EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mardi 16 février 2021, la commission a auditionné M. Jean-Baptiste DJEBBARI, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports, sur la stratégie nationale portuaire.

M. Jean-François Longeot , président . - Nous sommes heureux de vous accueillir aujourd'hui, monsieur le ministre, pour échanger sur la nouvelle stratégie nationale portuaire (SNP), qui a été - enfin - adoptée lors du dernier comité interministériel de la mer (CIMer) au Havre, le 22 janvier 2021.

Je m'en réjouis, car, vous le savez, notre commission suit ce dossier avec attention depuis plusieurs années. Nous avions publié un premier rapport en février 2019, invitant le Gouvernement à actualiser la stratégie nationale portuaire de 2013, puis un second rapport, en juillet 2020, contenant dix propositions et quatre recommandations de court terme, formulées à l'issue des travaux de la mission d'information relative à la gouvernance et à la performance des ports maritimes, qui était présidée par Martine Filleul et dont le rapporteur était notre ancien collègue Michel Vaspart.

Le 8 décembre dernier, le Sénat a adopté la proposition de loi relative à la gouvernance et à la performance des ports maritimes français, déposée par Michel Vaspart et de nombreux collègues des groupes Les Républicains et Union Centriste, qui traduit les recommandations de cette mission d'information, et dont notre collègue Didier Mandelli était rapporteur. Il était donc particulièrement important à nos yeux de vous recevoir pour assurer le suivi de ces travaux.

Le document présenté par le Gouvernement répond à la majorité des observations formulées par notre commission, la Cour des comptes et de nombreux acteurs sur la précédente stratégie nationale portuaire de 2013. Des objectifs clairs sont fixés, en termes de reconquête de parts de marché pour nos ports, d'emplois, de report modal, de transition écologique et de fluidité du passage portuaire. Des outils sont également prévus pour piloter cette stratégie : des contrats d'objectifs et de performance (COP) entre l'État et ses grands ports maritimes (GPM) et un comité de suivi étoffé, qui rappelle le « Conseil national portuaire et logistique » que Michel Vaspart souhaitait créer. C'est un point positif même si certaines annonces avaient déjà été faites au CIMer 2018 ou au CIMer 2019.

Cette nouvelle stratégie s'adresse à l'ensemble de notre système portuaire, c'est-à-dire aux ports de l'État et aux ports des collectivités, que ce soit en métropole et en outre-mer. C'est également un point positif et il faudra désormais veiller à la déclinaison de cette stratégie dans les projets de chaque port maritime.

Enfin, les précisions qui ont été apportées concernant la future gouvernance de l'établissement Haropa, qui fusionnera les trois ports de l'axe Seine - Le Havre, Rouen, et Ports de Paris, semblent montrer que les préoccupations de la commission ont été entendues concernant le rôle des collectivités territoriales et des acteurs économiques dans les instances de gouvernance du futur établissement. À cet égard, pourriez-vous rappeler le calendrier de mise en place d'Haropa et nous indiquer quand sera publiée l'ordonnance qui doit être prise en application de l'article 130 de la loi d'orientation des mobilités (LOM) ?

Le Premier ministre a présenté une trajectoire d'investissement de 1,45 milliard d'euros pour Haropa sur la période 2020-2027 : ce chiffre correspond-il uniquement à l'agrégation des dotations perçues actuellement et individuellement par les trois ports de l'axe Seine - Le Havre, Rouen, Paris - à partir de l'action n° 43 du programme budgétaire 203, ou bien des ressources nouvelles sont-elles prévues ?

