EXAMEN EN DÉLÉGATION (JEUDI 6 MAI 2021)
Mme Françoise Gatel, présidente . - Je suis très heureuse de présenter les résultats de la consultation nationale en avant-première à la délégation. Par ailleurs, mercredi prochain, sera examiné au Conseil des ministres le texte « 4D », qui devrait être soumis au Sénat le 5 juillet 2021.
La crise sanitaire a mis en évidence l'enjeu d'un échelon local solide et réactif par rapport à un État dont nul ne peut contester l'importance et le caractère essentiel, mais parfois un peu pataud et ankylosé. Le bloc local doit être performant pour que l'action publique soit efficace.
Je vous rappelle que le Président Larcher avait constitué un groupe de travail avec l'ensemble des groupes politiques du Sénat pour répondre à la demande du président de la République. Il s'agissait de réfléchir à l'action publique dans l'après-Covid. Il en est résulté cinquante propositions qui ont été présentées le 2 juillet 2020. En préambule à nos travaux, il nous a semblé important de lancer un sondage, réalisé par l'institut CSA, et une consultation nationale, via la plateforme internet du Sénat. Les attentes des élus se rangent selon six priorités.
1) Aller plus loin dans la décentralisation, sans big bang territorial
Nous devrons nous montrer vigilants, car nous risquons d'être accusés de provoquer un big bang territorial et de susciter la lassitude des élus. Au Sénat, nous n'aurons pas la prétention d'inventer un modèle unique, mais une évolution est nécessaire. Entre 64 et 70% des élus veulent faire évoluer l'organisation territoriale et même aller plus loin dans la décentralisation.
2) Adapter les politiques publiques aux réalités territoriales, pour une meilleure articulation des compétences entre communes et intercommunalités et une différenciation territoriale
Pour certains, la différenciation est synonyme d'inégalité et de compétition injuste. Nous devons donc convaincre qu'il ne s'agit pas d'opérer une révolution, mais de s'inspirer de la différenciation déjà à l'oeuvre pour les territoires d'outre-mer (TOM) et les communes de montagne.
Au vu des chiffres, nos propositions ne peuvent être ni contestées ni accusées d'être hors sol : 70% des élus souhaitent aller plus loin dans la décentralisation et 94% sont favorables à l'adaptation de la répartition des compétences entre communes et intercommunalités.
Nous avons souvent débattu d'engagement et de proximité, nous avons voté la territorialisation des compétences. Le gouvernement ne l'accepte pas, l'Assemblée non plus.
La métropole, qui peut sembler constituer un concept unique et uniforme, recouvre des expressions différentes : la métropole d'Orléans ne peut pas être comparée à celle de Lyon, par exemple. Nous devons mettre en oeuvre des répartitions différenciées de compétences entre les communes et les intercommunalités.
L'État peut confier à titre expérimental des compétences différentes à des collectivités de même catégorie. Il ne s'agit pas d'une rupture d'égalité. D'ailleurs, 70% des élus sont favorables à l'attribution de compétences différentes à des collectivités de même catégorie, sur la base du volontariat.
Nous avons voté, dans le cadre du projet de loi dit « Sécurité Globale », des facultés d'extension des compétences des polices municipales. C'est la loi qui en délimite le cadre, sur la base du volontariat. Ce point est très important et renvoie à la responsabilité des élus et à la confiance, avec un seul objectif : l'efficacité de l'action publique.
Nous pourrons vous fournir les éléments d'information par catégorie de collectivités et par taille. En termes de différenciation, les conseils régionaux ou les conseils départementaux font preuve d'une aspiration plus forte.
3) Le principe de subsidiarité
L'objectif d'efficacité de l'action publique et de construction de l'organisation territoriale et nationale doit être poursuivi à partir du principe de subsidiarité. L'adhésion est extrêmement large sur ce principe.
Les compétences s'exercent différemment selon les catégories de collectivités. Par exemple, la compétence « voirie » dans les métropoles est obligatoire, ce qui relève du bon sens car la métropole exerce aussi la compétence « mobilité ». Dès lors qu'il s'agit de transport, la voirie doit être maîtrisée. Mais dans les métropoles, des communes, parfois plus petites et éloignées, ont une partie de voirie ne relevant pas de cet intérêt métropolitain supérieur. Par exemple, il peut arriver qu'une commune comprenne une rue constituant une impasse avec des maisons d'habitation. Les riverains sont les seuls à passer, avec parfois le camion d'ordures ménagères. Quand un incident de voirie se produit, l'efficacité de l'action publique ne vient pas de la métropole. L'efficacité vient de la proximité. Ce principe de subsidiarité constitue le fil qui devrait, pour les élus, dessiner l'organisation de l'action publique.
