C. L'INVENTAIRE NATIONAL DU PCI N'A PAS ENCORE VÉRITABLEMENT TROUVÉ SA PLACE FACE AUX LISTES DE L'UNESCO
1. L'inventaire national doit gagner en notoriété et en attractivité
L'inventaire national souffre aujourd'hui d'un déficit de notoriété . Il paraît être un outil très confidentiel , malgré les efforts entrepris ces dernières années par le ministère de la culture pour en accroître la visibilité, avec l'introduction en 2018 de l'emblème PCI France (cf. supra ) et la mise en place en 2017 d'une plateforme collaborative dénommée PCI-Lab qui vise à faciliter la recherche et à mieux valoriser les pratiques recensées sur l'inventaire national (requêtes thématiques, cartographie interactive, mise en ligne de vidéos associées).
La découverte de l'ensemble des éléments inventoriés et l'accès aux fiches d'inventaire restent très délicats , à moins de savoir précisément quel élément on recherche, ce qui suppose d'être déjà informé qu'il figure à l'inventaire. Même si la plateforme PCI-Lab apparait plus accessible et peut donc davantage servir à promouvoir le PCI auprès du grand public, elle ne comporte pas à ce jour l'ensemble des éléments inclus à l'inventaire, dans la mesure où elle s'appuie sur les données de Wikipedia pour enrichir sa base de données utiles à la recherche des fiches d'inventaire.
Ce déficit de notoriété de l'inventaire pèse sur son attractivité . La délégation à l'inspection, à la recherche et à l'innovation (DIRI), qui est chargée au sein du ministère de la culture de l'inventaire national, confirme que l'intérêt manifesté pour l'inventaire varie considérablement d'une région à l'autre. La Bretagne et la Nouvelle-Aquitaine - et en son sein, le département des Pyrénées-Atlantiques - apparaissent comme les régions qui sont les plus préoccupées par la sauvegarde du PCI. La moindre reconnaissance du PCI dans certaines régions génère un cercle vicieux car moins une région a d'éléments inclus à l'inventaire, moins ses élus et sa population sont sensibilisés à l'importance du PCI et moins sa sauvegarde a donc de chance d'être intégrée dans les orientations politiques.
L'inscription sur l'inventaire national résulte aujourd'hui, soit de demandes spontanées formulées par des communautés, soit d'appels à projets lancés chaque année par le ministère de la culture auprès des structures regroupant des détenteurs de pratiques culturelles immatérielles, avec un partenariat scientifique, ainsi qu'auprès des collectivités territoriales et des laboratoires de recherche. Les candidats sélectionnés dans le cadre de ces appels à projets bénéficient de subventions de l'État pour leur contribution à l'enrichissement de l'inventaire et à la recherche en sciences sociales dans le domaine du PCI. La majorité des éléments ont été inclus à l'inventaire par le biais des appels à projets.
Il pourrait être pertinent que des orientations soient données à ces appels à projets pour rééquilibrer la répartition géographique et thématique de l'inventaire national . Une attention particulière portée à certaines formes de PCI ou à la reconnaissance du PCI dans certains territoires pourrait avoir un effet « boule de neige » sur la prise en compte du PCI susceptible de lui assurer davantage de stabilité. L'inscription à l'inventaire national apparaît en effet comme un outil déterminant de la sauvegarde, dans la mesure où il favorise l'élaboration de véritables projets de sauvegarde.
2. L'inventaire national ne doit pas être une simple antichambre de l'Unesco compte tenu de la difficulté à obtenir une inscription sur l'une des listes internationales
Il apparait d'autant plus important que l'inventaire national soit reconnu en tant que tel que l'inscription sur l'une des listes de l'Unesco se révèle être un véritable parcours du combattant à l'issue très incertaine . Peu d'éléments inscrits sur l'inventaire national ont de chance d'être consacrés à l'Unesco.
Les porteurs de projets doivent avoir conscience qu'il s'agit d'une procédure longue, complexe et coûteuse. Elle ne peut pas être portée exclusivement par les communautés, qui ont besoin de se faire accompagner par des spécialistes pour les aider à collecter les informations pertinentes pour la documentation de l'élément et à rédiger le dossier de candidature.