En revanche, plusieurs propositions de notre commission n'ont pas été reprises par le Gouvernement, ce que nous regrettons. J'en citerai quatre : d'abord, le document présenté ne comporte pas de mesures sur le volet social de la compétitivité de nos ports, même si une charte d'engagement a été signée par les professionnels en octobre dernier. Ensuite, il me semble manquer un aspect géopolitique dans le document présenté et, sauf erreur de ma part, il n'y a pas d'éléments sur notre stratégie par rapport au projet des « nouvelles routes de la soie » mené par la République populaire de Chine. En outre, je n'ai pas entendu d'annonces d'investissements supplémentaires visant à favoriser le report modal, au-delà des crédits déjà prévus dans le plan de relance, et je m'interroge donc sur le réalisme de l'objectif avancé par le Gouvernement d'augmenter de 30 % la part des modes de transport massifiés dans les acheminements portuaires. L'objectif me semble bon, mais quels sont les moyens ? La stratégie nationale sur le fret ferroviaire nous apportera-t-elle des réponses ?

Enfin, il manque également à mon sens des propositions concrètes sur l'attractivité des zones industrialo-portuaires. Lors du CIMer 2019, le Gouvernement avait indiqué qu'une mission d'inspection serait lancée pour examiner les leviers réglementaires et fiscaux mobilisables afin de dynamiser l'attractivité des zones industrialo-portuaires. Toutefois, aucune décision n'a encore été prise et il faudra attendre le CIMer 2022. Notre commission avait fait des propositions sur ce volet, en adoptant un amendement du rapporteur Didier Mandelli devenu l'article 7 bis de la proposition de loi de Michel Vaspart adoptée par le Sénat et transmise à l'Assemblée nationale et qui propose la création de « zones de relance économique temporaires ».

Des mesures sont-elles envisagées par le Gouvernement pour traiter ce que l'on pourrait appeler des angles morts, peu nombreux heureusement, de cette nouvelle stratégie portuaire ? Pouvez-vous également faire le point sur les discussions que vous menez avec vos partenaires européens au sujet des nouvelles routes de la soie chinoises ? L'accord d'investissement conclu entre l'Union européenne et la Chine a-t-il permis d'aborder ce dossier ? Enfin, pourriez-vous nous en dire plus sur la mission lancée pour dynamiser l'attractivité des zones industrialo-portuaires et son calendrier ?

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports . - Je suis heureux de vous retrouver quelques semaines après l'examen de la proposition de loi portée par votre ancien collègue Michel Vaspart. Nous partagions, je crois, même si les voies divergent, les mêmes ambitions : rendre nos ports plus forts et davantage tournés vers nos engagements écologiques. La SNP vise à répondre à cette ambition.

Le système portuaire français représente 350 millions de tonnes de marchandises, 30 millions de passagers, 300 000 emplois directs : il s'agit donc d'un secteur stratégique. L'enjeu est d'améliorer sa compétitivité, en répondant à la dimension géopolitique que vous avez évoquée et à la dimension écologique.

Notre premier objectif est de reconquérir des parts de marché afin de porter à 80 %, d'ici à 2050 la part du fret conteneurisé à destination ou en provenance de la France, contre 60 % aujourd'hui. Nous renforçons pour cela nos filières d'excellence traditionnelles - conteneurs, vracs solides, produits chimiques, etc. -, qui varient en fonction des ports, ces derniers étant déjà souvent assez complémentaires au sein d'un même bassin, et nous voulons aussi nous donner les moyens de faciliter l'implantation de sites industriels à haute valeur ajoutée ; une mission de réflexion a ainsi été créée pour étudier tous les outils envisageables : zones franches, comme en Grande-Bretagne, ou zones économiques spéciales, avec des incitations fiscales dégressives dans le temps, modulables en fonction des ports et des activités.

Nous voulons aussi doubler d'ici à 2050 les emplois directs et indirects de la filière. Nous avons engagé des travaux sur la formation initiale avec l'éducation nationale pour renforcer l'attractivité de ces métiers.

L'enjeu est également de fluidifier les procédures de passage portuaire, notamment par le biais de la dématérialisation - la préparation au Brexit nous a déjà permis d'avancer sur ce point.

Enfin, nous avons cherché à pacifier les relations sociales pour créer un climat propice au développement des affaires : en octobre, nous avons ainsi signé une charte portuaire avec l'ensemble des fédérations des chaînes logistiques.

