EXAMEN EN DÉLÉGATION
La Délégation aux entreprises s'est réunie le jeudi 17 novembre 2020 pour l'examen du présent rapport. À l'issue de la présentation, le débat suivant s'est engagé :
M. Alain Chatillon . - Quelle est la vraie question qui se pose ? Est-ce le fait que cette catégorie d'entreprise ne paye pas d'impôts en France, est-ce le fait qu'elle ne vende pas que des produits français ? Je suis membre du conseil d'administration de Business France et du Comité de surveillance des investissements d'avenir. Pour accompagner les entreprises à l'étranger, la règle est qu'elles aient un rattachement français. Pour une entreprise française à l'étranger, son dirigeant doit certes être français, mais encore faut-il que son entreprise porte un nom français, produise des biens d'une marque française, promotionne les produits français. Il y a là une contrainte que les systèmes mis en place peuvent difficilement contourner. Je pense qu'il faut identifier la porte d'entrée qui permettrait à ces entreprises de bénéficier des aides nationales. Avoir un chef d'entreprise français est nécessaire, mais peut-être faudrait-il ajouter une nouvelle condition et exiger une dualité de rattachement de l'entreprise, franco-allemande ou franco-chinoise par exemple, de façon à sécuriser à la fois la fiscalité française et ces Français qui se sont expatriés pour produire ou vendre des produits français à l'international.
M. Serge Babary . - Notre démarche a été bien accueillie par Bpifrance et Business France qui s'inquiètent aussi du sujet. Aucun recensement de ces entreprises n'a été effectué alors que le réseau des CCI ne vit que grâce à l'adhésion des entreprises. Le premier point est donc leur identification par le réseau des CCI qui permet de repérer cette présence d'entrepreneurs français. Il faut donc d'abord faire un travail de recensement, car pour l'instant nous n'avons même pas de base.
Le second point, sera d'établir des critères objectifs. Effectivement, ce sont souvent des TPE et PME d'accompagnement de services à l'exportation de produits français. De nombreuses PME françaises ne peuvent pas se projeter à l'étranger, contrairement aux grands groupes. Elles bénéficient néanmoins de cette présence commerciale française à l'international, constituée par ces Français commerçants, ingénieurs-conseils, commerciaux, etc., basés à l'étranger. La particularité de ces entreprises est qu'elles ont été créées à l'initiative d'un citoyen français sous la forme juridique d'une entreprise de droit local. C'est ce critère qui bloque l'administration jusqu'à présent. Au-delà de la nationalité juridique de ces entreprises, on peut s'appuyer sur la part de leur chiffre d'affaires effectuée avec la vente de produits ou de services français, ce qui ne devrait pas être trop compliqué à déterminer. Encore faut-il que ce suivi statistique soit réalisé par quelqu'un. L'objectif est la prise en compte de cette réalité, avec ces entreprises qui participent grandement à l'exportation des produits français et au commerce extérieur, en particulier pour les PME.
M. Alain Chatillon . - Je pense que Business France est le meilleur interlocuteur. Ils ont déjà l'expérience des milliers de VIE qui accompagnent les entreprises sur le terrain. J'ai pour ma part créé mon entreprise et ouvert des filiales à l'international et il est vrai que sans lien avec l'État français, il est difficile d'avoir droit à des aides. Il faut définir un lien de rattachement et garantir à l'État que ces entreprises sont vraiment d'origine française, vendent des produits français et qu'elles permettent à la France de se développer à l'international.
M. Serge Babary . - Les services institutionnels, et notamment Business France, sont intéressés par notre démarche et c'est sur eux que nous souhaitons nous appuyer pour déterminer ce point d'entrée, mettre en place une caractérisation de ces entreprises et un suivi. Sur la question des VIE, l'entreprise française à l'étranger de droit local ne peut pas, pour l'heure en bénéficier : une initiative visant à contourner ce problème par le biais des chambres de commerce à l'étranger est en discussion. D'ailleurs, aujourd'hui, ces entreprises de droit local jouent le rôle de facilitatrices dans le cadre des VIE, car elles sont les interlocutrices traditionnelles des filiales de groupes français qui peuvent faire venir des volontaires ; elles connaissent parfaitement le terrain et elles ont des liens avec ces jeunes. Malgré cela, ces entreprises ne peuvent pas embaucher de VIE car elles ne sont pas considérées comme françaises. L'une des propositions du rapport est qu'une société de droit français soit créée autour du Conseil national des conseillers du commerce extérieur et du réseau CCI France international afin de gérer le rattachement administratif des VIE, y compris leurs rémunérations, et de permettre ainsi qu'ils soient employés par des PME à l'étranger même si elles sont de droit local, dès lors qu'elles correspondent aux critères qui auront été définis.
