III. FACILITER LA MISE EN OEUVRE DU RÈGLEMENT (CE) N° 1924/2006 PLUTÔT QUE LE REMETTRE EN CAUSE GLOBALEMENT
A. CONDITIONNER L'EMPLOI D'UNE ALLÉGATION À UN PROFIL NUTRITIONNEL FAVORABLE
1. L'établissement de profils nutritionnels
L'objectif poursuivi par la mise en place de profils nutritionnels est de réserver l'emploi d'une allégation nutritionnelle ou d'une allégation de santé aux seuls produits dont la composition en sucre, sel, matières grasses, acides gras trans et acides gras saturés est jugée acceptable pour la santé du consommateur. Cet objectif reste donc pertinent et nécessaire pour permettre au règlement (CE) n° 1924/2006 d'assurer un niveau élevé de protection du consommateur.
La Commission européenne a affirmé son intention de parvenir à un accord sur ce sujet et compte lancer une consultation publique pour recueillir l'avis des parties intéressées. Elle souhaite encourager la reformulation de la composition des produits et limiter la promotion de denrées alimentaires riches en matières grasses, sel et sucres, comme elle l'indique dans sa communication du 20 mai 2020 19 ( * ) intitulée « Une stratégie de la ferme à la table ». Pour sa part, le Gouvernement français est favorable à la reprise des travaux en vue de l'établissement de profils nutritionnels. Selon le professeur Ambroise Martin, professeur de biochimie et de nutrition à la faculté de médecine de Lyon, les profils nutritionnels sont indispensables pour assurer une information de qualité au consommateur. Même s'ils présentent l'inconvénient de laisser croire que l'équilibre d'une alimentation peut être atteint produit par produit, l'Anses aussi considère nécessaires les profils nutritionnels car une allégation encourage la consommation.
L'ANIA estime quant à elle que l'établissement de profils nutritionnels ne doit pas se faire au détriment des productions artisanales. Elle juge également important que toute décision visant à conditionner l'utilisation des allégations se prenne à l'échelle de l'Union.
Pour la FNSEA, en revanche, le système même des allégations produit des effets pervers. Il induit la création de profils nutritionnels qui sont difficiles à mettre en oeuvre. Si l'on prend le cas du Nutri-Score, l'évaluation est faite pour une quantité consommée de 100 g ou de 100 ml alors que certains aliments ont vocation à être consommés en petite quantité. C'est le cas notamment de l'huile d'olive. De plus, les acides gras saturés pour lesquels on souhaite établir des seuils ne seraient pas, selon les dernières études scientifiques, tous mauvais pour la santé.
La résolution du Sénat n° 83 (2008-2009) sur le projet de règlement tendant à fixer les profils nutritionnels pour les denrées alimentaires 20 ( * ) demandait au Gouvernement de s'opposer fermement à des propositions de seuils de nutriments qui tendraient à promouvoir la consommation des seuls produits standardisés issus de l'industrie agroalimentaire , ou qui demeureraient inadaptés pour certaines denrées, par exemple pour des catégories de produits dont la composition est définie par des réglementations propres pour répondre à des objectifs spécifiques. L'objectif de cette résolution est de permettre aux produits dits de première transformation comme les fromages ou les huiles de continuer à afficher des allégations nutritionnelles. Elle tient compte du fait que la fabrication de certains produits répond à un cahier des charges précis : c'est le cas notamment des produits bénéficiant d'une AOC (Appellation d'origine contrôlée). Enfin, elle vise à éviter tout profil nutritionnel aux produits qui ne s'adressent pas à la population générale comme les aliments pour sportifs ou pour bébés.
2. Une transversalité des profils et des exceptions à prévoir
Pour le Gouvernement français, l'utilisation des profils nutritionnels doit être la plus large possible avec un système à score global qui s'applique de façon transversale et non par catégories de produits. Cela doit permettre une meilleure lisibilité pour les consommateurs et une mise en oeuvre facilitée pour les exploitants du secteur alimentaire. L'Anses et l'AESA se sont également prononcés en faveur d'un profilage transversal.
Pour l'ANIA et la FNSEA, en revanche, il est important de prendre en compte le rôle qu'un produit alimentaire spécifique joue dans le régime alimentaire en fonction des portions habituellement consommées et de la fréquence de consommation qui ne sont pas les mêmes d'un produit à l'autre. Une approche par catégorie est donc préférable selon eux.
Selon l'UFC-Que choisir, il faut opter pour un système transversal mais certaines familles de produits comme les corps gras ou les fromages peuvent avoir des seuils qui leur sont propres en raison d'apports essentiels pour une alimentation équilibrée.
Le Conseil agriculture et pêche de l'Union européenne, dans ses conclusions des 15 et 16 décembre 2020, invite toutefois la Commission à évaluer si les profils doivent être établis de manière transversale ou par produits.
L'article 4, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 1924/2006 prévoit des dérogations permettant l'utilisation d'allégations nutritionnelles sans remplir les conditions fixées par les profils nutritionnels. Ces dérogations sont accordées à la suite d'un acte de comitologie. Elles peuvent être accordées pour les allégations nutritionnelles relatives à la réduction de la teneur en matières grasses, en acides gras saturés, en acides gras trans, en sucres et en sel/sodium, bien que la teneur en question ne soit pas conforme aux profils nutritionnels. Une allégation nutritionnelle peut également être autorisée dans le cas où un nutriment particulier excède le profil nutritionnel, pourvu qu'une mention portant spécialement sur ledit nutriment apparaisse à proximité de l'allégation, sur la même face et avec la même visibilité. La mention se lit ainsi: «Forte teneur en [... (*)]».
