C. DES MINI-SESSIONS DE COMMISSION PERMANENTE « ÉLARGIE », EN SUBSTITUTION À LA SESSION D'AUTOMNE
Considérant que la tenue d'une session d'automne en présentiel à Strasbourg soulevait de trop nombreux problèmes pour plusieurs délégations qui n'auraient pas été en mesure d'y participer, le Bureau a opté, le 14 septembre, pour une organisation inédite des travaux, en prévoyant la tenue de plusieurs séances de Commission permanente élargie à l'ensemble des membres de l'Assemblée parlementaire - ceux-ci pouvant prendre part aux débats sans voter néanmoins -, les 12 et 13 octobre puis les 22 et 23 octobre. Corollaire de ce choix, l'ordre du jour de ces réunions s'est avéré particulièrement chargé.
Parce qu'elle était convaincue que les conditions pour une réunion physique à Strasbourg, a minima d'une partie des membres de l'APCE, étaient réunies par les autorités françaises, la délégation française s'est pour sa part rendue sur place la semaine où l'Assemblée parlementaire aurait dû siéger. Elle a alors rencontré la nouvelle ambassadrice, représentante permanente de la France au Conseil de l'Europe, en fonctions depuis le 17 août, ainsi que plusieurs personnalités.
1. Un déplacement de travail à Strasbourg de plusieurs membres de la délégation française, concomitamment à l'ouverture des séances de la Commission permanente élargie
Regrettant, à l'instar des autorités françaises, que la session d'automne de l'APCE ne puisse se dérouler à Strasbourg en présence des parlementaires de tous les États membres du Conseil de l'Europe alors même que de nombreuses mesures de précaution étaient possibles et prévues sur place, la délégation française a souhaité marquer symboliquement son attachement à la reprise, le plus vite possible, des réunions dans cette capitale européenne que constitue cette grande métropole alsacienne. À cet effet, plusieurs de ses membres se sont rendus sur place le jour qui aurait dû marquer le début de la session d'automne, le lundi 12 octobre, afin notamment de procéder à plusieurs entretiens.
Outre Mme Nicole Trisse (Moselle - La République en Marche), présidente de la délégation française, se sont déplacés à Strasbourg à cette occasion : M. Olivier Becht (Haut-Rhin - Agir ensemble), Mme Jennifer De Temmerman (Nord - Libertés et Territoires), MM. Fabien Gouttefarde (Eure - La République en Marche), Dimitri Houbron (Nord - Agir ensemble), Jérôme Lambert (Charente - Socialistes et apparentés), Mme Martine Leguille-Balloy (Vendée - La République en Marche), M. Jacques Maire (Hauts-de-Seine - La République en Marche), Mme Liliana Tanguy (Finistère - La République en Marche) et Mme Martine Wonner (Bas-Rhin - Libertés et Territoires) .
Ce déplacement a été l'occasion pour les membres de la délégation française de faire la connaissance de la nouvelle ambassadrice, représentante permanente de la France auprès du Conseil de l'Europe, Mme Marie Fontanel. Ayant pris ses fonctions au mois d'août, celle-ci a tenu à recevoir les parlementaires français à l'occasion d'un déjeuner de travail, au cours duquel les échéances à venir pour le Conseil de l'Europe et l'APCE ont été évoquées.
Les membres de la délégation française se sont rendus au siège de la Cour européenne des droits de l'Homme, pour y dialoguer avec le nouveau juge français, M. Matthias Guyomar, élu en début d'année par l'APCE. Cette rencontre a notamment été l'occasion pour eux de faire le point sur les condamnations de la France par cette juridiction. Pour mémoire, en 2019, la Cour a prononcé seulement 19 arrêts sur les 597 saisines concernant l'État français, 578 ayant été déclarées irrecevables ( cf . annexe). Sur les 19 arrêts, 13 ont conclu à une violation au moins de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme du 4 novembre 1950 (soit 0,13 % du total des condamnations prononcées par la Cour cette année-là).
Des entretiens ont pu également se dérouler avec plusieurs candidats aux fonctions de Secrétaire général-adjoint du Conseil de l'Europe (à savoir, M. Bjorn Berge et Mme Leyla Kayacik, cette dernière ayant déjà été reçue par une partie de la délégation française à Paris).