Mme Jacky Deromedi . - Je suis d'accord avec Alain Chatillon mais Business France accompagne principalement les entreprises françaises à l'exportation. On ne parle pas de la même chose. Il s'agit dans notre cas d'entreprises de droit local, ce qui est très différent. Ce sont des sociétés créées par des Français établis à l'étranger, et qui sont obligés de créer des entités juridiques de droit local. Ce n'est pas possible d'avoir un statut entrepreneurial français à l'étranger en dehors des filiales des entreprises françaises. Business France et Bpifrance n'accompagnent pas ces entreprises de droit local. Les plus petites d'entre elles, les PME-TPE, comme un boulanger installé à l'étranger, qui produit la baguette française et achète sa farine en France, ne peuvent pas se constituer en filiale. Ces entreprises peuvent être, par ailleurs, très bien identifiées par le poste diplomatique et les services économiques des ambassades, les CCE, les CCI et les élus consulaires. Il me semble tout à fait possible d'aider des sociétés qui n'ont pas nécessairement un lien direct avec la France. De même, quand on parle d'une agence de voyage à l'étranger qui vend la destination France, lesquelles sont aujourd'hui en grande difficulté, ce sont des français qui commercialisent des séjours en France mais ne sont toutefois pas soutenus, alors même qu'ils apportent du tourisme dans notre pays.
On souhaiterait par ailleurs connaitre le chiffre à l'exportation des sociétés françaises, basées en France, qui vendent à ces sociétés détenues par des Français, basées à l'étranger, mais Bercy ne veut pas les communiquer. On pense que c'est de l'ordre de 30 % de notre commerce extérieur. Ces entreprises françaises basées en France vont souffrir du fait qu'un nombre important de leurs revendeurs à l'étranger vont disparaître et donc ne plus acheter leurs produits. Évidemment le sujet est complexe, c'est la raison de notre rapport.
Ce sont des petites entreprises qui font connaître la France, qui vendent des produits français, du tourisme français ou du savoir-faire français. Il semblerait qu'aujourd'hui, 30 % de ces petits entrepreneurs partis à l'étranger soient rentrés en France. S'ils sont démunis, ils vont venir grossir les chiffres du chômage en France.
M. Serge Babary . - Jacky Deromedi fait bien de rappeler qu'il s'agit d'une myriade de petits entrepreneurs qui ont pris des initiatives et qui participent au rayonnement et au commerce de la France. Nous essayons de caractériser cette situation, que la crise a permis de révéler. En dehors des grands groupes et des filiales, ce sont ces entrepreneurs qui constituent le réseau de CCI France International, et ce sont des relais inestimables pour nos entreprises en France.
M. Alain Duffourg . - Quelle est la fiscalité applicable aux entreprises françaises qui possèdent des filiales à l'étranger ?
Mme Jacky Deromedi . - Les entreprises françaises de droit local paient des impôts sur leurs bénéfices dans leur pays d'implantation et ne paient pas d'impôt en France. En revanche, elles contribuent au chiffre de l'export de la France, et l'entreprise exportatrice en France paiera des impôts sur ses bénéfices réalisés grâce à ces entreprises françaises à l'étranger.
M. Serge Babary . - Les filiales sont soumises à la fiscalité locale et la maison-mère à la fiscalité française, dès lors que celle-ci a son siège en France. C'est le lieu d'implantation, où l'on constate la création de richesse, qui détermine l'assiette de l'imposition. La valeur ajoutée de ces entreprises basées à l'étranger est de faciliter l'exportation des PME françaises, mais il n'y a pas de lien, à part un lien commercial, entre le donneur d'ordre français - l'entreprise qui exporte - et l'entreprise basée à l'étranger, créée et gérée par un Français, qui vend ces produits à l'étranger.
M. Alain Chatillon . - Un lien avec la France, qui remonte directement à cette entreprise, est nécessaire. Comment voulez-vous que l'État français aille investir dans une société qui n'a aucune remontée fiscale, sociale ou autre vers la France ? Aucun pays ne le fait. L'intention est bonne, mais il faut un lien historique, un apport intellectuel, social, d'investissement, etc. pour constater une remontée de la valeur ajoutée vers la France.
M. Serge Babary . - Nous sommes d'accord, il faut définir des critères. Cela dit, quand on parle par exemple d'une agence de tourisme en Inde qui ne commercialise que des voyages vers la France, qui y envoie beaucoup de touristes, cela profite forcément à la France. Pensons à la classe moyenne indienne émergente qui souhaite voyager dans notre pays. Cette entreprise de voyage participe à l'enrichissement de la France. On peut prendre en considération cette activité, valorisante pour l'hexagone. De même, une boutique de vins et spiritueux tenue par un Français, qui ne vend que des produits français de nos différentes régions, créée un lien économique que l'on peut prendre en considération. Les institutions sont prêtes à prendre en considération ces critères pour l'avenir, car la crise a révélé cet angle mort de notre politique commerciale. Jusqu'à maintenant, s'appliquait en effet la règle selon laquelle il n'y avait pas solidarité sans fiscalité en retour.