Après la compétitivité, la dimension écologique. Nous voulons nous donner les moyens pour que nos ports soient exemplaires sur ce plan. Dans le cadre du plan de relance, nous consacrons 175 millions d'euros d'investissements pour développer les énergies décarbonées. Les appels à projets sont disponibles. La dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) peut aussi être mobilisée pour accélérer la transition énergétique. Un volet important concerne les carburants alternatifs, et est déjà largement utilisé par les différents acteurs. Le porte-conteneurs Jacques Saadé de la compagnie française CMA-CGM, qui fonctionne au gaz naturel liquéfié (GNL), est le porte-étendard de cette grande transition que mène actuellement le secteur. Nous continuerons évidemment à soutenir toutes les innovations tant sur la propulsion des navires que sur la transition écologique dans toutes les activités portuaires.

Quant à l'objectif de 30 % de report modal, les chiffres que vous avez évoqués ne comprennent pas la part allouée au fret ferroviaire, dont nous avons fait une priorité, tant au niveau national qu'au niveau européen. Nous avons déjà procédé à une baisse de péages pour les opérateurs ; nous mobilisons sur les deux prochaines années 200 millions d'euros pour le fret et nous nous efforçons de renforcer les corridors de fret, comme entre Calais et Sète ou entre Cherbourg et Bayonne, projets qui existaient déjà, mais auxquels nous avons donné une impulsion nouvelle avec le plan de relance, pour parvenir à un déploiement d'ici à 2022.

Cette SNP est le fruit d'une concertation fournie : 27 ateliers de travail, plus de 230 acteurs consultés. Un comité de suivi, que je coprésiderai avec la ministre de la mer, en lien avec les collectivités, permettra de faire le bilan des actions engagées et, éventuellement, d'adapter notre plan stratégique. Nous suivrons certains indicateurs comme la part de marché des ports français au niveau européen, l'évolution de leur empreinte carbone ou encore du taux de numérisation des procédures déclaratives liées au passage portuaire, dans un contexte où le Brexit, notamment, nous pousse à être extrêmement vigilants et actifs.

La création du grand port maritime d'État Haropa, dont le siège sera au Havre, vise à nous permettre de reconquérir des parts de marché, en mettant en oeuvre une vraie stratégie industrielle, commerciale et de services autour de l'axe Seine, en agissant vers l' hinterland , tout en mobilisant deux fois plus de moyens qu'entre 2014 et 2019, soit 1,45 milliard entre 2020 et 2027. La phase de préfiguration est en cours ; l'établissement public devrait être créé le 1 er juin 2021. Stéphane Raison, ancien directeur général du port de Dunkerque, a été nommé directeur général préfigurateur de l'établissement et a vocation à conserver son poste par la suite. La gouvernance se veut souple et opérationnelle : un conseil de surveillance de 17 membres, un conseil d'orientation de l'axe Seine et trois conseils de développement territorial, un dans chaque port.

Un mot, enfin, sur le secteur fluvial, car il existe une continuité avec les stratégies maritime et portuaire : nous avons mobilisé depuis 2017 des moyens supplémentaires, portant de 70 à 100 millions d'euros par an les investissements destinés à la régénération du réseau fluvial, préalable nécessaire à tout travail de développement. Nous avons aussi mobilisé 175 millions d'euros du plan de relance, ce qui permet d'atteindre 400 millions d'euros sur les deux prochaines années pour le maritime, le portuaire et le fluvial. Cette stratégie devrait contribuer au rayonnement de nos ports et leur permettre de continuer à se développer.