Enfin, les membres de la délégation française ont pu rencontrer Mme Marija Pejèinoviæ Buriæ, Secrétaire générale du Conseil de l'Europe. Au cours de leur entrevue, trois dossiers ont plus particulièrement été abordés : la recrudescence des tensions militaires entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie dans la région du Haut-Karabakh depuis le 27 septembre ; la tentative d'empoisonnement au Novitchok de M. Alexeï Navalny le 20 août ; enfin, la situation en Biélorussie depuis la proclamation des résultats contestés de l'élection présidentielle du 9 août. Sur tous ces sujets, les membres de la délégation française ont souhaité avoir des indications sur le rôle que le Conseil de l'Europe peut et entend jouer.
Le soir même, un dîner de travail a réuni, autour de la Représentante permanente de la France au Conseil de l'Europe, le Président de l'APCE, M. Rik Daems (Belgique - ADLE), le président de la délégation allemande, M. Andreas Nick (Allemagne - PPE/DC), Mme Nicole Trisse (Moselle - La République en Marche), présidente de la délégation française, M. Jacques Maire (Hauts-de-Seine - La République en Marche), président du groupe ADLE , et le Secrétaire général de l'APCE.
2. Des travaux en Commission permanente élargie qui ont pour l'essentiel repris les points envisagés à l'ordre du jour de la session d'automne
Au mois de juillet, alors que l'éventualité de la tenue d'une session plénière de l'APCE était considérée comme probable, le Bureau de l'Assemblée parlementaire avait échafaudé un projet d'ordre du jour insistant, outre sur les figures imposées habituelles (débats avec la Secrétaire générale et le Président du Comité des Ministres), sur les conséquences de la pandémie de Covid-19 et l'impact de l'intelligence artificielle sur les droits de l'Homme et l'État de droit. Assez logiquement, le remplacement de la session plénière par une Commission permanente élargie, répartie sur quatre jours, a conduit au maintien des discussions initialement prévues.
Mme Nicole Trisse (Moselle - La République en Marche), présidente de la délégation française , a présidé physiquement depuis Strasbourg une partie des débats, les 12 et 22 octobre.
Le tableau ci-après récapitule les textes adoptés au cours des jours de session de la Commission permanente élargie, les 12, 13, 22 et 23 octobre.
a) Des échanges avec plusieurs hauts responsables du Conseil de l'Europe
L'APCE a pour habitude de recevoir régulièrement les représentants du pouvoir exécutif de l'un ou de plusieurs États membres du Conseil de l'Europe sur les questions touchant aux droits de l'Homme et à la démocratie ; de même, une part de l'ordre du jour est aussi consacrée à l'audition des plus hauts représentants de l'organe exécutif du Conseil de l'Europe (à savoir le Président du Comité des Ministres) et des services de l'Organisation (à travers la Secrétaire générale et, parfois, la Commissaire aux droits de l'Homme). À défaut de pouvoir tenir ces rencontres en séance plénière, l'Assemblée parlementaire a saisi l'opportunité de la réunion de sa Commission permanente élargie en octobre pour maintenir ces échanges à haut niveau.
Ainsi, le 12 octobre, la Commission permanente élargie a-t-elle procédé à des échanges de vues avec M. Miltiadis Varvitsiotis, ministre délégué aux Affaires européennes de la Grèce, président sortant du Comité des Ministres du Conseil de l'Europe, puis M. Ángel Gurria, Secrétaire général de l'Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE). Au cours de ces débats, M. Jacques Maire (Hauts-de-Seine - La République en Marche) a pris la parole, au nom du groupe ADLE, pour demander au Président du Comité des Ministres s'il envisageait d'associer plus étroitement l'APCE à la préparation de la déclaration finale de la réunion ministérielle prévue à Athènes et s'il se ralliait à l'idée de consacrer plus rapidement que prévu des moyens budgétaires à la numérisation de l'hémicycle du Palais de l'Europe, de manière à faciliter des réunions « hybrides » pendant la durée de la pandémie. Mme Martine Wonner (Bas-Rhin - Libertés et Territoires) , quant à elle, a demandé à M. Ángel Gurria des précisons sur les évaluations, par l'OCDE, du contexte économique pour les petites et moyennes entreprises au premier semestre 2021.