M. Alain Chatillon . - J'en conviens, mais je comprends la réponse actuelle des institutions publiques, car il est difficile de créer des relations avec ces entreprises sans que ces dernières ne créent de holding, pour justifier l'existence d'une aide nationale.
M. Serge Babary . - Nous ne parlons pas exactement du même type d'entreprise. Il s'agit ici de TPE, d'entrepreneurs individuels. Il y a aussi de grands succès, je pense par exemple à des initiatives comme la Brioche Dorée, un boulanger parti à New-York, avec deux valises, et qui a réussi au-delà de ses espérances. Ce type d'initiatives met en avant le savoir-faire français, on les retrouve un peu partout dans le monde, et ces entrepreneurs font vivre aussi les réseaux consulaires. En retour, l'administration, jusqu'à maintenant, et c'était normal, ne voyait pas la nécessité d'intervenir en leur faveur. Aujourd'hui, avec la crise, ces entreprises risquent de disparaitre, 30 % seraient déjà rentrés dans l'hexagone, sans revenus, d'après certaines estimations. Cela fragilise notre réseau commercial international et ferme des débouchés à l'exportation de nos entreprises. Il faut qu'assez rapidement analyser économiquement cette présence et cette action.
M. Alain Chatillon . - Je pense que le directeur général de Business France est le mieux placé pour les y aider.
Mme Jacky Deromedi . - On sait que cela est possible, car nous avons l'exemple du programme Choose Africa , voulu par le président de la République. 2,5 milliards d'euros de fonds français en Afrique, pour accompagner 10 000 sociétés africaines de droit local, lesquelles ne payent pas d'impôts en France. Quand on veut, on peut. Pourquoi ne pas pouvoir débloquer des fonds pour ces Français de l'étranger ?
Mme Martine Berthet . - L'aide de l'État à ces entreprises devra être conditionnée au fait qu'un certain pourcentage de commandes de matières premières est français, qu'une certaine part de leur chiffre d'affaires vienne de la vente de produits fabriqués en France. Il faut objectiver leur contribution au commerce extérieur. Pour ce qui est des prestations intellectuelles, cela devient plus compliqué et plus difficile à mesurer.
M. Serge Babary . - L'intérêt est de susciter le questionnement, car il y aura d'autres crises. L'idée de mettre en place un fonds d'urgence pour les ressortissants à l'étranger, quelle que soit leur activité d'ailleurs, proposée par notre collègue Le Gleut, me paraît être une heureuse initiative. Si on sait aider des entreprises africaines sans lien avec la France, on doit pouvoir aider les entreprises de nos ressortissants dans cette période de crise.
M. Dominique Théophile . - Félicitations pour ce rapport qui présente nos forces et nos faiblesses. Dans cette période difficile, cela nous permettra de jauger et de juger de nos capacités à engranger des résultats. Il faut distinguer les entrepreneurs français à l'étranger et les entreprises françaises à l'étranger. L'entrepreneur qui s'engage et qui coupe toute relation avec la France pour lancer son affaire à l'étranger, mais qui reste français, est à distinguer de l'entreprise qui a un lien avec le national. Ne devrait-on pas créer ou muscler un observatoire des entrepreneurs français à l'étranger, pour mieux évaluer ce phénomène et le travail de nos ressortissants à l'extérieur ? Il est très inquiétant de voir le nombre de nos ressortissants qui vont rentrer dans l'hexagone pour toucher le RSA le cas échéant, cela interroge nos forces et nos faiblesses. Pour dépasser le cas des entreprises déjà installées, comment aider les entreprises qui décident de s'installer dans le contexte actuel et ont encore plus de difficultés qu'à l'accoutumée pour exporter, notamment depuis les outre-mer ? Outre-mer, l'éloignement et l'insularité brident le développement commercial des entreprises pour lesquelles la prospection est encore plus difficile, même dans le bassin régional. Je suis régulièrement contacté par des entrepreneurs qui peinent à exporter et cherchent le bon interlocuteur institutionnel. Comment mieux les orienter dans les années à venir et les préparer, en plus de l'installation, aux éventuelles difficultés, comme celles liées actuellement à la situation sanitaire.
Mme Jacky Deromedi . - Cette dimension de l'exportation est plus facile. Pour aider les entreprises qui veulent exporter, beaucoup d'aides existent, venant des CCI et surtout de Business France, qui est très bien équipé pour accompagner les entreprises. Bpifrance a également des outils qui aident, comme par exemple l'assurance prospection qui couvre une partie des frais de recherche de marchés, sous forme d'un prêt lequel, en cas d'échec de la prospection, peut ne pas être remboursé. La panoplie des aides à l'exportation est très complète.
La Délégation autorise la publication du rapport.