4) Simplifier les normes applicables aux collectives territoriales
Les normes sont une obsession, dans la mesure où leur simplification doit être réfléchie en fonction du besoin de sécurité juridique et où cette simplification nécessaire sert l'action publique. Les élus locaux sont 70% à estimer que la simplification des normes est prioritaire.
Un autre chiffre intéressant porte sur les doublons entre l'État et les collectivités territoriales. C'est un vrai sujet de réflexion alors que la frugalité budgétaire devra être de mise. Nous devons optimiser les organisations. L'assouplissement des compétences entre les différents niveaux de collectivité fait ressortir les scores d'adhésion prioritaires suivants :
- différencier les modalités d'application des textes en fonction des territoires : 30% ;
- renforcer la présence de l'État auprès des collectivités territoriales : 29% ;
- créer de nouveaux transferts de compétences de l'État vers les collectivités territoriales : l'attente est très mesurée, car elle est de 19%. Cette affirmation est plus marquée de la part des élus régionaux que des élus départementaux.
Or, le coeur du projet « 4D » semble moins la décentralisation, la différenciation, ou la « décomplexification » que la déconcentration.
5) Donner plus de pouvoirs aux collectivités, notamment en matière de santé
La crise sanitaire a montré la difficulté de fonctionnement des agences régionales de santé (ARS) qui, indépendamment de la qualité des personnes, avaient vocation à répondre à tout autre chose qu'à la résolution d'une crise. Dans les cinquante propositions formulées par le Sénat, certaines concernaient la gouvernance des ARS. Si la santé est une compétence régalienne, l'organisation jusqu'au dernier kilomètre et la nécessité de garantir l'égalité du droit d'accès aux soins suppose une révision de l'organisation des ARS, qui sont des agences autonomes ne rendant pas compte au préfet mais au ministre.
La proposition de confier la présidence du conseil de surveillance de l'ARS à un élu local, avec une co-présidence possible entre le préfet et le président de la région, rééquilibrerait la relation en faveur des représentants des territoires. Le taux d'adhésion à cette idée est fort. Nous aurons l'occasion d'en reparler, car le projet « 4D » prévoit simplement un conseil de surveillance, alors que nous sommes prêts à un conseil d'administration.
Enfin, à l'occasion de la crise sanitaire, nous avons mis en évidence la difficulté engendrée par la double tutelle des ARS et des départements sur les EHPAD. Nous souhaitons donc que le pilotage des EHPAD soit confié aux seuls départements pour une meilleure visibilité et une identification de l'autorité.
Il en va de même pour la médecine scolaire. Pourquoi propose-t-on que la médecine scolaire soit rattachée aux départements ? Le coeur de compétences des départements justifie ce choix. Ceux-ci ont dans leurs missions essentielles la compétence sociale, la prévention et la petite enfance. Nous savons qu'en matière de prévention et de détection de difficultés sanitaires, physiques, psychologiques, personnelles ou familiales, il est nécessaire de pouvoir repérer les enfants que les familles ne conduisent pas chez le médecin. La médecine scolaire est en lien avec la prise en charge sociale de l'enfant. L'efficacité de l'action publique en matière de prévention et de petite enfance doit être articulée autour des départements. Nous reprendrons vraisemblablement cette proposition dans le projet « 4D ».
Mme Catherine Di Folco . - La médecine professionnelle scolaire constitue une autre difficulté de la médecine en milieu scolaire. En effet, aucune visite médicale n'est organisée pour le personnel de l'Éducation nationale. Ce problème n'a jamais été résolu. Mon mari, directeur d'école, n'a passé que deux radios pulmonaires durant toute sa carrière. La médecine professionnelle n'existe pas dans le milieu scolaire.
M. Laurent Burgoa . -Nous ne parlons plus ici de médecine scolaire, mais de médecine du travail. Effectivement, la médecine du travail est absente des établissements scolaires. Cependant, une loi se prépare sur la médecine du travail.
Mme Michelle Gréaume . - Les élus locaux plaident pour des transferts de compétence en matière d'environnement et de logement, notamment. Mais les transferts ne sont pas suffisamment délimités. Par exemple, le logement recouvre des compétences vastes et diverses. Il est compréhensible que la création de logements sociaux soit gérée globalement sur chaque territoire, mais les maires peuvent se sentir dépossédés s'agissant des commissions d'attribution de ces logements. Les limites dans les transferts de compétence devraient donc être précisées.