Le lendemain, la Commission permanente élargie a examiné le deuxième rapport annuel d'activité de la Commissaire aux droits de l'Homme du Conseil de l'Europe, Mme Dunja Mijatoviæ, cinquième titulaire de ce poste élue en janvier 2018. À cette occasion, Mme Nicole Trisse (Moselle - La République en Marche), présidente de la délégation française, a interrogé la Commissaire des droits de l'Homme sur la manière dont les États membres du Conseil de l'Europe ont accueilli sa recommandation du 14 mai 2019 sur l'intelligence artificielle.
b) La réaffirmation solennelle de l'impératif de ne pas perdre de vue les droits fondamentaux à l'occasion de la lutte contre le coronavirus
Depuis le mois de mars 2020, les États membres du Conseil de l'Europe ont été confrontés au développement épidémique du coronavirus - Covid-19. Pour permettre à leurs systèmes hospitaliers et sanitaires de faire face, la plupart ont été obligés d'imposer des mesures totalement inédites de confinement à leurs populations. Pour fonder leurs décisions, les pouvoirs exécutifs ont eu recours à des législations d'exception, existantes ou adoptées pour la circonstance. La levée de ces restrictions de libertés rendues nécessaires pour sauver des milliers de vies a été progressive et s'est accompagnée de la mise en place de dispositifs de suivi suscitant parfois les interrogations.
Après avoir appelé à la vigilance à l'égard du respect des droits de l'Homme, de la démocratie et de l'État de droit, les instances de l'APCE ont légitimement souhaité tenir des débats approfondis et contradictoires dans le format inédit de la Commission permanente élargie à tous les parlementaires désireux de prendre la parole.
De même, comme toute autre crise - voire plus que toute autre -, la pandémie et ses effets considérables ont frappé de plein fouet les populations les plus vulnérables (femmes, enfants, migrants). L'Assemblée parlementaire, qui se préoccupe régulièrement d'eux a donc souhaité, à l'occasion de ses travaux sur la maladie de Covid-19, mettre l'accent sur leur fragilité ainsi que sur les droits fondamentaux qu'ils possèdent comme tout un chacun.
Le mardi 13 octobre, la Commission permanente élargie de l'APCE a donc débattu et adopté, au cours d'un débat conjoint, plusieurs résolutions et recommandations portant notamment sur :
- les démocraties face à la pandémie de Covid-19 (M. Ian Lidell-Grainger, Royaume-Uni - CE/AD) ;
- les conséquences de la pandémie de Covid-19 sur les droits de l'Homme et l'État de droit (M. Vladimir Vardanyan, Arménie - PPE/DC) ;
- la dimension de genre, l'égalité et la non-discrimination, droits humains à garantir en temps de crise et de pandémie (Mme Petra Stienen, Pays-Bas - PPE/DC) ;
- les conséquences humanitaires de la pandémie de Covid-19 pour les migrants et les réfugiés (M. Pierre-Alain Fridez, Suisse - SOC).
Au cours des débats, Mme Marietta Karamanli (Sarthe - Socialistes et apparentés) , intervenant au nom du groupe des socialistes, démocrates et verts (SOC), a plus particulièrement souhaité attirer l'attention sur les dérives potentielles des nouvelles technologies à l'égard du fonctionnement et de la légitimité des institutions démocratiques, ainsi que sur les difficultés de la presse et la nécessité de préserver les principes du contradictoire, de collégialité et de transparence.
c) La prise en compte, dans une démarche prospective, des questionnements majeurs induits par le développement accéléré de l'intelligence artificielle
Fait assez rare pour être signalé, l'APCE a décidé de consacrer une journée entière de débats, le 22 octobre, à une thématique unique recouvrant des enjeux variés et essentiels pour l'avenir de l'humanité, à savoir l'intelligence artificielle. Les problèmes posés par les technologies intelligentes, tant sur le plan des droits de l'Homme que sur ceux de la santé, de l'éthique et des aspects sociaux, justifient assurément que la réflexion s'attarde plus particulièrement sur ces questions.
Ont plus particulièrement été évoqués, lors de ces travaux, les questions inhérentes à la gouvernance démocratique de l'intelligence artificielle, la justice par algorithmes, la prévention des discriminations résultant de l'intelligence artificielle, les interfaces cerveau-machine, l'impact de l'intelligence artificielle sur la santé et sur les marchés du travail, ainsi que les aspects juridiques concernant les véhicules autonomes.
