rendez-vous au mois de mars mais nous avons déjà une idée de l'écrasement de leur autofinancement. Les régions ont aussi subi un choc majeur avec la TVA et la Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), même si la négociation permet de gagner du temps. À la lumière de l'analyse de nos services et selon mon expérience personnelle, j'estime que nous serons à près d'un point de PIB à l'issue du deuxième confinement.
Il est très difficile de dire quelles sont les postes de dépenses qui seront réduits par les maires. Nous essayons de maintenir en survie notre tissu associatif mais nous ne pouvons maintenir des subventions équivalentes. Nous souhaitons verser des subventions aux commerces mais nous regrettons de ne pas avoir de crédits fléchés en investissement pour se faire. Finalement, les économies à faire dans certains secteurs dépendront des choix municipaux mais aussi de la capacité de l'État à proposer qu'une part de nos dépenses de fonctionnement soit intégrée en investissement. Cela nous permettra de récupérer la TVA et d'avoir davantage de latitude pour agir.
M. Sébastien Martin . - Un combat essentiel est à mener dès à présent sur les réseaux de transport, compte tenu de la perte 450 millions d'euros au titre de du versement mobilité et d'un montant équivalent correspondant à la perte de recettes tarifaires. Nous demandons que le dispositif mis en place en Ile-de-France le soit également pour toutes les autorités organisatrices de la mobilité en France. Ce ne doit pas seulement être une compensation de la perte des tarifs par une avance remboursable. Nous voulons une compensation de la perte du versement mobilité en l'absence de laquelle il y aura une inégalité de traitement avec les syndicats de transport dont les recettes fiscales, qui constituent l'intégralité du budget, sont entièrement compensées.
M. François Baroin . - Je partage complètement ce point de vue.
M. Dominique Bussereau . - J'approuve entièrement ce que dit Sébastien à propos des transports collectifs. Valérie Pécresse a mené une bonne négociation pour l'Ile-de-France mais le problème reste entier en dehors de cette région. Le Groupement des autorités responsables de transport (GART) porte avec force et avec raison ce dossier. Par ailleurs, s'agissant de la dérogation aux normes, il faut certainement faire un rappel aux préfets à ce sujet.
En ce qui concerne le financement du numérique, la situation varie selon les territoires. Dans mon département, j'ai signé une délégation de service public avec un opérateur, après appel d'offres. Le dispositif repose sur le financement de mon département, de la région, de l'État et éventuellement de l'Europe, sans mise à contribution des intercommunalités.
Il en est de même pour GEMAPI. Dans ses précédentes fonctions, Jacqueline Gourault avait présenté un amendement, adopté au Sénat, qui permet aux départements de se substituer aux intercommunalités, à la demande de celles-ci, pour exercer la compétence GEMAPI, lorsqu'elles ne disposent pas des ressources d'ingénierie nécessaires. Nous avons par exemple lancé, suite à Xynthia, un plan « digues » de plusieurs centaines de millions d'euros faisant intervenir des financeurs publics diversifiés dans mon département. C'est un plan très important puisque l'Île de Ré, par exemple, est en grande partie sous le niveau de la mer. En l'absence de digues solides, cette île risque de disparaître.
Céline Brulin a soulevé la question de la recentralisation du RSA. L'ADF n'y est pas favorable mais soutient les départements qui le souhaitent pour eux-mêmes compte tenu de leur situation. Cela a déjà été fait en Guyane, à La Réunion et à Mayotte. C'est également une demande de la Seine-Saint-Denis, à laquelle le Premier ministre vient de répondre favorablement. La Gironde et tout récemment la Somme ont présenté une demande similaire.
En matière de défense contre l'incendie, la dernière élection sénatoriale a montré l'acuité de ce sujet. Nous avons identifié le souhait que les préfets de département viennent en aide aux communes via la Dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), ainsi que les départements au maximum de leur capacité contributive.
Je partage pleinement les propos de Philippe Dallier sur le logement.
Enfin, pour répondre à la question de Michèle Gréaume, nous prévoyons une perte substantielle de recettes au titre de la DMTO, des dépenses supplémentaires à hauteur d'un milliard d'euros en 2021, notamment liées au RSA. Je m'interroge dès lors sur la capacité contributive des conseils départementaux au plan de relance au moment où certains d'entre eux sont contraints de réduire leurs investissements. Je le dis devant la délégation : soyons ensemble attentifs à ce qu'on ne nous ressorte pas le pacte de Cahors... C'est une absurdité qui traduit une volonté de recentralisation étatique vis-à-vis des collectivités. Il a été mis de côté du fait de la crise. Je ne voudrais pas qu'on nous le ressorte en 2021.