Mme Françoise Gatel, présidente . - Absolument. Pour répondre à cette remarque, je précise que nous présentons ici une synthèse. Il est difficile de concevoir un questionnaire exhaustif. Concernant le logement, le sujet a été évoqué dans notre groupe de travail Métropole. Un travail est également en cours au niveau de la commission des Affaires économiques.
Je pense que, sur chaque thématique, une compétence peut être affectée à la métropole ou à l'intercommunalité, mais après avoir défini l'intérêt métropolitain. C'est exactement l'exemple de la voirie. Pour le logement, il y a un niveau de compétence de l'intercommunalité et un niveau de compétence qui doit rester en proximité.
Mme Dominique Estrosi Sassone . - Au nom de la commission des Affaires économiques, j'ai été chargée, avec notre collègue Valérie Létard, d'une mission d'évaluation de la loi SRU vingt ans après sa création et de propositions de réformes. Nous nous sommes également appuyées sur une consultation via le site du Sénat. Elle a été menée auprès de l'ensemble des maires concernés par la mise en oeuvre de l'article 55 de la loi SRU. Nous avons pu constater que certains maires atteignent les objectifs, mais que d'autres communes sont déficitaires ou carencées. Il serait intéressant de recouper ces résultats avec ceux de la consultation qui nous est présentée aujourd'hui.
Mme Françoise Gatel, présidente . - Au travers de toutes ces missions, nous aurons la capacité d'apprécier la situation et de formuler des propositions. L'esprit qui anime le Sénat à la veille du projet « 4D » se situe dans la continuité des observations formulées au Sénat lors de l'examen des lois territoriales : la loi fixe un cadre apportant une sécurité juridique, à l'intérieur duquel les élus peuvent trouver les meilleures réponses pour le besoin de l'action publique sur leur territoire. La loi fixera ce cadre, mais pas son application différenciée selon chaque territoire. Si un cadre précis est nécessaire, il s'applique sans verticalité. La loi constitue un champ de possibles plutôt qu'un champ d'obligations. Même au Sénat, des confrontations et des débats auront lieu, avec des opinions extrêmement différentes.
La crise sanitaire que nous traversons a montré l'enjeu d'un pacte de confiance entre l'État et les collectivités, et la capacité des collectivités à relever ce défi. Elles doivent aussi prendre leurs responsabilités. Le meilleur exemple est celui de ce dimanche de juin où le président de la République explique devant des millions de Français, à 18 heures, que les élèves doivent retourner dans leurs établissements le lundi suivant. À 18 heures 15, alors que le Président rentre à l'Élysée, les maires se demandent comment appliquer cette décision. L'État doit donc affirmer la stratégie et les collectivités la mettre en oeuvre, mais il est impossible de demander aux collectivités d'exécuter sans les avoir associées. La différenciation n'a rien à voir avec une volonté d'autonomie.
6) Renforcer l'État territorial, en particulier au niveau du département
Pendant la crise sanitaire, nous avons constaté que l'espace départemental était pertinent face au développement de la maladie. L'ensemble des collectivités, de la commune au département, jusqu'à la région, était mobilisé à cet échelon. Cela a constitué un très bon échelon d'efficacité de l'État. Cette crise sanitaire ne fait que souligner le souhait des élus de prendre en compte la nécessité des transferts de compétences de l'État central vers l'État territorial. Comment peut-on admettre que l'État territorial, c'est-à-dire le préfet, n'a pas sous son autorité le recteur ou l'ARS ? Cette situation est comparable à celle où un Premier ministre n'aurait pas sous son autorité le ministre des Finances ou de l'Éducation nationale. La crise a souligné l'urgence des décisions : il n'est pas concevable de dépendre de décisions prises à un niveau national, alors que ce niveau est très souvent dépassé par les solutions trouvées plus vite au niveau local. Nous voyons ici l'effet de la création des très grandes régions : l'éloignement de la décision a pour conséquence un renforcement du département.
Les collectivités doivent avoir un interlocuteur unique. Quand, dans un département, le préfet souhaite élaborer un schéma de la ruralité, tout est organisé et défini, une convention est signée entre le préfet, le président du département et le président de l'AMF. Trois jours plus tard pourtant, une trésorerie ferme. L'explication réside dans le fait que le directeur régional des finances publiques (DRFIP) n'est pas obligé de solliciter le préfet avant de prendre sa décision. Un problème de décrédibilisation de la parole de l'État se pose donc. Certains voient émerger, à bas bruit, un nouveau centralisme au niveau régional quand les régions sont très grandes. C'est pourquoi nous défendons l'idée d'une instance de dialogue auprès du préfet associant les collectivités territoriales.
