II. LES CONSTATS DE LA MISSION D'INFORMATION
A. LE PCI RESTE ENCORE TROP MÉCONNU
Il est indispensable de remédier à la méconnaissance qui entoure encore en France le PCI au regard des conséquences qu'elle emporte sur la connaissance et la reconnaissance de ses éléments et des savoir-faire d'excellence, ainsi que sur leur sauvegarde, dans la mesure où c'est aux populations, appuyées par les collectivités territoriales, qu'incombe le rôle essentiel dans la création et la transmission du PCI.
1. La notion est encore mal appréhendée
Les auditions ont révélé que le PCI restait encore mal identifié et que cette notion faisait l'objet de multiples confusions . Il apparait nécessaire de combattre les idées reçues, dans la mesure où elles véhiculent une image déformée du PCI qui, aujourd'hui, nuit à sa reconnaissance et à sa notoriété .
Ainsi, le PCI ne renvoie pas forcément au passé. Il n'a d'ailleurs pas vocation à comprendre des pratiques passées qui n'auraient plus cours. Il concerne exclusivement des pratiques vivantes que les contemporains reconnaissent comme des éléments de leur patrimoine et qu'ils souhaitent pouvoir transmettre aux générations suivantes afin qu'elles se l'approprient.
Le PCI diffère également de la mémoire collective, qui est une forme de patrimoine oral, mais qui concerne des événements passés, sans donner lieu à des pratiques ou des savoir-faire. Il ne correspond pas davantage à la dimension immatérielle associée à un patrimoine matériel : les histoires associées à un lieu ou encore la signification qu'un lieu peut revêtir pour les individus et les groupes d'individus constituent des archives orales ou numériques. Or, le PCI ne correspond pas à des objets. Il n'est pas composé d'archives, qui sont des objets matériels, et qui ne sont utilisées dans le cadre du PCI que pour documenter une pratique et faciliter sa transmission.
Le PCI ne saurait non plus se résumer à du folklore. Il est vrai que la reconnaissance du PCI trouve son origine dans la volonté d'un certain nombre de pays de voir leurs traditions folkloriques et populaires mieux protégées, dans la mesure où les instruments internationaux existants destinés à la protection du patrimoine mondial ou du droit d'auteur ne permettaient pas de couvrir correctement cet enjeu. Mais le champ du PCI est bien plus large que le simple folklore.
Les dates-clés du patrimoine culturel immatériel à l'Unesco
Source : Commission de la culture, de l'éducation et de la communication
La définition du PCI donnée par l'Unesco n'est pas la cause de ces confusions . Les acteurs du PCI auditionnés dans le cadre de la mission d'information ne jugent d'ailleurs pas utile qu'elle soit reformulée. La méconnaissance du PCI trouve sans doute davantage son origine dans l'usage du vocable « immatériel », qui apparait peu intelligible . Même si l'emploi de ce terme s'explique par la volonté de distinguer cette forme de patrimoine du patrimoine matériel, pour lequel des outils de protection avaient déjà été mis en place, il constitue un handicap pour la compréhension de cette notion par le grand public. L'expression de « patrimoine vivant » devrait être privilégiée pour mieux signifier le caractère contemporain de l'élément et les interactions humaines sur lesquelles il se fonde.
Les critères d'éligibilité au PCI
Les rapports annuels d'activités du Comité intergouvernemental de sauvegarde du PCI établissent les critères de définition des pratiques culturelles immatérielles selon l'Unesco :
- vivantes, non figées et constamment recréées par les communautés ;
- transmises de génération en génération ;
- propices au développement durable ;
- conformes aux instruments internationaux sur les droits de l'homme ;
- favorables à la diversité culturelle, au dialogue et au respect mutuel ;
- étrangères à toute notion de conflit, de guerre ou de violence, entre êtres humains et entre êtres humains et animaux.