M. Renaud Muselier . - Nous avons engagé 1,7 milliard d'euros de dépenses exceptionnelles dans la crise de 2020. Nous avons subi des pertes de recettes supérieures à 1,2 milliard, soit un effet total de 2,9 milliards d'euros. Pour 2021, la baisse des recettes perçues au titre de la CVAE entraînerait une perte de 2 à 4 milliards supplémentaires, ce qui aurait réduit à néant nos capacités d'investissement. Compte tenu de ce contexte, nous avons conclu un accord avec le gouvernement, préservant nos ressources à compter de 2021 (sans effacer les pertes de 2020) en remplaçant la CVAE par de la TVA. Cet accord permet de supprimer la part régionale de CVAE au bénéfice de la compétitivité des entreprises et permet aux régions d'investir massivement dans les accords de relance et le contrat de plan État-région, mais il constitue une forme de renationalisation.
Notre sécurité financière est, à ce stade, à peu près assurée car nous étions hors des projets de loi de finances 1 et 2. Nous constatons néanmoins l'absence de pouvoir fiscal régional, problème qu'il faudra régler. Les régions sont également très inquiètes de l'impasse budgétaire dans laquelle se trouve le bloc communal, qui met en péril une grande partie de la commande publique. Nous avons signé le meilleur accord possible compte tenu des circonstances et je tiens à en remercier le Premier ministre car nous sommes allés très vite. Les régions soutiennent la demande de sécurisation des recettes. Nous attendons du projet de loi de finance pour 2021 qu'il finalise deux engagements de l'accord de partenariat signé avec le gouvernement : l'octroi de 600 millions d'euros de subvention d'investissement au titre de l'exercice 2020 et la neutralité financière du passage de la CVAE à la TVA entre 2020 et 2021, en renvoyant à 2022 la mise en place d'un nouveau système de péréquation.
Le problème du délai des contrats de plan État-région a été évoqué. Deux positions existent parmi les présidents de région, du fait notamment des incertitudes qui demeurent concernant les métropoles et les départements d'une part, et les infrastructures ferroviaires après 2022 d'autre part. Acceptons-nous de signer pour avancer - c'est ma position - ou le refusons-nous en essayant de traiter les choses au mieux dans l'immédiat et en repoussant la négociation à plus tard - ce qui est la position d'autres présidents de région ? Nous sommes partagés car il faut aller vite et néanmoins prendre des décisions. Chacun négocie chez soi, parallèlement, avec son préfet de région, ce qui est plus ou moins facile suivant les régions.
Mme Sylvie Robert . - Je voudrais parler du secteur de la culture, très touché par la crise au même titre que le tissu économique qui lui est lié, en dépit du soutien important des collectivités territoriales.. Ce secteur a souffert d'un manque de visibilité ; il n'en a toujours pas aujourd'hui. En effet, nous ne savons pas quand pourront rouvrir les lieux de culture (musées, lieux de spectacle vivant, etc.). En tant que rapporteure des crédits, je puis vous indiquer que le seul budget de la création représente 390 millions d'euros. Le volet culturel du plan de relance représente quant à lui 2 milliards d'euros. Tout n'ira pas aux régions : une grande part de ce montant bénéficiera à l'Ile-de-France. Une attention particulière doit être portée à une relance culturelle au printemps, que j'appelle de mes voeux, ainsi qu'à une organisation territoriale, que je souhaite efficace et opérationnelle. Elle doit associer les collectivités territoriales, les Directions régionales des affaires culturelles (DRAC) et l'ensemble des acteurs. Les Conseils territoriaux pour la culture (CTC) ont été mis en place au printemps 2020. Pensez-vous que ce seront des outils efficaces pour mettre en place cette relance ? Avez-vous été associés, ou du moins approchés, pour leur mise en place et à la mise en oeuvre du volet culturel du plan de relance dans les régions ? Une inquiétude existe aussi dans le secteur culturel à propos de la levée de la clause de service fait. J'aimerais connaître vos avis sur ce point.
M. Fabien Genet . - Messieurs les présidents, merci pour vos analyses et pour votre présentation de la situation. C'est un constat en 5D que vous avez dressé : dysfonctionnement dans la gestion de la crise, dépouillement de l'État sur le terrain, diète budgétaire, désert économique à venir (disait le président de l'AMF) et désobéissance civile en embuscade, que l'on sent encore sur le terrain. On se demande, à vous entendre, si l'hiver du mécontentement va revenir cette saison et s'il faut encore garder un peu d'espoir - je crois qu'il existe encore sur le terrain.