Concernant les réponses sur le renforcement des préfectures de départements ou des sous-préfectures, on observe que, dans certains territoires, les sous-préfets sont à l'écoute, dans un esprit facilitateur, et jouent un rôle d'ensemblier très intéressant. Dans certains territoires ruraux, une proximité existe avec l'État grâce aux sous-préfets, contrairement à ce qu'on constate en zone urbaine.
Mme Catherine Di Folco . - Je souhaite souligner le rôle du Sénat au moment de l'examen de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), qui prévoyait l'extinction du niveau départemental. Nous nous rendons compte qu'heureusement, le Sénat a joué un rôle de porte-parole des territoires. Les maires attendent un renforcement de l'échelon départemental.
Mme Dominique Estrosi Sassone . - Pendant la crise sanitaire, nous avons noté l'importance du couple maire-préfet. Cela ressort dans l'analyse de cette consultation, mais également dans celle concernant l'article 55 de la loi SRU. Avec notre collègue Laurent Burgoa, nous avons procédé à l'audition des maires du Gard. De nombreux élus demandent une meilleure prise en compte des spécificités territoriales dans l'adaptation et la mise en oeuvre de la loi SRU, sans vouloir s'exonérer des objectifs à atteindre. Cela pose les questions du renforcement du couple maire-préfet et de l'importance du dialogue entre les maires, qui expliquent les difficultés et les freins qu'ils rencontrent, et le préfet, qui les prend en considération car il connaît bien les territoires. Celui-ci peut alors adapter l'application des normes, notamment l'article 55 de la loi SRU, en tenant compte de ces spécificités. Les élus sont très favorables à ce renforcement de l'État territorial et demandent un renforcement des pouvoirs du préfet localement. Dans ce cadre, l'État devient accompagnateur, facilitateur et non pas facteur de contraintes.
M. Laurent Burgoa . - Nous constatons, à travers les rencontres avec les préfets dans le cadre de la crise sanitaire, que malheureusement si certains préfets ont eu de la latitude lors du premier confinement, lors des deux autres, ils en étaient réduits à n'être que des courroies de transmission entre une information nationale et des souhaits locaux. L'État devrait renforcer leurs prérogatives. Par exemple, dans le Gard, notre ancien préfet, très proche des élus, a dû prendre un arrêté préfectoral pour imposer le port du masque sur l'ensemble du département du Gard, y compris dans le cirque de Navacelles dans les Cévennes, qui compte un habitant par kilomètre carré. Cela constituait une aberration. Le préfet le reconnaissait, mais il ne pouvait pas faire autrement. Un peu de bon sens permettrait d'éviter ce type de situations.
Mme Françoise Gatel, présidente . - L'espace départemental est idéal pour la déconcentration des services de l'État. Dans les très grandes régions, la collectivité départementale s'affirme, avec des compétences qui sont différentes. Certains territoires plus petits et culturellement uniformes souhaitent, en matière de différenciation, pouvoir s'organiser différemment à l'échelle d'une région, sous la forme d'une assemblée unique, tout en conservant la proximité d'un espace départemental. Dans la différenciation que nous allons proposer, nous devons mentionner qu'il s'agit d'une volonté affirmée des territoires. Nous laissons les territoires s'organiser comme ils le souhaitent, à l'initiative des élus, dans un cadre législatif défini.
Concernant les pouvoirs dérogatoires des préfets, le Sénat a adopté une résolution visant à encourager le Gouvernement à étendre les facultés de dérogations aux normes des préfets dans des champs bien définis. Nous avons interrogé, le 20 novembre 2020, M. le Premier ministre sur ce qu'était devenue cette possibilité, assez intéressante en termes d'appréciation des situations concrètes. Nous n'avons, pour le moment, pas reçu de réponse.
Ce qui est évoqué pour le masque est très juste. En montagne ou en bord de mer, quand il n'y a personne, doit-on porter un masque ? Le préfet pourrait déroger à la norme pendant la crise sanitaire, à l'instar du gouvernement, qui a lui aussi territorialisé sa gestion.
Nous avons vraiment de la matière, qui croise les champs d'exploration des uns et des autres. J'ai expliqué à Mme la ministre que les élus étaient tout à fait avec nous. Si elle a lu les cinquante propositions du Sénat, elle sait dans quelle direction le texte « 4D » doit avancer. Nous serons sans surprise.
Je vous propose de transformer cette communication en rapport d'information. Donnez-vous votre accord ?
La délégation donne son accord.