Nous nous sommes largement inspirés des travaux du Sénat. Ainsi, chaque port aura son contrat d'objectifs et de performance comme vous le proposiez dans le texte adopté au Sénat en décembre dernier. L'Observatoire de la performance portuaire répond également à votre préoccupation en faveur de la compétitivité des ports. En termes de financement, le Sénat demandait 288 millions d'euros pour le secteur, nous lui consacrons 200 millions avec le plan de relance, tandis que 1,4 milliard d'euros seront consacrés à Haropa - les moyens sont donc à la hauteur de nos ambitions. Le comité de suivi de la stratégie est aussi à l'image du Conseil national portuaire et logistique, regroupant l'ensemble des acteurs - SNCF Réseau, Voies navigables de France, ports, etc. -, dont le Sénat souhaitait la création. Nous travaillons enfin, en lien avec le Brexit, à la création de zones de relance économique portuaire temporaires (ZERT), qui permettront de dessiner un avenir désirable pour nos ports.

M. Jean-François Longeot , président . - Je cède la parole à Didier Mandelli, qui a été rapporteur de la proposition de loi relative à la gouvernance et à la performance des ports maritimes français, puis à Nicole Bonnefoy et Rémy Pointereau, rapporteurs de la mission d'information de notre commission relative au transport de marchandises face aux impératifs environnementaux.

M. Didier Mandelli . - Merci, monsieur le ministre, d'avoir souligné que le Sénat avait tenu son rôle en faisant des propositions. Je salue la création du comité de suivi, mais le Gouvernement avait émis un avis défavorable à la création d'un Conseil national portuaire et logistique suggérée par Michel Vaspart. Pourquoi a-t-il changé d'avis ?

Comment envisagez-vous l'articulation entre la SNP, le « Fontenoy » du maritime annoncé par la ministre de la mer et la stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire ?

Vous avez rappelé l'enveloppe de 200 millions d'euros prévue dans le cadre du plan de relance : quel est l'état de la consommation des crédits et quels sont les projets retenus à ce jour ?

Vous avez aussi évoqué la collaboration avec l'éducation nationale pour développer l'attractivité des métiers. Comment envisagez-vous concrètement cette collaboration ? Nous avions, dans le cadre de la mission commune d'information sur le sauvetage en mer et la sécurité maritime dont j'étais rapporteur, envisagé des collaborations possibles avec les lycées maritimes.

Mme Nicole Bonnefoy . - Je voudrais vous interroger plus particulièrement sur l'écolabel « Flux logistiques portuaires » qui figure dans la stratégie nationale portuaire. Une expérimentation sera lancée sur l'axe portuaire et logistique Méditerranée-Rhône-Saône. Pourriez-vous nous préciser les modalités de ce dispositif ? Comment cet écolabel permettra-t-il de mesurer et de certifier l'engagement écologique de l'ensemble d'une chaîne logistique ? Cet outil influera-t-il sur les choix effectués par les chargeurs ?

Enfin, je me permets de vous interroger sur une proposition qui, certes sort un peu du sujet qui nous occupe aujourd'hui, mais qui nous a été soumise à l'occasion de nos auditions : que pensez-vous de la création d'une écotaxe qui mettrait à contribution les donneurs d'ordre plutôt que les poids lourds et les transporteurs ?

M. Rémy Pointereau . - Ma question portera sur le report modal : plus de80 % des pré- et post-acheminements portuaires reposent encore sur le mode routier. La SNP entend favoriser le développement du report modal vers les modes massifiés au départ des ports. Il s'agit en effet d'un levier majeur de verdissement du transport des marchandises, dans un domaine où la France dispose de fortes marges de progrès. Quelles sont les actions prévues pour faire émerger les plateformes multimodales que vous décrivez ? Chaque grand port maritime disposera d'un plan de transition écologique portuaire. Ces plans comporteront-ils des objectifs relatifs au développement des modes massifiés de transport de marchandises ? Enfin, où en est la stratégie pour le développement du fret ferroviaire, prévue à l'article 178 de la loi d'orientation des mobilités et qui devait être présentée au Parlement le 1 er janvier 2021 ?

