IV. DÉTECTER : POUR FAIRE DES FACTEURS LES « DÉTECTEURS » DE LA PRÉCARITÉ NUMÉRIQUE, DE LA « GALÈRE » ADMINISTRATIVE ET DE LA PERTE D'AUTONOMIE
A. LA DÉTECTION À DOMICILE DE LA PRÉCARITÉ NUMÉRIQUE : UNE NOUVELLE MISSION DE SERVICE PUBLIC POUR LA POSTE EN SOUTIEN DES POLITIQUES PUBLIQUES DE LUTTE CONTRE L'EXCLUSION NUMÉRIQUE
1. Faire des facteurs les détecteurs à domicile de la précarité numérique : une première phase expérimentale auprès des « publics invisibles »
Aujourd'hui, 13 millions de Français ne maîtrisent pas les outils numériques 17 ( * ) , ce qui constitue un véritable défi à la lumière de l'ambition portée par le Gouvernement de dématérialiser à 100 % les 250 démarches administratives les plus utilisées par les citoyens d'ici le mois de mai 2022. En effet, près de trois Français sur cinq se disent incapables de réaliser des démarches administratives en ligne .
Dans ce contexte, différentes politiques publiques pour lutter contre l'illectronisme et favoriser l'inclusion numérique sont mises en oeuvre.
Dans le cadre du plan de relance, 250 millions d'euros sont dédiés aux mesures en faveur de l'inclusion numérique, en particulier le déploiement de 4 000 postes de conseillers numériques d'ici 2022 . Les conseillers numériques, qui s'apprêtent à exercer un nouveau métier, bénéficieront de 350 heures de formation, les formations étant financées par l'État et assurées par l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). Les conseillers numériques sont responsables de l'animation d'ateliers de formation à l'utilisation des outils numériques et peuvent être recrutés par les collectivités territoriales, les associations ou les entreprises de l'économie sociale et solidaire (ESS).
De manière complémentaire aux différentes politiques publiques mises en oeuvre, La Poste s'est engagée en faveur de l'inclusion numérique . Par exemple, depuis le mois d'avril 2019, des expérimentations sont menées dans 300 bureaux de poste, avec des médiateurs équipés de tablettes et proposant des questionnaires aux clients afin d'évaluer leurs compétences numériques. Selon les premiers résultats de ces expérimentations, près de 42 000 clients ont accepté de répondre au questionnaire proposé et près de 20 % d'entre eux sont considérés comme très éloignés du numérique 18 ( * ) .
Toutefois, les politiques publiques mises en oeuvre actuellement, ainsi que les premières initiatives du groupe La Poste, ont la même limite : adopter une « approche par tiers lieux » . Si toutes les actions en faveur de l'inclusion numérique sont souhaitables, une telle approche a pour principal inconvénient de ne s'adresser qu'aux personnes en capacité de se déplacer , qui se rendent dans les bureaux de poste, les mairies ou les maisons France Services et qui font preuve d'une certaine proactivité dans leur volonté de sortir de la précarité numérique.
Or, les rapporteurs souhaitent que des mesures complémentaires soient prises, en développant une « approche à domicile » visant les « publics invisibles » , sur le modèle de l'expérimentation mise en oeuvre par la communauté d'agglomération du Sicoval, en partenariat avec La Poste .