Source : Ministère de la culture
2. Le PCI reste peu visible du grand public
Le PCI souffre aussi d'un manque cruel de visibilité . Les éléments qui relèvent du PCI sont rarement identifiés comme tels par le grand public. La plupart des Français n'ont pas aujourd'hui conscience que le jeu ou l'activité qu'ils pratiquent, la fête à laquelle ils participent, ou le savoir-faire qu'ils apprécient font partie de leur patrimoine et que leur transmission aux générations futures constitue un enjeu, comme pour le patrimoine bâti. Comme le souligne très justement Pierre Sanner, président de l'Association France PCI, qui réunit tous les éléments inscrits à l'UNESCO, « À l'instar de Monsieur Jourdain, la plupart des personnes prennent part au PCI sans le savoir ».
Cette situation peut bien sûr s'expliquer par le caractère récent de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, ainsi que par le rôle prépondérant confié aux communautés dans la sauvegarde de ces patrimoines, qui ne va pas dans le sens d'une institutionnalisation de la sauvegarde, qui aurait pu s'accompagner d'actions de promotion du PCI de plus grande ampleur.
Ces deux difficultés expliquent aujourd'hui la faible conscience qu'a le grand public de l'importance du PCI et de la nécessité de le sauvegarder . Le récent succès du Loto du patrimoine montre pourtant que les Français sont extrêmement attachés aux enjeux patrimoniaux et pourraient sans doute se montrer plus réceptifs au PCI s'ils y étaient davantage sensibilisés.
Or, force est de constater que les actions destinées à sensibiliser le grand public aux enjeux en matière de PCI restent encore peu nombreuses et relativement dispersées. Si de nombreux colloques et travaux de recherche sont organisés sur le PCI, celui-ci ne doit plus demeurer une affaire d'initiés. Il y a un véritable enjeu à mieux éduquer le grand public à cette problématique pour véritablement améliorer la sauvegarde du PCI dans notre pays et favoriser la transmission de ses différents éléments. Deux axes apparaissent prioritaires.
Le premier axe concerne la formation des jeunes au PCI et aux enjeux de sa sauvegarde dans le cadre de l'éducation artistique et culturelle (EAC). Ces formes de patrimoine sont aujourd'hui globalement absentes du champ de l'EAC. Un dialogue entre le ministère chargé de la culture et celui chargé de l'éducation nationale apparait nécessaire pour garantir que cette dimension soit systématiquement intégrée dans le parcours d'EAC. Il serait pertinent de faire appel aux communautés, groupes ou individus liés à la pratique des éléments de PCI pour des interventions en milieu scolaire. Les acteurs du PCI rencontrés à l'occasion de la préparation du présent rapport s'y montrent tout à fait disposés quand ils ne sont pas demandeurs.
Le second axe porte sur la nécessité de développer les actions de sensibilisation destinées au grand public (expositions, ateliers, manifestations, ouvrages, campagnes de communication, émissions télévisées...) afin de faciliter l'identification et la reconnaissance du PCI en France. Le PCI n'est pas aujourd'hui suffisamment visible et doit être davantage médiatisé.
De premiers efforts ont été entrepris au cours des dernières années pour améliorer la visibilité du PCI. Le ministère de la culture a ainsi mis en place en 2018 un logo destiné aux éléments inscrits sur l'inventaire national afin de mieux valoriser le PCI. L'Association France PCI construit, de son côté, un projet de bande dessinée autour du PCI.
L'emblème permettant d'identifier
les
éléments inscrits à l'inventaire du PCI en
France
Il semble essentiel de poursuivre sur cette voie tant l'adhésion du grand public à l'enjeu de la sauvegarde du PCI pourrait grandement contribuer à faciliter sa transmission . La promotion du PCI et la valorisation de ses différents éléments apparaissent comme les meilleurs moyens de susciter cette adhésion.