Mme Martine Filleul . - On retrouve dans votre présentation les grands axes de nos propositions : une coordination et une coopération accrues entre les ports, le développement des hinterlands , la massification du transport intérieur de marchandises, une plus grande exemplarité écologique. Je me réjouis également que les travaux du Sénat aient inspiré le Gouvernement, même si ce dernier n'a pas soutenu notre proposition de loi... Toutefois certains points restent obscurs. Ainsi, alors que notre proposition de loi prévoyait que le Gouvernement présente au Parlement une fois tous les cinq ans une actualisation de la SNP, la SNP ne mentionne pas le Parlement et ne prévoit aucun moyen pour ce dernier de participer à son suivi. De même, vous ne faites pas référence à la gouvernance des ports, question pourtant essentielle pour que chacun se sente associé au renforcement de la compétitivité et au développement des ports.

La SNP est aussi « molle » sur la transition écologique, car aucune mesure contraignante n'est prévue. Le risque est que les objectifs restent un voeu pieux... Vous n'avez pas non plus repris la proposition de création de zones franches, réclamée pourtant par de nombreux élus, pour faire face aux prochains ports francs britanniques. Vous évoquez une mission, des réflexions, des mesures fiscales, mais rien de précis. Quelles mesures entendez-vous prendre en ce domaine ?

M. Frédéric Marchand . - Boris Johnson a annoncé la création d'une dizaine de ports francs, bénéficiant de règles fiscales et sociales très avantageuses. Le risque est que le Royaume-Uni devienne une véritable enclave logistique et industrielle aux portes du marché européen. Le président de la communauté urbaine de Dunkerque propose non pas des zones franches, mais des zones économiques spéciales pour décarboner l'industrie, la rendre plus compétitive dans l'économie de demain et créer les conditions pour faciliter l'implantation, à proximité des ports ou des aéroports, des zones d'activités. Le Président de la République avait annoncé, lors d'un récent déplacement dans le Calaisis, qu'il voyait cela d'une manière positive. Qu'en pensez-vous ? J'en profite pour vous informer que le maire de Dunkerque devrait annoncer la création imminente d'une nouvelle route maritime entre Halifax, en Nouvelle-Écosse, et sa ville.

M. Pascal Martin . - Nous payons aujourd'hui au prix fort la concurrence des places maritimes belges, hollandaises et allemandes. Le comité interministériel de la mer, qui s'est tenu au Havre le 22 janvier dernier, a affiché une réelle ambition et a affirmé la nécessité d'agir massivement, avec des structures dimensionnées à la hauteur de nos concurrents étrangers. Si je salue la fusion tant attendue des ports du Havre, de Rouen et de Paris pour former le grand port d'Haropa, dont le siège sera basé au Havre, je me félicite également de la nomination de Daniel Havis, président du conseil de surveillance d'Haropa, et de Stéphane Raison, en tant que directeur général préfigurateur de ce nouvel établissement public. Je m'interroge néanmoins sur la concurrence que nous sommes en train de financer au niveau du territoire national, avec la construction du canal Seine-Nord Europe.

Si l'on peut se réjouir du développement du transport fluvial, quelles marchandises y seront transportées ? Le canal Seine-Nord Europe doit relier le bassin parisien aux réseaux fluviaux nord-européen - Dunkerque, certes, mais également et surtout Anvers et Rotterdam. Comment envisagez-vous, à terme, l'articulation entre Haropa et le canal Seine-Nord Europe ?

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué . - Didier Mandelli a loué les capacités d'écoute du Gouvernement, en référence à nos débats sur le Conseil national portuaire et logistique, et je l'en remercie.

En ce qui concerne les sommes que j'ai détaillées tout à l'heure, 41 millions d'euros vont à l'électrification des quais et aux carburants alternatifs, 41 millions d'euros sont fléchés vers l'environnement et la biodiversité, 31 millions d'euros vers la performance énergétique des ports et 62 millions d'euros vont au report modal.