J'aurai beaucoup de remarques à formuler sur les problématiques de la ruralité et les enjeux de déconcentration de l'État. Plusieurs d'entre vous ont relevé que le préfet de département était un interlocuteur privilégié dans la gestion de la crise, mais a-t-il suffisamment d'agents sous sa responsabilité pour gérer les nouveaux pouvoirs que l'on souhaite lui conférer ?
En vous entendant tous, je me demande finalement s'il est vraiment raisonnable aujourd'hui d'aspirer à une nouvelle décentralisation, au regard des moyens des collectivités locales ? Est-il raisonnable de demander de courir un marathon à quelqu'un qui s'est entraîné à courir dix kilomètres, alors même qu'on le prive d'alimentation ? Avez-vous, Messieurs les présidents, des propositions afin de redonner des moyens aux collectivités locales ?
M. François Baroin . - Les communes et intercommunalités sont des acteurs majeurs de la culture, dans ses trois dimensions (patrimoine, aide à la création, égal accès pour tous). Un fléchage fort peut exister pour la partie patrimoniale dans le cadre du plan de relance. Ce fléchage doit également exister pour aider les acteurs locaux en grande difficulté. Quant à l'accès de tous à la culture, le numérique peut constituer un outil intéressant. Je suis très attentif, en tant qu'acteur local, à l'aide à la création, et nous sommes particulièrement préoccupés par la situation des associations et des bénévoles. C'est un plan Marshall de grande envergure qui est nécessaire. Les dispositifs de soutien fonctionnent bien pour ce qui a trait à la négociation des pré-contrats de plan, il existe une volonté manifeste de l'État de répondre aux demandes d'accompagnement, même si l'on peut sûrement faire plus et mieux.
S'agissant de la décentralisation, l'hypothèse du statu quo - certes paradoxale eu égard aux défaillances de l'État - est intéressante. Ce n'est pas ma position. Si l'on s'accroche à la situation actuelle parce qu'on a peur, que la maison est fragile ou parce que c'est la tradition de notre pays depuis Colbert, nous sommes assurés que les tensions sociales et les forces centrifuges s'accroîtront, d'autant que la crise sociale va survenir en mai ou juin prochain. Les études de la Direction de l'animation, de la recherche, des études et des statistiques (DARES) évoquent dix millions de pauvres, dont 300 000 pauvres supplémentaires suite au premier confinement, et entre un million et un million et demi de chômeurs supplémentaires. Certes, le rebond de la croissance absorbera une partie de cet impact. Dans l'intervalle, des destructions de richesses, de valeurs et d'acteurs économiques locaux se seront néanmoins produites. Notre souhait de soutenir les forces territoriales est nourri par la passion républicaine et la passion de l'État. Nous sommes des partenaires de l'État et non des opposants à celui-ci. Nous aimons l'État. Nous avons aimé le servir et aimons travailler avec lui. Nous voulons un État recentré sur ses missions. Les propositions que nous formulons participent de cette ambition. Nous demandons un transfert d'effectifs et de tous les crédits budgétaires, notamment dans le domaine du logement et de la santé. En d'autres termes, nous demandons à récupérer et les fonctionnaires et les crédits. L'État se concentrera sur les missions pour lesquelles il est attendu (sécurité, lutte contre le terrorisme, défense, services publics, diplomatie...), et qui font le corps de la cohésion de la Nation. Le reste, nous nous en occuperons bien mieux.
M. Dominique Bussereau . - Pour répondre à Sylvie Robert, d'après ce que je vois des enveloppes budgétaires contenues dans les contrats de plan État-région, je crains que la culture ne figure au rang de parent pauvre. Pour le reste, nous faisons en sorte d'assurer le financement, y compris pour l'année où des évènements tels que les festivals, n'ont pas eu lieu, afin que les équilibres soient préservés et de pouvoir préparer leur édition 2021.
Il faut effectivement, à mes yeux, continuer de décentraliser dans les conditions énoncées par François Baroin. Par exemple : il reste très peu de routes nationales sur le territoire. Certaines ont été ajoutées à des concessions autoroutières lorsqu'il s'agit du prolongement de réseaux autoroutiers. D'autres peuvent être reprises par les départements à condition que nous ayons un transfert de routes en bon état ou, à défaut, les crédits nécessaires pour compenser les retards d'entretien, ainsi que des garanties sur le personnel. Lorsqu'il sera transformé en voiries départementales, ce qui reste du réseau de routes nationales offrira de bien meilleures prestations. Nous pourrions dire la même chose pour la médecine scolaire et bien d'autres domaines.