Encadré n° 2 : principaux paramètres et résultats de l'expérimentation du Sicoval Selon une première évaluation réalisée par la communauté d'agglomération du Sicoval de l'expérimentation développée avec La Poste : - formation de cinq facteurs à la détection de la précarité numérique à domicile auprès des habitants de neuf communes de la communauté d'agglomération : 454 questionnaires ont été réalisés entre les mois de novembre 2019 et de janvier 2020 auprès de ménages modestes et de personnes âgées d'au moins 70 ans et ayant donné leur accord au préalable pour recevoir une visite du facteur ; - les questionnaires comportent une vingtaine de questions centrées sur les usages pratiques qui sont faits des outils numériques aujourd'hui : payer en ligne avec une carte bleue, s'informer et effectuer des recherches sur Internet, remplir sa déclaration d'impôts en ligne, le scan et l'impression de documents administratifs, les communications par mail ou sur les réseaux sociaux ; - à l'issue de l'expérimentation, des courriers individuels ont été envoyés aux personnes interrogées ayant exprimé un souhait de formation afin de les inciter à participer à des ateliers de formation à proximité de chez elles ; - le coût de l'expérimentation pour la communauté d'agglomération du Sicoval est estimé à environ 15 000 €, dont 12 000 € pour la rémunération des prestations des facteurs ; - l'expérimentation s'est révélée très satisfaisante pour les élus locaux, les habitants et les facteurs, ces derniers ayant insisté sur l'importance de ces initiatives pour valoriser leur métier et donner du sens à leur travail. |
Cette expérimentation locale illustre le rôle de « détecteur de la précarité numérique à domicile » que les facteurs pourraient avoir et que les rapporteurs souhaitent voir expérimenté à plus grande échelle . En effet, les facteurs sont à la fois des acteurs de confiance et des acteurs de terrain qui se déplacent auprès de la population , à leur domicile. Ainsi, une approche de la détection de la précarité numérique à domicile est indispensable, de manière complémentaire aux autres approches développées, afin de pouvoir s'adresser à des personnes isolées, en situation de précarité, qui n'ont pas toujours la capacité de se déplacer ou qui n'osent pas demander de l'aide pour sortir de la précarité numérique .
Les « facteurs détecteurs » interviennent en amont pour identifier les personnes en situation de vulnérabilité numérique et leurs besoins de formation, puis transmettent les informations aux interlocuteurs pertinents, par exemple les conseillers numériques déployés dans les mairies, les bureaux de poste ou les maisons France Services. Autrement dit, avant de pouvoir former, il faut pouvoir identifier .
Les « facteurs détecteurs » ne réalisent pas eux-mêmes la formation à l'utilisation des outils numériques , c'est-à-dire qu'ils ne se substituent pas aux métiers de médiateurs et de conseillers numériques. Les facteurs travaillent en relation avec les professionnels de la formation en leur indiquant un public-cible.
Dans cette perspective, les expérimentations telles que celles mises en oeuvre par la communauté d'agglomération du Sicoval devraient être développées sur l'ensemble du territoire et à plus grande échelle.
Les collectivités territoriales souhaitant mettre en oeuvre des expérimentations similaires pourraient bénéficier de l'expertise développée par l'ANCT en matière de formation aux usages numériques , ainsi que de celle de La Poste. Dans le cadre de ces expérimentations, les coûts doivent pouvoir être partagés entre les collectivités, l'ANCT et La Poste.
Recommandation n° 24 : développer les expérimentations locales de détection de la précarité numérique à domicile par les facteurs sur le modèle de l'expérimentation mise en place par la communauté d'agglomération du Sicoval. |
2. Faire des facteurs les détecteurs à domicile de la précarité numérique : une cinquième mission de service public pour le groupe La Poste
Après un premier temps de développement des expérimentations de détection de la précarité numérique à domicile par les facteurs, qui doit permettre d'affiner le modèle des expérimentations mises en place et d'agréger des données plus nombreuses relatives aux résultats de ces initiatives, une évolution législative pourrait être envisagée dans un second temps.
En effet, les rapporteurs pensent qu'une cinquième mission de service public pourrait être confiée au groupe La Poste : la détection de la précarité numérique . Dans cette perspective, plusieurs éléments devront être appréciés par les services compétents de l'État et le groupe La Poste :
- la modification de la loi du 2 juillet 1990 pour confier cette nouvelle mission de service public au groupe La Poste qui doit pouvoir être qualifiée de service d'intérêt économique général (SIEG) dans le sens où elle répond à un besoin de la population en matière de service public et qu'il existe une carence de marché ;
- conformément aux dispositions européennes détaillées dans l'Encadrement SIEG de 2012, le mandat doit notamment préciser les obligations de service public qui doivent être respectées, la durée d'exercice de cette mission de service public, la méthode d'évaluation du coût net par utilisation d'un scénario contre-factuel et la méthodologie de calcul de la compensation ;
- la compensation accordée à La Poste doit être notifiée à la Commission européenne.
Recommandation n° 25 : modifier la loi du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de La Poste pour confier au groupe La Poste une nouvelle mission de service public de détection de la précarité numérique. |
* 17 Mission d'information du Sénat « Lutte contre l'illectronisme et pour l'inclusion numérique » 2019-2020.
* 18 Ibid.