Le but de tous ces débats et des textes adoptés à leur terme était d'apporter une contribution à l'analyse en cours du comité ad hoc sur l'intelligence artificielle mis en place par le Conseil de l'Europe (CAHAI), en vue de l'élaboration par celui-ci d'une cartographie des risques et des opportunités de cette technologie nouvelle pour les droits de l'Homme, cette cartographie constituant le prélude à une éventuelle prise de position sur une réglementation juridique à envisager. De ce fait, le CAHAI pourra, dans le cadre de ces réflexions, s'inspirer des résolutions et recommandations votées par la Commission permanente élargie concernant :
- la nécessité d'une gouvernance démocratique de l'intelligence artificielle, (Mme Deborah Bergamini, Italie - PPE/DC) ;
- le rôle de l'intelligence artificielle dans les systèmes de police et de justice pénale (M. Boriss Cileviès, Lettonie - SOC) ;
- la prévention des discriminations résultant de l'utilisation de l'intelligence artificielle (M. Christophe Lacroix, Belgique - SOC) ;
- les nouveaux droits et nouveaux dangers pour les libertés fondamentales induits par les interfaces cerveau-machine ( M. Olivier Becht, Haut-Rhin - Agir Ensemble ) ;
- les défis médicaux, juridiques et éthiques à venir qui se trouvent posés par l'intelligence artificielle dans le domaine de la santé (Mme Selin Sayek Böke, Turquie - SOC) ;
- l'intelligence artificielle et les marchés du travail, amis ou ennemis ? (M. Stefan Schennach, Autriche - SOC) ;
- les aspects juridiques concernant les véhicules autonomes (M. Ziya Altunyaldiz, Turquie - NI).
M. Olivier Becht (Haut-Rhin - Agir Ensemble ) est intervenu au cours de ces échanges afin de présenter son rapport et de répondre aux interrogations qui lui ont été adressées par certains participants.
d) La discussion de questions plus spécifiques, concernant les avocats, le conflit au Haut-Karabakh et la situation des droits de l'Homme et des libertés en Turquie
La Commission permanente élargie de l'APCE, au cours de ses réunions, a abordé des enjeux qui, pour être spécifiques, n'en demeurent pas moins importants. Trois débats concernant des thématiques bien précises ont plus particulièrement animé les discussions des parlementaires.
L'un de ces débats a concerné, le 23 octobre, les principes et garanties applicables aux avocats, lesquels constituent l'un des garants essentiels à la tenue d'un procès équitable. À l'issue des échanges, la Commission permanente élargie a adopté une résolution et une recommandation préconisées par la commission des questions juridiques et des droits de l'Homme de l'APCE (M. Aleksander Bashkin, Fédération de Russie - NI).
De même, à la demande de la commission de suivi, un débat d'actualité a eu lieu le 12 octobre sur le conflit armé entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, spécifiquement sous l'angle de l'échec de sa résolution pacifique et des risques en découlant pour la stabilité régionale. Faisant écho à la reprise des hostilités dans la région du Haut-Karabakh, cette discussion a conduit M. Jacques Maire (Hauts-de-Seine - La République en Marche) , au nom du groupe ADLE, à s'inquiéter de l'implication de deux États membres dans un conflit ouvert et des conséquences humanitaires dramatiques pour les civils, tout en pointant que cette situation était le résultat d'une dynamique négative depuis vingt ans, incombant aussi bien aux belligérants qu'à la communauté internationale, et en appelant à une neutralité de la Turquie.
Enfin, le 23 octobre, à la demande du groupe GUE, d'autre part, un débat d'actualité a été mené sur les nouvelles mesures de répression contre l'opposition politique et la dissidence civile en Turquie, l'accent étant plus particulièrement mis sur l'urgence d'y sauvegarder les normes du Conseil de l'Europe. Lors de ce second débat, Mme Alexandra Louis (Bouches-du-Rhône - La République en Marche) , au nom du groupe ADLE et en sa qualité de rapporteure générale sur la situation des défenseurs des droits de l'Homme dans les États membres du Conseil de l'Europe, a notamment souligné les reculs très préoccupants dans le pays ces dernières années, ainsi que les régressions à l'égard des avocats dont Mme Ebru Timsik a payé le prix de sa vie, puis elle a dénoncé les réflexions en cours des autorités turques sur un éventuel rétablissement de la peine de mort, contraires aux obligations des États membres du Conseil de l'Europe ; elle a aussi apporté son plein soutien au travail de la commission du monitoring , qu'elle a appelée à poursuivre son suivi sur la Turquie, et exprimé l'espoir que la société turque, profondément attachée aux valeurs et principes démocratiques, porte auprès de ses dirigeants l'exigence d'un respect plus manifeste de ceux-ci à l'avenir.