Le Gouvernement français envisage de soutenir une exemption pour certaines catégories couvertes par une réglementation différente. C'est le cas des denrées destinées à des groupes spécifiques définies par le règlement (UE) n° 609/2013 du Parlement européen et du Conseil concernant les denrées alimentaires destinées aux nourrissons et aux enfants en bas âge, les denrées alimentaires destinées à des fins médicales spéciales et les substituts de la ration journalière totale pour contrôle du poids, à l'exclusion des sous-catégories de produits pour lesquelles les actes délégués adoptés en application de ce règlement prévoient ou prévoiraient l'interdiction d'utiliser des allégations nutritionnelles ou de santé. D'autres produits destinés à des populations spécifiques comme les produits pour les sportifs pourraient également bénéficier d'une exemption. En effet, l'ensemble de ces denrées sont formulées pour répondre aux besoins nutritionnels spécifiques des groupes auxquels elles sont destinées. Sans exclure l'existence de cas particuliers qui justifieraient leur inclusion dans le régime général, les compléments alimentaires devraient, selon le Gouvernement, également être exclus de l'utilisation des profils. La nécessité et la pertinence d'exempter d'autres types de denrées pourrait être étudiée sur le fondement des profils tels qu'ils seront établis et de leur application.
L'équilibre alimentaire doit être atteint dans le cadre global d'une alimentation saine et équilibrée. Il n'est pas possible d'atteindre cet équilibre en ne consommant que des produits correspondants à un profil favorable particulier. En effet, le corps humain a besoin de certains corps gras présents dans des aliments qu'il faut consommer avec modération. L'établissement des profils nutritionnels doit tenir compte de cela pour ne pas laisser croire au consommateur qu'il peut se passer de certains nutriments.
De plus, conditionner l'autorisation d'utiliser des allégations à un profil nutritionnel favorable ne doit pas inciter le consommateur à rechercher certains nutriments indispensables dans des produits particulièrement transformés où ces nutriments auraient été ajoutés au détriment de produits de première transformation où les nutriments recherchés sont présents naturellement. La stratégie « de la ferme à la table » de la Commission européenne promeut une agriculture plus respectueuse de l'environnement et limitant les produits transformés. Il importe que la définition des profils nutritionnels respecte les objectifs des politiques publiques de l'Union en matière sanitaire et environnementale.
3. Quel système de profilage nutritionnel devrait être mis en oeuvre ?
En 2008, l'Afssa (aujourd'hui Anses) a réfléchi à la meilleure manière de prendre en compte la qualité nutritionnelle globale d'un produit. À la suite de cette réflexion, elle a proposé un système transversal combinant deux scores complémentaires et non compensatoires 21 ( * ) : d'une part, le SAIN qui correspond au pourcentage moyen de couverture des apports nutritionnels conseillés d'un nombre défini de nutriments qualifiants ; d'autre part, le LIM qui est le pourcentage moyen de dépassement des recommandations nutritionnelles d'un nombre défini de nutriments disqualifiants. Les conditions d'accès aux allégations sont discutées en considérant le SAIN comme un seuil minimal à atteindre et le LIM comme un seuil maximal à ne pas dépasser. Ce système permet d'appliquer la dérogation prévue à l'article 4 du règlement (CE) n° 1924/2006. Par ailleurs, l'Afssa recommandait la prise en compte de catégories dérogatoires au système transversal, notamment pour les huiles.
Par ailleurs, dans sa stratégie « de la ferme à la table », la Commission indique qu'elle proposera un étiquetage nutritionnel obligatoire harmonisé sur la face avant des emballages. Une convergence pourrait donc être recherchée entre les travaux de la Commission européenne sur les profils nutritionnels, d'une part, et les travaux sur l'étiquetage alimentaire, d'autre part. C'est le souhait du Gouvernement français qui soutient l'adoption du Nutri-Score de manière harmonisée et obligatoire à l'échelle de l'Union, et qui souhaiterait que soit évaluée la pertinence de l'utilisation du Nutri-Score comme profil nutritionnel. Toutefois, pour l'ANIA, il est difficile d'imaginer un système de profilage servant de multiples objectifs qui sont différents les uns des autres, à savoir conditionner une allégation et informer le consommateur.
Pour le professeur Ambroise Martin, le Nutri-Score correspond bien à un mode de profilage nutritionnel mais, contrairement aux profils nutritionnels prévus par le règlement (CE) n° 1924/2006, son affichage est prévu sur l'emballage. Cela pose la question de savoir si le profil nutritionnel d'un produit doit être obligatoirement affiché ou non, si cet affichage ne doit être obligatoire que lorsque le produit peut afficher une allégation ou si cette allégation a été autorisée à la suite d'une dérogation.
Pour le rapporteur, la définition des profils nutritionnels est certes indispensable pour la bonne application du règlement (CE) n° 1924/2006, mais elle répond également à une obligation réglementaire.
Ces profils doivent être définis de manière transversale avec la possibilité d'accorder des exemptions pour certaines allégations nutritionnelles. Ces exemptions doivent en tout état de cause avoir pour objectif de promouvoir une alimentation globale saine et équilibrée, des aliments peu transformés et une agriculture durable.
Il estime que l'objectif des profils nutritionnels doit être avant tout de conditionner l'utilisation des allégations.
* 19 https://ec.europa.eu/transparency/regdoc/rep/1/2020/FR/COM-2020-381-F1-FR-MAIN-PART-1.PDF
* 20 http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppr08-265.html
* 21 https://www.anses.fr/fr/system/files/NUT-Ra-Profils.pdf