Notre pays a la chance de disposer d'un réseau déjà solide d'acteurs dont la mission est de contribuer à promouvoir le PCI sur le territoire national, parmi lesquels :
- la Maison des cultures du monde, désignée en 2011 « Centre français du patrimoine culturel immatériel » avec pour mission d'informer, de sensibiliser, de promouvoir le PCI et la diversité culturelle ;
- l'Association France PCI, qui réunit l'ensemble des éléments de PCI inscrits à l'Unesco aux fins de promouvoir auprès du public l'esprit de la Convention ainsi que les éléments inscrits sur ses listes, de faciliter l'échange et le partage d'informations, de connaissances et d'expériences dans le domaine de la sauvegarde du PCI, et d'être une force de proposition et de réflexion auprès des acteurs du PCI en France et dans le monde ;
- une dizaine d'établissements 3 ( * ) bénéficiant du label « ethnopôle » (pôle national de recherche et de ressources en ethnologie), qui conduisent des projets de recherche, de diffusion, de valorisation et d'animation territoriale dans le domaine du patrimoine ethnologique ;
- et un certain nombre de fédérations spécialisées, comme la Fédération des acteurs et actrices de musiques et de danses traditionnelles (FAMDT), la Fédération des écomusées et musées de société, la Fédération des parcs naturels régionaux (FPNR) ou la Fédération des associations locales des Sites remarquables du goût.
Il apparait primordial de mobiliser davantage ces différents acteurs autour d'actions communes qui permettraient de mieux faire connaître le PCI auprès de l'ensemble de la population.
Une autre piste pourrait être d'encourager les institutions culturelles dans le domaine du patrimoine (musées et monuments) à contribuer à la promotion du PCI, à l'image des actions conduites par le Mobilier national ou pour la Cité de la tapisserie d'Aubusson. Il semble en effet nécessaire de ne pas opposer le patrimoine immatériel et le patrimoine matériel et de décloisonner les approches entre ces différentes formes de patrimoine . Les établissements culturels dans le domaine de la création pourraient également être davantage sollicités.
3. Les collectivités territoriales ne jouent pas encore pleinement le rôle qui pourrait être le leur en matière de sauvegarde du PCI
Les collectivités territoriales apparaissent comme des acteurs clés de la promotion et de la sauvegarde du PCI . Les acteurs du PCI jugent leur concours absolument nécessaire à la mise en oeuvre des mesures de sauvegarde en raison de leurs compétences en matière de gestion des services publics culturels locaux, en matière d'éducation, en matière d'urbanisme et en matière économique. Ils estiment que leur connaissance fine des acteurs locaux les rend incontournables pour faire le lien entre les différentes parties susceptibles de concourir à la bonne marche d'un projet de sauvegarde et pour les fédérer autour de la construction d'un projet.
Les collectivités territoriales apparaissent néanmoins jusqu'à présent peu impliquées sur ces questions . Elles le sont en tout cas de manière très inégale. Une nouvelle fois, le caractère récent de la Convention et le fait que le PCI soit aujourd'hui une préoccupation encore davantage portée par des groupes épars que par le grand public du fait de sa faible médiatisation figurent parmi les principales causes de cette situation. Mais d'autres raisons peuvent aussi l'expliquer.
Le nombre encore réduit de biens français inscrits sur l'une des trois listes du patrimoine immatériel de l'Unesco (23 contre 45 au titre du patrimoine mondial), leur inégale répartition géographique, ainsi que le manque de notoriété de l'inventaire du PCI en France ne créent pas aujourd'hui l'émulation nécessaire pour conduire les collectivités territoriales à se saisir de cette question.
Une autre explication réside dans le fait que la plupart des élus locaux n'ont pas conscience du potentiel que représente le PCI sur leur territoire .
Celui-ci peut pourtant constituer une ressource importante pour les collectivités territoriales. Il est un marqueur d'identité du territoire de nature à nourrir le sentiment d'appartenance et de fierté de ses habitants. Il peut ainsi contribuer à la notoriété d'un territoire, en véhiculant de lui une image d'authenticité susceptible de générer des retombées économiques locales et de renforcer son attractivité touristique. Il peut d'ailleurs être exploité pour valoriser des territoires qui ne seraient pas aussi richement dotés en patrimoine matériel. Il est enfin un outil de cohésion qui favorise la participation citoyenne, facilite l'intégration des nouveaux habitants et permet de fédérer les acteurs d'un territoire. L'association Dastum, organisme chargé de la sauvegarde du fest noz , souligne ainsi que le dossier de candidature de cet élément auprès de l'Unesco a joué un rôle de catalyseur en réunissant autour d'un même projet des acteurs qui ne se rencontraient plus ou n'avaient pas l'habitude de se parler (collectivités, associations, artistes...).