Vous m'avez interrogé sur l'articulation entre la stratégie portuaire et le fret ferroviaire. Notre ambition est de doubler notre part modale du transport de marchandises par voie ferrée pour la porter de 9 % à 18 % à horizon de 2030. Cela nécessite des travaux de régénération du réseau ferroviaire. Nous avons, depuis 2017, réinvesti assez lourdement sur le réseau secondaire, à hauteur de 3 milliards d'euros par an. Nous avons également désendetté SNCF Réseau et nous sommes en train de conclure avec l'ensemble des régions un plan de régénération des petites lignes ferroviaires. Par ailleurs, nous travaillons à la digitalisation du réseau ferroviaire. Faire passer un conteneur de Perpignan à Rungis coûte 30 % plus cher par le rail que par la route. Au-delà des travaux et des investissements de régénération, il faut résoudre le problème du prix. Nous avons choisi de le faire de deux manières : en diminuant par deux le prix des péages et en relançant l'offre - je pense aux trois autoroutes ferroviaires Calais-Sète, Cherbourg-Bayonne et Perpignan-Rungis, que l'on souhaite étendre au Sud vers Barcelone et au Nord vers Dunkerque et Anvers.

Je suis très favorable à l'implication des lycées maritimes. Il faut favoriser l'attractivité autour des métiers du transport, qu'il s'agisse du transport maritime ou du transport routier. Le dumping social et fiscal est un problème connexe. Nous menons au sein d'un collectif de huit pays à l'échelle européenne une action pour renforcer le cadre de la régulation sociale, notamment dans les secteurs aérien et maritime.

Mme Bonnefoy m'a interrogé sur l'écolabel « Flux logistiques portuaires ». Il s'agit d'une première mondiale. Une étude de faisabilité a pour mission de définir le périmètre du label et de construire le référentiel. Elle nous sera remise en juin. Nous ne doutons pas que nous arriverons à faire la preuve de l'efficacité d'un tel label.

La taxe éco-transport, payée par les donneurs d'ordre ou par les transporteurs, renvoie au sujet précédent sur le signal prix. En résolvant les déséquilibres entre les modes, en l'occurrence la route versus le ferroviaire, on résorbe aussi la nécessité d'instaurer des taxes. Nous avons choisi, pour rétablir un équilibre de prix, de subventionner davantage le fret ferroviaire, notamment les segments de marché qui sont les moins rentables.

Quant à la question de M. Rémy Pointereau, le report modal représente à peu près un quart des investissements. Nous avons effectivement mis en place un plan transition énergétique par place portuaire, qui inclut une stratégie biodiversité. Notre idée est de nous appuyer sur le réel pour trouver les solutions permettant de renforcer la compétitivité des ports. Cela m'amène à la question des zones économiques spéciales portuaires. L'idée, là aussi, est de prendre en compte la variété des demandes. Certains ports - comme Calais et Dunkerque - travaillent en complémentarité sur la nature des flux et les projets de développement, et ont juste besoin d'un accompagnement. Mais il existe aussi des projets plus structurants.

Nous observons ce que font les Britanniques sur les zones franches - pour être honnête, ce n'est pas encore tout à fait clair. Nous avons déjà eu des zones franches en France, mais encore une fois il faut tenir compte de la réalité qui se cache derrière le mot et avoir une approche au cas par cas, en fonction des dispositifs des ports, de leur activité industrielle et de leur capacité de développement. C'est l'objet de la mission, en cours de réalisation, que j'ai diligentée avec Bruno Le Maire et la ministre de la mer.

Madame Filleul, sur le sujet de la gouvernance et de l'implication du Parlement, nous avons créé un comité de suivi. Je suis très favorable à ce que des parlementaires y participent. Le travail réalisé sur la proposition de loi Vaspart montre à quel point la contribution du Sénat a été importante.

Nous avons souhaité que la gouvernance d'Haropa soit à la fois souple et équilibrée, y compris sur le plan géographique. Nous avons également voulu qu'elle se prémunisse des conflits d'intérêts afin d'agir au niveau français en complémentarité plutôt qu'en concurrence. Nos concurrents sont situés hors de France. Ils ont parfois de l'avance sur un certain nombre de sujets, je pense à la digitalisation, mais nous avons des atouts à faire valoir, notamment en termes de transition énergétique.

