C. UN RÈGLEMENT MIS EN oeUVRE PARTIELLEMENT
L'évaluation réalisée en mai dernier par la Commission européenne fait apparaître deux difficultés particulières : l'absence de définition des profils nutritionnels et le défaut d'évaluation des allégations relatives aux plantes .
1. L'absence de définition des profils nutritionnels
a) L'opposition des États membres
Selon le règlement (CE) n° 1924/2006, la Commission européenne devait définir les profils nutritionnels au plus tard le 19 janvier 2009 dans le cadre d'une procédure de comitologie. Un profil satisfaisant en ce qui concerne les quantités de sucre, sel, matières grasses, acides gras trans et acides gras saturés est une condition nécessaire pour pouvoir utiliser une allégation. Toutefois, les discussions sur cette question n'ont pas permis d'aboutir à un consensus entre les États membres .
La défense de produits locaux peu transformés et le besoin d'une alimentation variée devant être appréciée de manière globale et non produit par produit sont les principaux arguments avancés par les États opposés à une définition de profils nutritionnels trop restrictifs. La question culturelle a également été mise en avant, faisant apparaître une différence dans la manière d'appréhender l'alimentation entre les pays dits du Nord et les pays dits latins. Ces derniers ont affirmé craindre une uniformisation des habitudes alimentaires, remettant en cause un aspect important de leur culture.
En France, la commission des affaires européennes du Sénat avait adopté une proposition de résolution 16 ( * ) , le 12 mars 2009, à l'initiative de M. Jean Bizet, pour contester la fixation d'un seuil général en acides gras saturés, alors que tous les acides gras saturés ne sont pas de mauvais acides, et rappeler que l'effet sur la santé dépend de la dose totale absorbée par le consommateur et non de la dose unitaire par produit. La commission des affaires européennes s'inquiétait également des conséquences pour les fromages français qui, compte tenu des seuils envisagés, ne pourraient plus prétendre à bénéficier d'une allégation.
b) Le profilage nutritionnel pourtant plébiscité par les consommateurs
Des systèmes d'étiquetage nutritionnel se sont de fait développés, au sein des États membres, mais pas à l'échelle de l'Union , pour aider les consommateurs à faire des choix alimentaires plus sains. Il s'agit en fait de systèmes de profilage nutritionnel.
En France, l'article 14 de la loi de modernisation de notre système de santé du 26 janvier 2016 prévoit que les pouvoirs publics recommandent un système d'étiquetage nutritionnel synthétique, simple et accessible pour tous. C'est ainsi que le Nutri-Score a été mis en place par un arrêté du 31 octobre 2017 17 ( * ) . Il s'agit d'un système d'étiquetage nutritionnel facultatif à cinq niveaux, allant de A à E et du vert au rouge, établi en fonction de la valeur nutritionnelle d'un produit alimentaire. Il a pour but de favoriser le choix de produits plus sains par les consommateurs et ainsi de participer à la lutte contre les maladies cardiovasculaires, l'obésité et le diabète. Il a ensuite été repris par la Belgique, l'Espagne, l'Allemagne, les Pays-Bas et le Luxembourg, ainsi que la Suisse. Son utilisation est également recommandée par l'Organisation mondiale de la santé. L'Italie est en revanche très opposée à ce système.
D'autres systèmes ont été développés. C'est le cas de la plateforme Yuka qui a mis au point un système de notation des produits alimentaires disposant d'un code-barres. Ce système propose une note sur 100 pour chaque produit. Entre dans la notation son Nutri-Score à hauteur de 60 %, sa composition en additifs alimentaires pour 30 % et sa composition en produits bio pour 10 %. Cette application a été téléchargée 15 millions de fois. En parallèle, Carrefour et Intermarché se sont appuyés sur la société Innit pour proposer un système de notation qui prend en compte le profil et les objectifs du consommateur.
Toutefois, aucune de ces solutions n'est aujourd'hui utilisée pour conditionner l'emploi des allégations. Une allégation peut donc aujourd'hui être affichée sur un produit ayant un profil nutritionnel défavorable.
2. La question des plantes en suspens
Les plantes et préparation de plantes sont disponibles au sein de l'Union européenne sous forme de denrée alimentaire ou de médicament. Mais leur classement dans telle ou telle catégorie relève de la responsabilité des États membres, ce qui a des conséquences sur la procédure suivie pour leur mise sur le marché.
Le règlement (CE) n° 1924/2006 prévoit que les allégations de santé portant sur les denrées alimentaires, y compris sur les plantes, ne doivent être autorisées qu'après la réalisation par l'AESA d'une évaluation scientifique dans le cadre de laquelle les études d'intervention constituent un élément essentiel. Les études d'intervention ont un caractère expérimental et visent à évaluer l'efficacité ou l'impact d'une substance. En 2009, aucune allégation de santé portant sur des substances végétales utilisées dans des denrées alimentaires n'a fait l'objet d'une évaluation favorable de la part de l'AESA, principalement en raison de l'absence d'études d'intervention, ce qui a conduit à une suspension de la procédure d'autorisation en 2010. En 2012, la Commission a établi une liste d'«attente» sur laquelle figurent aujourd'hui 1 548 allégations de santé portant sur des substances végétales, qui, dans l'attente d'une décision définitive, peuvent encore être utilisées sur le marché de l'Union sous la responsabilité des exploitants du secteur alimentaire.
Dès lors, on peut noter plusieurs difficultés :
- les consommateurs sont toujours exposés à des allégations de santé non étayées figurant sur la liste d'attente et ils peuvent croire que les effets bénéfiques indiqués ont fait l'objet d'une évaluation scientifique, alors que ce n'est pas le cas ;
- l'industrie pharmaceutique doit faire face à des coûts de mise sur le marché plus élevés alors que ce n'est pas le cas pour les fabricants de compléments alimentaires dont les produits sont parfois proches des médicaments en terme de composition ;
- l'absence d'une réglementation harmonisée de l'Union sur l'utilisation des plantes dans les denrées alimentaires contraint les exploitants du secteur alimentaire à adapter leurs produits à la réglementation de chaque État membre ;
- dans l'attente, les allégations peuvent être utilisées selon les règles nationales en vigueur, à condition de respecter les prescriptions générales du règlement (CE) n° 1924/2006, ce qui pérennise une situation de distorsion de concurrence selon les marchés.
Sur ce sujet, l'évaluation commandée par les services de la Commission européenne recommande une harmonisation de la liste des plantes autorisées dans les denrées alimentaires au sein de l'Union. Cette évaluation recommande également de s'intéresser à la notion d'usage traditionnel pour étayer les allégations de santé, comme c'est le cas pour la mise sur le marché de médicaments à base de plantes.
La mission commune d'information du Sénat sur les plantes médicinales et l'herboristerie 18 ( * ) , dans son rapport de 2018, s'est prononcée pour l'établissement, au niveau européen, d'un cadre d'évaluation graduée des allégations de santé concernant les plantes utilisées comme denrées ou compléments alimentaires, fondé sur la reconnaissance de leur usage traditionnel et les avancées des connaissances scientifiques.
* 16 http://www.senat.fr/leg/ppr08-265.html
* 17 https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000035944131
* 18 http://www.senat.fr/notice-rapport/2017/r17-727-notice.html