Il apparait donc urgent de sensibiliser les élus locaux à l'enjeu de la promotion et de la sauvegarde du PCI .
Il serait ainsi utile que le ministère de la culture diffuse sans tarder un vade-mecum destiné aux élus locaux grâce auquel ils pourraient disposer des informations qu'ils sont susceptibles de rechercher relatives au PCI (Pourquoi sauvegarder le PCI ? Quel rôle les élus peuvent-ils jouer à chaque échelon territorial ? Quelle forme de soutien peuvent-ils apporter aux communautés ? Pourquoi un inventaire du PCI ? Comment contribuer à l'inventaire du PCI en France ? Comment présenter un dossier de candidature ? A qui s'adresser sur ces questions ? Quels sont les organismes qui peuvent les aider ?). Le gouvernement du Québec a ainsi publié, depuis 2018, un guide pour les municipalités intitulé « le patrimoine immatériel : pour une vitalité culturelle locale - vers une action municipale profitable ».
Parallèlement, des formations pourraient également être organisées à l'intention des élus locaux, en partenariat avec les grandes associations d'élus ou les réseaux de collectivités mis en place dans le domaine du patrimoine (Villes et Pays d'art et d'histoire, Petites cités de caractère...).
Des études pourraient enfin être commandées pour permettre de mieux mesurer les effets d'une inscription à l'inventaire national ou sur l'une des listes de l'Unesco (par exemple, en termes de bonification de l'offre culturelle, en termes économiques, en termes d'emplois directs et indirects, en termes d'attractivité touristique...). Les données quantitatives et qualitatives qui en ressortiraient pourraient être transmises aux élus locaux pour information ou alimenter le vade-mecum qui leur serait destiné.
Une dernière explication qui peut être avancée pour justifier l'implication modérée des collectivités territoriales en matière de PCI, c'est le manque d'appui dont elles bénéficient sur ces questions qui nécessitent des compétences spécifiques en matière ethnologique, juridique et technique , surtout lorsqu'il s'agit d'élaborer un dossier de candidature pour l'inclusion d'un élément sur l'inventaire national ou pour son inscription par l'Unesco.
Les collectivités ont besoin d'être mieux accompagnées . Seules quatre directions régionales des affaires culturelles disposent encore de conseillers pour l'ethnologie (Auvergne-Rhône-Alpes, Bourgogne-Franche-Comté, Normandie, Occitanie). Il manque aujourd'hui un relais à l'échelon régional faisant le lien entre les collectivités territoriales et l'administration centrale du ministère de la culture ou les services de l'Unesco sur les questions de PCI. Dans les Pays de la Loire, il existe une association dénommée « Office pour le patrimoine culturel immatériel-Ethnodoc », qui peut apporter son ingénierie aux territoires pour les aider à bâtir leurs projets d'identification, de valorisation et de sauvegarde du PCI. Elle conduit également une activité scientifique sur le PCI et gère un centre de documentation et d'archives ethnographiques. Elle est susceptible d'intervenir à la demande sur l'ensemble du territoire national, mais ses capacités actuelles ne lui permettent sans doute pas de répondre à toutes les sollicitations si l'ensemble des collectivités territoriales faisaient appel à ses services. D'où la nécessité de mettre à la disposition des collectivités territoriales une liste de référents en matière de PCI , aucune information centralisée n'étant aujourd'hui disponible à ce sujet.
* 3 La fabrique de patrimoines en Normandie, le Centre français du patrimoine culturel immatériel en Bretagne, la Maison du patrimoine oral de Bourgogne, le Musée des arts et traditions populaires du château de Champlitte, le Musée Courbet à Ornans, le Centre des musiques traditionnelles Rhône Alpes, le Centre du patrimoine arménien à Valence, le Musée de Salagon à Mane, le GARAE à Carcassonne, l'Institut occitan de culture (CIRDOC) et l'Institut culturel basque dans les Pyrénées-Atlantiques.