Haropa et le Brexit, c'est maintenant. L'axe Seine-Nord Europe, qui est conforté avec un plan d'investissement ayant vocation à être exécuté dans les cinq ans, permettra d'envisager des complémentarités sans naïveté sur le plan géopolitique. L'objectif est bien de construire un ensemble compétitif, articulé et complémentaire, et non de générer des concurrences intradomestiques.

M. Jean-Michel Houllegatte . - Merci d'avoir cité la ligne Cherbourg-Bayonne, qui est un projet porté par Brittany Ferries. Les logisticiens s'accordent à dire qu'il faut, pour que la performance soit globale, activer un certain nombre de leviers : la compétitivité, le développement durable et l'excellence opérationnelle -  c'est-à-dire la qualité, la sûreté et la sécurité, mais aussi l'innovation. L'ambition numéro quatre de la stratégie nationale est bien de faire des ports les moteurs de l'innovation et de la transition numérique, et je m'en félicite. Mais je suis déçu du plan d'action. Certes, des actions sont prévues en matière de fluidité et de cybersécurité, mais quid de l'intelligence artificielle ? C'est pourtant un domaine porteur. La communauté scientifique est-elle suffisamment mobilisée autour des enjeux du port du futur ?

M. Stéphane Demilly . - L'élaboration d'une stratégie nationale portuaire était très attendue par les différents acteurs du secteur maritime. En plus de la crise sanitaire et économique, qui n'a pas épargné ce secteur, la performance de nos ports connaît un recul très important depuis 2008. Malgré les points forts qui sont les nôtres, nous enregistrons un retard de croissance qui se traduit par une perte d'emplois comprise entre 30 000 et 70 000 pour la filière des conteneurs. Vous avez parlé, monsieur le ministre, de parts de marché. J'ai en tête un chiffre : le trafic de l'ensemble de nos ports maritimes métropolitains est inférieur de plus de 40 % à celui du seul port de Rotterdam. Et ce n'est pas la faute du canal Seine-Nord Europe, qui n'est pas encore en activité. L'insuffisance de coordination entre les ports maritimes intérieurs est probablement la cause majeure de ce retard. Comment cette nouvelle stratégie portuaire va-t-elle favoriser une meilleure coordination afin que nos ports deviennent de réels vecteurs de développement économique et écologique ?

Ma deuxième question concerne la mutation que connaît le transport maritime, avec la mise en oeuvre de la stratégie chinoise des nouvelles routes de la soie. La Chine souhaite redéployer ses investissements à l'étranger dans de grands projets d'infrastructures. La revalorisation de nos ports maritimes ne se fera pas sans une démarche très offensive de reconquête de parts de marché sur les ports concurrents étrangers. La stratégie nationale portuaire prend-elle suffisamment en compte ces nouvelles stratégies géopolitiques étrangères ?

M. Philippe Tabarot . - La stratégie nationale portuaire était attendue. Je ne constate aucun oubli manifeste sur le fond. Le problème, selon moi, concerne plutôt la forme. Les régions n'ont pas été associées à la démarche malgré leurs demandes insistantes. Certes, elles font partie du comité de suivi national, mais elles ont été écartées de la rédaction finale de cette stratégie. Elles ont pourtant beaucoup travaillé sur ces questions et elles investissent grandement dans les ports. Je pense à ma région, qui a consacré 30 millions d'euros à la stratégie énergétique. Vous aurez, selon moi, besoin des régions pour mettre en place votre stratégie, aussi bonne soit-elle.

M. Guillaume Chevrollier . - En tant que sénateur de la région Pays de la Loire, je voudrais vous interroger sur la place du port de Nantes-Saint-Nazaire que le Gouvernement oublie souvent de citer. Il s'agit pourtant d'un port maritime stratégique pour le Grand Ouest ; la région s'engage d'ailleurs fortement. Qu'en est-il de l'implication des collectivités locales dans la stratégie nationale portuaire ?