À cela s'ajoute le fait que la concurrence est de plus en plus forte entre les candidats à l'inscription auprès de l'Unesco. L'Unesco n'autorise plus la France qu'à déposer un seul dossier de candidature tous les deux ans pour une inscription sur la liste représentative. Elle fait valoir que la France est déjà dans une position avantageuse au regard des 14 éléments déjà inscrits en son seul nom (hors inscriptions à caractère multinational), sur un total de 526 éléments à caractère strictement national inscrits correspondant à 118 pays. Seuls la Chine (40), le Japon (22), la République de Corée (18), la Croatie (15) et l'Espagne (15) comptent davantage d'éléments inscrits. La Turquie (14), la Mongolie (13), l'Inde (12), le Vietnam (12), la Belgique (11), l'Iran (11), l'Azerbaïdjan (10), la Colombie (10), l'Indonésie (10), le Mexique (10) et le Pérou (10) font également partie des États qui comptent le plus d'éléments inscrits.
Compte tenu d'un afflux de candidatures chaque année supérieur à sa capacité de traitement des dossiers, l'Unesco, en outre, fixe désormais des priorités en ce qui concerne l'examen des dossiers . Les dossiers provenant d'États n'ayant pas d'éléments inscrits, les dossiers multinationaux et les dossiers provenant d'États ayant le moins d'éléments inscrits sont traités en priorité.
Au regard des priorités désormais fixées par l'Unesco, le dépôt d'une candidature multinationale peut être une solution pour faciliter l'inscription d'un élément, puisque l'Unesco n'y impose jusqu'ici aucune limite - en dehors du fait que l'inscription est alors prise sur le quota annuel du premier pays signataire. Mais les porteurs de projets sont partagés au sujet de ce type de candidature, qui ne leur permet pas toujours d'atteindre aussi bien les objectifs qu'ils poursuivent au travers de l'inscription (par exemple, fédérer ou structurer une filière au niveau local ou national). La reconnaissance qui découle de l'inscription est en effet diluée entre différents pays. Les candidatures multinationales ne sont par ailleurs pas adaptées pour des éléments qui seraient spécifiques à la France. Elles peuvent enfin retarder une inscription lorsque l'un des pays partenaires se montre à la traîne sur la constitution du dossier de candidature.
L'engorgement croissant des candidatures au niveau de l'Unesco se traduit par un processus de plus en plus sélectif au niveau national , sans pour autant que les critères sur lesquels se font la sélection soient connus.
Les dossiers de candidature doivent passer le filtre du CPEI , qui rend un avis sur les dossiers de candidature avant le choix final opéré par le ministre chargé de la culture. Ce comité est saisi des dossiers une fois un premier examen effectué par la DIRI et par le Centre français du patrimoine culturel immatériel. Se contente-t-il ainsi de vérifier si les dossiers satisfont aux critères définis par l'Unesco pour prétendre à l'inscription sur l'une de ses listes ou oriente-t-il la décision finale prise par le ministre ? Le cas échéant, les critères sur lesquels il se fonde pour classer les différents dossiers qui lui sont soumis devraient être rendus publics, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Les rapporteures se sont également interrogées sur la validité du fonctionnement de cet organe, dans la mesure où elles ne sont pas parvenues à trouver l'arrêté qui aurait reconduit ce comité au-delà des cinq années pour lesquelles il avait été créé par un premier arrêté en date du 5 mars 2012.
Deux options se présentent pour faciliter la reconnaissance du PCI et mieux répondre aux attentes des détenteurs de pratiques culturelles immatérielles compte tenu des contraintes actuelles :
- soit plaider pour que l'Unesco inscrive chaque année un plus grand nombre d'éléments sur ses listes. Face à la croissance des demandes d'inscription, le Comité intergouvernemental de sauvegarde du patrimoine culturel immatériel de l'Unesco a d'ailleurs lancé une réflexion à ce sujet. Mais, au regard des capacités administratives et financières de l'Unesco, cette évolution s'accompagnerait nécessairement d'une réduction des critères qui président à l'inscription. Elle pourrait avoir des conséquences sur la qualité des listes et leur image au niveau international, ce qui n'est pas forcément souhaitable, ni pour les éléments déjà inscrits, ni pour les candidats à l'inscription ;
- soit renforcer l'attractivité de l'inventaire national, notamment en faisant en sorte que l'inclusion sur sa liste apporte un « plus » pour les porteurs de projet (crédits déconcentrés, aide au développement d'une offre de formation pour faciliter la transmission...).