M. Renaud Muselier . - La culture est un domaine dont la décentralisation est intéressante à étudier.
Nous n'avons pas été associés au plan de relance. Comme toutes les autres régions, je crois, nous avons maintenu la totalité de nos subventions, pour toutes les démarches qui ont été engagées. Nous avons même mobilisé 5 millions d'euros supplémentaires (soit 60 millions d'euros au total) pour faire face à la crise. Nous signons un contrat triennal avec tous nos partenaires afin qu'ils aient une visibilité sur les aides qu'ils reçoivent pour leur fonctionnement ou leurs investissements. Je pense qu'ils en sont plutôt satisfaits.
Quant à la position de Fabien Genet, je voudrais dire que je suis très favorable à la décentralisation. Je pourrais reprendre mot pour mot les propos de François Baroin. Néanmoins, garder le même mode de décision sans les moyens ni les ressources humaines nous conduirait à la catastrophe. Par exemple, le Comité interministériel de performance et de la modernisation de l'offre de soins (COPERMO) a décidé, après dix ans d'études, d'octroyer un plan d'investissement dans les hôpitaux de Marseille (qui représentent la deuxième Assistance Publique de France), financé par l'État à hauteur de 300 millions d'euros, et, à la demande de ce dernier, par les collectivités territoriales (villes, départements, régions) à hauteur de150 millions d'euros, alors qu'il n'est pas de notre responsabilité de payer les investissements dans les hôpitaux. La région compte un certain nombre d'hôpitaux, il a fallu trouver un équilibre afin que les autres établissements de santé ne soient pas jaloux des moyens alloués à l'Assistance publique-Hôpitaux de Marseille (APHM). Toutefois, la décision du COPERMO n'a jamais été mise en oeuvre. Si nous agissions de la même façon dans nos collèges, dans nos lycées et dans nos écoles, ils seraient dans un état de délabrement avancé !
M. Sébastien Martin . - Il n'y aura pas de culture sans artistes. Les collectivités, en particulier les commues et les intercommunalités, ont joué leur rôle d'amortisseur pendant la première vague de l'épidémie en maintenant leurs subventions, notamment des avances pour les compagnies qui devaient se produire sur des scènes nationales ou dans des conservatoires. La question porte sur l'avenir. Notre pays est sans doute celui qui a la richesse culturelle et créatrice la plus importante. La Banque des territoires, BPI, devrait investir dans la création et la production culturelle, qui est aussi un bien économique majeur. Cela contribuerait au rayonnement culturel national. Nous oublions que la culture peut aussi constituer un investissement.
Il serait effectivement raisonnable, cher Fabien, d'aller vers davantage de déconcentration, à condition d'exercer nos compétences de bout en bout. François Baroin évoquait le logement. On peut faire le même constat à propos de l'habitat. Aujourd'hui, certaines intercommunalités vont loin et exercent, jusqu'à différents niveaux, la délégation des aides à la pierre. Le maquis des aides à la rénovation de logements et d'habitat est tel que nous avons été invités à créer des plateformes locales, des espaces habitat conseil, des guichets uniques. Nous le faisons, et des intercommunalités sont aujourd'hui capables de porter la compétence « habitat ». Elles se sont dotées de plans locaux d'habitat et de véritables politiques en la matière. Qu'on aille plus loin en expérimentant le principe de la différenciation sur un sujet comme celui-là. Il ne s'agit pas de faire comme avec le dispositif « Ma Prime Rénov » : la facture est envoyée à Paris pour toucher la prime, alors qu'il existe juste à côté de chez soi des plateformes de la rénovation énergétique qui accompagnent les ménages en les conseillant pour qu'ils bénéficient des meilleurs plans de financement.
Mme Françoise Gatel, présidente . - Merci Monsieur le président.
Il m'appartient de conclure. Je voudrais chaleureusement vous remercier, au nom de la délégation, pour le temps que vous nous avez consacré et pour votre état d'esprit lucide mais positif, résolument tourné vers l'avenir. Nos collectivités sont persuadées que l'avenir se fera au travers des territoires, par une alliance bienveillante avec le gouvernement et l'État. Si nous formons la chambre des territoires, dont nous portons fièrement la voix, nous avons aussi besoin de votre soutien pour soutenir les deux propositions de loi adoptées au Sénat, élaborées avec vous dans un esprit très constructif. Elles ne visent qu'un objectif : l'efficacité de l'action publique. La décentralisation et la déconcentration ne sont que des moyens, comme certains d'entre vous l'ont souligné. Ce sont les moyens dont nous avons besoin pour réussir.
J'aurai un mot personnel pour Dominique Bussereau : nous veillons avec attention à l'évolution de ce nouveau-né que constitue l'Agence nationale de cohésion des territoires. Nous avions un débat hier. La délégation aux collectivités va poursuivre sa mission de surveillance et d'aide à l'épanouissement positif de cette agence, qui doit cohabiter avec les initiatives d'agences d'ingénierie qui existent déjà.