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué . - Je partage l'analyse de Jean-Michel Houllegatte. Les potentiels sont effectivement très importants en matière d'intelligence artificielle appliquée aux ports. Tout cela est encore sous-exploité, ce qui met en évidence l'insuffisante digitalisation des ports français. Nos amis néerlandais exploitent beaucoup plus que nous les données en tant que ressources.

Je suis également d'accord avec monsieur le Sénateur Demilly en ce qui concerne l'échelle. Pour avoir une stratégie, il faut essayer de résoudre une équation à plusieurs inconnues, car on part d'un peu loin en termes d'infrastructures. C'est tout l'enjeu du travail de régénération, en lien avec l'ensemble des modes. Notre chance est peut-être que nos infrastructures sont vétustes dans le ferroviaire et que nous avons des opportunités de développement assez fortes pour les ports. Il existe souvent un fort consensus local sur les projets. Nous avons aussi récemment réussi à opérer la pacification sociale nécessaire au développement de nos capacités.

Une fois ces préalables posés, il faut une stratégie très claire en matière industrielle, commerciale et de services. Tous ces maillons forment un tout et nous permettront d'asseoir notre compétitivité nationale.

En ce qui concerne la souveraineté, le chemin est partiellement parcouru. Votre analyse sur les initiatives chinoises est exacte. Au niveau européen, des initiatives sont prises pour renforcer notre souveraineté industrielle et la compétition par le prix, notamment en intégrant davantage le coût des transports pour les produits importés. J'ai également souvent évoqué la souveraineté capitalistique des terminaux. Je rappelle que nous avons décidé il y a quelques années que les compagnies européennes seraient détenues à plus de 50 % par des capitaux européens. Ce sujet stratégique de détention capitalistique des terminaux est essentiel.

S'agissant des régions, elles ont été très largement associées à la construction de cette stratégie nationale, même si actuellement elles ne pilotent pas les projets. Je souhaite que nous puissions continuer à travailler en partenariat avec elles.

J'ai bien en tête, monsieur Chevrollier, le port de Nantes-Saint-Nazaire, qui n'est pas oublié dans le cadre du plan de relance puisqu'il bénéficie de 9 millions d'euros.

Pour finir sur le sujet de la bonne articulation entre l'État et les régions, nous menons un travail commun autour du fluvial, qu'il s'agisse des transports de marchandises ou de la plaisance. Comme pour les petites lignes ferroviaires, nous voulons trouver un mode opératoire avec les différents niveaux de collectivités de manière à parvenir à une meilleure articulation entre le maritime, le portuaire et le fluvial.

Mme Nassimah Dindar . - Je salue la présentation de M. le ministre. La stratégie nationale portuaire n'oublie pas les outre-mer. Le grand port maritime de La Réunion a une dimension stratégique. Nous attendons donc des aides spécifiques, d'autant que notre port est le quatrième port français en termes de trafic de conteneurs. J'aimerais que vous nous rassuriez sur les fonds nécessaires et l'accompagnement de l'État. Par ailleurs, on parle souvent de zones franches en outre-mer pour les activités de nautisme. Je souhaiterais que nous puissions avoir une véritable zone franche pour le port entier. C'est une piste sur laquelle je souhaite que le Gouvernement se penche dans les prochaines années.

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué . - J'ai visité en décembre 2019 le port de La Réunion. Je lie le sujet des zones franches à la question précédemment évoquée des zones économiques spéciales portuaires. Cette réflexion trouve là tout son sens. Un peu plus de 4 millions d'euros sont mobilisés dans le plan de relance pour le port de La Réunion afin de le doter de moyens pour aborder l'après-crise. C'est une préoccupation du ministère des transports, partagée par la ministre de la mer.

M. Jean-François Longeot , président . - Je vous remercie, monsieur le ministre délégué, de ces réponses et de votre engagement. Nous sommes heureux que le Sénat ait pu montrer tout l'intérêt de son travail.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page